Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/Tome 1/811-820

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Fascicules du tome 1
pages 801 à 810

Dictionnaire de Trévoux, 1771
Tome 1, pages 811 à 820

pages 821 à 830


l’huile d’anis vert, & de véritable fleur de soufre qu’on a fait dissoudre ensemble.

On appelle des Charlatans, vendeurs de baume, qui vendent des onguents ou des huiles pour les plaies, qu’ils nomment abusivement de ce nom. Ils vendent aussi une certaine liqueur pour le fard, qu’ils appellent du baume blanc.

Baume, suivant quelques Chimistes, n’est autre chose que l’ame du sel commun extraite par l’art. Ils le font dissoudre à l’humide, & ils mettent la résolution bien clarifiée dans du fumier de cheval pour la putréfier pendant deux ou trois mois, & ensuite ils la font distiller fortement avec feu de sable ; il en monte une onctuosité précieuse, dans laquelle mettant tremper les choses les plus corruptibles, elles demeureront éternellement entières. Ils disent que c’est par ce moyen que les Anciens & les plus curieux ont conservé des corps entiers sans les réduire en momies, & que c’est ainsi que fut conservé le corps d’une femme dont parle Volaterran, qui fut trouvé dans un Mausolée près d’Albane du temps d’Alexandre VI, lequel par son ordre fut jeté secrètement dans le Tibre pour éviter l’idolâtrie ; car il paroissoit vivant & très-beau, quoiqu’il fût mort il y avait treize siècles

Baume Universel, en termes de Philosophie hermétique, c’est l’élixir parfait, un remède rare & universel, qui produit des choses étonnantes dans la nature.

Baume, se dit aussi d’une certaine composition noirâtre de bonne odeur, que l’on porte dans de petites boîtes. La bile en est l’huile de muscade, à laquelle on ajoute le storax, & autres choses semblables, suivant l’odeur qu’on veut lui donner.

Baume, est aussi une petite herbe qu’on met dans les fournitures de la salade. Elle est odoriférante. C’est une espèce de menthe.

Baume, se dit figurément de ce qui est de bonne odeur, ou qui cause la guérison. A l’ouverture des Reliques de ce Saint, il en sortit un baume précieux qui parfuma tout l’air d’alentour. La grâce que les Sacremens confèrent est un baume qui guérit toutes les plaies de nos âmes. Le baume que l’on mêle avec l’huile pour faire les onctions dans les Sacremens & les cérémonies ecclésiastiques, signifie, selon Amalarius Fortunatus, la bonne odeur des vertus que doit répandre celui à qui on l’applique. L’auteur Arabe du Giavaheral Bokhur, Histoire abrégée de l’Egypte, écrit que le Baume de Matharée auprès du Caire, en Egypte, étoit fort recherché des Chrétiens, à cause de la foi qu’ils y avoient. Il veut dire que les Chrétiens se servoient de ce baume pour faire le crême de la Confirmation. d’Herb. C’est une preuve de la créance de l’Eglise Catholique sur ce sacrement.

☞ On dit proverbialement, qu’une chose fleure comme baume ; pour dire, qu’elle sent bon. On le dit au figuré d’une affaire qui paroît bonne & avantageuse.

☞ On dit encore que la réputation de quelqu’un fleure comme baume, pour dire, qu’il jouit d’une bonne réputation.

Baume, signifie en Provence & en Dauphiné une Caverne. On y appelle Sainte Baume, la Caverne que l’on prétend avoir été habitée par sainte Magdelaine. La pluie qui tombe sur le rocher de la Sainte Baume, qui est tout fendu & crevassé, & où il n’y a point d’herbe, pénètre dans la grotte en très-peu d’heures, à 67 toises au dessous de la superficie du rocher, & y forme une très-belle citerne. De la Hire, Acad. des Sc. 1703. pag. 61. Chorier dit qu’il signifie tantôt une grotte, & tantôt un Territoire coupé de valons, & couvert de bois, & que c’est ce que signifie Αλμα en grec, d’où il dérive. M. Ménage croit que ce mot a été pris du latin barbare balsima, qui se trouve en cete signification dans les Capitulaires de Charles le Chauve. Le P. Mabillon, Annal. Bened. Lib. I. p. 24. prétend que balma est un ancien nom gaulois, qui signifoit un rocher, rupes. M. de Valois dit, Notit. Gall. pag. 74 ; que balma en Italie signifie un antre ; qu’en gaulois il croit que baume signifie un antre, ou une caverne, sur-tout si elle est sur une montagne, ou sur un lieu élevé. Voyez Balme.

☞ BAUME les moines. Abbaye de France, en Franche-Comté, près de Lons le Saunier, au Diocèse de Besançon, Ordre de S. Benoît de la Congrégation de Clugni.

☞ Baume les nones, ou Beaune les nonains. Petite ville de France, sur le Doux, en Franche-Comté.

☞ Baume les nones. Abbaye de filles, en France, dans la Franche-Comté.

BAUMIER. s. m. Arbre de baume, ou qui porte le baume. Balsamum. Le Traducteur de Dapper s’est servi de ce mot p. 62. Il n’y a pas long-temps, dit-il, qu’on s’est apperçu du gain qu’il y avoit à faire, & qu’il est devenu si précieux & si cher en Orient (le baume.) Dès que les Arabes y eurent pris garde, ils s’empresserent à transplanter les jeunes Baumiers des terres monteuses & arides dans les jardins fertiles & cultivés ; de sorte qu’il en a maintenant des vergers tout pleins. ☞ Quelques-uns appellent du nom commun Baume, la gomme & la plante d’où elle découle. Pourquoi ne diroit-on pas Baumier, quand ce ne seroit que pour ôter l’équivoque. D’ailleurs, ce mot se trouve ailleurs que dans le Traducteur de Dapper.

☞ BAVOCHÉ, ÉE. adj. Terme de Gravure & d’Imprimerie. Il se dit d’un trait de burin, d’un contour qui n’est pas net, & d’un caractère qui n’imprime pas nettement. Une épreuve bavochée.

BAVOCHER. v. n. Terme de Doreur en détrempe. Il se dit pour exprimer l’effet des taches que le jaune ou l’assiette fait en coulant sur le blanc qui doit servir de fond à la dorure. Les Imprimeurs se servent du terme de bavocher pour faire entendre qu’une impression n’est pas assez nette, & qu’elle est brouillée par de petites taches qui paroissent entre les lignes & aux extrémités des pages. Bavocher & papilloter sont termes synonymes.

BAVOCHURE. s. f. Défaut de ce qui est bavoché. Bavochure se dit des traits de Graveurs qui ne sont pas nets. Les Graveurs à l’eau forte sont obligés d’ébarber les bavochures avec le burin.

BAVOIS, ou BAVOUER. s. m. Ancien terme de monnoie. On appelle ainsi la feuille de compte, où est contenue l’évaluation des droits de Seigneurie, foiblage, écharcetée & brassage, suivant le prix courant que l’Ordonnance attribue à l’or, argent & billon, en œuvre, & hors d’œuvre.

☞ BAVOLER. s. m. Terme de Fauconnerie. Vol des perdrix qui n’est pas élevé. On le dit aussi des autres oiseaux. Quelques-uns écrivent bas voler.

BAVOLET. s. m. Coiffure des jeunes paysannes auprès de Paris, qui se fait de linge délié & empesé, & qui a une longue queue pendante sur les épaules. On pouroit l’appeler en latin capital, par analogie au linge dont les femmes avoient la tête couverte dans les sacrifices, & qui portoit ce nom, au rapport de Festus. Chiffonner le bavolet. Vous voulez faire voir dans vos trophées amoureux, des calles, & des bavolets. Scar.

On dit figurément d’une jeune paysanne, que c’est un joli bavolet.

Loin de la Cour, je me contente
D’aimer un petit bavolet. Bois-R.

Ce mot est formé de bas-volet. Volet se disoit autrefois pour voilet, & voilet est un diminutif de voile : de-là on a appelé bavolettes les jeunes paysannes qui portoient ces sortes de coiffures. Huet. De bavolette on dit en Normandie filer bavol ; pour dire, filer inégalement, faire du fil qui n’est pas égal, parce que les jeunes bavolettes, peu savantes en l’art de filer, filent ainsi. Id.

☞ On appelle aussi bavolet chez les Marchandes de Modes & Coiffeuses la seconde pièce d’une coiffure qui n’a point de barbes, qui forme le dessus de la tête. C’est aussi sur le bavolet que l’on monte le fet qui forme le gros pli du milieu.

BAVON. s. m. Nom propre d’homme. Bavo. S. Bavon, en flamand S. Baef, qui avoit été nommé Allowin sur les fonts du Baptême, d’une très-noble famille du pays de Hasbain, ou Haspengaw dans le Brabant Liégeois, vint au monde vers l’an 589. Bail. Cet Auteur prétend que Bavon étoit un sobriquet, ou nom de guerre. L’Auteur de sa vie dit seulement que le peuple l’appelle Bavon S. Baef est patron de Gand, d’Harlem, &c. Voyez Le P. Mabillon. Sec. II Bened. p. 394.

BAVOUER. Voyez Bavois.

BAUQUE. s. f. On appelle ainsi l’algue à feuilles étroites qui vient dans les étangs salés près de Montpellier. Elle y est si commune, qu’on en fume les champs. Les Parfumeurs & les Vitriers en emballent leurs caisses. Quelques-uns disent baugue.

BAUQUIN. s.m. En termes de Verrerie on appelle bauquin, le bout de la canne que l’on met sur les lèvres pour souffler.

BAURAC. Terme arabe qui signifie nitre ou sel en général. Ruland. C’est de Baurac qu’on a fait Borax.

☞ BAUSKE, BAULSKE, & BAUSCH. Ville appartenant au Duc de Curlande, aux frontières de la Samogitie.

BAUT, ou BAUS. adj. Vieux mot. Gai, joyeux, content, alerte.

☞ BAUTZEN. Budissima. Ville d’Allemagne, dans la haute Lusace, dont elle est la principale ville.

BAVURE. s. f. Petite trace des joints des pièces du moule, qu’on ôte à la lime & au rifloir sur le métal, & avec le ciseau sur le plâtre.

BAUTEUR. s. f. Nom propre de femme. Voyez Baudour.

BAUX, ou BARROTS. Terme de Marine. Ce sont des pièces de bois ou poutres qui traversent en largeur d’un bout à l’autre du navire, & servent à porter les planchers que l’on nomme ponts ou tillacs. A chaque bout des baux, il y a une courbe triangulaire nommée courbaton, qui en fait la liaison avec le corps du bâtiment. Elle est d’un bout attachée aux baux, & de l’autre contre les vaigres, ou contre les planches qui font le revêtement intérieur du vaisseau. On appelle Maître-bau, celui qui est à la plus grande ouverture du navire, & qui joint l’extrémité supérieure d’un genou à l’autre. Il peut avoir près du quart de la quille, & le creux du vaisseau peut être égal à la moitié du bau. Celui qui est le dernier vers l’avant sur l’extrémité, se nomme bau de lof, & à Marseille madier dernier. Celui qui est le dernier vers l’arrière s’appelle bau de dalle. On dit, qu’un navire a tant de pieds de quille, & tant de pieds de baux ; pour dire, qu’il a tant de pieds de long, & tant de pieds de large. Il y a aussi des baux qui servent à fortifier les vaisseaux. Ces mêmes pièces de bois dans les bateaux foncets, & autres bâtimens sur les rivières, s’appellent matières.

Baux, pluriel de Bail. Voyez Bail.

BAUZELY. s. m. Nom propre d’homme usité en Rouergue. Voyez Baudille. C’est le même.
BAUZILLE. Le même selon l’usage de Languedoc.
BAUZIRE. Le même en Auvergne.
BAX.

BAXANA. s. f. Plante indienne. A Queyonne, proche Ormuz, naît un arbre appelé par les habitans circonvoisins de cette Île déserte, Baxana. On dit que son fruit suffoque ceux qui en goûtent, en quelque quantité qu’ils en prennent ; & que si l’on demeure un quart-d’heure à l’ombre de l’arbre, on ressent le même effet : mais je regarde tout cela comme des fables, d’autant plus volontiers, que la racine, les feuilles & le fruit du même arbre passent dans d’autres contrées pour un antidote à toutes sortes de poisons. Ray, Hist. Plant. Baxana, arbor fructu venenato, radice venenorum antidoto.

BAY.

BAY. Voyez Bai.

☞ BAYANISME, ou BAÏANISME. Erreur de Baïus & de ses disciples, sur la grâce, le libre arbitre, le péché originel, la charité, &c. contenues dans 76 propositions condamnées d’abord en 1567 par le Pape Pie V, & en 1579 par Grégoire XII.

BAYARD. s. m. Nom du fameux cheval des quatre fils Aimon.

Et la postérité d’Alfane & de Bayard,
Quand ce n’est qu’une rosse, est vendue au hasard.

Boileau.

On le dit dans le discours familier pour un grand cheval.

Quand sur Bayard par bois & par montagnes
A gyboyer vous prenez vos ébats. R.

Bayard, ou Bayart. s. m. en termes de manœuvres, se dit d’une grande & forte civière propre à porter de gros & lourds fardeaux, comme de grosses pierres. On voit sur le port de Dunkerque force bayards. Ce mot est usité en Languedoc & en Roussillon, & on le trouve sur les inventaires des Gardes-Magasins.

BAYE ou BAIE.

BAYER. v. n. Tenir la bouche ouverte en regardant longtemps quelque chose. Ore aperto & hiante aliquid aspicere. Il tire son étymologie de l’italien badare, qui est aussi latin, selon les Gloses attribuées à Isidore. Ce mot est vieux & hors d’usage. On dit familièrement bayer aux corneilles, pour exprimer un homme oisif, & qui s’amuse à regarder niaisement toutes choses. M. Guittaut m’envoya une cassette de ce qu’il a de plus précieux. Je la mis dans mon cabinet, & puis je voulus aller dans la rue bayer comme les autres. Mad. de Sevigné.

Allons, vous : vous rêvez, & bayez aux corneilles,
Jour de Dieu, je saurai vous frotter les oreilles.

Mol.

Il y en a d’autres qui disent béer aux corneilles.

☞ On dit en style figuré & familier, bayer après quelque chose, après les honneurs, les richesses. Les désirer avec avidité. Ce verbe est toujours neutre. Les Vocabulistes le disent avec tout le monde ; & pour le prouver, ils apportent cet exemple. Que bayez-vous là depuis deux heures ? Eux qui relevent si durement les prétendues bevues des autres, comment qualifiroient-ils celle-ci.

BAYETTE. s. f. Espèce d’étoffe qui est une revêche de Flandre, ou d’Angleterre. La bayette est une étoffe de laine, tissue fort lâche, rase d’un côté, & fort cotonnée de l’autre.

BAYEUR, EUSE. s. m. & f. Celui ou celle qui regarde avec avidité, comme les gens du peuple.

BAYEUX. Prononcez Baïeux. Ville épiscopale de France, en Basse-Normandie, sur la rivière d’Aure. Bajocæ, Bajocum, Bajocassium civitas, César, Liv. VIII, chap. 7, l’appelle Belocasses, ou Velocasses, comme Pline Liv. IV, chap. 18. Bayeux a titre de Vicomté, & est capitale du Bessin. Il parut il y a quelques années en 1605 à Caën une première partie de l’histoire du Diocèse de Bayeux par M. Hermant. Bayeux est au 19d 45′ de longitude, & 49d 20′ de latitude. Les Auteurs du Moréti & Maty écrivent Baïeux. Mais Du Moulin, dans son Histoire générale de Normandie, Hermant, dans son Histoire du Diocèse de Bayeux, Mezeray & M. Huet, dans ses Origines de Caën, écrivent Bayeux. Nous les suivons ; c’est l’ancien usage.

BAYLE. Voyez BAILE.

☞ BAYON. Ville de Lorraine, sur la Moselle, à cinq lieues au-dessus de Nancy.

☞ BAYONA. Ville d’Espagne, en Galice, à l’occident de Tuy.

BAYONNE, ou BAÏONNE. Prononcez Baïonne. Lapurdum, Baïona. Ville de France, en Gascogne, dans la Terre de Labour dont elle est capitale. Elle est située à la jonction des rivières de l’Adour & de la Nire, qui font Bayonne une ville de fort grand trafic, & un port de mer fameux. Corn. Quelques-uns croient que c’est les Aquæ Tarbellicæ des Anciens. Scaliger & Vinet estiment que les Boïates ou Boïens, dont la Cité appelée dans les Notices la Cité des Baïates, autrement Boïens, étoit l’une des douze Cités de la Novempopulanie, & qui est le bourg de Buchs ; ils estiment, dis-je, que les Boïens avoient leur étendue depuis le pays de Buchs jusqu’à Bayonne, & que cette ville étoit leur cité. Mais le pays de la cité d’Acqs s’oppose à cette conjecture ; car cette partie de ce pays est située entre Bayonne & le pays de Buchs, & empêche toute sorte de communication entre Bayonne & Buchs. La dénomination de cette ville, qui sert de fondement à cette opinion, ne doit point être considérée ; car outre qu’elle est nommée constamment Bayonne dans tous les titres, aussi-bien que par le vulgaire, & non pas Baïonne, comme nous voudroit persuader Vinet, il ne faut pas douter que cette diction ne soit récente, & qu’elle ne prenne son origine de la langue basque, signifiant bonne baie ou bon port, baya ona, Baïa, c’est-à-dire, port, en langage de Marine, & ona, bon. De Marca. Je dis que le nom de Bayonne est récent, étant certain que cette ville & son Evêché sont appelés dans les vieux titres Lapurdensis, & non pas Baïonensis. Id. Bayonne n’est donc pas la cité des Boïates. C’est une cité érigée par quelque Synode provincial, pour la substituer après la ruine de Buchs, à la place de la douzième cité qui avoit été distraite de l’Aquitaine IIIe en faveur de l’Aquitaine IIe & de l’Archevêché de Bordeaux, auquel le terroir de la cité de Buchs avoit été incorporé. Cela se fit avant la venue des Normands de l’an 845, attendu qu’une Charte de Lescare témoigne qu’ils la ruinèrent avec les autres cités de Gascogne, & que l’Evêque Arsius témoigne en 980, que cette ville étoit en possession de toute ancienneté, de certaines vallées. La longitude de Bayonne est à 16° 2′, 48″ de longitude, & à 43° 29′, 45″ de latitude. Picard, De la Hire.

L’Evêché de Bayonne, autrefois de Labour, Episcopatus Lapurdensis, Baïonensis. L’Evêché de Bayonne, qui a seulement 60 Paroisses, étoit autrefois d’une plus grande étendue, comme on le peut voir dans l’Histoire de Béarn. de M. De Marca, Liv. I, ch. 4, n. 5. Il est remarqué en la Session XXXIe du Concile de Constance, que cet Evêché avoit son étendue en trois Royaumes ; à savoir, de France, de Navarre & de Castille. Ils y ont continué leur juridiction jusqu’à ce que le Pape, à l’instance de Philippe II, Roi d’Espagne, y ordonna par provision un Vicaire Général, tandis qu’il y auroit hérésie aux pays voisins de France ; quoique l’Evêque ni le Chapitre de Bayonne n’aient point été troublés en la jouissance des revenus qu’ils possèdent en ce quartier. De Marca.

Bayonne a eu des Vicomtes, & il y a des monumens qui en marquent jusqu’en 1205, où ils ont manqué. Cette Vicomté a été depuis confondue avec le Duché de Guyenne, & Charles VII la réunit à la Couronne en 1451.

Le Golfe de Bayonne, Baïonæsinus, Tarbellicus, ou Lapurdensis sinus. Petite partie de la mer de Gascogne, vers les frontières de la terre de Labour, & dea Biscaie. On l’appelle aussi mer des Basques. Maty.

Il y a encore Bayonne, ville de la nouvelle Castille, & Bayonne port de mer en Galice, à la hauteur duquel sont les îles de Bayonne. Bayona.

Bayonne. Petite rivière de France, au Vexin françois, qui a sa source près de S. Cyr sur Chars, & se perd dans l’Oise à Pontoise.

☞ BAYZE. Rivière de France qui a ses sources dans le Nebusan, arrose plusieurs villes, & va se perdre avec la Gelise, dans la Garonne, au-dessus d’Eguillon.

BAYONNETTE. s. f. Dague, couteau pointu, sorte de petite épée longue d’un pied & demi, ou environ, qui n’a point de poignée, mais seulement un manche de bois ou de fer de 8 à 10 pouces, & qui n’a que deux petits boutons pour garde. Sica. Le manche de fer est creux pour s’enclaver dans le bout du canon des fusils sans empêcher qu’on ne les charge & qu’on ne tire, quoique la bayonnette soit au bout. Pour tenir la bayonnette ferme au bout du fusil, son manche de fer a une petite ouverture longue en forme d’équerre, où on l’engage à un petit bouton de fer qui est au bout du fusil : ce bouton la tient sujette, & sert à la retirer avec ce fusil, quand on a porté le coup. Quand le manche est de bois, on le fait entrer dans le canon du fusil & alors on ne peut plus tirer. La lame de la bayonnette est faite en forme de lancette, large d’un pouce ou deux, longue d’un pied, & fort pointue. Aujourd’hui la lame de celles que l’on donne aux soldats est plus carrée que large, & les plaies qu’elle fait étant fort profondes & peu larges, en sont plus dangereuses. Toutes les troupes d’Infanterie qui servent en campagne en France ont maintenant des bayonnettes. Les soldats appellent aussi douille le manche de la bayonnette. La bayonnette est d’un grand service aux Dragons & Fusiliers ; parce que quand ils ont fait leurs décharges, & qu’ils se trouvent sans poudre & sans plomb, ils peuvent mettre la bayonnette au bout du fusil, & s’en servir comme d’une pertuisane. Elle est par la même raison, fort utile aussi aux Chasseurs qui vont à la chasse de l’ours & du sanglier, & de toutes les autres bêtes qui viennent au feu : aussi leurs bayonnettes sont-elles plus larges que celles des Dragons, afin qu’elles fassent de larges plaies. Toute fabrique, débit, ports & usage des bayonnettes, est défendu par un Edit du Roi de 1666, excepté les bayonnettes à ressort, qui se mettent au bout des armes à feu pour l’usage de la guerre, lesquelles toutefois ne peuvent être fabriquées, ni débitées que par les ouvriers commis par le Roi à cet effet.

Ce mot est venu originairement de Bayonne, où l’on dit que la Bayonnette a été inventée.

BAYONNIER. s. m. On appeloit autrefois Bayonniers les arbalêtriers, à cause qu’à Bayonne on faisoit les meilleures arbalêtes ; de même que les pistolets ont pris leur nom de Pistoie.

BAYONNOIS, OISE. s. m. & f. Qui est de Bayonne. Bayonensis. Les Bayonnois font tort à l’antiquité de leur Evêché, lors qu’ils estiment que S. Léon, qui vivoit environ l’an 900 du temps du Roi Charles le simple, fut le premier Evêque de cette ville ; puisqu’il y avoit eu des Evêques avant la première descente des Normands en Guyenne. Mais il fut le premier Evêque après la ruine de cet Evêché, qui lui fut commune avec tous les autres de Gascogne. De Marca.

Voyez sur Bayonne, & sur les Bayonnois, outre M. de Marca dans son Hist. de Béarn, Notitia utriusque Vasconiæ Auct. Arn. Oihenarto, le Marca Hispanica de M. de Marca, Liv. I. ch. 14. §. 5.

BAZ.

BAZAC. s. m. Coton filé & très-fin, qui vient de Jérusalem : ce qui le fait aussi appeler coton de Jérusalem. Le demi bazac & le moyen bazac font des cotons qui viennent du même endroit, mais qui sont d’une qualité beaucoup inférieure.

BAZADOIS, OISE. s. m. & f. Qui est de Bazas, ou du pays appelé Bazadois. Vasas, ou Vasatensis. Les Bazadois sont les peuples que les Anciens appeloient Vasates, & peut-être les Cocosates.

Bazadois, Vasatensis ager, Vasatum Regio. Petit pays de France, en Guyenne, dont Bazas est la capitale.

☞ BAZAÏM. Voyez Bacaïm.

BAZAR, ou BAZARI. s. m. Terme de Relation. C’est une espèce de rue longue, large, & voûtée, à la hauteur de 40 ou 50 pieds, destinée au commerce Ce terme est usité parmi les Orientaux, principalement dans la Perse. Il est purement turc, & non point arabe ; & signifie, achat & échange de marchandises & se dit par extension des lieux où se fait le trafic.

BAZAS. Ville épiscopale de France, en Guyenne, sur un rocher, dont le pied est baigné par la petite rivière de Lavasane, ou de Beuve. Vasates, Vasatum. Vinet & quelques autres prétendent que c’est l’ancien Cossium d’Ausone & de Ptolomée. L’Evêque de Bazas est suffragant de l’Archevêque de Bourdeaux.

☞ BAZAT. s. m. Coton qui vient de Leyde. Il y en a de trois sortes.

☞ BAZDAH, ou BAZDAD. Ville & Château d’Asie, à une journée de Neekscheb.

BAZGENDGE. s. f. Espèce de noix de galle rouge, dont les Turcs se servent pour faire l’écarlate.

☞ BAZOCHE (la) ou la Bazoche gouet. Gros bourg de France, au bas Perche, sur la rivière de Coitron.

BAZOCHE. s. f. Voyez Basoche.

☞ BAZOIS. Petite contrée de France, dans le Nivernois dont elle fait partie.

☞ BAZUMA. Ville d’Afrique, sur l’Océan Ethiopique, ou oriental, entre le pays de Berberat & celui de Zenze.

BAZZO. s. m. Petite monnoie d’Allemagne, qui vaut environ deux sous de France, un peu moins.

BDE.

BDELLIUM, s. m. est la gomme résine d’un arbre qui vient dans la Bactriane, dans l’Arabie & aux Indes. Cet arbre est épineux, noir & ressemble à l’olivier quant à sa grosseur ; ses feuilles sont semblables à celles du chêne, & son fruit à celui du figuier sauvage. Cette gomme doit être amère, transparente, grasse, odoriférante, semblable à la cire ou à la colle de taureau, molle & facile à fondre. Moyse dit que la manne des Hébreux ressembloit à cette drogue quant à la forme ; quant à la grosseur, qu’elle étoit comme la graine de coriande, & qu’elle avoit le goût de miel.

Du Cange après Isidore appelle bdellium une eau faite avec des vessies d’orme, qui est bonne pour les plaies, & croit que c’est la même chose que le bdellium des Grecs & des Latins. Scaliger dit qu’on ne sait pas au vrai ce que c’est que le bdellium dont il est parlé dans la Genèse, & qu’on n’en parle que par conjecture. Voyez dans la Bibliothèque sacrée de Ravanelle, & dans les interprètes de la sainte Ecriture, les différentes opinions des savans sur le bdellium. Il y en a qui font signifier au mot bdelium, escarboucle ou cristal.

BE.

BÊ. Terme indéclinable, qui marque le cri des moutons. Les Grecs prononçoient leur ita comme un ê : témoin le Poëte Cratinus : Sicut ovis bê bê dicens.

BEA.

☞ BEALT. Ville d’Angleterre, dans la principauté de Galles, au Comté de Brecknock.

BÉANCE. s. f. Vieux mot. Félicité, du latin beatus, heureux.

BÉANT, ANTE. participe de l’ancien verbe béer qui ne s’emploie que comme adjectif. Qui montre une grande ouverture, hians. On dépeint les dragons avec une gueule béante ; l’Enfer comme un gouffre béant. Ils reçoivent l’eau à bouche béante. Vaug.

On le dit figurément de ce qui est vide & ouvert. ☞ On appelle aussi gueules béantes ceux qui ont une avidité continuelle de manger. Acad. Fr.

BÉARN. Province de France ; qui a titre de principauté. Benearnia. Le Béarn est aux pieds des monts Pyrénées, entre le Comté de Bigorre à l’Orient, la Prévôté d’Acqs, la basse-Navarre, & une partie du pays de Soule au Couchant ; les Pyrénées au Midi ; & la Gascogne au Septentrion. La capitale de Béarn est Pau. Louis le Débonnaire, après avoir condamné Loup Centule, Duc de Gascogne, au commencement du IXe siècle, établit des Vicomtes dans le Béarn ; & depuis ce temps-là jusqu’à Henri IV, cette Province a toujours eu ses Princes particuliers. Par l’avènement de ce Prince à la Couronne, le Béarn y fut réuni. M. de Marca étant encore Président au Parlement de Navarre, fit l’Histoire de Béarn que nous avons.

Ce mot s’est fait du mot latin Benearni, qui se trouve dans les anciens Itinéraires, & dans les Notices de l’Empire, où il est parlé de la cité des Bénéarniens. De-là on a fait Béarniens, & enfin Béarn.

Béarn. Ville ancienne des Béarnois. La cité des Béarnois étoit nommée Benearnus, comme on voit dans l’Itinéraire d’Antonin, ou Benardus, comme le représentent la Notice des Provinces, le Concile d’Agde, & Grégoire de Tours. Marca.

BÉARNOIS, OISE. s. m. & f. & adj. Qui est de Béarn, ou qui appartient au Béarn. Bearnensis, Bearniensis. Ortelius estime que les Preciani de César sont les Néarnois. Vigenère croit que ce sont les Crosates. Villeneuve & Bergier prennent les Cucueni de Ptolomée pour ceux d’Oleron. Le P. Monet prétend que les Béarnois font une portion des Bigordans, qu’il nomme Bigordans occidentaux, & les vrais peuples de Bigorre Bigordans orientaux. M. de Marca, Hist. de Bearn, Liv. I, chap, II, croit que les Venami de Pline sont les Béarnois, pourvu que le texte soit remis avec une correction fort aisée, & très-recevable, lisant Venarni, au lieu de Venami : il ne faut que séparer la première jambe de l’m pour faire deux lettres d’une ; savoir, de l’m un r & un n. Dans les exemplaires de Pline imprimés à Paris en 1516, on y reconnoît la leçon de Venarni au lieu de Venami.

On lit dans l’Histoire de la Ligue le Béarnois ; c’est Henri IV que les Ligueurs appeloient ainsi, parce qu’ils s’obstinoient à ne le pas reconnoître pour Roi de Frane, mais seulement pour Prince de Béarn ; ne lui donnant pas même la qualité de Roi de Navarre, parce qu’il n’étoit point en possession de ce Royaume, quoiqu’il en fût l’héritier & le maître légitime. Le Pape Sixte V bien informé de la façon de vivre de Henri IV, de celle du Duc de Mayenne, pronostica hardiment que le Béarnois, il l’appeloit ainsi, comme faisoient tous les Ligueux, ne pouvoit manquer d’avoir le dessus, puisqu’il n’étoit pas plus long-temps au lit, que le Duc de Mayenne étoit à table, & qu’il usoit plus de bottes, que l’autre n’usoit de souliers. . Les Ligueurs prononçoient Biarnois. Il n’a point d’autre nom dans toute la Satyre Menippée. Henri IV étoit né à Pau en Béarn, le 13 de Décembre 1553, p.15.

Le Gave Béarnois, est une rivière qui a sa source dans les montagnes de Bareige en Bigorre.

☞ BÉAT, ATE. adj. Ce mot ne se dit point pour béatifié. Il se prend même très-rarement en bonne part, pour dévot ; mais il se dit ordinairement de celui qui fait le dévot, qui affecte de le paroître. Piétatis simulator. Cet homme est un Béat. Un Béat pourroit-il s’exprimer plus heureusement ? Boil. Ce mot de Béat ne se dit ordinairement qu’en riant, & dans le style comique & burlesque. Mon Révérend, dit-elle au béat homme, je viens vous voir. La Font. Cette coquette est maintenant une Sœur Béate.

Béat. s. m. Terme de joueurs. C’est celui qui ne joue point, & cependant qui a sa part de ce que l’on joue. Quand ceux qui veulent jouer une collation, ou un souper, sont en nombre impair, on tire, & l’on fait un béat, qui est exempt de jouer avec les autres, & de payer sa part.

BÉATIFICATION. s. f. Acte par lequel le Pape, ☞ après la mort d’une personne, déclare qu’elle est bienheureuse : par lequel, disent les Vocabulistes, il déclare seulement qu’une personne qui n’est plus de ce monde, jouit du bonheur éternel dans les Cieux. Alicujus in Beatorum numerum adscriptio. La béatification diffère de la canonisation, en ce que dans la béatification le Pape n’agit pas en juge qui décide sur l’état de celui qui est béatifié, mais il accorde seulement à certaines personnes le privilège d’honorer d’un certain culte religieux celui qui est béatifié, sans encourir les peines portées contre ceux qui rendent un culte superstitieux. Dans la canonisation il parle en juge, & comme l’on dit, il prononce ex cathedra, sur l’état de celui qu’il canonise. Voyez Castellinus, Galesinus, Catelarius, Lezana, Silveira, Scacchi, &c. La béatification a été introduite depuis qu’on a jugé à propos de ne plus traiter la canonisation des Saints que par de longs délais, pour s’assurer davantage de la vérité dans les voies des procédures les plus sévères. Bail.

Quelques uns ont cru que l’origine de la béatification ne peut pas remonter plus haut qu’à Grégoire X, mais on ne peut pas douter de la béatification de Guillaume, Hermite de Malaval en Toscane, par Alexandre III. Le Cardinal Lambertini, Archevêque de Boulogne, Pape sous le nom de Benoît XIV, a publié en 1734, un volume in-folio sur la béatification & la canonisation.

BÉATIFIER. v. a. Mettre quelqu’un au nombre des Bienheureux. Aliquem inter Beatos referre, adscribere. Les Saints qui sont seulement béatifiés, & qui ne sont point encore canonisés, sont honorés d’un culte moins solennel que ceux qui sont canonisés. Suivant le droit commun, & sans une concession particulière, on ne peut prendre pour patrons les Saints qui ne sont que béatifiés. Leur office n’a point d’octave ; le jour qu’on en fait l’office ne peut être une fête de commandement ; on n’en peut dire une Messe votive, Voyez Durand sur les Rits.

Béatifier, se dit aussi des choses dont J. C. a déclaré qu’elles rendoient heureux, qu’il a mises au nombre des béatitudes. Inter beatitates numerare, in beatitatibus comprehendere, collocare. Cette pauvreté évangélique que Jésus-Christ a béatifiée. Bourdal. Exhortat. T. I. pag. 259.

BÉATIFIÉ, ÉE. part. Inter Beatos relatus, adscriptus.

BÉATIFIQUE. adj. Terme de Théologie, qui se dit de la jouissance de la présence de Dieu dans le Paradis, qui fait les bienheureux. Qui Beatos efficit. La vision béatifique est celle que Dieu promet dans la gloire éternelle. Ce mot n’a d’usage que dans cette phrase du style dogmatique. On se sert ironiquement de ce terme, & on dit qu’une personne a des visions béatifiques, lorsqu’elle a des imaginations creuses, qu’elle croit avoir des révélations, & goûter les félicités du Paradis.

BÉATILLES. s. f. plur. Petites viandes délicates, dont on compose des pâtés, des tourtes, des potages, des ragoûts, comme ris de veau, palais de bœuf, crêtes de coq, truffes, artichaux, pistaches, &c. Fartile.

BÉATITUDE. s. f. Le souverain bien, la félicité éternelle. Beatitudo, beatitas. Dieu a promis à ses Saints la béatitude, le Paradis. Il y a des Pères de l’Eglise qui ont cru que les ames ne jouiroient de la béatitude qu’après la résurrection. Du Pin. Le mot béatitude, en tant qu’il signifie la félicité éternelle, se prend en trois manières différentes. 1o Pour l’objet dont la possession doit nous rendre heureux : c’est Dieu qui est le souverain bien, la béatitude objective. 2o Pour les actes de l’ame par lesquels elle possede le souverain bien, & elle en jouit : c’est ce qu’on appelle béatitude formelle. 3o Pour l’état où la possession de Dieu met une ame ; & en ce sens la béatitude renferme, ou suppose, la béatitude objective & la béatitude formelle.

Béatitude, dans le style mystique signifie, dit M. l’abbé Girard, l’état de l’imagination, prévenue & pleinement satisfaite des lumières qu’on croit avoir, & du genre de vie qu’on a embrassé. C’est l’état d’une ame que la présence immédiate de son Dieu remplit dans ce monde-ci, ou dans l’autre. Il faut que l’homme demande à Dieu la béatitude : lui seul peut nous y conduire.

☞ Le bonheur marque un homme riche des biens de sa fortune : la félicité, un homme content de ce qu’il a. La béatitude reveille une idée d’extase & de ravissement. Elle nous attend dans une autre vie. Voyez encore Bonheur & Félicité.

Béatitude, ne se dit au pluriel qu’en parlant des huit béatitudes annoncées par Jésus-Christ dans le cinquième chap. de S. Mathieu.

Cebès représente la béatitude arrêtée sur un cippe, ou sur une pierre carrée, pour marquer qu’elle doit être inébranlable, tranquille, éternelle.

Béatitude, est aussi un titre d’honneur qu’on donne maintenant au Pape. Autrefois il se donnoit à tous les Evêques, & même dans les lettres de saint Anselme il est donné à quelques Laïques.

Béatitude, s’est formé du latin beatitudo, & à proportion béat, béatification, béatifier, béatifique, de beatus, beatificatio, beatificare, beatificus, qui se sont dits dans la basse latinité. Isidore, mauvais étymologiste, dit que beatus s’est dit quasi bene auctus, parce qu’on appelle beatus, heureux, celui qui a ce qu’il veut, & qui ne souffre point ce qu’il ne veut point ; mais beatus, selon la remarque de Vossius, vient de beo, comme legatus vient de lego ; & beo, selon le même Auteur, vient de βίος, qui se prend non-seulement pour vie, mais encore pour biens, richesses ; qui sont les choses en quoi le vulgaire fait consister la béatitude en cette vie. On pourroit encore tirer beo de l’ancien benus, de sorte qu’on en eût fait beneo, & par syncope beo ; mais il est plus vraisemblable, dit Vossius, que benus s’est fait de beo, comme fenus de l’ancien feo. On peut encore dériver beo de βείω, ou βάω, je vais, je marche, j’avance, qu’Hesychius interprète aussi je vis : c’est le sentiment de Martinius. Ainsi beo signifie, facio ut res eat, sive procedat, dit Vossius, qui remarque que les mots qui signifient aller & avancer, s’emploient dans presque toutes les langues, pour exprimer le bon état des choses. Ainsi l’on dit en françois, cela va bien, va son train, en allemand es gehet, & en flamand gaet wel. Dans ce sentiment, il faut encore remonter plus haut, & tirer βείω & βάω, de l’hébreu בא, ou בזא, aller.

BÉATRIX. s. f. Nom de femme. Béatrix. Quoique nous ayons coutume de changer en ice les noms féminins qui se terminent en ix, comme motrix, motrice, protectrix, protectrice, nous en conservons cependant quelques-uns dans leur forme latine ; tel est celui de Béatrix. Ainsi il faut dire sainte Béatrix, martyre sous Dioclétien ; Béatrix de Savoye, Contesse de Provence, Béatrix de Portugal, Duchesse de Savoye, &c. & non point Béatrice.

Ce mot signifie celle qui rend ou qui peut rendre heureux, de beare, beo, je rends heureux.

☞ BEAU ou BEL, au masculin, belle au féminin. Autrefois on disoit bel, & ce mot est demeuré en usage dans quelques mots ; comme Philippe le Bel, Charles le Bel. Aujourd’hui il n’est employé que devant les substantifs qui commencent par une voyelle. Bel esprit, bel oiseau. adj. quelquefois employé substantivement. Pulcher.

☞ C’est un de ces mots qui vont à tout, qui se mettent à tout, dans le physique, dans le moral, dans les ouvrages de la nature, dans les productions de l’art, dans les ouvrages d’esprit, dans les mœurs, &c. Un bel homme, une belle femme, de beaux yeux, un beau teint, un beau sang, un beau chien, un beau cheval, une belle statue, une belle voix, un beau son, un beau jour, un beau ciel, une belle étoffe, une belle ame, un bel esprit, de beaux vers, une belle pensée, un beau procédé, belle humeur, belles raisons, belle occasion, beau coup, beau parleur, belle danseuse, beau fils. &c.

☞ Qu’est-ce donc que le beau, qui rend tel tout ce qui est beau, en quelque genre de beauté que ce puisse être ? Les Vocabulistes ont prétendu en donner la définition, en disant, beau, qui a les traits, la forme & les couleurs convenables pour plaire à la vue : d’où il faut conclure, ajoutent-ils, que le beau n’est point absolu, qu’il est relatif au caractère & à l’organisation de celui qui en juge. Oui, c’est ainsi qu’il faut conclure quand on raisonne mal. On ne sauroit trancher plus net une difficulté.

☞ Pour fixer, s’il est possible, la notion précise, la véritable idée du beau, ou jeter au moins quelque lumière sur une matière assez peu connue, nous exposerons le plus succintement qu’il sera possible, les principes établis dans l’essai du père André sur le beau.

☞ Le beau est-il quelque chose d’absolu ou de relatif ? Y-a-t-il un beau essentiel & indépendant de toute institution ? Un beau fixe & immuablement tel ? Un beau qui plaît, & qui a droit de plaire à la Chine comme en France, aux barbares mêmes, comme aux nations polies ? Un beau suprême, règle & modèle du beau subalterne que nous voyons ici bas ? Ou enfin en est-il de la beauté comme des modes & des parures dont le succès dépend du caprice des hommes, de l’opinion & du goût ?

☞ Pour ne point parler du beau sans savoir ce qu’on dit, consultons-en l’idée. Cette idée dit excellence, agrément, perfection. Elle nous représente le beau comme une qualité avantageuse que nous estimons dans les autres, & que nous aimerions dans nous-mêmes. Cela est incontestable.

☞ L’Auteur établit en suite qu’il y a un beau essentiel & indépendant de toute institution, même divine : un beau naturel, & indépendant de l’opinion des hommes : enfin qu’il y a une espèce de beau d’institution humaine, & qui est arbitraire jusqu’à un certain point.

☞ Le beau peut être considéré dans l’esprit ou dans le corps. Ainsi par rapport à ses différens territoires, il faut encore le diviser en beau sensible, que nous appercevons dans les corps, & en beau intelligible que nous appercevons dans les esprits. L’un & l’autre ne peut être apperçu que par la raison. Le beau sensible, par la raison attentive aux idées qu’elle reçoit des corps : le beau intelligible, par la raison attentive aux idées de l’esprit pur.

☞ Trois de nos sens, le goût, l’odorat & le toucher ne cherchent que ce qui leur est bon : les deux autres, la vue & l’ouie, sont faits pour discerner le beau. Le beau visible ou optique est du ressort de l’œil ; le beau musical ou acoustique est du ressort de l’oreille ; mais quoiqu’ils en soient les juges naturels, ils ne doivent en décider qu’en tribunaux subalternes, suivant certaines lois, qui leur étant antérieures & supérieures, doivent dicter tous leurs arrêts.

☞ L’Auteur prononce ensuite qu’il y a un beau visible dans tous les sens qu’on vient de le dire, un beau essentiel, un beau naturel, & un beau en quelque sorte arbitraire, & il établit des règles pour les reconnoître, chacun par le trait particulier qui le caractérise.

☞ La plus légère attention à nos idées primitives nous fait voir que la régularité, l’ordre, la symétrie sont essentiellement préférables à l’irrégularité, au désordre, à la disproportion : d’après les premiers principes du bon sens nous jugerons qu’une figure est d’autant plus élégante, que le contour en est plus juste & plus uniforme ; qu’un ouvrage est d’autant plus parfait, que l’ordonnance en est plus dégagée ; que dans un dessein composé de plusieurs pièces différentes, elles y doivent être tellement disposées, que la multitude n’y cause point de confusion, & que de cet assemblage il en résulte un tout où rien ne se confonde, où rien ne se contrarie, où rien ne rompe l’unité du dessein. Un simple coup d’œil sur deux édifices, l’un régulier, l’autre irrégulier, nous suffit pour nous faire voir qu’il y a des règles du beau, & pour nous en découvrir la raison. C’est donc la similitude, l’égalité, la convenance des parties qui réduit tout à une espèce d’unité qui fait qu’un ouvrage est beau. Mais il n’y a point de vraie unité dans les corps, puisqu’ils sont tous composés d’un nombre innombrable de parties. Où l’ouvrier voit-il donc cette unité qui le dirige dans la construction de son dessein, cette unité que son ouvrage doit imiter pour être beau ; mais que rien ne peut imiter parfaitement, puisque rien ne peut être parfaitement un. Il faut donc conclure avec S. Augustin, qu’il y a au-dessus de nos esprits une certaine unité originale, souveraine, éternelle, qui est la règle essentielle du beau en tout genre. Omnis porro pulchritudinis forma, unitas est.

☞ En second lieu, il y a un beau naturel, dépendant de la volonté du créateur, mais indépendant de nos opinions & de nos goûts. C’est par l’éclat des couleurs que l’Auteur de la nature a introduit dans la nature un nouveau genre de beauté qui nous offre un spectacle si brillant & si diversifié. L’azur du Ciel, la verdure de la terre émaillée de mille fleurs, la clarté pure du jour, l’illumination naturelle de la nuit, le coloris animé du visage des hommes, &c. sont autant d’objets d’admiration pour nous. Il y a donc un beau visible, naturel, dépendant de la volonté du créateur : & il seroit aisé de prouver qu’il est indépendant de nos goûts & de nos opinions, si tous les hommes étoient de même couleur : mais il y en a de blancs & de noirs, & chacun prend parti selon les intérêts de son amour propre. Ajoutez qu’il n’y a presque personne qui n’ait sa couleur favorite. Les peintres eux-mêmes sont partagés sur le mêlange qui forme la vraie beauté du coloris.

☞ Pour terminer ce différent, consultons les yeux, juges naturels du beau visible. Ils nous disent que la lumière est la reine & la mère des couleurs. Elle est belle de son propre fonds, & elle embellit tout. C’est tout le contraire des ténèbres. Or de toutes les couleurs, celle qui approche le plus de la lumière, c’est le blanc ; celle qui approche le plus des ténèbres, c’est le noir. Voilà donc la première question décidée par la voix même de la nature. De cette conclusion, qui ne peut être douteuse que chez les Maures ou en Ethiopie, ne pourroit-on pas donner à chacune des couleurs le rang d’estime qu’elles méritent, selon qu’elles approchent plus ou moins de la lumière ? Rien de plus naturel que de mesurer leur beauté par leur éclat.

☞ Mais après tout, il suffit qu’indépendamment de nos goûts & de nos opinions, toutes les couleurs aient leur beauté propre ; qu’elles plaisent toutes naturellement dans la place qu’elles occupent ; & que chacune en particulier soit d’autant plus belle, qu’elle est plus pure, plus homogène, plus uniforme, c’est-à-dire, qu’on y découvre une image plus sensible de l’unité.

☞ Quelque brillante que soit une couleur, elle nous rassasiéroit bientôt, si nous n’en avions qu’une seule à considérer dans l’Univers. Mais il y a encore une autre sorte de beauté, indépendante de nos opinions & de nos goûts, dans le nombre infini des couleurs composées, qui résultent de leurs différens mélanges, en les prenant deux à deux, trois à trois, quatre à quatre, &c. & des combinaisons de ces résultats les uns avec les autres pour en former de nouveaux mélanges, combinaisons qui produisent une infinité de couleurs différentes.

☞ Quelle beauté ne résulte pas encore de l’union & de l’assemblage des couleurs pour composer un tout hétérogène où elles se voient distinguées sur le même fonds, chacune dans sa beauté spécifique ! Dans les couleurs de l’arc-en-ciel, dans celles d’un paon qui fait la roue, dans celles d’un papillon éployé aux rayons du soleil, dans les parterres de nos jardins, souvent dans une simple fleur, quelle richesse dans cet assemblage de couleurs si différentes, quelle sympathie entre quelques-unes ! quelle adresse dans la conciliation des plus ennemies ! quelle délicatesse dans le passage de l’une à l’autre ! quelle diversité dans les parties ! quel accord dans le total ! Tout y est distingué, tout y est uni. Peut-on ne pas reconnoître là un beau indépendant de nos goûts & de nos opinions.

☞ Dans l’homme ne trouve-t-on pas un genre de beau visible, réel & absolu ? Peut-on s’empêcher d’appercevoir du beau dans la régularité des traits d’un visage bien proportionné, dans le choix & dans le tempérament des couleurs qui enluminent ces traits, dans le poli de la surface où ces couleurs sont reçues, dans les grâces différentes qui en résultent successivement, selon les divers âges de la vie humaine ; dans les grâces tendres de l’enfance, dans les grâces brillantes de la jeunesse, dans les grâces majestueuses de l’âge parfait, dans les grâces vénérable d’une belle vieillesse, principalement dans cet air de vie & d’expression qui rend, pour ainsi dire, ces grâces parlantes, qui distingue si avantageusement une personne de sa statue & de son portrait. Comment après cela faire dépendre l’idée du beau de l’éducation, du préjugé, du caprice & de l’imagination des hommes ?

☞ C’est qu’en effet il y a une troisième espèce de beau qu’on peut appeler arbitraire ou artificiel, un beau de système & de manière dans la pratique des arts, un beau mode & de coutume dans les parures, &c. On voit qu’il entre beaucoup d’arbitraire dans ces idées de beauté, & de-là on conclut sans façon que tout beau est arbitraire.

☞ Dans les arts, dans l’Architecture par exemple, il y a deux sortes de règles ; les premières fondées sur les principes de la Géométrie ; les autres fondées sur les observations particulières que les maîtres de l’art ont faites en divers temps, sur les proportions qui plaisent à la vûe par la régularité vraie ou apparente. Les premières sont invariables comme la science qui les prescrit. La perpendicularité des colonnes qui soutiennent l’édifice, la symétrie des membres qui se répondent, l’élégance du dessein, l’unité dans le coup d’œil, sont des beautés ordonnées par la nature, indépendamment du choix de l’architecture. Celles de la seconde espèce qu’on a établies pour déterminer les proportions des parties d’un édifice dans les cinq ordres d’Architecture (Voyez Ordre, Colonne, Entrecolonnement, Renflement, Module) n’étant fondées que sur des observations à l’œil, toujours un peu incertaines, ou sur des exemples souvent équivoques, ne sont pas des règles tout à fait indispensables. Aussi voyons nous les grands Architectes prendre la liberté de se mettre au-dessus d’elles, y ajouter, en rabattre, en imaginer de nouvelles, selon les circonstances qui déterminent le coup d’œil. Voilà donc un Beau arbitraire, un Beau de génie & de système, qu’on peut admettre dans les arts, mais toujours sans préjudice du Beau essentiel, qui est une barrière qu’on ne doit jamais passer.

Quelquefois pourtant les grands génies sont assez hardis pour se permettre quelques licences contre certaines règles du Beau essentiel, quand ils ont prévus que ces petits défauts donneroient lieu à de grandes beautés, ou qu’ils rendroient plus remarquables celles qu’ils avoient dessein d’y faire plus dominer, ou enfin que ces défauts paroîtroient des beautés au plus grand nombre des Spectateurs ; c’est-à-dire, qu’ils font des fautes pour avoir le plaisir de les racheter avec avantage. Cette espèce de Beau arbitraire ne sied qu’aux plus grands maîtres.

☞ L’idée du Beau qui nous a saisi dans le total d’un bel ouvrage, nous suit dans l’examen des parties. Si l’on en rencontre quelqu’une qui s’écarte de la règle, on la voit si bien accompagnée, qu’on lui donne en propre une beauté qu’elle ne tire que de son accompagnement. Si c’est un ouvrage de l’art, sorti de quelque main fameuse, ce défaut change de nom ; on y remarque du génie, on y soupçonne du mystère, on le métamorphose en coup de maître. Si c’est un ouvrage de la nature, un beau visage, par exemple, où l’on observe quelque petite irrégularité, on érige ce défaut en agrément. On passe tout au talent ou au bonheur de plaire.

☞ Si l’on rencontre ce même défaut dans quelque imitation, quoiqu’imparfaite de l’ouvrage ou de la personne qu’on admire, l’idée du Beau se réveille aussi-tôt dans l’esprit. On avoit admiré ce défaut dans l’original, par le mérite emprunté de ses accompagnemens : on l’admire encore, quoiqu’isolé, dans la copie, par la force de l’habitude qui prévient la réflexion. On veut croire que tout est Beau dans ce qu’on estime, plus beau encore dans ce qu’on aime.

☞ Par cette manière de raisonner, si commune parmi les hommes, combien de laideurs travesties en beautés ? Combien de peuples ont trouvé de la grâce dans plusieurs défauts visibles ? Un front étroit, un nez court, de petits yeux, de grosses lèvres, sont devenues des beautés nationales. D’abord on ne les avoit trouvé que supportables, & seulement dans certaines personnes, en faveur de quelque heureuse compensation. A force de les voir, ils ont passé peu à peu pour excusables, puis pour louables, & enfin de degrés en degrés pour des agrémens nécessaires à la beauté du pays. Voilà pour ce qui regarde le Beau personnel.

☞ Dans les modes, combien de beautés arbitraires n’ont-elles pas été inventées pour parer celle qu’on a, ou, pour suppléer celle qu’on n’a pas ? On porte en Europe des pendans d’oreilles : dans le Mogol on y joint des pendans de nez. En France on se poudre les cheveux, & on les frise pour les mettre en boucles. En Canada on se les graisse pour les laisser pendre sur les épaules. Dans le nouveau Monde on voit des peuples entiers qui se peignent le visage de mille couleurs étrangères : chez nous qui nous piquons d’être plus élégans, on met un masque de fard, peint à la vérité de couleurs plus naturelles, mais qui n’en est pas moins un masque ridicule. Preuve sensible de la force de l’habitude dans les jugemens que l’on porte du beau.

☞ Dans cette diversité d’opinions & de goûts sur le beau visible, pour se convaincre qu’il y a une règle pour en juger, qu’il est même facile de reconnoitre ; il faut distinguer avec l’Auteur, trois sortes de beau ; un beau essentiel, un beau naturel, & un beau artificiel ou arbitraire. Peut-être même faudroit-il encore diviser le beau arbitraire en plusieurs espèces. Un beau de génie, fondé sur une connoissance du beau essentiel, assez étendue pour se former un système particulier dans l’application des règles générales dans les arts : un beau de goût, fondé sur une connoissance du beau naturel : ce qu’on peut admettre dans les modes avec toutes les restrictions que demandent la modestie & la bienséance. Enfin un beau de pur caprice, qui n’étant fondé sur rien, ne doit être admis nulle part, si ce n’est peut-être sur le théâtre de la comédie.

☞ 2o. Beau musical. La Musique dans sa notion propre, est la science des sons harmoniques, & de leurs accords. Voyez Accord, Son harmonique. Bien des gens prétendent que le sentiment est le seul Juge de l’harmonie ; que le plaisir de l’oreille est le seul beau qu’on y doive chercher ; que ce plaisir même dépend trop de l’opinion, du préjugé, des coutumes reçues, des habitudes acquises pour pouvoir être assujetti à des règles certaines. Le goût différent des différens peuples, qui ont tous leur musique particulière, qu’ils élèvent par dessus toutes les autres, est pour eux une preuve de ce paradoxe. Ils sont charmés, disent-ils, que faut-il davantage ? Raisonnement de Midas qui ne portent que des oreilles à un concert. Il faut que dans leurs plaisirs la raison soit pour le moins de moitié avec les sens.

☞ On admire dans un concert la belle ordonnance des sons consécutifs, la cadence de leur marche, la régularité de leurs mouvemens périodiques, la proportion des intervalles, la justesse des temps, le parfait accord de toutes les parties concertantes. Ordonnance, régularité, proportion, justesse, décence, accord, tout cela n’est pas le son qui frappe l’oreille, ni la sensation agréable qui en résulte dans l’ame, ni la satisfaction réfléchie qui la suit dans le cœur : il y a donc un agrément plus pur que la douceur des sons qu’on entend ; un beau qui n’est pas l’objet des sens ; un beau qui charme l’esprit, que l’esprit seul apperçoit, & dont il juge. Mais par quelle règle ? par une lumière supérieure aux sens. Dans l’idée de l’ordre, on découvre la beauté de l’ordonnance de la pièce ; dans l’idée des nombres sonores, la règle des proportions & des progressions harmoniques, dont ils sont les images essentielles ; dans l’idée de la décence, une loi qui prescrit à chaque partie son rang, son terme & sa route légitime pour y arriver, C’est dans le grand livre de la raison qu’on voit cette tablature. Il y a donc un beau musical essentiel, absolu, indépendant de toute institution, qui est la règle inviolable de l’harmonie.

☞ En second lieu, il y a un beau musical naturel, dépendant de l’institution du Créateur, mais indépendant de nos goûts & de nos opinions. La nature des corps sonores, la sensibilité de l’oreille dans le discernement des sons, la structure toute harmonique du corps humain, la sympathie de certains sons avec les émotions de notre ame, en sont autant de preuves.

☞ Le son d’un corps sonore, d’une corde, ne se fait jamais entendre seul, mais toujours avec son octave aiguë ; le son de la voix qui paroît unique, est simple de sa nature, c’est-à-dire, qu’outre le son principal, qui est le plus grave & le dominant, il porte avec lui son octave, sa quinte & sa tierce majeure. Voyez MM. Sauveur & Rameau. Quelle doit être la sensibilité de l’organe qui les distingue avec cette précision ; Sa délicatesse est si grande, que si deux cordes sonores, étant mises à l’unisson sur un monochorde, on accourcît l’une de la deux millième partie de la longueur, une oreille juste en apperçoit la dissonnance, qui n’est pourtant que la cent quatre-vingt-seizième partie d’un son. M. Sauveur infere d’un autre calcul sur le même sujet que la finesse de l’oreille, pour le discernement des sons, est d’environ dix mille fois plus grande que celle de la vue dans le discernement des couleurs.

☞ Ajoutez à cela que la structure du corps humain est toute harmonique. La communication du nerf auditif avec les principales parties du corps, & par elles avec toutes les autres, la constitution admirable des divers organes qui servent pour former & modifier la voix de tant de manières différentes (Voyez Voix) sont des marques sensibles d’une harmonie, d’une harmonie même pathétique par une sympathie naturelle que l’Auteur de la nature a mis entre certains sons & les émotions de notre ame. Il y a en effet des sons qui ont avec notre cœur une sympathie sensible : des sons vifs qui nous inspirent du courage ; des sons languissans qui nous amollissent, des sons riants qui nous égayent ; des sons majestueux qui nous élévent l’âme ; des sons durs qui nous irritent ; des sons doux qui nous moderent, &c. L’amour & la haine, le desir & la crainte, l’espérance & le désespoir, &c.. Autant que nous avons de passions différentes, autant de sons dans la nature pour les exprimer & pour les imprimer.

☞ Il y a plus ; l’expérience nous apprend qu’il y a une espèce de gradation dans le sentiment qu’ils nous impriment, selon la diverse qualité des corps sonores qui nous les envoient, selon que ces corps sont vivans ou animés, selon que dans leur origine ils ont été animés ou non. Le son d’une trompette, d’une flûte, d’un instrument qui reçoit son harmonie du souffle vivant d’un homme, nous pénétre tout autrement que celui d’un tuyau d’orgue qui n’est animé que par le souffle d’un air mort. On croit même que le son d’une corde de laiton, quoique plus harmonieuse à l’oreille, est moins touchant pour le cœur que celui d’une corde de boyau, parce que celle-ci par sa structure étant plus conforme à celle des nerfs & des fibres de notre corps, il est plus naturel qu’elle ait avec eux plus de consonnance qu’un métal dur & inflexible, qui de sa nature tient toujours un peu de l’aigreur.

☞ Il est au moins certain que de tous les instrumens de musique, celui dont les sons sympathisent le plus avec nos dispositions intérieures, c’est la voix humaine. Le son en est plus vivant, le ton plus net, les accords plus justes, les passages plus doux, les nuances plus gracieuses, le tempérament plus fin, l’expression plus animée, le total qui en résulte plus moëleux, plus insinuant, plus pénétrant. C’est que de sa nature la voix humaine doit être nécessairement plus à l’unisson avec l’harmonie de notre corps & de notre ame.

☞ La Musique n’est donc pas une invention purement humaine ; & il y a un beau musical naturel, arbitraire à la vérité par rapport à l’Auteur de la nature, mais qui, dans tout ce qu’il a voulu déterminer, est absolument nécessaire par rapport à nous.

☞ Mais outre ces deux espèces de beau musical, qui existent indépendamment de la volonté des hommes, il y en a une troisième qui en dépend en quelque sorte, & dans son institution & dans son application ; un beau de génie, un beau de goût, & dans certaines rencontres, un beau de caprice & de saillie.

☞ C’est ainsi qu’on a trouvé le secret de faire entrer les dissonnances dans des compositions de musique ; on a trouvé l’art d’en adoucir la rudesse, de leur prêter même une partie des agrémens des consonnances pour les empêcher d’en troubler l’harmonie ; de les employer, comme les ombres dans la peinture, pour servir de passage d’un accord à l’autre. On a même remarqué que si elles blessent l’oreille par leur rudesse, elles en sont par cela même plus propres pour exprimer certains objets, tels que les transports irréguliers de l’amour, les fureurs de la colère, les troubles de la discorde, les horreurs d’une bataille, le fracas d’une tempête, &c.

☞ Ne sait-on pas que dans certaines émotions de l’ame la voix humaine s’aigrit naturellement, qu’elle détonne tout-à-coup, qu’elle s’élève ou s’abaisse, non par degrés, mais comme par sauts & par bonds. Voilà la place où les dissonances peuvent avoir lieu, où elles sont même quelquefois nécessaires. Alors si elles déplaisent à l’oreille par la rudesse des sons, elles plaisent à l’esprit & au cœur par la force de l’expression. L’emploi des dissonnances bien entendu produit donc dans la musique un nouveau genre de beau toujours fondé sur la nature, puisque les dissonances ne passent qu’à la faveur des consonances qui les préparent ou qui les suivent ; mais un beau néanmoins qui est en quelque sorte arbitraire, parce que les tempéramens qui les adoucissent, les expressions qu’on en tire, les variétés infinies dont elles ornent les compositions musicales, sont véritablement l’ouvrage du Musicien, des beautés qui sont de son choix, de sa création.

☞ Voilà donc les trois genres du beau musical suffisamment établis, mais qu’elle en est la forme précise ? En matière de musique, comme en toute autre, c’est toujours l’unité qui constitue la vraie forme du beau.

☞ En effet, que cherchons-nous naturellement dans une composition musicale ? Des consonnances, des accords, un concert, une harmonie par-tout, c’est-à-dire, une unité par-tout. Qu’est-ce que nous entendons avec peine dans son exécution ? La détonation d’une voix, la dissonance d’une corde, ce qu’on appelle un chant faux, les battemens irréguliers de certains instrumens, la discordance entre les parties d’un concert, c’est-à-dire, la rupture de l’unité harmonique. Que demandons-nous à un Musicien qui compose un air sur des paroles ? Nous demandons qu’il entre dans l’esprit de la pièce, qu’il en saisisse le caractère, le genre, le mode ; qu’il en exprime dans les tons non-seulement les mots, mais encore le sens particulier de chaque mot, de chaque phrase, & le sens total de la lettre dans le total de la composition. N’est-ce pas lui demander que des paroles qu’on lui donne & de l’air qu’il y ajoute il en fasse naître un tout parfaitement uni ? Mais si par hasard son air jure contre les paroles, s’il entonne une tempête sur un air de victoire, s’il fredonne une pompe funèbre comme une sarabande ; si la musique chante où elle ne devroit que parler ; s’il court à perte d’haleine où il ne faut que marcher ; s’il badine harmonieusement sur chaque mot, qu’il abandonne l’harmonie du chant, c’est un supplice pour la raison.

☞ Ce n’est pas encore assez, il faut que le compositeur porte son attention jusqu’au lieu de la scène où sa pièce doit paroitre,& jusqu’à la condition des personnes qu’il y fait parler, jusqu’aux mœurs & aux sentimens qui les caractérisent dans l’histoire. N’est-ce pas le comble du ridicule de porter à l’Eglise le ton de l’Opéra, ou à l’Opéra le ton de l’Eglise, de faire chanter un Roi qui commande sur le ton d’un particulier qui prie, ou un particulier qui prie, sur le ton d’un Roi qui commande en maître ? Et dans l’expression de quelques passions communes, de noter les soupirs d’un Alexandre sur le ton d’un Sybarite, ou les soupirs d’un Sybarite sur le ton d’un Alexandre ; enfin de nous faire entendre deux personnes dans le même personnage, l’une dans le nom qu’on lui donne, & l’autre dans le ton qu’on lui fait prendre ? Preuve bien évidente de la nécessité de l’unité musicale.

☞ Enfin qu’est-ce que nous admirons dans ces grands concerts où l’on assemble tant de voix de tous les degrés, tant d’instrumens de tous les genres, tant de parties qui paroissent si discordantes, pour concerter ensemble ? n’est-ce pas encore l’unité qu’on a trouvé l’art d’introduire & de soutenir dans cette multitude prodigieuse de sons si différens ? c’est-à-dire, suivant la belle expression d’Horace, qu’on a trouvé l’art d’en composer un total sonore, qui, malgré la multitude de ses parties, devient parfaitement un par une espèce de prodige. Rem prodigialiter unam. L’unité est donc la forme essentielle du beau musical.

☞ 3o. Beau dans les mœurs. Il est évident qu’il suppose une loi qui en est la règle ; & cette règle est un certain ordre qui se trouve entre les objets de nos idées, selon qu’ils renferment plus ou moins de perfection. Cet ordre des objets nous donne dans les divers degrés de perfection qui les distinguent, la mesure naturelle de l’estime & de l’amour ; des sentimens du cœur & des égards effectifs que nous devons avoir pour eux. En un mot il est évident que dans le moral comme dans le Physique, c’est l’ordre qui est toujours le fondement du beau. Il n’y a que des gens qui, n’ayant point de mœurs, voudroient aussi qu’il n’y eut point de morale, qui puissent douter de cette vérité.

☞ Par rapport aux mœurs, trois espèces d’ordres qui en sont la règle : ordre essentiel, absolu & indépendant de toute institution : ordre naturel, indépendant de nos opinions & de nos goûts, mais qui dépend essentiellement de la volonté du Créateur ; enfin ordre civil & politique, institué par le consentement des hommes pour maintenir les états & les particuliers chacun dans ses droits naturels ou acquis,

☞ Dans le monde intelligible, nous voyons Dieu, l’esprit créé, la matière, placé chacun dans le rang que lui marque dans l’Univers son degré d’essence & de perfection : l’Être suprême à la tête, l’esprit créé immédiatement au-dessous, la matière dans le dernier rang. Voilà l’ordre des trois divers êtres qui renferment tous les objets de nos connoissances. Ordre essentiel, immuable & nécessaire comme l’essence même de ces objets : ordre qui doit conséquemment régner dans les jugemens que nous en portons. L’Etre suprême doit concevoir le premier rang dans notre estime, dans notre amour, dans notre attachement, & l’esprit doit avoir la préférence sur le corps ; & si ces deux êtres se trouvent réunis, il faut que le corps soit soumis à l’esprit comme à son supérieur naturel. Ordre essentiellement juste, puisqu’il établit chaque être dans son rang essentiel ; ordre par conséquent éternel, absolu, immuable. Nous avons donc dans la morale un point fixe, où il faut tout rapporter, l’ordre essentiel que nous appercevons entre les trois divers objets de nos connoissances, Dieu, l’esprit & le corps. C’est la première règle.

☞ La seconde est l’ordre naturel, c’est à-dire, ce bel ordre que Dieu a établi entre les hommes.

☞ Il y a dans tous les cœurs un sentiment général d’humanité, indépendant de l’éducation, de l’opinion, de toutes les institutions arbitraires des hommes. Nous sentons profondément, sur-tout dans nos besoins, ou dan les leurs que nous ne pouvons nous empêcher de les reconnoître pour frères. Ce n’est point une leçon que nous ayons apprise des Philosophes, ni une loi que nous ayons reçue des législateurs. Avant qu’il y eut des Philosophe, il y avoit des hommes, & avant qu’il y eut ses législateurs, il y avoit une loi d’humanité, un sentiment naturel & intime qui nous unissoit tous. Homo sum, humani nihil a me alienum puto. Je suis homme, je ne puis regarder ni la personne d’un autre homme, ni ses intérêts comme étrangers. Maxime gravée en caractères ineffaçables dans le cœur de tous les hommes par l’Auteur même de la nature. De même donc qu’il y a dans nos esprits un ordre de sentimens qui est la règle de nos devoirs essentiels par rapport aux trois genres d’êtres que nous connoissons selon les differens degrés de perfection, il y a aussi dans nos cœurs un ordre de sentimens qui est la règle de nos devoirs naturels par rapport aux autres hommes, selon les divers degrés d’union & d’affinité que nous avons avec eux. Voyez encore Humanité & les articles relatifs.

☞ Ces premiers sentimens de la nature sont souvent combattus par les passions qui tendent au renversement de l’ordre & à la destruction de l’homme. Il falloit donc un frein pour en arrêter la licence. Il falloit armer les droits de l’ordre essentiel & de l’ordre naturel contre leurs attaques. C’est ce qu’on a exécuté en leur opposant la barrière de l’ordre civil & politique ; autre règle beau dans les mœurs.

☞ On découvre par-tout une étonnante inégalité dans les conditions humaines ; les unes immédiatement ordonnées par la Providence, des grands & des petits, des riches & des pauvres, tels uniquement par le sort de leur naissance : les autres établies par la prudence des législateurs pour maintenir chacun dans ses droits & dans ses devoirs : des Princes, des Magistrats, des Officiers de toute espèce, préposés par les lois, ceux-ci pour veiller, ceux-là pour commander, d’autres pour exécuter. C’est ce qu’on entend par ordre civil & politique.

☞ L’égalité géométrique ne pouvant subsister entre les hommes, ni pour les biens, ni pour les rangs, la raison, notre propre intérêt, celui de nos concitoyens nous dicte que pour nous rendre heureux, il faut nous contenter de cette espèce d’égalité morale qui consiste à maintenir chacun dans ses droits, dans son état héréditaire ou acquis, dans ses biens, ses possessions, dans sa liberté naturelle, mais aussi dans sa subordination nécessaire pour y maintenir les autres. C’est ainsi que les lois égalent tout le monde ; c’est le chef-d’œuvre de l’ordre civil & politique. Il remplace par l’équité des lois l’égalité des conditions. Il n’étoit pas possible de les mettre de niveau : il a trouvé une balance pour les mettre du moins dans une espèce d’équilibre. La subordination, la règle, la justice, la sureté publique, le repos des particuliers sont les avantages qui résultent de l’établissement des lois.

☞ Mais quel est le ressort secret qui maintient si constamment cet ordre dans tous les états, qui les conserve entre eux dans cet équilibre, qui tient chaque peuple attaché au lieu de sa naissance, quoique souvent très mal partagé des biens de la vie, à sa forme de gouvernement, quoique souvent très-dur ; à ses lois, à ses coutumes, quoique souvent très-incommodes ? pour produire tous ces miracles de constance, il ne falloit pas moins que l’amour de la patrie, amour aussi naturel que l’amour de nous même & de nos parens ; qui réunit tous les motifs divins & humains pour nous lier inséparablement sous les idées les plus touchantes : les Rois à leurs peuples, comme à leurs enfans ; les peuples à leurs Rois, comme à leurs pères ; les peuples entre eux, comme les enfans d’une même famille.

☞ Concluons donc que comme il y a un ordre d’idées éternelles qui doit régler les jugemens que nous portons des objets considérés en eux mêmes, par leur mérite absolu, & un ordre de sentimens naturels qui doit régler nos affections pour les autres hommes, par la raison du sang qui nous unit ensemble dans une source commune ; il y a aussi un certain ordre d’égards civils qui doit régler nos devoirs extérieurs par le mérite du rang, de la condition ou de la place des personnes avec qui nous avons à vivre ou à traiter dans le monde.

☞ Cela supposé, en quoi consiste le beau dans les mœurs ? Combien y en a-t-il de sortes ? Quel est en particulier le caractère qui les distingue ; & en général, quelle est la forme précise du beau dans les mœurs ?

☞ Le beau dans les mœurs consiste dans une constante, pleine & entière conformité du cœur avec toutes les espèces d’ordres dont on vient de parler. Il y a trois espèces d’ordres, un ordre essentiel, un ordre naturel, un ordre civil : d’où résultent trois espèces de beau moral. Beau moral essentiel, conformité de cœur avec l’ordre essentiel, qui est la loi universelle de toutes les intelligences : beau moral naturel, conformité du cœur avec l’ordre naturel qui est la loi générale de toute la nature humaine : beau moral civil, conformité du cœur avec l’ordre civil qui est la loi commune de tous les peuples réunis dans une même forme de cité ou d’état.

☞ Dans l’ordre moral, comme dans l’ordre physique, c’est toujours une espèce d’unité qui est la forme essentielle du beau, c’est-à-dire, de ce qui dans les mœurs, dans les sentimens, dans les manières, dans les procédés constitue le vrai honnête, le vrai décent, le vrai gracieux, la vraie beauté morale de l’homme.

☞ On peut considérer l’homme seul, ou en société. Par-tout il doit avoir des mœurs. Seul, il a à vivre avec Dieu & avec lui-même ; il a un maître à contenter, des passions à gouverner. Que la raison commande à l’ame, que l’ame reçoive la loi, & la donne au corps, que le corps obéisse sans murmure, au moins, sans révolte. Par ce moyen la subordination se trouve établie dans toutes les facultés de l’homme, dans ses affections, dans ses sentimens. La subordination y met l’accord, l’accord la décence ; & le tout ensemble se trouve ainsi réduit à une espèce d’unité où rien ne se contredit, ou rien ne se dément. Régner sur soi-même sous l’empire de la raison éternelle qui est une, & qui rend tout un, voilà dans les mœurs de l’homme considéré seul, ce qu’on doit appeler grand, noble, sublime, beau.

☞ Placé dans la société, l’homme n’est estimable qu’autant que ses discours sont toujours d’accord avec sa pensée, sa conduite avec ses maximes, ses maximes avec le bon sens, son air & ses manières avec son état, avec sa naissance, avec son âge, avec la place qu’il tient dans le monde. Tout y plaît, parce que tout y convient, tout y est un. Par la raison des contraires nous ne sentons que du mépris à la vue d’un homme qui paroît toujours en opposition, en contraste avec lui-même, qui présente deux hommes sous la même tête, & toujours deux hommes qui ne conviennent pas ; un air de cavalier dans un homme d’église, un air de soldat dans un homme de robe, un air de Magistrat dans un homme d’épée, un air de village dans un courtisan, un air de cour dans un anachorète, un air de Caton dans un jeune homme, un air de petit-maitre dans un vieillard, en un mot un air de masque sur un visage. Assortiment bizarre qui fait le ridicule, diamétralement opposé au beau dans les mœurs. Il n’est peut-être pas impossible de les avoir bonnes avec ce défaut, mais il est certain qu’on ne peut les avoir belles tant que la contrariété de la personne & du personnage rompra, pour ainsi dire, l’unité de l’homme par leur opposition indécente.

☞ A l’égard des procédés, n’est-ce pas par cette règle d’unité que nous mesurons naturellement l’estime ou le mépris, l’amour ou la haine, la louange ou le blâme des diverses conduites que nous voyons tenir aux hommes dans la société. Si la justice est une si belle vertu, c’est qu’en jugeant tous les hommes sans acception de personnes, par l’équité de la même loi, elle nous fait souvenir que nous sommes tous égaux, tous un par nature. Un procédé injuste est révoltant, parce qu’il rompt ce nœud d’équité qui nous unissoit tous. Les humeurs intolérantes sont en horreur, parce qu’elles sont toujours prêtes à faire schisme avec l’Univers. Nous sommes charmés de la politesse des grands qui savent descendre jusqu’aux plus petits. Elle rend témoignage à l’unité de la nature. Nous sommes indignés de l’insolence d’un nouveau parvenu, qui à peine sorti de la roture se croit au rang des demi-dieux. Il semble renoncer à la communion de l’espèce. Nous regardons comme des monstres des frères ennemis, des enfans ingrats, des parens dénaturés, qui ne savent pas respecter l’union naturelle du sang. Nous détestons les Rois titans, les Ministres brouillons, les gens de cabale : ils déchirent un corps dont ils devroient maintenir l’intégrité. Au seul nom de la paix, nous voyons la joie par-tout répandue. Elle nous annonce l’union. La guerre au contraire nous paroît un fléau terrible. Elle rompt l’unité du genre humain.

☞ 4°. Le beau dans les ouvrages d’esprit. Nous en rassemblerons en peu de mots sous les traits. Que la base en soit toujours la vérité, l’ordre, l’honnête & le décent. Voyez ces mots. La vérité, parce que la parole n’est instituée que pour en être l’interprète, pour l’éclaircir, pour la faire passer d’un esprit à l’autre, comme une lumière qui doit être commune à tous les homes : l’ordre, parce qu’il y en a entre les vérités. D’où il s’en suit que l’ordre est absolument nécessaire dans un discours pour les mettre chacune dans son vrai point de vue, en sorte que les premières éclairent les suivantes, & que celles-ci à leur tour donnent aux premières, par leur suite naturelle une espèce de nouvel éclat. L’honnête, c’est-à-dire, le respect pour la religion & la pudeur, parce qu’il est certain que nous portons dans l’ame un sentiment d’honneur, composé de ces deux autres, qui s’offensent naturellement de tout ce qui les blesse. Les Payens même ont établi cette règle comme indispensable : enfin le décent qui suppose toujours l’honnête, mais qui embrasse un plus grand terrain. Comment en effet un homme qui parle au public pourroit-il réussir à plaire, s’il ignore les bienséances, les égards, ce qu’il doit aux temps, aux lieux, à la nature de son sujet, à son état ou à son caractére & à celui des personnes qui l’écoutent, à leur qualité ou à leur rang, sur-tout à leur raison, qui dans le moment va juger de son cœur par ses paroles ? Aussi Cicéron en faisoit la loi capitale de son art. Caput artis, decere.

☞ Que sur ce fond du beau essentiel on répande, selon l’exigence des matières, les images, les sentimens, les mouvemens convenables, toutes les grâces du beau moral. Voyez Image, Sentiment, Mouvement. Que l’expression, le tout, le style relevent encore à l’esprit & à l’oreille ces beautés fondamentales du discours, mais avec un art qui ressemble si bien à la nature qu’on le prenne pour elle-même, Voyez Expression, Tour, Style. Enfin que tout cela forme un corps d’ouvrage lié, suivi, animé, soutenu, & dans lequel il n’y ait aucun hors d’œuvre, qui en rompe l’unité. Car pour qu’un ouvrage d’éloquence ou de poësie soit véritablement beau, il ne suffit pas qu’il y ait de beaux traits ; il faut qu’on y découvre une espèce d’unité qui en fasse un tour bien assorti. Unité de rapport entre toutes les parties qui le composent, unité de proportion entre le style & la matière qu’on y traite : unité de bienséance entre la personne qui parle, les choses qu’elle dit, & le ton qu’elle prend pour les dire. C’est le fameux précepte d’Horace ou plutôt de la nature.

Denique sit quod vis simplex duntaxat, & unum.

☞ Passons maintenant aux différentes significations du mot beau. Nous avons déjà dit que ce mot fait beau & bel au masculin, & belle au féminin. Autrefois on disoit communément bel pour beau. Nous ne l’avons retenu que quand le substantif qui suit, & auquel il se rapporte, commence par une voyelle, comme un bel arbre, un bel enfant. Le surnom de Charles le Bel, & de Philippe le Bel, qui fut donné à ces deux Rois pour la beauté de leur visage, leur est demeuré. Hors ces deux cas, il faut toujours dire, beau & non pas bel. Par exemple, il faut dire, cet enfant est beau en tout temps, & non pas bel en tout temps ; parce que le mot de beau n’est pas là devant un substantif auquel il se rapporte. Mais on diroit un bel enfant, & non pas un beau enfant.

Beau, se dit de ce qui plaît aux yeux par la juste proportion de ses parties, & par le mélange agréable des couleurs. Dans ce sens on le dit des personnes, particulièrement du visage. Un bel homme. Une belle femme. Un beau visage. De beaux yeux. Une belle bouche. Ne soyez point si fiére de votre beauté ; on a peu de temps à être belle, & long-temps à ne l’être plus Desh. Il arrive souvent qu’une belle personne brille & charme les yeux sans aller plus loin ; tandis que la jolie forme des liens, & fait de véritables passions. Le teint, la taille, la proportion & la régularité des traits forment les belles personnes.

☞ Quelquefois le mot de beau ne désigne que les proportions, sans aucun rapport au mélange des couleurs. C’est ainsi qu’on dit, une belle taille, un beau bras, une belle jambe. Luculentus.

☞ Dans ce sens, on le dit des animaux bien proportionnés dans leur espèce. Un beau chien, un beau cheval. On le dit de même des choses inanimées pour en marquer les proportions, la régularité. Une belle statue.

☞ Quelquefois aussi il se dit principalement de la vivacité, de l’éclat, de la pureté & de l’agrément des couleurs. C’est ainsi qu’on dit un beau teint, une belle couleur, un beau coloris, une belle fleur.

☞ C’est dans cette acception qu’en parlant de quelque pays, on dit que le sang y est beau, pour dire, que les habitans y sont bien faits, & particulièrement qu’ils ont un beau teint.

Beau, se dit aussi des sons qui plaisent à l’oreille. Gratus. Un beau son, une belle musique, un bel accord. Une belle voix qui plaît à l’oreille par la douceur de ses sons, à l’esprit & au cœur par la force de l’expression.

Beau, se dit encore de l’agréable constitution de l’air & du Ciel. Un beau jour. Luculentus dies. Une belle nuit, un beau temps, un beau Ciel. Sudus, serenus.

☞ Comme l’idée de beau dit excellence, agrément, perfection, ce mot s’applique généralement à ce qui est agréable & excellent dans son genre. Egregius, eximius. On le dit en ce sens des productions de la nature, & des ouvrages de l’art. Un beau diamant. Une belle turquoise. De beaux habits. Une belle étoffe. Une belle maison. Un beau jardin. De belles eaux. Un beau gason.

Beau dans l’Ecriture, & dans tous les Auteurs grecs, se prend pour bon, convenable, utile. Gen. I. 4. Dieu vit que la lumière étoit bonne. Les interprètes Grecs ont traduit là, & dans les endroits suivans, que la lumière étoit belle.

Beau, se dit aussi pour heureux, glorieux. Felix, decorus. Voila un beau commencement. Pasc. Il est beau de mourir maître de l’Univers. Corn.

Beau, signifie quelquefois, certain. Certus quidam. Il arriva un beau jour, c’est-à-dire un certain jour. Il vint un beau matin me faire défi. Il n’est employé que par redondance.

Beau, se prend aussi dans la signification de bon, d’heureux, de favorable, d’adroit. Un beau raisonnement. Une belle raison. Une belle occasion. Dans les