Dictionnaire de l’économie politique/Savants

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Le savant remplit dans la production des richesses une fonction importante, qui a été définie et appréciée par J.-B. Say, de telle manière qu’il suffit de citer ici ce qu’a écrit à ce sujet le célèbre Économiste. Après avoir énuméré les opérations successives qui constituent ordinairement la production, l’auteur du Traité ajoute :

« Il est rare que ces trois opérations soient exécutées par la même personne.

« Le plus souvent un homme étudie la marche et les lois de la nature. C’est le savant.

« Un autre profite de ces connaissances pour créer des produits utiles. C’est l’agriculteur, le manufacturier ou le commerçant ; ou, pour les désigner par une dénomination commune à tous les trois, c’est l’entrepreneur d’industrie, celui qui entreprend de créer pour son compte, à son profit et à ses risques, un produit quelconque.

« Un autre enfin travaille suivant les directions données par les deux premiers. C’est l’ouvrier.

« Les connaissances théoriques ne sont pas moins utiles à la société que les procédés d’exécution. Si l’on n’en conservait pas le dépôt, que deviendrait leur application aux besoins de l’homme ? Cette application ne serait bientôt plus qu’une routine aveugle qui dégénérerait promptement ; les arts tomberaient, la barbarie reparaîtrait.

« Il convient d’observer que les connaissances du savant, si nécessaires au développement de l’industrie, circulent assez facilement d’une nation chez les autres. Les savants eux-mêmes sont intéressés à les répandre ; elles servent à leur fortune, et établissent leur réputation qui leur est plus chère que leur fortune. Une nation, par conséquent, où les sciences seraient peu cultivées, pourrait néanmoins porter son industrie assez loin eu profitant des lumières venues d’ailleurs. Il n’en est pas ainsi de l’art d’appliquer les connaissances de l’homme à ses besoins, et du talent de l’exécution. Ces qualités ne profitent qu’à ceux qui les ont ; aussi un pays où il y a beaucoup de négociants, de manufacturiers et d’agriculteurs habiles, a plus de moyens de prospérité que celui qui se distingue principalement par la culture de l’esprit. À l’époque de la renaissance des lettres en Italie, les sciences étaient à Bologne ; les richesses étaient à Florence, à Gènes, à Venise.

« Les académies, les bibliothèques, les écoles publiques, les musées, fondés par des gouvernements éclairés, contribuent à la production des richesses en découvrant de nouvelles vérités, en propageant celles qui sont connues, et en mettant ainsi les entrepreneurs d’industrie sur la voie des applications que l’on peut faire des connaissances de l’homme à ses besoins. On en peut dire autant des voyages entrepris aux frais du public, et dont les résultats sont d’autant plus brillants que, de nos jours, ce sont en général des hommes d’un mérite éminent qui se vouent à ce genre de recherches.

« Et remarquez bien que les sacrifices qu’on fait pour reculer les bornes des connaissances humaines, ou simplement pour en conserver le dépôt, ne doivent pas être condamnés, même lorsqu’ils ont rapport à celles dont on n’aperçoit pas l’utilité immédiate. Toutes les connaissances se tiennent. Il est nécessaire qu’une science purement spéculative soit avancée, pour que telle autre, qui a donné lieu aux plus heureuses applications, le soit également. Il est impossible d’ailleurs de prévoir à quel point un phénomène qui ne parait que curieux peut devenir utile. Lorsque le Hollandais Otto de Guéricke tira les premières étincelles électriques, pouvait-on soupçonner qu’elles mettraient Franklin sur la voie de diriger la foudre et d’en préserver nos édifices ? entreprise qui semblait excéder de si loin les efforts du pouvoir de l’homme ! »