Dictionnaire de l’administration française/APPEL COMME D’ABUS

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APPEL COMME D’ABUS. 1. C’est un recours formé devant le pouvoir temporel contre l’abus commis, soit par un ministre du culte dans ses fonctions, soit par un fonctionnaire public qui porte atteinte à l’exercice public du culte ou à la liberté de ses ministres.

L’abus est le mauvais usage, l’usage excessif et illégal d’un droit ou d’une faculté. Abusus dicitur malus usus vel illicitus (Pomponius, De ædilit. edict.)

2. Il importe de remarquer que les mots appel comme d’abus ne se trouvent pas dans la loi du 18 germinal an X, qui règle cette matière ; qu’elle ne se sert que du mot recours, qui est, en effet, le seul convenable sous notre législation actuelle. Cependant ces termes appel comme d’abus, adoptés sous l’ancien régime, ont été conservés jusqu’à ce jour dans la pratique. Ils ont même été insérés dans l’art. 5 du décret du 25 mars 1813, dans les ordonnances des 29 juin 1814, 12 mars 1831 et 18 septembre 1839. C’est uniquement pour suivre la coutume générale que nous les avons maintenus dans ce dictionnaire. Mais si l’on considère que l’appel est ordinairement interjeté dans le but de faire réformer le jugement d’un tribunal ou la décision d’une autorité devant la juridiction supérieure qui a le droit de statuer sur le fond, et que, d’après la loi du 18 germinal an X, un abus, imputé à un ecclésiastique dans l’exercice du culte, peut être, sans aucune décision préalable, déféré directement au Conseil d’État, on reconnaîtra que le pourvoi du plaignant n’est pas réellement un appel ; qu’il a seulement les caractères d’un recours à la puissance temporelle. Dans les trois décrets des 26 mai 1849 (art. 9), 30 janvier 1852 (art. 13), 21 août 1872 (art. 5), portant règlement intérieur du Conseil d’État, on a employé avec raison les mots : recours pour abus.

sommaire.

chap. i. des appels comme d’abus sous l’ancienne législation, 3 à 12.
chap.ii. législation actuelle sur les appels comme d’abus, 13 à 23.
chap.iii. mode de protéger, compétence des autorités, 24 à 34.
chap.iv. jurisprudence. faits considérés comme abus, 35 à 73.
chap.v. des appels comme d’abus en ce qui concerne les cultes non catholiques, 74 à 81.


CHAP. 1. — DES APPELS COMME D’ABUS SOUS L’ANCIENNE LÉGISLATION.

3. Quelques écrivains ont attribué à Pierre de Cugnières, avocat général au Parlement de Paris, l’invention des appels comme d’abus ; cette opinion est contestée. Ce qu’il y a de certain, c’est que dans une célèbre conférence tenue en 1329, au château de Vincennes, sous la présidence du roi Philippe de Valois et en présence de Pierre du Royer, archevêque de Sens, et de Pierre Bertrandi, évêque d’Autun, qui parlèrent pour le clergé, ce magistrat se plaignit vivement des empiétements des juges ecclésiastiques sur la juridiction temporelle, articula 66 griefs, et provoqua des mesures de répression ; la conférence se termina sans qu’aucune décision eût été prise ; toutefois elle eut pour effet d’émouvoir fortement l’opinion publique et d’attirer l’attention de l’autorité civile sur les abus signalés. Dès ce moment, les parlements résolurent de restreindre les juges ecclésiastiques dans les limites de leurs attributions. On cite, dans le xive siècle, un arrêt du 13 mars 1376 rendu contre l’évêque de Beauvais et ses officiers pour abus faits au préjudice de la juridiction temporelle. Pendant le xve siècle, le parlement de Paris statua sur plusieurs appels d’abus, notamment les 7 juin 1404 et 16 juin 1449. Dans l’affaire jugée en 1449, l’avocat du roi Barbin posa en maxime qu’on pouvait appeler comme d’abus de la juridiction ecclésiastique à la séculière. (Voy. Dupuy, chap. 7, no 28.)

4. Ainsi, ces appels étaient déjà usités lorsque parut l’édit de François Ier, daté de Villers-Cotterets, du mois d’août 1539. En constatant leur existence antérieure, il contient les premières dispositions légales sur la matière.

5. Plus tard, l’édit de Charles IX, du 16 avril 1571 (art. 5 et 6), l’ordonnance, dite de Blois, signée par Henri III au mois de mai 1579 (art. 59), l’édit de Melun, du même prince, en date du mois de février 1580 (art. 1er ), l’édit de Henri IV, du mois de décembre 1606 (art. 2), l’édit de Louis XIII, du mois de septembre 1610 (art. 3), la déclaration de Louis XIV, du mois de mars 1666 (art. 15, 16 et 17), et l’édit de ce roi, du mois d’avril 1695 (art. 34, 35, 36 et 37), fixèrent les règles, les formes et les effets des appels comme d’abus.

6. Sous l’ancien régime, il y avait quatre sources ou causes principales de ces appels : 1o l’attentat contre les saints décrets et canons reçus dans le royaume ; 2o la contravention aux droits, franchises, libertés et priviléges de l’Église gallicane ; 3o la transgression des concordats, ordonnances, édits et déclarations du roi ; 4o l’entreprise sur la juridiction temporelle ou ecclésiastique ; car le droit d’appel comme d’abus était réciproque et pouvait être exercé par les ecclésiastiques, par les laïques, par les juges d’église et par les magistrats civils.

7. On considérait ces appels comme étant d’intérêt public ; aucune fin de non-recevoir, aucune prescription ne pouvaient y être opposées. (Arr. 18 juin 1646 et 26 janvier 1690.) Le procureur général était toujours la partie principale ; les autres parties intéressées n’avaient pas la faculté de transiger sans son consentement. (Arr. 12 juillet 1601 et 25 juillet 1632.)

8. Lorsque ces appels étaient formés par des ecclésiastiques contre des ordonnances et jugements rendus par les évêques et juges d’église en matière religieuse ou disciplinaire, et contre les règlements des prélats faits dans le cours de leurs visites pastorales, ils n’avaient pas d’effet suspensif, mais seulement dévolutif. (Édit de 1539, art. 5 ; édit de 1695, art. 36.) S’ils étaient interjetés par le procureur général, ils étaient suspensifs, même en matière disciplinaire, parce que le ministère public agissait, au nom du roi, dans un but d’intérêt général. (Arr. 4 juin 1704.)

9. Les abus dénoncés devaient être évidents et notoires, d’après les principes établis par la jurisprudence ; on ne les observa pas toujours dans la pratique. Les appels se multiplièrent beaucoup durant les xvie et xviie siècles. Pour en diminuer le nombre, les rois décidèrent que les parties téméraires qui succomberaient, seraient condamnées à une amende dont le chiffre a varié, mais qui fut fixée, par l’art. 37 de l’édit de 1695, à 75 livres.

10. Les parlements pouvaient seuls connaître des appels comme d’abus. C’était à la grand’chambre, formée de conseillers clercs ou ecclésiastiques en nombre égal aux conseillers laïques, qui présentait ainsi par sa composition les garanties désirables, que ces appels devaient être soumis.

11. En prononçant sur les affaires, les parlements n’en examinaient pas le fond, pour confirmer ou infirmer la sentence qui leur était déférée ; ils examinaient seulement la forme ou la procédure, pour juger si elle était, ou non, abusive. Lorsqu’ils déclaraient qu’il n’y avait pas d’abus, ils condamnaient les appelants à l’amende ; lorsqu’ils reconnaissaient l’abus, ils disaient qu’il avait été mal, nullement et abusivement procédé, statué et ordonné. Dans ce dernier cas, si la cause ressortissait à la juridiction ecclésiastique, ils la renvoyaient à l’archevêque ou évêque dont l’official avait rendu le jugement ou l’ordonnance déclarée abusive, afin d’en nommer un autre, ou au supérieur ecclésiastique si l’ordonnance ou le jugement était émané de l’archevêque ou de l’évêque, ou s’il y avait des raisons d’une suspicion légitime contre lui. (Édit de 1695, art. 37.)

Quand la cause rentrait dans les attributions de l’autorité civile, les parlements la renvoyaient devant la juridiction compétente.

12. Après la Révolution, le décret du 15-24 novembre 1790 apporta de graves modifications à l’ancienne législation. Aux termes des art. 4 et 5 de ce décret, il y avait lieu à l’appel comme d’abus lorsque, dans un arrondissement métropolitain, le métropolitain ou, à son défaut, le plus ancien évêque de l’arrondissement, et, sur le refus de ceux-ci, aucun évêque ne voulait accorder à un évêque élu conformément à la constitution civile du clergé la confirmation canonique ; l’appel devait être porté au tribunal du district du lieu dans lequel était situé le siége épiscopal du prélat nommé. Ces tribunaux jugeaient en dernier ressort. Leur compétence fut étendue à tous les cas d’abus résultant de la violation des règles de la constitution. (Voy. le jugement du tribunal du district de Moulins, du 20 mars 1793, et Cass. 20 juillet 1793.)

CHAP. II. — LÉGISLATION ACTUELLE.

13. En rétablissant l’exercice du culte catholique en France, le Gouvernement, voulant à la fois sauvegarder l’ordre public et protéger les ministres de ce culte, reconnut la nécessité de conserver les appels comme d’abus ; mais il crut devoir changer le mode d’instruction et de décision, en les soumettant au Conseil d’État, en substituant les formes administratives aux formes judiciaires.

14. Suivant l’art. 6 de la loi du 18 germinal an X, il peut y avoir recours au Conseil d’État dans tous les cas d’abus de la part des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques. Les cas d’abus sont : 1o l’usurpation ou l’excès de pouvoir ; 2o la contravention aux lois et règlements de l’État ; 3o l’infraction des règles consacrées par les canons reçus en France ; 4o l’attentat aux libertés, franchises et coutumes de l’Église gallicane ; 5o toute entreprise ou tout procédé qui, dans l’exercice du culte, peut compromettre l’honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en oppression, ou en injure, ou en scandale public.

15. Les dispositions de cet art. 6, sauf le 5e cas, sont empruntées à l’ancienne législation (voy. suprà, no 6) et rédigées dans le même esprit ; on en a souvent critiqué les termes trop vagues, trop absolus. M. Portalis, dans son rapport sur les articles organiques, fait observer que le clergé a plusieurs fois réclamé la fixation précise des cas d’abus ; que notamment, en 1605, le roi Henri IV lui avait répondu qu’il n’était pas possible de régler et de définir plus particulièrement ce qui provient de causes si générales ; que la loi du 18 germinal an X, en se bornant à indiquer les sources principales des moyens de recours, s’était conformée à la doctrine de tous les jurisconsultes, à la jurisprudence de tous les siècles et au droit public des nations.

16. Néanmoins on ne saurait disconvenir que l’art. 6 précité aurait besoin d’une révision. Les mots infraction des règles consacrées par les canons reçus en France, contraventions aux lois et règlements de l’État, tout procédé qui peut troubler arbitrairement la conscience, ont une acception tellement étendue qu’ils comprennent tous les actes quelconques des ecclésiastiques ; ils ont d’ailleurs le grave inconvénient d’autoriser le Conseil d’État à intervenir dans l’application des canons de l’Église et dans l’examen des faits qui touchent au for intérieur. Heureusement la jurisprudence de ce Conseil, ainsi qu’on le verra plus loin, est venue remédier aux imperfections de la législation ; elle a respecté, sauf de rares exceptions, les attributions essentielles du pouvoir spirituel et sanctionné deux règles générales qui dominent la matière : la première, que les faits commis par un ecclésiastique dans l’exercice du culte peuvent seuls donner lieu à un recours comme d’abus ; et la seconde, que les actes du for intérieur, et spécialement les refus de sacrement, ne peuvent motiver ce recours que dans les cas où ils dégénèrent en injure ou en scandale public.

17. Aux termes de l’art. 7 de la loi du 18 germinal an X, il y a pareillement recours au Conseil d’État s’il est porté atteinte à l’exercice public du culte et à la liberté que les lois et les règlements garantissent à ses ministres.

« Cet article, dit M. Portalis, est fondé sur la raison naturelle. Si les personnes ecclésiastiques peuvent commettre des abus contre leurs inférieurs dans la hiérarchie et contre les simples fidèles, les fonctionnaires publics et les magistrats peuvent s’en permettre contre la religion et contre les ministres du culte. Le recours au Conseil d’État doit donc être un remède réciproque comme l’était l’appel comme d’abus. » (Voy. suprà, no 6.)

18. Il résulte du rapport de M. Portalis que l’art. 7 n’est applicable que dans le cas où un fonctionnaire quelconque porte atteinte à la liberté du culte ou à l’indépendance de ses ministres. Si l’atteinte provenait d’un particulier laïque, elle constituerait un délit prévu par les lois pénales. L’ecclésiastique lésé pourrait la déférer directement aux tribunaux sans être obligé de s’adresser préalablement au Conseil d’État. (Arr. du C. 30 août 1806.)

19. Du reste, cet art. 7 n’est pas seulement une juste réciprocité accordée aux ecclésiastiques ; il est encore la sanction du principe fondamental de la liberté des cultes proclamé par toutes les constitutions de la France depuis 1789[1], et de l’art. 1er  du concordat de 1801, qui a assuré le libre et public exercice de la religion catholique.

20. Toutefois le recours n’est ouvert que dans les deux cas spécifiés par l’art. 7 ; les ecclésiastiques, dans les autres cas qu’il n’a pas désignés, peuvent invoquer comme citoyens les lois communes à tous les Français.

« S’il s’agissait, dit M. de Cormenin (art. 25, vo. Appel comme d’abus), de la plainte d’un curé ou d’un évêque contre un maire, un préfet ou toute autre autorité civile ou militaire qui aurait troublé l’exercice public du culte ou empiété sur les matières spirituelles, il pourrait y avoir lieu à une simple déclaration d’abus ; mais la plainte se résoudrait, soit en un renvoi devant les tribunaux, s’il y avait eu crime ou délit commis envers le prêtre, soit par un blâme, déplacement, destitution, ou toute autre mesure que le Gouvernement averti pourrait prendre envers le fonctionnaire, soit par l’annulation de son arrêté. »

Ainsi, en 1803, l’arrêté du préfet de la Loire, qui avait défendu à plusieurs ecclésiastiques l’exercice de la prédication, fut annulé.

21. Le cardinal Caprara, légat du Saint-Siége, s’est pourvu, en vertu de cet art. 7, contre une lettre dogmatique d’un magistrat de sûreté qui avait décidé diverses questions sur les obsèques religieuses.

22. Deux ordonnances des 26 décembre 1830 et 30 août 1832 n’ont admis ni le recours comme d’abus ni la demande d’un ancien desservant révoqué en autorisation de poursuivre soit correctionnellement, soit à fins civiles, l’adjoint de la commune d’Angerville-Lorcher (Seine-Inférieure) pour l’avoir expulsé du presbytère que cet ecclésiastique n’avait plus le droit d’occuper.

23. En 1841, le curé de Saint-Bénigne à Dijon (Côte-d’Or) a formé, en vertu du même article, un recours au Conseil d’État contre l’arrêté du maire de cette ville qui avait interdit la sortie des processions. Son recours fut rejeté par ordonnance du 1er  mars 1842.

CHAP. III. — MODE DE PROCÉDER, COMPÉTENCE DES AUTORITÉS.

24. L’art. 8 de la loi du 18 germinal an X a pour objet de déterminer le mode de procéder et d’instruire les affaires de cette nature ; il est ainsi conçu :

« Le recours compétera à toute personne intéressée. À défaut de plainte particulière, il sera exercé d’office par le préfet. Le fonctionnaire public, l’ecclésiastique ou la personne qui voudra exercer ce recours, adressera un mémoire détaillé et signé au conseiller d’État chargé de toutes les affaires concernant les cultes (actuellement le ministre des cultes), lequel sera tenu de prendre dans le plus court délai tous les renseignements convenables ; et, sur son rapport, l’affaire sera suivie et définitivement terminée dans la forme administrative, ou renvoyée, selon l’exigence des cas, aux autorités compétentes. »

25. Il nous a paru utile de reproduire ici les motifs de cet art. 8 tels qu’ils ont été exposés par M. Portalis :

« On voit que la forme de procéder est purement administrative ; rien de plus sage. Les matières religieuses intéressent essentiellement l’ordre public. Elles sont une partie importante de la police administrative de l’État. Elles sont rarement susceptibles d’une discussion contentieuse. En administration, les affaires sont traitées discrètement. Devant les tribunaux, elles reçoivent nécessairement une publicité qui souvent, en matière religieuse, pourrait compromettre la tranquillité ; presque toujours cette publicité serait fatale à la religion même. Dans les causes ecclésiastiques, il est des convenances à consulter et des moments à saisir pour juger raisonnablement ces causes ; il faut souvent peser les temps et les lieux ; il faut pouvoir user d’indulgence ou de sévérité selon les circonstances. Rien n’est si délicat que la direction des choses qui tiennent à la conscience ou à l’opinion. Le Gouvernement doit naturellement avoir dans ses mains tout ce qui peut influer sur l’esprit public ; il ne doit pas abandonner aux autorités locales des objets sur lesquels il importe qu’il y ait unité de conduite et de principe. »

26. Malgré ces observations si judicieuses, le décret du 25 mars 1813 disposa plus tard (art. 5 et 6) que les appels comme d’abus seraient portés devant les cours impériales et qu’un projet de loi serait préparé pour régler les formes de la procédure et les pénalités. Non-seulement ce projet de loi n’a pas été présenté au Corps législatif, mais encore l’ordonnance royale du 29 juin 1814 a formellement rendu au Conseil d’État la connaissance des appels comme d’abus. Cependant l’ordonnance du 23 août 1815 ayant rapporté celle de 1814 en réorganisant le Conseil d’État sans faire aucune mention de ces appels, quelques doutes se sont élevés sur le point de savoir si le décret du 25 mars 1813 était encore en vigueur. Par arrêt du 2 février 1828, la cour de Nancy s’était même reconnue compétente pour statuer sur les appels comme d’abus ; mais son arrêt fut annulé par la Cour de cassation le 28 mars 1828. À partir de cette époque, il a été constamment décidé que la loi du 18 germinal an X devait seule être exécutée.

Cette question, déjà résolue par la jurisprudence, ne peut plus d’ailleurs être soulevée depuis que les ordonnances des 12 mars 1831 (art. 5) et 18 septembre 1839 (art. 17), le règlement intérieur du Conseil d’État, en date du 26 mai 1849, et les décrets des 30 janvier 1852 (art. 13) et 21 août 1872 (art. 5) ont expressément maintenu les appels et recours comme d’abus parmi les attributions du Conseil d’État.

La compétence exclusive de ce Conseil est actuellement incontestable.

27. Dans tous les cas, le recours doit être adressé d’abord au ministre des cultes, avec un mémoire à l’appui, afin qu’il procède à l’instruction de l’affaire. Cette instruction consiste ordinairement à demander la déclaration par écrit du prêtre attaqué sur les faits qui lui sont reprochés, les observations de l’évêque diocésain et l’avis du préfet. Après avoir réuni tous les renseignements nécessaires, le ministre transmet au Conseil d’État son rapport ainsi que le dossier. Le Conseil d’État prononce ensuite sur le recours ; sa décision n’est publiée qu’après avoir été approuvée par le Chef du Gouvernement sous la forme d’un décret ou d’une ordonnance. Enfin le ministre des cultes envoie deux ampliations du décret, l’une à l’évêque diocésain, et l’autre au préfet, qui est chargé de la faire remettre au plaignant.

28. Les appels comme d’abus ne sont pas classés parmi les affaires contentieuses (O. 12 mars 1831, art. 5) ; par conséquent, il n’y a ni audience publique, ni plaidoiries, ni condamnation aux dépens.

29. Il est arrivé plusieurs fois que les parties réclamantes ont saisi directement le Conseil d’État de leur recours pour abus. Cette marche est contraire à l’esprit et au texte formel de l’art. 8 de la loi de l’an X, qui exige une instruction préalable ; aux décisions ministérielles des 27 vendémiaire et 7 germinal an XI, et 8 décembre 1809, et à l’opinion des jurisconsultes les plus distingués ; le Conseil d’État a également pensé que les recours, avant d’être soumis à son appréciation, devaient être adressés au ministre des cultes. (D. 29 août 1854.) Il a renvoyé un certain nombre de plaignants, qui lui avaient remis directement leurs requêtes, à se pourvoir devant le ministre des cultes. (O. 19 mars 1817, 25 mars 1819, 7 avril 1819 et 31 juill. 1822.)

Dans tous les cas, le recours comme d’abus ne peut être exercé par un particulier qu’en son nom personnel. Un exécuteur testamentaire n’a point qualité pour former ce recours au nom et comme représentant d’une personne décédée. (Arr. du C. 4 mai 1867.)

30. Du principe que les recours comme d’abus sont examinés et jugés dans les formes administratives, il suit qu’ils ne peuvent être exercés d’office que par les préfets. (L. 18 germ. an X, art. 8.) Les procureurs généraux n’ont plus maintenant, comme autrefois, le droit de les former. Lorsqu’un fait de nature à justifier un recours pour abus leur est dénoncé, ils se bornent à recueillir des informations ; ils en transmettent le résultat au ministre de la justice, qui renvoie les pièces à son collègue le ministre des cultes.

31. Le premier soin des autorités administratives et judiciaires doit être de s’assurer si les faits signalés ont eu lieu, ou non, dans l’exercice du culte. En cas d’affirmative, on doit d’abord provoquer la décision du Conseil d’État ; si un prêtre a eu le malheur de se rendre coupable d’un crime ou d’un délit en dehors de ses fonctions, il est poursuivi devant les tribunaux comme les autres citoyens. (Arr. du C. 2 mars 1831 ; Cass., 12 mars 1840.)

32. Lorsque les faits commis dans l’exercice du culte présentent les caractères d’un crime ou délit puni par les lois pénales, l’autorisation du Conseil d’État est-elle toujours indispensable pour traduire l’ecclésiastique devant la justice ? Cette question, d’une haute importance pour le clergé, est depuis longtemps l’objet d’une sérieuse controverse.

Il a été généralement reconnu que les ministres du culte ne sont pas des fonctionnaires publics ; qu’on ne pouvait dès lors invoquer en leur faveur les dispositions de l’art. 75 de la Constitution de l’an VIII, qui défendait de poursuivre, sans une autorisation préalable du Conseil d’État, les agents du Gouvernement en raison de délits ou crimes commis dans leurs fonctions. Mais on a représenté que les ecclésiastiques ont également droit à la protection due à tous ceux que leurs fonctions mettent chaque jour en rapport avec le public. On ne pourrait équitablement les laisser sans cesse exposés à des dénonciations calomnieuses, à des persécutions d’autant plus injustes qu’elles sont souvent dirigées par des sentiments anti-religieux. On ne saurait permettre au premier venu de les détourner, selon ses caprices, d’un ministère nécessaire à toute une paroisse, de nuire à leur considération en les traînant sur les bancs de la police correctionnelle. L’intérêt de la religion, la dignité du sacerdoce, le service paroissial s’y opposent. Il est vrai que la législation ne s’est pas formellement expliquée sur ce point[2]. Mais, d’une part, l’art. 6 de la loi du 18 germinal an X range au nombre des cas d’abus les contraventions aux lois et règlements de l’État, et comprend nécessairement les crimes et délits qu’on ne peut commettre sans violer une loi. D’un autre côté, l’art. 8 précité dispose que « le Conseil d’État renverra l’affaire, selon l’exigence des cas, aux autorités compétentes ». Ces mots, « selon l’exigence des cas », s’appliquent évidemment aux faits qui, dépassant les limites des simples abus de fonctions, constituent un crime ou un délit. C’est en ce sens que les deux art. 6 et 8 ont été interprétés par M. le comte Portalis, fils de l’illustre rédacteur de la loi de l’an X, dans une note rapportée au Journal des conseils de Fabriques (t. Ier, p. 15) en ces termes : « On trouve dans les art. 6, 7 et 8 de la loi du 18 germinal an X, relatifs aux fonctionnaires ecclésiastiques, l’équivalent des dispositions que renferme l’art. 75 de l’acte constitutionnel de l’an VIII quant aux agents du Gouvernement. Toutes les fois qu’on a à se plaindre d’un fonctionnaire ecclésiastique pour des faits relatifs à ses fonctions, la voie du recours est la seule qui soit ouverte, et les tribunaux ne peuvent être saisis qu’après qu’il a été décidé par le Conseil d’État si l’affaire est, de sa nature, administrative ou judiciaire. »

Telle est aussi, sur ce point, la jurisprudence du Conseil d’État. (O. 19 avril 1817, 23 avril 1818, 28 oct. 1829, 2 mars, 8 avril 1831, 27 août 1839, 27 avril 1841, etc.)

On peut citer des arrêts de la Cour de cassation et des cours d’appel dans les deux sens de l’affirmative et de la négative. Pendant l’année 1831, la Cour suprême a jugé cinq fois (les 23 juin, 9 septembre, 3 et 25 novembre et 23 décembre) que l’autorisation du Conseil d’État n’était pas nécessaire pour poursuivre un ministre du culte devant les tribunaux à raison de faits qualifiés crimes ou délits ; mais il est à remarquer que les circonstances qui ont motivé ces cinq arrêts prononcés à une époque très-rapprochée de la révolution de 1830, se rattachaient toutes à la politique. Au surplus, la distinction posée entre les délits politiques et les autres délits nous semble entièrement arbitraire[3]. Aucun terme de la loi de l’an X ne la justifie. Postérieurement, la Cour de cassation a admis, dans ses arrêts des 12 mars 1840, 29 décembre 1842 et 25 juin 1863, que la poursuite de divers délits, qu’on peut qualifier d’ordre public, était subordonnée au recours préalable devant le Conseil d’État. Elle a confirmé les principes qu’elle avait établis dans ses précédents arrêts des 25 août 1827, 12 mars et 17 octobre 1828.

33. Voici le résumé des diverses formules de décisions employées jusqu’à présent sur les appels comme d’abus :

1o Le Conseil d’État déclare qu’il y a simplement abus ;

2o Il déclare l’abus avec suppression de l’écrit abusif ;

3o Il déclare l’abus avec injonction au prêtre de s’abstenir du refus des sacrements dans des cas semblables ;

4o Il déclare l’abus et autorise les poursuites à fins criminelles ;

5o Il déclare l’abus et autorise les poursuites à fins civiles seulement ;

6o Il déclare l’abus et admettant l’excuse, il n’autorise pas la poursuite ;

7o Il autorise seulement la poursuite devant les tribunaux compétents (Arr. du C. 14 juill. 1862, 1er  juin 1868) ;

8o Il déclare qu’il n’y a pas abus et que le recours est rejeté ;

9o Il déclare à la fois qu’il n’y a lieu ni à renvoi devant les tribunaux, ni à prononciation d’abus ;

10o Il déclare qu’en l’état de l’affaire le recours n’est pas recevable, attendu qu’on ne s’est pas pourvu devant le métropolitain ou l’autorité hiérarchique supérieure.

34. Nonobstant quelques décisions contraires, nous ne croyons pas que le Conseil d’État puisse, pour un seul et même fait, prononcer en même temps l’abus et le renvoi devant les tribunaux ; il doit, suivant l’art. 8 de la loi de l’an X, terminer administrativement l’affaire ou la renvoyer devant les tribunaux ; cet article ne lui confère pas le pouvoir de prendre les deux mesures simultanément.

La déclaration d’abus n’est pas, il est vrai, une peine matérielle ; mais elle est une peine morale ; c’est, en réalité, un blâme public infligé par le Gouvernement ; elle peut donc être considérée comme une condamnation administrative qui ne saurait être cumulée avec une condamnation judiciaire.

CHAP. IV. — JURISPRUDENCE. FAITS CONSIDÉRÉS COMME ABUS.

35. La jurisprudence sur les appels comme d’abus a eu pour but de suppléer au défaut de précision de la législation et de fixer les règles sur la matière. (Voy. le no 16.) Il est fort utile d’en connaître les principaux monuments. Nous les diviserons en trois parties concernant : 1o les archevêques et évêques ; 2o les curés et autres titulaires inamovibles ; 3o les desservants, les vicaires et les autres ecclésiastiques.

1o Des appels comme d’abus en ce qui concerne les archevêques et évêques.

Il y a abus[4] :

36. Lorsqu’un évêque publie et exécute dans son diocèse une bulle, un bref, une lettre encyclique ou un rescrit du pape qui n’ont été ni vérifiés ni enregistrés au Conseil d’État. (D. 14 juin 1810 ; O. 23 déc. 1820 ; D. 8 fév. 1865.)

37. Lorsqu’un archevêque prend dans un induit le titre d’un ordre supprimé en France. (D. 20 mars 1812.)

38. Lorsqu’un archevêque publie, sous la forme d’une lettre pastorale, des propositions contraires au droit public et aux lois de l’État, aux prérogatives et à l’indépendance de la Couronne. (O. 10 janv. 1825.)

39. Lorsqu’un évêque fait imprimer un mémoire formant opposition au mode d’administration temporelle des séminaires et l’adresse à ses collègues pour les exciter à la désobéissance aux lois et aux règlements en vigueur. (O. 4 mars 1835.)

40. Lorsqu’un archevêque, dans un écrit publié sous le titre de déclaration, proteste contre une ordonnance et un projet de loi relatifs à la vente d’un ancien palais archiépiscopal et de son emplacement appartenant à l’État et revendique la propriété de ces immeubles au nom de l’Église. Le chapitre métropolitain, en donnant son adhésion dans une délibération sur une matière qui n’est pas de sa compétence, et en la transcrivant sur ses registres, commet un excès de pouvoir et un abus. (O. 24 mai 1837.)

41. Lorsqu’un évêque donne l’ordre de refuser la sépulture catholique à un homme mort après avoir fait profession de la religion, demandé et reçu le sacrement de pénitence, parce que le défunt n’aurait pas voulu faire devant témoins une rétractation écrite. (O. 30 déc. 1838.)

42. Lorsqu’un évêque, dans une lettre pastorale, se livre à des allégations injurieuses pour l’université de France et les membres du corps enseignant, et menace de refus éventuel des sacrements les enfants élevés dans les établissements universitaires. (O. 8 nov. 1843.)

43. Lorsqu’un archevêque conteste l’autorité due à l’édit de 1682 sur les libertés de l’Église gallicane ; à l’art. 24 de la loi du 18 germinal an X et au décret du 25 février 1810 ; déclare exécutoire une bulle qui n’a jamais été reçue en France, et dénie au Gouvernement le droit de statuer en Conseil d’État par déclaration d’abus. (O. 9 mars 1845.)

44. Lorsqu’un évêque impose à plusieurs curés, après leur installation, une renonciation écrite et signée à la faculté de se pourvoir devant l’autorité civile dans certains cas, et modifie, sans l’autorisation du Gouvernement, les statuts, approuvés par une ordonnance royale, du chapitre de sa cathédrale. (D. 6 avril 1857.)

45. Lorsqu’un évêque, dans un mandement, censure la politique et critique les actes du Gouvernement. (D. 30 mars 1861.)

46. Lorsque plusieurs archevêques et évêques publient collectivement, en forme de brochure et par la voie des journaux, un écrit délibéré entre eux et contenant des instruction sur des matières politiques. (D. 16 août 1863.)

47. Lorsqu’un vicaire général capitulaire d’un archevêché prononce seul sur un appel interjeté devant le métropolitain contre la décision d’un évêque suffragant, attendu que, durant la vacance du siége, les vicaires généraux capitulaires exercent collectivement la juridiction métropolitaine, et que l’un d’eux ne peut, sans abus, l’exercer séparément. (O. 2 nov. 1835.)

48. Mais il n’y a pas d’abus :

Si un évêque rend une ordonnance, approuvée par le Gouvernement, pour réunir la cure de sa cathédrale au chapitre, quoique le titulaire de la cure, par suite de cette réunion, se trouve privé de son titre inamovible. Il s’agit ici d’une mesure d’intérêt général qui peut toujours être prise dans les formes prescrites par les lois. L’inamovibilité du titulaire n’emporte pas d’ailleurs la perpétuité de l’office. (O. 14 juill. 1824.)

49. Si un évêque refuse à un imprimeur l’autorisation d’imprimer les livres d’église à l’usage de son diocèse. (O. 7 mars 1834, 30 mars 1842.)

50. Si un évêque révoque un desservant ou un vicaire en vertu du droit que lui confère l’art. 31 de la loi de l’an X, interdit un prêtre de ses fonctions spirituelles, prononce contre lui une peine disciplinaire, lui défend de porter le costume ecclésiastique, ou fait tout autre acte qui rentre dans l’exercice des pouvoirs que les lois canoniques attribuent à l’autorité épiscopale.(O. 31 juill. 1819, 28 oct. 1829, 15 juill. 1832, 23 juill. 1840 ; Déc. 30 nov. 1868, 12 oct. 1872.)

51. Le recours au Conseil d’État formé contre les mesures disciplinaires prises par les évêques n’a point d’effet suspensif. (Cass. 10 mai 1873.)

52. Il n’y a pas lieu de statuer par la voie d’appel comme d’abus à l’égard des ordonnances épiscopales relatives aux nominations des membres des conseils de fabriques ou aux concessions de bancs dans les églises. En effet, ces ordonnances sont rendues dans l’exercice des pouvoirs administratifs que les lois civiles accordent aux évêques sous le contrôle et l’autorité du Gouvernement, et la fausse application de ces lois ne rentre pas dans les cas d’abus. Les réclamants peuvent seulement se pourvoir par les voies ordinaires contre les ordonnances de cette nature. (O. 8 mars 1844, 5 janv. 1847.)

2o Des appels comme d’abus en ce qui concerne les curés et autres titulaires inamovibles.

53. Les membres du clergé ne peuvent former un recours comme d’abus que contre les actes qui émanent exclusivement des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques. Ainsi, quand un évêque nomme d’abord un curé, puis, avant que son choix ait été agréé par le Gouvernement, en nomme un second, le premier curé nommé n’est pas fondé à se pourvoir devant le Conseil d’État au moyen d’un appel comme d’abus. Le refus fait par le Gouvernement d’agréer la première nomination et l’agrément donné à la seconde sont des actes qui tiennent à l’exercice des droits du pouvoir temporel et ne peuvent être attaqués devant le Conseil d’État. (O. 16 fév. 1826.)

54. La voie du recours comme d’abus est ouverte aux chanoines et aux curés destitués par une ordonnance épiscopale, avant comme après l’approbation de cette ordonnance par le Gouvernement. (O. 6 juin 1833.)

55. Toutefois il est à remarquer que jusqu’à ce jour les recours de cette nature ont tous été rejetés d’après les motifs suivants : les formalités substantielles ayant été remplies, les ordonnances épiscopales de destitution ne présentent aucun des cas d’abus prévus par la loi de l’an X. (O. 23 avril 1837.) La décision du chef de l’État ne fait que rendre exécutoire, quant à ses effets civils, l’ordonnance épiscopale de révocation ; elle ne met pas obstacle au pourvoi du curé destitué devant l’autorité métropolitaine. Ainsi cette décision ne contient aucun excès de pouvoir. (O. 22 fév. 1837.)

56. L’appel comme d abus n’est pas recevable toutes les fois que l’ordonnance de révocation n’a pas été attaquée devant le métropolitain. (D. 6 août 1850, 29 août 1854.)

57. Les officialités diocésaines et métropolitaines ne sont pas des juridictions reconnues par notre législation actuelle ; leurs actes ne sauraient avoir que le caractère d’information et de simple avis, par conséquent ils ne peuvent être l’objet d’un appel comme d’abus. C’est seulement l’ordonnance épiscopale de destitution qui peut donner lieu à un recours après avoir été déférée au métropolitain. (D. 29 août 1854.)

3o Des appels comme d’abus en ce qui concerne les desservants, vicaires et autres ecclésiastiques.

58. Les desservants et les vicaires ne sont pas admis à se pourvoir par appel comme d’abus contre les décisions de leur évêque qui les révoque de leurs fonctions et leur interdit, après cette révocation, l’exercice du saint ministère dans son diocèse. (Voy. le no 51 ; O. juill. 1828, 3 nov. 1835, 19 fév. 1840, 16 juin 1846 ; D. 30 nov. 1868.)

59. Les refus de sacrements et de confession ne peuvent donner lieu à un appel comme d’abus dans tous les cas où ils ne sont accompagnés d’aucune réflexion offensante et ne dégénèrent ni en injure ni en scandale public. C’est à l’autorité diocésaine qu’ils doivent être signalés, parce qu’il lui appartient exclusivement d’apprécier les actes de cette nature. (O. 16 déc. 1830, 28 mars 1831.)

60. Le refus pur et simple de sépulture catholique ne constitue pas non plus un abus ; il faut qu’il soit fait avec des circonstances qui tombent sous l’application de la loi. (O. 30 déc. 1838. Voy. le no 41.) « On ne peut sans doute, dit M. Portalis, refuser injustement ou arbitrairement les obsèques religieuses ; mais l’Église a des règles d’après lesquelles les obsèques religieuses ne sont pas accordées aux personnes mortes sans baptême ou à celles notoirement connues pour appartenir à un culte différent. Il serait impossible de violenter sur ces objets la conscience des prêtres. »

61. La suppression par un curé d’une confrérie ou d’une réunion volontaire relative à l’exercice du culte dans sa paroisse ne peut servir de base à un appel comme d’abus ; il en est de même de l’invitation faite par le curé à ses paroissiens de ne pas envoyer leurs enfants à une école non autorisée. (O. 28 mars 1831.) Si l’école était autorisée, il y aurait abus.

62. Les confréries étant soumises dans l’intérieur de l’église à la direction du curé, il n’y a pas abus quand ce curé enjoint publiquement à un fidèle de quitter la place qu’il occupe dans l’église et le costume qu’il porte comme membre d’une confrérie, et que cet ordre n’est suivi d’aucune parole injurieuse. (O. 19 août 1829.)

63. Lorsqu’un vicaire appelé pour administrer les sacrements à un malade trouve dans la maison de mauvais livres et qu’on les lui remet volontairement sur sa demande, il ne commet pas d’abus. (O. 26 août 1829.)

64. Les particuliers qui ont payé volontairement à un desservant des droits d’enterrement au delà du tarif diocésain, ne peuvent plus exercer devant le Conseil d’État des recours pour abus, ni solliciter l’autorisation de poursuivre le desservant comme concussionnaire, si la fabrique a fait cession à un desservant de tous ses droits dans les inhumations et services funèbres ; cette cession ne peut être attaquée par les tiers dont elle ne lèse pas les intérêts. (O. 4 mars 1830.)

65. Mais il y a abus toutes les fois qu’un prêtre, soit en chaire, soit dans une allocution prononcée à la barrière du chœur, soit dans tout autre lieu où il remplit ses fonctions, profère publiquement une injure ou une diffamation. (Cass. 28 mars 1828 et 26 juill. 1838 ; O. 28 mai et 8 juill. 1829, 18 mai 1837, 30 juill. 1847 ; D. 11 déc. 1864.)

66. Dans quelques circonstances graves, le Conseil d’État a renvoyé le plaignant à se pourvoir devant la juridiction compétente en réparation des paroles outrageantes prononcées à haute voix contre lui par un desservant dans l’exercice de ses fonctions sacerdotales. (D. 1er  juin 1867.)

67. Dans d’autres cas, le Conseil d’État a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’autoriser des poursuites judiciaires contre des curés ou desservants, pour injures ou diffamations, lorsque les explications et les lettres de ces ecclésiastiques pouvaient être considérées comme des réparations suffisantes de l’irréflexion de leurs paroles ; il s’est borné à déclarer qu’il y avait abus dans ces paroles. (O. 23 avril 1818, 18 mars et 8 mai 1841.)

68. Le refus d’administrer le baptême à un enfant sur le seul motif que la personne chargée par ses parents de le présenter à l’église et qui ne participe point, en réalité, au sacrement du baptême, n’a pas été agréée par le curé, constitue un abus. (O. 11 janv. 1829.)

69. Lorsqu’un desservant, sans refuser le sacrement du baptême, ne veut pas admettre le parrain et la marraine désignés par le père de l’enfant, celui-ci n’est pas recevable à former un recours pour abus ; les personnes écartées par le desservant ont seules le droit de l’exercer. (O. 17 août 1825.)

70. Appelé à examiner un recours contre deux desservants qui s’étaient fait remettre des titres de créances pour les restituer à des tiers, le Conseil d’État a déclaré qu’il y avait abus dans les procédés de ces ecclésiastiques, et renvoyé les parties, à fins civiles seulement, devant les tribunaux, sur les contestations relatives à la quotité et à la remise des obligations ou valeurs dont les desservants pourraient être dépositaires. (O. 25 nov. 1829.)

71. Il y a abus toutes les fois qu’un desservant, contrairement à l’art. 53 de la loi du 18 germinal an X, fait au prône une publication étrangère à l’exercice du culte. (O. 19 mars 1829.)

72. Le desservant qui procède aux cérémonies religieuses d un mariage sans qu’il lui ait été justifié d’un mariage préalablement contracté devant l’officier de l’état civil, commet un abus (O. 21 déc. 1843) : néanmoins il n’y a pas lieu de le renvoyer devant l’autorité judiciaire s’il a été induit en erreur par une lettre du maire et s’il est prouvé qu’il a agi de bonne foi. (O. 3 déc. 1828.)

CHAP. V. — DES APPELS COMME D’ABUS EN CE QUI CONCERNE LES CULTES NON CATHOLIQUES.

73. Les décisions rapportées dans cette dernière partie sont applicables à tous les ecclésiastiques, quel que soit leur titre.

74. L’un des articles organiques des cultes protestants, l’art. 6 de la loi du 18 germinal an X est conçu en ces termes : « le Conseil d’État connaîtra de toutes les entreprises des ministres du culte et de toutes dissensions qui pourront s’élever entre ces ministres. »

Pour interpréter sainement une disposition dont la rédaction laisse tant à désirer, il faut se référer à l’art. 6 de la même loi relatif aux prêtres catholiques. On a pensé, par analogie, que le mot entreprises s’appliquait à tous les genres d’abus que les ministres protestants pouvaient commettre dans leurs fonctions, tels que les usurpations et les excès de pouvoirs, les contraventions aux lois et règlements de l’État, tous les procédés qui, dans l’exercice du culte, peuvent compromettre l’honneur des citoyens, troubler arbitrairement leur conscience, dégénérer contre eux en oppression, en injure ou en scandale public. Quant au mot dissensions, il serait difficile d’en préciser la signification. Le législateur s’en est sans doute rapporté à l’appréciation du Gouvernement, en l’investissant, d’ailleurs, du pouvoir d’approuver les destitutions des pasteurs, les décisions des synodes et des assemblées générales de l’inspection. (Art. organiques 25, 26, 30 et 39.)

75. En 1844, un ministre de l’Église de la confession d’Augsbourg a formé un recours comme d’abus contre l’acte de sa destitution prononcée par le directoire du consistoire général de cette confession et approuvée par le Gouvernement. Le Conseil d’État a pensé que l’art. 25 de la loi de l’an X charge seulement le Gouvernement d’approuver ou de rejeter les motifs de la destitution des pasteurs et que ses décisions en pareille matière ne peuvent donner lieu à un recours par la voie de l’appel comme d’abus. (O. 17 sept. 1844.)

76. Il n’est pas fait mention dans les articles organiques du culte israélite.

77. Toutefois, dès les premières années qui suivirent leur promulgation, un décret spécial, intervenu sur un conflit élevé par le préfet du Haut-Rhin, a appliqué aux ministres de ce culte les art. 6, 7 et 8 de la loi de l’an X concernant les prêtres catholiques ; il a déclaré comme non avenu pour excès de pouvoir un jugement du tribunal de simple police de Wintzenheim qui avait condamné à l’emprisonnement le sieur Levi, servant de la synagogue établie dans cette commune, pour avoir adressé publiquement, dans la même synagogue, des paroles injurieuses à un israélite.

78. Par arrêt du 5 janvier 1827, la Cour de Metz a décidé que les faits imputés aux ministres du culte israélite dans l’exercice de leurs fonctions devaient être d’abord soumis à l’examen du Conseil d’État, et que les tribunaux ne pouvaient en être saisis que par une décision de ce Conseil.

79. L’ordonnance du 25 mai 1844, qui a réglé l’organisation du culte israélite, est venue combler la lacune de la législation à son égard. Elle porte, art. 55 : « Toutes entreprises des ministres du culte israélite, toutes discussions qui pourront s’élever entre ses ministres, toute atteinte à l’exercice du culte et à la liberté garantie à ses ministres, nous seront déférées en notre Conseil d’État pour être par nous statué ce qu’il appartiendra. »

Il est à regretter qu’on ait reproduit presque textuellement dans cette ordonnance la rédaction si défectueuse de l’art. 6 de l’an X ; qu’on l’ait seulement modifiée pour remplacer le mot dissension par le mot discussion, plus vague encore que le premier.

80. La dame Wolf s’est pourvue par voie d’appel comme d’abus contre un rabbin qui avait refusé de prêter son ministère pour recevoir le serment de cette dame more judaico. Mais le Conseil d’État, considérant que ce refus ne constitue aucun des cas d’abus prévus par la loi, a rejeté le recours. (O. 27 août 1845.)

81. Du reste, il y a eu fort peu de recours pour abus, formés soit par les ministres des cultes protestant et israélite, soit contre ces ministres.

N. de Berty.
bibliographie. (Voy. le mot Culte.)

  1. Il convient de rappeler que l’article 291 du Code pénal est quelque peu limitatif de la liberté religieuse.
  2. Il nous semble que le droit commun protége tous les citoyens, prêtres et autres, contre d’injustes attaques.

    La législation française répugne trop aux lois d’exception pour les admettre sans une bien évidente nécessité. Devait-elle prévoir le cas où « le premier venu » par simple « caprice » ferait traîner un prêtre, pasteur ou rabbin « sur les bancs de la police correctionnelle » ? Est-ce qu’il n’y a pas des lois contre l’injure, la diffamation, la calomnie, etc. ?

    Plus d’un pense que l’appel comme d’abus n’a aucun rapport avec les crimes et délits de droit commun ; cette procédure aurait été instituée pour protéger surtout les laïques contre certains abus ecclésiastiques qui ne comportent aucun recours aux tribunaux. La meilleure preuve en faveur de cette manière de voir est que, contre ces abus, le Gouvernement n’a d’autre moyen d’action que de prononcer un blâme. M. B.

  3. Nous ne sommes pas sur ce point tout à fait de l’avis de l’auteur.
  4. Plusieurs auteurs citent un décret du 20 février 1809 comme ayant statué sur un appel comme d’abus contre l’évêque de Bayonne. Voici le texte de ce décret : « Vu l’imprimé ayant pour titre Mandement de l’évêque de Bayonne sur l’abstinence du carême ; Vu les art. 15 et suivants du décret du 11 juin 1806 sur la haute police administrative ; notre Conseil d’État entendu ;

    « La commission par nous nommée le 17 de ce mois est chargée d’examiner la conduite de l’évêque de Bayonne et de ses vicaires généraux, et de procéder à leur égard conformément aux dispositions de notre décret du 11 juin 1806 sur la haute police administrative. »