Dictionnaire de l’administration française/ASSOCIATION

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ASSOCIATION. 1. L’association joue une rôle important dans la société et dans l’État ; elle est un puissant moyen d’action, très-utile lorsqu’il est employé pour faire le bien, mais aussi très-dangereux s’il sert à l’accomplissement du mal, ou tout au moins à la réalisation d’un but contestable. On ne s’étonnera donc pas si l’association a été parfois un objet de préoccupation pour les gouvernements, dont la plupart ont cru devoir la réglementer. En France, la législation sur les associations a subi d’importantes variations ; mais actuellement elle est déterminée par les prescriptions contenues dans les art. 291, 292, 293 et 294 du Code pénal, les art. 1, 2 et 3 de la loi du 10 avril 1834, confirmés par le décret du 25 mars 1852 et par l’art. 13 du décret du 28 juillet 1848.

sommaire.

chap. i. l’association et la réunion, 2 à 6.
chap.ii. diverses sortes d’associations, 7, 8.
CSect. 1. Associations politiques, 9 à 17.
CSect. 2. Associations non politiques, 18 à 20.
Administration comparée.


CHAP. I. — L’ASSOCIATION ET LA RÉUNION.

2. La législation a pendant longtemps confondu l’association avec la simple réunion (meeting). Cette confusion a eu pour effet d’appliquer les mêmes dispositions légales à des faits de nature différente.

3. L’association a pour objet de parvenir, à l’aide d’une action commune continuée pendant un certain temps, à la réalisation d’une affaire ou d’une idée. Elle suppose une organisation, elle crée un intérêt collectif spécial aux associés, enfin, si elle ne crée pas toujours une personne légale, elle constitue un être moral.

4. La réunion, au contraire, n’est qu’une entente temporaire et accidentelle provoquée par les intéressés ou par de simples amateurs pour débattre une ou plusieurs questions spécifiées à l’avance. Une fois la séance close, les personnes réunies se séparent et ne conservent plus entre elles aucun lien.

5. Le Code pénal de 1810, dans ses art. 291 à 294, ne s’applique au fond qu’aux associations, puisque il y est dit : « nulle association de plus de vingt personnes, dont le but sera de se réunir tous les jours ou à de certains jours…[1] » Mais la jurisprudence a dès l’abord appliqué cette interdiction à toute réunion. Cela vient peut-être de l’esprit du gouvernement à certaines époques, mais certainement aussi de ce que le meeting, c’est-à-dire la simple réunion, n’était pas dans les mœurs françaises. Sous le régime de 1810, aucune réunion, quelle qu’elle fût, ne pouvait avoir lieu sans autorisation préalable.

6. La loi du 6 juin 1868, qui distingue pour la première fois les associations des réunions, a substitué au système préventif de l’autorisation préalable le système de surveillance et de la répression pour toutes les réunions publiques qui ne sont ni religieuses ni politiques. Les réunions politiques électorales sont aussi soumises, sous certaines conditions, au nouveau régime de la loi de 1868. (Voy. Élection, Réunion.) Toutefois, si les réunions permises ont plus de vingt personnes et si elles ont un caractère de permanence et de périodicité, elles rentrent dans l’application des articles 291 et suivants du Code pénal relatifs aux associations. (Voy. n° 14.)

CHAP. II. — DIVERSES SORTES D’ASSOCIATIONS.

7. L’association est susceptible de prendre pour but tout ce qui est du domaine de l’activité humaine et qui n’est pas contraire aux lois. Un grand nombre d’associations sont d’un usage assez général pour être régies par des règles fixes et particulières à chacune d’elles, règles empruntées au Code civil, au Code de commerce, à des lois spéciales ou même à de simples usages ou tolérances administratives. (Voy. Assurances, Commandite, Sociétés anonymes, Sociétés de secours mutuels, Clubs, Tontines, Coalition, Congrégation et Chambres syndicales.)

8. Il n’a a donc lieu de traiter ici que des dispositions générales établies par la loi pour les associations qu’elle n’a pas dénommées et qu’elle n’a pas assujetties à des dispositions propres.

Sect. 1. — Associations politiques.

9. Nulle association composée de plus de vingt membres ne peut être formée sans l’autorisation du Gouvernement ; l’autorisation est délivrée à Paris par le préfet de police et dans les départements par les préfets ; l’autorisation accordée demeure toujours révocable.

10. Le nombre de vingt membres fixé comme limite au-dessus de laquelle l’autorisation devient nécessaire à une association, est supputé en faisant masse de toutes les personnes qui font partie de l’association, alors même qu’elle serait divisée en sections composées chacune d’un nombre moindre. Toutefois, les personnes domiciliées dans la maison où l’association se réunit ne sont pas comprises dans la supputation du nombre des membres.

11. L’autorisation accordée à une association n’emporte pas pour elle sans réserve la faculté de se réunir. La réunion d’une société autorisée est en effet susceptible, suivant les circonstances de temps et de lieu, d’entraîner des inconvénients. En conséquence, l’autorité municipale est investie du droit d’interdire la réunion des associations. Il n’y a pas besoin de démontrer que les maires sont tenus d’user de ce droit avec une extrême réserve et qu’ils ne sauraient mettre obstacle aux réunions sans de justes considérations d’ordre et d’intérêt publics. Leurs pouvoirs dans la matière résultent de la défense faite à qui que ce soit de consentir, sans la permission de l’autorité municipale, l’usage de sa maison ou de son appartement, en tout ou partie, pour la réunion des membres d’une association même autorisée, sous peine de 16 à 200 fr. d’amende.

12. Si par des discours, exhortations, invocations ou prières, en quelque langue que ce soit, ou par lecture, affiche, publication ou distribution d’écrit quelconque, il est fait, dans une association, quelque provocation à des crimes ou à des délits, les chefs, directeurs et administrateurs de l’association ainsi que les individus personnellement coupables de la provocation (sans préjudice pour ces derniers de peines plus fortes s’il y a lieu) sont punis d’une amende de 100 à 300 fr. et d’un emprisonnement de 3 mois à 2 ans.

13. Toute association autorisée qui contrevient aux conditions que le Gouvernement lui a imposées, doit être dissoute. Les chefs, directeurs ou administrateurs de l’association sont en outre punis d’une amende de 16 à 200 fr.

14. Quiconque fait partie d’une association non autorisée est puni d’une amende de 50 à 100 fr. et d’un emprisonnement de 2 mois à un an.

Toutefois le juge, par application de l’art. 463 du Code pénal, a la faculté de réduire l’emprisonnement à moins de 6 jours et l’amende à moins de 16 fr., ainsi que de prononcer seulement l’une des deux peines.

Les peines peuvent être doublées en cas de récidive, et les tribunaux sont en outre autorisés à placer le condamné sous la surveillance de la haute police pendant un temps dont le maximum est fixé au double du maximum de l’emprisonnement prononcé.

15. La participation à une société secrète est punie plus sévèrement encore. Ceux qui sont convaincus d’avoir fait partie d’une société secrète doivent être punis d’une amende de 100 à 400 fr., d’un emprisonnement de 6 mois à 2 ans et de la privation des droits politiques de 1 à 5 ans. Les chefs ou fondateurs des sociétés secrètes peuvent être condamnés à une peine double. Ces peines sont prononcées sans préjudice de celles qui pourraient être encourues tant par les chefs que par les membres des sociétés pour crimes ou délits prévus par les lois, tels qu’attentats contre le Gouvernement. (Voy. Complot.)

16. La loi considère comme complices des associations non autorisées et punit comme tels ceux qui prêtent ou louent sciemment leurs maisons ou appartements pour une ou plusieurs réunions de ces associations.

17. Une loi du 14 mars 1872 a organisé tout un système de répression contre une association spéciale : l’Association internationale des travailleurs. (Voy. Internationale.)

Sect. 2. — Associations non politiques.

18. Ces associations, excessivement nombreuses, se divisent en deux grandes classes : celles qui sont régies par des lois spéciales et celles qui tombent sous l’application des dispositions pénales de droit commun.

19. Les associations régies par des lois spéciales sont les sociétés civiles et commerciales. Les premières sont soumises aux dispositions du titre ix du livre III du Code civil, les secondes à celles du Code de commerce (Liv. I, titre iii, art. 18 et suiv.), à la loi du 24 juillet 1867, en tenant compte du règlement d’administration publique du 22 janvier 1868 pour les sociétés d’assurances. (Voy. Assurances.) Pour être régulièrement constituées, ces sociétés n’ont besoin d’aucune autorisation particulière, elles n’ont qu’à se conformer aux lois spéciales qui leur sont applicables. Toutes les autres associations, quel que soit leur objet, ont besoin d’obtenir une autorisation préalable.

20. Certaines associations, connues sous le nom de chambres syndicales, bénéficient d’une situation exceptionnelle. Formellement interdites par la loi des 14-17 juin 1791 qui n’a jamais été rapportée, les chambres syndicales ne sauraient dès lors être autorisées en vertu de l’article 291 du Code pénal. Toutefois, à raison de l’utilité qu’elles présentent, le Gouvernement ferme les yeux sur leur existence extra-légale. Les chambres syndicales, simplement tolérées, pourraient être dissoutes sur un simple ordre administratif. (Voy. Chambres syndicales.)

Vannacque.
administration comparée.

Dans presque tous les pays on distingue entre les associations politiques, d’une part, et les sociétés de bienfaisance, les sociétés commerciales, les sociétés savantes (ou poursuivant un but scientifique), en un mot les sociétés non politiques, de l’autre. Des articles spéciaux étant consacrés à chaque catégorie de société, nous ne parlerons ici que des associations politiques, en renvoyant, pour les meeting et les autres assemblées accidentelles, au mot Réunion.

La Grande-Bretagne a une législation assez sévère sur les sociétés politiques, jadis elle a été draconienne, mais les dispositions les plus dures ont été abrogées. Seulement, les lois 37 Georges III c. 123 et 39 Georges III c. 79 semblent principalement dirigées contre des sociétés secrètes ou, comme on dit plus souvent, « sociétés illégales ». C’est que le secret n’est qu’une des circonstances qui rendent les sociétés illégales ; les autres sont : les engagements par serment, les mots d’ordre, la division en branches, c’est-à-dire l’affiliation, et enfin leur but, ou leur objet. La loi 57 Georges III c. 19 interdit la réunion de délégués de diverses associations, mais ces dispositions semblent tombées en désuétude, en ce sens qu’en 1846 la loi 9 et 10 Vict. c. 33 a ôté aux simples particuliers le droit de poursuivre les infractions, réservant ce droit aux conseils de la couronne fonctionnant comme ministère public, de sorte qu’il dépend de l’appréciation du ministre s’il y a lieu ou non de poursuivre, et le gouvernement ne fait qu’un usage restreint des armes légales.

Une société politique non secrète, qui n’impose aucun serment et n’est affiliée à aucune autre société, est permise ; elle n’a pas besoin d’autorisation.

La constitution prussienne de 1850 (31 janvier) reconnaît, art. 19, le droit de réunion (Voy. Réunion) et, art. 30, le droit d’association. Cet article 30 est ainsi conçu : « Tous Prussiens ont le droit de se réunir en association pour tout objet qui n’est pas contraire aux lois pénale. — La loi règle, dans l’intérêt de la sécurité publique, l’exercice des droits garantis par les articles 29 et 30. — Des associations politiques peuvent être soumises législativement à des restrictions ou à des interdictions temporaires. — Ces quatre dispositions de la constitution sur le droit de réunion et d’association ne s’appliquent que d’une manière restreinte à l’armée : il y est pourvu par les articles 38 et 39 de la constitution. »

L’expression association politique n’a pas été complétement définie ; il a été dit seulement que les assemblées électorales n’y sont pas comprises, mais bien les sociétés qui discutent les mesures du gouvernement (Voy. Rapports parlementaires) ou qui veulent exercer une influence sur les affaires publiques. (L. 11 mars 1850, art. 2.)

La loi, prévue dans la constitution, est du 11 mars 1850. Elle réglemente à la fois les réunions et les associations ; nous ne reproduirons ici que les dispositions relatives à ces dernières. L’article 2 dispose : les bureaux (Vorstand) des associations qui se proposent d’exercer une influence sur les affaires publiques sont tenus de communiquer, dans les trois jours, à l’autorité chargée de la police locale, les statuts de la société et la liste des membres, ou tout changement dans les statuts ou dans la composition de la société, et de lui donner toute explication qu’elle pourrait demander. L’autorité accusera réception de ces pièces. Les dispositions de cet article ne s’appliquent pas aux associations religieuses reconnues (en allemand : qui jouissent des droits des corporations).

L’article 3 dispense les associations qui se réunissent à jour fixe et dans un local déterminé par les statuts, de faire la déclaration ci-dessus pourvu que la déclaration ait été faite 24 heures avant la première réunion. Les infractions aux articles 2 et 3 sont punies (art. 13) de 15 à 75 marcs (le marc = 1 fr. 25 c.) d’amende et, selon le cas, de 1 à 6 semaines de prison.

Les associations, dit l’art. 8, qui se proposent de discuter des questions politiques, doivent en outre se soumettre aux deux dispositions qui suivent :

a. Ne pas admettre, comme membres, des femmes, des élèves ou des apprentis ;

b. Ne pas entrer en relation avec d’autres associations analogues, ni par des comités ou commission, ni par un organe central ou autrement, ni par correspondance.

En cas d’infraction à ces prescriptions, l’autorité locale chargée de la police peut interdire les réunions jusqu’après la décision judiciaire (art. 16). Les femmes, les élèves et les apprentis ne peuvent (non plus) assister aux réunions ou séances (même comme simples auditeurs) ; si ces personnes ne sont pas éloignées sur la demande de l’autorité, l’assemblée peut être dissoute. L’article 16 impose à l’autorité locale le devoir de dénoncer la société, dans les 48 heures, au procureur de l’État (du roi) qui poursuivra dans les 8 jours s’il y a lieu. Les peines à prononcer par le tribunal sont de 15 à 150 marcs ou de 8 jours à 3 mois de prison, selon le cas.

La plupart des dispositions relatives aux réunions (la présence d’un agent de l’autorité, etc.) s’appliquent aussi aux séances des associations. (Voy. Réunion.)

La loi organique de l’industrie de l’empire allemand (L. 21 juin 1869) renferme aussi (art. 81 à 102), des dispositions destinées à favoriser les associations entre industriels (patrons et ouvriers de la même industrie). Ces associations peuvent nommer un comité qui parle en leur nom collectif, elles peuvent aussi établir des institutions de secours mutuels et autres. Ce sont des corporations d’arts et métiers (Innungen) ouvertes à tous ceux qui veulent y entrer ou qui désirent en sortir. L’exercice de l’industrie est toujours libre, ne pouvant jamais dépendre de la qualité de membre de l’association.

Nous traitons ailleurs des sociétés commerciales ; quant aux société scientifiques, elles sont complétement libres.

Dans la législation autrichienne nous trouvons deux lois de la même date (15 novembre 1867) sur les associations (n° 134) et sur les réunions (n° 135). La loi sur les associations est très-développée, nous ne pouvons en indiquer que les dispositions saillantes.

Le bureau (comité directeur composé d’au moins 5 personnes) doit faire une déclaration ; l’autorisation est de droit, sauf dans le cas où l’objet de l’association est contraire aux lois, alors les réunions peuvent être interdites par une décision motivée. La déclaration doit être accompagnée des status (5 ex.) et, si l’association est politique, d’une liste des membres. Les sociétés non politiques peuvent avoir des branches ou sociétés affiliées. Les sociétés politiques (art. 30) ne peuvent admettre ni femmes, ni mineurs, ni étrangers ; l’affiliation leur est interdite (art. 33) ; les membres ne peuvent pas porter d’emblème (art. 34). C’est l’administration qui apprécie si une association est ou non politique (art. 35). Toute association (politique ou non) peut être dissoute si elle transgresse une loi (art. 20 et 24). L’autorité a le droit de faire assister un agent à toutes les séances ; cet agent peu demander des explications, dresser procès-verbal, etc. (art. 18).

La loi italienne du 20 mars 1865 ne parle que des réunions (art. 26) (Voy. ce mot.)

La loi suisse du 31 mars 1847 sur les sociétés d’utilité publique ne s’applique qu’à des fondations, sociétés d’assurances, etc. Les sociétés savantes ou de bienfaisance n’ont besoin d’aucune autorisation ni déclaration, sauf si elles désirent jouir des droits d’une personne civile. Cette qualité ne peut être conférée, dans le canton de Berne, que par le grand conseil.

Maurice Block.

  1. Voy. par exemple le discours de M. Martin (du Nord), à l’occasion des débats sur la loi du 10 avril 1834.