Dictionnaire de l’administration française/AVEUGLE

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AVEUGLE. 1. Il existe sous le titre d’Institutions des jeunes aveugles et d’hospice des Quinze-Vingts, deux établissements distincts destinés à venir en aide à ceux qui sont privés de la vue : le premier, dans leur enfance et leur jeunesse, comme maison d’éducation ; le second, dans leur âge mûr et leur vieillesse, comme maison de secours et de refuge. En dehors de ces grands établissements appartenant à l’État, certains hospices communaux reçoivent des aveugles, mais plutôt à titre de vieillards que d’infirmes.

1o Institution des jeunes aveugles.

2. Le premier établissement consacré aux enfants aveugles-nés remonte à 1778 ; il est dû à la courageuse initiative de Valentin Haüy, professeur d’écriture à Paris, qui inventa une méthode d’enseignement et en fit l’essai sur un mendiant se tenant d’ordinaire à la porte de l’église de Saint-Germain-des-Prés. Le succès de cette expérience valut à Haüy des secours et des encouragements de toutes parts : la Société philanthropique l’installa avec douze élèves dans une maison de la rue Notre-Dame-des-Victoires ; l’Académie des sciences approuva sa méthode particulière d’enseignement ; Louis XVI décida que l’école naissante serait entretenue aux frais de l’État, et l’Assemblée nationale s’associa à cette généreuse pensée par un décret du 21 juillet 1791. Une loi du 10 thermidor an III sépara les aveugles-travailleurs des sourds-muets, et fonda, pour les premiers, 86 bourses, une par département. Réunis aux Quinze-Vingts le 4 nivôse an X, séparés de ce dernier établissement et placés dans les bâtiments de l’ancien séminaire de Saint-Firmin, rue Saint-Victor, au commencement de 1816, les jeunes aveugles ont été définitivement transférés, en 1843, dans un vaste local construit exprès pour eux à Paris, sur le boulevard des Invalides, no 56.

Le gouvernement consulaire fit à Valentin Haüy une pension de 2,000 fr.

3. La base de la méthode d’enseignement appliquée aux enfants aveugles consiste à remplacer la vue par le toucher ; dans ce système, par exemple, l’élève apprend à lire avec ses doigts, qu’il promène sur des caractères faisant saillie.

4. L’éducation donnée à l’institution nationale des jeunes aveugles comprend l’enseignement scientifique et littéraire, l’enseignement musical, l’enseignement professionnel.

5. La musique a été jusqu’ici, pour les élèves sortant de cet établissement, la ressource la plus importante et la plus sûre ; l’institution a fourni à nos églises un nombre considérable d’organistes. Le Gouvernement fait de grands efforts pour développer l’enseignement professionnel, et de remarquables résultats ont déjà été obtenus, malgré les difficultés qu’oppose à tout progrès dans cette voie l’infirmité même dont les malheureux élèves sont atteints.

6. L’organisation actuelle de l’établissement résulte d’un règlement d’administration du 27 août 1853.

La durée de l’enseignement est de 8 années ; le prix de la pension est de 1,000 fr. par an ; il peut être réduit à 800 fr. par décision ministérielle.

Les départements, les communes, les établissements charitables ont fondé, moyennant 600 fr. par élève, un certain nombre de bourses (la demi-bourse est de 320 fr.) ; les fondations faites par des particuliers sont au prix de 800 fr. par année.

Le chiffre des bourses au compte de l’État a été fixé à 120 ; elles doivent être divisées, autant que possible, en demi-bourses et 3/4 de bourse dans la proportion de deux tiers pour les garçons et d’un tiers pour les filles.

7. Les demandes en admission gratuite sont adressées au ministre de l’intérieur et doivent être accompagnées : 1o de l’extrait de naissance de l’élève proposé, qui ne doit avoir ni moins de 9 ans, ni plus de 13 ; 2o d’un certificat d’un médecin ou d’un chirurgien, dûment légalisé, constatant que l’enfant est frappé de cécité totale, qu’il n’a point de scrofules ni de maladie contagieuse ni aucune infirmité pouvant le rendre inhabile aux travaux dont les aveugles sont capables, qu’il jouit de ses facultés intellectuelles ; 3o d’un certificat de vaccine ou de petite vérole ; 4o enfin, d’un certificat de bonne conduite et d’indigence, délivré par le maire ou le curé de la paroisse qu’habitent les parents.

Les élèves qui viennent compléter leur éducation à l’école, en payant 50 fr. par an (Circ. Int. 28 août 1869) ne sont pas soumis à la limite d’âge.

8. Le nombre total des élèves varie de 175 à 180.

9. La subvention de l’État est de 110,000 fr. par an.

10. La maison est gouvernée par un directeur et une commission consultative, composée de 4 membres nommés par le ministre.

2o Hospice des Quinze-Vingts.

11. Il a été fondé en 1260, par saint Louis, pour donner asile, selon une tradition légendaire[1], à trois cents (quinze-vingts) chevaliers qui l’avaient suivi dans sa première croisade et auxquels les Sarrasins avaient crevé les yeux. En réalité, on peut poursuivre les traces de cet établissement jusqu’au xie siècle au moins.

L’administration en fut confiée, dès 1270, au grand-aumônier du roi, avec droit absolu de nommer aux places vacantes.

12. Saint Louis avait doté l’établissement d’une rente de 30 livres parisis sur son trésor particulier ; cet exemple du roi fut imité dans la suite par les sujets, et grâce aux importantes donations de ses nombreux bienfaiteurs, ainsi qu’aux produits des quêtes que l’œuvre fut autorisée à faire, tantôt à la porte, tantôt à l’intérieur des églises, l’hospice des Quinze-Vingts put se suffire, sans avoir jamais besoin de demander à l’État des secours pécuniaires.

Sous l’administration du cardinal de Rohan, la maison se trouva même assez riche pour prêter au gouvernement de Louis XVI une somme de cinq millions, prix d’immeubles à elle appartenant et qu’elle avait aliénés.

13. À la même époque, c’est-à-dire en 1779, l’hospice des Quinze-Vingts fut transféré dans l’hôtel des Mousquetaires noirs, rue de Charenton, no 28, où il se trouve encore aujourd’hui.

Un décret de 1790 a décidé qu’il serait désormais entretenu aux frais de l’État ; un autre décret de l’année suivante en a remis l’administration à l’autorité séculière.

Replacé, pendant la Restauration, sous la direction du grand-aumônier, il est rentré après 1830 dans les attributions du ministre de l’intérieur. Il est porté au budget pour quelques centaines de mille francs.

14. Aujourd’hui, outre les 300 aveugles internes qu’il doit entretenir à perpétuité, selon le vœu du fondateur, l’hospice trouve encore le moyen de secourir mille aveugles externes, dont 150 reçoivent une pension de 200 fr., 350 une de 150 fr. et 500 une de 100 fr.

Les 300 internes doivent être pris parmi les aveugles précédemment admis à l’externat. L’hospice donne à chacun d’eux un logement pour lui et pour sa famille ; plus une pension alimentaire et personnelle de 1 fr. 30 c. par jour ; à cette rétribution vient s’ajouter un supplément de secours si l’aveugle est marié ou s’il a des enfants au-dessous de 14 ans.

Ces derniers sont mis en apprentissage aux frais de l’établissement.

15. Les aveugles admissibles à l’internat, qui préfèrent rester au dehors, touchent une pension de 250 fr.

Pour être admis comme membre externe ou interne, il faut être dans un état de cécité complète et d’indigence constatée. Les choix sont faits parmi les aveugles dispersés sur toute l’étendue de la France.

16. Un règlement du 6 septembre 1522 avait attribué à l’hospice des Quinze-Vingts, et ce à l’exclusion des héritiers naturels, la succession des aveugles décédés dans cet établissement. À leur entrée dans la maison, les aveugles prêtaient serment d’abandonner à l’hospice, pour en jouir après leur mort, tous leurs biens meubles et immeubles, de quelque nature qu’ils fussent.

Un arrêt de la Cour de cassation, du 29 juin 1836, a décidé que le règlement de 1522 était contraire aux dispositions du Code civil et qu’il avait cessé d’être en vigueur.

bibliographie.

Précis historique de l’institution des enfants aveugles, par Haüy. 1786. In-4o.

Rapport au ministre de l’intérieur sur l’état de l’institution des jeunes aveugles pendant les années 1816 et 1817, par Guillée. Paris, 1818. In-8o.

Mémoire de l’administration des Quinze-Vingts. In-4o. Paris, impr. de Dondey-Dupré père. 1830.

Les Quinze-Vingts. Notice historique et statistique, par M. Isidore Bourdon. In-8o. Paris, Guillaumin. 1848.

Les établissements généraux de bienfaisance, etc. Monographies présentées à S. M. par S. E. M. le marquis de la Valette, ministre de l’intérieur. Paris, impr. impér. 1867. In-folio.

  1. On trouvera dans : les Établissements généraux de bienfaisance, publié par le ministre de l’intérieur en 1867, p. 3, la preuve que cette tradition n’est qu’une légende.