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Dictionnaire de théologie catholique/ABSTRACTION suivant la doctrine scolastique

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A. Chollet
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 154-155).

ABSTRACTION, suivant la doctrine scolastique.I. Ce qu’elle est. II. Ce qu’elle n’est pas. III. Ses espèces.

I. Ce qu’elle est. — 1° Étymologiquement et en général, l’abstraction (de abstrahere, tirer de) est l’action de séparer une chose d’une autre pour la retenir en dehors de cette dernière. On rencontre l’abstraction à tous les degrés de l’activité naturelle. Elle se trouve dans l’exercice des affinités électives des corps chimiques. La plante abstrait par la sélection des éléments nutritifs du sol. Les facultés sensitives, que Laromiguière appelait « des machines à abstraction », ne perçoivent leur objet qu’en vertu d’une abstraction : l’œil ne saisit que les couleurs indépendamment des autres qualités des corps : l’oreille ne perçoit que le son et ignore les couleurs et les odeurs, etc. L’intelligence abstrait quand elle considère une qualité, par exemple l’humanité, sans s’occuper du sujet qui la possède (abstraction formelle), ou encore quand elle perçoit une notion universelle, par exemple l’homme, en dehors et au-dessus des individus où elle peut être réalisée (abstraction totale). Cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. xl, a. 3. — On appelle abstraction réelle celle qui est faite par les corps chimiques ou par les plantes, parce qu’elle modifie les réalités et y opère des dissociations et des analyses réelles ; l’abstraction des sens ou de l’intelligence est intentionnelle, parce qu’elle réside tout entière dans un procédé de connaissance dont elle ne change pas physiquement l’objet.

En particulier, l’abstraction est prise seulement dans le dernier sens et pour une opération exclusivement intellectuelle.

1. Parfois elle s’exerce sur les concepts déjà formés, les décompose en leurs éléments constitutifs et produit des jugements analytiques. Par exemple, j’analyse mon concept d’animal, j’y trouve l’idée d’être, de substance, de vie, de sensation, etc., et j’affirme que l’animal est un être, une substance, un vivant, etc. Cette opération (abstraction précisive) est plutôt une analyse qu’une abstraction proprement dite. — 2. Celle-ci, au contraire (abstraction universelle), est, avant tout, l’opération originelle qui s’exerce sur des images sensibles, en dégage l’élément intelligible qu’elle isole des conditions matérielles et individuantes, et aboutit au concept universel. Une telle abstraction est nécessaire ; car les objets représentés dans l’imagination ne sont pas intelligibles en acte, étant enfermés dans des images ou espèces matérielles et organiques ; et cependant l’intelligence perçoit ces objets. Il faut donc, après qu’ils ont été saisis par l’imagination et avant qu’ils le soient par l’intelligence, une élaboration qui, portant sur les images sensibles, en rende le contenu actuellement intelligible. Cette élaboration est l’abstraction. Elle a pour mission immédiate de proportionner les objets à la faculté intellectuelle, et pour cela de les rendre immatériels, comme celle-ci est immatérielle, en les dégageant des conditions physiques et matérielles. Elle a pour résultat de généraliser les objets. En effet, ceux-ci, étant isolés des conditions matérielles qui les individualisaient, deviennent, par le fait même, des objets universels. — La faculté de l’abstraction est l’intellect agent que saint Thomas, Sum. theol., Ia, q. lxxxv, a. 1 ; Compendium theologiæ, c. lxxxiii, situe entre les sens internes et l’intellect possible.

II. Ce qu’elle n’est pas. La dissociation. — On a cherché à renfermer l’abstraction dans l’ordre purement matériel et à en faire une sorte de dissociation des éléments de la perception sensible.

1° D’après Locke, Essai sur l’entendement humain, l. II, c. xi, § 9 ; l. III, c. iii, § 6-9, Paris, 1839, l’abstraction serait le résultat de la comparaison de plusieurs objets chez lesquels apparaîtraient des qualités semblables. Elle consisterait à retenir ces qualités, à les réunir sur une seule idée et à donner un nom à cette idée.

2° D’après Huxley, Hume, sa vie, sa philosophie, p. 129, traduct. Compayré, Paris, 1880, et la psychologie de l’association, l’abstraction ne serait autre que la fusion des images semblables. Des impressions sensibles identiques, des images semblables se succèdent dans la perception, se superposent dans la faculté et dans son organe ; les traits communs s’accentuent, les autres s’effacent, il se produit alors une image générique qui représente toute une catégorie d’objets à la façon dont le « portrait composite » reproduit le type d’une famille ou d’une classe d’individus. Voir dans la Revue scientifique, juillet 1878, septembre 1879, les articles de M. Galton sur les Images génériques.

3° D’après Hamilton et Stuart Mill (Stuart Mill, Système de logique, t. i, c. vii ; t. ii, c. ii, trad. Peisse, Paris, 1880 ; Philosophie de Hamilton, c. xvii, trad. Cazelles, Paris, 1869), les idées abstraites s’obtiennent par le moyen de l’attention privilégiée. Étant donné plusieurs images entre lesquelles existent des ressemblances et des dissemblances, l’esprit porte une attention spéciale sur les ressemblances, fait abstraction, c’est-à-dire ne s’occupe pas des dissemblances : cette attention et cette abstraction, que Stuart Mill appelle « les deux pôles du même acte de la pensée », ont pour résultat une image générique.

4° D’après M. Paulhan (voir dans la Revue philosophique de 1889 ses quatre articles sur l’Abstraction et les idées abstraites), la vie de l’esprit est un travail continu d’analyse et de synthèse. Les éléments psychiques groupés d’une façon vague et confuse dans les conceptions primitives, se séparent et vont faire partie de nouveaux composés. D’abord, ils entraînent avec eux dans le nouveau composé quelques éléments du premier système où ils étaient contenus, c’est la métaphore, etc. ; puis ils se dégagent entièrement et finissent par reproduire des représentations et des tendances générales : c’est l’abstraction pure.

5° Ces différentes formes de dissociation ou de désintégration habituellement suivie d’une association et d’une intégration nouvelle ne peuvent être confondues avec la véritable abstraction, telle que l’entendent les scolastiques après saint Thomas. L’abstraction s’opère tout entière en dehors et au-dessus des images sensibles auxquelles elle ne fait subir aucune modification ; la dissociation est un mode et un état particulier des images sensibles. — L’abstraction crée l’idée avec ses trois caractères d’immatérialité, d’universalité, de nécessité ; la dissociation aboutit à des images matérielles, contingentes et aussi concrètes que l’est le portrait composite. — L’abstraction est à l’origine et spontanée ; elle produit d’abord l’universel direct, puis devient réflexe et donne naissance à l’universel logique ; la dissociation est toujours réflexe, puisque c’est un retour d’une faculté sur elle-même, pour soumettre ses perceptions antérieures à une comparaison (Locke), à une addition (Huxley), à une soustraction (Hamilton) ou à une désintégration (Paulhan).

III. Ses espèces. — Nous avons déjà divisé l’abstraction, d’après l’acte qu’elle exerce (abstraction réelle, intentionnelle), d’après le substratum duquel elle tire son objet (abstraction totale, formelle), et enfin d’après le moment où elle se produit (abstraction précisive, logique). Si l’on considère ses degrés, l’abstraction se distingue encore en abstraction physique, abstraction mathématique et abstraction métaphysique. Par la première nous négligeons les caractères individuels pour ne saisir que les qualités qui tombent immédiatement sous les sens et qu’on appelle les sensibles propices, comme la chaleur, le froid, la lumière, les couleurs, le son. Par la seconde, nous laissons de côté ces qualités elles-mêmes pour ne considérer que les propriétés plus intimes (sensibles communs) qui conviennent aussi à tous les corps et à eux seuls, mais ne sont perçues que moyennant les qualités sensibles, comme l’extension, la figure, la quantité, Par la troisième, on néglige toutes les qualités qui tombent sous le sens (sensibles propres ou communs) pour ne considérer que celles qui n’affectent pas les sens (sensibles per accidens) ou même s’étendent aux êtres incorporels, comme la substance, l’accident, la potentialité, la force, etc. La première abstraction fournit l’objet îles sciences physiques, la seconde celui des sciences mathématiques, la dernière celui des sciences métaphysiques.

Kleutgen, Die Philosophie der Vorzeit, n. 67 sq., Inspruck, 1860-1863, traduit par le P. Sierp sous le titre de La philosophie scolastique, Paris, 1868-1870 ; Liberatore, Della conoscenza intellettuale, t. ii, c. v, Rome, 1873, traduit par l’abbé Deshayes, De la connaissance intellectuelle, Paris, 1885 ; T. Pesch, Institutiones logicales, n. 99 sq., Fribourg-en-Brisgau, 1888 ; Fr. Queyrat, L’abstraction et son rôle dans l’éducation intellectuelle, Paris, 1895 ; Th. Ribot, Psychologie de l’attention, Paris, 1896 ; R. P. Peillaube, Théorie des concepts, Ire part., c. ii ; IIe p., c. iv, Paris, s. d.

A. Chollet.