Dictionnaire de théologie catholique/ACTE

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 173-179).

ACTE. Nous consacrerons, aux diverses questions qui doivent être abordées ici, cinq articles d’importance et d’étendue inégales :
1° Acte et puissance ;
2° Acte premier et acte second ;
3° Acte pur ;
4° Acte humain ;
5° Acte élicite et acte impéré.

I. ACTE ET PUISSANCE.
I. Notion.
II. Historique.
III. Application.

I. Notion.

1° La doctrine de puissance et acte est fondamentale dans la théologie scolastique. Elle est empruntée à Aristote dont elle caractérise la philosophie ontologique. Les idées platoniciennes, d’ordre purement formel, n’expliquaient pas le changement essentiel aux choses, Kaufmann, Étude de la cause finale, trad. Deiber, Paris, 1898, p. 24 ; elles étaient d’ailleurs obtenues par une méthode non scientifique, la dialectique. Aristote chercha à enserrer l’être mobile lui-même dans les concepts. Ses catégories tirées par abstraction et analyse des données expérimentales, sont aptes à être reversées sur les choses : premier progrès. Mais, si elles représentent une intellectualité immanente aux choses, elles la représentent encore d’une manière statique. D’où, pour se modeler sur le mouvement de l’univers autant qu’il est possible la nécessité de puissance (δύναμις) et acte (ἐνέργεια) et du passage de l’un à l’autre. La doctrine des causes (voir ce mot) s’enrichit par le fait même de trois causes nouvelles, la fin, la matière et la cause efficiente. Puissance et acte divisent toutes et chacune des catégories.

2° Acte signifie originairement le mouvement d’un être. « Parmi tous les actes le plus connu, le plus apparent est le mouvement, puisqu’il est perçu sensiblement, et c’est pourquoi on lui a donné tout premièrement (primo) le nom d’acte qui a été ensuite adapté à d’autres significations. » S. Thomas, IX Metaphys., lect. iii, § 2 ibi : venit autem. « L’opération est un acte : c’est d’elle que vient le nom d’acte. » Ibid. Par analogie on l’a appliqué à signifier tout état de l’être qui est opposé à l’état potentiel. Un tel état, ἐνέργεια, étant parfait par rapport à l’état opposé a reçu le nom d’ἐντελέχεια. Ces deux termes appliqués à l’être sont synonymes. Farges, Théorie de l’acte et de la puissance, p. 28, note ; Kauffmann, Étude de la cause finale, trad. Deiber, Paris, 1898, p. 32, note. Le mot énergie, selon qu’il s’applique à l’acte second (voir II Acte premier et acte second), c’est-à-dire à l’opération, — ou à l’acte premier, c’est-à-dire à la perfection (entéléchie) qui détermine une pure puissance à être (existence) ou à être ce qu’elle est (forme), se traduira par actio ou par actus dans la langue de saint Thomas. Cf. Revue thomiste, 1re année, n. 6, Gardeil, Note sur l’emploi du mot ἐνέργεια dans Aristote.

II. Historique.

L’influence de la doctrine de puissance et acte ne se fait pas sentir dans la théologie des premiers siècles, plus préoccupée de définir les aspects surnaturels de la divinité que ses aspects philosophiques. Elle est latente cependant sous les concepts de nature, hypostase, personne ; mais elle forme alors plutôt le fond reçu de la pensée philosophique appliquée à la théologie qu’une thèse spéciale. — Saint Augustin n’en offre pas de théorie précise, bien que, dans sa lutte contre les manichéens, il ait approfondi certaines données (mal privation du bien ; matière première pure puissance ; perfection de l’être divin) qui y touchent de très près. — Saint Jean Damascène n’utilise pas ex professo la notion d’acte et puissance. — Boèce l’introduit chez les latins par son commentaire du De interpretatione, P. L., t. lxiv, col. 282 d. Elle y reste sans emploi. Le nom même d’Aristote ne se trouve pas dans Pierre Lombard. Guillaume de Paris (1248) le premier cite la Métaphysique d’Aristote. A. Jourdain, Recherches sur les trad. d’Aristote, Paris, 1843, p. 31. Albert le Grand la commente sur une traduction gréco-latine, ibid., p. 33, et s’en sert dans son commentaire sur les Sentences et sa Somme. Saint Thomas a commenté le neuvième livre des Métaphysiques avec une abondance et une lucidité qui ne laissent rien à désirer. Édit. de Padoue, t. xx.

III. Principales applications théologiques.

Nous ne parlerons que de celles qui ont été faites par saint Thomas d’Aquin.

1o  Existence de Dieu.

Les preuves de l’existence de Dieu sont a posteriori ou par les effets. Les êtres avec lesquels nous sommes en relation immédiate, dûment analysés, nous apparaissent conditionnés au triple point de vue de la production, de l’essence et de la destination. Le fond de cette dépendance est l’état mélangé de puissance et d’acte de ces êtres (troisième preuve de saint Thomas, Ia, q. ii, a. 3). La considération de la potentialité dans l’ordre de production donne lieu aux deux premières preuves qui aboutissent à une première cause efficiente. La potentialité dans l’ordre des essences ou formes donne lieu à la quatrième preuve qui aboutit à une cause exemplaire parfaite. Dans l’ordre de finalité on aboutit à l’acte directeur de l’ordre du monde en vue d’une fin. Un seul principe est appliqué dans toutes ces preuves, à savoir que, à la puissance correspond nécessairement un acte antérieur (actus prior), lequel, s’il est mélangé de puissances (potentia), en exige un autre, jusqu’à ce qu’on arrive à un acte pur.

2o  Nature de Dieu : acte pur.

Au XIIe livre des Métaphysiques (édit. Didot, 1. XI, c. v ; S. Thomas, 1. XII, lect. v), Aristote était parvenu à l’existence de l’acte pur. Il le considère, d’abord, non comme un simple moteur, mais comme une activité essentielle, ἐνεργόυν δὲ τι. Il se demande ensuite comment ce moteur agit toujours si sa substance n’est pas toujours et il conclut à un principe dont la substance est en acte : Τῆς ἡ οὐσία ἐνέργεια. Cf. Gardeil, dans Revue thomiste, t. i, p. 782, sur l’emploi du mot ἐνέργεια. — C’est la conclusion qui ressort aussi des cinq preuves de l’existence de Dieu. Dieu est sans mélange d’aucune potentialité, c’est-à-dire acte pur (voir ce mot). — Saint Thomas se sert de la notion d’acte pur concurremment avec celle d’être premier pour reconnaître la nature de Dieu et des attributs divins. Sa méthode consiste à nier en Dieu toutes les imperfections des créatures, c’est-à-dire tout ce qu’elles ont de potentiel ; à affirmer en lui à l’état éminent (voir ce mot) toutes les perfections, c’est-à-dire ce qu’elles ont d’actualité. Ia, q. xiii, a. 1. Dans la question ii de la Somme théologique, saint Thomas détermine ainsi par la voie de négation :
1o  que Dieu n’est pas un corps (a. 1, 2a ratio) ; —
2o  qu’il n’y a pas en lui composition de forme et de matière (a. 2, 4a ratio ; cf. ad 3um) ; —
3o  que Dieu est son essence (a. 3) ; —
4o  qu’en Dieu l’essence et l’existence sont une même chose (a. 4, 2a ratio) et que son être n’est pas générique ou potentiel, mais l’actualité parfaite, quia est de ratione ejus quod non fiat ci additio (ad 1um) ; —
5o  que Dieu n’est pas dans un genre (a. 5, 1a ratio) ; —
6o  que Dieu n’a pas d’accidents (a. 6, 1a ratio) ; —
7o  que Dieu est absolument simple (a. 7, 4a ratio). Ainsi, toute la nature métaphysique de Dieu peut être reconnue à l’aide d’un seul médium de démonstration : l’acte pur. Et cette notion nous apparaît avec la notion de premier être comme le trait d’union du monde et de Dieu : d’une part, attribut essentiel à Dieu, appelant par conséquent toute l’essence divine à laquelle il est identique ; d’autre part, réalité postulée par la nature du monde que nous connaissons directement, attribut essentiel du monde, autant qu’une cause peut être essentielle à l’organisme dynamique qu’elle produit et met en branle. Cf. Cajetan, In Sum., Ia, q. il, a. 3, § et ut melius intelligatur. La notion d’acte pur s’achève dans la détermination des autres attributs métaphysiques : la perfection divine, q. iv, a. 1, in corp. et ad 3um ; ce qu’il y a de spécial dans sa bonté, q. VI, a. 3, son infinité, q. vii, a. 1, son immutabilité, q. IX, a. 1, 1a ratio, et a. 2, son unité, q. xi, a. 4, son intelligibilité, q. xii, a. i. — La science est attribuée à Dieu en vertu de ce principe que la connaissance est en raison directe de l’immatérialité, q. xiv, a. 1. L’identité de l’intelligence et de la substance divine est établie sur l’impossibilité pour la substance divine de se comporter vis-à-vis de l’acte d’intelligence, comme une puissance vis-à-vis d’un acte, q. xiv, a. 4. — La notion d’acte pur sert à établir la vraie nature — de la connaissance que Dieu a des choses qui ne sont pas lui, q. xiv, a. 6, in corp. et ad 2um ; a. 8, ad 1um et 3um ; — de la puissance divine, q. xxv, a. 1, et, d’une manière générale, elle entre plus ou moins directement dans la détermination du mode selon lequel les attributs moraux comme les attributs métaphysiques conviennent à Dieu.

3o  Nature de Dieu. Trinité.

La notion d’acte sert à établir la notion de procession en Dieu, Ia, q. xxvii, a. 1, in corp. et ad 1um, et de génération, a. 2, in corp. et ad 1um.

4o  Nature des anges.

Les anges sont composés de puissance et d’acte en tant que leur nature n’est pas leur être, q. L, a. 2, ad 3um. N’étant pas acte pur, ils ne sont pas leur action, q. liv, a. 1, 2. Leur puissance intellectuelle diffère de leur essence, a. 3, in corp. et ad 2um. Elle n’est pas toujours en acte vis-à-vis de certains objets, q. lviii, a. 1.

5o  Création.

La matière première veut être créée directement par Dieu à cause de son absolue potentialité, q. xliv, a. 2, ad 2 um. La création requiert absolument Dieu, parce que le néant est comme la limite de la contrariété de la puissance à l’acte, q. xlv, a. 5, ad 3um.

6o  Nature de l’homme.

La subsistance de l’âme humaine se conclut de la puissance qu’elle a de connaître les natures de tous les corps, q. lxxv, a. 1 ; la doctrine du composé humain est un cas particulier de l’application de la doctrine de la puissance à l’acte aux êtres corporels, q. lxxvi, a. 4. Le rapport essentiel de la puissance et de l’acte rend nécessaire l’existence dans l’homme de facultés, q. lxxvii ; cette doctrine domine toute l’étude des facultés, q. lxxix à lxxxix.

Incarnation.

La doctrine de la personne ou de la subsistance conçue comme un acte distinct de la nature dans les créatures, régit l’explication de l’union hypostatique. IIIa, q. ii, a. 3, 6, ad 3um. L’actualité de principe d’action qui convient à la personne rend compte dans une certaine mesure de l’assomption par la personne divine de la nature humaine, q. III, la puissance passive naturelle de la nature humaine n’y est pour rien, q. iv.

Sacrements.

Matière et forme sont une application analogique d’acte et puissance, q. LX, a. 7. —
Caractère sacramentel : Il s’explique par une puissance spirituelle passive ou active vis-à-vis des choses divines. IIIa, q. lxiii. —
Eucharistie : Le changement du pain au corps du Christ expliqué par l’opération de Dieu Acte infini, dont l’action atteint l’être lui-même, q. lxxv, a. 4, in corp. et ad 3um.

IXe Livre des Métaphysiques, commenté par saint Thomas ; du même, In Physicam (IIe IIIe, VIIe, VIIIe livres) ; De anima, IIIe livre ; Summa theologica, loc. cit. On peut consulter avec avantage si l’on connaît bien le système de saint Thomas : Tabula aurea Petri a Bergarno, O. P. in opera omnia D. Thomae Aquin., Parme, Fiaccadori, t. xxv, et Thomae Leortcon, Paderhorn, 1895, aux mots : Actus, Actio ; Cajetan, Commentaire sur le De ente et essentia de saint Thomas ; tous les commentateurs de saint Thomas, locis citatis ; Fouillée, La philosophie de Platon, Paris, 1889 ; Kauffmann, Etude de la cause finale dans Aristote, traduction par le P. Deiber, O. P., Paris, 1898 ; Franz Brentano, Von der mannifachen Bedeulung des Sciendennach Aristoleles, Fribourg-en-Brisgau, 1862 ; Farges, Acte et puissance ; Matière et forme, Paris ; P. de Regnon, S. J., Métaphysique des causes, Paris. 1886 ; Baeümker, Das Problem der Materie in der griechischen Philosophie, Munster, 1890 ; Domet de Vorges, L’acte et la puissance, dans les Annales de phil. chrét., août 1886 ; Boutroux, Grande Encyclopédie, mot : Aristote ; Baudin, L’acte et la puissance dans Aristote, dans la Revue thomiste, 1899.

A. Gardeil.

II. ACTE PREMIER ET ACTE SECOND.

La puissance et l’acte divisent l’être et tous les genres d’être. Le premier genre est la substance. La substance est la toute première perfection de l’être : sub stat. L’acte par lequel la substance est substance s’appellera donc justement acte premier, ou encore acte de l’imparfait (actus imperfecti) pour exprimer qu’il n’est précédé d’aucune réalité achevée, mais seulement d’une pure puissance. La forme substantielle (voir ce mot) est un acte premier. — Toute perfection survenant à l’acte premier, tout accident pourrait être dit acte second. Cependant on réserve cette dénomination à l’action ou opération. La raison en est que l’action d’un être est l’expression dernière de son actualité. Dans l’action, il n’y a plus de potentialité, comme il en reste encore dans la vertu (ultimum potentiæ), qui la précède immédiatement. Les autres accidents suivent à l’essence dont ils sont des compléments ; ils concourent à former la substance individuelle qui est leur suprême aboutissant ; ils se tiennent dans la ligne de l’acte premier. L’action au contraire suit à l’être parfaitement constitué dans l’ordre substantiel ; à l’individu, au suppôt (actiones sunt suppositorum), à la personne. Il est purement acte second comme la matière première est pure puissance. Voir l’article précédent.

A. Gardeil.

III. ACTE PUR.

Dans son acception la plus générale, le mot pur signifie l’état d’une chose qui n’est pas mélangée. L’acte et la puissance divisant l’être adéquatement, Comment. S. Thom. in Metaph., 1. V, lect. ix, édit. Parme, t. xx, p. 400, on entendra en général par acte pur l’être qui n’est pas mélangé de puissance.

1° Sous ce rapport, l’être peut se trouver dans trois états : le premier exclut essentiellement toute potentialité ; les deux autres admettent le mélange de potentialité et d’acte, mais en deux manières :
1. la potentialité n’affecte pas l’essence, laquelle n’a en elle-même que de l’actualité, mais seulement les conditions d’existence et les propriétés conséquentes à l’essence (c’est le second état) ;
2. la potentialité entre à titre de partie essentielle (c’est le troisième état). Ces trois suppositions sont les seules possibles, le mélange de puissance et d’acte ne pouvant affecter directement que le principe essentiel ou les accidents, qui constituent la seule division de l’être antérieure à celle de puissance et d’acte. Si l’on ajoute la conception d’un être qui serait pure puissance comme l’acte pur est pur acte (matière première), on a épuisé toutes les combinaisons possibles. S.Thomas, IV Sent., 1. I, dist. XIX, q. ii, a. 1 ; Resp.ad fr. Joan. Vercell. de 108 art., q. xlvii, Parme, 1864, opusc. 8, p. 157.

2° En concrétisant, nous trouvons le premier de ces états représenté par Dieu, acte pur, dont la nature exclut tout mélange de potentialité (voir I Acte et puissance, col. 335) : puissance à exister, puissance à l’être spécifique, puissance même à opérer, car la toute-puissance divine est toute acte. Contra gent., . II, c. vii. —
Le second état est représenté chez les philosophes anciens (Platon, Aristote, Avicenne), par les substances séparées, les pures intelligences, les âmes des cieux, les δαιμόνια ; dans la doctrine catholique, par les anges. A ces êtres convient la dénomination de purs esprits, mais non pas d’acte pur.
a) Ils sont purs esprits en ce que leur essence, spécifiquement intellectuelle, n’admet pas de composition de forme ou de matière, d’âme et de corps, comme l’essence humaine. Ils n’ont donc intrinsèquement aucune tendance à la corruption, ni conséquemment à la génération d’autres êtres par la décomposition de leurs principes essentiels. Avicebron a soutenu le contraire : Avencebrolis seu Ibn Gebirol Fonsvitae, édit. Baeumker, Munster, 1895, p. 212, 220, 265, 268, 279, 288. Il a été réfuté ex professo par saint Thomas, De subst. separ., c. v, vi, vii, viii, Parme, 1801, opusc. 14, p. 187.
b) Ils ne sont pas actes purs à un double titre : α. Leur essence diffère de leur existence : ils ne sont pas donné l’être bien qu’ils soient aptes à le conserver indéliniment après l’avoir reçu, étant incorruptibles et pures formes subsistantes. S. Thomas, De subst. sep., c. IX, xvil. β. Ils sont composés de puissance opérative et d’opération. Leur intellection n’est pas leur substance comme en Dieu. Et bien que de fait ils aient toujours l’intelligence de leur substance, ils restent en puissance vis-àvis des autres réalités intelligibles. S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. l, a. 2, 5, in corp. et ad 3um ; q. liv, a. 1, 2, 3, Contra gent., l. II, c. lii, lv, etc. : opusc. De subst. separ. en entier. —
Le troisième état, celui des êtres essentiellement composés de matière et de forme, ne saurait renfermer de pur esprit, à plus forte raison d’acte pur. Il renferme cependant deux sortes d’actes bien différents sous le rapport de la pureté. Le premier, l’âme de l’homme, tout en étant essentiellement ordonnée à une matière, n’a pas, dans cette matière, sa condition indispensable d’existence et d’opération. Voir Ame. C’est une forme en soi transcendante (immixta, χωρίστον) vis-à-vis de la puissance. Son indépendance à l’égard de la matière forme ainsi le parallèle exact de la double dépendance de l’ange (existence et opération) vis-à-vis de l’acte pur. La seconde sorte d’actes, au contraire, non seulement est unie essentiellement à une matière, mais trouve encore dans cette matière, à laquelle elle est immanente, la condition de son existence : ainsi se comporte l’âme sensitive des animaux dans leur matière vivante.

3° Les trois états de pureté relativement à l’acte sont réalisés dans l’univers. Saint Thomas le prouve :
a) pour Dieu, acte pur, par les preuves que nous avons rapportées ailleurs. Voir I Acte et puissance, col. 335, 336. Cf. Sum. theol., Ia, q. iii, a. 2 ; q. ix, a. 1 ; Contra gent., l. I, c. xii, § Adhuc quamvis ; § Item unumquodque agit ; c. xi, iii, § Adhuc in rebus ; § Item tanto actus ; l. II, c. VI, § Adhuc quanto ;
b) pour l’ange, pur esprit, par un argument a priori tiré de la perfection de l’ordre de l’univers, consistant en ce que, les êtres retournant graduellement à leur premier principe, un anneau manquerait si les pures intelligences n’existaient pas. Sum. theol., q. L, a. 1, in corp. et ad 1um; Contra gent., l. II, c. xlvi ; opusc. De subst. sep., c. i, il, iii, iv, xix ;
c) pour l’âme de l’homme, esprit transcendant et immortel, par un argument général tiré de l’immatérialité de l’objet de son opération intellectuelle, l’être universel, Contra gent., l. II, c. xlvii, et par un argument spécial tiré de ce que, étant apte à connaître les natures de tous les corps, elle doit être dépouillée de toute matière, Sum. theol., Ia, q. lxxv, a. 2 ; De anima, 1. III, lect. vii; la pureté d’un acte est, en effet, en raison directe de son degré de connaissance, et celui-ci en raison inverse de sa matérialité, Sum. theol., Ia, q. xiv, a. 1 ;
d) pour les degrés des formes matérielles, par l’observation de la manière dont, dans la nature, les moins matérielles d’entre elles utilisent les plus matérielles et les font servir à leurs fins, transposant ainsi dans leur ordre le principe d’Anaxagore : ἀμιγῆ ἵνα κρατῇ. Contra gent., l. III, c. xxii, § In actibus autem.

A. Gardeil.

IV. ACTE HUMAIN.
I. Notion.
II. Décisions canoniques.
III. Historique.
IV. Ontologie et psychologie.
V. Propriétés.

I. Notion.

1° L’acte humain est l’acte dont l’homme a le domaine. S. Thomas, Sum. theol., Ia IIae, q. i, a. 1. L’homme maîtrise ses actes par sa raison et sa volonté. L’acte humain est donc l’acte de l’homme, qui procède de la volonté délibérée. Ibid., et a. 3. L’acte humain (actus humanus) se distingue ainsi de ce que les théologiens appellent acte de l’homme (actus hominis). Ibid. Lors même que des actes appartiennent à l’homme seul, comme l’acte de connaissance intellectuelle abstractive, ils ne sont pas dits actes humains ; car ce n’est pas en tant qu’actes qu’ils possèdent cette appartenance exclusive, mais en tant qu’accidents et propriétés de l’essence humaine. On en dirait autant de la physionomie de l’homme. Maîtriser ses actes est au contraire une différenciation de l’action humaine comme telle. « Dompter ses passions quelle matière l’a pu faire ? » dit justement Pascal, pour qui matière signifie même l’animalité. Ainsi, les actes communs à l’homme et aux animaux, passions ou mouvements extérieurs, peuvent devenir dans l’homme, par l’empire que sa raison et sa volonté exerceront sur eux, Ia IIæ, q. XVII, a. 7-9, de véritables actes humains. IV Sent., l. III, dist. XXXIV, q. 1, a. 1, circa finem.

2° Les actes humains se divisent en actes émis directement par la volonté et en actes commandés par la volonté. Voir V Acte élicite et acte impéré (actus eliciti, actus imperati), col. 316.

Les premiers se partagent en trois séries, selon qu’ils ont pour objet la fin ou les moyens ; la fin dans l’ordre d’intention ou dans l’ordre d’exécution. La définition de l’acte humain ne convient pas également à tous ces actes. Elle s’applique adéquatement aux actes qui ont pour objet le choix des moyens (ordre d’élection) et l’intention efficace. Le premier vouloir ne saurait avoir qu’une délibération virtuelle consistant en une certaine discrétion du bien et du mal. Billuart, De act. hum., diss. I, a. 2, Cursus theologiae, Paris, 1852, t. iv, p. 3. La délectation ou finition, d’après l’opinion reçue, est moins un acte humain qu’un complément d’acte humain, cf. S. Thomas, Sum. theol., Ia IIae, q. ii, a. 6, ad 1um ; elle n’exige pas d’acte spécial. Billuart, ibid. Les actes impérés sont des actes humains, mais par participation.

3° Tout acte humain est libre, S. Thomas, Sum. theol., Ia IIae, q. I, a. 2, sinon de la liberté objective et de spécification, du moins de la liberté subjective et d’exercice. L’acte de volonté par lequel l’homme se porte vers la béatitude (in communi) est lui-même libre de cette manière. Si je veux, je veux tout d’abord la béatitude, mais je puis ne pas vouloir. La volonté n’est nécessitée, quant à l’exercice, que dans l’amour béatifique du ciel, lequel n’est pas formellement un acte humain. Encore est-ce par l’effet d’une nécessité intérieure et non par violence. Billuart, De act. hum., diss. II, a. 2. Voir Vision intuitive. En cette vie, la raison de la liberté de l’acte humain à l’égard du bien parfait est la conception inadéquate que l’intelligence donne de ce bien parfait. Voir Liberté, Volontaire.

4° Les causes qui diminuent le volontaire ou occasionnent l’involontaire altèrent proportionnellement l’acte humain. Les principales de ces causes sont la violence, la crainte, la passion, l’ignorance. S. Thomas, Sum. theol., Ia IIae, q. vi. Voir Volontaire.

II. Décisions canoniques.

Toutes les hérésies qui nient la liberté, attaquent du même coup la notion d’acte humain. A noter la 36e proposition de Luther condamnée par Léon X : Liberum arbitrium post peccatum est res de solo titulo ; — les canons 4 à 7 du concile de Trente, session VI, De justificatione ; — les propositions 27e, 28e, 40e, 41e, 66e de Baius ; — la proposition 17e de Michel Molinos condamnée par Innocent XI, laquelle exclut pratiquement tout empire de l’homme parfait sur lui-même : Tradito Deo libero arbitrio et eidem relicta cura et cogitatione animae nostrae, non est amplius habenda ratio tentationum ; nec eis aliqua resistentia fieri debet nisi negativa, nulla adhibita industria ; — la proposition 1 des propositions jansénistes condamnées le 7 décembre 1690 par Alexandre VIII, etc. ; — les deux propositions condamnées par le même pape, le 24 août 1690.

Consulter Denzinger, Enchiridion symbolorum, 8e édit., Wurzbourg, 1899.

III. Historique.

I. bible.

Ancien Testament.

La conscience des conditions de l’acte humain est aussi ancienne que l’homme même. Sub te erit appetitus tuus et tu dominaberis illius. Gen., iv, 7. Elle apparaît dans le péché d’Adam, fait en connaissance de cause, Gen., ii, 17 ; iii, 3, avec délibération, iii, 1-6, avec volonté, iii, 7, 8, 11, 13. Saint Augustin voit dans le serpent, la femme et l’homme, la figure complète de l’acte humain. De Trinit., l. XII, c. xii, P. L., t. xlii. Le crime de Caïn, Gen., iv, 5, 16, le péché des fils de Jacob, Gen., xxxvii, 11, 28, ont tous les caractères de l’acte humain. Par contre, la Bible sait très bien faire ressortir l’acte de l’homme. Exemples : le sommeil de Noé, Gen., ix, 21, 24, les excuses d’Abimelech. Gen., xx, 2, 10. La proposition de Loth, Gen., xix, 8, tient le milieu entre l’acte de l’homme et l’acte humain. Billuart, De act. hum., diss. Ia. 9, Digr. histor. Cf. S. Augustin, In Gen., q. xlii ; Cajetan, In Gen., c. xix. On trouvera une distinction très nette de l’acte humain et de l’acte de l’homme à propos de l’homicide. Deut., xix, 4, 11 sq. Le crime de Jéroboam, spécialement châtié, est formellement délibéré. III Reg., xiii, 26, 28. A noter que, dans les livres sapientiaux et Job, les vertus intellectuelles sont représentées comme la source des bonnes actions. D’autre part, le pécheur est appelé de divers noms que la Vulgate rend par insensé. Prov., ii, 10, 12 ; xix, 8 ; xxiv, 2, 6 ; xxvii, 5 ; xxix, 7 ; Eccl., ii, 19 ; xii, 1 ; xiv, 22, 23 ; xv, 14 sq. ; xix, 18 [ἑν πασῆ σοφίᾳ ποιήσις νόμου] ; xxii, 22 ; xxiii, 1, 3; xxxii, 22, 24 ; xlix, 4 ; li, 28 ; Sap., i, 3 ; ii, 1, 20 ; viii, 7 ; ix, 19 ; x ; xiv, 20 sq. ; Ps. xiv, 2, 3 ; lxiii, 6, 7 ; xciv, 4, 8 ; cxviii ; cxxxix, 3. Toute faute que reprochent les prophètes suppose un acte d’intelligence, du calcul, le rejet délibéré d’un enseignement, l’oubli volontaire de la vérité. Is., v, 20 ; x, 1, 2 ; xxix, 15, 16, xxx, 9, 10, 11 ; xxxii, 3, 4; lv, 7 ; lix, 15; Jer., iv, 22 ; v, 4 ; xii, 16 ; Baruch, i, 17, 22 ; Ezech., xviii, 28, 31; xi, 19, 20.

Nouveau Testament.

1. Evangiles.

La notion de l’acte humain atteint dans les sentences et les paraboles de l’Évangile une netteté, un relief surprenants. Rappelons le sermon sur la montagne, Matin., v-vn ; les reproches faits aux pharisiens, Matth., xv, 1, 20 ; xxiii ; Marc, vu ; xii, 38-44 ; Luc, xviii, 9, les paraboles. Matth., xxv ; Marc, iv, 13, 21. —

2. Epîtres. —

La thèse de saint Paul sur les observances mosaïques est remplie d’allusions à la nécessité de vivifier les œuvres par l’intention de la fin, par exemple Gal., ii, 11, 18 ; saint Paul exalte la liberté des enfants de Dieu et leur empire sur eux-mêmes, Gal., v, 16, 26 ; la responsabilité est pour les crimes conscients, Rom., i, 18, 32 ; elle ne regarde pas ceux qui n’ont pas eu la connaissance du bien, lbid., il, 12, 29. Si la concupiscence l’emporte ordinairement chez l’homme tombé, Rom., vii, 7, 25, elle est vaincue avec l’aide de la grâce chez les enfants de Dieu. Rom., viii.

II. Philosophes anciens. —

La théorie de l’acte humain est l’œuvre des Pères philosophes, principalement saint Justin, Athénagore, Clément d’Alexandrie, saint Augustin, saint Jean Damascène, et des théologiens scolastiques, Pierre Lombard, Albert le Grand, saint Ronaventure, saint Thomas, etc. Platon et Aristote, surtout Aristote, ont fourni les données philosophiques, qui, combinées avec les données scripturaires, ont abouti à la doctrine théologique de l’acte humain, définitivement arrêtée dans la Somme théologlque de saint Thomas. Pour la contribution de Platon consulter les opoi, définitions qui résument toute sa doctrine, à la fin du second volume de l’édition Didot, p. 592 sq., spécialement 412, 18, 23, 33 ; 413, 35, 37 ; 415, 15, 16 ; 416, 51, 52, 54, 1. Pour la contribution d’Aristote lire l’Éthique à Nicomaque avec les commentaires de saint Thomas, spécialement : l. I, c. xiii, comment, lect. xx ; 1. 11, c. ii, Itct. n ; l. III, entier ; l. VI, c. i et il, lect. I, il (très spécialement le c. n).

/II. tradition chrétienne. —

1° Pères apostoliques.

La notion d’acte humain est impliquée chez les Pères apostoliques : S. Rarnabé, c. xxi, 6, édit. Funk, Opéra Patrum apostolicorum, Tubingue, 1887, t. i, p. 58, P. G., t. ii, col. 781 ; Épitre à Diognète, c. xii, 4, Funk, p. 330, P. G., t. ii, col. 1185 ; Hermas, Mand., viii : A malo absline et noli illud facerc, Funk, p. 412, P. G., t. ii, col. 931 ; Sini., V, c. vii, p. 464, P. G., t. ii, col. 9C4 ; Sim., IX, c. xviii, p. 534, 536, P. G., t. ii, col. 998 ; c. xxxiii, p. 556, 557, P. G., t. ii, col. 1008.

Pères apologistes.


S. Justin, Apol., i, n. 43, P. G., t. vi, col. 394 ; Apol., ii, n. 7, ibid., col. 455 ; Dial.cum Tryph., n. 101, ibid., col. 711 ; Athénagore, Legatio, n. 24, it-id., col. 916 ; Deresurr. mort., n. 2, 12, 18, 24, ibid., col. 978 sq. Tertullien s’attache à défendre la liberté contre les hérétiques. C’est d’elle que procèdent par un libre choix, P. L., t. i, col. 1235 ; t. ii, col. 18, 293, 295, 376, C85, 717, 916, 950, consécutif à une connaissance préalable, P. L., t. i, col.699, 1227, 1228, lesactions humaines. Dans les actions externes, P. L., 1. 1, col. 1232, les puissances sensibles sont soumises à Vempire de l’esprit (spiritus imperium), t. i, col. 1204. Les actions sont réglées par la loi divine, manifestée à la raison, t. i, col. 1227, présente à la conscience, 1. 1, col. 328, 617. L’ignorance influe sur la bonté de l’acte, t. i, col. 1232 ; t. ii, col. 999. La description de l’acte humain est complète dans le De resurreclione carnis, P. L., t. ii, col. 817, 818. Clément d’Alexandrie, Pœdagogus, L I, c. xiii, P. G., t. viii, col. 376 ; Strom., I, c. xvii, P. G., t. viii, col. 800 ; cf. col. 939 ; II, c. vi, col. 961 ; c. xiv, xv, col. 997, 1008 ; c. xvii, col. 1013, 1016 ; IV, c. v, col. 1234 ; c. vi, col. 1252 ; V, c. xiii, P. G., t. ix, col. 128 ; c. xiv, col. 144 ; VI, c. vi, col. 269 ; c. viii, col. 289, 292 ; c. xvi, col. 200, 261 ; Némesius mérite d’être consulté spécialement pour l’acte de conseil et d’élection, De nat. hom., c. xxxiii sq., alias, l. IV, c iv, v. Saint Thomas s’en sert, Ia-IIæ, q. xiii, a. 2 ; q. x : v, a. 1, 4 ; q. xvii, a. 7, 8, arg. sed contra, sous la fausse attribution de Grégoire de Nysse.

Pères théologiens.


Saint Ambroise touche sans cesse dans ses homélies aux divers aspects de l’acte humain : dépendance vis-à-vis de la connaissance, Expositio in psalm. cxvill, serm. VI, P. L., X. xv, col. 1279, n°35 ; serm. ix, col. 1324, n. 12 ; serm. xiv, col. 1391, n. 5 ; col. 1394, n. Il ; col. 1400, n. 23. Voir ibid., serm. ii, col. 1209, n. 1 ; col. 1216, n. 17 ; serm. iii, col. 1240, n. 47 ; serm. viii, col. 1307, n. 32 ; empire sur les actes, ibid., serm. ii, col. 1214, n. 13 ; serm. iv, col. 1243, n. 7 ; serm. xi, col. 1254, n. 14 ; serm. xix, col. 1474. Mêmes idées dans le De officiis, P. L., t. xvi, col. 55, 114, 522 ; De paradiso, P. L., t. xiv, col. 311, 312 ; Exp. in Ev. sec. Luc, iv, n. 63 ; vi, n. 77 ; vii, n. 85 ; Ambrosiaster, In Rom., P. L., t. xiv, col. 113, 151, 153, 167. — Saint Augustin doit être étudié. La littérature augustinienne de l’acte humain est considérable. On consultera la table de l’édition des bénédictins reproduite par Migne, P. L., t. xlvi, ou encore ]es sed contra et arguments d’autorité tirés de saint Augustin dans le Traité des actes humains de la Somme de saint Thomas d’Aquin, Ia-IIæ, q. vi à xxii, choisis avec une merveilleuse connaissance de l’ensemble de la doctrine augustinienne. Saint Jean Damascène a inspiré à saint Thomas la doctrine du consentement (consensus), que n’avait pas distinguée Aristote, I a II 1’, q. xv, des notions sur Vimperium, 6ç, i.r, q. xvi, 2, etc. C’est le chapitre xxii, De fîde orthodoxa, l. II, P. G., t. xcix, col. 939, 950, et VEthica Nie, l. III, qui ont fourni avec saint Augustin, loc. cit., l’organisation et le fond des idées du traité De aclibus de saint Thomas. Les Morales de saint Grégoire le Grand mettent en œuvre la notion traditionnelle, sans rien y ajouter. P. L., t. lxxv. Dans Pierre Lombard, Sent., l. I, dist. I ; l. II, dist. XXII, XXIII, XXIV, XXV, XXXVIII, on ne trouvera qu’une doctrine incomplète. De même chez Albert le Grand (In Sent., ibid.). Le traité de saint Thomas De actibus humanis est donc (comme le traité des passions qui le suit) une synthèse originale, dont les éléments sont d’ailleurs tirés de la tradition scripturaire, philosophique et patristique. Il fait autorité dans la morale catholique qui lui emprunte de nos jours ses solutions sans discuter ses théories. Les modifications qui y ont été apportées par Duns Scot, par divers théologiens de la Compagnie de Jésus ou par les moralistes pratiques et que nous indiquerons dans la suite de cet article, ne touchent qu’aux détails de cette synthèse. C’est là une contre-épreuve de sa solidité psychologique et ontologique.

Conclusion. —

Le caractère de la longue histoire de l’acte humain, c’est que sa notion n’évolue pas, elle se transporte à travers les siècles identique à elle-même, preuve qu’elle n’est pas moins fondée sur la nature humaine que sur la tradition. Par là se trouve réfutée la théorie évolutionniste qui considère le domaine qu’exerce l’homme sur ses actes comme le résultat de la supériorité d’un stade postérieur de l’évolution sur un stade antérieur. Voir Dugas, Analyse psychologique de l’idée du devoir, Revue philos., oct. 1897. Cf. Rev. thomiste, nov. 1897, p. 688.

IV. Ontologie et psychologie. —

La psychologie thomiste est la seule psychologie de l’acte humain qui ait été adoptée par les théologiens. C’est elle que lesSummulae morales appliquent couramment. Son caractère général est le réalisme. Elle est une ontologie et considère les actes comme des réalités ayant entre elles rapports de cause à effet, etc. Cf. Revue thomiste, 1896, p. 69 ; Gardeil, Caractère général de la psych. thom. Il va de soi que le sujet seul est l’unité agissante : c’est lui-même qui se meut à tous les degrés du vouloir.

I. psychologie descriptive. —

Les facultés, intelligence, volonté, irascible et concupiscible, forment un ensemble hiérarchisé dont les activités s’actionnent mutuellement et s’entrecroisent. Le tableau ci-joint, dont les éléments et l’organisation sont rigoureusement empruntés à saint Thomas, représente la suite des actes oui intègrent un acte humain complet. Cf. Revue thom., loc, cit., p. 72.

I. — Actes qui regardent la fin. (Ordo intentionis, ! If, q. vm.)

ACTES D’INTELLIGENCE ACTES DE VOLONTÉ

(q. IX, a. -1, ad 3°") (q. ix, ibid.)

1° On voit le bien (q. ix, a. 1). 2- On l’aime. (Appetitus inef ficax boni proposili, q. viii,

a. 2.)

3° On jupe rationnellement qu’il 4° Un veut l’atteindre. (Aclus doit être recherché. (Judiquo voluntas tendit in ob cium synderesis proponens jectum ut asscquibile et

objectum ut convenions et conveniens, q. xix, a. 7 sq.)

assequibile, q. xix, a. 4 sq.)

II. — Actes qui regardent les moyens. 1* Ordo 2- intentionis vel electionis.

5’On recherche les moyens

de l’atteindre. (Consiiium,

q. xiv.)

7° On juge quel est le moyen

le plus propre à atteindre la

fin. (Judicium practicum,

q. xiv, a. 6 ; q. xiii, a. 3.)

6° On donne son consentement

aux moyens trouvés. (Con sensus, q. XV.)

8" On le choisit. ( Eleclio,

q. xiii.) (On se décide.)

2* Ordo executionis.

9° On décide efficacement d’un- 10’La volonté applique les

ployer les moyens. (hnpepuissances qui doivent opé rium, q. xvii.) rer, à leur acte. (Usus acti vus, q. xvi.) (Utilisation.)

11° Exécution (Usus passivus, q. xvi, a. 1) par l’intelligence

(travail intellectuel), la volonté (acte de justice), l’irascible, le

concupiscible et la puissance motrice.

42" Jouissance de l’intelligence et de la volonté dans la possession de la fin. (Fi’uitio, q. XI.)

Remarques  :

1° En fait, l’acte humain ne comporte pas toujours tous ces acies, soit que la volonté suspende son activité, Sum. theol., I a II*, q. viii, a. 3, ad 3 um, soit que certains intermédiaires ne soient pas explicitement posés (par exemple le conseil dans le cas d’un seul moyen).

2° Entre chacun des actes, il y a place pour des intermédiaires, consentement, élection, application, ibid., q. xvi, a. 4, ad 3 um, et pour les actes intellectuels corrélatifs. Le pouvoir réflexif de l’intelligence et de la voluiité autorise cette multiplication, et la nécessité de réfléchir sur l’utilité de poser un des actes intermédiaires, par exemple de se consulter (acte 5), s’impose parfois. Une jouissance partielle (acte 12) accompagne d’ailleurs chaque opération.

3° De là vient que les thomistes multiplient les actes qui intégrent un acte humain, ou en restreignent le nombre, selon qu’ils les considèrent dans leur marche rectiligne vis-à-vis d’un objet déterminé, ou tiennent compte du pouvoir réflexif. Cf. Cajetan, In Summam, I a II*, q. xvi, a. 4. Dans le premier cas, ils ne comptent que les douze actes signalés. Goudin, Ethica, q. il, a. 3 ; Billuart, De act. hum., diss. III, Proœmium, § Hortum omnium.

4° Les scotistes et les anciens théologiens jésuites ont au contraire une tendance à simplifier l’acte humain en confondant plusieurs actes ensemble, par exemple l’imperium et ïelectio (Vasquez). Le R. P, Frins adopte la description thomiste (p. 318) dans son traité De actibus humants onfàlogice et psych. spectatis, Fribourg-en-Brisgau, 1897, et réfute Vasquez, n. 397-400.

II. PSYCHOLOGIE FONCTIONNELLE- —

L’intelligence un ni la volonté en la spécifiant par l’objet qu’elle lui présente ; la volonté meut l’intelligence, se meut elle-même, meut les puissances sensitives, l’irascible, le concupiscible et la puissance motrice en les appliquant à leurs actes. Sum. lheol., 1* II », q. ix, a. 1 et ad 3 um. Les conditions de fonctionnement des premiers actes des deux séries intellectuelle et volontaire diffèrent des conditions des actes suivants : c’est la loi de tout ensemble d’activités causantes et causées. Examinons-les séparément.

1° Actes dans lesquels nous sommes mus par un principe extérieur. —

C’est le premier acte de volonté, amour intellectuel ou pur vouloir, voluntas. Sum. theol., I* II*, q. vm. —

a) Du côté de l’intelligence, son principe spéci/icateur est le bien, a. 1, le bien voulu pour lui-même, c’est-à-dire la fin. Ibid., a. 2. Le fonctionnement de l’acte humain débute donc nécessairement par une dépendance objective vis-à-vis d’une fin, qui se ramène à une fin dernière, I a II*, q. i, a. 4, laquelle est unique à un moment donné pour chaque individu, a. 5, de laquelle tout vouloir dépend, a. 6. La fin ultime commune à tous les hommes, a. 7, est le seul bien universel, q. ii, a. 6, 7, lequel ne peut être que Dieu, a. 8. Cf. Revue thomiste, mai-juillet 1898 : Gardeil, Les exigences objectives de l’action. Dieu, cependant, n’est pas voulu explicitement dans toute volition, mais seulement le bien universel ou parfait : bonum perfectum. Ibid., q. i, a. 4. Ce bien universel doit être conçu comme contenant la bonté de toutes choses, et non comme une abstraction vide. Scot, IV Sent., 1. I, dist. I, q. iii, a. 1 ; 1. II, dist. XLIX, a nié cette dépendance de tout l’organisme volontaire vis-à-vis d’une fin ultime. Cajetan le réfute, In Summam, I a II*, q. i, a. 6 ; q. viii, a. 1. Le fond de l’opposition de ces deux théologiens est une conception différente de l’autonomie de la volonté et du rôle de l’intelligence. Cf. Vacant, Études comparées sur la p/iilosophie de saint Thomas d’Aquin et sur celle de Duns Scot, Paris, 1891, p. 26, 27 ; Pluzanski, Essai sur la phil. de Duns Scot, Paris, 1887, p. 92-97.

b) Si de l’objet du premier acte de volonté nous passons à ce qu’il est subjectivement, nous trouvons un acte à la fois éminent et inefficace : inefficace au point de vue rationnel en tant que c’est un simple amour qui a besoin pour s’imposer d’être approuvé par l’intelligence des premiers principes relatifs au bien (la syndérèse ) ; éminent au point de vue volontaire, parce qu’il contient virtuellement tous les vouloirs subséquents qui ne feront que le confirmer (intention) ou s’exercer pour son service (du conseil au précepte). Il se retrouvera substantiellement identique dans la fruition (acte 12), avec la seule différence de la possession au désir. — Cet acte éminent dont l’action causale se répercute sur tout le fonctionnement de la volonté en quête des moyens, requiert pour s’exercer une motion du dehors. Sum. theol., I a II*, q. IX, a. 4. Le seul moteur proportionné à une inclination qui a pour objet le bien universel ou parfait est Dieu. Ibid., a. (5. Cette motion est parfaite et universelle de la perfection et de l’universalité mêmes de l’objet auquel, sous son instinct, tend la volonté. Elle contient virtuellement toute l’activité dynamique qui se développera dans les passages ultérieurs de la volonté de la puissance à l’acte. Ibid., ad 3 um.

2° Actes dans lesquels la volonté se meut elle-même. Sum. theol., I a II », q. ix, a. 3. —

Constituée en acte par la motion divine, la volonté se détermine par elle-même aux actes suivants qui forment un tout continu. Cette continuité est expliquée dans la doctrine de Scot par la naturelle sympathie des puissances enracinées dans une même âme, IV Sent., 1. II, dist. XLIï, ad i an > quæst., S Rcspondeo prsemïltendo très. Les théologiens jésuites appliquent ici la doctrine du concours simultané. Conimhricenses, De anima, 1. III, c. xiii, q. v, a. 3. Saint Thomas relie les différents membres de l’acte humain par l’acte qu’il nomme utilisation (usus activas) Sum. theol. I a II », q. îx, a. 1. L’utilisation est nettement caractérisée par lui comme motion instrumentale, q. xvi, a. 1, 4, ad 3 um ; sa présence est reconnue entre chaque chainon de la série volontaire. ainsi que celle d’un iniperium correspondant, q. xvii, a. 3, ad 3 um. Aux objections de Scot en faveur de l’autonomie de l’intelligence et de la volonté, Cajetan répond que l’utilisation laisse les facultés qu’elle applique agir selon leurs lois propres. Son but n’est pas de les dénaturer, mais de faire entrer leurs actes dans l’organisme d’un acte humain complet. I a II », q. ix, a. 1, § Ad hoc breviler. Par là est résolue l’opposition de Vasquez qui, In i am Il x, disp. LI, c. v, nie toute influence efficace de l’homme sur sa propre volonté, usus ou iniperium. At quemadmodv.m Ma negatione a communi doctorum sententia déficit, ita certe erravit, dit le R. P. Frins, De act. hum. psych., p. 393.

L’acte humain complet est donc conçu par saint Thomas comme un dynamisme rationnel organisé, dont toutes les parties sont fortement reliées entre elles et avec le premier acte de volonté, premier moteur dans son ordre, par un courant utilisateur conçu comme une motion instrumentale. Sum. theol., I a II æ, q. xvii, a. 4, in corp. et ad l ura, 2 um et 3 um. Le branle lui est donné par une excitation spéciale du moteur universel, ibid., I a, q. cv, a. 4 ; I a II*, q. ix, a. 4, 6 ; q. ix, a. 2, ad l um, motion analogue à l’instinct dont parle Aristote au chapitre De bona fortuna, {{rom|xviii)e du VIP livre de la Morale à Eudème(S. Thomas, Contra gent., 1. III, c. lxxxix, in fine et loc. cit.) et à l’inspiration du Saint-Esprit dans les dons. Sum. theol., I a II æ, q. lxv, a. 1 ; Contra gent., 1. III, c. xci, § Palet enim.

V. Propriétés.

Moralité.

Suivant saint Thomas d’Aquin, la moralité est l’accident propre de l’acte humain. Sum. theol., I a II », q. i, a. 3, ad 3 um. Il y a donc entre la moralité et l’acte humain la relation nécessaire de propriété à essence. Convenit uni, toti, soli. Par suite, il n’y a pas d’acte humain concret indifférent. Ibid., q. XVIII, a. 9. L’absence de moralité n’est concevable que dans les actes humains considérés abstraitement, c’est-à-dire dans l’objet qui les spécifie, non dans le sujet individuel qui les émet. Ibid., a. 8. Aussi malgré l’opinion contraire de Scot, /F Sent., 1. II, dist.XL, acte moral et acte humain sont identiques, dans le langage théologique courant. Sum. theol., I a II æ, q. I, a. 3, in corp. Voir le mot Moralité.

Capacité passive obédientielle à être élevé à l’ordre surnaturel.

Cette capacité appartient à l’acte humain en raison de sa dépendance d’un acte intellectuel. La volonté est, en effet, consécutive à l’intellection. Or les rapports surnaturels avec Dieu ne sont pas en dehors (extraneum) des ressources intellectuelles de l’homme. Contra gent., 1. III, c. liv. Elles ne sont donc pas complètement en dehors des ressources de sa volonté. (Ne pas confondre ressources avec exigences). L’acte humain, par la grâce de Dieu, peut donc devenir surnaturel. Voir le mot Surnaturel.

Aristote, Éthiques à Nicomaque ; Morale à Eudème ; Nemesius, Dénatura hominis ; S. Augustin, De civitate Dei, 1. XIX ; De Trinitate, passim ; De doctrina christiana, passim ; Index rnonach. S. Benedicti in omnia opéra, P. L., t. xlvi ; S. Jean Damascène, De fl.de orthodoxa, 1. II, c. xxii à XXVIII, P. G., t. xliv ; S. Thomas, Commentaire sur l’Éthique à Nicomaque, loc. cit. ; Sumrna theologica, I" II’, q. I et q. VI à xvii ; tous les commentateurs de saint Thomas sur ce traité, en première ligne Cajetan ; S. Antonin, Summa theologica, tit. iii, IV ; Salmanticenses, Theologia moralis, t. v ; S. Liguori, Theologia moralis, t. i ; Goudin, part. IV, Ethica (édit. Orviéto, 1859) ; Gonzalez, Zigliara, Ethica, Inst. philos., t. m ; Pesch, Prxlectiones dogmaticse, Fribourg-en-Brisgau, 1895, t. IV ; Pesch, Anthropologia, Fribourg-en-Brisgau, 1896 ; Manuels de théologie morale de Haine, Marc, Lehmkuhl, Tract, de actibus humanis ; Lepidi, L’attivitavolontariadeW uomo, Rome, 1890 ; Frins, De actibus humanis ontologice et psychologice considérais, Fribourg-en-Brisgau, 1897 ; Ami du clergé, 1898, n. 25, 28, 31, 37 : Causeries d’un vieux moraliste. L’acte humain : Analomie, Physiologie, Pathologie, Thérapeutique, Hygiène.

A. Gardeil.

V. ACTE ÉLICITE ET ACTE IMPÉRÉ.

L’acte élicite (elicitus) s’oppose à l’acte impéré (imperatus) en ce que la puissance ou Vhabitus qui l’émet atteint son propre objet sans aucun intermédiaire ; tandis que l’acte impéré a son origine dans une puissance supérieure, et, par l’intermédiaire d’une puissance inférieure, atteint l’objet de cette puissance inférieure. S.Thomas, 7FSen£.. tl. III, dist. XX VII, q. il, a. 4, q. m. — C’est ainsi que l’acte intérieur d’aimer Dieu est un acte élicite de la volonté’, et que l’acte de faire l’aumône par amour de Dieu est un acte impéré. La volonté peut se commander à elle-même des actes qui deviennent par là même impérés. Ainsi en est-il quand je veux faire l’aumône par amour de Dieu. Les vertus sont dites aussi impérées les unes par les autres, lorsqu’on accomplit un acte de ver-tu par le motif d’une autre vertu. C’est ainsi qu’on pratique la tempérance par amour de Dieu.

Il ne faut pas confondre l’acte impéré et l’acte extérieur. Tout acte humain extérieur est impéré, mais tout acte impéré n’est pas extérieur. Ainsi l’acte intérieur purement volontaire d’élection des moyens se fait sous l’empire de l’intention delà fin. Sum, theol., I a II*, a. 3, ad 3 um. L’acte extérieur est l’acte impéré qui se manifeste dans les mouvements des parties du corps unies à certaines puissances de l’àme. I a II 36, q. xxii, a. 9. Cf. plus haut, col. 344, 2°. A. Gardeil.