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Dictionnaire de théologie catholique/AGAPES

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 286-288).
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AGAPES. On a coutume de désigner sous ce nom « les repas communs que faisaient les chrétiens ; à 1 origine, en union avec la célébration de l’eucharistie ; plus tard, en certaines circonstances seulement, suivant des usages qui ont varié avec les temps et avec les pays… .1. Thomas, art. Agapes, dans Dictionnaire de la Bible, t. I, col. 260. Cette définition exprime bien l’opinion reçue universellement sur les agapes. Voyons comment elle se vérifie dans les textes. Nous donnerons ensuite nos conclusions.

I. Textes.

Textes scripturaires.

Le point de départ est pris dans les reproches que saint Paul. 1 Cor., XI, 17-31, adresse aux Corinthiens. Saint Paul décrit la cène eucharistique, le rite du pain et de la coupe, purement. Sans doute, il ne pose pas l’obligation du jeûne eucharistique ; mais il entend que la cène eucharistique ne soit pas mêlée à un repas de corps. « Si quelqu’un a faim, qu’il mange chez lui, afin que vous ne vous réunissiez pas pour votre condamnation. » I Cor., XI, 34. Et encore : « N’avez-vous pas des maisons pour y manger et boire ? Ou méprisez-vous l’Église de Dieu et faites-vous honte à ceux qui n’ont rien, » en apportant de quoi manger et boire chacun pour soi à l’église ? « Que vous dirai-je ? Vous louerai-je ? En cela je ne vous loue point. » Jbid., xi, 22. Si donc il est une chose que le témoignage de saint Paul implique, c’est la condamnation de l’essai d’agape eucharistique si grossièrement tenté par les Corinthiens.

L’Épitre de saint Jude, ꝟ. 12, parlant de certains chrétiens dissolus, les accuse de suivre la voie de Caïn, l’égarement de Balaam, la révolte de Coré, et ajoute : « Ils sont des taches dans vos agapes, ot êv Tatç àyàTrat ; vnûv a-TrtLâôsç, faisant intrépidement bonne chair, CTuveufozoOfLevoi ebooeo ; , se paissant eux-mêmes : nuées sans eau poussées par les vents, arbres d’automne sans fruits, deux fois morts, déracinés, vagues furieuses, astres errants… » Jud., 11-13. Il n’est pas hors de doute que le terme àyaTrat ait ici le sens de repas que nous lui verrons donner au ive siècle par les canons de Gangres et de Laodicée. La preuve en est que la Secunda Pétri, qui dépend de l’Épitre de Jude, a rendu ce même passage sans y mettre d’agapes.

II Pet., il, 13 : Jud., 12 :

tritO.oi xai (j.âi fLo t èvrp-joî èv Taî ; àyd(.7ratç û|j.à>v

çwvteç êv rat ; àîrâTai ; ocj- « TTrtLàSe ; <tuveuio-/oij[jlevoi iû>’i <T’jvEUd)y_o’Jfievoi v ; xîv. àç&êioç.

Oublions que le Codex Alcxandrinus et le Codex Ephrsemi lisent à7rdcTai ; au lieu de àyiuaiç dans le texte de Jude ; supposons que la Secunda Pétri a eu l’intention expresse de dire autre chose que Jude ; il restera à se demander si le terme à-fârcat de Jude désigne nécessairement un repas. Or Jude se sert deux ibis du mot à-, v.-v-, , V. 2 et 21, au sens premier d’amour ou charité, et il se sert deux fois de mots semblables, ꝟ. 8 : SôSja ; , y. 13 : oùayù’/a. ; , au pluriel emphatiquement pour le singulier, en telle sorte que le passage en question de Jude pourrait se traduire : « Ils sont des taches dans votre charité, o Érasme voulait qu’on traduisit : In dileclionibus vestris ou inter charitales vestras.

Jusqu’à la fin du IIe siècle.

Dans la Didaché, ix-x, Funk, Doclrina duodecim apostolorum, Tubingue, 1887, p. 24 sq., figure une description de l’eucharistie, nulle part il n’y est parlé d’agapes. Il faut bien reconnaître que l’eucharistie se célébrait sans aucun repas concomitant, et que la Didaché ne connaît point cl repas distincts, à moins de dire, comme certains critiques l’ont proposé sans succès, que, dans la Didaché, ce qui paraît être l’eucharistie est en vérité l’agape, et que c’est l’eucharistie que la Didaché passe sous silence ! Saint Ignace d’Antioche écrit aux Romains, vii, 3, Punk, Opéra Patrum apostolicorum, Tubingue, 1887, [>. 220 : « Je ne savoure pas une nourriture de corruption, ni les saveurs de cette vie : je veux le pain de Dieu, qui est la chair de Jésus-Christ né de la race de David ; je veux boire son sang, qui est charité incorruptible, » àyo7tï ; acpôap-ro ; . Il écrit aux Smyrniotes, vil, 2, ibid., p. 240 : « Défense sans l’évêque de baptiser ou de faire la charité, » àydcrcyiv uoteiv, dans le même sens où il écrivait aux Philadelphiens, iv, ibid., p. 226 : « Appliquez-vous à avoir une unique eucharistie, car une est la chair de Notre-Seigneur Jésus-Christ, un le calice comme un est son sang : un l’autel comme un l’évêque avec le presbyterium et les diacres, mes coserviteurs. » Dans l’épître aux Smyrniotes, vi, 2, ibid., p. 238, saint Ignace écrit au sujet des chrétiens qui se tiennent à l’écart de la communauté : « Ils n’ont point souci de la charité, xyiTrt]ç, ni des veuves, ni des orphelins, ni des affligés, ni des captifs, ni des libres, ni de qui a faim ou soif. » De ces textes et de plusieurs autres analogues, on peut conclure que le mot àyin-i) n’était pas pour saint Ignace le vocable propre d’une institution, institution dont on ne trouve pas trace dans ses epitres. Ce mot pour lui a le sens moral de charité et c’est dans ce sens qu’il l’applique à l’eucharistie, « charité incorruptible ». On estimera donc que M. Zahn voit plus de choses qu’il n’y en a dans les textes, quand il conclut que saint Ignace témoigne que de son temps l’agape était rattachée à l’eucharistie.

La lettre de Pline à Trajan, x, 96, fournit-elle un témoignage au sujet de l’agape ? Les chrétiens apostats interrogés sur les usages de la secte répondent : …liane fuisse summam vcl culpm sum vel erroris, quod essent solili stato dieante lucem convenire carmenque Christo quasi deo dicere secum invicem… ; quibus peraclis morem sibi discedendi fuisse, rursusque ad capiendum cibum, promiscuum tamen et innoxium ; quod ipsum facere desisse post edictum meum, quo secuudum mandata tua hetœrias esse vetueram. Ce sont des apostats qui parlent après avoir « vénéré l’image des dieux et maudit le Christ ». Que désigne dès lors ce cibus promiscuus et innoxius" ? Renan traduit : « Repas ordinaire et parfaitement innocent, » et il identifie ce repas avec les agapes. Mais alors ces apostats n’avouent pas que dans la réunion ante lucem ils se partageaient le pain et le vin eucharistiques, et cette réticence est d’autant moins vraisemblable que ces apostats n’avaient plus de raison de cacher le rite le plus sacré de leur foi, alors surtout que ce rite suffisait par sa forme de repas en commun, si simple que fût ce repas, à constituer le culte en sodalitas ou helœria prohibée. La réticence que suppose M. Ramsay est inadmissible. Quant à dire avec M. Zahn que les chrétiens de Bithynie ne faisaient qu’un de l’agape et de l’eucharistie, c’est supposer précisément ce qui est en question, l’existence de l’agape.

Saint Justin nous a laissé dans sa première apologie, 65 sq., P. G., t. VI, col. 428 sq., une description détaillée des réunions chrétiennes : il présente une défense des chrétiens, il plaide leur innocence en révélant tout le Secret de leurs réunions, et il ne dit pas un seul mot de l’agape. On est obligé de convenir que, saint Justin n’ayant pas pu passer l’agape sous silence, l’agape n’était pas une institution existant à Rome vers 150, pas plus qu’elle n’existait à Antioche vers 1 10, ou en Bithynie en 112. Le silence des apologistes du IIe siècle est pareil à celui de saint Justin. La calomnie populaire qui accusait les chrétiens de se livrer à des festins de Thyeste et à des promiscuités d "Œdipe visait l’eucharistie et les réunions eucharistiques : les apologistes n’ont pas parlé d’autre chose et Minucius Félix, xxxi, pense à l’eucharistie lorsqu’il écrit non sans ironie : Convivia non tarir tu » ? pudica colimus, sed ci sobina : nec enim indulgemus epulis aut convivium mero ducimus. P. L., t.iu, col. 337.

Il faut venir à la fin du IIe siècle pour recueillir des témoignages fermes au sujet de l’agape.


Canons de saint Hippolyte, Tertullien, Clément d’Alexandrie.

Les canons de saint Hippolyte fournissent des indications très explicites. Ils supposent d’abord que l’agape est un repas offert par un chrétien généreux aux pauvres ou aux veuves : c’est une distribution charitable. Ce repas est servi à l’église, le texte dit fautivement x-jpiaxyj pour x-jpiaxfô. On le sert le soir, à l’heure du lucernaire, et il doit être terminé avant la nuit close. Le repas des veuves, Canones Hippolyli, can. 183-185, Leipzig, 1891, p. 111, paraît moins solennel, peut-être plus fréquent ; à chacune on doit servir à boire et à manger en quantité suflisante. Le repas des pauvres, can. 164-182, ibid., p. 105 sq., est plus important : l’évêque y assiste et ouvre la séance par une prière sur les pauvres et sur la personne charitable qui les a invités ; puis est prononcée une prière d’action de grâce à Dieu ; on chante des psaumes avant de se retirer. On doit boire et manger son content, mais non jusqu’à s’enivrer ; pas trop de paroles, pas de cris, de peur qu’on ne vous raille ou que vous ne scandalisiez et que celui qui vous a invités ne soit confus de votre désordre.

Ce repas servi à des pauvres semble d’abord n’avoir rien de liturgique. Toutefois les canons d’Hippolyte en excluent formellement les catéchumènes. Can. 172, ibid., p. 106. Puis ces mêmes canons font distribuer aux convives par l’évêque, ou à son défaut par le prêtre, au commencement du repas, le « pain de l’exorcisme avant qu’ils ne s’asseoient, pour que Dieu préserve leur agape de la crainte de l’ennemi ». En l’absence de prêtre, cette distribution sera faite par le diacre ; en l’absence de diacre, un laïque pourra rompre le pain, mais rien de plus, pas d’oraison, pas de bénédiction. Can. 178-182, ibid., p. 109-110. Qu’est ce « pain de l’exorcisme » distribué ainsi aux lidèles au début de l’agape ? On pourrait incliner à y reconnaître un pain consacré dans une messe antérieure. Nul n’ignore que dans la messe antique les pains consacrés étaient distribués aux fidèles, qui les prenaient de leurs mains et les consommaient séance tenante ou les emportaient avec respect chez eux. On sait par saint Basile, Epist., xciii, ad Ceesariam, P. G., t. xxxiv, col. 484-485, que cet usage était encore en vigueur au IVe siècle, notamment à Alexandrie et en Egypte, aussi bien dans le peuple que chez les solitaires, et qu’il était rapporté au temps des persécutions. Mais si les lidèles gardaient chez eux des espèces consacrées, c’était pour se communier en cas de péril, ou, s’il s’agit des solitaires, pour suppléer au manque de prêtre. Il serait donc extraordinaire que ces espèces consacrées aient pu être consommées ainsi au début de l’agape, en un temps où le jeûne eucharistique était déjà une règle sévèrement pratiquée. Le pain de l’exorcisme sera plutôt une simple eulogie, un de ces pains présentés à la messe à l’oblation, mais non consacrés, que les fidèles se partageaient comme un gage de bénédiction. La seule présence de cette eulogie et de cette fraction du pain au début de l’agape, fraction du pain accompagnée d’une oraison de l’évêque, aura donné’à l’agape l’apparence d’une liturgie eucharistique incomplète.

En Afrique, Tertullien rapporte que la communauté chrétienne a une caisse à laquelle chaque fidèle contribue à son gré et selon ses ressources. Cette caisse est appliquée egenis alendis humandisque, aux orphelins, aux vieillards, aux naufragés, aux prisonniers pour religion. Tertullien y voit un effet de l’éminente charité fraternelle qui unit les chrétiens, et il poursuit : « Quoi d’étonnant si cette charité se traduit encore par des banquets, si tanta caritas convivatur ? Vous dénoncez nos modestes repas, cœnulas nostras, comme des prodigalités. Vous n’ayez aucune gêne au sujet des festins des Saliens, des Éleusinies, et autres, mais vous vous récriez sur le triclinium des chrétiens, de solo triclinio rhristianorum retractatur. Notre repas montre par son seul nom ce qu’il est : il est appelé ce que les Grecs appellent dilection, ?W vocatur quod dilectio pênes Grsecos est : quelque frais qu’il coûte, c’est ua bénéfice que de faire ces frais au nom de la religion, puisque ce sont les pauvres que nous secourons de cette douceur, inopes quosque refrigerio isto juvamus… Noble est la raison de ce repas, appréciez l’ordre qui le règle et comment il peut être un office de religion. On ne prend point place avant d’avoir adressé une prière à Dieu, non prius discumbitur quani oratio ad Deum prægustetur : puis on mange à la mesure de sa faim, on boit à la mesure utile aux pudiques, on se rassasie comme il convient à qui n’oublie pas que même pendant la nuit on a Dieu à adorer, on converse comme qui sait que Dieu écoute. Et après qu’on a lavé ses mains, post aquam manualem, et que les lampes sont allumées, quiconque peut chanter, soit sur les saintes Écritures, soit de son inspiration propre, est invité à le faire au milieu de tous, et l’on peut juger alors comment il a bu. Une prière termine le repas, et l’on se retire paisiblement, ut qui non tam csenani csenaverint quani disciplinant. » Telle est la description classique de Tertullien, Apolog., xxxix, P. L., t. I, col. 408 sq. Ce sont dans l’ensemble les mêmes traits que nous relevions dans les canons d’Hippolyte. Ce repas est appelé agape ; il est payé aux pauvres, mais aux frais, semble-t-il, de la caisse commune. On le sert le soir et il se termine post lumina, c’est-à-dire après l’heure du lucernaire. Une prière ouvre le repas, une prière le termine, on chante des psaumes ou des compositions improvisées. On mange à sa faim, on boit à sa soif, mais la décence règle tout ; on est assis ou couché, on cause, on se lave les mains, c’est en tout un repas. Un autre opuscule de Tertullien, De jejun., P. L., t. ii, col. 977, nous apprend que ce repas est présidé par le clergé à qui une part double est servie, duplex præsidentibus honor binis partibus depulatur. Tertullien devenu montaniste reprocha grossièrement aux catholiques, non certes l’eucharistie, mais leurs agapes, « cette charité en marmites, cette foi culinaire, cette espérance sur le plat, apud le agape in cacabis fervet, fides in culinis calet, spes in ferculis jacet. » De jejun., loc. cit. Ces agapes n’avaient rien de commun avec l’eucharistie.

Un passage du reste obscur de Clément d’Alexandrie, Psedag., Il, 1, P. G., t. viii, p. 385, s’accorde avec les indications de Tertullien. Clément parle des festins joyeux du monde, que l’on a appelés Senrvâpia, mais que le Seigneur n’appelle pas àyâ7ra ? : car le Seigneur a dit d’inviter les pauvres quand on fait un festin.

IVe et Ve siècles.

Tertullien et Hippolyte mis à part, on ne relève plus que des traces fort clairsemées de ces agapes. On en relève dans le 11° canon du concile de Gangres (343 ?). Mansi, Concil. collect., t. il, Florence, 1759, col. 1101 : « Si quelqu’un méprise ceux qui par esprit de foi font agapes et pour honorer le Seigneur y convient les frères, et s’il refuse, par dédain, de prendre part aux convocations, qu’il soit anathème. » Les canons de Gangres visent surtout des puritains, les eustathiens, enclins à condamner les usages et les lois ecclésiastiques ; on conclura de ce 11e canon que les agapes étaient pratiquées encore dans la haute Galatie. Au ive siècle, les canons 27e et 28e du concile ou soi-disant concile de Laodicée (de Phrygie), ibid., col. 570, pirlent aussi des agapes. Le 27e défend que les « clercs ou laïques conviés à l’agape emportent des parts » chez eux, car ce serait « outrager le règlement ecclésiastique ». L’agape était donc ici encore en usage. Le 28e défend de « faire ce qu’on appelle les agapes dans les basiliques, èv toïç x’jptàxoïç, ou dans les églises, de manger dans la maison de Dieu et d’y dresser des tables », àxo-joira. Le même esprit a dicté le 30e canon du troisième concile de Cartilage (397). Mansi, t. iii, col. 885 : « Personne, soit évêque, soit clercs, ne fasse de repas dans les églises, à moins que par aventure ils n’aient à réconforter des passants, hospiliorum necessilale, » ces deux termes désignant les hospices pour étrangers et supposant que ces hospices pourront, en cas de besoin, recourir à l’église. Passé le ive siècle, il n’est plus fait mention d’agapes, à notre connaissance.

Il est à supposer que les agapes, exclues de l’intérieur des basiliques, durent se fondre dans les services charitables de l’Église, diaconies, xenodochia ou hospices, orphanotrophia, etc., qui répondaient aux exigences d’une administration sociale plus compliquée et plus économique.

Mais il faut signaler quelques derniers faits où les agapes du temps de Tertullien et de saint Hippolyte pensèrent trouver une survie, promptement arrêtée par l’autorité ecclésiastique. Exclues des basiliques urbaines, elles avaient trouvé un refuge dans les églises cimitériales, et là elles s’associèrent au culte des défunts. Saint Paulin, Epist., xiii, 11-16, P. L., t. lxi, col. 213217, rapporte que Pammachius, le riche proconsulaire, donna un repas aux pauvres de Rome, dans la basilique de Saint-Pierre. Saint Paulin fait de ce banquet une peinture pathétique ; il décrit la foule inondant la basilique et l’atrium, s’asseyant à terre par groupes auxquels on distribue les vivres et des aumônes en argent. Cette lettre de saint Paulin date de 397. Mais ce qu’il faut relever c’est que ce repas était donné par Pammachius en l’honneur de sa défunte femme, Paulina : c’est un repas funèbre. Et si saint Paulin s’applique à bien montrer que pareil repas funèbre est une aumône et une prière pour le soulagement de l’âme de la morte, c’est que le danger était grand de confondre ces repas cimitériaux avec les parental ta des païens. Saint Augustin, Conf., vi, 2, P. L., t. xxxii, col. 719, nous montre sa mère, à son arrivée à Milan, se disposant à visiter les « mémoires des saints » ou les « mémoires des défunts » ; elle s’y rendit, « comme elle avait coutume de faire en Afrique, » portant dans un panier les provisions de rigueur à manger et à distribuer, canistrum cum soleninibus epulis preegustandis atque largiendis, du viii, du pain, de la bouillie de farine. Mais Yosliarius lui interdit d’en rien faire, en lui représentant que l’évêque, saint Ambroise, a interdit ces dévotions, pour cette raison que ces distributions de vivres donnaient lieu à des intempérances et qu’elles ressemblaient trop aux parentalia : Quia Ma quasi parentalia superslitioni gentilium essent simiUima. Saint Augustin devait entrer dans les vues de saint Ambroise, car un de ses premiers actes à son retour en Afrique fut de promouvoir la suppression de l’usage qu’il avait vu supprimer à Milan. En 392, il écrit à Aurélien, évêque de Carthage, pour dénoncer l’usage existant de célébrer dans les cimetières des ébriétés et des banquets : Istae in cœmeteriis ebrietates et luxurtosa convivia. Saint Augustin presse l’évêque de Carthage de couper court à l’abus en supprimant ces repas, qui, dit-il, « dans l’Italie presque entière et dans toutes les églises transmarines ou peu s’en faut, ou n’ont jamais été admis, ou ont été supprimés par le zèle des évêques. » Si l’on veut procurer quelque soulagement aux défunts, que l’on fasse des oblaliones pro spirilibus dormientvwm super ipsas memorias, sans toutes ces dépenses. Et si l’on veut donner aux pauvres, qu’on leur donne un peu d’argent. Epist., xxii, P. L., t. xxxiii. col. 90. Saint Jérôme, dans une lettre à Eustochiurn qui date de 381, raconte en termes mordants que les veuves chrétiennes de Rome ne savaient pas faire l’aumône discrètement : Citm ad agapem vocaverint, præco conducitur. Et il signale à ce propos « la plus noble des dames romaines », distribuant de sa main des nummi un à un aux pauvres dans la basilique de Saint-Pierre, quo religiosior putaretur. F.jist., xxii, 32, P. L., I. xxii, col. 418. Agape était désormais synonyme d’aumône. Ducange cite maint exemple pris à des textes du moyen âge, où faire l’agape, demander l’agape, signifie faire l’aumône et demander l’aumône.

On a cru retrouver les agapes dans un texte où l’historien Socrate, H. E., v, 22, P. G., t. lxvii, col. 636, passant en revue les diversités liturgiques des églises de son temps (circa 4M)), signale, chez « les Égyptiens voisins d’Alexandrie et chez les habitants de la Thébaïde », l’usage d’avoir une synaxe le samedi et « d’y participer aux mystères non comme le veut la coutume des chrétiens » : car « après avoir fait leur repas et s’être repus de toute espèce de nourriture, le soir venu ils font l’oblation et participent aux mystères ». On a voulu voir là une survivance de l’agape primitive ; mais c’est mal comprendre Socrate, qui veut seulement signaler l’usage singulier consistant à célébrer l’eucharistie le samedi soir et à communier sans être à jeun. Et c’est bien ainsi que l’a compris Sozomène, H. E., vii, 19, P. G., t. lxvii, col. 1477, lorsque, démarquant le passage ci-dessus de Socrate, il le rédige ainsi : « Chez les Égyptiens en beaucoup de villes et de villages, contrairement à la loi universelle, on se réunit le soir du samedi après le repas pour participer aux mystères. » Rien des agapes.

II. Conclusions.

Nous pouvons maintenant conclure. Les agapes ont été des repas offerts aux pauvres par l’Église ou par quelque membre riche de l’Eglise. Cet usage fut pratiqué’à Rome, à Alexandrie, à Carthage, en Orient, au temps de Tertullien, de Clément, de saint Hippolyte. Antérieurement on n’en trouve pas trace. Passé le IIIe siècle, les institutions charitables le supplantent ; il n’en reste de vestige que dans les distributions de viii, de pain, qui se faisaient aux pauvres sur les sépultures des familles riches, distributions qui furent supprimées en Italie et en Afrique à la fin du ive siècle, à cause des abus qu’elles entraînaient et du caractère païen qu’on leur prêtait. C’est à ces quelques faits précis que se ramène l’histoire des agapes. Nous voilà loin du rôle que, de Bingham à Renan, on leur attribuait ! Institution apostolique, sinon même divine, reproduction de la cène même du Sauveur, l’agape aurait été le rite primitif de l’eucharistie ; puis, à un moment impossible à déterminer, l’agape aurait été dissociée de la fraction du pain, la fraction du pain serait devenue la messe, l’agape aurait été abandonnée. C’est là un système qui n’a qu’un tort, celui de ne se vérifier pas dans les textes, pour peu qu’on les étudie sans illusion préalable.

Pour la théorie traditionnelle voyez F. X. Kraus, art. Agapen do la Realencyclopâdie der çhristlichen Alterthùmer ; i. Thomas, art. Agapes du Dictionnaire de Ut Bible ; T. Zahn, art. Agapen de la Realencyclopâdie für protestantische Théologie taid Kirche, 3e édit. ; W. M. Ramsay, The church in the roman Empire, Londres, 1894 ; F. E. Warren, The Liturgy ami ritual of the antenicene Church, Londres, 1897 ; A. Allen, Christian Institutions, Edimbourg, 1898 ; Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. I, col. 775-848.

P. Batiffol.


1. AGAPET I er , pape, sacré le 13 mai 535, mort à Constantinople, le 22 avril 536, d’où son corps fut ramené à Rome et enseveli à Saint-Pierre.

Agapet était fils du prêtre Gordien, du titre de Pammachius, ou des Saints-Jean et Paul ; lui-même était archidiacre de l’Église romaine ; il avait établi une bibliothèque dans sa maison, celle-là même qui, passée plus tard aux mains de saint Grégoire, devint le monastère ad clivurn Scauri. Il ordonna à Rome quatre diacres et onze évêques. Il fut envoyé auprès de l’empereur Justinien par le roi goth Théodat, qui avait fait périr la reine Amalasonte, à laquelle il devait son royaume, et se voyait, pour ce motif, menacé par les armes de Bélisaire. Agapet fut très bien reçu par.lustinien. Il s’occupa des affaires de l’Eglise de Constantinople et réussit à faire descendre de son siège l’évêque Anthime, dont l’élection illégale avait été l’œuvre du parti monophysite. Il le remplaça parle prêtre Mennas qu’il sacra lui-même.

Nous possédons d’Agapet I" huit lettres authentiques. Mansi, Concil. collect, , l. viii, col.846 sq. ; P. L., t. i.xvi, col. 37 sq. ; Jallé Watlenbach, Begesta pontt/icttnt