Dictionnaire de théologie catholique/ANGE. IV. de saint Thomas d’Aquin et des scolastiques postérieurs.

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 632-642).

IV. ANGÉLOLOGIE de saint Thomas d’Aquin et des scolastiques postérieurs.


I. Principes philosophiques qui ont donné naissance aux principales opinions des scolastiques sur les anges.
II. Nature des anges. Leurs rapports avec les corps et l’espace.
III. Connaissance chez les anges.
IV. Volonté des anges.
V. Création, élévation, épreuve et béatitude des anges.
VI. Rapports mutuels des anges : hiérarchie, illumination, langage.
VII. Ministère des bons anges.

Saint Thomas a-t-il été surnommé le docteur angélique à cause de la supériorité de sa doctrine sur les anges ? On l’a dit. Ce qui est sur, c’est qu’avec son puissant génie, il donna à cette doctrine un caractère systématique auquel elle n’avait pu parvenir jusqu’alors. Ses théories furent combattues pour la plupart par Duns Scot, qui fut ainsi amené à formuler à son tour un système opposé. Enfin à la suite de longues luttes entre thomistes et scotistes, il se produisit un système intermédiaire dont Suarez est le principal représentant. A partir de la fin du XIIIe siècle, tous les scolastiques admirent l’un ou l’autre de ces trois systèmes ou s’en rapprochèrent plus ou moins. Aussi, dans l’impossibilité où nous sommes de rappeler les nombreuses opinions qu’ils émirent, nous bornerons-nous à esquisser les grandes lignes de ces trois systèmes et d’en montrer le lien logique.

Depuis le XVIIe siècle, les théologiens scolastiques n’ont plus été seuls à écrire sur les anges ; l’angélologie a pris sa place dans la théologie positive. Le traité des anges de Petau (dans le Cursus complelus theologise de Migne, Paris, 1839, t. vu) montra quelles avaient été les opinions des Pères à leur sujet. On a aussi publié en notre siècle sur l’histoire de l’angélologie divers travaux dont les principaux sont indiqués dans la bibliographie qui termine cet article et les deux articles précédents. Mais ces recherches de l’érudition n’ont point modifié sensiblement les opinions courantes des théologiens. Ceux-ci ont continué à suivre les vues de Suarez et surtout celles de saint Thomas d’Aquin. Il en devait être ainsi, puisque ces grands docteurs n’ont guère fait que synthétiser et développer, à l’aide de la psychologie scolas, tique, les données les plus sûres de l’Écriture sainte et de la tradition.

I. Principes philosophiques qui ont donné naissance AUX’PRINCIPALES OPINIONS DES SCOLASTIQUES SUR les anges. —

Avant d’exposer les vues de saint Thomas d’Aquin, de Duns Scot, de Suarez et de leurs disciples, il sera utile de faire connaître brièvement les principes philosophiques d’où dérivent leurs théories et qui donnent à chacun de leurs systèmes son caractère homogène. Ces principes peuvent être considérés sous des aspects divers. Pour mettre dans cet exposé autant de clarté que possible, nous ramènerons ces principes à quatre : trois principes psychologiques et un principe métaphysique.

I. principes psychologiques.

i. Quel est l’objet de l’intelligence humaine ? —

Saint Thomas d’Aquin répond : c’est l’essence des choses matérielles, c’est-à-dire ce qui est universel et nécessaire dans les choses matérielles. Sum. theol., I a, q. xii, a. Il ; q. lxxxiv, a. 7, 8 ; q. lxxxv, a. 5, 8 ; q. lxxxvi, a. 12 ; q. lxxxvii, a. 2, ad 2um, i !  ; q. lxxxviii, a. 2, 3 ; 1Il Sent., dist. XXIII, q. i ; Opusc. De principioindividuationis ; £)eo » ?/îna, l. III, lect.vm. L’intelligence humaine ne saurait donc avoir pour objet, sinon indirectement, le concret, le singulier, qui est l’objet des sens, non plus que le général non universel, qui est l’objet de la raison particulière ou cogitative. —

Duns Scot répond au contraire : l’objet de l’intelligence humaine, c’est l’être, qu’il soit particulier ou universel. IVSent., LUI, dist. XI V7q m ; IVSent., 1. [V.dist., XLV, q.m ; Quodlibet, q. XIII, n. 9 ; lnmetaph., . Vll, q. xv, et surtout De anima, q. xxii. Knlin

Suarez répond, en prenant une position intermédiaire, plus proche cependant de Duns Scot que de saint Thomas : l’objet de l’intelligence, c’est l’universel ; mais il faut considérer comme universel ce qui peut être représenté par une image commune, comme les images fabriquées par le sens commun. De angelis, l. II, c. xiv, n. 10, 11 ; c. xvi, n. 8. Ainsi, suivant saint Thomas d’Aquin, l’intelligence n’a pour objet direct que l’universel ; elle n’a pas pour objet direct le général, le particulier ou le singulier ; suivant Suarez, elle a pour objet direct l’universel et le général, non le singulier ; suivant Duns Scot elle a pour objet direct non seulement l’universel et le général, mais encore le singulier. Vacant, Etudes comparées sur la philosophie de saint Thomas d’Aquin et sur celle de Duns Scot, Paris, 1891, p. 107-163.

2. Part du sujet et de l’objet dans la connaissance.

— Une autre divergence à signaler entre la psychologie du docteur angélique et celle du docteur subtil, c’est la part différente qu’ils attribuent à l’intelligence et à l’objet connu dans l’acte de connaissance. Duns Scot explique cet acte par l’activité de l’intelligence qui, pour produire la connaissance, se servirait de l’espèce intelligible ou de l’image de l’objet connu, comme d’un instrument. Saint Thomas ne conteste pas que la connaissance soit produite par l’intelligence à l’aide de l’espèce intelligible ; mais sa théorie est moins subjectiviste ; il explique la connaissance par l’objet qui (par lui-même ou au moyen des espèces intelligibles) se présente à l’intelligence, et la transforme en se faisant objet de son acte. Saint Thomas attribue à l’objet le rôle de forme, et à l’intelligence celui d’une matière qui s’assimile à l’objet ; il justifie de cette manière l’objectivité et la vérité de la connaissance. Scot envisage moins les éléments constitutifs de l’acte (causes matérielles et formelles) que ses causes efficientes ; il est ainsi amené à faire de l’intelligence la cause principale, et de l’espèce intelligible la cause instrumentale de cet acte. Vacant, op. cit., p. 88-107.

Suarez reconnaît la fausseté des accusations portées par Scot contre la théorie de saint Thomas, De anima, l. III, c. iv, n. 4 ; mais il ne semble pas avoir bien remarqué ce que la théorie thomiste offre d’original et de profond. De anima, l. III, IV.

3. Part du sujet et de l’objet dans la volonté.

Il y a entre saint Thomas d’Aquin et Duns Scot une divergence analogue, mais plus profonde encore, relativement à la volonté que relativement à l’intelligence. Conduit par la même tendance objectiviste, que nous venons de remarquer, saint Thomas a construit sa théorie de la volonté, en tenant surtout compte de l’objet de cette faculté, qui est le bien connu par l’intelligence. Il admet en conséquence dans la volonté des actes nécessaires et des actes libres, suivant que l’objet est saisi par l’entendement comme un bien parfait ou comme un bien mélangé d’imperfection. Duns Scot, dirigé par sa tendance subjectiviste, porte au contraire son attention non point sur l’objet, mais sur l’acte même de volonté. Il pense que la liberté qui s’affirme dans cet acte est essentielle à tous les actes de volonté, et par conséquent que tous les actes de volonté sont libres, quel que soit le bien qu’ils ont pour objet. Vacant, D’où vient que Duns Scot ne conçoit point la volonté comme saint Thomas d’Aquin, dans le Compte rendu du quatrième congrès scientifique international des catholiques, iw section, p. 631 sq., Fribourg en Suisse, 1898, et dans la Revue du clergé français, 150ct. 1897, p. 289. Suarez prend ici encore une [position intermédiaire entre les deux docteurs du xiiie siècle. Il admet la théorie de saint Thomas d’Aquin que nous venons de rappeler. Mais, comme il n’a adopté les conclusions du docteur angélique ni sur l’universalité de toutes les conceptions intellectuelles, ni sur l’impossibilité pour les anges de faire aucun raisonnement, il est amené à partager la plupart des opinions de Scot sur la volonté des anges.

II. piuscipe MÊiAPUisiQUB.

Les seolast.qujs’admettaient, à la suite d’Aristote, que tous les êtres corporels sont composés d’un double principe, la matière et la forme. Saint Thomas pense que la matière est absolument indéterminée par elle-même, qu’elle ne saurait recevoir de déterminations sinon de la forme, qu’elle ne saurait par conséquent posséder aucune essence, ni exister sans la forme. Attribuant à la forme tout ce qui’donne aux êtres leur nature et leur essence, il cherche dans la matière étendue le principe d’individuation qui fait que les individus se distinguent les uns des autres, tout en possédant une essence commune. En ell’et, puisque tout ce qui leur est commun vient de leur forme commune, il faut que leur individualité vienne de la Matière qui leur est parliculière. Sum. theol., I*, q. III, a. 3, ad 3um ; q. l, a. 4 ; III », q. lxxvii, a. 2 ; IV Sent., l. IV, dist. XII, q. i ; Opusc. De ente et essentia. Duns Scot estime au contraire que la matière possède d’elle-même des caractères essentiels, qu’elle peut exister sans la forme. De rerum principio, q. vii, a. 2, n. 28. Ce n’est donc pas à la matière qu’il demande le principe d’individuation des êtres corporels, mais à un je ne sais quoi appelé plus tard l’heccéité, qui s’ajoute à l’essence du composé de matière et de forme et fait qu’il est tel individu. Suarez pense que l’individualité d’un être lui vient de tous ses éléments substantiels ensemble, par conséquent de son essence et de sa forme, aussi bien que de sa matière. A son avis, une substance individuelle n’a besoin d’autre principe d’individuation que son entité même et les principes intrinsèques qui constituent cette entité. Metaphysica, disp. V, sect. VI.

II. Nature des anges. Leurs rapports avec les corps et l’espace. — Les anges sont des intelligences qui ne sont pas destinées à être unies à des corps. Ils diffèrent par là des âmes humaines, qui sont la forme d’un corps. Saint Thomas d’Aquin et les scolastiques qui viennent après lui sont d’accord à le soutenir. Mais nous avons vu qu’ils se font des notions différentes de l’intelligence en général, et de l’intelligence humaine en particulier. Il en résulte qu’ils se font aussi des conceptions différentes des intelligences angéliques.

I. saint thomas d’aquin. — 1. Nature des anges. — Mettant une différence profonde entre l’objet de l’intelligence humaine (qui est l’essence des choses matérielles) et l’objet de l’intelligence angélique (qui est l’essence des choses et l’universel), il devait admettre que la nature de l’ange est absolument différente de la nature de l’homme. Refusant en outre à l’intelligence, soit humaine soit angélique, d’autre objet direct que l’universel, il devait aussi envisager les anges comme étant sans aucun mélange de matière ; car la matière est le principe du singulier et du contingent. Il établit donc non seulement que les anges sont incorporels, Sum. theol., I », q. l, a. 1 ; mais encore qu’ils ne sont pas composés de forme et de matière. Ils sont, selon lui, des formes subsistantes, attendu que la substance est conforme à ses opérations, et que les opérations angéliques sont absolument immatérielles, comme il ressort de leur objet. Impossibile est quod substantia intellectualis habeat qualemcumque maieriam. Operalio enini cujuslibet rei est secundum modum substantise ejus. Intelligere autem est operatio penilus immaterialis, quod ex ejus objecto apparet. Ibid., a. 2. — Du moment que les anges ne sont pas composés de matière et de forme, il faut encore, suivant le saint docteur, que chacun d’eux soit une forme différente des autres, qu’il ait par conséquent son essence à part et qu’il y ait autant d’espèces angéliques qu’il y a d’individus. Ils ne peuvent en effet être plusieurs dans une même espèce, puisqu’ils n’ont pas de matière ni de quantité, et que le principe d’individuation dans une même espèce est, suivant lui, la matière étendue. Ibid., a. 3. — L’Ange de l’école tire encore une autre conclusion de l’absolue immatérialité des anges, c’est qu’ils sont incorruptibles ou immortels par nature ; car si un composé de forme et de matière perd son être par la séparation de ces deux principes, il n’en est pas de même d’une forme subsistante qui garde naturellement son être. Nous avons du reste une autre preuve de l’incorruptibilité naturelle de l’ange, dans son opération qui est intellectuelle et dont l’objet est au-dessus du temps. Ibid., a. 5.

2. Rapport des anges avec les corps et l’espace. — Ces principes mènent saint Thomas d’Aquin à d’autres conséquences sur les rapports de l’ange avec les corps et avec l’espace. L’ange étant une substance intellectuelle, et n’ayant pas l’imperfection de l’âme humaine, n’est pas uni naturellement à un corps. Cependant il peut prendre un corps étranger, par lequel il agit, dans lequel il ne vit pas, mais qu’il meut de façon que ce corps le représente. I a, q. li. — L’ange ne saurait être dans un lieu à la manière des corps, puisqu’il n’a pas d’étendue ni de dimensions. Il est cependant dans un lieu par l’application qu’il fait de sa puissance à ce lieu. Comme d’ailleurs la puissance angélique est finie, l’ange ne saurait l’appliquer à tous les lieux, ni être en plusieurs lieux en même temps. Plusieurs anges ne sauraient non plus occuper le même lieu, parce que le même résultat ne peut être produit immédiatement par deux causes qui suffisent chacune à le produire. Ibid., q. lu. L’ange se meut d’un lieu dans un autre en y appliquant successivement sa vertu, sans avoir besoin pour cela de passer, comme les corps, par les lieux intermédiaires. Ibid., q. lui.

II. duns SCOT.

I. Nature des anges. — Le docteur subtil, regardant l’être comme l’objet de l’intelligence humaine aussi bien que de l’intelligence angélique, ne veut pas qu’il y ait de différence spécifique entre l’intelligence angélique et l’intelligence humaine, non plus qu’entre la volonté de l’ange et la volonté de l’homme. Cavelle, Supplementum ad quæstiones Scoti de anima, c. iii, sect. viii, dans Scoti opéra, Paris, 1892, t. iii, p. 763. Il ne pouvait donc voir une différence profonde entre l’ange et l’âme. Il admet cependantque c’est une différence spécifique. Mais il établit cette différence par une raison de convenance fort contestable : plus une créature est élevée, plus elle doit, dit-il, se diviser en des degrés multiples ; or pour qu’il y ait plus de degrés dans le monde intellectuel que dans le monde matériel, il faut que l’ange soit spécifiquement distinct de l’âme de l’homme. IV Sent., . ll, dist.l, q.n, n.l. Il dit encore que cette distinction vient de ce que l’ange constitue une nature par lui-même, tandis que l’âme est seulement une partie de nature puisque la nature humaine est composée de corps et d’âme. L’ange et l’âme de l’homme se distinguent donc comme une espèce et une partie d’espèce. Cependant c’est dans l’âme qu’est la raison qui fait distinguer de l’ange la nature dont l’âme est une partie. IV Sent., ]. II, dist.I, q. v, n. 1. La distinction, on le voit, est affirmée mais non expliquée. Duns Scot admet, d’ailleurs, contrairement à saint Thomas, que l’ange est composé de forme et d’une matière de même essence que celle des corps. De anima, q. xv ; De rerum principio, q. vii, vin. Cependant les anges sont spirituels, parce que la matière qui entre dans leur composition n’est pas corporelle et qu’elle est comme absorbée par l’activité de leur forme. De rerum principio, q. vii, n. 27. Voir plus hautl’article Ame. Sa spiritualité. Démonstration théologique, col. 1028.

Le docteur subtil croit qu’il peut y avoir plusieurs anges dans la même espèce, puisque toute espèce est communicableà plusieurs individus, et qu’autrement elle ne serait pas universelle. 1 V Sent., I. ii, dist. III, q. vu. C’est la conséquence de la théorie sur le principe d’individuation que nous lui avons vu soulenir plus haut et c’est un des points sur lesquels les controverses oui (’lé’des plus vives entre l’école sçotiste et l’école thomiste.

2. Rapports des anges avec les corps et l’espace. —

Duns Scot admet, comme saint Thomas, que l’ange peut prendre un corps étranger et le mettre en mouvement, mais qu’il ne saurait vivre de la vie de ce corps. Report, paris., l. II, dist. VIII. L’ange peut être en dehors detoutlieu ; maisil peutaussi êtredansunt ieu. lVSent., ].II, dist.II, q.n, n.ll. Il ne saurait être en tout lieu, comme Dieu ; mais nous ne savons si l’étendue qu’il peut occuper est déterminée, ibid., ni s’il peut naturellement être en deux lieux différents et distants, ibid., q. vu ; rien n’empêche d’ailleurs que plusieurs anges soient en un seul et même lieu. Ibid., q. viii. Du moment qu’ils occupent un lieu, ils peuvent se mouvoir de ce lieu en un autre. IV Sent., I. II, dist. II, q. ix-xil.

/// suarez. — 1. Nature des anges. — Suarez suit saint Thomas d’Aquin sur la question de l’absolue immatérialité des anges et de leur immortalité naturelle, De angelis, l. I, c. v, vi, vii, ix, x ; mais, conformément à sa théorie sur le principe d’individuation, il admet avec Scot que rien ne s’oppose à ce qu’il y ait plusieurs anges de la même espèce, c. xv.

2. Rapports des anges avec les corps.

Suarez développe le sentiment du docteur angélique sur les corps pris par les anges dans leurs apparilions, l. IV, c. xxxm-xxxix, et soutient que l’ange est dans le lieu non par une application de sa puissance, comme le disait saint Thomas, non par sa substance comme le voulaient les scotistes, mais par la présence de sa substance avec le corps qui occupe ce lieu. L. IV, c. vu. Il en déduit de nombreuses conclusions sur la localisation et le mouvement local des anges. L. IV, c. viii-xxxii.

III. Connaissance chez les anges.

I. Observations sur les diverses théories scolastiques. — Les anges sont des intelligences : ils n’ont point de corps, ni par conséquent de sens. Leur connaissance est donc intellectuelle. Les théologiens l’enseignent unanimement. lisse sont aussi appliqués à expliquer la connaissance intellectuelle chez les anges, par comparaison avec la connaissance intellectuelle chez l’homme. Comme on devait s’y attendre après ce que nous avons dit au début de cet article, deux caractères distinguent les théories de saint Thomas de celles de Duns Scot. — 1° Saint Thomas accorde une plus grande part à l’objet, tandis que Duns Scot accorde une plus grande part au sujet dans la connaissance angélique, aussi bien que dans la connaissance humaine ; 2° saint Thomas ayant attribué à l’intelligence humaine un objet (l’essence des choses matérielles) qui ne peut être l’objet propre d’esprits sans corps comme les anges, est amené par le fait â établir une différence profonde entre l’intelligence de l’ange et celle de l’homme. Duns Seot pensant au contraire que toutes les intelligences soit humaines, soit angéliques, ont le même objet, c’est-à-dire l’être, considère au contraire l’intelligence humaine et l’intelligence angélique comme très semblables l’une à l’autre. Nous allons voir les conséquences de ces tendances diverses dans les théories de nos docteurs.

2. Saint Thomas d’Aquin.

Il établit une différence absolue entre l’intelligence humaine dont l’objet propre est l’essence des choses matérielles, et l’intelligence angélique dont l’objet propre est l’immatériel. Il résulte, en effet, de cette différence d’objet une différence de constitution. L’homme, suivant la doctrine scolastique, a besoin de deux intelligences : une intelligence passive pour comprendre, et une intelligence active pour immatérialiser et rendre intelligible l’objet matériel qui lui est apporté par les sens. Mais, dit saint Thomas, l’ange n’a pas besoin d’intelligence active, puisque l’objet de sa connaissance n’est pas emprunté au monde sensible, et qu’il est immatériel. Sum. theol., I a, q. liv, a. 4 ; Cont. gent., l. I, c. xcv. Il n’a donc point une double intelligence, comme l’homme. Mais si l’ange ne peut tirer du monde sensible les espèces ou images intelligibles à l’aide desquelles il connaît, d’où lui viennent-elles ? Elles lui viennent de Dieu, répond le docteur angélique. Dieu a mis ces espèces intelligibles dans l’intelligence angélique au moment de sa création. Sum. theol., I », q. lv, a. 2. La perfection de l’intelligence venant de l’objet qu’elle est capable de saisir et cet objet étant l’universel, les images intelligibles données par Dieu aux anges sont d’autant plus universelles que l’ange est supérieur. Plus elles sont universelles, en effet, plus elles embrassent d’objets, et plus elles se rapprochent de la science de Dieu qui voit tous les objets dans sa seule essence, qui est absolument simple. Sum. theol., I a, q. lv, a. 3.

L’intelligence des anges qui jouissent de la béatitude céleste connaît de deux façons : d’une manière surnaturelle par une vision intuitive en Dieu (voir plus loin § 5), et d’une manière naturelle par les moyens de connaître qui leur appartiennent en raison de leur création. Nous ne nous occupons en ce moment que de leur connaissance naturelle. Voici ce que dit saint Thomas à son sujet. L’ange se connaît lui-même sans avoir besoin d’aucune espèce intelligible, mais en ayant pour objet sa propre substance, qui est immatérielle. Sum. theol., I a, q. lvi, a. 1. Il connaît les autres anges par les espèces intelligibles qui les représentent et que Dieu a mises en lui en le créant. Ibid., a. 2. Il connaît Dieu naturellement, non par une vision de l’essence divine, mais par l’image que lui présente de Dieu sa propre essence angélique. Ibid., a. 3. Il connaît l’essence des choses matérielles par ses espèces intelligibles innées, qui sont plus simples et plus immatérielles que cette essence. Sum. theol., I a, q. lvii, a. 1. Il’connaît aussi les êtres singuliers et particuliers, non point par le moyen des sens, comme l’homme, mais par ses espèces intelligibles innées, dans lesquelles son intelligence a la puissance de percevoir les individus en même temps que les natures universelles qui se réalisent dans ces individus. Ibid., a. 2. Mais l’ange ne possède naturellement la connaissance ni des futurs libres, ni des secrètes pensées des cœurs, ni des mystères de la grâce. Ibid., a. 3, 4, 5. L’ange possède donc depuis sa création toute sa science naturelle ; il ne saurait augmenter cette science qu’en ce qui regarde les objets surnaturels. Cependant, parmi les objets de sa science naturelle, il peut considérer ceux qu’il veut, Stim. theol., I a, q. lviii, a. 1, mais successivement ; car il ne lui est pas possible de considérer en même temps plusieurs idées, ibid., a. 2 ; cependant il embrasse simultanément, dans la même idée universelle, un nombre d’objets d’autant plus étendu que cette idée est plus universelle et, par conséquent, que son intelligence est plus puissante. Il saisit donc, d’un seul acte d’intelligence, les conclusions dans leurs principes et les propositions particulières dans les propositions universelles. C’est pourquoi il ne fait point, comme l’homme, de raisonnements ni d’analyses et de synthèses, bien qu’il comprenne les raisonnements et les analyses de l’homme. Aussi dit-on que les âmes humaines sont raisonnables, parce qu’elles raisonnent, tandis que les anges sont appelés des intelligences, parce qu’ils comprennent sans raisonnement. Ibid., a. 3, 4. De ce que les anges comprennent la vérité sans faire de raisonnement ni d’analyse, il suit qu’ils ne peuvent se tromper dans tout ce qui regarde l’ordre naturel. Mais les démons peuvent tomber dans l’erreur par rapport à l’ordre surnaturel. Ibid., a. 5.

3. Duns Scot.

Ainsi que nous l’avons remarqué, il ne fait pas une grande différence entre l’intelligence angélique et l’intelligence humaine. Il admet sans doute que les anges et les hommes sont d’espèce différente, IV Sent., l. II, dist. I, q. v ; que l’ange n’a pas de corps, ni de sens comme l’homme. Il admet encore, suivant les données de la tradition, que l’ange a reçu au moment de sa création des espèces intelligibles qui lui assurent une science naturelle supérieure à la nôtre, qu’il ne saurait connaître naturellement les futurs libres. Mais il combat à peu près toutes les autres assertions de saint

Thomas d’Aquin sur la connaissance angélique. Il raille l’étrangeté d’une intelligence qui serait incapable d’acquérir par elle-même aucune science. Suivant lui, l’ange a la faculté d’arriver à de nouvelles connaissances. Il possède pour cela une intelligence active (i~itellectus agens) aussi bien que l’homme. Rien ne l’empêche de tirer sa connaissance des objets qui sont en dehors de lui, même des corps et des êtres particuliers ou singuliers. / V Sent., l. II, dist. III, q. xi, n. 439. L’ange ne dépend point pour cela des corps ; mais lesprend pour objet de son intelligence. lVSent., l. II, dist. IX, q. il, n. 130. Lorsqu’il acquiert la connaissance d’un objetsingulier.ee n’est point par la connaissance de l’universel ; car le singulier renferme quclquechose qui n’est pointdansl’universel. IV Sent., I. II, dist. IX, q. il, n. 8-11. L’ange a de Dieu une connaissance abstractive, mise en lui au moment de sa création ; il ne saurait arriver à cette connaissance par la considération de sa nature angélique ni autrement. Ibid., dist. III, q. ix, n.5, 7. L’ange se connaît lui-même d’une façon intuitive au moyen de sa propre essence. Ibid., dist. III, q. x, n. 16. Mais cette connaissance de lui-même a pour cause non seulement cette essence qui en est l’objet, mais encore l’entendement qui en est le sujet. Ibid., dist. III, q. viii, n. 8. On reconnaît ici la théorie générale (voir plus haut, § 1) de Scot sur la part du sujet et de l’objet dans la connaissance. Conformément à cette théorie, il nie aussi que l’ange ait des idées d’autant plus universelles qu’il est plus parfait. Ce n’est pas, selon lui, l’universalité des idées, mais leur clarté qui fait la perfection de la connaissance. Ibid., dist. III, q. x, n.22. Cette perfection vient, en effet, de la manière dont l’intelligence saisit l’objet, aussi bien que de la nature de cet objet lui-même. Scot admet encore, à l’opposé de saint Thomas, que les anges font des raisonnements, ibid., dist. I, q. v, n. 3 ; qu’ils peuvent connaître soit les pensées secrètes et les actes libres qu’un autre ange voudrait leur cacher, ibid., dist. IX, q. il, n. 27 (bien que, en fait, le démon ne connaisse pas ce « secrètes pensées, 7 VSent., AV, dist. X, q. viii, ad3um ; parce que, disent les scotistes, Dieu lui refuse son concours pour cette connaissance, cf. Suarez, De angelis, l. II, c. xxiii, n. 4), soit les mystères de la grâce, après qu’ils sont accomplis. IV Sent., l. IV, dist. X, q. viii, concl. 2. La raison c’est que l’ange a une intelligence capable de connaître tout ce qui est être.

4. Suarez.

Il suit généralement les opinions de saint Thomas ; mais comme il n’adhère pas à tous les principes d’où ces opinions se déduisent, il se montre hésitant sur certaines d’entre elles et en abandonne même quelques-unes. Voici les particularités de son système. On reconnaîtra facilement les points où il est en désaccord avec le docteur angélique. L’ange n’a point d’intellect agent, De angelis, l. II, c. i, n. 15 ; il tire.ses connaissances soit des espèces universelles mises en lui par Dieu au moment de sa création, ibid., c. vii, viii, et qui probablement sont d’autant plus universelles que l’ange est plus élevé, ibid., c. xv, soit aussi d’espèces non universelles, mais particulières, que Dieu a mises aussi en lui, et qui lui font connaître les êtres égaux ou supérieurs à lui, soit même d’espèces acquises, qui représentent les actes libres des êtres créés, soit de révélations surnaturelles, c. xiv. L’ange se connaît lui-même par sa propre essence, sans avoir pour cela besoin d’aucune espèce, c. iv. Il connaît aussi Dieu par cette essence, en tant que Dieu en est le créateur ; mais c’est par d’autres moyens qu’il connaît Dieu dans les attributs qui n’ont pas de rapport avec sa création, c. xvii, xviii, xix. Les autres anges, c. v, et les objets matériels singuliers, c. vi, lui sont connus par les espèces reçues de Dieu au moment de sa création ; — mais non les futurs contingents, c. ix ; car aussi longtemps que ces futurs ne sont pas réalisés, les espèces innées, par lesquelles l’ange les connaîtra ensuite comme existants, ne les lui manifestent que comme possibles, e. xi, — ni les actes libres, c. xxi, ou les pensées intérieures, c. xxv, d’un autre ange, sans le consentement ou la manifestation de ce dernier, c. xxi ; car Dieu n’a pas mis dans l’ange au moment de sa création des espèces répondant à ces actes libres, c. xxiii, n. 17 ; c. xxiv (qu’on remarque cette raison qui obligera Suarez à adopter une théorie particulière sur la locution des anges ; voir plus loin, § vi). La connaissance naturelle de l’ange ne saurait atteindre ce qui est surnaturel quoad substantiam, comme la présence de Jésus-Christ dans l’eucharistie, c. xxix, mais elle s’étend jusqu’aux faits naturels quoad substantiam, et surnaturels quoad modum, comme les miracles, c. xxx. Il est capable d’analyser, de synthétiser, c. xxxii, et de faire des raisonnements, c. xxiii ; il peut tomber dans l’erreur, c. xxxix, non pas, il est vrai, pour les vérités évidentes, mais pour celles qui sont conjecturales pour lui ou surnaturelles. Lorsqu’il porte toute son attention sur une de ses idées innées, il ne saurait en considérer d’autres, parce qu’elle épuise toute sa puissance de connaître ; cependant son attention peut embrasser en même temps plusieurs de ces idées, s’il ne les envisage point dans toute leur étendue, c. xxxvii.

IV. Volonté des anges.

Les doctrines de saint Thomas d’Aquin et de Duns Scot sur la volonté humaine ont naturellement inspiré leurs enseignements sur la volonté angélique. Pour Suarez, nous avons déjà remarqué que, tout en préférant les vues de saint Thomas d’Aquin à celles de Duns Scot sur la volonté humaine, il est néanmoins amené à suivre les opinions de ce dernier sur la volonté angélique, en raison de la divergence que nous avons constatée au sujet de la connaissance des anges, entre lui et saint Thomas d’Aquin.

1. Saint Thomas d’Aquin.

Les anges ont une inclination vers le bien universel connu par leur intelligence, c’est-à-dire une volonté. Cette volonté est libre ; elle ne se distingue point, comme l’appétit sensitif, en irascible et concupiscible, parce que son objet n’est point le bien particulier, mais uniquement le bien universel. Sum. theol., I a, q. xx. Bien que l’ange connaisse par le même acte d’intelligence la fin et les moyens qui y mènent, attendu qu’il ne raisonne point, cependant sa volonté est capable d’une dilection naturelle qui le porte vers la fin, et d’une dilection élective dont la dilection naturelle est le principe. Ibid., q. lx, a. 1, 2. L’ange s’aime lui-même d’une dilection naturelle, parce qu’il se veut du bien, et d’une dilection élective par rapport au bien qu’il se veut. Ibid., a. 3. La dilection naturelle de l’ange le porte aussi à aimer Dieu plus que lui-même. Ibid., a. 5. Aussi les anges bienheureux qui possèdent la vision intuitive de Dieu, l’aiment-ils nécessairement, et sont-ils incapables de pécher. Ibid., q. lxii, a. 8. Cependant les mauvais anges qui ne voient pas l’essence divine haïssent Dieu, parce qu’ils le connaissent par des attributs qui contrarient leur volonté. Ibid., q. lx, a. 5, ad 5um. Ils ont pu aussi pécher par un libre choix. Ibid., q. lxiii, a. 1. En raison de sa dilection naturelle pour Dieu, l’ange ne pouvait se détourner de lui comme principe de l’ordre naturel, mais il pouvait se détourner de lui, comme objet de la béatitude surnaturelle, et ainsi tomber dans le péché. Ibid., a. i, ad 3um ; De malo, q. xvi, a. 5. Saint Thomas semble donc admetttre que l’ange ne pouvait pécher contre la loi naturelle, mais seulement contre une loi surnaturelle. Il ajoute qu’il n’a pu pécher par amour d’un mal, puisqu’il n’avait point de passion et que sa volonté était ordonnée au bien. Mais il a pu pécher en recherchant son propre bien, en dehors de l’ordre voulu par Dieu qui est la règle du bien. Ibid., ad i um. Les anges n’ont pu pécher véniellement. En effet, du moment qu’ils ne raisonnent pas et qu’ils voient les conclusions dans les principes, ils ne sauraient se porter vers les moyens qui se rapportent à la fin, sinon en les considérant dans cette lin.

Il ne saurait donc y avoir en eux de désordre qui ne soit contre leur fin. Or tout désordre contre la fin est un péché mortel. Leurs fautes ne sauraient donc être vénielles. I a II 16, q. lxxxix, a. 4. La nature de la volonté angélique fait aussi qu’un seul acte bon ou mauvais la fixe à jamais dans le bien ou dans le mal. La volonté de l’ange est en effet comme son intelligence. Elle s’attache à la fin qu’elle a une fois choisie avec une pleine connaissance, sans subir l’inlluence d’aucune passion, comme l’intelligence s’attache aux premiers principes. La détermination de la volonté angélique pour la fin que Dieu lui propose, ou pour une autre fin, c’est-à-dire pour le bien ou pour le mal, est donc libre en elle-même ; mais aussitôt qu’elle a été prise, elle devient irrévocable ; il en est ainsi même par rapport à la fin surnaturelle, car les conditions où la volonté angélique se détermine sont les mêmes dans l’ordre surnaturel, que dans l’ordre naturel : Dieu ne les change point par ses dons surnaturels. Il en résulte que les bons anges sont à jamais fixés dans la béatitude (la vision de Dieu leur assurerait d’ailleurs sans cela l’impeccabilité, Sum. theol., I a, q. lxii, a. 8), comme les mauvais anges sont à jamais fixés dans la réprobation. Les uns et les autres restent cependant libres dans le choix des moyens qui se rapportent à leur fin bonne ou mauvaise. De malo, q. xvi, a. 5,’Sum. theol., I a, q. lxii, a. 8 ; q. lxiii, a. 2.

2. Duns Scot.

La volonté est un appetitus dirigé par l’intelligence ; mais comme l’intelligence n’a pas seulement pour objet l’universel, mais encore le singulier et tout ce qui tombe sous les sens, la volonté est concupiscibleet irascibleaussibienque l’apétitsensitif. / V Sent., l. III, dist. XXXV. Scotadmetaussique, comme la volonté humaine, la volonté angélique est toujours libre ; il y a sans doute dans la volonté une inclination naturelle vers l’objet intelligible le plus parfait ; mais à cette inclination est indissolublement annexé le libre arbitre, qui a pour règle la justice à laquelle il doit se conformer. La règle du juste pour la volonté n’est donc pas son inclination naturelle. Le rôle de la liberté est de gouverner cette inclination naturelle : ce qu’elle peut toujours faire, au moins sur certains points, en permettant ou non les actes demandés par cette inclination, et en modérant l’intensité de ces actes. / V Sent., l. II, dist. VI, q. ii, n. 8, 9, 10 ; Reporlata, l. II, dist. VI, q. il, n. 9sq. La volonté est donc toujours libre ; elle se porte vers des objets que lui présente l’intelligence ; mais elle peut errer dans son choix, sans que l’intelligence l’ait trompée ; car elle peut vouloir un bien et ne pas vouloir la cause de ce bien, IV Sent., l. II, dist. VI, q. i, n. 7 ; elle peut se complaire dans le désir inefficace de voir réunir des objets dont l’intelligence juge l’assemblage impossible. Ibid., dist. VI, q. i, n. 6 ; Reportata, l. II, dist. VI, q. ii, n. 6. Cette théorie est, comme on le voit, à l’encontre de la doctrine de saint Thomas d’Aquin. Aussi Scot rejette-t-il toutes les conséquences tirées par ce dernier de sa doctrine. Il n’admet point qu’un seul acte de l’ange l’ait fixée nécessairement dans le bien ou dans le mal. Selon lui, les démons ont commis une série de fautes également libres et après chacune desquelles il leur était possible de se repentir. Ibid., dist. VI, q. il, n. 16 sq. En tombant dans la damnation, ils n’ont pas même perdu cette liberté qui est dans leur nature, ibid., dist. VII, q. unica, n. 4-6 ; ils gardent la puissance de vouloir ou de ne pas vouloir, ibid., n. 14-18 ; ils gardent même celle de faire des actes bons en eux-mêmes et dans leurs circonstances, quoique leur véhémente malice les empêche probablement d’en accomplir aucun. Ibid., n. 21 ; Reportata, l. II, dist. VII, q. il, n. 27 sq. Cependant ils ne peuvent se repentir, ni se convertir, parce que maintenant qu’ils sont dans l’état de liii, Dieu, d’après une loi qu’il s’est tracée, ne leur donne plus les grâces qui leur seraient nécessaires pourcette conversion. I’Sent., . II, dist. VII. Les bons anges gardent dans la béatitude une liberté analogue. Toutefois les bons anges ne peuvent plus mériter une augmentation de gloire, ni les démons une augmentation de peine, parce que le mérite ne saurait exister que dans l’état de voie, et qu’ils sont maintenant dans l’état de terme, lbid., dist. VII, q. unica, n. 28.

3. Suarez.

Il pense avec saint Thomas d’Aquin que la volonté angélique ne renferme ni l’appétit concupiscible, ni l’appétit irascible, et qu’elle n’a pour objet que le bien connu par l’entendement ; mais, étendant le domaine de l’entendement plus que le saint docteur, il est amené à étendre également celui de la volonté angélique. Il estime donc qu’elle produit des actes qui répondent à ceux de l’appétit concupiscible et de l’appétit irascible. De angelis, l. III, c. i. Ayant admis, contrairement à la doctrine de saint Thomas, que l’ange est capable de certains raisonnements, il se rallie aux opinions suivantes de Duns Scot : l’ange aurait pu pécher contre l’ordre naturel, ibid., c. vu ; il aurait pu pécher véniellement, ibid., c. vin ; il aurait pu se repentir après son péché, car il n’est pas fixé irrévocablement dans le bien ou le mal, par le seul fait qu’il s’y est une fois déterminé. Ibid., c. x. Cependant Suarez conçoit la liberté non, avec Scot, comme le fondement de la volonté, mais, avec saint Thomas, comme une propriété de cette faculté. Aussi, tout en restreignant le champ de la liberté angélique moins que saint Thomas, il admet avec ce dernier que la liberté ne s’étend pas à tous les actes de volonté de l’ange. L’ange ne saurait se haïr lui-même, ibid., c. iv, v, n. 6 ; il ne saurait cesser de s’aimer, ibid., c. iv, n. 6 ; cependant il est libre d’éliciter ou non les divers actes que sa volonté peut produire vis-à-vis de lui-même. Ibid., n. 16 sq. Sa liberté est plus étendue vis-à-vis de Dieu ; car il peut l’aimer ou le haïr. Ibid., c. v. Suarez pense, avec saint Thomas, que les démons sont incapables d’aucun bien moral, que tous leurs actes libres sont mauvais moralement et qu’ils ne cessent de produire de ces actes. Ibid., l. VIII, c. vin. Il regarde cette obstination dans le mal, comme le résultat nécessaire de l’influence produite sur leur volonté par l’état misérable et douloureux auquel ils se voient à jamais condamnés. Ibid., c. xi. Pour les bons anges, ils sont confirmés dans le bien par la vision intuitive de Dieu qui les rend bienheureux et assure la rectitude à leur volonté. Ibid., l. VII, c. vii, n. 4.

V. Création, élévation, épreuve et béatitude des

ANGES. — 1° DOCTRINES COMMUNES A SAINT THOMAS, DUNS

scot et suarez. — I. Création. — Les anges sont des créatures de Dieu. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. lxi, a. 1 ; Suarez, De angelis, l. I, c. il. Ils n’ont pas été créés de toute éternité, mais ils ont eu un commencement. S. Thomas, ibid., a. 2 ; Suarez, De angelis, l. I, c. II. Ils ont été créés en même temps que le monde corporel. Saint Thomas soutient cette opinion comme la plus probable. Ibid., a. 3. Elle est regardée comme certaine par Suarez. Ibid., . I, c. m. Aucun d’eux n’a été créé mauvais. S. Thomas, ibid., q. lxiii, a. 4 ; Suarez, De angelis, l. I, c. m ; l. VII, c. n.

2. Élévation et épreuve.

Tous les anges ont été élevés à l’état de grâce pour subir une épreuve ; car il fallait qu’ils fussent élevés à l’état surnaturel pour mériter la béatitude surnaturelle. S. Thomas, Sum. theol., q. Lxii, a.2 ; Scot, / V Sent, l. II, dist.V, q. i, n.7 ; Suarez, ibid., l. V, c. m. Les principaux mystères divins, en particulier l’incarnation, leur ont été alors révélés. S. Thomas, ibid., q. lxiv, a. 1, ad 4um ; Suarez, ibid., l. V, c. VI.

3. Béatitude.

Ceux qui sont restés fidèles à Dieu dans cette épreuve ont reçu, en récompense de cette fidélité, et non, comme le pensait Pierre Lombard, en récompense de leur futur ministère envers les hommes, la béatitude éternelle par la vision intuitivede Dieu. S. Thomas, ibid., q. lxii, a. 4, 9 ; Scot, IV Sent., l. II, dist. V, q. i, n. 1

sq. ; Suarez, ibid., . VI, c. i-vui. Les anges qui ont offensé Dieu dans leur épreuve ont été, au contraire, condamnés au feu de l’enfer et sont devenus des démons. Voir ce mot.

II. opinions de saint thomas d’aquin. — I. Création et élévation. — L’ange a été créé par Dieu dans l’étal de béatitude ou de perfection naturelle ; car n’acquérant point ses connaissances comme l’homme par des raisonnements, il a reçu de Dieu, dès le premier moment de sa création, toute la science naturelle dont il était capable. Sum. theol., I a, q. lxii, a. 1. L’état de grâce sanctifiante dans lequel les anges ont subi leur épreuve leur a été aussi plus probablement donné au moment même de leur création. Ibid., a. 3.

2. Épreuve.

Nous l’avons déjà dit, l’épreuve des anges n’a pu consister que dans la possibilité d’aimer leur propre bien d’une manière qui n’était pas conforme à la volonté de Dieu ; car l’ange, n’ayant point de passion, ne pouvait s’attacher à quelque chose qui ne fût pas un bien. Ibid., q. LXIII, a. 1, ad 4um. Ce bien qu’il pouvait désirer d’une façon désordonnée, c’était la ressemblance avec Dieu ; non pas une ressemblance par égalité de nature, car il la savait impossible ; mais la ressemblance qui est donnée à la créature dans la béatitude surnaturelle. Les mauvais anges, qui ont succombé à cette épreuve, ont donc péché en se comportant d’une façon désordonnée vis-à-vis de cette béatitude à laquelle Dieu les appelait, soit qu’ils aient préféré prendre pour Un dernière la béatitude à laquelle ils étaient capables d’arriver naturellement, soit qu’ils aient voulu parvenir à la fin surnaturelle par leurs seules forces naturelles, et sans le secours de la grâce de Dieu. Dans l’un ou l’autre cas, ils ont voulu arriver à la béatitude de la fin, par leur vertu personnelle, ce qui est le propre de Dieu. Ibid., q. lxiii, a. 3. Les bons ont triomphé de cette épreuve par un acte de charité. Ce seul acte leur a assuré la possession immédiate de la béatitude ; en effet, de même que l’ange arrive aussitôt à sa perfection naturelle sans passer par aucun raisonnement, de même le premier acte méritoire doit lui obtenir aussitôt la béatitude surnaturelle. Ibid., q. lxii, a. 5.

3. Béatitude.

Le degré de béatitude a dû être accordé à chaque ange dans la mesure de sa perfection naturelle. En effet, Dieu semble avoir donné aux anges des degrés divers de perfection naturelle pour les préparer à recevoir des degrés divers de grâce et de béatitude ; d’autre part, la nature angélique n’étant point composée comme la nôtre de natures diverses, aucun obstacle ne l’empêchait de se porter vers Dieu de toutes ses forces. Il semble donc que les anges qui possédaient une nature plus parfaite ont aimé Dieu plus parfaitement et mérité une plus grande béatitude. La béatitude des bons anges n’augmente point dans ce qu’elle a d’essentiel. Ibid., q. lxii, a. 9. Cependant, jusqu’au jour du jugement, les anges peuvent voir augmenter leur récompense accidentelle, en particulier la joie qu’ils éprouvent au sujet des hommes qui sont sauvés par leur ministère, Luc, iv, 10 ; mais il est plus probable qu’ils ne méritent pas cette augmentation. Ibid., ad 3um.

4. L’élévation et la béatitude ont-elles été méritées aux anges par le Chris f ! — La grâce donnée aux bons anges durant leur épreuve ne leur a pas été méritée par le Christ, non plus que ce qu’il y a d’essentiel dans leur béatitude. Deveritate, q. xxix, a. 7, ad5 ura. Ilestcependant leur chef, et son influence s’exerce sur eux. Sum. theol., III a, q. lix, a. 6. Cette influence n’est pas la fin de l’incarnation qui s’est faite pour les hommes. Elle en est seulement une conséquence. De veritate, q. xxix, a. 4, ad 5um. Toutefois le Christ a mérité aux anges la récompense accidentelle qui leur vient de leur ministère auprès de nous.761rf v a. 7, ad5 ura.Il les a jugés à la suite de leur épreuve et par rapport à l’essentiel de leur récompense ou de leur péché, comme Verbe de Dieu ; il ne les jugera comme Christ fait homme, que sur ce qu’ils font dans le monde, et sur ce qu’il y a d’accidentel dans leur récompense ou dans leur châtiment. Sum. theol., III", q. lix, a. 6.

ni" opinions de duns scot. — I. Les périodes de l’existence angélique. — Les anges ont été créés tous égaux. IV Sent., l. II, dist. V, q. i, n. 7. Il est probable que Dieu leur a assigné à tous le même temps pour leur épreuve et pour leur récompense ou leur châtiment. Ibid., n. 6. Leur existence peut donc se partager en trois ou en quatre périodes (morse) : 1° la période de leur récompense ou de leur châtiment dans laquelle ils sont ; 2° la période de leur épreuve qui a nécessairement précédé la première, et où ils ont mérité ou démérité ; 3° une troisième période qui a précédé leurs mérites et leurs démérites, et où ils étaient égaux et en état de grâce sanctifiante. Il semble plus probable qu’ils ont été créés en cet état de grâce ; car aucune raison n’oblige à croire qu’ils ont été antérieurement dans un autre état. Cependant la conjecture de certains théologiens, suivant laquelle ils auraient été créés dans l’état naturel et élevés seulement ensuite à l’état de grâce, n’offre rien d’invraisemblable. En ce cas moins probable, il y aurait eu au commencement de leur existence une quatrième période, celle de l’état naturel. Ibid., q. I, n. 6, 7 ; q. il, n. 13.

2. Création et épreuve.

Après ce que nous avons vu des opinions de Duns Scot sur l’intelligence et la volonté des anges, il est clair qu’il ne leur accorde pas l’entière perfection naturelle ni avant, ni pendant leur épreuve. Cf. ibid., dist. V, q. ii, n. 13 sq. Cependant il reconnaît qu’ils ont reçu dès l’origine la connaissance abstractive de Dieu dont ils étaient naturellement capables et qui constituait leur perfection naturelle. Ibid., dist. III, q. ix, n. 8. — Selon lui, la période de leur épreuve a compris plusieurs instants ; car elle a été remplie pour les mauvais anges, par plusieurs péchés successifs, de diverses espèces et de plus en plus graves, et pour les bons anges, par un combat contre le dragon et une victoire (Apoc, xin). Ibid., dist. V, q. IX, n. 9 ; q. H, n. 15 ; cf. ibid., dist. VI, q. vii, n. 16 sq. ; dist. VII, q. unica, n. 6. Le mérite des bons anges est venu de ce combat, comme la faute des démons a consisté à suivre Lucifer. Leur péché a consisté en un amour désordonné d’euxmêmes, ibid., dist., VI, q. il, n. 4, qui leur fit désirer la béatitude d’une façon immodérée. Ibid., n. 5 sq. Ce ne fut point un péché d’orgueil proprement dit, mais plutôt un péché de luxure, puisqu’on peut rapporter à la luxure la délectation désordonnée dans une chose spirituelle, comme la science de la géométrie. Ibid., n. 14. Plusieurs scotistes admirent, comme le fit Suarez, que le péché des démons consista à envier l’union hypostatique du Christ ; cependant ils ne citent aucun texte de Scot en faveur de cette opinion. Frassen, Scolus academicus, in IV Sent., . II, tr. I, disp. III, a. 3, q. iii, n. 36, Paris, 1673, t. ii, p. 181. Mais le docteur subtil dit clairement que les mauvais anges auraient pu se repentir, aussi longtemps qu’ils restèrent dans la période d’épreuve, avant d’être précipités en enfer. IV Sent., l. II, dist. VI, q. vii, n. 17, ad 4°->.

: J. Béatitude. — Les bons anges ont mérité la béatitude

surnaturelle par la manière dont ils ont subi leur épreuve. Leur récompense substantielle ne s’accroît pas. Ibid., dist. VII, q. i, n. 28. On attribue à Scot d’avoir admis que cette récompense substantielle augmente en extension sinon en intensité. Ainsi fait Suarez, Deangclis, l.VI, C. vt, n. 0. Duns Scot, IV Sent., I. II, dist. X ; Reporlala, l. II, dist. X, q. ii, admet en effet un progrèsque Suarez rejette, De angelis, l. VI, c. v, dans la connaissance de l’incarnation au moins par les anges inférieurs ; niais le progrès dans la connaissance de l’incarnation peut être regardé comme accidentel dans la vision béatifique des anges. Cf. Suarez, De angelis, l. VI, c. vi, n. 1 sq. Les

textes du docteur subtil invoqués par Suarez, 7 VSent.l. III, dist. XIV, q. ii, n. 21, peuventdoncs’entendrede la récompense accidentelle des anges. Suarez le reconnaît lui-même. Ibid., c. vi, n. 6. Scot pense, comme saint Thomas d’Aquin, que la récompense accidentelle des anges s’accroît par la connaissance qui leur est donnée successivement de la conversion et des bonnes œuvres des hommes ; mais tandis que saint Thomas estime que cet accroissement est indépendant de tout mérite de la part des anges bienheureux, Duns Scot croit qu’ils le méritent par leur ministère auprès des élus. IV Sent., l. II, dist. V, q. i, n. 4.

4. La grâce a-t-elle été méritée aux anges par le Christ ? — Bien que le docteur subtil soutienne que le Christ se serait incarné alors même qu’Adam n’eût point péché, / V Sent., l. III, disp. VII, q. ni, n. 3, et que son incarnation a été résolue par Dieu avant la prédestination des anges, il pense néanmoins que les grâces données aux anges ne leur ont pas élé méritées par le Christ. Ibid, , dist. XIX, q. unica, n. 6. Cf. les commentaires de Cavelle sur ce passage, n. 7, dans Duns Scot, Opéra, Paris, 1894, t. xiv, p. 717.

iv> opinions de suarez. — 1. Création. — L’angeaurait pu recevoir la béatitude naturelle, au moment de sa création, s’il avait été établi dans un état de nature pure ; mais, ayant été créé dans un état surnaturel et pour subir une épreuve, il n’a pas reçu la béatitude naturelle, puisqu’il était peccable et qu’il ne contemplait ni n’aimait nécessairement Dieu à tous les instants. De angelis, l. III, c. xi.

2. Élévation.

L’opinion la plus probable est celle qui accorde l’état de grâce aux anges dès le moment de leur création. Ibid., l. III, c. iv. Il est plus probable aussi qu’ils se sont disposés dès ce premier moment à l’état de grâce et aux vertus qui l’accompagnent, par des actes surnaturels produits non à l’aide de ces vertus, mais à l’aide de grâces actuelles. Ibid., . III, c. vii-ix. Malgré l’autorité de saint Thomas qui soutient l’opinion contraire, il semble que les anges n’ont pas reçu tous un degré de grâce et de gloire proportionnel à leur perfection naturelle ; car plusieurs ont pu se disposer à l’état de grâce, ou mériter la gloire par des actes plus parfaits que les actes d’autres anges supérieurs par leur nature. Ibid., l. V, c. x. Tous les anges, même les futurs démons, ont fait des actions bonnes et méritoires pendant cette première période de leur existence, et cette période a duré un laps de notre temps qu’il est impossible de déterminer. Ibid., l. V, c. xi, n. 5.

3. Épreuve.

Pendant une seconde période, les bons anges ont mérité une augmentation de grâce et de gloire par diverses bonnes actions, tandis que les mauvais anges méritaient la damnation. Cette épreuve est la guerre que, suivant l’Écriture, Lucifer provoqua entre les anges, en leur proposant de se révolter contre Dieu. Ibid., l. V, c. xi, n. 6 sq. ; c. XII, n. 6. Les anges ont tous reçu des grâces suffisantes pour persévérer pendant cette période ; les mauvais anges auraient pu se repentir après être entrés dans la mauvaise voie ; cependant, en fait, tous ceux qui sont entrés dans cette voie à la suite de Lucifer y ont persisté jusqu’à leur damnation, en raison non d’une impuissance physique, mais d’une impuissance morale. Ibid., l. V, c. xii ; l. VIII, c. I. De même aucun des anges qui sont entrés alors dans la bonne voie n’est tombé’ensuite dans le péché avec les mauvais anges. Cette persévérance de tous les anges qui ont bien commencé cette seconde période vient d’une grâce spéciale, efficace, qui leur a été donnée de Dieu. Ibid., l. V, c. xii.

Cette seconde période de l’existence angélique a été caractérisée non seulement par de nouvelles grâces actuelles, mais encore par une nouvelle révélation. L’incarnation du Verbe a été révélée alors à tous les aiiLies. Il leur a été ordonné de reconnaître le Christ fait homme pour leur chef et l’auteur de leur salut, et de l’adorer comme Dieu, Lucifer a prétendu que cette excellence était due à sa nature ; lui, et les mauvais anges qu’il entraîna, refusèrent d’obéir, pendant que les bons anges se soumettaient. C’est en quoi a consisté l’épreuve des anges. Ibid., l. V, c. XII, n. 13 ; In tertiam parlem, dist. V, sect. iv, n. 18.

4. Béatitude.

Les mauvais anges ont été précipités en enfer aussitôt après avoir consommé leur péché. De angelis, l. VIII, c. n. Les bons anges sont entrés dans la béatitude éternelle aussitôt après leur épreuve ; la possession de cette béatitude constitue la troisième période de leur existence. De angelis, l. VI, c. i-m. Suarez attribue aux anges bienheureux, dès le premier moment de leur béatitude, une connaissance complète de tous les mystères de la foi qui devaient être révélés aux hommes avec l’Évangile, mais il incline à leur refuser la connaissance du jour du jugement. Ibid., l. VI, c. v. Cette manière de penser s’imposait à lui du moment qu’il admet que l’incarnation a fourni l’objet de l’épreuve des anges et que leur élévation leur a été méritée par le Christ. Il suit l’opinion de saint Thomas sur l’augmentation de leur bonheur accidentel, sans mérite de leur part. Ibid., l. VI, c. v-ix.

5. L’élévation et la béatitude ont-elles été méritées aux anges par le Christ ? — Suarez soutient non seulement que le Christ est le chef des anges, In tertiam partent, disp. XXIII, sect. i, n. 6 ; mais encore que c’est lui qui leur a mérité toutes les grâces et la gloire qu’ils ont reçues : il considère cette conclusion comme la conséquence de l’opinion que l’incarnation aurait eu lieu, alors même qu’Adam n’eût point péché. Ibid., disp. XLH, sect. i.

Le péché d’Adam, selon lui, a été la cause non de l’incarnation mais de la rédemption. C’est pourquoi le Christ n’a point racheté les anges qui ont péché. Ibid., disp. XL1I, sect. n. Il est le sauveur des anges, c’est-à-dire l’auteur de leur salut et de leur glorification, non leur rédempteur. Si l’on objecte que les anges pas plus que les hommes n’auraient dû entrer dans la béatitude avant le Christ, leur sauveur, Suarez répond que les anges n’étant point pécheurs, ni exclus du ciel comme les hommes pécheurs, n’avaient pas besoin d’attendre leur rédemption pour y entrer. Il convenait au contraire qu’ils reçussent leur récompense sans aucun retard et par conséquent avant l’avènement du Sauveur. De angelis, l. VI, c. il, n. 9.

VI. Rapports mutuels des anges. Hiérarchie. Illumination. Langage. — i° saint thouas d’aquin. — i. Hiérarchie. — Saint Thomas suit l’Aréopagite sur la question de la hiérarchie des anges. La hiérarchie est une principauté sacrée. Du côté du prince qui est Dieu, il n’y a qu’une seule hiérarchie embrassant les anges et les autres créatures raisonnables qui sont sanctifiées. Du côté des sujets, il faut distinguer autant de hiérarchies qu’il y a de groupes qui reçoivent d’une manière différente les ordres du prince, comme on distingue les cités qui sont soumises à un même prince, mais ont reçu de lui une législation différente. Les hommes connaissant les lois divines d’une manière différente des anges, forment une hiérarchie différente de celle des anges. Les anges à leur tour ayant une intelligence plus ou moins puissante, et connaissant les lois divines de manières diverses, sont partagés en trois hiérarchies. La première saisit ces lois comme elles procèdent du premier principe universel qui est Dieu. La seconde hiérarchie les saisit comme elles dépendent des causes universelles créées, qui sont déjà en assez grand nombre. La troisième hiérarchie les saisit comme elles s’appliquent à chaque être et dépendent de ses causes particulières. Sum. theol., I a, q. cviii, a. 1. Chaque hiérarchie contient, à son tour, trois ordres dilfèrents par leurs actes et leurs offices : un ordre supérieur, un

ordre intermédiaire et un ordre inférieur, que saint Denys a parfaitement distribués en plaçant dans la première hiérarchie les séraphins, les chérubins et les trônes ; dans la seconde, les dominations, les vertus et les puissances ; dans la troisième, les principautés, les archanges et les anges, ibid., a. 2, 5, 6, division à laquelle peut d’ailleurs se ramener celle de saint Grégoire ; car si celui-ci place autrement les principautés et les vertus, c’est parce qu’il ne donne pas à ces termes le même sens que saint Denys. Ibid., a. 6, ad 4um. Chaque ordre renferme à son tour beaucoup d’anges différents, mais que nous ne pouvons distinguer à cause de l’ignorance où nous sommes de leurs offices. Ibid., a. 3. Cette distinction des anges en hiérarchies et en ordres est fondée, dans sa préparation, sur leurs dons naturels qui les disposaient à leur degré d’élévation surnaturelle, et dans son achèvement, sur leurs dons surnaturels et la vision intuitive que Dieu leur accorde de son essence. Ibid., a. 4. Elle persévérera donc après le jour du jugement sous ces deux rapports, mais non pour le ministère confié aux anges de mener les hommes à leur fin. Ibid., a. 7. Les hommes peuvent entrer dans les divers ordres des anges, non en prenant leur nature, mais en méritant au ciel une gloire qui les égale à l’un ou l’autre ordre des anges. Ibid., a. 8.

2. Illumination.

On dit qu’un ange est éclairé ou illuminé par un autre lorsqu’il reçoit de lui la connaissance d’une vérité ignorée du premier et connue du second. Sum. theol., l a, q. cvi. Il n’y a pas illumination mais simple locution, lorsqu’un ange manifeste ce qui dépend de sa propre volonté ; pour qu’il y ait illumination, il faut qu’il s’agisse d’une vérité qui a pour seule règle l’intelligence divine. Ibid., q. cvii, a. 2. Un ange inférieur n’illumine jamais un ange supérieur ; car cela serait contre l’ordre établi de Dieu, ibid., a. 3 ; mais un ange supérieur peut éclairer un ange inférieur, et il le fait de deux manières : d’abord il fortifie sa puissance intellective en se tournant vers lui, comme un corps plus chaud augmente la température d’un corps froid dont il se rapproche ; ensuite il met à sa portée, par des divisions convenables, ses concepts trop universels pour être saisis en eux-mêmes par l’ange inférieur. De cette manière il explique à l’ange inférieur ce que celui-ci ne pouvait concevoir, comme un maître explique à ses disciples les principes généraux par leurs applications particulières. Ibid., a. 1. Cette illumination n’a point pour objet l’essence divine dont tous les anges bienheureux ont la vision, mais seulement la raison des œuvres de Dieu qui sont manifestées plus ou moins aux anges et dans la mesure où ceux-ci sont plus parfaits. Ibid., a. 1, ad l um. Cependant cette illumination ne saurait jamais rendre la connaissance des anges inférieurs égale à celle des anges supérieurs, ibid., à. 4 ; jusqu’au jour du jugement les anges supérieurs recevront sur le monde et l’élection des élus de nouvelles révélations qu’ils pourront communiquer aux anges inférieurs par illumination. Ibid., a. 4, ad 3um. Malgré cette action de l’ange supérieur sur les anges inférieurs, il ne saurait mettre leur volonté en mouvement, puisqu’il ne leur manifeste pas le bien universel qui est Dieu, mais uniquement des biens créés. Cependant par la manifestation de ces biens créés et de leurs rapports avec Dieu, il peut incliner leur volonté en leur persuadant d’aimer ces créatures, ou bien Dieu à qui elles se rapportent. Ibid., a. 2.

3. Locution.

Les anges se parlent dans l’illumination ; ils se parlent aussi pour se manifester ce qui dépend de leur volonté ; c’est pourquoi un ange inférieur peut parler à un ange supérieur. Ibid., q. cvii, a. 2. Saint Thomas attribue à ce qui est intelligible le pouvoir de se manifester à l’intelligence, lorsque rien n’y met obstacle. Or il n’y a à la manifestation des conceptions d’un ange, d’autre obstacle que sa volonté qui a ces conceptions sous son domaine. Il suffit donc d’un acte de volonté pour qu’il pense actuellement à l’une ou l’autre des vérités qu’il sait. Il suffit de même que, par un acte de volonté, cet ange ordonne tel ou tel de ses concepts vers un autre ange, pour que celui-ci connaisse ce concept. L’attention du second ange est en effet excitée en ce cas, soit par la vision en Dieu de tout ce qui se rapporte à sa personne, si c’est un ange bienheureux jouissant de la vision intuitive, soit, si c’est un mauvais ange, par l’action de l’objet intelligible qui excite l’attention de l’intelligence angélique, comme le son de la voix humaine excite notre attention. Ce langage ne peut être saisi que par les anges à qui il s’adresse et non par les anges à qui il ne s’adresse point ; car vis-à-vis des premiers la volonté de l’ange qui parle supprime l’obstacle qui empêchait la manifestation de ses concepts, tandis qu’elle ne le supprime point visà-vis des derniers. Ibid., q. cvn. Les anges peuvent ainsi se parler, à quelque distance qu’ils se trouvent l’un de l’autre ; car cette explication si simple du langage des anges suppose que dans la connaissance de la vérité, la part principale revient à la vérité intelligible ou à l’objet et non à la faculté intelligente du sujet. Cette action prépondérante de l’objet est, nous l’avons vu, un des caractères distinctifs de la psychologie de saint Thomas d’Aquin qui considère l’objet comme la forme, et la faculté comme la matière de laconnaissance.

II. dvns scot.

I. Hiérarchie. — Le docteur subtil n’énonce aucune théorie spéciale au sujet des hiérarchies et des chœurs des anges ; il accepte avec tous ses contemporains l’exposé de l’Aréopagite.

2. Illumination. —Il définit l’illumination angélique quædam locutio de vero revelato perfectiva in esse secundo. IV Sent., . II, dist. IX, q.li, n.25 ; Reporlata, . II, dist. IX, q. ii, n. 18. C’est une locution ; elle se produit comme toute autre locution angélique. Elle se dintingue par son objet qui est une révélation faite à un ange, manifestée par lui à un autre ange et perfectionnant celui-ci en mettant son intelligence en acte par une connaissance actuelle, in esse secundo. S’il s’agit d’une vérité vue dans le Verbe (et Scot incline à croire qu’il en est toujours ainsi), l’ange illuminateur, Reporlata, l. II, dist. IX, q. il, n. 18, n’en peut donner la vision à l’autre ange, mais seulement le disposer à considérer cette vision dans le Verbe. Il est vraisemblable que Dieu ne fait aux anges inférieurs aucune révélation ignorée des anges supérieurs. Cependant il n’est pas impossible qu’il en fasse. En ce cas l’ange inférieur pourrait illuminer l’ange supérieur d’une certaine manière ; il ne pourrait pas cependant le forcer à l’écouter, comme l’ange supérieur y force l’ange inférieur. C’est pourquoi il n’y aurait point locution, comme nous allons voir que Scot la comprend, ni par conséquent illum inalion. 1 V Sent., l. II, dist. IX, q.n, n. 25, 26 ; i ?enor « a£a, l. II, dist. IX.q.n, n. 13 sq. Conformément à ses principes, Duns Scot n’exige donc pour l’illumination ni la manifestation d’une vérité dont l’universalité dépasse la compréhension de l’ange inférieur, comme saint Thomas, ni avec Suarez, une explication qui rende la vérité révélée évidente à l’ange qui l’ignorait. Il suffit, à son avis, que l’intelligence angélique reçoive une nouvelle perfection par la connaissance d’une révélation qu’elle ne connaissait pas.

3. Locution.

Contrairement à saint Thomas, le docteur subtil n’admet pas que la volonté de l’ange soit un obstacle qui voile ses pensées, ni que l’ange parle à un autre par le seul fait qu’il veut lui laisser voir sa pensée. Il soutient que les anges peuvent, quand ils le veulent, regarder et connaître la pensée d’un autre ange. Mais, pour qu’il y ait locution, ce n’est pas assez qu’un ange connaisse ce que pense un autre ange ; il faut que cette connaissance soit produite dans le pre mier par le second. La locution d’un ange c’est la production dans un autre ange d’une pensée actuelle qui était dans le premier. IV Sent., l. II, dist. IX, q. ii, n. 27 sq. L’ange parle donc en produisant en un autre ange le concept de ce qu’il lui dit, de la même façon volontaire qu’il produit ce concept en lui-même, en pensant à ce qu’il dit. Ibid., dist. IX, q. il, n. 15, 28. L’ange peut parler à plusieurs anges, en agissant sur leur intelligence, comme il agit sur la sienne propre, quand il produit ses propres pensées et les tire de sa mémoire par un acte volontaire d’attention. Il a ainsi leurs intelligences à sa disposition, ibid., dist. IX, q. n. n. 21 ; car l’ange à qui s’adresse la locution est purement passif dans son audition ; il est ensuite actif pour examiner ce qui lui a été dit. Ibid., n. 22, 23. Si l’objet de la locution est connu de l’ange qui entend, il suffit que l’ange qui parle en produise dans le premier la pensée ou le concept. Si cet objet est inconnu de l’ange qui entend, il faut que l’ange qui parle en produise dans le premier l’espèce intelligible en même temps que le concept. Si l’ange qui parle produit dans l’autre l’espèce intelligible et non le concept, il n’y a point locution parfaite, puisqu’il n’est pas entendu de l’ange à qui il s’adresse. Ibid., dist. IX, q. ii, n. 20, 21. Nous avons déjà remarqué qu’un ange inférieur ne saurait, selon Scot, imposer l’audition de ses pensées à un ange supérieur, tandis que l’ange supérieur est toujours maître d’imprimer ses concepts dans l’intelligence de l’ange inférieur, et par conséquent de lui parler et de l’illuminer. Ibid., dist. IX, q. ii, n. 22, 26 ; Reporlata, l. II, dist. IX, q. il, n. 14. La locution des anges peut se produire à distance ; car l’ange qui parle peut produire son concept dans l’ange à qui il parle, sans avoir besoin d’agir pour cela sur l’espace intermédiaire. Nous voyons une action à distance semblable dans le soleil qui produit des effets sur la terre, sans les produire dans l’espace qui l’en sépare. Reporlata, l. II, dist. IX, q. iii, n. 2, 3. Selon Scot la locution des anges ne s’explique point, comme le voulait saint Thomas, par l’intelligibilité de l’objet qui se manifeste à toutes les intelligences, du moment que rien n’y met obstacle. Elle s’explique par l’action de la volonté de l’ange qui parle, action qui produit à son gré la pensée de cet ange et ensuite celle des anges inférieurs. Reporlala, l. II, dist. IX, q. il, n. 16.

m suarez. — i. Hiérarchie. — Suarez suit la doctrine de saint Thomas d’Aquin sur les hiérarchies et les chœurs des anges. De angelis, l. I, c. xiii, xiv. Il regarde la division des anges en chœurs comme de foi divine, si l’on fait abstraction de la différence et de l’ordre qu’il faut mettre entre les chœurs, ibid., c. xiii, n. 2, et pense qu’il y a une différence spécifique de nature non seulement entre les hiérarchies, mais encore entre les chœurs. Ibid., l. I, c. xiv, n. 3 sq.

2. Illumination.

Nous l’avons vii, Suarez n’admet pas avec saint Thomas que l’objet de l’intelligence des anges est toujours universel, que son universalité est d’autant plus grande que l’ange est d’un ordre plus élevé, et que c’est par l’action de cet objet universel que s’explique l’intelligence de l’ange. Il ne pouvait donc accepter non plus la théorie où le saint docteur explique surtout l’illumination par l’universalité de la vérité qui en est l’objet, universalité qui la place au-dessus de l’intelligence des anges inférieurs et oblige les anges supérieurs à la diviser en concepts moins universels pour la mettre à la portée de l’ange qu’ils éclairent. A cette théorie, qu’il prétend pourtant reprendre sous une autre forme, ibid., l. VI, c. XII, n. 23, Suarez en substitue une autre, où l’illumination s’explique surtout par la manière subjective dont elle est reçue dans l’esprit de l’ange inférieur. Selon ce théologien, en effet, l’objet de l’illumination ne suffit pas à la distinguer de la simple locution ; pour que cet objet soit ignoré de l’ange inférieur, il faut, ajoute Suarez, qu’il soit un objet singulier ou un objet particulier contingent de l’ordre surnaturel ; il faut, par conséquent, qu’il consiste soit en un fait à venir, soit en un fait passé non remarqué par l’ange inférieur, soit en un fait présent qui est un secret du cœur. De angelis, l. VI, c. xii, n. 16. Ces caractères de l’objet de l’illumination ne suffisent pas à la distinguer de la simple locution. Aussi Suarez cherche-t-il une différence entre ces deux opérations, dans une condition toute subjective de l’illumination. C’est que l’ange illuminé adhérera à la vérité qui lui est manifestée non par une simple croyance, comme à une narration historique, mais en raison de l’évidence que les explications de l’ange supérieur lui donneront de cette vérité, en la mettant à sa portée. Ibid., c. xii, n. 20 sq. La théorie de Suarez ne lui permet pas de dire avec saint Thomas que ces explications de l’ange supérieur consisteront à diviser l’objet dont l’universalité dépasse la compréhension de l’ange inférieur. Il se borne à dire qu’il y aura des explications, sans en préciser la nature. Il affirme aussi que l’ange inférieur ne saurait rien manifester à l’ange supérieur que par manière de narration historique. Ibid., c. xiv, n..21. Il en conclut que l’ange inférieur est incapable d’illuminer l’ange supérieur. Ibid., c. xv, n. 22.

3. Locution.

Le subjectivisme de la psychologie de Suarez lui fait également rejeter la doctrine de saint Thomas sur la locution des anges. Cette locution, dit-il, ne saurait se produire si, comme le pense saint Thomas, l’ange qui parle se borne à diriger son concept vers les anges à qui il parle. Il n’est pas pourtant nécessaire qu’il imprime son concept dans leur esprit, comme le voulait Scot. Il suffit qu’il y imprime son espèce intelligible. De angelis, l. II, c. xxvi, n. 37. L’ange se servira du même moyen, si sa locution est une illumination. Ibid., l. VI, c. xv. Dans ces conditions, est-il possible aux anges de s’entretenir à distance ? Dans sa Métaphysique, dist. XVIII, sect. viii, n. 46, Suarez y voyait de très grandes difficultés ; il lui paraissait probable que les anges ne pouvaient se parler de loin. Dans son traité des anges, écrit postérieurement, l. II, c. xxviii, n. 13, il incline plutôt à penser que la distance n’est pas un obstacle à leurs conversations, attendu que les opérations par lesquelles ils se parlent n’ont aucun rapport avec l’espace. Cependant il n’ose se prononcer sur le cas où une distance très considérable séparerait deux anges qui voudraient se parler. Ibid., n. 14.

VII. Ministère des bons anges.

i. saint tbosjas d’aquin. — 1. Missions des anges. Reçoivent-ils tous des missions dans le monde sensible ? — Les anges reçoivent de Dieu dans le monde corporel des missions dans lesquelles ils sont les ministres de sa providence. Sum. theol., I a, q. ex, a. 1 ; q. cxii, a. 1. Mais ces missions ne sont confiées qu’aux anges inférieurs. Ibid., q. cxii, a. 2. Les anges de la première hiérarchie voient les secrets des mystères divins dans l’essence divine et se bornent à les communiquer aux anges inférieurs qui voient l’essence de Dieu, sans y percevoir ces secrets. C’est pourquoi les anges de la première hiérarchie ont reçu le nom d’anges assistants, Dan., vii, 18, car ils se tiennent près de Dieu et reçoivent immédiatement ses ordres. Ibid., a. 3. Les missions extérieures ne sont conliées qu’aux anges dont le nom exprime la capacité d’en recevoir ; c’est-à-dire aux cinq derniers ordres : les vertus, les puissances, les principautés, les archanges et les anges. Ibid., a. 4. Les plus élevés de ces ordres sont chargés d’un ministère plus universel. Les principautés ou peut-être les archanges sont préposés à toute la multitude des hommes ; les vertus sont préposées à toutes les natures corporelles ; les puissances sont préposées à la garde des démons ; les principautés ou les dominations à celle des bons anges. Le dernier ordre des anges fournit des gardiens à chaque individu de l’espèce humaine. Ibid., q. cxiii, a. 3.

2. Anges gardiens.

La [rovidence de Dieu qui gouverne les créatures inférieures par les créatures supérieures a, en effet, assigné aux hommes des anges députés à leur garde, pour les mener au bien. Ibid., q. cxiii, a. 1. Chaque homme a son ange gardien ; car si, comme il est probable, chaque genre et chaque espèce de créatures sont protégés par des anges pour assurer leur perpétuité, chaque homme étant immortel par son âme doit aussi avoir individuellement un ange gardien, jusqu’à ce qu’il arrive à la fin de son épreuve. Ibid., a. 2, 4. Cet ange ne nous est pas seulement donné depuis le moment de notre baptême, puisqu’il nous est assigné, à cause de notre nature raisonnable, et non à cause de notre titre de chrétien. Ibid., a. 5. Dans son commentaire sur le second livre des Sentences, dist. XI, q. I, a. 3, saint Thomas pense qu’il nous est donné au moment. où notre âme est créée ; dans sa Somme theologique, I a, q. cxiii, a. 5, il dit que c’est seulement au moment de notre naissance, parce que c’était à l’ange de notre mère à prendre soin de nous, tant que nous étions dans son sein. L’ange gardien n’empêche point les maux qui, suivant les décrets de la providence, frappent l’homme dont il est chargé ; mais il ne l’abandonne jamais durant sa vie. Ibid., a. 6. Notre ange jouit de la béatitude ; il ne saurait par conséquent être contristé des maux qui nous arrivent, car ils sont conformes à la volonté de Dieu qui est la règle de la sienne. Il déteste seulement ces maux considérés absolument et en eux-mêmes. Ibid., a. 7. Quand l’Écriture, Dan., x, 13, dit que les anges gardiens luttent les uns contre les autres, c’est pour exprimer qu’ils cherchent la volonté de Dieu au sujet des intérêts contraires des hommes qui leur sont confiés. Ibid., a. 8.

3. Action des anges sur la matière et sur l’homme.

— Voici maintenant comment les anges agissent sur la matière et sur l’homme. Les anges sont incapables de créer aucun être, même comme simples ministres de Dieu. La création est un apanage distinctif du Toutpuissant. Sum. theol., I a, q. xlv, a. 5. Les anges ne sauraient même agir directement sur la matière première pour produire des corps, puisqu’ils n’ont pas la toute-puissance divine et qu’ils ne sont ni des formes capables de s’unir à la matière, ni des agents corporels. Sum. theol., I a, q. ex, a. 2. Ils peuvent seulement imprimer aux corps un mouvement local, et par ce moyen produire à l’aide d’agents matériels les autres changements corporels. Ibid., a. 3. Ils sont donc dépourvus du pouvoir d’accomplir des miracles proprement dits. Ibid., a. 4.

L’ange peut illuminer l’intelligence de l’homme en la fortifiant et en lui présentant la vérité sous des images sensibles appropriées à la nature humaine. Ibid., q. exi, a. 1. Il ne saurait mouvoir la volonté de l’homme, mais seulement l’incliner par persuasion en lui proposant des motifs d’agir ou en excitant les passions de l’appétit sensitif. Ibid., a. 2.

Il peut introduire des images dans notre imagination, qui est une puissance sensitive ; il lui suffit pour cela de mettre convenablement en mouvement nos fluides et nos humeurs corporelles ; il est pourtant incapable de produire en nous des images absolument nouvelles ; ainsi il ne saurait faire voir des couleurs à un aveugle de naissance. Ibid., a. 3. Il a aussi le pouvoir d’agir sur nos sens, soit intérieurement comme il a été dit pour l’imagination, soit extérieurement en mettant devant nous un corps formé naturellement, ou un corps fabriqué à nouveau. Ibid., a 4.

W> duns scot. — I. Mission des anges. Reçoivent-ils tous des missions dans le monde extérieur ! — Les missions données par Dieu aux anges sont intérieures ou extérieures. Dieu révèle ses mystères les plus élevés aux anges supérieurs qui les manifestent aux anges inférieurs par locution et par illumination ; c’est une mission intérieure. Les anges inférieurs reçoivent à leur tour une mission extérieure pour annoncer et accomplir ces mystères parmi les hommes. Ainsi, les anges supérieurs reçoivent rarement une mission extérieure, c’est pourquoi Daniel, vii, les appelle assistants et les distingue des anges employés à des ministères. Cependant les anges les plus élevés ou quelques-uns d’entre eux sont quelquefois envoyés dans le monde extérieur. Il résulte en effet de divers textes, Is., lxiii, 1 ; Ephes., iii, 10, que beaucoup d’anges ignorèrent l’incarnation jusqu’à la passion du Sauveur ou la prédication des apôtres. Cependant ce mystère était connu de l’ange Gabriel envoyé à Marie pour le lui annoncer. C’est une preuve que c’était un ange des ordres supérieurs. IV Sent., l. II, dist. X, q. unica ; Reportata, l. II, dist. X, q. il.

2. Action des anges sur l’homme.

Duns Scot se sépare encore de saint Thomas au sujet de la manière dont les anges peuvent instruire les hommes. Ils le peuvent, dit-il, en prenant un corps pour nous parler ou en mettant sous nos yeux les objets qui nous instruiront. Mais le besoin que notre intelligence a d’images sensibles empêche l’ange d’y imprimer des concepts comme dans l’intelligence des autres anges. Il ne peut non plus former des images, ni en transporter dans notre imagination ; il a seulement le pouvoir d’écarter les obstacles qui empêcheraient notre imagination d’agir. L’ange est-il capable de fortifier notre intellect agent en y ajoutant l’action du sien ? Scot semblait le croire dans le commentaire des Sentences qu’il fit à Oxford ; mais dans celui qu’il publia ensuite à Paris, il rejette ce sentiment : l’ange, dit-il, est aussi impuissant à fortifier l’intellect agent, qu’à produire un concept dans l’entendement humain ; car l’intellect agent de l’ange ne saurait faire des abstractions que pour son propre entendement. Duns Scot reconnaît que ces difficultés rendent l’action des anges gardiens sur nous moins efficace, bien qu’ils nous aident beaucoup en nous défendant contre les démons et en écartant de nous ce qui pourrait nous nuire. IV Sent., l. II, dist. XI, q. unica ; Reportata, l. II, dist. XI, q. I.

III" suarez. — I. Adoption et interprétation des opinions de saint Thomas d’Aquin. — Suarez suit les enseignements de saint Thomas au sujet des missions angéîiques, des anges gardiens et de la manière dont l’ange agit sur l’entendementetla volonté de l’homme. Il précise ces enseignements en deux points où il prétend rendre la véritable pensée du docteur angélique. Il remarque que le ministère des anges vis-à-vis des créatures sensibles se rapporte à l’homme et à sa fin surnaturelle. Il en conclut que ce ministère rentre par conséquent toujours dans celui des anges gardiens et que le rôle surnaturel assigné ainsi aux anges d’après la doctrine catholique est bien supérieur aux fonctions de moteur des astres, qui leur était attribué par certains philosophes païens. De angelis, l. VI, c. xvii, n. 5. Voir plus loin Angélologie parmi les averroïstes latins. — Saint Thomas enseignait que l’ange nous éclaire d’une manière objective, en faisant produire à notre imagination des images qui s’oll’rentà notre intelligence. C’est aussi l’avis de Suarez. Saint Thomas ajoutait que l’ange fortifie en même temps l’intelligence humaine. Suarez interprète ce texte en ce sens que l’ange fortifie notre entendement par la manière plus parfaite dont il lui présente les objets à comprendre. Il ramène par conséquent toute l’action de l’ange sur l’intelligence humaine à la production des images sensibles par lesquelles l’ange dirige notre entendement. lbid., l. VI, c. xvi, n. 21. A son avis cette illumination de notre intelligence est le moyen le plus efficace que l’ange possède pour nous aider dans l’œuvre de notre salut. On le voit, Suarez se sépare de Duns Scot sur ce point, comme d’ailleurs dans toutes les questions relatives aux anges gardiens où le docteur subtil est en désaccord avec saint Thomas.

2. Fonctions des anges gardiens.

Suarez consacre un chapitre spécial aux principales fonctions des anges

gardiens vis-à-vis de nous. Il les ramène à six. — I" Les anges gardiens éloignent les périls qui menacent notre corps ou notre âme, soit en écartant de nous les causes extérieures de péril, soit en nous inspirant la pensée d’éviter ces causes, alors même que nous ne soupçonnons point le danger. Il faut joindre à cette fonction celle d’écarter tout ce qui met obstacle à notre progrès spirituel. — 2’1 Ils nous excitent et nous portent à faire le bien et à éviter le mal. — 3° Ils répriment les démons, diminuent la gravité de leurs tentations, aussi bien que la multitude des mauvaises pensées qu’ils inspirent ou des occasions de péché qu’ils font naître. — 4° Ils présentent nos prières à Dieu. — 5° Ils prient pour nous. — 6° Ils nous corrigent et nous punissent lorsque cela doit nous être salutaire ; les punitions qu’ils nous infligent sont donc très rarement l’effet de la seule justice de Dieu ; elles sont ordinairement médicinales, c’est-à-dire inspirées par la miséricorde de Dieu pour nous. — Le ministère de l’ange gardien qui avait commencé au moment de notre conception, De angelis, l. VI, c. xvii, n. 18, cesse à notre mort ; cependant, d’après le récit de saint Luc, xv, il conduit l’âme de son pupille jusqu’au ciel, lorsqu’elle est sans aucune souillure ; il la visite et la console en purgatoire, si elle passe par ce lieu d’expiation. De angelis, l. VI, c. xix.

Sun l’angélologie de saint Thomas d’Aquin : Schwane, Dogmengeschichte der mittleren Zeit, § 44-46, in-8° Fribourgen-Brisgau, 1882, p. 194-217 ; Karl Werner, Der heilige Thomas von Aquins, 3 vol. in-8° Ratisbonne, 1859, t. H, p. 402-431 ; Cajetan./x primant partem Summse theologicx, q. l-lxii, cxicxiii, dansD ; iHÏ710mae Opéra, Anvers, 1612, t. x ; CoMeguSa(manticensiscursustlieologicus, tr. VII, Deangelis. in-8° Paris, 1877, t. iv ; Jean de Saint-Thomas, Cursus theologicus, Paris, 1883, t. iii, iv ; BiUuart, Tractatus de angelis, dans son Cursus theologise, t. n de l’édition de Paris, 1852 ; les autres théologiens qui ont commenté ou exposé la doctrine de saint Thomas d’Aquin ; Pierre de Bergame, Tabula aurea in opéra sancti Thomæ Aquinatis, au mot Angélus, à la fin des diverses éditions des œuvres complètes de saint Thomas, t. xxxiii et xxxiv de l’édition de Paris, 1880. On y trouvera des renvois aux divers ouvrages de saint Thomas pour toutes les questions que nous avons abordées. Sur l’angélologie de Duns Scot et des auteurs du xiv siècle : Karl Werner, Joannes Duns Scotus, c. x, in-8° Vienne, 1881, p. 311-331 ; Lychet, Commentaires sur le second livre des Sentences de Scot, dans Joannis Duns Scoti opéra, Paris, 1893, t. XII ; Frassen, Scotus academicus, Paris, 1673, t. H, p. 2-209, et les autres théologiens qui ont exposé la doctrine de Duns Scot ; Karl Werner, Die nachscotistische Scholastik, c. vi (angélologie d’Auréolus, de Jean de Baconthorpe et d’Ockam), in-8° Vienne, 1883, p. 181-201.

Il n’y a aucun renseignement sur l’angélologie de Suarez et des théologiens postérieurs ni dans Karl Werner, Franz Suarez und die Scliolastik der letzten Jahrhunderte, 2 vol. in-8° Ratisbonne, 1861, ni dans Schwane, Dogmengeschichte der neueren Zeit, in-8° Fribourg-en-Brisgau, 1890. — Parmi les traités modernes des anges, bornons-nous à indiquer Palmieri, De Deo créante et élevante, Rome, 1878, p. 150-113, 439-470 ; Mazella, De Deo créante, disp. II, 2e édit., Rome, 1880, p. 169-340 ; Oswald, Angélologie, 2e édit., Padeiborn, 1889 ; Barré, De rerum creatione et specialim de angelis, part. I, Paris, 1897, p. 9-83.

A. Vacant.