Dictionnaire de théologie catholique/APOLOGÉTIQUE. Notion et but

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.2 : APOLINAIRE - AZZONIp. 8-12).

la vérité : la dialectique ; mais ils envisagent souvent des objets identiques : 1e surnaturel, Jésus-Christ, l’Eglise ; seulement, tandis que l’apologiste admet le magistère de l’Église à cause de Jésus qui l’a institué, proclame la mission divine de Jésus à cause du témoignage de Dieu lui-même, qui l’a surnaturellement révélée, affirme l’existence et l’autorité’de la révélation à cause des miracles et des prophéties qui lui donnent pour garants la science et la puissance divines, connaît enfin les attributs de Dieu par la raison capable de s’élever des créatures au créateur, le théologien suit un ordre inverse : c’est l’Église, qui est la règle prochaine de sa foi, en lui proposant la révélation divine, et c’est par elle qu’il connaît la personne de Jésus, l’ordre surnaturel et la nature de Dieu.

Il y a donc un rapport évident entre l’apologétique et la théologie, non pas que la première puisse être nommée la source de l’autre, puisque leur raison formelle est absolument différente, l’une procédant de faits expérimentaux et de principes rationnels, l’autre des vérités révélées, mais parce que la révélation n’est certaine et sa transmission assurée qu’après démonstration rationnelle, l’apologétique est tout au moins la condition absolument nécessaire de la théologie. Kleutgen, qui lui attribue ce caractère, Théologie der Vorzeit, Munster, 1853-18/i, p. 553, se refuse à aller plus loin et ne veut pas qu’on l’appelle principe ou fondement de la théologie : elle n’est point principe, puisque les arguments de la science sacrée ne sont pas des spéculations rationnelles ; elle n’est pas fondement, car celui-ci n’est pas de même nature que l’édifice dont il est la base. A ces scrupules, qu’ils jugent excessifs, Knoll, Schwetz, Hettinger, Jansen et autres, opposent la distinction qui existe entre fondement et source, principe et germe. Les eaux d’un fleuve sont identiques aux eaux de la source, mais une maison peut être composée d’autres matériaux que ses fondations, un germe produit un être par un développement naturel, mais on peut légitimement désigner sous le nom de principe tout ce qui concourt à l’existence, à l’évolution ou à la connaissance d’un être. Ces considérations paraîtront plus claires et mieux justifiées dans la suite de cet article, mais, dès à présent, on peut dire que, si la théologie peut être comparée à un temple, l’apologétique est, à la fois, la base solide sur laquelle reposent les nefs, le sanctuaire, les coupoles, le clocher ; les contre-forts extérieurs qui soutiennent les murailles, le porche et le vestibule par où l’on pénètre dans l’édifice de la prière et de la vérité.

IV. L’apologétique est une démonstration du christianisme. —

C’est la forme définitive qu’elle tend à prendre de plus en plus ; sa fonction principale est une justification : la défense et l’attaque sont les espèces de la polémique, ne sont, que secondaires et presque accessoires, surtout moins rigoureusement scientifiques, En ce premier sens, l’apologétique est dite irénique, expo-Bilive et positive, car elle n’affecte pas les allures du combat, elle définit, elle déduit, et c’est par voie directe qu’elle établit la vérité du christianisme. Son but est de révéler le trésor de la révélation, non de le proléger ; sa t iche est accomplie lorsqu’elle l’a enveloppé de lumière et rendu visible à tous les yeux.

Considérée sous cet aspect, l’apologétique est désisous divers noms. C’est, pour un grand nombre de théologiens du xviik siècle suivis par l’erroné, Schouppe, Lahousse, lional. etc., le Traité de la vraie religion ; Eigliara la nomme : Propédeutiquc à la doctrine tærée. Les titres : Introduction « la théologie (Thomas Esser, 0. P.), Prolégomènes, ont le même sens, mais ils semblent peu propres à désigner une science distincte et constituée. Il semble que détnonitration chrétienne el démonstration catholique ne conviennent pas absolument, car ces mots ni ; distinguent pas suffisamment l’apologétique de la dogmatique, et présentent le grave inconvénient de laisser supposer que les dogmes proposés par le christianisme et définis par l’Eglise sont en eux-mêmes un objet de démonstration proprement dite. Le terme de théologie générale ferait croire qu’elle est un genre dont les divers traités de théologie spéciale, dogmatiques ou moraux, seraient les espèces. Raphaël Pacetti la nomme logique théologique, et l’abbé Jules Didiot logique surnaturelle. Ces auteurs, le second surtout, prétendent établir une relation étroite entre la philosophie et la théologie. La science sacrée se composerait, de même que la science rationnelle, de logique, métaphysique et morale ; seulement la première aurait pour objet l’ordre surnaturel, la seconde l’ordre naturel. A ce point de vue, la logique étant l’art d’arriver au vrai, il doit exister une logique surnaturelle qui nous conduit à la vérité révélée. Cette théorie est ingénieuse et juste, mais ce titre est trop général, un peu vague, et désigne surtout un ensemble de règles formelles qui n’enveloppent pas tout le contenu de notre science. La nommer avec Drey, Stôckl et Gutberlet : Apologétique, c’est prendre le genre pour l’espèce, car rien n’est plus distinct, ainsi que nous allons nous en convaincre, que l’apologétique irénique et l’apologétique polémique. Pour ces motifs, nous préférons le nom de théologie fondamentale (Schwetz, Ottiger). Quævis sane scientia, dit Knoll, ut rite constituatur, solido fundamento indiget. Cognoscere nimirum oportet in primis illius tunt principium constitutivum seu fontem, tum pravcipium regulativum seu modum, quo veritates pertraclandse hauriri debeanl. — Si autem de disciplinis agatur, quse theologise specialis parles officiunt, harum principiun constitutivum est ipsa revelalio divina, principium autem regulativum primarium est infallibilis Ecclesise auctoritas, et secundarium est ratio humana. lnstitutiones theologix dogmatiese generalis seu fundamentalis, Inspruck, 1852, p. 28. C’est donc une science des fondements de la vraie religion, une théorie des principes qui servent à établir l’existence d’une religion surnaturelle, la vérité de la révélation chrétienne, la légitimité, la nécessité de la forme sociale qu’elles revêtent dans le catholicisme et qui subsiste une et vivante dans l’Eglise de Jésus.

V. L’apologétique défend le christianisme contre ses ennemis. —

Historiquement, il en a ; psychologiquement et moralement, il doit, en avoir. Repousser leurs attaques est le rôle de l’apologétique polémique, défensive, négative. Elle est plus ancienne, plus générale, plus mobile, plus variée, plus populaire que la théologie fondamentale ; mais elle est éparse et dépourvue de l’unité rigoureuse qui caractérise celle-ci. On comprend, en effet, que les aspects sous lesquels on peut envisager la religion sont innombrables : dogmes, préceptes, rites, suggèrent des difficultés et des objections, renferment des obscurités, présentent des antinomies apparentes qu’il faut dissiper et résoudre. Il n’est point de branche de la science sacrée que l’apologétique polémique ne doive dégager et soutenir. Les solvuntur objecta des traités classiques sont l’indispensable complément de la théologie scolastique ; la démonstration d’une thèse exige la réfutation de l’antithèse, et les preuves d’une vérité s’affermissent par les arguments qui repoussent l’erreur. — En théologie positive, l’apologétique doit sauvegarder les text » 6 par une sévère méthode critique, permettant de repousser les attaques contre l’intégrité ou l’authenticité d’un témoignage doctrinal ou historique, conlre la sincérité et la compétence de son auteur. — En exégèse biblique, combien de questions naissent et pullulent autour des théories sur la canonicité ou l’inspiration des Livres saints ? — En histoire ecclésiastique, combien de discussions s’élevonl sur l’aposlolirité des Eglises. l’influence ou la sainteté des papes, etc. On voit qu’il est impossible d’assigner des cidres à la polémique religieuse, de prévoir les points de vue auxquels elle devra se placer, de déterminer ici qu’elle

devra remplir, el lurtoul de la séparer un même de la distinguer de telle ou telle science théologique dont elle (ail partie.

Y a-t-il an Jésus-Christ deux votant i ! La noi elle vraiment un sacrifice ? Questions d’apologétique contre les monothélitea, les protestants, mais aussi thèses de dogmatique. — La virginité a-t-elle fait tort

m mariage ? L’Église condamne-t-elle le prêt à iatén i

Questions de controverse entre tes théologiens d’une part, les économistes et les historiens d’autre part, mais auS81 thë8es de morale. — (.’histoire de.louas, les sources du Pentateuque appartiennent au cours d’Écriture sainte, mais elles sont un terrain de combat où se rencontrent avec les catholiques les rationalistes ou les hpei critiques. — L’Église a-t-clle aboli l’esclavage ; a-t-elle entretenu et produit peut-être les ténèbres qui environnaient certaines questions au moyen âge ? Le pape Honorius s’est-il trompe’? — A l’historien de l’Eglise qui traite directement ces questions, l’apologiste emprunte les résultats définitifs de ses recherches pour les opposer à ceux qui diraient avec Leconte de Lisle : « Le christianisme n’a jamais exercé qu’une influence déplorable sur les intelligences et sur les mœurs. » Histoire populaire du christianisme, Paris, 1871, p. 140. Ces exemples suffisent pour montrer que les limites sont imprécises qui séparent le domaine apologétique de celui où se meuvent les sciences dont la théologie est la reine.

Quelques auteurs, parmi lesquels M. Duilhé de Saint-Projet, Apologie scientifique de la foi chrétienne, 4e édit., Paris, 1897, p. 78, distinguent l’apologie, la controverse et la polémique. La première est dirigée contre les infidèles ; telles les principales œuvres des Pères des premiers siècles ; on peut rappeler comme un modèle la Cité de Dieu de saint Augustin, cette démonstration de la providence qui agit visiblement par les invasions barbares contre le monde romain oppresseur et corrompu, vainement protégé 1 par ses faux dieux ensevelis dans les ruines de la patrie. — La controverse défend contre les dissidents et les hérétiques l’unité et l’intégrité de la foi ; telle cette merveilleuse Histoire des variations, où Bossuet dénonce l’inévitable morcellement et la nécessaire confusion des doctrines protestantes. — Enfin, au sein de l’Église, exerçant un droit très légitime et contribuant aux richesses et aux progrès de la théologie, des écoles se sont constituées autour des systèmes élaborés par des hommes de génie pour élucider ou expliquer des problèmes obscurs : telles les discussions sur la manière d’entendre l’efficacité de la grâce entre le dominicain Thomas de Lemos et le jésuite Grégoire de Valentia, pendant les séances des congrégations de auxiliis.

VI. Définition. —

Ces considérations suffisent pour nous permettre une définition. L’apologétique est cette partie de la théologie qui traite scientifiquement de la justification et de la défense de la foi chrétienne.

VII. BUT DE L’APOLOGÉTIQUE. —

Kn résumant le dessein de son poème de La religion par ces paroles bien connues :

La raison dans mes vers conduit l’homme a la fol,

Louis Racine exprimait la fin principale de l’apologétique. Elle doit conduire l’homme à l’acte de foi. Nous étudierons au mot loi la nature de la foi surnaturelle et les rapports des motifs de crédibilité, fournis par l’apologétique, avec l’acte de foi surnaturelle. Cependant ceui

qui, ne tenant point Compte du Caractère surnaturel delà

loi divine, considèrent seulement le caractère générique

qui est commun à la foi divine et aux autres croyances,

nous demandent aussi comment I apologétique produit

la toi. il convient de répondre ici à leur question. Mais « toute action générique ou générale de foi ou de croyance,

pouvant s appliqui r en même temps a la foi catholique, a la loi surnaturelle, i la foi humaine, a la croyance en Dieu, a la loi historique, a la foi de la raison en i Ile-même, etc., toute notion de ce genre est htalen un nid d’équivoques » . P. Gaudeau, / et le besoin de - note I. D

les anciens traité- de logique, la f..i était ladle

à une vérité ou à un l’ait sur l’autorité d’un témoin. Aujourd’hui on dirait plus volontiers avec M. Paul Janet : i J’entends par crovance toute forme de conviction qui ne dépend pas exclusivement de la raison et de l’examen, et qui est l’œuvre commune du sentiment, de la raison et de la volonté que et de psy chologie, Paris, 1887, p. 7-2. C’est a peu près en sens qu’il faut entendre le mot Glauben dans la philosophie kantienne. La foi est opposée à la sce comme la raison pratique a la raison pure, et M. Ch I nouvier cite en l’approuvant, en l’admirant, la définition de ce philosophe : La foi est un état moral de la raison, dans l’adhésion qu’elle donne aux ch inaccessibles à la connaissance, i Phil. analytique de l’histoire, Paris, 1897, t. m. p. il7. D’où la tendance d’un grand nombre de nos contemporains à soustraire les motifs de la foi au jugement intellectuel. « La foi D allaire ni de raisonnement, ni d’expérience. On ni montre pas la divinité du Christ, on l’affirme ou on la nie : on y croit ou on n’y croit pas, comme à l’immortalité de l’âme, comme à l’existence de Dieu… On croit parce que l’on veut croire, pour des raisons de l’ordre moral, parce que l’on sent le besoin d’une règle et que ni la nature ni l’homme n’en sauraient trouver une en eux. » F. Rrunetiere, La science et la réligû 1893, p. 59, et note de la p. 62. A son tour, M. E. Faguet dit : « L’idéal ne se prouve en aucune façon ; on ne l’aime qu’en y croyant, sans aucune raison d’y croire, ce qui est proprement un acte de foi. L’acte de foi consiste à dire : Je crois parce que j’aime. » La religion de nos contemporains, dans la Reçue bleue, Il janvier 1896. Avant lui, M. J. Lemaitre : « La vérité de la religion catholique ne se démontre pas. Car s’il des dogmes et des m ; stères, on ne saurait croire au surnaturel pour des motifs rationnels : cela implique contradiction. Et s’il s’agit de la révélation considérée comme un fait historique, j’ai rencontré des ecclésiastiques qui reconnaissaient que, pour un esprit muni de critique et non prévenu par la grâce, il peut y avoir, à la rigueur, autant de raisons de rejeter ce fait que de l’admettre. » Les contemporains, Il « série : /--’P. M sabré, Paris, 1891, p. 128. On reconnaît la doctrine tideiste de Lamennais : « Quand la vérité se donne, l’homme la reçoit : voilà tout ce qu’il peut, encore faut-il qu’il la reçoive de confiance et sans exiger qu’elle montre ses titres, car il n’est pas même en état de les vérifier. « Pensées diverses. Paris, 1841, p. 488. A ces affirmations, il faut répondre avec le cardinal Pie : < Qu’une chose doive être crue, ce n’est pas la foi qui le voit, c’est la raison. Seconde instruction synodale sur les erreurs du temps présent. Discours et instructions aies. Poitiers. 1860. t. iii, p. 209, note, et avec M " d’Hulst : « La foi est… un assentiment donné a la parole de Dieu… mais avant de se donner, le rrov.int a besoin de s’assurer que Dieu a vraiment parle que Dieu enseigne, je dois le croire ; mais la question de savoir si Pieu a enseigné est une question de fait, et l’enquête que j’institue pour la résoudre est d’ordre rationnel. » lier. <lu cierge français, l, r fév. 1805, p

la traduction des paroles si souvent r : décisives du docteur angéliqne : ///< qui crédit… non crederet msi viderai ea [que crédit denda, te/

propter evidentiam signorum, vel propter alùjuid ejut modi. Surn. theol.. Il » II*, q. I. a. i. ad 8° ". Mais il importe de fixer le sens du mol : videret. De quelle vision est-il question ici ? L’apologétique produit-elle l’évidence ? Si oui, que devient la liberté de l’acte de foi et l’obscurité de son objet ? Si non, de quel droit affirmer que la croyance engendre la certitude ? D’une part elle serait un assentiment forcé, de l’autre une simple opinion. — Pour résoudre cette apparente antinomie, quelques remarques sont nécessaires.

1. L’apologétique n’impose pas la foi ; elle la propose. Elle ne la présente pas comme la conclusion inévitable d’un syllogisme, comme la conséquence inéluctable d’une démonstration. Il est très vrai que celle-ci est d’ordre naturel tandis que l’adhésion est de l’ordre surnaturel ; il n’y a pas confusion, il ne peut y avoir continuité entre ces deux ordres, comme si le plus élevé était le prolongement de l’autre. Cette doctrine repose sur la parole de l’Apôtre : Gratia enini estis salvati per /idem, et hoc non ex vobis : Dei enim donum est, Eph., il, 8, et le second concile d’Orange l’a définie contre les semipélagiens : Si quis sicut augmentum, ita etiam initium fidei ipsumque credulitatis affection… naturaliter nobis inesse dicit, apostolicis doginatibus adversarius approbatur. Can. 5. Denzinger, Enchiridion symb. et def., n. 148.

2. L’apologétique produit la certitude. L’Église l’aflirme à plusieurs reprises ; on connaît la 21e proposition condamnée par Innocent XI : Assensus fidei supernaturalis et utilis ad salutem stat cum nolitia solum probabili revelationis, imo cum formidine qua quis formidet ne non sit locutus Deus. Denzinger, op. cit., n. 1038. Et les Pères du concile du Vatican, établissant l’existenoe des preuves extérieures de la révélation, les appellent : divinx revelationis signa certissima et omnium intelligentite accommodata. Const. De fide, c. iii, § 2. Mais la certitude n’est un état d’esprit légitime que si elle est engendrée par l’évidence. Seulement il faut distinguer deux sortes d’évidence. L’une, qui est intrinsèque, est produite par l’intuition ou la démonstration de la vérité. Elle peut avoir pour objet un fait (l’existence du soleil expérimentalement connu) ou un jugement (Dieu est parfait). L’autre, qui est extrinsèque, repose sur un témoignage dont il est impossible de contester la valeur, par exemple : Charlemagne a existé ; la proposition qui l’énonce ne s’impose pas à l’esprit par elle-même, puisque le sujet et l’attribut ne sont pas nécessairement liés, et la vérité énoncée n’est pas objet d’intuition, puisque aucun homme aujourd’hui vivant n’a pu connaître expérimentalement cet empereur. Cependant, de même que la réalité du soleil résiste aux raffinements de l’idéalisme, que la perfection de Dieu déjoue les sophismes du scepticisme, l’existence de Charlemagne est incontestable, malgré les subtilités de la critique. On peut donc attribuer à cette proposition : Charlemagne a existé, le caractère d’être un l’ait nécessairement intelligible, c’est-à-dire, en un certain sens, évidente, mais parce que son objet demeure caché et que les raisons d’adhérer sont extérieures à ce qu’on affirme, cette adhésion est une croyance, c’est-à-dire requiert l’intervention, l’empire de la volonté. Or il en est ainsi (1rs vérités révélées. Car, en effet, malgré la lumière qui, du dehors, enveloppe le dogme, celui-ci , en lui-même, surnaturel ou mystérieux ; donc, inaccessible. Ce qui est nécessairement intelligible, c’est-à-dire (’vident, ce n’est pas le jugement qui l’exprime mais celui qui l’impose à la croyance, et encore faut-il observer que cette évidence étant de l’ordre moral implique l’action de la liberté. C’est bien une certitude, pourtant, qui est produite dans l’esprit, une certitude lie, en prenant ces mois, non au sens large s. jus lequel on désigne la conviction pratique suffisante pour agir d’une manière raisonnable, prudente, humaine, mais au sens strict et proprement dit, une vraie certitude qui se ramené, en dernière analyse, aux attributs mêmes de Dieu, et donc, à la certitude métaphysique. Néanmoins cette évidence est loin d’être contraignante et nécessitante. Il ne pourrait en être ainsi que si la crédibilité de la révélation était intuitivement et immédiatement perçue. En ce cas, la volonté n’aurait aucune fonction à exercer dans l’acte de foi. Mais, tout au rebours, l’acte de foi n’est même pas la conclusion logique de prémisses établies par la raison, car ce n’est pas à cause des motifs de crédibilité que nous croyons ; c’est uniquement à cause de l’autorité du Dieu très sage et très vérace qui est l’auteur de la révélation. Or ce Dieu n’est pas objet de vision en ce monde et la démonstration de l’objet formel de la foi, de l’autorité de Dieu qui révèle et de l’existence de la révélation exige un long raisonnement, un ensemble complexe de faits, d’idées, d’arguments qui s’unissent et s’enchaînent dans une série. Que l’attention fasse défaut, que les préjugés offusquent l’esprit, que les passions troublent le cœur, l’énergie de la volonté devra fixer l’attention, dissiper des préjugés, calmer et dompter les passions. Et ce n’est pas son seul rôle, car ces nombreuses vérités expérimentales ou rationnelles qui se fortifient, se complètent, semblent parfois s’opposer et tout au moins s’enchevêtrer et se confondre, l’intelligence ne les saisit pas toutes ensemble. La clarté des unes se voile à mesure qu’augmente l’éclat des autres, celles qui, nouvellement acquises, émergent et se dressent en relief devant la conscience, relèguent les plus anciennes dans l’oubli. Il faut donc choisir entre elles ; c’est l’office de la volonté libre. Mais comment y est-elle déterminée ? — D’après un théologien éminent, le R. P. Schwalm, il faut dire que la volonté tendant au bien, comme l’intelligence au vrai, rien n’est objet de vouloir qui ne soit offert sub ratione boni. — Or, comme tout ce qui est vrai est bon [verum et bonum convertuntur), la vérité, en même temps qu’elle sollicite l’adhésion de l’intelligence, louche et meut la volonté dont l’rmpulsion réagit sur l’intelligence elle-même pour fortifier et rendre décisifs ses jugements. Cette explication, qui est légitime, paraît insuffisante, puisqu’on peut objecter à son auteur que, la volonté étant aveugle par elle-même, doit être éclairée et guidée par l’intelligence. Cette ratio boni qui fait passer le libre arbitre de la puissance à l’acte, ce n’est pas la volonté qui l’aperçoit : elle ne cause pas les jugements qui la déterminent à l’action ; elle les suit, librement, sans doute, mais naturellement. Cf. dans le Compte rendu du congres scientifique des catholiques, tenu à Fribourg, 1897, les remarques des PP. Portalié et Gaudeau sur la théorie du P. Schwalm, Section de philosophie, p. 12. Il faut que l’acte de foi soit rationnel, donc intellectuel, puisqu’il a le vrai pour objet. Voici donc comment on pourrait décrire le jirocessus dont il est le terme : l°les preuves extrinsèques et intrinsèques démontrent que Dieu a parlé, de telle sorte que cette proposition, bien que n’ayant pas les caractères de l’évidence mathématique, se présente à l’esprit comme imposant son adhésion au nom des lois de la prudence ; 2° l’adhésion prudente est un bien pour la volonté ; elle s’y attache donc comme à l’exercice d’une vertu et y incline l’intelligence comme à un acte que celle-ci doit accomplir ; 3° sous l’empire de la volonté, l’intelligence à laquelle l’objet de son adhésion s’était présenté comme croyable (credibile), tandis qu’il mouvait la volonté comme devant être cru (credendum). émet son jugement sans crainte d’erreur. Car il est évident, pour elle, qu’il y aurait contradiction à ce qu’une adhésion imposée universellement et absolument à tous les hommes comme un moyen de salut, c’est-à-dire de perfection et de bonheur, put être erronée. La conséquence répugne à la sagesse et à la bonté divines et autorise le défi que Richard de Saint-Victor adressai ! à la providence : Ni error est, ’l’ion credimus, a tedecepti tumus. De Trinitate, i. 2, /’. /.., t. c.xcvi, col. 891.

Cet enseignement se retrouve chez les Pères et les docteurs. La légèreté, la témérité d’une croyance qui ne reposerai ! pis sur un fondement inébranlable est réprouvée par Tertullien : il condamne sévèrement ceux (pu admettent une doctrine sans éprouver son origine, et préconise comme une disposition essentielle la résolution de ne rien admettre sans preuve : Nihil intérim credam niêi nihil tanière credendtun. Temere porro credi quodcumque tine originû agnitione ereditur. Adv, Marcion., v, I, /’. L., t. n. col. 168. A la raison, et a elle seule, l’objet de fui est proposé : Credere non poisemus, wisi animai ralionales haberemus. S. Augustin, Episl., cxx. i</ Consentium, P. P., t. xxxiii, col. 153. I.a croyance n’est donc pas une tendance fatale, un instinct aveugle, mais un acte rationnel. A certains égards, elle est une vision, en tant que la lumière de la crédibilité enveloppe tous les dogmes. [Dogmata] in gênerait, tub communi ratiune credibilis, sic sunt visa ab eo qui en-dit. S. Thomas, Sum. theol., II » IIe, q. i, a. i, ad 2um..Mais cette vision ne les transforme pas en vérités scientifiques : on les croit parce qu’ils sont vrais, mais ils n’apparaissent vrais que parce que la croyance en est justifiée. Creditur aliquid sub ratione veri, videtur autem sub ratione credibilis. Suarez, De fuie, disp. IV, sect. il, n. i. Un commentateur de saint Thomas a très heureusement précisé la question qui nous occupe : Miraculorum operalio, non sir confirmât fidem cltristianam, qtiasi particularité ! ’videre faciant ea quse sunt fidei vera esse… sed movent voluntatem eo fine, ut videns ea velit credere. Ex illis enim judicatur convenions credere fidem prædicanti quia ostendunt in universali, vera essequae prsedicantur. François de Ferrare, In Contra gentes, i, 6. C’est l’opinion de Cajetan : Est differentia inter videre aliquid esse scibile et videre aliquid esse credibile… non habetur certo evidentia quod ita sit, habetur tametsi evidentia quod ita esse est credibile et judicabile absquealterius partis formidine. Comment, in II* II*™, q. i, a. 4. On comprend comment, d’une part, il est incontestable, ainsi que l’affirme l’Église, que les motifs rationnels ne sauraient imposer l’assentiment dogmatique, et, d’autre part, que la crédibilité de la révélation est évidente. Est assertio certa, dit Suarez, ibul., sect. iii, n. 1, de qua nullus catholicus dubitare potest. Tels nous semblent être les rapports de l’apologétique et de la croyance : ils justifient et éclairent cette formule contestée parce qu’elle fut incomprise : « La raison conduit l’homme à la foi. »

Prhrader, De theologia generatim commentarius, Poitiers. lhT’i ; HettiDger, Lelirbuch der Fundatnental-Theologie oder Apologelik, Fribourg-en Bris^au, 1888, traduit en français par l’abbé Belet, Paris, 1888 ; J. Ottiger, De revelulione supernaturuli ; Isagoge dans Theologia (tmdatnentalis, t. i, Fribourg-i n-Brisgau, 18H7, p. 1-34 ; Drey, Apologétique (article du Dictionnaire de théologie de Wetzer ctWelte, traduit | ar Goschler, Paris, 1858) ; F. Lichtenberger, Apologétique, dans V Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 1877 ; Didiot, Logique surnaturelle subjective, 2° c’dit., Lille, 189’» ; Vacant. Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, 2 vol., Paris, 1805 ; R. P. Uainvel, La foi et l’acle de foi, in-12. Paris, 1898 ; Dictionnaire apologétique, Paris, 1909, t. i. cd. 189-191.

L. Maisonnevve.