Dictionnaire de théologie catholique/CAMISARDS

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 2.2 : CAJETAN - CISTERCIENSp. 61-65).

CAMISARDS. —
I. Guerre des camisards.
II. Leurs idées religieuses.

I. Guerre des c : amisards. — On a donné diverses étymologies du mot cantisard. La moins fantaisiste n’est sûrement pas celle qui le dérive de camis-ard.t, idoles brûlées ; un chef cévenol ayant rencontré, dans le Diction nai ride Mur. ri, le mot camis, nom d’idole au Japon, aurait appelé ainsi les images et antres objets du culte catholique. Cf. E. Roschach, dans Histoire raie < ! < Languedoc, Toulouse, 1876, t. xiii, p. 782, note. Il est probable que les blouses d'étoffe noire, taillées en forme de chemise, communément employées par les montagnards des (Vvennes, leur valurent ce sobriquet dont l’usage devint général et prévalut même dans le stle officiel. Ou bien ce mot s’explique par l’expression militaire de camisade, usitée pour désigner uuu attaque par surprise qui avait lieu la nuit et dans

laquelle, afin d'éviter les méprises, les soldats endossaient une chemise par-dessus leurs vêtements.

A partir de la révocation de l'édit de Nantes (1685), commença, dans l’histoire du protestantisme lrançais, une période dite du désert. L’exercice du culte étant interdit, les protestants, résolus à le célébrer quand même, se réunirent nuitamment dans des bois, des cavernes, des lieux cachés et sauvages : d’où le nom d’assemblées ou églises du désert. Des laïques intrépides, des prédicants improvisés, remplaçaient les pasteurs exilés, lisaient la Eihle, récitaient des fragments de serinons, adressaient des exhortations chaleureuses aux protestants restés fidèles à leur foi en dépit d’une adhésion contrainte à l'Église catholique et du titre de « nouveaux catholiques » ou « nouveaux convertis » qu’ils avaient reçu. Du fond de leur exil, de la Suisse, de l’Allemagne, de la Hollande, leurs ministres entretenaient avec eux une correspondance active, leur annonçant un changement prochain et travaillant à maintenir leur antipathie contre le catholicisme. L’agitation fermentait surtout dans le Dauphiné, le Vivarais, les Cévennes.

En 1688, Guillaume de Nassau, prince d’Orange, stathouder de Hollande, fut appelé au trône d’Angleterre. C'était le chef du protestantisme belliqueux ; protecteur des protestants français, il en avait accueilli un grand nombre dans ses États. Quelques-uns d’entre eux s’enrôlèrent dans ses armées et le servirent contre leur propre patrie. Guillaume forma contre Louis XIV (1689) cette ligue d’Augsbourg dont « l’obscur mais énergique instigateur » fut Claude Brousson, un réfugié languedocien, originaire de Nimes. Cl. Roschach, loc. cit., p. 617. Pour faire une utile diversion et occuper une partie des troupes françaises destinées à le combattre lui et ses alliés, le nouveau roi d’Angleterre s’appliqua, en utilisant les relations conservées par les protestants fugitifs avec leurs coreligionnaires demeurés en France, à soulever la révolte dans les Cévennes. Rrousson, dans ce but, quitta Lausanne où il résidait et regagna sa province d’origine. Lamoignon de Basville, intendant du Languedoc, et le comte de Broglie, lieutenant général pour le roi dans le Languedoc, réussirent à empêcher une révolte générale et eurent raison des factieux. Brousson fut capturé et mis à mort (i novembre 1698).

C’est pendant la guerre de la succession d’Espagne que les désordres des Cévennes furent véritablement graves. L’assassinat de François de Langlade du Chayla, archiprêtre des Cévennes (24 juillet 1702), eut lieu vingtdeux jours après la déclaration de guerre par laquelle Louis XIV avait répondu à celle de ses ennemis, et devint le signal d’une lutte atroce. L’abbé du Chayla avait traité avec dureté des prisonniers protestants ; les camisards, en l'égorgeant, disaient user de représailles. Mais, si telle fut l’occasion qui la fit éclater, l’insurrection ne fut pas fortuite ; les choses en étaient à un point où elle devait nécessairement se produire. Nous n’avons pas à exposer ici les détails de son histoire ; il suffira d’indiquer ses traits principaux. L’insurrection fut populaire ; elle ne disposa pas de places fortes cl n’eut pas des chefs nobles ou bourgeois. Elle se recrutait parmi les aventuriers à qui les guerres si nombreuses de Louis XIV avaient appris le métier des armes ; autour d’eux se groupaient les uns à titre durable, d’au très par occasion, des volontaires, forcerons, bûcherons, braconniers, paysans. <. Ces troupes, écrivait, le 4 mai 1703, l’aratte au ministre de la guerre, se forment comme les estourneaux et se débandent de même ; quand ils sont las de courre, ils rentrent che7. eux pour travailler comme si de rien n’estoit ; il n' a que quelques scélérats sansaveu et quelques déserteurs qui di meuri ut toujours attroupés, voilà ce qui a fait le désordre. « Hiili générale de Languedoc, Toulouse, 1876, t. xiv. col. 1735. Le difficile < était de sa<>>r..n rencontrer. aDo de les 1 137

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combattre, ces ennemis qui disparaissaient brusquement dans des montagnes d’un aot es pénible, <l< » l ils connaissaient tous les recoins, t..nies les cachettes, et qui ne procédaient guère que par coups de surprise prestement exécutés. Jamais ils n’eurent un chef unique ni unité de plan d’opération. Diverses bandes existaient, dont les principaux chefs furent Laporte, son neveu Laporte, <lit Uni. nul, Ravanel, Castanet, Salles, Abdias Maure), dit Catinat, surtout Jean Cavalier. Ce dernier était un paysan, qui n’avait guère que 21 ans quand il entra en campagne et qui paraissait plus jeune que son âge. Il se montra bien vite habile à commander, et prit un tel ascendant sur ses hommes qu’il n’avait aucune peine à ordonner lu mort de ses propres yens, quand il le jugeait utile, se servant, a-t-il dit lui-même, « du premier à qui je l’ordonnois, sans qu’aucun ayt jamais hésité à suivre mon ordre. » Voir une lettre de Villars au ministre de la guerre, Histoire générale de Languedoc, t. xiv, col. 1982. Les camisards se comportèrent en sauvages ; leur histoire n’oiï’re qu’une longue suite d’incendies et de meurtres et, quelque opinion qu’on ait sur la bonté de leur cause, quels qu’aient été les torls de Louis XIV et de son gouvernement envers eux. il n’est pas plus possible, remarque justement Roschach, loc. cit., p. 752, « d’idéaliser les hommes que de transformer le caractère de leurs actes. » Cf. A. Legrelle, La révolte des camisards, Braine-le-Comte, 1897, p. 73-77. De leur coté, les catholiques furent implacables contre les camisards. Ce fut un triste temps. Comme si ce n’était pas assez de tant de causes de désordre, des bandes irrégulières de catholiques se formèrent sous l’appellation de Cadets de la croix (à cause d’une croix blanche qu’ils portaient au retroussis de leurs chapeaux) ou de Florentins (une forte bande s’était formée au village de Saint-Florent) : elles rivalisèrent de barbarie avec les troupes cévenoles, ne s’en distinguant que par leur inditférence à piller également protestants et catholiques. Le nom de camisards blancs leur fut donné’quand le maréchal de Montrevel, successeur de Broglie, désavoua de tels alliés et donna ordre de les poursuivre comme des brigands. Dans les pages passionnées qu’il a consacrées aux camisards, Michelet a dit, Histoire de France, nouv. édit., Paris, 1879, t. XVI, p. 187 : « Si les protestants eussent été en Europe les protestants de Coligny, ils avaient le temps de secourir, de sauver leurs frères du Languedoc. Mais l’Angleterre entrait dans sa oie mercantile. La Hollande baissait de courage. Ni Marlborough, ni le pensionnaire de Hollande, Heinsius, qui conduisaient la guerre, ne comprirent l’importance de ceci. Eugène y pensa, mais trop tard. » On s’en préoccupa beaucoup plus que Michelet ne le dit. L’étranger aida les camisards de son mieux et, d’autre part, il y eut des émigrés protestants, qui se mirent au service des ennemis de leur patrie et s’employèrent, de toutes façons, à attiser dans les Cévennes le ! éu de la guerre. C’est là un crime qui ne saurait trouver une excuse. Il ne faut pas en rendre responsables tous les protestants qui avaient trouvé un refuge hors de France, pas plus qu’il n’est permis de solidariser avec les camisards ions les g nouveaux catholiques i des Cévennes..Mais le fait de l’appel à l’étranger, à l’Angleterre et aux pires ennemis de la France, n’est pas niable ; il ressortait suffisamment des documents que l’on connaissait, et il a été mis en lumière, grâce à de nouveaux et décisifs documents, par A. Legrelle, op. cit. Le comte » (le Broglie avait cédé la place au maréchal de Montrevel, désigné pour prendre le commandement

supérieur en Languedoc, le 30 janvier 1703 ; Montrevel, à son tour, fut remplacé par le maréchal de Villars

(nommé’le’29 mars 1704, et arrivé’à Beaucaii 20 avril). Villars comprit qu’il gagnerait autant par les

bonnes paroles que par les ar s ; il eut recours aux

une » et aux autres. Nous avons un discours bien curieux

qu’il adressa aux « nouveaux convertit ». Entre autres

choses, il invitait les protestants, qui se « paraient du

motif de religion », a adon r l lien selon leur « opinii dans leur cœur, et développait ( « t argument ad homi-Hem : « Quant aux extérieurs que tous pourri./ déi

comment oserieI. vous prétendre que le plus grand et le plus puissant roy qui ait jamais p^rt la couronne n’avt pas, dans ses États, le même i ouvoir que le plus : prince de l’Empire exerce chez, luy sans difficulté ? Messieurs, j’ay vu toute l’Europe, je ne parlera] pas de ce qui se pratique en Angleterre, Hollande. Suéde, Dannemark, mais les moins considérables princes de l’Empire, des villes impériales qui ont cependant pour chef un prince catholique, n’ont-elles pas banny des lieux de leur obéissance tout exercice de la religion catholique ? » Histoire générale de Languedoc, t. xiv, col. 1927-1928. Villars entra en i. dations avec Jean Cavalier. Sur une promesse vague relative à la liberté de conscience. Cavalier fit sa soumission ; il s’engageait à rallier ses bandes pour en former une colonne prête à inarcher d’après les ordres du roi. Il ne fut guère suivi des siens ; une centaine seulement l’accompagnèrent quand il fut envoyé i Alsace (21 juin 1701). Roland continua la lutte ; il fut trahi et tué, le li août. Ceux qui se soumirent eurent une amnistie. La période redoutable de la guerre des camisards était close. Il y eut des tentatives nouvelles de révolte. Le duc de Berwick, successeur de Villars (parti le 5 janvier 1705), déjoua une conspiration ourdie à Nîmes. Catinat et Bavanel furent suppliciés. Cavalier, qui avait déserté la cause de Louis XIV et s’était réfugié en Angleterre, essaya, sans grands résultats, de sou le Vivarais par ses émissaires. Envoyé par les Anglais en Espagne, à la tête d’un régiment où le rejoignirent beaucoup de ses compagnons d’armes cévenols, il prit part à la bataille d’Almansa (24 avril 1707) que gagna Berwick, remplacé en Languedoc par le duc de Roquelaure ; cette victoire assura le trône à Philippe V. et amena la destruction presque totale du régiment de Cavalier, qui avait été’mis en ligne devant un régiment français. Les camisards tentèrent en vain de soulever encore le Languedoc. La paix signée, en 1711, avec l’Angleterre, puis avec l’empereur et ses alliés, en 1713, ruina leurs dernières espérances. Ils cessèrent d’être un danger pour la France à partir du jour où elle n’eut plus à redouter l’ennemi du dehors.

II. Leurs idées religieuses.

La théologie des camisards, s’il est permis d’employer ce mot en parlant de ces montagnards presque tous fort incultes, fut celle du calvinisme français. Il n’y aurait donc pas lieu de s’y arrêter, n’était que le mouvement ca m isard fut pré’pué- et accompagné par une multitude de « prophéties » dont l’histoire mérite de lixer l’attention.

On sait la place que tient l’Antéchrist dans la littérature protestante primitive. Luther, en particulier à sa suite, combien d’autres ! — voyait l’Antéchrist dans le pape ; il annonçait, d’un ton de prophète, que la papauté allait être anéantie, et cela sans armes, sans violence, par le seul souffle île Jésus-Christ, c’est-à-dire par la prédication de Luther. Cf. Bossuet. Histoire des variations <les Églises protestantes, 1. I. n. 31. édit. Lâchât. Paris, 18(53. t. xiv. p. 15-46 ;.1. Janssen, L’Allemagne ci la Réforme, trad. franc.. Paris. 1889, t. n. p. 6383, 114-116, 183, 212. 211. etc. L’idée que le pape était l’Antéchrist devint un des lieux communs de l’enseignement du protestantisme, Cf. Bossuet, op. cit., 1. Mil, p. 588-626 ; Bellarmin, De sum. pontifie », 1. III. Dé Antichristo quod tuliil commune habeat cum li. tifice, Controvers., Paris, 1(120. t. i. Index (en tête du

volume) et col. 701-790. Les faits ayant inlli r uu démenti à Luther qui prophétisait la ruine toute prochaine — au bout de deux ans — de la papauté, les ministres protestants ne furent pas déconcertés pour 1439

CAMISARDS

UIO

autant, et quelques-uns à leur tour hasardèrent des prophéties. L’un des plus illustres fut Jurieu. En 1686, il publia, à Rotterdam où il était réfugié, L’accomplissement des prophéties ou la délivrance prochaine de l’Eglise. Il y annonçait « la chute prochaine du papisme », et cela avec une précision qu’on ne pouvait souhaiter plus grande. « Il faut, disait-il, que le papisme commence à tomber dans quatre ou cinq ans, et que la réformation soit rétablie en France. Cela tombera justement sur l’an 1690. » Bossuet combattit Jurieu dans le 1. XIII de l’Histoire des variations, et, Jurieu ayant répliqué, dans l’Avertissement aux protestants sur leur prétendu accomplissement des prophéties, édit. Lâchât, Paris, 1863, t. iii, p. 1-170. Si l’effort principal de Bossuet consistait à démolir l’interprétation que Jurieu donnait de l’Apocalypse, il observait que la théorie protestante ne se conlînait pas dans le domaine spéculatif, et, citant un passage où Jurieu invitait les rois et les peuples de la terre à « renverser de fond en comble Babylone », Bossuet disait : « Qui n’admirerait ces réformés ? Us sont les saints du Seigneur, à qui il n’est pas permis de toucher et toujours prêts à crier à la persécution. Mais, pour eux, il leur est permis de tout ravager parmi les catholiques, et, si on les en croit, ils en ont reçu le commandement d’en haut, » p. 3. L’effet de la prédiction de Jurieu fut considérable parmi les protestants de France. Brueys, Histoire du fanatisme de noslre temps, 2e édit., Montpellier, 1709, t. i, p. x, prétend que le « livre prophétique » de Jurieu « a donné naissance au fanatisme » du Dauphiné, du Vivarais et des Cévennes. Cf. p. 19, 70.

Un certain mystère plane encore sur l’origine des « petits prophètes » du Dauphiné. On a raconté qu’une école où l’on enseignait l’art de prophétiser fut établie, en 1688, sur la montagne de Peyra, près de Dieulelit, dans une verrerie, et dirigée par un vieux calviniste, nommé du Serre, qui travaillait à cette verrerie. Il choisit d’abord quinze jeunes garçons et autant de jeunes filles (ces dernières confiées à sa femme), leur fit entendre que Dieu lui avait donné le Saint-Esprit, avec le pouvoir de le communiquer ; qu’il les avait choisis pour les rendre prophètes et prophétesses, à la condition de se préparer de la manière que Dieu avait prescrite. Il les soumit à un régime qui ne pouvait qu’ébranler le système nerveux et les jeter dans un état voisin de la folie. Il leur apprit à débiter des textes bibliques, surtout des fragments de l’Apocalypse, mêlés d’imprécations contre l’Eglise, le pape et les prêtres. En outre, il les forma c à battre des mains sur la tête, à se jeter parterre à la renverse, à fermer les yeux, à enfler l’estomac et le gosier, à demeurer assoupis en cet état pendant quelques moments, et à déguiser ensuite, en se réveillant en sursaut, tout ce qui leur viendroit à la bouche ». Brueys, op. cit., t. I, p. 96. Lorsque l’initiation était suffisante, le « forge-prophètes », comme s’exprime Brueys, p. 98, assemblail le petit groupe, plaçait au milieu le prétendant, le baisait, lui soufllait dans la bouche, et lui déclarait qu’il avait reçu l’esprit de prophétie, Quand il les jugea prêta à faire œu re utile, il les dispersa « le côté et d’autre, non sans les avoir exhortés à communiquer, à leur tour, le don de prophétie à ceux qu’ils trouveraient dignes. Fléchier, Hécit fidèle de ce qui s’est passé, dans les asseniblées de fanatiques du Vivarais, dans Lettres choisies, Lyon, 1715, t. i, p. 353, assigne aux prophètes la même origine que Brueys. L’un et l’autre protestent qu’ils n’avancent rien qui ne soil fondé sur des actes juridiques ou sur des dépositions de témoins oculaires. Cf. Brueys, p. 81 ; Fléchier, p. 352. Antoine Court, //î.stoire (manuscrite) de » Églises réformées, t. ii, p. 864, Cité par le pasteur E. Arnaud, Histoire des protestant » du Dauphiné aux ih « , xvii°, ai///e siècles, Paris, IS76. t. iii, p. 68-69, dit de l’école de du Serre : < I Ine seule chose manque à ce collège, c’est d’avoir existé. Ce qu’il y a

au moins d’incontestable, c’est que Brueys n’en donne aucune preuve et que toutes mes recherches à ce sujet n’ont abouti qu’à me convaincre que c’est un pur mensonge. » Quoi qu’il en soit, il est certain que le mouvement des « petits prophètes », ainsi appelé parce que la plupart des prophètes, surtout dans les débuts, furent des enfants, commença dans le Dauphiné. Grande fut l’effervescence produite par ces enthousiastes. Ils se répandirent dans le Dauphiné et le Vivarais. De juin 1688 à la fin de février 1689, il y eut « cinq ou six cents religionnaires de l’un et de l’autre sexe, qui se vantoient d’estre prophètes, et inspirez du Saint-Esprit, qui disoient avoir la puissance de le communiquer aux autres, qui trainoient après eux la populace, et commençoient à former en divers lieux des assemblées très nombreuses, qui ajoustoient foy à leurs rêveries ». Brueys, op. cit., t. i, p. 1-2. Un des prophètes qui acquirent le plus de renom, Gabriel Astier, excita, dans le Vivarais, un soulèvement que l’on pourrait considérer comme le prélude de la révolte des camisards, et que Broglie et Basville durent arrêter par les armes. La guerre des camisards ne fut pas l’œuvre exclusive des prophètes ; du moins ils contribuèrent beaucoup à la rendre possible, à la prolonger, et ils lui imprimèrent une marque exceptionnelle de faux mysticisme et de barbarie.

On comprend l’effet produit sur ces frustes imaginations de montagnards par des gens qui leur annonçaient la délivrance toute proche et qui les animaient à la lutte au nom de Dieu qui parlait par leur bouche. Tantôt on leur disait que, pour affranchir les siens, Dieu susciterait en France quarante mille prophètes ou prophétesses ; tantôt qu’un prince puissant allait venir qui écraserait les persécuteurs ; que Dieu armait toutes les nations pour finir la captivité de Babylone ; tantôt on découvrait, dans l’Apocalypse, que « le roy donnera un édit dans une assamblée generalle du cierge de France qui révoquera tout cet qui est contraire à l’Evengille, et ceux qui y contrediron seron mis a mort… Cet pour lors que les moines sortiron hors du royaume et que les protestans, fugilif reviendrons dans leurs maizons, et pour lors la France pure et nete, n’y ayant que la seulle et vraye religions… ». Histoire générale de Languedoc, t. xiv, col. 1682, 1683. On promettait qu’un temple magnifique de marbre blanc tomberait du ciel, au milieu du vallon de Saint-Privat, et remplacerait les édifices du culte démolis après la révocation de l’édit de Nantes. On menaçait d’un dragon de feu, qui tirerait vengeance de la tiédeur des fidèles et de leur inassiduité aux assemblées. Tant que la réforme avait été tolérée en France, les ministres avaient enseigné que le retour à la foi catholique était le péché contre le Saint-Esprit, le péché irrémissible ; on admettait maintenant, à la suite de Jurieu, que ceux qui avaient abjuré le protestantisme pouvaient se relever de leur chute. « Dieu vous a pardonné votre péché>, lisons-nous dans un Avis aux prntrsiinits de France (qu’on leur demandait de copide répandre partout), parce que vous avez réclamé sa miséricorde et que vous avez repris du zèle. Si vous l’abandonnez dans cette nouvelle épreuve, il n’y aura plus de salut pour vous… Encore tant soit peu de temps, et relui qui doit venir viendra. » Histoire tt> : >it ; r<i ;. Languedoc, t. Xiv, col. 1623. Si les enfants et les femmes de préférence prophétisèrent, il est à remarquer que presque tous les organisateurs de l’insurrection cévenole prophétisèrent aussi ; de la leur vint une bonne pari de leur influence. Jean Cavalier notamment unitle pre du prophète à celui du capitaine. Dans ces conditions, uil.int du chef était irrésistible. Lui obéir, c’i Lait obéir a Dieu qui manifestai ! par lui sa volonté, c’était marcher au triomphe. brûler iir la

superstition, et tuer pouvait être une œuvre sainte. L’extrait suivant d’un billet adr< par li révolt dix habitants de Vébron ird, tristement 142

expressif : <.le tous prie de vous repentir, car votre vie est courte, à cause que vous avés lail garde contre les Enfants de Dieu pour garder ses faux docteurs ; mais vous périrés et ions ceux <|ui onl fait garde… Dieu nous commande à vous détruire. Histoire générale de Languedoc, i. xiv. col. 1585 : Tel lui l’état d’âme créé par li is prophètes ; non seulemi ni on se repaissait de chimériques espérances, mais encore on croyait agir sous l’impulsion de Dieu et, parce que Dieu a commandait à détruire », on détruisait sans pitié ni merci.

Que faut-il penser de la sincérité des prophètes ? Le célèbre Antoine Court, le « restaurateur du protestantisme en France », qui les combattit, « J ï t a leur sujet : g J’ai vu un grand nombre de personnes, qui se disaient inspirées, de l’un et l’autre sexe ; je les ai examinées avec soin, mais je n’en ai vu aucune qui pût passer à la rigueur pour véritablement inspirée… Je lésai toujours renfermés dans deux classes : les uns m’ont paru à dessein contrefaire l’inspiration, et ce pouvait être ou di sir de gain, ou orgueil, ou fraude pie ; les autres étaient dans la bonne foi, et on ne pouvait tout au plus les taxer que d’être la dupe de leur zèle et d’une imagination échauffée par la piété, par le jeune, par l’ouïe ou la lecture des prophètes et par l’état où se trouvait l’Église de France. » Le pasteur Arnaud, qui cite ces lignes, op. cit., p. 60, est du méine avis, et, ce semble, avec raison. Comme les assemblées du disert, dit-il, « lurent présidées par des hommes sans culture que la persécution, les jeûnes, la lecture presque exclusive des livres prophétiques, les Lettres pastorales du célèbre Jurieu, qui faisait aussi des prophéties, et le manque d’écoles et de pasteurs avaient conduits à la plus grande exaltation religieuse, elles engendrèrent dans les troupeaux une piété maladive, qui, à son tour, donna naissance à l’illuminisme et à l’extase. » Une fois la guerre déchaînée, le rôle des prophètes ne pouvait que grandir. Y eut-il, dans leurs rani ; s, « des émissaires étrangers, cherchant à produire une sédition en France, comme nous avons vu des Arabes prêcher la guerre sainte en Algérie pour le compte des puissances européennes C’est ce qu’on pourrait se demander, avec Roschach, lue. cit., p. til I. Fn tout cas, il est plus difficile de considérer comme sincères les meneurs de la révolte, un Cavalier, un Roland, un Catinat, tin Ravanel, prophètes et soutiens des prophètes, que la plupart des comparses, enfants et femmes, qui figurèrent dans ces événements.

Une autre question qui se pose à propos des camisards est la suivante : Dans ces phénomènes prophétiques y eut-il du surnaturel’.' llip. Iilanc, De l’inspiration des camisards, Paris, 1859, a soutenu l’affirmative. « Des phénomènes prodigieux se sont manifestés chez les camisards, dit-il, p. 181 ; ces phénomènes sont certains : la médecine est impuissante à les expliquer ; ils sont dus, par conséquent, à une cause surnaturelle ; mais à coup sur le Saint-Esprit n’en est pas l’auteur ; » la conclusion, c’est qu’ils doivent être attribués au démon. Cf., dans le même sens, Gôrres, La mystique divine, naturelle et diabolique, trad. Ch. Sainte-Foi, Paris, 1855, t. v. p. 108-107 ; J.-E. de Mirville, Des espritset de leurs manifestations fluidiques. Pneumatologie, 3* « ’ « lit., Paris, 1854, p. 147-158. Ceci est loin d’être démontré. Il semble, au contraire, que tous les phénomènes vraiment authentiques du prophélisme camisard s’expliquent aisément d’une façon naturelle ; ce qu’il a de plus étrange

Ce SOnl des cas île catalepsie aujourd’hui bien connus el

qui n’ont rien de diabolique. Du reste, les contemporains ne recoururent pas à l’intervention du surnaturel pour

rendre compte de ces faits. Si. de la Uni], mile, .lurieu prit parti pour les prophètes, admit leur inspiration et alla jusqu’à dire o que Dieu n’avoit pas fait de si grandes

s depuis que le Christian isi Stoit établi. les

hommes de sens qui étaient sur place tinrent un autre langage. Brueys, tout en admettant que le démon a a

pu quelquefois avoir inspiré les fanatiques i, voit, dans Fanatisme des prophètes (de ceux qui uni sincères), ii une maladie de l’esprit, i avant i xismes et ses accès, comme la fièvre », lacile à communiquer, l que I on guérit, comme les autres, par de6 remèdes convenables, el dont bs Bimptomes, quelques suprémans qu’ils paraissent, n’ont pourtant rien que de naturel, et dont la canse rus, , it parfaitement connue. » Op. cit., t. ii, prélace ; cl. t. I, p. 147-148. I l.’cbier très choisies, Lyon, 171.">. t. i. p.’Sri, déclare qu’il n’v a qu’à représenter cette forme de religion prophétique telle qu’elle étoit, pour faire voir qu’elle ne tu-nt aucunement du prodige, et qu’elle n’a rien d’exl dinaire que l’imagination de ceux qui l’ont inventée, la crédulité des peuples qui l’ont suivie, et l’aveuglement OU la passion des personnes qui l’autorisent ».

Tous les protestants n’applaudirent pas aux violences des camisards, et n’ajoutèrent point loi aux « visions » des prophètes ; beaucoup s’honorèrent en blâmant les unes et en méprisant les autres. Voir, par exemple, la lettre adressée par un synode protestant, tenu dans une ville étrangère, « aux fidèles des Cévennes, » et publiée par Louvreleuil, Le fanatisme renouvelé, réédit. d’Avignon, 1868, t. i. p. 127-136. Antoine Court, à qui le protestantisme est tant redevable, réagit efficacement contre l’illuminisme des prophètes. Un synode, réuni par ses soins, dans le désert, près de Nîmes, le il août 1715, et dans lequel s’assemblèrent les prédicateurs des Cévennes et du bas Languedoc, et quelques laïques, adopta, à la pluralité des voix, deux d crcls spécialement dm… s cintre le prophétisme : l’un interdisait la prédication des femmes et de toute personne non autorisée, l’autre ordonnait de s’en tenir à l’Écriture sainte comme à la seule règle de foi.

I. Sources.

On trouve des <]< cuments dans Histoire générale de Languedoc, Toulouse, IsTti. t. xiv ; A. de Buislisle, Correspondance des contrôleurs généraux avec les intendant* provinces, Paris, 1874, t. i ; A. Legrelle, La révolte des surds. Braine-le-Comte, Is ! 17. Les principaux écrivains catholiques si-nt : Fléchier, Mandemens et lettres pastoral t, I.y ii, 1712, p 12-166 (trois lettres pastorales, lune aux fidèles, la deuxième aux ecclésiastiques, la troisième aux religieuses de son diocèse). et Lettres choisies, Lyon, 1715, t. I, p. 203-00 ; Brueys, ancien calviniste, Histoire du fanatii itre temps, i

t. i ; Montpellier, 17(19. t. il ; 1713. t. ni. i v ; Louvreleuil, ci-devant curé de Saint-Germain de Calberte (dans les Cévennes), Le Janatisme renouvelé, 4 vol., Avignon, 1701-1706 ; 8’édit, A. 1868 ; Mémoires du maréchal de Villars, publiés par de Vogué, Paris, 1887, t. il, p. 145-169. Les principaux écrivains protestants sont :.lean Cavalier. Memoirs of the leurs o{ the (Crétines, !.. mires, 1726 (dictés au réfugié Galli, inexacts) ; M. Misson, Le théâtre sacré des Cévennes, Londres, 17

II. TRAVAUX.

Banier et Le Masciier. Histoire générale des cérémonies, mœurs et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, Paris, 1741. t. iv. p. 240 248, 260-265 ; Histoire des Cévennes ou de la guerre des camisards - t de Lottt* le Grand, 3 vol., v’illefranche. 1760 ; —, mteur est A. Court de Gébelin, qui l’a rédigée d’après les manuscrits d’Antoine Court, son père) ; Ch Coquerel, Histoire des pasteurs du désert, Pans. 184) ; Alp. Dubois, Sur I : nota, Strasbourg, 1861 nlièsc de théologie) ; Edm. Hugues, Histoire de

lu restauration du protestantisme en France au xrnr siècle. Antoine Court. 2 vol., Paris, 1875 ; K. Roschach, Éludât historiques sur lu province de Langui 4700), t. III, dans Dévie et Valssete, Histoire générale de Languedoc, Ton 1876, t. mu. p- 543-912 ; O. Douen, les premiers pasteur* du

désert. 2 Vol.. Pari.-. 1879 ; F. PuSUX, Histoire de la réfOrmatUM

française, Paris, t. i : Eug. Bonnemère, Les dragonnades. Histoire des camisards sous Louis XIV, 4 <d.t. Paris. : / i Francs protestante, art. Bourbon-Mal a uz s (Arme Brousson (Claude), Castanet (André), Catinat, (.’." (Jean), Court (Antoini, Tans. 1881, 1882, iss’, . p ii, col

losT ; t. III, cl. 222-21 2, 1

siT : il. Mi nin. Essai sur F histoire administrative du l.w

endanl IHntendanci de Basville, i ira la

Grande Encyclopédie, t. viii, p. 1089-1090 ; - A, rc/ie

der Wuste. Halle. 1893, el dans Bealencyclopàdie, : édit-, Leipzig, 1897, t. m. p. Legrelle, op. cit.-, J.-B. Coudera,

Victime ? des camisards, récits, discussion, notices, documents, Paris, 1904.

F. Vernet.