Dictionnaire de théologie catholique/CLARKE Samuel

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J. de la Servière
Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 3.1 : CLARKE - CONSTANTINOPLEp. 1-2-12).

3. CLARKE Samuel, théologien et prédicateur anglican (1675-1729), naquit le Il octobre 1675 à Norwich dans le comté de Norfolk, et fit ses études à Caius College, Cambridge. La philosophie dominante à Cambridge était alors le cartésianisme ; Clarke, que la lecture des premiers ouvrages de Newton avait conquis aux idées philosophiques du grand astronome, entreprit de les introduire à l’université ; dans ce but, il traduisit en latin la Physique de Rohault, Jacobi Rohaulti physica, Londres, 1697, et l’accompagna de notes philosophiques conformes aux théories newtoniennes. Cet ouvrage, qui eut en peu de temps six éditions, servit pendant de longues années de text book, à Cambridge. Clarke en publia aussi une traduction anglaise. F. Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, Paris, 1854, t. ii, p. 497.

A peine Clarke eut-il reçu les ordres, que l’évêque de Norwich, John Moore, frappé de ses talents, le prit pour chapelain, et lui conféra d’importants bénéfices ; chez l’évêque, Clarke trouvait une des plus belles bibliothèques de l’Angleterre ; il put se donner tout entier à ses études, et multiplier ses publications. En 1699 parurent de lui deux traités ; l’un, signé : Three practical essays upon baptism, confirmation, repentance, Works, t. iii, destiné à ramener l’Église anglicane à l’austérité de la primitive Église, et à critiquer la conception romaine des sacrements ; l’autre, anonyme, Reflexions on part of a book called Amyntor, Works, t. iii, où Clarke défendait l’authenticité de plusieurs monuments de l’ancienne littérature chrétienne contre l’Amyntor de Toland. En 1701, Clarke publia Paraphrases on the four Gospels, Works, t. iii, court et clair commentaire où il s’attache avant tout au sens littéral du texte sacré.

En 1704, il fut appelé à donner à Saint-Paul de Londres les Boyle lectures, ou conférences établir en 1691 par Robert Boyle, célèbre physicien et fondateur de la Société royale de Londres, pour la défense de la religion naturelle et de la révélation contre l’athéisme et le matérialisme. Devant cet auditoire, le plus distingué du Royaume-Uni, Clarke s’attacha à réfuter en huit conférences Hobbes, Spinoza, « et autres contempteurs de la religion naturelle et révélée, » en prouvant l’existence et les attributs de Dieu. A discourse concerning the being and attributes of God, Works, t. ii. Un être immuable et indépendant existe de toute éternité ; il est distinct du monde matériel ; nous ne pouvons comprendre son essence, mais beaucoup de ses attributs sont démontrables, p. 524-539. Ces attributs sont l’éternité, l’infinité, l’omniprésence, l’unité, p. 539-543 ; cet être, à en juger par son œuvre, est une intelligence infinie ; il est libre ; il est maitre souverain de toutes choses et son omnipotence s accorde bien avec la liberté humaine, p. 543-566 ; il est infiniment sage, bon, juste et vrai ; l’existence du mal dans le monde ne prouve rien contre sa providence, p. 566-571.

Ces conférences, où l’auteur montrait une connaissance approfondie des erreurs les plus en vogue, eurent un tel succès, que Clarke fut prié de continuer son œuvre l’année suivante devant le même auditoire. Il choisit pour sujet en 1705 les obligations de la loi naturelle, et la certitude de la religion révélée, The obligations of natural religion, and the truth and certainty of the christian revelation, Works, t. ii. Certaines obligations morales s’imposent à toute créature raisonnable, indépendamment de toute institution positive et de toute attente de récompense et de châtiment ; l’auteur répond à l’objection tirée des divergences des différents peuples dans leurs appréciations du bien et du mal, p. 608-631 ; les théories de Hobbes sur l’origine de l’obligation et du droit sont réfutées, p. 631-637. Ces obligations morales universelles, sorties de la nature même des choses, sont la manifestation de la volonté de Dieu à ses créatures raisonnables ; elles doivent avoir une sanction, et cette sanction n’existant pas toujours en cette vie, l’existence d’une vie future s’impose ; les principales preuves de l’immortalité de l’âme sont développées. p. 637-643. Malgré la certitude de ces vérités naturelles, l’homme est tellement faible et corrompu, qu’à de rares exceptions près il ne peut les conquérir et les conserver sans un enseignement positif ; cet enseignement, la philosophie humaine n’a pas suffi à le donner ; contre les déistes ses contemporains Clarke prouve la convenance et l’utilité d’une révélation divine, p. 643-673. Cette révélation divine, seul le christianisme la possède et en donne des preuves ; ses enseignements sont en parfait accord avec les vérités que la raison naturelle nous fait découvrir, p. 673-680. Les points sur lesquels les diverses communions chrétiennes différent sont en petit nombre et de peu d’importance ; toutes enseignent également les grandes vérités nécessaires à la conduite de la vie humaine, p. 680-695. Les miracles du Sauveur, l’accomplissement des prophéties en sa personne, le témoignage que lui rendent les apôtres, prouvent clairement sa mission divine ; à ces preuves, on ne peut raisonnablement résister, p. 695-737.

Les Boyle lectures, qui firent à Londres la réputation de Clarke, furent presque aussitôt éditées par lui sous forme de traité ; elles furent traduites en français par Ricotier, Amsterdam, 1727 ; cette traduction est reproduite dans les Démonstrations évangéliques de Migne, t. v. col. 936 sq.

En 1706, Dodwell ayant publié un écrit où il prétendait que l’âme humaine était naturellement mortelle, mais que, avec le baptême, elle recevait surnaturellement de Dieu l’immortalité, Clarke reprit la plume pour développer quelques-unes des thèses énoncées par lui l’année précédente, et dans une lettre à Dodwell, Letter to Mr  Dodwell, Works, t. iii, p. 721 sq., il réfuta ses arguments et prouva que l’immortalité était naturelle à l’âme, par des arguments de raison ; il rétablit de plus le vrai sens des citations des Pères que son adversaire avait apportées en faveur de sa thèse ; une intéressante correspondance s’engagea a la suite entre lui et un défenseur de Dodwell. Works, t. iii, p. 757 sq.

Ces graves travaux n absorbaient pas tous les instants de Clarke ; la même année 1706 il trouva le loisir de traduire en latin l’Optique de Newton, Newtonis optice ; le grand savant fut si satisfait de cette œuvre, qui permettait à l’Europe savante de s’initier à ses découvertes, qu’il fit présent à son ami de 500 livres sterling, 100 pour chacun de ses cinq enfants.

Tous ces travaux confirmaient l’évêque de Norwich dans la haute idée qu’il s’était faite du talent de son protégé ; il lui fit conférer en 1706 la paroisse de Saint-Bennets Paul’s Wharf, à Londres, et l’introduisit à la cour de la reine Anne : trois ans plus tard, la reine le présentait pour la paroisse Saint-James de Westminster, et Clarke devenait un des prédicateurs de la chapelle royale ; en 1709, pour se rendre plus digne de ces grandeurs, il allait prendre à Cambridge son doctorat en théologie, après une brillante soutenance de cette thèse, qui lui était chère, qu’il y a parfait accord entre les vérités de l’ordre naturel et les vérités révélées.

Une grave épreuve allait bientôt empêcher Clarke de parvenir aux premiers honneurs de l’Église établie que tout semblait lui présager. En étudiant les Pères de l’Église, il s’était persuadé que la doctrine qui prévalut au concile de Nicée sur la consubstantialité du Père et du Fils n’était pas celle des premiers siècles chrétiens ; et il se crut la mission de ramener l’Église anglicane sur ce point au christianisme primitif. Dans ce but, il publia en 1712 sa Scripture doctrine of the Trinity, Works, t. iv ; en vain lord Godolphin et plusieurs autres personnages de la cour de la reine Anne étaient intervenus auprès de lui pour arrêter la publication de ce livre dont ils prévoyaient les conséquences : Clarke se croyait obligé en conscience à expliquer dans quel sens il fallait entendre ceux des 39 articles de l’Église établie qui concernaient la trinité. L’ouvrage a deux parties ; dans la première, tous les textes de la sainte Écriture qui ont trait aux trois personnes divines sont cites et brièvement commentés ; la seconde énonce les conclusions que Clarke croit devoir tirer de ces textes. Il n’y a qu’une seule cause suprême de toutes choses ; une personne divine, auteur de tout être, source de tout pouvoir ; avec elle existe de toute éternité une seconde personne divine, le Fils, une troisième, l’Esprit du Père et du Fils. Le Père seul existe par lui-même et a un être indépendant ; seul il est dans le sens strict l’Être suprême ; c’est de lui que parle l’Écriture, quand elle parle du Dieu unique, quand elle nomme Dieu sans restriction, p. 122-134. Le Fils n’existe pas par lui-même, mais tire son existence et toutes ses propriétés du Père, comme de la cause suprême ; c’est une égale erreur d’affirmer que le Fils a été créé de rien, ou qu’il est une substance existante par elle-même ; l’Écriture, du reste, suppose toujours que le Fils a existé avec le l’ère dès le commencement et avant notre monde, p. 134-141. Le Verbe, ou le Fils du Père éternel, envoyé par lui dans le monde pour s’y incarner et mourir, n’était pas « la raison ou sagesse intérieure de Dieu, attribut du Père ; mais une personne réelle, la même qui depuis le commencement révéla au monde les volontés du Père » , p. 146. L’Esprit-Saint est lui aussi une personne réelle, « qui n’existe pas par elle-même, mais tire son être du Père par le Fils, comme de la cause suprême. » Si la personne du Fils est parfois appelée Dieu dans l’Écriture, ce n’est pas à cause de sa substance métaphysique, mais de ses attributs relatifs, et de l’autorité divine que le Père lui a communiquée sur nous » , p. 150 ; c’est par lui, en effet, que le Père a créé et gouverne encore le monde ; il a reçu du Père tous les pouvoirs divins qui sont communicables,

« c’est-à-dire ceux qui ne renferment pas cette indépendance et cette autorité suprême par laquelle Dieu, le

Père universel, se distingue. » Le Fils, quelles que soient la grandeur et la dignité divine que lui attribue l’Écriture, est évidemment subordonné au Père, de qui il tire son être, ses attributs et ses pouvoirs, p. 155. Le Saint-Esprit est aussi évidemment subordonné au Père ; l’Écriture le représente également comme subordonné au Fils ; cela par nature, et aussi par la volonté du Père, p. 179. En conséquence, l’honneur suprême ou adoration n’est dû qu’à la personne du Père, seul auteur suprême et origine de tout être et de tout pouvoir ; tout honneur rendu au Fils qui nous a rachetés, ou au Saint-Esprit qui nous sanctifie, doit être compris comme tendant finalement à l’honneur et à la gloire du Père, en vertu du bon plaisir duquel le Fils nous a rachetés et le Saint-Esprit nous sanctifie, p. 179-185. Dans une troisième partie, l’auteur examinait les différents textes de la liturgie anglicane où est exprimé le dogme de la trinité, et s’efforçait de les interpréter dans le sens de sa thèse.

Bien que Clarke protestât en maint passage de son livre de son horreur pour les doctrines ariennes, de nombreux adversaires se levèrent aussitôt contre lui, l’accusant à bon droit de manquer à la foi de Nicée. Wells, Nelson, Waterland engagèrent avec lui, au cours de l’année 1713, une violente polémique dans laquelle Clarke fut contraint de préciser encore ses opinions hétérodoxes. Works, t. iv, p. 225 sq. D’ailleurs, le recteur de Saint-James n’était pas seul ; et plusieurs de ses amis s’avouaient hautement pour les tenants des doctrines qu’ils appelaient « eusébiennes » . Whiston, Historical memoirs, p. 12 sq., 32 sq. ; Taine, Histoire de la littérature anglaise, Paris, 1895, t. iii, p. 281. Voltaire écrivait d’eux quelques années après : « Il y a en Angleterre une petite secte composée d’ecclésiastiques et de quelques séculiers très savants, qui ne prennent ni le nom d’ariens, ni celui de sociniens, mais qui ne sont point du tout de l’avis de saint Athanase sur le chapitre de la trinité, et qui vous disent nettement que le Père est plus grand que le Fils. » 7e lettre sur les Anglais, Œuvres, t. xxxv, p. 55. La reine Anne, elle-même, avait dû s’élever en plein parlement, le 5 avril 1714, contre « ces hommes qui devraient se tenir tranquilles, et se mêler de leurs affaires, plutôt que de ressusciter des questions et des disputes d’une nature trop haute » . Clarke devait s’attendre à un procès en règle. Le 2 juin 1714, la Chambre basse de la « Convocation » ou concile provincial de Canterbury adressa une plainte aux évêques qui composaient la Chambre haute contre son livre, « comme contenant des assertions contraires à la foi catholique, telle qu’elle est reçue et expliquée par l’Église réformée d’Angleterre. » Le 23 juin, les passages qui semblaient les plus répréhensibles furent produits devant les évêques ; Clarke fut invité à s’expliquer. Le 26 juin, il se justifia, en ne rétractant rien de ses théories, mais en apportant à leur appui de nombreux textes des Pères de l’Église et des grands théologiens anglicans. Le 2 juillet, sur la demande des évêques, il condensa sa doctrine dans cette proposition : « Le Fils de Dieu est engendré de toute éternité par l’incompréhensible pouvoir et volonté de son Père ; le Saint-Esprit dérive de même du Père par le Fils. » Works, t. iv, p. 553. Clarke déclara de plus qu’il n’avait pas l’intention de prêcher ou d’écrire de nouveau sur la matière de la trinité, et se défendit d’avoir supprimé dans son église certaines parties du service divin, entre autres la récitation du symbole d’Athanase. Dana une lettre du 5 juillet 1714, adressée à l’évêque de Londres, il tint à bien spécifier qu’il s’expliquait, mais ne se rétractait pas. Le même jour, les évêques déclarèrent « qu’il n’y avait pas lieu de procéder contre les textes produits par la Chambre basse, et que les explications données par Clarke seraient conservées aux archives de la Chambre » . La Chambre basse protesta avec indignation, le 7 juillet, contre cette absolution donnée à Clarke « sans aucune rétractation de ses hérésies » ; mais les évêques tinrent bon, et l’affaire en resta là. Ibid., p. 557, 558.

Toutes les pièces de ce curieux procès, qui en dit long sur l’état des esprits dans l’Église anglicane au début du xviiie siècle, se trouvent dans les Œuvres de Clarke, t. iv, p. 542 sq.

A la suite de ce procès, Clarke fut vigoureusement attaqué par plusieurs de ses amis comme n’ayant pas soutenu ses idées avec assez de franchise, Winston, Historical memoirs, p. 66 sq. ; pris de remords, il se refusa, jusqu’à la fin de sa vie, à accepter aucun emploi ecclésiastique qui l’obligerait à souscrire de nouveau les 39 articles ; c’était se fermer la route des premiers honneurs. Voltaire, 7e lettre sur les Anglais, Œuvres, t. xxxv, p. 56, raconte que la reine Anne ayanl pensé à lui pour l’archevêché de Canterbury, l’évêque Gibson arrêta la nomination par cette simple remarque : « Madame, M. Clarke est le plus savant et le plus honnête homme du royaume, il ne lui manque qu’une chose. — Et quoi ? dit la reine. — C’est d’être chrétien, » dit le docteur bénévole. Dans son emploi même de recteur de Saint-James, Clarke eut jusqu’à la fin de nombreuses difficultés avec ses paroissiens, qui plus d’une fois le dénoncèrent à l’évêque de Londres comme supprimant ou altérant dans l’office divin les textes liturgiques où le dogme de la trinité était clairement énoncé. Whiston, Historical memoirs, p. 53, 76 sq.

Pour dédommager Clarke des hautes situations ecclésiastiques que ses scrupules de conscience ne lui permettaient pas d’accepter, ses puissants amis de la cour lui firent offrir en 1727, à la mort de Newton, le poste de directeur de la Monnaie, que celui-ci avait occupé ; Clarke refusa noblement, l’emploi lui semblant incompatible avec ses devoirs de pasteur.

Pendant les dernières années de sa vie il se consacra tout entier aux questions de philosophie et de théologie naturelle qui ne l’engageaient pas dans d’aussi brûlantes controverses. « Cet homme, écrivait Voltaire, est d’une vertu rigide et d’un caractère doux, plus amateur de ses opinions que passionné pour faire des prosélytes, uniquement occupé de calculs et de démonstrations, aveugle et sourd pour tout le reste, une vraie machine à raisonnements. » 7e lettre sur les Anglais, Œuvres, t. xxxv, p. 56.

Après la mort de la reine Anne, Clarke devint un des intimes de la princesse de Galles, plus tard la reine Caroline, femme de George II. Chaque semaine, la princesse réunissait un petit cercle de savants pour des entretiens philosophiques ; le recteur de Saint-James était un des plus assidus à ces réunions. En novembre 1715. Leibnitz avant publié une lettre où il se plaignait du progrès de l’incrédulité en Angleterre et l’attribuait en partie aux doctrines philosophiques de Locke et de Newton, la princesse Caroline invita Clarke à prendre la défense du grand astronome son ami, et se chargea de transmettre à Leibnitz sa réponse ; il s’exécuta, et une correspondance très intéressante s’engagea entre les deux savants ; elle dura jusqu’à la mort de Leibnitz (14 novembre 1716). Clarke la publia lui-même en 1717. Elle comprend cinq lettres de chacun des adversaires, reproduites dans les Œuvres complètes de Clarke, t. iv, p. 575 sq. Les questions les plus intéressantes, abordées sans grand ordre dans cette correspondance, se rapportent au dogme de la providence, aux notions de l’espace et du temps, à la défense de la liberté humaine.

Leibnitz avait attaqué Newton comme soutenant que Dieu était obligé continuellement de « corriger et retoucher son ouvrage par un concours extraordinaire » . « Selon mon sentiment, ajoutait-il, la même force et vigueur subsiste toujours dans le monde, et passe seulement de matière en matière suivant les loix de la nature et le bel ordre préétabli, » p 587. « Je ne dis point que le monde corporel est une machine, ou une montre qui va sans l’intervention de Dieu, et je presse assés que les créatures ont besoin de son influence continuelle, mais je soutiens que c’est une montre qui va sans avoir besoin de sa correction ; autrement il faudroit dire que Dieu se ravise ; Dieu a tout prévu ; il a remédié à tout par avance ; il y a dans une harmonie, une beauté déjà préétablie, » p. 595. « Ceux qui soutiennent, répond Clarke, que l’univers n’a pas besoin que Dieu le dirige et gouverne continuellement, avancent une doctrine qui tend à le bannir du monde… L’idée que le monde est une grande machine, qui se meut sans que Dieu y intervienne, comme une horloge continue à se mouvoir sans le secours de son horloger, cette idée introduit le matérialisme et la fatalité ; elle tend effectivement à bannir du monde la providence et le gouvernement de Dieu, » p. 590, 591. « Le mot de correction ou de réforme, ne doit pas être entendu par rapport à Dieu, mais uniquement par rapport à nous… L’état présent du monde, le désordre où il tombera, et le renouvellement dont ce désordre sera suivi, entrent également dans le dessein que Dieu a formé… La sagesse et la prescience de Dieu consistent, comme on la dit ci-dessus, à former dès le commencement un dessein que sa puissance met continuellement en exécution, » p. 599.

Pour Leibnitz, l’espace « est quelque chose de purement relatif comme le temps, un ordre des coexistences comme le temps est un ordre des successions… Tout espace vuide est une chose imaginaire ; l’espace doit être la propriété de quelque substance ; l’espace vuide borné que ses patrons supposent entre deux corps, de quelle substance sera-t-il la propriété et l’affection ? » p. 613 ; cf. p. 644 sq. Clarke au contraire nie que l’espace soit seulement « l’ordre des choses qui coexistent, pas plus que le temps n’est l’ordre des successions dans les créatures » , p. 608. « L’espace destitué de corps est une propriété d’une substance immatérielle ; l’espace n est pas borné par les corps, mais il existe également dans les corps et hors des corps, » p. 623. « L’espace vuide n’est pas un attribut sans sujet, car par cet espace nous n’entendons pas un espace où il n’y a rien, mais un espace sans corps ; Dieu est certainement présent dans l’espace vuide : et peut-être qu’il y a aussi dans cet espace plusieurs autres substances, qui ne sont pas matérielles, et qui par conséquent ne peuvent être tangibles ni apperçues par aucun de nos sens… L’espace et la durée ne sont pas hors de Dieu ; ce sont des suites immédiates et nécessaires de son existence, sans lesquelles il ne serait point éternel et présent partout, » p. 623. 624.

Enfin Leibnitz déclarait, au sujet de la volonté humaine, « que les raisons font dans l’esprit du sage, et les motifs dans quelque esprit que ce soit, ce qui répond à l’effect que les poids font dans une balance… Vouloir que l’esprit préfère quelques fois les motifs foibles aux plus forts, et même l’indifférent aux motifs, c’est séparer l’esprit des motifs, comme s’ils étaient hors de lui comme le poids est distingué de la balance, et comme si, dans l’esprit, il y avoit d’autres dispositions pour agir que les motifs, » p. 631, 635. Clarke critiqua vivement ces comparaisons qui lui semblaient détruire l’idée même de liberté. « Une balance poussée des deux côtez par une force égale, ou pressée des deux côtez, par des poids égaux, ne peut avoir aucun mouvement ; et supposé que cette balance reçoive la faculté d’appercevoir, en sorte qu’elle sçache qu’il lui est impossible de se mouvoir… elle se trouveroit précisément dans le même état où le sçavant auteur suppose que se trouve un agent libre, dans tous les cas dune indifférence absolue… Mais un agent libre, lorsqu’il se présente deux ou plusieurs manières d’agir également raisonnables, et parfaitement semblables, conserve encore en lui-même le pouvoir d’agir, parce qu’il a la faculté de se mouvoir. » p. 672

Clarke ne perdit pas cette occasion de railler une des idées les plus chères de son adversaire. « L’harmonie préétablie n’est qu’un mot ou un terme d’art ; et elle n’est d’aucun usage pour expliquer la cause d’un effet aussi miraculeux (les rapports de l’âme et du corps). » p. 628. « C’est une hypothèse étrange que celle de l’harmonie préétablie, selon laquelle l’âme et le corps d’un homme n’ont pas plus d’influence l’un sur l’autre que deux horloges, qui vont également bien quelque éloignées qu’elles soient l’une de l’autre, et sans qu’il y ait entre elles aucune action réciproque, » p. 696.

Cette controverse, dont les plus savants compatriotes de Clarke suivaient avec passion les péripéties, augmenta encore sa réputation de philosophe. Elle eut pour suite diverses correspondances avec les philosophes anglais, surtout Antome Collins, pour la défense de la liberté humaine. Works, t. iv. p. 701 sq.

Ces travaux ne lui faisaient pas négliger son ministère à Saint-James ; un premier volume des sermons prêchés à ses fidèles parut en 1724 ; puis, en 1729 Exposition of the Church catechism, résumé de son enseignement ; ce catéchisme est fort intéressant pour qui veut connaître les doctrines de l’Église établie, à cette époque. Works, t. iii, p. 639 sq.

Clarke mourut, des suites d’un refroidissement pris en prêchant, le 17 mai 1720. Après sa mort. Benjamin Hoadly publia en 1731 dix volumes de ses sermons avec une bonne notice ; enfin le même Hoadlvy fit paraître en 1738 les Œuvres complètes de son ami, en 4 in-fol.

The Works of Samuel Clarke. Londres, 1738 sq. ; cette édition dédiée à la reine par la veuve de Clarke, est précédée de la notice d’Hoadly ; Whiston, Historical memoirs of the life of Dr  Clarke, Londres. 1748. A la suite de l’ouvrage de Whiston sont imprimés les deux opuscules suivants : Sykes, Elogium of Dr  Clarke ; Emlyn, Memoirs of the life and sentiments of Dr  Clarke ; Voltaire, Lettres sur les Anglais, Œuvres complètes, Paris, 1827, t. xxxv : Zimmermann, Samuel Clarke’s Leben und Lehre, Vienne, 1870 ; notices par Hausle dans le Kirchenlexikon, par Lestie Stephen dans le Dict. of nat. biography.

J. de la Servière.

1. CLAUDE Jean, célèbre ministre de l’Église réformée de France au xvii siècle, connu surtout pou : controverses avec Bossuet et Port-Royal et pour la défi qu’il prit de son parti. Né à la Sauvent du Drot. dans leBas-Agenois en 161’.), il mourut à La Haye le 13 janvier 1687. l’.ls d’un pasteur, il devint, après de fortes études à Montauban. pasteur lui-même a La 1 reine, 1645, a Saint-Affrique, 1646, et à Nimes, 1654. Ses corehoionaires apprécient déjà la solidité de sa doctrine et l’habileté de ses conseils, puisqu’ils l’appellent a professer a l’Académie de théologie de Nimes et. des lbo.l. ils le désignent comme modérateur-adjoint au synode provincial de Montpellier et comme délégué-suppléant au svnode national qui devait s’ouvrir a Loudun. Pasteur et professeur 1res influent malgré une contre en faveur du cartésianisme avec son célèbre coll Derodon, il fut bientôt suspect au pouvoir. Survint -, Nimes le svnode provincial de 1661. Claude en fut élu modérateur. Ce svnode eut à discuter un projet de reunion au catholicisme, présenté par le gouverneur du Languedoc, le due de Conti. Claude s’éleva contre ce projet avec une vigueur qui triompha, mais qui lui valut du roi l’interdiction d’exercer ses fonctions même de séjourner dans le Languedoc. Venu à I en octobre 1661 pour solliciter son pardon, il j séjourna ., ns l’obtenir jusqu’en mai 166* ; mais c’est s’ébauchèrent ses controverses avec Nicole, la pnn de Turenne l’ayant appelé, sur sa réputation. défendre | a foi protestante auprès du maréchal que IVrt-lïoy.d s’efforçait de convertir, sur ces entrefaites. 1 1 gtise de