Dictionnaire de théologie catholique/DOGMATIQUE I. Définition

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 127-132).

DOGMATIQUE. -
I. Définition.
II. Méthode
III. Divisions principales.
IV. La dogmatique dans le Nouveau Testament,
V. La dogmatique aux diverses périodes de son histoire.
VI. La dogmatique et le magistère ecclésiastique.

I. Définition.

Selon la terminologie communément reçue depuis plusieurs siècles, la dogmatique est cette partie de la science théologique qui traite des dogmes ou vérités divinement révélées, contenant tout d’abord un enseignement spéculatif auquel est premièrement dû L’assentiment île la foi surnaturelle. Le terme dogme devant être défini à l’article suivant, il suffira d’élucider ici les autres parties île notre délininition.

1° Comme partie de la science théologique, la dogmatique participe à tous les caractères généraux de cette science. —

1. Comme toute science théologique, elle a pour principe unique de démonstration l’autorité divine qui seule peut manifester les vérités surnaturelles. S. Thomas, Sum. theol., 1’, q. i, a. 8. Tandis que la science apologétique s’appuie exclusivement sur la raison pour démontrer l’authenticité et l’infaillible vérité du témoignage divin source de notre foi, la dogmatique, déjà en possession de la foi aux vérités surnaturelles, repose uniquement sur le témoignage divin, tel qu’il nous est manifesté par l’Ecriture et la tradition fidèlement interprétées selon les infaillibles décisions du magistère ecclésiastique. Si la simple raison est parfois employée en dogmatique, c’est uniquement à titre auxiliaire, soit pour montrer la nonvaleur démonstrative des objections adverses, dans le sens indiqué par saint Thomas, Contra génies, l. I, c. vu ; soit pour faire ressortir les hautes convenances intellectuelles et morales d’une vérité déjà connue comme certainement révélée, au sens également signale’par le docteur angélique. <>pcit., l. I, c. ix.

2. Parce que la dogmatique est appuyée uniquement sur le témoignage divin, elle étudie de Dieu seulement ce qui nous est connu de lui par la foi, parti

culièrement ce qui concerne l’ordre surnaturel librement établi par sa munificence et connu seulement par la révélation. Toutefois l’on s’occupe fréquemment en dogmatique, d’une manière incidente ou secondaire, des vérités rationnelles concernant Dieu et ses rapports avec les créatures. Ces vérités ne sont point alors traitées comme relevant directement de la théologie dogmatique, mais plu tôt connue vérités philosophiques, adjointes à la théologie pour mieux manifester le solide fondement apologétique des vérités révélées, ou pour aider à une meilleure intelligence des mystères divins par l’analogie entre les vérités de l’ordre naturel et celles de l’ordre surnaturel. Ainsi l’étude de la providence divine dans l’ordre naturel donne une meilleure intelligence du gouvernement divin dans l’ordre de la grâce, el l’étude de la motion divine dans l’ordre de la nature fait mieux saisir le mode d’efficacité de la grâce surna’urelle.

2° Comme science spéciale, la dogmatique limite son champ d’étude aux vérités divinement révélées, contenant tout d’abord un enseignement spéculatif auquel est premièrement dû l’assentiment de la foi surnaturelle. Assurément les vérités divinement révélées, qui ont pour but immédiat de faire connaître les préceptes surnaturels imposés par Dieu, pourraient être, non moins que les vérités spéculatives, l’objet de la dogmatique, puisqu’elles nous sont immédiatement connues par la foi. Mais, depuis plusieurs siècles, on est communément convenu de réserver à la théologie morale toutes les vérités révélées qui peuvent être principalement considérées comme règles pratiques dirigeant notre volonté vers la fin surnaturelle. Cette division devenue classique a l’incontestable avantage d’élargir des cadres devenus trop étroits, vu le développement considérable des questions morales tant spéculatives que pratiques et les proportions plus vastes justement accordées à la dogmatique positive. Mais cette nécessaire division du travail ne doit jamais entraîner entre le dogme et la morale une séparation effective qui serait souverainement désastreuse. De fait, l’expérience a prouvé que la morale, étudiée sans aucune relation avec le dogme, courrait le grave danger d’être une pure casuistique, où les questions doctrinales seraient à peine mentionnées et qui ne mériterait guère le nom de science théologique, liouquillon, Moral theology al the end <>f ihe nineleenth century, dans le Catliolic University Bulletin d’avril 1899, Washington, 1899, p. 258 ; Kirchenlexikon, 2e édit., t. iii, col. 1892. Cet affaiblissement doctrinal de la théologie morale aurait aussi une funeste répercussion sur l’enseignement ascétique et mystique qui doit s’appuyer sur elle.

D’autre part, il est non moins nécessaire que la théologie dogmatique soit étudiée dans ses relations avec la fin surnaturelle à laquelle la théologie morale doit immédiatement diriger. C’est à ce prix seulement que la souveraine utilité pratique de la dogmatique apparaît manifestement, dans la direction effective qu’elle donne à la volonté pour s’orienter fortement vers la possession de la fin surnaturelle. En suivant une marche différente, on expose la dogmatique, surtout quand elle prête peu d’attention aux questions de théologie positive et s’adonne presque exclusivement à des questions spéculatives, à être considérée comme une science uniquement abstraite, sans portée réelle sur la vie chrétienne habituelle. Sans examiner ici si quelques théologiens scolastiques, surtout à l’époque de la décadence, ont suffisamment évité cet écueil, nous ferons simplement observer qu’à notre époque, en face des erreurs modernistes sur le dogme, simple règle de vie pratique, et du reproche d’intellectualisme oulrancier, il y a lieu d’insister davantage sur le vrai rôle pratique du dogme tel que nous le définirons à l’article suivant.

3e Ce que la dogmatique recherche principalement, c’est donc une connaissance surtout spéculative des vérités révélées. Cette connaissance doit être : 1. Tout d’abord une connaissance positive du dogme effectivement contenu dans la révélation. Cette connaissance s’acquiert par une étude régressive des sources de la révélation, faite particulièrement pour chaque enseignement divin, non pour aboutir à la production de l’acte de foi déjà existant, mais pour justifier cette foi contre les attaques des hérétiques ou pour consolider la piété des fidèles. S. Thomas, Cont. genl., l. I, c. ix. Dans cette étude régressive où l’exégète et le critique gardent toute liberté relativement à la méthode scientifique à employer, il y a toujours pour eux obligation stricte d’observer fidèlement les règles tracées par Léon XIII dans l’encyclique Providentissimus Dana du 18 novembre 1893 et par Pie X dans l’encyclique l’ascendi du 8 septembre 1907, et de se garder soigneusement de tous les excès réprouvés par le décret Lanientabili du 4 juillet 1907.

Au travail critique l’on doit joindre une solide exposition historique de la doctrine dont on poursuit la justification régressive. Cette exposition historique dont le but est de déterminer exactement l’objet de la controverse avec les hérétiques, le sens réel des arguments apportés contre eux par les défenseurs de la vérité catholique, ainsi que l’exacte teneur des définitions ecclésiastiques au cours des siècles, aide puissamment à une meilleure intelligence de la démonstration exégétique ou traditionnelle ou de la définition doctrinale de l’Église. Ainsi une histoire complète de la doctrine théologique du caractère sacramentel dans la période patristique enlève tout fondement réel à cette supposition de plusieurs théologiens spéculatifs du moyen âge que cette doctrine n’a aucune justification solide dans la tradition explicite antérieure au moyen âge. Pourrai, La théologie sacramentaire, Paris, 1907, p. 221 sq. Il serait non moins facile de prouver par un fidèle exposé historique du dogme de l’infaillibilité pontificale que les objections habituelles des gallicans n’avaient aucun appui dans la pratique ou dans le témoignage des siècles précédents.

2. La connaissance que recherche la dogmatique est surtout une connaissance scientifique provenant de déductions théologiques principalement empruntées aux analogies entre les vérités révélées et les données de la raison el à la comparaison des mystères entre eux et avec leur fin. — a) Cette connaissance est appelée scientifique, non dans un sens absolu, mais dans un sens purement relatif. Elle ne peut être scientifique dans un sens absolu, car toute connaissance des vérités révélées doit s’appuyer fondamentalement sur le témoignage divin qui peut seul nous en assurer authentiqueinent. S. Thomas, Suni. l/ieol., l a, q. i, a. 8. Cette connaissance est scientifique dans ce sens très restreint, que la raison, effectivement dirigée par la foi. se sert, pour perfectionner son concept des vérités révélées. de toutes les données fournies par les analogies créée-, par la comparaison avec les autres enseignements révélés, particulièrement avec la fin surnaturelle vers laquelle doit converger tout enseignement divin.

b) Connaissance scientifique provenant de déductions théologiques principalement empruntées aux analogies entre les vérités révélées et 1rs données de la raison.

— a. Parmi ces analogies, les unes sont explicitement ou implicitement révélées avec le mystère divin, les autres sont simplement employées dans les documents ecclésiastiques ou dans les écrits des Pères et des théologiens, pour mieux exprimer l’enseignement révélé. — a. Les analogies les plus importantes et les plus fécondes sont celles que la révélation appuie de son infaillible autorité’. Tels sont particulièrement les concepts de personne, de paternité et de filiation, de gêné

ralionet de verbe, appliquas à l’ineffable mystère de la sainte Trinité, et les noms multiples par lesquels l’Écriture inspirée désigne les perfections divines, A cette catégorie l’on peut encore rattacher, quoique d’une

manière moins immédiate, l’analogie entre la foi humaine et la foi divine, de laquelle les tbéologiens tirent de très importantes déductions dans l’étude de l’acte de foi, l’analogie entre l’espérance et l’amour humains et l’espérance et la charité considérées comme vertus théologales, l’analogie entre les conversions substantielles dans la nature créée et l’admirable conversion substantielle toute spéciale du pain et du vin eucliarisliques au corps et au sang de Jésus-Christ. Il est facile de constater dans les tbéologiens scolasliques, particulièrement dans saint Thomas, tout le parti qu’ils ont tiré de ces analogies explicitement ou implicitement révélées. — fi. Les analogies qui ne sont ni explicitement ni implicitement révélées et qui sont

simplement employées dans les documents ecclésiastiques ou dans les écrits des Pères et des tbéologiens pour mieux exprimer l’enseignement révélé, ont une valeur théologique correspondante à la valeur de l’autorité sur laquelle elles sont appuyées.

Nous citerons quelques exemples : Analogie établie par le premier concile de Nicée entre la procession de la lumière et la génération du Verbe, lumen de lamine.

— Analogie mentionnée dans le symbole attribué à saint Atbanase : sicut anima rationalis et caro unus est homo, ita Deus et homo unus est Christ us. — Analogie établie par saint Thomas entre le mouvement local et le travail de réforme et de renouvellement intime par lequel le pécheurse dispose à la justification, en se séparant effectivement du pécbé par la contrition et en tendant généreusement vers Dieu par l’espérance et l’amour. Sum. Iheol., I" II », q. c.xin, a. 5. — Analogie entre les dispositions physiques à la réception d’une nouvelle forme accidentelle et les dispositions préparatoires à la réception de la grâce sanctifiante, l a II", q. cxii, a, 2, analogie de laquelle l’école thomiste déduit de nombreuses conclusions. — Analogie entre le principe de vie dans l’ordre naturel et la grâce sanctiliante principe de notre vie surnaturelle, analogie existant similairement entre les facultés ou puissances de 1.’une dans l’ordre naturel et les vertus dans l’ordre surnaturel, I « 11’, q. ex, a. i. — Analogie entre la matière et la tonne dans le composé pbysique et les deux éléments du signe sensible constituant le signe sacramentel, 111 », q.L.x, a. 6, analogie de laquelle la tbéologie scolaslique déduisit de nombreuses conclusions ou applications.

b. Pour que toutes ces analogies puissent conduire à une connaissance scientifique au moins imparfaite de la vérité révélée, un double travail est nécessaire : a. On doit se servir de toutes les données de la raison pour mettre en pleine lumière le terme humain de comparaison, afin qu’il puisse fournir une base solide à des conclusions fermes et étendues. C’est ainsi que, dans l’étude du mystère de la Trinité, saint Thomas commence ebaque question théologique par une profonde analyse de l’analogie ou de la notion humaine qui doit servir d’intermédiaire dans l’argumentation théologique. Nous citerons comme exemples : l’étude de la génération dans les créatures, Sum. Iheol., I a, q. XXVII, a. 2 ; la manière dont le verbe humain procède de notre intelligence, loc. cit., ad 2um ; Cont. cent., l. IV, c. x, xi ; l’explication rationnelle de la différence entre la procession de l’intelligence et celle de la volonté. I", q. xxvil, a. 4 ; q. xxxvii, a. 1 ; Cont. gent., l. IV, c. xxin ; la notion de la personne dans les créatures, I a, q. x.xix, a. 1 sq. — fi. En rapprochant de l’enseignement révélé ces données rationnelles, l’on doit s’efforcer d’établir nettement les similitudes et les disshnilitudes entre le terme de comparaison et

l’enseignement révélé, dans la double intention d’attribuer effectivement au concept révélé toutes les similitudes dans la mesure strictement permise par la révélation, et d’écarter positivement du même concept toutes les dissimilitudes évidemment nécessitées ou suggérées par l’enseignement divin, tel qu’il est proposé à notre croyance par le magistère ecclésiastique. C’est encore le procédé suivi par saint Thomas signalant aux endroits précédemment indiqués les dissimilitudes et les similitudes entre la génération humaine et la génération divine, entre la procession du verbe humain et celle du verbe divin, entre la personne humaine et les personnes divines, entre l’union bypostatique et l’union de l’âme humaine avec le corps humain. — y Notons enfin que les conclusions auxquelles on aboutit en approuvant les similitudes et en rejetant les dissimililudes, conduisent elles-mêmes à des déductions nouvelles. C’est ainsi qu’après avoir montré la similitude entre le principe de vie dans l’ordre naturel et la grâce sanctifiante, et assigné aux vertus infuses le rôle de facultés dans l’ordre surnaturel, S. Thomas, Sum. theol., I a H », q. ex, a. 2-4, on établit la classification de toutes ces vertus avec le rôle particulier de chacune, selon l’analogie avec les vertus naturelles et selon les exigences spéciales de l’ordre surnaturel, ce que saint Thomas expose dans toute la IIa-IIæ, sans omettre le rôle indispensable îles dons du Saint-Esprit destinés à parfaire nos vertus surnaturelles. I « II », q. lxviii, a. I.

c) Connaissance scientifique provenant des déductions théologiques en comparant, entre elles et arec la fin surnaturelle, les vérités recelées. — a. Les déductions théologiques obtenues en comparant en Ire elles les vérités réélécs concernent : a. Les notions communes appartenant à l’ensemble des vérités révélées ou â leurs divers groupes. C’est ainsi qu’en comparant entre eux les divers sacrements de la nouvelle loi tels qu’ils nous sont manifestés par la révélation, on mit en pleine lumière leur caractéristique commune qui est d’être des signes efficaces de la grâce sanctifiante. Déduction ébauchée par Hugues de Saint-Victor, De sacramentis christianse fidei, 1. 1, part. CX, c. il, P. L., t. ci. xxvi, col. 317, puis complétée par Pierre Lombard, Sent., I. IV, dist. I, n. 2, P. L., t. CXCII, col. 839, et par saint Thomas, Sum. theol., III 1, q. i.xii, a. 1, et île laquelle beaucoup de conclusions nouvelles furent ultérieurement déduites. De même, en comparant attentivement tous les enseignements divins sur l’ordre surnaturel, on déduisit d’une manière plus précise la notion de la grâce strictement surnaturelle, sous sa double forme de grâce sanctifiante et de grâce actuelle, avec les propriétés qui leur sont inhérentes : grâce sanctifiante, principe de vie contenant en germe la lumière de gloire et capable de produire des actes méritoires de la vie éternelle, et grâce actuelle, aidant l’intelligence et la volonté pour chacun des actes surnaturels précédant la grâce surnaturelle ou produits par elle. — fi. L’étude approfondie de ces mêmes notions communes conduisit logiquement à une synthèse des divers principes nécessaires pour leur complète intelligence. Ainsi la nature des sacrements ne pouvait être parfaitement connue sans que l’on connut en même temps leurs diverses causes, leur mode de production, leurs effets, les conditions requises pour leur validité ou pour leur licéité. C’est de cette manière que fut enfin constitué par les scolastiques, à la suite de Pierre Lombard, le traité général des sacrements qui, malgré toutes ses imperfections et ses lacunes, projette cependant quelque lumière sur l’étude de chacun des sacrements. De même, les notions de grâce sanctifiante et de grâce actuelle ne pouvaient être pleinement possédées sans que l’on possédât en même temps leurs diverses propriétés, leur mode de pro

tluclion ou d’action : ce qui constitue toute la structure théologique du traité de la grâce. Ce fut encore dans le même but que l’on appliqua à l’élude de l’incarnation et de l’eucharistie les diverses questions dialectiques an sit, qualis sit, air et unde sit, dont la solution fournit une connaissance plus approfondie de ces mêmes vérités. — y. De ces notions et de ces principes communs l’on put ensuite déduire de nombreuses el solides conclusions que l’on eut soin de coordonner dans une forte synthèse, résumant et classifiant toutes les connaissances résultant de ce procédé comparatif. C’est ainsi que par l’apport des générations successives de théologiens, particulièrement dans la période scolastique, furent définitivement constitués nos traités actuels de théologie dogmatique, du moins dans leur partie spéculative.

il) Connaissance scientifique provenant desdéductions théologiques obtenues en comparant les dogmes chrétiens avec la fin surnaturelle de l’homme : a. Cette comparaison est indiquée par l’ordre providentiel comme devant servir à la connaissance des dogmes révélés. Car c’est une vérité certaine que Dieu, en nous communiquant son enseignement pour que nous y adhérions par la foi, veut avant tout nous fournir la lumière nécessaire pourque nous nous guidions nous-mêmes vers le salut éternel. Marc, xvi, 15 sq. ; Joa., m, 16 sq. ; vi, 135, 40 ; xi, 25. C’est en ce sens que saint Thomas assigne à la révélation et à la foi le rôle capital de nous faire connaître la fin surnaturelle à atteindre et les moyens qui doivent nous en assurer la possession. Sum. théol., IIa-IIæ, q. ii, a. 13, 5 ; Conl. genl., l. I, c. v. Puisque dans le plan providentiel il doit toujours y avoir harmonie entre les moyens et la fin, une attentive comparaison entre l’enseignement divin et le salut éternel vers lequel il est dirigé, projettera certainement quelque lumière sur cet enseignement lui-même. — b. En fait, cette comparaison projette une plus vive lumière sur chacune des vérités révélées, en même temps que sur l’admirable cohésion de tout l’ensemble de la révélation. Ainsi en regard de cette fin surnaturelle de la vision béatifique qui est une participation à l’intime connaissance que Dieu a de lui-même, l’on comprend mieux la nature de la grâce sanctifiante qui doit rendre l’homme capable de mériter cette vision intuitive, en lui donnant dès cette vie une participation initiale à la nature divine. Dès lors aussi se manifeste avec plus d’éclat toute l’économie de la révélation chrétienne comprenant ces trois grandes divisions : vérités à croire sur Dieu un et Irine et sur la création, particulièrement sur l’homme ; lois morales naturelles et surnaturelles auxquelles nos actes doivent être soumis pour obtenir la possession de la lin assignée par Dieu ; et les moyens providentiels internes et externes conduisant à cette fin, particulièrement la grâce, l’incarnation, l’Eglise et les sacrements. Plan qui en réalité synthétise merveilleusement toute la théologie comme nous le verrons bientôt. — c. En regard de cette fin surnaturelle se manifeste, avec non moins d’évidence, une loi providentielle qui a présidé’à toute la révélation chrétienne. En vertu de cette loi, les vérités surnaturelles nous ont été principalement communiquées, non dans la mesure nécessaire pour satisfaire toule la légitime curiosité de notre intelligence ou pour construire une synthèse scientifique entièrement complète, mais plutôt dans la mesure où la connaissance

de ces vérités est particulière nt utile pour diriger

l’ensemble de l’humanité vers le bonheur éternel. Ce qui doit cependant s’entendre non du minimum de connaissance normalement exigé de chaque individu pour l’accomplissement des obligations imposées à notre foi, mais encore de ce qui est nécessaire pour que toute la société des fidèles puisse être efficacement dirigée dans la pratique de leur foi et suffisamment protégée

contre les attaques de l’erreur et de l’infidélité. Car le devoir de satisfaire cette double nécessité pour toute la société chrétienne entre dans le plan providentiel, comme l’indique saint Thomas. Sum. theol., II a II 38, q. ii, a. (5.’>. A la connaissance positive et scientifique des vérités révélées la dogmatique joint encore, au moins à titre auxiliaire, une apologie particulière de chacune des vérités révélées. — a) Bien distincte de l’apologétique générale ou apologétique proprement dite, qui s’occupe d’une manière générale de la crédibilité du dogme catholique qu’elle veut prouver d’une manière vraiment scientifique, cette apologie particulière a pour objet un mystère ou un dogme particulier que l’on veut justifier contre des attaques réelles, en employant des arguments qui ne sont pas toujours nécessairement scientifiques. Ce travail d’apologétique se ramène à ces deux points : montrer en détail la non-valeur démonstrative des diverses objections alléguées par les incroyants contre chacune des vérités révélées et en rnêmetempsfaire ressortir les harmonies intellectuelles, morales et sociales, de chaque vérité avec les divers besoins individuels et sociaux de l’humanité. Cette double apologie particulière déjà employée par les théologiens scolastiques, particulièrement par saint Thomas, Sum. theol., I », q. i, a. 8 ; q. xxxii, a. 1 ; xi.vi, a. 2 ; IIa-IIæ, q. ii, a. 3-5 ; III a, q. i, a. 1, 2 ; Cont.gent., l. I, c. vit, ix ; l. IV, c. 1 sq., recul depuis le xvie siècle des développements considérables occasionnés surtout par les erreurs protestantes et par les attaques des rationalistes. — b) Cette apologie particulière qui est un complément de toute science théologique, S. Thomas, Sum. Ûieol., I a, q. i, a. 8, doit se rencontrer aussi en dogmatique dans la mesure exigée par les besoins de la défense catholique..Mais l’on doit soigneusement y observer les recommandations tracées par saint Thomas. Loc. cit. — a. Les arguments rationnels servant à l’apologie d’un dogme ne doivent jamais être considérés comme des arguments démonstratifs. Ils ne font que montrer la non-valeur démonstrative des objections, S. Thomas, Sum. theol., I », q. i, a. 8 ; Cont. gent., l. I, c. vii, ou insinuer la convenance des dogmes déjà possédés par la foi. Cont. genl., I. I, c. ix. — b. On doit être particulièrement prudent dans l’exposition ou présentation d’un dogme à ceux qui ne partagent point notre foi. On doit rigoureusement s’y interdire de donner comme démonstratives des preuves qui ne 1° sont point, de peur que les incroyants ne soient autorisés à conclure que notre foi repose sur de telles preuves : cum enirn aliquis ad p> obandam (idem inducit rationes quæ non sunt cogentes, cedit in irrisionem injidelium. Credunt enim quod hujusmodi rationibus innilamur et propice eas credamns. Qum igitur /idei siuit, non sunt tentanda probare nisi per auctorilates /lis gui auctoritates suscipiunt. Apud aliosvero sufficit defendere non esse impossibile quod prsedicat /ides. S. Thomas, Sum. theol., I », q. XXXII, a. I. Doctrine également affirmée, b 1, q. i.xvin, a. 1, et (Jusest. disp., De potentia, q. iv, a. 4.

4° Des considérations qui précédent nous pouvons déduire trois importantes conclusions relativement aux principes immédiats sur lesquels repose la dogmatique : a) Les vérités divinement révélées et suffisamment connues comme telles par la proposition de l’Église ou par la tradition catholique unanime et constante, sont en réalité les seuls principes immédiats sur lesquels s’appuie la dogmatique. Car en cette science, comme en toute science théologique, c’est uniquement sur le témoignage divin que repose toute véritable démonstration. S. Thomas, Sum. theol., I q. i, a. 8. — b) Les arguments de simple raison, tant négatifs que positifs, ne peuvent jamais être considérés en dogmatique comme principes ellectifs d’une véritable

démonstration. Ils servent uniquement à manifester la non valeur démonstrative des objections adverses, S. Thomas, Cont. gent., 1, I, c. vii, ou à faire ressortir la haute convenance rationnelle de vérités déjà connues par la révélation. Op. cit., l. I, c. IX. — c) Dans le cas de déductions théologiques simultanément empruntées à la révélation et à la raison, la vérité révélée est en réalité le principe fondamental sur lequel on s’appuie principalement. Car c’est à cette vérité d’où elle procède originellement que la conclusion théologique doit sa certitude spéciale, certitude inférieure sans doute à celle de la foi uniquement appuyée sur le témoignage divin, mais bien supérieure à celle d’une évidence purement rationnelle, reposant uniquement sur la pleine vision de l’intelligence. Dans l’occurrence on recourt au raisonnement humain, non pour prouver absolument la conclusion elle-même, mais seulement pour montrer son étroite connexion avec l’enseignement révélé, à tel point que rejeter la conclusion serait rejeter cet enseignement, sur lequel cependant le moindre doute n’est jamais permis à cause de l’infinie science et véracité de Dieu.

5° Complétons notre exposé par une autre conclusion très importante concernant les relations qui doivent exister entre la dogmatique et les autres sciences théologiques, entre la dogmatique et les sciences humaines, philosophiques ou autres. — 1. Puisque toute science théologique repose principalement sur le témoignage divin et que ce témoignage nous est surtout manifesté par la dogmatique, du moins pour tout ce qui concerne les vérités principalement spéculatives, l’on doit nécessairement conclure que c’est premièrement de la dogmatique que les autres sciences théologiques reçoivent les principes surnaturels sur lesquels elles doivent s’appuyer. Cette conclusion est particulièrement vraie de la inorale et de l’ascétique. La théologie morale surnaturelle, surtout dans sa partie théorique ou spéculative, est redevable à la dogmatique de toutes ses conclusions sur la fin dernière dans l’ordre surnaturel, sur les vertus infuses, sur les sacrements, sur les commandements divins, sur l’obéissance due à la divine autorité de l'Église. Sans le ferme appui donné par la dogmatique, la théologie morale ne serait bientôt plus qu’un ensemble de règles immédiatement pratiques, dépourvues de tout fondement solide. — De même, la théologie ascétique est tributaire de la dogmatique pour presque tout son enseignement spéculatif sur la nature de la perfection et sur les états de perfection, sur les moyens généraux et spéciaux qui conduisent à la perfection, sur les conseils évangéliques, sur la nature de l’union à Dieu par la charité, sur la nature de notre participation à la vie de Jésus-Christ, sur le rôle des dons du Saint-Esprit dans les états supérieurs d’oraison.

Dès qu’elle cesse de s’appuyer sur une dogmatique solide, la théologie ascétique ou mystique est exposée à beaucoup d’illusions ou d’erreurs, comme le démontre l’histoire des siècles chrétiens, tandis qu’avec ce ferme appui elle a pu, surtout chez les meilleurs théologiens scolastiques, le plus souvent très remarquables en l’une et l’autre science, édifier une solide synthèse où les polémistes ont pu prendre de solides arguments pour réfuter les erreurs jansénistes ou quiétistes et les praticiens puiser des règles sûres pour la conduite des .'mies dans les voies ordinaires ou extraordinaires de la perfection. — A leur tour, la morale et l’ascétique complètent et perfectionnent la dogmatique en aidant chaque individu et la société chrétienne tout entière à mieux atteindre, par la voie des commandements ou par celle des conseils, la fin surnaturelle montrée par la dogmatique.

2. Quant aux relations entre la dogmatique et les sciences humaines, philosophiques, critiques ou autres :

ra) Dès lors que l’enseignement divin, principalement proposé par la dogmatique, ne peut être contredit par aucune légitime affirmation d’une science humaine quelconque, le vrai ne pouvant être opposé au vrai et Dieu ne pouvant se contredire dans ce double ordre de vérités, l’on doit nécessairement conclure que toutes les sciences humaines, philosophiques, critiques ou autres, doivent dépendre particulièrement de la dogmatique, qui nous manifeste cet enseignement divin. Cette dépendance doit exister, non dans la méthode de ces sciences humaines qui doit toujours être leur méthode propre et scientifique, mais dans leurs conclusions qui ne doivent jamais contredire ni l’enseignement certain de la révélation tel qu’il est proposé et légitimement interprété par l'Église, ni une proposition dont l’intime connexion avec la révélation est positivement enseignée par le magistère ecclésiastique. «.'est l’enseignement formel du concile du Vatican : Tnanis autem hujus conlradictionis species indepolissimum oritur quod vel fidei dogmata ad mentent Ecclesim intellecta et exposita non fuerint, vel opinionum commenta » ro rationis effatis habeantur. <>mnem igitur assertionem veritati illuminatse fidei contrariant omnino falsam esse dicimus. Sess. III, c. iv. Enseignement déjà inculqué par Pie IX dans la condamnation de cette proposition 10e du SUlabus : Quum aliml sit philosophus, aliud philosophia, ille jus et of/icium habet se submittendi auctoritali quant ceram ipse probaverit ; at philosophia neque /mtest neque débet ulli sese submittere auctoritati, Denzinger-Bannwart. Enchiridion, n. 1710, et dans la lettre à l’archevêque de Munich du 21 décembre 18(53 : Ejusdem vero convenlus viro debilis prosequimur laudibus, propterea quod rejicientes uii existimamus falsam inter philosophum et philosophiam distinctionem, de qua in aliis nostris lilteris ad le scriptis locuti sumus, noverunt et asseruerunt omnes catholicos in doctis suis commentationibus debere exconsctenlia dogmaticis infallibilis catholicse Ecclesise obedire decretis. Enchiridion, n. 1 08*2. Dans cette même lettre, Pie IX. enseigne que le devoir de soumission des savants catholiques ne doit point être limité aux définitions infaillibles du magistère ecclésiastique, qu’il doit s'étendre aussi aux décisions doctrinales des Congrégations romaines et aux points de doctrine communément et constamment considérés comme des conclusions théologiques tellement certaines que leurs contradictoires, bien qu’elles ne soient point hérétiques, méritent cependant une autre censure théologique. Enchiridion, n. 1684. Puisque tout cetenseignement doctrinal auquel les sciences humaines doivent nécessairement être subordonnées, est habituellement proposé par la dogmatique, le devoir de dépendance de ces sciences vis-à-vis de la dogmatique est une conséquence rigoureusement nécessaire.

b) Une telle dépendance des sciences humaines vis-àvis de la dogmatique, loin de leur être nuisible, est au contraire pour elles un principe de perfectionnement et de progrés, comme l’enseigne expressément le concile du Vatican : Quapropter tantum abest ut Ecclesia Itumanarum arliuni et disciplinarum culturæ obsistat, ut hanc mullis modis juvet atque promoveat. Sess. III, c. iv. Doctrine plusieurs fois répétée par Léon XIII dans ses encycliques : Quare non est causa cur germana libertas indignetur, aut veri notninis scientia moleste ferai leges justas ac débitas quibus hominum doctrinam contineri Ecclesia simul et ratio .onsenlienles postulant. Encyclique Libertas du 20 juin 1888. Qua plena sapientise lege nequaquam Ecclesiapervestigationem scientiscbiblicæ retardât aut inercet ; sed eam potius ab errore intégrant præslat, plurimumque ad veram adjuval progressionem. Encyclique Providentissimus Deus du 18 novembre 1893. 1531

DOGMATIQUE

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Cet enseignement est d’ailleurs confirmé par des fails constants. Qu’il nous suffise de rappeler ici, pour ce qui concerne les sciences philosophiques, les faits indiqués par Léon XIII dans son encyclique AZlemi Patria

du 4 août 1879. Quand sous l’impulsion des novateurs du XVIe siècle on se mit h philosopher sans aucun égard pour la foi et que l’on s’accorda pleine licence de laisser aller sa pensée selon son caprice et son génie, il en résulta tout naturellement que les systèmes de philosophie se multiplièrent outre mesure et que des opinions contradictoires se firent jour, même sur les objets les plus importants des connaissances humaines. D’où l’on fut facilement conduit à beaucoup d’hésitations, de doutes et d’erreurs souverainement nuisibles à la philosophie elle-même. D’autre part, c’est un fait non moins certain que la philosophie, lant qu’elle était restée soumise à l’autorité tutélaire de la révélation chrétienne, telle qu’elle est proposée par l'Église, atteignit une plus grande perfection et procura aux individus et à toute la société de grands avantages : Dis rébus et causis, quoties respicinuis ad bonilalem, vint prseclarasque ulilitates ejus disciplinse philosophicse quant majores nostri adaniarunt, judicamus lemere esse commitsum ut eidem suus honor non seniper nec ubïquc permanserit. Encvclique Mternx Patris. D’ailleurs, maintenant que le modernisme est manifestement dévoilé sous toutes ses faces, n’est-il pas évident que Pie X, en condamnant par l’encyclique Pascendi toutes les applications de ce système en philosophie, en théologie, en exégèse, en critique et en histoire, a vigoureusement défendu le véritable progrès et le vrai perfectionnement des sciences philosophiques, historiques et critiques, en même temps qu’il a protégé, contre toutes les négations audacieuses des incroyants, le dépôt intégral de la révélation confié à la garde vigilante de l’Eglise ?