Dictionnaire de théologie catholique/DOGMATIQUE III. Divisions principales

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 136-139).

III. Divisions principales.

1° Chez les Pères de l’Eglise, depuis la fin de l’école apostolique jusqu’au Ve siècle, comme nous le montrerons bientôt, l’on ne rencontre aucune synthèse dogmatique. Les écrits dogmatiques de toute cette période sont habituellement des écrits d’occasion, ayant pour but particulier d’exposer ou de défendre un dogme spécialement attaqué par une hérésie ou une erreur contemporaine. Parfois l’exposition ou la défense de la vérité catholique peut exiger ou occasionner des aperçus ou des vues plus larges sur des dogmes connexes, surtout quand il s’agil de vérités très importantes comme l’incarnation ou la grâce, étendant leurs nombreuses ramifications dans

tout le domaine théologique. C’est ce qui se rencontre particulièrement chez saint Augustin défendant contre les pélagiens les dogmes si importants du péché originel et de la grâce. Mais si compréhensives que soient ces études de dogmes particuliers, elles ne contiennent point de synthèse dogmatique intégrale.

2° Du Ve au xie siècle, en Occident, le même caractère fragmentaire se rencontre dans les écrits dirigés contre les diverses erreurs ou hérésies de cette période, telles que l’adoptianisme, l’erreur sur la procession du Saint-Esprit, le prédestinatianisme ou quelques erreurs secondaires sur le mode de présence eucharistique. En Orient, à la même époque, les écrits orthodoxes contre les nestoriens, les monophysites, les iconoclastes ou autres hérétiques, présentent le même caractère, à l’exception du De fide arthodoxa de saint Jean Damascène qui a une tendance assez prononcée vers un essai de synthèse dogmatique. Bien que la division en quatre livres soit l’œuvre des traducteurs latins adaptant le De fide orthodoxa au plan des Sentences de Pierre Lombard, le cadre général des cent chapitres entre lesquels se répartit l’ouvrage a quelque analogie avec ce que fut plus tard la synthèse du XIIe siècle, comme il est facile de le constater par les indications suivantes : C. i-v, incompréhensiliilité de Dieu expliquée et prouvée contre les anoméens ; preuves rationnelles de son existence ; ce que nous connaissons de sa nature et de son unité par la raison et par la doctrine révélée. C. vi-vin, ce que la foi nous enseigne sur la trinité, sur la personne du Verbe et sur le Saint-Esprit, et comment cet enseignement est montré conforme à la raison. C. ix-xiv, étude des attributs divins. C. xv-xlii, étude de la création, des anges, des démons, du monde visible, particulièrement de l’homme avec ses facultés, surtout son libre arbitre. C. xliii-xlvi, de la providence, de la prédestination et de l’économie divine relativement à notre salut. C. xlvii-lxxxi et lxxxvii, xci, doctrine sur le Verbe incarné. C. lxxxii, lxxxiii, sur la foi et le baptême. C. lxxxvi, doctrine sur l’eucharistie. C. lxxxiv, de l’adoration due à la croix. C. lxxxviii, LXXXIX, du culte des saints, des reliques et des saintes images. C. xc, inspiration des Ecritures et canon des livres inspirés. C. xcn-xcv, conclusions contre les erreurs des manichéens sur l’origine du mal, sur l’existence des deux principes, sur la loi divine ec sur la loi du péché. C. xcvi, conclusion contre les erreurs des judaïsants. C. xcvii, de la virginité et du mariage. C. xcviii, de la circoncision. C. xc.ix, de l’Antéchrist. C. c, de la résurrection générale des corps.

3° Chez les scolastiques du moyen âge, avant tout préoccupés de construire une puissante synthèse théologique, la dogmatique prend place dans cette universelle harmonie. Toutes ses ramifications même les plus lointaines sont groupées sous quelques divisions principales, assez identiques chez les principaux représentants de la méthode scolastique, au moins depuis la fin du XIIe siècle. Nous nous bornerons à indiquer les principales classifications, en omettant toutefois ce qui, dans ce plan d’ensemble, est aujourd’hui concédé à la théologie morale.

Pierre Lombard († 1160) établit ainsi sa classification. 1° livre des Sentences, du mystère de la sainte Trinité et des attributs divins attribués par appropriation aux trois personnes divines, c’est-à-dire de la science, de la puissance et de la volonté de Dieu dans le gouvernement du monde. Il" livre, de la création et des êtres créés, particulièrement des anges, du monde corporel et de l’homme et incidemment de la chute de l’homme orné des dons de la grâce, enfin de la nature du péché par lequel il s’est éloigné de Dieu. 177e livre, de la restauration de l’homme par le Christ ; d’où doctrine théologique sur l’incarnation et sur les conditions nécessaires pour que ses fruits nous soient appliqués,

c’est à-dire la pratique des vertus surnaturelles et l’observation des commandements divins. 7 V’livre, des moyens par lesquels la vie surnaturelle, méritée par l’incarnation, nous est appliquée, c’est-à-dire des sacrements, dist. I-XLII ; puis la consommation finale dans l’autre vie, ou la résurrection, le jugement, l’enfer, le purgatoire et le ciel, dist. XLIII sq.

Alexandre de Halès († 1245), dans son Universse theologise swmma, donne une synthèse un peu différente, excellente dans son ensemble, mais interrompue par de trop fréquentes digressions : 1. Dieu considéré dans l’unité de son essence, part. I, q. i-xlii, et dans la trinité des personnes, q. xlii-lxxiv. 2. De la création en général, des anges, du monde corporel, de l’homme dans sa nature et dans les dons surnaturels et prêternaturels dont il fut primitivement orné ; du mal en général et du péché, d’abord dans les démons, puis dans nos premiers parents et dans les autres hommes, faute originelle et faute personnelle, part. II. 3. De l’incarnation par laquelle l’homme est restauré, part. III, q. ixxv, des préceptes qu’il est tenu d’observer, q. xxvi-lxi, et de la grâce qui doit l’aider à participer aux fruits de l’incarnation et à observer les préceptes, q. lxii sq. 4. Des sacrements soit en général soit particulièrement sous la nouvelle loi ; partie restée incomplète, l’auteur s’étant arrêté à la fin de la question de la pénitence sacramentelle.

Suint Bonaventure († 127 4) suit la classification de Pierre Lombard, soit dans son commentaire sur les Sentences, soit dans son Brexiiloquium, œuvre plus personnelle où il résume toute la doctrine contenue dans son commentaire de Pierre Lombard. La forme synthétique du Breviloquium, sa division en huit parties et une meilleure coordination des chapitres font mieux ressortir tout le mérite des divisions de Pierre Lombard fidèlement gardées dans leur substantielle intégrité’.

Saint Thomas (-ꝟ. 1271), en fusionnant dans sa Somme théologique les deux classifications légèrement modifiées de Pierre Lombard et d’Alexandre de Halès, donne une synthèse plus parfaite où nous signalons principalement ce qui appartient à la dogmatique actuelle. 1. Dieu un dans son essence, I a, q. n-xxvi, et trine dans les personnes, q. xxvii-xliii. 2. De la création en général, particulièrement des anges, du monde corporel, de l’homme et du gouvernement divin de tous les êtres créés, q. XLIV-CXIX. 3. De la fin surnaturelle à laquelle l’homme doit lui-même se diriger sous la conduite de Dieu et avec le secours de sa grâce, I a II’, q. i-vi ; des actes par lesquels il doit se diriger vers cette fin, particulièrement des vertus qu’il doit pratiquer, des péchés qu’il doit éviter, incidemment du péché originel en tant qu’il est cause des autres fautes, I a II", q. LXXXI-LXXXVIII ; enfin des préceptes que l’on doit observer pour se diriger vers sa fin surnaturelle, et du secours de la grâce par laquelle l’homme doit être aidé dans sa marche vers sa fin surnaturelle, I a II 1’, q. cixcxiv. 4. De l’étude particulière des vertus théologales et morales que l’on est tenu de pratiquer et des devoirs spéciaux que l’on est tenu de pratiquer dans les divers états de vie, II" II". 5. De Jésus-Christ rédempteur de tous les hommes, III" q. i-lix, et des bienfaits qu’il procure à l’humanité, spécialemeut de tous les sacrements en général, q. i.x-lxv, et en particulier, q.LXVixc. L’auteur de la Somme théologique n’a point terminé son étude sur le sacrement de pénitence. On est en droit de présumer qu’il aurait suivi l’ordre qu’il a adopté à la fin de la Sunima contra gentiles et qui est d’ailleurs celui de son commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard.

La principale particularité de la synthèse de sain Thomas est de placer l’élude des vertus, des commandements et de la grâce après l’étude de la fin de l’homme

et avant l’incarnation, dans une partie spéciale traitant

de l’ensemble des moyens qui doivent diriger l’homme vers la fin dernière, I » II 1’, partie qui est ensuite complétée dans la II a II K par l’étude détaillée de chacune des vertus et par celle des obligations spéciales à certains états de vie. D’ailleurs, saint Thomas l’emporte sur ses prédécesseurs par des divisions plus méthodiques, mieux accusées et plus fidèlement suivies.

On sait qu’en fait dans toute la période du moyen âge la synthèse de Pierre Lombard fut habituellement suivie dans ses divisions principales par presque tous les ouvrages de théologie ordinairement publiés sous la forme de commentaires des Sentences du Maître de la scolastique.

4° Au xvie siècle et dans la première moitié du xviie, la plupart des théologiens restés fidèles à la méthode scolastique, prennent pour texte de leurs commentaires la Somme théologique de saint Thomas au lieu des Sentences de Pierre Lombard et suivent par le fait même la synthèse du docteur angélique, soit qu’ils se bornent comme Cajetan à un commentaire du Maître, soit qu’ils aient eux-mèrnes, comme Vasquez et Suarez, leurs divisions particulières ou leurs traités, harmonisés au moins substantiellement arec l’ordre général de la Somme.

Depuis le milieu du xviie siècle jusqu’à la seconde moitié du xixe, la synthèse de saint Thomas est remplacée, chez beaucoup d’auteurs, par un grand nombre de traités distincts, dont on se préoccupe assez peu de marquer l’ordonnance méthodique ou la connexion intime avec la synthèse générale de la dogmatique.

D’où diminution sensible de la science dogmatique pour laquelle de larges vues synthétiques sont si nécessaires. De là aussi beaucoup de questions omises ou insuffisamment traitées par suite du morcellement trop considérable des matières ou du manque de plan d’ensemble. Inconvénients encore aggravés par la séparation de la théologie morale définitivement constituée en science particulière et de laquelle d’ailleurs les questions spéculatives tendent de plus en plus à disparaître pour faire presque exclusivement place à une casuistique toute pratique. Th. Bouquillon, Catholic University Bulletin, Washington, 1899, p. 258 sq. Ajoutons encore qu’au XVIIIe et au XIXe siècle l’apologétique fondamentale, dont l’importance devenait si considérable, fut souvent et bien à tort adjointe à la dogmatique, sous le nom de dogmatique fondamentale ou d’introduction à la dogmatique, comme l’attestent les manuels classiques de l’époque. Ce qui ne pouvait que nuire gravement aux méthodes diverses que doivent suivre l’une et l’autre science.

5° Depuis la restauration de la scolastique dans la dernière période du xixe siècle, de louables efforts ont été faits pour adapter les grandes divisions dogmatiques de la Somme théologique de saint Thomas aux conditions actuelles de la science théologique. Il nous suffira de résumer ici dans un cadre général les indications fournies par les principaux auteurs. — I. Etude préliminaire sur la nature de la théologie dogmatique et sur ses principes fondamentaux, où l’on indique particulièrement dans quelle mesure l’Ecriture sainte et la tradition doivent être considérées comme sources des dogmes. 2. Dieu considéré en lui-même dans sa nature et dans ses attributs. 3. Dieu étudié dans la trinité des personnes. 4. Dieu opérant dans les créatures ; de la création en général ; et de l’action divine dans la conservation et le gouvernement des êtres créés ; des créatures en particulier, principalement des anges et de l’homme, avec les dons de la nature et de la grâce conférés par Dieu en vue de leur fin surnaturelle ; la chute des anges et ses conséquences ; la chute de l’homme et ses conséquences. 5. De la fin surnaturelle à laquelle l’homme est destiné, de la grâce

et des vertus surnaturelles nécessaires à l’homme pour se diriger vers sa fin surnaturelle. 6. De la restauration de l’homme par l’incarnation et la rédemption.

7. De l’Église dépositaire immédiat de tous les moyens de salut donnés par Jésus-Christ à l’humanité rachetée ; d’où autorité de l’Église et devoirs envers elle.

8. Des sacrements établis par Jésus-Christ et confiés à son Église pour la sanctification et le salut éternel des fidèles ; étude de ces sacrements considérés d’une manière générale et étude de chacun d’eux en particulier. S). De la sanction divine établie par Dieu dans l’autre vie pour le bon ou le mauvais emploi de sa grâce en cette vie et pour l’observance ou le mépris de ses commandements pendant la durée de l’épreuve, c’est-à-dire du ciel, de l’enfer et du purgatoire. 10. De la communion spirituelle entre les fidèles de la triple Eglise militante, soutirante et triomphante.

Quelques mots d’explication aideront à mieux comprendre la raison d’être de plusieurs divisions de ce cadre général, ou la place particulière assignée à quelques-unes, ainsi que l’omission de traités autrefois rattachés sans raison à la dogmatique : a) L’apologétique tout entière est omise, parce qu’elle est une science distincte de la dogmatique, ayant un objet propre et une méthode spéciale. Voir Apologétique.

b) L’étude des questions dogmatiques sur l’Écriture et sur la tradition doit être placée à l’entrée de la dogmatique pour fournir une direction sûre dans l’emploi théologique des preuves scripturaires. Cette forte direction est particulièrement nécessaire à l’époque actuelle, en face du développement considérable des études scripturaires et parfois d’un manque de formation théologique en ces matières si délicates. —

c) L’étude rationnelle de l’existence de Dieu et des attributs divins relève principalement de la philosophie. Ces données de philosophie rationnelle sont mentionnées en dogmatique seulement à titre secondaire, pour faciliter la réponse aux objections contre les vérités de la foi ou pour montrer la convenance de l’enseignement révélé avec les conclusions rationnelles. Si l’on donne assez souvent à ces preuves un développement considérable en dogmatique à cause de leur importance apologétique en face des erreurs actuelles, leur nature intime n’est cependant point changée : elles restent des vérités en elles-mêmes rationnelles, ne relevant point par conséquent des principes surnaturels sur lesquels s’appuie la dogmatique. — cl) La doctrine révélée sur la création en général et sur la création de l’homme en particulier, malgré les nombreuses questions scripturaires ou critiques qu’elle suscite, appartient dans son ensemble à la dogmatique, et doit y être traitée, avec l’appoint fourni par l’exégèse et par les sciences critiques ou par les sciences naturelles. — e) Le traité’de la grâce peut être placé, comme il est dans la Somme théologique de saint Thomas, avant l’étude de l’incarnation, parce que toute grâce, même concédée à l’humanité, ne dépend pas nécessairement de l’incarnation ; telle fut particulièrement, selon saint Thomas, la grâce conférée à nos premiers parents. D’ailleurs, l’étude de notre fin surnaturelle avec toute la merveilleuse économie de notre principe de vie, de nos facultés et de nos actions méritoires dans l’ordre surnaturel, prépare effectivement le traité- de l’incarnation et de la rédemption, la notion de cette grâce sublime par laquelle nous participons réellement à la vie divine et que nous avions perdue par le péché nous faisant mieux comprendre la raison d’être, le mode d’accomplissement et les fruits de ces ineffables mystères. — P) Le traité dogmatique de l’Église, distinct du traité apologétique où la raison prouve simplement la divinité de l’Église catholique, a sa place marquée après l’étude de l’incarnation et de la rédemption, puisqu’en vertu de l’institution divine, l’Église continue sur la terre

jusqu’à la consommation des siècles l’œuvre de Jésus-Christ, en enseignant sa doctrine, en administrant ses sacrements et en gouvernant les lidèles avec son autorité. La divine constitution de l’Église est ici étudiée en détail, à la lumière des enseignements fournis par la révélation. —
g) La dogmatique doit posséder ses traités spéciaux sur les sacrements en général et sur chacun des sacrements en particulier, que ces matières dogmatiques soient exposées à part ou qu’elles soient fusionnées avec les questions de théologie morale, de casuistique ou de liturgie. Il importe souverainement qu’en ces matières le dogme ait une exposition bien complète, car c’est de lui que tout le reste dépend, —
h) Les fins dernières et la communion spirituelle de prières ou de satisfactions entre les trois parties de l’Église de Jésus-Christ couronnent logiquement toute la dogmatique.