Dictionnaire de théologie catholique/DOGME V. Immutabilité substantielle des dogmes chrétiens

La bibliothèque libre.
Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 166-169).

V. Immutabilité substantielle des dogmes chrétiens. —

1. CARACTERE DÉFINITIF ET IMMUABLE DE LA RÉVÉLATION FAITE l’Ait JÉSUS-CBRIST ET ANNONCÉE paii les APÔTRES. —

C’est ce caractère définitif et immuable qui distingue la révélation chrétienne des révélations faites par Dieu sous l’Ancien Testament. Tandis que celles-ci devaient, dans le plan divin, être complétées par Dieu à mesure que l’humanité approchait de l’avènement de Jésus-Christ, S. Thomas, Sum. theol., II a II' q. I, a. 7, ad 2°'" et i"" 1, la révélation faite par Jésus-Christ et annoncée par les apôtres, doit demeurer jusqu'à la fin des temps, sans être modifiée par aucune révélation publique et sans subir dans son contenu intégral aucune altération substantielle ; ce qui cependant n’empêche point quelque progrès accidentel dans la connaissance et dans la proposition des dogmes chrétiens, comme nous le montrerons bientôt.

Enseignement scripluraire.

1. Enseignement évangélique. — Euntes enjo docele omnes génies, baplizanles eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancli, docentes eos servare omnia quæcumque man dat') vobis, et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus, usque ad consummalioneni sœculi. Ma tth., XXVIII, 19sq. Xous savons que, par ces paroles, Jésus-Christ a confié toute sa doctrine à ses apôtres et à leurs successeurs jusqu'à la consommation des siècles et qu’il leur a assuré à perpétuité, pour l’accomplissement de cette charge, le privilège de l’infaillibilité doctrinale. Voir K( ; lise. En même temps, Jésus-Christ a fixé pour toute la durée des siècles, usque ad consummationem sseculi, ce que doivent enseigner les apôtres et leurs successeurs toujours assistés par lui dans cette sublime fonction, docentes eos servare omnia quæcumque mandavi vobis. Dès lors toute révélation subséquente, dont la prédication des apôtres ne serait pas le point de départ, serait une déviation de cette institution primitive, que Jésus-Christ a cependant déclarée définitive. Hypothèse inadmissible puisqu’elle outrage l’absolue véracité et la parfaite sagesse du divin Maître. Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par la promesse solennelle de Jésus à ses apôtres dans le discours après la cène : docebil vos omnem veritatem, .]oa., xvi, 13 ; vos docebit omnia. Joa., xiv, 26. Promesse inévitablement violée dès lors qu’une nouvelle révélation publique s’accomplirait à quelque époque de l’histoire du monde, modifiant le dépôt de la foi confié aux apôtres et à leurs successeurs.

2. Enseignement de saint Paul.

L’antithèse établie par saint Paul dans l'Épitre aux Hébreux entre les multiples révélations successivement accomplies dans l’ancienne alliance et la révélation faite par Jésus-Christ in' iu/6.-o-j, exprime clairement le caractère définitif et parfait de cette dernière révélation. — a) C’est ce qu’indique l’expression In' liyàio-j signifiant littéralement pour la dernière fois et définitivement, signification encore renforcée par le contraste si marqué avec rcoXujxEpâx ; -/ai nojzp61zu>c, TtàXat du verset 1 er. — b) Celte interprétation est confirmée par Heb., XII, 2, où Jésus est appelé auctor et consummalor fidei, -rr, ; Ttitmax ; xy/yyji La ; VE.eiv>zrv } ce qui exprime nettement que la doctrine, à laquelle nous adhérons par la foi, a JésusChrist pour fondateur et chef, et que de ce fondateur et chef elle a en même temps reçu la dernière perfection. — c) Ce sens est entièrement conforme à la doctrine, souvent exposée ailleurs par saint Paul, que la nouvelle alliance est définitivement établie avec une perpétuelle stabilité sur le fondement de Jésus-Christ, unique médiateur et rédempteur, et source unique de toute grâce pour tous les hommes jusqu'à la fin des temps. Col., i, 518, ii, 1 ; Eph.. ii, 10 ; Rom., v, 1 sq. ; Heb., vii, Il sq. ; x, 11. — d) Saint Paul enseigne d’ailleurs que l’on doit fidèlement garder la doctrine prèchée par les apôtres, II fini., 1, 13 ; iii, 10, et que l’on doit rigoureusement écarter toute révélation qui publierait autre chose que ce qu’ont annoncé les apôtres. Gal., i, 8.

Enseignement traditionnel.

Cet enseignement se déduit évidemment des preuves précédemment apportées en faveur de la valeur objective des dogmes. Il suffira de les rappeler brièvement sous l’aspect particulier à notre démonstration actuelle. — 1. Dans les quatre premiers siècles, c’est un enseignement très formel chez les Pères, que la doctrine à laquelle tous les fidèles doivent adhérer est la doctrine de Jésus-Christ publiée par les apôtres, doctrine conservée toujours une et toujours la même, à laquelle on ne doit rien ajouter et de laquelle on ne doit rien retrancher, sous peine d'être exclu de l’héritage de Jésus-Christ et séparé de son Église. S. Ignace d’Antioche, Ad P/iil., vii, l’unk, Paires apostolici, 2° édit., Tubingue, 1901, p. 30ô ; Ad L'/>/(., xvi, p. 227 ; S. Irénée, Cont. hær., 1. 1, c. x ; I. Hl.prœf. etc. i, xxii, P. G., t. vii, col.549sq., 848sq., '.iiiii sq. ; Tertullien, De preescriptionibus, c. xi. xxv, xxviii, xxxi, xxxvii. /'. L., t. ii, col. 33, 37, in. 14, 50 sq. ; Chinent d’Alexandrie, Strom., VII, /'. ( ; ., t. IX,

col. 532 ; Origène, Deprincip., l.I, prsef., n.l sq., P. G., t. xi, col. 115 sq.

D’ailleurs, pendant toute cette période, la pratique constante et universelle de l'Église de rejeter de son sein tous les hérétiques qui refusent de croire à la doctrine intégrale de Jésus-Christ telle qu’elle est enseignée par l’Eglise, témoigne évidemment de la croyance de l'Église à l’immutabilité permanente de cette même doctrine. Cette croyance s’affirme plus particulièrement à cette époque par la réprobation de l’illuminisme de Montan et de ses sectateurs, qui se donnaient comme les prophètes du Paraclet, annonçant en son nom une nouvelle et plus complète révélation obligatoire pour toute l’humanité.

2. Du IVe au VIe siècle, pendant que se conserve la même pratique universelle et constante de l'Église, l’autorité ecclésiastique porte de nouvelles définitions dogmatiques dans le but d’affirmer, de défendre ou d’expliquer, en face d’erreurs multiples, la doctrine révélée. En prenant toujours le soin de rattacher ces définitions aux vérités crues jusqu’alors et à la doctrine enseignée par Jésus-Christ et confiée par lui à ses apôtres, l’Eglise témoigne hautement sa ferme croyance à l’immutabilité susbtantielle de la doctrine enseignée par les apôtres au nom de Jésus-Christ.

Le concepl de cette vérité dogmatique chez les Pères de cette époque, particulièrement chez saint Augustin et chez saint Vincent de Lérins. résultera manifestement de ce que nous dirons bientôt de leur doctrine sur un progrès simplement accidentel dans la connaissance et la proposition des dogmes chrétiens.

3. Du VIe siècle jusqu'à l'époque actuelle, la croyance de l'Église à l’immutabilité substantielle des dogmes chrétiens continue à être manifestée par la même universelle et constante pratique de l'Église de rattacher m dépôt intégral de la révélation chrétienne toutes les définitions dogmatiques subséquentes, et d’exclure rigoureusement de la communion chrétienne quiconque n’adhère point à celle immuable vérité chrétienne.

Double pratique que l’Eglise continue à garder non moins fidèlement en face du protestantisme du xvi’siècle et de toutes les erreurs auxquelles il a donné naissance. C’est ce que témoigne la définition du concile de Trente, déclarant que la doctrine de Jésus-Christ, prèchée par les apôtres qui sont pour l’humanité tout entière la source de toute vérité, est contenue dans les livres inspirés et dans les traditions non écrites que Jésus a lui-même enseignées aux apôtres ou que le Siiint-Esprit leur a dictées, et qui ont été transmises jusqu'à nous. Concile de Trente, sess. IV, Decretum de canonicis Scripturis. C’est ce que témoigne aussi la condamnation récemment portée par l’Eglise contre les systèmes modernistes issus du protestantisme, systèmes qui rejettent nécessairement toute véritable révélation divine et qui, donnant aux dogmes une origine purement humaine, les soumettent conséquemment à un progrès substantiel ininterrompu. C’est ce que montrent particulièrement les propositions suivantes condamnées par le SaintOffice le 3 juillet 1907. Proposition 21 : Rerelatio, objectum (idcicatliolicæ constituens, non fuit cum apostolis compléta. —54. Dogmala, sacramentel, liierarc/tia tum quod ad notionem tant qnod ad realita t en} attinet, non sunt nisi intelligentiae christianse interprelaliones evolutionesque ijuse exiguum germon in evangelio lalens externis incrementis auxerunt perfeceruntque. — 59. Chris tus determinaluni doctrinse corpus omnibus lemporibus cunctisque hominibus applicabile non docuit, sedpotius inchoavit motuni quemdam religiosum diversis temporibusac locis adaptalum vel adaptundum. — 64. l’rogressus scientiarum postulat ut reformentur conceptus doctrinse christianse de Deo, de creatione, de rcvelatione, de persona Verbi incarnait, de redemptione. Condamnation solennellement renouvelée par

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Pie X dans le passage de l’encyclique Pascendi du 8 septembre 1907, où le pape, après avoir décrit d’une manière très complète la théorie moderniste sur l'évolution substantielle des dogmes, montre qu’elle contredit formellement les enseignements très explicites de Pie IX dans l’encyclique Qui pturibus du 9 novembre 184(5 et dans la condamnation de la proposition 5e du Syllabus, ainsi que les solennelles déclarations du concile du Vatican. Sess. III, c. IV. Cf. Denzinger, Baumwart, op. cil., p. 2095.

3° Ce caractère définitif et immuable de la révélation chrétienne ne subit aucune atteinte par le fait que l'Église donne son approbation à quelques révélations privées. — 1. Nous avons montré précédemment que ces révélations privées, même quand elles ont été approuvées par l'Église, ne contiennent jamais de dogme nouvellement propose à notre foi, et que l’Eglise, loin de garantir infailliblement leur authenticité et de les imposer à notre acceptation, se contente de déclarer qu’elles n’offrent rien de contraire à la foi ou à la morale chrétiennes et que l’on peut en retirer profit et édification spirituelle. — 2. Ces révélations, principalement destinées à diriger pratiquement les fidèles dans leur vie individuelle ou même publique, n’ont jamais occasionne dans l'Église aucun développement dogmatique. C’est ce que l’on doit particulièrement affirmer des révélations privées qui ont procure'- IVxtension du culte du saint sacrement ou du Sacre Cœur ele Jésus, voir CŒUR DE JÉSl s, t. iii, col. 293 sq., ou des nombreuses révélations individuelles qui fournissent aux théologiens mystiques un vaste et très utile champ d’observation psychologique. — 3. D’ailleurs, toutes ces révélations privées, loin de diriger le magistère ecclésiastique ou l’enseignement théologique, relèvent absolument de l’un et de l’autre, au jugement ele tous les théologiens. II. IMMUTABILITÉ SUBSTANTIELLE DV SENS QUE L’OIS DOIT ATTRIBUER l DOGMES PROPOSÉS PAR L'ÉGLISE COMME RÉVÉLÉS PAR JÉSUS-CBRIST. — ("est uneconséquence rigoureuse de l’infaillibilité conférée' à l'Église dans l’exercice perpétuel de sa divine mission de conserver, d’expliquer et de défendre le dépôt intégral de la foi placé sous sa garde vigilante. Concile élu Vatican, sess. III, c. iv ; sess. IV, c. iv. - 1° C’est l’enseignement immédiatement déduit de Multh., x.wm, l9sq.Les apôtres et leurs successeurs juseju'à la fin îles siècles, étant divinement assistés pour enseigner perpétuellement toute la doctrine de Jésus-Christ, cette doctrine intégrale devra toujours demeurer intacte dans la proposition officielle faite par l'Église. En même temps, d’ailleurs, cet enseignement, parle fait qu’il doit incessamment s’adapter aux besoins des fidèles de tous les temps, doit se présenter, au cours des siècles, avec i|iielque progrès accidentel dont nous analyserons bientôt la nature.

2° C’est aussi l’enseignement traditionnel, comme le démontre, ainsi que nous l’avons observe précédemment, la pratique constante de l'Église d’appuyer toutes ses définitions dogmatiques sur la doctrine enseignée' par Jésus-Christ et par ses apôtres et toujours fidèlement conservée en vertu de la divine assistance à jamais garantie par la promesse de Jésus-Christ.

Au xix'- siècle, cet enseignement de l’Eglise est particulièrement affirmé contre la thèse semi-rationaliste de Hermès et de Cunther, soutenant un progrès substantiel opéré sur les dogmes par le travail de la raison, progrès en vertu duquel la raison comprendrait de mieux en mieux les dogmes chrétiens et les transformerait à mesure qu’elle en acquerrait une intelligence plus complète avec le développement des sciences humaines et surtout de la philosophie. Cette erreur fut condamnée par Pie IX dans l’encyclique Qui pluribus du 9 novembre 1846, Denzinger-Bannwarl, Enchiridion, n. 1636, et dans la proposition 5° du Syllabus : Divina reve IV - 51

lalio est imper f cela et ideirco subjecta continuo et indefinito progressui qui lu/maux rationis progressioni respondeat, n. 1705, ainsi que par la définition solennelle du concile de Vatican : Neque enim fidei doclrina quam Deus revelavit, relut philosophicum inventum proi>osita esthumanis ingeniis perficienda, sed lanquam divinum depositum Christi sponsæ tradita, fideliter custodienda et infallibiliter declaranda. Sess. III, c. iv, n.ISOO.

3° En réponse aux objections rationalistes nous ferons observer que l’immutabilité substantielle des dogmes chrétiens proposés par l'Église à notre foi, n’est point inconciliable avec l’autonomie qui appartient vraiment aux sciences humaines, ni avec leur progrès légitime. Car, s’il est vrai que toutes les sciences humaines, même les sciences critiques, doivent être subordonnées à la direction intellectuelle des dogmes, en tout ce qui concerne la vérité révélée et ce qui a avec elle une nécessaire connexion, comme l’enseignent Pie IX dans sa lettre à l’archevêque de Munich du 21 décembre 1863, Denzinger-Hannwart, Enchiridion, n. I6K3, et dans la condamnation de la proposition 14e du Syllabus : l’hilosophia trartanda est nulla supernaturalis revelationis lialrila ratione, et Léon XIII dans l’encyclique Immortale Del du Ie ' novembre 1885 et dans l’encyclique Libertas du 20 juin 1888, il est non moins vrai que ces sciences gardent toujours leur autonomie en tout ce qui n’a point de connexion nécessaire avec le dogme, particulièrement en ce qui concerne leur méthode propre et leur genre particulier de preuve, comme l’attestent cette définition déjà citée du concile du Vatican : Nec sane Ecclesia vetat ne hvjusmodi disciplinée in suo quæque ambitu propriis utantur principiis et propria methodo, sess. III, c. iv, et cette déclaration de Léon XIII dans l’encyclique Libertas du 20 juin 1888 : Denique prœtereundum non est immensum patere canipum in quo hominum excurrere industriel, seseque exercere ingénia libère queant, res scilicet, quæ cuni doctrina fidei morumque christianorum non liabent necessariam cognationem, vel de quibus Ecclesia, nulla adltibila sua auctorilate, judicium erudiloruin relinquil inlegrum ac liberum. D’ailleurs, suivant tous ces mêmes documents, des faits constants démontrent que la nécessaire subordination des sciences humaines à la direction intellectuelle des dogmes, en même temps qu’elle respecte intégralement leur autonomie normale, est pour elles une précieuse sauvegarde contre les entraînements ou les sollicitations de l’erreur.

Toutes ces conclusions s’appliquent aussi en toute vérité aux relations entre le dogme et la critique, pourvu que les deux conditions exigées par le concile du Vatican soient réalisées : que les dogmes de foi soient fidèlement compris et exposés selon la pensée de l'Église, et que du côté des sciences humaines l’on ne considère point de simples opinions comme des données certaines de la raison. Sess. III, c. iv.

D’ailleurs, nous ne devons point oublier que s’il y a une science critique vraiment digne de ce nom, loyalement soumise à l’enseignement révélé et à l’autorité de l'Église, possédant tous les droits que nous venons de revendiquer et digne d'être favorisée dans son progrés si légitime, il y a aussi une critique indépendante et insoumise dont le progrès, fatal à la raison en même temps qu'à la foi, doit être énergiquement réprouvé et combattu, suivant les enseignements de Léon XIII dans l’encyclique Providentissimus Deus du 18 novembre 1893 et surtout ceux de Pie X dans l’encyclique l’ascendi du8septembre 1907. Voir CRITIQUE, t. iii, col. 2332 sq.

/II. c immutabilité substantielle des dogmes proposés par l'église et i.a mutabilité des formules DOGMATIQUES. — 1° En droit. — 1. Dès lors que les formules dogmatiques employées par les Pries et les théologiens expriment habituellement les dogmes

à l’aide d’une image ou d’un symbole matériel et qu’elles sont le plus souvent empruntées à la philosophie courante d’une époque, elles contiennent presque toujours quelque imperfection et sont par conséquent susceptibles d’amélioration.

2. De nouvelles formules dogmatiques peuvent être particulièrement nécessaires pour défendre plus efficacement la doctrine chrétienne contre de nouvelles erreurs exigeant des explications ou des précisions nouvelles. S. Thomas, Svm. theol., ll a II æ, q. i, a. 10, ad l 1 "". De la part de l'Église l’emploi de telles expressions est une nécessaire conséquence de sa divine mission d’enseigner intégralement la révélation chrétienne aux fidèles de tous les temps, dans la mesure et de la manière exigées par leur bien spirituel. C’est ce que signifie implicitement le concile du Vatican, déclarant simplement que le dépôt de la révélation chrétienne conlié à la garde vigilante de l’Eglise n’est sujet à aucun perfectionnement humain : neque enim fidei doctrina quam Deus revelavit, velut philosophicum inventum proposila est humanis ingeniis perficienda. Sess. III, c. iv. Le concile n'écarte aucunement le perfectionnement accompli ou sanctionné par l’Eglise dans la sphère de son autorité ; il réprouve simplement tout perfectionnement accompli par le travail de la raison humaine, s’exercant indépendamment de l’autorité de l’Eglise.

3. Quant à la manière de réaliser ce perfectionnement, rien n’empêche qu’avant d'être définitivement approuvé par l'Église, il soit d’abord préparé, pendant un temps plus ou moins long, dans les écrits individuels des Pères ou des théologiens. Il suffit que l'Église, par sa définition dogmatique, approuve, en se l’appropriant, le travail antérieurement élaboré. Nous en constaterons bientôt plusieurs exemples manifestes.

4. Enfin rien ne s’oppose à ce que' l’Eglise, dans l’avenir des siècles, perfectionne encore les formules déjà choisies par elle pour exprimer la doctrine chrétienne. Car le droit de l'Église n’est point nécessairement lié par le premier usage qu’elle en a fait. Il est simplement requis qu’elle garde immuablement le sens des dogmes précédemment définis, concile du Vatican, sess. III, c. IV, et que, pour éviter le danger qui pour* rait naître de fréquentes modifications non motivées, elle agisse ainsi seulement pour de très graves raisons et dans la mesure strictement nécessaire.

2° En fait, l’histoire des dogmes montre ce perfectionnement dans les formules dogmatiques, d’abord réalisé, souvent d’une manière assez lente, par les Pères et les théologiens, puis utilise et définitivement sanctionné par le magistère de l’Eglise, sans qu’aucune atteinte soit portée à l’identité substantielle du dogme, et aussi sans que se rencontre un seul exemple bien caractérisé de modification postérieurement introduite par l'Église dans les formules déjà adoptées par elle.

Ainsi a) les termes substantiel, natura, persona, introduits dans le langage théologique par Tertullien pour exprimer les augustes mystères de la trinité et de l’incarnation, A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 81 sq., sont bientôt universellement adoptés chez les Latins. Chez les Grecs, les mots ovala et 1116<7- : a<nç, d’une signification d’abord assez indécise, sont employés pour la première fois par saint Basile dans le sens très précis des termes latins substanlia et persona. Epist., xxxviii et ccxxxvi, n. 6, P. G., t. xxxii, col. 325 sq., 884 ; Contra Eunomium, l. ii, n. 28 ; l. IV, n. 1 sq., /'. C, t. xxix, col. « 37 sq., 689 sq. Cette signification, bientôt communément adoptée chez les Grecs, est notamment employée par saint Cyrille d’Alexandrie dans ses célèbres anathématismes. Des écrits des Pères elle passe bientôt dans le langage des conciles. Le concile de Nicée en 325 avail encore employé le mot JuôirTaCTt ; comme synonyme de

oùffi’a. DenLinger-IJannwart, Enchiridion, n. 54. Ce sens est désormais abandonné. Le concile de Chalcédoine attache définitivement au terme ûitdffrao-iç la signification de personne et à çûuiç celle de nature. Enchiridion, n. 148.

Terminologie fidèlement conservée par les conciles subséquents, notamment par le Ve et le VIe concile de Constantinople. Enchiridion, n. 213 sq., 289 sq. On sait d’ailleurs que le concile de Nicée avait antérieurement consacré l’usage du terme ô^ooùtio ; pour exprimer la divinité du Verbe et sa parfaite égalité' avec le Père, et que le mot 6eo-ô-Loç avait été approuvé par le concile d’Kpbèse pour signifier la maternité divine de Marie.

b) Le terme salisfactio, pour la première fois employé par saint Anselme, Cur Deus homo, l. I, c. XI, P. L., t. clviii, col. 376, pour exprimer l'œuvre rédemptrice accomplie par Jésus-Christ, fut bientôt consacré par l’usage théologique et admis dans les documents ecclésiastiques, notamment dans les définitions du concile de Trente.

En même temps les théologiens formulèrent plus nettement la distinction entre la rédemption universelle pro cmutibus quantum ad suf/icientiam, licet non quantum ad efficientiam, S. Thomas, In Epist. ad Romanos, c. V, lect. V, et In I Tint., c.n.Iect. i, Opéra, Rome, 1570, t. xvi, fol. 18, 177, formule postérieurement introduite dans les définitions du concile de Trente. Sess. VI, c. il, ira

c) La terminologie sacramentaire reçut aussi un perfectionnement considérable, a. Les formules théologiques exprimant Vefficacité des sacrements furent, à l’occasion de l’erreur des donatistes, bien améliorées par saint Optât de Milèveet surtout par saint Augustin, distinguant plus nettement entre la réception valide et la réception licite du sacrement, entre la grâce et le caractère, et montrant plus explicitement que l’effet du sacrement vient de ce que le rite sacramentel est accompli au nom de Jésus-Christ et avec son pouvoir. Pourrai, La théologie sacramentaire, Paris, 1907, p. 118. A la fin du xiiie siècle, à la suite de plusieurs controverses relatives aux ordinations simoniaques ou aux sacrements conférés par des ministres indignes, on commença à distinguer enlre le rite sacramentel luimême, opus operatum, ii la production duquel est attachée la vertu de Jésus-Christ prêtre principal et l’action personnelle du ministre, opus operans. Pierre de Poitiers, Sent., l. V, c. vi, P. L., t. ccxi, col. 1235.

La formule ex opère opcrato, déjà mentionnée et approuvée par saint Thomas, In I V Sent., l. IV, dist. I, q. i, a. 5, fut bientôt unanimement acceptée par les théologiens pour exprimer que les sacrements produisent réellement la grâce qu’ils signifient, à moins que le sujet n’y mette obstacle, bien que les théologiens scolastiques des diverses écoles aient interprété différemment le mode de production signifié par ces paroles. Un peu plus tard, le concile de Trente, dans sa définition solennelle de l’efficacité des sacrements, adopta la formule ex opère operato, sans identifier sa doctrine avec aucune des opinions adoptées par les diverses écoles théologiques. Sess. VU, De sacramentis in génère, can. 8.

b. Les formules théologiques exprimant les éléments constitutifs des sacrements subirent aussi diverses modifications. Saint Augustin avait déjà distingué dans le signe sensible ou sacramentum, distinct de la virlus sacramenti, deux éléments constitutifs dont l’union constitue le sacrement : elementum ou verbum, l’objet matériel et la parole. In Joannis Evangelium, tr. LXXX, n. 3, P. L., t. xxxv, col. 1810. Quel qu’ait été le sens attribué par saint Augustin au mot verbum et les interprétations des auteurs du XIe et du XIIe siècle, il est certain que cette terminologie fut communément usitée

jusqu'à Pierre Lombard. Avec Pierre Lombard commença la distinction bientôt classique entre sacramentum et res. Sent., l. IV, dist. IV, n. 1, P. L., t. cxcii, col. 846. Puis au XIIIe siècle, surtout avec saintThomas, les termes materia et forma deviennent les termes communs sous lesquels on désigne par analogie les parties constitutives du sacrement. Langage bientôt adopté dans les documents ecclésiastiques, notamment dans le décret ou instruction pratique d’Eugène IV pro Armenis, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 695, et dans la session XIV, c. ii, du concile de Trente où il est rappelé que l’essence de tout sacrement consiste dans la matière et la forme. — c. Le mot character, employé par saint Augustin pour exprimer le signaculum ou ffçpâytî provenant de certains sacrements, Epist., clxxiii, n. 3 ; ci.xxxv, n. 23, P. L., t. xxxiii, col. 754, 803 ; Contra epislolam Parmeniani, l. II, n. 29, P. L., t. x i.iii, col. 71, fut après lui communément usité en ce même sens, d’ailleurs plus complètement défini par les théologiens scolastiques. Voir Caractère SACRAMENTEL. Un peu plus tard ce terme reçut la consécration ecclésiastique, notamment dans le décret Ad Armenos, loc. cit., et dans plusieurs définitions du concile de Trente. Sess. VI, can. 9 ; sess. XXIII, can. 4.

(I. Pour les sacrements en particulier nous nous bornerons à noter ici l’usage du terme transsubstantiatio employé' pour la première fois par Hildebert de Tours († 1137), Serm., xciii, P. L., t. clxxi, col. 776, pour mieux exprimer la doctrine catholique en face des négations de liérenger de Tours, puis bientôt consacré par l’usage de l'Église au IVe concile de Latran, DenLinger-Bannwart, Enchiridion, n. 430, et dans la confession de foi de Michel Paléologue qui lui fut proposée par Clément IV en 1267 et que l’empereur présenta lui-même à Grégoire X au II" concile de Lyon en 1274. Enchiridion, n. 465. Cette formule fut aussi adoptée par le concile de Trente. Sess. XIII, c. IV et can. 1, 2.

Dans tous les cas particuliers que nous venons de signaler, en même temps que l’on constate, à travers la diversité des formules, l’identité substantielle du dogme révélé, on peut facilement s’assurer qu’en fait l'Église n’a jamais modifié dans la suite des siècles une formule précédemment adoptée par elle.

Nous pouvons donc conclure que, si une telle modification de la part de l’Eglise n’est pas théoriquement invraisemblable, elle est pratiquement peu probable, si l’on en juge d’après l’histoire des siècles passés, où ne se rencontre pas un seul fait bien caractérisé de modification réelle apportée par l'Église à des formules dogmatiques précédemment adoptées par elle.