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Dictionnaire de théologie catholique/DROIT CANONIQUE

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 284-287).
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DROIT CANONIQUE. -
I. Notion.
II. Sources.
III. Textes.
IV. Interprétation.

I. Notion.

La législation de l’Eglise porte le nom I de jus canonicum. Au xii s siècle, les connaissances I juridiques se ramenaient aux canones et aux leges. La’seconde appellation était réservée aux lois civiles, la 1 première aux lois ecclésiastiques, quand bien même il ne s’agissait pas à proprement parler de ces prescriptions conciliaires qui, à partir du IVe siècle, sont connues sous le nom de canons. L’expression jus pontificium indique de même une opposition avec le jus cœsareum. On appelle aussi le droit canonique jus sacrum, et souvent autrefois on le nommait jus diviiiuni, par opposition au droit civil, jus hnmanum. On l’appelle encore maintenant jus ecclesiasticum et dans la pratique les deux appellations se prennent l’une pour l’autre. Cependant, en toute rigueur, les deux notions ne se superposent pas et il faudrait réserver au droit des Décrétales le nom de jus canonicum, par opposition au droit actuellement en vigueur auquel convient mieux le nom de jus ecclesiasticum.

Le droit canonique, dans son sens le plus large, peut se définir : Complexus legum quas ecclesiaslica potestas proposait vel constituit vel probavil ad bonum spiriiualis socielalis regimen.

Proposait. — Il s’agit de lois jiosées par l’autorité divine naturelle ou positive et qui ensuite sont proposées par l’Eglise. Notre-Seigneur a posé, en principe, l’obligation de la communion au c. vi de l’Évangile selon saint Jean. L’Eglise nous propose ce précepte en trois façons : I » Faut-il prendre à la lettre la conjonction et dans le texle : Nisi manducaveritis carnem Filii hominis et biberitis ejus sanguinemnon habebitis vitam in vobis ? L’Église a répondu négativement. Concile de Trente, sess. XIII, can. 3. L’Église a ainsi expliqué la loi divine. 2° Cette même loi, elle la détermine. Le décret du concile de Latran, Omnis utriusque se.rus, détermine à partir de quel âge on est tenu à communier, combien de fois dans l’année, à quel moment de l’année, dans quelle église, et la session de Trente, déjà citée, non seulement indique que pour communier il faut être en état de grâce, mais détermine par quel moyen on doit se mettre en cet état. 3° La loi divine expliquée et déterminée, l’Église la sanctionne par des peines. Le canon Omnis utriusque sexus prive celui qui omet la communion pascale de l’entrée de l’église pendant sa vie et de la sépulture ecclésiastique après sa mort.

Constituit. — Il s’agit ici des lois que l’Église a élablies de son autorité propre dans son domaine comme l’autorité civile le fait dans sa sphère : procédure, obligations des clercs ; mode d’élection des évêques, peines portées contre les crimes, empêchements de mariage. Dans son ensemble, le droit canonique est composé surtout de lois de ce genre.

Approbavit. — Il s’agit de règles de conduite que l’Eglise n’a pas formulées elle-même, mais qu’elle a adoptées, établies qu’elles étaient par la coutume, par les lois civiles, en particulier la loi romaine.

Sons des aspects divers, le droit canonique se divise :
1° en jus vetus jusqu’à Gratien, jus novum de Gratien au concile de Trente, jus novissimum depuis lors. On dit aussi parfois jus antiquum, medii œvi, novum ;
2° en jus scriptum et jus non scriptum ou consueludinarium ;
3° en jus universale et jus particulare, le premier s’appliquant à toute l’Église latine, le second à une circonscription déterminée ;
4° la division en jus generale et jus singulare ne se rapporte pas aux territoires, mais aux différentes espèces de personnes ; les lois qui régissent les clercs ou les évêques ou les religieux constituent des droits singuliers, par opposition au jus universelle auquel tous les fidèles sont soumis.
5° Au droit commun on oppose le droit spécial, c’est-à-dire tout ce qui est exorbitant du droit commun comme les privilèges concédés ou conquis par la coutume.
6° Enfin comme toute législation, le droit canonique se divise endroit privé et droit public, chacun des deux en droit interne et externe.

II. Sources.

Nous parlerons au paragraphe suivant des sources documentaires en traitant des textes. Il s’agit ici seulement des autorités qui ont le droit de porter dans l’Eglise des lois d’intérêt général et de fonder par leur volonté le droit canonique. Ces causes efficientes du droit canonique sont :
1° Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le droit public de l’Eglise dans sa partie intangible est de lui, tout le droit privé est imprégné de son esprit, quelques prescriptions de droit privé se rattachent directement à ses paroles, ailleurs la relation n’est qu’indirecte.
2° Le souverain pontife. C’est à son autorité que se rattachent non seulement les documents pontificaux ayant force de loi générale, mais encore les décrets de conciles non œcuméniques qui sont devenus lois générales, les quelques lois romaines qui ont été canonisées. Il suflit d’ouvrir le l. IIIe des Décrétâtes, tit. i, pour constater que, sur seize chapitres, cinq ne sont pas des documents pontificaux et tirent leur force législative de l’autorité de Grégoire IX qui les a fait insérer dans sa collection. C’est la même autorité qui donne leur valeur à tous ces textes non authentiques ou modifiés par saint Raymond de Pennafort et par les précédents compilateurs que la collection des Décrétales a promulgués comme lois générales de l’Eglise.
3° Le concile œcuménique uni au pape qui constitue le subjectum supremae potestatis ecclesiasticæ n’est pas une source adéquatement distincte du pontife romain, mais une source réelle et distincte bien qu’inadéquatement. — Ce n’est qu’au sens large qu’on peut considérer les apôtres comme une source du droit canonique. Comme personnages inspirés, ils ne constituent qu’une même source avec le Christ ; comme fondateurs et recteurs d’églises, ils peuvent se rattacher en rigueur de doctrine à l’autorité de l’Église représentée par le Saint-Siège et par le concile général. Mais à cause de leur infaillibilité, de l’autorité qu’avait chaque apôtre sur toute l’Église, de leurs rapports personnels avec Notre-Seigneur, c’est à leur autorité qu’on en a appelé dès le commencement en matière disciplinaire comme en matière doctrinale. Nous verrons à la fin de cet article en quel sens l’autorité civile peut être une source de la loi canonique.

III. Textes.

Nous n’avons guère qu’à les énumérer, chacun de ces documents faisant dans ce dictionnaire l’objet d’un article spécial.

Pour la période du jus vetus, nous avons les différents écrits apocryphes attribués aux apôtres qui sans valeur législative nous renseignent avec une autorité très inégale sur la discipline du temps où ils ont été composés. Ils appartiennent plutôt à l’histoire des institutions ecclésiastiques qu’au droit proprement dit. Citons cependant les principaux : Διδακὴ, voir t. i, col. 1680-1687 ; Κανωνές ἐκκλησιαστικοὶ τῶν ἁγιῶν ἀποστόλων ; Ὅρος κανονικὸς τῶν ἁγιῶν ἀποστόλῶν ; Διατάξεῖς (ou Διαταγαὶ) τῶν ἁγιῶν ἀποστόλῶν. Ces constitutions apostoliques ne constituent pas un tout homogène, c’est une collection de documents pseudo-apostoliques antérieurs plus ou moins développés et frelatés. A la suite sont les prétendus Canons des apôtres. Voir t. il, col. 1605 sq.

Avec les collections de conciles nous entrons en contact avec les textes canoniques proprement dits. Dans la période du jus vetus, on vit sur des textes plus ou moins authentiques des Pères de l’Église ou des papes et sur les canons des conciles.

Les grandes collections imprimées de conciles sont indiquées à l’article Concile, dans la partie bibliographique. Mais notre droit occidental dépend de plusieurs collections manuscrites de conciles orientaux et occidentaux dont il nous faut dire un mot.

Le Codex canonum (ou synodicon), dont les Pères de Chalcédoine (451) avaient un exemplaire entre les mains, comprenait les canons de Nicée (325) suivis de ceux d’Ancyre et Néocésarée (314), de Gangres (entre 362 et 370), enfin des canons d’Antioche (341). La collection dite du concile de Laodicée et qui semble bien n’être qu’une série de canons antérieurs résumés et appartenant à deux sources au moins, s’introduisit au commencement du ve siècle dans les manuscrits, puis on y admit le concile œcuménique de Constantinople en 381. Cet ensemble forme ce qu’on appelle la Græca auctoritas, qui servit de base à la collection de Denys le Petit dont nous parlerons plus loin. La méthode manque absolument dans cette collection, aucun souci n’y apparaît de classer les canons par ordre chronologique ou par ordre d’importance des conciles dont ils émanent. Le concile de Nicée tient cependant la tête, puis viennent à la suite tous les autres canons sous une même série de numéros.

La collection de Jean le Scolastique, rédigée vers 530, marque un nouvel état des manuscrits conciliaires orientaux et le dernier qui intéresse notre droit occidental. Il fait précéder la Græca auctoritas des canons des apôtres, ajoute, après les canons de Constantinople, les canons d’Éphèse (431), de Chalcédoine et plusieurs canons extraits des lettres de saint Basile. Entre Néocésarée et Gangres sont intercalés 21 canons de Sardique, vers 344, qui parfois sont placés dans les manuscrits immédiatement après les canons de Nicée. Mais ces collections ne sont que des sources éloignées de notre droit latin. La versio Isidoriana ou Hispana de la fin du ve siècle donne les canons de Nicée, d’Ancyre, de Néocésarée, de Gangres, de Sardique, d’Antioche, de Laodicée, de Constantinople. Les textes sont des traductions des collections grecques et contiennent des décrétales des papes. Il en est de même de l’Itala ou prisca, qui est à peu près de la même époque.

La collection de l’oriental Denys le Petit travaillant par ordre du pape, pour les occidentaux, traduit la Græca auctoritas et la complète par la traduction sous numérotage spécial des vingt-sept premiers canons de Chalcédoine seulement, le vingt-huitième ayant été toujours réprouvé par le Saint-Siège. Puis venaient les canons latins du concile de Sardique qui avaient été promulgués dans les deux langues en sorte qu’une 183 ! l

DROIT CANONIQUE

1840

traduction des canons grecs aurait eu moins d’autorité. Denys le Petit faisait précéder sa collection des cinquanle premiers canons apostoliques qu’il présente au lecteur avec prudence et la faisait suivre de la collection africaine des canons promulgués au concile de Carthage de 419. Denys donnait aussi des décrétales, mais rangées à part dans une seconde partie de son œuvre. Voir col. 448-449.

Le travail de Denys nous est parvenu dans ce qu’on appelle le Codex Hadriamis du nom du pape qui l’envoya en France en 774. C’est ce qu’on appelle aussi chez nous le Codex canon uni. La promulgation qu’en lit Cliarlemagne en 802 lui a donné dans notre pays une autorité qui n’a jamais été contestée par le pouvoir civil. Les articles organiques, art. 6, faisaient encore allusion à propos de l’appel comme d’abus aux canons reins en France et c’était à ce Codex Hadriamis réimprimé au Louvre officiellement sous Louis XIV que ce texte renvoyait, suivant le langage des juristes gallicans.

Chaque pays avait aussi ses collections particulières. Nous avons fait allusion, à propos de la collection de Denys, au concile de Carlhage de 419. Le midi de la Gaule avait aussi ses Statvla Ecclesise an tiqua, trop connus sous le nom de canons du IVe concile de Cartilage qui sont d’Arles, au temps de saint Césaire, et probablement de sa main. Voir t. ii, col. 1£051807. L’Espagne admettait, à côté des canons grecs de Vhidoriana, des canons des Gaules, des conciles espagnols et africains. Ce sont les collections espagnoles qui ont attribué lesSlahila Ecclesiseantit/ua à un concile deCarthage. Au vii l siècle, les collections espagnoles sont toutes ramenées à un type unique, la seconde Isidoriana qui suit l’ordre chronologique et qui vers la fin du VIIe siècle devient un recueil méthodique par ordre de matières. C’est jusqu’aux Décrétales le Corpus jnris de l’Église espagnole. L’autorité dont jouissait ce recueil même dans les autres pays a inspiré à Isidore Mercator l’idée de son indélicate entreprise et en a assuré le succès. En France, les collections antérieures furent éclipsées par Y lladriana, et n’eurent qu’une influence très réduite. Mentionnons enfin le Synodus Patricii qui résuma au viiie siècle la discipline irlandaise.

Une autre source documentaire du droit canonique est constituée par les Décrétales des papes et nous avons signalé, au passage, en parlant des collections de conciles, l’insertion de documents pontificaux dans les recueils dont nous venons de parler.

Signalons comme collections de décrétales le Codex carolinus, où Cliarlemagne assembla quatre-vingt-dix-neuf lettres, écrites par les papes à Charles Martel, à Pépin le Bref et à lui-même.

La collection pseudo-isidorienne, voir DÉCRÉTALES (Fausses), contient l’Isidoriana, donc des canons et des décrétales, mais mélangés de pièces apocryphes.

Viennent ensuite par ordre chronologique trente-sept collections au moins, depuis les Fausses Décrétales jusqu’au décret de Gratien.

Citons seulement les principales : Colleclio Auselmo dicala, fin du IXe siècle, l’œuvre de Béginon, libri duo de synodalibus, ele, (commencement du x c), les Capitula d’Abbon, et le décret de liurchard de Worms (commencement du xie), la collection d’Anselme de Lucques et celle du cardinal Deusdedit (de la fin du XI"). Le Décret ( ?) et la Panormie d’Yves de Chartres du commencement du xii e.

Voir pour la suite les articles GRATIEN (DÉCRET DE) et DÉCRÉTALES. Les canons du concile de Trente et du concile du Vatican, les constitutions pontificales, recueillies surtout par les bullaires, les régula cancellaria, es décrets des Congrégations romaines constituent enfin la plus abondante des sources documentaires.

IV. Interprétation.

Il n’est pas dans notre plan

de donner une liste même très incomplète des décrétistes, décrétalistes et commentateurs qui se sont consacrés à l’interprétation des textes canoniques. Nous renvoyons à Schulte, Geschichte der Quellen undLitteratur des kanon. Redits. Nous n’entendons pas non plus donner en raccourci les règles d’interprétation qui sont d’ailleurs à peu de chose près celles du droit civil. Nous renvoyons pour cela aux décrétalistes qui traitent de cette question ex professo en commentant le dernier titre du dernier livre des Décrétales, De regulis /uri*, surtout au Sexte.

Arrêtons-nous plutôt aux documents qui servent de base à cette interprétation. Les trois principaux sont la glose, les décisions des dicastères romains et le droit civil. C’est là qu’on trouve le plus souvent les explications et les compléments nécessaires aux textes législatifs proprement dits.

La glose.

Le Corpus juris civilis avait la sienne le jour où parurent les Décrétales de Grégoire IX. La grande glose qui s’élaborait alors depuis cent ans venait de prendre sa forme définitive. Elle était, en effet, fixée par Accurce dans le premier tiers du XIIIe sièclr, et le travail de saint Raymond de Pennafort paraissait en 1234. Le Décret, texte ordinaire jusque-là des études canoniques, avait éié dès le premier jour l’objet de commentaires, la première glose suivie était rédigée moins de quinze ans après l’apparition de l’ouvrage, et on date de 1236 la glose définitive qui nous est parvenue. Les Décrétales furent glosées immédiatement. Pour les nombreux textes qui provenaient des quinque coni/>ilaliones antiquæ (voir Décrétales), le travail était déjà commencé. Quand Bernard de Parme mourut en 1266, il venait de mettre la dernière main à la glossa ordinaria. La glose du Sexte suivit de si près la publication du recueil qu’un des compilateurs collabora à la glose. Jean André donnait en 1326 la glose des Clémentines parues en 1313. Sans doute ces gloses n’ont aucune valeur législative proprement dite, mais presque contemporaines des collections, elles reflètent très fidèlement la pensée des compilateurs et des pontifes qui ont donné aux recueils force de loi et autorité exclusive dans les discussions des écoles et des tribunaux. On y trouve donc mieux que partout ailleurs la pensée du législateur et leur autorité a fini par donner force de loi, par l’intermédiaire de la coutume, à des points discutables.

2° Les dicastères de la curie romaine ont concouru aussi et concourent encore à l’interprétation, et cela de deux fæons. Ils fixent la jurisprudence et ils commentent officiellement.

La Bote surtout a rempli la première fonction et vient de reprendre son travail après un demi-siècle de silence à peu près complet. Voir Bote. Les Congrégations romaines, qui avaient remplacé la Bote dans son œuvre judiciaire, ont apporté aussi une vaste contribution à la jurisprudence. Mais elles viennent d’être ramenées par la constitution Sajiienti consilio à leur rôle primitif qui est de veiller au gouvernement de l’Église et à la bonne interprétation des lois. La Congrégation du Concile en particulier avait le droit exclusif de commenter les décrets du concile de Trente, tout commentaire de ce concile étant interdit à quiconque par la bulle Benediclus Deus de Pie IV. Toutes les Congrégations romaines dans leurs réponses à des particuliers ou dans leurs décrets de portée générale interprètent authentiquement la loi canonique. Files ne font qu’un avec le souverain pontife et ne décident rien d’important sans lui avoir soumis leur décision.

3° Enfin le droit civil prête son concours au droit canonique en de multiples circonstances pour l’interpréter ou le compléter. Nous estimons qu’il est extrêmement utile de déterminer très nettement ce que le canoniste peut demander à la législation séculière pour

l’aider dans son œuvre. Les confusions les plus regrettables régnent sur cette matière, et souvent l’appel au droit civil qui pourrait être si utile ne fait que rendre plus obscures les questions.

Ouvrons nos anciens canonisles ou lisons une de ces décisions de la Rôle qui discutent la question en litige avec l’ampleur que chacun sait (voir Décision), nous constaterons que les textes du droit romain, les appels à la grande glose du Corpus jiiris avilis, s’y rencontrent à côté des textes canoniques parfois avec une égale abondance. En poussant plus loin notre observation, nous verrons que les canonistes demandent aux textes séculiers et des explications et des compléments. On peut résumer ainsi les rapports entre les deux législations : 1. Le droit canonique et le droit civil se prêtent mutuellement aide et assistance, comme les deux puissances dont ils émanent se le doivent en principe. Elles poursuivent des fins différentes, mais non contradictoires. La constitution Rex pacifiais qui promulgue les Décrétâtes donne au droit canonique le même but que Justinien prétend poursuivre : Honeste virere, alterum non Isedere, jus suum cuique tribuere. L’autorité civile légitime tire son autorité de Dieu. Les lois civiles sur beaucoup de points ne font que promulguer à nouveau la loi naturelle et souvent dans des termes que rien ne’peut remplacer. 2. En matière ecclésiastique, si la loi civile contredit la loi canonique, cette dernière ne reconnaît aucune valeur au droit séculier, mais quand la loi civile vient renforcer la loi canonique, cette dernière s’appuie volontiers sur elle. 3. Quand les deux droits se trouvent ainsi conformes, les canonistes citent la loi civile au même titre que la loi canonique. Les juristes anciens citaient d’ailleurs de même les canons pour renforcer leurs arguments. Ceci n’était pas une simple habitude d’école résultant du fait que l’étude des deux droits marchait autrefois de pair. La décrétale lntellexirnus, 1. V, xxxii, pose le principe d’une façon formelle : Quia vero, sicut leges nondedignantur sacras canones imita/ri, ita sacrornm slalula canonum princij )iim constilutionibus adjuvant ur, j raternilati tu ; v mandamus… negolium secundum legum et canonum statu la nondifferas lerminare Ceque laglose interprète au mot adjuvantur : Et ita in causa ecclesiastica leges possumus allegare ut etiamsi canones deficiant, jiossii secundum legeni judicari.. Donc comme il est dit au c. 3 du même titre, causa Ecclesise decidi potesi per jus civile in ilefeclti canonum. De là la conclusion de Fagnan : t’bicumejue non reperitur alii/ua dispositio jiivis civilis expresse irnmulala a jure canonico, non debemus inducere discrepantiam inter jus canonicurn et jus civile : inio lexcivilis servari débet in foro Ecclesise. Cum esses t De lestamenlis, n. 18. Par exemple, la loi canonique n’a pas fixé en détail les droits du bénéficier, elle le considère seulement comme un usufruitier. On applique à la jouissance et à l’administration du bénéfice les règles qui régissent l’usufruit dans le droit civil. 5. Cette compénélration des deux droits était tellement passée en pratique que, pour éviter les erreurs, on avait dressé la liste limitative des exceptions à la règle générale. On peut voir dans Reilfenstuel, Jus canonicurn universunt, proœmium, § 11, la liste de ces cinquante discordances.

.Mais que faut-il entendre ici par droit civil ? S’agit-il du droit romain ou des législations modernes ?

Que nos anciens canonistes aient recouru au droit romain, c’est un fait, mais cela n’engage ni le présent ni l’avenir. Les raisons que les textes nous donnent de l’emploi simultané ou supplétoire du droit civil ne sont pas propres au droit romain ; le droit moderne émane, comme au temps des anciens canonistes, de l’autorité séculière légitime. Les textes de la loi romaine sont dus pour la plupart à des jurisconsultes païens ou à des empereurs idolâtres ou hérétiques,

aussi nulle part les canons ne recommandent les lois à cause de la piété de leurs auteurs. Il est même remarquable que, dans le texte que nous avons cité sicut leges non dedignantrir, etc., et qui est de Lucius III, saint Raymond a pris soin de supprimer un mot qui aurait pu accorder un privilège aux lois du code au détriment des lois contemporaines. Il y avait dans la suite du texte : lia et sacrovum slatuta canonum PRiORUil princijium constilutionibus adjuvaiitur. Le mot souligné a pris place parmi les parles decisse. Il faut donc dire que si les anciens canonistes en appellent à la loi romaine, c’est parce qu’elle est la loi civile de leur temps. Nous pouvons raisonner de même avec nos lois civiles modernes. Si elles se trouvent en opposition avec la loi naturelle ou canonique, sur ce point là elles ne lient pas en conscience. Si elles sont en conformité avec la loi canonique, on ne voit pas pourquoi on ne s’appuierait pas sur les lois de Napoléon, puisque nos anciens appelaient à leur secours à l’occasion les constitutions de Dioclétien. Si la loi canonique a besoin d’être suppléée, on ne voit pas pourquoi on irait demander à la loi romaine de déterminer quels sont, par exemple, les droits de l’usufruitier, alors que le pouvoir romain n’est plus qu’un souvenir et que le Code civil régit la matière d’une façon tout aussi rationnelle, bien qu’un peu différente, par exemple, en ce qui concerne les mines ou carrières.

Cependant il est deux points où le recours au droit romain s’impose à l’exclusion des prescriptions du droit civil. Mais ce ne sont pas des exceptions à proprement parler. Il est des textes du droit romain qui ont été insérés dans les collections canoniques, ils sont devenus de véritables canons et restent tels. De plus, les canonistes du moyen âge étaient en même temps romanistes, les deux langages juridiques n’en faisaient qu’un, en sorte que, pour comprendre le sens que nos anciens attachaient à telle expression, il faudra voir souvent ce que les juristes de l’époque entendaient par là ; c’est une règle élémentaire de l’exégèse des textes qui nous amène à cette conclusion. Mais qui ne voit que ceci n’est pas un appel au droit romain ? Ce serait certainement une faute lourde de recourir aux découvertes modernes des romanistes pour déterminer le sens exact des textes du Corpus juris civilis invoqués par nos anciens. Ils les invoquent dans le sens qu’on leur attribuait à leur époque et qui pouvait être fort différent de la pensée de Tribonien : c’est leur pensée qu’il faut chercher et non celle des premiers auteurs.

Nous devons renoncer à donner une bibliographie de la science canonique. Qu’il nous suffise d’indiquer les ouvrages spéciaux, dont plusieurs considérables, qui contiennent les renseignements que nous ne pouvons donner ici : A. Tardif, Histoire des sources du droit canonique, Paris, 1887 ; cet ouvrage, destiné aux élèves de l’École des chartes, contient une liste des principaux canonistes avec de courtes notes biographiques ; Maassen, Geschiclde der Quelten und Litteratur des l.anon. [ledits, etc., 1890 ; Schulte, Geschichle der Quelten und Lit. des kan. Redits, etc., 1875.

P. FOURNERET.