Dictionnaire de théologie catholique/ENFANTS (DEVOIRS ENVERS LEURS PARENTS)
ENFANTS (Devoirs envers leurs parents).
— I. Vertu. II. Précepte. III. Pratique.
I. Vertu.
L’ensemljle des devoirs des enfants envers leurs parents forme l’objet de la piété filiale, vertu qui se rattache à la justice comme partie potentielle. Cf. Thomas, Siim. llicol., Ih II’, q.ci, a. 1, 2. Aucun bien d’ordre purement naturel ne saurait égaler le bienfait de l’existence qu’aprés Dieu nous devons à nos pareiits ; voilà pourquoi la piété filiale, quel que soit son dévouement, est incapable d’acquitter coniplctenient la dette que nous avons contractée à l’égard de nos parcnts. Dans la classification des vertus, la piété filiale est donc rangée parmi les annexes ou parties potentielles de la justice. Parentilnis, dit saint Thomas, non potest secundum irqualilateni recompensari qiiod eis debctur, ut patct per Philosophiun in V U l Elhiconim. El sic adjiingitur piclas jusliliæ. Sum.lheol., II’II’i, q. lxxx, a. unicus. Sansdoute, siun lils sauve la vie à ses parents, il leur rend, en quelque sorte, ce qu’il a reçu d’eux. Cependant, s’il conserve à ses parents la vie corporelle, ce n’est pas à lui, à vrai dire, qu’ils doivent l’existence ; tandis que, sans ses parents, le fils n’aurait jamais existé. Il n’y a donc pas, niênudans ce cas, parfaite réciprocité entre le fils et les parents. Il en serait autrement, et même on serait en droit de dire que les parents ont reçu de leur enfant plus qu’ils ne lui ont donné, si celui-ci leur procurait des biens de l’ordre surnaturel, si, par exemple, il les éclairait des lumières de la vraie foi, et les réconciliait avec Dieu..Marc, Iiislitiilionrs nvindrs, n. 688.
L.i piété filiale se manifeste, selon les circonstances, par divers actes, tels que témoignases d’amour et de respect, obéissance, assistance. Notons que l’amour Inspiré par la piété filiale diffère <le l’amour de charité. La piété filiale nous fait aimer nos parents en tant que nous leur devons le bienfait de l’existence. Par la charité, nous aimons le prochain, y compris nos jiarents, pioptrr iJcum, et in quantum ordinantur ad Druin. Voir l. II, col. 22.56-2257. Il va sans dire que la piété filiale, comme les autres vertus morales, peut être informée par la charité.
II. PiifvCKPTi ;. — Les principaux devoirs des en fants envers leurs parents découlent, comme conclusions immédiates, des premiers principes du droit naturel ; aussi n’ont ils jamais été complètemenl ignorés, même des peuples les plus barbares.
La loi naturelle devait trouver son expression dans le décalogue. Les devoirs des enfants envers leurs parents sont l’objet du quatrième commandement qui est formulé en ces termes dans la loi donnée par Dieu à Mo’ise : Honora palrcm inum et muircn} iuam, ut sis longœvus super tevram, quam Dominus Dcus luus dabil libi. Exod., xx, 12. Le même précepte est énoncé dans le Deutéronome, v, 16. Ce n’est pas sans raison que le texte sacré se sert de l’expression que la Vulgate traduit par honora. Scile auleni in le<je, lisons-nous dans le catéchisme du concile de Trente, posila est honoris vox, non amoris, aui mclus, eliani si valdi anuindi ac meluendi parentes sint. Etenini qui amat non scmper observai et vencratar : quimctuil non semper diliçjit : quem vcro aliquis ex animo honorai, item amat cl veretur. Catecliismus adparochos. De quarto preeceplo. On pourrait citer une foule de passages des livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament où il est question des devoirs des enfants ; les livres sapientiaux, entre autres, y reviennent très souvent. Voir Exod., XXI, 15 ; Dent., xxi, 18-21 ; xxvii, 16 ; Prov., I, 8 ; XV, 5 ; xix, 26 ; xxx, 17 ; Eccli., iii, 8-18 ; vii, 30 ; Tob., IV, 3-4 ; Eph., vi, 1-3 ; Col., iii, 20. Notre-Seigneur lui-même a rappelé le quatrième précepte, en le dégageant de certaines fausses interprétations des scribes et des pharisiens. IVIatth., xix, 19 ; xv, 3-7. Au précepte et à l’exhortation les Livres saints joignent la leçon de l’exemple. L’histoire de Cliam et celle d’Absalom nous montrent comment sont punis les enfants qui manquent de respect envers leurs parents, ou se révoltent contre eux. Gen., ix, 22-27 ; II Reg., xviii, 14. Nous voyons dans la Genèse le prix que les anciens patriarches attachaient à la bénédiction paternelle, xxvii ; xlviii. De beaux modèles d’obéissance et de respect à l’égard des parents nous sont donnés par Isaac, Joseph, Salomon, le jeune Tobie, les Héchabites. Gen., xxii, 2-11 ; xlv, 3 ; III Reg., H, 19 ; Tob., v ;, Ier., xxxv, 1-12.
Les devoirs des enfants intéressent le législateur civil par les côtés où ils touchent à l’ordre public. Aussi les codes anciens et modernes s’en sont-ils occupés, et ils ont édicté diverses prescriptions qui interprètent d’une manière plus ou moins heureuse le droit naturel et divin, notamment en ce qui concerne le respect et l’assistance dus aux parents. Code civil français, art. 205 sq.
111. Pratique. — 1o Amour et respect. — Les enfants doivent aimer sincèrement et du fond de leur cœur ceux à qui ils sont redevables du bienfait de la vie et de l’éducation, (k-lui qui serait assez dénaturé pour souhaiter du mal à ses parents, ])()ur leur causer une peine injuste, pécherait contre la charité et contre la piété fdiale. Marc, Inslilutionrs morales, Rome, 1911, t. I, n. 694.
A l’amour doit se joindre le resjjcct extérieur. C’est un point qui se recommande tout spécialement à l’attention des prédicateurs et des catéchistes, la notion du respect étant, de nos jours, fort affaiblie. L’irrévérence à l’égard des parents peut aller facilement jusqu’au péché mortel. Ainsi, à moins qu’ils ne soient excusés par l’ignorance ou l’irréflexion, pèchent mortellement ceux qui adressent à leurs parents des propos gravement injurieux. On exagérerait cependant en taxant de péché mortel celui (m, par élourderie, se permettrait de contrefaire ses parents, ou de tenir sur leur compte des propos un peu irrévérencieux, surtout si c’était en leur absence.
Il va s ; uis dire qu’ils pfchent gravement ceux qui ont la criminelle audace de frapper leurs parents ou même de lever la main contre eux. On excuse cependant celui qui se trouverait dans un cas de légitime défense, ou qui, pour donner les soins nécessaires à des parents tombés dans l’enfance ou la déiiiciicc serait obligé de les rudoyer un peu. « On ne peut, dit Berthier, excuser ceux qui, par mépris ou par malice, frappent leurs parents ivres ou privés de raison ; il en serait autrement si des traitements un peu rudes étaient nécessaires pour les contenir. » A brégé de théologie dogmaliqne et inorcdc. n. 2393. On comprend que, même dans ces douloureuses circonstances, il faut y aller le plus doucement et le plus charitablement possible.
(( C’est manquer gravement au respect qu’on doit à ses parents, écrit Gousset, que de leur intenter des procès, de les poursuivre devant les tribunaux. Cependant comme les intérêts du père et du fils sont des intérêts distincts, si le père commettait une injustice envers son fils, celui-ci, après avoir tenté sans succès tous les moyens de conciliation, pourrait réclamer l’intervention du juge sans manquer à son père. « Cours de théologie morale, t. i, p. 259.
Enfin, se rendent coupables d’un impardonnable manque d’égards les parvenus qui, par orgueil, affectent de ne pas reconnaître des parents pauvres ou mal vêtus. On excuse cependant celui dont les parents, dit saint Alphonse, aliqno injami crimine essent noiati. Il en est de même de ceux qui, vu certaines circonstances, ne peuvent saluer leurs parents, ou leur adresser la parole sans s’exposer à de graves inconvénients. S. Alphonse, Theologia moralis, I. III, n. 334.
2° Obéissance.
Mais les parents ne sont pas seulement revêtus d’une dignité qui commande le respect, ils possèdent une autorité à laquelle est due l’obéissance. Les enfants, tant qu’ils restent sous la dépendance de leurs parents, sont tenus de leur obéir en toutes les choses honnêtes et licites qui sont du ressort de l’autorité paternelle.
L’objet propre et direct de l’autorité paternelle est le gouvernement de la maison et l’éducation des enifants. Ceux qui, en cet ordre de choses, refusent de se conformer à la volonté de leurs parents commettent certainement un péché spécial contre l’obéissance. En est-il de même si ce que commandent les parents est déjà prescrit par la loi divine ou ecclésiastique ? Un jeune homme, par exemple, malgré la -défense de sa mère, profère des paroles impies ou licencieuses. La désobéissance constituet-elle dans ce cas une circonstance qu’il faille nécessairement faire connaître en confession ? Les auteurs ne sont pas d’accord à ce sujet. Voir Marc, Instilutiones morales, n. 697 ; Tanquerey, Synopsis theologiæ, t. iii, p. 38.
Les enfants doivent obéir à leurs parents en tout ce qui n’est pas contraire à la loi de Dieu, sauf toutefois pour le choix d’un état de vie. La fonction d’éducateurs, qui est celle des parents, ne leur confère pas le droit de disposer d’une manière absolue et irrévocable de la personne de leurs enfants. Post annos puberlalis, dit saint Thomas, quilibcl ingenuus libertalem habei quantum ad ea quæ pertinent ad disposiiionem sui status, prscsertim in iis quæ sunt dii’ini obsequii. Sum. theol., II II*, q. clxxxiv, a. 6.
Cependant, avant de faire le choix qui fixera son avenir, un enfant consciencieux et respectueux se fait généralement un devoir de consulter ses parents. A moins de circonstances exceptionnelles, on ne saurait approuver ceux qui se marient sans le consentement de leurs parents. Quant à ceux qui sont appelés à l’état ecclésiastique ou religieux, il sera souvent utile de leur rappeler que les parents, même les plus chrétiens, peuvent se laisser aveugler par une affection trop naturelle, au point de faire une injuste opposition à la vocation de leurs enfants. « Si, dit saint Alphonse, un jeune homme est appelé à l’état religieux, et que ses parents s’y opposent, il doit préférer la volonté de Dieu à celle de ses parents.) Pratique de l’amour envers Jésus-Christ, c. vii.
3° Assistance.
Aux devoirs de la piété filiale, dont il vient d’être question, il faut ajouter l’assis tance corporelle et spirituelle. Les enfants ne doivent pas se décharger sur l’État ou sur les comnmnes du soin de leurs parents pauvres, âgés ou infirmes ; c’est à eux qu’incombe, sous ce rapport, la première et principale obligation. « Ils pèchent au moins contre la piété, dit Berthier, ceux qui ne les visitent pas (leurs parents), ou ne les soignent pas dans leurs infirmités ou leur vieillesse, qui leur refusent les aliments et les choses nécessaires à la vie selon leur condition, qui n’ont pas soin, dans une maladie grave, de leur faire recevoir à temps les sacrements, qui ne leur font pas faire des funérailles selon leur condition, qui ne prient pas pour eux après leur mort, et ne font dire aucune messe pour le repos de leur âme. « Abrégé de théologie. n. 2392. De nos jours, ils sont, hélas ! trop nombreux ceux qui paraissent ne point se soucier des intérêts spirituels de leurs parents, et attendent le dernier moment avant de leur procurer les secours de la religion. C’est aux pasteurs des âmes à combattre énergiquement une si funeste négligence.
Outre les auteurs cités dans le corps de l’article, voir Sénéque, De benefic, 1. III, c. xxxviii ; S. Basile, In Hei-aemeron, homi. ix, n. 4, P. G., t. xxix, col. 196-197 ; Buseus, Mridariiim, Paris, 1896, t. ii, p. 343-366 : S. Alphonse de Liguori, CE ; (( « —es ascétiques, trad. Diijardin, t. xvi, p. 463-477 ; Ballerini, Opijs (/ieo/officum, Prato, 1890, t. Ii, p. 564-571 ; Lehmkuhl, Theologia moralis, part. I, 1. II, div. III, tr. I, c. I, § 2, 5e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1888, t. I, p. 467-471.