Dictionnaire de théologie catholique/FÉNELON

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A. Largent
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 5.2 : EUCHARISTIE - FIUMEp. 419-435).

FÉNELON (François de Salignac de Lamothe). — I. Jusqu’à sa nomination à l’archevêché de Cambrai. II. L’archevêque de Cambrai. III. L’apologiste, le philosophe, le théologien, l’homme. I. Jusqu’à sa nomination a l’archevêché de Cambrai. — 1° Famille, éducation. — Il naquit le 6 août 1C51, au château de Fénelon, en Périgord, d’une famille illustrée dans les armes et dans la diplomatie. Sa mère était Louise de la Cropte de Saint-Abrc. Né du second mariage d’un père quinquagénaire, il avait du premier lit quatre sœurs et sept frères ; l’un de ceux-ci eut pour fds le Fanfan si cher à son oncle, et si connu sous ce nom familier dans la correspondance de l’archevêque de Cambrai. Le jeune Fénelon passa ses premières années au château paternel, sa « pauvre Ithaque, » comme il l’appellera plus tard (lettre au marquis de Fénelon, 2 août 1714) ; à l’âge de douze ans, nous le rencontrons à l’université de Cahors, où il fit ses cours d’humanités et de philosophie. Charmé de tout ce qu’il apprenait des heureuses dispositions de l’adolescent, le marquis Antoine de Fénelon, l’ami de M. Olier, le promoteur d’une association contre les duels, l’un des plus beaux types au xviie siècle de l’honneur chrétien et chevaleresque, appela à Paris son jeune neveu et le plaça au collège du Plessis. De là, l’étudiant passa au séminaire de Saint-Sulpice. Sous la direction du second supérieur de Saint-Sulpice, Tronson, l’abbé de Fénelon s’initia ; iux études et aux devoirs du sacerdoce ; et, après avoir reçu les ordres sacrés, il entra dans la communauté de prêtres qui desservait la paroisse. A un certain moment, dans l’ardeur d’une jeunesse nourrie de réminiscences classiques et plus encore de pensées apostoliques, il projeta de s’adjoindre aux missions de la Grèce et du Levant ; un frère aîné était déjà parti pour le Canada. De cette époque date la lettre célèbre qu’il écrivit au duc de Beauvilliers dont il était devenu l’ami. " Je pars. Monseigneur, et peu s’en faut que je ne vole, mais je médite un plus grand voyage. La Grèce entière s’ouvre à moi, le sultan effrayé recule, etc. » Lettre enthousiaste, mais non pas lettre folle, quoi qu’on ait dit. C’est un jeune homme et un apôtre qui l’écrit, et qui se rappelle peut-être la mort héroïque du duc de Beaufort devant Candie, dans le siècle où Mallierbe avait prédit aux Orientaux opprimés la venue d’an neveu de Gndefroij, et où Boileau avait donné rendez-vous à Louis XIV aux bords de iHellesponl. Épilres, iv.

Premiers emplois et premières (vuvrrs. — L’abbé de Fénelon ne s’embarqua point pour l’Orient ; il fut chargé à Paris même de l’œuvre des Nouvelles catholiques, jeunes filles récemment converties du protestantisme qu’il fallait affermir dans la vraie foi. Fénelon remplit durant dix ans ce ministère. Pour être moins distrait dans l’exercice de ses fonctions, il avait quitté Saint-Sulpice auquel les liens les plus étroits l’attaclièrent toujours, et il s’était installé chez le marquis Antoine de Fénelon, qui jouissait d’un appartement dans l’abbaye de Saint-Germain. Un autre oncle du même nom lui résigna en 1681 le prieuré de Carenac, bénéfice d’un revenu de 3 000 à 4 000 livres, le seul que Fénelon ait possédé jusqu’à l’âge de quarante-quatre ans.

Grâce au marquis Antoine, l’abbé de Fénelon avait connu le duc de Beauvilliers qui lui fut si cher jusqu’à la fin, et Bossuet avec lequel il se lia d’une étroite amitié que la différence des âges et des situations tempérait d’une nuance de respect et de docilitéPhélipeaux, dans sa Relation de l’origine et des progrès du quiétisnie, nous l’a dépeint obséquieux envers son illustre ami, prodigue même d’éloges qui faisaient rougir Bossuet ; mais Phélipeaux est un ennemi (sa conduite et son insidieux récit l’ont bien montré) ; s’il n’a pas inventé tous les détails qu’il raconte, il les a exagérés ou mal interprétés. Une admiration sincère et très légitime, exprimée en termes peut-être enthou—, siastes par un jeune méridional qui désirait et qui savait plaire (ce fut là une des ressources et aussi un des faibles de Fénelon), a paru de la flatterie à l’abbé retors qui, lui, flattait l’évêque de.Meaux sans grâce, mais non sans liabileté.

C’est vraisemblablement sous l’inspiration de Bossuet que Fénelon écrivit la Réfutalion du système de Mcdebranche, laquelle n’a été pubKée qu’en 1820. Fénelon combat l’opt’misme de.Malebranche par la réduction à l’absurde, et par une démonstration directe de l’incompatibilité de la liberté divine avec ce système. « C’est un chef-d’œuvre de dialectique et de raison que cette réfutation, a dit Ollé-Laprune. Fénelon est à l’aise dans les plus ardues spéculations. Sans tomber, comme Arnauld, en d’interminables disputes, il excelle à retourner dans tous les sens un principe, et il ne clôt la discussion qu’après l’avoir épuisée… » La philosophie de Malebranche, part. II, c. i, 4, Fénelon cl la réfutation de l’optimisn-te. Fénelon l’épuisé trop quelquefois : > Dans ce débat, connue plus tard dans l’affaire du quiétismc, il laisse percer çà et là cette extrême subtilité, excellente sans doute pour trouver le joint d’un sophisme, mais qui fait souvent perdre à la vérité quelque chose de sa force et de sa grandeur… Ce n’est pas la grande manière de Bossuet, chez qui la réfutation est presque toujours précédée d’une savante et lumineuse exposition. Fénelon commence par réfuter ; il déploie les ressources infinies de sa dialectique, il presse à outrance son adversaire, et quand il vient à la partie dogmatique de la tlièse, tout plein encore de la chaleur du combat, il ne procède pas avec ce calme, cette mesure, cet ordre enfin, sans lequel, comme le remarque saint Augustin, il est si facile de s’égarer dans les hautes régions de la théodicée. Ces défauts n’ont pas échappé au regard si ferme de Bossuet… » P. Charles Daniel, De l’optimisme en philosophie et en tliéologie, dans les Éludes de philosophie, de théologie cl d’histoire, septembre 1859.

Conversion des protestants. — Vers ce même temps, préoccupé comme toute la France du retour des protestants à l’unité catholique, et des moyens de la fac.liter, Fénelon écrivit son Traité du ministère des pasteurs. Il y développe la thèse de la nécessité et de l’existence d’une autorité publique, remontant aux apôtres par une succession ininterrompue, et chargée par le Sauveur de maintenir dans la vraie foi le peuple clirétien. Cette autorité, les ministres protestants ne l’ont pas, l’élection populaire n’a pu la leur donner. .vec une érudition solide, avec une claire argumentation, l’abbé de Fénelon explique des textes patristiques que le protestantisme, que le richérisnie aussi avaient en vain allégués. Ces travaux de contre vers _ l’avaient préparé à de difficiles devoirs. Après avo’.r prononcé au cours de 1685 ce sermon pour la fête de l’Epiphanie, dont on a signalé, non sans quelque ironie peut-être, les somptuosités oratoires, mais dont on ne saurait inéconnaîtrc l’accent vraiment apostolique ( « cjne chacun de ceux qui sont libres se dise : Malheur à moi si je n’évangélise, etc. » II partie), durant l’année 1686, de concert avec les abbés de Langeron, Claude Fleury, Bertier, futur évêque de Blois, et Miloii, futur évêque de Condom, Fénelon fut envoyé dans les provinces de l’ouest. Il fallait essayer de convertir ces protestants de la Saintonge et du Poitou, naguère atteints par la révocation de l’édit de Nantes, et frémissants encore de colère. Quelle conduite le directeur des Nouvelles catholiques a-t-il tenue dans une telle entreprise ? Le xviii’e siècle avait imaginé un Fénelon apôtre de cette tolérance qui, aux yeux de’oltaire, de Marie-Joseph de Chénier, de Laharpe encore incrédule, n’était que l’indifTérence religieuse ; (le nos jours, au Fénelon d’une légende justement discréditée, on en a substitué un autre, instigateur et complice d’impitoyables rigueurs. Incontestablement, l’abbé de Fénelon ne blâmait point l’acte décrété par Louis XIV ; sur ce point, il était d’accord avec presque toute la France, avecBussy-Habutinet M"’<’deSévigné, avec Arnauld et Quesnel fugitifs dans les Pays-Bas. (1 II ne demandait nullement que l’autorité renonçât à faire sentir son empire sur les nouveaux convertis ; au contraire, < il est important, disait-il, que ceux qui « ont l’autorité la soutiennent. » Il veut même que l’on ait soin de joindre aux secours de la persuasion clirétienne la vigilance contre les désertions et la rigueur des peines contre les déserteurs. » Paul Janet, Fénelon, c. I. Mais pour Fénelon, de telles mesures, dont toute l’Europe protestante était coutumière dès longtemps — les souverains de l’Angleterre et des pays Scandinaves n’ont jamais eu à révoquer un édit de Nantes, car ils n’en avaient accordé aucun — les mesures de rigueur, sont insuffisantes ; seules, elles peuvent aisément devenir désastreuses. « Il faut tendre, écrivait-il au fds de Colbert, le marquis de Seignelay, à faire trouver aux peuples autant de douceur à rester dans le royaume, que de péril à entreprendre d’en sortir » (S mars 1686). Fénelon sait ce que valent les conversions forcées : « Dans la situation où je vous représente les esprits, il nous serait facile de les faire tous confesser et communier, si nous voulions les en presser, et faire honneur à nos missions. Mais quelle apparence de faire confesser ceux qui ne reconnaissent point encore la vraie Église, ni sa puissance de remettre les péchés ? Comment donner Jésus-Christ à ceux qui ne croient point le recevoir ? » Lettre à Seignelay, 26 février 1686. Le vrai, le seul moyen de convertir, ce sont les moyens qui ont toujours été employés par les apôtres ; ceux qu’en ce même temps Bourdaloue employait dans sa mission du Languedoc et des Cévennes. A des populations ignorantes et aigries par les maux qu’elles souffrent, il faut qu’on enseigne la doctrine catholique dans sa simplicité, « avec une autorité douce et insinuante. » Il faut des missionnaires zélés pour commencer l’œuvre des conversions ; pour la continuer et pour l’affermir, il faut de bons curés. « Les jésuites (que Fénelon avait eus pour collaborateurs) connnencent bien ; mais le plus grand besoin est d’avoir des curés édifiants quisachent instruire. Lespeuples nourris dans l’hérésie ne se gagnent que par la parole. L’n curé qui saura expliquer l’Évangile afïectueusement, et entrer dans la confiance des familles, fera toujours ce qu’il voudra. Sans cela, l’autorité pastorale, qui est la plus naturelle et la plus efficace, demeurera toujours avilie avec scandale. Les peuples nous disent : Vous n’êtes ici qu’en passant, c’est ce qui les empêche de s’attacher entièrement à nous. La religion, avec le pasteur qui l’enseignera, prendra insensiblement racine dans les cœurs » (à Seignelay, 6 mars 1686). Fénelon demande aussi la diflusion, parmi les protestants, d’ouvrages orthodoxes. « Il nous faudrait une très grande quantité de livres, surtout de Nouveaux Testaments (sans doute, la traduction du P. Amelote), car on ne fait rien, si on n’ôte les livres hérétiques ; et c’est mettre les gens au désespoir, que de les leur ôter, si on ne donne à mesure qu’on ôte » (à Seignelay, 26 février 1686) ; il demande la création d’écoles pour les deux sexes ; il appelle des apôtres. « N’y aura-t-il pas des prêtres qui fassent pour la vérité ce que ces malheureux (les ministres protestants) ont fait efficacement pour l’erreur ? M. de Saintes est bien à plaindre, dans ses bonnes intentions, d’avoir un grand diocèse où le commerce et l’hérésie font que peu de gens se destinent à être prêtres (â Seignelay, 8 mars 1686).

La retraite et l’éducation des filles. — De retour à Paris, Fénelon rendit compte à Louis XIV de l’état dans lequel il avait laissé les provinces de l’ouest, et reprit la direction des Nouvelles catholiques. Il semblait devoir la garder longtemps. La malveillance de l’archevêque de Paris, Harlay, l’avait écarté de l’évêché de Poitiers qui lui était destiné ; un peu plus tard, d’invraisemblables soupçons de jansénisme empêchèrent l’évêque de La Rochelle d’obtenir pour coadjuteur le jeune prêtre en qui vivait cependant la doctrine sans tache de M. Tronson et le pur esprit de Saint-Sulpice. Tel est du moins le récit deBausset " qui utilise souvent, comme on sait, des documents encore inédits ou aujourd’hui perdus. » Maurice Masson, Fénelon et M™ » Gmjon, p. 90. Il se peut que Fénelon lui-même ait refusé des postes cju’on lui offrait ; mais dans la lettre xxxvi"’du recueil Masson dont nous parlerons plus tard, est-on autorisé à découvrir des raisons de diplomatie supérieure’} « Si l’on me nommait à un cvêché, demande Fénelon, ne pourrais-je pas, sans blesser l’abandon (à la volonté divine), refuser, supposé que je sois manifestement attaché ici (la maison des Nouvelles catholiques) à un travail actuel pour des choses plus importantes que toutes celles que je pourrais faire dans un diocèse ? »

Durant ses années de laborieuse retraite, il écrivit, à la demande de la duchesse de Beauvilliers, son Traité (le l’éducation des filles. Certes, des jeunes filles il ne veut point faire des pédantes ; plus d’un de nos contemporains le trouverait même bien réservé, bien timide, dans le choix des études qu’il permet aux femmes. Fénelon trace cependant aux studieuses curiosités de la femme un programme assez étendu. « Il ne se borne pas aux éléments de la grammaire et du calcul : il pousse jusqu’aux notions de droit, en sorte que la femme éloignée de son mari ou devenue veuve puisse suivre ses intérêts. Pour celles qui ont du loisir et de la portée, non seulement il autorise les histoires grecque et romaine qui étaient en usage, mais il recommande l’histoire de France qui n’avait pas place encore dans les études des jeunes gens… Il n’interdit enfin ni l’éloquence, ni la poésie, ni la peinture, ni même le latin. » Octave Gréard, L’éducation des femmes par les femmes. Il veut que la femme soit sérieusement et pratiquement chrétienne, préservée des spéculations stériles ou périlleuses, appuyée sur la connaissance de l’histoire, car « la religion est une histoire et doit être enseignée historiquement, » c. vi : capable enfin de saisir et même d’exposer les preuves qui accréditent le christianisme et l’Église catholique devant la raison et devant la conscience.

Préceptorat des enfants de France. — Une nomination éclatante tira Fénelon de la demi-obscurité, de l’oubli dans lequel, d’après une remarque moqueuse de M. de Harlay, il paraissait se complaire. Le 17 août 1689, le duc de Beauvilliers, gouverneur du duc de Bourgogne depuis la veille, proposa et fit agréer au roi l’abbé de Fénelon pour précepteur des enfants de France. Des amis puissants, Beauvilliers, Bossuet, M"n= de Maintenon qui le goûtait alors, avaient agi pour lui, mais rien ne prouve que l’abbé de Fénelon ait essayé de se pousser à un tel emploi. Saint-Simon l’accuse d’une ambition qui aurait tour à tour cherché inutilement des appuis chez les jésuites, chez les jansénistes, et il ajoute qu’il se serait rabattu sur Saint-Sulpice. » En règle générale, dit Brunetière, il est toujours prudent de commencer par ne pas croire Saint-Simon. » Manuel de l’histoire de la littérature française, 1898, p. 246. Il n’avait que vingt-deux ans en 1097, lorsque l’archevêque de Cambrai quitta Versailles pour n’y jamais revenir. D’ailleurs, quelles preuves Saint-Simon allègue-t-il de ses assertions ? Assurément, l’ambition imputée à Fénelon aurait été mal avisée de demander des secours à une Compagnie chez laquelle l’injurieux duc et pair se plaît à signaler « l’ignorance, la petitesse des pratiques, le défaut de protection, le manque de sujets de quelque distinction. >

Les félicitations de Saint-Sulpice furent empreintes d’une tristesse inquiète, même sévère.’> En vérité, écrivait Tronson à son élève, votre poste est bien dangereux ; et avouez de bonne foi… qu’il faut une vertu bien consommée pour s’y soutenir… Vos amis vous consoleront peut-être sur ce que vous n’avez pas recherché votre emploi…, mais il ne faut pas trop vous appuyer là-dessus. On a souvent plus de part à son élévation qu’on ne pense. » L’accent de_Bossuet est autre que celui de Tronson ; il exprime la joie du maître qui se retrouve dans son disciple, et de l’ami qui sent revivre dans le neveu devenu précepteur des princes un oncle toujours regretté. Lettre à la marquise de Laval, 19 août 1689.

Les trois fils du dauphin, les ducs de Bourgogne, d’Anjou et de Berri, étaient confiés à Fénelon, mais c’est surtout l’aîné, héritier de la couronne, qui appelait l’attention de la France et méritait les soins du précepteur. On sait le portrait que Saint-Simon a tracé du jeune prince ; après une peinture dont certains traits conviennent à Néron, l’inimitable mémorialiste ajoute : « De cet abîme sortit un prince affable, doux, humain, modéré, patient, pénitent, etc. » Fénelon avait ainsi fait un miracle ; mais ce miracle, Saint-Simon l’exagère non par sympathie pour le précepteur, mais pour relever un prince sur le règne duquel il fondait tant d’espérances. « La plupart des traits dont se compose la première partie de ces peintures… ne peut évidemment se rapporter à un enfant, mais à un jeune homme de dix-huit ans pour le moins. Or, le duc de Bourgogne n’a que sept ans lorsque Fénelon devient son précepteur. S’il était à dix-huit ans tel que le peint Saint-Simon, il s’ensuivrait que les dix premières années des leçons de Fénelon n’ont servi absolument à rien ; et cela, justement dans la période où un enfant est le plus capable de se transformer… Ce qui augmente encore la difficulté, c’est que, lorsque le duc de Bourgogne a dix-huit ans (l’âge auquel peut convenir le portrait trace par Saint-Simon), nous sommes en 1700 ; et depuis le 17 août 1697, Fénelon est exilé dans son diocèse ; sans compter que, pendant les deux années qui ont précédé, il n’a passé qu’un trimestre par an auprès de son élève. En sorte que cette miraculeuse transformation d’une espèce de monstre en une espèce d’ange, Fénelon l’aurait opérée absent et de loin. » Jules Lemaître, Fénelon, leçon ive. La vérité, c’est que, par des soins intelligents, assidus, infatigables, d’un adolescent extrêmement orgueilleux, follement violent, fantasque à l’excès, Fénelon lit le prince irréprochable dont la France espérait tant et qu’elle a tant regretté.

Cette éducation dont la sévérité etîraierait la mollesse contemporaine (les jeunes princes déjeunaient de pain sec et ne buvaient que de l’eau rougîe), mais qui ne connut pas les rigueurs de ce fouet que Montausier prodiguait au grand-dauphin son élève, fut profondément religieuse, elle fut aussi très littéraire. Le duc de Bourgogne lisait l’Écriture et en particulier les livres sapientiaux ; il ajoutait à ces lectures un choix de lettres de saint Jérôme, de saint Augustin, de saint Cyprien, de saint Ambroise. Dans sa Lettre sur les occupations de l’Académie françaiseprojet de poétique — Fénelon rappelle l’étonnante précocité de son élève, les inquiétudes que lepérîl de Joas, et même les larmes que la douleur d’Orphée, une dernière fois séparé d’Eurydice, avaient coûtées à l’enfant, lecteur charmé de Racine et de Virgile. L’histoire tenait aussi dans cette éducation une large place ; nous le savons par ces Dialogues des morts, que le précepteur composait au fur et à mesure que le prince avançait dans la connaissance des auteurs et des faits historiques ; nous le saurions sans doute par cette Vie de Charlemagne, œuvre de Fénelon, laquelle périt probablement, en février 1697, dans l’incendie du palais archiépiscopal de Cambrai. Le Télémaque aussi, qui doit dater des années 1693, 1691, fut écrit pour l’éducation du duc de Bourgogne. Lorsqu’en 1099, au lendemain de la condamnation des Maximes des saints, le Télémaque parut par l’indiscrétion d’un copiste, les mécontents, nombreux en France, et l’Europe y virent une satire de Louis XIV et de son gouvernement ; de là, une partie du succès de ce livre. Dans cette œuvre, où une pensée chrétienne se dissimule sous des symboles empruntés à Homère et à Virgile, et où le lettré peut, avec Chateaubriand, admirer, connue dans toutes les autres œuvres du même écrivain, des longueurs et des lenteurs de grâces (c’est Chactas qui parle ainsi dans les Natelie :), on ne cherchera pas les plans politiques de Fénelon (Mentor s’y souvient trop quelquefois des théories antiques qui sacrifiaient l’individu et la famille à l’État) ; mais on rencontre l’esprit de gouvernement qu’il voulait inspirer à son élève. Jusqu’à la fin, Fénelon a déclaré qu’il n’avait jamais eu l’intention de peindre et de critiquer Louis XIV. « Pour Télémaque, écrivait-il au P. Le Tellicr, … je l’ai fait dans un temps où j’étais charmé des marques de confiance et de bonté dont le roi me comblait. Il aurait fallu que j’eusse été non seulement l’homme le plus ingrat, mais le plus insensé pour y faire des portraits satiriques et insolents. J’ai horreur de la seule pensée d’un tel dessein. » Au P. Le Tellier, Fragments d’un Mémoire sur les affaires du jansénisme, et sur quelques autres affaires du temps, 1710.

Laissons le duc d’Anjou qui porta sur le trône d’Espagne un regrettable mélange d’étroits scrupules et de vertus royales, et le duc de Berri qui n’eut que peu de temps Fénelon pour maître. On s’est demandé si, malgré des soins assidus, malgré des qualités rares auxquelles Saint-Simon a rendu un hommage presque attendri, le duc de Bourgogne a été le prince modèle, et s’il eût été le roi idéal que Fénelon s’était appliqué à former. Depuis plus d’un demi-siècle, l’histoire a jugé avec sévérité l’élève et le maître, le maître plus encore que l’élève. On a reproché au maître de n’avoir corrigé son élève qu’en le matant, on s’est même effrayé par avance d’un règne qui n’a point commencé. S. de Sacy, supposant que le duc de Bourgogne devenu roi eût fait de son ancien maître un premier ministre, écrit : « Avec Fénelon à Versailles, jamais le duc de Bourgogne n’eût pu être que le sujet et l’élève… Peut-être vaut-il mieux pour tout le monde que Fénelon soit resté un grand évêque exilé, le duc de Bourgogne un jeune prince enlevé à l’amour de la France. » Variétés littéraires, morales et historiques, t. i, p. 64-65. Mieux cependant eût valu sur le trône le duc de Bourgogne que Louis XV ; mieux eût valu Fénelon premier ministre, même parfois trop autoritaire ou trop minutieux, que le régent, Dubois, le duc de Bourbon, voire le cardinal Hercule de Fleury.

Fénelon à l’Académie. — C’est durant son préceptorat, et comme précepteur des enfants de France, que Fénelon fut élu membre de l’Académie française, où il fut reçu par Bergeret en remplacement de Pellisson (31 mars 1093). C’est aussi au temps de son préceptorat qu’il écrivit cette lettre anonyme à Louis XIV dont l’authenticité est incontestable. « On voit, par le contexte, qu’elle a dû être écrite au plus tôt en 1691, après la mort du marquis de Louvois, et au plus tard en 1695, avant la mort de M. de Harlay, archevêque de Paris. » Gosselin, Histoire littéraire de Fénclon. part. I, a. 6, sect. m. Le ton de cette lettre est dur ; tous les reproches ne sont pas justinés. Est-il vrai que ceux qui avaient élevé Louis XIV lui aient donné « la crainte de tout mérite éclatant ? » Mais Louis XIV avait compris Turenne, distingue le bourgeois Colbert, admiré hossuet, choisi Fénelon lui-même. Les ministres sont jugés avec une sévérité qui exclut toute justice. Colbert n’avait écarté ni Duquesne ni Vauban ; Louvois n’avait pas écarté Vauban, Catinat, Schonberg. C.Gaillardin. Histoire de Louis A’7V, t. v, p. 444 sq. Ce qu’il faut louer dans cette lettre, c’est la peinture émue que l’auteur y trace des maux de la France, afm d’amener le roi à y remédier. Elle montre l’esprit que le précepteur avait porté à la cour, et l’indépendance qui lui était laissée dans ses fonctions. < Ce ne fut point recueil de sa fortune, » dit Paul Janet, employant un mot Ijicn iirofane. L’écueil fut l’affaire du quiétisme.

Le (jiiiétisme. — Le prêtre aragonais Michel de Molinos avait répandu dans le royaume de Naples tles doctrines qui, retranchant de l’âme tout effort, tout acte, toute résistance aux convoitises de sa partie inférieure, toute espérance de la béatitude promise, toute réflexion sur elle-même, sur l’humanité sainte du Sauveur, sur les attributs de Dieu, sur le mystère de la Trinité, la plongeaient tout entière dans la contemplation de l’essence divine, où elle était censée trouver une pleine quiétude. La constitution d’Innocent XI, Cxlestis paslor (20 novembre 1687), condamna soixante-huit propositions de Molinos ; mais si les pires conséquences de ce qu’on appelait la quiétisine furent rejetées ou n’osèrent plus s’avouer, un quiétismc, adouci sans doute et épuré, allait s’introduire en France dans les ouvrages et par l’influence d’une femme.

Heanne Rouvier de la Motte, veuve de Guyon qui entreprit le canal de Briare, s’était donnée à la pratique des bonnes œuvres avec un dévouement qui lui valut l’estime des évêques de Genève (d’Arenthon) et de Verceil. A ses débuts, on a signalé chez elle des dons éminents, abbé Gombault, M’°^ Guyon, 1910, mais à des vertus que contestèrent la prévention ou la calomnie, elle joignait une imag. nation ardente, qu’exalta encore la direction du barnabite Lacombe. lille écrivit divers livres, étranges par le langage, par la doctrine, par les prophéties qu’ils contiennent : Moyen court de faire oraison ; Explication du Cantique des cantiques, etc. En 1687, l’archevêque de Paris, Harlay, lit emprisonner Lacombe qui (levait mourir fou en 1699, après avoir souscrit, l’année précédente, d’infamants aveux arrachés par la contrainte. M"’^ Guyon, sortie d’une détention de huit mois au couvent de la Visitation Saint-Antoine où elle avait été enfermée par ordre royal, était à cette date (1687) patronnée par d’illustres amitiés. M "> « de la Maisonfort, sa parente, la duchesse de Charost, M’"<^ de Miramion, le duc et la duchesse de Beauvilliers professaient pour elle une affectueuse estime. M""^ de.Maintenon l’avait introduite à Saint-Cyr où sa doctrine était goûtée. Cette doctrine, nous allons la résumer. D’après M « ’» Guyon, même dans la vie présente, la perfection de l’iiomme consiste en un acte continuel de contemplation et d’amour de Dieu, lequel, une fois produit, subsiste toujours à moins qu’on ne le révoque expressément. Il suivait de ce principe qu’une âme arrivée à la perfection n’est plus obligée aux actes explicites, distincts (le l’acte de charité. Dans cet état de perfection, l’âme doit être indilTérente à toutes choses, aux biens spirituels et au salut autant qu’aux biens temporels. Dans eet état aussi, l’âme doit rejeter toute idée distincte et par conséquent même la pensée des attributs de Dieu et des mystères de Jésus-Christ.

C’est en octobre 1688 que Mme Guyon se rencontra au château de Beynes, près de Versailles, chez la duchesse de Charost, avec Fénelon. Ils ne s’entendirent pas tout de suite. Le futur archevêque était « trop accoutumé à se servir de sa raison, » connue le lui reproche M’"^ Guyon, pour accepter tout de suite une doctrine que recommandait médiocrement le passé errant de la prophétesse. Les affinités de son âme tendre et parfois subtile l’attirèrent cependant vers une doctrine dans laquelle il croyait reconnaître l’enseignement d’écrivains chers à l’Église. Il éprouva pour Mme Guyon une sympathie et une admiration qu’il n’a jamais désavouées. « Je l’estimai beaucoup, écrivait-il ; je la crus fort expérimentée et éclairée dans les voies intérieures, quoiqu’elle fût très ignorante..le crus apprendre plus sur la pratique de ces voies en examinant avec elle ses expériences, que je n’eusse pu faire en consultant des personnes fort savantes, mais sans expérience pour la pratique. » Réponse à la Relation sur le quiétisme, c. i, n. 5. Et à l’abbé de Chanterac qui le représentait à Rome, il mandait : « Pour M « ’» Guyon, ne craignez point de dire qu’en croyant toujours ses livres censurables, ne connaissant point ses visions et ne doutant jamais de ses mœurs, je l’ai estimée, révérée comme une sainte, et crue très expérimentée sur l’oraison » (6 septembre 1698). Fénelon n’est-il pas allé plus loin ? n’a-t-il pas accepté la direction de cette femme, dont sans doute il juge les ouvrages dignes de censure, faute d’une tliéologie sullisante chez leur auteur, mais dont il loue la piété et l’expérience dans les voies de Dieu ? Il faut répondre par l’affirmation si l’on regarde comme authentiques les lettres attribuées à Fénelon par le pasteur vaudois Philippe Dutoit, qui les publia en 1767-1768, et qu’a rééditées en 1907, avec un soin scrupuleux et une rare érudition, AI. Maurice Masson, professeur de littérature française à l’université de Fribourg en Suisse. M. Gosselin les avait écartées de son édition des Œuvres complètes de l’archevêque de Cambrai. Aux yeux du savant sulpicien, l’absence d’esprit critique chez Dutoit, son enthousiasme pour II""= Guyon, les contradictions manifestes que l’on signale entre cette correspondance et les écrits publiés par Fénelon, rendent irrecevable le témoignage du pasteur vaudois. L’excellent abbé Ciosselin, dit M. Maurice Masson, aurait passé outre si ces textes nouveaux lui avaient paru dignes de leur auteur. Mais — et c’est pour lui l’argument décisif qu’il indique en manière de conclusion — cette correstioiidance… aurait déparé l’austère élégance du Fénelon idéal qu’il se plaisait à reconstituer. Donner à son héros une position qu’il jugeait ridicule l’aurait fait souffrir… » Introduction, p. xviii. De fait, si, comme de bons juges le pensent, la correspondance éditée par M. Maurice Masson après Dutoit est authentique, Fénelon en sort amoindri. On s’afflige des puérilités auxquelles se complaît l’ami de.M’"" Guyon, des rêves qu’elle lui raconte, des projets ciu’elle lui e.xpose. Une telle amitié, surtout telle qu’elle ressort du recueil de Dutoit, a été nuisible à son autorité ; elle nuit encore â sa mémoire ; mais lui a-t-elle servi à quelque chose, sinon à provoquer dans son âme, après sa condamnation, une humiliation bienfaisante ? On a écrit qu’avant sa rencontre avec cette femme, Fénelon avait été « un abbé mondain, presque précieux, » et que M""’Guyon lui avait communiqué le recueillement et le goût de Dieu. De celui, dit-on encore, qui sans elle n’aurait été qu’un homme d’esprit, cette demi-sainte, demifolle, a fait un type d’humanité. A de telles assertions, M. Gosselin n’eût pas souscrit, et, j’en suis sûr, il en est beaucoup qui, peut-être sans pousser aussi loin que ce vénérable sulpicien le culte de Fénelon, ne souscriraient point^non^plus. Que, d’après Brunetière, les i lettres de la jeunesse de Fénelon soient « marquées | aux signes de la préciosité ; » la préciosité est un défaut ! littéraire qui ne nuit pas plus à la piété, que les jeux de mots de saint Pierre Clirysologue (l’expression est de Fénelon lui-même, Letire sur les occupations de l’Académie française, 4), que les subtilités de saint Augustin, mêlées à tant de traits sublimes ou touchants, n’ont nui à la sainteté de ces éminents personnages. Quant au reproclie de mondanité, sur quoi le fonde-t-on ? Élève de ce Saint-Sulpice auquel il fut « toute sa vie dévoué avec un véritable attendrissement de cœur » (lettre à M. Leschassier, 2’2 mars 1706), dont il a tant goûté « l’esprit de simplicité et l’cloignement du siècle » (ibid.), il n’a donné à personne le droit de soupçonner qu’il lui ait jamais été infidèle. Nous avons remarqué l’esprit de zèle qui éclate dans ce sermon pour la fête de l’Epiphanie (6 janvier 168C), antérieur de trois ans à sa première rencontre avec M""^ Guyon. Et de ce règlement de vie, rédigé avant 1683, vraisemblablement pour la duchesse de Beauvilliers, dira-t-on que la piété est absente ?

Godet des Marais, évêque de Chartres, dans le diocèse duquel était située la maison de Saint-Cyr, pré, lat instruit et pieux, inquiéta M""-’de Maintenon sur les idées de M""-’Guyon. Tronson et Bourdaloue partageaient les craintes de l’évêquc de Chartres. Fénelon engagea ÎM"" Guyon à soumettre sa doctrine à Bossuet ; celle-ci remit à l’évêque de Meaux sa Vie écrite par elle-même. Bossuet, avec cette ironie grave où il excelle, en cite des fragments dans sa Relation sur le quiélismc. Il crut avoir désabusé M""^ Guyon, et il s’efforça de désabuser Fénelon, lequel, trop porté à confondre la doctrine du pur amour avec des erreurs qui la compromettraient s’il était possible, excusait les inexactitudes de langage d’une femme ; à propos des grâces extraordinaires qu’elle prétendait avoir reçues, il rappelait saint Paul contraint par les nécessités de son ministère à faire son propre éloge, et disait avec l’apôtre qu’il faut éprouver les esprits. M""= Guyon demanda des juges, mi-partie ecclésiastiques et laïques, on ne lui accorda que des juges ecclésiastiques ; c’étaient Bossuet, Noailles, évêque de Châlons, et le supérieur général de Saint-Sulpice, M. Tronson. Entre eux, du 10 juillet 1(594 au 10 mars 1695, non sans des interruptions que nécessitaient les fonctions épiscopales de Bossuet et de Noailles, se tinrent, dans la maison de campagne du séminaire de Saint-Sulpice, les célèbres conférences d’issy, destinées : marquer les limites de la vraie et de la fausse mysticité. Fénelon s’engageait beaucoup, lorsqu’il écrivait à Bossuet : « …Je suis dans vos mains comme un petit enfant…’Quand même ce que je crois avoir lu me paraîtrait plus clair que deux et deux font quatre, je le croirais encore moins clair que mon obligation de me défier de mes lumières, et je leur préférerais celles d’un évêque tel que vous… » Lettre du 28 juillet 1694. Il ajou^tait : « Je tiens trop à la tradition pour vouloir en arracher celui qui en doit être la principale colonne en nos jours… » Cette confiance en Bossuet faiblit le jour où Fénelon s’aperçut que l’évêque de Meaux, en qui revivait toute la tradition des premiers siècles, n’avait jamais lu saint François de Sales ni saint Jean de la Croix. Réponse à la Relation sur le quiéiisme, c. II, n. 18. D’ailleurs, dès à présent, il fait, sous la forme la plus liumble, des réserves qui atténuent singulièrement ce qui précède. « Quoique mon opinion sur l’amour pur et sans intérêt propre ne soit pas conforme à votre opinion particulière, vous ne laissez pas de permettre un sentiment qui est devenu le plus .commun dans toutes les écoles, et qui est manifeste.nient celui des auteurs que je cite. »

II. L’archevêque de Cambrai. — 1° Nomination. — Un événement considérable allait changei" la vie de Fénelon, et faire d’un disciple docile, même trop docile du moins en paroles, l’égal de son maitre. La mort de M. de Bryas laissait vacant l’archevêclié de Cambrai. En vertu d’un induit d’Innocent XII (car le concordat de 1516 s’appliquait seulement aux provinces qui, à cette date, composaient le royaume de France), Louis XIV y appela l’abbé de Fénelon. Cet cvêche ck campagne, comme le nomme dédaigneusement SaintSimon, conférait à l’élu les titres de duc de Cambrai et de prince du Saint-Empire ; il lui valait un revenu de 200 000 livres. Cambrai enfin, en voie directe, n’était qu’à 35 lieues de Paris ; le nouvel archevêque pouvait donc entretenir avec ses élèves et avec la cour des relations assez fréquentes. Désireux de garder Fénelon comme précepteur des jeunes princes, Louis XIV lui avait dit : « Les canons ne vous obligent qu’à neuf mois de résidence ; vous ne donnerez à mes petits-enfants que trois mois, et vous gouvernerez de Cambrai leur éducation pendant le reste de l’année, comme si vous étiez à Versailles. » Fénelon, pourvu d’un archevêché dont les amples revenus suffisaient, et au delà, à toutes les exigences de sa charge, se démit de l’abbaye de Saint— Valéry qui lui avait été conférée en 1694. Nous le verrons même offrir pour les besoins île l’État l’abandon tle sa pension de précepteur des enfants de France Le roi loua le procédé et ne voulut pas en profiter.

2° Continucdion des con/crences d’Issij. — Nommé à l’archevêché de Cambrai, Fénelon fut associé aux conférences d’issy. Trente articles avaient été rédigés. Nous les donnons.

1° Tout chrétien en tout état, quoique non à tout moment, est obligé de conserver l’exercice de la foi, de l’espérance et de la charité, et d’en produire les actes coimiie de trois vertus distinguées (distinctes).

2° Tout chrétien est obligé d’avoir la foi explicite en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, rémunérateur de ceux qui le cherchent, et en ses autres attributs également révélés, et à faire des actes de cette loi en tout état, quoique non ù tout moment.’.i° Tout chrétien est pareillement obligé à la foi explicite en Dieu Père, Fils et Saint-t2sprit, et à faire des actes de cette foi en tout état, quoique non à tout moment.

4° Tout chrétien est de même obligé à la foi explicite en Jésus-Christ Dieu et homme, comme médiateur, sans lequel on ne peut approcher de Dieu, et à faire des actes de cette foi en tout état, quoique non ù tout moment.

5° Tout chrétien en tout état, quoicpio non à tout moment, est obligé de vouloir, désirer et demander explicitement son salut éternel, comme chose quc Dieu veut, et qu’il veut que nous voulions pour sa gloire.

6° Dieu veut que tout chrétien, en tout état, quoique non à tout moment, lui demande expressément la rémission de ses péchés, la grâce de n’en plus commettre, la persévérance dans le bien, l’augmentation des vertus, et toute autre chose requise pour le salut éternel.

7° En tout état, le chrétien a la concupiscence à combattre, quoique non toujours également ; ce qui l’oblige en tout état, quoique non à tout moment, à demander force contre les tentations.

8° Toutes ces propositions s)nt do la foi catholique, expressément contenues dans le symbole des apôtres, et dans l’oraison dominicale, qui est la prière commune et journalière de tous les enfants de Dieu ; ou même expressément définies par l’Église, comme celle de la demande de la rémission des péchés, et du don de persévérance, et celle du combat de la convoitise, dans les conciles de Carthage, d’Orange et de Trente : ainsi les propositions contraires sont formellement hérétiques.

9° Il n’est pas permis à un chrétien d’être iudilTérent pour son salut, ni pour les choses qui y eut rapport. La sainte indifférence regarde les événements de cette vie (à la réserve du péché) et la dispensation des consolations ou sécheresses spirituelles.

10" Les aetes mentionnés ci-dessus ne dérogent point à la plus grande perfection du christianisme, et ne cessent pas d’être parfaits pour être aperçus, pour u qu’on en rende grâces à Dieu, et qu’on les rapporte à sa gloire.

11° Il n’est pas permis au chrétien tVattendre que Dieu lui inspire ces actes par voie et inspiration particulière ; et il n’a besoin pour s’y exciter que de la foi qui lui fait connaître la volonté de Dieu signifiée et déclarée par ses commandements, et des exemples des saints, en supposant toujours le secours de la grâce excitante et prévenante. Les trois dernières propositions sont des suites manifestes des précédentes, et les contraires sont téméraires et erronées.

(Le 12'= et le 13' articles ont été ajoutés plus tard.)

14° Le désir qu’on voit dans les saints, comme dans saint Paul et dans les autres, de leur salut éternel et parfaite rédemption, n’est pas seulement un désir ou appétit indélibéré, mais, comme l’appelle saint Paul, une bonne volonté que nous devons former et opérer librement en nous avec le secours de la grâce, comme parfaitement conforme a ! r. volonté de Dieu. Cette proposition est clairement révélée, tt la contraire est hérétique.

15° C’est pareillement une volonté conforme à celle de Dieu, et absolument nécessaire en tout état, quoique non à tout moment, de vouloir ne pécher pas ; et non seulement de condamner le péché, mais encore de regretter de l’avoir commis, et de vouloir qu’il soit détruit en nous par le pardon.

16° Les réflexions sur soi-même, sur ses actes et sur les dons qu’on a reçus, qu’on voit partout pratiquées par les prophètes et par les apôtres, pour rendre grâces à Dieu de ses bienfaits, et pour autres fins semblables, sont proposées pour exemples à tous les fidèles, même les plus parfaits, et la doctrine qui les en éloigne est erronée et les approche de l’hérésie.

17° Il n’y a de réflexions mauvaises et dangereuses que celles que l’on fait sur les dons qu’on a refus pour repaître son amour-propre, se chercher un appui humain, ou s’occuper trop de soi-même.

18° Les mortifications conviennent à tout état du christianisme, et y sont sauvent nécessaires ; et en éloigner les fidèles, sous prétexte de perfection, c’est condamner ouvertement saint Paul, et présupposer une doctrine erronée et hérétique.

19° L’oraison perpétuelle ne consiste pas dans un acte perpétuel et unique qu’on suppose sans interruption, et qui ne doit jamais se réitérer ; mais dans une disposition et préparation habituelle et perpétuelle à ne rien faire qui déplaise à Dieu, et à faire tout pour lui plaire. La proposition contraire, qui exclurait en quelque état que ce fût, même parfait, toute pluralité et succession d’actes, serait erronée et opposée à la tradition de tous les saints.

20" Il n’y a point de traditions apostoliques que celles qui sont reconnues par toute l'Église, et dont l’autorité est décidée par le saint concile de Trente. La proposition contraire est erronée, et les prétendues traditions apostoliques secrètes seraient un piège pour les fidèles, et un moyen d’introduire toutes sortes de mauvaises doctrines.

21° L’oraison de simple présence de Dieu, ou de remise et de quiétude, et les autres oraisons extraordinaires même passives, approuvées par saint François de Sales et les autres docteurs spirituels reçus dans toute l’iiglise, ne peuvent être tenues pour suspectes sans une insigne témérité ; et elles n’empêchent pas qu’on ne demeure toujours disposé à produire en temps convenable tous les actes ci-dessi : s marqués : les réduire en actes implicites ou éminents en faveur des plus parfaits, sous prétexte que l’amour de Dieu les renferme tous d’une certaine manière, c’est en éluder l’obUgation, et en détruire la distinction qui est révélée de Dieu.

22° Sans ces oraisons extraordinaires, on peut devenir un très grand saint, et atteindre à la perfection du christianisme.

23° Réduire l'état intérieur et la purification de l'âme à ces oraisons extraordinaires, c’est une erreur manifeste.

24° C’en est une également dangereuse, d’exclure de fétat de contemplation les attributs, les trois personnes divines et les mystères du Fils de Dieu incarné, surtout celui de la croix et celui de la résurrection ; et toutes les choses qui ne sont vues que par la foi sont l’objet du chrétien contemplatif.

25° Il ii’est pas permis à un chrétien, sous prétexte d’oraison passive ou autre extraordinaire, d’attendre dans la conduite de la vie, tant au spirituel qu’au temporel, que Dieu le détermine â chaque acte par voie et inspiration particulière ; et le contraire induit à tenter Dieu, à illusion et à nonchalance.

26° Hors le cas et les moments d’inspiration prophétique on extraordinaire, la véritable soumission que toute âme

chrétienne, même parfaite, doit à Dieu, est de se servir des lumières naturelles et surnaturelles qu’elle en reçoit, et des règles de la prudence chrétienne, en présupposant toujours que Dieu dirige tout par sa providence, et qu’il est auteur de tout bon conseil.

27° On ne doit point attacher le don de prophétie, et encore moins l'état apostolique, ù un certain état de perfection et d’oraison ; et les y attacher, c’est induire à illusion, témérité et erreur.

28° Les voies extraordinaires, avec les marques qu’en ont données les spirituels approuvés, selon eux-mêmes, sont très rares, et sont sujettes â l’examen des évêques, supérieurs ecclésiastiques, et docteurs qui doivent en juger, non tant selon les expériences que selon les règles immuables de l'Écriture et de la tradition : enseigner et pratiquer le contraire est secouer le joug de l’obéissance qu’on doit à l'Église.

29° S’il y a ou s’il y a eu en quelque endroit de la terre un très petit nombre d'âmes d'élite, que Dieu, par des préventions particulières et extraordinaires qui lui sont connues, meuve à chaque instant de telle manière à tous actes essentiels du christianisme et aux autres bonnes œuvres, qu’il ne soit pas nécessaire de leur rien prescrire pour s’y exciter, nous le laissons au jugement de Dieu ; et sans avouer de pareils états, nous disons seulement dans la pratique, qu’iF n’y a rien de si dangereux, ni de si sujet â illusion, que de conduire les âmes comme si elles y étaient arrivées, et qu’en tout cas ce n’est point dans ces préventions que consiste la perfection du christianisme

30° Dans tous les articles susdits, en ce qui concerne la concupiscence, les imperfections, et principalement le péché, pour l’honneur de Notre-Seigneur, nous n’entendons pas comprendre la très sainte Vierge sa mère.

31° Pour les âmes que Dieu tient dans les épreuves, Job. qui en est le modèle, leur apprend à profiter du rayon qui revient par intervalles, pour produire les actes les plus explicites de foi, d’espérance et d’amour. Les spirituels leur enseignent à les trouver dans la cime et plus haute partie de 1 esprit. Il ne faut donc pas leur permettre d’acquiescer à leur désespoir et damnation apparente, mais avec saint François de Sales les assurer que Dieu ne les abandonnera pas.

32° Il faut bien en tout état, principalement en ceux-ci, adorer la justice vengeresse de Dieu, mais non jamais souhaiter qu’elle s’exerce sur nous en toute rigueur, puisque même un des effets de cette rigueur est de nous priver de l’amour. L’abandon du chrétien est de rejeter en Dieu toute son inquiétude, mettre en sa bonté l’espérance de son salut, et, comme l’enseigne saint Augustin après saint Cyprien, lui donner tout, iil toliim delnr Deo.

Lorsque les controverses provoquées par le quictisme se furent aigries, Bossuet se plaignit non sans hauteur du refus opposé par Fénelon. « Qu’avons-nous à dire ? deinanda-t-il. — Qu’il dissimulait ? Ou bien, qu'étant tout ce qu’il pouvait être, il est entré dans d’autres desseins, et l’a pris d’un autre ton ?… A quoi servent les raisonnements quand les faits parlent ? Ces faits montrent une règle et une raison plus simple et plus naturelle pour juger des changements de conduite ; c’est en ui> mot d'être archevêque ou de ne l'être pas… » Relation sur le quictisme, sect. v, 21, 22. De fait, la situation était changée ; l’archevêque de Cambrai était un autre personnage que l’abbé de Fénelon. Quatre articles furent ajoutés, qui complétaient la doctrine émise dans les propositions précédentes, et Fénelon consentit à souscrire le tout. Nous donnons ces articles conformément à l’ordre qu’ils occupent dans la déclaration d' Issy.

12° Par les actes d’obligation ci-dessus marqués, on ne doit pas entendre toujours des actes méthodiques et arrangés ; encore moins des actes réduits en formule et sous certaines paroles, ou des actes inquiets et empressas ; mais des actes sincèrement formés dans le cœur, avec toute la sainte douceur et simplicité qu’inspire l’esprit de Dieu.

13 " Dans la vie et dans l’oraison la plus parfaite, tous ces actes sont unis dans la seule charité, en tant qu’elle anime toutes les vertus, et en commande l’exercice, selon ce que dit saint Paul : La cliarile souffre ton', elle croit lotit, elle espère tout, elle soutient tout. Or on en peut dire autant des autres actes du chrétien, dont elle règle et prescrit les exer ! 149

FENELON

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ciccs distincts, quoiqu’ils ne soient pas toujours sensiblement et distinctement aperçus.

33° On peut aussi inspirer aux âmes pieuses et vraiment humbles une soumission et consentement à la volonté de Dieu, quand même, par une très fausse supposition, au lieu des biens éternels qu’il a promis aux âmes justes, il les tiendrait, par son bon plaisir, dans des tourments éternels, sans néanmoins qu’elles soient privées de sa grâce et de son amour, qui est un acte d’abandon parfait, et d’un amour pur, pratiqué par des saints, et qui le peut être utilement, avec une grâce très particulière de Dieu par les âmes vraiment parfaites, sans déroger à l’obligation des autres actes ci-dessus marqués, qui sont essentiels au christianisme.

34" Au surplus, il est certain que les commençants et les parfaits doivent être conduits, chacun selon sa voie, par des règles différentes, et que les derniers entendent plus haut et plus â fond les vérités chrétiennes.

Bossuet et Noailles avaient condamné les ouvrages de M""^ Guyon sans toutefois la nommer ; et Bossuet, rassuré par l’apparente soumission de cette femme qui s'était retirée dans son diocèse, l’admit aux sacrements et lui tlonna un certificat d’orthodoxie(l'"'^juillet 1695) dont elle devait abuser. Sortie secrètement de Meaux et cachée à Paris, elle répandit ses erreurs, et refusa d’abord la rétractation qu’exigeait Noailles, devenu archevêque. Après diverses captivités, elle fut mise en liberté le 21 mars 1703. C’est à Blois qu’elle mourut le ! t juin 1717. Nous allons voir à quel point Fénelon lui demeura obstinément fidèle.

Le 10 juillet 1695, l’archevêque de Cambrai avait été sacré à Saint-Cyr, dans la chapelle de Saint-Louis, en présence de ses royaux élèves et de M""' de Maintenon, par l'évêque de Meaux assisté des évêques de ( ; hâlons et d’Amiens. Bossuet, qui plus tard eut le tort de s’en défendre, avait manifesté le désir très légitime d’accomplir cet acte de paternité spirituelle. Quand il eut écrit, dans sa RcUdiun sur le qiiiélisim, t|u’il regardait depuis longtemps Fénelon comme imbu de cette erreur, l’archevêque de Cambrai lui denmnda pourquoi il avait été si empressé d’imposer les mains, sans rétractation préalable, à un fauteur d’hérésie ; et, pour rappeler un mot tristement célèbre, au Montan d’une autre Priscillc. Réponse à la Relation sur le quiélisme, c. iv.

Bossuet et Fénelon avaient tous deux souscrit les articles d’Issy ; mais les deux ouvrages qui parurent presque en même temps, V Inslruclion paslorale sur les états d’oraison, et l’Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, nmntrèrent que leurs auteurs ne les entendaient ni ne les interprétaient de la même manière. Bossuet publia en mars 1697 le premier traité de son Instruction paslorale sur les états d’oraison, où sont combattues les erreurs des nouveaux mystiques. I.c second traité, retrouvé et imprimé en 1897 par M. Levesque, de la Compagnie de Saint-Sulpice, donne les principes de l’oraison chrétienne.

Le traité publié par Bossuet comprend dix livres et se divise en deux parties. On y retrouve Bossuet tout entier avec sa plénitude de doctrine et son éloquence. Le côté faible, c’est qu’il ne discerne pas d’un clair regard le motif spécifique de la charité : la perfection souveraine aimée d’un amour qui n’exclut pas l’espérance, mais qui en fait abstraction ; sur ce point, Fénelon aura raison. « Pour Bossuet, a dit M. Levesque parlant du second traité, et cette remarque s’applique aussi au premier, l’amour de charité ne va pas sans l’amour de la béatitude dont le motif est essentiel à tous nos actes. » Instruction sur les états d’oraison, second traité, Introduction, 4. Les suppositions impossibles par lesquelles certains saints, dans un excès d’amour, renonçaient au salut, attirent peu Bossuet ; toutefois, sa connaissance et sou estime de la tradition le gardent de tout jugenient qui serait irrévérencieux et injuste. Bossuet avait communiqué à l’archevêque de Cambrai son manuscrit, et lui demandait une

approbation"qui eût mis en évidence l’accord des conférenciers d’Issy. Cette approbation, Fénelon la refusa ; il ne voulait ni adopter publiquement des idées qui toutes n'étaient pas les siennes, ni joindre son suffrage à la condamnation dont l'évêque de Meaux frappait les ouvrages de M""" Guyon. Voir lettre à M"'" de Maintenon, 7 mars 1696. « Plusieurs croiront, disait Bossuet, que ces livres (ceux de Falconi, de Molinos, de Malaval, de M™ « Guyon) ne méritent que du mépris, surtout celui qui a pour auteur François Malaval, un laïque sans théologie (sur Malaval, voir l’abbé Dassy, Malaval, l’aveugle de Marseille, dans les Mémoires de l’Académie de Marseille, 1868-1869), et les deux qui sont composés par une fenune, comme sont le Moyen court et facile et V Interprétation du Cantique des cantiques… »

De son côté, Fénelon avait composé VExplication des maximes des saints sur la vie intérieure. Par suite de l’indiscrète précipitation du duc de Chevreuse, le livre des Maximes parut dès février 1697, quarante jours avant VInstruction sur les états d’oraison. Au dire de Fénelon, l’ouvrage avait été revu et approuvé par Noailles, devenu archevêque de Paris, par Tronson et Pirot. Sur l’approbation donnée par ce dernier docteur, voir Charles Urbain, Revue d’histoire littéraire de la France, 15 avril-15 juillet 1896. Nous savons la médiocre estime où Fénelon tenait l’archevêque de Paris, « esprit court et confus. » Lettre au duc de Beauvilliers, 30 novembre 1699. Quant à Tronson, s’il ne blâme pas, il n’approuve point davantage ; le prudent sulpicien avoue qu’il a trouvé dans les Maximes « des endroits qui le passaient ; » il s’en rapporte au jugement de l’archevêque de Paris que Fénelon lui a dit favorable. De fait, l’archevêque de Cambrai entrait seul dans le champ de bataille.

Doctrine des Maximes des saints.

Nous allons

résumer le livre des Maximes d’après l’analyse que M. Gosselin en a donnée. Fénelon distingue d’abord cinq amours ou plutôt, comme il l’explique lui-même, cinq états différents d’amour de Dieu : 1° Vamour purement servile, qui aime Dieu pour des biens distincts de lui ; 2° l’amour de pure concupiscence par lequel on n’aime Dieu que comme l’instrument unique de félicité que l’on rapporte uniquement à soi ; 3° l’amour d’espérance dans lequel le motif de notre bonheur prévaut encore sur celui de la gloire de Dieu… Cet amour n’est pas entièrement intéressé, car il est mélangé d’un commencement d’amour de Dieu pour lui-même, mais le motif de notre propre intérêt est son motif principal et dominant ; J° l’amour intéressé, amour de charité mélangé de quelque reste d’intérêt propre, mais qui est le véritable amour justifiant, parce que le motif désintéressé y domine : 5° le pur amour ou la parfaite charité, « qui est une charité pure, et sans aucun mélange du motif de l’intérêt propre. Ni la crainte des châtiments, ni le désir des récompenses n’ont plus de part à cet amour. Ces paroles, remarque M. Gosselin, « renferment la première proposition condamnée par « le bref d’Innocent XII. « Après ces notions préliminaires, Fénelon divise son ouvrage en 45 articles. Chaque article renferme deux parties : la première, intitulée article vrai, expose la doctrine des vrais mystiques sur le pur amour ; la seconde, intitulée cu-ticle faux, montre les abus que l’on fait ou que l’on peut faire de la doctrine des saints… Toutes les erreurs qu’il (le livre) renferme peuvent, au jugement de Bossuet, Avertissement sur les écrits de M. de Cumbray, ii, se réduire à quatre principales : l^Il y a dans cette vie un état habituel de pur amour, dans lequel le désir du salut éternel n’a plus lieu. 2'>Dans les dernières épreuves de la vie intérieure, une âme peut être persuadée, d’une persuasion invincible et réfléchie, qu’elle est justement réprouvée de Dieu, et, dans cette persuasion

faire à Dieu le sacrifice absolu de son’bonheur éternel. 3° Dans l'état du pur amour, l'âme est indifférente pour sa propre perfection et pour les pratiques de vertu. 4° Les âmes contemplatives perdent, en certains étals, la vue distincte, sensible et réfléchie de JésusChrist… Pour comprendre dans cette analyse toutes les propositions du livre des Maximes condamnées par le bref d’Innocent XII, il faut ajouter deux autres erreurs à celles que nous avons exposées : loTous les fidèles ne sont pas également appelés à la perfection, et n’ont pas la grâce qui les y pourrait conduire… 2° L’oraison ordinaire n’est que pour les imparfaits, et l’oraison extraordinaire est essentielle â la perfection. Histoire littéraire de Fénelon, Analyse de la controverse du qniétisme, a. 2, Quiétisnie mitigé du liiur des Maximes, p. 76-84. « L'œuvre n'était pas encore parue, que l’auteur éprouvait le besoin de lui ajouter quelques correctifs, quelques atténuations avant de la livrer au public. » Albert Chérel, Édition critique des Maximes des saints, introduction. Fénelon prépara une seconde édition des Maximes, revue, corrigée et fort augmentée par lui-même, avec l’aide de ses amis, à la suite des premières critiques de ses adversaires. M. Chérel s’est demandé si Rome aurait condamné la seconde édition comme elle a fait de la première. « On en peut douter, dit-il, car un certain nombre de passages visés par le bref se trouvent modifiés ici. » Et cependant, il reconnaît que pour d’autres passages les corrections sont fort légères, que beaucoup sont laissés indemnes de tout changement, et il conclut : « La doctrine des Maximes eiit donc paru peut-être encore sur certains points erronée et dangereuse. »

Discussion des Maximes.

L’opinion, qui devait

plus tard se retourner en faveur de Fénelon, accueillit mal son livre. « Vous avez peu de partisans dans cette affaire, écrivait à l’auteur des Maximes l’un de ses plus courageux et dévoués amis, M. de Brisacier, supérieur du séminaire des Missions étrangères… Il est vrai qu’il ne se trouve presque personne qui ose vous soutenir ni dans la forme ni dans le fond ; et vos meilleurs amis sont désolés de vous voir engagé dans une carrière dont vous ne pouvez sortir avec un entier agrément, et où certainement vous n’aviez nulle obligation d’entrer pour la gloire de Dieu, qui au contraire en souffrira. » Bossuet se tut pendant quinze jours, tout occupé à l'étude du livre de Fénelon ; puis il rompit le silence. Est-il vrai que l'évêque de Meaux « ait demandé pardon au roi de ne lui avoir pas révélé le fanatisme de son confrère ? » C’est ce qu’affirment, sans le prouver, le chevalier de Ramsay et le marquis de Fénelon ; rappelons-nous d’ailleurs que le mot fanatisme n’avait pas au xviie siècle le sens odieux qu’il a de nos jours. Il Croire sans comprendre, ni ce qu’on croit ni pourquoi on croit, ni si c’est Dieu qu’on croit, c’est fanatisme, c’est enthousiasme extravagant, » lisons-nous dans une des lettres attribuées à Fénelon par Dutoit et par M. Masson, Fénelon et A/"'^' Gui/on, lettre xcii"', p. 247 ; et c’est le même sens que l’archevêque de Cambrai donne au mot fanatisme dans ses lettres incontestablement authentiques sur la religion.

Au début de la controverse, les sentiments de Bossuet n'étaient point tout à fait ce cju’ils devinrent plus tard. Assurément, il jugeait les Maximes sans aucune indulgence. « Le livre, disait-il, est fort peu de chose ; ce n’est que propositions alambiquées, phrase et verbiage. On est assez déchaîné contre tout cela. Il y aurait des propositions essentielles à relever. » Mais il ajoutait : « Nous garderons toutes les mesures de charité, de prudence et de bienséance. » A son neveu, l’abbé Bossuet, alors à Rome. Lettre du Il février 1697.

Fénelon, invité à des conférences qui devaient se tenir à l’archevêché de Paris entre Noailles, Bossuet

et Godet des Marais, refusa de s’y rendre, ou du moins n’accepta qu'à certaines conditions que Bossuet n’accepta point. Les conférences néanmoins eurent lieu, et aboutirent à une Déclaration qui, avec le consentement du roi, fut remise au nonce Delfini, le 6 août 1697. Elle fut publiée. Fénelon y répondit par une lettre à un ami (le duc de Beauvilliers) qui fut imprimée, traduite en italien et répandue à Rome. Fénelon aussi avait publié une Instruction pastorale où il s’efforçait d'établir la conformité de sa doctrine à celle des articles d’Issy. Ainsi conunençait une controverse retentissante à l’heure même où le recours de Fénelon au souverain pontife aurait dû faire cesser tout débat. De l’aveu du roi, F'énelon avait porté sa cause au Saint-Siège, par une lettre du 27 avril 1697. Il y analysait la doctrine de son livre, la réduisant à sept chefs, la déclarant conforme à celle des articles d’Issy, et appelant en témoignage les évêques qui les avaient dressés. Tuiim est judicare, Sanctissime Pater, disait-il à Innocent XII ; meum vero in le Pelrum, cujus fides nunqaum defîcici, viuentem et loquenlem audire ae revereri.

Louis XIV ne permit point que Fénelon allât se défendre lui-même à Rome. Des rigueurs ou des menaces atteignirent les amis de Fénelon. M"'"= de Maintenon ne pardonnait pas à l’archevêque le goût qu’elle avait ressenti pour ses idées, et les démarches imprudentes auxquelles ce goût l’avait entraînée ; plus tard, si l’on en croit Hébert, curé de Versailles, le Télémaqae l’irritera. Lettre de Fénelon au duc de Chevreuse, fui de 1699 ou commencement de 1700. Elle fait renvoyer de Saint-Cyr trois religieuses, entre autres M""" de la Maisonfort. Fénelon, relégué dans son diocèse, perdit le titre de précepteur des enfants de France (août 1697) ; ses auxiliaires dans l'éducation des princes, MM. de Léchelle et Dupuy, furent destitués ; l’abbé Claude Henry ne conserva sa place de sous-précepteur que par le crédit de Bossuet. Le duc de Beauvilliers lui-même fut menacé dans sa fonction de gouverneur du duc de Bourgogne.

Entre les deux adversaires, la controverse dura plus de dix-huit mois (d’août 1697 à mars 1699), aux regards attentifs de la France et de l’Europe (Leibniz, à plusieurs reprises, s’efforce de résoudre ce qu’il appelle « l'énigme de l’amour désintéressé » ; le bénédictin Lami, dans son traite De la connaissance de soi-même ; Malebranche, dans son traité De l’amour de Dieu, étudièrent la question ; Bourdaloue se prononce contre le quiétisme ; Rancé, dans une lettre à Bossuet de mars 1697, juge la doctrine de Fénelon avec une sévérité hautaine). M. Gosselin a donné la longue énumération des œuvres polémiques de Fénelon et un court commentaire de chacune d’elles. Histoire littéraire de Fénelon, part. I, a. 1, sect. III. Nous allons reproduire cette énumération. Réponse de M. l’archevêque de Cambrai à la Déclarcdion de M. l’archevêque de Paris, de M. l'évêque de Meaux et de M. l'évêque de Chartres, contre le livre intitulé : Expliccdion des maximes des saints ; Réponse à l’ouvrage de M. de Meaux intitulé : Siimma doctrinec ; Dissertedion sur les véritables oppositions entre la doctrine de M. l'évêque de Meaux et la mienne ; Lettre de M. l’archevêque de Cambrai à M. l’archevêque de Paris sur son Instruction pastorale du 27 octobre 1697 ; liesponsio illnstr. D. arclnepiscopi Camerncensis ad epistolam illustr. D. l’arisiensis arclnepiscopi ; Lettres de M. l’archevêque de Cambrai à M. l'évêque de Meaux, en réponse aux Divers écrits ou Mémoires, sur le livre intitulé : Expliccdion des maximes des saints ; Lettres de M. l’archevêque do Cambrai pour servir de réponse à celle deM. l'évêqiie de Meaux ; Réponse de M. l’archevêque de Cambrai à l'écrit de AI. de Meaux, intitulé : Relation sur le quic i

iisme ; Hépoiisc de IVT. l’archevêque de Cambrai aux Remarques de M. l’cvêque de Mcaux sur la Réponse à la Relalion ; Lettres de M. l’archevêque de Cambrai pour servir de réponse à la Lettre pastorale de M. l'évêque de Chartres, sur le livre intitulé : Expliealion des maximes des saints ; Lettre de M. l’archevêque de Cambrai à M. l’cvêque de Chartres, en réponse à la Lettre d’un théologien ; Lettre de M. l’archevêque de Cambrai à M. l'évêque de Meaux, pour répondre à son ouvrage latin intitulé : De noua quæslione tractatus très ; Les principales propositions du livre des Maximes, justifiées par des expressions plus fortes des saints auteurs ; Lettres de M. l’archevêque de Cambrai à 1I. l'évêque de Meaux en réponse à l'écrit intitulé : Les passages érlaircis ; Préjugés décisifs pour M. l’archevêque de Cambrai contre M. l'évêque de Meaux : Lettre de M. l’archeVêque de Cambrai sur la Réponse de M. l'évêque de Meaux à l’ouvrage intitulé : Préjugés déeisifs ; Lettres de M. l’archevêque de Cambrai à M. l'évêque de IMeaux sur les douze propositions qu’il veut faire censurer par les docteurs de Paris.

On a reproché à Bossuet la véhémente âpreté de sa controverse ; c’est qu'à ses yeux ; 7 y allait de toute la religion (à l’abbé Bossuet, lettre du 18 novembre 1097). C’est pour le même motif que Bossuet, dans sa Relation sur le quiétisme quin 1698), porta la controverse de la région des idées sur le terrain des faits ; il voulait enlever tout crédit au champion d’une erreur qu’il jugeait redoutable, et à la fausse prophétessc qui l’avait inspiré. Fénelon, dans sa Réponse à la Relation sur le quiétisme, déploya toutes les ressources d’une dialectique habile et pressante, d’une ironie fine, parfois d’une indignation éloc|uente. Un point avait particulièrement et très justement blessé l’archevêque de Cambrai dans la Relation sur le quiétisme. A propos de Fénelon et de M™" Guyon, Bossuet avait rappelé les noms de Montan et de Priscille. Sect. xi, 8. En vain, pour atténuer l’odieux d’un tel rapprochement, Bossuet écrira-t-il plus tard : « On n’a jamais soupçonné entre eux qu’un pur commerce d’illusion de l’esprit, » Remarques sur la réponse de M. l' archevêque de Cambrcuj, a. 11 ; il n’en avait pas moins fait une blessure inguérissable au cœur de l’ancien ami qui pouvait ré{)liquer : « …Ma prétendue illusion ne ressemble point à celle de Montan. Ce fanatique avait séparé de leurs maris deux femmes qui le suivaient. Il les livra à une fausse inspiration qui était une véritable inspiration de l’esprit malin… Tel est cet homme, l’horreur de tous les siècles, avec lequel vous comparez votre confrère…, et vous trouvez nmuvais qu’il se plaigne d’une telle comparaison. Non, Monseigneur, je ne m’en plaindrai plus. Je n’en serai adligé que pour vous. Il Réponse aux remarques de ^f. Véocque de Me(uix. Conclusion.

Le fait le plus grave qu’au cours de cette longue et affligeante controverse la critique, même une critique bienveillante, ait relevé chez Fénelon, c’est le rcproclie adressé ; Bossuet d’avoir révélé la confession de Mme Guyon et la sienne propre..Sans doute, l’archevêque de Cambrai ne prétendait parler que d’une pure confidence — et l’apologiste de Fénelon a mis en lumière certaines expressions qui écartèrent l’idée d’une confession sacramentelle : « Je lui ai laissé par écrit cette confession générale de toute ma vie… M. de Meaux doit avoir oublié que je lui ai laissé quelque temps par écrit une confession générale de toute ma vie, Il H. Brémond, Apologie pour Fénelon, p. 313 ; mais la remarque de Bausset subsiste : « Le mot de confession, prononcé d’une manière absolue et sans aucune restriction, ne pouvait, selon l’acception commune, offrir au public que l’idée d’une confession sacramentelle, » Histnire de Fénelon, 1. 111, 4 ; et l’ar chevêque de Cambrai dut donner les explications que nous avons rapportées. Cf., dans la Quinzaine du 1° août 1903, l’article de M. Charles Urbain : Bossuet et les secrets de Fénelon, article indulgent pour celui-ci.

Condamnation des Maximes.

 La cause s’instruisait à Rome « avec une majestueuse lenteur, » 

Lanson, Bossuet, c. viii, laquelle décourage ou irrite parfois les impatiences, mais rassure et garantit tous les droits. L’archevêque de Cambrai, défendu auprès d’Innocent XII par le bon renom de sa théologie docile aux enseignements du Saint-Siège, défendu aussi par le cardinal de Bouillon, Reyssié, Le cardinal de Bouillon, Paris, 1899, avait pour mandataire son parent, l’abbé de la Cropte de Chanterac, âme pieuse et candide, « ne regardant que Dieu, » comme le lui reconnnandait son illustre ami (lettre du 29 octobre 1698), mais que déconcertait parfois la sublimité et aussi la subtilité fénelonienne. Le principal agent de Bossuet était son neveu, l’abbé Bossuet, non encore prêtre, qui « poursuivait Fénelon avec la passion d’un chasseur. » Lanson, Bossi/e/, c. viii. Il écrivait de l’auteur des Maximes ; « C’est une bête féroce qu’il faut poursuivre pour l’honneur de l'épiscopat et de la vérité jusqu'à ce qu’on l’ait terrassée et mise hors d'état de faire aucun mal. » Lettre du 2.5 novembre 1698. Un autre agent de l'évêque de Meaux, c’est l’abbé Phélipeaux, théologien savant mais retors, qui hait Fénelon et qui dénigre Rome. Lettre à Bossuet du 18 février 1698. Le procureur général des minimes, Roslet, partisan des jansénistes d’après le P. Daubenton (lettre à Fénelon du 23 octobre 1711 ; J’appelle un chat un ched et Rolct un fripon, écrira de lui, en 1732, l’abbé de Beaumont), le bénédictin dom Estiennot, le prélat Giori, familier d’Innocent XII, combattaient Fénelon de toutes leurs forces.

LJnc année entière fut emploj'ée à l’examen du livre de l’archevêque de Cambrai et des écrits publiés pour l’attaquer ou pour le défendre. Soixante-quatre séances, de six ou sept heures chacune, furent consacrées à l’analyse du livre des Maximes. Les seuls examinateurs assistèrent aux douze premières séances ; Innocent XII chargea les cardinaux Noris et Ferrari de présider leurs réunions. Trente-sept propositions, extraites du livre, furent examinées du 12 octobre 1697 au 25 octobre 1698. Sur les dix examinateurs, cinq votèrent constamment en faveur de l’ouvrage incriminé ; il est vrai que leur opinion se fondait en partie sur les explications fournies par l’auteur. D’après L’s usages romains, un tel partage des voix équivalait à ce que nous appellerions un non-lieu. Vers cette date, Noailles faisait signer par soixante docteurs de Paris la censure de douze propositions extraites du livre des Maximes. Le pape, pressé sans doute par les instances de Louis XIV, mais décidé aussi et jihis encore par le désir de terminer une controverse qui troublait les âmes — lui-même avait déclaré qu’il voulait juger cette affaire ex catliedru, Phélipeaux, Relation du quiétisme, part. 1, 1. II — le pape confia l’examen du livre incriminé au Saint-Ofilce. Après des discussions qui remplirent trente-sept séances, les cardinaux, membres de cette Congrégation, s’accordèrent à juger répréhensibles vingt-trois des trente-sept propositions qui avaient été soumises aux premiers examinateurs. Les cardinaux Albani (le futur Clément XI), Noris, Ferrari et Casanate, écarté d’abord comme trop étroitement lié avec l’abbé Bossuet, furent chargés de rédiger le décret. Les partisans de Fénelon eussent voulu qu’au lieu d’une censure qui l’atteignît directement, on se bornât à formuler douze canons où la doctrine quiétiste aurait été condamnée. Quel qu’ait pu être il’abord le désir du souverain pontife, Bausset, Histoire de Fénchn, 1. III, 114 ; Algar Griveau, Étude sur la condamnation du livre des Maximes des saints, t. ii.

c. XVII, § 2, Innocent XII passa outre, et, le 12 mars 1C99, fut promulgué, sous forme do bref, le décret apostolique qui terminait ce long débat. Le pape condamnait vingt-trois propositions extraites du livre desMaximes ; la IS^concernant le trouble involontaire attribué à Jésus-Christ sur la croix, avait été insérée dans le livre par une méprise du duc de Chevreuse, et ne se lisait pas dans la traduction latine. La note d’hérétique n'était infligée à aucune de ces propositions, lesquelles étaient rejetées comme « téméraires, scantlaleuses, mal sonnantes, olTensives des oreilles pieuses, pernicieuses dans la pratique, et même respectivement erronées. » Les voici :

1° Il y a un état habituel d’amoiu' de Dieu, qui est une chanté pure et sans aucun mélange du motif de l’intérêt propre. Ni la crainte des châtiments ni le désir des récompenses n’ont plus de part à cet amour ; on n’aime plus Dieu ni pour le mérite ni pour la perfection, ni pour le bonheur qu’on doit trouver en l’aimant.

2° Dans l'état de la vie contemplative ou unitive, on perd tout motif intéressé de crainte ou d’espérance.

Z° Ce qui est essentiel dans la direction est de ne faire que suivre pas à pas la grâce avec une patience, une précaution et une délicatesse infinie. Il faut se borner à laisser faire Dieu, et ne parler jamais du pur amour que lorsque Dieu, par l’onction intérieure, commence à ouvrir le coeur à cette parole, qui est si dure aux âmes encore attachées à ellesmêmes, et si capable de les scandaliser ou de les jeter dans le trouble.

4° Dans l'état de la sainte indifférence, l'âme n’a plus de désirs volontaires et délibérés pour son intérêt, excepté dans les occasions où elle ne coopère pas fidèlement à toute sa grâce.

5° Dans cet état de la sainte indifférence, on ne veut rien pour soi, mais on veut tout pour Dieu ; on ne veut rien pour être parfait ni bienheureux dans son propre intérêt, mais on veut toute perfection et toute béatitude, autant qu’il plaît à Dieu de nous faire vouloir ces choses par l’impression de sa grâce.

6° En cet état, on ne veut plus le salut comme salut propre, comme délivrance éternelle, comme récompense de nos mérites, comme le plus grand de tous nos intérêts ; mais on le veut d’une volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir de Dieu, comme une chose qu’il veut et qu’il veut que nous voulions pour lui.

7° L’abandon n’est que l’abnégation ou renoncement de soi-même que Jésus-Christ nous demande dans l'Évangile, après que nous aurons tout quitté au deliors. Cette abnégation de nous-mêmes n’est que pour l’intérêt propre. Les épreuves où cet abandon doit être exercé, sont les tentations par lesquelles Dieu jaloux veut purifier l’amour, en ne hii faisant voir aucune ressource ni aucune espérance pour sjn intérêt propre, même éternel.

8° Tous les sacrifices que les âmes les plus désintéressées font d’ordinaire sur leur béatitude éternelle sont conditionnels. Jlais ce sacrifice ne peut être absolu dans l'état ordinaire : il n’y a que le cas des dernières épreuves où ce sacrifice soit en quelque manière absolu.

9° Dans les dernières épreuves, une âme peut être invinciblement persuadée, d’une persuasion réfléchie et qui n’est pas le fonds intime de la conscience, qu’elle est justement éprouvée de Dieu.

10" Alors l'âme, divisée d’avec elle-même, expire sur la croix avec Jésus-Christ, en disant : O mon Dieu, pourquoi m’uvez-Dous abandonnée ? Dans cette impression involontaire de désespoir, elle fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité.

II" fin cet état, l'âme perd toute espérance pour son propre intérêt ; mais elle ne perd jamais dans sa partie supérieure, c’est-à-dire dans ses actes directs et intimes, l’espérance parfaite qui est le désir désintéressé des promesses.

12° Un directeur peut alois laisser faire à cette âme un acquiescement simple à la perte de son intérêt propre, et à la condamnation juste où elle croit être de la part de Dieu.

13" La partie inférieure de Jésus-Christ sur la croix ne communiquait pas à la supérieure son trouble involontaire. 14" Il se fait dans les dernières épreuves, pour la purification de l’amour, une séparation de la partie supérieure de l'âme d’avec l’inférieure… Les actes de la partie inférieure, dans cette séparation, sont d’un trouble entièrement aveu gle et involontaire, parce que tout ce qui est intellectuel et volontaire est de la partie supérieure.

15" La méditation consiste dans des actes discursifs qui sont faciles â distinguer les uns des autres. Cette composition d’actes discursifs et réfléchis est propre à l’exercice de l’amour intéressé.

16° Il y a un état de contemplation si liante et si parfaite qu’il devient habituel : en sorte que toutes les fois qu’une âme se met en actuelle oraison, son oraison est contemplative et non discursive : alors elle n’a plus besoin de revenir à la méditation ni à ses actes méthodiques.

17" Les âmes contemplatives sont privées de la vue distincte, sensible et rélléchie de.lésus-Christ, en deux temps différents… Premièrement, dans la ferveur naissante de leur contemplation… Secondement, une âme perd de vue .Jésus-Christ dans les dernières épreuves.

18" Dans l'état passif, on exerce toutes les vertus distinctes sans penser qu’elles sont vertus : on ne pense qu'à faire ce que Dieu veut ; et l’amour jaloux fait tout ensemble qu’on ne veut plus être vertueux pour soi, et qu’on ne l’est jamais tant que quand on n’est plus attaché à l'être.

19" On peut dire en ce sens que l'âme passive et désintéressée ne veut plus même l’amour en tant qu’il est sa perfection et son bonheur ; mais seulement en tant qu’il est ce que Dieu veut de nous.

20" Les âmes transformées… doivent, en se confessant, détester leurs fautes, se condamner et désirer la rémission de leurs péchés, non comme leur propre purification et délivrance, mais comme chose que Dieu veut, et qu’il veut que nous voulions pour sa gloire.

21" Les saints mystiques ont exclu de l'état des âmes transformées les pratiques de vertu.

22° Quoique cette doctrine (du pur amour) fût la pure et simple perfection de l'Évangile, marquée dans toute la tradition, les anciens pasteurs ne proposaient d’ordinaire, au commun des sujets, que les pratiques de l’amour intéressé, proportionnées à leur grâce.

23" Le pur amour fait lui seul toute la vie intérieure, et devient alors l’unique principe et l’unique motif de tous les actes délibérés et méritoires. Voir, plus haut, Espérance, col. 662-671.

Le bref avait déjà paru lorsque parvint à Rome un mémoire menaçant de Louis XIV, rédigé par Bossuet, qui avait redoute que le pape ne s’en tînt à des canons, et ne condamnât point directement Fénelon. « Sa Majesté, disait le mémoire, voit avec étonnement et douleur qu’après toutes ses instances et qu’après toutes les promesses de Sa Sainteté, les partisans de ce livre (les Maximes) proposaient un nouveau projet qui tendait à rendre inutiles toutes les délibérations, etc. Il serait trop douloureux à Sa Majesté de voir naître parmi ses sujets un nouveau schisme, dans le temps qu’elle s’applique de toutes ses forces à détruire celui de Calvin. Et si elle voit prolonger par des ménagements qu’on ne comprend pas une atïaire qui paraissait être à sa fin, elle saura ce qu’elle aura à faire, et prendra des résolutions convenables, espérant toujours néanmoins que Sa Sainteté ne voudra pas la réduire à de si fâcheuses extrémités. »

Bossuet, au premier moment, accueillit avec joie le bref de condamnation : « L'Église romaine, écrivait-il à son neveu, n’a fait de longtemps un décret si beau et si précis » (31 mars 1699). Des réflexions ultérieures diminuèrent un peu son contentement. « Ce qui a paru ici de plus fâcheux, écrivait-il, c’est le défaut de formalité. Sans bref joint au roi (Bossuet ne connaissait pas encore le bref adressé à Louis XIV), sans aucune clause aux évêques pour l’e.xécution ; sans rien notifier à M. de Cambrai lui-même qui prétendra, faute de cela, cause d’ignorance du tout. » Lettre à l’abbé Bossuet du 6 avril 1699.

Soumission de Fénelon.

Fénelon ne prélendit

point eausc d’ignorance. Le jour même de la fête de l’Annonciation, où il apprit par son frère la condamnation romaine, il monta en chaire et prêcha sur la soumission due à l'Église et aux ordres des supérieurs.

I « Pour moi, ccrira-t-il quatorze ans plus tard au pape Clément XI (l’ancien cardinal Albani), aussitôt que j’ai appris que mon livre avait été condamné à Rome, je me suis hâte d’adhérer absolument à ce décret ; j’ai devancé tous les évêques de France et mes adversaires eux-mêmes dans la condamnation de mon ouvrage. La forme (du bref) lual adaptée aux usages du parlement ne m’a pas empêché de répudier le livre de mon propre mouvement, et d’obéir fidèlejnent au vicaire du Christ. Je n’ai pas voulu distinguer le fait du droit ; mais en mettant de côté toute exception et toute distinction, ma volonté a été de condamner tout le contexte du livre en répétant les qualifications du Très Saint Père. »

A un émissaire de dom Gerberon qui s’offrait à lui comme l’apologiste des Maximes, Fcnelon avait répondu : « J’aimerais mieux mourir que de défendre directement ou indirectement un livre que j’ai condamné sans restriction et. du fond du cœur par docilité pour le Saint-Siège » (3 décembre 1701).

Malgré tant de désaveux publics et privés, la pleine sincérité de sa soumission a été contestée, elle l’est encore. Son suffragant, l'évêque de Saint-Omer, l’intempérant et bruyant Valbclle, dans l’assemblée de la province, avança que les termes du mandement de Fénelon n’impliquaient pas un acquiescement intérieur. Bossuet lui-même n'était qu'à demi satisfait de l’attitude de l’archevêque. A propos d’une lettre dans laquelle Fénelon disait à l'évêque d’Arras, Guy de Sève : « Mon supérieur, en décidant, a déchargé ma conscience ; il ne me reste plus qu'à me soumettre, à me taire et à porter ma croix dans le silence, » Bossuet écrivait à son neveu : « La lettre de M. de Cambray à M. d’Arras est ici prise fort diversement. La cabale l’exalte, et les gens désintéressés y trouvent beaucoup d’ambiguïté et de faste » (12 avril 1699). Phélipeaux reproduira en l’adoptant le doute des adversaires de Fénelon sur sa soumission. « …On croyait qu’il ne songerait qu'à réparer le scandale qu’il avait donné à l'Église par une rétractation publique de ses erreurs ; mais on n’y trouve rien d’approchant (dans son mandement)… On n’y voit rien qui marque un sincère repentir ; il adhère au bref du pape par déférence ou par nécessité, et non par persuasion et par conviction… » Relation du qniélisme, part. II, 1. IV. Dans son Supplément aux histoires de Bossuet et de Fénelon par M. de Bausset, c. i, n. 1, 37, Tabaraud a dit : « En se refusant obstinément à toute rétractation, en soutenant que la doctrine de son livre était étrangère aux erreurs condamnées, qu’il n’offrait que les propres maximes de tous les Pères de la vie spirituelle, sa soumission se réduisait à une simple adhésion, à un pur acquiescement de déférence, à ce silence respectueux contre lequel il se déchaîna avec tant de force dans l’affaire du jansénisme. » Et naguère, d’une plume très étrangère aux rancœurs jansénistes de Tabaraud, on écrivait : « Fénelon ne se soumet pas dans son cœur. Certes, il écrivit un mandement où il exprimait une totale soumission de respect, mais non pas une soumission intérieure. » Jules Lemaitre, Fénelon, viii, dans la Revue hebdomadaire du 12 mars 1910. De fait, certains passages de Fénelon ne semblent-ils pas justifier ces appréciations sévères ? « Je puis bien, par docilité pour le pape, écrivait-il à l’abbé de Chanterac (lettre du 3 avril 1699), condamner mon livre comme exprimant ce que je n’avais pas cru exprimer ; mais je ne puis trahir ma conscience pour me noircir lâchement sur des erreurs que je ne pensai jamais… » Et dans un Mémoire destiné au P. Le Tellier et qui est du commencement de 1710, l’archevêque de Cambrai exhale une plainte amère : « Feu M. de Meaux a combattu mon livre par prévention pour une doctrine pernicieuse et insoutenable, qui est de dire que la

raison d’aimer Dieu ne s’explique que par le seul désir du bonheur. On a toléré et laissé triompher cette indigne doctrine qui dégrade la charité en la réduisant au seul motif de l’espérance. Celui qui errait a prévalu ; celui qui était exempt d’erreur a été écrasé. » Ce langage est dur et très regrettable ; il ne prouve cependant pas que Fénelon, comme le lui reproche Tabaraud, se soit retranché dans la distinction du fait et du droit, et dans le silence respectueux. A propos des ouvrages de M™" Guyon, il avait dit : " Le sens qui se présente naturellement… est selon moi le sens véritable, propre, naturel et unique des livres pris dans toute la suite du texte, et dans la juste valeur des termes. Ce sens étant mauvais, les livres sont censurables en eux-mêmes, et dans leur propre sens. » Réponse à la Relation sur le quiélisme, c. ii, 35. Seulement, l’intention peut être droite, et l’expression a pu trahir une doctrine qui demeure orthodoxe. C’est ce cjue Fénelon a constamment affirmé en ce qui le concernait. Tabaraud s'étonne sans doute que, « dans des livres tout entiers, un auteur s'énonce autrement qu’il ne pense. » On aurait pu lui répondre qu’il ne s’agit pas de livres tout entiers, mais d’un seul livre, car les écrits explicatifs et apologétiques, publiés au cours de la controverse, n’ont pas été atteints par la censure pontificale. On avait bien tenté en France de les y compi’endre ; sur les seize assemblées provinciales qui acceptèrent solennellement la sentence romaine, il y en eut huit (entre autres, celle de Paris ofi prévalait Bossuet, et celle de Cambrai), qui demandèrent et obtinrent du roi la suppression de ces écrits ; mais elles ne pouvaient étendre au delà de ses limites la condamnation portée par Innocent XII.

M. Algar Griveau a cru reconnaître une évolution dans la pensée de Fénelon. Il a essayé d'établir que le spectacle du quesnellisme, la crainte de paraître autoriser les cavillations jansénistes par des réserves qui en étaient fort différentes, amenèrent l’auteur du livre des Maximes à rejeter purement et simplement, sans réserve même du sens attaché par lui à son ouvrage, tout ce qui avait été censuré par le Saint-Siège. Élude sur la condamnation du livre des Maximes des saints, etc., t. ii, c. xviii, xix.

Ajoutons, pour clore l’histoire du quiètisme, qu’une tradition, à laquelle un témoignage récemment publié par M. l’abbé E. Griselle donne une nouvelle force, raconte que, six mois avant sa mort, Fénelon fit don à son église métropolitaine d’un ostensoir d’or porté par un personnage symbolique (la Foi ou la Religion) qui foulait aux pieds plusieurs livres condamnés, entre autres, les Maximes des saints. Gosselin, Histoire littéraire de Fénelon, part. II, Dissertation sur l’ostensoir d’or, etc. ; E. Griselle, Fénelon, Études historiques, p. 293 (extrait du livre de Guyot, ancien curé constitutionnel de Cambrai, Hommage à Pie VII et à Napoléon, Paris, 1802).

Controverse janséniste.

La controverse quiétiste

était à peine close, que la controverse janséniste, qui paraissait presque assoupie depuis trente-quatre ans, se réveilla en 1702, avec le Cas de conscience. Dans cet écrit anonyme, on demandait si un prêtre pouvait légitimement absoudre le pénitent qui, sans admettre intérieurement que les cinq propositions fussent dans VAuyustinus, se contentait de garder sur ce point un silence respectueux. Quarante docteurs de Sorbonne, à qui la question avait été soumise, se prononcèrent pour rafrirmative, mais un bref du 12 févrierl703 condamna le Cas de conscience. A la suite de Clément XI, la plupart des évêques de France réprouvèrent aussi cet 1 ouvrage, et trente-cinq des docteurs signataires reti' rèrent leur souscription. Fénelon publia, le 10 février 1704, une Instruction pastorale qui établissait, par des preuves scripturaircs et patristiques, et par la pratique '2159

FENELON

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lies plus anciens conciles, que l’Église est iufaillible quand elle prononce sur l’ortliodoxie ou l’iiolénv doxie d’un texte. Avec cette perspicacite qui lui faisait si bien saisir le faible d’un argument et les contradictions d’un adversaire, il demandait aux disciples de l’évêque d’Ypres comment cette même Église, infaillible d’après eux, lorsqu’elle approuve le texte de saint Augustin, cesse de l’être quand elle rejette le texte de Jansénius. Cette objection, durant la longue controverse qui désormais l’occupera tout entier, l’archevêque de Cambrai ne se lassera point de la répéter. 11 publie, en 1704 et en 1705, trois nouvelles Instructions qui présentent et renforcent l’enseignement contenu dans la première. Voir Église, t. iv, col. 2190-"2192. Il éclaire la conscience du successeur de Bossuet à ISIeaux, le futur cardinal de Bissy ; il redresse les assertions de l’évêque de Saint-Pons, Montgaillard, sur les conditions auxquelles les quatre évêques réfractaires avaient été admis, en 1669, à l’illusoire paix de Clément IX. Il publie avec d’amples développements (15 juillet 1705) la bulle Vineam Domini Sabaolh, laquelle condamnait de nouveau le silence respectueux. Toujours prêt <à dénoncer des doctrines et des tendances qui lui apparaissaient comme le suprême péril, Fénelon signale à l’autorité royale l’état de son diocèse, envahi ou menacé par le jansénisme ; il écrit ce Memoriale SS. N. D. clam Icgendnm qui, publié pour la première fois en 1822, eût allumé chez les nombreux accusés, s’ils l’avaient connu, d’inextinguibles ressentiments. Aucune des tentatives faites en Belgique ou en France pour éluder les jugements de l’Église n’échappe à sa vigilance (Quatre lettres à l’occasion d’un nouveau système sur le silence respectueux (1706) ; Instruction pastorcde sur le liorc : Jusliftcaiion du silence respectueux (1708) ; Lettre sur l’infaillibilité de l’Église touchant les faits dognmtiques (1709’. Cette lettre contient un résumé net et précis de la controverse. D’autres lettres démêlent les subtilités dogmatiques d’obscurs jansénistes, Fouilloux et Hennebel.

Si dévoué au Saint-Siège dont il reconnaissait r inerrance, Fénelon encourut cependant sur un point la critique de ses correspondants romains. On lui reprochait de n’opposer aux jansénistes que l’autorité du corps des pasteurs, et de se taire sur l’infaillibilité du pape. Lettre du P. Daubenton à son confrère le P. de Vitry, 24 mars 1709. Fénelon, dans ses lettres aux cardinaux Gabrielli et Fabroni, explique et justifie sa conduite. Alléguer à ses adversaires une doctrine qui n’était pas définie, ce serait renflannner les passions gallicanes, et donner aux jansénistes, dans leur résistance aux constitutions pontificales, de nombreux et redoutables alliés. Le mieux n’est-il point de partir d’un principe admis par les adversaires eux-mêmes — l’infaillibililé du corps des pasteurs dont le pape est de droit divin le chef — pour les amener à reconnaître et à rejeter leurs erreurs ? Nonne oportuit junsenistas ab cpiscopis congrua rcfulatione rcfclli ? Nihil sane unquam profeceris, nisi, pro scholarum more, ex conccsso ab adversariis medio, negedum consei /uens probetur. Epistola prima ad eminentissimum cardimdem Gabrielli, 19 mai 1704. Fénelon avait appelé de ses vœux la bulle t/nff/e/uVws ; lorsque, après une lente préparation, elle eut été promulguée (8 septembre 1713), l’archevêque de Cambrai la publia dans deux mandements qui la conunentaient, l’un pour la partie française de son diocèse, l’autre pour la partie qui de la domination espagnole avait passé sous celle de l’empereur. Avec un zèle dont témoigne sa volumineuse corrcspondance, il s’attacha à la faire accepter dans tout le royaume, et à réprimer les opposants. L’assemblée du clergé d’octobre 1713 avait accepté la bulle ; dans les provinces, soixante-dix évêques s’étaient prononcés comme les évêques de l’assemblée ;

mais six évêques avaient résisté. Le mobile et entêté Noailles menait l’opposition. Approbateur à Châlons des Réflexions morcdes, il s’était ensuite rétracté ;  : mais à Paris, tout en maintenant la sentence portéepar lui contre Quesnel, il avait défendu de recevoir la constitution Unigenitus. M""-’de Maintenon, le roi lui-même négocient en vain avec leur archevêque. Pour en finir avec des résistances qui le fatiguent, pour rendre à l’Église de France une paix que troublent des passions sectaires, Louis XIV appelle la convocation d’un concile national ; il charge.melot de la solliciter à Pvome. Fénelon préférait cette voie à un jugement par commissaires apostoliques contre lequel les préventions françaises eussent éclaté, et à la voie des conciles provinciaux où les oppositions se fussent accusées davantage.

Il poursuit sans s’arrêter sa canqiagne antijanséiiiste. En 1711, il avait écrit une longue Instruction jHistorale contre l’œuvre d’un familier de Noailles, la Théologie de Louis Habert, où, nonobstant le rejet formel des cinq propositions, il croyait reconnaître la doctrine de l’évêque d’Ypres. « Le vrai jansénisme, disait-il, consiste à dire que, depuis la chute d’Adam, l’honnne se trouve entre deux délectations opposées, l’une du ciel pour la vertu, et l’autre de la terre pour le vice ; en sorte qu’il est nécessaire que la volonté suive, en chaque moment, celle des deux délectations qui se trouve actuellement la plus forte, parce que l’attrait en est inévitable et invincible… Le sieur Habert embrasse précisément, comme Jansénius, ce système des deux délectations indélibérées… L’unique différence qui paraît entre eux, consiste en ce que Jansénius donne d’ordinaire à cette nécessité inévitable et invincible le nom de simple et que le sieur Habert lui donne le nom de morale… » Notons avec M. Gosselin que Fénelon juge la théologie de Louis Habert, Theologia dogmediea et moralis ad usuin seminarii Catalaunensis, d’après l’édition de 1707 ; et que, dans les éditions de 1713 et de 1718, l’auteur modifia ou expliqua plusieurs propositions dures ou équivoques de la première édition.

h’Instruction pastorale en forme de dialogue, sur le système de Jansénius, parut vers le milieu de 1714. (I Elle peut être considérée conune l’abrégé de tous » les ouvrages de Fénelon sur le jansénisme, et comme renfermant un corps de doctrine conqjlet sur les matières de la grâce. » Gosselin, Histoire littéraire de Fénelon, Écrits sur le jansénisme, 17. Dans les trois parties qui composent cette Instruction, l’auteur s’attache à montrer la conformité du système de Jansénius avec celui de Calvin sur la délectation, et son opposition à la doctrine de saint Augustin ; il explique ensuite les principaux ouvrages de saint Augustin sur la grâce ; il montre l’abus que les jansénistes en font, et l’opposition de leur doctrine à celle des thomistes, dont ils prétendaient s’autoriser suivant les occurrences. Enfin, il met en lumière la nouveauté du système janséniste, et les conséquences pernicieuses de cette doctrine au point de vue des mœurs. Cette Instruction a revêtu la forme de lettres (elles sont au nombre de vingt-quatre) qui rapportent un dialogue continu de l’auteur avec le janséniste, M. Frémont, et un converti du jansénisme, M. Perraut ; Fénelon se rappelait Pascal. « Si l’on doute du grand pouvoir de l’art du dialogue sur les hommes, écrit-il, on n’a qu’à se ressouvenir des profondes et dangereuses impressions que les Lettres ù un provincial ont faites dans le public. » Écrite avec cet abandon et, si l’on veut, avec cette négligence que l’on ne cherchera point dans les Provinciales, l’Instruction pastorale de Fénelon unit cependant quelquefois l’ironie ou l’éloquence â la clarté — témoin, dans la lettre xxi’", une invective indignée contre les suites du jansénisme ; témoin, dans la lettre xix<’, la fine repré

saille que, par la plume de l’archevêque, les casuistes raillés par Pascal exercent contre leurs hautains détracteurs.

On a contesté à P'énclon le droit de combattre le jansénisme. Saint-Simon a prétendu que le silence eût mieux convenu à un évêquc naguère frappé par le saint-siège. D’ailleurs, ajoute-t-on, en poursuivant le jansénisme, c'étaient ses adversaires de la veille, c'étaient Noailles et les amis de Noailles que Fénelon poursuivait. Parce qu’il avait erré, il n’aurait pas eu le droit de remplir un impérieux devoir dans un diocèse où l’erreur sévissait, et de préserver les âmes qui lui étaient confiées 1 Dans sa résistance au jansénisme, de l’aveu d’un de ses implacables ennemis, Fénelon « était de bonne foi… Il a toujours combattu la grâce augustinienne ; toujours considéré la religion d’Arnauld et de Nicole comme attentatoire à l’unité de l'Église. » Albert Le Roy, La France et Rome de 1700 à 1715, c. VI. Dans une doctrine qui altérait la notion de la liberté humaine et de la justice divine, il aperçoit pour le christianisme un péril redoutable. Voir, entre autres, la lettre au P. Le Tellier, 2-2 juillet 1713. De fait, comme le demandait Sainte-Beuve, encore catholicisant auprès de Lamennais, Diderot et les encyclopédistes n’auraient-ils pas dû un peu de leur liaine irréligieuse à l’idée du Dieu tyrannique que leur présentait le jansénisme ? Aussi, l’archevêque de Cambrai poursuiL-il l’erreur partout où il croit la rencontrer ; certaines réticences mêmes ne trouvent point grâce à ses yeux. De là, sa persistante sévérité pour l'édition bénédictine de saint Augustin, et même pour cette Prœfatio geneialis, quoiqu’elle fût l'œuvre de Mabillon, dont il a loué « la ijiété, la douceur et la grande érudition. » Lettre à dom Lami, 4 janvier 1708.

Fénelon respecte, sur l’accord de la grâce et du libre arbitre, les opinions que l'Église permet ; il a toutefois ses préférences et c’est son droit, h’aiigaslinianisme de Noris et de plusieurs théologiens d’Italie ne lui plaît guère ; son orthodoxie inquiète craint qu’on ne le confonde avec le jansénisme. A l'école de Bossuet, il a sans doute été thomiste, voir Traité de Vexistencc de Dieu, part. I, n. 65 ; part. II, n. 116, 117 ; mais il semble de plus en plus fixe dans le congruisme. Il paraît bien tel dans ses lettres au bénédictin Lami sur la grâce et la prédestination, dont la dernière (tout en exagérant sans doute les probabilités de réprobation même pour les chrétien, ) propose l’acte de pur amour comme la solution des questions anxieuses que le mystère de la prédestination peut soulever dans une âme. Sur les points où, toute orthodoxie mise à part, il y avait dissidence entre les théologiens, c’est vers l’opinion la moins sévère que Fénelon incline. Ainsi, dans une lettre au cardinal Gabrielli (22 septembre 1700), il défend, contre les menaces de l’assemblée du clergé, l’axiome familier aux scolastiques et cher à saint François de Sales : l’arienli quoil in se est Deus non denegat gratiani. A propos des cérémonies chinoises, il raille l’impatience des rigoristes qui poussaient Rome à en condamner sans retard les partisans ; soumis d’avance aux décisions du Saint-Siège, il expose les raisons que pouvaient alléguer les missionnaires jésuites, avocats d’une cause qui, d’ailleurs, n’a pas été gagnée. Lettres au P. de la Chaise, septembre 1702 ; au cardinal Gabrielli, septe.nbre 1702 ; à MM. de Brisacier et Tiberge, , 5 octobre 1702. L’amour de la vérité et des âmes est le seul intérêt qu’il iioursuive. S’il écrit, contre la théologie de Louis Habert dont nous avons parlé, l’Instruction pastorale qu’il ne publia point par égard pour le désir du roi et pour les tentatives conciliantes du duc de Bourgogne, mais qu’on retrouve dans une Dénonciation de 1711, tissu de morceaux pris de ses ouvrages, c’est que cette théologie était le manuel des ordi nands à Châlons où un autre Noailles avait succédé au cardinal ; s’il fait d’infatigables efforts pour arrêter ou pour frapper d’impuissance l’opposition du cardinal de Noailles à la bulle Unigenitus, c’est qu’il voit tous les périls où cette opposition entraîne l'Église de France. « On peut croire, écrivait-il au P. Le Tellier, que je suis plein de ressentiment contre M. le cardinal de Noailles, mais ceux qui le croiront se tromperont beaucoup. Dieu m’est témoin que mon cœur n’est altéré en rien pour lui, que je le respecte de très bonne foi, et que je serais charmé si je trouvais, avant de mourir, des occasions de l’en convaincre. Personne, sans exception, ne souhaite plus que moi tout ce qui pourra le tirer d’embarras, sans nuire à la religion. Il n’y a rien que je ne fisse pour y contribuer ; mais nous ne sommes les nnnistres de la religion que pour préférer Dieu à nous, la foi catholique à notre point d’honneur, et la décision de l'Église à tous nos préjugés. Notre gloire est de n’en avoir aucun, et de reculer avec une humble docilité dès que l'Église le demande. Autant qu’une paix sincère, entière et durable, qui mette la saine doctrine en pleine sécurité, est l’objet de tous mes désirs ; autant une paix fausse, une demi-paix, une paix superficielle, qui augmente la contagion en la couvrant, me paraît pernicieuse et détestable. » Lettre du 17 septembre 1714.

Ferme contre l’erreur janséniste, et très résolu à n’admettre au.x ordres et aux bénéfices ecclésiastiques que des candidats d’une doctrine irréprochable, F'énelou s’abstint, à l'égard des personnes soupçonnées de jansénisme, de toute rigueur injuste ou inopportune. Il blâme la destruction de Port-Royal, laquelle contrastait avec la tolérance ou la faveur dont jouissaient des opinions suspectes. « Pendant que ces théologies (celle de Louis Habert) mettent de si dangereux préjugés dans les esprits, écrivait-il, un coup d’autorité comme celui qu’on vient de faire à PortRoyal ne peut qu’exciter la compassion pour ces filles, et l’indignation pour leurs persécuteurs. » Lettre au duc de Chevreuse, 24 novembre 1709.

Conduite envers les protestants.

Telle fut, disonsle tout de suite, la conduite de Fénelon envers les protestants de son diocèse. Durant la guerre de la succession d’Espagne, il réclame auprès du prince Eugène

pour que la propagande protestante soit réprimée dans son diocèse. « J’espère, lui écrivait-il, que vous aurez la bonté d’agréer la liberté que je prends de vous demander votre protection pour toutes les églises de mon diocèse qui sont dans la ville ou dans le voisinage de Tournai. (L’ne partie du diocèse actuel de Tournai et de la ville épiscopale elle-même ressortissait à l’archevêché de Cambrai.) Je ne suis point surpris de ce que les Allemands, les Anglais et les Hollandais, qui ne sont pas catholiques, prennent des lieux convenables pour exercer leur religion dans le pays où ils font la guerre ; nuï : s j’ose dire. Monsieur, qu’ils n’ont aucun besoin de rendre cet exercice public et ouvert pour y attirer les catholiques. Il y a toujours, eu cliaque pays, des esprits légers et crédules que le torrent de la nouveauté entraîne, et qui sont facilement séduits. » Au prince Eugène de Savoie, 1708. Mais ce même archevêque, soucieu.x de préserver la foi de ses diocésains, veillait à ce qu’aucune contrainte n’imposât les pratiques religieuses à ceux qui n’y croyaient pas. Il fut informé que, dans les parties du Hainaut comprises dans son diocèse, il existait un grand nombre de paysans descendus d’anciens p)rotestants, qui fréquentaient les églises pour mieux dissimuler leurs sentiments, et profitaient ensuite de la proximité des frontières pour aller remplir tous les actes de leur ancienne religion avec les protestants des pays voisins. Fénelon voyait avec douleur cette profanation… Il fit enir le ministre Brunier, qui avait la con

fiance de ces malheureux, et lui dit : « Allez les trouver ; prenez leurs noms et ceux de leur famille ; remettez-lesmoi, je vous donne ma parole qu’avant six mois je leur ferai avoir des passeports… » Bausset, 1. V, c. viii.

Une tliéologie exacte et charitable lui inspirait la conduite à tenir à l'égard des protestants moribonds. <' S’ils sont malades, écrivait-il au maréchal de Noailles, à propos des soldats non catholiques au service de la France, on peut les faire visiter d’abord par quelque officier catholique… qui insinue cjuelque bonne parole. Si cela ne sert de rien, on peut aller un peu plus loin, mais doucement et sans contrainte, pour leur montrer que l’ancienne Église est la meilleure… Si le malade n’est pas capable d’entendre ces raisons, je crois qu’on doit se contenter de lui faire faire des actes de contrition, de foi et d’amour, ajoutant souvent : Mon Dieu, je me soumets à tout ce que la vraie Église enseigne, en quelque lieu qu’elle soit » (18 juin 1(590). Ces conseils donnés avant qu’il fût évêque, il les a certainejuent répétés depuis et mis en pratique.

Au fils de Jacques II, le chevalier de Saint-Georges, qui fut son hôte à Cambrai pendant la guerre de la succession d’Espagne, Fénelon, pour le cas d’une restauration des Stuarts, donnait le conseil de respecter la liberté religieuse. Ramsay, Histoire de la vie et des ouvrages de Fénelon, Amsterdam, 1729, p. 393 sq. Quand, d’après Ramsay, l’archevêque disait au prétendant : « Accordez à tous la tolérance civile, non en approuvant tout comme indiJTérent, mais en soutirant avec patience tout ce que Dieu souffre, et en tâchant de ramener les hommes par une douce persuasion, » il parlait pour l’Angleterre d’alors, si passionnéjnent protestante, non pour tous les temps et tous les pays. Contraindre les consciences, et souffrir tout ce que Dieu souffre, sont deux choses radicalement difféxentes. Cf. Bossuet, Réponse à une consultation de Jacques II, dans Œuvres, édit. Lâchât, t. xxviii, p. 471 sq.

L’Essai sur le gouvernement civil est présenté par Ramsay comme le résumé des entretiens de l’archevêque et du prétendant : résumé où d’ailleurs Ramsay avoue « qu’il ne s’est pas rigoureusement astreint à rendre compte de cç qu’il avait entendu. »

Administration du diocèse.

Archevêque d’un

"vaste diocèse, Fénelon l’administra avec une régularité et un zèle infatigables. « Le lendemain de votre arrivée, écrivait-il au chevalier Destouches qu’il n’osait appeler à Cambrai, je serai obligé de passer le vendredi et le samedi à l’examen de nos ordinands ; le dimanche est la Pentecôte, jour de très longs offices ; les jours suivants sont destinés aux entretiens de la retraite des ordinands ; le vendredi nous ferons l’examen religieux pour l’ordination ; le samedi je donnerai les ordres, c’est le 26 du mois ; le 31 sera le jour de la procession (lu saint sacrement avec des offices sans fin… » Lettre du Il mai 1714. Au même ami, il écrivait encore : " J’ai à visiter sept cent soixante-quatre villages. » 1-^t à son neveu : « Je suis accablé de confirmations. » Au cours de ses visites pastorales, chaque matin, il entrait à l'église, confessait tous ceux qui se présentaient, montait en chaire, et exhortait à la pratique du christianisme les habitants des campagnes. A Cambrai jnême, il confessait tous les samedis dans sa cathédrale. Son séminaire avait tous ses soins ; il ne tint pas à lui <iue les sulpiciens n’en fussent chargés. Mourant, il souhaitait que son successeur les appelât. « On ne peut rien de plus apostolique et de plus vénérable, » écrivait-il au P. Le Tellier. Il affirma, dans un Mémoire au chancelier Voysin, les droits du chapitre de Valenciennes contre les empiétements du pouvoir royal ; dans le ressort de sa province, il défendit ceux du chapitre et de l'évêque de Tournai, Beauvau, usurpés par les Hollandais, qu’excitaient les jansénistes d’LUrecht.

Ses idées sur les droits de l’autorité spirituelle, et sur les rapports des deux puissances, Fénelon les a exprimées dans son admirable discours pour le sacre de l'électeur de Cologne, Clément-Auguste de Bavière, qui reçut de lui l’onction épiscopale, le l'" mai 1707, dans l'église collégiale de Saint-Pierre à Lille.

Durant toute cette guerre de la succession d’Espagne dont la Flandre était le théâtre, Fénelon exerça une action bienfaisante qui lui a mérité une gloire impérissable. Généreux en tout temps — la part faite aux convenances de son rang, il dépensait en aumônes les amples revenus de son siège — il donna sans compter lorsqu’il fallut remédier à des maux qui augmentaient sans cesse. Il nourrit une fois la garnison affamée de Cambrai avec des blés destines à sa maison ; après Malplaquet, il ouvrit son palais aux blessés, aux fuyards ; les paysans, menacés par l’invasion, s’y réfugiaient aussi, et leurs bestiaux remplissaient les cours et les jardins de l’archevêché ; de là, peut-être, cette fable de la vache perdue et retrouvée qui figure dans un bas-relief du tombeau de Fénelon, œuvre de David d’Angers. Les officiers français, les ofiiciers ennemis prisonniers, présents à Cambrai, s’asseyaient à la table épiscopale qui compta parfois jusqu'à cent cinquante convives. L’archevêque n’oubliait pas son clergé ruiné par la guerre ; aussi, prit-il à sa charge la taxe que l’usage du don volontaire imposait aux curés du diocèse. Il payait de sa personne comme de sa bourse ; on le voyait dans les hôpitaux, portant à tous, compatriotes ou étrangers, des consolations ; deux pauvres soldats, l’un suédois, l’autre allemand, furent convertis à la vraie foi par sa charité.

Ce bien qu’il accomplissait lui était facilité par la vénération dont tous l’environnaient, par la renommée en quelque sorte européenne dont il jouissait. Le prince Eugène de Savoie, le duc de Marlborough avaient donné à leurs troupes l’ordre de respecter ses terres ; elles devinrent ainsi des lieux de refuge, et l’archevêque put mettre à la disposition de l’intendant de Flandre, pour la nourriture de l’armée française, le froment qu’elles produisaient. On lui offrit aussi, pour le protéger dans ses voyages, des escortes qu’il refusa. Emmanuel de Broglie, Fénelon à Cambrai, c. iv.

Cette guerre de la succession d’Espagne, Fénelon dans les mémoires qu’il adresse à ses amis de la cour, Chevreuse et Beauvilliers, s’efforce d’y mettre un terme ; il veut la paix ; pour l’obtenir, presque à la veille de Denain, ignorant encore que l’Angleterre se retire de la coalition, il est résigné aux plus douloureux sacrifices. « Il y a longtemps, écrit-il, qu’on nous donne, chaque année, de belles espérances de la désuifion des alliés. Rien ne vient : l'État achève de se ruiner. Quatre places ne valent pas ce qu’on perd chaque année. Je tremble pour Cambrai, par amour pour la France ; mais j’avoue qu’il faut finir au plus tôt, à quelque prix que ce soit. » Mémoire pour la campagne de 1710.

10° Derniers travaux, à Cambrai. — L’archevêque composa à Cambrai, pour le duc de Bourgogne avec lequel il n’avait de relations que par Chevreuse et Beauvilliers, VExamen de conscience sur les devoirs de la royauté. Lorsque le jeune prince, par la mort de son père, fut devenu dauphin et héritier présomptif de la couronne, Fénelon écrivit pour lui ce qu’on a nonmié les Tables de Chemines, du château dePicardie où elles furent dressées, en octobre 1711. Il y a résumé, comme dans un répertoire, ses vues sur le gouvernement de la France. C’est là qu’il faut chercher la politique de Fénelon. « L’idée qui domine tous ses plans nous semble être, pour nous servir d’un mot extrêmement moderne, une pensée de décentralisation. » Emmaimel de Broglie, Fénelon à Ccmibrai, c. vt. On a relevé, dans les Tables de Chaulncs, telle erreur digne de Salente

(l’établissement ile lois somptuaires), telle interdiction où apparaît, sinon l’esprit de caste, du moins la méconnaissance des conditions vraies d’une aristocratie capable de durer et de servir (mésalliances interdites aux deux sexes : qu’eussent dit les duchesses, fdles du bourgeois Colbert ? C’étaient sans doute les unions des grands sei teneurs avec les fdles des trailants que visait Fénelon). Du reste, il retire aux nobles les justices seigneuriales, et il ne les exempte d’aucun impôt. Fénelon ne semble pas comprendre la nécessité pour la France d’avoir ime marine forte. A prendre dans leur ensemble les Tables de Chaulncs, on peut en dire : I (Ce) programme, tout pénétré d’humanité, mais aussi de raison, accordait, pour tout l’essentiel, plus que ne demandaient, quatre-vingts ans plus tard, les cahiers du Tiers, mais excluait les plus dangereux rêves du xviiU’siècle… » .Jules Lemaître, Fénelon, ix, dans la Revue hebdomadaire, 19 mars 1910.

La mort du tluc de Bourgogne (février 1712) emporta des projets et des espérances dont la réalisation paraissait prochaine, et fit au cœur de Fénelon une blessure qui ne se ferma point. L’archevêque de Cambrai ne se désintéressait cependant pas du bien public, et, prévoyant ime inévitable régence, il écrivit ses quatre Mémoires sur les préeautions et les mesures à prendre après la mort du duc de Bourgogne. Fénelon avait déjà perdu, en novembre 1710, l’abbé de Langeron, et à cette occasion il écrivait au vidame d’Amiens, fds du duc de Chevreuse : « Que les bons amis coûtent cherl La vie n’a d’adoucissement que dans l’amitié, et l’amitié se tourne en peine inconsolable » (15 novembre 1710). Il perdit tour à tour le duc de Chevreuse (5 novembre 1712) et le duc de Beauvilliers (31 août 1714).. partir de ces dates funèbres, « il est touché à mort ; et d’année en année, rien n’est plus beau que ce dépouillement successif de lui-même. » F. Brunetière, iManucl de l’histoire de la littérature française, V époque. Sa douleur cependant ne l’absorba point. Il écrit pour le duc d’Orléans ses admirables lettres sur la religion, chef-d’œuvre d’apologéticjue. Il entretient avec des âmes choisies une correspondance que M. Lanson juge le plus beau des titres littéraires de Fénelon, et qui est aussi un titre à la reconnaissance de tous ceux que ces lettres ont consolés et soutenus. Peu de temps avant sa mort, il prépare l’impression du recueil qu’on a nommé Manuel de piété. Gosselin, Histoire littéraire de Fénelon, part. I, sect. iv, a. 2. Il répond à une requête de l’Académie française par sa lettre sur les occupations de cet illustre corps, œuvre qui rejoint les Dialogues sur l’éloquence, écrits dans sa jeunesse. De part et d’autre, c’est toujours le même esprit, le même goût. du simple, du naturel et du familier. L’esprit de chimère n’est pas absent des Diedogucs sur l’éloquence, remarque M. Paul.Janet, " lorsque Fénelon attribue à l’inspiration du moment une puissance et une fécondité qu’elle n’a pas. » Voir aussi Anatole Feugère, Bourdaloue, sa prédication et son temps, part. I, c. i. Dans la Lettre sur les occupations de l’Académie française, des vues justes, ingénieuses, hardies, fécondes, se mêlent à des sévérités excessives, à des assertions paradoxales ; mais, nonobstant ces défauts, on y découvre un critique de premier ordre. Les Dialogues et la Lettre sur les occupations de l’Académie française contiennent de judicieuses appréciations des Pères de l’Église considérés au point de vue de l’éloquence.

Fénelon mourut, le 7 janvier 1715, entouré des proches et des amis qui lui restaient. L’aumônier de l’archevêque a tracé de cette mort un édifiant et touchant récit. Voir Bausset, Histoire de Fénelon, 1. VIII, c. xxi. Ses dernières paroles, en recevant le viatique, furent un acte de pur et confiant amour : Oui, mon Sauveur Jésus-Christ contenu réellement

dans cette hostie est mon Dieu… il est mon juge…, mais je l’aime bien plus que je ne le crains. » Récit de l’abbé Guyot, dans E. Griselle, Fénelon. Études historiques, p. 294.

D’après le marquis de Fénelon, Louis XIV, songeant au concile national qu’aurait sans doute présidé l’archevêque de Cambrai, prononça sur le défunt cette parole de froid regret : // nous memque bien au besoin. II""’de Maintenon écrivit, le 10 janvier, à M. Languet, curé de Saint-Sulpice : « Je suis fâchée de la mort de M. de Cambrai ; c’est un ami que j’avais perdu par le quiétisme. Mais on prétend qu’il aurait pu faire du bien dans le concile si on pousse les choses jusque-là. » III. L’apologiste, le philosophe, le théolg-GiEN, l’homme. — Sous CCS divefs aspects, Fénelon nous est déjà connu ; nous n’avons guère qu’à préciser certains traits de sa physionomie et à compléter son portrait.

De bonne heure, Fénelon a été apologiste, parce que de bonne heure il a vu la nécessité de défendre la foi au milieu d’une société en apparence si fortement ordonnée. Dès 1685, dans son sermon pour l’Épiphanie, il avait signalé < un bruit sourd d’impiété » , qui allait grandir à mesure que le règne de Louis XIV toucherait à sa fin. Son Traité de l’existence et des attributs de Dieu démontra à des esprits atteints ou menacés par le spinosisme, cette vérité primordiale et fondamentale. La première partie de cet ouvrage, composée selon le témoignage de Ramsay, dans la jeunesse de Fénelon, est, dit P. Janet, « une œuvre d’un caractère essentiellement populaire et de forme littéraire, sauf à la fin… C’est un écrit éloquent, d’une langue abondante et magnifique, dans laquelle Fénelon s’est inspiré des anciens, en développant le célèbre argument dit des causes linales, et, dans une langue plus moderne, des merveilles de la nature. » Fénelon, c. ix. Ce qui manque à cette première partie, ce sont certaines précisions scientifiques ; Bossuet, dans la Connaissance de Dieu et de soi-même, paraît bien plus au courant de la science de son temps. La première partie du Traité de Fénelon parut, en 1712, sans la participation de l’auteur ; la seconde partie, réunie à la première, fut publiée en 1718 par les soins de Ramsay et du marquis de Fénelon. Dans la seconde partie, l’auteur part du doute méthodique de Descartes, établit, par le principe d’évidence, la réalité de son existence, et prouve l’existence de Dieu par l’imperfection de l’être humain, par l’idée que nous avons de l’infini, par celle que nous avons de l’être nécessaire, par la nature même des idées. Adversaire de Malebranche en théologie, il se rencontre sur le terrain philosophique avec le hardi oratorien ; lui aussi représente cette doctrine moins sûre que brillante qui, au xixe siècle, devait se nommer Vontologisme. Voir part. II, c. IV. Le c. v traite longuement des attributs divers que Fénelon fait découler tous de la notion de Dieu. Ici se présente une objection qui porte plus haut que la tliéorie fénelonienne, et qui vise l’enseignement catholique. « On se demande, écrit M. Paul Janet, comment la pluralité des personnes divines peut s’entendre dans un être absolument un, d’une suprême unité. » Non certes, à cette question l’on ne répondra pas que « c’est l’esprit humain qui distingue les personnes divines, pour proportionner la nature divine à la nature humaine, » car, comme le remarque M. Paul Janet, ce serait « détruire la réalité des personnes divines considérées en elles-mêmes, et par conséquent dessécher le christianisme à sa source. » On pourra dire que « c’est une question de foi, » et ajouter même que « la philosophie n’a rien à y voir, » pourvu que la philosophie ne s’évertue pas à découvrir une contradiction entre la suprême unité de Dieu et la trinité des personnes divines. Sans doute. '2167

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lorsque nous regardons la personne humaine — la seule que l’expérience et la raison nous révèlent — nous la voyons subsister dans une nature numériquement distincte : autant nous comptons de personnes, autant nous comptons de natures ; mais la raison nous contraint-elle d’affirmer qu’il en est ainsi en Dieu ? Elle sait que l’unité inlinie est aussi l’infinie richesse, l’infinie perfection : et elle ne peut, a priori, opposer une fin de non-recevoir à la révélation qui lui découvre en Dieu trois relations subsistantes, trois personnes dirons-nous avec la théologie et l'Église, en attachant à ce mot personnes un sens supérieur à celui qu’il a dans le langage humain. Notons-le d’ailleurs, pour que la pluralité des personnes altérât l’invulnérable unité de la nature divine, il faudrait cjue le concept de la nature et le concept de la personne fussent identiques ; or ces concepts sont distincts, ils sont irréductibles.

Dans tout l’ouvrage, à de hautes spéculations s’entremêlent des effusions pieuses qui rappellent celles dont abondent les Confessions de saint Augustin.

Les Lettres de Fénelon sur divers sii/cts de religion et de métapliysique « peuvent être considérées comme la suite et le complément du Traité de l’existenee et des attributs de Dieu. « Gosselin, HistoirelittérairedeFénelon, part. I, a. 1, sect. i, n. 2. Au nombre de sept, ces lettres, dont la première était adressée au duc d’Orléans, futur régent, traitent des vérités fondamentales, regardées surtout au point de vue du xv !  !  ! e siècle : l’existence d’un Dieu infiniment parfait et souverainc : nent libre, et la réfutation du spinosisme ; la liberté et l’immortalité de l'âme ; la nécessité d’un culte intérieur et extérieur ; l’existence enfin et l’autorité de l'Église catholicjue. Dans la vi'= lettre où il indique les moyens variés dont Dieu se sert pour attirer les âmes droites, où il indique l’indispensable nécessité d’une préparation morale chez quiconque cherche la vérité religieuse, Fénelon révèle une psychologie pénétrante, une sûre et consolante théologie.

Signalons aussi sa Lettre à AL Vévêque d’Arras sur la lecture de l'Écriture sainte en langue vulgaire.

Nous n’avons pas encore dit quelle était la doctrine de l’archevêque de Cambrai sur un point dont l’importance, capitale de tout temps, l’a paru davantage encore lors du concile du Vatican qui a élevé au rang de dogme une vérité certaine.. la différence de la plupart des théologiens français du xviie siècle, l""énelon était uUramonlain. L’avait-il toujours été? Si un Mémoire, découvert parmi les leitres écrites de Saintonge, copié par un secrétaire de l’abbé Grégoire, et attribué par celui-ci à Fénelon, est authentique, il faut reconnaître que le futur archevêque a été gallican à ses débuts. M. Émery croyait ce Mémoire l'œuvre de Claude Henry, et de fait, on y retrouve les idées principales des jD/sroi/rs s ;  ;  ; - Z'/u’sloire ecclésiastique. Au point de vue doctrinal, l’auteur rejette l’infaillibilité personnelle et même l’infaillibilité officielle du pape ; l’indéfectibilité du Saint-Siège lui suffit. Au point de vue disciplinaire, il veut que l’action romaine soit surveillée et limitée. M. Gazier s’est autorisé de critères internes pour attribuer ce Mémoire à Fénelon, dont il croit y reconnaître le style et la manière de procéder : phrases courtes, simples et pourtant imagées ; entrée en matière vive et précise ; parfaite netteté dans la distribution des idées ; développement historique serré ; alinéas numérotés. L’auteur du Mémoire fait allusion à la Vie de CJxurlemagne, œuvre de Fénelon qui périt dans l’incendie de son palais. C’est vers 1688 que M. Gazier place la composition du Mémoire. Les raisons qu’il allègue ne paraissent pas décisives ; rien d’ailleurs d'étonnant à ce que l’abbé de Fénelon, à une certaine époque, ait partagé certaines idées de Flcury et de Bossuet.

Quelques défiances cquc l’auteur du Mémoire manifeste à l'égard de Rome, il affirme la nécessité de « connaître de sang-froid et sans passion les vraies maximes de l'Église gallicane qui sont modérées et pleines de sulwrdination pour le Saint-Siège ; » l’auteur redoute, comme la redoutera plus tard l’archevêque de Cambrai, l’intervention du parlement dans les affaires de l'Église.

Quoi qu’il en soit de l’origine de ce Mémoire, la Dissertatio de suninii ponlificis auctoritute nous donne l’irrécusable témoignage des sentiments de Fénelon dans la dernière période de sa vie. L’archevêque de Cambrai écrivait après l’assemblée de 1682, car il raconte, au c. vii^ de sa Dissertation, une pressante discussion qui eut lieu alors entre Bossuet, lequel défendait fortement l’indéfectibilité doctrinale du Saint-Siège, et l'évêque de Tournai, Gilbert de Choiseul, qui n’hésitait pas à la rejeter. M. Émery avait publié ce fragment de la Dissertation dans son édition des Nouveau.t opuscules df l’ablfé Flcury ; ei la Dissertation parut intégralement pour la première fois en 1820. La thèse de Fénelon, dont on remarquera l’extrême réserve, est celle-ci : Sententia quic docet pontifieem… non passe ullo modo definire aliquid hærelicum a tota Ecclesia credendum, certissinw est et asserenda, c. ii. Fénelon prouve sa thèse par de nombreux textes empruntés à la tradition et par une argumentation pressante. Craignant que l'Église ne parût quelquefois manquer d’un centre déterminé, par exemple, pendant la vacance du Saint-Siège, il s’attache à montrer dans l’assentiment du clergé romain parlant avec son ciief, non pas seule : nent une caractéristique de Ve.r cathedra, comme il le fut autrefois, mais une condition I même de l’exercice de l’infaillibilité doctrinale. Or, cette infaillibilité, c’est le pape qui la possède, et c’est à lui cju’il appartient de choisir le mcilk-ur moyen de notifier à toute l'Église son irréformable décision.

Si dévoué à une doctrine cjue la France ecclésiastique avait ofiiciellement désertée, Fénelon, nous l’avons dit, dut se justifier de l’avoir trop peu défendue dans l’affaire du jansénisme. Il allègue au cardinal Gabrielli les motifs cjui lui ont commandé le silence sur ce point (lettre du 2.5 août 1704) ; en 1707, il rappelle au cardinal Fabroni que son mandement pour l’acceptation de la bulle Vinecun Domini contient une nette affirmation de la promesse qui assure à Pierre le droit d'être obéi en matière de foi. Nequc certe quisquam alins autistes hœc conunemorare ausus est, ajoute-t-il avec une modeste fierté. Il soutient aussi dans une lettre à Gabrielli (1707) la manière dont les évêques français avaient accepté par voie de jugement la constitution apostolique. « Il conclut, dit M. Gosselin qui résume la dernière partie de la lettre de Fénelon, que les évêques étant, par l’institution de Jésus-Christ lui-même, soumis à la juridiction du souverain pontife, n’ont pas le droit d’examiner, de réformer ou de supprimer le jugement du Saint-Siège ; mais qu’ils ont cependant le droit, en acceptant sa décision, de prononcer avec lui, par voie de jugement, en attestant que cette décision s’accorde avec la tradition des Églises particulières. » Histoire littéraire de Fénelon, part. I, a. 1, sect. ii, n. 4.

La doctrine de Fénelon, traitée de subtilité par dom Guéranger, a été défendue par le P. Matignon, Études religieuses, janvier, mai 1870.

Sur la question que le 1 «  article de la Déclaration de 1682 avait tranchée d’une manière si radicale et si contraire à un enseignement presque universel, Fénelon propose une solution d’entre deu.r, qui devait être adoptée et défendue par Gosselin, Pouvoir du pape au moyen âge. Fénelon n’admet ni le pouvoir direct, ni le pouvoir indirect du souverain pontife sur le temporel ; il explique l’intervention des papes dans les conflits des rois et des peuples par un pouvoir directif qui aurait fait d’eux les casuistes suprêmes de la chrétienté. La

fidélité à l'Église était au moyen âge la preaiière clirase du contrat qui liait les sujets à leurs princes, et l’essentielle condition de la légitimité de ceux-ci ; nul n’avait comme le pape autorité pour décider s’il y avait i en certains cas infraction au contrat, pour prononcer sur une culpaljilité qui entraînait la déposition. Ecclesia, dit Fénelon, ncquc destitiiebat, neqiie inslitiicbat laicos principes, scd taniiim consulentihiis genlibas respondebal quid, rations contractas et særamenti, conscientiam altineret. Hxc non juridica et civilis, scd dircctiva tantiun et ordinaliva potestas, quam approbat Gcrsonitis, c. xxxix. Cette théorie, quoique vraie, est incomplètement explicative.

On trouvera aussi que l’archevêque de Cambrai a jugé avec les préventions du xyiiie siècle la conduite de certains papes (Hœe eadem potestas qiiæ in Leone, aut Agalhone, aut Gregorio Magno, blanda et cluira fuit, in Gregorio VII et Bonijacio VIII exlcrrait gentes, c. xl) ; mais il est clair comme le jour que le traité De summi poniificis anctoritale a été inspiré par le plus pur amour de l'Église et du Saint-Siège. Fénelon condamne fortement les fréquentes intrusions des magistrats séculiers dans le domaine spirituel ; il appelle de tous ses vœux une plus étroite union des Églises particulières — notamment de l'Église de France — avec le centre de l’unité.

Fénelon, Œiwres complètes. 10 in-12, Paris, 1810 ; 23 in-8°, Versailles, 1820 ; 3 in-4°, Paris, 1835 ; 10 ia-i", Paris, 1851 ; 8 in-8°, Paris, 1854 ; Albert Chérel, Nouvelle édition du livre des Maximes des saints, revu, corrigé et augmenté par l’auteur même, Paris, 1911 ; Correspondance, Il in-8°, Paris, 1821 ; Barbier de Montault, Lettres inédites de Féncton, Paris, in-12, 1863 ; M. Cagnac, Lettres inédiles à la dnchesse de Clievreuse et an dnc de Clievrense, in-S", Paris, 1894 ; Id., Lettres de direction, in-12, Paris, 1902 ; Sermons, dans les Orateurs sacrés de Migne, 1847, t. xxvin.

Bossuet, Œuvres complètes, voir t. ii, col. 1089 ; Ramsay. Histoire de ta vie et des ouvrages de Messire François de Salignac de ta Motlte-Féneton, in-12, Amsterdam, 1727 ; L.-F. de Bausset, Histoire de Fénelon, arclwvèque de Cambrai, 3 in-8°, Paris, 1808 ; 2e édit., 1809 ; in-4°, Versailles, 1817 ; 4e édit., Paris, 1823 ; Phélipcaux, Relation de l’origine, du progrès et de la condaninidion du quiélisme répandu en France, 2 in-12, 17.33 ; Gosselin, Histoire lilléraire de Fénelon, in-8, Lyon et Paris, 1843 ; A. Bonne !, La controverse de Bossuet et de Fénelon sur le quiélisme, Mâccn, 1850 ; Griveau, Élude de la condamnation du livre des Alaximes des saints, 2 in-12, 1878 ; L. Crouslé, Bossuet et Fénelon, 2 in-S", I-'aris, 1894 ; Matter, Le mijslicisme en l’rance au temps de Fénelon, in-12, Paris, 1806 ; Guerrier, M"' Gijyo/i..Sa vie et sa doctrine, Paris, 1881 ; Paul Janet, Fénelon, Paris, 1892 ; Sainte-Beuve, Causeries du lundi, 1850, t. ii ; 1854, t. x ; L. Boutié, Fénelon, in-8°, Paris, 1900 ; H. Druon, Fénelon, archevêque de Cambrai, 2 toni., Paris, s. d. ; Brunctière, Études critiques sur Tliistoire de la littérature française, 2' série ; Alanuel de la littérature française, Paris, 1898 ; Emmanuel de Broglic, Fénelon à Candtrai, Paris, 1884 ; H. Sackebant, Fénelon et le séminaire de Cambrai, Cambrai, 1902 ; Maurice Massjn, Fénelon et Af°= Gugon, 1907 ; Albert Delplanque, Fénelon et ses amis, 1910 ; Brémond, Apologie pour I-'énelon, Paris, 1910 ; M. Cagnac, Études critiques sur Fénelon, in-12, Paris, 1910 ; L-'inaître, Fénelon, Paris, 1910 ; E.GriscUe, Fénelon, Études liistoriques, Paris, 1911 ; Huvelin, Bossue/, Fénelon, le quiélisme, 2 in-12, Paris, 1912. Voir aussi la Revue Fénelon, fondée par M. Griselle en 1911.

A. Largen’T.

    1. FENIS (Jean-Léonard de)##


FENIS (Jean-Léonard de), controversiste renommé, né à Tulle vers 1626, admis dans la Compagnie de Jésus en 1642. Ses talents d’orateur et d'écrivain lui acquirent une grande célébrité dans la prédication et dans la controverse avec les protestants. Il mourut à Bordeaux, le 27 janvier 1688. Ses ouvrages plusieurs fois réimprimés, d’une haute valeur doctrinale, gardent encore un intérêt historique : 1° Controverses familières où les erreurs de la religion prétendue réformée sont réfutées par l'Écriture, tes conciles et les Pères, Paris, 1683 ; trad. flamande, Bruges, 1698 ; 2 « Xonvclle méthode pour instruire les nouveaux converUs et pour

convertir ceux qui sont encore dans le schisme, Paris, 1682 ; 3° Traité de la présence réelle du corps de JésusChrist dans l’eucharistie : pour réponse au nouvel écrit de Monsieur Claude, ministre de Cluirenlon, Paris, 1683 ; 4° Traité de la foij, où l’on établit la divinité de Jésus-Christ et la vérité de l'Église romaine. Tulle, 1683 ; 5° Instruction familière pour les noiwcaux convertis, Bordeaux, 1686.

.Sommervogcl, Bibliotliéque de la C'= de Jésus, t. iii, col. 636 ; Acta erudit. l.ips, 1683, p. 530 sq.

P. Bernard.

    1. FENNACCIOLI Thomas##


FENNACCIOLI Thomas, théologien italien de la seconde moitié du xviii<'siècle, a publié : Summæ theologicæ S. Thomæ Aquinatis, quinti Ecclesiæ doctoris, catena argentca, ipsiiis angelici præceptoris vcrbis coniexta, ordine alphabctico disposita, marginalibus notis illustrcda, ad iisum studiosæ juventulis in Taurinensi gymnasio, ccterisque univcrsilatibus, viginti annorum spatio, opéra et studio Thomæ Fennacioli, Asculani, absoluta, in-fol., Fano, 1761. L’ouvrage devait avoir trois volumes : le i" seul a été imprime.

Richard et Giraud, Bibliothèque sacrée, 1823, t. xi, p. 29.

B. Heurtebize.

    1. FERCHIO Mathieu##


FERCHIO Mathieu, né dans l'île de Veglia sur la côte de l’Istrie, le 24 janvier 1583, entra encore enfant chez les mineurs conventuels et fit sa profession religieuse en juillet 1599. Après avoir étudié à Bergame, à Padoue et au collège de Saint Bonaventure à Rome, il fut à son tour chargé d’enseigner et presque toute sa vie se passa dans la chaire de professeur. On le trouve régent des études chez ses confrères ; ' » Rimini en 1611, à Venise en 1617. L’année suivante, comme il accompagnait le ministre général dons sa visite en France, il fut élu ministre de la province de Lyon, ou de Saint-Bon ?venture, fonction d’ailleurs qu’il exerça très peu de temps. En 1623, il était nomme assistant du ministre général, puis le temps de sa charge expiré, on renvoy£.it à Padoue, où l’université le réclamait comme professeur de théologie. Le P. Ferchio y passa les quarante dernières années de son existence qui s’achevait le 8 septembre 1669.

Un de ses biographes l’appelle emphatiquement un " minotaure scientifique » ; son érudition était vaste et servie par une conversation agréable et des mœurs polies. On en trouve la preuve dans le ? nombreux travaux qu’il donna au public et dont voici une liste probablement incomplète. Après avoir été bonaventuriste dans sa jeunesse, il s’attacha plutôt aux doctrines scotistes dan.^ son enseignement et ses premiers travr.ux furent pour défendre le docteur subtil. Passant par Cologne, il avait visité son tombeau et il publia contre un chanoine de cette ville une Apologia pro Joanne Dans Scoto in Joannem Fridcricum Matenesium, in-So, Cologne, 1619. Rentré dans la province de Lyon, il fit paraître contre Bzovius la Corrcptio scotica J. D. Scoti doct. subi, vilam et mortem cxplicans, Chambéry, 1620. De retour en Italie, il donna une troisième apologie in Paulum Jovium Novocomenscm, Bologne, 1620, avec laquelle il rééditait les deux premières. La Vita]beati Joannis Dunsii Scoti franciscani doctoris sublilis, Bologne, 1622, 1623, fut la suite naturelle de ses premiers travaux, et on les trouve réunis avec la date de Bologne et Naples, 1629..

Une fois installé dans sa chaire à l’université de Padoue, le P. Ferchio reprit la plume et ne la déposa plus avant la fin de sa carrière. Il commença par publier deux discours, Orcdiones metaphysica et theologica, prononcés tous deux le 12 mars en 1629 et 1631 à l’université, Padoue, 1631. Au cours des années suivantes, il publia dans la même ville : Islri seu Danubii ortus cdiorumqiie fluminum ab Aristotele in primo Meteoro inductonun. Accessit Lacus