Dictionnaire de théologie catholique/FOI I. Sens du mot dans l'Ecriture et la tradition

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 6.1 : FLACIUS ILLYRICUS - GEORGIEp. 35-90).

FOI.
I. Sens du mot dans l’Écriture et la tradition.
II. Rapports de la foi avec les autres vertus ; sa fermeté.
III. Motif spécifique de la foi.
IV. Quelle révélation la foi suppose.
V. Rôle de l’Église dans la foi.
VI. Préparation rationnelle de la foi ; le fidéisme.
VII. Rôle de la grâce dans la préparation rationnelle de la foi.
VIII. Persévérance dans la foi ; résolution de persévérer.
IX. Rapports de la foi et de la science chez le savant catholique.
X. La foi, vertu surnaturelle et théologale ; sa certitude particulière.
XI. Liberté et obscurité de la foi.
XII. Controverses théologiques sur l’analyse de la foi.
XIII. Nécessité de la foi pour le salut.

I. Sens du mot dans l’Écriture et la tradition.

Dès le début, nous sommes arrêtés par une controverse fondamentale, soulevée par les protestants, sur le sens du mot « foi » , πίστις, dans le Nouveau Testament. Nous montrerons que la tradition catholique, bien qu’elle ait pu préciser le langage de l’Écriture, n’a pas forgé pour le mot « foi » un sens antiscripturaire ou extra-scripturaire. Cette étude, plus poussée que dans les anciens auteurs ou dans les modernes manuels, aura l’avantage de nous familiariser dès l’abord avec les principaux textes sur la matière, et de remonter à la première source d’une théologie de la foi. Ne convient-il pas spécialement à un dictionnaire de théologie d’expliquer avec soin le sens des mots les plus importants et les plus discutés de la langue sacrée ? Si une pareille discussion scripturaire, en droit, relève plutôt d’un dictionnaire biblique, en fait on ne la rencontre dans aucun dictionnaire catholique de la Bible ; on la trouve dans le dictionnaire protestant de Hastings, mais avec des inexactitudes que nous serons obligés de relever.

Sans entrer encore dans les déterminations spécifiques de l’acte de foi, et pour en donner seulement une idée générique qu’il importe de fixer avant tout, la foi, d’après les documents de l’Église que nous citerons, est un assentiment intellectuel, quoique produit sous l’influence de la volonté. Tout cela, dans le langage de la philosophie contemporaine, peut s’exprimer en un seul mot : « croyance » . Voir Croyance, t. iii, col. 2365. Nous emploierons ce mot, soit par raison de brièveté, soit parce qu’il rappelle l’influence de la partie affective, de la volonté, tandis qu’on pourrait s’imaginer que nous voulons exclure cette influence, si nous disions : la foi est un assentiment intellectuel, soit enfin parce que plusieurs contemporains, avec qui nous devrons discuter, l’emploient eux-mêmes et nient que la foi, dans le Nouveau Testament, soit une croyance, ou du moins une simple croyance. Généralement ils admettent dans la foi un certain élément intellectuel, car le bon sens et l’expérience disent assez haut qu’un tel élément, si vague soit-il, est inséparable des sentiments religieux. Mais, tout en faisant une certaine place à la « croyance » , la « foi religieuse » pour eux consiste uniquement, ou du moins principalement, dans ces sentiments dont la croyance n’est que le point de départ ou l’accompagnement. En résumé, pour les catholiques, la foi, « commandée par la volonté, » comme dit saint Thomas, s’achève dans l’intelligence, sans nier, bien entendu, la nécessité pour la vie chrétienne d’autres actes de volonté ultérieurs, comme l’espérance, la charité, qui restent bien distincts de la foi. Pour les protestants, la foi s’achève dans ces actes de volonté ou sentiments ultérieurs, ou dans quelques-uns d’entre eux, et le mot « foi » a pour fonction propre de les signifier ; en sorte qu’on ne distingue plus du tout la foi de l’espérance, ou de la charité, ou qu’on a bien de la peine à lui assigner une différence. Disons une fois pour toutes que, lorsque nous parlons d’intelligence, de volonté, nous ne supposons pas nécessairement un système philosophique où ces « facultés » soient réellement distinctes. Mais si les facultés ne le sont pas, les actes le sont évidemment : connaître n’est pas vouloir, si liés et si emmêlés que ces deux actes soient entre eux. Nous n’employons donc les mots de « volonté » et d’« intelligence » que comme des expressions commodes pour désigner deux actes d’espèce différente, qui ont souvent entre eux des rapports de cause à effet.

Nous chercherons l’idée première et générique correspondant au mot « foi » :
1° dans l’Écriture ;
2° chez les Pères ;
3° dans les documents ecclésiastiques.

I. L’ÉCRITURE.

Nous n’étudierons que le Nouveau Testament, où la révélation est toujours plus claire et plus complète, ce qui est particulièrement vrai de la foi, dont le nom y revient souvent. Non pas que le mot πίστις y ait toujours le sens que nous avons dit, c’est-à-dire une simple croyance, un assentiment intellectuel dû partiellement, sans doute, à l’influence des affections et de la volonté, mais faisant abstraction de sentiments ultérieurs, s’arrêtant à l’intelligence et s’y achevant. Il n’est guère de mot dans l’Écriture, qui ne change parfois de sens. Mais ce que nous prétendons, c’est que le sens ci-dessus est le sens principal, ou du moins un des sens dominants, du mot πίστις ; dans le Nouveau Testament. En face de cette interprétation catholique, les protestants ont pris tour à tour deux positions qu’on ne doit ni juger ni réfuter de la même manière, l’une plus radicale, l’autre plus modérée. De là une division qui nous semble utile pour mettre de l’ordre dans un sujet très complexe et de la clarté dans le débat.

Opposition radicale.

Elle prétend que jamais dans l’Écriture, ou du moins dans saint Paul dont les protestants se réclament tout particulièrement, le mot « foi » n’a le sens catholique d’une croyance. Ainsi M. Jean Monod : « Pour un grand nombre d’hommes, dit-il, la foi consiste à admettre comme vraies certaines propositions religieuses ; on a confondu avec la foi, qui est un fait moral et un certain état de l’âme, l’un de ses éléments, savoir la croyance, à laquelle l’apôtre Paul ne donne jamais le nom de foi. » Dans l’Encyclopédie des sciences religieuses de F. Lichtenberger, Paris, 1878, t. v, p. 4.

C’était la position de plusieurs des réformateurs du xvie siècle ; et pour la soutenir plus brillamment dans ce bel âge de l’humanisme, d’aucuns comme Mélanchthon prétendirent que dans la littérature classique πίστις ou fides ne signifie jamais une croyance. Nos apologistes durent leur rappeler que Cicéron a dit : Insanorum visis fides non est habenda, De divinatione, l. II, c. lix ; que Virgile a dit : Credo equidem, nec vana fides, genus esse deorum. Enéide, l. IV, vs. 12. Quant au grec, Aristote rapproche la foi πίστις de l’opinion ὑπόληψις, qui est un acte intellectuel, une faible croyance. Topiques, l. IV, c. v, Paris, Didot, 1848, t. i, p. 214. Et le dictionnaire protestant de Hastings reconnaît que πιστεύειν τοῖς θεοῖς signifie ordinairement, non pas se confier dans la bonté des dieux ou les aimer, mais « admettre leur existence » , par opposition à l’athéisme, en un mot une simple croyance. Warfleld, art. Faith, dans Dictionary of the Bible, Edimbourg, 1900, t. i, p. 828.

C’en est assez, pour la question, d’ailleurs très secondaire ici, des classiques païens. Montrons que dans la sainte Écriture, et même quand il s’agit du vrai Dieu, le mot en question s’emploie au moins quelquefois pour uni pour une conviction intellectuelle. sans aller plus loin. Nous joindrons les mots « foi » et

« croire » , parce que tout le monde admet que ce substantif et ce verbe se correspondent exactement, ce

qui apparaît plus sensiblement dans le grec, πίστις et plusieurs textes leur synonymie se fait voir par l’emploi successif de ces deux mots pour Matth., ix, 28 ; I Joa., v, 4. Le verbe croire pourrait donc, à la rigueur suppléer totalement le substantif. Ainsi en est-il dans le IVe Évangile ; bien qu’il aborde très souvent la question de le foi, on n’en trouve jamais le nom, mais le verbe « croire » le remplace. Même remarque a été faite pour le substantif

« espérance » dans les quatre Évangiles. Voir

Espérance, t. v, col. 606. Dans l’hébreu, il y a un verbe pour signifier, à l’un de ses modes, l’idée de croyance ; mais le substantif grammaticalement correspondant n’a qu’une fois ce sens, Hab., ii, 4, c’est le texte plusieurs fois cité par saint Paul. Voir son interprétation dans Prat, Théologie de S. Paul, IIe partie, 2e édit., Paris, 1912, p. 341.

1. Exemples du substantif employé dans notre sens.

Saint Paul en fournit d’assez clairs par leur contexte, depuis ses premières jusqu’à ses dernières Épîtres. Affirmant aux Thessaloniciens que leur « foi en Dieu » est connue de tous, voici comment il explique et prouve cette assertion : « Car tous racontent quel accès nous avons eu auprès de vous et comment vous vous êtes convertis des idoles au Dieu vivant et vrai. » I Thess., i, 8, 9. « Foi en Dieu » signifie donc ici passer du polythéisme à la croyance au vrai Dieu, après avoir bien accueilli la prédication du missionnaire. Ailleurs, il leur parle de la foi salutaire comme d’une adhésion à la vérité : « Dieu vous a choisis pour vous sauver par la sanctification de l’Esprit et par la foi en la vérité. » II Thess., ii, 13 ; cf. 12. Mais la vérité n’est-elle pas le but et l’objet de l’intelligence, de la croyance ? Si donc ici la « foi » a pour objet ou but la vérité, c’est un acte de simple croyance, sans faire entrer sous ce nom de

« foi » la confiance du pardon ou d’autres sentiments

religieux, si bons soient-ils d’ailleurs. Nous ne nions pas que de tels sentiments doivent être ajoutés ultérieurement par le chrétien, mais nous nions qu’ils soient ici précisément désignés sous le nom de « foi » . La « vérité » est un objet sur lequel ne peut pas se porter la confiance.

Parlant aux Corinthiens, l’apôtre caractérise la vie future par une présence spéciale du Seigneur pour nous, II Cor., v, 8, présence dont il nomme le principe εἶδος, ibid., 7 ; tandis que notre existence ici-bas est caractérisée par un éloignement, une absence du Seigneur, ibid., 6, et la raison de cet éloignement est que nous sommes sous le régime de la foi, πίστις, et non de l’εἶδος. Ibid., 7. Εἶδος (de εἶδον, j’ai vu) ne peut signifier ici que la vue du Seigneur, une parfaite connaissance qui nous le rendra présent : donc le terme opposé πίστις doit être une connaissance imparfaite, qui laisse son objet comme lointain, mais enfin une connaissance, une croyance. C’est évidemment la même antithèse qui avait été déjà présentée aux Corinthiens, sur la connaissance de Dieu en cette vie et la connaissance future : Videmus nunc per speculum in ænigmate : lune autan facie ad faciem. I Cor., xiii, 12. Dans cet autre texte, c’est bien encore la foi, πίστις, qui est la connaissance imparfaite, destinée à disparaître. Quand sera venu ce qui est parfait, alors finira ce qui n’est qu’en partie… Maintenant je connais en partie, alors je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant demeurent ces trois choses, la foi, l’espérance, la charité. » I Cor., XIII, 10-13. Ainsi la « foi » correspond a cette connaissance » imparfaite : elle demeure maintenant, mais elle finira, tandis que des trois vertus la charité, qui est la plus grande, ibid., 13. ne cessera jamais. Ibid., 8.

L’Épître aux Romains parle beaucoup de la « foi » comme principe de justification et de salut, iii, iv, x. Il voici comment ici acte sauveur y est expliqué : Si tu confesses de bouche Jésus comme Seigneur, et si tu croîs de cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. » Rom., x, 9. Ainsi l’objet de cet acte salutaire de « croire » , c’est un fait surnaturel que l’on tient pour vrai, la résurrection du Christ : l’acte de croire est donc cette foi-croyance, cette foi dogmatique que nous défendons. Voir Prat, op. cit., p. 339, De plus, la foi dont parle suint Paul doit être « confessée de bouche. » Quelle était la confession île foi des premiers chrétiens ? ce sera un commentaire historique et sûr des paroles de l’apôtre. La « profession de foi » exigée des catéchumènes avant le baptême, c’était le symbole, c’est-à-dire l’acceptation d’un certain nombre de dogmes. La « confession de foi » des martyrs devant les tribunaux, c’était la proclamation du monothéisme et de « Jésus comme Seigneur » . Tout cela suppose que la « foi » est une croyance. Quant à ce mot du texte : « Si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité, « etc., c’est en vain que les protestants y cherchent une objection. Quand même on y prendrait le mot « cœur » comme nous le prenons ordinairement, pour indiquer une affection, quand même on verrait dans ce corde creditur « un mouvement de tout l’homme intérieur, » Diclionary of the Bible de Hastings, t. i, p. 836, cela ne détruirait pas le sens déjà prouvé de foi-croyance, puisque la croyance elle-même naît d’une influence du cœur, de la volonté, et procède ainsi de l’âme tout entière. Voir Croyance, t. iii, col. 2365, 2375, 2385 sq. Mais d’ailleurs, rien ne prouve que « cœur » signifie dans ce texte la partie affective. Il en serait ainsi si « cœur » était oposé à « esprit » . Ici il est opposé à « bouche » ; c’est donc cet hébraïsme en vertu duquel on se sert du mot « cœur » , pour désigner vaguement l’intérieur, par opposition à l’exté-. rieur de l’homme : « croire de cœur » , c’est croire intérieurement et non pas seulement des lèvres. Bien plus, chez les Septante dont dépend saint Paul, xapSta, cœur, désigne parfois spécialement l’intelligence, le jugement, de même que les latins disaient : cordalus homo, un homme sensé. Ainsi Exod., xxxvi, 2 ; Deut., xxix, 4 ; I Reg., iv, 20 ; III Reg., ii, 44 ; Jer., vii, 31, etc. Cf. Hatch, Essays in biblical greek, Oxford, 1889, p. 98-108. Dans la même Épître, le mot « foi » se rencontre dans un sens spécial qui se ramène encore à une conviction intellectuelle : « Tout ce qui ne (se fait pas) de (bonne) foi est un péché. » Rom., xiv, 23. Le contexte fait voir que iuctti ; est ici la conviction que nous avons de la licéité de notre action : le célèbre anglican Sanday est ici d’accord avec saint Chrysostome et saint Thomas qu’il cite. The epislle to the Romans, dans The international crilical commentary, 4e édit., Edimbourg, 1900, p. 394.

Les Épîtres de la captivité montrent aussi une « foi » intellectuelle : « Marchez en lui…, affermis par la foi, telle qu’on vous l’a enseignée. » Col., il, 6, 7. Car aussitôt, expliquant cette » foi » par les ennemis qui la menacent : « Prenez garde, ajoute-t-il, qu’on ne vous séduise par la philosophie et par des enseignements trompeurs, » 8. La foi est donc affaire de vraie doctrine et de solide conviction, qui résiste à l’enseignement contraire de la fausse philosophie et de l’hérésie. Au ꝟ. 12, il parle encore de leur « foi à l’action de Dieu, qui a ressuscité (le Christ) d’entre les morts. » Foi dogmatique ! Aux Éphésiens, rapprochant foi et connaissance, il vante « l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, » iv, 13, et dans le contexte nous montre cette unité de foi produite et maintenue par les « apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et docteurs…, afin que nous ne soyons plus des enfants, ballottés et emportés à tout vent de doctrine par la tromperie des hommes, par leur habileté à induire en erreur, » 14. Ailleurs il semble prendre comme synonyme la « science du Christ » et la « foi au Christ » , Phil., ni, 8, 9 : c’est une même chose qu’il préfère à tout.

Les Épîtres pastorales montrent également la « foi » comme une adhésion intellectuelle à la véritable doctrine, tandis que les hérétiques détruisent la foi en s’éloignant de la vérité : « Hyménée et Alexandre ont fait naufrage dans la foi. » I Tim., i, 19. « Hyménée et Philête se sont éloignés de la vérité… et renversent la foi de plusieurs. » II Tim., Il, 17, 18. « Dans les temps à venir, plusieurs abandonneront la foi pour s’attacher à des esprits séducteurs et à des doctrines diaboliques. » I Tim., iv, 1. « Reprends-les sévèrement, pour qu’ils aient une foi saine, et qu’ils ne prêtent pas l’oreille à des fables judaïques. » Tit., i, 13, 14. Toujours la « foi » dans l’ordre intellectuel, en antagonisme avec les fausses doctrines. Un autre signe de l’intellectualité de la foi dans saint Paul, c’est qu’il la met en opposition avec l’ignorance. « Je l’ai fait par ignorance, quand je n’avais pas la foi. » I Tim., i, 13.

Dans les textes précédents, la « foi » était plutôt prise au sens premier et subjectif, comme un acte du sujet : d’autres la prennent au sens dérivé et objectif, comme une doctrine qui est l’objet de cet acte. Citons quelques-uns de ces textes, qui tous prouvent notre thèse, puisque jamais le mot tJ.ut :  ; n’arriverait à signifier une doctrine, si l’acte de croire n’était pas l’adhésion à une doctrine. « Celui qui nous persécutait naguère prêche maintenant la foi, » c’est-à-dire l’Évangile, les vérités de la religion. Gal., i, 23. Lightfoot remarque ici le sens objectif, Galatians, p. 86, ainsi que dans Gal., ni, 23 ; vi, 10. « Nourri des leçons de la foi et de la bonne doctrine. » I Tim., iv, 6. « Tu n’as point renié ma foi, » etc. Apoc, ii, 13.

2. Exemples du verbe « croire » employé dans notre sens.

Plusieurs, au moins, des constructions de ce verbe donnent l’idée d’une simple croyance, et font abstraction des sentiments religieux qui peuvent s’y ajouter. Ainsi : a) avec le datif de personne (construction fréquente) irtcrrs-ja) a très clairement ce sens. Quand Jésus dit à la Samaritaine : « Croyezmoi, l’heure vient, » etc., Joa., iv, 21, lui demanda-t-il pour le moment autre chose qu’une simple croyance à sa prophétie ? De même aux Juifs : « Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? » Joa., viii, 46 ; cf. v, 46 ; x, 37, 38. « Quand ils eurent cru à Philippe qui leur prêchait le royaume de Dieu et le nom de Jésus-Christ, hommes et femmes furent baptisés. » Act., viii, 12. Et cette foi exigée pour le baptême est expliquée par « recevoir (accepter) la parole de Dieu. » Ibid., 14 ; cf. xxvi, 27. b) Avec le datif de chose : croire à la parole de quelqu’un, à son témoignage, à l’Écriture, etc. Ce cas revient au précédent, dont il n’est qu’une paraphrase. « Tu seras muet…, parce que tu n’as pas cra à mes paroles. » Luc, i, 20. Saint Jean parle de croire « à l’Écriture, » ii, 22, « à la parole que Jésus avait dite, » iv, 50, « aux écrits de Moïse, » v, 47. Saint Paul croit « à tout ce qui est écrit dans la loi et les prophètes. » Act., xx, 14. Il annonce que Dieu jugera ceux « qui n’ont pas cru à la vérité. » IIThess., ii, 11. c) Avec l’accusatif de chose : « Je suis la résurrection et la vie… Croyez-vous cela ? » Joa., xi, 26. Simple croyance, évidemment. Marthe répond : « Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, » etc. d) Avec la conjonction que (Stc, etc.) suivie d’une proposition. Cas fréquent, réductible au précédent : la proposition exprime une vérité, croire une vérité est un acte intellectuel, une croyance : « Afin que le monde croie que vous m’avez envoyé. » Joa., xvii, 21 ; cf. xvi, 27 ; xx, 31. » Nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, » I Thess., iv, 14 ; cf. Rom., x, 9, 10, où une semblable foi est présentée comme servant à la justification et au salut, e) Avec l’infinitif. Cette construction, où le que est retranché, équivaut à la précédente : « C’est par la grâce de Jésus-Christ que nous croyons être sauvés. » Act., xv, 11. Cf. Rom., xiv, 2.

Nous avons surabondamment réfuté l’opposition radicale à la thèse catholique.

Opposition modérée.

D’autres protestants, tout en concédant que l’Écriture, et même saint Paul, emploient souvent les mots « foi, croire » pour une simple croyance à la parole de Dieu, soutiennent pourtant comme bien plus fréquent un autre sens qu’ils nomment le sens fort, ou profond, ou « prégnant » . Sa prédominance dans le Nouveau Testament en ferait le stns « propre » , c’est-à-dire celui qu’on est en droit de présumer partout jusqu’à preuve du contraire, celui par lequel on est en droit de définir la foi dans l’enseignement chrétien. Ce sens propre présupposerait l’élément croyance, plus ou moins diminué dans son objet, niais y ajouterait un élément affectif subséquent, que chacun décrit d’une manière un peu différente et plus ou moins complexe, mais dans lequel réside la véritable essence de la foi. « Le retour à Dieu, dit M. Ménégoz, exige un acte du moi tout entier, par lequel l’homme s’arrache au péché et se donne à Dieu. Cet acte est la Foi… Dieu ne demande au pécheur, pour le recevoir en grâce, ni la sainteté à laquelle il sent qu’il ne pourra jamais atteindre, ni une expiation qu’il sent ne jamais pouvoir fournir, mais uniquement un mouvement du cœur, un acte de sincère consécration, un abandon confiant et entier à la divine miséricorde. » Le fidéisme, Paris, 1900, p. 17. Qu’est-ce donc que la foi ? demande Auguste Sabatier. Est-ce encore l’adhésion intellectuelle à des dogmes ou la soumission à une autorité extérieure ? Xon. C’est un acte de confiance, l’acte d’un cœur d’enfant, qui retrouve avec joie le Père qu’il ne connaissait pas, et qui, sans orgueil d’aucune espèce, est heureux désormais de tenir tout de ses mains. Voilà ce que Luther a trouvé dans cette parole de l’apôtre Paul : Le juste vivra par la foi. Dans cette transformation radicale de la foi ramenée à son sens évangélique, se trouvait le principe de la plus grande révolution religieuse que le monde eût traversée depuis la prédication de Jésus. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 4e édit., Paris, 1897, p. 245. Oui, la transformation du sens du mot « foi » (reste à savoir si cette transformation « ramenait la foi à son sens évangélique » ) a servi de prétexte à Luther pour rejeter presque tous ceux des dogmes catholiques qu’il rejette, hiérarchie, sacrements et leur manière d’opérer, expiations de la pénitence, purgatoire, etc. C’est loin bien, avec sa théorie exagérée des suites de la chute originelle, un dis fondements de son système et un principe de sa révolution religieuse, on pourrait presque dire sa seule idée positive et originale, le pouvant se retrouver çà et là dans d’autres hérésies. On conçoit dès lors pourquoi les protestants d’aujourd’hui, quelle que soit leur couleur, quel que soit le nombre des dogmi s conservés par Luther qu’ils i nent ou qu’ils abandonnent, gardent tous au moins quelque noe di sa conception de la foi. Ainsi M. Sanday, bien qu’il rejette en partie la théorie de Luther sur la justification par la foi (voir son commentaire sur l’Épltre aux Romains, I’édit., p. 152), te pourtant cette définition : Foi au Christ signifie îiii attachement au Christ, une forte émotion d’amour et de gratitude. Introduction, p. xi.vi. i La foi. dit le dictionnaire biblique de Hastings, contient certaim ment un (Nue ni de connaissance, el non moins i ei i ainement elle about it à la conduite (bonnes œuvres, obéissance ô Dieu). Cependant elle ne consiste ni dans iitiment (qui la précèdo), ni dans l’obéissance (qui la suit), mais dans une confiance qui se repose sur l’invisible auteur de tout bien…Pour l’homme pécheur (tel qu’est l’homme dans l’état présent, que l’Écriture), ce repos du ca or en Dieu de vient nécessairement une humble confiance du pardon il du retour en pécheur. En réponse aux révélations de la divine miséricorde, la foi se livre sans réserve, et avec le renoncement de celui qui ne compte plus sur soi. A i >i< u « oniii.ni et suffisant sauveur, et ainsi, dans un seul et même acte de toute orgueilleuse prétention à l’égard de Dieu et se jette, pour obtenir le salut, dans les bras de sa grâce. » Dictionary of the Bible, 1. 1, p. 836. Les traits de cette description rentrent à peu près dans l’idée complexe de confiance en Dieu. Voir Espérance, t.v, col. 628-630. Et les protestants libéraux qui ont rejeté la chute originelle, cette autre base de Luther qui l’exagérait, ont gardé sa conception de la foi, témoins Sabatier et Ménégoz, précédemment cités.

Nous sommes d’accord avec Luther et avec ces protestants contemporains sur un point bien établi : c’est que le sens foi-fidélité (aux promesses, ou au devoir en général), et par dérivation foi-obéissance à Dieu, n’est pas le sens ordinaire et propre du mot « foi dans le Nouveau Testament, qui nous importe surtout, quoi qu’il en soit de l’usage hébraïque’et de l’usage profane du mot chez les Grecs et les Latins. Ce sens avec ses dérivés peut donc être mis de côté. Reste uniquement à discuter la prétendue prédominance du sens foi-confiance dans le Nouveau Testament. Mais d’abord entendons-nous.

a) Nous ne prétendons pas nier qu’il y ait dans la foi chrétienne une sorte de confiance en Dieu. La foi, au sens chrétien du mot, n’est pas un assentiment intellectuel obtenu par un moyen quelconque, mais, comme nous le verrons, un assentiment obtenu par l’intermédiaire du témoignage divin, et qui repose sur la science et la véracité de Dieu. Or, quand on croit quelqu’un sur parole, à raison de sa compétence et de sa véracité, en quelque manière on se confie à lui. Franzelin en a fait la remarque : Hic modus cognilionis. .. est fides quia fidens scienliæ et vcracitali alterius prœslal assensum verilali. De traditionc et Scriptura, 2e édit., Rome, 1875, p. 588. C’est ce qui explique la parenté du mot fides avec fidere, fiducia, confidentia, l’emploi du mot « crédit » (du latin crederc) dans la langue du commerce et de la banque, etc. Mais cette sorte de confiance, que nous reconnaissons connue essentielle à la foi chrétienne, est antérieure à la croyance, puisqu’elle en est la cause : c’est parce, que je me fie à la science et à la véracité de Dieu que j’admets sur sa parole une vérité, ce qui est la croyance. Au contraire, la confiance maintenant en question entre les protestants et nous vient après, c’est une conséquence de la croyance, lorsque la croyance a pour objet un bien que Dieu nous promet, ce qui n’est pas essentiel à tout acte de foi. Premier temps : me confiant à la science et à la véracité de Dieu, j’admets sur sa parole qu’il veut nous pardonner à cause du Christ, qu’il nous promet le. pardon ; cette croyance, c’est précisément l’acte de foi d’après les catholiques, ce n’en est qu’un préliminaire d’après les protestants. Second temps : à la suite de cette croyance, s’élève en moi le sentiment complexe de la confiance du pardon : désir de ce pardon, humilité et défiance de moi-même, abandon au Dieu puissant et miséricordieux, joie de compter sur lui, commencement d’amour. Cette confiance du pardon, c’est l’acte de foi proprement dit, d’après les protestants : c’est un effet, une conséquence de la foi, d’après les catholiques. Le 1’. Pra1 distingue ainsi ces deux sortes de confiance : « Confiance en celui qui parle et confiance en celui qui promet. » La théologie de S. l’uni. II’- partie, p. 344. Il observe que la première est inhérente el. essentielle à l’acte de foi. la Seconde accidente lie seulement. Cf. I" partie, 4e édit., p. 236. Donnons un exemple de la concept ion protestante : Luther a remis la foi à la place qu’elle occupe dans la théologie de Paul…Ce n’est pas autre chose qu’une confiance personnelle, dans la grâce de Dieu qui pardonne, le. péehé. W. Morgan, ai t. lùiith, dans f fin i/i lop : rdia of religion ami ethtet dfl lias tings, Edimbourg, 1912, t. v, p. 691. /m Dans la grande controverse sur la toi et la Justifîcation, il importo de bien distinguer la question de chose et la question de mot. Sur la première, nous ne différons pas des protestants quant à la nécessite de la confiance en Dieu pour obtenir le pardon, de la confiance appuyée sur les mérites du Christ, ni quant à l’impossibilité d’offrir sans lui une digne satisfaction à un Dieu offensé. Nous différons, soit par quelques dispositions intérieures que nous ajoutons à la confiance du pardon comme plus ou moins nécessaires (repentir, charité) et qu’en général ils suppriment, soit par une certitude absolue du pardon ou du salut personnel, qu’ils regardent comme une propriété ordinaire de leur foi-confiance, qu’ils exigent même, de tout homme comme condition du pardon, tandis que le concile de Trente rejette une telle certitude et une telle exigence. Au reste, toute cette question de chose est en dehors de notre sujet. Voir Espérance, t. v, col. 616, 617, et surtout Justification. Sur la question de mot, la seule que nous ayons ici à traiter, question d’ailleurs importante pour éviter la confusion des idées et comprendre l’Écriture, nous différons en ce que nous n’appliquons pas le nom de « foi » à ces sentiments ultérieurs de confiance.

Examinons maintenant les principaux textes que les adversaires allèguent en leur faveur.

1. Catégorie de textes où figure le verbe pisteuo, credo.

Parmi les constructions de ce verbe, il en est deux qu’ils invoquent.

a) Quand pisteuo est employé sans aucun complément : « croire » tout court. Les textes de cette catégorie ont souvent un contexte explicatif qui révèle le complément sous-entendu. Ceux-là sont clairs, et chose remarquable, ils sont en notre faveur. Elisabeth dit à Marie : « Bienheureuse d’avoir cru ! car elles s’accompliront, les choses dites de la part du Seigneur. » Luc, i, 45. Le contexte indique le complément sous-entendu : d’avoir cru ces choses dites, etc. Il s’agit donc, non pas de la confiance du pardon, mais de la croyance à une révélation où du reste il n’était pas question de pardon promis à Marie. Ailleurs, dans les Évangiles, c’est, d’après le contexte, la croyance à la puissance de Jésus comme thaumaturge. « Qu’il te soit fait suivant que tu as cru. » Matth., viii, 13 ; comparez 8, 9, et notez le mot « foi » outre le mot « croire » , et le magnifique éloge que fait Jésus de cette foi, 10. Cf. Matth., ix, 28, 29 ; Marc, v, 36 ; ix, 22, 23 ; Luc, vm, 50 ; Joa., xi, 40. En saint Jean, « croire » tout court est souvent expliqué par le contexte dans le sens d’une ferme et simple croyance aux révélations de Jésus, quel que soit leur objet. « Nous attestons ce que nous avons vii, dit le Christ à Nicodème, mais vous ne recevez pas notre témoignage. Si vous ne croyez pas quand je vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous si je viens à vous parler de celles qui sont au ciel ? » Joa., iii, 11, 12. Nous voyons ici que le mot « croire » équivaut à « recevoir un témoignage » , et un témoignage qui porte, non pas sur le seul pardon des péchés, mais sur divers objets de la terre et du ciel ; et tout doit être également cru de la part d’un tel témoin, sans qu’il soit question, pour le moment, de la confiance du pardon. Ailleurs en saint Jean, « croire » tout court équivaut à reconnaître la mission divine de Jésus pour enseigner la vérité, ou sa qualité de Messie, et ordinairement sans aucune allusion au pardon des péchés ni à sa mission rédemptrice et sotériologique, que le dictionnaire de Hastings s’imagine voir indiquée partout. « Si vous êtes le Christ (le Messie), dites-le-nous franchement. Jésus leur répondit : Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas : les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi ; mais vous ne croyez point, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. » Joa., x, 24-26 ; cf. v, 44 ; ix, 37 ; xvi, 30 ; xix, 35 ; Luc, xxii, 66, 67.

Cette mission de Jésus était intellectuellement reconnue à l’aide de ses miracles. Joa., ni, 2. Aussi « croire tout court est souvent uni, dans le contexte, à l’idée d’un miracle qui serve de raison de croire, qui fasse admettre Jésus comme docteur surnaturel, ou comme Messie : « Que le Christ, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions. » Marc, xv. 32. « Nathanaël lui répondit : Rabbi, vous êtes le fils de Dieu, le roi d’Israël. Jésus lui répartit : Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu crois. » Joa., i, 49, 50 ; cf. iv, 4, 8 ; xi, 14. Dans les récits des apparitions du Christ après sa mort « croire » tout court, c’est admettre le fait de sa résurrection, abstraction faite de la confiance du pardon. « Comme ils hésitaient encore à croire…, il leur dit : Avez-vous quelque chose à manger ? » Luc, xxiv, 41. Cf. Marc, xvi, 11. « Parce que tu m’as vii, tu as cru, » etc. Joa., xx, 29 ; cꝟ. 8, 25. Dans les Actes et les Épîtres, « croire » équivaut souvent, d’après le contexte, à admettre comme parole de Dieu les diverses vérités prêchées par les apôtres. « Afin que, par ma bouche, les gentils entendent la parole de l’Évangile, et qu’ils croient. » Act., xv, 7. « Ayant reçu la divine parole que nous avons fait entendre, vous l’avez reçue non comme parole des hommes, mais, ainsi qu’elle l’est véritablement, comme une parole de Dieu. C’est elle qui déploie sa puissance en vous qui croyez. » I Thess., ii, 13. Cf. Rom., i, 16 ; I Cor., i, 21 ; xv, 11 ; Luc, viii, 12 ; Joa., i, 7.

A côté de ces textes si nombreux où le contexte nous donne raison, il en est qui se trouvent n’avoir pas de contexte explicatif, et, dans cette obscurité du « croire » tout court, les protestants triomphent, mais à bon marché : car alors, sans qu’objectivement il en résulte rien, chacun est libre de voir subjectivement ce qu’il veut sous des expressions vagues comme « les croyants » , oï pisteuontes ;. Act., ii, 44 ; iv, 32 ; xi, 21 ; xv, 5 ; xviii, 27 ; xix, 18 ; I Thess., i, 7, etc. Et même là, notre sens est bien plus naturel. Ces « croyants » , en effet, comme nous le voyons dans les Actes, sont connus et comptés par les autres hommes : « beaucoup de ceux qui avaient entendu ce discours crurent, et le nombre des hommes s’éleva à environ cinq mille. » Comment expliquer un pareil dénombrement des croyants, si « croire » consistait dans des sentiments intérieurs, difficiles à constater, de confiance du pardon avec humilité et défiance de soi, etc. ? Tout s’explique très bien, au contraire, si « croire » est une simple croyance dont on fait facilement profession extérieure, en se soumettant au magistère des apôtres, comme nous le voyons d’ailleurs exprimé : « Ceux qui reçurent la parole de Pierre furent baptisés ; et ce jour-là, le nombre des disciples s’augmenta de trois mille personnes environ. » Act., ii, 41. Après tout cela, on s’étonne que le dictionnaire biblique de Hastin.ns ait bien pu dire de ce « croire » tout court que, « dans le Nouveau Testament, c’est un terme technique consacré à désigner la confiance dans le Christ pour notre propre salut, » t. i, p. 830.

b) Quand pisteuo est employé avec une préposition etl’accusatif.

Ici le même auteur anglais se sent encore plus à l’aise. « Quand nous arrivons, dit-il, aux constructions qui renferment une préposition, nous entrons dans une région où le sens profond du mot — celui de ferme et entière confiance — reprend tous ses droits… La préposition suivie de l’accusatif implique un mouvement moral, une direction de l’âme vers l’objet. » Et après un mot sur la préposition ètt :, plus rare, « la construction caractéristique du Nouveau Testament, dit-il, se fait avec ei ;, qui se présente 49 fois dont environ les quatre cinquièmes appartiennent à saint Jean, et le reste à peu près à saint Paul… L’objet de la foi (le régime de la préposition) est presque toujours, dans cette construction, une personne, très rarement Dieu…, très communément le Christ… Il suffît d’un coup d’oeil jeté sur ces passages, pour saisir combien le sens du verbe « croire » y est prégnant… Ce qu’ils expriment, c’est un transfert absolu de confiance, notre confiance en nous-mêmes faisant place à la confiance en un autre ; c’est une reddition, un complet abandon de soi (self-surrender) fait au Christ, » t. i, p. 829. Belles affirmations : c’est dommage que la brutalité des faits les démente. D’abord, la construction avec le datif, que l’on nous abandonne et qui, manifestement, n’exprime qu’une simple croyance (voir col. 60), et cette construction avec la préposition et l’accusatif, où l’on veut triompher, sont employées dans saint Paul et saint Jean indistinctement l’une pour l’autre. C’est la remarque que faisait déjà un théologien de Trente, l’illustre exégète Salmeron. Il citait le texte même dont Luther et Calvin ont le plus abusé pour leur théorie de la justification : « A l’homme qui ne fait aucune œuvre, mais qui croit en celui qui justifie l’impie (êrct avec l’accusât, f), sa foi lui est imputée à justice. » Rom., iv, 5. « Et cependant, continue Salmeron, saint Paul commentait alors la Genèse qui dit (dans la traduction même de l’apôtre, ibid., 3) : Abraham crut à Dieu,

  • o> Bs& » , et cela lui fut imputé à justice. C’est donc la

même chose, de croire en Dieu et de croire a Dieu. Ce qui apparaît non moins clairement dans saint Jean : Comme il disait ces choses, beaucoup crurent en lui, eîç a-j-rov. Jésus dit alors aux Juifs qui avaient cru en lui, a-j7<7>, etc. Joa., viii, 30, 31. Ainsi ces mêmes hommes, que l’évangéliste disait croire en Jésus, répétant maintenant la même chose sous une forme équivalente, il dit qu’ils croyaient à la parole de Jésus. Cf. vi, 29, 30. » Commentarii, Cologne, 1604, t. xiii, p. 100. Ensuite, le Christ dans saint Jean ne fait nuitpart une distinction entre croire à ses paroles et croire en lui. Qua ;.d il demande aux Juifs de croire en lui, il ne les excite jamais à la confiance du pardon de leurs péchés, ce qui eût été indispensable dans l’hypothèse de nos adversaires, mais il apporte des raisons de croire sa doctrine : » Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé… Celui qui m’a envoyé est véridique. » Joa., vii, 16, 28. Entendant ifflrmations, et connaissant les miracles qui h s confirment, plusieurs croient en lui : « Beaucoup, parmi le peuple, crurent en lui, z ; v.’, -.6v, et ils disaient : Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n’en a fait celui-ci ? » Ibid., 31. Aussi saint Jean met-il cette locution, où l’on cherche tant de mystère, dans la bouche même des pharisiens et des prêtres juifs parlant à la foule, eux qui ne pouvaient entendre la foi en Jésus que comme une croyance à s a paroles, et qui ignoraient le mystère sotériologique et le self-surrender aussi bien que ceux à qui ils parlaient : "Nous aussi, vous êtesvous laissé séduire ? Y a-t-il quelqu’un parmi les princes du peuple qui ait cm en lui, eis auton ? » vii, 17, 48 ; « Comme il disait ces D S, beaucoup crurent en lui, eis auton, » viii, 30. Leur avait-il parlé du mystère sotériologique, du pardon de leurs péchés ? Non. Que leur avait-il dit’ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que mon Père m’a enseigné. Et celui qui m’a envoyé est avec moi, c t il nm’a pas laissé si ni. » Ibid., 28, 29. Origine divine de son enseignement humain, assistance divine pour que cet enseignement ne soit pas déformé, vola qui s’adresse à la simple croyance. Voir de même, dans leur contexte, X. 12 ; xii, 1 1, 46.

Ainsi le profond mystère que l’on cherche dans cette préposition et cette accusatif n’est qu’une chimère, sans fondement dans l’étude des textes. Que dire maintenant du principe philologique que l’on invoque : "La préposition avec l’accusatif indique toujours un mouvement ; il y a donc mouvement vers le Christ, ce qui semble dire plus qu’une simple croyance ? » Ce principe, qui vaut pour le grec classique, n’est nullement concluant quand il s’agit du grec du Nouveau Testament, à cause d’une double influence exercée sur ce grec, l’une par l’hébreu, l’autre par la langue familière ou « hellénistique » . Ce que le grec classique exprime ordinairement par le datif, comme pisteuein tini, croire à quelqu’un ou sur la parole de quelqu’un, l’hébreu est forcé de le rendre par une préposition, et le grec du Nouveau Testament imite souvent la construction hébraïque, soit que l’écrivain juif suivît inconsciemment la syntaxe de sa langue maternelle, soit qu’il travaillât sur des matériaux aramaïques, soit que la version des Septante, qui lui était familière, colorât son style grec. Blass, Grammaire du grec du N. T., trad. anglaise, Londres, 1898, Introduct., p. 4. « La tendance à employer une préposition quand le cas seul suffirait, dit M. l’abbé Vitcau, est due à l’influence de la langue familière, et surtout à celle de l’hébreu. En hébreu, les cas proprement dits n’existent pas, et l’on emploie perpétuellement des prépositions poi : r les remplacer (Preiswerk, p. 537 sq., 603 sq.). Aussi, l’influence de l’hébreu s’est-elle exercée sur le grec des Septante, où les prépositions abondent. » Élude sur le grec du Nouveau Testament comparé avec celui des Septante, Paris, 1896, p. 162. Donc, l’emploi de pisteuo avec une préposition, à la place du simple datif, ne trahit pas une intention spéciale, ni un mystère profond ; ce qui explique pourquoi les écrivains du Nouveau Testament, comme nous l’avons vii, se servent indifféremment du seul datif ou de la préposition, parlant un grec tantôt plus tantôt moins pur. En même temps que l’hébreu, le grec vulgaire, la « langue familière", agissait dans le même sens ; cette langue nous est bien mieux connue aujourd’hui par la découverte de nombreux papyrus. On y constate une antipathie grandissante pour le datif, quoiqu’elle ne soit pas encore très marquée dans le Nouveau Testament. Le datif vieillissait, et devait finir par disparaître complètement de la liste des cas du grec moderne, qui est le dernier terme de cette évolution populaire. Le dictionnaire de Hastings, quand il veut conclure de eis à l’idée de mouvement, fait un anachronisme. Oui, « la position classique était que en avec le datif répondait à la question ubi, eis avec l’accusatif à la question quo (mouvement)… Mais le langage populaire hellénistique vint tout simplifier : eis avec l’accusatif représenta la question ubi comme la question quo ; on le voit dans les Septante, et dans les papyrus égyptiens, i Blass, op. cit., § iî’.i, p. 122. De là des textes comme eis oixov esti.Marc, ii. 1 : o ov eis tov xoipiov tou patros. Joa., i, 18. A fortiori quand il ne s’agit pas de position locale, mais d’un verbe à signification morale, comme « croire >-. Alors ; " le caprice de l’écrivain dans le choix de eis ; ou ev n’est pas surprenant, puisque l’hébreu (pour rendre l’un ou l’autre) n’avait qu’une seule préposition, et que le grec classique dans la plupart de ces cas n’en mettait aucune. Ainsi pisteueiv eis ; alterne avec pisteueiv en (Marc, i. 15) et pisteueiv epi (et alors, tantôt avec le datif. I l’un., i, 16, tantôt avec l’accusatif, Act., ix, 42) ; ajoutez la tournure correcte et classique par le simple datif. Ad., v, 1 I ; xviii, 8. A cela répond une semblable liberté de construction dans le substantif pistis (ev Xristo.Gal., iii, 26 ; Col., i, I X-, g : -.-/, Ad., xiv, 21, ou le génitif XpioroO. Gal., II, Blass, op. cit., p. 123. (.f. p. 110. Le révérend II. Moulton reconnaît avecKrebs cette décadence du datif dans la langue familière et la tendance à lui substituer l’accusatif avec une préposition. The 1 tilor, Londres, 1904, p. L€ 166. Malgré fout, il vent entre les diverses constructions de itiertvM une distinction profonde, non pas pour la langue vulgaire, mais pour la langue spécifiquement chrétienne, pour les « cercles chrétiens » . S’il ne s’agit que du simple datif, qui revient à peu près 40 fois avec ce verbe, il admet que aans la grande majorité des cas il signifie la simple croyance. Mais les prépositiens ! ’Eni se prête si bien à exprimer « qu’on se repose, par la confiance, sur Dieu ou sur le Christ. Eiç rappelle du premier coup Ventrée de l’âme dans cette union mystique, » etc. Loc. cit., p. 469, 470. Raisonner de la sorte, c’est raisonner a priori, où il faudrait des preuves positives ; c’est même supposer ce qui est en question, que les premiers chrétiens aient attaché au verbe -cfiTc-jto employé avec ces prépositions les divers sens qu’y voit le protestantisme. Non seulement on ne le prouve pas, mais nous avons prouvé plus haut par des textes, avec Salmeron, que les écrivains du Nouveau Testament n’ont pas mis, entre ces diverses tournures grammaticales, la distinction qu’on voudrait y voir.

Nous sommes ici, comme nos adversaires, sur le terrain de l’Écriture : nous n’avons donc pas à examiner les idées que plus tard, dans la rédaction ou l’interprétation des diverses formes du symbole, certains docteurs de l’Église, partant des principes du urec classique, ont pu attacher à sîç, quand cette préposition a été réservée aux personnes divines : Ilurreûid sic ©eôv Ttarspa…, eî ; Xpiarôv, etc., à la différence des autres objets de la croyance, tt’.tte-Jio… àyt’av âxx}.ï)<jiav, etc. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 2. Distinction qui d’ailleurs est loin d’être universelle, puisqu’on lit : s !  ; âxxXrio-îav, scç penm-Gi. a, etc. (forme de Cyrille de Jérusalem), e !  ; fiai :).si’av oùpavàiv (Constit. apost.), eîç [ju’av… ixxXyjffcav, etc. (symbole d’Épiphane). Ibid., n. 7, 11, 14. Quant à l’Écriture elle-même, saint Augustin a le premier hasardé une théorie sur une différence de sens dans le verbe « croire » suivant qu’il est mis avec le datif, ou avec une préposition et l’accusatif, en sorte que les protestants modernes pourraient l’invoquer, s’ils faisaient cas de son autorité en exégèse. Pour lui, crederc in Deum plus est quam credere Deo. In ps. lxx vii, n. 8, P. L., t. xxxvi, col. 988. Quid est ergo, credere in (Deum) ? Credendo amare…, credendo in eum ire, et ejus membris incorporari qustification). In Joa., tr. XXIX, n. 6, P. L., t. xxxv, col. 1631. C’est ce que nous appelons la foi vive, la croyance perfectionnée par la charité parfaite qui justifie. Mais il est visible que le saint docteur, qui n’invoque pas ici la tradition commune, mais donne son exégèse particulière, est dominé par la préoccupation du latin classique qu’il avait étudié, dans lequel, comme dans le grec classique, la préposition avec accusatif réclame l’idée de mouvement ou d’entrée dans quelque chose : credendo in eum ire. Il ne remarque pas que notre Vulgate, sans se soucier de la pureté du latin, suit ici mot à mot l’original grec assez peu classique, mettant le datif où il a mis le datif, l’accusatif avec ; ’/ ; où il a mis l’accusatif avec etc. Nos arguments donnés ci-dessus valent donc aussi contre l’exégèse augustinienne, laquelle, on le sait, est en défaut parfois. « L’assertion de saint Augustin, Credere in Deum plus est quam credere Deo, ne paraît donc pas solide. » Ainsi conclut Salmeron, Commentarii, t.-xiii, p. 100 ; et il ajoute cette raison que, dans l’Église, il n’y a pas que les amis de Dieu, ceux qui l’aiment et lui sont unis, qui doivent réciter et chanter le symbole et dire, pour leur compte personnel : Credo in Deum ; que, dans saint Jean lui-même, des princes de la synagogue sont dits « croire en Jésus » , in eum, tout en manquant au précepte grave de « confesser leur foi » et en « préférant la gloire des hommes à la gloire de Dieu, » xii, 42, 43, donc en n’étant pas justes et amis de Dieu, mais pécheurs. Au reste, saint Augustin a varié là-dessus, et attribue parfois au pécheur lui-même le credere in Deum. De fide et operibus, c. xiv, P. L., t. xl, col. 211. Le Lombard ayant introduit la théorie de saint Augustin dans ses Sentences, 1. III, dist. XXIII, les scolastiques, qui commentaient son texte, ont admis généralement une distinction entre credere Deo et credere in Deum, sans l’expliquer toujours de la même manière. Saint Thomas finit par renoncer à l’interprétation augustinienne de la formule in Deum, par la foi vive, citée par le Lombard, mais qui a trop d’inconvénients ; et, voulant expliquer in Deum par un autre mouvement vers Dieu, il recourt dans sa Somme théologique à ce mouvement antérieur de la volonté qui commande la croyance, au pius affeelus credendi, qui appartient à la nature de la foi, et se trouve même dans la foi « morte » ou séparée de la charité parfaite. IIII-, q.n, a.2. C’est d’un tel mouvement vers Dieu que parle le concile de Trente dans sa description de l’acte de foi, libère moventur in Deum, credentes vera esse, etc. Sess. VI, c. vi, Denzinger, n. 798. Luther semble avoir voulu tirer parti de la distinction augustinienne et scolastique entre credere Deo et credere in Deum : on la trouve soulignée dans les notes marginales qu’il avait ajoutées aux Sentences du Lombard, et qui ont été publiées en 1893. Voir Denifle, Luther und Lutherthum, Mayence, 1904, t. i, p. 382. Ses disciples ne manquèrent pas d’alléguer les passages de saint Augustin que nous avons cités plus haut ; ainsi le plus célèbre théologien du luthéranisme, Jean Gerhard, Loci theologici, 1. XVI, édit. de Preuss, Berlin, 1865, t. iii, p. 351. Ils ne pouvaient d’ailleurs se flatter sérieusement d’avoir pour eux saint Augustin. Quoi qu’il en soit de son interprétation des mots scripturaires credere in Deum, le grand docteur, d’accord avec toute la tradition catholique, est manifestement contre eux pour le fond de la question, pour la conception et la définition de la foi. Voir ci-dessous, col. 78, 111, 112 sq.

2. Catégorie de textes où figure le substantif -niVciç, fuies. —

Nous examinerons les groupes de textes qui se rapportent :
a) à la foi d’Abraham ;
b) à la foi des miracles ;
c) à la foi opposée aux œuvres.
Ce sont ceux que l’on a objectés contre notre thèse.

a) La foi d’Abraham.

Le texte principal, Rom., iv, 18 sq., où saint Paul explique le verset de la Genèse sur la foi d’Abraham (Gen., xv, 6 ; cf. Rom., iv, 3), décrit admirablement la foi-croyance, l’assentiment intellectuel donné à une révélation divine (exprimée au verset 18) sous l’influence de la volonté bien disposée. Cette volonté empêche l’intelligence de s’arrêter aux difficultés qui surgissent contre la révélation, 19, et par là même, de douter, où StExpifrri, cf. xiv, 23 ; Matth., xxi, 21, etc., et de céder à l’incrédulité, àrcec-rez, 20. Ainsi, par la « force de sa foi » Abraham « rendit gloire à Dieu, » 20, en le croyant sur parole, et en mettant, « avec une pleine conviction, la toute-puissance divine » au-dessus des apparentes impossibilités du miracle annoncé, 21. Si l’apôtre joint ici les mots de « foi » et d’« espérance » , s’il dit qu’Abraham, « contre l’espérance, » c’est-à-dire contre ce que l’on pouvait humainement espérer, « a cru, avec espérance » ou en espérance, ÈTr’È).71îo !, « qu’il serait le père de beaucoup de peuples, » cela prouve-t-il que pour saint Paul croire » signifie « espérer’? De ce que l’espérance est mentionnée par lui comme accompagnant la foi d’Abraham, ou comme un effet de cette foi, s’ensuit-il que le mot « foi » signifie cet effet ? Quand je dis qu’un courant électrique produit telle lumière, je ne veux pas dire que le mot « courant » signifie la lumière : telle est pourtant la confusion d’idées de ceux qui nous objectent ce texte. Ils devraient voir aussi que, d’après le contexte, cette « espérance » , louée par l’apôtre dans Abraham, n’est pas la même chose que la confiance du pardon de ses péchés, qu’il faudrait dans leur système ; ils n’arrivent donc pas ici au sens « prégnant » qu’ils veulent. « La foi que Paul loue dans Abraham, ce n’est pas cette foi spéciale (des protestants), que ses péchés lui étaient remis à cause du Christ : d’une telle foi, il n’est question ni dans ce c. iv, ni ailleurs ; mais c’est la foi générale et catholique par laquelle Abraham a cru tout ce que Dieu lui disait. » Stapleton, De justificatione, 1. VIII, c. iv, Opéra, Paris, 1620, t. ii, p. 243. Sur ce texte, voir Cornely, Comment, in Epist. ad Romanos, Paris, 1896, p. 242 sq. ; Prat, loc. cit., p. 342. Que, dans l’Écriture, les mots « foi, croire » puissent, en de rares occasions, outre la signification principale de croyance à une promesse, signifier secondairement l’effet de cette croyance, le mouvement affectif vers la chose promise — le connoter, en style scolastique — nous pouvons l’accorder avec plusieurs de nos anciens controversistes. Mais cela ne peut arriver qu’accidentellement, dans les cas où la révélation que l’on croit contient une promesse et peut ainsi exciter l’espérance de la chose promise et la confiance en celui qui promet ; combien de révélations ou paroles divines ont un autre contenu, menacent d’un mal, affirment un dogme, donnent un précepte, et ne promettent rien !

b) La foi des miracles.

Les textes où le Christ recommande ce qu’on a appelé « la foi des miracles » , Matth., xvii, 19 ; xxi, 21, et autres synoptiques, sont de ceux où l’on peut admettre que les mots « foi, croire » indiquent secondairement un mouvement affectif de confiance, d’espérance. Mais d’abord, il ne s’agit nullement ici de la confiance du pardon, la seule dans laquelle les protestants font consister la foi qui sert à la justification ; aussi, est-il de tradition, parmi eux, de distinguer la « foi des miracles » et la « foi qui just : fie » . Et une distinction peut très bien s’admettre, pourvu qu’on ne force pas la différence et qu’on l’explique bien. De plus, ce qui caractérise la loi des miracles, dans l’Évangile, ce n’est pps cet accompagnement émotionnel et affectif, c’est au contraire un élément intellectuel tout particulier. Outre la croyance commune à la toute-puissance de Dieu, révélée à tous les chrétiens (le miracle « peut se faire » , croyance demandée par Jésus dans Matth., ix, 28), la foi des miracles ajoute une croyance absolument ferme au futur événement (le miracle sera) : « Je vous le dis en vérité, si quelqu’un dit à cette montagne : Ote-toi de là, et jette-toi dans la mer, et s’i'/ ne doute pas dans son cœur, mais croit que ce qu’il dil arrivera, il le verra s’accomplir. » Marc, xi, 22. Dieu demeure le maître de ses dons et surtout d’un miracle aussi éclatant : évidemment il ne suffit pas, pour l’obtenir, que l’homme se persuade par entêtement qu’il y arrivera : la persuasion dont parle ici le Christ doit venir surnature lie nient de Dieu, soit par une révélation particulière, soit du moins par un vague instinct prophétique, par une conviction imprimée dans l’esprit d’une manière naturellement inexplicable, les récits authentiques de miracles iimis montrent parfois cette extraordinaire conviction anticipée du miracle, dans le futur miraculé. C’est Dieu qui la produit : encore fautil que la liberté humaine le laisse agir, et ne perde pas cetle grâce en cédant, par sa faute, à une tentation subséquente de doute ou de crainte, ce que le Maître blâme. Matth., xiv, 31. Le miracle n’a pas toujours besoin, pour se produire, de cette extraordinaire prévision ; mais quand eDe existe, il suit infailliblement ; il les deux grâces un lien noué par la promesse du Christ, tellement que la seconde résulte de la preml t que le miracle est comme un effet de la foi << miracles. Il fallait ce lien : quand le thaumaturge annonce d’avance le miracle qu’il. faire pour prouver la vérité de sa mission religieuse (par exemple, Pierre, Act., iii, 6, à l’imitation de son Maître, Marc, ii, 10, 11), comment pourrait-il prudemment s’avancer ainsi, s’il n’avait intérieurement la certitude de l’événement ?

Cette espèce de don regarde directement le bien de l’Église plutôt que le salut de qui le reçoit ; aussi l’apôtre le range-t-il parmi les charismes, inférieurs à la charité et incapables de nous sauver, I Cor., xiii, 2 ; etle miracle lui-même auquel se rapporte ce don peut se faire par l’intermédiaire d’un homme qui n’a pas la charité ou qui ne sera pas sauvé. Matth., vii, 22. Cependant, si elle ne suppose pas la charité, la foi des miracles suppose toujours à sa base la foi chrétienne ordinaire, qui a déjà par elle-même une relation avec le miracle. Cf. S. Thomas, Qwest, disp., De potentia, q. vi, a. 9. D’autre part, la foi des miracles et les miracles eux-mêmes étaient des charismes né< essaires à l’Église surtout à ses débuts, ce qui explique que Jésus en parle avec insistance à ses apôtres, futurs thaumaturges, qu’il envoie déjà faire leur apprentissage de ce don. Matth., x, 8. Sur la nature de la foi des miracles et sa distinction de la foi dogmatique et ordinaire .voir, parmi les Pères, S. Cyrille de Jérusalem, Cat., v, c. x, P. G., t. xxxiii, col. 517 ; S. Jean Chrysostomc, In Matth., homil. lvii, P. G., t.Lvn.col. 563 ; In I Cor., homil. xxix, n. 3, P. G., t. lxi, col. 245 ; parmi les théologiens et les exégètes catholiques, Vasquez, In / »  » II*, disp. CCX, c. iv, Lyon, 1620, t. il, p. 688 sq. ; Louis de Torrez (Turrianus), De fide, spe et caritate, Lyon, 1617, t. i, p. 514 ; Justiniani, In B. Pauli epistolas, Lyon, 1612, p. 780 sq. Nous savons que d’autres l’expliquent autrement, mais d’une manière moins satisfaisante.

c) La foi et les œuvres, dans saint Paul, surtout Rom., iii, 21 sq., et iv ; Gal., ii, 16 sq., et m.

Si nous ne craignions de sortir de notre sujet, il nous serait aisé de montrer que les « œuvres » ou « œuvres de la loi » , rejetées par saint Paul comme inutiles à la justification et au salut, sont les actions conformes à la loi, du moins en partie, non pas faites comme la loi naturelle ou mosaïque les supposait, mais comme les concevaient d’ordinaire les Juifs d’alors, et à leur suite les judaïsants que l’apôtre combat : enivres sans esprit intérieur, où l’on ne cherchait que la légalité extérieure et l’estime des hommes, comme le Christ l’avait déjà reproché aux pharisiens ; où, comptant sur les forces de la nature, on ne demandait rien à la grâce, et l’on s’imaginait ainsi mériter : partant, œuvres purement naturelles, et même viciées. Saint Paul indique lui-même la distinction entre deux sortes d’œuvres. Il y a celles qu’il recommande aux fidèles, les œuvres vraiment bonnes et surnaturelles : il les appelle ordinairement frona opéra, à Y<x8à ou xâXa îpya, IICor., ix t 8 ; ITim., v, 10 ; ’Fit., ii, 14, etc. (operemur bonum, Gal., VI, 10) ; ou bien, observatio mandalorum Dei. 1 Cor., vii, 19. Il y a les crimes qui sont purement de nous, non de la grâce, Tit., iii, "> (remarquez l’addition emphatique vj = ;.-, qute fecimus nos), (envies de justice légale et toute personnelle. uxquelles se fiait Paul avant sa conversion, l’hil., iii, 9 (remarquez de même Èi/.r, v, meam) : à Celles-là jamais l’apôtre ne donne l’épithete de lxi. mes i ; il les appelle iy ; x tout Court,

ou plus souvent ïpyec vépou, opéra legis, œuvres de légalité, telles que les entendaient ses adversaires. Même il met parfois en opposition manifeste ces ilni catégories, ces bonnes œuvres et ces i œuvres >. Eph., II, 9, 10 ; Tit, III, 5, 8. Voirie théologien catholique Wieser, Pauli doctrina de fusil fleatione… blblicodogmatlce dtseussa, Trente, 1874, p. 1 19, 120 ; cf. p. 16, 27 ; l’évêque anglican liull, llurmonia iipostnlicn (critique des Systèmes pour concilier saint Paul et saint

Jacques sur la fol et les œuvres), diss. ii, <-. xii, dans Opéra, Londres, 1703, p. 81 sq. ; B. Bartmann, Sf. Paulus und St. Jacobus ilber die Rechlfertigung, dans Biblische Studien, Fribourg-cn-Brisgau, 1897, t. ii, fasc. 1, p. 30-31, 146-147.

Mais la solution même que nous venons d’indiquer à la difficile question des « œuvres » rejetées par saint Paul crée une difficulté nouvelle à notre interprétation du mot « foi » . Si à ces œuvres toutes judaïques la « foi » est seule opposée, « l’homme est justifié par la foi, à l’exclusion des œuvres de la loi, » Rom., iii, 28 — il faut qu’ici le mot « foi » signifie tout cet esprit intérieur, tous ces sentiments religieux qui manquaient aux Juifs charnels, et non pas seulement la foicroyance ; d’autant plus que, dans la doctrine catholique, la foi-croyance ne peut obtenir la justification et le salut qu’en se complétant par d’autres actes intérieurs, comme le repentir, l’espérance, la charité. Voir Justification. Quand donc saint Paul attribue la justification à la « foi » sans ajouter autre chose, les catholiques, eux aussi, doivent entendre ce mot dans un sens prégnant, et non plus comme une simple croyance. Voilà la difficulté.

a. Réponse indirecte. — Cette objection ne saurait guère profiter aux protestants, car elle tend à exiger comme condition de la justification, sous le nom de « foi » , non seulement la confiance au Christ qui est pour eux comme pour Luther l’élément essentiel, ma’s encore le repentir de nos péchés dont Luther ne voulait en aucune façon, voir Pénitence, et la charité, qu’il ne voulait pas faire entrer dans la foi justifiante, comme le rappellent Sanday, op. cit., p. 151 ; Prat, op. cit., p. 357, 358. Et bien des protestants, aujourd’hui encore, suivent Luther en cela. Tel M. Ménégoz : « Luther reconnut, dit-il, que la charité n’avait pas la vertu d’effacer les péchés… Cette vertu, Luther l’attribue exclusivement à la foi. » Le fldéisme, 1900, p. 28. Et p. 31, il ramène dans le rang libéral certains protestants qui cherchent un acte du cœur plus central, plus salutaire que la foi, et croient le trouver dans la charité, baptisée par quelques-uns du nom de « foi » pour sauver au moins la formule de Luther. « Sans s’en douter, dit M. Ménégoz, on retombe ainsi dans l’erreur juive et papiste du salut par l’accomplissement de la loi ; car c’est bien explicitement la Loi, et non l’Évangile, que Jésus-Christ a résumée dans ces paroles : Tu aimeras Dieu par-dessus toutes choses et ton prochain comme toi-même. » Et puis, c’est enseigner, « comme l’Église romaine, la justification par la foi et par la charité. » Encore si par « charité » on n’entendait que l’amour de Dieu ! « Mais grâce à la tendance naturelle du cœur humain, le libéralisme (protestant ) n’arrive que trop facilement à négliger la doctrine de l’amour de Dieu, pour n’enseigner que le salut par les œuvres de charité à l’égard du prochain, et à échapper ainsi, aussi bien que l’orthodoxisme, au douloureux renoncement à soi-même et à la consécration du moi tout entier à Dieu (par la seule foi-confiance). » Op. cit., p. 32, 33. Du reste, il y a peu de sincérité à prétendre que l’on suit Luther, et à faire entrer dans sa formule des ingrédients qu’il en a formellement exclus. Dès le premier siècle de la Réforme, des protestants, tout en défendant contre les catholiques la formule luthérienne de « la foi seule » suffisant au salut, introduisaient sous le nom de « foi » la charité et tout ce que nous demandons de dispositions pour la justification ; et le B. Pierre Canisius s’élevait contre cette dangereuse manière d’équivoquer : « Pourquoi donc alors tant batailler pour la formule sola fide, pourquoi ces déclamations tragiques contre nous ? d’autant plus qu’ils n’ignorent pas, et les faits le disent assez haut, combien cette formule, la foi seule, choque les pieux fidèles, combien elle pousse les âmes vulgaires à lâcher la bride à leurs passions et à négliger toute recherche de la vertu. » Commentarius de verbi Dei corrupielis, c. xii, Ingolstadt, 1583, t. i, p. 183. Sur quelques protestants de nos jours, qui identifient entre elles les vertus théologales, voir Espérance, t. v, col. G15.

b. Réponse directe. — Saint Paul dit que nous sommes « justifiés par la foi, » Rom., v, 1, etc., et non « par la foi seule, » comme le lui faisait dire Luther dans sa version allemande et comme le croient beaucoup de protestants. Voir Feinc.cité par le P. Prat, op. cit., IIe partie, p. 359. Cf. Prat, l’e partie, 4e édit., p. 237, 238. Rien ne prouve qu’en prononçant le mot « foi » l’apôtre s’écarte du sens de foi-croyance dont il a donné tant d’exemples, voircol. 58-60 ; rien ne prouve qu’il entende par « foi » l’ensemble de tous les sentiments religieux, de tous les actes intérieurs conduisant à la justification, y compris la charité. L’Écriture, n’étant pas un traité didactique, ne fait nulle part une énumération complète des conditions du salut, mais en donne une ici, une autre là, Gn sorte que la doctrine intégrale ne peut résulter que de l’ensemble des textes recueillis çà et là. Ainsi l’apôtre : si dans les textes objectés il attribue la justification ou le salut à la foi, sans rien ajouter, il s’en explique d’ailleurs, quand il ajoute à la foi, pour qu’elle soit vraiment efficace, la « charité » , Gal., v, 6, remplacée dans un texte parallèle par « l’observation des commandements de Dieu. » I Cor., vii, 19. Ailleurs encore, il représente la charité comme tellement nécessaire que sans elle tout le reste n’est rien, ne sert à rien. I Cor., xiii, 1-3. Ailleurs, c’est la grâce qui justifie, Rom., iii, 24 ; c’est le baptême. Eph., v, 26 ; Tit., iii, 5. Complétez ces textes les uns par les autres, vous y trouverez toutes les conditions de justification et de salut ; et dans ceux où il parle seulement de la foi, vous ne serez pas obligés d’enfler indûment le sens de ce mot. De même dans les Évangiles, tantôt le Christ ne mentionne, comme condition de salut, que la foi, paraissant négliger le reste, Joa., ni, 16 ; tantôt l’observation du décalogue, paraissant négliger la foi, Matth., xix, 16 sq. ; tantôt le secours de la grâce, Joa., vi, 44 ; xv, 5 ; tantôt la pénitence, Matth., iv, 17, la pénitence avec la foi, Marc, i, 15 ; tantôt le baptême, Joa., ni, 5, le baptême avec la foi, Marc, xvi, 16 ; tantôt la persévérance finale. Matth., x, 22. Dans un passage où le salut est promis d’une manière générale à une espèce d’actes, il faut toujours sous-entendre les autres conditions de salut indiquées ailleurs. Telle est la solution classique, donnée très nettement déjà par saint Augustin, De fide et operibus, c. xiii, P. L., t. xl, col. 210 ; cf. c. xxiii, puis par les exégètes et controversistes catholiques : « Les promesses ne doivent être prises qu’avec cette limitation et cette condition : si les autres conditions requises se rencontrent, si rien ne fait obstacle ; ainsi le salut éternel est promis à la foi, à l’espérance, à l’invocation de Dieu. Rom., x, 13. » Bonfrère, In Script, sacram præloquia, c. xxi, reg. xii, pour l’explication de l’Écriture, dans Migne, Cursus Scripluræ sacræ, 1. 1, col. 290. « Ces promesses universelles (comme Joa., iii, 16) doivent toujours être entendues sous les conditions exprimées dans un autre endroit de l’Écriture… Nous lisons : Tous ceux qui demandent reçoivent. Matth., vii, 8. Entendez : si leur prière s’accompagne des conditions nécessaires… Vous demandez et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal. Jac, iv, 3. » Les frères de Walenburch, De juslificationc, c. lxxv, n. 27, Traclalus de conlroversiis fidei, Cologne, 1671, t. ii, p. 475. » Lorsque plusieurs causes concourent à la production d’un effet, l’Écriture attribue cet effet tantôt à l’une, tantôt à l’autre, et ne veut pas dire par là qu’une de ces causes puisse suffire sans les autres. » Bellarmin, De juslificationc, 1. I, c. xx, Opéra, Paris, 1878, t. vi, p. 196. Cf. c. xxil. Ainsi, dans la phrase paulinienne « justifiés par la foi, » la « foi » ne change pas de signification ; elle ne signifie pas les autres dispositions, mais elle les laisse sous-enlendre ; de même que le « baptême » , quand la justification d’un adulte lui est attribuée par saint Paul, ne change pas de sens, ne prend pas un sens prégnant, mais nous savons par ailleurs qu’il faut sousentendre dans cet adulte, à côté du baptême, les dispositions nécessaires.

Objections. — Même avec ces sous-entendus, pour pouvoir attribuer la justification à la foi-croyance, il faudrait au moins qu’elle eût une valeur morale, une vertu salutaire initiale ; or, elle ne l’a pas. « La croyance à un dogme ou à un fait, quelque vrais qu’ils soient, ne saurait avoir de vertu salutaire, pas plus qu’une erreur de pensée ne saurait, en bonne morale, être un motif de condamnation. Le salut doit dépendre, non d’un acte intellectuel, mais d’un mouvement plus profond, plus intime de l’âme. » Ménégoz, Le fidéisme, p. 31. —
Réponse. — Vous supposez à tort que nous entendons par croyance un acte purement intellectuel ; nous entendons, avec la plupart des philosophes même modernes, un acte où la volonté influe sur l’intelligence ; et en ce sens il peut y avoir des erreurs coupables. Voir Croyance, t. iii, col. 2365, 2375, 2377, 2379, 2384 sq. L’acte par lequel nous croyons un dogme ne sort pas de cette conception générale de la croyance ; il présuppose, comme nous le verrons, un pius afjecius credendi, un mouvement de l’âme vers Dieu, que nous honorons en le croyant sur parole. La croyance à un dogme, avec toutes les conditions voulues, peut donc avoir une valeur morale et religieuse, et une vertu salutaire initiale, du moins si l’on considère que c’est un acte surnaturel, un don de la grâce. Aussi saint Thomas dit-il que la « première union de l’âme avec Dieu se fait par la foi, » In IV Sent., I. IV, dist. XXXIX, q. i, a. 6, ad 2um, et que « le premier principe de la purification du cœur est la foi, qui enlève l’impureté de l’erreur ; ensuite, si elle est perfectionnée par la charité, elle produit la purification parfaite.

  • ! Sum. theol., IL 1 II » , q. vii, a. 2. Sur la valeur

morale de la foi, reconnue enfin par une grande partie des protestants, voir Prat, op. cit., p. 342, 359.

.Mais, nous dira-t-on encore, pourquoi saint Paul, dans la plupart des textes, attribue-t-il la justification non pas à la charité, mais à la foi, vertu inférieure d’après le sens que vous lui donnez ? — Réponse. — La foi-croyance, quoique inférieure, avait des titres spéciaux à une mention plus fréquente. Dans l’ordre psychologique des dispositions à la justification, elle vient la première : et c’est bien ainsi que saint Augustin explique l’apôtre : Ex fide dicil juslificari hominem, quia ipsa prima datur, ex qua impclrantur cœlera. De prœdeslinat. sanctorum, c. vii, P. L., t. xliv, col. 969. Cette priorité tient sans doute à ce que, dans l’ordre du développement psychologique, on va de l’imparfait au parfait, mais enfin c’est une priorité. S. Thomas, Sum. theol., II’II » , q. iv, a. 7 ; q. xvii, a. 8. C’est la porte qui nous introduit dans le christianisme ; et comme, quand on nous demande OÙ est telle maison, nous indiquons la porte plutôt que toute autre partie de l’édifice plus parfaite on plus intime, ainsi la foi-croyance devait être mise en relief, et surtout par les apôtres, dont la fonction était d’introduire Juifs et gentils dans oyances chrétiennes ; c’était pour eux la première Ité, et aussi la grande difficulté, laquelle une fois lie, il était plus facile d’obtenir le reste. Tolet. lu ml Rom., <. iii, annot. 17, Mayence, 1603, p. 152, utrc titre de la foi : elle fonde, et soutient perpétuellement les antres actes de Veiln. Voir plus loin, col. 84. On peut ajouter que saint Paul, qui remonte volontiers aux exemples et aux textes biblique*, aj ml à parler de la justification qui nous rend amis de I lieu, rencontrait comme exemple Abraham, le grand juste, I que Dieu appelle son ami, Is., xli, 8, mot bien remarqué dans la suite. Judith, viii, 22 ; Jac, ii, 23. Or, si nous lisons la vie d’Abraham dans la Genèse, le seul de ses actes auquel il arrive d’être rapproché de l’idée de justice, de justification, c’est le fait d’avoir cru : « Abraham crut à (la parole de) Dieu, et Dieu le lui imputa à justice. » Gen., xv, 6. D’après le contexte, il s’agit ici de la foi-croyance, de la croyance d’Abraham à la révélation qui lui est faite de sa nombreuse postérité future. C’en était assez pour que l’apôtre citât et commentât au long cet exemple et ce texte ; il se trouva ainsi amené, quand il traitait de la justification, à mentionner le plus souvent la foi de préférence à toute autre disposition de l’âme, quoiqu’elle ne soit pas la seule requise pour la justification.

Autre solution : la « foi » serait la foi vive, qui renferme la charité, laquelle renferme la résolution d’obéir à tout ce que Dieu veut. Ne pourrait-on pas dire que chez saint Paul, sans parler d’acceptions rares et exceptionnelles, on trouve deux sens du mot à peu près également usitésl — Souvent, il prend la foi dans un sens strict, soit en la distinguant de l’espérance et de la charité, I Cor., xiii, 13, ce sont trois choses, tria hsec, cf. Eph., i, 15-18 ; Col., i, 4, 5 ; IThes., i, 3 ; v, 8 ; LIeb., x, 22-24, soit en la distinguant au moins de la charité. I Cor., xvi, 13, 14 ; Gal., v, 6 ; Eph., iii, 17 ; iv, 13, 15 ; vi, 23 ; I Tim., i, 5, 14 ; vi, 11, etc. Pour plus de détails, voir Prat, op. cit., IIe partie, 2e édit., p. 468, 469. Il prend encore la foi dans le sens strict de croyance, dans tous les exemples que nous avons cités plus haut. « Fides ex audilu ; elle est l’adhésion de l’esprit à un témoignage divin. » Prat, loc. cit., p. 337. « Ici (Rom., vi, 8 ; x, 9 ; I Thés., iv, 14) la foi est une adhésion intellectuelle à une vérité d’ordre historique, sans aucune idée accessoire de confiance ou d’abandon ; néanmoins, c’est la foi véritable, la foi chrétienne, puisque le salut y est attaché, » p. 339. Mais dans sa controverse avec les judaïsants sur la foi et les œuvres, sur la foi qui justifie, ne pourrait-on pas dire qu’il entend, sous le nom de « foi » , le groupe entier des vertus théologales, ce que les théologiens appellent la foi vive, complétée par la charité ? C’est ce que semble admettre, entre autres exégètes, le R. P. Prat, dans cette définition de la « foi » qui justifie : « Il y a de plus, dans la foi, un double, acte d’obéissance : obéissance de la volonté inclinant l’intelligence à accepter le témoignage de Dieu ; obéissance de tout l’homme au vouloir divin connu par la révélation, » op. cit., I rc partie, p. 236 ; et dans ces assertions : « La foi de saint Paul est la foi concrète, la foi agissante, la foi qui reçoit de la charité son impulsion et sa forme ; la foi de saint Jacques est un simple assentiment de l’intelligence… Le premier parle de la foi vive, le second d’une foi qui peut être morte, qui est en tout cas inactive, » p. 244, 245.

Le seul inconvénient que nous trouvions à cette solution, c’est de faire passer l’apôtre d’un sens à l’autre sans avertir, au risque d’égarer les fidèles ; même dans sa controverse avec les judaïsants, il quitterait parfois le sens qu’on lui suppose dans cette controverse, pour revenir brusquement à l’autre : ainsi Rom., x, 9 ; Gal., v, 6. I.e même mot « foi » tantôt signifierait la charité, tantôt ne la signifierait pas. Avons-nous le droit de supposer dans l’écrivain inspiré une telle confusion de langage a propos d’idées Importantes, quand nous pouvons l’éviter par la solution classique donnée plus haut, qui laisse toujours le même sens au mot « foi » ?

Remarquons en passant que, lorsque les théologiens parlent de « foi vive » , alors l’adjectil qu ils ajoutent détermine nettement une nouvelle signification : il signale la présence.le la rharilé, comme l’expression contraire foi mort île son absence. Mais la « foi » sans épitliète fait abstraction de cette présence ou de cette absence ; elle reste essentiellement la même, tandis que la charité vient ou s’en va ; c’est la fides ipsa in se, dont parle le concile du Vatican, sess. III, c. m. Dcnzinger, n. 1791 (1640). De ce que la foi, sans la charité, est insuffisante au salut, Jac, il, 14, de ce qu’elle est alors, sans trop forcer la comparaison, comme un corps sans âme, ibid., 26, il ne s’ensuit pas que, sans la charité, elle soit inexislanle — même un cadavre existe — ni que le mot foi, sans épithète, doive signifier la foi dans cet état meilleur où la charité l’accompagne. Saint Jacques ne traite pas, comme nous le faisons en ce moment, la question philologique, mais la question dogmatique : les protestants qui nous l’objectent confondent tout cela ; il ne dit pas : la foi sans la charité ne doit pas s’appeler foi : au contraire, il emploie comme nous les mots « foi, croire » pour la simple croyance : « La foi sans les œuvres. » « Tu crois qu’il y a un seul Dieu ; tu fais bien, » etc. Jac, ii, 19.

Revenons à saint Paul. Si l’on tenait à ce qu’il ait eu alternativement en vue deux sens très différents du mot « foi » , au moins, entre les deux, il y aurait d’excellentes raisons de préférer comme propre le sens qu’il donne dans l’enseignement simple et direct de la doctrine chrétienne, et lorsqu’il ne subordonne pas sa pensée aux controverses et aux influences extérieures ; le sens qui, de plus, est resté seul dans ses derniers écrits, dans ses Épîtres pastorales à Timothée et à Tite, lorsque l’apôtre était plus à même de fixer définitivement la langue chrétienne. « Peut-être constaterons-nous chez saint Paul, ce premier créateur de la langue chrétienne, un effort soutenu vers le mieux. » F. Prat, op. cil., I re partie, Introd., p. 4. Par suite, nous ne pourrions regarder comme principal le sens qu’il aurait employé dans une controverse difficile et obscure de l’aveu de tout le monde. Nous ne devons jamais expliquer le clair par l’obscur ; et dans la polémique il arrive aisément que le langage manque de netteté, soit qu’on s’adapte parfois au parler peu correct des adversaires, tandis qu’on les poursuit sur leur propre terrain, soit pour d’autres raisons. Ainsi le sens employé par saint Paul en dehors de cette controverse est le sens exact du mot foi ; et si l’on en admettait un autre dans cette polémique, celui-ci, quoique plus ample, ne devrait pas être appelé le sens « fort, profond, prégnant, » mais le sens large, impropre et figuré du mot « foi » .

Conclusion. —

Le mot ui’oti ; figurant à peu près 240 fois dans le Nouveau Testament et le mot 7naTs-Ja> environ autant, nous n’avons pu analyser tant de textes en détail, mais après en avoir examiné plusieurs en particulier, nous avons dû procéder plus largement, par groupes, nous arrêtant surtout aux diverses catégories de textes sur lesquelles les protestants comptent davantage. Un chapitre de l’Épître aux Hébreux reste à examiner, voir plus loin, col. 85 sq. ; mais notre induction est déjà assez complète pour nous permettre de rejeter l’hypothèse, que les mots « foi, croire » aient comme sens prédominant et propre, dans le Nouveau Testament, le sens de confiance du pardon. Cela nous suffit. Nous pourrions aller plus loin, et prouver, par le bilan de tous les textes, qu’au contraire le sens de foi-croyance est le sens normal et prédominant, même au point de vue d’une exégèse purement textuelle : mais pour faire court, nous nous passerons de cette assertion et de sa preuve. Nous n’en avons pas besoin. Quand on arriverait à prouver, par l’exégèse rationnelle des textes, que le mot foi a deux sens à peu près égaux comme emploi dans le Nouveau Testament et qu’il reste donc, dans l’Écriture prise séparément de toute tradition, équivoque et ambigu, sans aucun sens prédominant et propre — position bien différente de celle des protestants — la théologie catholique n’en souffrirait pas. Elle ferait observer que l’Écriture n’est pas la seule source de la révélation divine, encore moins de la langue sacrée ; que la tradition, pour fixer le langage chrétien, a voix au chapitre, et voix prépondérante. Si un mot jouant un si grand rôle semblait rester, dans l’Écriture, plus ou moins équivoque et obscur, c’est à la tradition qu’il faudrait demander de dissiper cette obscurité et de déterminer quel sens doit figurer de préférence dans nos définitions de l’acte de foi, quel sens doit devenir normal dans le langage théologique et dans les catéchismes.

1. Avant de passer à cette étude de la tradition, répondons à quelques objections plutôt psychologiques qu’exégétiques. Le fidèle, nous dit-on, ne doit pas avoir seulement la confiance du pardon à recevoir, confiance que vous ramenez à l’espérance (concile de Trente, sess. VI, c. vi, Denzinger, n. 798) : il doit avoir ensuite la confiance du pardon reçu, sans laquelle il n’aurait ni joie, ni courage dans les épreuves, ni espérance du ciel. Or, cette confiance du pardon reçu ne peut rentrer dans l’espérance, qui regarde essentiellement un bien futur ; reste donc à la mettre dans la foi. Ainsi raisonne, contre Bellarmin, J. Gerhard, Loci theologici, Berlin, 1864, t. iii, p. 367. —
Réponse. — a) Quand cette confiance n’appartiendrait pas à l’espérance, on ne pourrait en conclure qu’elle appartienne à la foi : en dehors de la foi chrétienne et théologale, il y a de pieuses croyances, des appréciations favorables de notre état personnel, capables d’exciter au cœur la joie, la confiance et le courage.

— b) L’espérance, avec la confiance qui est un de ses éléments, peut aussi se porter sur un bien présent, s’il n’est pas absolument certain. Voir Espérance, t. v, col. 609. Or, c’est le cas de notre état de grâce ; il n’est pas absolument certain. Voir col. 616, 617, et surtout Grâce. D’autre part, la croyance qu’a un pieux fidèle de son état de grâce ne peut être un acte de foi chrétienne, faute de cette absolue certitude essentielle à la foi chrétienne, et aussi parce que le fait de son état de grâce n’a pas été révélé, la foi chrétienne ne portant que sur un objet révélé. Malgré ce défaut de certitude, un esprit raisonnable, qui sait se contenter de ce que.Dieu lui donne de lumière, pourra trouver une consolation suffisante dans la confiance du pardon, et surtout puisera dans la grâce de Dieu assez de force pour lutter et espérer le ciel ; la crainte même, résultat du défaut de certitude.sera pour lui un secours d’un autre genre. Voir Espérance, t. v, col. 619, 620. Ainsi la confiance du pardon à recevoir et celle du pardon reçu ne change pas essentiellement de nature ; c’est la même qui continue, souvent avec un accroissement, d’intensité purement accidentel. Il ne pourrait y avoir acte de foi théologale sur le pardon reçu ou sur le salut futur que dans le cas très rare d’une révélation proprement dite, faite immédiatement au fidèle et dûment constatée par lui. Concile de Trente, sess. VI, c. xii, et can. 16, Denzinger, n. 805, 826. De ce cas exceptionnel, des protestants nombreux font une règle générale, et expliquent ainsi la foi justifiante exigée de tous : c’est rendre bien des gens visionnaires, et les jeter dans certaines « variétés de l’expérience religieuse » réprouvées du bon sens. Voir Espérance, t. v, col. 617.

De plus, en confondant la confiance du pardon avec la foi dont parle l’Écriture et en disant que cette foi suffit à la justification, ou même aussi au salut éternel, comme le disait Luther, on arrive fatalement à nier la nécessité de croire les dogmes révélés. C’est à quoi sont arrivés tant de protestants libéraux ; et n’est-il pas logique de se contenter du genre de foi qui suffit au salut ? Les protestants conservateurs ou « orthodoxes » , qui veulent garder la croyance à plusieurs vérités révélées, ne trouvant dans le Nouveau Testament d’autres mots, pour exprimer cette croyance, que « croire » et « foi » , aboutissent à équivoquer perpétuellement sur ces mots, comme M. Harnack lui-même le reproche à Luther, ou à remanier perpétuellement leur définition de la foi, comme la Realencijclopâdie de théologie protestante de Hauck reproche à Mélanchthon de l’avoir fait dans ses ouvrages successifs. Voir Harnack, Précis de l’histoire des dogmes, trad. Choisy, Paris, 1893, p. 442, 444, 448 ; L’essence du christianisme, trad. franc., Paris, 1902, p. 307 ; Realencyclopâdie, 3e édit., Leipzig, 1899, t. vi, p. 678. Cf. Études du 20 octobre 1907, p. 233 sq. ; Denifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, Paris, 1912, t. iii, p. 252-258. D’autre part, l’indifférence dogmatique des protestants libéraux, la « foi qui sauve » réduite par eux à une attitude confiante, la doctrine chrétienne devenue pour eux une quantité négligeable, tout cela est aussi antiévangélique qu’antipaulinien. Cf. Éludes du 20 avril 1908, p. 170 sq. ; L. de Crandmaison, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. 194 sq. Par le sens qu’il donne à la « foi » , le protestantisme s’enferme donc dans un dilemme : orthodoxe, il aboutit à se contredire ; libéral, à ruiner de fond en comble les croyances chrétiennes.

Auguste Sabatier, libéral, attaque à son tour notre conception de la foi-croyance : « La foi qui, dans la Bible, était un acte de confiance et de consécration à Dieu, devient une adhésion intellectuelle à un témoignage historique ou à une formule doctrinale. Un dualisme mortel éclate dans la religion. On admet que l’orthodoxie peut exister en dehors de la piété… Combien d’âmes se rassurent, se croyant ainsi fidèles quant à la doctrine, sauf, un moment ou l’autre, d’y ranger leur cœur et leur vie I » Elles auraient tort de se rassurer, et la doctrine même qu’elles professent les en avertit. « Au fond, poursuit-il, cette idée de la révélation est toute païenne. Sur le terrain du christianisme authentique, on ne saurait séparer l’acte révélateur de Dieu de son action rédemptrice et sanctifiante. Dieu n’éclaire pas, il aveugle au contraire ceux qu’il ne sauve pas ou ne sanctifie pas…. Quand elle ne nous donne point la vie, la parole de Dieu ne nous donne rien. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 4- édit., Paris, 1897, p. 43, 44. Tout ou rien : système violent, contraire à l’Ecriture. L’« aveuglement » (relatif ) dont elle parle, regarde les grands pécheurs endurcis, et non pas les pécheurs ordinaires qui ont conservé leur croyance : ceux-ci, Dieu ne les aveugle en aucun sens ; dans nos Livres saints, on le voit se servir de cette croyance pour les exhorter à la conversion ; s’ils répondent à son appel, s’ils coopèrent à sa grâcf, ce crépuscule ou cette aube de la loi se changera en lumière cl en chaleur du plein jour. Tandis fine le Jupiter tonnant de Sabatier se plaît a aveugler ceux qu’il ne convertit pas du premier coup, le Christ se garde d’éteindre la mèche qui fume encore. Matth., XII, 20.

2. La définition de la foi chez Newman.

Si c’est dans les ouvrages de Newman encore protestant qu’on va chercher sa pensée sur la foi, faudra-t-il s’étonner d’y trouver le même embarras, la même équivoque, que nous venons de constater dans le protestantisme orthodoxe, auquel il appartint ? Tantôt il dira a la manière protestante : « Qu’est-ce donc que la foi.’Croire, c’est… nous élever Jusqu’à Dieu, réaliser sa lire, attendre sa vi ayer d’accomplir sa volonté… ; croire, c’est se rendre a Dieu, s’abandonner humblement entre ses mains. « Tantôt, se rapprochant des catholiques : Lfl foi est un principe actif qui appréhende des doctrines définies. A ces citations, M. Brémond ajoute en note : Une des croit du problème newmanten est dans le raccord entre ces définitions. » Newman, psychologie de la foi, Paris, 1905, p. 312, 313. La « croix » est la même ici que pour l’orthodoxisme protestant en général. Y a-t-il lieu de chercher un raccord ? — C’est bien à Newman protestant que paraît empruntée cette fâcheuse définition de la foi : Croire au Christ, c’est le considérer « comme une réalité présente, qui est pour nous la voie, la vérité et la vie…, c’est appuyer son être au sien pour y trouver le salut. » R. P. Laberthonnière, Le réalisme chrétien et l’idéalisme grec, Paris, 1904, p. 123. — Mais Newman converti est très net sur le sens du mot « foi » . Prenons presque au hasard un exemple. Dans sa Lettre à Pusey à l’occasion de son Eircnicon de 1864, il dit : « Par le mot foi, j’entends le credo (creed), et l’assentiment donné au credojpar le mot dévotion, j’entends les honneurs religieux qui appartiennent aux objets de notre foi, et l’action de leur rendre ces honneurs. La foi et la dévotion sont aussi distinctes dans la réalité des faits que dans nos concepts. Nous ne pouvons pas, il est vrai, avoir la dévotion sans la foi ; mais nous pouvons croire sans éprouver de dévotion. Ce phénomène, chacun en a l’expérience en soi et dans les autres ; et nous lui rendons témoignage, toutes les fois que nous parlons de réaliser une vérité ou de ne pas la réaliser, » c. iii, dans le recueil intitulé : Certain di/]icullics felt by anglicans in catholic teaching, Londres, 1876, p. 26. Par où nous voyons que, pour Newman catholique, « réaliser une vérité » appartient à la « dévotion » , mais n’est pas un élément essentiel de la « foi » , à laquelle suffit l’assentiment à la vérité révélée. Voir Croyance, t. iii, col. 2373, 2374. Nous ne saurions trop blâmer le procédé qui consiste à introduire chez nous des idées protestantes en les empruntant à Newman, lorsqu’il était protestant, et à ne pas tenir compte de sa conversion, ni du changement de sa pensée.

II. Les pères.

Si saint Augustin a une interprétation du credere in Deum dont Luther et d’autres se sont servi, voir plus haut, col. 67, cependant le sens de croyance reste pour lui le sens propre du mot « foi » . Voir la définition qu’il en donne, Enchiridion de fui, -, speelcarilate, c. viii, texte cité à l’art. Espérance, t. v, col. 606. Pour lui, la foi qui dispose a la justification (sans y suffire toute seule), c’est la foi dogmatique, celle que l’hérétique rejette. Contra duas epist. pelagian., 1. III, c. v, P. L., t. xi.iv, col. 598. Cf. De sermone in monte, 1. I, c. v, /’. L., t. xxxiv, col. 1236 ; De Trinilale, 1. XV, c. xviii, P. L., t. xlii. col. 1082. Des protestants contemporains reconnaissent qu’Augustin a le concept catholique de la foi. Voir Realencyclopâdie de Hauck, t. vi, p. 676.

Les autres grands docteurs du iv° et du ve siècle, grecs et latins, nous sont encore moins disputés. Saint Cyrille te Jérusalem et saint Jean Chrysostome dégagent de l’Écriture deux sens du mot foi, la foi des miracles et la foi « dogmatique. Voir plus haut, col. 70. Comme la première n’est qu’un charisme donné à quelques-uns, ce ne peut être la foi chrétienne, et la seconde doit être la foi au sens propre. Dans plusieurs définitions que les Pères donnent de la foi, c’est pour eux un assentiment de l’esprit, avynaxi’içt ::. Voir S. Cyrille de Jérusalem, lor. rit., et Théodore ! , (irtrc. affectionnm curatio, serm. i, /’. a., t. uxxxin, col. 814, tous deux dans Rouët de.lournel. Lnchiridion patriiticum, Fribourg-en-Brisgau, 1911, n. 820, 21 1 1. avec un texte douteux de saint Basile, souvent cité, n. 972. D’autres grands docteurs de ce temps écrivent îles livres sur la foi i et ils entendent par la l’expotitlon des dogmes (surtout de la Trinité et de l’incarnation), ce qui suppose que la « foi est t’assen timellt donné à des dogmes. Voir S. Ambroise. /), fide ad Gratianum libri V, /’. /… t. wi. col. jt sq : s. Ambroise. Bxpotiiio fidei, P. G., t. xxv, col, 199 sq. ; S. Grégoire de Njsse, De fide ad Simplicium, P. G., t. xlv, col. 135 sq. ; S. Cyrille d’Alexandrie, De recta jide libri III, P.G., t. lxxvi, col. 1134. Inutile de donner des textes pour une période où la chose est si claire.

Nous voyons le même sens du mot régner déjà chez les Pères les plus anciens, sur lesquels nous insisterons davantage.

Lightfoot a bien remarqué que saint Clément de Rome, tout en affirmant comme saint Paul la justification par k foi, à l’exclusion des œuvres faites avant la foi, a toujours soin de recommander aux fidèles la charité et les bonnes œuvres, et de concilier saint Jacques avec saint Paul. / Cor., xxxii, xxxiii, Funk, Patres apostolici, 2e édit., Tubingue, 1901, t. i, p. 138, 140. Cf. Lightfoot, The aposlolic falhers, part. I, St. Clément of Rome, Londres, 1890, t. i, p. 96 ; t. ii, p. 100, 101. Mais ce qui nous intéresse à présent, c’est le sens qu’il donne au mot 7ct<7Ttç. Il n’y enferme pas toute vertu, tout sentiment religieux, puisqu’il distingue la « foi » de plusieurs autres vertus qu’elle aide : « Pourquoi notre père Abraham a-t-il été béni ? N’est-ce pas parce qu’il a fait la justice et la vérité par le moyen de la foi ? » o ; à Ttirrretoç, xxxi, 2. Funk, t. i, p. 138. Cf. Jac, ii, 22. « A cause de sa foi et de son hospitalité, Sià tu’ittiv xal cpOolevi’av, un fils lui a été donné dans sa vieillesse, » xi, p. 112. De même, « c’est à cause de sa foi et de son hospitalité que Rahab a été sauvée, » xii, 1, p. 114. Et cette « foi » de Rahab, cf. Heb., xi, 31, Clément l’explique par les paroles mêmes de l’étrangère aux deux Israélites cachés dans sa maison : « Je sais avec certitude que votre Dieu (auquel elle fait ensuite profession de croire) vous livrera cette ville. » Jos., ii, 9 sq. Et Clément d’observer qu’elle a eu non seulement la foi, mais la prophétie, 8, p. 114. Le rapprochement de ces’deux dons nous montre assez qu’il prend aussi la foi pour un don intellectuel ; et les paroles mêmes de Rahab dans la Bible expriment la foi-croyance.

Saint Ignace d’Antioche, sous le nom de « foi » , ne comprend pas la charité, puisqu’il les oppose l’une à l’autre comme l’origine et la consommation de la vie spirituelle. Ad Eph., xiv, Funk, t. i, p. 224. Il ajoute une phrase que Lightfoot interprète ainsi : « Où coexistent ces deux choses (la foi et la charité), là est Dieu ; la foi ne peut errer, et la charité ne peut haïr. » Aposl. f thers, part. II, St. Ignatius, 2e édit., Londres, 1889, p. 67. Si la foi exclut l’erreur comme l’amour exclut la haine, c’est donc la connaissance infaillible qui caractérise la foi. Ce sens intellectualiste revient encore, plus bas, quand il oppose la « foi » et l’hérésie comme un bon et un mauvais enseignement : « Si quelqu’un corrompt la foi de Dieu par une impure doctrine, il ira au feu inextinguible, et ses disciples aussi, » c. xvi, p. 226.

Passons aux Pères du IIe siècle ou du commencement du IIIe. Pour Clément d’Alexandrie, la « foi » n’est pas tout ce qui justifie et qui sauve, mais seulement " la première orientation vers le salut. Après elle, la crainte, l’espérance, le repentir, progressant par la continence et la patience, nous conduisent à la charité et à la gnose (vie parfaite, avec une connaissance supérieure des choses de Dieu). » Slrom., II, c. vi, P. G., t. viii, col. 965. Il explique comment la foi engendre non seulement l’espérance, mais aussi la crainte en constatant les menaces divines. Ibid. C’est dire que la foi n’est pas la confiance, autrement elle ne pourrait engendrer la crainte ; mais qu’elle est la croyance à toute parole de Dieu, soit consolante, soit terrible. Il définit la « foi » une admission anticipée, 7rpô).r, ’î<ir, de ce que l’on comprendra un jour (par la gnose ou connaissance des parfaits, ou mieux, dans le ciel), col. 964 ; admission influencée par la volonté, 71po).v}/i ; Ixoûfftoç, col. 940, 941, comme nous le disons de la « croyance » . Enfin, à un singulic r emploi du mot 7te « 7T’ç par l’hérétique Basilide il oppose cet autre concept de la foi qui fait bien la part de l’intell’genre : « un assentiment raisonnable » , >o-- ! zr ( / « ruptarâôeo’. v, V, c. i, P. G., t. ix, col. 12. Voir Clément d’Alexandrie, t. iii, col. 189.

Saint Irénée, avec saint Justin qu’il cite, distingue la foi de la charité comme deux dons différents. Cont. hier., 1. IV, c. vi, n. 2, P. G., t. vii, col. 987. Puis rappelant la promesse de vie éternelle faite à la foi, Joa., m, 15, etc., de peur qu’on ne l’entende mal et contre les bonnes œuvres, il ajoute cette glose : Crcdere autem ci est facere ejus voluntatem, n. 5, col. 989. Mais ce serait trop presser cette phrase explicative jetée en passant, que d’y voir une véritable définition du mot crcdere : Irénée n’a pas coutume de définir ; ce qu’il veut simplement ici, c’est que la foi, pour mener de fait à la vie éternelle, sous-entende (et non pas signifie) l’observation des préceptes, l’accomplissement des volontés de Dieu. Du reste, il emploie couramment les mots « foi, croire » pour la croyance aux dogmes. Exemples : « L’Église, disséminée dans le monde entier…, a reçu des apôtres et de leurs disciples la foi en un seul Dieu, Père tout-puissant, » etc. Il récite le symbole, et continue : « Ayant reçu cette prédication et cette foi, l’Église partout disséminée la garde avec soin… et croit unanimement à ces vérités… Ni les Églises qui sont chez les Germains n’enseignent et ne croient autrement, ni celles qui sont chez les Ibères ou les Celtes, ou en Orient, ou en Afrique, » etc., I. I, c. x, n. 1, 2, col. 549, 552. Les hérétiques « boivent une eau boueuse et corrompue, éloignés qu’ils sont de la foi de l’Église, » 1. III, c. xxiv, col. 967.

Tertullien, comme Irénée, récite une formule du symbole des apôtres, et l’appelle régula fïdei. La « foi » y est contenue, fides in régula posila est. Præscript., c. xiii, xiv, P. L., t. ii, col. 26, 27. Devenu montaniste, il continuera à appeler ce symbole régula fidei, lex fidei. De virgin. velandis, c. i, col. 889. Admettre ces dogmes, c’est « croire » . AMarcion, qui, donnant au Christ la seule apparence de la chair, supprimait par là sa naissance, sa mort, sa résurrection, il dit : Si chrisiianus es, crede quod tradilum est. De carne Christi, c. ii, col. 755. Plus bas, col. 759, il rappelle le mot de saint Paul : « Ce que le monde tient pour insensé, Dieu l’a choisi pour confondre les sages, » I Cor., i, 27 ; et il part de là pour célébrer, comme un signe de vérité, le déshonneur qui s’attache à notre « foi >, c’est-à-dire à notre croyance, aux yeux d’un vain monde, la belle impopularité de nos dogmes : « Pourquoi supprimes-tu le déshonneur nécessaire de la foi’l… Je suis sauvé, si je n’ai pas rougi du Maître. Luc, ix, 26. Ici l’effronterie est un devoir, la folie est un bonheur. Le Fils de Dieu est né : je n’en rougis point, parce que c’est honteux. Le Fils de Dieu est mort : c’est tout à fait croyable, parce que c’est inepte. Enseveli, il est ressuscité : c’est certain, parce que c’est impossible. » Op. cit., c. v, col. 761. On voit le vrai sens de ces phrases paradoxales, d’où l’on a fabriqué de nos jours le credo quia absurdum, si souvent reproché au rude Africain : comme s’il bravait la raison elle-même, et non pas le faux honneur et les fausses opinions du monde. Voir A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 33-36. Enfin Tertullien oppose perpétuellement la « foi » à l’hérésie, c’est donc la foi croyance. Exemples : « Les hérésies, nées pour étouffer et tuer la foi…, ne peuvent rien, si elles rencontrent une foi saine et robuste. » Præscript., c. ii, col. 13, 14. Il rappelle « le futur jugement où il nous faudra tous comparaître devant le tribunal du Christ pour rendre compte en premier lieu de notre foi. Que diront-ils, les corrupteurs hérétiques de la vierge que le Christ leur avait confiée ? » Op. cit., c. xliv, col. 59.

Origène distingue très réellement la « foi » des autres vertus auxquelles il donne tout autant de part dans la justification et le salut : « Le premier commencement du salut et son fondement, c’est la foi ; le progrés de l’édifice, c’est l’espérance ; le sommet et l’accomplissement de l’ouvrage, c’est la charité. » In Epist. ad Rom., iv, n. 6, P. G., t. xiv, col. 981. « Ce que l’Écriture dit de la foi, qu’elle a été comptée à Abraham pour la justice, ne peut-on pas le dire de la charité, ou des autres vertus, piété, miséricorde… ? » Ibid., col. 982. Pour lui, « croire au Christ » , c’est admettre les vérités qu’il a révélées et que son Église conserve : « Comme plusieurs de ceux qui font profession de croire au Clirist sont en désaccord, même sur des points importants…, il faut fixer d’abord une règle sûre. On devra croire comme vraie cette doctrine-là seulement qui ne s’écartera en rien de la tradition ecclésiastique et apostolique. » Periarchon, 1. I, n. 1, 2, P. G., t. xi, col. 115, 116. Non seulement la foi est un acte intellectuel, mais plus elle s’enrichit de connaissance, plus elle est parfaite d’après lui : « Celse a prêté aux chrétiens ce principe : la sagesse ici-bas est un mal, la sottise est un bien. Mais c’est une calomnie, et une infidèle citation de Paul, qui ne dit pas, tout court : la sagesse est sottise devant Dieu, mais : la sagesse de ce monde. I Cor., iii, 18, 19. La sagesse de ce monde, c’est la fausse philosophie… De plus, notre doctrine elle-même reconnaît qu’il est bien préférable d’adhérer aux dogmes en se servant du raisonnement et de la sagesse, qu’en se servant de la simple foi, » nexà i|>iXf, c Jrfotewç. Sans doute, Dieu se contente de celle-ci, car il a voulu ne laisser personne dénué de tout secours. Mais on peut voir d’après saint Paul, I Cor., i, 21, « que le plan divin était que l’on connût Dieu dans la sagesse de Dieu ; et c’est parce que les hommes ne l’ont pas réalisé, que Dieu a voulu conséquemment sauver les croyants, non pas simplement par la sottise, mais par la sottise de la prédication, … laquelle prêche Jésus crucifié, … sottise pour les grecs. » Conl. Cclsum, 1. I, n. 13, P. G., t. xi, col. 680.

Cette étude des Pères se complétera de tout ce que nous en citerons sur le motif spécifique de la foi chez les Pères, col. 98 sq.

Après cela, on s’étonne de rencontrer l’assertion suivante d’un auteur catholique : « Celte même conception d’une foi qui est la tradition totale de l’homme à Dieu, nous la retrouvons partout, dans saint Paul, dans les Pères qui n’y voient point une simple adhésion intellectuelle à une connaissance testimoniale, mais le don de Dieu à l’homme et de l’homme à Dieu pour le temps et l’éternité. » F. Mallet, Qu’est-ce que la loi ? 2e édit., Paris, 1907, p. 39. Et pour cette conception plutôt protestante de la foi, on nous apporte, en fait de textes de Pères, un seul texte de Clément d’Alexandrie, dans lequel ne figure pas même le mot ffforiC, et où il est question avant tout de la charité,

Ce qui confirme nos témoignages des Pères, c’esl <[iic les protestants contemporains, plus soucieux et mieux informés de l’antiquité chrétienne que leurs frères d’autrefois, n’essaient pas de nous les disputer. D’aucuns cherchent : i en éluder la force en disant que, « dès le temps des I toliques, l’enseignement de saint Paul sur la foi a été bientôt obsenrei dans e chrét enne : enfin Luther vint, » etc. Ainsi la Realencyclopàdie déjà citée, t. vi, p. 676. Borni nous à observer que, même en prenant la tradition en dehors de toute ; iss ! s t : n i<. divine, humainement, historiquement, il est mille fois plus vraisemblable que l.i doctrine de Paul ait été obscurcie pal Luther, un moine’qui vivait quinze siècles après lui, et adaptail les textes -i -es anxiétés de conscience et à un système de son invention, que par les témoins les plus rap proches des apôtres, qui avaient conversé avec eux ou vivaient peu après, donc bien mieux informés de leur langage et de leur pensée ; d’autant plus que ces premières générations chrétiennes ne faisaient pas de systèmes, et s’attachaient simplement à bien conserver ce que les apôtres leur avaient transmis.

III. Les documents ecclésiastiques.

L’Église catholique est fidèle au langage comme à la pensée des Pères :

Le concile de Trente.

1. Ce qu’il appelle « foi » n’est pas l’ensemble des actes requis pour la justification, mais seulement la première des « dispositions » qu’il énumère, et « croire » a pour objet le vrai, credenles vera esse, etc. Sess. VI, c. vi, Denzinger, n. 798. « La foi, si l’espérance et la charité ne viennent s’y joindre, n’unit point parfaitement au Christ et ne rend point membre vivant de son corps, » c. vii, n. 800. Cependant « c’est une vraie foi, bien qu’elle ne soit pas la foi vive ; et celui qui a la foi sans la charité, est chrétien, » can. 28, n. 838. — 2. Explication authentique de saint Paul : « Quand l’apôtre dit que l’homme est justifié par la foi…, il faut l’entendre en ce sens… que la foi est le commencement du salut de l’homme, le fondement et la racine de toute justification, » c. viii, n. 801. Donc « anathème à qui prétend que l’impie est justifié par la foi seule, entendant par là que rien d’autre n’est requis et ne coopère pour obtenir la grâce de la justification, » can. 9, n. 819. — 3. La foi qui sert à la justification ne doit pas être confondue avec la confiance du pardon, laquelle d’ailleurs ne suffit pas : « Anathème à qui prétend que la foi justifiante n’est pas autre chose que la confiante en la divine miséricorde pardonnant les péchés à cause du Christ ; ou que cette confiance est la seule chose par laquelle nous soyons justifiés, » can. 12, n. 822.

Le concile du Vatican.

1. Sa définition du mol foi : « Par cette foi qui est le commencement du salut de l’homme, l’Église catholique entend une vertu surnaturelle par laquelle…nous croyons que le contenu de la révélation divine est vrai, » a(Dco) revclala vera esse credimus, etc. Sess. III, c. ni, Denzinger, n. 1789. C’est la foi-croyance, qui a pour objet le vrai et s’appuie sur un témoignage véridique, celui de Dieu, qui nec falli nec fallerc potest. Ibid. Elle est séparable île la charité : « La foi prise en soi, même quand elle n’est pas animée par la charité, est un don de Dieu, et son acte est utile pour le salut. » Ibid., n. 1791. — 2. Dans cette session du Vatican, la nature intellectuelle de l’acte de foi apparaît encore de bien des manières soil par son objet, qui consiste en des dogmes à admettre, c. ni, n. 1792 ; soit par son antagoniste, le doute (phénomène intellectuel, bien qu’influencé par la volonté), n. 1791, 1814 ; soit par le genre connaissance, auquel la « foi » appartient, et dans lequel elle constitue une espèce, un ordre à part, c. iv, n. 179.") ; soit par les rapports de la foi avec la raison naturelle ou science, n. 1798. 1799 ; rapports qui impliquent manifestement que la foi rencontre la science dans le même plan, sur le même terrain intellectuel.

lin fin le concile nous parle d’une » doctrine de foi, c. iv, n. 1800 ; d’un » assentiment de foi chrétienne -, < m..">, De fuir, n. 181 I : « les < dogmes de la foi » , can. 1. De ftde et rattone, n. 1816.

La documents de Pie X sur le modernisme.

1. L’encyclique Pascendi, 1907. La conception catho lique île la foi, nous le venons plus bas, suppose essentiellement le fait d’une révélation s’adressant du de hors à l’intelligence, et Certains motifs de Crédibilité « pli, en prouvant ce fait, rendent raisonnable o t assentiment aux vérités révélées, qui est la « foi Or, les modernistes, en vertu de leur agnosticisme. écartent ti éléments essentiels : < Qu’advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs I. crédibilité, de la révélation extérieure ?… Ils les suppriment purement et simplement et les renvoient à 1 ! intellectualisme, système, disent-ils, qui fait sourire de pitié, et dès longtemps périmé. Rien ne les arrête, pas même les condamnations dont l’Église a frappé ces erreurs monstrueuses (suivent des citations du concile du "Vatican). » Trad. franc, officielle, avec texte latin, dans Questions actuelles, p. 7 ; texte latin (avec suppressions) dans Denzinger-Bannwart, n.2072. D’après les modernistes, « la foi, principe et fondement de toute religion, réside dans un certain sentiment intime, engendré lui-même par le besoin du divin… qui gît… dans la subconscience… En faca de cet inconnaissable…, sans nul jugement préalable (ce qui est du pur fldéisme), le besoin du divin suscite dans l’âme portée à la religion un sentiment particulier -. Ce sentiment a ceci de propre, qu’il enveloppe Dieu et comme objet et comme cause intime, et qu’il unit en quelque façon l’homme avec Dieu. Telle est, pour les modernistes, la foi, et, dans la foi ainsi entendue, le commencement de toute religion… Notre sainte religion n’est autre chose qu’un fruit propre et spontané de la nature. Y a-t-il rien, en vérité, qui détruise plus radicalement l’ordre surnaturel ? » Trad. franc., p. 9, 11, 15 ; Denzinger, n. 2074. Avec une pareille conception de la foi, il est bien clair qu’elle ne peut jamais se rencontrer sur le même terrain avec la science, ce qui est contraire au concile du Vatican, comme nous venons de le voir : « Leurs objets sont totalement étrangers entre eux, l’un en dehors de l’autre. Celui de la foi est justement ce que la science déclare lui être à elle-même inconnaissable. De là, un champ tout divers : la science est toute aux phénomènes, la foi n’a rien à y voir ; la foi est toute au divin, cela est au-dessus de la science. D’où l’on conclut enfin qu’entre la science et la foi il n’y a point de conflit possible ; qu’elles restent chacune chez elle, et elles ne pourront jamais se rencontrer, ni, partant, se contredire. » Trad. franc., p. 23 ; Denzinger, n. 2084. Ce qui d’ailleurs n’empêche pas les modernistes de subordonner en réalité la foi à la science et absolument. Denzinger, n. 2085. Enfin leur foi-sentiment est une des plus dangereuses inventions : « Toute issue fermée vers Dieu du côté de l’intelligence, ils se font forts d’en ouvrir une autre du côté du sentiment et de l’action. Tentative vaine ! Car qu’est-ce, après tout, que le sentiment, sinon une réaction de l’âme à l’action de l’intelligence ou des sens ? Otez l’intelligence : l’homme, déjà si enclin à suivre les sens, en deviendra l’esclave… Pour donner quelque assiette au sentiment, les modernistes recourent à l’expérience. Mais l’expérience, qu’y ajoute-t-elle ? Absolument rien, sinon une certaine intensité qui entraîne une conviction proportionnée de la réalité de l’objet. Or, ces deux choses ne font pas que le sentiment ne soit sentiment, ils ne lui ôtent pas son caractère qui est de décevoir, si l’intelligence ne le guide ; au contraire, ce caractère, ils le confirment et l’aggravent, car plus le sentiment est intense et plus il est sentiment. En matière de sentiment religieux et d’expérience religieuse, vous n’ignorez pas, vénérables frères, quelle prudence est nécessaire, quelle science aussi qui dirige la prudence. Vous le savez de votre usage des âmes, de celles surtout où le sentiment domine. » Trad. franc., p. 61, 63 ; Denzinger, n. 2106, 2107. Pour les considérations rationnelles, qu’à l’exemple de Pie X on invoquera utilement contre la foi-sentiment, voir Expérience religieuse, t. v, col. 1828, 1829.

2. Le serment contre les erreurs du modernisme contient ce passage sur le sens du mot « foi » et la nature de cet acte :

Ortissime tenco ac sin cere profiteor, fidem non

esse csrcum sensum religio nis…, sed verum assensum

intellccLus veritati extrin secus accepta ex auditu,

quo nempe, quae a Dco per sonali, creatore ac domino

nostro dicta, testata et re velata sunt, vera esse credi mus, propter Dei auclorita tem summe veracis.

Je tiens pour très cer tain et je professe sincère ment que la foi n’est pas un

aveugle sentiment de reli gion…, mais un véritable as sentiment de l’intelligence

à une vérité reçue du dehors,

et par ouï-dire, assentiment

par lequel nous croyons

vrai ce qu’un Dieu person nel, notre créateur et Sei gneur, a dit, témoigné et

révélé, et nous le croyons à

cause de l’autorité de ce

Dieu souverainement véridique.

Pie X,

Motu proprio Sacrorum anlislum,

dans les Acla aposlolieæ

sedis, Rome, 1910, p.670 ;

dans Denzinger-Bannwart, n. 2145.

II. Rapports de la foi avec les autres vertus : sa fermeté.

Rôle général de la foi dans la vie chrétienne.

Si la foi est un assentiment intellectuel, une croyance, comme il ressort de tout ce qui précède, elle doit avoir une influence sur tous les actes’de vertu qui préparent le pécheur à la justification et le juste à la récompense éternelle. La croyance n’est-elle pas à la base de l’action ? l’intelligence ne dirige-t-elle pas la volonté ? la conviction n’est-elle pas sans cesse nécessaire à la force du caractère et au bon emploi de la vie ? La foi n’a donc pas seulement un rapport de différence (déjà prouvé) avec l’espérance, la charité, etc. ; elle a encore sur elles un rapport d’influence.

Chaque vertu a un ressort spécial, qui fait comme déclencher chacun de ses actes propres : c’est son motif. Et comme en général les vertus, à part la foi, . sont purement affectives et "volontaires, et tendent non pas au vrai, mais au bien, le motif de chacune est une certaine sorte de bien, une specialis honeslas r comme disent les scolastiques, un idéal particulier de bonté morale : ainsi en pratiquant la vertu de miséricorde, notre volonté est attirée par l’idéal du soulagement des misères ; en pratiquant la justice, par l’idéal du respect des droits. Voir Espérance, t. v, col. 632. Mais le motif d’une vertu, son idéal aimé, n’agit pas mécaniquement, brutalement, comme le ressort d’une machine : c’est en passant par l’intelligence qu’il sollicite l’affection et la volonté libre ; ce sont les convaincus qui deviennent les vaillants. Puisque la foi est une conviction, une vertu-lumière, n’est-ce pas à elle que doit revenir le rôle de diriger, d’exciter toute vertu-amour ? A toutes les autres vertus, elle présentera leur motif spécial, leur idéal, pour qu’elles l’aiment et qu’elles y tendent par les voies et moyens qui y conduisent ; son acte servira de préliminaire et de base à leurs actes. A ce titre, on pourra dire de toute espèce de bien qu’il se fait par la foi. Le martyr supporte les tourments par la vertu de force, mais on peut dire aussi, par la foi, puisque c’est dans les vues de la foi qu’il puise le motif de sa force, de son courage ; il combat donc directement par la force, mais indirectement par la foi, dont saint Paul nous recommande l’armure, Eph., vi, 13, 16 ; il résiste « ferme dans la foi, » comme dit saint Pierre. I Pet., v, 9. Le chrétien aspire au ciel par la vertu d’espérance, mais c’est la foi qui montre à l’espérance le ciel ; il se confie joyeusement à la puissance et à la bonté de Dieu d’où il attend les moyens promis de parvenir au ciel, mais c’est la foi qui lui montre cette toute-puissance et cette bonté, et qui lui certifie les divines promesses. Voir Espérance, t. v, col. 612 sq.

Voilà pourquoi l’Église, bien qu’elle fasse dépendre la justification non seulement de la foi, mais encore d’autres actes de vertu dont tel ou tel, comme la charité, est plus excellent et plus efficace, appelle cependant la foi « le fondement et la racine de toute justification, » concile de Trente, sess. VI, c. viii, parce qu’elle est non seulement la première dans l’ordre chronologique, mais aussi la coopératrice des autres vertus. Il y a des actions qui sont un premier commencement nécessaire, mais qui ne doivent pas se continuer ensuite ; telle l’action de la main qui, au moyen de l’aiguille, introduit le fil ; la main et l’aiguille s’en vont, le fil reste, et n’a plus besoin de leur aide ; ainsi la charité parfaite peut mettre de côté la crainte qui a servi à l’introduire. I Joa., il, 18. Tel n’est pas l’acte de foi, remarque Bellarmin : « c’est un commencement qui reste et se développe (en renouvelant son action) ; on a raison de le comparer aux racines, qui ne sèchent pas, mais se développent et se fortifient avec la croissance de l’arbre, et aux fondations, qu’on ne retire pas quand la maison est bâtie, mais qui atteignent alors leur perfection et leur but, en soutenant les murs et le toit, et n’en sont que plus durables. La foi commence la justification, ensuite, prenant avec elle l’espérance et la charité, elle l’achève-Quand elle commence, elle est seule ; quand elle achève, elle n’est plus seule ; ou, ce qui revient au même, seule elle commence l’ouvrage, mais elle n’est pas seule à l’accomplir. » De juslificatione, I. I, c. xx, Paris, 1878, t. vi, p. 197.

Que la foi soit la coopératrice des vertus qui viennent la perfectionner, comme la racine est la coopératrice des branches pour produire le fruit, l’Écriture elle-même l’affirme. Jac, ii, 22. Et nous voyons mieux comment saint Paul a pu dire : « Justifiés par la foi, » en sous-entendant les actes qui suivent. Voir plus haut, col. 72. Malgré ce grand rôle de la foi, observons avec saint Thomas que son genre d’influence sur les autres vertus ne la rend pas nécessairement supérieure à chacune, même à la charité : car elle n’est pas à l’égard des autres causa perfteiens (rôle général qui revient à la charité), mais seulement causa disponens, et ne fait que montrer à chacune son objet, son motif spécial, solum oslendil objeelum. Sum. theol., IIa-IIæ, q. lxvi, a. 6. Et par là nous pourrons harmoniser saint Paul avec lui-même ; concilier, d’une part, l’influence si vaste qu’il donne à la foi, le rôle qu’il lui attribue dans la justification et le salut, et de l’autre, la supériorité qu’il reconnaît à la charité. I Cor., xiii, 1, 2, 13.

C’est surtout l’Épîtrc aux Hébreux, xi, qui décrit le rôle général de la foi, en la montrant à la base de toutes les grandes œuvres des justes antiques, Abel, Abraham, Moïse, etc., puis les chefs des guerres saintes, les prophètes persécutés, les martyrs. Faut-il conclure de ces exemples que la « foi » est la vertu universelle, ou qu’elle se confond avec l’obéissance à tous les préceptes divins, comme l’ont voulu certains protestants d’autrefois ? Le luthérien Gerhard leur répond : « Les exemples de ce chapitre décrivent sans doute la foi justifiante, mais surtout dans ses effets, dans ses exercices, iris que la confiance en général, la patience, la force, la constance, l’humilité, etc. Car le but de l’apôtre est d’exhorter à la persévérance, comme on le voit au chapitre précédent, x, 36 sq. ; en conséquence, au e. xi, il propose dis exemples de fidèles qui ont subi diverses épreuves, pour montrer que la vraie foi (la foi parfaite) donne la force de résister à tout’lités. » Loci theologici, Berlin, 1864, t. ir, p. 357. M il faut-il conclure de ces exemples, que la « foi «  qui y est nommée consiste essentiellement dans la fiance pratique et non dans la croyance, i comme h dit Diclionnary « I the Bible de l butings, t. r, p. B36’Non : car seule la foi-croyance, et non pas la confiance, répond au rôle général de la foi i dans fous les Is de ce c. xi où (Ile est nommée. Parmi ces ver-il en est : 1. nu la confiance pratique n’a rien i faire, parce qu’il s’agit d’une croyance toute spécula live : * C’est par la foi que nous reconnaissons « pic le monde a été formé par la parole de Dieu, » 3 ; cꝟ. 0. Il en est : 2. où la croyance excite bien un mouvement affectif et pratique, mais très différent de la confiance : ainsi, au ꝟ. 7, la foi fait admettre à Noé le déluge annoncé « qu’on ne voyait pas encore » et cette croyance excite en lui la crainte, sentiment opposé à l’espérance et à la confiance, et c’est par cette crainte que la foi le pousse à travailler au moyen de sauver sa vie et celle de ses enfants. Rappelons-nous enfin que, dans le système du dictionnaire de Hastings et des protestants en général, la foi consiste essentiellement, non pas dans une confiance quelconque en Dieu, mais dans la confiance spéciale du pardon à cause des mérites du Christ. Or, cette confiance toute spéciale n’est jamais mentionnée dans ce chapitre sur la foi : ce simple fait n’est-il pas la condamnation du système ? Il est vrai que, dans ce long passage de l’Épître aux Hébreux, la foi est souvent représentée comme ayant pour effet l’espérance : les circonstances particulières, parmi tous les effets de la foi, demandaient une place privilégiée pour l’espérance, puisqu’elle est un puissant moteur dans l’exercice des autres vertus, surtout de la force et de la patience, qui sont le but de toute cette exhortation ; l’espérance des biens éternels soutient l’âme dans la perte des biens de la terre et dans toutes les peines. Heb., x, 34, 35. Voir Espérance, t. v, col. 611, 612. Au reste, les protestants ne gagneraient rien à nous objecter cette fréquente mention de l’espérance du ciel aux c. x et xi : car pour eux la foi justifiante n’est pas l’espérance d’un bien futur, mais la confiance du pardon déjà reçu ; de plus, ils ne veulent considérer le ciel que comme une grâce, et non comme une rémunération, ce qui supposerait le mérite dont ils ont horreur, voir Mérite ; or, dans ces chapitres, non seulement il est beaucoup question de l’espérance, mais l’idée d’un Dieu rémunérateur et d’une rémunération leur est servie plusieurs fois, x, 35 ; xi, 6, 20.

Ce que nous venons de dire explique aussi pourquoi, dans le verset bien connu qui a tout l’aspect d’une définition, Heb., xi, 1, la foi est décrite au début par cet effet particulier, mais si important à la circonstance du moment et à la préoccupation de l’écrivain sacré, à savoir qu’elle soutient l’espérance. S’ensuit-il que la foi soit ici confondue avec l’espérance ? Non : le. soutien n’est pas la chose soutenue : et cette confusion des deux vertus contredirait d’autres textes, comme I Cor., xiii, 13. S’ensuit-il que la foi soit d’une nature affective et émotionnelle comme l’espérance ? Non, , i elle soutient les vertus affectives, c’est en leur montrant intellectuellement leur objet ; et d’ailleurs, dans cette définition même, la foi est appelée d’un nom tout intellectuel, ’ô ; - ; //, :. Ce mol signifie argument, preuve, soit dans le grec plus ancien. puisqu’Aristote a fait un livre De sophislicis elenchis, « qui ont l’apparence des preuves, ïiï-y/i.r/, mais qui ne sont que des paralogismes, > Opéra, édit. F, Didot, Paris, 1862, t. i, p. 276, soit même dans le grec du temps des apôtres, puisque, par exemple, l’historien Josèphe dit que « Hérode se teignait les cheveux pour dissimuler la preuve, ) :  ; /o, de son âge avancé, ’Anl. fud., 1. XVI, c. viii, n. 1, Opéra, édit. F, Didot, 1865, p. 637 ; sans compter que la Vulgate traduit : argumenium. Ileh., xi, 1. Saint Augustin traduit : convictio, Srrm., CXXVI, c. ir, /’. /… t. xxxviii, col.’mais peu Importe ce détail : que la foi soit une conviction, ou une preuve qui produit la conviction, c’est toujours quelque chose d’intellectuel, e’esl une croyance. D’ailleurs, celle traduction par conviction » parait moins exacte. P, l’rat, /.</ théologie dr s. Paul, I’partie, 1e édit.. p. 543.

Examinons de plus prés cette eélèhre définition. I.a foi, c’est lXm(o|lfv(0V C-’/lTaTi ; ttoct /’/' i.a virgule peut se mettre avanl ou après r.yi ( 7 7(, i I. Bien des éditeurs la placent avant : la Vulgate (dans sa forme actuelle) la met après

et prenant £).th^o|xév(ov au passif (cj qui est plus naturel, et conforme aux Pères grecs), traduit sperandarum rcrum. Parmi ceux qui placent la virgule avant, quelques-uns prennent È).7ti’o jj.Iv uv au moyen, avec un sens actif, suivant une traduction de saint Augustin (moins autorisé que les Pères grecs pour décider ici entre le passif et le moyen) : Fides est spcranlium subslanlia. Loc. cil. Certains protestants anciens tenaient à ce speranlium, et ils remplaçaient subslanlia par exspeclalio, attente (ce qui est un des sens possibles du grec jttôcttxt :  ;). Même ainsi, on ne nous enlève pas le sens de simple croyance : attendre est un mot ou une idée vague, qui peut exprimer un fait intellectuel aussi bien qu’un phénomène affectif : « je l’attends pour demain, » c’est-à-dire je crois qu’il viendra demain ; et ces mots du symbole de Constantinople, Elexspecto resurrectionem morluorum, disent-ils au fond autre chose qu’une croyance ? Mais de plus, cette traduction exspectalio ne s’impose pas. On nous apporte tel exemple du mot ûmSaTao-i ; dans les Septante, où il répond assez bien, d’après le contexte, à l’idée d’attente. Soit ; mais ce mot grec se prête également et mieux à plusieurs autres sens. « Employé 18 fois par les Septante (en ne considérant que les livres protocanoniques), il représente 15 différents mots hébreux. » Hatch, Essays in biblical (jreek, Oxford, 1889, p. 88. On trouverait difficilement un mot plus élastique et plus imprécis. D’où nous sommes en droit de tirer deux conclusions : 1. Dans Heb., xi, 1, nous sommes en face de deux membres de phrase qui se balancent, se répondent, de deux titres de la foi, : jii<jr ; -<xrsic…, êO.syyo ; … L’un doit être à peu près l'écho de l’autre : nous le voyons, soit par la correspondance des mots très clairs ÈXiriÇo[jtivwv d’un côté, où p).E710jj.£V(ov de l’autre, cf. Rom., viii, 24, 25, soit parce que les deux membres sont une double définition de la même chose, sans parler des habitudes du parallélisme hébraïque. Westcott l’a remarqué : « L’interprétation de ces deux mots doit être coordonnée ; ils doivent décrire la foi sous le même aspect général. » Epistle to the Hebrews, 3e édit., Londres, 1906, p. 352. Ceci posé, ÛTiôir-raTic, très obscur, devra être expliqué par son correspondant 'û.eyy/j ;, d’un sens parfaitement défini et incontesté ; il devra donc être ramené, d’une manière ou d’une autre, au sens intellectuel de conviction et de croyance ; à moins d’expliquer, comme font ici plusieurs, le clair par l’obscur I 2. Dans cette obscurité du mot JTtorTTacni :, il est raisonnable de préférer l’explication des Pères grecs, excellents interprètes qui ont bien une certaine autorité dans leur langue maternelle. Saint Jean Chrysostome donne à ce mot le sens très conforme à son étymologie, de subsistance : la foi-croyance fait subsister « les choses que nous espérons » et qui ne sont pas encore, notre future béatitude, etc. ; elle leur donne déjà, dans notre esprit, une réalité subsistante, elle en est aussi certaine que si elle les voyait ; sens qui va rejoindre celui du second membre. Homil., xxi, in Heb., n. 2, P. G., t. lxiii, col. 151. Même sens dans Théodoret, In Heb., P. G., t. lxxxii, col. 758 ; et dans l'évêque africain Primasius. In Heb. commentaria, P. L., t. lxviii, col. 758. Saint Grégoire de Nysse explique ici JTidiTTaci ; par spôio^a, soutien, appui : la cité céleste qui attire notre espérance et nos vœux, et qui n’est évidente ni aux sens ni à la raison naturelle, flotterait en l’air comme un vain fantôme, si la foi-croyance ne lui donnait un solde appui. De anima et resurrectione, P. G., t. xlvi, col. 95. On le voit, ces interprétations des Pères, quoique prenant le mot ûiroaTaTi ; en deux sens différents, rendent au fond la même pensée, qu’pn peut retrouver aussi sous le mot vague sub^tantia de la Vulgate (de sub stare), en le rattachant soit à l’idée de subsister, soit à celle de sustenter. La plus ancienne des versions, la syriaque, dit à peu près de même : « La foi est la persuasion des choses qu’on espère, comme si elles existaient déjà réellement. » Voir Corluy, Spicilegium dogmalico-biblicum, Gand, 1884, t. il, p. 21' » . A cela revient l’interprétation que préfère le P. Prat : « La foi… est la réalité des choses que nous espérons, en tant qu’elle… empêche nos espérances d'être vaines ou fantastiques. » Op. cit., p. 543. La version officielle anglicane (revisée) ne s'écarte pas du sens intellectuel que nous défendons, quand elle traduit « l’assurance des choses espérées. » Le dictionnaire de Hastings, art. Hope, remarque qu’au mot assurance on pourrait presque substituer le mot fondement, t. il, col. 412. L’un ou l’autre rend la pensée des Pères, et répond assez à l’autre membre ï'/-. ; //j : …, que la version anglicane rend par proving, preuve, et Hastings par conviction.

Fermeté de la foi chrétienne.

Ce mot rappelle

à l’imagination l’attitude d’un homme qui ne chancelle pas, qui pose sur le sol un pied ferme. Dans l’ordre intellectuel où nous sommes, chanceler, vaciller, c’est douter : dire que la foi est « ferme » , c’est donc dire qu’elle exclut le doute, la fluctuation de l’esprit, qu’elle a cette fixité requise pour la certitude. Fixité au moins pour le moment : car nous ne prenons pas ici le mot « ferme » , comme on le prend souvent, pour indiquer la constance, la persévérance ; nous ne parlons pas encore de la fermeté habituelle de la foi, mais seulement de sa fermeté actuelle. — Dans notre étude sur la foi ferme, nous verrons : 1. sa preuve positive ; 2. sa raison d'être ; 3. son contraire, l’opinion, mêlée d’un certain doute ; 4. l’explication de quelques difficultés.

1. Sa preuve positive.

a) L'Écriture. — Revenons à Heb., xi, 1, où la foi est appelée 'ù.t^yoz. Le verbe i/£--/Go, d’où vient ce substantif, signifie, non pas avancer une preuve quelconque, mais une preuve décisive, qui ne permette pas de douter, d'échapper. Les Juifs alléguaient contre le Christ des griefs quelconques, mais ils ne pouvaient le convaincre de péché, ÈÀlyyeiv. Joa., viii, 46. « Le Paraclet… convaincra le monde, » iéy& :, Joa., xvi, 8, évidemment par une preuve complète, de manière à produire la conviction. « "EXefXOî » affirme saint Chrysostome, se dit de ce qui est tout à fait manifeste. » Loc. cil. « C’est, dit l’auteur de la Rhétorique à Alexandre, une espèce d’argument ou de réfutation qui prouve j que la chose ne peut pas être autrement que nous le 1 disons, » c. xiii, dans Aristotclis opéra, édit. F. Didot, t. i, p. 429. Sous ce mot qui caractérise la foi, tout concourt donc à montrer la conviction, l’absence du doute.

Abraham nous est présenté comme modèle de la foi qui dispose à la justification. Rom., iv, surtout 18-24. Or le trait distinctii de sa foi, celui sur lequel saint Paul appuie dans ce long passage, c’est la fermeté. Il y insiste, tantôt sous forme négative : « (Abraham) ne fut pas infirme dans la foi ; il ne considéra pas » les apparences contraires au miracle promis qui auraient pu lui donner des doutes imprudents : il ne se laissa pas allei au doute, à l’incrédulité. Voir plus haut, col. 68. Tantôt sous forme positive : i II fut fort dans la foi » ou « par la foi. » Il fut « pleinement convaincu, iùr t poyopvfleiç, que Dieu a la puissance d’accomplir sa promesse, » 19-21. Remarquons la force de cette dernière expression. IlXïipoçopfa, dit Sanday en commentant ce verset, « c’est une pleine assurance, une ferme conviction, cf. I Thés., i, 5 ; Col., ii, 2 ; mot spécialement en usage chez les stoïciens. Le verbe xr i çrj ?oç, z~.'7f)xi, appliqué à une personne, équivaut à être pleinement

assuré ou convaincu. Cf. Rom., xiv, 5 ; Col., iv, , 12.. Comment, sur l'ÉpUre aux Romains, 4e édit., Edimbourg, 1900, p. 116. Ce terme, dont 1 etymologie donne l’idée de plénitude, « a été employé par les Pères grecs, et figure dans leurs définitions de la loi, c’est l’expression qui caractérise le mieux sa parfaite solidité. » Scheeben, La dogmatique, § 46, trad franc, Paris, 1877, t. i, p. 538. Exemples : « Quel est le propre de la foi ? Une ferme conviction, KfcipofopsGr, de la vérité des paroles inspirées, opposée au doute et inébranlable aux objections de la nature ou de la fausse piété. Quel est le propre du fidèle ? Etre établi dans une telle conviction par l’influence de la parole divine. » S. Basile, Moralia, reg. lxxx, c. xxii, P. o., t xxxi col. 867. « La foi, d’après l’apôtre, est donc là vue des choses invisibles ; et de ces choses que 1 on ne voit pas, elle donne la même conviction, « Vnpoçopsav, que l’on a communément de celles que Ion voit… Si l’on n’est pas plus convaincu encore des choses invisibles que des visibles, ce ne peut pas être la foi. » S. J. Chrysostome, In Heb., homil. xxi, n. _. P. G., t. lxiii, col. 151.

b) Les Pères. — Nous venons de citer les grands docteurs de l'Église grecque ; on pourrait remonter à Clément d’Alexandrie ; parlant de cette croyance amoindrie qu’on appelle opinion ou conjecture : Elle imite la foi, dit-il, comme le flatteur imite l’ami, comme le loup imite le chien. » Strom., Il, c iv P G t viii, col. 943. Parmi les latins, saint Augustin dit que notre foi ne peut souffrir le peutêtre « Quelle figure avait Marie, la révélation s abstint d’en parler ; aussi nous pouvons dire, sans blesser la foi : Peut-être avait-elle ce visage que je me représente, peut-être ne l’avait-elle pas Mais la foi chrétienne n’est pas sauve si l’on dit : Le Christ est peut-être né d’une vierge. » De Tnnilale, 1. VIII c V P.L., t. xlii, col. 952. Enfin quand Abclard. le premier, voulut se contenter, en guise de foi chrétienne, d’une opinion, œslimalio, saint Bernard réclama energiquement. Il vit même dans cette fausse idée de la foi l’origine de toutes les erreurs théologiques d’Abélard. « Laisse cette sslimatio, s'écrie-t-il, laisse-la aux académiciens qui font profession de douter de tout et de ne rien savoir. Et citant l’apôtre, il conclut : Non est fuies œslimatw, , Tliludo. Tract, ou Epist., exc, ad Innocentmm II. , 1V P. t., t. CLXXXII, col. 1061 sq. Et ailleurs : I a foi n’a pas d’incertitude, ambiguum : ou si elle en a, ce n’est plus la foi, c’est l’opinion, i De consideratione, 1. V, c. iii, col. 790.

, I Les documents de V Église. — Dans les professions de toi firmiler credo, ftrma ftde credo sont des locutions Iles. Noir les derniers mots du symbole liturgique dit d’Athanase, récité à prime, Denzinger, n. 40(136) ; le début du symbole de saint Léon IX, usité dans les consécrations épiscopales, Denzinger, n. 343 (292) : l, t,-l, ii t du IVe concile de Latran, n. 428 I le début « le la professio fldei trideniina, a. 994 (803). 2 s „, „, , „, , d'être. il ne fan. bail pus s’imaginer ™e cette fermeté ait pour motif ou pour cause l’ho ; ,, ., „., , , , dou te en général. Si le doute est représenté ., ., , , i irs catholiques comme une maladie qui

, ui [ail des victimes, c’est qu’alors il es ! que ! lio]l du dont.' mal fondé, ou même du scepticisme. Bien qu’il soil toujours une Imperfection qui pro vient de notre ignorance ici-bas, le doute est encore ! , , , , 111, 1Il parti à prendre en bien des cas, el dans prits 1^ plus dogmatiques l’ont reconnu

Volontiers. "C’est une pallie de bien Juger, « ['" ll ""

quand il faut, dit Bo m< t, ( oniu de Dieu

, , ,, .. c, i. n. 16. Déjà au moyen âge, un « les

istiqu< qui a le plus insisté sur la fermeté de la

imlssion absolue de l’esprit à Dieu qui

parle, Guillaume d’Auvergne, évêque de Pans, savait faire aussi l'éloge du doute, qui, pour éviter l’erreur, suspend son jugement quand il ne peut arriver a la vérité, et il ajoutait : « Il suffit au sage, quand il ne peut saisir la vérité, de n'être pas le jouet de l’erreur…, de même qu’il suffit au guerrier, quand il ne peut vaincre l’ennemi, de n’en être pas vaincu, et au négociant, quand il ne peut faire un gain, d'éviter un désastre. » De fide, c. i, Opéra, Paris, 1674, t. i, p. 3. Pas d’exagération, cependant ; un esprit qui, par crainte de tomber dans quelque erreur même de peu d’importance, passerait son temps à douter, ressemblerait fort à ces gens qui se rendent malades à force de craindre toutes tes maladies. Voir Croyance, t. iii, col. 2380.

Quelle est donc la raison intime de la fermeté de la foi chrétienne ? — Une réponse très simple, c’est que cette foi s’appuie essentiellement sur la parole de Dieu comme sur son motif (voir plus loin, col. 180), et que la parole de Dieu est digne de la plus ferme croyance. « Si un homme grave et recommandais te promettait quelque chose, dit saint Cyprien, tu aurais foi à ses promesses, et tu ne croirais pas être trompé par celui dont tu saurais la droiture et la lovauté de paroles et d’action. Et maintenant Dieu te parle et manquant de foi tu cèdes aux fluctuations d’un 'esprit incrédule ? C’est tout à fait méconnaître Dieu. » De mortalitale, n. 6, P. L., t. iv, col. 586. Voila pourquoi la foi chrétienne devait être ferme. Réponse très juste en soi, et devenue très commune parmi les théologiens, mais incomplète : elle revient à dire : Le motif de l’autorité d’un Dieu qui parle, s’il est dûment appliqué à tel sujet et à telle matière, exige une foi ferme : saint Cyprien n’envisage qu’un seul cas, celui où l’on sait avec certitude que le témoin a parlé ; mais il en est un autre, celui où l’on a une probabilité que Dieu a parlé, que telle doctrine vient de lui, sans le savoir encore, (t OÙ l’on penche déjà pour ce motif vers cette doctrine. La parole de Dieu, l’autorité de Dieu, dans ce cas, faute d’application suffisante a cette doctrine, ne peut produire une adhésion ferme. El pourtant cette demi-croyance, avec son peut-être. n’est pas une insulte faite à Dieu, comme dans le cas dont parle saint Cyprien ; au contraire, de l’aveu de tous les théologiens, elle est permise pour le moment présent et n’est pas inutile comme acheminement vers la pleine lumière : elle peut avoir le même motif spécifique : i Mon Dieu, je crois cela sur votre auto rite ; pour p rendre une comparaison, ne peut-on faire un ai te d’obéissance méritoire, quand même on n’a' que la probabilité de la volonté du supérieur ? Pourquoi donc celle demi-Croyance, motivée par le respect ' de l’autorité de Dieu, ne suffirait-elle pas à la justification de l’infidèle qui a commencée croire ainsi, en sorte qu’on puisse le baptiser aussitôt.' Pourquoi les

documents de la révélation demandent-ils pour la foi salutaire plus que cette simple « opinion » , el exigentils comme condition de la justification et du baptême une foi ferme ? Pourquoi ne suffit-il pas de croire

, 1'une manier, quelconque a cause de l’autorité de

Dieu, mais taul il que ce motif soit appliqué d’une

manière certaine à telle matière'.'

II nous faut donc arriver » une autre raison de (cite

fermeté qui vaille pour tous les c :, s. Nous la trouverons dans le rôle général de la foi. Voircol. m sq. 1 a

foi. disions nous d’après la révélation (Ile même, do I

exciter les autres dispositions à la justification, et i actes des autres vertus qui. après u justification, méri

,, .„, |, de]., , le. d’espérance, de crainte, de repentir de charité, etc. et ce rôle s’explique rationnellement

., a 11 ;, |„, (. intellectuelle de la loi. qui éclaire le

Chemin et montre à chaque veiln ellective l’objet,

I, . motil propre qui lui correspond et l’excite. Ma s

si elle montrait ces objets comme entièrement don

teux, si elle disait, par exemple : « Il y a peut-être une autre vie, un éternel bonheur, » comment exciteraitelle puissamment l’espérance ? C’est déjà bien assez que le fait de notre salut personnel reste ordinairement en dehors de la certitude et du domaine de la foi. Il faut du moins que les grandes vérités, base de notre vie spirituelle, dont le souvenir doit nous faire espérer craindre, aimer, pleurer nos fautes, soient fermement saisies par la foi. Sur les fondations branlantes d’une demi-croyance pourrait-on construire l'édifice des vertus ? N’est-ce pas en partie la fermeté des convictions qui fait la solidité de la vertu et la force du caractère ? Pour remplir son rôle providentiel, la foi devait donc être ferme, et une foi chancelante ne pouvait en aucune hypothèse être acceptée de Dieu comme base de la conversion au christianisme, ou de la vie chrétienne.

Mais, dira-t-on, une croyance mêlée de doute à des sanctions possibles dans une autre vie' suffirait encore à exciter l’espérance et la crainte, qui de leur nature ne réclament pas la certitude de leur objet : une telle croyance pourrait donc obtenir pratiquement l’exercice de la religion et les sacrifices que demandent les vertus chrétiennes. C’est le célèbre argument du pari de Pascal : « Dieu est, ou il n’est pas. Maio de quel côté pencherons-nous ?… Il se joue un jeu, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ?… Pesons le gain et la perte (de celui qui parie pour Dieu et la religion)… Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien (en comparaison de l’infini). Gagez donc qu’il est, sans hésiter… Il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini… Il n’y a point à balancer, il faut tout donner… Car il ne sert de rien de dire qu’il est incertain si on gagnera, et qu’il est certain qu’on hasarde… Tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude… Combien de choses fait-on pour l’incertain, les voyages sur mer, les batailles ! » Pensées, édit. des Grands écrivains, t. ii, p. 146 sq. Kant dit à son tour : « L’homme ne peut s’empêcher de craindre un Être divin et une vie future : il suffit, en effet, qu’il ne puisse alléguer la certitude qu’il n’y a pas de Dieu et pas dévie future, certitude qui exigerait… qu’il démontrât l’impossibilité de l’un et de l’autre, ce qu’aucun homme raisonnable ne peut assurément entreprendre. » Critique de la raison pure, trad. Barni, t. ii, p. 387. Ces considérations peuvent servir à remuer l’incrédule, à le faire sortir de son repos malsain dans les négations, et à le rapprocher ainsi de la foi chrétienne, mais sans l’y faire parvenir : Dieu l’a mise plus haut comme fermeté, nous le savons par la révélation et la doctrine de l'Église. Aux yeux mêmes de la raison naturelle, l’argument du pari ne peut remplacer, comme excitation à la vertu et à la religion, la foi robuste et éclairée qui croit à Dieu, à ses promesses et à ses menaces comme à quelque chose d’objectif et do certain, et qui donne à notre âme un point fixe, une base de vérité. Il est vrai que dans les affaires du monde on expose volontiers une très faible valeur pour l’acquisition possible d’une valeur énorme. Mais ces valeurs sont du même ordre, elles parlent toutes les deux aux sens, dont l’homme est si fort touché ; elles sont estimées du commun des hommes. Au contraire, l’aude la ne parle pas aux sens, n’est pas estimé de la multitude dont les jugements impressionnent tant l’individu : et si à ces désavantages il ajoute encore celui de paraître incertain à l’esprit, de ne lui rien montrer que de nébuleux et de flottant, la vie future ne réussit pas alors (c’est un fait d’expérience) à rejeter dans l’ombre les biens présents, ni à les faire pratiquement apparaître comme le rien dont parle Pascal. « Au point de vue de la logique pure, dit Ernest Naville, la con clusion commune à Pascal et à Kant a une vraie valeur ; mais si on en fait laprévision de ce qui doit naturellement arriver (en tenant compte de la nature humaine telle qu’elle est), l’argument est fort défectueux. Voici pourquoi. Ce n’est que sous l’influence d’une conviction très ferme de la réalité du monde à venir et de la justice éternelle, que la satisfaction des intérêts et des passions peut revêtir le caractère d’une quantité insignifiante. Les passions projettent sur les joies présentes une lumière vive dont l'éclat fait pâlir, presque jusqu'à la faire disparaître, la perspective d’un bonheur futur. » Les philosophics négatives, Paris, 1900, p. 35. Et lors même que l’argument du pari exercerait une influence fortement moralisatrice, de cette demi-croyance ne sortiraient pas toutes les vertus chrétiennes, dont la plus excellente est l’amour de Dieu. Avec un Dieu hypothétique, qui nous aime peut-être, qui nous a peut-être donné ce que nous sommes, comment établir ces rapports intimes d’amour que nous avons avec un Dieu certain, invisible, que par la foi nous voyons presque, Heb., xi, 27, notre créateur, notre protecteur, notre père, qui a élevé les justes à son amitié par une communication certaine de biens surnaturels et d’ineffable amour ? Dès là que Dieu a ainsi demandé notre amour, il a dû pourvoir à une foi ferme nécessaire à le fonder.

3. L’opinion et son doute (formido) contraire ù la foi divine. — a) La fermeté de la foi exclut donc le doute — soit qu’on entende par « doute » une attitude négative de l’esprit, la suspension du jugement par crainte de se tromper — soit qu’on entende une crainte de se tromper qui ne va pas jusqu'à arrêter l’acte positif d’affirmer, mais qui l’accompagne, le modifie et l’affaiblit ; une telle affirmation prend le nom d’opinion, et nous venons de voir par des témoignages patristiques que l’opinion, Ycxistimalio est opposée à la foi. Voici comment saint Thomas décrit ces deux états d’esprit : « Tantôt l’intelligence n’est pas inclinée d’un côté plutôt que de l’autre ; ou bien faute de motif, comme il arrive dans ces problèmes où n’apparaît aucun élément de solution, ou bien à cause de l'égalité apparente des motifs en faveur de deux thèses opposées. Telle est l’attitude du doute (au sens le plus strict du mot), qui flotte entre deux propositions contradictoires. » Quæsl. disp., De verilate, q. xiv, a. 1. C’est comme une balance qui, faute de poids, ou par l'égalité des poids entre eux, reste en équilibre. Dans l’autre état d’esprit, l'équilibre se rompt : « Tantôt, continue-t-il, l’intelligence est plus inclinée d’un côté que de l’autre ; mais le motif qui l’incline n'étant pas assez fort pour la déterminer totalement d’un côté, elle s’attache à l’une des deux thèses contradictoires, et pourtant conserve un certain doute à l'égard de l’autre. Telle est l’attitude de Yopinion, qui admet une des deux contradictoires tout en gardant une certaine crainte de l’autre, cum formidine alterius. » Ibid. On définit aujourd’hui semblablement 1' « opinion » , même dans la philosophie qui n’est pas scolastique. * L’opinion est une adhésion mêlée de doute, et par conséquent plus ou moins chancelante et inconstante. » Boirac, Cours élémentaire de philosophie, Logique, c. v, Paris, 1900, p. 287.

L'élément caractéristique de l’opinion, c’est cette crainte, formido, dont parle saint Thomas, et que, dans le passage cité, il appelle aussi « doute » , dubilat de altéra ; le mot formido est plus généralement usité chez les scolastiques, le mot doute chez les modernes, qui parlent pourtant aussi d' « affirmer sans crainte » . Mais qu’est-ce que cette crainte, formidol Une émotion ? Nous n’entendons pas exclure l'élément émotionnel, plus ou moins perceptible ; mais il est d’importance très secondaire. Une crainte à objet rationnel, comme celle qui nous occupe et qui a évidemment pour objet

la vérité et l’erreur, n’est pas une passion animale ; elle dérive donc d’un jugement : c’est ce jugement, source de l'émotion craintive, qu’il nous faut arriver à saisir, c’est à lui que les scolastiques ont par métonymie transféré le nom de formido, qu’il soit suivi d’une émotion perceptible, ou non. Il doit donc y avoir dans V « opinion » un double jugement : le principal, qui, comme dit saint Thomas, accipil unam partem, admet une des deux thèses contradictoires : le secondaire, qui affaiblit l’adhésion du premier, et que nous appelons formido.

En quoi consiste ce jugement secondaire ? Serait-ce à nier faiblement, à nier tout bas ce que le principal affirme tout haut et avec plus de force ? Mais un seul et même esprit ne peut proférer en même temps deux propositions contradictoires : et si cela était possible dans une perturbation, dans une situation anormale de l'âme, cela ne peut être dans l’opinion, état d’esprit essentiellement pacifique et régulier. Aussi, quand saint Thomas dit de l’opinion : Opinans habet alifjuid asscnsus, inquantum adhærct uni magis quam alii, il faut traduire ce magis par « plutôt » , et ne pas prêter au grand docteur l’idée bizarre de faire adhérer en même temps à deux contradictoires, bien que plus fortement à l’une des deux. In IV Sent., 1. III, dist. XXIII, q. ii, a. 2, sol. l a ; voir Gardeil, dans la Revue des sciences philos, et thèol. du 20 juillet 1911, p. 451, 452, ou dans La certitude probable, 1911, p. 48, 49. Sans doute, après l’adhésion que j’aurai donnée à l’une des thèses contradictoires, par exemple, à l’existence de telle obligation pour mon pénitent, je pourrai réfléchir sur la valeur comparative des motifs qui m’ont poussé à incliner du côté de cette obligation, et des motifs contraires, et reconnaître avec certitude dans ceux-ci une valeur sérieuse, les miens n'étant pas décisifs, voir Revue thomiste, mai 1902, p. 162 ; et voyant de bons théologiens préférer la thèse opposée qui nie l’existence de cette obligation, je pourrai par une défiance légitime de mes propres lumières, dans une question qui n’est pas claire, baser sur l’opinion des autres une solution toute pratique, et m’abstenir d’imposer au pénitent la thèse à laquelle j’adhère avec crainte, et tel est le procédé du probabilisme en morale, que le P. Gardeil ne paraît pas avoir bien saisi. La certitude probable, p. 35, 36. Mais il n’en est pas moins vrai que, dans le jugement primitif et plus direct qui est proprement « l’opinion » , je n’adhère qu'à l’une des deux thèses opposées. De là aussi une véritable erreur en moi, si j’ai pris celle qui en soi est fausse : tandis que dans l'état de doute, qui flotte entre deux contradictoires sans s’arrêter à aucune, il n’y a pas d’erreur possible.

En quoi donc consistera ce jugement secondaire qui dans 1 opinion produit la crainte ? Nous pouvons raisonner ainsi. Le jugement qui, dans l'être raisonnable, produit la crainte en général, c’est toujours ce jugement qu’il y a pour lui un mal qui menace, un danger. Quel danger peut-il y avoir dans toute opinion, c’est-à-dire dans le fait même que l’intelligence, sans avoir la certitude, incline vers une des deux thèses contradictoires ? Le mal qui menace alors l’intelligence, C’est l’erreur. Danger d’ernur, voilà donc ce que doit affirmer dans l’opinion le Jugement secondaire, appelé formido. Et l’enMmble pourra se représenter par cet exemple : Cette maladie mène À la mort, mais en affirmant cela. Je suis en danger de me tromper. Le premier jugement, le principal, est direct, et Va droit à l’objet : le second est réflexe : le

premier affirme un fait, le second ne nie pas ce fait,

mais afin nie le danger que j’ai de DU tromper en l’affirmant : ils ne. sont donc pas contradictoires entre eux, et mie même intelligence peut les porter en même

temps. Telle est en résumé l’analyse que font, de

l’opinion et de sa formido, Haunold, Theol. speculaliva, Ingolstadt, 1670, p. 377 sq. ; de Bcnedictis, Philos, peripatetica, Venise, 1722, t. i, p. 513 sq.

On a donné une autre explication. « Le mot formido, dit le P. Gardeil, si on l’entend d’une crainte intrinsèque à l’opinion, ne signifie pas autre chose que la contingence de l’acte d’opinion, comme le remarque D. Soto dans son pénétrant commentaire des Analytiques. » La certitude probable, p. 46. Le contingent étant par définition « ce qui peut ne pas être, » qu’entend-on ici par « contingence de l’acte d’opinion ? » « A la contingence de la vérité probable, correspond la contingence de l’assentiment d’opinion. Nous avons exposé plus haut les trois modes de la contingence du probable : matière contingente, incapable d'être l’objet d’une connaissance absolument certaine ; matière nécessaire en soi, mais appréhendée à l’aide de signes qui n’atteignent pas le fond des choses, leur pourquoi profond et décisif ; matière nécessaire, mais saisie imparfaitement par suite de l’imperfection de l’esprit. Dans les trois cas, au moment où il actionne l’esprit, l’intelligible n’a pas la détermination absolue qui réduit la puissance intellectuelle et entraîne l’adhésion. » Op. cit., p. 40, 41. Les deux derniers cas peuvent se résumer en un seul : la connaissance est si imparfaite (soit imperfection des signes ou intermédiaires employés, soit imperfection du sujet lui-même) que la chose affirmée pourrait ne pas être en réalité. J’affirme qu’il fera beau demain, à cause de certains signes ; cependant j’estime que la chose affirmée pourrait être autrement. C’est par là que l’opinion se distingue de la science et de la foi, d’après saint Thomas : De rationc scicnliæ est, quod id quod scitur existimetur esse impossibile aliter se habcrc ; de ratione autan opinionis est quod id quod quis existimat, exislimcl possibile aliter se habere. Sed id quod fide tenetur, proplcr fidei ccrliiudincm, exislimatur cliam impossibile aliter se habere. Sum. theol., II a II 1 ', q. i, a. 5, ad 4°'". Saint Thomas exprime ici que l’opinion est composée d’un double jugement : existimat, existimet ; et le second est précisément ce jugement secondaire dont nous avons parlé avec I launold et de Bcnedictis, dans lequel, saisissant l’imperfection de notre connaissance, nous disons : « Je suis en danger de me tromper. » Car enfin, n’est-ce pas la même chose de dire suivant la formule de saint Thomas : « La chose que j’aflirme pourrait être autrement dans la réalité, » ou suivant notre formule : « En affirmant cela, je suis en danger d’erreur ? » Le P. Gardeil dit lui-même : « La contingence en matière de vérité n’est pas autre chose qu’une possibilité d’erreur. » Op. cil., p. 12. Beste le premier cas : « matière contingente, dit-il, incapable d'être l’objet d’une connaissance absolument certaine. » Cependant toute matière contingente ne doit pas être condamnée à l’incertitude. Ma propre existence, qui est pour moi d’une évidence irrésistible et d’une certitude absolue, est pourtant une matière contingente » . Et il ne paraît pas fondé de dire : « Les objets qui nous touchent de plus près, parce qu’ils sont en quelque

sorte nous-mêmes, sont très spécialement justiciables de la seule probabilité. Op. cit., )). 19. L’auteur, il est vrai, tâche de sauver la certitude de quelques vérités

contingentes, en recourant à la nécessité hypothétique d’expérimenter ce que nous expérimentons : Si So crate est assis, il est nécessaire qu’il soit assis, pendant qu’il est assis, i Op. cit., p. 21. Mais il est commun a tout être contingent d’avoir cette nécessité hypothétique. Ce n’est donc pas elle qui fera une

différence cidre les cas où nous connaîtrons le contingent avec certitude, el ceux ou nous le connaîtrons

avec incertitude ; ce sera Uniquement la perfection OU l’imperfection de nos moyens de connaitre. la pot SiblUté ou l’impossibilité d’une expérience immédiate, etc., ce qui nous fait retomber dans les deux cas examinés d’abord. Il faut donc supprimer ce premier cas, et ne pas faire dépendre de la contingence de la matière l’incertitude du jugement comme une suite nécessaire : la matière contingente reste de soi indifférente à la certitude ou à la probabilité. Et certes, en Dieu, la connaissance des contingents est parfaitement certaine et métaphysiquement nécessaire. De Benedictis, loc, cit., p. 514. Nous préférons donc notre explication de la formido comme plus simple et plus juste.

Ajoutons une autre considération. La volonté libre ne peut changer ou supprimer la contingence d’une matière, ni dans la réalité, c’est clair, ni même dans notre esprit, parce que cette contingence est de toute évidence, et que la volonté ne peut rien dans notre esprit contre l’évidence proprement dite. D’autre part, ’la volonté peut supprimer dans notre esprit ce qu’on appelle formido, et transformer une pure opinion en jugement absolument ferme : on voit ce phénomène ! dans les esprits entêtés de leurs idées, et Soto en fait lui-même la remarque : « Du côté du sujet il peut y j avoir la même certitude quand la chose est fausse. Qui j doute que les anabaptistes adhèrent à leurs doctrines avec autant de force et de fermeté, tain firmo assensu roborati, que les sacramentaires, etc., et ceux-ci que nous (les catholiques) ? Et pourtant il est évident qu’il y a quelqu’un qui se trompe, ces thèse. ; opposées j ne pouvant être toutes vraies. » De natura et gratta, I. 111, c. x, Salamanque, 1561, p. 215. La formido sur laquelle la volonté a prise ne peut donc être une suite nécessaire de la contingence de la matière, sur laquelle lu volonté n’a pas de prise. De plus, la suppression du doute ou formido par la volonté — suppression blâmable dans les gens entêtés, parce qu’alors elle porte sur un doute prudent et que, à un certain moment du moins, ils ont reconnu comme tel — devient légitime dans certains cas où le doute est imprudent, déraisonnable ; les théologiens admettent communément cette suppression des doutes imprudents dans la foi divine. Or la contingence de la matière, étant évidente et n’ayant rien d’illégitime, ne peut en aucun sens être supprimée par notre volonté. Ce n’est donc pas ce qu’on appelle formido, ni ce qui produit la formido.

Notre théorie, au contraire, explique très bien la différence des doutes prudents et des doutes imprudents, formidincs imprudentes. Le mot formido sigivlie, d’après nous, ce jugement réflexe : « En affirmant cela, je suis en danger de me tromper. » Ce jugement craintif, comme tout jugement, doit avoir un motif, car l’intelligence ne juge pas sans quelque raison au moins apparente de juger ainsi. Voir Croyance, t. iii, col. 2372. Ce motif sera parfois l’évidence du danger de me tromper, et alors le jugement craintif ne sera pas libre, l’évidence s’impose. Mais souvent, la réal.té du danger étant moins claire, la volonté aura prise sur ce jugement craintif, et pourra ou le supprimer, ou, au contraire, le faire naître sans motif sérieux, en embrouillant l’esprit dans des sophismes, ou tout au moins le favoriser ; et selon qu’elle suit alors les conseils de la prudence ou qu’elle ne les suit pas, le jugement craintif, en tant que plus ou moins dépendant de la volonté, sera dit prudent ou imprudent, légitime ou coupable. Parfois dans l’affirmation d’une vérité, surtout si elle déplaît aux passions, s’élèvent des doutes, des craintes, sans motif sérieux du côté de l’objet suffisamment perçu ; Soto en fait la remarque : « Qu’il s’élève dans l’esprit humain un doute, une crainte…, c’est une chose naturelle… Parfois cela résulte du tempérament. Il y en a qui ont peu de sang, et cela les rend craintifs dans l’affirmation, comme dans toute autre chose. » Op. cit., p. 214. S’il existe des craintes sans danger réel, ayant une origine purement subjective et morbide, s’il existe des doutes imprudents et sophistiques, la volonté a certainement le tlroit d’intervenir pour supprimer tout cela. Voir Croyance, t. iii, col. 2383 sq. Cet appel à la volonté du malade, que la médecine elle-même sait employer contre la neurasthénie, est spécialement opportun dans l’épidémie du doute qui, à la suite du kantisme et d’autres causes, affaiblit aujourd’hui les esprits. « Nous sommes en présence, non seulement d’une conception d’école, mais d’un fait biologique, d’une sorte de faiblesse ou de déformation pathologique de la vie religieuse, que je qualifierais volontiers de psychasthénie spirituelle, dit un protestant. Les raffinements morbides et la complaisance au doute intellectuel, que pratique l’agnosticisme, me paraissent révéler je ne sais quelle névrose nouvelle et constitutive de la conscience religieuse. » Frommel, dans la Revue (protestante) de théologie et de philosophie, novembre 1904, p. 37, 38. Voir Snell, Essai sur la foi…, 1911, p. 103.

Quant à la théorie de Soto sur la contingence, elle se termine par une explication assez faible de la formido : Formido non potest melius explieari quam si dicas quod est privatio cerliludinis. Unde hoc est assentiri uni parti cum formidine alterius, quod est intelleclum non ila esse deierminalum ad hanc parlem, quin flucluct quodammodo circa aliam. D.Soto, In tibros posleriorum Arislotelis absolulissima commentaria, Venise, 1574, q. viii, p. 416.

b) Différence entre la foi humaine et l’opinion. —

Il y a dans cette même q. viii de Soto une autre théorie acceptée par le P. Gardeil, et qui consiste à dire qu’entre l’opinion et la foi humaine il n’y a pas différence d’espèce, différence essentielle. Nous préférons la doctrine de saint Thomas, qui, dans le passage cité tout à l’heure, dit : « Il est de l’essence do l’opinion d’estimer que la chose affirmée pourrait être autrement ; tandis que dans la foi, à cause de sa certitude, on estime que la chose affirmée ne peut pas être autrement. » Sum. tkeol., IIa-IIæ , q. i, a. 5, ad 4um. Voilà bien une différence profonde, atteignant la nature même de l’assentiment ; et c’est par là que saint Thomas, dans la même phrase, différencie la science et l’opinion, entre lesquelles on avoue une différence d’espèce. S’il n’y en a pas entre la foi et l’opinion, pourquoi saint Thomas nous donne-t-il cette célèbre division ternaire entre ces trois espèces d’assentiment, la science, l’opinion et la foi ? pourquoi met-il cette troisième sur la même ligne que les deux autres ? Sum. Iheol., II" II*, q. i, a. 4 ; De verilate, q. xiv, a. 1. C’est dans ces textes, où saint Thomas traite la question ex professo, qu’il faut étudier sa pensée, et non pas dans des endroits où il prend en rassant le mot fides dans un sens large, de même qu’en français nous appelons « croyance » non seulement une conviction ferme, mais souvent, au sens plus large, une opinion. Voir Croyance, t. iii, col. 2364. Dira-t-on, pour échapper à saint Thomas, que dans cette division ternaire il ne parle que de la foi divine ! Mais il est clair qu’il fait là une théorie générale et philosophique des divers états d’esprit, et que la fides dont il parle ici ne peut pas être la seule foi divine, qui dépasse la philosophie, mais que c’est aussi la foi humaine, du moins quand elle atteint sa perfection. La foi au témoignage divin est toujours infaillible, a priori ; la foi au témoignage humain varie suivant la valeur et le nombre des témoignages et souvent ne donne pas la ceititude : de là une différence incontestable, qui empêche que la foi humaine prise en général soit une vertu, Sum. Iheol., IIa-IIæ , q. iv, a. 5, ad 2 nm, mais qui n’empêche pas que les actes parfaits de foi humaine soient vraiment certains, ce qu’il serait sceptique de nier. Au fond, Soto veut à tout prix défendre Aristote du reproche d’avoir incomplètement traité les états d’esprit ou les espèces d’assentiment, en ne parlant que de la science et de l’opinion. Il vaudrait mieux avouer qu’Aristote, dans sa psychologie et sa critériologie, a des lacunes évidentes, et que saint Thomas l’a ici heureusement complété.

Voici le raisonnement de Soto. Croire qu’il existe en Italie une ville nommée Rome, c’est un acte de foi humaine, mais ce n’est qu’un assentiment contingent, qui de sa nature peut être faux, donc une opinion. Or « je crois à l’existence de Rome sans le moindre doute, formido. » Donc a. « la foi ne diffère pas spécifiquement de l’opinion, » p. 416, 417. Donc b. le doute, formido, n’appartient pas intrinsèquement à l’opinion, on peut la concevoir sans cela. Nam judicium quo assenlio nunc Romam esse, est opinio, et tamen propric loquendo non est cum formidine, p. 424, 425. Ce raisonnement trouble la clarté du langage usuel sur l’opinion, ébranle la valeur du témoignage humain et détruit la doctrine de saint Thomas, qui, toutes les fois qu’il définit l’opinion, la définit par le mélange de doute ou de crainte, formido. Sum. theol., Ia IIæ, q. lxvii, a. 3 ; IIa IIæ, q. i, a. 4 ; q. ii, a. l ; De veritate, q. xiv, a. 1, etc. Soto interprète mal les textes de son maître : S. Thomas…, licet opinionem dical esse assensum cum formidine, tamen nominc formidinis forsan comprehendit quameumque fidem humanam, propterea quod non repugnel ilti esse falsam, et ideo quando ponil fidem esse médium inler scienliam et opinionem, solum intelligit de fide calholica, p. 425. Ces explications sont inadmissibles ; et le langage de saint Thomas est assez clair. Soto s’écarte volontairement du consentement des théologiens et des philosophas catholiques surtout depuis saint Thomas : « Puisqu’il est passé en usage, dit-il, de mettre une distinction essentielle entre la foi humaine et l’opinion, accordons ceci à l’usage des dialecticiens, qu’un assentiment mélangé de crainte est de l’essence de l’opinion… Néanmoins, tout en parlant avec la multitude, qu’il soit permis aux sages de penser avec le petit nombre, et de parler a la manière d’Aristote. »

4. Explication de quelques difficultés sur la fermeté de la foi.

En quel sens les théologiens disent-ils souvent qu’un doute, formido, s’il est involontaire, ou a demi délibéré, ne détruit pas la foi ? Il s’agit alors de la foi-vertu, du principe infus des actes de foi, habitas fidei : Dieu retire ce don pour un doute formel et mortel contre une vérité révélée, mais non pas pour un péché véniel contre la foi, à plus forte raison pour un doute involontaire qui n’est nullement coupable. Mais quant à l’acte de foi, seule chose que nous ayons considérée jusqu’à présent, son essentielle fermeté ne comporte aucun doute, même involontaire. Il peut cependant succéder rapidement au doute, ou réciproquement, et par la avoir avec lui une sorte de simultanéité au sens large du mot. « Les doutes involontaires que les fidèles s’imaginent avoir au moment même de l’acte de foi, succèdent seulement à cet acte, et ne coexistent pas avec lui ; mais comme le doute et la foi se succèdent alors sans intervalle sensible, ils semblent coexister. Ce qui peut réellement coexister avec l’acte de foi, ce sont les simples idées qui appartiennent aux jugements craintifs (qui leur servent comme de matériaux, ainsi l’idée de danger, l’idée d’erreur), idées qui répondent dans l’intelligence à certaines images (species) excitées dans l’imagination (phantasia) par une cause naturelle ou par le démon, et que l’on confond avec les doutes et les jugements craintifs. (De même des jugements d'autrui contre la foi, dont nous nous souvenons, sans les faire nôtres.) Mais jamais ne coexiste avec l’acte de foi ces jugements dans lesquels notre intelligence, bien qu’involontairement, juge que la chose révélée est peut-être fausse, jugements qui sont appelés doutes involontaires. » Antoine, Theol. universa, Paris, 1736, De fide, sect. iii, a. 1, t. i, p. 165. Cf. Platel, Synopsis cursus theol., n. 175, Douai, 1706, p. 261 ; Theol. Wirceburgensis, Paris, 1852, t. IV, n. 200, p. 173. À plus forte raison, peut coexister avec l’acte de foi un certain malaise qui n’est pas un doute, mais provient de ce que notre intelligence n’est pleinement satisfaite que par la seule clarté de la vision, à laquelle la foi, avec sa connaissance imparfaite des mystères, ne peut atteindre. À ce malaise est joint un mouvement de la pensée, une inquiétude naturelle de l’esprit qui aspire à connaître mieux ; et c’est ainsi que, dans cette définition de saint Augustin : credere est cum assensione cogitarr, De prsedestinationc sanctorum, c. ii, P. L., t. xliv, col. 963, saint Thomas interprète le mot cogitare. Sum. theol., IIa IIæ, q. ii, a. 1 ; Quæst. disp., De veritate, q. xiv, a. 1, ad 5um. Mais bien que la foi ne donne pas à l’esprit le repos absolu de la pleine satisfaction et de la béatitude, elle lui donne le repos relatif de la certitude et d’un assentiment ferme, assensio. Enfin peut coexister avec la foi du chrétien, vertu ou acte, le doute en un sens plus large, opposé seulement à la

« foi des miracles » , voir plus haut, col. 69, c’est-à-dire

le doute (ou incrédulité) qui porte, non pas sur la toute-puissance de Dieu, mais seulement sur la future réalisation de tel événement miraculeux, événement qui n’est pas contenu dans la révélation chrétienne, et par suite n’est pas l’objet de la foi ordinaire exigée pour le salut. Dans certaines circonstances, cependant, un tel doute est blâmable, en face des grâces qui excitent à la foi des miracles : il peut aussi révéler un état languissant de la foi ordinaire elle-même ; ce qui explique certains reproches de Jésus desquels on aurait tort de conclure que ses disciples n’avaient pas du tout la foi chrétienne, ou qu’en eux elle coexistait avec le doute proprement dit ; comme dans saint Marc, iv, 40. Cf. Matth., viii,26 ; xiv, 31 ; Marc, ix, 18, 23 ; Matth., xvii, 18, 19.

III. Motif essentiel et spécifique de la foi.

1o  Notions préliminaires.

Déterminer ce motif, c’est pénétrer la nature intime de la foi. La foi est une connaissance, un assentiment de l’esprit, tel est le résultat de notre étude précédente. Mais il faut faire un pas de plus et préciser davantage. Le genre « connaissance » est très vaste. Il y a la connaissance immédiate, où l’assentiment se donne sans aucun raisonnement préalable, soit qu’il s’agisse d’une connaissance analytique, où l’on voit du premier coup l’équivalence de deux termes abstraits, comme 2 +2 = 4, « ce qui est, est, et ne peut pas en même temps ne pas être, » soit d’une connaissance expérimentale, comme

« je souffre, j’existe. » Il y a la connaissance médiate.

discursive, qui suppose un raisonnement, discursus : alors, parlant d’une vérité connue, on arrive à une vérité inconnue, ou du moins, on arrive par une voie nouvelle à une vérité que l’on n’avait pas encore saisie de cette manière. C’est ainsi que la cognitio discursiva est définie par saint Thomas : Ex uno prius noto devenitur in cognitionem alterius posterais noti, quod prius erat ignotum. Sum. theol., Ia q. lviii, a. 3, ad 1um. Ordinairement, ce passage d’une vérité à un autre réclame une durée appréciable ; cette différence de temps n’est pourtant pas essentielle au discursus, et le prius dont parle saint Thomas peut ne pas inclure une priorité de temps, mais seulement une priorité de cause. « L’essence du raisonnement consiste en ceci, que la connaissance d’un premier objet est tirée de la connaissance d’un autre objet comme de sa cause… Dieu lui-même (qui ne raisonne pas) voit que dans une connaissance telle autre est contenue ; mais il ne reçoit pas la seconde de la première. Nous, au contraire, nous la recevons (et par la notre connaissance et discursive) ; et cela implique que le premier objet exerce sur nous la fonction de cause, en d’autres termes, nous meut, movet, à donner notre assentiment au second (la causalité pouvant être représentée par la communication du mouvement). » Wilmers, De fide divina, Ratisbonne, 1902, p. 337, 338. Le premier objet connu, qui nous meut ainsi par rapport au second, est par suite appelé « motif » (de moveo, molum). Dans la connaissance médiate, le motif est un objet différent de celui auquel nous donnons finalement notre adhésion ; dans la connaissance immédiate, il n’y a qu’un seul objet, qui est à lui-même son propre motif, qui nous meut par lui-même à l’affirmer en vertu de sa propre évidence.

Quand on brise, par l’analyse, le fruit de la foi, et qu’après lui avoir arraché ses enveloppes naturelles on arrive à un noyau central, auquel on réserve plus strictement le nom d’« acte de foi » , on peut discuter si cet acte de foi est discursif en lui-même, et plusieurs théologiens le nient, comme nous le verrons plus loin. Mais tous reconnaissent que cet acte de foi dépend d’un raisonnement qui le prépare et le rend raisonnable, comme l’intérieur du fruit dépend de son enveloppe ; aussi est-ce l’avis unanime que la foi n’est pas la connaissance immédiate, celle qui ne présuppose aucun raisonnement, qu’elle n’est pas la « vision » , expression symbolique pour désigner la connaissance immédiate, illa videri dicuntur, quse per seipsa movent inielleclum noslrum vel sensum ad sui cognilionem, S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ , q. i, a. 4 ; principia per se nota, et per consequens visa, a. 5. On rencontrera sans doute le mot videre, dans un sens large, appliqué à la foi, I Cor., xiii, 12, parce qu’elle est une sorte de connaissance et que dans toute sorte de connaissance nous disons vulgairement : Je vois. Mais dans l’exactitude d’une définition, la foi est présentée comme « une conviction des choses qui ne sont pas vues. » Heb., xi, 1. Que la foi ne soit pas une connaissance immédiate, une vision, saint Thomas en trouve un signe psychologique dans le besoin qu’a la foi d’une bonne volonté qui l’aide, tandis que la vision se passe de toute assistance de la volonté, a. 4. Dès le début de son étude sur la foi, il en avait donné une raison plus fondamentale : « Dans une connaissance quelconque, dit-il, il y a deux éléments : ce qui est matériellement connu (sa matière, son contenu), c’est comme l’objet matériel ; et ce par quoi l’on connaît, c’est l’objet formel (le motif). Ainsi en géométrie, la matière connue, ce sont les conclusions (les énoncés des théorèmes) ; l’objet formel, ce sont les moyens de démonstration, en vertu desquels ces conclusions sont connues. Et de même dans la foi… Car la foi dont nous parlons (la foi chrétienne) n’adhère jamais à une vérité que parce que Dieu l’a révélée. La foi s’appuie donc sur la vérité divine comme sur son moyen, tanquam medio, » a. l.Or, si la foi, pour croire chacune des choses qu’elle croit, doit passer par un medium toujours le même, qui est la vérité ou véracité divine, comme l’affirme saint Thomas et comme nous allons le prouver, il est clair que la foi est une connaissance médiate.

Mais la connaissance médiate se subdivise suivant la nature de son medium. Si cet intermédiaire logique est fourni par une substitution d’équivalents abstraits, comme dans les démonstrations de la géométrie ou de l’algèbre, ou par une analyse de la réalité concrète que l’on veut’connaître, par l’observation de sa genèse et de son développement, par la connaissance de ses causes et de ses effets, qui sont comme quelque chose d’elle-même, la connaissance par tels intermédiaires est dite « intrinsèque » , venant du dedans. Si l’intermédiaire n’est autre qu’un témoignage et sa véracité, la connaissance médiate est dites « extrinsèque » , venant du dehors. Ces dénominations se retrouvent chez un assez grand nombre de philosophes catholiques et autres ; nous nous en servirons pour plus de brièveté et de clarté. Voir Évidence, t. v, col. 1727, 1728. La connaissance par ouï-dire, ainsi dénommée « extrinsèque » , a été appelée « foi » par tous les scolastiques et d’autres philosophes. Voir, par exemple, Bossuet, cité à l’art. Croyance, t. iii, col. 2366. Bien que cet usage du mot « foi » soit tout en faveur de notre doctrine catholique sur le motif de la foi religieuse, nous ne nous en servirons pas pour le prouver, soit parce que cette façon de parler n’est pas générale parmi les philosophes, soit parce qu’on doit beaucoup moins consulter l’usage des philosophes que celui de l’Écriture et de la tradition chrétienne, quand on veut savoir la nature de la foi chrétienne, la seule dont nous nous occupions ici.

Le sens des mots étant ainsi déterminé, nous prouverons que la foi chrétienne, en tant que connaissance, est une connaissance non seulement médiate, mais extrinsèque, fondée sur le témoignage de Dieu comme sur son motif propre et spécifique. Ce caractère extrinsèque de la foi, nous ne prétendons nullement le déduire d’une théorie philosophique et générale, qui ferait de l’intelligence un principe purement passif et recevant tout du dehors ; nous la déduisons seulement de la nature spéciale du témoignage, et de ce que la révélation nous définit la foi chrétienne comme un assentiment au témoignage de Dieu.

2o  Divers systèmes hétérodoxes.

Sur ce point du motif intellectuel de la foi chrétienne, la plupart des anciens protestants, et beaucoup de protestants contemporains de nuance conservatrice, sont avec nous. Turretin, par exemple, disait : Fides notai assensum certum quidem sed inevidentem, qui non arlione sed testimonio divino nilitur. Inslilulio, I. XV, c. ix, n. 3, Edimbourg, 1847, t. ii, p. 497. Voir d’autres citations du même genre dans une théologie protestante qui suit la même doctrine, Hodge, Systematic theology, Londres, 1874, t. iii, p. 61, 62.

Mais de nombreux protestants modernes, tout en admettant que la foi est une connaissance, ou du moins renferme un élément intellectuel, ont voulu enlever à cette connaissance son caractère extrinsèque, ou, plus radicalement, son caractère médiat. Les premiers en ont fait une science ; les seconds, allant plus loin, en ont fait une intuition, ou une expérience, c’est-à-dire une connaissance immédiate.

1. Parmi les protestants qui ont essayé de concilier le christianisme avec le rationalisme, dès la fin du XVIIIe siècle, et dans la première moitié du XIXe, plusieurs ont conçu la foi comme une espèce de science ou de philosophie. Ainsi Strauss ramenait la foi à la science. Die christliche Glaubenslehre, Tubingue, 1840, § 21. A leur suite, Günther et d’autres catholiques allemands, qui ont reçu parmi nous le nom de « semirationalistes » , confondirent également la théodicée et la philosophie morale avec la foi : pour eux, la foi chrétienne est une ferme conviction des choses invisibles, que cette persuasion soit obtenue par la voie extrinsèque d’autorité ou par la voie intrinsèque de démonstration philosophique, à laquelle ils donnent d’ailleurs la préférence, allant jusqu'à l’appliquer à la preuve de nos mystères, qui n’en sont pas susceptibles. Voir des citations de ces auteurs dans les notes des théologiens du Vatican, Acta et décréta conciliorum recentiorum, Colleclio lacensis, Fribourg-en-Brisgau, 1890, t. vii, col. 527. Sur Giinther, voir un bref de Pie IX à l’archevêque de Cologne, en 1857, Denzinger, n. 1655 sq. Cf. Goyau, L’Allemagne religieuse, Le catholicisme, Paris, 1905, t. ii, p. 43 sq., surtout 48-50 ; t. iv, p. 203-210, 216-224. Contre cette école semirationaliste le concile du Vatican a établi, comme nous

le verrons, le vrai concept de la foi, et aussi l’existence des mystères : le donné révélé, objet de notre foi, renferme des « mystères proprement dits » qui ne peuvent ni être démontrés en vertu de « principes naturels » , c’est-à-dire de raisons intrinsèques et philosophiques, ni être pénétrés par notre intelligence, même après révélation. Sess. III, can. 1, De flde et ratione, Denzinger, n. 1816 ; cf. c. iv, n. 1795, 1796. Voir Mystère.

2. Plusieurs protestants vont plus loin et se représentent la foi chrétienne comme une « intuition » , un acte simple et primitif de notre intelligence. « La foi, dit un ouvrage très connu en Angleterre, est une énergie élémentaire de l’âme… Peut-on observer et analyser les intuitions fondamentales sur lesquelles repose notre connaissance ?… Si quelqu’un nous demande : Qu’entendez-vous par penser, aimer, vouloir, qui peut le lui dire ?… Ce n’est qu’en voyant, en voulant, en aimant, que nous pouvons tant soit peu concevoir ce qu’est la vue, la volonté, l’amour. Et la foi est du nombre de ces intuitions premières ; elle est encore plus profonde et plus élémentaire… Si on demande sa définition, on ne peut que répondre : La foi, c’est la foi ; croire, c’est croire. » H. S. Holland, dans l’ouvrage collectif publié par Ch. Gore sous le nom de Lux nwndi, Londres, 1889, p. 8-10. Plus loin il explique que la foi atteint immédiatement en nous cette relation de dépendance qui est au fond de toute créature à l’égard de son créateur, relation qu’il appelle filiation. « La foi est la découverte d’une filiation inhérente. .. déjà existant avant elle, mais qui nécessairement retient inactives ses plus riches et ses plus splendides énergies jusqu’à ce que cette découverte soit faite… La filiation, déjà en germe, se complète, se réalise dans l’homme par sa foi…, qui est l’attitude d’un fils à l’égard de son père. » Op. cil., p. 16, 17. On voit l’effort pour rejoindre au moins en apparence la théorie luthérienne de la justification par la foi. « La foi, dit-il plus loin, ne doit pas être mise sur la même ligne que les autres facultés de l’âme… Elle tient à une racine plus profonde… Elle remonte à l’origine même de notre être, à son point d’attache avec Dieu. >< Op. cit., p. 22. Voilà bien l’idée d’une faculté spéciale pour la foi, idée déjà ancienne parmi les protestants :

I.a foi, dit Eschenmaver, est un organe spécial pour atteindre ce qui est étemel et saint ; elle diffère de la pensée, du sentiment et de la volonté. » Die einfachste Dogmalik, Tubingw, 1826, p. 376. Ces conceptions détruisent le vrai motif de la foi chrétienne, telle que nous allons l’exposer d’après l’Écriture et les Pères ; elles ont encore l’inconvénient, au point de vue rationnel et psychologique, de multiplier, sans nécessité et s ; ins preuve expérimentale, les organes ou les facultés : au point de vue scripturaire et théologique, de limiter arbitrairement l’objet de la foi chrétienne à notre

dépendance ou libation envers Dieu, i ou bien aux

Choses éternelles, tandis que la foi qui sauve, d’après l’Écriture, atteint aussi d’autres objets : ainsi celle d’Abraham, donnée comme modèle par saint Paul, a pour objet la naissance promise d’un fils et sa nombreuse postérité future. Rom., iv. Voir plus liant les exemples des mots foi, croire dans le Nouveau Testament, f.a foi comme (acuité distincte n’en est pas moins une conception chère à certains protestants du

jour. Voir la citation de M. Crafer, à l’art. Dur, t. iv, col. 793.’'. Sont encore partisans de la connaissance immédiate ceux qui, sans demander une faculté spéciale ni un acte primitif et fondamental d’intuition, con ut la foi comme une expérience. Laissons ici de Côté ceux qui par expérience entendent une pure

émotion, comme certains protestants <t moderniste

réfutés plus liant. Ne prenons que ceux qui entendent

une connaissance, et prennent le mot « expérience » à peu près comme on le prend en physique et dans les autres sciences expérimentales, avec cette différence que l’objet expérimenté est ici surnaturel ou mystique. Et notons que l’expérience religieuse a été utilisée par les protestants de deux manières bien différentes : a) D’abord on lui a souvent donné un rôle purement secondaire, qui laissait subsister le véritable motif de la foi. Ainsi Calvin veut, comme nous, que l’on croie les vérités révélées dans l’Écriture, parce que c’est Dieu qui les a révélées ; sans doute, parmi ces vérités il met au premier rang la volonté que Dieu a de sauver ceux à qui il inspire la foi, et c’est ainsi qu’il définit la foi « une ferme et certaine connaissance de la bonne volonté de Dieu envers nous, » mais il ajoute : « Nous ne nions pas cependant que l’office de la foi ne soit de donner consentement à la vérité de Dieu… quoi qu’il dise, et en quelque manière que ce soit. » Institutions, 1. III, c. ii, n. 7, Genève, 1562, p. 328. Mais un acte préalable à la foi, c’est de se convaincre que dans l’Écriture c’est bien Dieu qui parle, c’est de reconnaître l’Écriture comme divine : et c’est seulement dans cet acte préalable que Calvin fait appel à l’expérience, à je ne sais quelle expérience du divin : « L’Écriture, dit-il, a de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur, et les choses douces et amères de montrer leur saveur. » Op. cit., 1. I, c. vii, n. 2, p. 25. Il y a là une erreur, contraire même à l’expérience, et quand on admettrait ce « sentiment » , il ne serait pas un critère suffisant de la divinité des Écritures. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1835. Mais enfin avec cette erreur secondaire le motif de la foi peut subsister. — b) Le protestantisme est arrivé à s’écarter encore plus de la doctrine traditionnelle, en assimilant la foi elle-même à une expérience. Cette manière d’invoquer l’expérience détruit le motif propre et "la vraie nature de la foi. C’est Schlcicrmacher qui paraît être le véritable auteur de cette évolution du protestantisme, au commencement du xix° siècle. Sur lui et sur les auteurs d’autres systèmes, protestants et modernistes, qui confondent la foi avec une expérience, soit qu’ils conservent encore ou ne conservent pas de dogmes, voir Expérience religieuse, t. v, col. 1798-1804.

Une tentative des plus curieuses en ce genre, parce que, cherchant à concilier la foi-expérience avec la conservation orthodoxe de quelques dogmes fondamentaux, elle essaie ce tour de force, de les tirer de l’expérience même, et de l’expérience morale ordinaire, c’est le système de lu certitude chrétienne de Frank, 2e édit. revisée, Erlangen, 1884 ; trad. anglaise, Edimbourg, 1886. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1799, 1800. Cf..parmi les critiques protestants, H. Bois, De la certitude chrétienne, lassai sur la théologie de Frcuik, Paris, 1887. Ce « système » est présenté par son auteur comme une forteresse ou peut se réfugier le chrétien soucieux de sauver quelques dogmes : fondé sur une expérience certaine, il n’a pas besoin de documents historiques, de philosophie, et resterait debout, quand même les critiques arriveraient à démolir toute historicité des origines chrétiennes, quand même les scep ticiiics renverseraient 1 toute philosophie et réduiraient a néant ce qu’on appelle la raison naturelle. Op. cit.,

trad. anglaise, p. ION. Nous en donnerons l’analyse substantielle, qu’on ne trouverai ! pas ailleurs.

Voici d’abord le fait d’expérience. Dans sa conversion, le chrétien a conscience d’une transformation morale : un nouveau moi a succédé à l’ancien ; le vieil homme, caractérisé par la concupiscence, a cédé l’empire a l’homme nouveau de tendance contraire ; tout péché est un retour agressif de l’ancien mot. Op. cit.,

p. 117, 118, Puisque nous sentons le nmi naturel com103

FOI

I<)4

battre encore pour la suprématie perdue, il est clair que la nature ne peut par elle-même changer de volonté, qu’elle est rivée à la concupiscence et au mal : donc le moi nouveau avec sa volonté nouvelle n’est pas un produit de la nature, un fruit de l'évolution ; il vient du dehors, par le fait du christianisme. Il y a toutefois dans la nature même un vague besoin de cette transformation, une aspiration à sortir du mal ; mais dans le christianisme seul on peut trouver une pleine satisfaction de ce besoin moral ; la conscience chrétienne saisit en même temps ce besoin et sa parfaite satisfaction. Et puisque cette transformation morale répond au vœu de la nature, le chrétien constate que ce n’est pas en lui un phénomène morbide, accidentel, mais normal, p. 122-127. L’expérience fondamentale étant ainsi posée et comprise, il va. suffire d’en développer le contenu, pour retrouver tous les objets de foi dont se compose le christianisme, immanents ou transcendants :

a) Objeis immanents de la foi. — L’expérience cidessus renferme une condamnation du moi naturel, p. 192, une connaissance de la mauvaise nature comme péché habituel, p. 194 ; la nature humaine n’a pu être ainsi à l’origine : donc elle a dû être faussée, voilà le dogme du péché originel, p. 196 sq. Le nouveau moi, qui suppose la délivrance de la servitude du péché, n’est pas le produit du moi naturel : on entrevoit donc le dogme de la grâce et de la justification, p. 203, 205, 210. A l’expérience de cette délivrance, de cette régénération, l’acte de foi, en tant que justifiant, ajoute une réaction de la personne qui l’accepte comme nouvel état, qui s’y abandonne avec confiance et y trouve l’absolue satisfaction jusqu’alors cherchée en vain : acte moral primordial, par lequel le moi spirituel atteint son empire : continué, cet a(te caractérise le chrétien, et fixe la régénération à l'état habituel : voilà le dogme de la justification par la foi, p. 212 sq. Frank ne veut fondçr ni la foi ni l’espérance sur une révélation extérieure à laquelle la critique demanderr.it ses titres, et dont il veut à tout prix éviter la difiiicle preuve : il va donc s’efforcer d'étendre l’expérience au delà des limites du présent, jusqu'à l’avenir que le chrétien doit espérer, p. 219, 220. Mais comment peut-on expérimenter l’avenir ? Voici. Le bienheureux achèvement du ciel est déjà en germe dans ce commencement de notre régénération : car elle nous apparaît non seulement comme quelque chose d’actuel, qui est, mais comme quelque chose de normal, qui doit cire ; et la satisfaction absolue que nous en éprouvons ne se conçoit pas sans la certitude d’avoir rencontré le but suprême de la vie, et de posséder dans ce commencement un gage certain d’achèvement, puisque, sans l’achèvement, le commencement serait inutile. Voilà donc le dogme de la vie future, p. 221 sq. Les révélations de l'Écriture viennent ensuite utilement confirmer, compléter cette expérience personnelle, mais elles ont besoin de s’y appuyer, et ne sont pas le dernier fondement de notre foi et de notre espérance, p. 229, 293.

b) Objets transcendants de la foi. — D’abord, l’existence et la personnalité de Dieu. Le chrétien expérimente que sa régénération n’est pas le fait d’une évolution interne et personnelle, mais d’un pouvoir extérieur. « Vous avez été plus fort que moi, et vous l’avez emporté, tel est l’aveu du converti, » p. 307. Quel est ce pouvoir extérieur ? Ce ne peut être ni la nature brute et sans raison, étrangère à l’ordre moral, ni la faible humanité, le monde qui nous tenait captif dans ses chaînes, qui ait pu nous délivrer, p. 309, 311. L’absolue satisfaction que nous trouvons dans la régénération fait voir que le pouvoir régénérateur est l’Absolu, c’est-à-dire Dieu ; au surplus, l’infini seul peut nous satisfaire. Nous avons d’ailleurs conscience d’une

obligation absolue (impératif catégorique de Kant), p. 314. Que cet Absolu soit une personne morale, cela ressort de ce qu’il produit en nous des effets moraux, de ce qu’il a une influence morale, p. 317. Le deuxième objet transcendant, c’est la Trinité. Frank fait de longs et pénibles efforts pour distinguer dans le fait de notre régénération trois éléments attribuables à trois différentes personnes, toujours cependant dans l’unité de l’Absolu, p. 324 sq. Il avoue du reste que notre expérience n’atteint pas tout le dogme ecclésiastique de la Trinité, p. 346. Le troisième objet est la rédemption par un Dieu fait homme. Le converti sent que Dieu lui pardonne, donc une expiation a eu heu ; et une longue série de raisonnements tâche de montrer que cette expiation ne peut venir que d’un Dieuhomme, qui a satisfait pour nous à la justice divine, p. 349 sq. Voilà donc les principaux dogmes sortis spontanément du germe de l’expérience morale du chrétien.

Critique du système. — Nous reconnaissons volontiers dans cet essai d’apologétique nouvelle de l’originalité et de la puissance constructive ; et quelquesuns des raisonnements sont justes. Mais l’auteur luimême a prévu que « beaucoup de personnes » lui diraient : « C’est là une dangereuse méthode subjective de se convaincre de la vérité chrétienne ; et si, partant de l’expérience, vous avez la chance de rencontrer la révélation objective telle que Dieu l’a donnée, c’est parce que, sans le dire, vous en gardez devant vos yeux les principaux articles, qui déterminent d’avance les résultats de votre expérience prétendue. La vraie méthode pour ces vérités transcendantes, c’est de les tirer seulement de la révélation divine, de la sainte Écriture, ou de la tradition de l'Église et de recevoir avec foi ce qui a été ainsi obtenu, » p. 297. L’objection a du bon, et Frank n’y donne qu’une réponse évasive. Les théologiens catholiques, que les protestants accusent souvent de partir d’idées préconçues, ne se laisseraient pas, certes, influencer par les dogmes de leur Église jusqu'à truquer l’expérience pour les rejoindre, ou jusqu'à accepter en faveur de leur thèse des apparences de preuve aussi faibles que les accepte ce célèbre professeur de théologie protestante dans une grande université d’Allemagne.

En prenant le système à sa base même, à ce qu’on appelle « l’expérience fondamentale » , un théologien catholique, de prime abord, se méfiera de cette condamnation si sommaire du moi naturel. Est-ce réellement l’expérience qui montre à Frank ce pauvre moi comme si foncièrement mauvais ? N’est-ce pas plutôt le système préconçu de Luther sur les suites du péché originel, sur la nature humaine absolument corrompue et dégradée ? Voir Péché originel. Après avoir ainsi malheureusement identifié notre nature avec la concupiscence, avec la tendance foncièrement mauvaise, n’y a-t-il pas ensuite contradiction à lui supposer une aspiration au bien, un besoin moral ? Que voulez-vous ? L’auteur a besoin de ce besoin pour que la régénération chrétienne, en le satisfaisant, soit reconnue comme un phénomène normal, parce qu’elle répond au vœu de la nature (mauvaise ou bonne ?). Le chrétien, ajoute-t-on, éprouve en soi une transformation morale. Oui ; mais, les grands saints mis à part, cette transformation sensible n’est-elle pas exagérée ici ? La vie de la grande multitude des chrétiens n’est-elle pas perçue par eux-mêmes comme très imparfaite ? Ils ont conscience, dites-vous, que le christianisme donne au besoin moral une satisfaction absolue. Pour constater cet absolu, ils devraient mesurer ce besoin moral, mesurer aussi la satisfaction, variable d’ailleurs, qu’ils éprouvent, et comparer. Le font-ils ? Le peuvent-ils ? Qu’en estimant tout cela par approximation, ils aient une preuve assez probable de la

vérité du christianisme, soit : est-ce la « certitude » dont on nous parle ? Pour renforcer cette transformation, on imagine la production d’un « nouveau moi » qui, à vrai dire, n’est pas une donnée d’expérience » mais une phrase de rhétorique. Ce moi se compose, en fait, de quelques sentiments moraux ; si vifs soient-ils, ils passent, et n’empêchent pas même le retour de sentiments contraires ; il n’y a là que de l’accidentel, et non pas une nouvelle personnalité. Vous personnifiez un sentiment passager, comme le poète personnifie l’Amour ou l’Envie ; et ensuite, prenant la prosopopée au sérieux, vous prêtez à cette prétendue personne une conscience propre. Ce n’est pas le moi ancien, dites-vous, qui expérimente en lui une modification : c’est le moi « n’existant pas auparavant, qui est conscient et certain de lui-même, de sa production, » p. 138. Ailleurs vous avouez pourtant qu’il y a dans cette dualité, Duplicilùl, une grave difficulté non encore résolue, d’autant plus que ces deux moi ont des actes communs de connaissance et de volonté, p. 276. Ces deux moi prétendus ne démontrent donc sérieusement ni une chute originelle, ni une régénération surnaturelle ; même dans « l'état de nature pure » comme disent les théologiens catholiques, dans un ordre de choses où il n’y aurait eu ni péché originel ni régénération par la grâce, la nature si complexe de l’homme offrirait encore des luttes de sentiments, des batailles de passions, des conflits entre les tendances animales et la volonté raisonnable, et l’on pourrait encore dire avec le poète : « Je sens deux hommes en moi. »

Quant aux objets transcendants de la foi, si nous admettons volontiers que l’Infini seul peut rassasier pleinement le cœur humain, nous observons que cette « pleine et absolue satisfaction » est réservée à la vie future parce qu’elle implique la vision béatiflque, loin de pouvoir se confondre avec la joie d’un converti quelconque. Et si nous concédons une certaine valeur à la preuve de l’existence et de la personnalité de Dieu tirée de notre conscience morale, nous ne pouvons que nous étonner des extraordinaires déductions par lesquelles l’ingénieux docteur veut aboutir aux dogmes de la trinité, de l’incarnation et de la rédemption. Les scolastiqucs, accusés d’abuser de la déduction, sont ici grandement dépassés. « Le converti a l’expérience certaine du pardon divin. Donc il y a eu expiation offerte à Dieu par quelqu’un. » Le fait dont on part est contestable ; mais même en l’admettant, la conclusion qu’on en tire n’est pas solide : Dieu, s’il le voulait, pourrait pardonner sans expiation aucune, on ne prouvera jamais le contraire. Mais c’est surtout la prétendue « expérience de la vie future » qui est étonnante ! L’auteur confond constamment l’expérience avec ce que l’on peut en tirer par voie de déduction. Au reste, la déduction elle-même n’est pas juste : le commencement de la vie morale et chrétienne, si excellent soit-il, ne garantit pas l’achèvement, qui peut être arrêté et supprimé par la faute de l’homme ; ainsi en est-il de ceux « qui reçoivent avec joie la parole de Dieu…, et croient pendant quelque temps, puis succombent à l’heure de la tentation. « Luc, viii, 13.

Concluons : on n’atteindra jamais les dogmes chrétiens par une voie raisonnable et sérieuse, tant qu’on n’aura pas recours à la révélation extérieure, t.uil qu’enfermé en soi-même par un Individualisme féroce on s’acharnera à vouloir tirer ces dogmes d’une expérience psychologique ou d’une v (l u n c Immanente en éral, comme l’araignée tire d’elle-même son fil. lutin tout le système de ce protestant conservateur, en ramenant la foi chrétienne ; i une expérience, d< trait sa vraie nature, comme nous allons le voir.

I.' profe l.mts libéraux font : uisi <]e la foi une

expérience, et, dans son élément Intellectuel, une

Connaissance Immédiate : mais ils n’entendent pas,

comme Frank, que’cette expérience leur fournisse des dogmes, dont ils ne reconnaissent pas la valeur absolue et divine, et dont ils cherchent à se passer. Sur l'évolution du concept de la foi chez les protestants libéraux et sur l’histoire des systèmes contemporains qui sont appelés par eux « fidéisme, symbolisme, symbolo-fidéisme, » voir l’ouvrage très documenté de M. l’abbé Snell, Essai sur la foi dans le catholicisme et le protestantisme, Paris, 1911.

Parmi les modernistes, d’aucuns expliquent leur foi comme sortant d’une faculté intuitive, distincte de la raison, mais d’ailleurs ne dépassant nullement dans ses effets les phénomènes moraux ordinaires : « Les modernistes, disait M. Loisy, n’entendent point par sentiment l'émotion, ni par action un mouvement quelconque. Quand ils parlent du subconscient' et quand ils parlent de sentiment, ils entendent cette espèce de réserve où sont accumulées, au fond de notre être, des notions vagues et implicites qui sont comme en attendant l’occasion de se déterminer et de s’affirmer ; des aspirations indécises, qui sont comme prêtes à se dessiner et à s'élancer sur leur objet dès qu’il sera présenté ; tout un trésor secret d’activité, qui s'épanchera plus ou moins selon les occasions et le développement de l’initiative personnelle ; je ne sais quel sens qui n’est pas une puissance de raisonnement ni d’induction, mais une sorte de jugement intuitif sur la valeur des choses, faculté que secondera et guidera la raison, mais que la raison ne crée pas, car elle ne procède pas de la raison et sort comme elle du fond de notre nature. C’est ce sentiment-là, non l'émotion dont les théologiens de Sa Sainteté marquent à bon droit les insuffisances, qui est en jeu dans l’expérience morale, soutenant l’intelligence dans ses jugements, et la volonté dans ses opérations, jugements et opérations qui explicitent, pour ainsi parler, ce qui est, dans le sentiment, intelligence et volonté implicites… Cette expérience n’est pas autre chose que la vie morale. » Simples réflexions… sur l’encyclique, 1908, p. 245, 246. D’autres modernistes, au contraire, font de la révélation et de la foi une émotion avant tout, et une émotion extraordinaire, qu’ensuite l’intelligence humaine traduit à sa façon par des affirmations sans valeur objective ; ainsi G. Tyrrel. Voir Éludes du 20 avril 1908, p. 166 sq. En somme, avec les mêmes mots d' « expérience religieuse » et même de « sentiment » , il y a un modernisme froid et critique, et un modernisme échauffé et mystique.

Sous le nom d' « expérience religieuse » , d’autres auteurs contemporains, catholiques ou protestants, ont entendu cette expérience qui naît de la pratique quotidienne de la religion pendant un temps assez long : c’est de cette expérience-là qu’ils attendent la « foi » . C’est prendre l’augmentation de la foi, la vie de foi, les effets de la foi, pour la foi elle-même, qui a dû précéder. D’après eux, quand on n’a pas encore pratiqué sa religion, on n’aurait pas encore la « foi » : et pourtant nous voyons dans l'Écriture un homme qui. non seulement n’avait pas pratiqué la religion chrétienne mais l’ignorait, un prosélyte, après un catéchisme qu’on lui fait pendant une course en voiture, « croire. faire dans toute la force du terme un « acte de foi » , condition nécessaire du baptême qu’il reçoit aussitôt. Act., viii, 27 sq. Et la « foi » nous est présentée dans l'Écriture, les Pères et les conciles, non pas comme l’aboutissant de la pratique religieuse, mais comme l’introduction A cette ; pratique, et la première base des autres vertus et de toute l.i vie chrétienne. Voir col. 84-85. (.'est à ces documents de la révélation, ce n’est pas à notre fantaisie de déterminer ce que cet que la fol. et et que Dieu a voulu mettre au début de notre religion. I.< bon sens lui-même, du reste.

voit assez clalrement que, si l’on n’a pas tout d’abord

une croyance à telle religion plutôt qu'à telle autre, il n’y aura pas de raison pour se mettre à pratiquer celle-ci plutôt que toutes les autres ; qu’une expérimentation à l’aventure n’est pas licite en un sujet si délicat ; que les ministres d’une religion (et c’est spécialement le cas pour l'Église de Jésus-Christ) ne livrent pas ainsi leurs choses saintes au profane qui ne sait pas encore si elles sont saintes, par exemple, l’eucharistie ; cf. Matth., vii, 6 ; que la prière et le culte commun supposent la croyance de tous, et que, si l’on ouvrait sciemment la porte à l’incroyance, on ne pourrait maintenir dans une société religieuse l’unité sans laquelle elle périt. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1842-1846. Cf. Dieu, t. iv, col. 813 sq.

3° Le motif de la foi dans l'Écriture. — C’est toujours l’autorité du témoignage divin, quel que soit l’envoyé qui transmet ce témoignage, que ce soit le Christ luimême, ou un prophète, un apôtre.

1. La foi par l’intermédiaire de la prédication du Christ. — Relisons ce dialogue de nuit entre Jésus et Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis : nul, s’il ne naît de nouveau, ne peut voirie royaume de Dieu. » Joa., iii, 3. L’interlocuteur prend cette naissance nouvelle en un sens matériel ; Jésus reprend son affirmation en la précisant, et lui explique qu’il s’agit d’une naissance toute spirituelle, invisible comme l’air, accomplie en nous par l’Esprit-Saint, 5-8. Il importe, en effet, que le chrétien, sans les pénétrer, ait une idée juste des mystères, tel qu’est ici celui de la régénération : ce ne sont pas de vaines formules, indifférentes à la vérité ou à l’erreur de l'âme. « Nicodème lui répondit : Comment cela se peut-il faire ? » 9. Il y a dans ce mot une surprise en face de l’inconnu, un étonnement dont Jésus s'étonne à son tour, car l’ignorance de Nicodème semble porter sur le fait même de notre régénération, et un docteur en Israël n’aurait pas dû ignorer le fait de cette transformation des âmes, qui renaissent par la puissance de Dieu à la vie spirituelle, 10. Il y a dans ce mot encore autre chose, la tendance de l’esprit raisonneur à la connaissance intrinsèque et profonde, le désir d’apprendre le mécanisme intime de cette régénération simplement affirmée par le Christ, et de comprendre à fond le mystère avant de l’admettre. Ici Jésus se redresse, et au lieu de fournir l’expérience, l’intuition ou du moins la science que voudrait ce docteur, il se plaint qu’on ne reçoive pas son témoignage, si compétent, si autorisé ; par cette plainte, il proclame que ce témoignage est à lui seul le motif qui doit suffire à croire : « En vérité, en vérité je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu, mais vous ne recevez point notre témoignage. Si vous ne croyez pas quand je vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous si je viens à vous parler de celles qui sont dans le ciel ? » 11, 12. Paroles qui nous font voir aussi l'équivalence entre ces deux expressions du Christ « croire » et « recevoir son témoignage » . Et le témoignage de Jésus se ramène pour son interlocuteur au témoignage de Dieu, car dès le début Nicodème a dit : « Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu pour nous enseigner, car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est pas avec lui, » 2. C’est donc Dieu luimême qui, par le miracle, comme par sa signature, garantit l’enseignement de son envoyé ; le témoignage de Jésus est donc le témoignage de Dieu, même pour un juif qui ne connaît pas encore le mystère plus relevé de l’incarnation. Concluons que le témoignage de Dieu est présenté ici comme motif suffisant et nécessaire de la foi : et il s’agit bien de la foi qui sauve, de la foi exigée pour le salut, et exigée non seulement de Nicodème mais de tous les hommes, 15, 16, 18.

La fin du même chapitre contient une explication doctrinale des plus importantes. Le témoignage du Christ y est avec une nouvelle insistance identifié au témoignage divin. Il « vient d’en haut » et « est au-dessus de tous ; et ce qu’il a vu et entendu, il l’atteste, < 31, 32. « Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, parce que Dieu ne (lui) donne pas l’Esprit avec mesure ; le Père aime le Fils et il lui a tout remis entre les mains, » 34, 35. Mais pourquoi tant insister sur ce fait que c’est Dieu qui parle ? Parce que Dieu est le témoin véridique par excellence : ce que nous reconnaissons en pratique par le fait même de recevoir purement et simplement son témoignage, qui se confond avec celui du céleste envoyé : « Celui qui reçoit son témoignage, certifie que Dieu est véridique, » quia Deus verax est, 33 ; cf. viii, 26. Et « recevoir son témoignage » est la même chose que « croire en lui » . Comparez 32, 33 avec 36. « Et cette foi est salutaire et obligatoire, » 36. C’est donc la véracité divine, l’autorité de Dieu comme témoin, couvrant le témoignage de son envoyé, qui nous attire intellectuellement à croire, qui est le motif de la foi. Et comme le fait de croire honore la véracité divine, ainsi le fait de ne pas croire fait injure à cette véracité, en traitant Dieu de menteur. I Joa., v, 9, 10.

2. La foi par V intermédiaire de la prédication des apôtres. — Ce n’est point par la seule prédication du Christ que les hommes doivent » croire » , doivent faire l’acte de foi, mais par celle de son précurseur, Joa., i, 7, et surtout par celle de ses apôtres, xvii, 20. Les apôtres ont une mission divine, dérivée de celle de Jésus et semblable à la sienne, xx, 21. Ils sont envoyés comme des « témoins » . Luc, xxiv, 48 ; Act., i, 8, 32 ; x, 41, 42. Pour que leur témoignage se ramène au témoignage divin, pour que Dieu soit entendu en eux, ils sont inspirés et assistés par l’Esprit-Saint, suivant la promesse du Christ. Joa., xiv, 26 ; xvi, 12, 13 ; cf. Matth., x, 20.

Paul lui-même, quoique tardivement agrégé au collège apostolique, n’a pas reçu ni appris son Évangile d’un homme, d’un autre apôtre, mais du Christ ressuscité et glorifié, par révélation. Gal., i, 11. Cette parole divine par lui transmise, les fidèles ont raison de la recevoir « non comme parole des hommes, mais, ainsi qu’elle l’est véritablement, comme parole de Dieu. » I Thés., ii, 13. Sur ce texte, voir Prat, La théologie de S. Paul, IIe partie, 2e édit., 1912, p. 338. Pour que la croyance des fidèles garde ce caractère de foi à la parole de Dieu, l’apôtre évitera les raisons philosophiques, si persuasives soient-elles, dont l’abus pourrait changer en eux la foi divine en science humaine. En dépit du « sage » , du « docteur » , du « disputeur de ce siècle » , en dépit des Grecs qui « cherchent la sagesse » , les démonstrations philosophiques, I Cor., i, 20, 22, l’apôtre n’apporte point « les raffinements de la raison ou de la sagesse, » mais simplement promulgue « le témoignage de Dieu. » I Cor., ii, 1. Sa prédication ne s’appuie pas « sur les discours persuasifs de la sagesse (ou philosophie), mais sur la démonstration de l’Esprit-Saint et de la puissance divine, afin que votre foi repose, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu, » 4, 5. Ici sont indiquées les œuvres de la toute-puissance, les miracles moraux et physiques qui sont comme la signature du témoignage divin, qui font reconnaître Paul comme envoyé, et sa parole comme parole de Dieu ; c’est ce qu’il appelle ici la démonstration de la puissance et de l’Esprit (auteur du surnaturel), et ailleurs « les signes (ou preuves) de son apostolat…, les prodiges et les miracles » . II Cor., xii, 12. Ces preuves extrinsèques, qui servent à faire reconnaître le témoignage de Dieu, sont à l’opposé de toute preuve intrinsèque et philosophique des vérités révélées, comme aussi de toute in

tuition immédiate de ces vérités. De là une certaine captivité de l’esprit, car la pente naturelle de l’intelligence humaine est vers l’intuition autant que possible, ou du moins vers les raisons intrinsèques des choses, et elle n’aime pas à être emprisonnée dans la seule affirmation d’un maître, fût-ce Dieu. IICor., x, 5. Pourquoi Dieu a-t-il voulu exiger de nous une telle foi ? L’apôtre, aux endroits cités, en suggère trois raisons principales, qui achèvent de montrer clairement sa pensée sur le motif de la foi chrétienne : a) Il y a dans une telle foi une sorte d' « obéissance » de l’esprit, un hommage rendu au maître divin. II Cor., x, 5 ; cf. Rom., i, 5 ; xvi, 25. Quand nous croyons sur] la seule parole de quelqu’un, surtout une chose difficile à croire, nous honorons d’un hommage très spécial sa science et sa véracité. Aussi l’apôtre, comparant la foi chrétienne aux anciens sacrifices, parle-t-il du « sacrifice et de la liturgie de la foi, » ryj 6-jda x.où Xecroupi -îx -r, ; 7tî<TTêwç. Phil., il, 17. Ce culte spécial, où l’intelligence s’immole sous l’influence de la volonté, était bien dû à la raison suprême, au créateur de toutes nos facultés. Cf. concile du Vatican, sess. III, c. ni, Denzinger, n. 1789. — b) A cette raison fondamentale, saint Paul joint une raison contingente et d’ordre historique. Par leur faute, les sages du monde, les philosophes païens, si célèbres qu’ils soient, n’ont pas su trouver Dieu. Cette banqueroute de la philosophie a été pour Dieu l’occasion de mépriser une science orgueilleuse et dévoyée, et de fonder le salut des âmes sur une autre espèce de connaissance, plus humble. I Cor., i, 21 ; iii, 18 sq. ; cf. Rom., i, 18-22. — c) Si la foi chrétienne a pour objet des mystères, dont la raison philosophique ne peut ni démontrer l’existence, ni comprendre l’essence (même après révélation), la foi chrétienne ne peut être ni une intuition ni une démonstration philosophique, ce qui enlèverait à ces vérités leur caractère mystérieux : elle ne peut être qu’une connaissance extrinsèque, appuyée sur le témoignage de Dieu, qui nous livre le fait (par exemple, l’incarnation) sans nous en expliquer le mode intime, et en laissant ainsi la vérité enveloppée d’ombre. Or, la foi chrétienne a pour objet des mystères : Nous prêchons, dit saint Paul, une sagesse de Dieu qui est dans le mystère, qui est cachée… qu’aucun des princes de ce monde n’a connue, » etc. I Cor., ii, 7-9. Ces secrets de Dieu, appartenant aux profondeurs de sa vie intime ou de ses décrets miséricordieux, échappaient à notre raison beaucoup plus que ne lui échappent les secrets des autres hommes. Pour les faire connaître à l’humanité, il fallait donc que Dieu les communiquât luimême, ce qu’il a bien voulu faire : Dieu nous a révélé (ces mystères) par son Esprit ; car l’Esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu… Nous en parlons, non avec les paroles qu’enseigne la sagesse humaine, niais avec celles qu’enseigne l’Esprit, » 10-13. Cf. Mallli., xi, 27 ; Joa., i, 18. En vertu de ce raisonnement, on peut dire que le motif essentiel de la foi est implicitement indiqué dans la définition quidonne l'Épltre aux Hébreux, xi, 1, par le fait que la foi y est ippelée » une conviction des choses que l’on ne voit [las, c’est-à-dire des choses que l’on ne peut voir,

comme l’entendent plusieurs Pères,

Enfin, quand saint Paul Veut donner un grand exemple de |, i foi qui Justifie, il choisit Abraham et nous le montre croyant à Dieu, sur la parole de Dieu,

credidit Abraham Deo, voila donc bien le motif essentiel de la foi.

4° Le mol if de la foi ( lirz 1rs Pires. Il est à regret 1er que h l’i lui et les Thoinassin n’aient pas poussé

lusqu'è la question de la foi leurs magistrales études de théologie positive sur les Pères. Nous avons essayé

d’y suppléer SOii par l'étude directe des sources, soit

en glananl ça et là chez les théologiens et dans plu sieurs ouvrages modernes, comme nous l’avons déjà fait, col. 78 sq. Les citations des Pères ont en outre l’avantage de nous familiariser avec leur style, de nous montrer en quel sens ils opposaient la foi et la raison » , etc.

1. L’idée que les Pères se faisaient du motif de la foi apparaît déjà dans le rapprochement qu’ils établissent entre la foi divine et ce que l’on a souvent appelé la foi humaine, c’est-à-dire le fait indispensable de s’en rapporter à autrui sur quantité de choses que l’on ne peut vérifier soi-même. On peut dire que ce rapprochement est un lieu commun de l’enseignemer.t patristique.

Dès le iie siècle nous le trouvons, par exemple, dans saint Théophile d’Antioche ; il y fait ressortir cet élément de confiance présupposé par la croyance sur parole, voir plus haut, col. 109 : « Tu ne crois pas à la résurrection des morts… Ignores-tu que la foi marche avant toutes choses ?… Quel malade pourra guérir, si d’abord il ne se confie pas à un médecin ? Quel art, quelle science pourra-t-on apprendre, si d’abord on ne se confie pas à un enseignement, si l’on ne croit pas à un maître ?… Et tu ne veux pas te fier à la parole de Dieu, qui t’a donné tant de gages ? » Ad Autol., 1. I, n. 8, P. G., t. vi, col. 1036.

Clément d’Alexandrie dit que la foi est un assentiment à un témoignage imposant ; que la voix de Dieu, auteur des Écritures, y sert de démonstration. Voir les textes à l’art. Clément d’Alexandrie, t. iii, col. 189. Il dit qu'à la parole de Dieu, jetée aux hommes par les apôtres, doit répondre en nous la foi, pour que cette parole produise son effet utile : « De même que le jeu de paume ne dépend pas seulement de celui qui jette la balle avec art, mais encore de celui qui la reçoit avec eurythmie. » Slrom., II, c. vi, P. G., t. viii, col. 960. Enfin il rapproche la foi chrétienne de la croyance des pythagoriciens à la parole du maître : « Tandis que les disciples de Pythagore, sans réclamer les démonstrations philosophiques de ses doctrines, basaient leur croyance sur ce seul mot : Le maître l’a dit, aOxb ; e ?a, et regardaient ce mot comme une preuve suffisante de l’enseignement reçu, pour des amis de la vérité ne serait-il pas absurde de se méfier d’un maître bien autrement digne de foi, le Sauveur notre Dieu, et d’exiger qu’il prouve ce qu’il affirme ? » Slrom., II, c. v, P. G., t. viii, col. 957. Cette comparaison avec les pythagoriciens sera reprise par saint Jean Chrysostome, In I Tim., homil. i, n. 3, P. G., t. lxii, col. 507, et par Théodoret, Grsec. affect. curatio, homil. i, De fl.de, P. G., t. i.xxxiit, col. 805.

F.ncore au n c siècle, le païen Celse témoigne à sa façon du concept de la foi chez les chrétiens d’alors : « Il en est parmi eux qui, ne voulant pas appliquer la raison aux choses qu’ils croient, ont cette maxime à la bouche : N’examine pas, mais crois ; la foi te sauvera, i Origènc, Conl. Ccls., 1. I, n. 9. P. G., t. xi, col. 672. Origène, qui nous a conservé ce passage de Celse. montre ensuite que cette foi simple est seule raison nable, puisqu’il est impossible à la grande majorité des hommes de laisser les affaires de la vie pour s’adonner aux loisirs de la philosophie, i C’est, dit-il, la méthode donnée par.lésus à tous les peuples, el la

seule qui soit pratique. 1 demandez à cette multitude de croyants, sortis du crime et de la boue, s’ils n’ont pas mieux fait de transformer leur vie par la foi aux châtiments de Dieu et aux récompenses divines,

sans chercher les raisons des choses - plutôt que

d’avoir méprisé la foi simple et retardé Indéfiniment

le changement de leurs muni-, sous prétexte de se

livrer ; ï de savantes recherches sur ces questions, méthode qui sans doute les aurait laissés presque tous dans une détestable Vie. i El après RVOir donné celle

merveilleuse transformation des mœurs païennes

tomme une preuve de la divinité du christianisme, il observe que les savants du paganisme, eux aussi, quoique sans l’avouer, partent de la foi simple pour décider de toute leur philosophie : « S’ils s’attachent à telle ou telle doctrine philosophique, c’est qu’ils ont rencontré d’abord un maître qui leur a plu et auquel ils se fient… Ne vous imaginez pas qu’ils aient étudié à fond les doctrines de toutes les écoles, leurs preuves, leurs réponses aux objections, avant de se décider à être plutôt platonicien que péripatéticien, plutôt stoïcien qu'épicurien, » col. G73.

Au iiie siècle, outre Origène que nous venons d’entendre, saint Cypricn compare la foi chrétienne à celle que nous donnons aux promesses d’un homme grave et honnête. Voir plus haut, col. 90. Arnobe reproche aux savants du paganisme de bafouer l’acte de foi des chrétiens, tandis qu’eux-mêmes font des actes semblables, et bien moins fondes : « Qui de vous ne croit pas sur l’autorité de tel ou tel ? Ceux d’entre vous qui expliquent l’origine du monde par le feu ou par l’eau n’en croient-ils pas Thaïes ou Heraclite ? » Et après de nombreux exemples : « Vous croyez sur la parole de Platon, de Cronius, de Numénius, ou de tout autre : nous croyons, nous, sur la parole du Christ… Et s’il faut établir un parallèle, il nous est plus facile de montrer ce qui nous a décidé à croire sur parole le Christ, qu'à vous de montrer ce qui vous a portés à croire ainsi tel philosophe. Ce qui nous a frappé en lui, ce sont ces œuvres magnifiques, ces énergies puissantes, qu’il a montrées par divers miracles bien capables d’amener tout homme à se sentir obligé à croire, en reconnaissant queces œuvres ne viennent pas de l’homme, mais d’une puissance mystérieuse et divine… Mais qui de vos philosophes a jamais pu, d’un seul mot, guérir un furoncle, ou tirer une épine d’un pied ? » Adversus génies, 1. II, n. 9-11, P. L., t. v, col. 824 sq.

Au ive siècle, c'étaient les manichéens qui, à leur tour, attaquaient la foi et vantaient la science, même en matière religieuse. Augustin, entraîné par leurs fallacieuses promesses de science, avait d’abord méprisé l’acte de foi ; il en revint, nous dit-il dans ses Confessions, lorsqu’il se mit à réfléchir au grand rôle que joue dans le monde la croyance au témoignage cl’autrui, histoire, géographie, etc. Conf., 1. VI, c. v. P. L., t. xxxii, col. 722. Saint Augustin conçoit doncla foi chrétienne comme une croyance au témoignage ; de même que le public à peine initié à l’immensité des sciences naturelles s’en rapporte aux affirmations de quelques savants, de même, dépaysés que nous sommes tous en face de l’au-delà et de tant d’autres mystères, nous nous en rapportons à l’affirmation de Dieu qui est là dans son propre élément. « Le Seigneur, dit-il, voit d’avance (le jugement dernier), et vous ne le voyez pas… Mais celui qui en a la science ne vous l’a pas caché. C’est avoir part à la science, que d’approcher celui qui sait. Dieu a les yeux de la science : ayez ceux de la croyance. Ce qu’il voit, croyez-le. » Enarr., ii, in ps. xxxvi, n. 2, P. L., t. xxxvi, col. 364. Saint Hilaire avait déjà dit : « Quand il s’agit des choses de Dieu, accordons à Dieu de se connaître lui-même, et soumettons notre esprit à ses paroles avec une pieuse vénération ; il est un témoin compétent sur soi, celui qui ne peut nous être connu autrement que par soi. » De Trinitate, 1. I, n. 18, P. L., t. x, col. 38. Le rapprochement entre la foi divine et la foi humaine passe jusque dans les catéchèses, jusqu'à l’explication du mot credo dans le symbole ; ainsi S. Cyrille de Jérusalem, Cal., v, P. G., t. xxxiii, col. 508 ; Rufin, Comment, in symbol. apost., n. 3, P. L., t. xxi, col. 340.

2. Le motif de la foi chrétienne ressort encore de l’opposition, fréquente chez les Pères, entre la foi et la raison. Sans doute, il ne faut pas exagérer cette opposition. Les Pères, comme nous l’avons déjà vu

chez Clément d’Alexandrie, Origène, Arnobe, et comme nous le verrons chez d’autres, n’entendent pas exclure la preuve de ce fait, que Dieu a parte ; au contraire, ils allèguent pour cela les miracles du Christ, la transformation de, mœurs produite par le christianisme, et tout ce qui, derrière le Christ, montre Dieu qui l’envoie : ce qu’ils éliminent du motif de la foi, sous le nom de « raison » , ce ne sont pas ces raisons de croire, c’est seulement la démonstration intrinsèque du dogme ; ce qu’ils attaquent, c’est une critique, qui ne se contenterait pas de l’affirmation de Dieu, même reconnue comme telle, et qui mettrait l’envoyé divin en demeure de démontrer ce qu’il affirme, comme on le demande à un professeur de mathématiques ou de philosophie. Mais enfin les Pères veulent une certaine opposition entre la foi et la raison, et en cela ils contredisent nos présents adversaires, qui, au moins pour la plupart, n’en peuvent admettre aucune : car si la foi était une simple expérience psychologique, ou un ra-'sonnement philosophique, ainsi que l’ont pensé les protestants rationalistes et les semi-rationalistes comme Gùnther et Hermès, où trouver en elle une opposition quelconque avec la raison, avec les procédés rationnels ? Donnons quelques exemples de cette opposition, où les Pères expliquent d’ailleurs le motif de la foi.

Saint Ambroise se demande pourquoi la foi d’Abraham a servi à sa justification et à son salut. C’est, répond-il, « parce qu’il n’a point demandé de raison, mais a cru d’une foi très prompte. Il est bon que la foi prévienne la raison : n’ayons pas l’air d’exiger de Dieu des raisons, comme nous le ferions pour un homme. Quelle indignité, de croire les témoignages humains sur d’autres hommes, et de ne pas croire les oracles de Dieu sur lui-même ! » De Abraham, 1. I. n. 21, P. L., t. xiv, col. 428. Cf. De excessu Satyri, 1. II, n. 89, P. L., t. xvi, col. 1340. « C’est supprimer les disputes, dit saint Éphrem, que d’interposer l’autorité de Dieu. Entre l’homme et Dieu, ce n’est pas la spéculation rationnelle, c’est la foi qui est exigée. Tu honores Dieu, si tu crois à son témoignage, tu l’offenses, si tu discutes separoles ; quand tu veux traiter avec Dieu, à toi s’offre la simple foi, pour croire s, parole véridique, et puis l’humble prière, pour te rendre propice sa divinité. » Adversus scrutalores sermones très, serm. i, Opéra, Rome, 1743, t. m (sijriace et lat.), p. 179.

La foi est affaire d’autorité, d’après saint Augustin : Quod intellic/imus, debemus ralioni : quod credimus, auctoritati. De ulilitate credendi, c. xi, P. L., t. xlii, col. 83. Parmi les moyens de preuve, on distingue parfois les autorités et les raisons : c’est la même distinction qui règne ici. Ratio, quand ce mot est opposé à auctorilas, signifie une raison intrinsèque et philosophique ; et intelligere, quand il s’oppose à credere, signifie approfondir philosophiquement une question, ne pas seulement admettre l’existence d’une chose, mais en scruter l’essence et le mode intime ; bien que ces mots, dans un sens plus large mais fréquent, puissent s'étendre jusqu'à la foi, à cause de sa certitude et de son caractère intellectuel et raisonnable. Cf. S. Augustin, Retract., 1. I, c. xiv, P. L., t. xxxii, col. 607. Du reste, Augustin s’explique ici lui-même, quand il oppose la méthode catholique à celles des manichéens : « Ils disaient que, sans effrayer les esprits par une religion d’autorité, ils conduiraient à Dieu leurs auditeurs par la simple raison, et les délivreraient de toute erreur. Qu’est-ce qui m’a poussé à mépriser, âgé de neuf ans, la religion que mes parents m’avaient donnée, pour suivre ces hommes en disciple attentif ? C’est qu’ils disaient qu’on nous effrayait par la superstition, qu’on nous commandait la foi avant la raison, tandis qu’ils ne forçaient, eux, personne à croire

avant d’avoir discuté la vérité, et de l’avoir dégagée de toute difficulté. » De ulililate credendi, c. i, col. C6. « A ceux qu’ils séduisent, ils promettent de rendre raison des choses les plus obscures : et ce qu’ils reprochent surtout à l'Église catholique, c’est de dire à ceux qui viennent à elle qu’il faut croire… Ce n’est pas qu’ils aient pour eux rien de solide ; mais ils cherchent à attirer les gens par le grand mot de raison. » Op. cit., c. ix, col. 79. Le Christ ne faisait pas comme eux : il demandait la foi, non toutefois sans avoir prouvé sa mission divine : « A quoi tendaient ces miracles si grands et si nombreux, sinon, comme il le disait lui-même, à faire croire en lui ? C’est par la sottise de la foi qu’il conduisait les âmes ; vous, c’est par la raison… Il louait les croyants, vous les blâmez… Par des miracles il s’est concilié l’autorité, par l’autorité il a mérité la foi, par la foi il a réuni la multitude. » Op. cit., c. xiv, col. 88. On voit qu’en face de celui qui se donne comme envoyé divin, saint Augustin veut l’enquête extérieure par les miracles qui prouvent sa mission, mais non l’enquête intérieure par la discussion des vérités qu’il prêche.

Saint Pierre Chrysologue résume l’antithèse en deux mots : Qui fidem quærit, rationem non quærit. Serin., lviii, P. L., t. lii, col. 360.

De même pour les textes ou les Pères opposent la foi à la vision ou à l’intuition, à l’expérience, à la démonstration ou science. Nos adversaires, qui font de la foi une intuition, ou une expérience, ou une science, ne peuvent s’accorder avec ces textes, dont voici quelques exemples.

a) Opposition de la foi à l’intuition. — « Si la foi est la conviction des choses que l’on ne voit pas, pourquoi voulez-vous voir son objet, et perdre ainsi la foi, et par suite l'état de justice, puisque le juste vit de la foi ? » S. Chrysostomc, In Heb., homil. xxi, P. G., t. lxiii, col. 151. Quid est fides, nisi credere quod non vides'.' dit saint Augustin, In Joa., tr. XL, n. 9, P. L., t. xxxv, col. 1690. Ailleurs, il donne toute sa pensée : « La différence entre voir et croire est-elle suffisamment exprimée par cette formule : ce qui est présent est vii, ce qui est absent est cru ? Oui, peut-être, si nous entendons ici, par présent, ce qui est à la portée de nos sens extérieurs ou de notre sens intime, quæ pra-sto sunl sensibus sive animi sive corporis… C’est ainsi que je vois cette lumière et ma volonté : l’une tombe sous le sens extérieur, l’autre sous le sens de l'âme, clic m’est intérieurement présente. Au contraire, si quelqu’un, dont la figure et la voix me sont présentes, me signifie sa volonté, cette volonté qu’il me signifie est cachée a mes sens extérieurs et à mon sens intime, aussi je ne la vois pas, j’y crois : ou bien, si je pense qu’il ment, je n’y crois pas, quand bien même clic est peut-être comme il le dit. On croit donc ce qui est absent à l'égard de nos sens, si le témoignage qui en est rendu paraît suffisant… Si pourtant la chose absente a été vue par nous autrefois, et si nous sommes c.-rtains de l’avoir vue, il ne faut pas la mettre dans la caté gerie de ce que l’on croit, mais de ce que l’on voit ; nous la connaissons, en effet, non par des témoins auxquels nous ayons ajouté foi, mais par un souvenir certain

que nous l’avons vue. « Episl., cxlvii, ad l’aiilinam, i. ii, /'. /.., t. xxxiii, col. 599.

b) Opposition de la foi à l’expérience. — « Dieu, dit saint Èphrem, a écril (dans la Bible) qu’il a crééle monde, el vous avez eu foi à son affirmation ; or, voilà un fait qui ne vous était pas connu par l’expérience personnelle : quel motif vous a ibnr amené a croire l’inexploré ' D’ailleurs, si vous aviez suivi l’expérience comme guide, vous n’auriez pas la foi. L’expérience

n antagonisme avec la foi. Loc. cil. L’Africain l’un que d’Adruméte vers le milieu du r

si' 'le. dit dans un remarquable commentaire sur

l'Épître aux Hébreux : « La foi, c’est croire les choses que l’on ne voit pas… Dans celles que l’on voit, on ne peut pas dire qu’il y ait ni croyance ni incrédulité, mais plutôt expérience, agnilio… La foi est l’argument des choses qui ne peuvent apparaître : celles qui apparaissent ne s’adressent plus à la foi, mais à l’expérience. Quand Thomas voyait, quand il palpait, pourquoi lui est-il dit : Quia vidisli me, credidisti ? Mais autre chose est ce qu’il a vii, autre chose ce qu’il a cru. La divinité ne pouvait être vue par un homme mortel. Comment donc a-t-il cru en voyant ?. En voyant l’homme, il a confessé par son exclamation le véritable Dieu, qu’il ne pouvait voir. » In Heb., xi, P. L., t. lxviii, col. 758. Ce passage a été verbalement reproduit par saint Grégoire le Grand, In Evang., homil. xxvi, n. 8, P. L., t. lxxvi, col. 1202. Il y ajoute ce trait : Fides non habet meritum, si humana ratio præbct expcrimentum.

c) Opposition de la foi à la démonstration et à la science. — On la trouve fréquemment dans Clément d’Alexandrie : « Celui qui croit les divines Écritures avec un jugement ferme reçoit, en guise d’incontestable démonstration, la parole même de Dieu, auteur des Écritures. Ainsi par la démonstration (proprement dite, philosophique) la foi ne pourrait acquérir plus de fermeté qu’elle en a. » Strom., II, c. il, P. G., t. viii. col. 941. La foi est donc plus excellente que la science, et doit lui servir de critérium. II, c. iv, col. 948. » Qui donc serait ennemi de Dieu jusqu'à refuser de le croire sur parole, et à réclamer de lui des démonstrations comme on en demande aux hommes ? » V, c. i, P. (>., t. ix, col. 16. « L’apôtre veut que notre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes qui se font forts de convaincre, mais sur la puissance de Dieu, qui seule et sans démonstrations peut sauver pas la simple foi, » ccl. 21.

Les Pères disent qu’on peut avoir la foi sans la science : ils ne sauraient donc confondre ces deux choses. — Exemples : « Il vaut mieux croire à Dieu en ne sachant rien du tout, et persévérer dans son amour. que tomber dans l’impiété par le raffinement de questions subtiles. » S. Irénée, Conl. hær., 1. II, c. xxvi. P. G., t. vii, col. 800. « Il est non seulement excusable, mais méritoire d’ignorer l’objet que l’on croit. » S. Hilaire, De Trinilatc, 1. VIII, n. 10. /'. /.., t. x, col. 242. « Il vaut beaucoup mieux posséder par une foi simple une parcelle de vérité, si petite soit-elle, que de perdre le tout en de savantes discussions ; acquérir avec ignorance la vie éternelle, que de tomber avec science dans la mort éternelle. Quand vous avez soif, il est plus important de boire, que de mesurer la fontaine. » S. Ephrem, Adv. scrulatores, serin. LXVII, Opéra, t. m. p. 129. Turbam non intelliqendi vivacitas, sed credendi simplicitas lutissimam facit. s. Augustin. Contra episl. fundam., c. iv, /'. /.., t. xui, col. 175 Cf. S. Zenon de Vérone, tr. I, De fuie, P. /.., t. xi. col. 256.

.'i. Les Pérès rejettent de la foi la curiosité, cette

propriété de la science ou de l’intuition, la curiosité

qui cherche le comment et le pourquoi : et c’est encore

une occasion pour eux d’affirmer le motif spécifique de la foi. i I.'objet de foi, dit saint Athanase, s’adresse à la connaissance, niais non à la curiosité. Quand les

disciples entendirent ces mois : Baptisez-les au nom

du Père et du Iils et du Saint-l'.spi ii, ils ne se demandèrent »as avec curiosité pourquoi le Plia en second lieu et l’Esprit en troisième, on en général, pourquoi une Trinité : mais ils crurent scion ce qu’ils avaient entendu, i Epiit., iv, ait Sempionem, n. 5, /'. G.,

i. xvi, col. 643. Saint c.iit vsosionie, expliquant Rom., t. 5, <iii Quand le Seigneur affirme, les audl

leurs ne doivent pas sauter curieusement la chose

affirmée, mais seulement la recevoir. Les apôtres ont

été envoyés pour dire ce qu’ils ont entendu, non pour ajouter du leur ; et nous, nous n’avons qu'à croire. » In Kpist. ad Rom., homil. i, n. 3, P. G., t. lx, col. 398C’est ce que répète sans cesse saint Éphrem dans ses discours contre les scrutateurs des mystères, par exemple : « Ne te jette pas témérairement dans les mystères : tu te noierais dans l’océan. Prends pour barque la foi et la doctrine que Dieu a donnée, consignée dans les Livres saints ; ta navigation sera sûre comme dans un port. » Adv. scrutât., serm. lxix, Opéra, t. iii, p. 132 Ce mot des Juifs : « Comment se peut-il faire qu’il nous donne sa chair à manger, » Joa., vi, 52, est ainsi jugé par saint Cyrille d’Alexandrie : « Eux qui auraient dû recevoir aussitôt les paroles du Sauveur, dont ils avaient connu par les miracles précédents la divine vertu et l’invincible puissance… les voilà qui prononcent ce comment, insensé quand il s’agit de Dieu ; comme s’ils ignoraient qu’il y a là un grand blasphème ! … Pour nous, en recevant les divins mystères, nous devons avoir une foi sans curieuse recherche, 7IÎ1TIV àÇv)Tï]Tov, et ne pas jeter sur les paroles divines ce comment, mot judaïque et digne des peines futures. » In Joa., 1. IV, c. ii, P. G., t. lxxiii, col. 573.

De cette étude des Pères, concluons que l’autorité suréminente du témoignage divin est le motif suffisant et nécessaire de la foi chrétienne, ce que saint Léon a exprimé d’un mot : « C’est à l’autorité divine que nous croyons. » Serm., vii, de nativit., c. i, P. L., t. liv, col. 216.

Le motif de la foi dans les documents ecclésiastiques.

1. Définition de la foi, d’après le concile du

Vatican :

Hanc vero fidem, quse humanæ salutis initium est, Ecclesia catholica profitetur virtutem esse supernaturalem, qua, Dei aspirante et adjuvante gratia, ab eo revelata vera esse credimus, non propter intrinsecam rerum veritatem naturali rationis lumine perspectam, sed propter auctoritatem ipsius Dei revelantis qui nec failli nec fallere potest. Sess.III, c. iii, Denzinger, n. 1789 (1638).

Cette foi, qui est le commencement du salut de l’homme, l'Église catholique professe que c’est une vertu surnatuielle, par laquelle, prévenus et aidés de la grâce de Dieu, nous croyons vraies les choses qu’il a révélées (les admettant) non pas à cause de leur vérité intrinsèque (qui serait) pénétrée au moyen de la lumière naturelle de la raison, mais à cause de l’autorité de Dieu même qui les a révélées et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper.

La première partie de cette définition se tient dans l'élément générique de la foi. Surnaturalité, et secours de la grâce, élément commun à toutes les vertus infuses. Croire qu’une chose est vraie, élément très général dans la connaissance humaine. La seconde partie arrive à l'élément différentiel et spécifique, et c’est ce qui nous intéresse actuellement. Dès que le concile a parlé de croyance, vera esse credimus, vient naturellement la question : A cause de quoi tenonsnous ces choses pour vraies ? C’est la question du motif intellectuel : c’est à cause de lui, propter, que nous affirmons, nous ne pourrions affirmer sans un motif intellectuel, il met en mouvement l’esprit, il cause la connaissance, l’assentiment. Or, ici, le concile oppose deux motifs entre eux, celui de la connaissance intrinsèque, et celui de la connaissance extrinsèque ou d’autorité. Voir ci-dessus, col. 99 sq. Et comme il emploie le mot technique lui-même, intrinsèque, on peut dire qu’il consacre la distinction des deux modes de connaître donnée en ces termes par les théologiens modernes ; les conciles emploient à l’occasion le style théologique de leur temps. D’autant plus que la connaissance « intrinsèque » , comme l’entendent les théoJogiens modernes d’une connaissance soit d’intuition

et d’expérience, soit de démonstration philosophique par les causes et les effets, est encore désignée ici par le mot perspectam, qui n’indique pas une vue quelconque de la vérité, mais une vue à fond, une vue qui pénètre (per, à travers) ; et aussi par les mots naturali rationis lumine, qui se disent de l'évidence naturelle, ou de la raison philosophique et de ses preuves (comme au chapitre précédent, Denzinger, n. 1785). A tout cela le concile oppose 1' « autorité de Dieu » comme seul motif de la foi qui conduit au salut : motif extérieur à l’essence des choses, et qui nous les fait connaître par le dehors, en sorte qu’en croyant sur la parole de Dieu qu’elles existent, nous ne les pénétrons pas, et qu’elles peuvent nous rester mystérieuses.

Mais quel est, dans cette définition du Vatican, le sens précis du mot auctoritatem' ! L' « autorité » , dans sa notion la plus vague et la plus générale, est une certaine excellence qui appartient à une personne, ou à un groupe de personnes, et qui consiste à pouvoir influer sur les autres pour s’en faire suivre. Deux espèces d’autorité, celle du supérieur et celle du témoin. L’autorité du supérieur, à travers l’intelligence, s’adresse à la volonté et à l’action ; c’est un pouvoir d’influencer la volonté libre par l’obligation morale et par les sanctions, afin qu’ensuite la volonté actionne les membres et les diverses énergies de l’homme : qu’il s’agisse du commandement donné à un particulier, ou de la loi donnée à toute une société. A cette autorité répond l’obéissance. L’autorité du témoin s’adresse à l’intelligence, et consiste en certaines qualités du témoin qui influencent les esprits de manière à leur faire recevoir son témoignage, tenant pour vrai ce qu’il atteste. A cette autorité répond la croyance. De même que l’inférieur, à cause de l’autorité de celui qu’il reconnaît comme supérieur, conforme sa volonté à la sienne, ce qui est l’obéissance proprement dite, de même celui qui entend un témoin, s’il est convaincu de la compétence et de la véracité de ce témoin, conforme son jugement au sien. La foi, en ce qu’elle tient pour vrai ce que Dieu a attesté, a donc une véritable analogie avec l’obéissance, ce qui explique le mot de saint Paul, obedienlia fidei, mais elle n’est pas l’obéissance proprement dite, parce que le concept de témoin ne se confond pas avec celui de supérieur : un témoin, qui par ses qualités influence notre esprit, peut être hiérarchiquement notre égal et même notre inférieur. Il peut aussi être notre supérieur, et ainsi en est-il de Dieu quand il témoigne : [mais il reste alors vrai que, si je considère Dieu précisément comme témoin, je fais abstraction de sa puissance de commander. Cette puissance par son commandement pourra influencer ma volonté, voire même dans l’acte de foi pour que la volonté y fasse bien sa partie ; mais si l’acte de foi est pris dans son seul élément intellectuel, comme nous l’avons pris jusqu’ici, l’intelligence ne peut évidemment être influencée que par un motif intellectuel, tel que l’affirmation de celui qui est la vérité même, Prima Veritas, comme dit saint Thomas.

Le concile lui-même prend soin de nous indiquer ce qu’il entend ici par « autorité de Dieu » . Il ne dit pas : propter auctoritatem Dei imperantis, mais revelanlis, mot qui signifie une communication de vérité à l’intelligence. Et pour mieux expliquer le motif de la foi, il développe cette auclorilas en indiquant les qualités de Dieu qui font alors impression sur nous : qui nec falli nec fallere potest. Science parfaite, ennemie de toute erreur, nec falli ; véracité parfaite, ennemie de tout mensonge, nec fallere. Or la science et la véracité sont regardées par tous les logiciens et les critiques, et même par le simple bon sens, comme les deux qualités essentielles d’un bon témoin : il faut qu’il sache ce dont il parle, et qu’il le transmette comme il le sait, avec sincérité. En énumérant ces deux qualités, le concile

montre donc qu’il entend le mot auctoritas non pas de

l’autorité du supérieur, mais de l’autorité du témoin.

2. Canon correspondant, dans le concile du Vatican :

Anathème à qui dirait que la foi divine ne se distingue pas de la science naturelle de Dieu et des choses morales, et par conséquent qu’il n’est pas besoin pour la foi divine qu’une vérité révélée soit crue à cause de l’autorité de Dieu qui révèle.

Si quis dixerit fidem divinam a naturali de Deo et rébus moralibus scientia non distingui, ac propterea ad fidem divinam non requiri ut revelata veritas propter auctoritatem Dei revelantis credatur, anathema sit. De fide, can. 2, Denzinger, n. 1811 (1658).

Quelles erreurs sont ici condamnées ? Une note qui accompagnait le schéma de la commission prosynodale, voir Vacant, Études… sur le concile du Vatican, t. ii, p. 30, 31, nomme le rationalisme, et le semi-rationalisme d’Hermès et de Giinther. Ils confondaient la foi chrétienne avec la « science naturelle de Dieu, » que nous appelons théodicée, et avec « la science naturelle des choses morales, » que nous appelons éthique ou philosophie morale. Pour eux, un argument d'éthique ou de théodicée, s’il produisait la conviction, produisait un véritable acte de foi et en était le motif. Par une conséquence logique, signalée par le concile, ils niaient que l’autorité du témoignage divin, de la révélation divine, fût le motif nécessaire de notre foi. Or, l'Église condamne ici et la confusion foi-science, qui est le point de départ, et l’erreur sur le motif de la foi, qui est la conséquence et le point d’arrivée, l’une à cause de l’autre et dans sa liaison avec l’autre. D’où l’on peut inférer que cette sévère condamnation ne tomberait pas sur une doctrine qui soutiendrait seulement l’une de ces deux erreurs, sans liaison avec l’autre ; ce qui se rencontre, par exemple, dans tel ou tel ancien scolastiquc assignant mal le motif de la foi sans pourtant confondre la foi avec la science naturelle. Telle est l’interprétation de Vacant, loc.cil., p. 31, 32. Notons cependant que toute doctrine inexacte sur le motif de la foi, tel qu’il est exigé par le concile, est indirectement atteinte et périmée, en admettant même qu’elle ne soit pas anathématisée, c’est-à-dire rangée parmi les hérésies.

Sur l'épithète « divine » , donnée ici à la foi suivant l’usage des théologiens, il faut remarquer avec Suarez qu’elle a deux sens : a) elle peut signifier une foi fondée sur l’autorité de Dieu, de même que « foi humaine i dans le langage scolastiquc signifie assez ordinairement une croyance fondée sur l’autorité des hommes ; b) elle peut signifier une foi surnaturelle, et par conséquent salutaire ; car Dieu étant tout spécialement l’auteur du surnaturel, le surnaturel est souvent

appelé divin » , de même que l’on confond en nous le

natUTl 1 et 1' humain, Dr fide, ilist. IV, sect. V,

n. 3, Opéra, Taris. 1858, t. xw, p. 132. cf. Salmantli i, De fide, dist. t, n. 201, Paris, 187<i, t. xi, p. 93. Si dans le canon du Vatican vous preniez flnem divinam au premier mus. nous auriez une ridicule tautologie : Pour avoir la foi OÙ l’on croit à cause de l’autorité de Dieu, il faut que l’on croie à cause de l’autorité de Dieu. Force est donc de prendre le mol divinam au second sens : Pour avoir la foi surnaturelle, la seule qui mené au salut, il faut que l’on croie a

cause de l’autorité de Dieu. > Ceci n’est pas une tan tologie, el étail ties nécessaire à définir en an temps

ou, dans les milieux prnt es (uni s, rationalistes, piétistes.

modernistes, on appelle foi, fol chrétienne, fol qui un acte qui n’a nullement pour motll l’autorité du I lieu, ni même Une autorité OU un témoignage en général. c’est probablement pour éviter jusqu'à l’apparence d’une tautologie, que le concile du Vatl

.m. dans le premiei (loi liment cité plus haut, a évité

l’expression ambigu ! loi divine > et l’a remplacée par

celle-ci : Hanc fidem, quæ humanæ salulis initium est…, formule plus nette que celle du canon, et qui sert à l’expliquer.

3. Serment imposé par Pie X contre le modernisme. — Voir tout le passage sur la nature de la foi, cité plus haut, col. 83-84.

Le motif de l’acte de foi y est ainsi exprimé : propter Dei auctoritatem, summe veracis. Ce dernier mot explique bien de quelle autorité il s’agit : c’est l’autorité qui procède de la véracité, donc de l’autorité du témoin. Ce qui est confirmé par le contexte : Quæ a Deo… dicta, lestala et revelata sunl, vera esse credimus, propter Dei auctoritatem summe veracis. Il s’agit d’un témoin, testeda. Aussi 1' « autorité » en question aboutit finalement à une croyance, à une adhésion à la vérité, vera esse credimus.

Ces documents de l'Église écartent définitivement les opinions, déjà surannées et communément rejetées en théologie, de quelques rares auteurs du moyen âge : par exemple, celle de Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris, d’ailleurs intéressante comme étant le premier essai d’un fidéisme ou d’un « volontarisme > qui a reparu de nos jours sous des formes plus adoucies. Il part de cette idée : « Si l’on croit Dieu a cause de sa véracité, parce qu’on sait qu’il ne ment pas…, on le croit avec une espèce de preuve…, on le croit comme on croirait un honnête homme quelconque…, on ne lui fait pas honneur. » De fide, c. i, Opéra, Paris, 1674, t. i, p. 4. Les Pères, nous l’avons vii, n’ont pas eu le même scrupule cpie Guillaume : ils n’ont pas rejeté toute « espèce de preuve » ; ils ont éliminé du motif de la foi la preuve intrinsèque des dogmes, mais non pas la preuve extrinsèque par la véracité du témoin. Ils n’ont [pas cru déroger en assimilant la foi chrétienne à la croyance donnée à un homme grave et honnête, avec cette différence que le témoignage de Dieu est revêtu de qualités plus hautes : Si testimonium hominum accipimus, Irslimonium Dei majus est. I Joa., v, 9. La formule de Pie X exprime bien cette véracité « souveraine » de Dieu, summe veracis, qui a droit à une foi proportionnée, à une foi souverainement ferme : foi vraiment honorable, pour Dieu, et suffisant à le mettre à part, à le distinguer de tous les témoins inférieurs. Le point de départ étant faux dans la théorie de Guillaume d’Auvergne, est-il étonnant qu’il aboutisse à une conclusion fausse ? « Il s’ensuit, dit-il, que la seule foi digne de Dieu, c’est celle qui croit à sa parole sans aucune garantie, sine omni pignore et cautione, gratuitement et par obéissance, non pas à cause de sa véracité, ou parce que ses paroles Impliquent la vérité, car on croirait ainsi un homme, mais parce qu’il nous fait un précepte de croire. Ainsi l’on croit par la vertu d’obéissance. Loccit. Guillaume conserve une partie de la doctrine traditionnelle, V autorité de Dieu comme motif de la foi ; mais c’est la pure autorité du supérieur, qu’il veut substituer à celle du témoin : et sa foi n’est plus qu’une obéissance au sens strict du mot. La volonté, pour obéir, pousser, i violemment l’intelligence a risquer contre nature une affirmation sans aucune garantie de vérité. Peul-elle réaliser ce tour de force ? ("est très douteux : ou bien la volonté n’obtiendra qu’Une formule des lèvres sans acte Intérieur de l’esprit, ou bien le motif intellectuel, vainement (liasse, agira en dessous sur l’intelligence.

Voir Croyance, t. iii, col. 2 : 171. 2372. Mais quand

même la volonté pourrait physiquement exécuter ce COUp de force, elle ne le pourrait pas d’une manière un et 111r11.de. Si elle commande toutes les énergies de l’homme, l’intelligence comme les autres, elle ne peut commander que dans l’ordre, et conformément à la nature de chacune. Inutile d’invoquer ici le surnaturel : il ne dél mil pas l.i nature, mais la per fectlonne ; l’activité de la grâce se mêle Invislblement

à relie de nos facultés sans les violenter. Ainsi les principes de la raison comme ceux de la révélation s’opposent à la théorie de Guillaume. En vain compare-t-il toute garantie de^vérité aux béquilles d’un estropié, qui prouvent en lui une maladie sans la guérir : mauvaise comparaison, puisque la garantie de vérité appartient à la santé même de l’esprit, à sa tendance essentielle. En vain se plaint-il qu’alors il n’y aura « plus de bataille de l’intelligence, plus de victoire, plus de couronne. » Le mérite de la foi ne consiste pas à faire un saut périlleux dans le vide, mais à recevoir la vérité mystérieuse que nous présente le divin témoin connu de nous comme souverainement véridique, sans toutefois pénétrer le mystère comme on le souhaiterait, sans preuve intrinsèque, en dépit des passions qui se sentent gênées par la parole divine, et du monde qui s’en moque. Il restera donc toujours assez d’obstacles à la foi pour qu’il y ait bataille et victoire. Enfin cette foi de Guillaume d’Auvergne, où le souci de la vérité n’aurait aucune place, serait « un mouvement aveugle » , ce que le concile du Vatican a rejeté. Sess. III, c. ni, Denzinger, n. 1791 (1640). Peut-être Guillaume réserve-t-il son coup de force pour le moment précis de l’acte de foi, et suit-il d’ailleurs le grand courant de la tradition, en exigeant avant la foi la connaissance de la véracité divine et les preuves du fait de la révélation : on peut le conclure de textes cités par le P. Gardeil. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2266. Toujours est-il qu’il exige de l’esprit, au moment de l’acte de foi, une gymnastique impossible, et veut à tort exclure de cet acte toute vue de la véracité divine, qui en est l’objet formel et le motif spécifique.

6° Le motif de la foi chrétienne devant la raison naturelle ; raisons de convenance pour ce motif, et objections. — Peut-on prouver a priori, en partant de principes purement philosophiques, que la connaissance religieuse devait être fondée sur le témoignage de Dieu ? Non. La raison peut connaître avec certitude, sans passer par l’autorité du témoignage divin, sans se préoccuper de cette autorité ni de ce témoignage, un certain nombre de vérités religieuses. Voir là-dessus la définition du concile du Vatican et son commentaire à l’art. Dieu, t. iv, col. 824 sq. ; et l’exposé des preuves de l’existence de Dieu, au point de vue soit pratique, soit scientifique, col. 935 sq., 938 sq. Cela étant, pourquoi cette connaissance rationnelle et naturelle ne pourrait-elle pas servir de base à un culte, à une religion ? Dieu n'était pas tenu de nous donner davantage.

On dira que la raison naturelle, telle qu’elle fonctionne en pratique dans les circonstances de l’ordre actuel des choses, se trompe aisément, et que, sans un secours surnaturel, il est presque impossible de ne pas tomber dans quelque erreur sur un sujet aussi ardu que la nature de Dieu et les devoirs de la religion, comme le montrent l’expérience et l’histoire des anciens peuples allant presque tous au polythéisme, et transformant la religion en idolâtrie. Mais d’abord, dans cette dégradation païenne, il faut faire la part de la liberté humaine qui aurait pu égarer moins la raison, si elle l’avait voulu. Ensuite, Dieu ne peut-il tolérer des erreurs dans le genre humain ? Toute erreur sur Dieu est-elle de nature à supprimer toute religion et toute vie morale ? Enfin, si Dieu veut aider notre raison dans cette grande difficulté, s’il veut bien lui donner un secours gratuit, pas n’est besoin qu’il témoigne, comme il l’a fait : il aurait pu fortifier les énergies naturelles de la raison, il aurait pu lui donner une science infuse, qui n’eût pas été son témoignage, comme nous l’expliquerons en traitant de la révélation. La faiblesse de notre raison sur les choses divines ne prouve donc pas avec certitude que Dieu ait dû nous donner la

lumière de son témoignage, ni que croire Dieu sur parole soit la base nécessaire de toute religion.

Mais où manque la démonstration rationnelle, les raisons de convenance ne manquent pas ; et elles suffisent à justifier, aux yeux de la raison même, la sagesse du plan divin. Voici les principales :

1. Il convient à la bonté de Dieu de se communiquer à nous. Saint Thomas, étudiant les convenances de l’incarnation, ne craint pas d’invoquer cette naturelle expansion de la bonté divine ; et pourtant l’incarnation de Dieu est un don bien plus extraordinaire, bien autrement au-dessus de nos aspirations et de nos besoins, que le don de son simple témoignage. « Par nature, dit le grand docteur, Dieu est l’essence de la bonté, tout ce qui convient à celle-ci convient à Dieu. Or, se communiquer aux autres, tel est le propre de la bonté. Dès lors, il appartient à la souveraine bonté qui est Dieu de se communiquer d’une manière souveraine à ses créatures. » Sum. theol., III', q. i, a. 1. « Cette maxime, ajoute le P. Janvier, me permet de penser que, par un mouvement tout spontané, Dieu se sentira porté à se révéler à l’homme, à se donner à son esprit. Sa vérité qui est bonne, ou pour mieux dire qui est la bonté même, aura une tendance à franchir les frontières du temps, à se manifester à ceux qui ne le connaissent pas. Nous affectons parfois de nous étonner qu’elle nous ait parlé, nous serions plus étonnés encore si elle avait gardé le silence. » Conférences de Notre-Dame de Paris, carême 1911, La foi, 2e édit., p. 63. Le silence, Dieu n'était ni physiquement forcé ni moralement obligé de le rompre, même dans l’hypothèse de notre création ; et cela suffit pour que sa parole, son témoignage, soit un don gratuit et surnaturel. Mais comme il convenait qu’il nous parlât, venant ainsi avec plus de bonté au secours de nos ignorances et de nos misères 1

2. Il convenait que l’homme rendit à son créateur toute espèce d’hommages ; or, il est un hommage spécial, qui consiste à croire Dieu sur parole, et pour que cet hommage fût rendu de fait, et par l’intelligence en même temps que par la volonté, il fallait que Dieu parlât et témoignât ; il convenait donc qu’il le fît. Saint Paul fait allusion à ce culte et à ce sacrifice de l’intelligence par la foi. Voir col. 68.

3. La foi au témoignage d’autrui joue un grand rôle social : elle supplée aux insuffisances de l’individu isolé, elle tend à rapprocher les personnes, et devient ainsi un fondement des sociétés humaines, comme le remarquaient déjà les Pères, voir col. 110, et saint Thomas. Opusc, LXIII, 7/i lib. Boetii de Trinilale, q. ni, a. 1, Opéra, Parme, 1864, t. xvii, p. 366. De même, si Dieu témoigne, si à ce témoignage répond notre foi, ce sera le fondement d’une société entre Dieu et nous ; nulle espèce de connaissance ou de croyance ne peut donc servir de base meilleure à une religion ici-bas.

4. La religion, la société avec Dieu, deviendra singulièrement intime, si Dieu nous communique ses propres secrets, de même que d’homme à homme la communication des secrets est un signe ou une cause d’intimité ; et puis, il est de ces secrets divins qui sont pour nous de la plus grande importance et de la plus haute valeur religieuse : comme de savoir si Dieu veut nous pardonner de graves fautes, et combien de fois, et à quelles conditions ; dans quelle mesure et à quelles conditions il exauce nos prières ; quelles récompenses et quelles peines il prépare aux âmes dans l’autre vie. Or, le témoignage de Dieu est la seule voie par laquelle nous puissions connaître avec certitude ces décrets de sa libre volonté, ces mystérieuses déterminations de l’avenir ; de même que d’homme à homme le témoignage est le seul canal des secrets. La foi à un témoignage divin était donc nécessaire à une religion intime [21

FOI

122

et profonde ; et nous donner une telle religion convenait à la bonté de Dieu.

A ces convenances bien remarquables nous pourrons en ajouter d’un autre ordre, si nous partons, non plus seulement des expériences et des principes de la raison naturelle, mais encore du donné révélé. Ce seront alors des « raisons théologiques » en faveur de la foi au témoignage divin ; et l’avantage de ces raisons-là est de montrer l’harmonie de nos dogmes. Ainsi, partant du dogme de la vision béatiflque, à laquelle Dieu a bien voulu nous élever dans l’ordre de choses actuel, saint Thomas nous dit : « La béatitude finale consiste dans une vision surnaturelle de Dieu ; l’homme ne peut y parvenir qu’en se mettant à l'école de Dieu, Joa., vi, 45 ; et cet enseignement, pour s’adapter à la nature humaine, ne doit pas se faire tout d’un coup, mais par degrés. Or, tous ceux qui suivent cet enseignement graduel doivent commencer par croire le maître, pour arriver ensuite à la science parfaite. Aristote, De sophislicis elenchis, c. n. Donc, pour parvenir un jour à la parfaite vision de la béatitude, il nous faut d’abord croire sur la parole de Dieu, comme un disciple croit sur la parole de celui qui l’enseigne. » Sum. theol., II a II 8°, q. il, a. 3. Pour mieux comprendre ce raisonnement de saint Thomas, observons que, dans tout enseignement, on peut concevoir deux procédés très différents :

à) Le maître peut donner à ses disciples la conclusion d’un raisonnement sans le raisonnement luimême, interposant alors son autorité en guise de preuve, ou l’autorité des savants dont il se fait l’interprète. Il donnera, par exemple, la distance du soleil à la terre, sans les calculs qui ont servi à la déterminer ; une loi physique ou biologique, sans les nombreuses et délicates expériences qui ont fondé une induction valable ; le dessin schématique d’une machine, sans la faire fonctionner sous leurs yeux. Le temps limité dont il dispose, une démonstration qui dépasserait la portée des commençants qu’il instruit, d’autres raisons encore justifient ce procédé sommaire, sans lequel les sciences ne pourraient être vulgarisées. L’exagération des disciples de Pythagorc était seulement de trop généraliser ce procédé, même lorsque la démonstration eût été relativement facile et qu’ils n'étaient plus des débutants, et de trop accorder à la simple affirmation d’un maître faillible. Il n’y a qu’un maître infaillible dont l’affirmation suffise toujours, en attendant qu’il nous fasse pénétrer, au ciel, les vérilés mystérieuses à l'égard desquelles nous ne sommes jamais ici-bas que de simples commençants.

b) Le maître peut procéder autrement, et faire passer les disciples, déjà exercés et habiles, par tous les raisonnements, par tous les calculs, par toutes les expériences qui amènent à la conclusion : alors le disciple n’aura pas besoin de s’appuyer sur la véracité du maître ; sur le point en question, il en saura autant que lui, et son intelligence personnelle, excitée et dirigée par lui, aura vraiment fait elle-même la démonstration ; il aura acquis une connaissance non pas seulement extrinsèque, mais intrinsèque, et Intellectuellement bien plus parfaite. Mais ce n’est pas le cas qui nous intéresse directement, quand il s’agit de la foi.

Ainsi la vision intuitive étant l’achèvement en pleine lumière d’un enseignement ébauché ici-bas pour des commençants, il convenait que dans ce preinii i enseignement Dieu Interposât l’autorité de son témoignage, comme le savant qui fait de la vulgarisation, 'in peut même duc qu’une fois SUppe I I I' vation de l’homme a la vision de Dieu dans |fl vie future, élévation que notre nature ne peut ni réaliser |. ; n ses forces ou ses exigences, ni constater pal ses (acuités de connaître, il y avait plus qu’une raison de convenance, m averti une absolue nécessité que Dieu

nous donnât par son témoignage le seul moyen de connaître cette surnaturelle destinée. Car la nature raisonnable doit pouvoir librement diriger ses actes vers sa fin, vers sa réelle destinée, elle doit donc la connaître. Aussi le concile du Vatican reconnaît-il comme « absolument nécessaire » la révélation ou témoignage de Dieu dans l’ordre actuel « parce que Dieu, dans son infinie bonté, a ordonné l’homme à la fin surnaturelle, c’est-à-dire à la participation de biens tout divins, qui dépassent totalement l’intelligence humaine. » Sess. III, c. ii, Denzinger, n. 1786 (1635).

Objection. — Le témoignage divin, comme tout témoignage que nous recevons, vient du dehors, ab exlrinscco. Objectera-t-on les inconvénients de « l’extrinsécisme » , une certaine manière de concevoir « l’autonomie, l’immanence » ?

Réponse. — a. Il y a avantage et non inconvénient à enrichir nos connaissances par le témoignage des autres ; ce n’est pas là un asservissement, mais une conquête ; le développement de notre vie mentale et sociale est à ce prix. Il en sera donc de même du témoignage de Dieu, qui n’est pas plus extrinsèque que celui des hommes.

b. Tout ce que l’on peut raisonnablement demander ici, en fait d’immanence et d’autonomie (au sens large du mot), c’est d’abord : a. qu'à l'égard de l’enseignement de l’homme par la divinité, il y ait dans la nature humaine une aspiration, un désir conditionnel : si Dieu veut bien le lui donner. Or, cette aspiration ne manque pas. Puisque la raison naturelle, ainsi que nous l’avons montré, voit elle-même la convenance et l’utilité d’un témoignage divin, et d’une religion plus parfaite fondée sur ce témoignage, il est naturel à la volonté de le désirer du moins conditionnellement ; tout objet qui apparaît à l’homme comme convenable ou utile est de nature à exciter son désir. Bien que surnaturel, le témoignage divin ne peut donc se comparer à une pierre qui tomberait dans l’organisme vivant comme quelque chose d’indésirable et d’absolument étranger. — Ce que l’on peut encore raisonnablement demander, c’est f5. que toute vérité, pour devenir notre vérité, soit vérifiée et contrôlée par notre raison individuelle. Mais c’est précisément ce qui se passe avant la foi chrétienne ; car nous n’admettons pas les vérités de foi sans aucune garantie, comme, le voulait Guillaume de Paris, et simplement parce que le plus puissant des rois nous les impose, mais nous les admettons sur la garantie intellectuelle de sa science et de sa véracité, et après avoir constaté par des preuves suffisantes qu’il a parlé, que telle doctrine transmise par un intermédiaire humain est bien sa doctrine, sa pensée, son témoignage. Voir plus loin, VI. Dans ces conditions, personne ne peut se plaindre qu’il y ait en nous une importation » du dehors, comme dit M. Wcliiié, lequel ajoute fort bien : De donner à entendre que cette nouveauté ne nous apporte rien de nouveau… ou que, n'étant pas de nous, elle ne peut être pour nous et réclamer droit de cité chez nous, c’est ce qu’on ne pourra jamais laisser dire sans protester, C’est ce CjUl dépasserait certainement la limite quc la raison et la fol interdisent également de franchir. »

Revue biblique, juillet 1905, p. 332. Voir Immanenci.

IV. Quelle révélation la foi suppose, — Le

concept de la révélation est tellement lié à celui de la

foi que le second ne peut être expliqué sans le premier, et d’autre pari Vient restreindre et limiter le

premier. Dans une question aussi difficile et aussi embrouillée de systèmes hétérodoxes, nous suivrons

l’ordre qui nous paraît le plus méthodique : 1° cou

cepl chrétien de cette révélation qui est à la base de

l’acte de f ( i ; 'J des Systèmes qui ont donné

pour base a la foi chrétienne la révélation naturelle. 12 : 3

FOI

124

sous diverses formes ; 3e insuffisance de cette base ; 4° suffisance de la révélation « médiate » ; 5° rapport des révélations « privées » avec la foi chrétienne.

1° Concept chrétien de cette révélation qui est à la base de l’acte de foi : la révélation-témoignage. — Des preuves nombreuses, scripturaires et patristiques, que nous venons de donner, il résulte incontestablement que tout acte de foi chrétienne doit être basé sur un témoignage de Dieu, témoignage dont l’autorité infaillible est le motif de notre foi.

Mais au mot « témoignage » les théologiens scolastiques ont presque substitué celui de « révélation » . Saint Thomas emploie les deux. Pour dire que Dieu se révèle surtout lui-même, bien que révélant aussi des objets accessoires, il dira : Ipsa (Veritas Prima) principaliter de se testificatur. Quæst. disp., De veritale, q. xiv, a. 8, ad 9um. « Aux objets qui dépassent notre intelligence, dira-t-il encore, nous ne pouvons donner notre assentiment qu'à cause du témoignage d’un autre, propter testimonium alienum, et c’est là proprement croire, » a. 9. Mais il dira aussi : « La foi dont nous parlons ne donne jamais son assentiment à un objet, que parce qu’il a été révélé de Dieu, » quia est a Deo revelatum. Sum. theol., Hall*, q. i, a. 1. Si, peu à peu, l’usage du terme « révélation » s’est généralisé en théologie, c’est pure affaire de mot ; les théologiens, en traitant de la foi, ont toujours entendu par « révélation » le témoignage de Dieu ; de là leur insistance sur la « véracité » divine, qualité qui appartient essentiellement à la valeur du témoin et du témoignage ; de là cet emploi resté classique du verbe testari dans les locutions et les thèses, comme evidenlia in attestante, Dcus falsa iestari nequit. Parfois même ils nous avertissent explicitement que chez eux « révélation » signifie témoignage ; ainsi Lugo : « Nous parlons de la révélation, non pas selon toute l'étendue de ce terme, mais selon qu’il équivaut à un témoignage. » De fide, dist. I, n. 197, Opéra, Paris, 1891, t. i, p. 102. Il faut bien reconnaître que le mot « révélation » est par lui-même plus étendu et plus vague ; Dieu se révèle à nous par tous les moyens que nous avons de le connaître : par la nature, par la grâce et par la gloire. Sur cette triple révélation, voir Scheeben, Dogmatique, trad. franc., 1877, t. i, c. i, p. 12 sq., 20, 24 sq. Dans le Nouveau Testament, le mot à710y.âÀuliç, révélation, signifie souvent l’apparition du Christ au dernier jugement, ou la révélation céleste de la vision béatifique, la plus splendide des révélations ; ainsi Rom., ii, 5 ; viii, 19 ; I Cor., i, 7 ; I Pet., i, 57 ; iv, 13. Et cependant la révélation directe et éblouissante de la gloire n’a rien de semblable à la voie indirecte du témoignage ; le mot « révélation » s'étend donc plus loin que le mot « témoignage » , et est moins déterminé. Il peut aussi, dans l'Écriture, signifier la révélation surnaturelle d’icibas, qui fait appel à la foi : et alors il est synonyme de « témoignage » ; ainsi dans Luc, ii, 32 ; Matth., xi, 25-27 ; xvi, 17 ; Gal., i, 12, sans parler de « l’apocalypse » de saint Jean. Apoc, i, 1. En somme, le mot « révélation » se prête par lui-même à plusieurs sens : et nous verrons que les systèmes hétérodoxes ont abusé de cette ambiguïté : raison de plus pour insister sur cette vérité trop peu remarquée d’un certain nombre de catholiques de nos jours, que la « révélation » qui est à la base de la foi chrétienne se distingue par ce qu’elle est un témoignage de Dieu.

Le concile du "Vatican emploie toujours le mot « révélation » , car les conciles suivent le style qui a prévalu en théologie, mais il a soin de l’expliquer dans le sens d’un témoignage de Dieu, lorsque, développant l’autorité de cette révélation, auctorilas Dei revelanlis, il l’explique par les deux qualités classiques d’un bon témoin : qui nec falli nec fallere potest. Voir col. 116. Depuis le concile, les modernistes, à la suite des pro testants libéraux, ont fait grand abus du mot « révélation » dans ses rapports avec la foi : aussi l'Église a-t-elle vu la nécessité d’expliquer ce mot encore davantage. Dans la définition de la foi, à l’endroit où le Vatican avait dit brièvement : a (Deo) revelata, vera esse credimus…, la profession de foi de Pie X contre le modernisme insiste en ces termes : Quse aDeo personali creatore ac domino noslro, dicta, testala et revelata sunt, vera esse credimus… Ici le mot revelata, plus en usage aujourd’hui, mais plus vague, est précisé par les mots explicatifs dicta, lestala, qui le ramènent à l’idée de « chose attestée » , objet d’un « témoignage » . Comme une nappe d’eau se resserre pour entrer dans un canal, ainsi ce concept large et flottant de révélation ne peut donc entrer dans l’acte de foi sans se restreindre, sans se ramener au concept très net de témoignage. C’est là une vérité féconde en importantes conséquences, dont nous signalerons les principales. On y verra que les erreurs du modernisme viennent de ce qu’on n’a pas compris cette vérité. Mais l’erreur une fois admise sur un point aussi capital conduit aux abîmes. Avant même sa séparation extérieure de l'Église, Tyrrel écrivait à son confident : « Ce n’est pas, comme (ces théologiens) le supposent, sur un ou deux articles du symbole que nous différons ; les articles, nous les acceptons tous ; mais ce qui est en jeu, c’est le mot credo, c’est le sens du mot vrai quand on l’applique au dogme, c’est toute la valeur de la révélation. » Lettre au baron F. von Hugel, 30 septembre 1904, Miss Petre, Life of G. Tyrrel, Londres, 1912, t. ii, p. 197.

i re conséquence : la révélation corrélative à l’acte de foi ne doit pas nécessairement contenir du nouveau, de l’imprévu. C’est un témoignage : or, la même chose peut être utilement attestée par plusieurs témoins ; ainsi une même vérité aura été attestée par un prophète, puis par le Christ ; elle n'était plus nouvelle à la seconde révélation, peut-être pas même à la première, s’il s’agit d’une vérité accessible à la raison naturelle, Denzinger, n. 1786 ; on pouvait cependant faire alors un acte de foi sur la parole du Christ, c’està-dire sur une révélation qui n’apportait pas du nouveau. La nouveauté, l’inédit, n’est pas un élément essentiel du témoignage ; et quand même cet élément serait suggéré par l'étymologie du mot « révéler » , dévoiler, l’usage d’un mot s'écarte souvent de son étymologie ; et quoi qu’il en soit de la révélation dans certains sens de ce mot, nous ne nous occupons ici que de la révélation-témoignage. Certaines définitions de la révélation ne valent donc rien sur le terrain de la foi.qui peuvent être bonnes sur un autre terrain, par exemple, sur celui de l’inspiration de l'Écriture, où l’on a coutume d’opposer, dans l’hagiographe, 1' « inspiration » et la « révélation » , prise dans un sens particulier. Telle cette définition d’un exégète ancien : Ea proprie dicta videtur revelatio, qua res abstrusee omninoque velatæ palefiunt et revelantur. Serarius, Prolegomena biblica, Mayence, 1612, c. iv, q. iv. Et celle-ci d’un exégète moderne : « La révélation, dans le sens propre, est la manifestation surnaturelle d’une vérité jusqu’alors inconnue à celui à qui elle est manifestée. Ainsi, c’est par révélation que les prophètes ont connu l’avenir, » etc. Vigouroux, Manuel biblique, Ancien Testament, 11e édit., Paris, 1904, t. i, n. 11, p. 44. Quant à nous, comme notre sujet l’exige, nous nous en tenons exclusivement à la théorie de la révélation en tant que corrélative à la foi, et nous renvoyons, pour les autres sens du mot, comme aussi pour la possibilité, la nécessité morale et les critères de la révélation, pour le développement historique de la révélation dans le monde, à l’art. Révélation. Le préjugé, assez répandu, que toute révélation divine, pour être telle, doit apporter au monde de l’inconnu, du neuf, se retrouve, par exemple, dans ces

lignes d’un moderniste : « Le fait que dix siècles peut-être avant Moïse… un souverain oriental, Hammourabi, ait donné à son peuple une loi présentant des analogies avec le vieux code juif, et même supérieure en quelques points, diminuait aux yeux des croyants la certitude d’une révélation divine sur le Sinaï. » Houtin, Question biblique au XXe siècle, Paris, 1906, p. 27. Pourquoi voit-on un antagonisme entre ce fait et la certitude d’une révélation sur le Sinaï, sinon parce qu’on imagine dans toute révélation une note essentielle de nouveauté, parce qu’on suppose faussement qu’une législation révélée, pour être révélée, doit être entièrement originale et n’avoir rien de commun avec aucune législation humaine préexistante, même la plus sage ; conception bizarre, qui condamnerait par avance le divin législateur à se priver des plus pratiques et des plus utiles mesures, pour faire de l’inédit à tout prix !

2= conséquence : la révélation corrélative à la foi vient de l’extérieur. C’est un témoignage, et tout témoignage, même celui deDieu, nous vient du dehors, comme nous l’avons montré, col. 122. De là ces expressions de Pie X, externa revelalio, dans l’encyclique Pascendi, Denzinger, n. 2072, 2074 ; veritas extrinsecus accepta ex audilu, dans le serment. Voir col. 84. M. Loisy y a trouvé à redire : « Quant à la révélation extérieure que l’on accuse aussi les modernistes de supprimer, c’est peut-être la première fois que, dans un document officiel de l'Église, on en proclame l’existence et la nécessité. Le concile du Vatican parle des preuves extérieures de la révélation, mais il ne dit pas que la révélation elle-même soit extérieure. » Simples réflexions… sur l’encyclique, Paris, 1908, p. 149. Que le mot soit nouveau ou non, la chose a été de tout temps dans la tradition catholique ; le concile du Vatican n’a pas eu à la proclamer distinctement, pour la bonne raison que de son temps le modernisme n’existait pas ; à de nouvelles hérésies il faut opposer de nouvelles précisions et de nouvelles formules. La révélation, lors même qu’elle se fait au dedans, est extérieure, mais seulement dans son origine : c’est ce qu’explique le mot veritas extrinsecus accepta. A moins d'être panthéiste, il faut bien reconnaître que Dieu est distinct de nous, et que ce qui lent uniquement de lui (par exemple, son témoignage, revêtu de sa divine autorité) ne. vient nullement de nous, d’une poussée du dedans, et donc vient du dehors. Du reste, la révélation n’est pas dite « extérieure » en ce sens qu’elle apporterait absolument tout du dehors. Comme l’architecte qui vient bâtir près d’une carrière trouve sur place les matériaux. mais apporte du dehors son idée, son plan, ses ouVriers, en sorte que l'édifice lui-même est pour le pays chose nouvelle et qui vient du dehors : ainsi le témoitîna^c divin, pour entrer dans notre esprit, y prend des concepts préexistants, détachés les uns des autres, qui ne sont pas une vérité, car la vérité pour l’homme n’est pas dan s de s concepts disjoints, mais dans leur synthèse constructive, dans un énoncé. Par exemple, ci - idi éparses : Dieu, voir, destinée ne formaient pas une vérité. Quand nous recevons « il énoncé : i Voir Dieu est notre destinée, i quand nous le recevons appuyé sur la garantie divine qui fait toute la force de cette construction, nous avons une vérité nouvelle, el qui nous vient du dehors comme cette garantie elle même : veritas exlrinsecus accepta. Il en terail de mi me dans le témoignage humain. Voli Éludes du 20 avril 1908, p. 17(isq.

Ainsi 1, 1 révélation n’est pa. comme le voudraient

'.mis libéraux et les modernistes un simple

produil de l’esprit qui en est favorisé, mais elle lui

du dehors. C’est sans doute pour mieux Incul quci aux hommes cette vérité capitale sous di [ormes

sensibles et frappantes que Dieu n’a pas toujours choisi le mode de révélation qui paraît à première vue le plus simple, et qui consiste à produire directement la révélation dans l'âme de ses prophètes, mais qu’il a souvent préféré l’emploi de causes intermédiaires pour accentuer le caractère extrinsèque de la révélation, en leur faisant arriver son message par le monde extérieur. Dans la Bible, parfois le prophète, comme Jeanne d’Arc, entend « des voix ".Ainsi Samuel enfant, et n’ayant pas reçu encore de révélations, est réveillé par un appel qu’il prend pour celui du grand-prêtre, le seul être humain qui fût à sa portée ; désabusé par le grand-prêtre lui-même, il ne peut s’empêcher de revenir vers lui quand le phénomène se reproduit ; enfin la voix en dit davantage, et il reçoit d’elle la terrible prophétie sur Héli et ses fils. I Reg., iii, 4 sq. Une voix miraculeuse apporte aussi le témoignage de Dieu dans le Nouveau Testament. Marc, i, 11 ; Matth., xvii, 5 ; Joa., xii, 28 ; Act., ix, 4. Les apparitions d’anges, qui conversent avec les hommes, sont dans l'Écriture la voie la plus ordinaire des révélations divines. Admettre que la forme visible prise par ces anges était vraiment située dans le monde extérieur et tombait sous les sens, que leurs paroles étaient vraiment prononcées, et que tout ne se réduisait pas à une sorte d’hallucination surnaturelle, c’est admettre une chose très possible en soi, très convenable a la nature de l’homme, et qui ressort du récit des Livres saints qu’il n’y a pas à torturer. Le rationalisme est dans son rôle, quand il regarde a priori ces explications de la révélation comme absurdes, et l’existence même des anges comme impossible, sans pouvoir d’ailleurs aucunement prouver cette impossibilité ; la raison philosophique, elle-même ne voit-elle pas la convenance qu’il y ait, entre Dieu et notre pauvre intelligence liée à la chair, ce degré angélique dans l'échelle des êtres, et la négation des esprits n’cst-elle pas plutôt le fait d’un matérialisme grossier, qui n’est même plus à la mode ? Et puis, qu’est-ce que cette méthode a priori ! Mais du moins, que le rationalisme ne vienne pas avec M. Loisy nous parler du « Dieu anthropomorphe » de l’encyclique, ni tourner en ridicule « les conversations de l'Éternel avec Abraham. » Simples rèpexions, p. 56, 149. Ce n’est en aucune façon admettre un Dieu anthropomorphe, que d’admettre un ange apparaissant visiblement a Abraham, seul ou avec deux compagnons, et représentant « le Seigneur » , dont il prend liai fois le nom dans la Bible parce qu’il le représente. Mais ce qui est plus regrettable, c’est que des catholiques, effrayés par ce vain épouvantai] d' « anthropomorphisme » , étourdis par ce grand mot grec, abandonnent le sens naturel et l’exégèse traditionnelle des Livres saints. Ne voient-ils pas qu’ils diminuent la révélation ? Ce n’est pas sans motif que Dieu lui a donné un appareil extérieur fortement marqué, pour faire mieux saisir à tous qu’elle vient du dehors. qu’elle n’est pas une simple évolution de notre nature intellectuelle, mais un don transcendant, un témoignage divin s’adressanl à la foi. Ne voient-ils pas qu’ils font le jeu du modernisme, qui ne ramène la révélation à l’intérieur de l'âme que pour arriver plus facilement à tout expliquer par l’immanence, par la poussée du

dedans, et qui aime a pêcher, dans l’eau trouble du subconscient, des faits anormaux et des phénomènes mystiques ?

.?' conséquence : la révélai ion corrélative à la foi,

quand elle se passe tout entière à l’intérieur de l’Ame,

.nsiste pas seulement en ce que Dieu, par une opération surnaturelle, fait produire à l’intelligence

un énoncé el lui montre une véiité : il faut qu’il fasse Volt en même temps par la même action surnaturelle [ce qui d’ailleurs ne lui conte pas davantage) « pie Cet

énoncé exprime sa pensée à lui, qu’il s’en porte garant ;

il faut que la vérité de cet énoncé apparaisse connue reposant sur le témoignage divin. Sans cela, l'âme ne recevrait pas le témoignage de Dieu, et, tout en admettant le vrai, ne l’admettrait pas par un acte de foi ; Dieu lui ferait voir une chose, mais ne lui ferait pas voir sa pensée sur cette chose, et par conséquent ne lui parlerait même pas, puisque la parole consiste essentiellement à exprimer la pensée, comme dit saint Thomas : Nihil est aliud loqui ad allerum, quam conceptum mentis alteri manifestare. Snm. theol., I a, q. evu, a. 1. Et quand même la parole pourrait consister parfois à montrer des objets sans montrer sa pensée, en tout cas, le témoignage ne le pourrait certainement pas ; or, la révélation qui est à la base de la foi n’est pas seulement une parole, mais un témoignage. Mais si Dieu, par son opération surnaturelle dans l'âme, en lui faisant porter un jugement sur un objet, lui donne l’assurance que ce jugement représente la pensée de Dieu même sur cet objet, et, lui rappelant l’infaillibilité de la pensée divine, fait ainsi appel à sa foi, alors, bien que l’oreille du corps ne perçoive aucun son, la vérité reçue peut encore être dite accepta ex auditu, cf. S. Thomas, Sum. theol., II a II B, q. v, a. 1, ad 3um ; l'âme entend à sa manière Dieu parler, témoigner, et c’est grâce à la parole et au témoignage de Dieu qu’elle accepte cette conception des choses comme vraie, si elle l’accepte ; et ainsi peut se faire un acte de foi divine. — Sur ces conditions requises pour qu’une action surnaturelle de Dieu dans l'âme soit au sens propre une parole de Dieu, un témoignage de Dieu, voir Lugo, De fide, dist. I, n. 197, p. 101. Il y fait observer, par exemple, que la science infuse peut bien être regardée en quelque sorte comme une « révélation » , à cause du sens très ample de ce mot : Quæ cognoscerel per scientiam infusam, aliquo modo diceretur scire per revelationem ; mais ce n’est pas la révélation corrélative à la foi, suffisante à l’acte de foi ; et pourquoi ? parce que ce n’est pas une parole de Dieu. Pour qu’il y ait parole, il faut que l’on tende directement à manifester sa pensée ; or Dieu, en opérant surnaturellement dans l’intelligence d’Adam, par exemple, dès le premier instant de sa création, en lui donnant un ensemble de connaissances qui convenait à sa situation, en mettant dans son âme et dans son cerveau les modifications que, suivant les lois du développement psychologique ordinaire, il aurait mis bien du temps à acquérir, en lui donnant ainsi une science infuse, avait simplement l’intention de l’empêcher de traîner une misérable existence, contraire à son heureuse destinée, et non pas l’intention de lui manifester par ces connaissances sa propre pensée, l’intention de lui parler. Voir Adam, t. i, col. 370, 371. Dès lors que ce n'était pas là une parole de Dieu, la question de véracité divine ne se posait même pas, non est veracitas nisi in locutione, la véracité n’est-elle pas une conformité de la parole avec la pensée ? Ce n’est donc pas sur la véracité divine qu’Adam appuyait alors sa certitude ; il admettait simplement les objets de sa science infuse parce qu’il les voyait ainsi ; il n’y avait alors ni témoignage du côté de Dieu ni foi du côté de l’homme : ad objectum fidei requiritur locutio Dei, quia fundatur in veracilate Dei. Lugo, loc. cit. Qu’il y ait eu par ailleurs de véritables témoignages de Dieu donnés au premier homme, nous n’avons garde de le nier, mais c'était alors quelque chose de très différent de la science infuse.

Il ne suffit donc pas, pour expliquer la révélation corrélative à la foi, de décrire les opérations surnaturelles par lesquelles Dieu peut amener intérieurement un prophète à former un jugement, comme les a décrites, d’après saint Thomas, le P. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, leçon il, La révélation, n. 3, Paris, 1910, p. 57 sq. Il faut encore, si l’on veut que

Dieu parle à ce prophète, ou nous parle par son intermédiaire, et que ce prophète puisse affirmer comme dans l'Écriture : Hœc dicit Dominus, il faut que Dieu lui fasse connaître son intention de manifester sa pensée sur les choses, qu’il interpose son témoignage et sa véracité divine, qu’il fasse appel à la foi ou du prophète ou du moins de ceux à qui il l’envoie. Si saint Thomas lui-même ne met pas ce point délicat plus en relief dans ses questions sur la prophétie, c’est qu’alors il ne restreint pas son étude, comme nous, à cette révélation qui est à la base de l’acte de foi divine, et qu’il traite du charisme prophétique dans toute son ampleur. « La révélation prophétique, dit-il, s'étend soit aux futurs événements humains, soit aux choses divines ; et non seulement aux choses divines qui sont l’objet de notre foi, mais encore à d’autres mystères plus relevés communiqués aux parfaits » (dans les phénomènes de la mystique). Il ajoute que cette révélation dont il parle renferme le discernement des esprits, ce don surnaturel qui, dans les pensées se présentant aux âmes pieuses, leur fait distinguer (sinon avec certitude, du moins avec probabilité, et sans pouvoir faire là-dessus un acte de foi) ce qui est inspiration des bons anges et illusion du démon. Sum. theol., II a II æ, q. clxxi, préface avant l’art. 1. On voit que plusieurs des formes de la « révélation prophétique » dont parle saint Thomas sont, par défaut de certitude, insuffisantes à fonder un acte de foi divine. Lui-même le fait remarquer à propos de cette forme qu’il appelle 1' « instinct » prophétique. Avec ce don, le prophète « parfois ne peut pas pleinement discerner si sa pensée vient d’un instinct divin, ou de son esprit propre. » Au contraire, quand par le canal d’une révélation prophétique Dieu veut adresser la parole aux hommes et faire appel à leur foi, alors « le prophète a une très grande certitude qu’il se passe en lui une révélation divine…, autrement, s’il n’en avait pas lui-même la certitude, la foi (chrétienne), qui s’appuie sur les paroles des prophètes, ne serait pas certaine, » a. 5. Si elle n'était pas certaine, elle ne serait pas la foi ; Dieu se contredirait voulant la foi et n’en donnant pas les moyens. Du reste, Dieu, par ces révélations dont parle saint Thomas et qui sont de toute sorte, souvent ne se propose pas d’obtenir l’acte de foi, mais seulement d'édairer l'âme d’une demilumière, de la consoler ou de l'éprouver, comme il arrive dans les voies extraordinaires des mystiques. Et même quand la révélation prophétique est destinée à amener les autres à la fei, il n’est pas toujours nécessaire que le prophète paisse faire lui-même un acte de foi sur ce qu’il annonce ; peut-être la connaissance prophétique, intellectuellement plus parfaite, remplacerat-elle pour lui sur ce point la connaissance de foi. Nous voyons une chose semblable dans les anges, quand Dieu les envoie et par eux fait appel à la foi des hommes ; l’ange Gabriel fait appel à la foi de Marie, mais lui-même ne peut faire un acte de foi ; n’est-il pas dans l'état de béatitude où la foi n’existe plus, et ce qu’il annonce, ne le voit-il pas dans la suprême révélation de la vision intuitive de Dieu, et non dans l’obscurité d’un témoignage divin et d’un acte de foi ?

Cette supposition de Tyrrel n’est donc pas vraie dans sa généralité : o Je présume que ceux qui reçoivent les premiers une révélation divine sont capables de foi dans toute l’acception du mot, bien qu’ils aient pu acquérir la vérité sine prædicanie, par une vision intérieure. » Dans la Revue pratique d’apologétique, 15 juillet 1907, p. 501. Tyrrel ne dit cela que pour arriver à baser toujours la foi sur une vision intérieure, sur une expérience mystique, et finalement à la confondre avec cette expérience. Aussi ajoute-t-il (afin d'écarter toute révélation autre qu’une vision inté

rieure) qu’il ne faut pas imaginer ce don de la révélation « comme venant d’un dehors local ou spatial, à la manière d’un message qui nous arriverait par les sens externes, » et il se moque de la révélation « qui se fait entendre du haut des nuages. » Loc. cil. Puis il ajoute sans aucune preuve : « La révélation vient du dedans ; elle est individuelle et incommunicable. » Recevoir par l’intermédiaire de l'Église la doctrine, que Dieu a révélée autrefois, ce n’est donc pas recevoir la révélation corrélative à la foi ; pour lui, cette révélation est exclusivement intérieure et incommunicable : « On peut admettre intellectuellement toute la doctrine apologétique et théologique de l'Église, et néanmoins par manque de cette révélation intérieure, n’avoir pas plus de foi qu’un chien. » Loc. cit., p. 502. Ces aberrations montrent le danger qu’il y a à ramener la révélation à un prophétisme tout intérieur et à une communication de Dieu à l'âme sans aucun intermédiaire, ce que u’a pas fait saint Thomas dans ses questions sur la prophétie, puisqu’il a un article pour affirmer que la révélation prophétique se fait par les anges, q. clxxii, a. 2. Elles montrent aussi le danger qu’il y a à ne pas prendre la révélation corrélative à la foi pour ce qu’elle est, c’est-à-dire pour un témoignage de Dieu. Si Tyrrel avait compris qu’elle est un témoignage, il n’aurait pas dit qu’elle « vient du dedans » , ni qu’elle est « incommunicable » . Un témoignage est si bien communicable par la parole ou l'écriture que toute l’histoire est fondée sur d’anciens témoignages, transmis par l’historien qui les a recueillis. Si la révélation corrélative à la foi est un témoignage de Dieu, je puis, grâce à une transmission historique, la recevoir aujourd’hui, sans aucune « vision intérieure » et faire sur cette révélation un acte de foi. Mais, dit Tyrrel, vous ne pouvez faire un acte de foi, d’après les Pères, sans un pius credulilalis affectas, sans une « illumination surnaturelle » . Loc. cit., p. 503. C’est vrai : il faut la grâce de Dieu pour faire un acte de foi ; mais cette grâce n’est nullement une révélation, comme vous le dites ; cette grâce est invisible, indiscernable, du moins ordinairement ; ce n’est donc pas une « vision intérieure » , encore moins un témoignage de Dieu. J’y trouve un secours pour agir, et non pas une raison de croire ni surtout un motif où intervienne la véracité de Dieu. La révélation sur laquelle est basée la foi, étant un témoignage où la véracité de Dieu est engagée, ne peut donc aucunement consister dans le pius credulilalis af/cclus ou désir de croire, ni dans cette illuminalio Spirilus Sancti ou ins pi ratio qui doit précéder non seulement l’acte de foi, mais encore tous les actes salutaires, tous les actes méritoires des fidèles, d’après le concile d’Orange, eau. 7, Denzinger, n. 180, et celui de Trente, sess. VI, can. 3. Denzinger, n. 813. Nous n’avons pourtant pas une révélation, < Inique fois que nous faisons une lionne action, méritoire devant Dieu ! Reste donc que cette révélation sur laquelle est basée notre foi consiste Uniquement dans ce1 ancien témoignage de Dieu, historiquement transmis jusqu'à nous, lequel nous recevons par la foi sans aucune ision. mis aucun phénomène extraordinaire comme ceux des prophètes et des mystii Cf. Études du.') avril 1908, p. 39-41.

i* conséquence : la révélation corrélative a la foi contient dis énoncés, des affirmations divines, i énoncés sont l’objet direct de notre foi. Dans tout e, l’objel attesté, l’objet que l’on croit sur l.i parole du témoin ou di i émoins, c’i il ; ment un énon< é, une formule, une proposition : J’ai vu commettre tel meurtre. Les sources du Nil tel endroit. Donc la révélation qui s’adresse à notre foi, et notre fol elle-même, cet deux cho et corréla. doivent avoir pour objet dlred un énoncé

COmn le tés ; nous ressusciterons. »

DICT, DE Tlli’oi. CATIIOI.

C’est pourquoi le verbe « croire » dans l'Écriture a souvent pour complément grammatical une proposition, bien que cette proposition puisse ailleurs être brièvement rendue par des équivalents plus vagues. Voir col. 63. Dieu témoigne : c’est un jugement tout fait qui nous arrive, un énoncé sur les choses de ce monde ou celles de l’autre vie ; à ce jugement nous conformons le nôtre, nous acceptons les vues de Dieu, nous croyons ce qu’il dit parce que c’est lui qui le dit, voilà la foi. Les protestants antidogmatiques et agno tiques, et après eux les modernistes, ont donc tort de dire que la foi chrétienne a pour objet la chose en soi et non la formule, laquelle ne serait qu’un produit de notre esprit, un pur symbole de l’inconnaissable ; c’est à cet inconnaissable seul que tendrait notre foi, c’est lui seul qui serait vaguement révélé. « C’est des choses qu’il y a révélation, dit Tyrrel, et non de mots ou de symboles de choses. » Loc. cit., p. 501. Non, la formule même, que vous appelez « symbole de chose >, appartient au donné révélé ; c’est bien sur la formule, sur l'énoncé, que portent et la révélation divine et notre foi. Quant à la chose en soi, elle aussi est objet de révélation et de foi, mais moins directement, et par l’intermédiaire de l'énoncé que Dieu nous a donné ; c’est à elle comme à un dernier terme que la formule nous conduit, mais en nous la faisant connaître, et non pas en nous donnant un pur symbole d’une chose inconnaissable. « Si nous formons des énoncés, cnunliabilia, dit saint Thomas, ce n’est que pour connaître par eux les choses elles-mêmes, qu’il s’agisse de la science ou de la foi. » Sum. theol., II » II a >, q. i, a. 2, ad 2°'". L'énoncé n'étant qu’un moyen d’atteindre la chose en soi, dernier terme de l’intellect, on peut réserver à celle-ci le nom d' « objet de la foi » à un titre spécial. Mais il ne faudrait pas avoir l’air d’exclure les énoncés, en disant, par exemple : « Les propositions de la foi ne sont pas l’objet de la foi, » do m A. Lefebvre, L’acte de foi d’après la doctrine de S. Thomas, 2e édit., 1904, p. 276, ce qui ne pourrait se justifier que par une figure de style, une antonomase, dont le sens serait : Les propositions de la foi ne sont pas l’objet par excellence de la foi. Or, il est à craindre, surtout à une époque de modernisme, quc ce style figuré ne soit mal compris, et ne donne lieu à une exclusion erronée. Et saint Thomas dit formellement : Objectant fidei duplicilcr considerari potest. Uno modo… est aliquid incomplcxiun. sciliect rcs ipsa de qua /iiles habetur. Alio moi objectant jidci est aliquid complexum per modum enunliabilis. Sum. theol., II » II", q. i, a. 2. Et ailleurs : Alii dixerunt quod… fides non est de enuntiabili, sed de rc… Sc<l hoc falsum apparet : quia cum creden dical assensum, itoit potest esse nisi de compositions, in qua verunt et falsum inveniiur. Qumsi. disp., /)< veritate, q. auv, a. 12. Croire ne peut porter que sur un énoncé, sur cette synthèse du sujet et de l’attribut que saint Thomas appelle Compositio. Il n’est d’ailleurs pas exact de donner seulement i les cho comme objet aux sciences : les sciences physiques et

mathématiques n’ont-elles pas pour objet direct les lois qui sont des énoncés, les théorèmes, les Formules algébriques, etc.'.' Tout cela a une vraie valoir ol lire, en restant mêlé île subjectif, Car l'énoncé plus

ou moins complexe, comme le remarque s. mit Tho

mas, est pour L’homme si manière SUbje< tive et nécessaire de connaître les réalités, même la réalité divine parfaitement simple. Loc, cit. La révélation d’ic s’adapte à cette manière de connaître ; la vision intuitive de Dieu n’ama plus besoin de cet Intermédiaire d.- la formule, i Dana la vision de la patrie, ajoute i n. nous verrons Dieu comme il est en lui-même. I Joa.,

Ill, 2. Aussi (elle vision ne se fera point par manière d'énoncé, mail par manière de simple Intelligence.

Mais la foi ne saisit p ; is Dieu, Vérité pn ml< n.. omine

M. - :.

il est en lui-même ; on ne peut donc, de ce qui se passe dans la vision, conclure à ce qui se passe dans la foi. » Sum. tlieol., IMI*, q. i, a. 2, ad 3° m. Ainsi la révélation céleste diffère de la révélation terrestre objet de notre foi ; la première, du reste, n’est pas un témoignage comme la seconde. Ces lignes écrites, nous avons retrouvé une semblable critique de ce passage de dom Lefebvre chez le professeur Bartmann, de Paderborn, Lehrbuch der Dogmatik, Fribourg-en-Brisgau, 1911, Introduction, c. ii, § 10, n. 2, p. 56.

La foi chrétienne ne traite donc pas toute formule en simple accessoire plus ou moins utile, mais elle adhère à certains énoncés, comme à son objet propre et direct, parce qu’ils sont révélés ; et Pie X a condamné cette théorie symboliste et moderniste : « Le croyant ne doit point adhérer précisément à la formule, en tant que formule, mais en user purement pour atteindre à la vérité absolue, que la formule… fait effort pour exprimer, sans y parvenir jamais… Le croyant doit employer ces formules dans la mesure où elles peuvent lui servir, » etc. Encyclique Pascendi, édit. des Questions actuelles, p. 27 ; Denzinger, n. 2087. Erreur des plus graves, soit en elle-même, soit à cause de ses conséquences, qui sont la fausse évolution et le mépris des dogmes : « Ainsi est ouverte la voie à la variation substantielle des dogmes. Étant donné le caractère si précaire et si instable des formules dogmatiques, on comprend à merveille que les modernistes les aient en si mince estime, s’ils ne les méprisent ouvertement. » Op. « '/., p.l7 ; Denzinger, n. 2079, 2080. Ces passages de l’encyclique visent spécialement M. Loisy, qui avait écrit : « Le fidèle adhère d’intention à la vérité pleine et absolue que figure la formule imparfaite et relative. Adhérer à la formule comme telle, d’un assentiment de foi divine, serait adhérer à ses imperfections inévitables, la proclamer imperfectible et adéquate, bien qu’elle soit inadéquate et imparfaite. » Autour d’un petit livre, 1904, p. 206. Il ajoute, après l’encyclique : « "Va-t-on maintenant enseigner que l’on doit croire à la formule comme telle, en la tenant pour la perfection de la vérité même, en sorte que celui qui en entend la signilication verbale participe directement et pleinement à la science de Dieu ? » Simples réflexions sur l’encyclique, 1908, p. 177. On voit ici que M. Loisy n’avait pas l’idée de ce qu’est « l’assentiment de foi divine » , dont il parlait. S’il avait compris ce terme théologique, s’il avait réfléchi que c’est pour les catholiques un assentiment intellectuel basé sur un témoignage de Dieu, il aurait vu que, tout témoignage se faisant par manière d'énoncé, c’est à cet énoncé comme tel qu’adhèrent ceux qui croient sur la parole du témoin ; ils y adhèrent, c’est-à-dire ils le tiennent pour vrai, sans pour cela prétendre « participer directement et pleinement à la science de Dieu. » Quand on ne connaît que par témoignage, on ne participe jamais que partiellement et indirectement à la science et à l’expérience personnelle du témoin. Un savant célèbre atteste qu’il a fait telle expérience, répétée dans différentes conditions, et qu’il est arrivé à une loi physique exprimée par telle formule ; le public adhère à la formule sans prétendre par là « participer directement et pleinement à la science » de celui dont l’autorité, sans autre preuve, lui fait admettre cette formule, cet énoncé ; et il sait bien que la science humaine est perfectible, que là même où elle est sans erreur elle n’est pas sans lacunes, que ses formules les plus vraies sont « inadéquates » parce qu’elles ne disent pas tout sur la réalité ; et nous en disons autant des énoncés de la révélation, tout en adhérant à leur vérité. Qu’est-ce enfin que cette « adhésion d’intention » donnée par M. Loisy « à la vérité pleine et absolue que figure la formule, » à la « réalité de l’objet » qui reste inconnais sable, sinon un bon vouloir, un acte d’adoration, la « consécration à Dieu » de M. Ménégoz et de ses « fidéistes » , ce vague sentiment par où le modernisme rejoint le protestantisme libéral, et qui, nous l’avons vii, n’est la « foi » ni d’après l'Écriture et les Pères, ni même d’après M. Loisy, qui défend les modernistes d’avoir dit que la foi est purement une émotion, une affection. Voir col. 106.

5e conséquence : les énoncés de la révélation n’ont pas pour caractère essentiel de se réduire à des règles de conduite (comme l’a pensé M. Le Roy, voir Dogme, t. iv, col. 1586). La révélation est un témoignage de Dieu. Parmi les objets que Dieu peut nous attester, il y a sans doute ses volontés souveraines, les préceptes qu’il nous impose, et dans ce cas l'énoncé révélé prend le caractère d’une règle pratique. Mais le témoignage, de sa nature, ne consiste pas à n’attester que des volontés et des préceptes ; le témoignage humain porte même le plus souvent sur des faits qui n’ont rien de commun avec un précepte, ou sur des doctrines spéculatives dont témoignent les savants, et que le public accepte sur leur parole ; de même la révélation chrétienne, outre les préceptes, contient des faits et des doctrines qu’on ne peut, sans la violence d’une exégèse intolérable, transformer en règles pratiques. Par exemple, l'énoncé catégorique : « Jésus est réellement présent dans l’eucharistie » ne peut se réduire à cette règle : « Agissez comme si Jésus était réellement présent dans l’eucharistie. » D’ailleurs V auctoritas Dei revelantis, motif de la foi, ne signifie pas l’autorité du supérieur qui donne des ordres, mais l’autorité du témoin, et par suite la foi n’est pas une simple obéissance de volonté et d’action, mais une croyance. Voir col. 116. Aussi l'Église a-t-elle condamné la proposition suivante : « Les dogmes de la foi sont à retenir seulement dans leur sens pratique, c’est-à-dire comme règle obligatoire de conduite, non comme règle de croyance. » Décret Lamenlabili, prop. 26, DenzingerBannwart, n. 2026.

Le caractère abstrait de certains énoncés révélés, des formules dogmatiques de l'Église qui viennent les préciser et de l'étude théologique qui semble encore les refroidir et les dessécher, ne les empêchent pas d’avoir une influence salutaire et nécessaire sur la vie religieuse du chrétien. « La science théologique, dit Newman, étant l’exercice de l’intellect sur les credenda de la révélation, est dans la nature, est excellente et nécessaire, bien qu’elle ne tende pas directement à la dévotion. Elle est dans la nature, parce que l’intelligence est une de nos plus hautes facultés : excellente, parce que c’est notre devoir de développer nos facultés avec plénitude ; nécessaire, parce que, si nous n’appliquons pas à la vérité révélée notre intellect avec justesse, d’autres y exerceront le leur de travers, » etc. Grammar of assent, Londres, 1895,. I re partie, c. v, § 3, p. 147. La valeur des énoncés dogmatiques abstraits pour atteindre le réel, leur utilité même pour la vie chrétienne et la dévotion, est bien développée contre le modernisme par le P. Chossat, voir Dieu, t. iv, col. 815 sq. ; par le P. de Poulpiquet, Le dogme, Paris, 1912, c. i, p. 27 sq. Diverses objections modernistes contre la part que fait l'Église aux énoncés et aux dogmes ont été réfutées à l’art. Dogme, t. iv, col. 1591-1596.

6e conséquence : les énoncés de la révélation sont immuables ; ils ne peuvent, par l’effet du développement des idées ou par l’action des savants, subir une telle évolution qu’ils arrivent à nier ce qu’ils affirmaient. La révélation est un témoignage de Dieu. Or personne ne peut faire varier le témoignage même faillible d’un autre, ni surtout le faire passer de l’affirmative à la négative. Que dirait-on d’un greffier de tribunal, qui changerait le contenu d’une dépo

sition, sous prétexte de la rapprocher de la vérité telle qu’il l’entend lui-même ? En histoire, le témoignage d’un chroniqueur ou d’un savant d’autrefois doit rester ce qu’il est ; nul n’a le droit de faire dire au témoin autre chose que ce qu’il a dit ; pas même au nom du développement des idées et du progrès des sciences, on n’a le droit de remanier son témoignage, de toucher à son texte authentique et certain. Il se peut parfois qu’une mauvaise copie ou une mauvaise version en ait été adoptée, et que la critique ramène au texte authentique ; il se peut que la pensée soit exprimée d’une manière obscure, et que beaucoup l’aient prise à contre sens ; alors il peut y avoir progrès dans l’intelligence du texte, mais la pensée était dès le commencement telle qu’on la découvre enfin, elle n’a pas changé en elle-même. Si le modernisme avait compris que la révélation est un témoignage, comme le Christ l’a dit lui-même, l'Église n’aurait pas eu besoin de condamner cette proposition : « Le Christ n’a pas enseigné un corps déterminé de doctrine, applicable à tous les temps et à tous les hommes, niais il a plutôt inauguré un certain mouvement religieux adapté ou qui doit être adapté à la diversité des temps et des lieux. » Décret Lamentabili, prop. 59, édit. des Questions actuelles, p. xiii ; Denzinger-Bannwart, n. 2059. Un témoignage n’est pas un mouvement qu’on lance, c’est un monument qu’on pose ; aussi l’on dit : les « monuments » de l’histoire. Lorsque certaines paroles de Dieu sont obscures, l'Église peut en définir le sens ; et quand elle l’a fait, il n’y a pas à lui demander d’adopter ensuite le sens contraire : étant infaillible, elle n’a pu se tromper sur le vrai sens. De là l’immutabilité du « dogme » , c’est-à-dire de l'énoncé fait par l'Église d’une vérité révélée. Le concile du Vatican, à l’occasion des erreurs de Gùnther, avait déjà expliqué tout cela : « La doctrine de foi, que I Heu a révélée, n’a pas été livrée aux hommes comme un système philosophique à perfectionner, mais elle a été confiée à l'épouse du Christ comme un dépôt divin qu’elle devait garder fidèlement et déclarer infailliblement. C’est pourquoi on doit conserver perpétuellement aux dogmes sacrés le sens une fois déclaré pal l'Église, » etc. Sess. III, c. iv, Denzinger-Bannwart, n. 1800. Cf. can. 3, n. 1818. Enfin le serment I' l’ic X contre le modernisme nous fait dire : l’rorsus rcjicio liœrclicum commentum evolutionis dogmatum, ab uno in alitim sensum Iranseunlium, diversum ab eo quem prius habu.it Ecclesia. Voir Aria apos !, , li<{e sedis, Rome, 1910, p. 670 ; Denzingcr, 11e édit., 1911, n. 2115. L’immutabilité, nous l’avons vii, est une propriété absolument nécessaire du témoignage de Dieu, et conséquemment du dogme. On étend parfois cette expression immutabilité du dogme » à une propriété contingente de la révélation chrétienne, et qui n’appartient pas à l’Ancien Testament, mais seulement au Nouveau ; elle consiste en ce que la révélation ne s’augmente plus de nouveaux apports divins, depuis la mort des apôtres ; c’est en ce sens qu’il est parlé de 1' « immutabilité des dogmes » à l’art. DOOME, col. 1599 sq. La mutabilité des formules dogmatiques qu’on y admet, col. 1603 sq., le l’emploi de nouveaux mots, mais ne dit point que N'élise ait jamais contredit réellement ce qu’elle avait énoncé d’abord ; au contraire, on y maintient qu’elle n’a jamais porté aile, nie a l’identité substantielle du dogme, col. 1604.

conséquence : la méthode a suivre, quand on

traite de la révélation dans ses rapports avec la foi. Les nouvelles erreurs onl rendu nécessaire une plus sévère méthode, qui ne se perde pas dans les détails I lain i t insiste sur les points importants. Nous ! Qterons de l’esquisser a grands traits :

a) Avant tout, parmi les nombreux phénoni'

même surnaturels, qui pourraient à la rigueur recevoir le nom de révélation, il faut distinguer et séparer du reste la révélation corrélative à ta foi, celle qui peut suffire d’objet à un acte de foi chrétienne et salutaire ; c’est la Seule que le concile du Vatican entende sous le nom de révélation ; il prend toujours « la révélation > en fonction de la foi. Ne nous noyons donc pas, avec certains modernistes, dans des phénomènes mystiques qui ne peuvent servir de base à la foi, parce qu’ils sont ou apurement émotionnels, ou d’un caractère intellectuel trop vague, sans aucun énoncé, sans aucune certitude, ou enfin d’une origine problématique, et douteusement divine, quoiqu’ils puissent provenir de l’opération surnaturelle de Dieu, qui par eux se propose d’atteindre diverses fins, mais non pas celle de baser un acte de foi.

b) Cette révélation corrélative à la foi, il faut établir qu’elle n’est pas autre chose qu’un témoignage de Dieu et tirer de cette vérité les conséquences principales. Voir plus haut, col. 123 sq.

c) Puisqu’un témoignage est communicable et transmissible, puisque Dieu a voulu que le sien fût communiqué à toutes les générations, '"puisqu’il a a exigé de tous les chrétiens l’acte de foi basé sur ce témoignage même, et ayant pour motif l’autorité du témoin qui ne peut ni se tromper ni nous tromper nous-mêmes nous recevons aujourd’hui une vraie révélation, c’est-à-dire cette révélation -témoignage faite aussi pour nous, et qui nous parvient soit par la voie historique ordinaire, soit surtout par l'Église qui en a la garde. Il paraît donc raisonnable, quand on étudie la révélation corrélative à la foi, de commencer par ce qui nous touche de plus prés, c’est-àdire par la réception en nous de cette ancienne révélation, d’autant plus que c’est le cas "ordinaire pour tous les siècles, le cas vraiment pratique pour la foi. Cette réception, c’est-à-dire l’acceptation de certains énoncés comme autrefois révélés, se fait avec le secours de Dieu, mais ordinairement sans aucun phénomène anormal ou miraculeux, ce qui en simplifie l'étude, et accentue la distinction entre la révélation au sens strict et les voies extraordinaires de la mystique, qui n’ont rien à faire ici. Il faut seulement que l’origine divine de ces énoncés ait été constatée, avant le premier acte de foi : ce qui se fait au moyen des motifs de crédibilité dont nous parlerons plus loin et dont s’occupe l’apologétique.

d) Il faut distinguer soigneusement doux choses : a. le fait de cette origine divine des énoncés chrétiens, suffisamment constaté au moyen des motifs de crédibilité : />. la modalité de ce fait. Cette modalité est chose accidentelle et diverse, et en variant elle ne change rien à l’essentiel de la révélation, ni de l’acte de foi. Dieu nous a parlé par les prophètes et les h

graphes de l’Ancien Testament, par le Christ, par les

apôtres ; quel que soit l’instrument Immain dont il se soit servi, cpie cet instrument soit hypostatiquement uni à la divinité, comme dans le Christ, ou qu’il ne le soit pas. c’est toujours le même témoignage divin, motif unique de la même foi. On peut d’ailleurs être assuré de l’existence d’un fait, sans connaître le mode de sa genèse. Aussi l'étude de la révélation intérieure et immédiate, et de tout ce qui peut se (lasser dans lame du prophète ou île l’hagiographo inspiré, est-elle ici chose secondaire et même négligeable.

Quand nous Ignorerions comment se liassent ces phénomènes internes que nous n’avons jamais expérimentés, ni' nous Suffirait il pas de lavoir que le tout puissant, le créateur de l’intelligence humaine, n’est pas a court de movens pour éclairer intérieurement

un prophète, quand il Le veut ? i t notre ignorance du mode nous empêcherait elle de reconnaître, par les molli, de crédibilité, le fuit hn même, c’est à-dln U

qu’il y a eu révélation ? Au reste, le prophétisme intérieur n’est pas la seule origine possible île la révélation divine. Les patriarches et les prophètes ont reçu la révélation très simplement par les sens extérieurs, quand elle leur venait par des anges prenant une forme visible, ou même sans forme visible, formant dans l’air les ondulations d’une vj : x miraculeuse. Les apôtres ont reçu la révélation chrétienne en majeure partie, des lèvres du Christ, qui leur parlait comme on parle d’homme à homme, et dont ils nous ont transmis les enseignements. Il nous a toujours semblé que l’on exagérait de nos jours la préoccupation du prophétisme intérieur quand il s’agit de révélation, et nous sommes heureux de retrouver la même pensée dans une note ajoutée par le P. Janvier à ses conférences sur la foi : « Le mode de la révélation peut se présenter sous différentes formes. Ce qui importe, c’est la communication et non le mode dont Dieu se sert pour nous l’assurer. La manifestation divine peut se faire par l’intermédiaire de signes extérieurs ou par une inspiration purement intérieure. Aujourd’hui, beaucoup ont une tendance à supprimer le premier mode pour s’en tenir uniquement au second. Il y a là une exagération certaine et une concession regrettable faite au subjectivisme. La connaissance de l’homme débute par les sens, et l’on serait bien embarrassé pour prouver qu’il est plus facile de l’instruire sans frapper ses sens extérieurs qu’en les frappant. » Conférences de Notre-Dame de de Paris, La foi, carême 1911, 2e édit., note 2 de la iie conférence, p. 383.

On dira peut-être que remonter des prophètes aux anges qui leur parlaient, ou des apôtres au Christ qui les instruisait, ce n’est que déplacer la difficulté : ne retrouvons-nous pas alors dans le Christ et dans les anges ces phénomènes intérieurs du prophétisme dont nous voulions éviter l’explication, en sorte que toute révélation en dépend nécessairement ? Je réponds que nous ne les y retrouvons pas, et que cette dépendance nécessaire n’existe pas. Comment, en effet, le Christ en tant qu’homme puisait-il la révélation aux sources de la divinité? Non point par les complications du prophétisme et sa demi-lumière condamnée à disparaître au ciel, I Cor., xiii, 8-11 ; mais par la vision intuitive île Dieu, dont son âme jouissait déjà dans sa vie mortelle, d’après le sentiment unanime des théologiens. Cf. S. Thomas, Sum. iheol., III » , q. ix, a. 2 ; q. x. De même pour les anges, qui ont la vision intuitive. Matth., xviii, 10. On voit qu’un des modes (et le principal) de la transmission du témoignage divin a consisté en ceci, que la vision intuitive, cette suréminente « révélation » possédée par le Christ et les anges, a déversé de sa plénitude sur des hommes qui n’en jouissaient pas encore pour leur faire partager quelque chose de son objet par la voie moins parfaite du témoignage, mais d’un témoignage divin, car Dieu témoignait avec son envoyé et parlait par sa bouche.

2° Exposé des systèmes qui ont donné pour base à la foi chrétienne la « révélation naturelle » sous diverses formes. — Dès le xviii siècle, des protestants gagnés au rationalisme, ennemis du miracle et du surnaturel, cherchèrent à rester malgré cela dans les Églises protestantes, et à garder à leur manière les concepts chrétiens de foi et de révélation, en honneur dans ces Églises, et chers aux protestants conservateurs avec lesquels ils voulaient rester en communion, à peu près comme les modernistes de nos jours ont cherché à rester dans l'Église, et en ont gardé le langage avec tin sens tout différent. Ces protestants donnaient pour toute base à la foi du chrétien ce qu’on peut appeler la « révélation naturelle » . Mais comme on peut entendre sous ce terme un peu vague divers phénomènes moraux ou religieux, les uns s’attachèrent à tel de ces

phénomènes, 1er autres à un autre. Lnumérons ces diverses formes de la révélation naturelle, avec les systèmes qui s’y sont rattachés.

1. L’idéal moral.

Kant, en ennemi déclaré du surnaturel, rejette a priori « une triple foi erronée » : la foi aux miracles, la foi aux mystères, la foi à l’efficacité surnaturelle des sacrements. Seule, la foi au Fils de Dieu comme idéal moral de l’humanité a une valeur religieuse : croire ainsi au Christ, c’est vouloir, à son exemple, réaliser en soi l’idéal moral : foi utile et pratique, parce qu’elle contient le principe d’une vie morale et heureuse. Kant, La religion dans les limites de la raison, trad. Lortet, 1842. Cf. Senger, Kanl’s Lehre vom Glauben, 1903, p. 87 sq. Ainsi le bonheur de l’homme est pris arbitrairement pour l’unique fin qui décide de ce qui a une valeur religieuse et de ce qui n’en a pas ; et la foi est confondue avec la volonté postérieure à la foi, avec la volonté d’observer toute la loi morale, de réaliser en soi l’idéal moral ; voir au début de cet article le sens du mot

a foi » .

Dans l’homme-Dieu, poursuit Kant, ce qu’atteint la foi, ce n’est pas le phénomène qui tombe sous l’expérience, c’est le prototype qui réside dans notre raison et qu’elle introduit sous ce phénomène ; l’objet de la révélation et de la foi qui sauve, c’est ce prototype, cet idéal. Ainsi le Christ historique, d’après Kant, n’est qu’une occasion pour notre raison d’atteindre son propre idéal, et pour notre volonté, de le vouloir ; la foi chrétienne ne porte que sur cet idéal rationnel, et le christianisme devient le rationalisme.

Dans le même ouvrage de Kant, un autre point fondamental est la distinction entre cette « foi de la raison » ou « foi morale » — c’est elle qui constitue la religion pure, c’est-à-dire débarrassée de tout élément historique et empirique, et elle est sa démonstration à elle-même parce qu’elle rend l’homme moral et heureux — et la « foi ecclésiastique » ou « historique » , qui est une foi réglementée, dirigée par une Église et fondée sur des Livres saints, donc foi de savants et d’exégètes, sans valeur morale par elle-même, plutôt déprimante et gênante, elle n’a qu’une valeur relative (voilà qui est bien arbitraire). Kant accorde pourtant que la « foi de la raison » pour se soutenir a besoin d'être reliée à une « foi historique » et aidée par une Église. Cf. Senger, op. cit., p. 100 sq.

De ce concept kantiste de la foi au Christ — non pas au Christ réel, mais à un idéal que nous concevons à propos du Christ — paraît dériver l’usage singulier qu’ont fait les modernistes du mot « foi « pour signifier l’idéalisation d’un fait historique, l’auto-suggestion d’une multitude enthousiaste créant peu à peu une légende autour d’un grand nom, et dénaturant par l’idéal le réel de l’histoire. C’est là ce qu’il faut comprendre sous ces expressions onctueuses que les modernistes répétèrent si souvent : « sentiment chrétien, conscience chrétienne, foi des premières générations chrétiennes, » etc. On a pu s’y méprendre pendant longtemps, mais à la fin on y a vu clair avec des explications comme celles-ci : « Tous les dogmes et enseignements de l'Église au sujet de la Vierge Marie procèdent du sentiment chrétien, non de témoignages historiques… Suggestions de la foi, qui tendent au développement d’un idéal religieux et moral. » A. Loisy, Quelques lettres, 1908, p. 77. « Je crois en particulier que les récits de la naissance miraculeuse, dans les Évangiles dits de Matthieu et de Luc, sont purement légendaires et que ceux de la résurrection prouvent seulement la foi de l'Église apostolique. » Op. cit., p. 252. « Tel est, selon les hétérodoxes, le développement de Vespril légendaire, ou, comme disent les mystiques, de la conscience chrétienne. » Houtin, La question biblique au A.e siècle, 1906, p. 258. Ainsi

le modernisme explique-t-il, pour la plus large part, révolution des dogmes, ainsi distingue-t-il un Christ de l’histoire et un Christ de la « foi » . Cf. encyclique Pascendi, édit. des Questions actuelles, p. 13-45 ; Denzinger, n. 2076, 2096. Il peut y avoir aussi en cela une influence de Ritschl. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1801.

2. La voix de la conscience ; la vie morale. — C(tte forme de la révélation naturelle est très voisine de la précédente, puisque l’acte de concevoir un idéal moral est très voisin des actes plus détaillés de la conscience, par lesquels nous jugeons telle ou telle de nos actions, avant de la faire ou après l’avoir faite, moralement bonne ou moralement mauvaise, obligatoire ou prohibée, quelle que soit la théorie psychologique que l’on adopte sur ce fonctionnement de la conscience morale. On peut concéder, en un sens large, que Dieu nous parle par cette « voix » et que par elle il se révèle à nous comme être souverainement moral et comme auteur de la loi naturelle. — C’est à cet oracle de la conscience que certains protestants rationalistes ont réduit la « révélation » et ils ont appelé « foi » l’attention et la libre acceptation qu’on lui donne. De même, M. Loisy ; pour lui l’expérience religieuse, qui est la « révélation » du modernisme, paraît se réduire à « l’expérience morale » dont les progrès successifs sont « une véritable illumination de l’intelligence et un affermissement de la conscience. Cette expérience n’est pas autre chose que la vie morale. » Simples réflexions, p. 246.

3. L’idée d'être, ou d’infini. — Le rationalisme cartésien et ontologiste de l'école de Cousin aimait à employer en philosophie les mots de « révélation » et de « foi » et à présenter la raison humaine, qu’il exaltait outre mesure, comme une parole descendue du ciel, probablement pour suggérer aux catholiques « éclairés » une transformation de leur religion, qu’on pourrait débarrasser de tout « mysticisme » et ramener à la « religion naturelle » de Jules Simon. « La vie intellectuelle, écrit Cousin, est une suite continuelle de croyances, d’actes de foi à l’invisible révélé par le visible, à l’interne révélé par l’externe. Toute pensée, toute parole est un acte de foi, un hymne, une religion tout entière. » Fragments philosophiques, 3e édit., 1K65, t. I, p. 225. Nous croyons fermement, même avec le doute philosophique sur les lèvres, à l’existence réelle de tous les objets que (la raison) nous représente, de la substance dans les phénomènes, de la cause dans les effets, de l’unité dans la variété, de l’identité dans les changements successifs. Chaque idée de la raison est en même temps un acte de foi, et au delà de toutes ces idées…, nous sommes forcés d’admettre encore l’existence de l’incompréhensible, de l’inconnu…, de l’infini en un mot, regardé à tort comme une idée distincte de la raison, tandis qu’il en est le fonds commun, et l’objet immédiat de la foi… C’est ainsi que la foi se trouve au fond même de la raison qui lui doit son unité, son subbine commerce avec l’infini, son autorité irrésistible. Elle fait de la raison une parole vivante descendant du ciel dans l'âme humaine… UI1 véritable médiateur entre Dieu et l’homme. = Ad. Franck, Dictionnaire des sciences philosophiques, 2 édit., 1875, art. Foi, p. 545.

De cet ontologisme qui n’avait de chrétien que l’apparence, on peut rapprocher l’ontologisme d’un véritable chrétien et d’un saint homme, mais mal servi par sa philosophie, Rosmini : i I.'étrc indéterminé. indéniablement connu de toute intelligence, est < quelque chosi de divin qui est manifesté à l’homme dans la nature. Prop. 4' condamnée pat Léon XIII, ! > nzingcr-liannv. art. n. 1894. - L’ordre surnaturel 'institué par la manifestation de l'être, etc. Prop. 16. n. i

4. La connaissance naturelle de Dieu ; l’enseignement d’hommes providentiels. — Un professeur de théologie protestante à l’univers té de Halle, grand ennemi du « surnaturalisme » , Wegscheider, voulut appliquer méthodiquement à toute la théologie le « rationalisme chrétien » , inauguré en Allemagne à la fin du xviii siècle par Reimar et Lessing, comme il le remarque lui-même. Instilutiones theologise christianæ dogmaticæ, 8e édit., Leipzig, 1844, p. 39. Son rationalisme « simple et sobre » , dit-il, qu’on a voulu ridiculiser « en l’appelant vulgaire, maigre, rustique, se met sous le patronage du sens commun… et diffère de ce rationalisme mystique de Schleiermacher et de son école, qui restreint l’usage de la raison et prend pour guide un certain sens immédiat. Il diffère aussi du rationalisme contemplatif que les adeptes de Schelling et de Hegel habillent diversement, à l’aide de la philosophie spéculative dont ils ont plein la bouche, et surtout de leur théorie de Dieu arrivant à prendre conscience de lui-même dans les âmes des hommes… Divisés entre eux, ils s’accordent pour attaquer notre rationalisme et prédire sa mort précoce. » Op. cit., p. 53. Et de fait le pauvre Wegscheider, qui manquait de métaphysique nébuleuse, n’est pas arrivé à la célébrité de ces gens-là ; mais il faut lui reconnaître la clarté un peu terre à terre dont il fait profession. D’après lui, il n’y a de solidement prouvée que la « révélation naturelle » . Elle se divise en « universelle et particulière » . La première, qui éclaire tout homme suffisamment développé, se fait subjectivement par les facultés naturelles de l'àme, objectivement par les œuvres de Dieu dans la nature, dont le spectacle amène nos facultés à la connaissance et au culte de Dieu. La révélation particulière « consiste en ce que la providence de Dieu, mais toujours par le cours naturel des événements, suscite de loin en loin des hommes mieux doués que le commun de l’humanité à l’effet de pénétrer les principes de la vraie religion, et de les répandre autour d’eux avec un singulier succès. » Ce sont les envoyés divins, leurs noms sont dans l’histoire, ils ont fait l'éducation religieuse du monde. Et comme le [dus parfait de tous est le Christ : « voilà, conclut-il, l’intime et éternelle alliance du christianisme avec le rationalisme ! » Op. cit., p. 58, 59.

La révélation « universelle » de Wegscheider pourrait aussi s’appeler une révélation par les choses, la révélation « particulière » une révélation par les hommes. M. Hamack, de nos jours, a rejeté la première et retenu la seconde. « Il n’y a pas, écrit-il, de révélation par les choses. Ce sont des personnes, et avant tout les grands hommes, qui sont les révélateurs de Dieu à l’humanité. » Dans un article de revue, à propos d’une lettre de Guillaume II sur la révélation (février 1903) ; cité par Iloutin, La question biblique au v.V siècle, p. 17.

3°La révélation naturelle, sous ses diverses formes, ne peut suffire à la foi chrétienne. — Pour le montrer, nous n’irons pas chercher d’autre preuve que celle-ci : la révélation nécessaire à la foi chrétienne, c’est la révélation-témoignage de Dieu, nous l’avons déjà prouvé : la seulement peut intervenir le motif spécifique de la foi, la véracité divine. Or par ces diverses formes de la révélation naturelle, Dieu ne témoigne pas : elles ne peuvent donc suffire. Cette preuve a l’avaude rattacher toute cette question difficile à un seul et même concept, déjà solidement établi. Appliquons-la successivement aux diverses formes de la révélation naturelle que l’on a exploitées < antre nous, en nous servant de la division assez commode de Wegscheider.

1. Révélation universelle, prise plutôt du côté

subjectif : la raison, la voix de la conscience, les fa cultes de l’homme. Dieu. pal le fait qu’il crée et conserve ces (acuités, nous fail eoneevoir leurs objets, mi 10

peut le dire, mais non pas sa pensée ni son témoignage sur ces objets ; et quand nous concevons naturellement ces objets, par exemple, un idéal moral, ce n’est pas en passant par l’intermédiaire de la véracité divine et du témoignage divin, auquel nous ne pensons même pas. On peut appliquer à cette connaissance naturelle (et à plus forte raison) ce que nous avons dit de la science infuse : elle n’est pas une parole de Dieu et ne donne pas lieu à la foi. Voir col. 127. Si le cartésianisme a prétendu expliquer par le motif de la véracité divine la certitude fondamentale que nous avons de la valeur de notre raison, c’est un cercle vicieux, comme on s’accorde assez à le reconnaître ; et quand même on pourrait sans illogisme faire appel ici à la véracité divine, elle n’est pas le motif qui intervient pratiquement dans la certitude, comme on peut en faire l’expérience. Si saint Augustin, et après lui saint Thomas, Quæst. disp., De veritale, q. xi ; De magistro, a. 1, ont dit que Dieu, par le fait qu’il crée notre raison avec sa tendance à former les premiers principes, est un maître qui nous parle et nous enseigne, ce n’est là une « parole » qu’au sens large et figuré, puisqu’elle n’a pas pour objet direct de nous faire connaître la pensée de Dieu, et que, d’après saint Thomas lui-même, « parler à un autre, ce n’est pas autre chose que manifester le concept de son esprit à cet autre. » Sum. theol., I » , q. cvii, a. 1. Et quand ce serait une parole au sens propre, en tout cas ce ne serait pas un témoignage, où la véracité divine nous apparaisse et nous offre le motif de la foi ; et quand ce serait un enseignement proprement dit, en tout cas ce serait l’enseignement du maître qui amène l'élève à faire lui-même la démonstration intrinsèque et ainsi lui communique la science, et non pas l’enseignement du maître qui témoigne et fait purement appel à la foi. Voir col. 121. Pour la « voix de la conscience » , c’est, d’après l’explication scolastique, une conclusion par voie intrinsèque, spontanément et rapidement déduite de principes rationnels et de faits d’expérience, et non pas le résultat d’un témoignage. Que si vous préfériez l’expliquer par l’impératif catégorique de Kant, ce ne serait pas non plus le motif du témoignage divin qui lui donnerait sa force, puisque cet impératif fait abstraction de Dieu, et que l’existence de Dieu ne peut en être conclue que postérieurement, par un raisonnement de la « raison pratique » . Ainsi en serait-il de toute autre explication intuitionniste de la conscience morale : une intuition est l’opposé d’une croyance au témoignage.

2. Révélation universelle prise plutôt du côté objectif : l'être, l’absolu, l’infini qui apparaît à notre raison ; le spectacle de l’univers, qui conduit à son auteur. — Avoir l’idée de l'être en général, ce n’est pas avoir l’idée de Dieu ni connaître son existence et sa nature. Voir Ontologisme. Et quand ce serait connaître sa nature, ce serait la connaître immédiatement et intrinsèquement dans l’idée d'être ou d’infini, comme le veulent les ontologistes et non pas par la voie du témoignage, qui est médiate et extrinsèque. — Dans le spectacle de la nature se révèlent, avec l’existence de Dieu, ses attributs de sagesse, de grandeur, etc. Cf. Ps. xviii, 2. Mais ces œuvres de Dieu ne sont pas une parole proprement dite, qui puisse nous témoigner de sa pensée intime sur lui-même et ses attributs, en sorte qu’il y ait lieu à cette question : Le témoignage de Dieu est-il ici conforme à sa pensée ? question résolue par la véracité divine, motif de notre foi. Et pourquoi les étoiles, les plantes et autres œuvres de Dieu ne sont-elles pas proprement une parole ? Parce que leur fin principale n’est pas d'être un langage, de signifier la pensée de quelqu’un ; chacune a sa fin propre, très différente de cela. Et quoiqu’on puisse les prendre secondairement comme signes nous condui sant à Dieu, ce sont là signes naturels, qui conduisent à une chose et non à une pensée, et où la question de véracité ne peut se poser ; elle ne se pose réellement que dans les signes conventionnels tels que nos langues humaines, systèmes de signes destinés avant tout à signifier, dont la fin objective et normale est de faire connaître notre pensée, et qu’il arrive à l'être libre d’employer soit pour atteindre cette fin normale, soit au contraire pour tromper les autres sur sa propre pensée et indirectement sur les choses. « La véracité, qui est une vertu de la volonté, consiste en ce qu’on a l’intention d’employer des signes qui manifestent ce qu’on a dans l’esprit, comme le mensonge consiste dans l’intention d’employer des signes qui ne soient pas conformes à la pensée du menteur ; bref, la véracité et le mensonge supposent l’intention de choisir des signes pour manifester le vrai ou le faux ; enlevez cette intention de la volonté, vous détruisez la notion de véracité ou de mensonge. Voir S. Ihomas, Sum. theol., II a II æ, q. ex, a. 1. Or les seuls signes conventionnels, et non pas les signes naturels, ont la propriété de pouvoir être appliqués à volonté et par intention à signifier ou le vrai ou le faux… Si les signes naturels ne sont pas aptes par eux-mêmes à faire intervenir la véracité de Dieu ou auctoritas Dei revelanlis, concluons que l’assentiment qui s’y appuie n’est pas un assentiment de foi. » Wilmers, De fide divina, Ratisbonne, 1902, p. 77.

3. Révélation particulière : grands hommes, révélateurs de Dieu à l’humanité. — Ici, grâce à cet intermédiaire humain, nous avons des signes conventionnels, une parole, un enseignement, et nous pouvons avoir un témoignage : mais encore faut-il que ce témoignage soit divin et nous soit connu comme tel, puisque le motif spécifique de la foi n’est pas l’autorité d’un homme, mais celle de Dieu qui révèle. Pour crue le témoignage sorti des lèvres de l’homme nous arrive comme divin, il faut donc plusieurs conditions : que l’homme soit ici un simple agent de transmission ; que, par une intervention spéciale, Dieu lui fasse savoir ce qu’il doit promulguer en son nom, et veille ensuite à ce que la transmission soit fidèle ; enfin, que nous soyons avertis et assurés de cette intervention divine par des preuves certaines, de manière à pouvoir baser notre foi ferme sur la science et la véracité de Dieu même, sans cela pas de foi divine. Le Christ, d’ailleurs, prend soin de signaler toutes ces conditions dans l’enseignement qui sort de ses lèvres humaines. On entend l’homme, mais c’est Dieu qui parle par sa bouclie, Dieu qui a déterminé ce qu’il fallait dire au genre humain : « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. » Joa., vii, 16. « Celui qui croit en moi, croit non pas en moi, mais en celui qui m’a envoyé… Car je n’ai point parlé de moi-même ; mais le Père, qui m’a envoyé, m’a prescrit lui-même ce que je dois dire et ce que je dois enseigner. » Joa., xii, 44, 49, 50. Et comment pouvons-nous savoir qu’il n’y a pas erreur dans la transmission ? A cause de l’assistance spéciale que Dieu donne à son envoyé pour cela : « Comme mon Père m’a enseigné, ainsi je parle. Et celui qui m’a envoyé est avec moi, et il ne m’a pas laissé seul. » Joa., viii, 28, 29 ; cꝟ. 16. « Dieu est avec quelqu’un, » lecution biblique pour exprimer une assistance divine spéciale et suivie d’un heureux succès. Enfin le Christ ne se contente pas d’affirmer tout cela, il le prouve par ses miracles, sans oublier le miracle moral de sa doctrine splendide et de sa sainteté. Joa., m, 2 ; v, 36 ; x, 37 ; xi, 42 ; Matth., xi, 2 sq.

Venons maintenant à ces grands hommes, dont le rationalisme a fait « les révélateurs de Dieu à l’humanité. » Les uns, comme Socrate ou Platon, ont eu sur la divinité un enseignement plus pur que leurs devanciers, et ont pu exercer sur la philosophie une heureuse

influence ; mais ils ne se sont pas même donnés comme envoyés de Dieu, parlant en son nom ; la « révélation » qu’ils ont fournie ne pouvait donc être un témoignage de Dieu, ni l’adhésion à leur enseignement ne pouvait être la foi divine que nous cherchons. Les autres, comme Moïse ou Mahomet, ont affirmé une mission surnaturelle et prophétique : mais ce n’est pas tout d’affirmer ce fait mystérieux, il faut le prouver, autrement nous serions à la merci du premier venu, illusionné ou trompeur, et, sous couleur d’obéir à Dieu qui parle, nous ferions même injure à Dieu, en nous exposant à confondre avec une parole purement humaine sa parole sacrée, à dégrader la majesté infinie de son témoignage, et à lui faire patronner l’erreur comme un faux témoin. Or le rationalisme, en rejetant tout miracle, supprime la seule preuve qui pourrait nous garantir la mission surnaturelle prétendue. En effet, le miracle supprimé, que reste-t-il ? Et par quel signe Dieu fera-t-il voir qu’il se porte garant de ce que ces grands hommes enseignent ? Leur génie, leur éloquence, leur science, leur utilité relative, leur succès ? Mais Dieu n’est pas tenu de réserver ces dons à ceux-là seuls qui sont ses envoyés infaillibles, et avec l’enseignement desquels il se solidarise. Ces dons sont choses qu’il distribue à ses ennemis aussi bien qu'à ses amis ; et on peut les rencontrer dans une aventure déplorable, aussi bien que dans une œuvre surnaturelle et divine. Enfermer Dieu dans le cours naturel des choses, comme l’ont fait les déistes et les rationalistes, c’est donc lui refuser toute possibilité de se servir des hommes comme ses envoyés, pour témoigner par eux et faire appel à notre foi. — Et en voici la raison profonde. Quand les causes secondes agissent suivant le cours ordinaire de la nature, Dieu n’est pas obligé d’intervenir surnaturellement à tout instant pour empêcher les défauts naturels de leur action, par exemple, les erreurs de l’homme, même de science et de génie, ou les succès de l’erreur. Il convient même crue Dieu tolère ces défauts de la nature, soit pour laisser aux choses un cours régulier qui ne déroute pas à chaque instant les prévisions de l’homme, soit pour laisser à la liberté humaine ordinairement tout son jeu ; et la tolérance n’est pas l’approbation. Sans doute, la providence surveille tout, et rien ne se fait sans son laisser-passcr : mais Dieu ne veut pas de la même manière tout ce qui se fait ; s’il est des choses qu’il veut positivement, et qui correspondent à son plan, à ses lois, il en est beaucoup d’autres, par exemple, le péché, la ruine des âmes, le succès d’une fausse religion, où simplement il laisse faire, sans prendre la responsabilité de ce qui se dit et se fait. Concile de Trente, sess. VI, can. 6, Denzinger, n. 810. Calvin seul a nié la distinction « hces deux manières de vouloir en Dieu ; du reste, ailleurs, sous la pression du bon sens, il est revenu sur cette négation. "Voir Calvinisme, t. ii, col. 1408, 1419. Si donc l’on veut plus qu’un simple laisser-passer, si l’on veut que Dieu, à travers l’intei médiaire humain, ait l’intention positive de nous parler, et nous la manifeste — sans quoi il n’y aurait de sa part ni parole ni témoignage faisant appel à notre foi — il faudra qu’il recoure à un signe dépassant l’action naturelle de foutes les causes secondes,

à un signe qu’il s’est réservé comme une propriété de sa puissance suprême, le miracle. Tombant sur l’enseignement d’un homme, le miracle nous y fait reconnaître une parole que Dieu a inspirée et dont il prend pon abilité En dehors du miracle)r ' s M s, , " s impie qui comprend la prophétie, le miracle interne. ! miracles moraux), il ne reste que le cours naturel, |es événements, où Dieu, à un moment donné, peut simplement laisser faire, et qui, par conséquent, ne peut ervii à marquer sou approbation. Admettre un Dieu personnel <t rejeter le miracle, comme l’ont

fait les rationalistes, c’est donc rendre impossible le témoignage de Dieu, seul motif de la foi chrétienne ; c’est faire de Dieu un roi muet enfermé dans son palais, qui ne peut ni parler à son peuple ni même lui écrire, qui ne peut faire savoir, par exemple, s’il veut pardonner et à quelles conditions, ni communiquer un secret, ni déterminer par une loi positive le culte qu’il désire et les prescriptions souvent si vagues de la loi naturelle. Une telle conception de Dieu contredit absolument celle que nous donnent les Évangiles et les Épîtres de saint Paul ; les « rationalistes chrétiens » , ou de quelque autre nom qu’ils se parent, font preuve de rationalisme, mais non de christianisme. Voir Crédibilité, col. 2216-2219 ; S. Thomas, '] Cont. gentes, 1. III, c. cliv.

En passant, on peut voir à quoi sert le miracle dans la révélation et dans la foi. Certains catholiques, mécontents de l’apologétique traditionnelle, ne le voient pas, ou bien s’imaginent que le miracle sert uniquement à abattre l’homme devant la puissance de Dieu, ou à étonner, à attirer les regards distraits, à la manière d’un prédicateur qui a le tort de frapper du poing sur la chaire pour forcer l’attention. Une comparaison meilleure, et traditionnelle celle-là, c’est que le miracle est comme la signature ou le cachet divin au bas de la page inspirée. S. Thomas, Sum. IheoL, III » , q. xliii, a. 1. Dieu dirige la pensée et la parole d’un homme qui nous donne de sa part un enseignement, soit oral, soit écrit : voilà le témoignage spécial de Dieu, avec tout son détail d’affirmations et d'énoncés. Mais pour que cet enseignement soit connu de nous non comme humain, mais comme divin, et que nous puissions arriver ainsi à l’acte de foi, Dieu ajoute un complément nécessaire, le miracle confirmant la mission de cet envoyé : voilà un témoignage général de Dieu, tombant sur tout ce détail d'énoncés pour nous en montrer la provenance et par conséquent le véritable caractère. Les miracles, dit le P. Janvier. « c’est comme une seconde parole de Dieu qui rend témoignage à la première, c’est le doigt de Dieu apparaissant pour indiquer le livre et la tradition qui contiennent l’enseignement infaillible descendu d’en haut, ce sont les phares destinés à éclairer dans les profondeurs de la nuit ceux qui cherchent où la voix du Verbe s’est fait entendre, c’est le geste de la Puissance et de la Sagesse suprême, conduisant l’homme au sanctuaire où la Vérité suprême a rendu ses oracles. » La foi, carême 1911, 2e édit., n c confér., p. 76, Le miracle fait donc nécessairement partie de l’ensemble de signes par lesquels le témoignage divin et la foi nous sont donnés. Les simplistes auraient toit de reprocher à cet ensemble sa complication : la télégraphie, elle aussi, n’est-elle pas compliquée dans son mécanisme, et cela l’empêche -t-U d'être exacte et pratique ?

Suffisance de la révélation médiate.

Notre foi

peut s’appuyer sur des révélations très anciennes, reçues à l’oriRine par d’autres que nous : car la révélation, base de notre foi chrétienne, est un témoignage de Dieu, et un témoignage peut se transmettre par la parole ou l'écriture à plusieurs siècles de distance, autrement les sciences historiques n’existeraient pas. Voir col. 129. Cette révélation ancienne qui, grâce à un premier intermédiaire Inspiré, puis a des intermédiaires historiques, vient aujourd’hui faire appel à notre foi, c’est ce que les théologiens appellent la

révélation médiate » . L- : t Us enseignent communément

qu’eue nous suffit a faire l’acte de foi, sans révélation

Immédiate lurnatureDement produite en nous, l’uis qu'à la foi chrétienne répond comme motif l' autorité du témoignage de Dieu, il suffit que i ' igc ROi ! présenté a M foi lune manière on d’une autre,

avec ou s ; ms Intermédl m. cette qui stion de mode m

FOI

144

lité ne changera pas le motif spécifique de la foi ni par conséquent son essence.

Dès le commencement du protestantisme, il n’a pas manqué de sectes illuminées pour faire de chacun des fidèles autant de prophètes. On y exigeait pour la foi chrétienne cette révélation immédiate : soit qu’on finît par la substituer entièrement à la révélation médiate, ainsi les anabaptistes, du temps même de Luther, en étaient venus à se moquer de la Bible, Bibcl, Babel, voir Vigouroux, Les Livres saints et la critique rationaliste, 2e édit., Paris, 1886, t. i, p. 446 ; soit qu’on l’adjoignît plutôt à la Bible, ainsi les quakers enseignèrent qu’il y a deux révélations nécessaires, l’une complétant l’autre, 1' « extérieure » et 1' « intérieure » . Voir Mœlher, La symbolique, trad. Lachat, 2e édit., Paris, 1852, t. ii, p. 228 sq. Plus tard, quand naquit chez les protestants le « rationalisme chrétien » , on eut une autre espèce de révélation immédiate et intérieure, où le fait miraculeux était remplacé par un phénomène absolument ordinaire et normal : idéal conçu par notre raison, voix de la conscience, etc. Voir col. 136 sq. De tels phénomènes se passent aujourd’hui même, et sont évidemment personnels à chacun de nous. Ceux-là seuls, parmi les rationalistes, qui parlent de « révélation par les grands hommes, » conçoivent encore la révélation comme un fait ancien dont bénéficient, à leur manière, les âges suivants, comme un fait particulier à quelques-uns et dont profitent tous les autres. D’autres exigent qu'à ce fait ancien vienne se joindre un fait nouveau du même ordre : « Ne crois pas, ô mon frère, s'écrie Aug. Sabatier, que les prophètes et les initiateurs t’aient transmis leurs expériences pour te dispenser de faire les tiennes… Les révélations du passé ne se démontrent efficaces et réelles que si elles te rendent capable de recevoir la révélation personnelle que Dieu te réserve… Ainsi la révélation divine qui ne se réalise pas en nous et n’y devient pas immédiate, n’existe point pour nous. » Esquisse, p. 58, 59. Ce mot de < révélation » et le terme encore plus vague d' « expérience religieuse » servent par leur ambiguïté aux protestants modernes, pour établir, dans une même secte, une sorte d’unité apparente. Qu’il s’agisse de « révélation » faite immédiatement au Christ ou aux prophètes ou à nous-mêmes, les uns, surnaturalistes et conservateurs, entendent par là un phénomène vraiment miraculeux, inexplicable par les causes naturelles ; les autres, naturalistes et libéraux, entendent sous le même mot un phénomène franchement naturel et ordinaire à tous les hommes, comme la voix de la conscience ; d’autres enfin, un fait indécis, situé sur les confins du surnaturel, un phénomène psychique et anormal, comme ces faits de commotion et de conversion subite chers à beaucoup de protestants et racontés par W. James, qui les explique naturellement, sans décourager pourtant les bonnes âmes préférant y voir du surnaturel. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1803, 1804.

La question de la révélation immédiate et personnelle, dans ses rapports avec la foi, vaut donc qu’on s’y arrête. Distinguons d’abord entre connaissance immédiate et révélation immédiate. La foi, puisqu’elle n’affirme une vérité qu’en passant par l’intermédiaire du témoignage divin, ne peut être une connaissance immédiate. Voir col. 107 sq. Mais elle peut s’appuyer sur une révélation immédiate et personnelle ; elle se prête également aux diverses présentations du témoignage divin. Abraham n’est-il pas donné par l’apôtre comme le prototype de la foi qui sert à la justification et au salut, Rom., iv, 4, sq.? Or l’acte de foi loué ici par l’apôtre portait sur une révélation faite immédiatement et personnellement à Abraham, 18-22. Cf. Gen., xv, 4-6. Une telle révélation, avec les condi tions voulues, peut donc suffire à l’acte de foi divine et salutaire. D’autre part, la révélation médiate suffit aussi à la foi : Jésus renvoyait déjà les Juifs à une révélation fort ancienne, confiée à l'écriture. Joa., v, 46, 47. Est encore médiate la révélation qui se propage par la prédication : or celle-là non seulement suffit, mais elle est pour nous l’ordinaire, dont nous devons nous contenter ; témoin saint Paul, qui fait de la prédication une condition normale de notre foi. Rom., x, 14Et l’on ne peut entendre l’apôtre en ce sens, que la prédication soit nécessaire pour exciter en chaque fidèle une révélation personnelle : une telle nécessité ne peut exister, car on pourrait trouver bien d’autres causes excitatrices, en dehors de la prédication ; du reste, si la révélation immédiate, comme le disent certains protestants, était une condition essentielle de l’acte de foi, saint Paul, énumérant ces conditions pourrait-il passer celle-là sous silence ? Et puis nous demanderons à chacun d’eux ce qu’il entend par ces termes de révélation immédiate ou personnelle. Si c’est la révélation naturelle de la raison, de la conscience, nous avons déjà montré qu’elle ne peut suffire à la foi chrétienne. Si c’est une extraordinaire commotion (psychique ou miraculeuse) sans aucune affirmation divine, et que l’homme interprète à sa façon par des affirmations sans valeur objective (Tyrrel), nous avons déjà répondu en prouvant que le motif de la foi chrétienne est le témoignage de Dieu, l’affirmation de Dieu, et que la « révélation » qui s’adresse à notre foi n’est autre chose que cette affirmation et ce témoignage. Si c’est une affirmation de Dieu lui-même, communiquée surnaturellement et directement au fidèle, comme l’entendent les sectes illuminées du protestantisme, nous ferons remarquer combien dangereux serait un état de choses où tous les chrétiens, à toute époque de l’histoire, même les plus grossiers et les plus ignorants, auraient le droit de se considérer comme des prophètes infaillibles et inspirés : de là ces horreurs du fanatisme, que nous Usons dans l’histoire des sectes. Il y aurait aussi là une excessive et inutile multiplication de miracles intérieurs ; l’humanité peut avoir la révélation surnaturelle à meilleur compte, en la recevant simplement par intermédiaires. D’autant plus qu’il faudrait encore des miracles extérieurs, pour prouver ce charisme intérieur à ceux qui, au nom de la raison, refuseraient de l’admettre ; Luther lui-même, et à juste titre, demandait aux anabaptistes des miracles, pour prouver la mission qu’ils s’arrogeaient en vertu de prétendues révélations personnelles : et cela se retournait contre lui. Voir Dcnifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, 1912, t. iii, p. 257-261. Non, la sagesse divine n’a pu établir une espèce de christianisme aussi funeste : des révélations que chacun ait le droit de supposer en soi sans en fournir aux autres la preuve ; des états anormaux devenant la foi normale ; l’exaltation et le trouble jetés dans une foule d'âmes faibles et maladives ; tant de portes ouvertes sur la folie et sur le crime I Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1831. Enfin de quelque façon naturelle ou surnaturelle que l’on conçoive cette révélation immédiatement donnée à chacun, elle aurait peine à coexister en pratique avec une société religieuse, une autorité, une hiérarchie, des institutions liturgiques. Voir ibid., col. 1830. Or, ces institutions, ces liens sociaux sont nécessaires à l’homme et voulus de Dieu ; leur nécessité est reconnue même par des penseurs étrangers au catholicisme. « Les choses communes, actes, croyances, symboles, institutions, sont une partie essentielle de la religion, même sous sa forme personnelle… Si le sentiment est l'âme de la religion, les croyances et les institutions en sont le corps ; et il n’y a de vie en ce monde que pour des âmes unies à des corps. » E. Boutroux, dans la Revue

de métaphysique et de morale, janvier 1908, p. 27. « Lareligion est-elle ou un fait individuel, ou un fait soeial ?… Le Christ a-t-il voulu fonder une religion individualiste ? A cette double question, j’ai toujours répondu : La religion est un fait social ; la religion chrétienne est une société universelle, qui tient du Christ le principe de son institution et de sa foi. » A. Loisy, Simples réflexions, p. 115. C’est une conception très forte de la religion comme société qui a rapproché Brunetière du catholicisme. — L’individualisme religieux, si par impossible il venait à triompher partout, s’il produisait le grand naufrage des dogmes et des institutions ecclésiastiques, serait condamné à disparaître bientôt lui-même, dernière écume de la vague où sombrerait la religion. Les sectaires antireligieux le sentent fort bien, et ne craignent guère cet individualisme protestant ou moderniste qui, à la manière d’un dissolvant, travaille pour eux.

Les révélations privées et la foi chrétienne.


Appuyer la foi de tout chrétien sur une prétendue révélation personnelle et privée ; confondre la révélation, base nécessaire de notre foi et lien social de l'Église, avec les voies extraordinaires de la mystique et les illuminations de luxe, c’est un trait caractéristique du modernisme, et cette erreur nouvelle donne une nouvelle importance à la vieille question théologique des « révélations privées » , dans leur rapport avec la foi.

La révélation « immédiate » , c’est-à-dire faite sans intermédiaire humain, n’est pas toujours « privée » Tout dépend ici de l’intention divine, suffisamment manifestée. Si Dieu parle directement à un seul, mais pour tous, c’est-à-dire avec l’intention que cette révélation soit communiquée à tous et fasse partie de l’ensemble de vérités que tous les chrétiens devront croire, explicitement ou implicitement, une telle révélation immédiate ne devrait pas être dite < privée » , mais « publique » à raison de sa destination. Ainsi, des révélations successives faites aux envoyés divins, à Abraham, à Moïse, aux prophètes, aux apôtres, sont venues grossir le « dépôt de la foi » , le patrimoine futur de la religion chrétienne. A côté, il y a place pour d’autres révélations immédiates, faites non pas seulement à un seul, mais pour lui seul, et sans intention de les introduire dans le dépôt de la foi : ce sont les révélations privées. Le concile de Trente les suppose possibles même aujourd’hui, quand il dit que personne ne peut savoir avec une absolue certitude qu’il aura le don de la persévérance finale « à moins de l’avoir appris par une révélation spéciale. » Sess. VI, can. 16, Dcnzinger, n. 826.

A quoi reconnaître qu’une révélation est « privée » ? Dans le cas précédent, où quelqu’un reçoit du ciel l’assurance de sa persévérance et de son salut, on voit assez par la nature même de l’objet révélé qu’il s’agit, dans l’intention divine, d’un bien purement personne et non d’un bien général, que la révélation ici n’est pas pour tous. Toutefois ce critère interne n’est pas à lui seul et pour tous les temps un suffisant indice. Car des révélations qui seraient privées, à ne considérer que la nature de leur objet, mais qui ont été consignées ensuite dans la sainte Écriture, sont entrées par l.i menu : dans le dépôt de la foi, que Dieu destine a tons. Dominique Gravina, dans un bon ouvrage sur les liions privées, en fait la remarque : « Nous croyons maintenant de foi catholique beaucoup de particulier ! racontés dans les Écritures, parce qu’ils ont revêtu la forme publique de la foi, in publicnni formant translerunt credendl, étant écrits dans les livres Inspirés, bien qu’ils n’appartiennent que

secondairement ; i la foi catholique, d’après s ; nnt

Thomas ; les niri blesserall lafoi, cai une telle négation tendrait à conclun que l'Éci Iture est fausse. Voir Sum.

iheol., II a II æ, q. il, a. 5. » Gravina, Ad discernendas lieras a falsis visionibus et revelalionibus… lapis lydius, Naples, 1638, part. I, 1. I, p. 84.

Mais nous avons un autre critère des plus simples, qui nous permet de ranger en bloc parmi les révélations privées toutes les révélations immédiates à partir du moment où fut close l'ère de la composition des livres inspirés. Il est fondé sur ce principe, que le patrimoine de la révélation commune à tous les chrétiens, le « dépôt de la foi » , ne s’augmente plus depuis la mort des apôtres. A la suite du concile de Trente, le concile du Vatican déclare que la révélation surnaturelle, base de notre foi, « est contenue dans les Écritures, et dans les traditions non écrites, reçues par les apôtres de la bouche du Christ, ou dictées aux apôtres par le Saint-Esprit. » Sess. III, c. ii, Denzinger, n. 1787. Ainsi le dépôt de la révélation est clos en même temps que l'ère apostolique. Cette vérité a été attaquée par des modernistes qui voulaient fonder notre foi religieuse sur une révélation personnelle, et dont on a condamné la proposition suivante : « La révélation qui constitue l’objet de la foi catholique n’a pas été terminée avec les apôtres, non fuit cum apostolis compléta. » Décret Lamentabili, prop. 21, Denzinger, n. 2021. En vain, M. Loisy proteste : « L’idée de marquer un terme à la révélation divine est toute mécanique et artificielle. Inutile d’observer qu’elle est étrangère aux apôtres ; mais elle est en rapport avec l’idée, non moins mécanique et toute mythologique, disons enfantine, qu’on se forme de la révélation elle-même. » Simples réflexions, p. 5X. L’idée d’une révélation purement médiate, avec transmission historique, est au contraire très simple, tris rationnelle, et n’a rien de mécanique ni d’enfantin. Quant au terme de cette révélation, ce n’est pas nous qui le marquons artificiellement, et ce n’est pas une idée étrangère aux apôtres. Voir Franzelin.De tradilionc, thés, xxii, 2e édit., Rome, 1875, p. 268 sq. ; Palmieri, De romano ponlifice, 2 c édit., Prato, 1891, p. 187189. Quand les Pères disent que notre foi est « apostolique » , ils expriment ce fait même : tout nous vient des apôtres en fait de révélation et de foi, rien après eux ; à eux il faut sans cesse remonter. Voir Dogme, t. iv, col. 1600 sq. Enfin, il serait facile de montrer que nos grands mystiques ont toujours reconnu cette vérité : ce n’est pas sur leurs révélations personnelles qu’ils basaient leur foi chrétienne, c’est sur l'Écriture et l’ancienne tradition, interprétées par l'Église ; et le modernisme a tort de se réclamer parfois de ces saints et de ces saintes, quand il cherche à fonder la foi et la religion sur une révélation immédiate faite à chaque fidèle.

Entre la révélation publique, objet de notre foi, et une simple révélation privée, il y a une autre différence du côté de la transmission et de l’assistance divine qui la protège. Quand Dieu donnait à un envoyé la mission de parler en son nom et par là faisait appel à la foi de tous, il l’empêchait d’y mêler des erreurs, il l’assistait surnaturellement pour que ses paroles, écrites ou non, fussent vraiment la parole de Dieu. Noir col. 128. Il n’en est pas ainsi, quand un mystique raconte ou écrit les révélations pi Ivées qu’il a cru recevoir à divers mo ments de sa vie ; même dans l’hypothèse où ce furent de vraies révélations, la transmission exacte n’est pas garantie, et des erreurs peuvent s’y mêler, soit défaut de mémoire, soit difficulté de distinguer entre le moment précis de la révélation et le moment suivant où

l’homme a pu ajouter du sien. Voir A<, i : ï n ( Marie <l),

1. 1, col. 629. Et en général, l’expéi lence des mj itiques est souvent difficile à communiquer aux autres, il su (lit qui lie I' m serve i eux, c’est ordinairement son but principal. Aussi l'émotion, l’affection y jouent souvent un plus grand rôle que l’affirmation. Au cou

traire, dès que la révélation a une portée sociale, dès qu’elle est destinée à toute la société religieuse, l’émotion du prophète n’est qu’un fait secondaire et accidentel ; l’important, c’est » qu’il ait été, entre les mains de Dieu, un bon instrument d’affirmation. » A. Gardeil, Le donné révèle, 1910, p. 55. Cf. p. 48-56.

Admettant des révélations privées, en quoi différons-nous des sectes illuminées du protestantisme ? — 1. Nous ne faisons pas comme eux, de ces révélations, une base nécessaire de la foi chrétienne. Pour nous, elles supposent la foi déjà constituée, et ne servent qu’à diriger la conduite, comme dit saint Thomas, non adnovam doctrinam fidei depromendam, sed ad humanorum actuum directionem. Sum. theol., IIa-IIæ , q. clxxiv, a. 6, ad 3um. — 2. Nous les regardons comme une exception, non comme la règle et le droit de tous les fidèles. — 3. Nous en exigeons des preuves sérieuses, et même chez les grands saints, nous les soumettons à une rigoureuse critique : témoin les procès de canonisation. Les âmes qui pensent avoir reçu des révélations ne sont pas crues facilement par leurs directeurs ; elles sont rappelées à une extrême prudence, et ne sont dispensées ni de l’obéissance ni des devoirs communs. Chez les illuminés, au contraire, souvent nul examen ; chacun s’attribue des révélations aisément et sans preuve, et s’en autorise aussitôt pour prêcher les autres, pour se dispenser des lois ordinaires ; de là, dans l’histoire de ces sectes, tant d’excentricités et même de crimes. Voir Milner, The end of the religious conlroversy, lettre vi, trad. franc., dans Migne, Démonstrations évangéliques, Paris, 1843, t. xvii, p. 601 sq. Défaut de critique même aujourd’hui dans l’expérience religieuse des protestants, voir Expérience’religieuse, t. v, col. 1835, 1836, 1853. — 4. L’expérience mystique des illuminés tend à détruire toute autorité religieuse. Ainsi les quakers rejettent tout ministère ecclésiastique, toute liturgie : « Nos frères s’assemblent, dit leur apologiste Barclay, dans une salle privée de tout ornement… Là, sans prononcer une parole, assis sur des bancs, dans une immobilité complète, ils se recueillent en eux-mêmes et se préparent à recevoir l’inspiration d’en haut, » etc. Dans Mœlher, op. cit., p. 248 sq. Au contraire, nos mystiques respectent la hiérarchie, et sont toujours prêts à se soumettre à son jugement. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1860. Et l’Église, sans laisser aux prédicateurs le droit de répandre telle nouvelle prophétie ou révélation privée, évoque ces matières à son tribunal. Léon X au Ve concile de Latran en 1516, bulle Supernæ majestalis, Hardouin, t. ix, col. 1806 sq. Cette action régulatrice de l’Église sur les révélations privées est si évidemment bienfaisante que des protestants pieux, inquiets de leurs expériences mystiques, ont été amenés à l’Église catholique parce qu’ils ne pouvaient trouver ailleurs la direction et le discernement dont ils sentaient vivement le besoin. Ainsi Hecker écrivait en 1886 : « J’ai été forcé de choisir un guide, sous peine de tomber dans le fanatisme le plus extravagant. » Dans W. Elliott, Le P. Hecker, trad. franc., 5e édit., 1897, c. x, p. 117. Cf. p. 114. D’autre part, l’Église, après avoir longuement examiné et suffisamment vérifié certaines révélations privées, s’en est servie pour la direction de quelques-uns de ses actes, ad humanorum actuum directionem, comme d’instituer une fête ou des dévotions, dont l’objet se justifie d’ailleurs indépendamment de la révélation privée, par des principes tirés de la révélation publique et de la foi chrétienne (institution de la fête du Saint-Sacrement, de la dévotion au Sacré-Cœur, etc.). Voir Cœur sacré de Jésus, t. iii, col. 293. Cette influence reconnue exceptionnellement par la hiérarchie à de simples laïques, à des femmes, rappelle à tous que la toute-puissance de Dieu brille dans les faibles ins truments dont il se sert, I Cor., i, 27 sq. ; qu’il est le souverain maître de ses dons ; que, s’il a attaché la grâce sanctifiante à l’action des ministres des sacrements, il s’est réservé la communication directe avec les âmes dans l’ordre de la grâce actuelle et dans celui des charismes ; qu’il fait briller dans tous les siècles de la vie de l’Église ces dons surprenants dont l’apôtre a affirmé la libre distribution par l’Esprit-Saint, même en dehors de la hiérarchie, I Cor., xii ; bien qu’à l’origine ils fussent plus répandus, pour autoriser et soutenir le christianisme naissant. Les révélations privées peuvent donc servir même à l’utilité générale, et c’est bien à tort que Mélanchthon et quelques autres protestants les ont attaquées. Voir Benoît XIV, De servorum Dei beatij. et canonizatione, 1. III, c. lui, n. 2, 3, Opéra, Prato, 1840, p. 600, 601.

Ceci posé, y a-t-il obligation de croire à ces révélations ? Oui et non. Oui, s’il s’agit de la personne qui les reçoit, et si, après les examens et les contrôles voulus, elle reconnaît que Dieu lui a parlé, que le doute à cet égard n’est plus un doute prudent : s’abstenir alors de croire serait fane injure à Dieu ; s’il parle à quelqu’un, il fait appel à sa foi. Voir Lugo. De fide, dist. I, n. 227, 229, Opéra, Paris, 1891, 1. 1, p. 112, 113. — Non, s’il s’agit d’autres fidèles vers lesquels Dieu n’a pas dirigé la manifestation de sa pensée ; lors même qu’ils entendent parler de révélations privées faites à autrui, ils ne sont pas tenus de faire là-dessus une enquête, et peuvent passer leur chemin : ce n’est pas là mépriser une révélation peut-être réelle, mais exercer leur droit de ne pas s’en occuper. Dieu n’a pas fait appel à leur foi : on peut dire tout au plus qu’il a parlé devant eux, à leur connaissance, et non qu’il leur a parlé. « Ce n’est pas la même chose de parler d quelqu’un et de parler devant quelqu’un, » comme l’explique Lugo, loc. cit., n. 197, p. 101. Seule la révélation publique doit, dans l’intention divine, être transmise à tous et devenir l’objet de la foi de tous : c’est ce qui la caractérise.

De cette liberté laissée aux fidèles concluons que, si les prédicateurs peuvent faire une allusion utile à des apparitions ou révélations autorisées, devant un pieux auditoire où elles sont communément admises, ils auraient tort d’en surcharger des esprits qui ont déjà quelque peine à croire ce qui est d’obligation. Il en serait sans doute autrement si l’Église, en autorisant la diffusion d’une révélation privée, l’imposait par là même à la foi universelle des chrétiens ; mais tel n’est pas le sens de son autorisation. « Cette approbation, dit Benoît XIV, n’est pas autre chose qu’une permission de les pubher pour l’édification et l’utilité des fidèl « s, après mûr examen. » Et il cite Gerson d’après lequel « il importe peu qu’une pieuse croyance des fidèles tombe parfois à faux ; non pas qu’on puisse jamais croire le faux comme tel, et quand on le reconnaît comme tel, chose indigne de la piété des fidèles ; mais leur pieuse opinion n’est pas une question de vrai ou de faux, mais seulement de probabilité, d’apparence. » Benoît XIV, op. cit., 1. II, c. xxxii, n. 11, 12, p. 300, 301. Cf. Dogme, t. iv, col. 1577. Et Pie X, vers la fin de son encyclique contre le modernisme, après avoir rappelé que l’autorité ecclésiastique ne permet de jeter ces révélations dans le public qu’avec beaucoup de précautions, ajoute : « Encore l’Église ne se porte-t-elle pas garante, même dans ce cas, de la vérité du fait ; simplement elle n’empêche pas de croire des choses auxquelles les motifs de foi humaine ne font pas défaut. » Encyclique Pascendi, édit. des Questions actuelles, p. 85. Lors même que l’Église concède à quelque apparition une fête, un office liturgique, elle ne couvre pas de son infaillibilité le fait en question ; se trouvât-il faux, le culte qu’elle autorise atteindrait toujours un objet réel, c’est-à-dire la personne à qui il

est principalement adressé ; car ce culte n’honore le fait particulier (soit une apparition de la Vierge) que relativement et conditionnellement ; la personne seule (la Vierge) est honorée inconditionnellement et absolument. Ce culte, « en tant qu’absolu, ne peut jamais s’appuyer que sur la vérité, attendu qu’il s’adresse à la personne même des saints que l’on veut honorer. Il en faut dire autant des reliques. « Encyclique, loc. cit. Si la probabilité même venait à manquer, tout culte, même relatif, devrait cesser ; ainsi arsive-t-il que des reliques, reconnues fausses, soient soustraites par l’autorité ecclésiastique à la vénération des fidèles. A ces principes communément admis sur les révélations privées, les théologiens, dans le traité de la foi, ont ajouté une controverse un peu confuse, qui roule sur la possibilité de croire par un véritable acte de foi théologale à une révélation privée. L'école thomiste, assez généralement, nie cette possibilité ; beaucoup d’autres théologiens l’affirment, avec plus de raison, ce semble. Comme exemple de la première opinion, écoutons les carmes de Salamanque. Saint Thomas, disent-ils, n’a-t-il pas ces paroles : « Notre foi s’appuie sur la révélation faite aux prophètes et aux apôtres, qui ont écrit les livres canoniques, et non sur la révélation qui a pu être faite à d’autres docteurs ? » Sum. theol., I a, q. i, a. 8, ad 2um. Oui, après la mort des apôtres, il n’y a plus de révélation publique, voir col. 146, et la révélation publique, à l’exclusion de la révélation privée, est la condition normale et ordinaire de la foi. Mais cela empêche-t-il qu’en des cas exceptionnels on puisse faire un acte de foi théologale sur un objet de révélation privée ? N’a-t-on pas alors le motif spécifique de cette foi, tel que le donne le concile du Vatican : aucloritas Dei rcvelanlis ? La vertu infuse de foi s'étendrait donc accidentellement à cet objet secondaire, et on ne peut prouver l’impossibilité de cette hypothèse simple et commode. Prenons ces cas exceptionnels, disent les Salmanticenscs. C’est en somme le cas du prophète : or c’est par la connaissance prophétique, essentiellement différente de la foi, que le prophète voit et donne son assentiment à ce qu’il voit ; dès lors il n’est pas tenu d’y donner en même temps une autre espèce d’assentiment, à moins d’un précepte spécial que l’on ne peut supposer toujours. Cursus theol., De fide, disp. I, n. 110 sq., Paris, 1879, t. xi, p. 52, 53. D’abord, répondons-nous, ces cas exceptionnels ne se réduisent pas tous au cas du prophète ; il y a aussi le cas d’une personne qui, par des motifs de crédibilité relativement suffisants, est arrivée à se convaincre de la vérité d’une révélation, d’une apparition faite à une autre ; elle n'était pas tenue de s’en occuper, mais elle a pu s’en occuper, et y croire. Ensuite, le prophète lui-même, c’est-à-dire celui qui a une révélation immédiate, peut, sinon au moment même de la connaissance prophétique, du moins après, faire l’acte de foi divine ; autrement, comment saint Paul nous parlerait-il de la foi d’Abraham, modèle « le la nôtre ? Qull y ait des révélations privées où manque quelqu’une des conditions de latte de foi théologale, obscurité, liberté ou rapport de l’objet révélé avec Dieu, nous l’accordons volontiers aux théologiens de Salamanque : mais ne peut-il y en une autre où rien ne manque des conditions exigées ? — Oui, finissent ils par « lire, Dieu peut, s’il le vent, donner une semblable révélation privée ; et alors elli pourra être l’objet d’un acte de foi théologale ; le s thomistes, déienseurs de notre opinion, le concèdent.

I.or. cit., n. 115. Nous VOllà doue tous d’accord ; et

j’ajoute que saint Thomas, qu’on nous objecte, admi t une pareille révélation, suivie de l’acte de foi théologale, dans le cas d’un païen honnête et non évan : qui ignore, sans faut de sa partais révélation publique, rrophéti s, ii i apotrt <- i utetl. dl$

veritate, q. xiv, a. ll, adl um. Ainsi encore aujourd’hui un moyen extraordinaire de foi et de salut peut se trouver, d’après le saint docteur, dans une révélation immédiate et personnelle, laquelle doit être rangée dans les révélations privées, puisque l'ère des révélations publiques est close. Quant aux textes soripturaires invoqués par les défenseurs de notre opinion, ils ne la prouvent pas ; il y est question de révélations immédiates, mais non privées. Schiffini, De virtutibus infusis, n. 85, p. 135.

V. Rôle de l'Église dans la foi. — La révélation sur laquelle est basée normalement la foi chrétienne est une révélation ancienne, dont les diverses étapes se sont terminées à la mort des apôtres et qui nous arrive par intermédiaires. Voilà un point déjà prouvé, qui précise le rôle de l'Église dans cette révélation publique, base de la foi. Ce rôle ne consistera pas à prophétiser, à écrire de nouveaux livres inspirés, à ajouter aux anciennes révélations d’autres documents qui aient la même valeur de témoignage divin : il ne pourra consister qu'à conserver les anciennes révélations, le « dépôt de la foi » , à les interpréter, à les appliquer aux besoins des temps nouveaux. Ce rôle est très grand, et nous devrons le défendre contre ceux qui ont tenté de le supprimer ou de l’amoindrir : mais il a, comme on le voit, ses limites et ses restrictions nécessaires, que nous devrons ensuite établir contre certaines exagérations. De là deux parties dans notre travail, l’une positive, l’autre négative.

I. GRANDEUR DU RÔLE DE L'ÉGLISE DANS LA FOI. —

Pour nous en rendre compte, nous devons considérer l'Église : 1° comme une grande société humaine ; 2° comme infaillible ; 3° nous conclurons en expliquant comment l'Église est la règle de foi.

1° L'Église comme société humaine, son infaillibilité mise à part. — C’est ainsi qu’elle se présente d’abord à l’observateur, et qu’on doit d’abord la considérer en apologétique, pour éviter le cercle vicieux qui prouverait la valeur des Livres saints par l’infaillibilité de l'Église qui les transmet, et l’infaillibilité de l'Église par la valeur des mêmes Livres saints qui l’attestent, a par b et b par a, ce qui reviendrait à prouver a par ". c’est-à-dire à l’affirmer sans preuve. Quand donc, pour prouver l’authenticité de nos Évangiles, sources de la foi, nous faisons appel à l'Église de la seconde moitié du ii° siècle, qui l’affirme par la voix de ses principaux docteurs en Orient et en Occident, alors nous prenons l'Église comme une grande société religieuse et traditionnelle, gardienne fidèle de ses livres sacres, ainsi que nous prendrions la société musulmane comme témoin de l’authenticité du Coran. Pour prouver cette authenticité, dit le cardinal de la Luzerne, nous argumentons « du témoignage de l'Église, non pas de l'Église comme juge infaillible, mais de l'Église comme témoin constant et perpétuel depuis la publication de ces livres, et comme les ayant toujours regardés comme sa loi. C’est ainsi que nous sommes sûrs que l’Alcoran est véritablement de Mahomet, c’est ainsi que nous connaissons l’authenticité de tous les livn s quelconques. " Dissertation sur les Églises, c. x, n. 35, Œuvres, édit. Migne, 1855, t. II, p. 491. Parlant de ces livres dont l’authenticité ou la valeur historique nous est ainsi connue, et de quelques-uns de leurs passages assez clairs par eux-mêmes sans en demander à l'Église une infaillible Interprétation, nous pouvons arriver légitimement à l’Infaillibilité ecclésiastique, à l'Église considérée plus profondément et sous un autre aspect, el faisanl comme un personnage dJJTéii ni, ce (pli n’est pas piouver a par a. Voir I-'ranzclin.

Dr tradtltone, 2- édit.. Rome, 1875, p. in-63.

Déjà les Pères invoquaient ainsi l’autorité humaine de l’Eglise pour piouvei l’authenticité, ainsi qUfl Tél. il suffisant de conservation, des livres qui contiennent 1M

FOI

152

le dépôt de la foi : « Qui pourrait, sinon aveugle par une étrange fureur, prétendre que l'Église des apôtres n’a pu obtenir un accord assez sûr et assez nombreux entre les frères pour transmettre fidèlement leurs écrits à la postérité, quand elle conservait par une succession très certaine leurs chaires jusqu’aux évêques d’aujourd’hui, et quand cette fidèle transmission des écrits est si facile pour les œuvres de toute sorte d'écrivains, soit dans l'Église, soit hors de l'Église ? » S. Augustin, Contra Faustum, 1. XXXIII, c. vi, P. L., t. xlii, col. 514 ; cꝟ. 1. XI, c. ii, col. 245. En ce sens il écrit ailleurs : « Sans l’autorité de l'Église catholique je ne croirais pas à l'Évangile. » Conl. epist. fundam., c. v, P. L., t. xlii, col. 176. Ce n’est pas seulement les Livres saints que cette société nous garantit, mais aussi ses institutions fondamentales, la pratique ancienne et constante de ses rites sacrés.

Ce qui augmente beaucoup la valeur de ce témoignage humain de l'Église des premiers siècles, ce sont ses qualités et les conditions historiques où elle vivait : d’une part, son caractère si traditionnel, son respect si grand pour les apôtres et la foi apostolique ; de l’autre, ce fait que les apôtres avaient fondé diverses Églises, très éloignées entre elles et diverses de caractère et de nationalité, dont chacune gardait pieusement et jalousement ses propres traditions, ses propres exemplaires des saints Livres, prête à rejeter toute altération venue d’ailleurs. Une innovation locale, pour s'établir partout, aurait eu autant de batailles à gagner qu’il y avait d'Églises particulières ; elle n’aurait pu s'étendre sans bruit et sans réclamation à l’insu de l’histoire. Ce que l’on trouve alors communément et pacifiquement admis doit donc remonter à l’unité première de la doctrine du Christ, implantée en tant de lieux divers par une prédication concordante des apôtres : ni le hasard, ni une conspiration muette de toutes les Églises pour innover, ni un concile général qui n’existait pas encore, ne peut expliquer une pareille uniformité. Déjà Tertullien voyait là une preuve certaine de la vraie doctrine du Christ, en dehors même de l’assistance de l’Esprit-Saint promise à l'Église pour la rendre gardienne infaillible de cette doctrine : « Supposons, si vous le voulez…, que le Saint-Esprit n’ait pas eu soin de diriger les Églises dans le sens de la vérité, lui qui a été envoyé par le Christ et demandé au Père pour devenir précisément le docteur de la vérité ; … est-il vraisemblable que tant d'Églises se soient rencontrées dans la même erreur ? Au milieu de beaucoup d'éventualités possibles, on ne saurait se rencontrer dans un résultat unique ; si les Églises avaient erré sur la doctrine, il y aurait eu nécessairement de la variété dans ces erreurs. Non, ce qui se trouve le même parmi un si grand nombre n’est point erreur, mais tradition. » De prsescript., c. xxviii, P.L., t. ii, col. 40. C’est en vertu du même principe que la critique compare les affirmations de nombreux témoins, ou collationne les nombreux manuscrits d’un même ouvrage et tire de leur concordance une preuve certaine de vérité ou d 'authenticité.

Après les persécutions, quand les évêques du monde entier purent plus facilement correspondre lesuns avec les autres, se réunir entre eux et prendre des mesures générales sous la direction de l'évêque de Rome, on les voit employer cette action commune à garder la foi apostolique, à s’envoyer mutuellement leurs professions de foi, à se rendre compte, par divers moyens, de toute innovation apparaissant sur un point du monde chrétien, pour l’arrêter et l’empêcher de se propager. Sur ces différentes institutions conservatrices, qui à leur tour sont venues contribuer à la valeur humaine et historique de la tradition, voir Franzelin, De tradil., thés, ix, p. 80 sq.

2° L'Église considérée comme infaillible. — Les pro testants, après avoir rejeté d’abord radicalement la tradition et les Pères pour exalter la seule Écriture, ont peu à peu accepté l’ancienne tradition ecclésiastique au point de vue purement historique, et de nos jours plusieurs d’entre eux en font l’objet de remarquables travaux. Mais il faut aller plus loin et prendre encore la tradition de l'Église au point de vue théologique, c’est-à-dire avec l’autorité nouvelle que lui donne l’infaillibilité surnaturelle de l'Église.

Cette infaillibilité, avec sa cause qui est l’assistance du Saint-Esprit, nous venons de la voir mentionnée à la fin du iie siècle par Tertullien. Déjà saint Irénée avait dit du collège des évêques : « Avec la succession de l'épiscopat ils ent reçu un charisme qui donne la certitude de la vérité, » charisma veritatis certum. Cont. hær., 1. IV, c. xxvi, n. 2, P. G., t. vii, col. 1053. Pour de plus amples preuves, tant scripturaires que patristiques, de l’infaillibilité de l'Église, voir Église, t. iv, col. 2175 sq. Pour comprendre combien cette institution divine est sage et raisonnable, il faut se reporter aux diverses circonstances de l’ordre présent qui l’ont rendue nécessaire. Nous allons les exposer ; ce sera aussi la meilleure manière de montrer en quoi consiste, dans le détail, le grand rôle de l'Église pour conserver les vérités de foi.

1. Les circonstances historiques de la révélation chrétienne rendaient l’infaillibilité nécessaire à la conservation de la foi. — Cette révélation a été faite il y a fort longtemps, et elle suppose et englobe les livres de la Bible encore bien plus anciens. De là une obscurité parfois fâcheuse et même dangereuse, qui trouve son remède dans l’infaillible interprétation de l'Église. Si de nombreux passages de nos Livres saints sont clairs par eux-mêmes, ou peuvent le devenir par l’inspection du contexte et des textes parallèles, par l'étude des usages anciens et de la philologie, etc., beaucoup d’autres ne le sont pas du tout. Les premiers protestants, parce qu’ils voulaient se passer de

, l'Église et faire de chaque fidèle, même le plus ignorant, 1 un docteur, ont prétendu qu’avec la grâce de Dieu l'Écriture est partout d’une grande clarté. Qui penserait aujourd’hui à soutenir ce paradoxe d’un optimisme naïf, surtout après la longue histoire de leurs controverses et de leurs discussions exégétiques ? Seule l’interprétation autorisée de l'Église peut garder au peuple chrétien les vérités de foi contenues dans ces livres, et les tirer de dangereuses erreurs. Voir Écriture sainte, t. iv, col. 2098 sq.

2. La nature de certains points de la révélation, desquels dépend un grand nombre nombre de vérités de foi, rendait l’infaillibité nécessaire. — Exemple : l’inspiration des Livres saints, qui fait toute leur valeur comme parole de Dieu ; selon que l’on pensera bien ou mal de cette inspiration, de son étendue, etc., on sauvegardera plus ou moins les témoignages divins, les révélations divines. Or, cette question est obscure et difficile, de l’aveu des experts. Si l'Église, considérée seulement comme société humaine, peut suffire à nous attester l’authenticité de ses Livres saints (surtout du Nouveau Testament), elle ne peut suffire de même à en attester l’inspiration. L’authenticité d’un ouvrage est un fait extérieur et simple, qu’une société purement humaine, ayant reçu et gardé un livre, peut facilement connaître et garantir ; l’inspiration est un fait intérieur et d’une nature mystérieuse, que l’on ne peut connaître que par le témoignage de Dieu qui inspirerait qui s’est transmis, pour nos Livres saints, d’une manière assez implicite et cachée ; cette tradition resterait obscure et douteuse en bien des points, si ne us n’avions l’infaillibilité de l'Église pour nous rassurer. C’est elle qui pourra nous donner avec certitude le catalogue ce mplet des livres inspirés, qui pourra nous dire jusqu’où s'étendent l’inspiration et

l’inerrance qu’elle comporte, etc. Voir t. ii, col. 15671569. Autre exemple : la nature de la foi. Comment faire cet acte, présenté par le Nouveau Testament comme fondamental, et qui a la révélation pour objet ? Dans quelle mesure est-ce un acte intellectuel ou affectif ? Quel est son motif propre ? Quelle révélation y suffit ? etc. Sur cette question de la foi, si difficile et si complexe comme on l’a déjà vii, qu’il serait facile de s’égarer sans l’enseignement de l’Église infaillible ! Les protestants, pour s’être privés d’une telle ressource, ne peuvent s’entendre sur la foi : chacun parmi eux conçoit aujourd’hui l’acte de foi à sa manière, l’un comme un sentiment, l’autre comme une connaissance, un autre comme un don de soi à Dieu sans croire à aucun dogme, celui-ci comme une science, celui-là comme une expérience, l’un comme un phénomène anormal, l’autre comme le développement naturel de la conscience humaine, quelques-uns selon la tradition, beaucoup contre elle. Et pourtant quelle question plus vitale pour la conservation de la foi elle-même, de la révélation, de la religion ? Pour l’impossibilité de trouver en dehors de l’Église infaillible un critérium de l’inspiration, voir Franzelin, op. cit., De div. Scripluris, thés, v-vm, p. 377 sq. ; Scheeben, La dogmatique, § 17, trad. franc., 1877, t. i, p. 192 sq. ; Wiseman, Conférences sur les doctrines de l’Église catholique, IIe conf., trad. franc., dans Migne, Démonstrations évangéliques, t. xv, p. 734 sq. Voir Inspiration. Pour les divergences actuelles parmi les protestants sur la nature de la foi, voir Snell, Essai sur la foi dans le catholicisme et dans le protestantisme, Paris, 1911.

3. L’effet naturel des controverses, qui devaient nécessairement surgir, rendait l’infaillibilité nécessaire pour la conservation de la foi. — Les apôtres et leurs successeurs, dans les catéchèses, n’ont jamais pu présenter à la croyance explicite et commune des simples fidèles qu’un nombre limité de vérités révélées ; il a fallu simplifier pour les foules, s’accommoder à leur faiblesse de mémoire et d’intelligence, et aux nécessités de la vie quotidienne qui les absorbent. D’ailleurs, par leur nature même certaines vérités révélées regardent plutôt les ministres de la religion que les autres, par exemple, ce qui a trait à l’administration des sacrements et au gouvernement de l’Église ; elles n’en sont pas moins profitables à tous par l’intermédiaire de ceux qui s’en occupent. Mais n’étant pas mises en lumière dans les Livres saints, ni prêchées publiquement, elles ont laissé peu de traces dans cette littérature chrétienne qui est parvenue aux âges suivants, d’ailleurs bien mutilée. Conservées par la simple pratique des ministres de l’Église, n’étant protégées ni par la prédication solennelle, ni par la publicité continue, ni par d’unanimes professions de foi, elles restèrent pins ou moins dans l’ombre, et prêtèrent davantage au doute et à la négation ; on conçoit que même des savants et des saints aient pu s’y tromper dans la suite des temps, et qu’elles aient été attaquées de bonne foi, et même au sein de l’Église. Mais quel sera l’effet naturel d’une pareille controverse ? La multitude des fidèles, voyant que les plus doctes dans l’Église disputent sur td point et ne s’accordent pas, viendra a en douter, ou se divisera elle-même ; ainsi une vérité salutaire restera, du moins [jour beaucoup de fidèles, obscurcie comme croyance, paralysée comme idée motrice, tant que la controverse durera ; et la contro-Verse tendra a s’éterniser : les écoles antagonistes qui

lucheront sut leurs positions, étant donnée la diffli ulté de la matière, et la facilité pour les meilleurs esprit ilre illusion <t de prolonger un

différend ; pi u d’espoii que lu l le que

nous venons de décrire pour une vélilé se reproduira ensuite poui nue autre, et pour <m-.mire encore.

Autant de vérités révélées, autant de petites flammes dans la nuit, que le vent de la controverse viendra agiter, et menacera d’éteindre ; peu à peu des taches noires se formeront çà et là dans ce vaste ensemble de lumières, dans cette belle illumination que Dieu avait donnée aux hommes ; et ces taches s’étendront de plus en plus. L’histoire intérieure du protestantisme nous montre sur le vif comment, par l’effet des négations successives, et en supposant même à tous les négateurs une parfaite sincérité, le doute finit par envahir tout ce qu’on avait conservé, comment on arrive a vider la religion de son contenu intellectuel, à n’avoir plus de vérité religieuse communément admise dans une même secte, dans une même réunion de prière ; et alors, comment un culte commun est-il sérieusement et longtemps possible ? Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1832. A ce mal si menaçant, Dieu, si attentif à pourvoir la société chrétienne de tous les organes et de tous les secours nécessaires, a dû préparer un remède. Mais quel remède ? On aura beau le chercher de toutes parts, on n’en trouvera pas d’autre que l’infaillibilité d’un tribunal qui finisse le débat et ramène l’unité de croyance. Voilà un nouvel aperçu sur le rôle de l’Église dans la foi, une nouvelle manière dont elle doit l’aider et la conserver, en jugeant les controverses. En même temps, c’est un argument classique pour l’infaillibilité de l’Église, admirablement développé par les théologiens catholiques après le concile de Trente. Sans doute, il ne pourrait suffire à lui seul : il faut la preuve historique de l’infaillibilité par les textes. Mais cet argument, c’est la profonde logique des choses qui va rejoindre et confirmer les textes positifs ; et il a l’avantage de montrer le pourquoi de l’infaillibilité de l’Église, d’après la méthode de saint Thomas qui cherche toujours la raison des dogmes et des institutions divines ; ne l’abandonnons pas. De plus, l’infaillibilité est du surnaturel : puisque le surnaturel ne peut être prodigué sans raison, il importe de montrer que les raisons ne manquaient pas pour l’institution divine de ce charisme ; qu’étant données la nature de l’homme et les conditions de la révélation surnaturelle telle que Dieu l’a faite, l’infaillibilité était requise comme un complément moralement nécessaire de cette révélation.

Nous ne pouvons ici que rappeler brièvement cet argument de nos controversistes, qui du même coup développe le rôle de l’Église comme gardienne de la foi. Des protestants ont cru trouver dans l’Écriture seule le tribunal que nous cherchons, le juge des controverses. Mais c’est son obscurité même qui fait naître les controverses I Ht jamais un livre ancien, quel qu’il soit, ne suffira par lui-même à trancher les questions qui s’agitent à son sujet. Quand les doctrines diverses qui lui sont favorables ou contraires auront revêtu des formes nouvelles, en rapport avec les nouveaux développements de la pensée ou du langage humain, comment reconnaître, sans contestation possible, le verdict du livre ? Il faudrait que l’Écriture ajoutât maintenant quelque chose à son texte obscur, à ses antiques formules ; qu’à ces deux plaideurs qui se disputent son autorité, elle fit entendre ce petit mot bien clair : « Nous, vous ave/, raison ; et vous, vous avez tort. Mais seul un juge vivant, interprétant le texte ancien, peut ainsi trancher le débat par une sentence ; aussi tous les peuples ont-ils reconnu que les codes ne sullisent pas a terminer les procès, et ont-ils établi pour cela des juges vivants. Voii i < un ri

sainte, t. iv, col. 2098. D’autres, parmi les anglicans surtout, ont ajouté a l’I'.crilure, comme arbitre

des controverses, les écrits des Pères qui l’expliquent,

les anciens monuments de la tradition. Mais par la nous ne sortons pas des livies inoits, qui ne peuvent S’expliquer eux-mêmes sur les nouvelles formes de la

vérité ou de l’erreur, ni prononcer une sentence entre les parties adverses. Les écrits des Pères, avec la sainte Écriture, sont sans doute une règle de notre foi » niais une règle incomplètement efficace dans les cas obscurs ; cette règle doit diriger les juges vivants dans leurs travaux préparatoires à un jugement, mais ne suffit pas sans ce jugement à finir les controverses. Alors, ne pourrait-on pas recourir à un tribunal ecclésiastique qui jugerait, mais sans infaillibilité? C’est la solution proposée souvent autrefois par des protestants, malgré l’entorse qu’elle donne à leur principe du libre examen. Ainsi, au synode de Dordrecht(lC18), des calvinistes condamnèrent le système des arminiens, hostile à la prédestination et favorable au libre arbitre ; en 1640, les anglicans condamnèrent les sociniens, ancêtres du rationalisme, etc. L'Église anglicane, dans son art. 20, s’attribue « l’autorité dans les controverses de foi, » tandis qu'à l’art. 21 elle nie l’infaillibilité des conciles généraux eux-mêmes. Que dire de cette solution moyenne, qui admet l’autorité du juge vivant sans aller jusqu'à son infaillibilité? Elle est insuffisante et boiteuse ; aussi les protestants et l'Église anglicane elle-même ont fini par renoncer en pratique, dans leurs synodes, à l’exercice de toute autorité doctrinale, leurs fidèles n’y ont pas confiance. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1858. C’est qu’ici il ne suffit pas d’une autorité quelconque, il faut qu’elle soit infaillible. Dans l’ordre civil et politique un législateur, un juge n’est pas infaillible, c’est vrai : mais il décide des questions purement extérieures, il n’a pas à imposer des adhésions de l’intelligence, comme quand il s’agit de la foi ; il ne tranche pas des questions d’idées. Même dans l’ordre ecclésiastique et religieux, on conçoit encore un tribunal faillible, pourvu qu’il se contente de rappeler les vérités déjà définies ou professées par tous les chrétiens, d’en urger l’application par des mesures disciplinaires, des excommunications : mais qu’un tel tribunal prétende trancher définitivement et sans appel une controverse de foi, c’est-à-dire une question nouvelle et librement discutée, et veuille par sa décision obliger la foi chrétienne, la foi souverainement ferme et inébranlable, à aller dans un sens plutôt que dans l’autre, c’est le faillible usurpant ce qui ne convient qu'à l’infaillible, c’est une tyrannie des consciences. Si l'Église catholique, pour ne pas laisser les fidèles sans direction avant d’arriver à une définition qui ne paraît pas encore assez mûrie, se sert parfois d’une forme de jugement doctrinal comme en première instance, rendu soit par un synode particulier, soit par une Congrégation romaine, etc., c’est à la condition qu’elle ait dans son infaillibilité la possibilité d’aller plus loin et de porter enfin une définition. La sentence provisoire peut avoir de bons effets : mais elle ne peut remplacer absolument et toujours la sentence définitive, Concluons : à l’obscurcissement progressif des vérités révélées par les controverses qui s’additionnent et ordinairement ne finissent pas toutes seules, il ne reste qu’un remède vraiment efficace : c’est l’infaillibilité de l'Église portant sur les doctrines un jugement absolu et définitif. Nous n’avons point parlé de la solution illuministe qui étendrait l’infaillibilité à chaque fidèle, soit parce qu’elle est contraire à l’expérience (il n’y aurait pas alors de controverses, et l’EspritSaint produirait en tous la même lumière), soit parce que nous l’avons déjà rejetée à propos des révélations privées. Voir col. 147. Sur les trois étapes ou « stades » par lesquels passent les vérités finalement définies, voir Explicite et implicite, t. v, col. 1870. Le protestantisme qui ne veut plus admettre d’infaillibilité ecclésiastique, ni hors de lui ni chez lui, a fini par se convaincre, à force d’expérience, qu’il restait sans remède contre cette diminution progressive et

cette déperdition de nombreuses vérités tenues autrefois comme révélées, souvent même inscrites dans ses confessions de foi officielles. Alors, sur la question de l’objet de la foi, il a essayé deux nouvelles positions. La première en date est celle des « articles fondamentaux » préconisée par le ministre Jurieu, adversaire de Bossuet. Ce système, que les protestants conservateurs d’alors regardaient comme téméraire et ultralibéral, est accepté aujourd’hui par eux comme le dernier refuge, le suprême effort d’un orthodoxisme aux abois. Il répond à cette préoccupation : Faisons la part du feu ; à l’audace envahissante des négations, abandonnons, comme simple accessoire de la foi, comme objet niable, la grande masse des dogmes révérés de nos pères ; mais du moins sauvons-en trois ou quatre, comme la trinité, la divinité du Christ, le péché originel : ceux-là, nous y tiendrons comme à la vérité absolue, ils seront l’essence même du christianisme, et l’on ne sera plus chrétien, mais excommunié, si l’on se permet d’en nier un seul. Voir t. i, col. 2025 sq. Voilà un conservatisme bien mitigé, une vraie miniature d’orthodoxie : jamais les premiers chrétiens n’ont réduit la foi obligatoire à un tel minimum. Si saint Paul avait eu un tel système, il n’aurait pas traité des chrétiens de son temps comme « naufragés de la foi, gens livrés à Satan » pour avoir nié le dogme de la résurrection de la chair, que nos protestants orthodoxes ne placent nullement parmi les points fondamentaux. I Tim., i, 19 ; II Tim., ii, 17, 18. De plus, il faudrait un critère pour fixer ces articles fondamentaux, une ligne de démarcation bien nette entre les vérités essentielles au christianisme et celles qui ne le sont pas, entre celles qu’on ne peut pas nier et celles qu’on peut nier sans cesser d'être chrétien. Or, ce critère manque absolument, et jamais les protestants n’ont pu s’entendre là-dessus, bien qu’au dire de l’un d’eux, Mosheim, on puisse monter une bibliothèque des ouvrages qu’ils ont écrits à ce sujet. Sur ce défaut de critère, voir le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1910, t. i, col. 1274, 1275. Les protestants libéraux ont depuis longtemps fait ressortir ce défaut capital du système : « Toutes les fois qu’on voudra vous imposer l’unité orthodoxe, disait Athanase Coquercl fils, exigez avant tout que les orthodoxes s’accordent entre eux sur ce qu’ils veulent vous imposer. » La conscience et la foi, Paris, 1867, p. 157. « Nous avons assisté avec intérêt et même avec sympathie, mais sans aucune illusion, écrit Aug. Sabatier, aux tentatives que l’on a faites pour déterminer un certain nombre de dogmes immuables ou absolus dans l’une ou l’autre des Églises protestantes. Les théologiens les plus subtils s’y sont employés ; tous ont échoué. Cet échec a été aussi éclatant et inévitable dans l'Église anglicane et dans le luthéranisme allemand, très voisins du catholicisme, que dans les Églises réformées de France, de Suisse, d’Ecosse ou d’Amérique… Pour opérer ce travail d’exégèse et de construction dogmatique, il faudrait avoir recours à des hommes, à des savants qui, n'étant pas infaillibles, ne sauraient communiquer au résultat de leur œuvre un caractère qu’eux-mêmes n’ont pas. La même contradiction revient toujours. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 4e édit., 1897, p. 288. Le résultat final, c’est que la fraction conservatrice elle-même, dans chaque communauté protestante, cède, cède encore aux libéraux pour le bien de la paix, et descend vers la destruction de tout dogme. Voir Snell, op. cit. r p. 109 sq. Pour s’entendre entre conservateurs et libéraux par une formule de conciliation telle quelle, on en arrive à réduire l’objet de la foi, l’essence du christianisme, à une idée très vague. M. Harnack, par exemple, mettra cette essence dans la « foi au Père » . Quant à ce Père, chacun l’entendra comme il voudra, Dieu

personnel ou non, âme du monde, force inconnue, etc. M. Loisy lui-même remarquait à propos de l’Essence du christianisme de Harnack : « Une religion qui a tenu tant de place dans l’histoire, et qui a renouvelé pour ainsi dire la conscience de l’humanité, a-t-elle son point de départ et toute sa substance dans une seule pensée ?… Se peut-il qu’un tel fait ne soit pas plus complexe ?… Cette théorie est celle qui domine la savante histoire des dogmes, qu’a publiée le même auteur. Mais l’a-t-il déduite réellement de l’histoire, ou bien n’aurait-il pas simplement interprété l’histoire d’après sa théorie ?… L'Évangile a existé indépendamment de nous ; tâchons de l’entendre en lui-même, avant de l’interpréter par rapport à nos préférences ou à nos besoins. » L 1 Évangile et l'Église, 1902, Introd., p. viii. Ces réflexions très justes atteignent également tous les autres « abstracteurs de quintessence » qui entreprennent aujourd’hui de réduire le vaste ensemble de vérités apportées par le Christ et par saint Paul à tel ou tel résidu minuscule qui leur plaît. Voir la formule de conciliation proposée à Genève : « Jésus sauveur des hommes, » dans Snell, op. cit., p. 106-108.

En face de cette banqueroute de la foi protestante, l’autorité doctrinale infaillible, si nettement revendiquée et si utilement exercée par l'Église catholique, loin d’effrayer ceux des protestants qui cherchent la vérité de toute leur âme, a été le principal attrait qui nous en a amené plusieurs, fatigués qu’ils étaient de l’anarchie intellectuelle à laquelle leurs Églises ne trouvaient pas de remède.

La dernière position essayée par le protestantisme — et celle-là en dehors de toute orthodoxie — c’est l’antidogmatisme des libéraux. « Les dogmes vont se perdre les uns après les autres dans le doute et la négation, disent-ils, et nous n’avons pas de remède au mal : mais ce mal est-il un mal ? Nous n’avons plus de doctrine commune, c’est vrai : mais le christianisme primitif n'était pas une doctrine ; la foi n’est pas l’adhésion à une doctrine. » Et l’on vit se précipiter dans ce paradoxe inouï, mais commode, une cohue d’esprits d’ailleurs fort divers : les piétistes, à qui suffisait une vague sentimentalité, voir Expérience religieuse, t. v, col. 1797, 1798 ; les protestants rationalistes, que gênaient la plupart des doctrines de l'Évangile, révélations et miracles, anges et démons, ascétisme et conseils évangéliques, eschatologie, etc. ; les protestants subjectivistes et sceptiques qui, n’admettant nulle part de vérité objective et absolue, n’en pouvaient reconnaître dans l'Évangile ; le modernisme enfin, qui relève et des piétistes et des rationalistes et des sceptiques. Ci paradoxe, nous l’avons déjà réfuté au commencement de cet article, en montrant le sens du mot « foi » dans le Nouveau Testament, en établissant l’idée première et fondamentale de la foi. Considérons les sources historiques par dû nous pouvons connaître les origines chrétiennes : nous y voyons que Jésus tenait essentiellement à la doctrine, et saint Paul aussi. Voir Études du 20 avril 1908, p. 170-173. M. Harnack avoue lui-même que Paul comptait parmi les conditions du saint une certaine science du Christ et de sa rédemption. L’essence du christianisme, trad. franc., 1902, p, 11." » . Le même souci de la doctrine, avec l’horreur de l’hérésie, se retrouve chez les premiers Pères, voir H. i<. d’Antloche, S. [renée, Tertullien, col. 79-80. Cf. S. Justin, Dial. cum Tryphone, a. 80, P. G., t. vi, col. 866 ; Polycarpe dans [renée, Cont. hier., 1. 111, c. iii, n. 1, /'. (, ., t. vii, col. 853 ; Clément d’Alexandiie, Simm., vil, c. xv, p. < ;., t. ix, col. 531.

Puisque toutes CCI positions successives du protestantisme <, iit Intenables, il faut donc revenir à l’infaillibilité de l'Église, moralement nécessaire à la conservation de i.i foi et prouvée pai des textes positifs. On peut même, comme nous l’avons « lit. tirer de <

nécessité un nouvel argument pour l’infaillibilité : non pas que Dieu soit obligé a priori de nous donner tout ce qui est moralement nécessaire au bien de la religion, ou qu’il ne puisse jamais donner à l’homme une révélation quelconque sans pourvoir, par une institution spéciale, à sa conservation ; non : mais la révélation chrétienne, seule ici en question, nous est montrée dans l'Écriture et la tradition comme l’aboutissant de toutes les autres, et d’une perfection telle qu’on ne peut douter que Dieu l’ait accompagnée de tous les compléments nécessaires à sa conservation. S’il a voulu, même par des moyens surnaturels et sûrement efficaces, conserver la foi chez le peuple juif jusqu’au Christ, comment s’imaginer qu’il n’a pas eu la même bonne volonté pour le peuple chrétien, et dans le Nouveau Testament, de tout point si supérieur à l’Ancien ? Et puisque, l'ère des révélations publiques étant close, il n’envoie plus, comme dans l’Ancien Testament, des prophètes dont l’influence servait aussi à conserver la foi chez les Juifs, cf. Franzelin, De tradilione, thés, xx, p. 251, il ne restait que cette institution de l’infaillibilité de l'Église pour assurer pendant des siècles nombreux, et jusqu'à la fin des temps, la conservation de la foi chrétienne.

4. Le développement futur du dogme et celui de la théologie rendaient l’infaillibilité de l'Église encore plus nécessaire à la conservation de la foi. — Le développement, le progrès du dogme découle inévitablement des circonstances de la révélation chrétienne. Et d’abord, des faits que nous avons rappelés tout à l’heure : bien des vérités révélées sont restées plus ou moins dans l’ombre, au début du christianisme, contenues et enveloppées soit dans d’autres vérités plus générales que l’on se contentait d'énoncer, soit dans la simple pratique des sacrements et autres divines institutions ; quand plus tard on a commencé à les en dégager et à les énoncer explicitement, la controverse a souvent surgi dans l'Église même à leur sujet, et ces vérités, ainsi révoquées en doute par plusieurs, en ont souffert plus ou moins longtemps ; enfin le jugement de la controverse par l’autorité doctrinale a rétabli dans toute l'Église le premier accord, le consentement unanime, mais cette fois perfectionné par le fait que la vérité était désormais explicitement reconnue de tous, et, grâce aux explications de l'Église, mieux comprise qu’aux premiers siècles ; voilà un progrès. La profondeur même et la fécondité des vérités révélées, leur harmonie avec, les besoins des différents temps, leur opposition aux innombrables erreurs de l’avenir, tout cela ne pouvait être compris des premiers chrétiens ; ils ne pouvaient recevoir que des principes dont l’avenir se chargeait de dérouler toutes les conséquences. Voir Franzelin, De traditione, thés, xxiii, p. 283 sq. Le développement de la pensée, en dehors même de l'Église, est un autre stimulant du progrès, soit en fournissant aux défenseurs de la révélation des méthodes plus exactes, et îles vérités rationnelles qui, rapprochées des vérités de la foi, en feront jaillir des conclusions dont s’accroîtra la théologie, soit en produisant des formes plus raffinées d’erreur, qui forceront les théologiens au travail, et que l'Église jugera par une application plus détaillée et plus savante des prlncipei de le révélation. Le développement, le progrès du dogme est affirmé par le concile du Vatican, dans les tenues de Vincent de I.érins. Denzinger, n. 1800, 1818. Voir Dogme, t. iv, col. 1603 1637. <)r un dogme qui se développe en

pawant de l’implicite à l’explicite, et qui, en se développant, ne doit jamais se changer en son contraire el doit garder son immutabilité substantielle, voir 1)> coi. 1599-1603, est bien pins difficile à conserver

qu’un recueil lise de formules anciennes qui n’aurait jamais à s’enrichit île nouvelles formules plus préei

ses, opposées à du nouvelles erreurs. Si l’autorité doctrinale n'était pas infaillible, ne serait-il pas à craindre que ces précisions nouvelles, adoptées par elle avec la meilleure foi du monde, n’aboutissent parfois à faire dévier le dogme, à changer substantiellement la révélation ? La science humaine des juges ecclésiastiques ne suffirait pas à nous rassurer ; et l’on pourrait discuter, par exemple, celle des Pères de Nicée, quand ils ont jugé la controverse soulevée par les ariens, et imposé la nouvelle formule du « consubstantiel » . Seule, l’infaillibilité du concile œcuménique peut, dans des questions si subtiles et si délicates, nous rassurer pleinement ; et déjà au Ve siècle l’historien Socrate répondait à un hérétique que les Pères de ce concile, " malgré leur simplicité et leur peu de science, éclairés qu’ils étaient par la grâce de l’Esprit-Saint, n’ont pu en aucune façon dévier de la vérité. » H.E., 1. I, c. ix, P. G., t. lxvii, col. 87. « Si le Seigneur n’habitait pas l'Église d’aujourd’hui, dit saint Augustin, la spéculation la plus studieuse aboutirait à l’erreur. » Enarr. in ps. ix, n. 12, P. L., t. xxxvi, col. 122.

Cette considération avait frappé Brunetière. Il cite ce mot de Newman : « Si le christianisme est à la fois social et dogmatique, et qu’il soit destiné à tous les siècles, il doit, humainement parlant, avoir un organe infaillible, » et le commente en ces termes : « Si le dogme ne vivait pas d’une vie intérieure et intense, mais surtout ininterrompue ; si, de l'étude approfondie que les théologiens en font, il ne s’engendrait pas tous les jours, pour ainsi parler, des conséquences si nombreuses, et quelquefois si contradictoires, qu’aucune autorité particulière ou individuelle, ni même collective, n’en saurait absolument garantir l’orthodoxie ; si son immutabilité ne courait pas enfin le risque d'être mise en péril par la richesse de son développement, c’est alors, vous le voyez bien, que le christianisme n’aurait pas besoin d’un organe infaillible ! Mais, comme il faut qu’il soit toujours, à moins de cesser d'être lui, « contemporain à l’humanité, » et comme il ne peut l'être qu’en adaptant à des besoins nouveaux des vérités éternelles, il lui faut donc une autorité dont le rôle soit de démêler ou de décider, parmi les développements du dogme, lesquels sont légitimes et lesquels ne le sont pas ; lesquels étaient contenus implicitement dans sa formule, et lesquels ne l'étaient point ; lesquels enfin élargissent, sans le dénaturer, l’enseignement de l'Église, et lesquels, comme au xvie siècle, en prétendant l'épurer, le déforment. » Le progrès religieux dans le catholicisme, discours prononcé à Florence en 1902, dans le Correspondant du 10 novembre 1902, p. 403.

Voilà pourquoi les schismatiques orientaux, ne reconnaissant pas plus que les protestants une infaillibilité vivante à laquelle on puisse recourir, mais tenant plus qu’eux à la conservation du dogme, proclament que les premiers conciles œcuméniques, ceux qui ont précédé leur séparation, étaient infaillibles, en quoi ils n’ont pas tort, mais ajoutent qu’il faut s’en tenir exclusivement aux définitions de ces conciles : soit que, d’après eux, il ne puisse plus y avoir de nouvelles controverses à décider, soit que la simple répétition des antiques formules doive suffire à trancher toute nouvelle controverse. On' aurait donc pu se passer d’un organe vivant de l’infaillibilité, et de tout concile œcuménique nouveau, pendant près de mille ans jusqu'à nos jours, et l’on pourrait continuer à s’en passer encore. Déjà Joseph de Maistre, qui avait étudié de près l'Église russe, observait que dans la discussion ils en reviennent toujours là et qu’il leur a entendu dire mille fois qu' « il ne faut plus de concile, et que tout est décidé. » Du pape, 1. IV, c. vi, Œuvres, Lyon, 1884, t. ii, p. 478, 479. Il ne faut plus

de controverses ; le czar les étouffe et impose silence à tout le monde. De Maistre, Lettres et opuscules, t. ii, p. 407. Que dire de cette position, diamétralement opposée au développement du dogme ? Si respectueuse qu’elle puisse paraître de la tradition, elle contredit la tradition des Pères grecs, ceux-là précisément dont se réclament les grecs séparés : les Pères grecs étaient des penseurs, des chercheurs, préoccupés de développer les sciences théologiques, développement qui ne peut se faire sans essayer des explications nouvelles, sans les défendre contre les contradicteurs, en un mot sans le choc des opinions. Elle contredit la tradition de ces conciles qu’ils invoquent, par exemple, de celui de Chalcédoine, qui, dans son allocution à l’empereur Marcien, déclare nécessaire d’opposer aux nouvelles erreurs une nouvelle « découverte de vérité » et de les réfuter par de « salutaires additions » à la doctrine. Hardouin, Concil., t. ii, p. 646. Restreindre cette nécessité à une époque ancienne, comme s’il n’y avait plus désormais de nouvelles erreurs, c’est se moquer de la psychologie et de l’histoire. Restreindre les promesses divines d’infaillibilité à quelques siècles de la vie de l'Église au détriment des autres, c’est illogique, et sans fondement dans l'Écriture ni dans la tradition chrétienne ; le Christ n’a pas dit : « Je suis avec les sept premiers conciles, » mais : « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. » Matth., xxviii, 20. Prétendre qu’un formulaire mort peut suffire à juger toutes les controverses nouvelles, c’est ce que nous avons réfuté plus haut. Vouloir étouffer toute controverse, c’est la prudence de l’aveugle qui s’arrête immobile sur un chemin dangereux qu’il ne connaît pas ; c’est vouloir comprimer l’esprit humain, supprimer le développement du dogme et de la théologie, conserver verbalement des formules sans chercher à en comprendre le sens, réduire la foi à un pur psittacisme, remplacer la science par l’ignorance, la vie intellectuelle par la mort.

Ce n’est pas ainsi que l'Église catholique entend l’immutabilité des dogmes, et leur conservation. Elle tient sagement le milieu entre l’anarchie fiévreuse des sectes protestantes, et la torpeur léthargique des Églises orientales séparées ; entre la mobilité effrénée des unes et l’immobilité pétrifiée des autres. Elle conserve les dogmes anciens, mais comme Dieu veut qu’on les conserve, avec intelligence, avec développement et progrès, pour être une lumière à tous les siècles. C’est qu’elle seule revendique l’organe nécessaire à une semblable conservation, le magistère infaillible et vivant. Parce qu’ils ne comprennent pas cette via média, ses adversaires lui jettent deux accusations qui se contredisent entre elles, comme le remarque le P. Janvier : « On lui reproche tantôt de changer…, tantôt de rester figée dans des conceptions condamnées par le progrès ; on la somme ici de revenir à ses origines, de renoncer à tout le développement dont elle a été l’agent, là d’oublier le passé…, de s’adapter, par des transformations volontaires, par une évolution continue, aux besoins des esprits, aux aspirations des âmes, aux caprices des âges. » La foi, carême 1911, 2e édit., Ve conf., p. 175.

3° Conclusion. L'Église, règle de foi. — Comme le feu a pour matière les divers combustibles, ainsi la foi a pour objet, pour matière, toutes les vérités qu’il a plu à Dieu d’attester, de révéler autrefois, son motif spécifique étant le témoignage divin. Et comme, pour faire du feu, il faut d’abord se procurer des matériaux, ainsi, avant de croire, il faut savoir où se trouvent les vérités révélées, et comment on peut les discerner de celles qui ne le sont pas. On appelle « règle de foi » un moyen général et infaillible de trouver, de discerner les vérités révélées, du moins un bon nombre d’entre

elles ; la règle de foi nous fournit de la « matière à croire » . Le credo a été appelé « règle de foi « par Tertullien, voir col. 80, mais c’est une règle en abrégé, qui ne donne que quelques vérités principales de la révélation. L’Écriture, infaillible et immense collection de vérités révélées, est certainement une règle de foi ; cependant plusieurs vérités révélées n’y ont pas pris place et ont été gardées par la seule tradition. Voir Écriture sainte, t. iv, col. 2095-2097. L’Écriture et l’antique tradition sont donc des règles de foi : mais on les appelle « règles éloignées » , parce que, à raison de leur antiquité et de leur obscurité en bien des points, leur contenu, avec son exacte interprétation, demeure trop éloigné de notre connaissance certaine : il faut que l’Église infaillible vienne nous rassurer sur leur origine divine, sur l’étendue et la nature de leur inspiration ou de leur infaillibilité, sur le sens de tel ou tel passage. L’Église est donc, elle aussi, une règle de foi, c’est-à-dire un moyen général et infaillible de discerner les vérités révélées : mais une règle vivante, qui peut toujours s’expliquer elle-même, et adapter ses explications à toutes les mentalités de tous les siècles ; et une règle prochaine, plus à notre portée que l’Écriture et les anciens monuments de la tradition, qu’elle sert à rapprocher de nous. Elle ne supprime pas, en cflet, ces règles éloignées : elle doit, au contraire, puiser à ces sources, employer ces instruments de travail ; elle épargne ainsi à chaque fidèle une besogne difficile et même impossible, en la faisant pour eux, et son infaillibilité en garantit le succès.

Il n’y a pas là, comme l’ont dit les protestants, l’usurpation d’hommes qui se mettent au-dessus de la parole de Dieu ; c’est Dieu qui les met, non pas au-dessus de sa parole et de son Écriture, mais au-dessus des individus faillibles qui la méconnaîtraient ou l’entendraient mal. De ce qu’une vaisselle d’or ou d’argent ne peut être vendue sans le poinçon de l’expert, sa valeur n’est pas diminuée, mais assurée. Au reste, l’Église n’ayant pas le don de révélations nouvelles, l’Écriture garde toujours sa suprématie comme révélation et témoignage de Dieu. L’Église n’est règle suprême de la fui qu’en un sens seulement, et relativement a nous, comme plus accessible et plus claire cl disant le dernier mot sur les controverses.

Mais, nous dit-on, quand vous confrontez une formule, une doctrine, avec l’Écriture et l’ancienne tradition, ou bien elle y apparaît clairement contenue ou bien la question reste obscure. Dans le premier cas, l’intervention de l’Église est superflue, les règles i éloignées » se suffisent. Dans le seconr cas, l’Église qui, de votre aveu, ne petit tirer les vérités révélées que de ces règles anciennes, ne peut alors procéder prudemment a une définition, el son intervention est impossible. Pourquoi donc l’ajouter comme règle à ces anciennes régies de foi’.' Réponse. — Dans le premiei ca. ce qui peut être clair pour les érudits de l’exégèse, de la patristique et de la théologie, souvent ne l’est pas assez pour la multitude des fidèles ; et pour mettre en jeu la fui de toute une société, il faut que l’obligation < ! < croire ioil lus nettement et 1res publiquement promulguée ; donc l’intervention de ri iie m’( i pas superflue. Dans le second cas, ton ! dépend di ci que vous entendez par obscurité » . si telle du. ii me. même après de longues recherches de l’Église dans les sources de la révélation, ne lui parait tainement contenue, alors la prudi née ne lui permet pas de procéder à une définition. Mais pat ob’urité on peut entendre seulement les mit s de l’état « le controverse, le choc des affirmations et di

Itions parmi les savanls, le doule qui en résulte « hé/, beaucoup de fidèles, i n tel obscurcissement de la vérité révélée n’empêche pas toujours l’Église, par

DK.T. DI lin.ol.. catiioi.

un travail difficile mais surnaturellement aidé, d’arriver à une solution qui lui paraisse assez sûre pour être définie. Dieu, d’autre part, en vertu de son assistance promise, ne permettrait pas que cette définition s’accomplît, si elle était erronée, et il a mille moyens de l’arrêter. Quand se produit le fait de la définition, ainsi revêtu de la permission divine, c’est donc un fait nouveau qui se suffit à lui-même pour trancher la question d’une manière absolue, quelle qu’ait été, du reste, la prudence des juges, laquelle échappe par ailleurs à notre appréciation, quel qu’ait été l’ensemble de preuves tirées des sources anciennes qui a pu faire impression sur les auteurs de la définition. Ainsi une question de science ou d’exégèse compliquée, discutée, difficile, sera remplacée par une simple question de fait, et de fait contemporain et indiscutable, grâce à l’intervention de la règle vivante.

De là deux méthodes pour se procurer les vérités révélées, matière de l’acte de foi. La méthode analytique recourt à l’analyse difficile et personnelle des sources, des règles éloignées ; la méthode synthétique recourt à la synthèse commode qu’en fait l’Église par ses définitions, par ses professions de foi. Le protes tantisme, au nom du libre examen, ne reconnaît que la première ; toutefois, par une heureuse faute de logique, il emploie la seconde pour l’instruction de ses fidèles, des enfants surtout, en leur donnant la synthèse commode d’un catéchisme, ou d’une confession de foi. Les catholiques donnent a la méthode synthétique une place prédominante. 1, eurs théologiens, il est vrai, par un usage modéré de la méthode analytique, pourront et devront chercher dans l’Écriture et les Pères ce qui se rapporte à chaque dogme. En montrant ainsi leur respect pour ces sources antiques, dont la fréquentation est d’ailleurs si bienfaisante, ils pourront montrer aussi que l’Église n’a pas créé le dogme de toutes pièces, mais n’a fait que le développer ; ce qui est une sorte d’apologie de ses définitions ; car, suivant la remarque du P. Janvier, l’Église « ne définit pas une vérité sans provoquer des cris et des colères : qu’elle parle de l’infaillibilité du pape ou de l’immaculée conception, ses ennemis l’attaquent au nom des croyances d’autrefois. » I.or. cit. Mais cette espèce d’apologie, si utile qu’elle soit, n’est pas nécessaire pour nous convaincre de la justesse des définitions : il est pour cela une autre voie qui consiste à nous convaincre d’abord de l’infaillibilité de l’Église ; dès qu’on la connaîtra comme infaillible, on saura « pie le développement du dogme a dû se faire normalement et sans déviation, et que tous les dogmes catholiques sont surs de rejoindre l’ancienne révélation. Cette voie est

suffisante a larigueur, et pratiquement la seule possible

a la grande multitude des fidèles. Les vérités de la foi, fermement acceptées comme la parole de Dieu même, doivent servir le plus tôt possible à éclairer et a diriger notre vie, c’est leur but. Or la méthode analytique les donne lentement, Une a une, avec un travail scien

tiiîquc différent pour chacune, et des recherches diffî ciles dans les sources ; bien plus tôt on connaîtra l’Église, et alors par la méthode synthétique on rece

yra d’eÙe toutes les vérités révélées dont on a besoin, toutes en bloc sous la même garantie de son infailli bilité une fois prouvée, la vie est < oui le, el les OCCU

pations absorbantes ne permettent pas a beaucoup d’esprits le luxe de la méthode analytique, c’est -à dire

de l’exégèse, de la théologie positive et de l’hi

dogmi. choses d’ailleurs tics compliquées dans les qui lies ils se mu. rftii ni. La méthode analytique a son rôle dans l’Église, oui. mais elle appartient a cette ice. a ( ette i M ]ms, - que les Pères conseillaient d’ajouter à la foi quand on en est capable et qu’on en a

le loisir, el après avoir longtemps auparavant coin

mencé pai croire. Voii Clément d’Alexandrie, Strom.,

VI. - 8

VII, c. i, P. G., t. ix, col. 481 ; S. Cyrille d’Alexandrie, In Joa., 1. IV, c. iv, P. a., t. lxxiii, col. 027 ; S. Anselme, CurDeus homo, 1. I, ç. ii, P. /.., t. clviii, col. 302. Cf. Scheeben, Dogmatique, trad. franc., 1877, t. i, n. 852 sq., p. 552 sq.

De même dans la controverse protestante, la voie efficace et relativement courte consistera à poser d’abord la question capitale de méthode, la question de la règle de foi, autant qu’on pourra l’obtenir d’eux ; car, en supposant leur méthode sans la discuter, ils préfèrent se jeter sur des dogmes particuliers et des questions de détail, à trancher par la seule Écriture ou les anciens monuments de la tradition. Déjà Tertullien avait noté la marche à suivre dans la polémique. De præscripl., c. xvii, P. L., t. il, col. 30 ; cf. c.xv, xix. Voir Freppel, Tciiullien, t. ii, p. 212 ; d’Alès, La théologie de Terlullien, p. 205. Que dire de ces modernistes, véritables protestants par la méthode, qui des enseignements de Jésus ou de Paul ne retiennent comme certain que ce qu’ils ont pu tirer d’une exégèse purement philologique et historique ? ou de ces catholiques qui, dans leur controverse avec l’hérésie, acceptent sur le terrain soit de la seule Écriture, soit des plus anciens Pères, la discussion d’un dogme particulier quelconque' ! N’y a-t-il pas des vérités révélées, appartenant, par exemple, aux sacrements ou liées logiquement avec eux, cpii ont pu se conserver implicitement mais suffisamment dans la seule pratique de l’administration des sacrements, pratique oralement transmise par les ministres entre eux ? Bien des détails de cette pratique n’ont laissé que peu ou point de traces dans les plus anciens écrits ; mais l’autorité ecclésiastique en avait conscience, et plus tard par des définitions elle nous a garanti et ces détails et les vérités dogmatiques qui s’y rattachent. La méthode historique ne peut donc suffire à nous fournir tout le donné révélé, ni à prouver que tous nos dogmes rejoignent l’ancienne révélation.

Pour achever de décrire le grand rôle de l'Église dans la foi, il faudrait montrer comment elle peut servir de motif de crédibilité : mais ce point sera traité ailleurs.

II. JUSTES LIMITES D<7 RÔLE HE L'ÉGLISE HA.S l 1

foi. — Après ce que nous venons de dire, une contre-partie s’impose, soit par souci de la précision, soit à cause des exagérations de quelques catholiques ou protestants. Avec les théologiens et pour éviter une longue périphrase, nous appellerons « proposition d’une vérité par l'Église » l’acte par lequel l'Église infaillible, entrant en communication avec le croyant et lui faisant connaître son autorité et sa mission, lui présente cette vérité comme révélée de Dieu, en lui notifiant l’obligation de la croire. D’après la doctrine commune, nous poserons les principes suivants :

1° La proposition par l'Église n’est pas une condition essentielle de l’acte de foi divine et salutaire. — En voici quelques preuves :

1. Dans saint Paul, Abraham nous est présenté comme le modèle achevé de la foi qui doit nous conduire à la justification et au salut. Rom., iv, 4 sq. Et cependant, puisque l’autorité doctrinale de l'Église n’existait pas de son temps, le patriarche n’a pu y appuyer sa foi : ce n’est donc pas une de ces conditions essentielles, qui ne peuvent en aucun cas faire défaut.

2. Même dans le Nouveau Testament, Act., ni, iv, nous voyons saint Pierre, après avoir prouvé par un miracle la divine mission du Christ « et sans faire aucune mention de l’autorité de l'Église ou de la sienne, convertir cinq mille hommes qui, sans doute, sont arrivés prudemment à faire un acte de foi (avant le baptême), bien qu’ils n’eussent pas encore l’idée de l’autorité de l'Église. » Lugo, De fide, dist. I, n. 252, Opéra, Paris, 1891, p. 122.

Et pareillement de nos jours l’infaillibilité de l'Église

n’est pas présentée nécessairement la première à notre foi. « L’expérience montre cpie les enfants ou les adultes qui commencent à être instruits dans la foi ne conçoivent pas toujours cette autorité infaillible de l'Église, cette assistance de l’Esprit-Saint, avant (le croire tout autre article. Ils croient les articles de foi dans l’ordre où on les leur donne ; et il arrive ainsi qu’ils croient cette vérité après plusieurs autres. » Lugo, loc. cit., n. 247, p. 120. Ni le symbole des apôtres, ni les catéchismes ne parlent en premier lieu de l’autorité infaillible de l'Église : or ils devraient le faire, si la foi aux autres articles n'était possible qu'à la condition de passer par ce dogme. Il y a donc quelque exagération dans la polémique de Bossuet contre le ministre Claude et dans sa célèbre conférence. Œuvres, édit. Lâchât, t. xiii, p. 544, 558, 583.

3. S’il arrive qu’une vérité révélée, comme l’immaculée conception avant sa définition, se trouve obscurcie par la controverse, voir col. 161, et qu’en conI séquence le magistère ecclésiastique ne la propose pas aux fidèles comme un objet de foi obligatoire, mais tolère qu’on ne la croie pas, elle n’est cependant pas perdue alors pour la foi de l'Église entière ; un certain nombre de fidèles la croient toujours très fermement comme révélée, et elle est ainsi conservée, quoique imparfaitement, dans la foi de l'Église, qui avec l’assistance divine ne peut perdre complètement une partie de son objet, de son patrimoine de vérité. Or, ceux qui croient alors ce point de révélation ne peuvent s’appuyer sur le magistère vivant et infaillible, puisqu’il se retire et se tait, pour le moment, en attendant une définition s’il y a lieu : voilà donc encore un cas où la foi ne s’appuie pas sur sa règle prochaine, l'Église infaillible, mais seulement sur ses règles éloignées. C'était donc une mauvaise théologie que Dôllinger, en 1870, opposait à la définition de l’infaillibilité pontificale, en tâchant de prouver ainsi que VÉglise n’avait jamais cru ce qui allait être imposé sous peine d’anathème à la foi des catholiques : « Elle ne l’a pas cru. Car ceux-là même qui ont regardé jusqu’ici comme certaine cette infaillibilité du pape ne pouvaient la croire dans le sens chrétien du mot… Le catholique ne peut et ne doit croire que ce qui est enseigné et proposé par l'Église comme vérité révélée par Dieu, appartenant à la substance de la doctrine du salut, élevée au-dessus de toute espèce de doute. Il ne peut et ne doit croire que les vérités dont la confession est nécessaire pour appartenir à l'Église, dont la négation est absolument prohibée par l'Église et rejetée comme erreur manifeste. Donc personne, depuis les commencements de l'Église jusqu'à nos jours, n’a cru réellement à l’infaillibilité du pape… Beaucoup ont simplement supposé, admis comme probable, ou tout au plus comme humainement certain, fide humana, cette prérogative. Par suite (la définition) serait un événement unique dans l’histoire de l'Église…, une révolution dans l'Église. » Dans Granderath, Histoire du concile du Vatican, trad. franc., Bruxelles, 1911, t. n b, p. 286. Cf. le texte allemand de Dôllinger dans les Acla du concile, Colleclio lacensis, t. vii, col. 1473. Un pareil sophisme aurait pu être opposé à toute définition des anciens conciles rétablissant l’unité parmi les catholiques sur un point de foi, et rendant ce point désormais obligatoire. D’ailleurs Dôllinger ne tient pas compte de la période de foi unanime qui a précédé l'époque d’obscurcissement et de controverse : car tous ont d’abord cru, au moins pratiquement et implicitement, à l’infaillibilité du pape, avant l’origine de la controverse, qui a eu pour occasion le grand schisme d’Occident et le désir d’y mettre fin..Mais de plus, comme lui répondit alors la Civiltà, « le chrétien peut croire tout ce qu’il reconnaît comme révélé de

Dieu, même quand l'Église ne l’a pas encore proposé à sa croyance en condamnant le contraire comme une hérésie. Il le croit fide divina, et non comme le prétend Dôllinger, /We humana. « Civiltà catlolica, VI Ie série, t. ix, p. 386 sq. Cf. Granderath, toc. cit., p. 297.

4. On admet communément que les hérétiques ou schismatiques de bonne foi peuvent faire l’acte de foi divine et salutaire. — a) Rien en cela d’impossible ou d’invraisemblable. Si Dieu leur a accordé (c’est un dogme de l'Église) de pouvoir être baptisés dans leur secte du vrai baptême de Jésus-Christ, et de recevoir ainsi la vertu infuse de foi, pourquoi ne leur donnerat-il pas de l’exercer, s’ils reçoivent une éducation chrétienne, si, persuadés de la valeur historique de l'Évangile, ils acceptent les preuves que Jésus y donne de sa mission divine, s’ils retiennent de l’enseignement du Maître au moins quelques passages dont le sens est facile, quelques vérités à croire ? Us en perdront un certain nombre, privés qu’ils sont de l’influence directe de l'Église infaillible : mais après tout, pour faire un véritable acte de foi, il sufïît, avec la grâce de Dieu qui étend son action même en dehors de l'Église, d’adhérer fermement même à une seule vérité révélée, avec la bonne volonté générale de croire toutes les autres. — b) Si nous l’admettons, le problème de leur salut s’explique bien mieux. D’une part, les vérités qu’il faut croire, de nécessité de moyen pour le salut, sont peu nombreuses, on le sait, et parmi elles on ne compte pas l’infaillibilité de l'Église, ni l’obligation de se soumettre à son autorité comme règle de foi ; il peut donc arriver facilement qu’ils croient explicitement toutes les vérités qui sont de nécessité de moyen, excusés par leur bonne foi de ce qu’ils ne croient pas toutes celles qui sont seulement de nécessité de précepte. D’autre part, la grâce de Dieu peut facilement les amener à ajouter à cette foi salutaire l’amour de Dieu et la contrition surnaturelle qui les purifiera des péchés graves et assurera leur salut. Si l’on n’admettait pas pour eux ce moyen de salut, il faudrait dire, ou que Dieu n’a pas la volonté sérieuse de sauver tous les hommes, ou qu’il a établi une providence spéciale pour faire arriver infailliblement, s’ils vivent bien, tous les hérétiques et schismatiques de bonne foi à se convertir à la véritable Église et à être enfin unis à son corps avant leur mort : mais supposer une telle loi providentielle est très arbitraire, et même en quelque façon contre l’expérience, puisque nous voyons mourir, dans les Églises séparées, des personnes qui, selon toute apparence, étaient de bonne foi et ont vécu aussi bien qu’elles le pouvaient ; faudra-t-il désespérer de leur salut parce qu’elles ne sont pas entrées dans la véritable Église axant leur mort ? Noir Honni : foi, t. ii,

COl. 1011-101 |.

5. Par une conséquence théologique du principe que Dieu veut sauver tous les hommes, saint Thomas affirme qu’un païen de bonne toi, que l'Église n’a pu atteindre par ses missionnaires, s’il observe de son mieux ce qu’il connaît de la loi naturelle, aura infailliblement, avant sa mort, une révélation Immédiate mu laquelle il pourra, avec la grâce « le Dieu, faire un acte <le toi et les autres actes nécessaires au salut. In IV Sent., I. II, dist. XXVIII, q. i, a. I, ad 1 aillel lit que dans ecl acte de foi divine Paulin H é de l'Église n’intervient en aucune façon. Voir

i, I. iv, col. 21 (if, , 2169. Voilà pourquoi les théologiens ont eu soin de ne pas exagérer le r<M. di l'Église dans la foi, si grand il. i i de l’exprimer par des formules modérées el

adoucies. Donnons deux exemples : l.'alll or il é de

.'. 1 1 1 Adam Tanner, avec sa proposition publique de la toi, m la loi ordinaire de Dieu, morale ment nécessaire soil a l'égard de toute la communauté aussi d’une certaine manière a l'égard île chacun

des croyants, pour qu’en eux la foi soit pleinement conservée sans la corruption de l’erreur et sans l'ébranlement du doute ; mais non pas en ce sens que sans cette proposition on ne puisse jamais jaire un acte de foi divine. » Theologiæ scholastic, Ingolstadt, 1627, t. iii, De fide, q. iii, n. 42, col. 131. « A considérer la seule nature de la foi, dit le cardinal Mazzella, il n’est pas nécessaire que l’objet à croire soit proposé par l'Église ; mais par le fait de l’institution du Christ, le magistère vivant de l'Église avec son autorité doctrinale est le moyen ordinaire qui fait connaître la révélation chrétienne comme croyable ; et même l’autorité de l'Église est un moyen très efficace de sa nature, et nécessaire dans l’ordre actuel de providence où nous sommes pour produire et conserver l’unité et l’universalité de la foi. » De virtutibus infusis, 6e édit., Naples, 1909, n. 931, p. 493.

On ne saurait donc approuver les quelques théologiens qui, dans leur ardeur à défendre la règle de foi catholique, ont semblé refuser à tout protestant, même de bonne foi, la possibilité de faire aucun acte de foi divine, faute de recourir à la règle vivante cl infaillible. Salmanticenses, Cursus theol., Paris, 1879, t. xi, disp. VIII, n. 41, p. 406, contrairement à ce qu’ils avaient dit, disp. 1, n. 158, p. 74 ; Perrone, l’raiectiones theol., 31e édit., Turin, 1865, t. i, De vera religione, part. II, prop. 7 ; voir cependant une restriction, n. 173, p. 179 ; De virtutibus fidei, etc., 2° édit., Turin, 1867, De fide, prop. 4, surtout, n. 81, p. 25. Sur deux théologiens américains plus récents, voir Église, t. iv, col. 2168. C’est grâce à la thèse plus large, aujourd’hui généralement reçue, que les théologiens peuvent donner une explication modérée de l’adage : « Hors de l'Église point de salut, i Voir Église, t. v, col. 2166-2170. Sur les diverses formes que prend cette explication modérée et leur valeur relative, voir J. Y. Bainvel, dans les Éludes du 5 août 1912, p. 289 sq.

2° L’autorité de l'Église, son infaillibilité, n’entre pas dans le motif essentiel et spécifique de la foi salutaire ou tliéolog<de. — Raisons de celle assertion : 1. Si la proposition de l’objet par l'Église, comme nous venons de le voir, n’est pas même une condition absolument nécessaire de l’acte de foi, a fortiori elle ne peut faire partie de son motif essentiel. 2. Le concile du Vatican, définissant la foi avec beaucoup de précision, n’y signale pas d’autre motif propre et spé< ifique que l’autorité de bieu qui révèle, propler auctoritalem l)<i r< velanlis. Voir COl. 117. Il ne fait la aucune allusion à L'Église. Quand nous nommons l'Église dans nos formules de l’acte de foi. nous la nommons comme règle et non comme motif de la foi. La règle de toi fournit la

matière à croire, ou objet matériel. Voir col. 161. « Mon Dieu, je crois tout ce que votre Église m’enseigne, toute la matière qu’elle me propose comme révélée par vous. L’objet formel, le motif, est indiqué par le propler, le pane que : Parce que c’est VOUS qui

l’avez révélé, el que ous ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper, i La règle de foi précède, prépaie l’acte de foi, elle se lient dans le estibule : le motif

spécifique Influe directement, essentiellement sur

lui-même, lui donne son caractère propre, le

spécifie.. :  !. Le motif qui donne a la foi salutaire son essence et son unité doit être le même pour nous

que pour Abraham, autrement La foi d’Abraham serait d’essence différente, et ne pourrait être prise par saint Paul comme le prototype de notre foi. n

faut donc que l’autorité de L'Église, qui n’inlhi a t pas

du ii mps d’Abraham, n ite i n dehors du motif essentiel et. spécifique de La toi. La question est bien

traitée par Wilmeis. I h fiilr dintna. Hat islionne, L902, p. 57 84,

Les limites qu’avec La théologie catholique nous