Dictionnaire de théologie catholique/Foi

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 6.1 : FLACIUS ILLYRICUS - GEORGIEp. 35-264).
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FOI.
I. Sens du mot dans l’Écriture et la tradition.
II. Rapports de la foi avec les autres vertus ; sa fermeté.
III. Motif spécifique de la foi.
IV. Quelle révélation la foi suppose.
V. Rôle de l’Église dans la foi.
VI. Préparation rationnelle de la foi ; le fidéisme.
VII. Rôle de la grâce dans la préparation rationnelle de la foi.
VIII. Persévérance dans la foi ; résolution de persévérer.
IX. Rapports de la foi et de la science chez le savant catholique.
X. La foi, vertu surnaturelle et théologale ; sa certitude particulière.
XI. Liberté et obscurité de la foi.
XII. Controverses théologiques sur l’analyse de la foi.
XIII. Nécessité de la foi pour le salut.

I. Sens du mot dans l’Écriture et la tradition.

Dès le début, nous sommes arrêtés par une controverse fondamentale, soulevée par les protestants, sur le sens du mot « foi » , πίστις, dans le Nouveau Testament. Nous montrerons que la tradition catholique, bien qu’elle ait pu préciser le langage de l’Écriture, n’a pas forgé pour le mot « foi » un sens antiscripturaire ou extra-scripturaire. Cette étude, plus poussée que dans les anciens auteurs ou dans les modernes manuels, aura l’avantage de nous familiariser dès l’abord avec les principaux textes sur la matière, et de remonter à la première source d’une théologie de la foi. Ne convient-il pas spécialement à un dictionnaire de théologie d’expliquer avec soin le sens des mots les plus importants et les plus discutés de la langue sacrée ? Si une pareille discussion scripturaire, en droit, relève plutôt d’un dictionnaire biblique, en fait on ne la rencontre dans aucun dictionnaire catholique de la Bible ; on la trouve dans le dictionnaire protestant de Hastings, mais avec des inexactitudes que nous serons obligés de relever.

Sans entrer encore dans les déterminations spécifiques de l’acte de foi, et pour en donner seulement une idée générique qu’il importe de fixer avant tout, la foi, d’après les documents de l’Église que nous citerons, est un assentiment intellectuel, quoique produit sous l’influence de la volonté. Tout cela, dans le langage de la philosophie contemporaine, peut s’exprimer en un seul mot : « croyance » . Voir Croyance, t. iii, col. 2365. Nous emploierons ce mot, soit par raison de brièveté, soit parce qu’il rappelle l’influence de la partie affective, de la volonté, tandis qu’on pourrait s’imaginer que nous voulons exclure cette influence, si nous disions : la foi est un assentiment intellectuel, soit enfin parce que plusieurs contemporains, avec qui nous devrons discuter, l’emploient eux-mêmes et nient que la foi, dans le Nouveau Testament, soit une croyance, ou du moins une simple croyance. Généralement ils admettent dans la foi un certain élément intellectuel, car le bon sens et l’expérience disent assez haut qu’un tel élément, si vague soit-il, est inséparable des sentiments religieux. Mais, tout en faisant une certaine place à la « croyance » , la « foi religieuse » pour eux consiste uniquement, ou du moins principalement, dans ces sentiments dont la croyance n’est que le point de départ ou l’accompagnement. En résumé, pour les catholiques, la foi, « commandée par la volonté, » comme dit saint Thomas, s’achève dans l’intelligence, sans nier, bien entendu, la nécessité pour la vie chrétienne d’autres actes de volonté ultérieurs, comme l’espérance, la charité, qui restent bien distincts de la foi. Pour les protestants, la foi s’achève dans ces actes de volonté ou sentiments ultérieurs, ou dans quelques-uns d’entre eux, et le mot « foi » a pour fonction propre de les signifier ; en sorte qu’on ne distingue plus du tout la foi de l’espérance, ou de la charité, ou qu’on a bien de la peine à lui assigner une différence. Disons une fois pour toutes que, lorsque nous parlons d’intelligence, de volonté, nous ne supposons pas nécessairement un système philosophique où ces « facultés » soient réellement distinctes. Mais si les facultés ne le sont pas, les actes le sont évidemment : connaître n’est pas vouloir, si liés et si emmêlés que ces deux actes soient entre eux. Nous n’employons donc les mots de « volonté » et d’« intelligence » que comme des expressions commodes pour désigner deux actes d’espèce différente, qui ont souvent entre eux des rapports de cause à effet.

Nous chercherons l’idée première et générique correspondant au mot « foi » :
1° dans l’Écriture ;
2° chez les Pères ;
3° dans les documents ecclésiastiques.

I. L’ÉCRITURE.

Nous n’étudierons que le Nouveau Testament, où la révélation est toujours plus claire et plus complète, ce qui est particulièrement vrai de la foi, dont le nom y revient souvent. Non pas que le mot πίστις y ait toujours le sens que nous avons dit, c’est-à-dire une simple croyance, un assentiment intellectuel dû partiellement, sans doute, à l’influence des affections et de la volonté, mais faisant abstraction de sentiments ultérieurs, s’arrêtant à l’intelligence et s’y achevant. Il n’est guère de mot dans l’Écriture, qui ne change parfois de sens. Mais ce que nous prétendons, c’est que le sens ci-dessus est le sens principal, ou du moins un des sens dominants, du mot πίστις ; dans le Nouveau Testament. En face de cette interprétation catholique, les protestants ont pris tour à tour deux positions qu’on ne doit ni juger ni réfuter de la même manière, l’une plus radicale, l’autre plus modérée. De là une division qui nous semble utile pour mettre de l’ordre dans un sujet très complexe et de la clarté dans le débat.

Opposition radicale.

Elle prétend que jamais dans l’Écriture, ou du moins dans saint Paul dont les protestants se réclament tout particulièrement, le mot « foi » n’a le sens catholique d’une croyance. Ainsi M. Jean Monod : « Pour un grand nombre d’hommes, dit-il, la foi consiste à admettre comme vraies certaines propositions religieuses ; on a confondu avec la foi, qui est un fait moral et un certain état de l’âme, l’un de ses éléments, savoir la croyance, à laquelle l’apôtre Paul ne donne jamais le nom de foi. » Dans l’Encyclopédie des sciences religieuses de F. Lichtenberger, Paris, 1878, t. v, p. 4.

C’était la position de plusieurs des réformateurs du xvie siècle ; et pour la soutenir plus brillamment dans ce bel âge de l’humanisme, d’aucuns comme Mélanchthon prétendirent que dans la littérature classique πίστις ou fides ne signifie jamais une croyance. Nos apologistes durent leur rappeler que Cicéron a dit : Insanorum visis fides non est habenda, De divinatione, l. II, c. lix ; que Virgile a dit : Credo equidem, nec vana fides, genus esse deorum. Enéide, l. IV, vs. 12. Quant au grec, Aristote rapproche la foi πίστις de l’opinion ὑπόληψις, qui est un acte intellectuel, une faible croyance. Topiques, l. IV, c. v, Paris, Didot, 1848, t. i, p. 214. Et le dictionnaire protestant de Hastings reconnaît que πιστεύειν τοῖς θεοῖς signifie ordinairement, non pas se confier dans la bonté des dieux ou les aimer, mais « admettre leur existence » , par opposition à l’athéisme, en un mot une simple croyance. Warfleld, art. Faith, dans Dictionary of the Bible, Edimbourg, 1900, t. i, p. 828.

C’en est assez, pour la question, d’ailleurs très secondaire ici, des classiques païens. Montrons que dans la sainte Écriture, et même quand il s’agit du vrai Dieu, le mot en question s’emploie au moins quelquefois pour uni pour une conviction intellectuelle. sans aller plus loin. Nous joindrons les mots « foi » et

« croire » , parce que tout le monde admet que ce substantif et ce verbe se correspondent exactement, ce

qui apparaît plus sensiblement dans le grec, πίστις et plusieurs textes leur synonymie se fait voir par l’emploi successif de ces deux mots pour Matth., ix, 28 ; I Joa., v, 4. Le verbe croire pourrait donc, à la rigueur suppléer totalement le substantif. Ainsi en est-il dans le IVe Évangile ; bien qu’il aborde très souvent la question de le foi, on n’en trouve jamais le nom, mais le verbe « croire » le remplace. Même remarque a été faite pour le substantif

« espérance » dans les quatre Évangiles. Voir

Espérance, t. v, col. 606. Dans l’hébreu, il y a un verbe pour signifier, à l’un de ses modes, l’idée de croyance ; mais le substantif grammaticalement correspondant n’a qu’une fois ce sens, Hab., ii, 4, c’est le texte plusieurs fois cité par saint Paul. Voir son interprétation dans Prat, Théologie de S. Paul, IIe partie, 2e édit., Paris, 1912, p. 341.

1. Exemples du substantif employé dans notre sens.

Saint Paul en fournit d’assez clairs par leur contexte, depuis ses premières jusqu’à ses dernières Épîtres. Affirmant aux Thessaloniciens que leur « foi en Dieu » est connue de tous, voici comment il explique et prouve cette assertion : « Car tous racontent quel accès nous avons eu auprès de vous et comment vous vous êtes convertis des idoles au Dieu vivant et vrai. » I Thess., i, 8, 9. « Foi en Dieu » signifie donc ici passer du polythéisme à la croyance au vrai Dieu, après avoir bien accueilli la prédication du missionnaire. Ailleurs, il leur parle de la foi salutaire comme d’une adhésion à la vérité : « Dieu vous a choisis pour vous sauver par la sanctification de l’Esprit et par la foi en la vérité. » II Thess., ii, 13 ; cf. 12. Mais la vérité n’est-elle pas le but et l’objet de l’intelligence, de la croyance ? Si donc ici la « foi » a pour objet ou but la vérité, c’est un acte de simple croyance, sans faire entrer sous ce nom de

« foi » la confiance du pardon ou d’autres sentiments

religieux, si bons soient-ils d’ailleurs. Nous ne nions pas que de tels sentiments doivent être ajoutés ultérieurement par le chrétien, mais nous nions qu’ils soient ici précisément désignés sous le nom de « foi » . La « vérité » est un objet sur lequel ne peut pas se porter la confiance.

Parlant aux Corinthiens, l’apôtre caractérise la vie future par une présence spéciale du Seigneur pour nous, II Cor., v, 8, présence dont il nomme le principe εἶδος, ibid., 7 ; tandis que notre existence ici-bas est caractérisée par un éloignement, une absence du Seigneur, ibid., 6, et la raison de cet éloignement est que nous sommes sous le régime de la foi, πίστις, et non de l’εἶδος. Ibid., 7. Εἶδος (de εἶδον, j’ai vu) ne peut signifier ici que la vue du Seigneur, une parfaite connaissance qui nous le rendra présent : donc le terme opposé πίστις doit être une connaissance imparfaite, qui laisse son objet comme lointain, mais enfin une connaissance, une croyance. C’est évidemment la même antithèse qui avait été déjà présentée aux Corinthiens, sur la connaissance de Dieu en cette vie et la connaissance future : Videmus nunc per speculum in ænigmate : lune autan facie ad faciem. I Cor., xiii, 12. Dans cet autre texte, c’est bien encore la foi, πίστις, qui est la connaissance imparfaite, destinée à disparaître. Quand sera venu ce qui est parfait, alors finira ce qui n’est qu’en partie… Maintenant je connais en partie, alors je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant demeurent ces trois choses, la foi, l’espérance, la charité. » I Cor., XIII, 10-13. Ainsi la « foi » correspond a cette connaissance » imparfaite : elle demeure maintenant, mais elle finira, tandis que des trois vertus la charité, qui est la plus grande, ibid., 13. ne cessera jamais. Ibid., 8.

L’Épître aux Romains parle beaucoup de la « foi » comme principe de justification et de salut, iii, iv, x. Il voici comment ici acte sauveur y est expliqué : Si tu confesses de bouche Jésus comme Seigneur, et si tu croîs de cœur que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. » Rom., x, 9. Ainsi l’objet de cet acte salutaire de « croire » , c’est un fait surnaturel que l’on tient pour vrai, la résurrection du Christ : l’acte de croire est donc cette foi-croyance, cette foi dogmatique que nous défendons. Voir Prat, op. cit., p. 339, De plus, la foi dont parle suint Paul doit être « confessée de bouche. » Quelle était la confession île foi des premiers chrétiens ? ce sera un commentaire historique et sûr des paroles de l’apôtre. La « profession de foi » exigée des catéchumènes avant le baptême, c’était le symbole, c’est-à-dire l’acceptation d’un certain nombre de dogmes. La « confession de foi » des martyrs devant les tribunaux, c’était la proclamation du monothéisme et de « Jésus comme Seigneur » . Tout cela suppose que la « foi » est une croyance. Quant à ce mot du texte : « Si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité, « etc., c’est en vain que les protestants y cherchent une objection. Quand même on y prendrait le mot « cœur » comme nous le prenons ordinairement, pour indiquer une affection, quand même on verrait dans ce corde creditur « un mouvement de tout l’homme intérieur, » Diclionary of the Bible de Hastings, t. i, p. 836, cela ne détruirait pas le sens déjà prouvé de foi-croyance, puisque la croyance elle-même naît d’une influence du cœur, de la volonté, et procède ainsi de l’âme tout entière. Voir Croyance, t. iii, col. 2365, 2375, 2385 sq. Mais d’ailleurs, rien ne prouve que « cœur » signifie dans ce texte la partie affective. Il en serait ainsi si « cœur » était oposé à « esprit » . Ici il est opposé à « bouche » ; c’est donc cet hébraïsme en vertu duquel on se sert du mot « cœur » , pour désigner vaguement l’intérieur, par opposition à l’exté-. rieur de l’homme : « croire de cœur » , c’est croire intérieurement et non pas seulement des lèvres. Bien plus, chez les Septante dont dépend saint Paul, xapSta, cœur, désigne parfois spécialement l’intelligence, le jugement, de même que les latins disaient : cordalus homo, un homme sensé. Ainsi Exod., xxxvi, 2 ; Deut., xxix, 4 ; I Reg., iv, 20 ; III Reg., ii, 44 ; Jer., vii, 31, etc. Cf. Hatch, Essays in biblical greek, Oxford, 1889, p. 98-108. Dans la même Épître, le mot « foi » se rencontre dans un sens spécial qui se ramène encore à une conviction intellectuelle : « Tout ce qui ne (se fait pas) de (bonne) foi est un péché. » Rom., xiv, 23. Le contexte fait voir que iuctti ; est ici la conviction que nous avons de la licéité de notre action : le célèbre anglican Sanday est ici d’accord avec saint Chrysostome et saint Thomas qu’il cite. The epislle to the Romans, dans The international crilical commentary, 4e édit., Edimbourg, 1900, p. 394.

Les Épîtres de la captivité montrent aussi une « foi » intellectuelle : « Marchez en lui…, affermis par la foi, telle qu’on vous l’a enseignée. » Col., il, 6, 7. Car aussitôt, expliquant cette » foi » par les ennemis qui la menacent : « Prenez garde, ajoute-t-il, qu’on ne vous séduise par la philosophie et par des enseignements trompeurs, » 8. La foi est donc affaire de vraie doctrine et de solide conviction, qui résiste à l’enseignement contraire de la fausse philosophie et de l’hérésie. Au ꝟ. 12, il parle encore de leur « foi à l’action de Dieu, qui a ressuscité (le Christ) d’entre les morts. » Foi dogmatique ! Aux Éphésiens, rapprochant foi et connaissance, il vante « l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, » iv, 13, et dans le contexte nous montre cette unité de foi produite et maintenue par les « apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et docteurs…, afin que nous ne soyons plus des enfants, ballottés et emportés à tout vent de doctrine par la tromperie des hommes, par leur habileté à induire en erreur, » 14. Ailleurs il semble prendre comme synonyme la « science du Christ » et la « foi au Christ » , Phil., ni, 8, 9 : c’est une même chose qu’il préfère à tout.

Les Épîtres pastorales montrent également la « foi » comme une adhésion intellectuelle à la véritable doctrine, tandis que les hérétiques détruisent la foi en s’éloignant de la vérité : « Hyménée et Alexandre ont fait naufrage dans la foi. » I Tim., i, 19. « Hyménée et Philête se sont éloignés de la vérité… et renversent la foi de plusieurs. » II Tim., Il, 17, 18. « Dans les temps à venir, plusieurs abandonneront la foi pour s’attacher à des esprits séducteurs et à des doctrines diaboliques. » I Tim., iv, 1. « Reprends-les sévèrement, pour qu’ils aient une foi saine, et qu’ils ne prêtent pas l’oreille à des fables judaïques. » Tit., i, 13, 14. Toujours la « foi » dans l’ordre intellectuel, en antagonisme avec les fausses doctrines. Un autre signe de l’intellectualité de la foi dans saint Paul, c’est qu’il la met en opposition avec l’ignorance. « Je l’ai fait par ignorance, quand je n’avais pas la foi. » I Tim., i, 13.

Dans les textes précédents, la « foi » était plutôt prise au sens premier et subjectif, comme un acte du sujet : d’autres la prennent au sens dérivé et objectif, comme une doctrine qui est l’objet de cet acte. Citons quelques-uns de ces textes, qui tous prouvent notre thèse, puisque jamais le mot tJ.ut :  ; n’arriverait à signifier une doctrine, si l’acte de croire n’était pas l’adhésion à une doctrine. « Celui qui nous persécutait naguère prêche maintenant la foi, » c’est-à-dire l’Évangile, les vérités de la religion. Gal., i, 23. Lightfoot remarque ici le sens objectif, Galatians, p. 86, ainsi que dans Gal., ni, 23 ; vi, 10. « Nourri des leçons de la foi et de la bonne doctrine. » I Tim., iv, 6. « Tu n’as point renié ma foi, » etc. Apoc, ii, 13.

2. Exemples du verbe « croire » employé dans notre sens.

Plusieurs, au moins, des constructions de ce verbe donnent l’idée d’une simple croyance, et font abstraction des sentiments religieux qui peuvent s’y ajouter. Ainsi : a) avec le datif de personne (construction fréquente) irtcrrs-ja) a très clairement ce sens. Quand Jésus dit à la Samaritaine : « Croyezmoi, l’heure vient, » etc., Joa., iv, 21, lui demanda-t-il pour le moment autre chose qu’une simple croyance à sa prophétie ? De même aux Juifs : « Si je dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas ? » Joa., viii, 46 ; cf. v, 46 ; x, 37, 38. « Quand ils eurent cru à Philippe qui leur prêchait le royaume de Dieu et le nom de Jésus-Christ, hommes et femmes furent baptisés. » Act., viii, 12. Et cette foi exigée pour le baptême est expliquée par « recevoir (accepter) la parole de Dieu. » Ibid., 14 ; cf. xxvi, 27. b) Avec le datif de chose : croire à la parole de quelqu’un, à son témoignage, à l’Écriture, etc. Ce cas revient au précédent, dont il n’est qu’une paraphrase. « Tu seras muet…, parce que tu n’as pas cra à mes paroles. » Luc, i, 20. Saint Jean parle de croire « à l’Écriture, » ii, 22, « à la parole que Jésus avait dite, » iv, 50, « aux écrits de Moïse, » v, 47. Saint Paul croit « à tout ce qui est écrit dans la loi et les prophètes. » Act., xx, 14. Il annonce que Dieu jugera ceux « qui n’ont pas cru à la vérité. » IIThess., ii, 11. c) Avec l’accusatif de chose : « Je suis la résurrection et la vie… Croyez-vous cela ? » Joa., xi, 26. Simple croyance, évidemment. Marthe répond : « Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, » etc. d) Avec la conjonction que (Stc, etc.) suivie d’une proposition. Cas fréquent, réductible au précédent : la proposition exprime une vérité, croire une vérité est un acte intellectuel, une croyance : « Afin que le monde croie que vous m’avez envoyé. » Joa., xvii, 21 ; cf. xvi, 27 ; xx, 31. » Nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, » I Thess., iv, 14 ; cf. Rom., x, 9, 10, où une semblable foi est présentée comme servant à la justification et au salut, e) Avec l’infinitif. Cette construction, où le que est retranché, équivaut à la précédente : « C’est par la grâce de Jésus-Christ que nous croyons être sauvés. » Act., xv, 11. Cf. Rom., xiv, 2.

Nous avons surabondamment réfuté l’opposition radicale à la thèse catholique.

Opposition modérée.

D’autres protestants, tout en concédant que l’Écriture, et même saint Paul, emploient souvent les mots « foi, croire » pour une simple croyance à la parole de Dieu, soutiennent pourtant comme bien plus fréquent un autre sens qu’ils nomment le sens fort, ou profond, ou « prégnant » . Sa prédominance dans le Nouveau Testament en ferait le stns « propre » , c’est-à-dire celui qu’on est en droit de présumer partout jusqu’à preuve du contraire, celui par lequel on est en droit de définir la foi dans l’enseignement chrétien. Ce sens propre présupposerait l’élément croyance, plus ou moins diminué dans son objet, niais y ajouterait un élément affectif subséquent, que chacun décrit d’une manière un peu différente et plus ou moins complexe, mais dans lequel réside la véritable essence de la foi. « Le retour à Dieu, dit M. Ménégoz, exige un acte du moi tout entier, par lequel l’homme s’arrache au péché et se donne à Dieu. Cet acte est la Foi… Dieu ne demande au pécheur, pour le recevoir en grâce, ni la sainteté à laquelle il sent qu’il ne pourra jamais atteindre, ni une expiation qu’il sent ne jamais pouvoir fournir, mais uniquement un mouvement du cœur, un acte de sincère consécration, un abandon confiant et entier à la divine miséricorde. » Le fidéisme, Paris, 1900, p. 17. Qu’est-ce donc que la foi ? demande Auguste Sabatier. Est-ce encore l’adhésion intellectuelle à des dogmes ou la soumission à une autorité extérieure ? Xon. C’est un acte de confiance, l’acte d’un cœur d’enfant, qui retrouve avec joie le Père qu’il ne connaissait pas, et qui, sans orgueil d’aucune espèce, est heureux désormais de tenir tout de ses mains. Voilà ce que Luther a trouvé dans cette parole de l’apôtre Paul : Le juste vivra par la foi. Dans cette transformation radicale de la foi ramenée à son sens évangélique, se trouvait le principe de la plus grande révolution religieuse que le monde eût traversée depuis la prédication de Jésus. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 4e édit., Paris, 1897, p. 245. Oui, la transformation du sens du mot « foi » (reste à savoir si cette transformation « ramenait la foi à son sens évangélique » ) a servi de prétexte à Luther pour rejeter presque tous ceux des dogmes catholiques qu’il rejette, hiérarchie, sacrements et leur manière d’opérer, expiations de la pénitence, purgatoire, etc. C’est loin bien, avec sa théorie exagérée des suites de la chute originelle, un dis fondements de son système et un principe de sa révolution religieuse, on pourrait presque dire sa seule idée positive et originale, le pouvant se retrouver çà et là dans d’autres hérésies. On conçoit dès lors pourquoi les protestants d’aujourd’hui, quelle que soit leur couleur, quel que soit le nombre des dogmi s conservés par Luther qu’ils i nent ou qu’ils abandonnent, gardent tous au moins quelque noe di sa conception de la foi. Ainsi M. Sanday, bien qu’il rejette en partie la théorie de Luther sur la justification par la foi (voir son commentaire sur l’Épltre aux Romains, I’édit., p. 152), te pourtant cette définition : Foi au Christ signifie îiii attachement au Christ, une forte émotion d’amour et de gratitude. Introduction, p. xi.vi. i La foi. dit le dictionnaire biblique de Hastings, contient certaim ment un (Nue ni de connaissance, el non moins i ei i ainement elle about it à la conduite (bonnes œuvres, obéissance ô Dieu). Cependant elle ne consiste ni dans iitiment (qui la précèdo), ni dans l’obéissance (qui la suit), mais dans une confiance qui se repose sur l’invisible auteur de tout bien…Pour l’homme pécheur (tel qu’est l’homme dans l’état présent, que l’Écriture), ce repos du ca or en Dieu de vient nécessairement une humble confiance du pardon il du retour en pécheur. En réponse aux révélations de la divine miséricorde, la foi se livre sans réserve, et avec le renoncement de celui qui ne compte plus sur soi. A i >i< u « oniii.ni et suffisant sauveur, et ainsi, dans un seul et même acte de toute orgueilleuse prétention à l’égard de Dieu et se jette, pour obtenir le salut, dans les bras de sa grâce. » Dictionary of the Bible, 1. 1, p. 836. Les traits de cette description rentrent à peu près dans l’idée complexe de confiance en Dieu. Voir Espérance, t.v, col. 628-630. Et les protestants libéraux qui ont rejeté la chute originelle, cette autre base de Luther qui l’exagérait, ont gardé sa conception de la foi, témoins Sabatier et Ménégoz, précédemment cités.

Nous sommes d’accord avec Luther et avec ces protestants contemporains sur un point bien établi : c’est que le sens foi-fidélité (aux promesses, ou au devoir en général), et par dérivation foi-obéissance à Dieu, n’est pas le sens ordinaire et propre du mot « foi dans le Nouveau Testament, qui nous importe surtout, quoi qu’il en soit de l’usage hébraïque’et de l’usage profane du mot chez les Grecs et les Latins. Ce sens avec ses dérivés peut donc être mis de côté. Reste uniquement à discuter la prétendue prédominance du sens foi-confiance dans le Nouveau Testament. Mais d’abord entendons-nous.

a) Nous ne prétendons pas nier qu’il y ait dans la foi chrétienne une sorte de confiance en Dieu. La foi, au sens chrétien du mot, n’est pas un assentiment intellectuel obtenu par un moyen quelconque, mais, comme nous le verrons, un assentiment obtenu par l’intermédiaire du témoignage divin, et qui repose sur la science et la véracité de Dieu. Or, quand on croit quelqu’un sur parole, à raison de sa compétence et de sa véracité, en quelque manière on se confie à lui. Franzelin en a fait la remarque : Hic modus cognilionis. .. est fides quia fidens scienliæ et vcracitali alterius prœslal assensum verilali. De traditionc et Scriptura, 2e édit., Rome, 1875, p. 588. C’est ce qui explique la parenté du mot fides avec fidere, fiducia, confidentia, l’emploi du mot « crédit » (du latin crederc) dans la langue du commerce et de la banque, etc. Mais cette sorte de confiance, que nous reconnaissons connue essentielle à la foi chrétienne, est antérieure à la croyance, puisqu’elle en est la cause : c’est parce, que je me fie à la science et à la véracité de Dieu que j’admets sur sa parole une vérité, ce qui est la croyance. Au contraire, la confiance maintenant en question entre les protestants et nous vient après, c’est une conséquence de la croyance, lorsque la croyance a pour objet un bien que Dieu nous promet, ce qui n’est pas essentiel à tout acte de foi. Premier temps : me confiant à la science et à la véracité de Dieu, j’admets sur sa parole qu’il veut nous pardonner à cause du Christ, qu’il nous promet le. pardon ; cette croyance, c’est précisément l’acte de foi d’après les catholiques, ce n’en est qu’un préliminaire d’après les protestants. Second temps : à la suite de cette croyance, s’élève en moi le sentiment complexe de la confiance du pardon : désir de ce pardon, humilité et défiance de moi-même, abandon au Dieu puissant et miséricordieux, joie de compter sur lui, commencement d’amour. Cette confiance du pardon, c’est l’acte de foi proprement dit, d’après les protestants : c’est un effet, une conséquence de la foi, d’après les catholiques. Le 1’. Pra1 distingue ainsi ces deux sortes de confiance : « Confiance en celui qui parle et confiance en celui qui promet. » La théologie de S. l’uni. II’- partie, p. 344. Il observe que la première est inhérente el. essentielle à l’acte de foi. la Seconde accidente lie seulement. Cf. I" partie, 4e édit., p. 236. Donnons un exemple de la concept ion protestante : Luther a remis la foi à la place qu’elle occupe dans la théologie de Paul…Ce n’est pas autre chose qu’une confiance personnelle, dans la grâce de Dieu qui pardonne, le. péehé. W. Morgan, ai t. lùiith, dans f fin i/i lop : rdia of religion ami ethtet dfl lias tings, Edimbourg, 1912, t. v, p. 691. /m Dans la grande controverse sur la toi et la Justifîcation, il importo de bien distinguer la question de chose et la question de mot. Sur la première, nous ne différons pas des protestants quant à la nécessite de la confiance en Dieu pour obtenir le pardon, de la confiance appuyée sur les mérites du Christ, ni quant à l’impossibilité d’offrir sans lui une digne satisfaction à un Dieu offensé. Nous différons, soit par quelques dispositions intérieures que nous ajoutons à la confiance du pardon comme plus ou moins nécessaires (repentir, charité) et qu’en général ils suppriment, soit par une certitude absolue du pardon ou du salut personnel, qu’ils regardent comme une propriété ordinaire de leur foi-confiance, qu’ils exigent même, de tout homme comme condition du pardon, tandis que le concile de Trente rejette une telle certitude et une telle exigence. Au reste, toute cette question de chose est en dehors de notre sujet. Voir Espérance, t. v, col. 616, 617, et surtout Justification. Sur la question de mot, la seule que nous ayons ici à traiter, question d’ailleurs importante pour éviter la confusion des idées et comprendre l’Écriture, nous différons en ce que nous n’appliquons pas le nom de « foi » à ces sentiments ultérieurs de confiance.

Examinons maintenant les principaux textes que les adversaires allèguent en leur faveur.

1. Catégorie de textes où figure le verbe pisteuo, credo.

Parmi les constructions de ce verbe, il en est deux qu’ils invoquent.

a) Quand pisteuo est employé sans aucun complément : « croire » tout court. Les textes de cette catégorie ont souvent un contexte explicatif qui révèle le complément sous-entendu. Ceux-là sont clairs, et chose remarquable, ils sont en notre faveur. Elisabeth dit à Marie : « Bienheureuse d’avoir cru ! car elles s’accompliront, les choses dites de la part du Seigneur. » Luc, i, 45. Le contexte indique le complément sous-entendu : d’avoir cru ces choses dites, etc. Il s’agit donc, non pas de la confiance du pardon, mais de la croyance à une révélation où du reste il n’était pas question de pardon promis à Marie. Ailleurs, dans les Évangiles, c’est, d’après le contexte, la croyance à la puissance de Jésus comme thaumaturge. « Qu’il te soit fait suivant que tu as cru. » Matth., viii, 13 ; comparez 8, 9, et notez le mot « foi » outre le mot « croire » , et le magnifique éloge que fait Jésus de cette foi, 10. Cf. Matth., ix, 28, 29 ; Marc, v, 36 ; ix, 22, 23 ; Luc, vm, 50 ; Joa., xi, 40. En saint Jean, « croire » tout court est souvent expliqué par le contexte dans le sens d’une ferme et simple croyance aux révélations de Jésus, quel que soit leur objet. « Nous attestons ce que nous avons vii, dit le Christ à Nicodème, mais vous ne recevez pas notre témoignage. Si vous ne croyez pas quand je vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous si je viens à vous parler de celles qui sont au ciel ? » Joa., iii, 11, 12. Nous voyons ici que le mot « croire » équivaut à « recevoir un témoignage » , et un témoignage qui porte, non pas sur le seul pardon des péchés, mais sur divers objets de la terre et du ciel ; et tout doit être également cru de la part d’un tel témoin, sans qu’il soit question, pour le moment, de la confiance du pardon. Ailleurs en saint Jean, « croire » tout court équivaut à reconnaître la mission divine de Jésus pour enseigner la vérité, ou sa qualité de Messie, et ordinairement sans aucune allusion au pardon des péchés ni à sa mission rédemptrice et sotériologique, que le dictionnaire de Hastings s’imagine voir indiquée partout. « Si vous êtes le Christ (le Messie), dites-le-nous franchement. Jésus leur répondit : Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas : les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi ; mais vous ne croyez point, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. » Joa., x, 24-26 ; cf. v, 44 ; ix, 37 ; xvi, 30 ; xix, 35 ; Luc, xxii, 66, 67.

Cette mission de Jésus était intellectuellement reconnue à l’aide de ses miracles. Joa., ni, 2. Aussi « croire tout court est souvent uni, dans le contexte, à l’idée d’un miracle qui serve de raison de croire, qui fasse admettre Jésus comme docteur surnaturel, ou comme Messie : « Que le Christ, le roi d’Israël, descende maintenant de la croix, afin que nous voyions et que nous croyions. » Marc, xv. 32. « Nathanaël lui répondit : Rabbi, vous êtes le fils de Dieu, le roi d’Israël. Jésus lui répartit : Parce que je t’ai dit : Je t’ai vu sous le figuier, tu crois. » Joa., i, 49, 50 ; cf. iv, 4, 8 ; xi, 14. Dans les récits des apparitions du Christ après sa mort « croire » tout court, c’est admettre le fait de sa résurrection, abstraction faite de la confiance du pardon. « Comme ils hésitaient encore à croire…, il leur dit : Avez-vous quelque chose à manger ? » Luc, xxiv, 41. Cf. Marc, xvi, 11. « Parce que tu m’as vii, tu as cru, » etc. Joa., xx, 29 ; cꝟ. 8, 25. Dans les Actes et les Épîtres, « croire » équivaut souvent, d’après le contexte, à admettre comme parole de Dieu les diverses vérités prêchées par les apôtres. « Afin que, par ma bouche, les gentils entendent la parole de l’Évangile, et qu’ils croient. » Act., xv, 7. « Ayant reçu la divine parole que nous avons fait entendre, vous l’avez reçue non comme parole des hommes, mais, ainsi qu’elle l’est véritablement, comme une parole de Dieu. C’est elle qui déploie sa puissance en vous qui croyez. » I Thess., ii, 13. Cf. Rom., i, 16 ; I Cor., i, 21 ; xv, 11 ; Luc, viii, 12 ; Joa., i, 7.

A côté de ces textes si nombreux où le contexte nous donne raison, il en est qui se trouvent n’avoir pas de contexte explicatif, et, dans cette obscurité du « croire » tout court, les protestants triomphent, mais à bon marché : car alors, sans qu’objectivement il en résulte rien, chacun est libre de voir subjectivement ce qu’il veut sous des expressions vagues comme « les croyants » , oï pisteuontes ;. Act., ii, 44 ; iv, 32 ; xi, 21 ; xv, 5 ; xviii, 27 ; xix, 18 ; I Thess., i, 7, etc. Et même là, notre sens est bien plus naturel. Ces « croyants » , en effet, comme nous le voyons dans les Actes, sont connus et comptés par les autres hommes : « beaucoup de ceux qui avaient entendu ce discours crurent, et le nombre des hommes s’éleva à environ cinq mille. » Comment expliquer un pareil dénombrement des croyants, si « croire » consistait dans des sentiments intérieurs, difficiles à constater, de confiance du pardon avec humilité et défiance de soi, etc. ? Tout s’explique très bien, au contraire, si « croire » est une simple croyance dont on fait facilement profession extérieure, en se soumettant au magistère des apôtres, comme nous le voyons d’ailleurs exprimé : « Ceux qui reçurent la parole de Pierre furent baptisés ; et ce jour-là, le nombre des disciples s’augmenta de trois mille personnes environ. » Act., ii, 41. Après tout cela, on s’étonne que le dictionnaire biblique de Hastin.ns ait bien pu dire de ce « croire » tout court que, « dans le Nouveau Testament, c’est un terme technique consacré à désigner la confiance dans le Christ pour notre propre salut, » t. i, p. 830.

b) Quand pisteuo est employé avec une préposition etl’accusatif.

Ici le même auteur anglais se sent encore plus à l’aise. « Quand nous arrivons, dit-il, aux constructions qui renferment une préposition, nous entrons dans une région où le sens profond du mot — celui de ferme et entière confiance — reprend tous ses droits… La préposition suivie de l’accusatif implique un mouvement moral, une direction de l’âme vers l’objet. » Et après un mot sur la préposition ètt :, plus rare, « la construction caractéristique du Nouveau Testament, dit-il, se fait avec ei ;, qui se présente 49 fois dont environ les quatre cinquièmes appartiennent à saint Jean, et le reste à peu près à saint Paul… L’objet de la foi (le régime de la préposition) est presque toujours, dans cette construction, une personne, très rarement Dieu…, très communément le Christ… Il suffît d’un coup d’oeil jeté sur ces passages, pour saisir combien le sens du verbe « croire » y est prégnant… Ce qu’ils expriment, c’est un transfert absolu de confiance, notre confiance en nous-mêmes faisant place à la confiance en un autre ; c’est une reddition, un complet abandon de soi (self-surrender) fait au Christ, » t. i, p. 829. Belles affirmations : c’est dommage que la brutalité des faits les démente. D’abord, la construction avec le datif, que l’on nous abandonne et qui, manifestement, n’exprime qu’une simple croyance (voir col. 60), et cette construction avec la préposition et l’accusatif, où l’on veut triompher, sont employées dans saint Paul et saint Jean indistinctement l’une pour l’autre. C’est la remarque que faisait déjà un théologien de Trente, l’illustre exégète Salmeron. Il citait le texte même dont Luther et Calvin ont le plus abusé pour leur théorie de la justification : « A l’homme qui ne fait aucune œuvre, mais qui croit en celui qui justifie l’impie (êrct avec l’accusât, f), sa foi lui est imputée à justice. » Rom., iv, 5. « Et cependant, continue Salmeron, saint Paul commentait alors la Genèse qui dit (dans la traduction même de l’apôtre, ibid., 3) : Abraham crut à Dieu,

  • o> Bs& » , et cela lui fut imputé à justice. C’est donc la

même chose, de croire en Dieu et de croire a Dieu. Ce qui apparaît non moins clairement dans saint Jean : Comme il disait ces choses, beaucoup crurent en lui, eîç a-j-rov. Jésus dit alors aux Juifs qui avaient cru en lui, a-j7<7>, etc. Joa., viii, 30, 31. Ainsi ces mêmes hommes, que l’évangéliste disait croire en Jésus, répétant maintenant la même chose sous une forme équivalente, il dit qu’ils croyaient à la parole de Jésus. Cf. vi, 29, 30. » Commentarii, Cologne, 1604, t. xiii, p. 100. Ensuite, le Christ dans saint Jean ne fait nuitpart une distinction entre croire à ses paroles et croire en lui. Qua ;.d il demande aux Juifs de croire en lui, il ne les excite jamais à la confiance du pardon de leurs péchés, ce qui eût été indispensable dans l’hypothèse de nos adversaires, mais il apporte des raisons de croire sa doctrine : » Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé… Celui qui m’a envoyé est véridique. » Joa., vii, 16, 28. Entendant ifflrmations, et connaissant les miracles qui h s confirment, plusieurs croient en lui : « Beaucoup, parmi le peuple, crurent en lui, z ; v.’, -.6v, et ils disaient : Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n’en a fait celui-ci ? » Ibid., 31. Aussi saint Jean met-il cette locution, où l’on cherche tant de mystère, dans la bouche même des pharisiens et des prêtres juifs parlant à la foule, eux qui ne pouvaient entendre la foi en Jésus que comme une croyance à s a paroles, et qui ignoraient le mystère sotériologique et le self-surrender aussi bien que ceux à qui ils parlaient : "Nous aussi, vous êtesvous laissé séduire ? Y a-t-il quelqu’un parmi les princes du peuple qui ait cm en lui, eis auton ? » vii, 17, 48 ; « Comme il disait ces D S, beaucoup crurent en lui, eis auton, » viii, 30. Leur avait-il parlé du mystère sotériologique, du pardon de leurs péchés ? Non. Que leur avait-il dit’ne fais rien de moi-même, mais je dis ce que mon Père m’a enseigné. Et celui qui m’a envoyé est avec moi, c t il nm’a pas laissé si ni. » Ibid., 28, 29. Origine divine de son enseignement humain, assistance divine pour que cet enseignement ne soit pas déformé, vola qui s’adresse à la simple croyance. Voir de même, dans leur contexte, X. 12 ; xii, 1 1, 46.

Ainsi le profond mystère que l’on cherche dans cette préposition et cette accusatif n’est qu’une chimère, sans fondement dans l’étude des textes. Que dire maintenant du principe philologique que l’on invoque : "La préposition avec l’accusatif indique toujours un mouvement ; il y a donc mouvement vers le Christ, ce qui semble dire plus qu’une simple croyance ? » Ce principe, qui vaut pour le grec classique, n’est nullement concluant quand il s’agit du grec du Nouveau Testament, à cause d’une double influence exercée sur ce grec, l’une par l’hébreu, l’autre par la langue familière ou « hellénistique » . Ce que le grec classique exprime ordinairement par le datif, comme pisteuein tini, croire à quelqu’un ou sur la parole de quelqu’un, l’hébreu est forcé de le rendre par une préposition, et le grec du Nouveau Testament imite souvent la construction hébraïque, soit que l’écrivain juif suivît inconsciemment la syntaxe de sa langue maternelle, soit qu’il travaillât sur des matériaux aramaïques, soit que la version des Septante, qui lui était familière, colorât son style grec. Blass, Grammaire du grec du N. T., trad. anglaise, Londres, 1898, Introduct., p. 4. « La tendance à employer une préposition quand le cas seul suffirait, dit M. l’abbé Vitcau, est due à l’influence de la langue familière, et surtout à celle de l’hébreu. En hébreu, les cas proprement dits n’existent pas, et l’on emploie perpétuellement des prépositions poi : r les remplacer (Preiswerk, p. 537 sq., 603 sq.). Aussi, l’influence de l’hébreu s’est-elle exercée sur le grec des Septante, où les prépositions abondent. » Élude sur le grec du Nouveau Testament comparé avec celui des Septante, Paris, 1896, p. 162. Donc, l’emploi de pisteuo avec une préposition, à la place du simple datif, ne trahit pas une intention spéciale, ni un mystère profond ; ce qui explique pourquoi les écrivains du Nouveau Testament, comme nous l’avons vii, se servent indifféremment du seul datif ou de la préposition, parlant un grec tantôt plus tantôt moins pur. En même temps que l’hébreu, le grec vulgaire, la « langue familière", agissait dans le même sens ; cette langue nous est bien mieux connue aujourd’hui par la découverte de nombreux papyrus. On y constate une antipathie grandissante pour le datif, quoiqu’elle ne soit pas encore très marquée dans le Nouveau Testament. Le datif vieillissait, et devait finir par disparaître complètement de la liste des cas du grec moderne, qui est le dernier terme de cette évolution populaire. Le dictionnaire de Hastings, quand il veut conclure de eis à l’idée de mouvement, fait un anachronisme. Oui, « la position classique était que en avec le datif répondait à la question ubi, eis avec l’accusatif à la question quo (mouvement)… Mais le langage populaire hellénistique vint tout simplifier : eis avec l’accusatif représenta la question ubi comme la question quo ; on le voit dans les Septante, et dans les papyrus égyptiens, i Blass, op. cit., § iî’.i, p. 122. De là des textes comme eis oixov esti.Marc, ii. 1 : o ov eis tov xoipiov tou patros. Joa., i, 18. A fortiori quand il ne s’agit pas de position locale, mais d’un verbe à signification morale, comme « croire >-. Alors ; " le caprice de l’écrivain dans le choix de eis ; ou ev n’est pas surprenant, puisque l’hébreu (pour rendre l’un ou l’autre) n’avait qu’une seule préposition, et que le grec classique dans la plupart de ces cas n’en mettait aucune. Ainsi pisteueiv eis ; alterne avec pisteueiv en (Marc, i. 15) et pisteueiv epi (et alors, tantôt avec le datif. I l’un., i, 16, tantôt avec l’accusatif, Act., ix, 42) ; ajoutez la tournure correcte et classique par le simple datif. Ad., v, 1 I ; xviii, 8. A cela répond une semblable liberté de construction dans le substantif pistis (ev Xristo.Gal., iii, 26 ; Col., i, I X-, g : -.-/, Ad., xiv, 21, ou le génitif XpioroO. Gal., II, Blass, op. cit., p. 123. (.f. p. 110. Le révérend II. Moulton reconnaît avecKrebs cette décadence du datif dans la langue familière et la tendance à lui substituer l’accusatif avec une préposition. The 1 tilor, Londres, 1904, p. L€ 166. Malgré fout, il vent entre les diverses constructions de itiertvM une distinction profonde, non pas pour la langue vulgaire, mais pour la langue spécifiquement chrétienne, pour les « cercles chrétiens » . S’il ne s’agit que du simple datif, qui revient à peu près 40 fois avec ce verbe, il admet que aans la grande majorité des cas il signifie la simple croyance. Mais les prépositiens ! ’Eni se prête si bien à exprimer « qu’on se repose, par la confiance, sur Dieu ou sur le Christ. Eiç rappelle du premier coup Ventrée de l’âme dans cette union mystique, » etc. Loc. cit., p. 469, 470. Raisonner de la sorte, c’est raisonner a priori, où il faudrait des preuves positives ; c’est même supposer ce qui est en question, que les premiers chrétiens aient attaché au verbe -cfiTc-jto employé avec ces prépositions les divers sens qu’y voit le protestantisme. Non seulement on ne le prouve pas, mais nous avons prouvé plus haut par des textes, avec Salmeron, que les écrivains du Nouveau Testament n’ont pas mis, entre ces diverses tournures grammaticales, la distinction qu’on voudrait y voir.

Nous sommes ici, comme nos adversaires, sur le terrain de l’Écriture : nous n’avons donc pas à examiner les idées que plus tard, dans la rédaction ou l’interprétation des diverses formes du symbole, certains docteurs de l’Église, partant des principes du urec classique, ont pu attacher à sîç, quand cette préposition a été réservée aux personnes divines : Ilurreûid sic ©eôv Ttarspa…, eî ; Xpiarôv, etc., à la différence des autres objets de la croyance, tt’.tte-Jio… àyt’av âxx}.ï)<jiav, etc. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 2. Distinction qui d’ailleurs est loin d’être universelle, puisqu’on lit : s !  ; âxxXrio-îav, scç penm-Gi. a, etc. (forme de Cyrille de Jérusalem), e !  ; fiai :).si’av oùpavàiv (Constit. apost.), eîç [ju’av… ixxXyjffcav, etc. (symbole d’Épiphane). Ibid., n. 7, 11, 14. Quant à l’Écriture elle-même, saint Augustin a le premier hasardé une théorie sur une différence de sens dans le verbe « croire » suivant qu’il est mis avec le datif, ou avec une préposition et l’accusatif, en sorte que les protestants modernes pourraient l’invoquer, s’ils faisaient cas de son autorité en exégèse. Pour lui, crederc in Deum plus est quam credere Deo. In ps. lxx vii, n. 8, P. L., t. xxxvi, col. 988. Quid est ergo, credere in (Deum) ? Credendo amare…, credendo in eum ire, et ejus membris incorporari qustification). In Joa., tr. XXIX, n. 6, P. L., t. xxxv, col. 1631. C’est ce que nous appelons la foi vive, la croyance perfectionnée par la charité parfaite qui justifie. Mais il est visible que le saint docteur, qui n’invoque pas ici la tradition commune, mais donne son exégèse particulière, est dominé par la préoccupation du latin classique qu’il avait étudié, dans lequel, comme dans le grec classique, la préposition avec accusatif réclame l’idée de mouvement ou d’entrée dans quelque chose : credendo in eum ire. Il ne remarque pas que notre Vulgate, sans se soucier de la pureté du latin, suit ici mot à mot l’original grec assez peu classique, mettant le datif où il a mis le datif, l’accusatif avec ; ’/ ; où il a mis l’accusatif avec etc. Nos arguments donnés ci-dessus valent donc aussi contre l’exégèse augustinienne, laquelle, on le sait, est en défaut parfois. « L’assertion de saint Augustin, Credere in Deum plus est quam credere Deo, ne paraît donc pas solide. » Ainsi conclut Salmeron, Commentarii, t.-xiii, p. 100 ; et il ajoute cette raison que, dans l’Église, il n’y a pas que les amis de Dieu, ceux qui l’aiment et lui sont unis, qui doivent réciter et chanter le symbole et dire, pour leur compte personnel : Credo in Deum ; que, dans saint Jean lui-même, des princes de la synagogue sont dits « croire en Jésus » , in eum, tout en manquant au précepte grave de « confesser leur foi » et en « préférant la gloire des hommes à la gloire de Dieu, » xii, 42, 43, donc en n’étant pas justes et amis de Dieu, mais pécheurs. Au reste, saint Augustin a varié là-dessus, et attribue parfois au pécheur lui-même le credere in Deum. De fide et operibus, c. xiv, P. L., t. xl, col. 211. Le Lombard ayant introduit la théorie de saint Augustin dans ses Sentences, 1. III, dist. XXIII, les scolastiques, qui commentaient son texte, ont admis généralement une distinction entre credere Deo et credere in Deum, sans l’expliquer toujours de la même manière. Saint Thomas finit par renoncer à l’interprétation augustinienne de la formule in Deum, par la foi vive, citée par le Lombard, mais qui a trop d’inconvénients ; et, voulant expliquer in Deum par un autre mouvement vers Dieu, il recourt dans sa Somme théologique à ce mouvement antérieur de la volonté qui commande la croyance, au pius affeelus credendi, qui appartient à la nature de la foi, et se trouve même dans la foi « morte » ou séparée de la charité parfaite. IIII-, q.n, a.2. C’est d’un tel mouvement vers Dieu que parle le concile de Trente dans sa description de l’acte de foi, libère moventur in Deum, credentes vera esse, etc. Sess. VI, c. vi, Denzinger, n. 798. Luther semble avoir voulu tirer parti de la distinction augustinienne et scolastique entre credere Deo et credere in Deum : on la trouve soulignée dans les notes marginales qu’il avait ajoutées aux Sentences du Lombard, et qui ont été publiées en 1893. Voir Denifle, Luther und Lutherthum, Mayence, 1904, t. i, p. 382. Ses disciples ne manquèrent pas d’alléguer les passages de saint Augustin que nous avons cités plus haut ; ainsi le plus célèbre théologien du luthéranisme, Jean Gerhard, Loci theologici, 1. XVI, édit. de Preuss, Berlin, 1865, t. iii, p. 351. Ils ne pouvaient d’ailleurs se flatter sérieusement d’avoir pour eux saint Augustin. Quoi qu’il en soit de son interprétation des mots scripturaires credere in Deum, le grand docteur, d’accord avec toute la tradition catholique, est manifestement contre eux pour le fond de la question, pour la conception et la définition de la foi. Voir ci-dessous, col. 78, 111, 112 sq.

2. Catégorie de textes où figure le substantif -niVciç, fuies. —

Nous examinerons les groupes de textes qui se rapportent :
a) à la foi d’Abraham ;
b) à la foi des miracles ;
c) à la foi opposée aux œuvres.
Ce sont ceux que l’on a objectés contre notre thèse.

a) La foi d’Abraham.

Le texte principal, Rom., iv, 18 sq., où saint Paul explique le verset de la Genèse sur la foi d’Abraham (Gen., xv, 6 ; cf. Rom., iv, 3), décrit admirablement la foi-croyance, l’assentiment intellectuel donné à une révélation divine (exprimée au verset 18) sous l’influence de la volonté bien disposée. Cette volonté empêche l’intelligence de s’arrêter aux difficultés qui surgissent contre la révélation, 19, et par là même, de douter, où StExpifrri, cf. xiv, 23 ; Matth., xxi, 21, etc., et de céder à l’incrédulité, àrcec-rez, 20. Ainsi, par la « force de sa foi » Abraham « rendit gloire à Dieu, » 20, en le croyant sur parole, et en mettant, « avec une pleine conviction, la toute-puissance divine » au-dessus des apparentes impossibilités du miracle annoncé, 21. Si l’apôtre joint ici les mots de « foi » et d’« espérance » , s’il dit qu’Abraham, « contre l’espérance, » c’est-à-dire contre ce que l’on pouvait humainement espérer, « a cru, avec espérance » ou en espérance, ÈTr’È).71îo !, « qu’il serait le père de beaucoup de peuples, » cela prouve-t-il que pour saint Paul croire » signifie « espérer’? De ce que l’espérance est mentionnée par lui comme accompagnant la foi d’Abraham, ou comme un effet de cette foi, s’ensuit-il que le mot « foi » signifie cet effet ? Quand je dis qu’un courant électrique produit telle lumière, je ne veux pas dire que le mot « courant » signifie la lumière : telle est pourtant la confusion d’idées de ceux qui nous objectent ce texte. Ils devraient voir aussi que, d’après le contexte, cette « espérance » , louée par l’apôtre dans Abraham, n’est pas la même chose que la confiance du pardon de ses péchés, qu’il faudrait dans leur système ; ils n’arrivent donc pas ici au sens « prégnant » qu’ils veulent. « La foi que Paul loue dans Abraham, ce n’est pas cette foi spéciale (des protestants), que ses péchés lui étaient remis à cause du Christ : d’une telle foi, il n’est question ni dans ce c. iv, ni ailleurs ; mais c’est la foi générale et catholique par laquelle Abraham a cru tout ce que Dieu lui disait. » Stapleton, De justificatione, 1. VIII, c. iv, Opéra, Paris, 1620, t. ii, p. 243. Sur ce texte, voir Cornely, Comment, in Epist. ad Romanos, Paris, 1896, p. 242 sq. ; Prat, loc. cit., p. 342. Que, dans l’Écriture, les mots « foi, croire » puissent, en de rares occasions, outre la signification principale de croyance à une promesse, signifier secondairement l’effet de cette croyance, le mouvement affectif vers la chose promise — le connoter, en style scolastique — nous pouvons l’accorder avec plusieurs de nos anciens controversistes. Mais cela ne peut arriver qu’accidentellement, dans les cas où la révélation que l’on croit contient une promesse et peut ainsi exciter l’espérance de la chose promise et la confiance en celui qui promet ; combien de révélations ou paroles divines ont un autre contenu, menacent d’un mal, affirment un dogme, donnent un précepte, et ne promettent rien !

b) La foi des miracles.

Les textes où le Christ recommande ce qu’on a appelé « la foi des miracles » , Matth., xvii, 19 ; xxi, 21, et autres synoptiques, sont de ceux où l’on peut admettre que les mots « foi, croire » indiquent secondairement un mouvement affectif de confiance, d’espérance. Mais d’abord, il ne s’agit nullement ici de la confiance du pardon, la seule dans laquelle les protestants font consister la foi qui sert à la justification ; aussi, est-il de tradition, parmi eux, de distinguer la « foi des miracles » et la « foi qui just : fie » . Et une distinction peut très bien s’admettre, pourvu qu’on ne force pas la différence et qu’on l’explique bien. De plus, ce qui caractérise la loi des miracles, dans l’Évangile, ce n’est pps cet accompagnement émotionnel et affectif, c’est au contraire un élément intellectuel tout particulier. Outre la croyance commune à la toute-puissance de Dieu, révélée à tous les chrétiens (le miracle « peut se faire » , croyance demandée par Jésus dans Matth., ix, 28), la foi des miracles ajoute une croyance absolument ferme au futur événement (le miracle sera) : « Je vous le dis en vérité, si quelqu’un dit à cette montagne : Ote-toi de là, et jette-toi dans la mer, et s’i'/ ne doute pas dans son cœur, mais croit que ce qu’il dil arrivera, il le verra s’accomplir. » Marc, xi, 22. Dieu demeure le maître de ses dons et surtout d’un miracle aussi éclatant : évidemment il ne suffit pas, pour l’obtenir, que l’homme se persuade par entêtement qu’il y arrivera : la persuasion dont parle ici le Christ doit venir surnature lie nient de Dieu, soit par une révélation particulière, soit du moins par un vague instinct prophétique, par une conviction imprimée dans l’esprit d’une manière naturellement inexplicable, les récits authentiques de miracles iimis montrent parfois cette extraordinaire conviction anticipée du miracle, dans le futur miraculé. C’est Dieu qui la produit : encore fautil que la liberté humaine le laisse agir, et ne perde pas cetle grâce en cédant, par sa faute, à une tentation subséquente de doute ou de crainte, ce que le Maître blâme. Matth., xiv, 31. Le miracle n’a pas toujours besoin, pour se produire, de cette extraordinaire prévision ; mais quand eDe existe, il suit infailliblement ; il les deux grâces un lien noué par la promesse du Christ, tellement que la seconde résulte de la preml t que le miracle est comme un effet de la foi << miracles. Il fallait ce lien : quand le thaumaturge annonce d’avance le miracle qu’il. faire pour prouver la vérité de sa mission religieuse (par exemple, Pierre, Act., iii, 6, à l’imitation de son Maître, Marc, ii, 10, 11), comment pourrait-il prudemment s’avancer ainsi, s’il n’avait intérieurement la certitude de l’événement ?

Cette espèce de don regarde directement le bien de l’Église plutôt que le salut de qui le reçoit ; aussi l’apôtre le range-t-il parmi les charismes, inférieurs à la charité et incapables de nous sauver, I Cor., xiii, 2 ; etle miracle lui-même auquel se rapporte ce don peut se faire par l’intermédiaire d’un homme qui n’a pas la charité ou qui ne sera pas sauvé. Matth., vii, 22. Cependant, si elle ne suppose pas la charité, la foi des miracles suppose toujours à sa base la foi chrétienne ordinaire, qui a déjà par elle-même une relation avec le miracle. Cf. S. Thomas, Qwest, disp., De potentia, q. vi, a. 9. D’autre part, la foi des miracles et les miracles eux-mêmes étaient des charismes né< essaires à l’Église surtout à ses débuts, ce qui explique que Jésus en parle avec insistance à ses apôtres, futurs thaumaturges, qu’il envoie déjà faire leur apprentissage de ce don. Matth., x, 8. Sur la nature de la foi des miracles et sa distinction de la foi dogmatique et ordinaire .voir, parmi les Pères, S. Cyrille de Jérusalem, Cat., v, c. x, P. G., t. xxxiii, col. 517 ; S. Jean Chrysostomc, In Matth., homil. lvii, P. G., t.Lvn.col. 563 ; In I Cor., homil. xxix, n. 3, P. G., t. lxi, col. 245 ; parmi les théologiens et les exégètes catholiques, Vasquez, In / »  » II*, disp. CCX, c. iv, Lyon, 1620, t. il, p. 688 sq. ; Louis de Torrez (Turrianus), De fide, spe et caritate, Lyon, 1617, t. i, p. 514 ; Justiniani, In B. Pauli epistolas, Lyon, 1612, p. 780 sq. Nous savons que d’autres l’expliquent autrement, mais d’une manière moins satisfaisante.

c) La foi et les œuvres, dans saint Paul, surtout Rom., iii, 21 sq., et iv ; Gal., ii, 16 sq., et m.

Si nous ne craignions de sortir de notre sujet, il nous serait aisé de montrer que les « œuvres » ou « œuvres de la loi » , rejetées par saint Paul comme inutiles à la justification et au salut, sont les actions conformes à la loi, du moins en partie, non pas faites comme la loi naturelle ou mosaïque les supposait, mais comme les concevaient d’ordinaire les Juifs d’alors, et à leur suite les judaïsants que l’apôtre combat : enivres sans esprit intérieur, où l’on ne cherchait que la légalité extérieure et l’estime des hommes, comme le Christ l’avait déjà reproché aux pharisiens ; où, comptant sur les forces de la nature, on ne demandait rien à la grâce, et l’on s’imaginait ainsi mériter : partant, œuvres purement naturelles, et même viciées. Saint Paul indique lui-même la distinction entre deux sortes d’œuvres. Il y a celles qu’il recommande aux fidèles, les œuvres vraiment bonnes et surnaturelles : il les appelle ordinairement frona opéra, à Y<x8à ou xâXa îpya, IICor., ix t 8 ; ITim., v, 10 ; ’Fit., ii, 14, etc. (operemur bonum, Gal., VI, 10) ; ou bien, observatio mandalorum Dei. 1 Cor., vii, 19. Il y a les crimes qui sont purement de nous, non de la grâce, Tit., iii, "> (remarquez l’addition emphatique vj = ;.-, qute fecimus nos), (envies de justice légale et toute personnelle. uxquelles se fiait Paul avant sa conversion, l’hil., iii, 9 (remarquez de même Èi/.r, v, meam) : à Celles-là jamais l’apôtre ne donne l’épithete de lxi. mes i ; il les appelle iy ; x tout Court,

ou plus souvent ïpyec vépou, opéra legis, œuvres de légalité, telles que les entendaient ses adversaires. Même il met parfois en opposition manifeste ces ilni catégories, ces bonnes œuvres et ces i œuvres >. Eph., II, 9, 10 ; Tit, III, 5, 8. Voirie théologien catholique Wieser, Pauli doctrina de fusil fleatione… blblicodogmatlce dtseussa, Trente, 1874, p. 1 19, 120 ; cf. p. 16, 27 ; l’évêque anglican liull, llurmonia iipostnlicn (critique des Systèmes pour concilier saint Paul et saint

Jacques sur la fol et les œuvres), diss. ii, <-. xii, dans Opéra, Londres, 1703, p. 81 sq. ; B. Bartmann, Sf. Paulus und St. Jacobus ilber die Rechlfertigung, dans Biblische Studien, Fribourg-cn-Brisgau, 1897, t. ii, fasc. 1, p. 30-31, 146-147.

Mais la solution même que nous venons d’indiquer à la difficile question des « œuvres » rejetées par saint Paul crée une difficulté nouvelle à notre interprétation du mot « foi » . Si à ces œuvres toutes judaïques la « foi » est seule opposée, « l’homme est justifié par la foi, à l’exclusion des œuvres de la loi, » Rom., iii, 28 — il faut qu’ici le mot « foi » signifie tout cet esprit intérieur, tous ces sentiments religieux qui manquaient aux Juifs charnels, et non pas seulement la foicroyance ; d’autant plus que, dans la doctrine catholique, la foi-croyance ne peut obtenir la justification et le salut qu’en se complétant par d’autres actes intérieurs, comme le repentir, l’espérance, la charité. Voir Justification. Quand donc saint Paul attribue la justification à la « foi » sans ajouter autre chose, les catholiques, eux aussi, doivent entendre ce mot dans un sens prégnant, et non plus comme une simple croyance. Voilà la difficulté.

a. Réponse indirecte. — Cette objection ne saurait guère profiter aux protestants, car elle tend à exiger comme condition de la justification, sous le nom de « foi » , non seulement la confiance au Christ qui est pour eux comme pour Luther l’élément essentiel, ma’s encore le repentir de nos péchés dont Luther ne voulait en aucune façon, voir Pénitence, et la charité, qu’il ne voulait pas faire entrer dans la foi justifiante, comme le rappellent Sanday, op. cit., p. 151 ; Prat, op. cit., p. 357, 358. Et bien des protestants, aujourd’hui encore, suivent Luther en cela. Tel M. Ménégoz : « Luther reconnut, dit-il, que la charité n’avait pas la vertu d’effacer les péchés… Cette vertu, Luther l’attribue exclusivement à la foi. » Le fldéisme, 1900, p. 28. Et p. 31, il ramène dans le rang libéral certains protestants qui cherchent un acte du cœur plus central, plus salutaire que la foi, et croient le trouver dans la charité, baptisée par quelques-uns du nom de « foi » pour sauver au moins la formule de Luther. « Sans s’en douter, dit M. Ménégoz, on retombe ainsi dans l’erreur juive et papiste du salut par l’accomplissement de la loi ; car c’est bien explicitement la Loi, et non l’Évangile, que Jésus-Christ a résumée dans ces paroles : Tu aimeras Dieu par-dessus toutes choses et ton prochain comme toi-même. » Et puis, c’est enseigner, « comme l’Église romaine, la justification par la foi et par la charité. » Encore si par « charité » on n’entendait que l’amour de Dieu ! « Mais grâce à la tendance naturelle du cœur humain, le libéralisme (protestant ) n’arrive que trop facilement à négliger la doctrine de l’amour de Dieu, pour n’enseigner que le salut par les œuvres de charité à l’égard du prochain, et à échapper ainsi, aussi bien que l’orthodoxisme, au douloureux renoncement à soi-même et à la consécration du moi tout entier à Dieu (par la seule foi-confiance). » Op. cit., p. 32, 33. Du reste, il y a peu de sincérité à prétendre que l’on suit Luther, et à faire entrer dans sa formule des ingrédients qu’il en a formellement exclus. Dès le premier siècle de la Réforme, des protestants, tout en défendant contre les catholiques la formule luthérienne de « la foi seule » suffisant au salut, introduisaient sous le nom de « foi » la charité et tout ce que nous demandons de dispositions pour la justification ; et le B. Pierre Canisius s’élevait contre cette dangereuse manière d’équivoquer : « Pourquoi donc alors tant batailler pour la formule sola fide, pourquoi ces déclamations tragiques contre nous ? d’autant plus qu’ils n’ignorent pas, et les faits le disent assez haut, combien cette formule, la foi seule, choque les pieux fidèles, combien elle pousse les âmes vulgaires à lâcher la bride à leurs passions et à négliger toute recherche de la vertu. » Commentarius de verbi Dei corrupielis, c. xii, Ingolstadt, 1583, t. i, p. 183. Sur quelques protestants de nos jours, qui identifient entre elles les vertus théologales, voir Espérance, t. v, col. G15.

b. Réponse directe. — Saint Paul dit que nous sommes « justifiés par la foi, » Rom., v, 1, etc., et non « par la foi seule, » comme le lui faisait dire Luther dans sa version allemande et comme le croient beaucoup de protestants. Voir Feinc.cité par le P. Prat, op. cit., IIe partie, p. 359. Cf. Prat, l’e partie, 4e édit., p. 237, 238. Rien ne prouve qu’en prononçant le mot « foi » l’apôtre s’écarte du sens de foi-croyance dont il a donné tant d’exemples, voircol. 58-60 ; rien ne prouve qu’il entende par « foi » l’ensemble de tous les sentiments religieux, de tous les actes intérieurs conduisant à la justification, y compris la charité. L’Écriture, n’étant pas un traité didactique, ne fait nulle part une énumération complète des conditions du salut, mais en donne une ici, une autre là, Gn sorte que la doctrine intégrale ne peut résulter que de l’ensemble des textes recueillis çà et là. Ainsi l’apôtre : si dans les textes objectés il attribue la justification ou le salut à la foi, sans rien ajouter, il s’en explique d’ailleurs, quand il ajoute à la foi, pour qu’elle soit vraiment efficace, la « charité » , Gal., v, 6, remplacée dans un texte parallèle par « l’observation des commandements de Dieu. » I Cor., vii, 19. Ailleurs encore, il représente la charité comme tellement nécessaire que sans elle tout le reste n’est rien, ne sert à rien. I Cor., xiii, 1-3. Ailleurs, c’est la grâce qui justifie, Rom., iii, 24 ; c’est le baptême. Eph., v, 26 ; Tit., iii, 5. Complétez ces textes les uns par les autres, vous y trouverez toutes les conditions de justification et de salut ; et dans ceux où il parle seulement de la foi, vous ne serez pas obligés d’enfler indûment le sens de ce mot. De même dans les Évangiles, tantôt le Christ ne mentionne, comme condition de salut, que la foi, paraissant négliger le reste, Joa., ni, 16 ; tantôt l’observation du décalogue, paraissant négliger la foi, Matth., xix, 16 sq. ; tantôt le secours de la grâce, Joa., vi, 44 ; xv, 5 ; tantôt la pénitence, Matth., iv, 17, la pénitence avec la foi, Marc, i, 15 ; tantôt le baptême, Joa., ni, 5, le baptême avec la foi, Marc, xvi, 16 ; tantôt la persévérance finale. Matth., x, 22. Dans un passage où le salut est promis d’une manière générale à une espèce d’actes, il faut toujours sous-entendre les autres conditions de salut indiquées ailleurs. Telle est la solution classique, donnée très nettement déjà par saint Augustin, De fide et operibus, c. xiii, P. L., t. xl, col. 210 ; cf. c. xxiii, puis par les exégètes et controversistes catholiques : « Les promesses ne doivent être prises qu’avec cette limitation et cette condition : si les autres conditions requises se rencontrent, si rien ne fait obstacle ; ainsi le salut éternel est promis à la foi, à l’espérance, à l’invocation de Dieu. Rom., x, 13. » Bonfrère, In Script, sacram præloquia, c. xxi, reg. xii, pour l’explication de l’Écriture, dans Migne, Cursus Scripluræ sacræ, 1. 1, col. 290. « Ces promesses universelles (comme Joa., iii, 16) doivent toujours être entendues sous les conditions exprimées dans un autre endroit de l’Écriture… Nous lisons : Tous ceux qui demandent reçoivent. Matth., vii, 8. Entendez : si leur prière s’accompagne des conditions nécessaires… Vous demandez et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal. Jac, iv, 3. » Les frères de Walenburch, De juslificationc, c. lxxv, n. 27, Traclalus de conlroversiis fidei, Cologne, 1671, t. ii, p. 475. » Lorsque plusieurs causes concourent à la production d’un effet, l’Écriture attribue cet effet tantôt à l’une, tantôt à l’autre, et ne veut pas dire par là qu’une de ces causes puisse suffire sans les autres. » Bellarmin, De juslificationc, 1. I, c. xx, Opéra, Paris, 1878, t. vi, p. 196. Cf. c. xxil. Ainsi, dans la phrase paulinienne « justifiés par la foi, » la « foi » ne change pas de signification ; elle ne signifie pas les autres dispositions, mais elle les laisse sous-enlendre ; de même que le « baptême » , quand la justification d’un adulte lui est attribuée par saint Paul, ne change pas de sens, ne prend pas un sens prégnant, mais nous savons par ailleurs qu’il faut sousentendre dans cet adulte, à côté du baptême, les dispositions nécessaires.

Objections. — Même avec ces sous-entendus, pour pouvoir attribuer la justification à la foi-croyance, il faudrait au moins qu’elle eût une valeur morale, une vertu salutaire initiale ; or, elle ne l’a pas. « La croyance à un dogme ou à un fait, quelque vrais qu’ils soient, ne saurait avoir de vertu salutaire, pas plus qu’une erreur de pensée ne saurait, en bonne morale, être un motif de condamnation. Le salut doit dépendre, non d’un acte intellectuel, mais d’un mouvement plus profond, plus intime de l’âme. » Ménégoz, Le fidéisme, p. 31. —
Réponse. — Vous supposez à tort que nous entendons par croyance un acte purement intellectuel ; nous entendons, avec la plupart des philosophes même modernes, un acte où la volonté influe sur l’intelligence ; et en ce sens il peut y avoir des erreurs coupables. Voir Croyance, t. iii, col. 2365, 2375, 2377, 2379, 2384 sq. L’acte par lequel nous croyons un dogme ne sort pas de cette conception générale de la croyance ; il présuppose, comme nous le verrons, un pius afjecius credendi, un mouvement de l’âme vers Dieu, que nous honorons en le croyant sur parole. La croyance à un dogme, avec toutes les conditions voulues, peut donc avoir une valeur morale et religieuse, et une vertu salutaire initiale, du moins si l’on considère que c’est un acte surnaturel, un don de la grâce. Aussi saint Thomas dit-il que la « première union de l’âme avec Dieu se fait par la foi, » In IV Sent., I. IV, dist. XXXIX, q. i, a. 6, ad 2um, et que « le premier principe de la purification du cœur est la foi, qui enlève l’impureté de l’erreur ; ensuite, si elle est perfectionnée par la charité, elle produit la purification parfaite.

  • ! Sum. theol., IL 1 II » , q. vii, a. 2. Sur la valeur

morale de la foi, reconnue enfin par une grande partie des protestants, voir Prat, op. cit., p. 342, 359.

.Mais, nous dira-t-on encore, pourquoi saint Paul, dans la plupart des textes, attribue-t-il la justification non pas à la charité, mais à la foi, vertu inférieure d’après le sens que vous lui donnez ? — Réponse. — La foi-croyance, quoique inférieure, avait des titres spéciaux à une mention plus fréquente. Dans l’ordre psychologique des dispositions à la justification, elle vient la première : et c’est bien ainsi que saint Augustin explique l’apôtre : Ex fide dicil juslificari hominem, quia ipsa prima datur, ex qua impclrantur cœlera. De prœdeslinat. sanctorum, c. vii, P. L., t. xliv, col. 969. Cette priorité tient sans doute à ce que, dans l’ordre du développement psychologique, on va de l’imparfait au parfait, mais enfin c’est une priorité. S. Thomas, Sum. theol., II’II » , q. iv, a. 7 ; q. xvii, a. 8. C’est la porte qui nous introduit dans le christianisme ; et comme, quand on nous demande OÙ est telle maison, nous indiquons la porte plutôt que toute autre partie de l’édifice plus parfaite on plus intime, ainsi la foi-croyance devait être mise en relief, et surtout par les apôtres, dont la fonction était d’introduire Juifs et gentils dans oyances chrétiennes ; c’était pour eux la première Ité, et aussi la grande difficulté, laquelle une fois lie, il était plus facile d’obtenir le reste. Tolet. lu ml Rom., <. iii, annot. 17, Mayence, 1603, p. 152, utrc titre de la foi : elle fonde, et soutient perpétuellement les antres actes de Veiln. Voir plus loin, col. 84. On peut ajouter que saint Paul, qui remonte volontiers aux exemples et aux textes biblique*, aj ml à parler de la justification qui nous rend amis de I lieu, rencontrait comme exemple Abraham, le grand juste, I que Dieu appelle son ami, Is., xli, 8, mot bien remarqué dans la suite. Judith, viii, 22 ; Jac, ii, 23. Or, si nous lisons la vie d’Abraham dans la Genèse, le seul de ses actes auquel il arrive d’être rapproché de l’idée de justice, de justification, c’est le fait d’avoir cru : « Abraham crut à (la parole de) Dieu, et Dieu le lui imputa à justice. » Gen., xv, 6. D’après le contexte, il s’agit ici de la foi-croyance, de la croyance d’Abraham à la révélation qui lui est faite de sa nombreuse postérité future. C’en était assez pour que l’apôtre citât et commentât au long cet exemple et ce texte ; il se trouva ainsi amené, quand il traitait de la justification, à mentionner le plus souvent la foi de préférence à toute autre disposition de l’âme, quoiqu’elle ne soit pas la seule requise pour la justification.

Autre solution : la « foi » serait la foi vive, qui renferme la charité, laquelle renferme la résolution d’obéir à tout ce que Dieu veut. Ne pourrait-on pas dire que chez saint Paul, sans parler d’acceptions rares et exceptionnelles, on trouve deux sens du mot à peu près également usitésl — Souvent, il prend la foi dans un sens strict, soit en la distinguant de l’espérance et de la charité, I Cor., xiii, 13, ce sont trois choses, tria hsec, cf. Eph., i, 15-18 ; Col., i, 4, 5 ; IThes., i, 3 ; v, 8 ; LIeb., x, 22-24, soit en la distinguant au moins de la charité. I Cor., xvi, 13, 14 ; Gal., v, 6 ; Eph., iii, 17 ; iv, 13, 15 ; vi, 23 ; I Tim., i, 5, 14 ; vi, 11, etc. Pour plus de détails, voir Prat, op. cit., IIe partie, 2e édit., p. 468, 469. Il prend encore la foi dans le sens strict de croyance, dans tous les exemples que nous avons cités plus haut. « Fides ex audilu ; elle est l’adhésion de l’esprit à un témoignage divin. » Prat, loc. cit., p. 337. « Ici (Rom., vi, 8 ; x, 9 ; I Thés., iv, 14) la foi est une adhésion intellectuelle à une vérité d’ordre historique, sans aucune idée accessoire de confiance ou d’abandon ; néanmoins, c’est la foi véritable, la foi chrétienne, puisque le salut y est attaché, » p. 339. Mais dans sa controverse avec les judaïsants sur la foi et les œuvres, sur la foi qui justifie, ne pourrait-on pas dire qu’il entend, sous le nom de « foi » , le groupe entier des vertus théologales, ce que les théologiens appellent la foi vive, complétée par la charité ? C’est ce que semble admettre, entre autres exégètes, le R. P. Prat, dans cette définition de la « foi » qui justifie : « Il y a de plus, dans la foi, un double, acte d’obéissance : obéissance de la volonté inclinant l’intelligence à accepter le témoignage de Dieu ; obéissance de tout l’homme au vouloir divin connu par la révélation, » op. cit., I rc partie, p. 236 ; et dans ces assertions : « La foi de saint Paul est la foi concrète, la foi agissante, la foi qui reçoit de la charité son impulsion et sa forme ; la foi de saint Jacques est un simple assentiment de l’intelligence… Le premier parle de la foi vive, le second d’une foi qui peut être morte, qui est en tout cas inactive, » p. 244, 245.

Le seul inconvénient que nous trouvions à cette solution, c’est de faire passer l’apôtre d’un sens à l’autre sans avertir, au risque d’égarer les fidèles ; même dans sa controverse avec les judaïsants, il quitterait parfois le sens qu’on lui suppose dans cette controverse, pour revenir brusquement à l’autre : ainsi Rom., x, 9 ; Gal., v, 6. I.e même mot « foi » tantôt signifierait la charité, tantôt ne la signifierait pas. Avons-nous le droit de supposer dans l’écrivain inspiré une telle confusion de langage a propos d’idées Importantes, quand nous pouvons l’éviter par la solution classique donnée plus haut, qui laisse toujours le même sens au mot « foi » ?

Remarquons en passant que, lorsque les théologiens parlent de « foi vive » , alors l’adjectil qu ils ajoutent détermine nettement une nouvelle signification : il signale la présence.le la rharilé, comme l’expression contraire foi mort île son absence. Mais la « foi » sans épitliète fait abstraction de cette présence ou de cette absence ; elle reste essentiellement la même, tandis que la charité vient ou s’en va ; c’est la fides ipsa in se, dont parle le concile du Vatican, sess. III, c. m. Dcnzinger, n. 1791 (1640). De ce que la foi, sans la charité, est insuffisante au salut, Jac, il, 14, de ce qu’elle est alors, sans trop forcer la comparaison, comme un corps sans âme, ibid., 26, il ne s’ensuit pas que, sans la charité, elle soit inexislanle — même un cadavre existe — ni que le mot foi, sans épithète, doive signifier la foi dans cet état meilleur où la charité l’accompagne. Saint Jacques ne traite pas, comme nous le faisons en ce moment, la question philologique, mais la question dogmatique : les protestants qui nous l’objectent confondent tout cela ; il ne dit pas : la foi sans la charité ne doit pas s’appeler foi : au contraire, il emploie comme nous les mots « foi, croire » pour la simple croyance : « La foi sans les œuvres. » « Tu crois qu’il y a un seul Dieu ; tu fais bien, » etc. Jac, ii, 19.

Revenons à saint Paul. Si l’on tenait à ce qu’il ait eu alternativement en vue deux sens très différents du mot « foi » , au moins, entre les deux, il y aurait d’excellentes raisons de préférer comme propre le sens qu’il donne dans l’enseignement simple et direct de la doctrine chrétienne, et lorsqu’il ne subordonne pas sa pensée aux controverses et aux influences extérieures ; le sens qui, de plus, est resté seul dans ses derniers écrits, dans ses Épîtres pastorales à Timothée et à Tite, lorsque l’apôtre était plus à même de fixer définitivement la langue chrétienne. « Peut-être constaterons-nous chez saint Paul, ce premier créateur de la langue chrétienne, un effort soutenu vers le mieux. » F. Prat, op. cil., I re partie, Introd., p. 4. Par suite, nous ne pourrions regarder comme principal le sens qu’il aurait employé dans une controverse difficile et obscure de l’aveu de tout le monde. Nous ne devons jamais expliquer le clair par l’obscur ; et dans la polémique il arrive aisément que le langage manque de netteté, soit qu’on s’adapte parfois au parler peu correct des adversaires, tandis qu’on les poursuit sur leur propre terrain, soit pour d’autres raisons. Ainsi le sens employé par saint Paul en dehors de cette controverse est le sens exact du mot foi ; et si l’on en admettait un autre dans cette polémique, celui-ci, quoique plus ample, ne devrait pas être appelé le sens « fort, profond, prégnant, » mais le sens large, impropre et figuré du mot « foi » .

Conclusion. —

Le mot ui’oti ; figurant à peu près 240 fois dans le Nouveau Testament et le mot 7naTs-Ja> environ autant, nous n’avons pu analyser tant de textes en détail, mais après en avoir examiné plusieurs en particulier, nous avons dû procéder plus largement, par groupes, nous arrêtant surtout aux diverses catégories de textes sur lesquelles les protestants comptent davantage. Un chapitre de l’Épître aux Hébreux reste à examiner, voir plus loin, col. 85 sq. ; mais notre induction est déjà assez complète pour nous permettre de rejeter l’hypothèse, que les mots « foi, croire » aient comme sens prédominant et propre, dans le Nouveau Testament, le sens de confiance du pardon. Cela nous suffit. Nous pourrions aller plus loin, et prouver, par le bilan de tous les textes, qu’au contraire le sens de foi-croyance est le sens normal et prédominant, même au point de vue d’une exégèse purement textuelle : mais pour faire court, nous nous passerons de cette assertion et de sa preuve. Nous n’en avons pas besoin. Quand on arriverait à prouver, par l’exégèse rationnelle des textes, que le mot foi a deux sens à peu près égaux comme emploi dans le Nouveau Testament et qu’il reste donc, dans l’Écriture prise séparément de toute tradition, équivoque et ambigu, sans aucun sens prédominant et propre — position bien différente de celle des protestants — la théologie catholique n’en souffrirait pas. Elle ferait observer que l’Écriture n’est pas la seule source de la révélation divine, encore moins de la langue sacrée ; que la tradition, pour fixer le langage chrétien, a voix au chapitre, et voix prépondérante. Si un mot jouant un si grand rôle semblait rester, dans l’Écriture, plus ou moins équivoque et obscur, c’est à la tradition qu’il faudrait demander de dissiper cette obscurité et de déterminer quel sens doit figurer de préférence dans nos définitions de l’acte de foi, quel sens doit devenir normal dans le langage théologique et dans les catéchismes.

1. Avant de passer à cette étude de la tradition, répondons à quelques objections plutôt psychologiques qu’exégétiques. Le fidèle, nous dit-on, ne doit pas avoir seulement la confiance du pardon à recevoir, confiance que vous ramenez à l’espérance (concile de Trente, sess. VI, c. vi, Denzinger, n. 798) : il doit avoir ensuite la confiance du pardon reçu, sans laquelle il n’aurait ni joie, ni courage dans les épreuves, ni espérance du ciel. Or, cette confiance du pardon reçu ne peut rentrer dans l’espérance, qui regarde essentiellement un bien futur ; reste donc à la mettre dans la foi. Ainsi raisonne, contre Bellarmin, J. Gerhard, Loci theologici, Berlin, 1864, t. iii, p. 367. —
Réponse. — a) Quand cette confiance n’appartiendrait pas à l’espérance, on ne pourrait en conclure qu’elle appartienne à la foi : en dehors de la foi chrétienne et théologale, il y a de pieuses croyances, des appréciations favorables de notre état personnel, capables d’exciter au cœur la joie, la confiance et le courage.

— b) L’espérance, avec la confiance qui est un de ses éléments, peut aussi se porter sur un bien présent, s’il n’est pas absolument certain. Voir Espérance, t. v, col. 609. Or, c’est le cas de notre état de grâce ; il n’est pas absolument certain. Voir col. 616, 617, et surtout Grâce. D’autre part, la croyance qu’a un pieux fidèle de son état de grâce ne peut être un acte de foi chrétienne, faute de cette absolue certitude essentielle à la foi chrétienne, et aussi parce que le fait de son état de grâce n’a pas été révélé, la foi chrétienne ne portant que sur un objet révélé. Malgré ce défaut de certitude, un esprit raisonnable, qui sait se contenter de ce que.Dieu lui donne de lumière, pourra trouver une consolation suffisante dans la confiance du pardon, et surtout puisera dans la grâce de Dieu assez de force pour lutter et espérer le ciel ; la crainte même, résultat du défaut de certitude.sera pour lui un secours d’un autre genre. Voir Espérance, t. v, col. 619, 620. Ainsi la confiance du pardon à recevoir et celle du pardon reçu ne change pas essentiellement de nature ; c’est la même qui continue, souvent avec un accroissement, d’intensité purement accidentel. Il ne pourrait y avoir acte de foi théologale sur le pardon reçu ou sur le salut futur que dans le cas très rare d’une révélation proprement dite, faite immédiatement au fidèle et dûment constatée par lui. Concile de Trente, sess. VI, c. xii, et can. 16, Denzinger, n. 805, 826. De ce cas exceptionnel, des protestants nombreux font une règle générale, et expliquent ainsi la foi justifiante exigée de tous : c’est rendre bien des gens visionnaires, et les jeter dans certaines « variétés de l’expérience religieuse » réprouvées du bon sens. Voir Espérance, t. v, col. 617.

De plus, en confondant la confiance du pardon avec la foi dont parle l’Écriture et en disant que cette foi suffit à la justification, ou même aussi au salut éternel, comme le disait Luther, on arrive fatalement à nier la nécessité de croire les dogmes révélés. C’est à quoi sont arrivés tant de protestants libéraux ; et n’est-il pas logique de se contenter du genre de foi qui suffit au salut ? Les protestants conservateurs ou « orthodoxes » , qui veulent garder la croyance à plusieurs vérités révélées, ne trouvant dans le Nouveau Testament d’autres mots, pour exprimer cette croyance, que « croire » et « foi » , aboutissent à équivoquer perpétuellement sur ces mots, comme M. Harnack lui-même le reproche à Luther, ou à remanier perpétuellement leur définition de la foi, comme la Realencijclopâdie de théologie protestante de Hauck reproche à Mélanchthon de l’avoir fait dans ses ouvrages successifs. Voir Harnack, Précis de l’histoire des dogmes, trad. Choisy, Paris, 1893, p. 442, 444, 448 ; L’essence du christianisme, trad. franc., Paris, 1902, p. 307 ; Realencyclopâdie, 3e édit., Leipzig, 1899, t. vi, p. 678. Cf. Études du 20 octobre 1907, p. 233 sq. ; Denifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, Paris, 1912, t. iii, p. 252-258. D’autre part, l’indifférence dogmatique des protestants libéraux, la « foi qui sauve » réduite par eux à une attitude confiante, la doctrine chrétienne devenue pour eux une quantité négligeable, tout cela est aussi antiévangélique qu’antipaulinien. Cf. Éludes du 20 avril 1908, p. 170 sq. ; L. de Crandmaison, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1905, p. 194 sq. Par le sens qu’il donne à la « foi » , le protestantisme s’enferme donc dans un dilemme : orthodoxe, il aboutit à se contredire ; libéral, à ruiner de fond en comble les croyances chrétiennes.

Auguste Sabatier, libéral, attaque à son tour notre conception de la foi-croyance : « La foi qui, dans la Bible, était un acte de confiance et de consécration à Dieu, devient une adhésion intellectuelle à un témoignage historique ou à une formule doctrinale. Un dualisme mortel éclate dans la religion. On admet que l’orthodoxie peut exister en dehors de la piété… Combien d’âmes se rassurent, se croyant ainsi fidèles quant à la doctrine, sauf, un moment ou l’autre, d’y ranger leur cœur et leur vie I » Elles auraient tort de se rassurer, et la doctrine même qu’elles professent les en avertit. « Au fond, poursuit-il, cette idée de la révélation est toute païenne. Sur le terrain du christianisme authentique, on ne saurait séparer l’acte révélateur de Dieu de son action rédemptrice et sanctifiante. Dieu n’éclaire pas, il aveugle au contraire ceux qu’il ne sauve pas ou ne sanctifie pas…. Quand elle ne nous donne point la vie, la parole de Dieu ne nous donne rien. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 4- édit., Paris, 1897, p. 43, 44. Tout ou rien : système violent, contraire à l’Ecriture. L’« aveuglement » (relatif ) dont elle parle, regarde les grands pécheurs endurcis, et non pas les pécheurs ordinaires qui ont conservé leur croyance : ceux-ci, Dieu ne les aveugle en aucun sens ; dans nos Livres saints, on le voit se servir de cette croyance pour les exhorter à la conversion ; s’ils répondent à son appel, s’ils coopèrent à sa grâcf, ce crépuscule ou cette aube de la loi se changera en lumière cl en chaleur du plein jour. Tandis fine le Jupiter tonnant de Sabatier se plaît a aveugler ceux qu’il ne convertit pas du premier coup, le Christ se garde d’éteindre la mèche qui fume encore. Matth., XII, 20.

2. La définition de la foi chez Newman.

Si c’est dans les ouvrages de Newman encore protestant qu’on va chercher sa pensée sur la foi, faudra-t-il s’étonner d’y trouver le même embarras, la même équivoque, que nous venons de constater dans le protestantisme orthodoxe, auquel il appartint ? Tantôt il dira a la manière protestante : « Qu’est-ce donc que la foi.’Croire, c’est… nous élever Jusqu’à Dieu, réaliser sa lire, attendre sa vi ayer d’accomplir sa volonté… ; croire, c’est se rendre a Dieu, s’abandonner humblement entre ses mains. « Tantôt, se rapprochant des catholiques : Lfl foi est un principe actif qui appréhende des doctrines définies. A ces citations, M. Brémond ajoute en note : Une des croit du problème newmanten est dans le raccord entre ces définitions. » Newman, psychologie de la foi, Paris, 1905, p. 312, 313. La « croix » est la même ici que pour l’orthodoxisme protestant en général. Y a-t-il lieu de chercher un raccord ? — C’est bien à Newman protestant que paraît empruntée cette fâcheuse définition de la foi : Croire au Christ, c’est le considérer « comme une réalité présente, qui est pour nous la voie, la vérité et la vie…, c’est appuyer son être au sien pour y trouver le salut. » R. P. Laberthonnière, Le réalisme chrétien et l’idéalisme grec, Paris, 1904, p. 123. — Mais Newman converti est très net sur le sens du mot « foi » . Prenons presque au hasard un exemple. Dans sa Lettre à Pusey à l’occasion de son Eircnicon de 1864, il dit : « Par le mot foi, j’entends le credo (creed), et l’assentiment donné au credojpar le mot dévotion, j’entends les honneurs religieux qui appartiennent aux objets de notre foi, et l’action de leur rendre ces honneurs. La foi et la dévotion sont aussi distinctes dans la réalité des faits que dans nos concepts. Nous ne pouvons pas, il est vrai, avoir la dévotion sans la foi ; mais nous pouvons croire sans éprouver de dévotion. Ce phénomène, chacun en a l’expérience en soi et dans les autres ; et nous lui rendons témoignage, toutes les fois que nous parlons de réaliser une vérité ou de ne pas la réaliser, » c. iii, dans le recueil intitulé : Certain di/]icullics felt by anglicans in catholic teaching, Londres, 1876, p. 26. Par où nous voyons que, pour Newman catholique, « réaliser une vérité » appartient à la « dévotion » , mais n’est pas un élément essentiel de la « foi » , à laquelle suffit l’assentiment à la vérité révélée. Voir Croyance, t. iii, col. 2373, 2374. Nous ne saurions trop blâmer le procédé qui consiste à introduire chez nous des idées protestantes en les empruntant à Newman, lorsqu’il était protestant, et à ne pas tenir compte de sa conversion, ni du changement de sa pensée.

II. Les pères.

Si saint Augustin a une interprétation du credere in Deum dont Luther et d’autres se sont servi, voir plus haut, col. 67, cependant le sens de croyance reste pour lui le sens propre du mot « foi » . Voir la définition qu’il en donne, Enchiridion de fui, -, speelcarilate, c. viii, texte cité à l’art. Espérance, t. v, col. 606. Pour lui, la foi qui dispose a la justification (sans y suffire toute seule), c’est la foi dogmatique, celle que l’hérétique rejette. Contra duas epist. pelagian., 1. III, c. v, P. L., t. xi.iv, col. 598. Cf. De sermone in monte, 1. I, c. v, /’. L., t. xxxiv, col. 1236 ; De Trinilale, 1. XV, c. xviii, P. L., t. xlii. col. 1082. Des protestants contemporains reconnaissent qu’Augustin a le concept catholique de la foi. Voir Realencyclopâdie de Hauck, t. vi, p. 676.

Les autres grands docteurs du iv° et du ve siècle, grecs et latins, nous sont encore moins disputés. Saint Cyrille te Jérusalem et saint Jean Chrysostome dégagent de l’Écriture deux sens du mot foi, la foi des miracles et la foi « dogmatique. Voir plus haut, col. 70. Comme la première n’est qu’un charisme donné à quelques-uns, ce ne peut être la foi chrétienne, et la seconde doit être la foi au sens propre. Dans plusieurs définitions que les Pères donnent de la foi, c’est pour eux un assentiment de l’esprit, avynaxi’içt ::. Voir S. Cyrille de Jérusalem, lor. rit., et Théodore ! , (irtrc. affectionnm curatio, serm. i, /’. a., t. uxxxin, col. 814, tous deux dans Rouët de.lournel. Lnchiridion patriiticum, Fribourg-en-Brisgau, 1911, n. 820, 21 1 1. avec un texte douteux de saint Basile, souvent cité, n. 972. D’autres grands docteurs de ce temps écrivent îles livres sur la foi i et ils entendent par la l’expotitlon des dogmes (surtout de la Trinité et de l’incarnation), ce qui suppose que la « foi est t’assen timellt donné à des dogmes. Voir S. Ambroise. /), fide ad Gratianum libri V, /’. /… t. wi. col. jt sq : s. Ambroise. Bxpotiiio fidei, P. G., t. xxv, col, 199 sq. ; S. Grégoire de Njsse, De fide ad Simplicium, P. G., t. xlv, col. 135 sq. ; S. Cyrille d’Alexandrie, De recta jide libri III, P.G., t. lxxvi, col. 1134. Inutile de donner des textes pour une période où la chose est si claire.

Nous voyons le même sens du mot régner déjà chez les Pères les plus anciens, sur lesquels nous insisterons davantage.

Lightfoot a bien remarqué que saint Clément de Rome, tout en affirmant comme saint Paul la justification par k foi, à l’exclusion des œuvres faites avant la foi, a toujours soin de recommander aux fidèles la charité et les bonnes œuvres, et de concilier saint Jacques avec saint Paul. / Cor., xxxii, xxxiii, Funk, Patres apostolici, 2e édit., Tubingue, 1901, t. i, p. 138, 140. Cf. Lightfoot, The aposlolic falhers, part. I, St. Clément of Rome, Londres, 1890, t. i, p. 96 ; t. ii, p. 100, 101. Mais ce qui nous intéresse à présent, c’est le sens qu’il donne au mot 7ct<7Ttç. Il n’y enferme pas toute vertu, tout sentiment religieux, puisqu’il distingue la « foi » de plusieurs autres vertus qu’elle aide : « Pourquoi notre père Abraham a-t-il été béni ? N’est-ce pas parce qu’il a fait la justice et la vérité par le moyen de la foi ? » o ; à Ttirrretoç, xxxi, 2. Funk, t. i, p. 138. Cf. Jac, ii, 22. « A cause de sa foi et de son hospitalité, Sià tu’ittiv xal cpOolevi’av, un fils lui a été donné dans sa vieillesse, » xi, p. 112. De même, « c’est à cause de sa foi et de son hospitalité que Rahab a été sauvée, » xii, 1, p. 114. Et cette « foi » de Rahab, cf. Heb., xi, 31, Clément l’explique par les paroles mêmes de l’étrangère aux deux Israélites cachés dans sa maison : « Je sais avec certitude que votre Dieu (auquel elle fait ensuite profession de croire) vous livrera cette ville. » Jos., ii, 9 sq. Et Clément d’observer qu’elle a eu non seulement la foi, mais la prophétie, 8, p. 114. Le rapprochement de ces’deux dons nous montre assez qu’il prend aussi la foi pour un don intellectuel ; et les paroles mêmes de Rahab dans la Bible expriment la foi-croyance.

Saint Ignace d’Antioche, sous le nom de « foi » , ne comprend pas la charité, puisqu’il les oppose l’une à l’autre comme l’origine et la consommation de la vie spirituelle. Ad Eph., xiv, Funk, t. i, p. 224. Il ajoute une phrase que Lightfoot interprète ainsi : « Où coexistent ces deux choses (la foi et la charité), là est Dieu ; la foi ne peut errer, et la charité ne peut haïr. » Aposl. f thers, part. II, St. Ignatius, 2e édit., Londres, 1889, p. 67. Si la foi exclut l’erreur comme l’amour exclut la haine, c’est donc la connaissance infaillible qui caractérise la foi. Ce sens intellectualiste revient encore, plus bas, quand il oppose la « foi » et l’hérésie comme un bon et un mauvais enseignement : « Si quelqu’un corrompt la foi de Dieu par une impure doctrine, il ira au feu inextinguible, et ses disciples aussi, » c. xvi, p. 226.

Passons aux Pères du IIe siècle ou du commencement du IIIe. Pour Clément d’Alexandrie, la « foi » n’est pas tout ce qui justifie et qui sauve, mais seulement " la première orientation vers le salut. Après elle, la crainte, l’espérance, le repentir, progressant par la continence et la patience, nous conduisent à la charité et à la gnose (vie parfaite, avec une connaissance supérieure des choses de Dieu). » Slrom., II, c. vi, P. G., t. viii, col. 965. Il explique comment la foi engendre non seulement l’espérance, mais aussi la crainte en constatant les menaces divines. Ibid. C’est dire que la foi n’est pas la confiance, autrement elle ne pourrait engendrer la crainte ; mais qu’elle est la croyance à toute parole de Dieu, soit consolante, soit terrible. Il définit la « foi » une admission anticipée, 7rpô).r, ’î<ir, de ce que l’on comprendra un jour (par la gnose ou connaissance des parfaits, ou mieux, dans le ciel), col. 964 ; admission influencée par la volonté, 71po).v}/i ; Ixoûfftoç, col. 940, 941, comme nous le disons de la « croyance » . Enfin, à un singulic r emploi du mot 7te « 7T’ç par l’hérétique Basilide il oppose cet autre concept de la foi qui fait bien la part de l’intell’genre : « un assentiment raisonnable » , >o-- ! zr ( / « ruptarâôeo’. v, V, c. i, P. G., t. ix, col. 12. Voir Clément d’Alexandrie, t. iii, col. 189.

Saint Irénée, avec saint Justin qu’il cite, distingue la foi de la charité comme deux dons différents. Cont. hier., 1. IV, c. vi, n. 2, P. G., t. vii, col. 987. Puis rappelant la promesse de vie éternelle faite à la foi, Joa., m, 15, etc., de peur qu’on ne l’entende mal et contre les bonnes œuvres, il ajoute cette glose : Crcdere autem ci est facere ejus voluntatem, n. 5, col. 989. Mais ce serait trop presser cette phrase explicative jetée en passant, que d’y voir une véritable définition du mot crcdere : Irénée n’a pas coutume de définir ; ce qu’il veut simplement ici, c’est que la foi, pour mener de fait à la vie éternelle, sous-entende (et non pas signifie) l’observation des préceptes, l’accomplissement des volontés de Dieu. Du reste, il emploie couramment les mots « foi, croire » pour la croyance aux dogmes. Exemples : « L’Église, disséminée dans le monde entier…, a reçu des apôtres et de leurs disciples la foi en un seul Dieu, Père tout-puissant, » etc. Il récite le symbole, et continue : « Ayant reçu cette prédication et cette foi, l’Église partout disséminée la garde avec soin… et croit unanimement à ces vérités… Ni les Églises qui sont chez les Germains n’enseignent et ne croient autrement, ni celles qui sont chez les Ibères ou les Celtes, ou en Orient, ou en Afrique, » etc., I. I, c. x, n. 1, 2, col. 549, 552. Les hérétiques « boivent une eau boueuse et corrompue, éloignés qu’ils sont de la foi de l’Église, » 1. III, c. xxiv, col. 967.

Tertullien, comme Irénée, récite une formule du symbole des apôtres, et l’appelle régula fïdei. La « foi » y est contenue, fides in régula posila est. Præscript., c. xiii, xiv, P. L., t. ii, col. 26, 27. Devenu montaniste, il continuera à appeler ce symbole régula fidei, lex fidei. De virgin. velandis, c. i, col. 889. Admettre ces dogmes, c’est « croire » . AMarcion, qui, donnant au Christ la seule apparence de la chair, supprimait par là sa naissance, sa mort, sa résurrection, il dit : Si chrisiianus es, crede quod tradilum est. De carne Christi, c. ii, col. 755. Plus bas, col. 759, il rappelle le mot de saint Paul : « Ce que le monde tient pour insensé, Dieu l’a choisi pour confondre les sages, » I Cor., i, 27 ; et il part de là pour célébrer, comme un signe de vérité, le déshonneur qui s’attache à notre « foi >, c’est-à-dire à notre croyance, aux yeux d’un vain monde, la belle impopularité de nos dogmes : « Pourquoi supprimes-tu le déshonneur nécessaire de la foi’l… Je suis sauvé, si je n’ai pas rougi du Maître. Luc, ix, 26. Ici l’effronterie est un devoir, la folie est un bonheur. Le Fils de Dieu est né : je n’en rougis point, parce que c’est honteux. Le Fils de Dieu est mort : c’est tout à fait croyable, parce que c’est inepte. Enseveli, il est ressuscité : c’est certain, parce que c’est impossible. » Op. cit., c. v, col. 761. On voit le vrai sens de ces phrases paradoxales, d’où l’on a fabriqué de nos jours le credo quia absurdum, si souvent reproché au rude Africain : comme s’il bravait la raison elle-même, et non pas le faux honneur et les fausses opinions du monde. Voir A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 33-36. Enfin Tertullien oppose perpétuellement la « foi » à l’hérésie, c’est donc la foi croyance. Exemples : « Les hérésies, nées pour étouffer et tuer la foi…, ne peuvent rien, si elles rencontrent une foi saine et robuste. » Præscript., c. ii, col. 13, 14. Il rappelle « le futur jugement où il nous faudra tous comparaître devant le tribunal du Christ pour rendre compte en premier lieu de notre foi. Que diront-ils, les corrupteurs hérétiques de la vierge que le Christ leur avait confiée ? » Op. cit., c. xliv, col. 59.

Origène distingue très réellement la « foi » des autres vertus auxquelles il donne tout autant de part dans la justification et le salut : « Le premier commencement du salut et son fondement, c’est la foi ; le progrés de l’édifice, c’est l’espérance ; le sommet et l’accomplissement de l’ouvrage, c’est la charité. » In Epist. ad Rom., iv, n. 6, P. G., t. xiv, col. 981. « Ce que l’Écriture dit de la foi, qu’elle a été comptée à Abraham pour la justice, ne peut-on pas le dire de la charité, ou des autres vertus, piété, miséricorde… ? » Ibid., col. 982. Pour lui, « croire au Christ » , c’est admettre les vérités qu’il a révélées et que son Église conserve : « Comme plusieurs de ceux qui font profession de croire au Clirist sont en désaccord, même sur des points importants…, il faut fixer d’abord une règle sûre. On devra croire comme vraie cette doctrine-là seulement qui ne s’écartera en rien de la tradition ecclésiastique et apostolique. » Periarchon, 1. I, n. 1, 2, P. G., t. xi, col. 115, 116. Non seulement la foi est un acte intellectuel, mais plus elle s’enrichit de connaissance, plus elle est parfaite d’après lui : « Celse a prêté aux chrétiens ce principe : la sagesse ici-bas est un mal, la sottise est un bien. Mais c’est une calomnie, et une infidèle citation de Paul, qui ne dit pas, tout court : la sagesse est sottise devant Dieu, mais : la sagesse de ce monde. I Cor., iii, 18, 19. La sagesse de ce monde, c’est la fausse philosophie… De plus, notre doctrine elle-même reconnaît qu’il est bien préférable d’adhérer aux dogmes en se servant du raisonnement et de la sagesse, qu’en se servant de la simple foi, » nexà i|>iXf, c Jrfotewç. Sans doute, Dieu se contente de celle-ci, car il a voulu ne laisser personne dénué de tout secours. Mais on peut voir d’après saint Paul, I Cor., i, 21, « que le plan divin était que l’on connût Dieu dans la sagesse de Dieu ; et c’est parce que les hommes ne l’ont pas réalisé, que Dieu a voulu conséquemment sauver les croyants, non pas simplement par la sottise, mais par la sottise de la prédication, … laquelle prêche Jésus crucifié, … sottise pour les grecs. » Conl. Cclsum, 1. I, n. 13, P. G., t. xi, col. 680.

Cette étude des Pères se complétera de tout ce que nous en citerons sur le motif spécifique de la foi chez les Pères, col. 98 sq.

Après cela, on s’étonne de rencontrer l’assertion suivante d’un auteur catholique : « Celte même conception d’une foi qui est la tradition totale de l’homme à Dieu, nous la retrouvons partout, dans saint Paul, dans les Pères qui n’y voient point une simple adhésion intellectuelle à une connaissance testimoniale, mais le don de Dieu à l’homme et de l’homme à Dieu pour le temps et l’éternité. » F. Mallet, Qu’est-ce que la loi ? 2e édit., Paris, 1907, p. 39. Et pour cette conception plutôt protestante de la foi, on nous apporte, en fait de textes de Pères, un seul texte de Clément d’Alexandrie, dans lequel ne figure pas même le mot ffforiC, et où il est question avant tout de la charité,

Ce qui confirme nos témoignages des Pères, c’esl <[iic les protestants contemporains, plus soucieux et mieux informés de l’antiquité chrétienne que leurs frères d’autrefois, n’essaient pas de nous les disputer. D’aucuns cherchent : i en éluder la force en disant que, « dès le temps des I toliques, l’enseignement de saint Paul sur la foi a été bientôt obsenrei dans e chrét enne : enfin Luther vint, » etc. Ainsi la Realencyclopàdie déjà citée, t. vi, p. 676. Borni nous à observer que, même en prenant la tradition en dehors de toute ; iss ! s t : n i<. divine, humainement, historiquement, il est mille fois plus vraisemblable que l.i doctrine de Paul ait été obscurcie pal Luther, un moine’qui vivait quinze siècles après lui, et adaptail les textes -i -es anxiétés de conscience et à un système de son invention, que par les témoins les plus rap proches des apôtres, qui avaient conversé avec eux ou vivaient peu après, donc bien mieux informés de leur langage et de leur pensée ; d’autant plus que ces premières générations chrétiennes ne faisaient pas de systèmes, et s’attachaient simplement à bien conserver ce que les apôtres leur avaient transmis.

III. Les documents ecclésiastiques.

L’Église catholique est fidèle au langage comme à la pensée des Pères :

Le concile de Trente.

1. Ce qu’il appelle « foi » n’est pas l’ensemble des actes requis pour la justification, mais seulement la première des « dispositions » qu’il énumère, et « croire » a pour objet le vrai, credenles vera esse, etc. Sess. VI, c. vi, Denzinger, n. 798. « La foi, si l’espérance et la charité ne viennent s’y joindre, n’unit point parfaitement au Christ et ne rend point membre vivant de son corps, » c. vii, n. 800. Cependant « c’est une vraie foi, bien qu’elle ne soit pas la foi vive ; et celui qui a la foi sans la charité, est chrétien, » can. 28, n. 838. — 2. Explication authentique de saint Paul : « Quand l’apôtre dit que l’homme est justifié par la foi…, il faut l’entendre en ce sens… que la foi est le commencement du salut de l’homme, le fondement et la racine de toute justification, » c. viii, n. 801. Donc « anathème à qui prétend que l’impie est justifié par la foi seule, entendant par là que rien d’autre n’est requis et ne coopère pour obtenir la grâce de la justification, » can. 9, n. 819. — 3. La foi qui sert à la justification ne doit pas être confondue avec la confiance du pardon, laquelle d’ailleurs ne suffit pas : « Anathème à qui prétend que la foi justifiante n’est pas autre chose que la confiante en la divine miséricorde pardonnant les péchés à cause du Christ ; ou que cette confiance est la seule chose par laquelle nous soyons justifiés, » can. 12, n. 822.

Le concile du Vatican.

1. Sa définition du mol foi : « Par cette foi qui est le commencement du salut de l’homme, l’Église catholique entend une vertu surnaturelle par laquelle…nous croyons que le contenu de la révélation divine est vrai, » a(Dco) revclala vera esse credimus, etc. Sess. III, c. ni, Denzinger, n. 1789. C’est la foi-croyance, qui a pour objet le vrai et s’appuie sur un témoignage véridique, celui de Dieu, qui nec falli nec fallerc potest. Ibid. Elle est séparable île la charité : « La foi prise en soi, même quand elle n’est pas animée par la charité, est un don de Dieu, et son acte est utile pour le salut. » Ibid., n. 1791. — 2. Dans cette session du Vatican, la nature intellectuelle de l’acte de foi apparaît encore de bien des manières soil par son objet, qui consiste en des dogmes à admettre, c. ni, n. 1792 ; soit par son antagoniste, le doute (phénomène intellectuel, bien qu’influencé par la volonté), n. 1791, 1814 ; soit par le genre connaissance, auquel la « foi » appartient, et dans lequel elle constitue une espèce, un ordre à part, c. iv, n. 179.") ; soit par les rapports de la foi avec la raison naturelle ou science, n. 1798. 1799 ; rapports qui impliquent manifestement que la foi rencontre la science dans le même plan, sur le même terrain intellectuel.

lin fin le concile nous parle d’une » doctrine de foi, c. iv, n. 1800 ; d’un » assentiment de foi chrétienne -, < m..">, De fuir, n. 181 I : « les < dogmes de la foi » , can. 1. De ftde et rattone, n. 1816.

La documents de Pie X sur le modernisme.

1. L’encyclique Pascendi, 1907. La conception catho lique île la foi, nous le venons plus bas, suppose essentiellement le fait d’une révélation s’adressant du de hors à l’intelligence, et Certains motifs de Crédibilité « pli, en prouvant ce fait, rendent raisonnable o t assentiment aux vérités révélées, qui est la « foi Or, les modernistes, en vertu de leur agnosticisme. écartent ti éléments essentiels : < Qu’advient-il, après cela, de la théologie naturelle, des motifs I. crédibilité, de la révélation extérieure ?… Ils les suppriment purement et simplement et les renvoient à 1 ! intellectualisme, système, disent-ils, qui fait sourire de pitié, et dès longtemps périmé. Rien ne les arrête, pas même les condamnations dont l’Église a frappé ces erreurs monstrueuses (suivent des citations du concile du "Vatican). » Trad. franc, officielle, avec texte latin, dans Questions actuelles, p. 7 ; texte latin (avec suppressions) dans Denzinger-Bannwart, n.2072. D’après les modernistes, « la foi, principe et fondement de toute religion, réside dans un certain sentiment intime, engendré lui-même par le besoin du divin… qui gît… dans la subconscience… En faca de cet inconnaissable…, sans nul jugement préalable (ce qui est du pur fldéisme), le besoin du divin suscite dans l’âme portée à la religion un sentiment particulier -. Ce sentiment a ceci de propre, qu’il enveloppe Dieu et comme objet et comme cause intime, et qu’il unit en quelque façon l’homme avec Dieu. Telle est, pour les modernistes, la foi, et, dans la foi ainsi entendue, le commencement de toute religion… Notre sainte religion n’est autre chose qu’un fruit propre et spontané de la nature. Y a-t-il rien, en vérité, qui détruise plus radicalement l’ordre surnaturel ? » Trad. franc., p. 9, 11, 15 ; Denzinger, n. 2074. Avec une pareille conception de la foi, il est bien clair qu’elle ne peut jamais se rencontrer sur le même terrain avec la science, ce qui est contraire au concile du Vatican, comme nous venons de le voir : « Leurs objets sont totalement étrangers entre eux, l’un en dehors de l’autre. Celui de la foi est justement ce que la science déclare lui être à elle-même inconnaissable. De là, un champ tout divers : la science est toute aux phénomènes, la foi n’a rien à y voir ; la foi est toute au divin, cela est au-dessus de la science. D’où l’on conclut enfin qu’entre la science et la foi il n’y a point de conflit possible ; qu’elles restent chacune chez elle, et elles ne pourront jamais se rencontrer, ni, partant, se contredire. » Trad. franc., p. 23 ; Denzinger, n. 2084. Ce qui d’ailleurs n’empêche pas les modernistes de subordonner en réalité la foi à la science et absolument. Denzinger, n. 2085. Enfin leur foi-sentiment est une des plus dangereuses inventions : « Toute issue fermée vers Dieu du côté de l’intelligence, ils se font forts d’en ouvrir une autre du côté du sentiment et de l’action. Tentative vaine ! Car qu’est-ce, après tout, que le sentiment, sinon une réaction de l’âme à l’action de l’intelligence ou des sens ? Otez l’intelligence : l’homme, déjà si enclin à suivre les sens, en deviendra l’esclave… Pour donner quelque assiette au sentiment, les modernistes recourent à l’expérience. Mais l’expérience, qu’y ajoute-t-elle ? Absolument rien, sinon une certaine intensité qui entraîne une conviction proportionnée de la réalité de l’objet. Or, ces deux choses ne font pas que le sentiment ne soit sentiment, ils ne lui ôtent pas son caractère qui est de décevoir, si l’intelligence ne le guide ; au contraire, ce caractère, ils le confirment et l’aggravent, car plus le sentiment est intense et plus il est sentiment. En matière de sentiment religieux et d’expérience religieuse, vous n’ignorez pas, vénérables frères, quelle prudence est nécessaire, quelle science aussi qui dirige la prudence. Vous le savez de votre usage des âmes, de celles surtout où le sentiment domine. » Trad. franc., p. 61, 63 ; Denzinger, n. 2106, 2107. Pour les considérations rationnelles, qu’à l’exemple de Pie X on invoquera utilement contre la foi-sentiment, voir Expérience religieuse, t. v, col. 1828, 1829.

2. Le serment contre les erreurs du modernisme contient ce passage sur le sens du mot « foi » et la nature de cet acte :

Ortissime tenco ac sin cere profiteor, fidem non

esse csrcum sensum religio nis…, sed verum assensum

intellccLus veritati extrin secus accepta ex auditu,

quo nempe, quae a Dco per sonali, creatore ac domino

nostro dicta, testata et re velata sunt, vera esse credi mus, propter Dei auclorita tem summe veracis.

Je tiens pour très cer tain et je professe sincère ment que la foi n’est pas un

aveugle sentiment de reli gion…, mais un véritable as sentiment de l’intelligence

à une vérité reçue du dehors,

et par ouï-dire, assentiment

par lequel nous croyons

vrai ce qu’un Dieu person nel, notre créateur et Sei gneur, a dit, témoigné et

révélé, et nous le croyons à

cause de l’autorité de ce

Dieu souverainement véridique.

Pie X,

Motu proprio Sacrorum anlislum,

dans les Acla aposlolieæ

sedis, Rome, 1910, p.670 ;

dans Denzinger-Bannwart, n. 2145.

II. Rapports de la foi avec les autres vertus : sa fermeté.

Rôle général de la foi dans la vie chrétienne.

Si la foi est un assentiment intellectuel, une croyance, comme il ressort de tout ce qui précède, elle doit avoir une influence sur tous les actes’de vertu qui préparent le pécheur à la justification et le juste à la récompense éternelle. La croyance n’est-elle pas à la base de l’action ? l’intelligence ne dirige-t-elle pas la volonté ? la conviction n’est-elle pas sans cesse nécessaire à la force du caractère et au bon emploi de la vie ? La foi n’a donc pas seulement un rapport de différence (déjà prouvé) avec l’espérance, la charité, etc. ; elle a encore sur elles un rapport d’influence.

Chaque vertu a un ressort spécial, qui fait comme déclencher chacun de ses actes propres : c’est son motif. Et comme en général les vertus, à part la foi, . sont purement affectives et "volontaires, et tendent non pas au vrai, mais au bien, le motif de chacune est une certaine sorte de bien, une specialis honeslas r comme disent les scolastiques, un idéal particulier de bonté morale : ainsi en pratiquant la vertu de miséricorde, notre volonté est attirée par l’idéal du soulagement des misères ; en pratiquant la justice, par l’idéal du respect des droits. Voir Espérance, t. v, col. 632. Mais le motif d’une vertu, son idéal aimé, n’agit pas mécaniquement, brutalement, comme le ressort d’une machine : c’est en passant par l’intelligence qu’il sollicite l’affection et la volonté libre ; ce sont les convaincus qui deviennent les vaillants. Puisque la foi est une conviction, une vertu-lumière, n’est-ce pas à elle que doit revenir le rôle de diriger, d’exciter toute vertu-amour ? A toutes les autres vertus, elle présentera leur motif spécial, leur idéal, pour qu’elles l’aiment et qu’elles y tendent par les voies et moyens qui y conduisent ; son acte servira de préliminaire et de base à leurs actes. A ce titre, on pourra dire de toute espèce de bien qu’il se fait par la foi. Le martyr supporte les tourments par la vertu de force, mais on peut dire aussi, par la foi, puisque c’est dans les vues de la foi qu’il puise le motif de sa force, de son courage ; il combat donc directement par la force, mais indirectement par la foi, dont saint Paul nous recommande l’armure, Eph., vi, 13, 16 ; il résiste « ferme dans la foi, » comme dit saint Pierre. I Pet., v, 9. Le chrétien aspire au ciel par la vertu d’espérance, mais c’est la foi qui montre à l’espérance le ciel ; il se confie joyeusement à la puissance et à la bonté de Dieu d’où il attend les moyens promis de parvenir au ciel, mais c’est la foi qui lui montre cette toute-puissance et cette bonté, et qui lui certifie les divines promesses. Voir Espérance, t. v, col. 612 sq.

Voilà pourquoi l’Église, bien qu’elle fasse dépendre la justification non seulement de la foi, mais encore d’autres actes de vertu dont tel ou tel, comme la charité, est plus excellent et plus efficace, appelle cependant la foi « le fondement et la racine de toute justification, » concile de Trente, sess. VI, c. viii, parce qu’elle est non seulement la première dans l’ordre chronologique, mais aussi la coopératrice des autres vertus. Il y a des actions qui sont un premier commencement nécessaire, mais qui ne doivent pas se continuer ensuite ; telle l’action de la main qui, au moyen de l’aiguille, introduit le fil ; la main et l’aiguille s’en vont, le fil reste, et n’a plus besoin de leur aide ; ainsi la charité parfaite peut mettre de côté la crainte qui a servi à l’introduire. I Joa., il, 18. Tel n’est pas l’acte de foi, remarque Bellarmin : « c’est un commencement qui reste et se développe (en renouvelant son action) ; on a raison de le comparer aux racines, qui ne sèchent pas, mais se développent et se fortifient avec la croissance de l’arbre, et aux fondations, qu’on ne retire pas quand la maison est bâtie, mais qui atteignent alors leur perfection et leur but, en soutenant les murs et le toit, et n’en sont que plus durables. La foi commence la justification, ensuite, prenant avec elle l’espérance et la charité, elle l’achève-Quand elle commence, elle est seule ; quand elle achève, elle n’est plus seule ; ou, ce qui revient au même, seule elle commence l’ouvrage, mais elle n’est pas seule à l’accomplir. » De juslificatione, I. I, c. xx, Paris, 1878, t. vi, p. 197.

Que la foi soit la coopératrice des vertus qui viennent la perfectionner, comme la racine est la coopératrice des branches pour produire le fruit, l’Écriture elle-même l’affirme. Jac, ii, 22. Et nous voyons mieux comment saint Paul a pu dire : « Justifiés par la foi, » en sous-entendant les actes qui suivent. Voir plus haut, col. 72. Malgré ce grand rôle de la foi, observons avec saint Thomas que son genre d’influence sur les autres vertus ne la rend pas nécessairement supérieure à chacune, même à la charité : car elle n’est pas à l’égard des autres causa perfteiens (rôle général qui revient à la charité), mais seulement causa disponens, et ne fait que montrer à chacune son objet, son motif spécial, solum oslendil objeelum. Sum. theol., IIa-IIæ, q. lxvi, a. 6. Et par là nous pourrons harmoniser saint Paul avec lui-même ; concilier, d’une part, l’influence si vaste qu’il donne à la foi, le rôle qu’il lui attribue dans la justification et le salut, et de l’autre, la supériorité qu’il reconnaît à la charité. I Cor., xiii, 1, 2, 13.

C’est surtout l’Épîtrc aux Hébreux, xi, qui décrit le rôle général de la foi, en la montrant à la base de toutes les grandes œuvres des justes antiques, Abel, Abraham, Moïse, etc., puis les chefs des guerres saintes, les prophètes persécutés, les martyrs. Faut-il conclure de ces exemples que la « foi » est la vertu universelle, ou qu’elle se confond avec l’obéissance à tous les préceptes divins, comme l’ont voulu certains protestants d’autrefois ? Le luthérien Gerhard leur répond : « Les exemples de ce chapitre décrivent sans doute la foi justifiante, mais surtout dans ses effets, dans ses exercices, iris que la confiance en général, la patience, la force, la constance, l’humilité, etc. Car le but de l’apôtre est d’exhorter à la persévérance, comme on le voit au chapitre précédent, x, 36 sq. ; en conséquence, au e. xi, il propose dis exemples de fidèles qui ont subi diverses épreuves, pour montrer que la vraie foi (la foi parfaite) donne la force de résister à tout’lités. » Loci theologici, Berlin, 1864, t. ir, p. 357. M il faut-il conclure de ces exemples, que la « foi «  qui y est nommée consiste essentiellement dans la fiance pratique et non dans la croyance, i comme h dit Diclionnary « I the Bible de l butings, t. r, p. B36’Non : car seule la foi-croyance, et non pas la confiance, répond au rôle général de la foi i dans fous les Is de ce c. xi où (Ile est nommée. Parmi ces ver-il en est : 1. nu la confiance pratique n’a rien i faire, parce qu’il s’agit d’une croyance toute spécula live : * C’est par la foi que nous reconnaissons « pic le monde a été formé par la parole de Dieu, » 3 ; cꝟ. 0. Il en est : 2. où la croyance excite bien un mouvement affectif et pratique, mais très différent de la confiance : ainsi, au ꝟ. 7, la foi fait admettre à Noé le déluge annoncé « qu’on ne voyait pas encore » et cette croyance excite en lui la crainte, sentiment opposé à l’espérance et à la confiance, et c’est par cette crainte que la foi le pousse à travailler au moyen de sauver sa vie et celle de ses enfants. Rappelons-nous enfin que, dans le système du dictionnaire de Hastings et des protestants en général, la foi consiste essentiellement, non pas dans une confiance quelconque en Dieu, mais dans la confiance spéciale du pardon à cause des mérites du Christ. Or, cette confiance toute spéciale n’est jamais mentionnée dans ce chapitre sur la foi : ce simple fait n’est-il pas la condamnation du système ? Il est vrai que, dans ce long passage de l’Épître aux Hébreux, la foi est souvent représentée comme ayant pour effet l’espérance : les circonstances particulières, parmi tous les effets de la foi, demandaient une place privilégiée pour l’espérance, puisqu’elle est un puissant moteur dans l’exercice des autres vertus, surtout de la force et de la patience, qui sont le but de toute cette exhortation ; l’espérance des biens éternels soutient l’âme dans la perte des biens de la terre et dans toutes les peines. Heb., x, 34, 35. Voir Espérance, t. v, col. 611, 612. Au reste, les protestants ne gagneraient rien à nous objecter cette fréquente mention de l’espérance du ciel aux c. x et xi : car pour eux la foi justifiante n’est pas l’espérance d’un bien futur, mais la confiance du pardon déjà reçu ; de plus, ils ne veulent considérer le ciel que comme une grâce, et non comme une rémunération, ce qui supposerait le mérite dont ils ont horreur, voir Mérite ; or, dans ces chapitres, non seulement il est beaucoup question de l’espérance, mais l’idée d’un Dieu rémunérateur et d’une rémunération leur est servie plusieurs fois, x, 35 ; xi, 6, 20.

Ce que nous venons de dire explique aussi pourquoi, dans le verset bien connu qui a tout l’aspect d’une définition, Heb., xi, 1, la foi est décrite au début par cet effet particulier, mais si important à la circonstance du moment et à la préoccupation de l’écrivain sacré, à savoir qu’elle soutient l’espérance. S’ensuit-il que la foi soit ici confondue avec l’espérance ? Non : le. soutien n’est pas la chose soutenue : et cette confusion des deux vertus contredirait d’autres textes, comme I Cor., xiii, 13. S’ensuit-il que la foi soit d’une nature affective et émotionnelle comme l’espérance ? Non, , i elle soutient les vertus affectives, c’est en leur montrant intellectuellement leur objet ; et d’ailleurs, dans cette définition même, la foi est appelée d’un nom tout intellectuel, ’ô ; - ; //, :. Ce mol signifie argument, preuve, soit dans le grec plus ancien. puisqu’Aristote a fait un livre De sophislicis elenchis, « qui ont l’apparence des preuves, ïiï-y/i.r/, mais qui ne sont que des paralogismes, > Opéra, édit. F, Didot, Paris, 1862, t. i, p. 276, soit même dans le grec du temps des apôtres, puisque, par exemple, l’historien Josèphe dit que « Hérode se teignait les cheveux pour dissimuler la preuve, ) :  ; /o, de son âge avancé, ’Anl. fud., 1. XVI, c. viii, n. 1, Opéra, édit. F, Didot, 1865, p. 637 ; sans compter que la Vulgate traduit : argumenium. Ileh., xi, 1. Saint Augustin traduit : convictio, Srrm., CXXVI, c. ir, /’. /… t. xxxviii, col.’mais peu Importe ce détail : que la foi soit une conviction, ou une preuve qui produit la conviction, c’est toujours quelque chose d’intellectuel, e’esl une croyance. D’ailleurs, celle traduction par conviction » parait moins exacte. P, l’rat, /.</ théologie dr s. Paul, I’partie, 1e édit.. p. 543.

Examinons de plus prés cette eélèhre définition. I.a foi, c’est lXm(o|lfv(0V C-’/lTaTi ; ttoct /’/' i.a virgule peut se mettre avanl ou après r.yi ( 7 7(, i I. Bien des éditeurs la placent avant : la Vulgate (dans sa forme actuelle) la met après

et prenant £).th^o|xév(ov au passif (cj qui est plus naturel, et conforme aux Pères grecs), traduit sperandarum rcrum. Parmi ceux qui placent la virgule avant, quelques-uns prennent È).7ti’o jj.Iv uv au moyen, avec un sens actif, suivant une traduction de saint Augustin (moins autorisé que les Pères grecs pour décider ici entre le passif et le moyen) : Fides est spcranlium subslanlia. Loc. cil. Certains protestants anciens tenaient à ce speranlium, et ils remplaçaient subslanlia par exspeclalio, attente (ce qui est un des sens possibles du grec jttôcttxt :  ;). Même ainsi, on ne nous enlève pas le sens de simple croyance : attendre est un mot ou une idée vague, qui peut exprimer un fait intellectuel aussi bien qu’un phénomène affectif : « je l’attends pour demain, » c’est-à-dire je crois qu’il viendra demain ; et ces mots du symbole de Constantinople, Elexspecto resurrectionem morluorum, disent-ils au fond autre chose qu’une croyance ? Mais de plus, cette traduction exspectalio ne s’impose pas. On nous apporte tel exemple du mot ûmSaTao-i ; dans les Septante, où il répond assez bien, d’après le contexte, à l’idée d’attente. Soit ; mais ce mot grec se prête également et mieux à plusieurs autres sens. « Employé 18 fois par les Septante (en ne considérant que les livres protocanoniques), il représente 15 différents mots hébreux. » Hatch, Essays in biblical (jreek, Oxford, 1889, p. 88. On trouverait difficilement un mot plus élastique et plus imprécis. D’où nous sommes en droit de tirer deux conclusions : 1. Dans Heb., xi, 1, nous sommes en face de deux membres de phrase qui se balancent, se répondent, de deux titres de la foi, : jii<jr ; -<xrsic…, êO.syyo ; … L’un doit être à peu près l'écho de l’autre : nous le voyons, soit par la correspondance des mots très clairs ÈXiriÇo[jtivwv d’un côté, où p).E710jj.£V(ov de l’autre, cf. Rom., viii, 24, 25, soit parce que les deux membres sont une double définition de la même chose, sans parler des habitudes du parallélisme hébraïque. Westcott l’a remarqué : « L’interprétation de ces deux mots doit être coordonnée ; ils doivent décrire la foi sous le même aspect général. » Epistle to the Hebrews, 3e édit., Londres, 1906, p. 352. Ceci posé, ÛTiôir-raTic, très obscur, devra être expliqué par son correspondant 'û.eyy/j ;, d’un sens parfaitement défini et incontesté ; il devra donc être ramené, d’une manière ou d’une autre, au sens intellectuel de conviction et de croyance ; à moins d’expliquer, comme font ici plusieurs, le clair par l’obscur I 2. Dans cette obscurité du mot JTtorTTacni :, il est raisonnable de préférer l’explication des Pères grecs, excellents interprètes qui ont bien une certaine autorité dans leur langue maternelle. Saint Jean Chrysostome donne à ce mot le sens très conforme à son étymologie, de subsistance : la foi-croyance fait subsister « les choses que nous espérons » et qui ne sont pas encore, notre future béatitude, etc. ; elle leur donne déjà, dans notre esprit, une réalité subsistante, elle en est aussi certaine que si elle les voyait ; sens qui va rejoindre celui du second membre. Homil., xxi, in Heb., n. 2, P. G., t. lxiii, col. 151. Même sens dans Théodoret, In Heb., P. G., t. lxxxii, col. 758 ; et dans l'évêque africain Primasius. In Heb. commentaria, P. L., t. lxviii, col. 758. Saint Grégoire de Nysse explique ici JTidiTTaci ; par spôio^a, soutien, appui : la cité céleste qui attire notre espérance et nos vœux, et qui n’est évidente ni aux sens ni à la raison naturelle, flotterait en l’air comme un vain fantôme, si la foi-croyance ne lui donnait un solde appui. De anima et resurrectione, P. G., t. xlvi, col. 95. On le voit, ces interprétations des Pères, quoique prenant le mot ûiroaTaTi ; en deux sens différents, rendent au fond la même pensée, qu’pn peut retrouver aussi sous le mot vague sub^tantia de la Vulgate (de sub stare), en le rattachant soit à l’idée de subsister, soit à celle de sustenter. La plus ancienne des versions, la syriaque, dit à peu près de même : « La foi est la persuasion des choses qu’on espère, comme si elles existaient déjà réellement. » Voir Corluy, Spicilegium dogmalico-biblicum, Gand, 1884, t. il, p. 21' » . A cela revient l’interprétation que préfère le P. Prat : « La foi… est la réalité des choses que nous espérons, en tant qu’elle… empêche nos espérances d'être vaines ou fantastiques. » Op. cit., p. 543. La version officielle anglicane (revisée) ne s'écarte pas du sens intellectuel que nous défendons, quand elle traduit « l’assurance des choses espérées. » Le dictionnaire de Hastings, art. Hope, remarque qu’au mot assurance on pourrait presque substituer le mot fondement, t. il, col. 412. L’un ou l’autre rend la pensée des Pères, et répond assez à l’autre membre ï'/-. ; //j : …, que la version anglicane rend par proving, preuve, et Hastings par conviction.

Fermeté de la foi chrétienne.

Ce mot rappelle

à l’imagination l’attitude d’un homme qui ne chancelle pas, qui pose sur le sol un pied ferme. Dans l’ordre intellectuel où nous sommes, chanceler, vaciller, c’est douter : dire que la foi est « ferme » , c’est donc dire qu’elle exclut le doute, la fluctuation de l’esprit, qu’elle a cette fixité requise pour la certitude. Fixité au moins pour le moment : car nous ne prenons pas ici le mot « ferme » , comme on le prend souvent, pour indiquer la constance, la persévérance ; nous ne parlons pas encore de la fermeté habituelle de la foi, mais seulement de sa fermeté actuelle. — Dans notre étude sur la foi ferme, nous verrons : 1. sa preuve positive ; 2. sa raison d'être ; 3. son contraire, l’opinion, mêlée d’un certain doute ; 4. l’explication de quelques difficultés.

1. Sa preuve positive.

a) L'Écriture. — Revenons à Heb., xi, 1, où la foi est appelée 'ù.t^yoz. Le verbe i/£--/Go, d’où vient ce substantif, signifie, non pas avancer une preuve quelconque, mais une preuve décisive, qui ne permette pas de douter, d'échapper. Les Juifs alléguaient contre le Christ des griefs quelconques, mais ils ne pouvaient le convaincre de péché, ÈÀlyyeiv. Joa., viii, 46. « Le Paraclet… convaincra le monde, » iéy& :, Joa., xvi, 8, évidemment par une preuve complète, de manière à produire la conviction. « "EXefXOî » affirme saint Chrysostome, se dit de ce qui est tout à fait manifeste. » Loc. cil. « C’est, dit l’auteur de la Rhétorique à Alexandre, une espèce d’argument ou de réfutation qui prouve j que la chose ne peut pas être autrement que nous le 1 disons, » c. xiii, dans Aristotclis opéra, édit. F. Didot, t. i, p. 429. Sous ce mot qui caractérise la foi, tout concourt donc à montrer la conviction, l’absence du doute.

Abraham nous est présenté comme modèle de la foi qui dispose à la justification. Rom., iv, surtout 18-24. Or le trait distinctii de sa foi, celui sur lequel saint Paul appuie dans ce long passage, c’est la fermeté. Il y insiste, tantôt sous forme négative : « (Abraham) ne fut pas infirme dans la foi ; il ne considéra pas » les apparences contraires au miracle promis qui auraient pu lui donner des doutes imprudents : il ne se laissa pas allei au doute, à l’incrédulité. Voir plus haut, col. 68. Tantôt sous forme positive : i II fut fort dans la foi » ou « par la foi. » Il fut « pleinement convaincu, iùr t poyopvfleiç, que Dieu a la puissance d’accomplir sa promesse, » 19-21. Remarquons la force de cette dernière expression. IlXïipoçopfa, dit Sanday en commentant ce verset, « c’est une pleine assurance, une ferme conviction, cf. I Thés., i, 5 ; Col., ii, 2 ; mot spécialement en usage chez les stoïciens. Le verbe xr i çrj ?oç, z~.'7f)xi, appliqué à une personne, équivaut à être pleinement

assuré ou convaincu. Cf. Rom., xiv, 5 ; Col., iv, , 12.. Comment, sur l'ÉpUre aux Romains, 4e édit., Edimbourg, 1900, p. 116. Ce terme, dont 1 etymologie donne l’idée de plénitude, « a été employé par les Pères grecs, et figure dans leurs définitions de la loi, c’est l’expression qui caractérise le mieux sa parfaite solidité. » Scheeben, La dogmatique, § 46, trad franc, Paris, 1877, t. i, p. 538. Exemples : « Quel est le propre de la foi ? Une ferme conviction, KfcipofopsGr, de la vérité des paroles inspirées, opposée au doute et inébranlable aux objections de la nature ou de la fausse piété. Quel est le propre du fidèle ? Etre établi dans une telle conviction par l’influence de la parole divine. » S. Basile, Moralia, reg. lxxx, c. xxii, P. o., t xxxi col. 867. « La foi, d’après l’apôtre, est donc là vue des choses invisibles ; et de ces choses que 1 on ne voit pas, elle donne la même conviction, « Vnpoçopsav, que l’on a communément de celles que Ion voit… Si l’on n’est pas plus convaincu encore des choses invisibles que des visibles, ce ne peut pas être la foi. » S. J. Chrysostome, In Heb., homil. xxi, n. _. P. G., t. lxiii, col. 151.

b) Les Pères. — Nous venons de citer les grands docteurs de l'Église grecque ; on pourrait remonter à Clément d’Alexandrie ; parlant de cette croyance amoindrie qu’on appelle opinion ou conjecture : Elle imite la foi, dit-il, comme le flatteur imite l’ami, comme le loup imite le chien. » Strom., Il, c iv P G t viii, col. 943. Parmi les latins, saint Augustin dit que notre foi ne peut souffrir le peutêtre « Quelle figure avait Marie, la révélation s abstint d’en parler ; aussi nous pouvons dire, sans blesser la foi : Peut-être avait-elle ce visage que je me représente, peut-être ne l’avait-elle pas Mais la foi chrétienne n’est pas sauve si l’on dit : Le Christ est peut-être né d’une vierge. » De Tnnilale, 1. VIII c V P.L., t. xlii, col. 952. Enfin quand Abclard. le premier, voulut se contenter, en guise de foi chrétienne, d’une opinion, œslimalio, saint Bernard réclama energiquement. Il vit même dans cette fausse idée de la foi l’origine de toutes les erreurs théologiques d’Abélard. « Laisse cette sslimatio, s'écrie-t-il, laisse-la aux académiciens qui font profession de douter de tout et de ne rien savoir. Et citant l’apôtre, il conclut : Non est fuies œslimatw, , Tliludo. Tract, ou Epist., exc, ad Innocentmm II. , 1V P. t., t. CLXXXII, col. 1061 sq. Et ailleurs : I a foi n’a pas d’incertitude, ambiguum : ou si elle en a, ce n’est plus la foi, c’est l’opinion, i De consideratione, 1. V, c. iii, col. 790.

, I Les documents de V Église. — Dans les professions de toi firmiler credo, ftrma ftde credo sont des locutions Iles. Noir les derniers mots du symbole liturgique dit d’Athanase, récité à prime, Denzinger, n. 40(136) ; le début du symbole de saint Léon IX, usité dans les consécrations épiscopales, Denzinger, n. 343 (292) : l, t,-l, ii t du IVe concile de Latran, n. 428 I le début « le la professio fldei trideniina, a. 994 (803). 2 s „, „, , „, , d'être. il ne fan. bail pus s’imaginer ™e cette fermeté ait pour motif ou pour cause l’ho ; ,, ., „., , , , dou te en général. Si le doute est représenté ., ., , , i irs catholiques comme une maladie qui

, ui [ail des victimes, c’est qu’alors il es ! que ! lio]l du dont.' mal fondé, ou même du scepticisme. Bien qu’il soil toujours une Imperfection qui pro vient de notre ignorance ici-bas, le doute est encore ! , , , , 111, 1Il parti à prendre en bien des cas, el dans prits 1^ plus dogmatiques l’ont reconnu

Volontiers. "C’est une pallie de bien Juger, « ['" ll ""

quand il faut, dit Bo m< t, ( oniu de Dieu

, , ,, .. c, i. n. 16. Déjà au moyen âge, un « les

istiqu< qui a le plus insisté sur la fermeté de la

imlssion absolue de l’esprit à Dieu qui

parle, Guillaume d’Auvergne, évêque de Pans, savait faire aussi l'éloge du doute, qui, pour éviter l’erreur, suspend son jugement quand il ne peut arriver a la vérité, et il ajoutait : « Il suffit au sage, quand il ne peut saisir la vérité, de n'être pas le jouet de l’erreur…, de même qu’il suffit au guerrier, quand il ne peut vaincre l’ennemi, de n’en être pas vaincu, et au négociant, quand il ne peut faire un gain, d'éviter un désastre. » De fide, c. i, Opéra, Paris, 1674, t. i, p. 3. Pas d’exagération, cependant ; un esprit qui, par crainte de tomber dans quelque erreur même de peu d’importance, passerait son temps à douter, ressemblerait fort à ces gens qui se rendent malades à force de craindre toutes tes maladies. Voir Croyance, t. iii, col. 2380.

Quelle est donc la raison intime de la fermeté de la foi chrétienne ? — Une réponse très simple, c’est que cette foi s’appuie essentiellement sur la parole de Dieu comme sur son motif (voir plus loin, col. 180), et que la parole de Dieu est digne de la plus ferme croyance. « Si un homme grave et recommandais te promettait quelque chose, dit saint Cyprien, tu aurais foi à ses promesses, et tu ne croirais pas être trompé par celui dont tu saurais la droiture et la lovauté de paroles et d’action. Et maintenant Dieu te parle et manquant de foi tu cèdes aux fluctuations d’un 'esprit incrédule ? C’est tout à fait méconnaître Dieu. » De mortalitale, n. 6, P. L., t. iv, col. 586. Voila pourquoi la foi chrétienne devait être ferme. Réponse très juste en soi, et devenue très commune parmi les théologiens, mais incomplète : elle revient à dire : Le motif de l’autorité d’un Dieu qui parle, s’il est dûment appliqué à tel sujet et à telle matière, exige une foi ferme : saint Cyprien n’envisage qu’un seul cas, celui où l’on sait avec certitude que le témoin a parlé ; mais il en est un autre, celui où l’on a une probabilité que Dieu a parlé, que telle doctrine vient de lui, sans le savoir encore, (t OÙ l’on penche déjà pour ce motif vers cette doctrine. La parole de Dieu, l’autorité de Dieu, dans ce cas, faute d’application suffisante a cette doctrine, ne peut produire une adhésion ferme. El pourtant cette demi-croyance, avec son peut-être. n’est pas une insulte faite à Dieu, comme dans le cas dont parle saint Cyprien ; au contraire, de l’aveu de tous les théologiens, elle est permise pour le moment présent et n’est pas inutile comme acheminement vers la pleine lumière : elle peut avoir le même motif spécifique : i Mon Dieu, je crois cela sur votre auto rite ; pour p rendre une comparaison, ne peut-on faire un ai te d’obéissance méritoire, quand même on n’a' que la probabilité de la volonté du supérieur ? Pourquoi donc celle demi-Croyance, motivée par le respect ' de l’autorité de Dieu, ne suffirait-elle pas à la justification de l’infidèle qui a commencée croire ainsi, en sorte qu’on puisse le baptiser aussitôt.' Pourquoi les

documents de la révélation demandent-ils pour la foi salutaire plus que cette simple « opinion » , el exigentils comme condition de la justification et du baptême une foi ferme ? Pourquoi ne suffit-il pas de croire

, 1'une manier, quelconque a cause de l’autorité de

Dieu, mais taul il que ce motif soit appliqué d’une

manière certaine à telle matière'.'

II nous faut donc arriver » une autre raison de (cite

fermeté qui vaille pour tous les c :, s. Nous la trouverons dans le rôle général de la foi. Voircol. m sq. 1 a

foi. disions nous d’après la révélation (Ile même, do I

exciter les autres dispositions à la justification, et i actes des autres vertus qui. après u justification, méri

,, .„, |, de]., , le. d’espérance, de crainte, de repentir de charité, etc. et ce rôle s’explique rationnellement

., a 11 ;, |„, (. intellectuelle de la loi. qui éclaire le

Chemin et montre à chaque veiln ellective l’objet,

I, . motil propre qui lui correspond et l’excite. Ma s

si elle montrait ces objets comme entièrement don

teux, si elle disait, par exemple : « Il y a peut-être une autre vie, un éternel bonheur, » comment exciteraitelle puissamment l’espérance ? C’est déjà bien assez que le fait de notre salut personnel reste ordinairement en dehors de la certitude et du domaine de la foi. Il faut du moins que les grandes vérités, base de notre vie spirituelle, dont le souvenir doit nous faire espérer craindre, aimer, pleurer nos fautes, soient fermement saisies par la foi. Sur les fondations branlantes d’une demi-croyance pourrait-on construire l'édifice des vertus ? N’est-ce pas en partie la fermeté des convictions qui fait la solidité de la vertu et la force du caractère ? Pour remplir son rôle providentiel, la foi devait donc être ferme, et une foi chancelante ne pouvait en aucune hypothèse être acceptée de Dieu comme base de la conversion au christianisme, ou de la vie chrétienne.

Mais, dira-t-on, une croyance mêlée de doute à des sanctions possibles dans une autre vie' suffirait encore à exciter l’espérance et la crainte, qui de leur nature ne réclament pas la certitude de leur objet : une telle croyance pourrait donc obtenir pratiquement l’exercice de la religion et les sacrifices que demandent les vertus chrétiennes. C’est le célèbre argument du pari de Pascal : « Dieu est, ou il n’est pas. Maio de quel côté pencherons-nous ?… Il se joue un jeu, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous ?… Pesons le gain et la perte (de celui qui parie pour Dieu et la religion)… Si vous gagnez, vous gagnez tout ; si vous perdez, vous ne perdez rien (en comparaison de l’infini). Gagez donc qu’il est, sans hésiter… Il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini… Il n’y a point à balancer, il faut tout donner… Car il ne sert de rien de dire qu’il est incertain si on gagnera, et qu’il est certain qu’on hasarde… Tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec incertitude… Combien de choses fait-on pour l’incertain, les voyages sur mer, les batailles ! » Pensées, édit. des Grands écrivains, t. ii, p. 146 sq. Kant dit à son tour : « L’homme ne peut s’empêcher de craindre un Être divin et une vie future : il suffit, en effet, qu’il ne puisse alléguer la certitude qu’il n’y a pas de Dieu et pas dévie future, certitude qui exigerait… qu’il démontrât l’impossibilité de l’un et de l’autre, ce qu’aucun homme raisonnable ne peut assurément entreprendre. » Critique de la raison pure, trad. Barni, t. ii, p. 387. Ces considérations peuvent servir à remuer l’incrédule, à le faire sortir de son repos malsain dans les négations, et à le rapprocher ainsi de la foi chrétienne, mais sans l’y faire parvenir : Dieu l’a mise plus haut comme fermeté, nous le savons par la révélation et la doctrine de l'Église. Aux yeux mêmes de la raison naturelle, l’argument du pari ne peut remplacer, comme excitation à la vertu et à la religion, la foi robuste et éclairée qui croit à Dieu, à ses promesses et à ses menaces comme à quelque chose d’objectif et do certain, et qui donne à notre âme un point fixe, une base de vérité. Il est vrai que dans les affaires du monde on expose volontiers une très faible valeur pour l’acquisition possible d’une valeur énorme. Mais ces valeurs sont du même ordre, elles parlent toutes les deux aux sens, dont l’homme est si fort touché ; elles sont estimées du commun des hommes. Au contraire, l’aude la ne parle pas aux sens, n’est pas estimé de la multitude dont les jugements impressionnent tant l’individu : et si à ces désavantages il ajoute encore celui de paraître incertain à l’esprit, de ne lui rien montrer que de nébuleux et de flottant, la vie future ne réussit pas alors (c’est un fait d’expérience) à rejeter dans l’ombre les biens présents, ni à les faire pratiquement apparaître comme le rien dont parle Pascal. « Au point de vue de la logique pure, dit Ernest Naville, la con clusion commune à Pascal et à Kant a une vraie valeur ; mais si on en fait laprévision de ce qui doit naturellement arriver (en tenant compte de la nature humaine telle qu’elle est), l’argument est fort défectueux. Voici pourquoi. Ce n’est que sous l’influence d’une conviction très ferme de la réalité du monde à venir et de la justice éternelle, que la satisfaction des intérêts et des passions peut revêtir le caractère d’une quantité insignifiante. Les passions projettent sur les joies présentes une lumière vive dont l'éclat fait pâlir, presque jusqu'à la faire disparaître, la perspective d’un bonheur futur. » Les philosophics négatives, Paris, 1900, p. 35. Et lors même que l’argument du pari exercerait une influence fortement moralisatrice, de cette demi-croyance ne sortiraient pas toutes les vertus chrétiennes, dont la plus excellente est l’amour de Dieu. Avec un Dieu hypothétique, qui nous aime peut-être, qui nous a peut-être donné ce que nous sommes, comment établir ces rapports intimes d’amour que nous avons avec un Dieu certain, invisible, que par la foi nous voyons presque, Heb., xi, 27, notre créateur, notre protecteur, notre père, qui a élevé les justes à son amitié par une communication certaine de biens surnaturels et d’ineffable amour ? Dès là que Dieu a ainsi demandé notre amour, il a dû pourvoir à une foi ferme nécessaire à le fonder.

3. L’opinion et son doute (formido) contraire ù la foi divine. — a) La fermeté de la foi exclut donc le doute — soit qu’on entende par « doute » une attitude négative de l’esprit, la suspension du jugement par crainte de se tromper — soit qu’on entende une crainte de se tromper qui ne va pas jusqu'à arrêter l’acte positif d’affirmer, mais qui l’accompagne, le modifie et l’affaiblit ; une telle affirmation prend le nom d’opinion, et nous venons de voir par des témoignages patristiques que l’opinion, Ycxistimalio est opposée à la foi. Voici comment saint Thomas décrit ces deux états d’esprit : « Tantôt l’intelligence n’est pas inclinée d’un côté plutôt que de l’autre ; ou bien faute de motif, comme il arrive dans ces problèmes où n’apparaît aucun élément de solution, ou bien à cause de l'égalité apparente des motifs en faveur de deux thèses opposées. Telle est l’attitude du doute (au sens le plus strict du mot), qui flotte entre deux propositions contradictoires. » Quæsl. disp., De verilate, q. xiv, a. 1. C’est comme une balance qui, faute de poids, ou par l'égalité des poids entre eux, reste en équilibre. Dans l’autre état d’esprit, l'équilibre se rompt : « Tantôt, continue-t-il, l’intelligence est plus inclinée d’un côté que de l’autre ; mais le motif qui l’incline n'étant pas assez fort pour la déterminer totalement d’un côté, elle s’attache à l’une des deux thèses contradictoires, et pourtant conserve un certain doute à l'égard de l’autre. Telle est l’attitude de Yopinion, qui admet une des deux contradictoires tout en gardant une certaine crainte de l’autre, cum formidine alterius. » Ibid. On définit aujourd’hui semblablement 1' « opinion » , même dans la philosophie qui n’est pas scolastique. * L’opinion est une adhésion mêlée de doute, et par conséquent plus ou moins chancelante et inconstante. » Boirac, Cours élémentaire de philosophie, Logique, c. v, Paris, 1900, p. 287.

L'élément caractéristique de l’opinion, c’est cette crainte, formido, dont parle saint Thomas, et que, dans le passage cité, il appelle aussi « doute » , dubilat de altéra ; le mot formido est plus généralement usité chez les scolastiques, le mot doute chez les modernes, qui parlent pourtant aussi d' « affirmer sans crainte » . Mais qu’est-ce que cette crainte, formidol Une émotion ? Nous n’entendons pas exclure l'élément émotionnel, plus ou moins perceptible ; mais il est d’importance très secondaire. Une crainte à objet rationnel, comme celle qui nous occupe et qui a évidemment pour objet

la vérité et l’erreur, n’est pas une passion animale ; elle dérive donc d’un jugement : c’est ce jugement, source de l'émotion craintive, qu’il nous faut arriver à saisir, c’est à lui que les scolastiques ont par métonymie transféré le nom de formido, qu’il soit suivi d’une émotion perceptible, ou non. Il doit donc y avoir dans V « opinion » un double jugement : le principal, qui, comme dit saint Thomas, accipil unam partem, admet une des deux thèses contradictoires : le secondaire, qui affaiblit l’adhésion du premier, et que nous appelons formido.

En quoi consiste ce jugement secondaire ? Serait-ce à nier faiblement, à nier tout bas ce que le principal affirme tout haut et avec plus de force ? Mais un seul et même esprit ne peut proférer en même temps deux propositions contradictoires : et si cela était possible dans une perturbation, dans une situation anormale de l'âme, cela ne peut être dans l’opinion, état d’esprit essentiellement pacifique et régulier. Aussi, quand saint Thomas dit de l’opinion : Opinans habet alifjuid asscnsus, inquantum adhærct uni magis quam alii, il faut traduire ce magis par « plutôt » , et ne pas prêter au grand docteur l’idée bizarre de faire adhérer en même temps à deux contradictoires, bien que plus fortement à l’une des deux. In IV Sent., 1. III, dist. XXIII, q. ii, a. 2, sol. l a ; voir Gardeil, dans la Revue des sciences philos, et thèol. du 20 juillet 1911, p. 451, 452, ou dans La certitude probable, 1911, p. 48, 49. Sans doute, après l’adhésion que j’aurai donnée à l’une des thèses contradictoires, par exemple, à l’existence de telle obligation pour mon pénitent, je pourrai réfléchir sur la valeur comparative des motifs qui m’ont poussé à incliner du côté de cette obligation, et des motifs contraires, et reconnaître avec certitude dans ceux-ci une valeur sérieuse, les miens n'étant pas décisifs, voir Revue thomiste, mai 1902, p. 162 ; et voyant de bons théologiens préférer la thèse opposée qui nie l’existence de cette obligation, je pourrai par une défiance légitime de mes propres lumières, dans une question qui n’est pas claire, baser sur l’opinion des autres une solution toute pratique, et m’abstenir d’imposer au pénitent la thèse à laquelle j’adhère avec crainte, et tel est le procédé du probabilisme en morale, que le P. Gardeil ne paraît pas avoir bien saisi. La certitude probable, p. 35, 36. Mais il n’en est pas moins vrai que, dans le jugement primitif et plus direct qui est proprement « l’opinion » , je n’adhère qu'à l’une des deux thèses opposées. De là aussi une véritable erreur en moi, si j’ai pris celle qui en soi est fausse : tandis que dans l'état de doute, qui flotte entre deux contradictoires sans s’arrêter à aucune, il n’y a pas d’erreur possible.

En quoi donc consistera ce jugement secondaire qui dans 1 opinion produit la crainte ? Nous pouvons raisonner ainsi. Le jugement qui, dans l'être raisonnable, produit la crainte en général, c’est toujours ce jugement qu’il y a pour lui un mal qui menace, un danger. Quel danger peut-il y avoir dans toute opinion, c’est-à-dire dans le fait même que l’intelligence, sans avoir la certitude, incline vers une des deux thèses contradictoires ? Le mal qui menace alors l’intelligence, C’est l’erreur. Danger d’ernur, voilà donc ce que doit affirmer dans l’opinion le Jugement secondaire, appelé formido. Et l’enMmble pourra se représenter par cet exemple : Cette maladie mène À la mort, mais en affirmant cela. Je suis en danger de me tromper. Le premier jugement, le principal, est direct, et Va droit à l’objet : le second est réflexe : le

premier affirme un fait, le second ne nie pas ce fait,

mais afin nie le danger que j’ai de DU tromper en l’affirmant : ils ne. sont donc pas contradictoires entre eux, et mie même intelligence peut les porter en même

temps. Telle est en résumé l’analyse que font, de

l’opinion et de sa formido, Haunold, Theol. speculaliva, Ingolstadt, 1670, p. 377 sq. ; de Bcnedictis, Philos, peripatetica, Venise, 1722, t. i, p. 513 sq.

On a donné une autre explication. « Le mot formido, dit le P. Gardeil, si on l’entend d’une crainte intrinsèque à l’opinion, ne signifie pas autre chose que la contingence de l’acte d’opinion, comme le remarque D. Soto dans son pénétrant commentaire des Analytiques. » La certitude probable, p. 46. Le contingent étant par définition « ce qui peut ne pas être, » qu’entend-on ici par « contingence de l’acte d’opinion ? » « A la contingence de la vérité probable, correspond la contingence de l’assentiment d’opinion. Nous avons exposé plus haut les trois modes de la contingence du probable : matière contingente, incapable d'être l’objet d’une connaissance absolument certaine ; matière nécessaire en soi, mais appréhendée à l’aide de signes qui n’atteignent pas le fond des choses, leur pourquoi profond et décisif ; matière nécessaire, mais saisie imparfaitement par suite de l’imperfection de l’esprit. Dans les trois cas, au moment où il actionne l’esprit, l’intelligible n’a pas la détermination absolue qui réduit la puissance intellectuelle et entraîne l’adhésion. » Op. cit., p. 40, 41. Les deux derniers cas peuvent se résumer en un seul : la connaissance est si imparfaite (soit imperfection des signes ou intermédiaires employés, soit imperfection du sujet lui-même) que la chose affirmée pourrait ne pas être en réalité. J’affirme qu’il fera beau demain, à cause de certains signes ; cependant j’estime que la chose affirmée pourrait être autrement. C’est par là que l’opinion se distingue de la science et de la foi, d’après saint Thomas : De rationc scicnliæ est, quod id quod scitur existimetur esse impossibile aliter se habcrc ; de ratione autan opinionis est quod id quod quis existimat, exislimcl possibile aliter se habere. Sed id quod fide tenetur, proplcr fidei ccrliiudincm, exislimatur cliam impossibile aliter se habere. Sum. theol., II a II 1 ', q. i, a. 5, ad 4°'". Saint Thomas exprime ici que l’opinion est composée d’un double jugement : existimat, existimet ; et le second est précisément ce jugement secondaire dont nous avons parlé avec I launold et de Bcnedictis, dans lequel, saisissant l’imperfection de notre connaissance, nous disons : « Je suis en danger de me tromper. » Car enfin, n’est-ce pas la même chose de dire suivant la formule de saint Thomas : « La chose que j’aflirme pourrait être autrement dans la réalité, » ou suivant notre formule : « En affirmant cela, je suis en danger d’erreur ? » Le P. Gardeil dit lui-même : « La contingence en matière de vérité n’est pas autre chose qu’une possibilité d’erreur. » Op. cil., p. 12. Beste le premier cas : « matière contingente, dit-il, incapable d'être l’objet d’une connaissance absolument certaine. » Cependant toute matière contingente ne doit pas être condamnée à l’incertitude. Ma propre existence, qui est pour moi d’une évidence irrésistible et d’une certitude absolue, est pourtant une matière contingente » . Et il ne paraît pas fondé de dire : « Les objets qui nous touchent de plus près, parce qu’ils sont en quelque

sorte nous-mêmes, sont très spécialement justiciables de la seule probabilité. Op. cit., )). 19. L’auteur, il est vrai, tâche de sauver la certitude de quelques vérités

contingentes, en recourant à la nécessité hypothétique d’expérimenter ce que nous expérimentons : Si So crate est assis, il est nécessaire qu’il soit assis, pendant qu’il est assis, i Op. cit., p. 21. Mais il est commun a tout être contingent d’avoir cette nécessité hypothétique. Ce n’est donc pas elle qui fera une

différence cidre les cas où nous connaîtrons le contingent avec certitude, el ceux ou nous le connaîtrons

avec incertitude ; ce sera Uniquement la perfection OU l’imperfection de nos moyens de connaitre. la pot SiblUté ou l’impossibilité d’une expérience immédiate, etc., ce qui nous fait retomber dans les deux cas examinés d’abord. Il faut donc supprimer ce premier cas, et ne pas faire dépendre de la contingence de la matière l’incertitude du jugement comme une suite nécessaire : la matière contingente reste de soi indifférente à la certitude ou à la probabilité. Et certes, en Dieu, la connaissance des contingents est parfaitement certaine et métaphysiquement nécessaire. De Benedictis, loc, cit., p. 514. Nous préférons donc notre explication de la formido comme plus simple et plus juste.

Ajoutons une autre considération. La volonté libre ne peut changer ou supprimer la contingence d’une matière, ni dans la réalité, c’est clair, ni même dans notre esprit, parce que cette contingence est de toute évidence, et que la volonté ne peut rien dans notre esprit contre l’évidence proprement dite. D’autre part, ’la volonté peut supprimer dans notre esprit ce qu’on appelle formido, et transformer une pure opinion en jugement absolument ferme : on voit ce phénomène ! dans les esprits entêtés de leurs idées, et Soto en fait lui-même la remarque : « Du côté du sujet il peut y j avoir la même certitude quand la chose est fausse. Qui j doute que les anabaptistes adhèrent à leurs doctrines avec autant de force et de fermeté, tain firmo assensu roborati, que les sacramentaires, etc., et ceux-ci que nous (les catholiques) ? Et pourtant il est évident qu’il y a quelqu’un qui se trompe, ces thèse. ; opposées j ne pouvant être toutes vraies. » De natura et gratta, I. 111, c. x, Salamanque, 1561, p. 215. La formido sur laquelle la volonté a prise ne peut donc être une suite nécessaire de la contingence de la matière, sur laquelle lu volonté n’a pas de prise. De plus, la suppression du doute ou formido par la volonté — suppression blâmable dans les gens entêtés, parce qu’alors elle porte sur un doute prudent et que, à un certain moment du moins, ils ont reconnu comme tel — devient légitime dans certains cas où le doute est imprudent, déraisonnable ; les théologiens admettent communément cette suppression des doutes imprudents dans la foi divine. Or la contingence de la matière, étant évidente et n’ayant rien d’illégitime, ne peut en aucun sens être supprimée par notre volonté. Ce n’est donc pas ce qu’on appelle formido, ni ce qui produit la formido.

Notre théorie, au contraire, explique très bien la différence des doutes prudents et des doutes imprudents, formidincs imprudentes. Le mot formido sigivlie, d’après nous, ce jugement réflexe : « En affirmant cela, je suis en danger de me tromper. » Ce jugement craintif, comme tout jugement, doit avoir un motif, car l’intelligence ne juge pas sans quelque raison au moins apparente de juger ainsi. Voir Croyance, t. iii, col. 2372. Ce motif sera parfois l’évidence du danger de me tromper, et alors le jugement craintif ne sera pas libre, l’évidence s’impose. Mais souvent, la réal.té du danger étant moins claire, la volonté aura prise sur ce jugement craintif, et pourra ou le supprimer, ou, au contraire, le faire naître sans motif sérieux, en embrouillant l’esprit dans des sophismes, ou tout au moins le favoriser ; et selon qu’elle suit alors les conseils de la prudence ou qu’elle ne les suit pas, le jugement craintif, en tant que plus ou moins dépendant de la volonté, sera dit prudent ou imprudent, légitime ou coupable. Parfois dans l’affirmation d’une vérité, surtout si elle déplaît aux passions, s’élèvent des doutes, des craintes, sans motif sérieux du côté de l’objet suffisamment perçu ; Soto en fait la remarque : « Qu’il s’élève dans l’esprit humain un doute, une crainte…, c’est une chose naturelle… Parfois cela résulte du tempérament. Il y en a qui ont peu de sang, et cela les rend craintifs dans l’affirmation, comme dans toute autre chose. » Op. cit., p. 214. S’il existe des craintes sans danger réel, ayant une origine purement subjective et morbide, s’il existe des doutes imprudents et sophistiques, la volonté a certainement le tlroit d’intervenir pour supprimer tout cela. Voir Croyance, t. iii, col. 2383 sq. Cet appel à la volonté du malade, que la médecine elle-même sait employer contre la neurasthénie, est spécialement opportun dans l’épidémie du doute qui, à la suite du kantisme et d’autres causes, affaiblit aujourd’hui les esprits. « Nous sommes en présence, non seulement d’une conception d’école, mais d’un fait biologique, d’une sorte de faiblesse ou de déformation pathologique de la vie religieuse, que je qualifierais volontiers de psychasthénie spirituelle, dit un protestant. Les raffinements morbides et la complaisance au doute intellectuel, que pratique l’agnosticisme, me paraissent révéler je ne sais quelle névrose nouvelle et constitutive de la conscience religieuse. » Frommel, dans la Revue (protestante) de théologie et de philosophie, novembre 1904, p. 37, 38. Voir Snell, Essai sur la foi…, 1911, p. 103.

Quant à la théorie de Soto sur la contingence, elle se termine par une explication assez faible de la formido : Formido non potest melius explieari quam si dicas quod est privatio cerliludinis. Unde hoc est assentiri uni parti cum formidine alterius, quod est intelleclum non ila esse deierminalum ad hanc parlem, quin flucluct quodammodo circa aliam. D.Soto, In tibros posleriorum Arislotelis absolulissima commentaria, Venise, 1574, q. viii, p. 416.

b) Différence entre la foi humaine et l’opinion. —

Il y a dans cette même q. viii de Soto une autre théorie acceptée par le P. Gardeil, et qui consiste à dire qu’entre l’opinion et la foi humaine il n’y a pas différence d’espèce, différence essentielle. Nous préférons la doctrine de saint Thomas, qui, dans le passage cité tout à l’heure, dit : « Il est de l’essence do l’opinion d’estimer que la chose affirmée pourrait être autrement ; tandis que dans la foi, à cause de sa certitude, on estime que la chose affirmée ne peut pas être autrement. » Sum. tkeol., IIa-IIæ , q. i, a. 5, ad 4um. Voilà bien une différence profonde, atteignant la nature même de l’assentiment ; et c’est par là que saint Thomas, dans la même phrase, différencie la science et l’opinion, entre lesquelles on avoue une différence d’espèce. S’il n’y en a pas entre la foi et l’opinion, pourquoi saint Thomas nous donne-t-il cette célèbre division ternaire entre ces trois espèces d’assentiment, la science, l’opinion et la foi ? pourquoi met-il cette troisième sur la même ligne que les deux autres ? Sum. Iheol., II" II*, q. i, a. 4 ; De verilate, q. xiv, a. 1. C’est dans ces textes, où saint Thomas traite la question ex professo, qu’il faut étudier sa pensée, et non pas dans des endroits où il prend en rassant le mot fides dans un sens large, de même qu’en français nous appelons « croyance » non seulement une conviction ferme, mais souvent, au sens plus large, une opinion. Voir Croyance, t. iii, col. 2364. Dira-t-on, pour échapper à saint Thomas, que dans cette division ternaire il ne parle que de la foi divine ! Mais il est clair qu’il fait là une théorie générale et philosophique des divers états d’esprit, et que la fides dont il parle ici ne peut pas être la seule foi divine, qui dépasse la philosophie, mais que c’est aussi la foi humaine, du moins quand elle atteint sa perfection. La foi au témoignage divin est toujours infaillible, a priori ; la foi au témoignage humain varie suivant la valeur et le nombre des témoignages et souvent ne donne pas la ceititude : de là une différence incontestable, qui empêche que la foi humaine prise en général soit une vertu, Sum. Iheol., IIa-IIæ , q. iv, a. 5, ad 2 nm, mais qui n’empêche pas que les actes parfaits de foi humaine soient vraiment certains, ce qu’il serait sceptique de nier. Au fond, Soto veut à tout prix défendre Aristote du reproche d’avoir incomplètement traité les états d’esprit ou les espèces d’assentiment, en ne parlant que de la science et de l’opinion. Il vaudrait mieux avouer qu’Aristote, dans sa psychologie et sa critériologie, a des lacunes évidentes, et que saint Thomas l’a ici heureusement complété.

Voici le raisonnement de Soto. Croire qu’il existe en Italie une ville nommée Rome, c’est un acte de foi humaine, mais ce n’est qu’un assentiment contingent, qui de sa nature peut être faux, donc une opinion. Or « je crois à l’existence de Rome sans le moindre doute, formido. » Donc a. « la foi ne diffère pas spécifiquement de l’opinion, » p. 416, 417. Donc b. le doute, formido, n’appartient pas intrinsèquement à l’opinion, on peut la concevoir sans cela. Nam judicium quo assenlio nunc Romam esse, est opinio, et tamen propric loquendo non est cum formidine, p. 424, 425. Ce raisonnement trouble la clarté du langage usuel sur l’opinion, ébranle la valeur du témoignage humain et détruit la doctrine de saint Thomas, qui, toutes les fois qu’il définit l’opinion, la définit par le mélange de doute ou de crainte, formido. Sum. theol., Ia IIæ, q. lxvii, a. 3 ; IIa IIæ, q. i, a. 4 ; q. ii, a. l ; De veritate, q. xiv, a. 1, etc. Soto interprète mal les textes de son maître : S. Thomas…, licet opinionem dical esse assensum cum formidine, tamen nominc formidinis forsan comprehendit quameumque fidem humanam, propterea quod non repugnel ilti esse falsam, et ideo quando ponil fidem esse médium inler scienliam et opinionem, solum intelligit de fide calholica, p. 425. Ces explications sont inadmissibles ; et le langage de saint Thomas est assez clair. Soto s’écarte volontairement du consentement des théologiens et des philosophas catholiques surtout depuis saint Thomas : « Puisqu’il est passé en usage, dit-il, de mettre une distinction essentielle entre la foi humaine et l’opinion, accordons ceci à l’usage des dialecticiens, qu’un assentiment mélangé de crainte est de l’essence de l’opinion… Néanmoins, tout en parlant avec la multitude, qu’il soit permis aux sages de penser avec le petit nombre, et de parler a la manière d’Aristote. »

4. Explication de quelques difficultés sur la fermeté de la foi.

En quel sens les théologiens disent-ils souvent qu’un doute, formido, s’il est involontaire, ou a demi délibéré, ne détruit pas la foi ? Il s’agit alors de la foi-vertu, du principe infus des actes de foi, habitas fidei : Dieu retire ce don pour un doute formel et mortel contre une vérité révélée, mais non pas pour un péché véniel contre la foi, à plus forte raison pour un doute involontaire qui n’est nullement coupable. Mais quant à l’acte de foi, seule chose que nous ayons considérée jusqu’à présent, son essentielle fermeté ne comporte aucun doute, même involontaire. Il peut cependant succéder rapidement au doute, ou réciproquement, et par la avoir avec lui une sorte de simultanéité au sens large du mot. « Les doutes involontaires que les fidèles s’imaginent avoir au moment même de l’acte de foi, succèdent seulement à cet acte, et ne coexistent pas avec lui ; mais comme le doute et la foi se succèdent alors sans intervalle sensible, ils semblent coexister. Ce qui peut réellement coexister avec l’acte de foi, ce sont les simples idées qui appartiennent aux jugements craintifs (qui leur servent comme de matériaux, ainsi l’idée de danger, l’idée d’erreur), idées qui répondent dans l’intelligence à certaines images (species) excitées dans l’imagination (phantasia) par une cause naturelle ou par le démon, et que l’on confond avec les doutes et les jugements craintifs. (De même des jugements d'autrui contre la foi, dont nous nous souvenons, sans les faire nôtres.) Mais jamais ne coexiste avec l’acte de foi ces jugements dans lesquels notre intelligence, bien qu’involontairement, juge que la chose révélée est peut-être fausse, jugements qui sont appelés doutes involontaires. » Antoine, Theol. universa, Paris, 1736, De fide, sect. iii, a. 1, t. i, p. 165. Cf. Platel, Synopsis cursus theol., n. 175, Douai, 1706, p. 261 ; Theol. Wirceburgensis, Paris, 1852, t. IV, n. 200, p. 173. À plus forte raison, peut coexister avec l’acte de foi un certain malaise qui n’est pas un doute, mais provient de ce que notre intelligence n’est pleinement satisfaite que par la seule clarté de la vision, à laquelle la foi, avec sa connaissance imparfaite des mystères, ne peut atteindre. À ce malaise est joint un mouvement de la pensée, une inquiétude naturelle de l’esprit qui aspire à connaître mieux ; et c’est ainsi que, dans cette définition de saint Augustin : credere est cum assensione cogitarr, De prsedestinationc sanctorum, c. ii, P. L., t. xliv, col. 963, saint Thomas interprète le mot cogitare. Sum. theol., IIa IIæ, q. ii, a. 1 ; Quæst. disp., De veritate, q. xiv, a. 1, ad 5um. Mais bien que la foi ne donne pas à l’esprit le repos absolu de la pleine satisfaction et de la béatitude, elle lui donne le repos relatif de la certitude et d’un assentiment ferme, assensio. Enfin peut coexister avec la foi du chrétien, vertu ou acte, le doute en un sens plus large, opposé seulement à la « foi des miracles » , voir plus haut, col. 69, c’est-à-dire le doute (ou incrédulité) qui porte, non pas sur la toute-puissance de Dieu, mais seulement sur la future réalisation de tel événement miraculeux, événement qui n’est pas contenu dans la révélation chrétienne, et par suite n’est pas l’objet de la foi ordinaire exigée pour le salut. Dans certaines circonstances, cependant, un tel doute est blâmable, en face des grâces qui excitent à la foi des miracles : il peut aussi révéler un état languissant de la foi ordinaire elle-même ; ce qui explique certains reproches de Jésus desquels on aurait tort de conclure que ses disciples n’avaient pas du tout la foi chrétienne, ou qu’en eux elle coexistait avec le doute proprement dit ; comme dans saint Marc, iv, 40. Cf. Matth., viii, 26 ; xiv, 31 ; Marc, ix, 18, 23 ; Matth., xvii, 18, 19.

III. Motif essentiel et spécifique de la foi.

1o Notions préliminaires.

Déterminer ce motif, c’est pénétrer la nature intime de la foi. La foi est une connaissance, un assentiment de l’esprit, tel est le résultat de notre étude précédente. Mais il faut faire un pas de plus et préciser davantage. Le genre « connaissance » est très vaste. Il y a la connaissance immédiate, où l’assentiment se donne sans aucun raisonnement préalable, soit qu’il s’agisse d’une connaissance analytique, où l’on voit du premier coup l’équivalence de deux termes abstraits, comme 2 +2 = 4, « ce qui est, est, et ne peut pas en même temps ne pas être, » soit d’une connaissance expérimentale, comme

« je souffre, j’existe. » Il y a la connaissance médiate.

discursive, qui suppose un raisonnement, discursus : alors, parlant d’une vérité connue, on arrive à une vérité inconnue, ou du moins, on arrive par une voie nouvelle à une vérité que l’on n’avait pas encore saisie de cette manière. C’est ainsi que la cognitio discursiva est définie par saint Thomas : Ex uno prius noto devenitur in cognitionem alterius posterais noti, quod prius erat ignotum. Sum. theol., Ia q. lviii, a. 3, ad 1um. Ordinairement, ce passage d’une vérité à un autre réclame une durée appréciable ; cette différence de temps n’est pourtant pas essentielle au discursus, et le prius dont parle saint Thomas peut ne pas inclure une priorité de temps, mais seulement une priorité de cause. « L’essence du raisonnement consiste en ceci, que la connaissance d’un premier objet est tirée de la connaissance d’un autre objet comme de sa cause… Dieu lui-même (qui ne raisonne pas) voit que dans une connaissance telle autre est contenue ; mais il ne reçoit pas la seconde de la première. Nous, au contraire, nous la recevons (et par la notre connaissance et discursive) ; et cela implique que le premier objet exerce sur nous la fonction de cause, en d’autres termes, nous meut, movet, à donner notre assentiment au second (la causalité pouvant être représentée par la communication du mouvement). » Wilmers, De fide divina, Ratisbonne, 1902, p. 337, 338. Le premier objet connu, qui nous meut ainsi par rapport au second, est par suite appelé « motif » (de moveo, molum). Dans la connaissance médiate, le motif est un objet différent de celui auquel nous donnons finalement notre adhésion ; dans la connaissance immédiate, il n’y a qu’un seul objet, qui est à lui-même son propre motif, qui nous meut par lui-même à l’affirmer en vertu de sa propre évidence.

Quand on brise, par l’analyse, le fruit de la foi, et qu’après lui avoir arraché ses enveloppes naturelles on arrive à un noyau central, auquel on réserve plus strictement le nom d’« acte de foi » , on peut discuter si cet acte de foi est discursif en lui-même, et plusieurs théologiens le nient, comme nous le verrons plus loin. Mais tous reconnaissent que cet acte de foi dépend d’un raisonnement qui le prépare et le rend raisonnable, comme l’intérieur du fruit dépend de son enveloppe ; aussi est-ce l’avis unanime que la foi n’est pas la connaissance immédiate, celle qui ne présuppose aucun raisonnement, qu’elle n’est pas la « vision » , expression symbolique pour désigner la connaissance immédiate, illa videri dicuntur, quse per seipsa movent inielleclum noslrum vel sensum ad sui cognilionem, S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ , q. i, a. 4 ; principia per se nota, et per consequens visa, a. 5. On rencontrera sans doute le mot videre, dans un sens large, appliqué à la foi, I Cor., xiii, 12, parce qu’elle est une sorte de connaissance et que dans toute sorte de connaissance nous disons vulgairement : Je vois. Mais dans l’exactitude d’une définition, la foi est présentée comme « une conviction des choses qui ne sont pas vues. » Heb., xi, 1. Que la foi ne soit pas une connaissance immédiate, une vision, saint Thomas en trouve un signe psychologique dans le besoin qu’a la foi d’une bonne volonté qui l’aide, tandis que la vision se passe de toute assistance de la volonté, a. 4. Dès le début de son étude sur la foi, il en avait donné une raison plus fondamentale : « Dans une connaissance quelconque, dit-il, il y a deux éléments : ce qui est matériellement connu (sa matière, son contenu), c’est comme l’objet matériel ; et ce par quoi l’on connaît, c’est l’objet formel (le motif). Ainsi en géométrie, la matière connue, ce sont les conclusions (les énoncés des théorèmes) ; l’objet formel, ce sont les moyens de démonstration, en vertu desquels ces conclusions sont connues. Et de même dans la foi… Car la foi dont nous parlons (la foi chrétienne) n’adhère jamais à une vérité que parce que Dieu l’a révélée. La foi s’appuie donc sur la vérité divine comme sur son moyen, tanquam medio, » a. l.Or, si la foi, pour croire chacune des choses qu’elle croit, doit passer par un medium toujours le même, qui est la vérité ou véracité divine, comme l’affirme saint Thomas et comme nous allons le prouver, il est clair que la foi est une connaissance médiate.

Mais la connaissance médiate se subdivise suivant la nature de son medium. Si cet intermédiaire logique est fourni par une substitution d’équivalents abstraits, comme dans les démonstrations de la géométrie ou de l’algèbre, ou par une analyse de la réalité concrète que l’on veut’connaître, par l’observation de sa genèse et de son développement, par la connaissance de ses causes et de ses effets, qui sont comme quelque chose d’elle-même, la connaissance par tels intermédiaires est dite « intrinsèque » , venant du dedans. Si l’intermédiaire n’est autre qu’un témoignage et sa véracité, la connaissance médiate est dites « extrinsèque » , venant du dehors. Ces dénominations se retrouvent chez un assez grand nombre de philosophes catholiques et autres ; nous nous en servirons pour plus de brièveté et de clarté. Voir Évidence, t. v, col. 1727, 1728. La connaissance par ouï-dire, ainsi dénommée « extrinsèque » , a été appelée « foi » par tous les scolastiques et d’autres philosophes. Voir, par exemple, Bossuet, cité à l’art. Croyance, t. iii, col. 2366. Bien que cet usage du mot « foi » soit tout en faveur de notre doctrine catholique sur le motif de la foi religieuse, nous ne nous en servirons pas pour le prouver, soit parce que cette façon de parler n’est pas générale parmi les philosophes, soit parce qu’on doit beaucoup moins consulter l’usage des philosophes que celui de l’Écriture et de la tradition chrétienne, quand on veut savoir la nature de la foi chrétienne, la seule dont nous nous occupions ici.

Le sens des mots étant ainsi déterminé, nous prouverons que la foi chrétienne, en tant que connaissance, est une connaissance non seulement médiate, mais extrinsèque, fondée sur le témoignage de Dieu comme sur son motif propre et spécifique. Ce caractère extrinsèque de la foi, nous ne prétendons nullement le déduire d’une théorie philosophique et générale, qui ferait de l’intelligence un principe purement passif et recevant tout du dehors ; nous la déduisons seulement de la nature spéciale du témoignage, et de ce que la révélation nous définit la foi chrétienne comme un assentiment au témoignage de Dieu.

2o Divers systèmes hétérodoxes.

Sur ce point du motif intellectuel de la foi chrétienne, la plupart des anciens protestants, et beaucoup de protestants contemporains de nuance conservatrice, sont avec nous. Turretin, par exemple, disait : Fides notai assensum certum quidem sed inevidentem, qui non arlione sed testimonio divino nilitur. Inslilulio, I. XV, c. ix, n. 3, Edimbourg, 1847, t. ii, p. 497. Voir d’autres citations du même genre dans une théologie protestante qui suit la même doctrine, Hodge, Systematic theology, Londres, 1874, t. iii, p. 61, 62.

Mais de nombreux protestants modernes, tout en admettant que la foi est une connaissance, ou du moins renferme un élément intellectuel, ont voulu enlever à cette connaissance son caractère extrinsèque, ou, plus radicalement, son caractère médiat. Les premiers en ont fait une science ; les seconds, allant plus loin, en ont fait une intuition, ou une expérience, c’est-à-dire une connaissance immédiate.

1. Parmi les protestants qui ont essayé de concilier le christianisme avec le rationalisme, dès la fin du XVIIIe siècle, et dans la première moitié du XIXe, plusieurs ont conçu la foi comme une espèce de science ou de philosophie. Ainsi Strauss ramenait la foi à la science. Die christliche Glaubenslehre, Tubingue, 1840, § 21. A leur suite, Günther et d’autres catholiques allemands, qui ont reçu parmi nous le nom de « semirationalistes » , confondirent également la théodicée et la philosophie morale avec la foi : pour eux, la foi chrétienne est une ferme conviction des choses invisibles, que cette persuasion soit obtenue par la voie extrinsèque d’autorité ou par la voie intrinsèque de démonstration philosophique, à laquelle ils donnent d’ailleurs la préférence, allant jusqu'à l’appliquer à la preuve de nos mystères, qui n’en sont pas susceptibles. Voir des citations de ces auteurs dans les notes des théologiens du Vatican, Acta et décréta conciliorum recentiorum, Colleclio lacensis, Fribourg-en-Brisgau, 1890, t. vii, col. 527. Sur Giinther, voir un bref de Pie IX à l’archevêque de Cologne, en 1857, Denzinger, n. 1655 sq. Cf. Goyau, L’Allemagne religieuse, Le catholicisme, Paris, 1905, t. ii, p. 43 sq., surtout 48-50 ; t. iv, p. 203-210, 216-224. Contre cette école semirationaliste le concile du Vatican a établi, comme nous

le verrons, le vrai concept de la foi, et aussi l’existence des mystères : le donné révélé, objet de notre foi, renferme des « mystères proprement dits » qui ne peuvent ni être démontrés en vertu de « principes naturels » , c’est-à-dire de raisons intrinsèques et philosophiques, ni être pénétrés par notre intelligence, même après révélation. Sess. III, can. 1, De flde et ratione, Denzinger, n. 1816 ; cf. c. iv, n. 1795, 1796. Voir Mystère.

2. Plusieurs protestants vont plus loin et se représentent la foi chrétienne comme une « intuition » , un acte simple et primitif de notre intelligence. « La foi, dit un ouvrage très connu en Angleterre, est une énergie élémentaire de l’âme… Peut-on observer et analyser les intuitions fondamentales sur lesquelles repose notre connaissance ?… Si quelqu’un nous demande : Qu’entendez-vous par penser, aimer, vouloir, qui peut le lui dire ?… Ce n’est qu’en voyant, en voulant, en aimant, que nous pouvons tant soit peu concevoir ce qu’est la vue, la volonté, l’amour. Et la foi est du nombre de ces intuitions premières ; elle est encore plus profonde et plus élémentaire… Si on demande sa définition, on ne peut que répondre : La foi, c’est la foi ; croire, c’est croire. » H. S. Holland, dans l’ouvrage collectif publié par Ch. Gore sous le nom de Lux nwndi, Londres, 1889, p. 8-10. Plus loin il explique que la foi atteint immédiatement en nous cette relation de dépendance qui est au fond de toute créature à l’égard de son créateur, relation qu’il appelle filiation. « La foi est la découverte d’une filiation inhérente. .. déjà existant avant elle, mais qui nécessairement retient inactives ses plus riches et ses plus splendides énergies jusqu’à ce que cette découverte soit faite… La filiation, déjà en germe, se complète, se réalise dans l’homme par sa foi…, qui est l’attitude d’un fils à l’égard de son père. » Op. cil., p. 16, 17. On voit l’effort pour rejoindre au moins en apparence la théorie luthérienne de la justification par la foi. « La foi, dit-il plus loin, ne doit pas être mise sur la même ligne que les autres facultés de l’âme… Elle tient à une racine plus profonde… Elle remonte à l’origine même de notre être, à son point d’attache avec Dieu. >< Op. cit., p. 22. Voilà bien l’idée d’une faculté spéciale pour la foi, idée déjà ancienne parmi les protestants :

I.a foi, dit Eschenmaver, est un organe spécial pour atteindre ce qui est étemel et saint ; elle diffère de la pensée, du sentiment et de la volonté. » Die einfachste Dogmalik, Tubingw, 1826, p. 376. Ces conceptions détruisent le vrai motif de la foi chrétienne, telle que nous allons l’exposer d’après l’Écriture et les Pères ; elles ont encore l’inconvénient, au point de vue rationnel et psychologique, de multiplier, sans nécessité et s ; ins preuve expérimentale, les organes ou les facultés : au point de vue scripturaire et théologique, de limiter arbitrairement l’objet de la foi chrétienne à notre

dépendance ou libation envers Dieu, i ou bien aux

Choses éternelles, tandis que la foi qui sauve, d’après l’Écriture, atteint aussi d’autres objets : ainsi celle d’Abraham, donnée comme modèle par saint Paul, a pour objet la naissance promise d’un fils et sa nombreuse postérité future. Rom., iv. Voir plus liant les exemples des mots foi, croire dans le Nouveau Testament, f.a foi comme (acuité distincte n’en est pas moins une conception chère à certains protestants du

jour. Voir la citation de M. Crafer, à l’art. Dur, t. iv, col. 793.’'. Sont encore partisans de la connaissance immédiate ceux qui, sans demander une faculté spéciale ni un acte primitif et fondamental d’intuition, con ut la foi comme une expérience. Laissons ici de Côté ceux qui par expérience entendent une pure

émotion, comme certains protestants <t moderniste

réfutés plus liant. Ne prenons que ceux qui entendent

une connaissance, et prennent le mot « expérience » à peu près comme on le prend en physique et dans les autres sciences expérimentales, avec cette différence que l’objet expérimenté est ici surnaturel ou mystique. Et notons que l’expérience religieuse a été utilisée par les protestants de deux manières bien différentes : a) D’abord on lui a souvent donné un rôle purement secondaire, qui laissait subsister le véritable motif de la foi. Ainsi Calvin veut, comme nous, que l’on croie les vérités révélées dans l’Écriture, parce que c’est Dieu qui les a révélées ; sans doute, parmi ces vérités il met au premier rang la volonté que Dieu a de sauver ceux à qui il inspire la foi, et c’est ainsi qu’il définit la foi « une ferme et certaine connaissance de la bonne volonté de Dieu envers nous, » mais il ajoute : « Nous ne nions pas cependant que l’office de la foi ne soit de donner consentement à la vérité de Dieu… quoi qu’il dise, et en quelque manière que ce soit. » Institutions, 1. III, c. ii, n. 7, Genève, 1562, p. 328. Mais un acte préalable à la foi, c’est de se convaincre que dans l’Écriture c’est bien Dieu qui parle, c’est de reconnaître l’Écriture comme divine : et c’est seulement dans cet acte préalable que Calvin fait appel à l’expérience, à je ne sais quelle expérience du divin : « L’Écriture, dit-il, a de quoi se faire connaître, voire d’un sentiment aussi notoire et infaillible comme ont les choses blanches et noires de montrer leur couleur, et les choses douces et amères de montrer leur saveur. » Op. cit., 1. I, c. vii, n. 2, p. 25. Il y a là une erreur, contraire même à l’expérience, et quand on admettrait ce « sentiment » , il ne serait pas un critère suffisant de la divinité des Écritures. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1835. Mais enfin avec cette erreur secondaire le motif de la foi peut subsister. — b) Le protestantisme est arrivé à s’écarter encore plus de la doctrine traditionnelle, en assimilant la foi elle-même à une expérience. Cette manière d’invoquer l’expérience détruit le motif propre et "la vraie nature de la foi. C’est Schlcicrmacher qui paraît être le véritable auteur de cette évolution du protestantisme, au commencement du xix° siècle. Sur lui et sur les auteurs d’autres systèmes, protestants et modernistes, qui confondent la foi avec une expérience, soit qu’ils conservent encore ou ne conservent pas de dogmes, voir Expérience religieuse, t. v, col. 1798-1804.

Une tentative des plus curieuses en ce genre, parce que, cherchant à concilier la foi-expérience avec la conservation orthodoxe de quelques dogmes fondamentaux, elle essaie ce tour de force, de les tirer de l’expérience même, et de l’expérience morale ordinaire, c’est le système de lu certitude chrétienne de Frank, 2e édit. revisée, Erlangen, 1884 ; trad. anglaise, Edimbourg, 1886. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1799, 1800. Cf..parmi les critiques protestants, H. Bois, De la certitude chrétienne, lassai sur la théologie de Frcuik, Paris, 1887. Ce « système » est présenté par son auteur comme une forteresse ou peut se réfugier le chrétien soucieux de sauver quelques dogmes : fondé sur une expérience certaine, il n’a pas besoin de documents historiques, de philosophie, et resterait debout, quand même les critiques arriveraient à démolir toute historicité des origines chrétiennes, quand même les scep ticiiics renverseraient 1 toute philosophie et réduiraient a néant ce qu’on appelle la raison naturelle. Op. cit.,

trad. anglaise, p. ION. Nous en donnerons l’analyse substantielle, qu’on ne trouverai ! pas ailleurs.

Voici d’abord le fait d’expérience. Dans sa conversion, le chrétien a conscience d’une transformation morale : un nouveau moi a succédé à l’ancien ; le vieil homme, caractérisé par la concupiscence, a cédé l’empire a l’homme nouveau de tendance contraire ; tout péché est un retour agressif de l’ancien mot. Op. cit.,

p. 117, 118, Puisque nous sentons le nmi naturel com103

FOI

I<)4

battre encore pour la suprématie perdue, il est clair que la nature ne peut par elle-même changer de volonté, qu’elle est rivée à la concupiscence et au mal : donc le moi nouveau avec sa volonté nouvelle n’est pas un produit de la nature, un fruit de l'évolution ; il vient du dehors, par le fait du christianisme. Il y a toutefois dans la nature même un vague besoin de cette transformation, une aspiration à sortir du mal ; mais dans le christianisme seul on peut trouver une pleine satisfaction de ce besoin moral ; la conscience chrétienne saisit en même temps ce besoin et sa parfaite satisfaction. Et puisque cette transformation morale répond au vœu de la nature, le chrétien constate que ce n’est pas en lui un phénomène morbide, accidentel, mais normal, p. 122-127. L’expérience fondamentale étant ainsi posée et comprise, il va. suffire d’en développer le contenu, pour retrouver tous les objets de foi dont se compose le christianisme, immanents ou transcendants :

a) Objeis immanents de la foi. — L’expérience cidessus renferme une condamnation du moi naturel, p. 192, une connaissance de la mauvaise nature comme péché habituel, p. 194 ; la nature humaine n’a pu être ainsi à l’origine : donc elle a dû être faussée, voilà le dogme du péché originel, p. 196 sq. Le nouveau moi, qui suppose la délivrance de la servitude du péché, n’est pas le produit du moi naturel : on entrevoit donc le dogme de la grâce et de la justification, p. 203, 205, 210. A l’expérience de cette délivrance, de cette régénération, l’acte de foi, en tant que justifiant, ajoute une réaction de la personne qui l’accepte comme nouvel état, qui s’y abandonne avec confiance et y trouve l’absolue satisfaction jusqu’alors cherchée en vain : acte moral primordial, par lequel le moi spirituel atteint son empire : continué, cet a(te caractérise le chrétien, et fixe la régénération à l'état habituel : voilà le dogme de la justification par la foi, p. 212 sq. Frank ne veut fondçr ni la foi ni l’espérance sur une révélation extérieure à laquelle la critique demanderr.it ses titres, et dont il veut à tout prix éviter la difiiicle preuve : il va donc s’efforcer d'étendre l’expérience au delà des limites du présent, jusqu'à l’avenir que le chrétien doit espérer, p. 219, 220. Mais comment peut-on expérimenter l’avenir ? Voici. Le bienheureux achèvement du ciel est déjà en germe dans ce commencement de notre régénération : car elle nous apparaît non seulement comme quelque chose d’actuel, qui est, mais comme quelque chose de normal, qui doit cire ; et la satisfaction absolue que nous en éprouvons ne se conçoit pas sans la certitude d’avoir rencontré le but suprême de la vie, et de posséder dans ce commencement un gage certain d’achèvement, puisque, sans l’achèvement, le commencement serait inutile. Voilà donc le dogme de la vie future, p. 221 sq. Les révélations de l'Écriture viennent ensuite utilement confirmer, compléter cette expérience personnelle, mais elles ont besoin de s’y appuyer, et ne sont pas le dernier fondement de notre foi et de notre espérance, p. 229, 293.

b) Objets transcendants de la foi. — D’abord, l’existence et la personnalité de Dieu. Le chrétien expérimente que sa régénération n’est pas le fait d’une évolution interne et personnelle, mais d’un pouvoir extérieur. « Vous avez été plus fort que moi, et vous l’avez emporté, tel est l’aveu du converti, » p. 307. Quel est ce pouvoir extérieur ? Ce ne peut être ni la nature brute et sans raison, étrangère à l’ordre moral, ni la faible humanité, le monde qui nous tenait captif dans ses chaînes, qui ait pu nous délivrer, p. 309, 311. L’absolue satisfaction que nous trouvons dans la régénération fait voir que le pouvoir régénérateur est l’Absolu, c’est-à-dire Dieu ; au surplus, l’infini seul peut nous satisfaire. Nous avons d’ailleurs conscience d’une

obligation absolue (impératif catégorique de Kant), p. 314. Que cet Absolu soit une personne morale, cela ressort de ce qu’il produit en nous des effets moraux, de ce qu’il a une influence morale, p. 317. Le deuxième objet transcendant, c’est la Trinité. Frank fait de longs et pénibles efforts pour distinguer dans le fait de notre régénération trois éléments attribuables à trois différentes personnes, toujours cependant dans l’unité de l’Absolu, p. 324 sq. Il avoue du reste que notre expérience n’atteint pas tout le dogme ecclésiastique de la Trinité, p. 346. Le troisième objet est la rédemption par un Dieu fait homme. Le converti sent que Dieu lui pardonne, donc une expiation a eu heu ; et une longue série de raisonnements tâche de montrer que cette expiation ne peut venir que d’un Dieuhomme, qui a satisfait pour nous à la justice divine, p. 349 sq. Voilà donc les principaux dogmes sortis spontanément du germe de l’expérience morale du chrétien.

Critique du système. — Nous reconnaissons volontiers dans cet essai d’apologétique nouvelle de l’originalité et de la puissance constructive ; et quelquesuns des raisonnements sont justes. Mais l’auteur luimême a prévu que « beaucoup de personnes » lui diraient : « C’est là une dangereuse méthode subjective de se convaincre de la vérité chrétienne ; et si, partant de l’expérience, vous avez la chance de rencontrer la révélation objective telle que Dieu l’a donnée, c’est parce que, sans le dire, vous en gardez devant vos yeux les principaux articles, qui déterminent d’avance les résultats de votre expérience prétendue. La vraie méthode pour ces vérités transcendantes, c’est de les tirer seulement de la révélation divine, de la sainte Écriture, ou de la tradition de l'Église et de recevoir avec foi ce qui a été ainsi obtenu, » p. 297. L’objection a du bon, et Frank n’y donne qu’une réponse évasive. Les théologiens catholiques, que les protestants accusent souvent de partir d’idées préconçues, ne se laisseraient pas, certes, influencer par les dogmes de leur Église jusqu'à truquer l’expérience pour les rejoindre, ou jusqu'à accepter en faveur de leur thèse des apparences de preuve aussi faibles que les accepte ce célèbre professeur de théologie protestante dans une grande université d’Allemagne.

En prenant le système à sa base même, à ce qu’on appelle « l’expérience fondamentale » , un théologien catholique, de prime abord, se méfiera de cette condamnation si sommaire du moi naturel. Est-ce réellement l’expérience qui montre à Frank ce pauvre moi comme si foncièrement mauvais ? N’est-ce pas plutôt le système préconçu de Luther sur les suites du péché originel, sur la nature humaine absolument corrompue et dégradée ? Voir Péché originel. Après avoir ainsi malheureusement identifié notre nature avec la concupiscence, avec la tendance foncièrement mauvaise, n’y a-t-il pas ensuite contradiction à lui supposer une aspiration au bien, un besoin moral ? Que voulez-vous ? L’auteur a besoin de ce besoin pour que la régénération chrétienne, en le satisfaisant, soit reconnue comme un phénomène normal, parce qu’elle répond au vœu de la nature (mauvaise ou bonne ?). Le chrétien, ajoute-t-on, éprouve en soi une transformation morale. Oui ; mais, les grands saints mis à part, cette transformation sensible n’est-elle pas exagérée ici ? La vie de la grande multitude des chrétiens n’est-elle pas perçue par eux-mêmes comme très imparfaite ? Ils ont conscience, dites-vous, que le christianisme donne au besoin moral une satisfaction absolue. Pour constater cet absolu, ils devraient mesurer ce besoin moral, mesurer aussi la satisfaction, variable d’ailleurs, qu’ils éprouvent, et comparer. Le font-ils ? Le peuvent-ils ? Qu’en estimant tout cela par approximation, ils aient une preuve assez probable de la

vérité du christianisme, soit : est-ce la « certitude » dont on nous parle ? Pour renforcer cette transformation, on imagine la production d’un « nouveau moi » qui, à vrai dire, n’est pas une donnée d’expérience » mais une phrase de rhétorique. Ce moi se compose, en fait, de quelques sentiments moraux ; si vifs soient-ils, ils passent, et n’empêchent pas même le retour de sentiments contraires ; il n’y a là que de l’accidentel, et non pas une nouvelle personnalité. Vous personnifiez un sentiment passager, comme le poète personnifie l’Amour ou l’Envie ; et ensuite, prenant la prosopopée au sérieux, vous prêtez à cette prétendue personne une conscience propre. Ce n’est pas le moi ancien, dites-vous, qui expérimente en lui une modification : c’est le moi « n’existant pas auparavant, qui est conscient et certain de lui-même, de sa production, » p. 138. Ailleurs vous avouez pourtant qu’il y a dans cette dualité, Duplicilùl, une grave difficulté non encore résolue, d’autant plus que ces deux moi ont des actes communs de connaissance et de volonté, p. 276. Ces deux moi prétendus ne démontrent donc sérieusement ni une chute originelle, ni une régénération surnaturelle ; même dans « l'état de nature pure » comme disent les théologiens catholiques, dans un ordre de choses où il n’y aurait eu ni péché originel ni régénération par la grâce, la nature si complexe de l’homme offrirait encore des luttes de sentiments, des batailles de passions, des conflits entre les tendances animales et la volonté raisonnable, et l’on pourrait encore dire avec le poète : « Je sens deux hommes en moi. »

Quant aux objets transcendants de la foi, si nous admettons volontiers que l’Infini seul peut rassasier pleinement le cœur humain, nous observons que cette « pleine et absolue satisfaction » est réservée à la vie future parce qu’elle implique la vision béatiflque, loin de pouvoir se confondre avec la joie d’un converti quelconque. Et si nous concédons une certaine valeur à la preuve de l’existence et de la personnalité de Dieu tirée de notre conscience morale, nous ne pouvons que nous étonner des extraordinaires déductions par lesquelles l’ingénieux docteur veut aboutir aux dogmes de la trinité, de l’incarnation et de la rédemption. Les scolastiqucs, accusés d’abuser de la déduction, sont ici grandement dépassés. « Le converti a l’expérience certaine du pardon divin. Donc il y a eu expiation offerte à Dieu par quelqu’un. » Le fait dont on part est contestable ; mais même en l’admettant, la conclusion qu’on en tire n’est pas solide : Dieu, s’il le voulait, pourrait pardonner sans expiation aucune, on ne prouvera jamais le contraire. Mais c’est surtout la prétendue « expérience de la vie future » qui est étonnante ! L’auteur confond constamment l’expérience avec ce que l’on peut en tirer par voie de déduction. Au reste, la déduction elle-même n’est pas juste : le commencement de la vie morale et chrétienne, si excellent soit-il, ne garantit pas l’achèvement, qui peut être arrêté et supprimé par la faute de l’homme ; ainsi en est-il de ceux « qui reçoivent avec joie la parole de Dieu…, et croient pendant quelque temps, puis succombent à l’heure de la tentation. « Luc, viii, 13.

Concluons : on n’atteindra jamais les dogmes chrétiens par une voie raisonnable et sérieuse, tant qu’on n’aura pas recours à la révélation extérieure, t.uil qu’enfermé en soi-même par un Individualisme féroce on s’acharnera à vouloir tirer ces dogmes d’une expérience psychologique ou d’une v (l u n c Immanente en éral, comme l’araignée tire d’elle-même son fil. lutin tout le système de ce protestant conservateur, en ramenant la foi chrétienne ; i une expérience, d< trait sa vraie nature, comme nous allons le voir.

I.' profe l.mts libéraux font : uisi <]e la foi une

expérience, et, dans son élément Intellectuel, une

Connaissance Immédiate : mais ils n’entendent pas,

comme Frank, que’cette expérience leur fournisse des dogmes, dont ils ne reconnaissent pas la valeur absolue et divine, et dont ils cherchent à se passer. Sur l'évolution du concept de la foi chez les protestants libéraux et sur l’histoire des systèmes contemporains qui sont appelés par eux « fidéisme, symbolisme, symbolo-fidéisme, » voir l’ouvrage très documenté de M. l’abbé Snell, Essai sur la foi dans le catholicisme et le protestantisme, Paris, 1911.

Parmi les modernistes, d’aucuns expliquent leur foi comme sortant d’une faculté intuitive, distincte de la raison, mais d’ailleurs ne dépassant nullement dans ses effets les phénomènes moraux ordinaires : « Les modernistes, disait M. Loisy, n’entendent point par sentiment l'émotion, ni par action un mouvement quelconque. Quand ils parlent du subconscient' et quand ils parlent de sentiment, ils entendent cette espèce de réserve où sont accumulées, au fond de notre être, des notions vagues et implicites qui sont comme en attendant l’occasion de se déterminer et de s’affirmer ; des aspirations indécises, qui sont comme prêtes à se dessiner et à s'élancer sur leur objet dès qu’il sera présenté ; tout un trésor secret d’activité, qui s'épanchera plus ou moins selon les occasions et le développement de l’initiative personnelle ; je ne sais quel sens qui n’est pas une puissance de raisonnement ni d’induction, mais une sorte de jugement intuitif sur la valeur des choses, faculté que secondera et guidera la raison, mais que la raison ne crée pas, car elle ne procède pas de la raison et sort comme elle du fond de notre nature. C’est ce sentiment-là, non l'émotion dont les théologiens de Sa Sainteté marquent à bon droit les insuffisances, qui est en jeu dans l’expérience morale, soutenant l’intelligence dans ses jugements, et la volonté dans ses opérations, jugements et opérations qui explicitent, pour ainsi parler, ce qui est, dans le sentiment, intelligence et volonté implicites… Cette expérience n’est pas autre chose que la vie morale. » Simples réflexions… sur l’encyclique, 1908, p. 245, 246. D’autres modernistes, au contraire, font de la révélation et de la foi une émotion avant tout, et une émotion extraordinaire, qu’ensuite l’intelligence humaine traduit à sa façon par des affirmations sans valeur objective ; ainsi G. Tyrrel. Voir Éludes du 20 avril 1908, p. 166 sq. En somme, avec les mêmes mots d' « expérience religieuse » et même de « sentiment » , il y a un modernisme froid et critique, et un modernisme échauffé et mystique.

Sous le nom d' « expérience religieuse » , d’autres auteurs contemporains, catholiques ou protestants, ont entendu cette expérience qui naît de la pratique quotidienne de la religion pendant un temps assez long : c’est de cette expérience-là qu’ils attendent la « foi » . C’est prendre l’augmentation de la foi, la vie de foi, les effets de la foi, pour la foi elle-même, qui a dû précéder. D’après eux, quand on n’a pas encore pratiqué sa religion, on n’aurait pas encore la « foi » : et pourtant nous voyons dans l'Écriture un homme qui. non seulement n’avait pas pratiqué la religion chrétienne mais l’ignorait, un prosélyte, après un catéchisme qu’on lui fait pendant une course en voiture, « croire. faire dans toute la force du terme un « acte de foi » , condition nécessaire du baptême qu’il reçoit aussitôt. Act., viii, 27 sq. Et la « foi » nous est présentée dans l'Écriture, les Pères et les conciles, non pas comme l’aboutissant de la pratique religieuse, mais comme l’introduction A cette ; pratique, et la première base des autres vertus et de toute l.i vie chrétienne. Voir col. 84-85. (.'est à ces documents de la révélation, ce n’est pas à notre fantaisie de déterminer ce que cet que la fol. et et que Dieu a voulu mettre au début de notre religion. I.< bon sens lui-même, du reste.

voit assez clalrement que, si l’on n’a pas tout d’abord

une croyance à telle religion plutôt qu'à telle autre, il n’y aura pas de raison pour se mettre à pratiquer celle-ci plutôt que toutes les autres ; qu’une expérimentation à l’aventure n’est pas licite en un sujet si délicat ; que les ministres d’une religion (et c’est spécialement le cas pour l'Église de Jésus-Christ) ne livrent pas ainsi leurs choses saintes au profane qui ne sait pas encore si elles sont saintes, par exemple, l’eucharistie ; cf. Matth., vii, 6 ; que la prière et le culte commun supposent la croyance de tous, et que, si l’on ouvrait sciemment la porte à l’incroyance, on ne pourrait maintenir dans une société religieuse l’unité sans laquelle elle périt. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1842-1846. Cf. Dieu, t. iv, col. 813 sq.

3° Le motif de la foi dans l'Écriture. — C’est toujours l’autorité du témoignage divin, quel que soit l’envoyé qui transmet ce témoignage, que ce soit le Christ luimême, ou un prophète, un apôtre.

1. La foi par l’intermédiaire de la prédication du Christ. — Relisons ce dialogue de nuit entre Jésus et Nicodème : « En vérité, en vérité, je te le dis : nul, s’il ne naît de nouveau, ne peut voirie royaume de Dieu. » Joa., iii, 3. L’interlocuteur prend cette naissance nouvelle en un sens matériel ; Jésus reprend son affirmation en la précisant, et lui explique qu’il s’agit d’une naissance toute spirituelle, invisible comme l’air, accomplie en nous par l’Esprit-Saint, 5-8. Il importe, en effet, que le chrétien, sans les pénétrer, ait une idée juste des mystères, tel qu’est ici celui de la régénération : ce ne sont pas de vaines formules, indifférentes à la vérité ou à l’erreur de l'âme. « Nicodème lui répondit : Comment cela se peut-il faire ? » 9. Il y a dans ce mot une surprise en face de l’inconnu, un étonnement dont Jésus s'étonne à son tour, car l’ignorance de Nicodème semble porter sur le fait même de notre régénération, et un docteur en Israël n’aurait pas dû ignorer le fait de cette transformation des âmes, qui renaissent par la puissance de Dieu à la vie spirituelle, 10. Il y a dans ce mot encore autre chose, la tendance de l’esprit raisonneur à la connaissance intrinsèque et profonde, le désir d’apprendre le mécanisme intime de cette régénération simplement affirmée par le Christ, et de comprendre à fond le mystère avant de l’admettre. Ici Jésus se redresse, et au lieu de fournir l’expérience, l’intuition ou du moins la science que voudrait ce docteur, il se plaint qu’on ne reçoive pas son témoignage, si compétent, si autorisé ; par cette plainte, il proclame que ce témoignage est à lui seul le motif qui doit suffire à croire : « En vérité, en vérité je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous attestons ce que nous avons vu, mais vous ne recevez point notre témoignage. Si vous ne croyez pas quand je vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous si je viens à vous parler de celles qui sont dans le ciel ? » 11, 12. Paroles qui nous font voir aussi l'équivalence entre ces deux expressions du Christ « croire » et « recevoir son témoignage » . Et le témoignage de Jésus se ramène pour son interlocuteur au témoignage de Dieu, car dès le début Nicodème a dit : « Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu pour nous enseigner, car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est pas avec lui, » 2. C’est donc Dieu luimême qui, par le miracle, comme par sa signature, garantit l’enseignement de son envoyé ; le témoignage de Jésus est donc le témoignage de Dieu, même pour un juif qui ne connaît pas encore le mystère plus relevé de l’incarnation. Concluons que le témoignage de Dieu est présenté ici comme motif suffisant et nécessaire de la foi : et il s’agit bien de la foi qui sauve, de la foi exigée pour le salut, et exigée non seulement de Nicodème mais de tous les hommes, 15, 16, 18.

La fin du même chapitre contient une explication doctrinale des plus importantes. Le témoignage du Christ y est avec une nouvelle insistance identifié au témoignage divin. Il « vient d’en haut » et « est au-dessus de tous ; et ce qu’il a vu et entendu, il l’atteste, < 31, 32. « Celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, parce que Dieu ne (lui) donne pas l’Esprit avec mesure ; le Père aime le Fils et il lui a tout remis entre les mains, » 34, 35. Mais pourquoi tant insister sur ce fait que c’est Dieu qui parle ? Parce que Dieu est le témoin véridique par excellence : ce que nous reconnaissons en pratique par le fait même de recevoir purement et simplement son témoignage, qui se confond avec celui du céleste envoyé : « Celui qui reçoit son témoignage, certifie que Dieu est véridique, » quia Deus verax est, 33 ; cf. viii, 26. Et « recevoir son témoignage » est la même chose que « croire en lui » . Comparez 32, 33 avec 36. « Et cette foi est salutaire et obligatoire, » 36. C’est donc la véracité divine, l’autorité de Dieu comme témoin, couvrant le témoignage de son envoyé, qui nous attire intellectuellement à croire, qui est le motif de la foi. Et comme le fait de croire honore la véracité divine, ainsi le fait de ne pas croire fait injure à cette véracité, en traitant Dieu de menteur. I Joa., v, 9, 10.

2. La foi par V intermédiaire de la prédication des apôtres. — Ce n’est point par la seule prédication du Christ que les hommes doivent » croire » , doivent faire l’acte de foi, mais par celle de son précurseur, Joa., i, 7, et surtout par celle de ses apôtres, xvii, 20. Les apôtres ont une mission divine, dérivée de celle de Jésus et semblable à la sienne, xx, 21. Ils sont envoyés comme des « témoins » . Luc, xxiv, 48 ; Act., i, 8, 32 ; x, 41, 42. Pour que leur témoignage se ramène au témoignage divin, pour que Dieu soit entendu en eux, ils sont inspirés et assistés par l’Esprit-Saint, suivant la promesse du Christ. Joa., xiv, 26 ; xvi, 12, 13 ; cf. Matth., x, 20.

Paul lui-même, quoique tardivement agrégé au collège apostolique, n’a pas reçu ni appris son Évangile d’un homme, d’un autre apôtre, mais du Christ ressuscité et glorifié, par révélation. Gal., i, 11. Cette parole divine par lui transmise, les fidèles ont raison de la recevoir « non comme parole des hommes, mais, ainsi qu’elle l’est véritablement, comme parole de Dieu. » I Thés., ii, 13. Sur ce texte, voir Prat, La théologie de S. Paul, IIe partie, 2e édit., 1912, p. 338. Pour que la croyance des fidèles garde ce caractère de foi à la parole de Dieu, l’apôtre évitera les raisons philosophiques, si persuasives soient-elles, dont l’abus pourrait changer en eux la foi divine en science humaine. En dépit du « sage » , du « docteur » , du « disputeur de ce siècle » , en dépit des Grecs qui « cherchent la sagesse » , les démonstrations philosophiques, I Cor., i, 20, 22, l’apôtre n’apporte point « les raffinements de la raison ou de la sagesse, » mais simplement promulgue « le témoignage de Dieu. » I Cor., ii, 1. Sa prédication ne s’appuie pas « sur les discours persuasifs de la sagesse (ou philosophie), mais sur la démonstration de l’Esprit-Saint et de la puissance divine, afin que votre foi repose, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu, » 4, 5. Ici sont indiquées les œuvres de la toute-puissance, les miracles moraux et physiques qui sont comme la signature du témoignage divin, qui font reconnaître Paul comme envoyé, et sa parole comme parole de Dieu ; c’est ce qu’il appelle ici la démonstration de la puissance et de l’Esprit (auteur du surnaturel), et ailleurs « les signes (ou preuves) de son apostolat…, les prodiges et les miracles » . II Cor., xii, 12. Ces preuves extrinsèques, qui servent à faire reconnaître le témoignage de Dieu, sont à l’opposé de toute preuve intrinsèque et philosophique des vérités révélées, comme aussi de toute in

tuition immédiate de ces vérités. De là une certaine captivité de l’esprit, car la pente naturelle de l’intelligence humaine est vers l’intuition autant que possible, ou du moins vers les raisons intrinsèques des choses, et elle n’aime pas à être emprisonnée dans la seule affirmation d’un maître, fût-ce Dieu. IICor., x, 5. Pourquoi Dieu a-t-il voulu exiger de nous une telle foi ? L’apôtre, aux endroits cités, en suggère trois raisons principales, qui achèvent de montrer clairement sa pensée sur le motif de la foi chrétienne : a) Il y a dans une telle foi une sorte d' « obéissance » de l’esprit, un hommage rendu au maître divin. II Cor., x, 5 ; cf. Rom., i, 5 ; xvi, 25. Quand nous croyons sur] la seule parole de quelqu’un, surtout une chose difficile à croire, nous honorons d’un hommage très spécial sa science et sa véracité. Aussi l’apôtre, comparant la foi chrétienne aux anciens sacrifices, parle-t-il du « sacrifice et de la liturgie de la foi, » ryj 6-jda x.où Xecroupi -îx -r, ; 7tî<TTêwç. Phil., il, 17. Ce culte spécial, où l’intelligence s’immole sous l’influence de la volonté, était bien dû à la raison suprême, au créateur de toutes nos facultés. Cf. concile du Vatican, sess. III, c. ni, Denzinger, n. 1789. — b) A cette raison fondamentale, saint Paul joint une raison contingente et d’ordre historique. Par leur faute, les sages du monde, les philosophes païens, si célèbres qu’ils soient, n’ont pas su trouver Dieu. Cette banqueroute de la philosophie a été pour Dieu l’occasion de mépriser une science orgueilleuse et dévoyée, et de fonder le salut des âmes sur une autre espèce de connaissance, plus humble. I Cor., i, 21 ; iii, 18 sq. ; cf. Rom., i, 18-22. — c) Si la foi chrétienne a pour objet des mystères, dont la raison philosophique ne peut ni démontrer l’existence, ni comprendre l’essence (même après révélation), la foi chrétienne ne peut être ni une intuition ni une démonstration philosophique, ce qui enlèverait à ces vérités leur caractère mystérieux : elle ne peut être qu’une connaissance extrinsèque, appuyée sur le témoignage de Dieu, qui nous livre le fait (par exemple, l’incarnation) sans nous en expliquer le mode intime, et en laissant ainsi la vérité enveloppée d’ombre. Or, la foi chrétienne a pour objet des mystères : Nous prêchons, dit saint Paul, une sagesse de Dieu qui est dans le mystère, qui est cachée… qu’aucun des princes de ce monde n’a connue, » etc. I Cor., ii, 7-9. Ces secrets de Dieu, appartenant aux profondeurs de sa vie intime ou de ses décrets miséricordieux, échappaient à notre raison beaucoup plus que ne lui échappent les secrets des autres hommes. Pour les faire connaître à l’humanité, il fallait donc que Dieu les communiquât luimême, ce qu’il a bien voulu faire : Dieu nous a révélé (ces mystères) par son Esprit ; car l’Esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu… Nous en parlons, non avec les paroles qu’enseigne la sagesse humaine, niais avec celles qu’enseigne l’Esprit, » 10-13. Cf. Mallli., xi, 27 ; Joa., i, 18. En vertu de ce raisonnement, on peut dire que le motif essentiel de la foi est implicitement indiqué dans la définition quidonne l'Épltre aux Hébreux, xi, 1, par le fait que la foi y est ippelée » une conviction des choses que l’on ne voit [las, c’est-à-dire des choses que l’on ne peut voir,

comme l’entendent plusieurs Pères,

Enfin, quand saint Paul Veut donner un grand exemple de |, i foi qui Justifie, il choisit Abraham et nous le montre croyant à Dieu, sur la parole de Dieu,

credidit Abraham Deo, voila donc bien le motif essentiel de la foi.

4° Le mol if de la foi ( lirz 1rs Pires. Il est à regret 1er que h l’i lui et les Thoinassin n’aient pas poussé

lusqu'è la question de la foi leurs magistrales études de théologie positive sur les Pères. Nous avons essayé

d’y suppléer SOii par l'étude directe des sources, soit

en glananl ça et là chez les théologiens et dans plu sieurs ouvrages modernes, comme nous l’avons déjà fait, col. 78 sq. Les citations des Pères ont en outre l’avantage de nous familiariser avec leur style, de nous montrer en quel sens ils opposaient la foi et la raison » , etc.

1. L’idée que les Pères se faisaient du motif de la foi apparaît déjà dans le rapprochement qu’ils établissent entre la foi divine et ce que l’on a souvent appelé la foi humaine, c’est-à-dire le fait indispensable de s’en rapporter à autrui sur quantité de choses que l’on ne peut vérifier soi-même. On peut dire que ce rapprochement est un lieu commun de l’enseignemer.t patristique.

Dès le iie siècle nous le trouvons, par exemple, dans saint Théophile d’Antioche ; il y fait ressortir cet élément de confiance présupposé par la croyance sur parole, voir plus haut, col. 109 : « Tu ne crois pas à la résurrection des morts… Ignores-tu que la foi marche avant toutes choses ?… Quel malade pourra guérir, si d’abord il ne se confie pas à un médecin ? Quel art, quelle science pourra-t-on apprendre, si d’abord on ne se confie pas à un enseignement, si l’on ne croit pas à un maître ?… Et tu ne veux pas te fier à la parole de Dieu, qui t’a donné tant de gages ? » Ad Autol., 1. I, n. 8, P. G., t. vi, col. 1036.

Clément d’Alexandrie dit que la foi est un assentiment à un témoignage imposant ; que la voix de Dieu, auteur des Écritures, y sert de démonstration. Voir les textes à l’art. Clément d’Alexandrie, t. iii, col. 189. Il dit qu'à la parole de Dieu, jetée aux hommes par les apôtres, doit répondre en nous la foi, pour que cette parole produise son effet utile : « De même que le jeu de paume ne dépend pas seulement de celui qui jette la balle avec art, mais encore de celui qui la reçoit avec eurythmie. » Slrom., II, c. vi, P. G., t. viii, col. 960. Enfin il rapproche la foi chrétienne de la croyance des pythagoriciens à la parole du maître : « Tandis que les disciples de Pythagore, sans réclamer les démonstrations philosophiques de ses doctrines, basaient leur croyance sur ce seul mot : Le maître l’a dit, aOxb ; e ?a, et regardaient ce mot comme une preuve suffisante de l’enseignement reçu, pour des amis de la vérité ne serait-il pas absurde de se méfier d’un maître bien autrement digne de foi, le Sauveur notre Dieu, et d’exiger qu’il prouve ce qu’il affirme ? » Slrom., II, c. v, P. G., t. viii, col. 957. Cette comparaison avec les pythagoriciens sera reprise par saint Jean Chrysostome, In I Tim., homil. i, n. 3, P. G., t. lxii, col. 507, et par Théodoret, Grsec. affect. curatio, homil. i, De fl.de, P. G., t. i.xxxiit, col. 805.

F.ncore au n c siècle, le païen Celse témoigne à sa façon du concept de la foi chez les chrétiens d’alors : « Il en est parmi eux qui, ne voulant pas appliquer la raison aux choses qu’ils croient, ont cette maxime à la bouche : N’examine pas, mais crois ; la foi te sauvera, i Origènc, Conl. Ccls., 1. I, n. 9. P. G., t. xi, col. 672. Origène, qui nous a conservé ce passage de Celse. montre ensuite que cette foi simple est seule raison nable, puisqu’il est impossible à la grande majorité des hommes de laisser les affaires de la vie pour s’adonner aux loisirs de la philosophie, i C’est, dit-il, la méthode donnée par.lésus à tous les peuples, el la

seule qui soit pratique. 1 demandez à cette multitude de croyants, sortis du crime et de la boue, s’ils n’ont pas mieux fait de transformer leur vie par la foi aux châtiments de Dieu et aux récompenses divines,

sans chercher les raisons des choses - plutôt que

d’avoir méprisé la foi simple et retardé Indéfiniment

le changement de leurs muni-, sous prétexte de se

livrer ; ï de savantes recherches sur ces questions, méthode qui sans doute les aurait laissés presque tous dans une détestable Vie. i El après RVOir donné celle

merveilleuse transformation des mœurs païennes

tomme une preuve de la divinité du christianisme, il observe que les savants du paganisme, eux aussi, quoique sans l’avouer, partent de la foi simple pour décider de toute leur philosophie : « S’ils s’attachent à telle ou telle doctrine philosophique, c’est qu’ils ont rencontré d’abord un maître qui leur a plu et auquel ils se fient… Ne vous imaginez pas qu’ils aient étudié à fond les doctrines de toutes les écoles, leurs preuves, leurs réponses aux objections, avant de se décider à être plutôt platonicien que péripatéticien, plutôt stoïcien qu'épicurien, » col. G73.

Au iiie siècle, outre Origène que nous venons d’entendre, saint Cypricn compare la foi chrétienne à celle que nous donnons aux promesses d’un homme grave et honnête. Voir plus haut, col. 90. Arnobe reproche aux savants du paganisme de bafouer l’acte de foi des chrétiens, tandis qu’eux-mêmes font des actes semblables, et bien moins fondes : « Qui de vous ne croit pas sur l’autorité de tel ou tel ? Ceux d’entre vous qui expliquent l’origine du monde par le feu ou par l’eau n’en croient-ils pas Thaïes ou Heraclite ? » Et après de nombreux exemples : « Vous croyez sur la parole de Platon, de Cronius, de Numénius, ou de tout autre : nous croyons, nous, sur la parole du Christ… Et s’il faut établir un parallèle, il nous est plus facile de montrer ce qui nous a décidé à croire sur parole le Christ, qu'à vous de montrer ce qui vous a portés à croire ainsi tel philosophe. Ce qui nous a frappé en lui, ce sont ces œuvres magnifiques, ces énergies puissantes, qu’il a montrées par divers miracles bien capables d’amener tout homme à se sentir obligé à croire, en reconnaissant queces œuvres ne viennent pas de l’homme, mais d’une puissance mystérieuse et divine… Mais qui de vos philosophes a jamais pu, d’un seul mot, guérir un furoncle, ou tirer une épine d’un pied ? » Adversus génies, 1. II, n. 9-11, P. L., t. v, col. 824 sq.

Au ive siècle, c'étaient les manichéens qui, à leur tour, attaquaient la foi et vantaient la science, même en matière religieuse. Augustin, entraîné par leurs fallacieuses promesses de science, avait d’abord méprisé l’acte de foi ; il en revint, nous dit-il dans ses Confessions, lorsqu’il se mit à réfléchir au grand rôle que joue dans le monde la croyance au témoignage cl’autrui, histoire, géographie, etc. Conf., 1. VI, c. v. P. L., t. xxxii, col. 722. Saint Augustin conçoit doncla foi chrétienne comme une croyance au témoignage ; de même que le public à peine initié à l’immensité des sciences naturelles s’en rapporte aux affirmations de quelques savants, de même, dépaysés que nous sommes tous en face de l’au-delà et de tant d’autres mystères, nous nous en rapportons à l’affirmation de Dieu qui est là dans son propre élément. « Le Seigneur, dit-il, voit d’avance (le jugement dernier), et vous ne le voyez pas… Mais celui qui en a la science ne vous l’a pas caché. C’est avoir part à la science, que d’approcher celui qui sait. Dieu a les yeux de la science : ayez ceux de la croyance. Ce qu’il voit, croyez-le. » Enarr., ii, in ps. xxxvi, n. 2, P. L., t. xxxvi, col. 364. Saint Hilaire avait déjà dit : « Quand il s’agit des choses de Dieu, accordons à Dieu de se connaître lui-même, et soumettons notre esprit à ses paroles avec une pieuse vénération ; il est un témoin compétent sur soi, celui qui ne peut nous être connu autrement que par soi. » De Trinitate, 1. I, n. 18, P. L., t. x, col. 38. Le rapprochement entre la foi divine et la foi humaine passe jusque dans les catéchèses, jusqu'à l’explication du mot credo dans le symbole ; ainsi S. Cyrille de Jérusalem, Cal., v, P. G., t. xxxiii, col. 508 ; Rufin, Comment, in symbol. apost., n. 3, P. L., t. xxi, col. 340.

2. Le motif de la foi chrétienne ressort encore de l’opposition, fréquente chez les Pères, entre la foi et la raison. Sans doute, il ne faut pas exagérer cette opposition. Les Pères, comme nous l’avons déjà vu

chez Clément d’Alexandrie, Origène, Arnobe, et comme nous le verrons chez d’autres, n’entendent pas exclure la preuve de ce fait, que Dieu a parte ; au contraire, ils allèguent pour cela les miracles du Christ, la transformation de, mœurs produite par le christianisme, et tout ce qui, derrière le Christ, montre Dieu qui l’envoie : ce qu’ils éliminent du motif de la foi, sous le nom de « raison » , ce ne sont pas ces raisons de croire, c’est seulement la démonstration intrinsèque du dogme ; ce qu’ils attaquent, c’est une critique, qui ne se contenterait pas de l’affirmation de Dieu, même reconnue comme telle, et qui mettrait l’envoyé divin en demeure de démontrer ce qu’il affirme, comme on le demande à un professeur de mathématiques ou de philosophie. Mais enfin les Pères veulent une certaine opposition entre la foi et la raison, et en cela ils contredisent nos présents adversaires, qui, au moins pour la plupart, n’en peuvent admettre aucune : car si la foi était une simple expérience psychologique, ou un ra-'sonnement philosophique, ainsi que l’ont pensé les protestants rationalistes et les semi-rationalistes comme Gùnther et Hermès, où trouver en elle une opposition quelconque avec la raison, avec les procédés rationnels ? Donnons quelques exemples de cette opposition, où les Pères expliquent d’ailleurs le motif de la foi.

Saint Ambroise se demande pourquoi la foi d’Abraham a servi à sa justification et à son salut. C’est, répond-il, « parce qu’il n’a point demandé de raison, mais a cru d’une foi très prompte. Il est bon que la foi prévienne la raison : n’ayons pas l’air d’exiger de Dieu des raisons, comme nous le ferions pour un homme. Quelle indignité, de croire les témoignages humains sur d’autres hommes, et de ne pas croire les oracles de Dieu sur lui-même ! » De Abraham, 1. I. n. 21, P. L., t. xiv, col. 428. Cf. De excessu Satyri, 1. II, n. 89, P. L., t. xvi, col. 1340. « C’est supprimer les disputes, dit saint Éphrem, que d’interposer l’autorité de Dieu. Entre l’homme et Dieu, ce n’est pas la spéculation rationnelle, c’est la foi qui est exigée. Tu honores Dieu, si tu crois à son témoignage, tu l’offenses, si tu discutes separoles ; quand tu veux traiter avec Dieu, à toi s’offre la simple foi, pour croire s, parole véridique, et puis l’humble prière, pour te rendre propice sa divinité. » Adversus scrutalores sermones très, serm. i, Opéra, Rome, 1743, t. m (sijriace et lat.), p. 179.

La foi est affaire d’autorité, d’après saint Augustin : Quod intellic/imus, debemus ralioni : quod credimus, auctoritati. De ulilitate credendi, c. xi, P. L., t. xlii, col. 83. Parmi les moyens de preuve, on distingue parfois les autorités et les raisons : c’est la même distinction qui règne ici. Ratio, quand ce mot est opposé à auctorilas, signifie une raison intrinsèque et philosophique ; et intelligere, quand il s’oppose à credere, signifie approfondir philosophiquement une question, ne pas seulement admettre l’existence d’une chose, mais en scruter l’essence et le mode intime ; bien que ces mots, dans un sens plus large mais fréquent, puissent s'étendre jusqu'à la foi, à cause de sa certitude et de son caractère intellectuel et raisonnable. Cf. S. Augustin, Retract., 1. I, c. xiv, P. L., t. xxxii, col. 607. Du reste, Augustin s’explique ici lui-même, quand il oppose la méthode catholique à celles des manichéens : « Ils disaient que, sans effrayer les esprits par une religion d’autorité, ils conduiraient à Dieu leurs auditeurs par la simple raison, et les délivreraient de toute erreur. Qu’est-ce qui m’a poussé à mépriser, âgé de neuf ans, la religion que mes parents m’avaient donnée, pour suivre ces hommes en disciple attentif ? C’est qu’ils disaient qu’on nous effrayait par la superstition, qu’on nous commandait la foi avant la raison, tandis qu’ils ne forçaient, eux, personne à croire

avant d’avoir discuté la vérité, et de l’avoir dégagée de toute difficulté. » De ulililate credendi, c. i, col. C6. « A ceux qu’ils séduisent, ils promettent de rendre raison des choses les plus obscures : et ce qu’ils reprochent surtout à l'Église catholique, c’est de dire à ceux qui viennent à elle qu’il faut croire… Ce n’est pas qu’ils aient pour eux rien de solide ; mais ils cherchent à attirer les gens par le grand mot de raison. » Op. cit., c. ix, col. 79. Le Christ ne faisait pas comme eux : il demandait la foi, non toutefois sans avoir prouvé sa mission divine : « A quoi tendaient ces miracles si grands et si nombreux, sinon, comme il le disait lui-même, à faire croire en lui ? C’est par la sottise de la foi qu’il conduisait les âmes ; vous, c’est par la raison… Il louait les croyants, vous les blâmez… Par des miracles il s’est concilié l’autorité, par l’autorité il a mérité la foi, par la foi il a réuni la multitude. » Op. cit., c. xiv, col. 88. On voit qu’en face de celui qui se donne comme envoyé divin, saint Augustin veut l’enquête extérieure par les miracles qui prouvent sa mission, mais non l’enquête intérieure par la discussion des vérités qu’il prêche.

Saint Pierre Chrysologue résume l’antithèse en deux mots : Qui fidem quærit, rationem non quærit. Serin., lviii, P. L., t. lii, col. 360.

De même pour les textes ou les Pères opposent la foi à la vision ou à l’intuition, à l’expérience, à la démonstration ou science. Nos adversaires, qui font de la foi une intuition, ou une expérience, ou une science, ne peuvent s’accorder avec ces textes, dont voici quelques exemples.

a) Opposition de la foi à l’intuition. — « Si la foi est la conviction des choses que l’on ne voit pas, pourquoi voulez-vous voir son objet, et perdre ainsi la foi, et par suite l'état de justice, puisque le juste vit de la foi ? » S. Chrysostomc, In Heb., homil. xxi, P. G., t. lxiii, col. 151. Quid est fides, nisi credere quod non vides'.' dit saint Augustin, In Joa., tr. XL, n. 9, P. L., t. xxxv, col. 1690. Ailleurs, il donne toute sa pensée : « La différence entre voir et croire est-elle suffisamment exprimée par cette formule : ce qui est présent est vii, ce qui est absent est cru ? Oui, peut-être, si nous entendons ici, par présent, ce qui est à la portée de nos sens extérieurs ou de notre sens intime, quæ pra-sto sunl sensibus sive animi sive corporis… C’est ainsi que je vois cette lumière et ma volonté : l’une tombe sous le sens extérieur, l’autre sous le sens de l'âme, clic m’est intérieurement présente. Au contraire, si quelqu’un, dont la figure et la voix me sont présentes, me signifie sa volonté, cette volonté qu’il me signifie est cachée a mes sens extérieurs et à mon sens intime, aussi je ne la vois pas, j’y crois : ou bien, si je pense qu’il ment, je n’y crois pas, quand bien même clic est peut-être comme il le dit. On croit donc ce qui est absent à l'égard de nos sens, si le témoignage qui en est rendu paraît suffisant… Si pourtant la chose absente a été vue par nous autrefois, et si nous sommes c.-rtains de l’avoir vue, il ne faut pas la mettre dans la caté gerie de ce que l’on croit, mais de ce que l’on voit ; nous la connaissons, en effet, non par des témoins auxquels nous ayons ajouté foi, mais par un souvenir certain

que nous l’avons vue. « Episl., cxlvii, ad l’aiilinam, i. ii, /'. /.., t. xxxiii, col. 599.

b) Opposition de la foi à l’expérience. — « Dieu, dit saint Èphrem, a écril (dans la Bible) qu’il a crééle monde, el vous avez eu foi à son affirmation ; or, voilà un fait qui ne vous était pas connu par l’expérience personnelle : quel motif vous a ibnr amené a croire l’inexploré ' D’ailleurs, si vous aviez suivi l’expérience comme guide, vous n’auriez pas la foi. L’expérience

n antagonisme avec la foi. Loc. cil. L’Africain l’un que d’Adruméte vers le milieu du r

si' 'le. dit dans un remarquable commentaire sur

l'Épître aux Hébreux : « La foi, c’est croire les choses que l’on ne voit pas… Dans celles que l’on voit, on ne peut pas dire qu’il y ait ni croyance ni incrédulité, mais plutôt expérience, agnilio… La foi est l’argument des choses qui ne peuvent apparaître : celles qui apparaissent ne s’adressent plus à la foi, mais à l’expérience. Quand Thomas voyait, quand il palpait, pourquoi lui est-il dit : Quia vidisli me, credidisti ? Mais autre chose est ce qu’il a vii, autre chose ce qu’il a cru. La divinité ne pouvait être vue par un homme mortel. Comment donc a-t-il cru en voyant ?. En voyant l’homme, il a confessé par son exclamation le véritable Dieu, qu’il ne pouvait voir. » In Heb., xi, P. L., t. lxviii, col. 758. Ce passage a été verbalement reproduit par saint Grégoire le Grand, In Evang., homil. xxvi, n. 8, P. L., t. lxxvi, col. 1202. Il y ajoute ce trait : Fides non habet meritum, si humana ratio præbct expcrimentum.

c) Opposition de la foi à la démonstration et à la science. — On la trouve fréquemment dans Clément d’Alexandrie : « Celui qui croit les divines Écritures avec un jugement ferme reçoit, en guise d’incontestable démonstration, la parole même de Dieu, auteur des Écritures. Ainsi par la démonstration (proprement dite, philosophique) la foi ne pourrait acquérir plus de fermeté qu’elle en a. » Strom., II, c. il, P. G., t. viii. col. 941. La foi est donc plus excellente que la science, et doit lui servir de critérium. II, c. iv, col. 948. » Qui donc serait ennemi de Dieu jusqu'à refuser de le croire sur parole, et à réclamer de lui des démonstrations comme on en demande aux hommes ? » V, c. i, P. (>., t. ix, col. 16. « L’apôtre veut que notre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes qui se font forts de convaincre, mais sur la puissance de Dieu, qui seule et sans démonstrations peut sauver pas la simple foi, » ccl. 21.

Les Pères disent qu’on peut avoir la foi sans la science : ils ne sauraient donc confondre ces deux choses. — Exemples : « Il vaut mieux croire à Dieu en ne sachant rien du tout, et persévérer dans son amour. que tomber dans l’impiété par le raffinement de questions subtiles. » S. Irénée, Conl. hær., 1. II, c. xxvi. P. G., t. vii, col. 800. « Il est non seulement excusable, mais méritoire d’ignorer l’objet que l’on croit. » S. Hilaire, De Trinilatc, 1. VIII, n. 10. /'. /.., t. x, col. 242. « Il vaut beaucoup mieux posséder par une foi simple une parcelle de vérité, si petite soit-elle, que de perdre le tout en de savantes discussions ; acquérir avec ignorance la vie éternelle, que de tomber avec science dans la mort éternelle. Quand vous avez soif, il est plus important de boire, que de mesurer la fontaine. » S. Ephrem, Adv. scrulatores, serin. LXVII, Opéra, t. m. p. 129. Turbam non intelliqendi vivacitas, sed credendi simplicitas lutissimam facit. s. Augustin. Contra episl. fundam., c. iv, /'. /.., t. xui, col. 175 Cf. S. Zenon de Vérone, tr. I, De fuie, P. /.., t. xi. col. 256.

.'i. Les Pérès rejettent de la foi la curiosité, cette

propriété de la science ou de l’intuition, la curiosité

qui cherche le comment et le pourquoi : et c’est encore

une occasion pour eux d’affirmer le motif spécifique de la foi. i I.'objet de foi, dit saint Athanase, s’adresse à la connaissance, niais non à la curiosité. Quand les

disciples entendirent ces mois : Baptisez-les au nom

du Père et du Iils et du Saint-l'.spi ii, ils ne se demandèrent »as avec curiosité pourquoi le Plia en second lieu et l’Esprit en troisième, on en général, pourquoi une Trinité : mais ils crurent scion ce qu’ils avaient entendu, i Epiit., iv, ait Sempionem, n. 5, /'. G.,

i. xvi, col. 643. Saint c.iit vsosionie, expliquant Rom., t. 5, <iii Quand le Seigneur affirme, les audl

leurs ne doivent pas sauter curieusement la chose

affirmée, mais seulement la recevoir. Les apôtres ont

été envoyés pour dire ce qu’ils ont entendu, non pour ajouter du leur ; et nous, nous n’avons qu'à croire. » In Kpist. ad Rom., homil. i, n. 3, P. G., t. lx, col. 398C’est ce que répète sans cesse saint Éphrem dans ses discours contre les scrutateurs des mystères, par exemple : « Ne te jette pas témérairement dans les mystères : tu te noierais dans l’océan. Prends pour barque la foi et la doctrine que Dieu a donnée, consignée dans les Livres saints ; ta navigation sera sûre comme dans un port. » Adv. scrutât., serm. lxix, Opéra, t. iii, p. 132 Ce mot des Juifs : « Comment se peut-il faire qu’il nous donne sa chair à manger, » Joa., vi, 52, est ainsi jugé par saint Cyrille d’Alexandrie : « Eux qui auraient dû recevoir aussitôt les paroles du Sauveur, dont ils avaient connu par les miracles précédents la divine vertu et l’invincible puissance… les voilà qui prononcent ce comment, insensé quand il s’agit de Dieu ; comme s’ils ignoraient qu’il y a là un grand blasphème ! … Pour nous, en recevant les divins mystères, nous devons avoir une foi sans curieuse recherche, 7IÎ1TIV àÇv)Tï]Tov, et ne pas jeter sur les paroles divines ce comment, mot judaïque et digne des peines futures. » In Joa., 1. IV, c. ii, P. G., t. lxxiii, col. 573.

De cette étude des Pères, concluons que l’autorité suréminente du témoignage divin est le motif suffisant et nécessaire de la foi chrétienne, ce que saint Léon a exprimé d’un mot : « C’est à l’autorité divine que nous croyons. » Serm., vii, de nativit., c. i, P. L., t. liv, col. 216.

Le motif de la foi dans les documents ecclésiastiques.

1. Définition de la foi, d’après le concile du

Vatican :

Hanc vero fidem, quse humanæ salutis initium est, Ecclesia catholica profitetur virtutem esse supernaturalem, qua, Dei aspirante et adjuvante gratia, ab eo revelata vera esse credimus, non propter intrinsecam rerum veritatem naturali rationis lumine perspectam, sed propter auctoritatem ipsius Dei revelantis qui nec failli nec fallere potest. Sess.III, c. iii, Denzinger, n. 1789 (1638).

Cette foi, qui est le commencement du salut de l’homme, l'Église catholique professe que c’est une vertu surnatuielle, par laquelle, prévenus et aidés de la grâce de Dieu, nous croyons vraies les choses qu’il a révélées (les admettant) non pas à cause de leur vérité intrinsèque (qui serait) pénétrée au moyen de la lumière naturelle de la raison, mais à cause de l’autorité de Dieu même qui les a révélées et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper.

La première partie de cette définition se tient dans l'élément générique de la foi. Surnaturalité, et secours de la grâce, élément commun à toutes les vertus infuses. Croire qu’une chose est vraie, élément très général dans la connaissance humaine. La seconde partie arrive à l'élément différentiel et spécifique, et c’est ce qui nous intéresse actuellement. Dès que le concile a parlé de croyance, vera esse credimus, vient naturellement la question : A cause de quoi tenonsnous ces choses pour vraies ? C’est la question du motif intellectuel : c’est à cause de lui, propter, que nous affirmons, nous ne pourrions affirmer sans un motif intellectuel, il met en mouvement l’esprit, il cause la connaissance, l’assentiment. Or, ici, le concile oppose deux motifs entre eux, celui de la connaissance intrinsèque, et celui de la connaissance extrinsèque ou d’autorité. Voir ci-dessus, col. 99 sq. Et comme il emploie le mot technique lui-même, intrinsèque, on peut dire qu’il consacre la distinction des deux modes de connaître donnée en ces termes par les théologiens modernes ; les conciles emploient à l’occasion le style théologique de leur temps. D’autant plus que la connaissance « intrinsèque » , comme l’entendent les théoJogiens modernes d’une connaissance soit d’intuition

et d’expérience, soit de démonstration philosophique par les causes et les effets, est encore désignée ici par le mot perspectam, qui n’indique pas une vue quelconque de la vérité, mais une vue à fond, une vue qui pénètre (per, à travers) ; et aussi par les mots naturali rationis lumine, qui se disent de l'évidence naturelle, ou de la raison philosophique et de ses preuves (comme au chapitre précédent, Denzinger, n. 1785). A tout cela le concile oppose 1' « autorité de Dieu » comme seul motif de la foi qui conduit au salut : motif extérieur à l’essence des choses, et qui nous les fait connaître par le dehors, en sorte qu’en croyant sur la parole de Dieu qu’elles existent, nous ne les pénétrons pas, et qu’elles peuvent nous rester mystérieuses.

Mais quel est, dans cette définition du Vatican, le sens précis du mot auctoritatem' ! L' « autorité » , dans sa notion la plus vague et la plus générale, est une certaine excellence qui appartient à une personne, ou à un groupe de personnes, et qui consiste à pouvoir influer sur les autres pour s’en faire suivre. Deux espèces d’autorité, celle du supérieur et celle du témoin. L’autorité du supérieur, à travers l’intelligence, s’adresse à la volonté et à l’action ; c’est un pouvoir d’influencer la volonté libre par l’obligation morale et par les sanctions, afin qu’ensuite la volonté actionne les membres et les diverses énergies de l’homme : qu’il s’agisse du commandement donné à un particulier, ou de la loi donnée à toute une société. A cette autorité répond l’obéissance. L’autorité du témoin s’adresse à l’intelligence, et consiste en certaines qualités du témoin qui influencent les esprits de manière à leur faire recevoir son témoignage, tenant pour vrai ce qu’il atteste. A cette autorité répond la croyance. De même que l’inférieur, à cause de l’autorité de celui qu’il reconnaît comme supérieur, conforme sa volonté à la sienne, ce qui est l’obéissance proprement dite, de même celui qui entend un témoin, s’il est convaincu de la compétence et de la véracité de ce témoin, conforme son jugement au sien. La foi, en ce qu’elle tient pour vrai ce que Dieu a attesté, a donc une véritable analogie avec l’obéissance, ce qui explique le mot de saint Paul, obedienlia fidei, mais elle n’est pas l’obéissance proprement dite, parce que le concept de témoin ne se confond pas avec celui de supérieur : un témoin, qui par ses qualités influence notre esprit, peut être hiérarchiquement notre égal et même notre inférieur. Il peut aussi être notre supérieur, et ainsi en est-il de Dieu quand il témoigne : [mais il reste alors vrai que, si je considère Dieu précisément comme témoin, je fais abstraction de sa puissance de commander. Cette puissance par son commandement pourra influencer ma volonté, voire même dans l’acte de foi pour que la volonté y fasse bien sa partie ; mais si l’acte de foi est pris dans son seul élément intellectuel, comme nous l’avons pris jusqu’ici, l’intelligence ne peut évidemment être influencée que par un motif intellectuel, tel que l’affirmation de celui qui est la vérité même, Prima Veritas, comme dit saint Thomas.

Le concile lui-même prend soin de nous indiquer ce qu’il entend ici par « autorité de Dieu » . Il ne dit pas : propter auctoritatem Dei imperantis, mais revelanlis, mot qui signifie une communication de vérité à l’intelligence. Et pour mieux expliquer le motif de la foi, il développe cette auclorilas en indiquant les qualités de Dieu qui font alors impression sur nous : qui nec falli nec fallere potest. Science parfaite, ennemie de toute erreur, nec falli ; véracité parfaite, ennemie de tout mensonge, nec fallere. Or la science et la véracité sont regardées par tous les logiciens et les critiques, et même par le simple bon sens, comme les deux qualités essentielles d’un bon témoin : il faut qu’il sache ce dont il parle, et qu’il le transmette comme il le sait, avec sincérité. En énumérant ces deux qualités, le concile

montre donc qu’il entend le mot auctoritas non pas de

l’autorité du supérieur, mais de l’autorité du témoin.

2. Canon correspondant, dans le concile du Vatican :

Anathème à qui dirait que la foi divine ne se distingue pas de la science naturelle de Dieu et des choses morales, et par conséquent qu’il n’est pas besoin pour la foi divine qu’une vérité révélée soit crue à cause de l’autorité de Dieu qui révèle.

Si quis dixerit fidem divinam a naturali de Deo et rébus moralibus scientia non distingui, ac propterea ad fidem divinam non requiri ut revelata veritas propter auctoritatem Dei revelantis credatur, anathema sit. De fide, can. 2, Denzinger, n. 1811 (1658).

Quelles erreurs sont ici condamnées ? Une note qui accompagnait le schéma de la commission prosynodale, voir Vacant, Études… sur le concile du Vatican, t. ii, p. 30, 31, nomme le rationalisme, et le semi-rationalisme d’Hermès et de Giinther. Ils confondaient la foi chrétienne avec la « science naturelle de Dieu, » que nous appelons théodicée, et avec « la science naturelle des choses morales, » que nous appelons éthique ou philosophie morale. Pour eux, un argument d'éthique ou de théodicée, s’il produisait la conviction, produisait un véritable acte de foi et en était le motif. Par une conséquence logique, signalée par le concile, ils niaient que l’autorité du témoignage divin, de la révélation divine, fût le motif nécessaire de notre foi. Or, l'Église condamne ici et la confusion foi-science, qui est le point de départ, et l’erreur sur le motif de la foi, qui est la conséquence et le point d’arrivée, l’une à cause de l’autre et dans sa liaison avec l’autre. D’où l’on peut inférer que cette sévère condamnation ne tomberait pas sur une doctrine qui soutiendrait seulement l’une de ces deux erreurs, sans liaison avec l’autre ; ce qui se rencontre, par exemple, dans tel ou tel ancien scolastiquc assignant mal le motif de la foi sans pourtant confondre la foi avec la science naturelle. Telle est l’interprétation de Vacant, loc.cil., p. 31, 32. Notons cependant que toute doctrine inexacte sur le motif de la foi, tel qu’il est exigé par le concile, est indirectement atteinte et périmée, en admettant même qu’elle ne soit pas anathématisée, c’est-à-dire rangée parmi les hérésies.

Sur l'épithète « divine » , donnée ici à la foi suivant l’usage des théologiens, il faut remarquer avec Suarez qu’elle a deux sens : a) elle peut signifier une foi fondée sur l’autorité de Dieu, de même que « foi humaine i dans le langage scolastiquc signifie assez ordinairement une croyance fondée sur l’autorité des hommes ; b) elle peut signifier une foi surnaturelle, et par conséquent salutaire ; car Dieu étant tout spécialement l’auteur du surnaturel, le surnaturel est souvent

appelé divin » , de même que l’on confond en nous le

natUTl 1 et 1' humain, Dr fide, ilist. IV, sect. V,

n. 3, Opéra, Taris. 1858, t. xw, p. 132. cf. Salmantli i, De fide, dist. t, n. 201, Paris, 187<i, t. xi, p. 93. Si dans le canon du Vatican vous preniez flnem divinam au premier mus. nous auriez une ridicule tautologie : Pour avoir la foi OÙ l’on croit à cause de l’autorité de Dieu, il faut que l’on croie à cause de l’autorité de Dieu. Force est donc de prendre le mol divinam au second sens : Pour avoir la foi surnaturelle, la seule qui mené au salut, il faut que l’on croie a

cause de l’autorité de Dieu. > Ceci n’est pas une tan tologie, el étail ties nécessaire à définir en an temps

ou, dans les milieux prnt es (uni s, rationalistes, piétistes.

modernistes, on appelle foi, fol chrétienne, fol qui un acte qui n’a nullement pour motll l’autorité du I lieu, ni même Une autorité OU un témoignage en général. c’est probablement pour éviter jusqu'à l’apparence d’une tautologie, que le concile du Vatl

.m. dans le premiei (loi liment cité plus haut, a évité

l’expression ambigu ! loi divine > et l’a remplacée par

celle-ci : Hanc fidem, quæ humanæ salulis initium est…, formule plus nette que celle du canon, et qui sert à l’expliquer.

3. Serment imposé par Pie X contre le modernisme. — Voir tout le passage sur la nature de la foi, cité plus haut, col. 83-84.

Le motif de l’acte de foi y est ainsi exprimé : propter Dei auctoritatem, summe veracis. Ce dernier mot explique bien de quelle autorité il s’agit : c’est l’autorité qui procède de la véracité, donc de l’autorité du témoin. Ce qui est confirmé par le contexte : Quæ a Deo… dicta, lestala et revelata sunl, vera esse credimus, propter Dei auctoritatem summe veracis. Il s’agit d’un témoin, testeda. Aussi 1' « autorité » en question aboutit finalement à une croyance, à une adhésion à la vérité, vera esse credimus.

Ces documents de l'Église écartent définitivement les opinions, déjà surannées et communément rejetées en théologie, de quelques rares auteurs du moyen âge : par exemple, celle de Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris, d’ailleurs intéressante comme étant le premier essai d’un fidéisme ou d’un « volontarisme > qui a reparu de nos jours sous des formes plus adoucies. Il part de cette idée : « Si l’on croit Dieu a cause de sa véracité, parce qu’on sait qu’il ne ment pas…, on le croit avec une espèce de preuve…, on le croit comme on croirait un honnête homme quelconque…, on ne lui fait pas honneur. » De fide, c. i, Opéra, Paris, 1674, t. i, p. 4. Les Pères, nous l’avons vii, n’ont pas eu le même scrupule cpie Guillaume : ils n’ont pas rejeté toute « espèce de preuve » ; ils ont éliminé du motif de la foi la preuve intrinsèque des dogmes, mais non pas la preuve extrinsèque par la véracité du témoin. Ils n’ont [pas cru déroger en assimilant la foi chrétienne à la croyance donnée à un homme grave et honnête, avec cette différence que le témoignage de Dieu est revêtu de qualités plus hautes : Si testimonium hominum accipimus, Irslimonium Dei majus est. I Joa., v, 9. La formule de Pie X exprime bien cette véracité « souveraine » de Dieu, summe veracis, qui a droit à une foi proportionnée, à une foi souverainement ferme : foi vraiment honorable, pour Dieu, et suffisant à le mettre à part, à le distinguer de tous les témoins inférieurs. Le point de départ étant faux dans la théorie de Guillaume d’Auvergne, est-il étonnant qu’il aboutisse à une conclusion fausse ? « Il s’ensuit, dit-il, que la seule foi digne de Dieu, c’est celle qui croit à sa parole sans aucune garantie, sine omni pignore et cautione, gratuitement et par obéissance, non pas à cause de sa véracité, ou parce que ses paroles Impliquent la vérité, car on croirait ainsi un homme, mais parce qu’il nous fait un précepte de croire. Ainsi l’on croit par la vertu d’obéissance. Loccit. Guillaume conserve une partie de la doctrine traditionnelle, V autorité de Dieu comme motif de la foi ; mais c’est la pure autorité du supérieur, qu’il veut substituer à celle du témoin : et sa foi n’est plus qu’une obéissance au sens strict du mot. La volonté, pour obéir, pousser, i violemment l’intelligence a risquer contre nature une affirmation sans aucune garantie de vérité. Peul-elle réaliser ce tour de force ? ("est très douteux : ou bien la volonté n’obtiendra qu’Une formule des lèvres sans acte Intérieur de l’esprit, ou bien le motif intellectuel, vainement (liasse, agira en dessous sur l’intelligence.

Voir Croyance, t. iii, col. 2 : 171. 2372. Mais quand

même la volonté pourrait physiquement exécuter ce COUp de force, elle ne le pourrait pas d’une manière un et 111r11.de. Si elle commande toutes les énergies de l’homme, l’intelligence comme les autres, elle ne peut commander que dans l’ordre, et conformément à la nature de chacune. Inutile d’invoquer ici le surnaturel : il ne dél mil pas l.i nature, mais la per fectlonne ; l’activité de la grâce se mêle Invislblement

à relie de nos facultés sans les violenter. Ainsi les principes de la raison comme ceux de la révélation s’opposent à la théorie de Guillaume. En vain compare-t-il toute garantie de^vérité aux béquilles d’un estropié, qui prouvent en lui une maladie sans la guérir : mauvaise comparaison, puisque la garantie de vérité appartient à la santé même de l’esprit, à sa tendance essentielle. En vain se plaint-il qu’alors il n’y aura « plus de bataille de l’intelligence, plus de victoire, plus de couronne. » Le mérite de la foi ne consiste pas à faire un saut périlleux dans le vide, mais à recevoir la vérité mystérieuse que nous présente le divin témoin connu de nous comme souverainement véridique, sans toutefois pénétrer le mystère comme on le souhaiterait, sans preuve intrinsèque, en dépit des passions qui se sentent gênées par la parole divine, et du monde qui s’en moque. Il restera donc toujours assez d’obstacles à la foi pour qu’il y ait bataille et victoire. Enfin cette foi de Guillaume d’Auvergne, où le souci de la vérité n’aurait aucune place, serait « un mouvement aveugle » , ce que le concile du Vatican a rejeté. Sess. III, c. ni, Denzinger, n. 1791 (1640). Peut-être Guillaume réserve-t-il son coup de force pour le moment précis de l’acte de foi, et suit-il d’ailleurs le grand courant de la tradition, en exigeant avant la foi la connaissance de la véracité divine et les preuves du fait de la révélation : on peut le conclure de textes cités par le P. Gardeil. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2266. Toujours est-il qu’il exige de l’esprit, au moment de l’acte de foi, une gymnastique impossible, et veut à tort exclure de cet acte toute vue de la véracité divine, qui en est l’objet formel et le motif spécifique.

6° Le motif de la foi chrétienne devant la raison naturelle ; raisons de convenance pour ce motif, et objections. — Peut-on prouver a priori, en partant de principes purement philosophiques, que la connaissance religieuse devait être fondée sur le témoignage de Dieu ? Non. La raison peut connaître avec certitude, sans passer par l’autorité du témoignage divin, sans se préoccuper de cette autorité ni de ce témoignage, un certain nombre de vérités religieuses. Voir là-dessus la définition du concile du Vatican et son commentaire à l’art. Dieu, t. iv, col. 824 sq. ; et l’exposé des preuves de l’existence de Dieu, au point de vue soit pratique, soit scientifique, col. 935 sq., 938 sq. Cela étant, pourquoi cette connaissance rationnelle et naturelle ne pourrait-elle pas servir de base à un culte, à une religion ? Dieu n'était pas tenu de nous donner davantage.

On dira que la raison naturelle, telle qu’elle fonctionne en pratique dans les circonstances de l’ordre actuel des choses, se trompe aisément, et que, sans un secours surnaturel, il est presque impossible de ne pas tomber dans quelque erreur sur un sujet aussi ardu que la nature de Dieu et les devoirs de la religion, comme le montrent l’expérience et l’histoire des anciens peuples allant presque tous au polythéisme, et transformant la religion en idolâtrie. Mais d’abord, dans cette dégradation païenne, il faut faire la part de la liberté humaine qui aurait pu égarer moins la raison, si elle l’avait voulu. Ensuite, Dieu ne peut-il tolérer des erreurs dans le genre humain ? Toute erreur sur Dieu est-elle de nature à supprimer toute religion et toute vie morale ? Enfin, si Dieu veut aider notre raison dans cette grande difficulté, s’il veut bien lui donner un secours gratuit, pas n’est besoin qu’il témoigne, comme il l’a fait : il aurait pu fortifier les énergies naturelles de la raison, il aurait pu lui donner une science infuse, qui n’eût pas été son témoignage, comme nous l’expliquerons en traitant de la révélation. La faiblesse de notre raison sur les choses divines ne prouve donc pas avec certitude que Dieu ait dû nous donner la

lumière de son témoignage, ni que croire Dieu sur parole soit la base nécessaire de toute religion.

Mais où manque la démonstration rationnelle, les raisons de convenance ne manquent pas ; et elles suffisent à justifier, aux yeux de la raison même, la sagesse du plan divin. Voici les principales :

1. Il convient à la bonté de Dieu de se communiquer à nous. Saint Thomas, étudiant les convenances de l’incarnation, ne craint pas d’invoquer cette naturelle expansion de la bonté divine ; et pourtant l’incarnation de Dieu est un don bien plus extraordinaire, bien autrement au-dessus de nos aspirations et de nos besoins, que le don de son simple témoignage. « Par nature, dit le grand docteur, Dieu est l’essence de la bonté, tout ce qui convient à celle-ci convient à Dieu. Or, se communiquer aux autres, tel est le propre de la bonté. Dès lors, il appartient à la souveraine bonté qui est Dieu de se communiquer d’une manière souveraine à ses créatures. » Sum. theol., III', q. i, a. 1. « Cette maxime, ajoute le P. Janvier, me permet de penser que, par un mouvement tout spontané, Dieu se sentira porté à se révéler à l’homme, à se donner à son esprit. Sa vérité qui est bonne, ou pour mieux dire qui est la bonté même, aura une tendance à franchir les frontières du temps, à se manifester à ceux qui ne le connaissent pas. Nous affectons parfois de nous étonner qu’elle nous ait parlé, nous serions plus étonnés encore si elle avait gardé le silence. » Conférences de Notre-Dame de Paris, carême 1911, La foi, 2e édit., p. 63. Le silence, Dieu n'était ni physiquement forcé ni moralement obligé de le rompre, même dans l’hypothèse de notre création ; et cela suffit pour que sa parole, son témoignage, soit un don gratuit et surnaturel. Mais comme il convenait qu’il nous parlât, venant ainsi avec plus de bonté au secours de nos ignorances et de nos misères 1

2. Il convenait que l’homme rendit à son créateur toute espèce d’hommages ; or, il est un hommage spécial, qui consiste à croire Dieu sur parole, et pour que cet hommage fût rendu de fait, et par l’intelligence en même temps que par la volonté, il fallait que Dieu parlât et témoignât ; il convenait donc qu’il le fît. Saint Paul fait allusion à ce culte et à ce sacrifice de l’intelligence par la foi. Voir col. 68.

3. La foi au témoignage d’autrui joue un grand rôle social : elle supplée aux insuffisances de l’individu isolé, elle tend à rapprocher les personnes, et devient ainsi un fondement des sociétés humaines, comme le remarquaient déjà les Pères, voir col. 110, et saint Thomas. Opusc, LXIII, 7/i lib. Boetii de Trinilale, q. ni, a. 1, Opéra, Parme, 1864, t. xvii, p. 366. De même, si Dieu témoigne, si à ce témoignage répond notre foi, ce sera le fondement d’une société entre Dieu et nous ; nulle espèce de connaissance ou de croyance ne peut donc servir de base meilleure à une religion ici-bas.

4. La religion, la société avec Dieu, deviendra singulièrement intime, si Dieu nous communique ses propres secrets, de même que d’homme à homme la communication des secrets est un signe ou une cause d’intimité ; et puis, il est de ces secrets divins qui sont pour nous de la plus grande importance et de la plus haute valeur religieuse : comme de savoir si Dieu veut nous pardonner de graves fautes, et combien de fois, et à quelles conditions ; dans quelle mesure et à quelles conditions il exauce nos prières ; quelles récompenses et quelles peines il prépare aux âmes dans l’autre vie. Or, le témoignage de Dieu est la seule voie par laquelle nous puissions connaître avec certitude ces décrets de sa libre volonté, ces mystérieuses déterminations de l’avenir ; de même que d’homme à homme le témoignage est le seul canal des secrets. La foi à un témoignage divin était donc nécessaire à une religion intime et profonde ; et nous donner une telle religion convenait à la bonté de Dieu.

A ces convenances bien remarquables nous pourrons en ajouter d’un autre ordre, si nous partons, non plus seulement des expériences et des principes de la raison naturelle, mais encore du donné révélé. Ce seront alors des « raisons théologiques » en faveur de la foi au témoignage divin ; et l’avantage de ces raisons-là est de montrer l’harmonie de nos dogmes. Ainsi, partant du dogme de la vision béatifique, à laquelle Dieu a bien voulu nous élever dans l’ordre de choses actuel, saint Thomas nous dit : « La béatitude finale consiste dans une vision surnaturelle de Dieu ; l’homme ne peut y parvenir qu’en se mettant à l'école de Dieu, Joa., vi, 45 ; et cet enseignement, pour s’adapter à la nature humaine, ne doit pas se faire tout d’un coup, mais par degrés. Or, tous ceux qui suivent cet enseignement graduel doivent commencer par croire le maître, pour arriver ensuite à la science parfaite. Aristote, De sophisticis elenchis, c. ii. Donc, pour parvenir un jour à la parfaite vision de la béatitude, il nous faut d’abord croire sur la parole de Dieu, comme un disciple croit sur la parole de celui qui l’enseigne. » Sum. theol., IIa-IIæ, q. ii, a. 3. Pour mieux comprendre ce raisonnement de saint Thomas, observons que, dans tout enseignement, on peut concevoir deux procédés très différents :

a) Le maître peut donner à ses disciples la conclusion d’un raisonnement sans le raisonnement lui-même, interposant alors son autorité en guise de preuve, ou l’autorité des savants dont il se fait l’interprète. Il donnera, par exemple, la distance du soleil à la terre, sans les calculs qui ont servi à la déterminer ; une loi physique ou biologique, sans les nombreuses et délicates expériences qui ont fondé une induction valable ; le dessin schématique d’une machine, sans la faire fonctionner sous leurs yeux. Le temps limité dont il dispose, une démonstration qui dépasserait la portée des commençants qu’il instruit, d’autres raisons encore justifient ce procédé sommaire, sans lequel les sciences ne pourraient être vulgarisées. L’exagération des disciples de Pythagore était seulement de trop généraliser ce procédé, même lorsque la démonstration eût été relativement facile et qu’ils n'étaient plus des débutants, et de trop accorder à la simple affirmation d’un maître faillible. Il n’y a qu’un maître infaillible dont l’affirmation suffise toujours, en attendant qu’il nous fasse pénétrer, au ciel, les vérités mystérieuses à l'égard desquelles nous ne sommes jamais ici-bas que de simples commençants.

b) Le maître peut procéder autrement, et faire passer les disciples, déjà exercés et habiles, par tous les raisonnements, par tous les calculs, par toutes les expériences qui amènent à la conclusion : alors le disciple n’aura pas besoin de s’appuyer sur la véracité du maître ; sur le point en question, il en saura autant que lui, et son intelligence personnelle, excitée et dirigée par lui, aura vraiment fait elle-même la démonstration ; il aura acquis une connaissance non pas seulement extrinsèque, mais intrinsèque, et intellectuellement bien plus parfaite. Mais ce n’est pas le cas qui nous intéresse directement, quand il s’agit de la foi.

Ainsi la vision intuitive étant l’achèvement en pleine lumière d’un enseignement ébauché ici-bas pour des commençants, il convenait que dans ce premier enseignement Dieu interposât l’autorité de son témoignage, comme le savant qui fait de la vulgarisation. On peut même dire qu’une fois supposé l’élévation de l’homme à la vision de Dieu dans la vie future, élévation que notre nature ne peut ni réaliser par ses forces ou ses exigences, ni constater par ses facultés de connaître, il y avait plus qu’une raison de convenance, il y avait une absolue nécessité que Dieu nous donnât par son témoignage le seul moyen de connaître cette surnaturelle destinée. Car la nature raisonnable doit pouvoir librement diriger ses actes vers sa fin, vers sa réelle destinée, elle doit donc la connaître. Aussi le concile du Vatican reconnaît-il comme « absolument nécessaire » la révélation ou témoignage de Dieu dans l’ordre actuel « parce que Dieu, dans son infinie bonté, a ordonné l’homme à la fin surnaturelle, c’est-à-dire à la participation de biens tout divins, qui dépassent totalement l’intelligence humaine. » Sess. III, c. ii, Denzinger, n. 1786 (1635).

Objection. — Le témoignage divin, comme tout témoignage que nous recevons, vient du dehors, ab extrinseco. Objectera-t-on les inconvénients de « l’extrinsécisme » , une certaine manière de concevoir « l’autonomie, l’immanence » ?

Réponse. — a. Il y a avantage et non inconvénient à enrichir nos connaissances par le témoignage des autres ; ce n’est pas là un asservissement, mais une conquête ; le développement de notre vie mentale et sociale est à ce prix. Il en sera donc de même du témoignage de Dieu, qui n’est pas plus extrinsèque que celui des hommes.

b. Tout ce que l’on peut raisonnablement demander ici, en fait d’immanence et d’autonomie (au sens large du mot), c’est d’abord :
α. qu'à l'égard de l’enseignement de l’homme par la divinité, il y ait dans la nature humaine une aspiration, un désir conditionnel : si Dieu veut bien le lui donner. Or, cette aspiration ne manque pas. Puisque la raison naturelle, ainsi que nous l’avons montré, voit elle-même la convenance et l’utilité d’un témoignage divin, et d’une religion plus parfaite fondée sur ce témoignage, il est naturel à la volonté de le désirer du moins conditionnellement ; tout objet qui apparaît à l’homme comme convenable ou utile est de nature à exciter son désir. Bien que surnaturel, le témoignage divin ne peut donc se comparer à une pierre qui tomberait dans l’organisme vivant comme quelque chose d’indésirable et d’absolument étranger.

Ce que l’on peut encore raisonnablement demander, c’est
β. que toute vérité, pour devenir notre vérité, soit vérifiée et contrôlée par notre raison individuelle. Mais c’est précisément ce qui se passe avant la foi chrétienne ; car nous n’admettons pas les vérités de foi sans aucune garantie, comme, le voulait Guillaume de Paris, et simplement parce que le plus puissant des rois nous les impose, mais nous les admettons sur la garantie intellectuelle de sa science et de sa véracité, et après avoir constaté par des preuves suffisantes qu’il a parlé, que telle doctrine transmise par un intermédiaire humain est bien sa doctrine, sa pensée, son témoignage. Voir plus loin, VI. Dans ces conditions, personne ne peut se plaindre qu’il y ait en nous une importation » du dehors, comme dit M. Wehrlé, lequel ajoute fort bien : De donner à entendre que cette nouveauté ne nous apporte rien de nouveau… ou que, n'étant pas de nous, elle ne peut être pour nous et réclamer droit de cité chez nous, c’est ce qu’on ne pourra jamais laisser dire sans protester, C’est ce dépasserait certainement la limite que la raison et la foi interdisent également de franchir. » Revue biblique, juillet 1905, p. 332. Voir Immanence.

IV. Quelle révélation la foi suppose.

Le concept de la révélation est tellement lié à celui de la foi que le second ne peut être expliqué sans le premier, et d’autre pari Vient restreindre et limiter le premier. Dans une question aussi difficile et aussi embrouillée de systèmes hétérodoxes, nous suivrons l’ordre qui nous paraît le plus méthodique :
1° concept chrétien de cette révélation qui est à la base de l’acte de foi ;
2° exposé des systèmes qui ont donné pour base a la foi chrétienne la révélation naturelle. 12 : 3

FOI

124

sous diverses formes ; 3e insuffisance de cette base ; 4° suffisance de la révélation « médiate » ; 5° rapport des révélations « privées » avec la foi chrétienne.

1° Concept chrétien de cette révélation qui est à la base de l’acte de foi : la révélation-témoignage. — Des preuves nombreuses, scripturaires et patristiques, que nous venons de donner, il résulte incontestablement que tout acte de foi chrétienne doit être basé sur un témoignage de Dieu, témoignage dont l’autorité infaillible est le motif de notre foi.

Mais au mot « témoignage » les théologiens scolastiques ont presque substitué celui de « révélation » . Saint Thomas emploie les deux. Pour dire que Dieu se révèle surtout lui-même, bien que révélant aussi des objets accessoires, il dira : Ipsa (Veritas Prima) principaliter de se testificatur. Quæst. disp., De veritale, q. xiv, a. 8, ad 9um. « Aux objets qui dépassent notre intelligence, dira-t-il encore, nous ne pouvons donner notre assentiment qu'à cause du témoignage d’un autre, propter testimonium alienum, et c’est là proprement croire, » a. 9. Mais il dira aussi : « La foi dont nous parlons ne donne jamais son assentiment à un objet, que parce qu’il a été révélé de Dieu, » quia est a Deo revelatum. Sum. theol., Hall*, q. i, a. 1. Si, peu à peu, l’usage du terme « révélation » s’est généralisé en théologie, c’est pure affaire de mot ; les théologiens, en traitant de la foi, ont toujours entendu par « révélation » le témoignage de Dieu ; de là leur insistance sur la « véracité » divine, qualité qui appartient essentiellement à la valeur du témoin et du témoignage ; de là cet emploi resté classique du verbe testari dans les locutions et les thèses, comme evidenlia in attestante, Dcus falsa iestari nequit. Parfois même ils nous avertissent explicitement que chez eux « révélation » signifie témoignage ; ainsi Lugo : « Nous parlons de la révélation, non pas selon toute l'étendue de ce terme, mais selon qu’il équivaut à un témoignage. » De fide, dist. I, n. 197, Opéra, Paris, 1891, t. i, p. 102. Il faut bien reconnaître que le mot « révélation » est par lui-même plus étendu et plus vague ; Dieu se révèle à nous par tous les moyens que nous avons de le connaître : par la nature, par la grâce et par la gloire. Sur cette triple révélation, voir Scheeben, Dogmatique, trad. franc., 1877, t. i, c. i, p. 12 sq., 20, 24 sq. Dans le Nouveau Testament, le mot à710y.âÀuliç, révélation, signifie souvent l’apparition du Christ au dernier jugement, ou la révélation céleste de la vision béatifique, la plus splendide des révélations ; ainsi Rom., ii, 5 ; viii, 19 ; I Cor., i, 7 ; I Pet., i, 57 ; iv, 13. Et cependant la révélation directe et éblouissante de la gloire n’a rien de semblable à la voie indirecte du témoignage ; le mot « révélation » s'étend donc plus loin que le mot « témoignage » , et est moins déterminé. Il peut aussi, dans l'Écriture, signifier la révélation surnaturelle d’icibas, qui fait appel à la foi : et alors il est synonyme de « témoignage » ; ainsi dans Luc, ii, 32 ; Matth., xi, 25-27 ; xvi, 17 ; Gal., i, 12, sans parler de « l’apocalypse » de saint Jean. Apoc, i, 1. En somme, le mot « révélation » se prête par lui-même à plusieurs sens : et nous verrons que les systèmes hétérodoxes ont abusé de cette ambiguïté : raison de plus pour insister sur cette vérité trop peu remarquée d’un certain nombre de catholiques de nos jours, que la « révélation » qui est à la base de la foi chrétienne se distingue par ce qu’elle est un témoignage de Dieu.

Le concile du "Vatican emploie toujours le mot « révélation » , car les conciles suivent le style qui a prévalu en théologie, mais il a soin de l’expliquer dans le sens d’un témoignage de Dieu, lorsque, développant l’autorité de cette révélation, auctorilas Dei revelanlis, il l’explique par les deux qualités classiques d’un bon témoin : qui nec falli nec fallere potest. Voir col. 116. Depuis le concile, les modernistes, à la suite des pro testants libéraux, ont fait grand abus du mot « révélation » dans ses rapports avec la foi : aussi l'Église a-t-elle vu la nécessité d’expliquer ce mot encore davantage. Dans la définition de la foi, à l’endroit où le Vatican avait dit brièvement : a (Deo) revelata, vera esse credimus…, la profession de foi de Pie X contre le modernisme insiste en ces termes : Quse aDeo personali creatore ac domino noslro, dicta, testala et revelata sunt, vera esse credimus… Ici le mot revelata, plus en usage aujourd’hui, mais plus vague, est précisé par les mots explicatifs dicta, lestala, qui le ramènent à l’idée de « chose attestée » , objet d’un « témoignage » . Comme une nappe d’eau se resserre pour entrer dans un canal, ainsi ce concept large et flottant de révélation ne peut donc entrer dans l’acte de foi sans se restreindre, sans se ramener au concept très net de témoignage. C’est là une vérité féconde en importantes conséquences, dont nous signalerons les principales. On y verra que les erreurs du modernisme viennent de ce qu’on n’a pas compris cette vérité. Mais l’erreur une fois admise sur un point aussi capital conduit aux abîmes. Avant même sa séparation extérieure de l'Église, Tyrrel écrivait à son confident : « Ce n’est pas, comme (ces théologiens) le supposent, sur un ou deux articles du symbole que nous différons ; les articles, nous les acceptons tous ; mais ce qui est en jeu, c’est le mot credo, c’est le sens du mot vrai quand on l’applique au dogme, c’est toute la valeur de la révélation. » Lettre au baron F. von Hugel, 30 septembre 1904, Miss Petre, Life of G. Tyrrel, Londres, 1912, t. ii, p. 197.

i re conséquence : la révélation corrélative à l’acte de foi ne doit pas nécessairement contenir du nouveau, de l’imprévu. C’est un témoignage : or, la même chose peut être utilement attestée par plusieurs témoins ; ainsi une même vérité aura été attestée par un prophète, puis par le Christ ; elle n'était plus nouvelle à la seconde révélation, peut-être pas même à la première, s’il s’agit d’une vérité accessible à la raison naturelle, Denzinger, n. 1786 ; on pouvait cependant faire alors un acte de foi sur la parole du Christ, c’està-dire sur une révélation qui n’apportait pas du nouveau. La nouveauté, l’inédit, n’est pas un élément essentiel du témoignage ; et quand même cet élément serait suggéré par l'étymologie du mot « révéler » , dévoiler, l’usage d’un mot s'écarte souvent de son étymologie ; et quoi qu’il en soit de la révélation dans certains sens de ce mot, nous ne nous occupons ici que de la révélation-témoignage. Certaines définitions de la révélation ne valent donc rien sur le terrain de la foi.qui peuvent être bonnes sur un autre terrain, par exemple, sur celui de l’inspiration de l'Écriture, où l’on a coutume d’opposer, dans l’hagiographe, 1' « inspiration » et la « révélation » , prise dans un sens particulier. Telle cette définition d’un exégète ancien : Ea proprie dicta videtur revelatio, qua res abstrusee omninoque velatæ palefiunt et revelantur. Serarius, Prolegomena biblica, Mayence, 1612, c. iv, q. iv. Et celle-ci d’un exégète moderne : « La révélation, dans le sens propre, est la manifestation surnaturelle d’une vérité jusqu’alors inconnue à celui à qui elle est manifestée. Ainsi, c’est par révélation que les prophètes ont connu l’avenir, » etc. Vigouroux, Manuel biblique, Ancien Testament, 11e édit., Paris, 1904, t. i, n. 11, p. 44. Quant à nous, comme notre sujet l’exige, nous nous en tenons exclusivement à la théorie de la révélation en tant que corrélative à la foi, et nous renvoyons, pour les autres sens du mot, comme aussi pour la possibilité, la nécessité morale et les critères de la révélation, pour le développement historique de la révélation dans le monde, à l’art. Révélation. Le préjugé, assez répandu, que toute révélation divine, pour être telle, doit apporter au monde de l’inconnu, du neuf, se retrouve, par exemple, dans ces

lignes d’un moderniste : « Le fait que dix siècles peut-être avant Moïse… un souverain oriental, Hammourabi, ait donné à son peuple une loi présentant des analogies avec le vieux code juif, et même supérieure en quelques points, diminuait aux yeux des croyants la certitude d’une révélation divine sur le Sinaï. » Houtin, Question biblique au XXe siècle, Paris, 1906, p. 27. Pourquoi voit-on un antagonisme entre ce fait et la certitude d’une révélation sur le Sinaï, sinon parce qu’on imagine dans toute révélation une note essentielle de nouveauté, parce qu’on suppose faussement qu’une législation révélée, pour être révélée, doit être entièrement originale et n’avoir rien de commun avec aucune législation humaine préexistante, même la plus sage ; conception bizarre, qui condamnerait par avance le divin législateur à se priver des plus pratiques et des plus utiles mesures, pour faire de l’inédit à tout prix !

2= conséquence : la révélation corrélative à la foi vient de l’extérieur. C’est un témoignage, et tout témoignage, même celui deDieu, nous vient du dehors, comme nous l’avons montré, col. 122. De là ces expressions de Pie X, externa revelalio, dans l’encyclique Pascendi, Denzinger, n. 2072, 2074 ; veritas extrinsecus accepta ex audilu, dans le serment. Voir col. 84. M. Loisy y a trouvé à redire : « Quant à la révélation extérieure que l’on accuse aussi les modernistes de supprimer, c’est peut-être la première fois que, dans un document officiel de l'Église, on en proclame l’existence et la nécessité. Le concile du Vatican parle des preuves extérieures de la révélation, mais il ne dit pas que la révélation elle-même soit extérieure. » Simples réflexions… sur l’encyclique, Paris, 1908, p. 149. Que le mot soit nouveau ou non, la chose a été de tout temps dans la tradition catholique ; le concile du Vatican n’a pas eu à la proclamer distinctement, pour la bonne raison que de son temps le modernisme n’existait pas ; à de nouvelles hérésies il faut opposer de nouvelles précisions et de nouvelles formules. La révélation, lors même qu’elle se fait au dedans, est extérieure, mais seulement dans son origine : c’est ce qu’explique le mot veritas extrinsecus accepta. A moins d'être panthéiste, il faut bien reconnaître que Dieu est distinct de nous, et que ce qui lent uniquement de lui (par exemple, son témoignage, revêtu de sa divine autorité) ne. vient nullement de nous, d’une poussée du dedans, et donc vient du dehors. Du reste, la révélation n’est pas dite « extérieure » en ce sens qu’elle apporterait absolument tout du dehors. Comme l’architecte qui vient bâtir près d’une carrière trouve sur place les matériaux. mais apporte du dehors son idée, son plan, ses ouVriers, en sorte que l'édifice lui-même est pour le pays chose nouvelle et qui vient du dehors : ainsi le témoitîna^c divin, pour entrer dans notre esprit, y prend des concepts préexistants, détachés les uns des autres, qui ne sont pas une vérité, car la vérité pour l’homme n’est pas dan s de s concepts disjoints, mais dans leur synthèse constructive, dans un énoncé. Par exemple, ci - idi éparses : Dieu, voir, destinée ne formaient pas une vérité. Quand nous recevons « il énoncé : i Voir Dieu est notre destinée, i quand nous le recevons appuyé sur la garantie divine qui fait toute la force de cette construction, nous avons une vérité nouvelle, el qui nous vient du dehors comme cette garantie elle même : veritas exlrinsecus accepta. Il en terail de mi me dans le témoignage humain. Voli Éludes du 20 avril 1908, p. 17(isq.

Ainsi 1, 1 révélation n’est pa. comme le voudraient

'.mis libéraux et les modernistes un simple

produil de l’esprit qui en est favorisé, mais elle lui

du dehors. C’est sans doute pour mieux Incul quci aux hommes cette vérité capitale sous di [ormes

sensibles et frappantes que Dieu n’a pas toujours choisi le mode de révélation qui paraît à première vue le plus simple, et qui consiste à produire directement la révélation dans l'âme de ses prophètes, mais qu’il a souvent préféré l’emploi de causes intermédiaires pour accentuer le caractère extrinsèque de la révélation, en leur faisant arriver son message par le monde extérieur. Dans la Bible, parfois le prophète, comme Jeanne d’Arc, entend « des voix ".Ainsi Samuel enfant, et n’ayant pas reçu encore de révélations, est réveillé par un appel qu’il prend pour celui du grand-prêtre, le seul être humain qui fût à sa portée ; désabusé par le grand-prêtre lui-même, il ne peut s’empêcher de revenir vers lui quand le phénomène se reproduit ; enfin la voix en dit davantage, et il reçoit d’elle la terrible prophétie sur Héli et ses fils. I Reg., iii, 4 sq. Une voix miraculeuse apporte aussi le témoignage de Dieu dans le Nouveau Testament. Marc, i, 11 ; Matth., xvii, 5 ; Joa., xii, 28 ; Act., ix, 4. Les apparitions d’anges, qui conversent avec les hommes, sont dans l'Écriture la voie la plus ordinaire des révélations divines. Admettre que la forme visible prise par ces anges était vraiment située dans le monde extérieur et tombait sous les sens, que leurs paroles étaient vraiment prononcées, et que tout ne se réduisait pas à une sorte d’hallucination surnaturelle, c’est admettre une chose très possible en soi, très convenable a la nature de l’homme, et qui ressort du récit des Livres saints qu’il n’y a pas à torturer. Le rationalisme est dans son rôle, quand il regarde a priori ces explications de la révélation comme absurdes, et l’existence même des anges comme impossible, sans pouvoir d’ailleurs aucunement prouver cette impossibilité ; la raison philosophique, elle-même ne voit-elle pas la convenance qu’il y ait, entre Dieu et notre pauvre intelligence liée à la chair, ce degré angélique dans l'échelle des êtres, et la négation des esprits n’cst-elle pas plutôt le fait d’un matérialisme grossier, qui n’est même plus à la mode ? Et puis, qu’est-ce que cette méthode a priori ! Mais du moins, que le rationalisme ne vienne pas avec M. Loisy nous parler du « Dieu anthropomorphe » de l’encyclique, ni tourner en ridicule « les conversations de l'Éternel avec Abraham. » Simples rèpexions, p. 56, 149. Ce n’est en aucune façon admettre un Dieu anthropomorphe, que d’admettre un ange apparaissant visiblement a Abraham, seul ou avec deux compagnons, et représentant « le Seigneur » , dont il prend liai fois le nom dans la Bible parce qu’il le représente. Mais ce qui est plus regrettable, c’est que des catholiques, effrayés par ce vain épouvantai] d' « anthropomorphisme » , étourdis par ce grand mot grec, abandonnent le sens naturel et l’exégèse traditionnelle des Livres saints. Ne voient-ils pas qu’ils diminuent la révélation ? Ce n’est pas sans motif que Dieu lui a donné un appareil extérieur fortement marqué, pour faire mieux saisir à tous qu’elle vient du dehors. qu’elle n’est pas une simple évolution de notre nature intellectuelle, mais un don transcendant, un témoignage divin s’adressanl à la foi. Ne voient-ils pas qu’ils font le jeu du modernisme, qui ne ramène la révélation à l’intérieur de l'âme que pour arriver plus facilement à tout expliquer par l’immanence, par la poussée du

dedans, et qui aime a pêcher, dans l’eau trouble du subconscient, des faits anormaux et des phénomènes mystiques ?

.?' conséquence : la révélai ion corrélative à la foi,

quand elle se passe tout entière à l’intérieur de l’Ame,

.nsiste pas seulement en ce que Dieu, par une opération surnaturelle, fait produire à l’intelligence

un énoncé el lui montre une véiité : il faut qu’il fasse Volt en même temps par la même action surnaturelle [ce qui d’ailleurs ne lui conte pas davantage) « pie Cet

énoncé exprime sa pensée à lui, qu’il s’en porte garant ;

il faut que la vérité de cet énoncé apparaisse connue reposant sur le témoignage divin. Sans cela, l'âme ne recevrait pas le témoignage de Dieu, et, tout en admettant le vrai, ne l’admettrait pas par un acte de foi ; Dieu lui ferait voir une chose, mais ne lui ferait pas voir sa pensée sur cette chose, et par conséquent ne lui parlerait même pas, puisque la parole consiste essentiellement à exprimer la pensée, comme dit saint Thomas : Nihil est aliud loqui ad allerum, quam conceptum mentis alteri manifestare. Snm. theol., I a, q. evu, a. 1. Et quand même la parole pourrait consister parfois à montrer des objets sans montrer sa pensée, en tout cas, le témoignage ne le pourrait certainement pas ; or, la révélation qui est à la base de la foi n’est pas seulement une parole, mais un témoignage. Mais si Dieu, par son opération surnaturelle dans l'âme, en lui faisant porter un jugement sur un objet, lui donne l’assurance que ce jugement représente la pensée de Dieu même sur cet objet, et, lui rappelant l’infaillibilité de la pensée divine, fait ainsi appel à sa foi, alors, bien que l’oreille du corps ne perçoive aucun son, la vérité reçue peut encore être dite accepta ex auditu, cf. S. Thomas, Sum. theol., II a II B, q. v, a. 1, ad 3um ; l'âme entend à sa manière Dieu parler, témoigner, et c’est grâce à la parole et au témoignage de Dieu qu’elle accepte cette conception des choses comme vraie, si elle l’accepte ; et ainsi peut se faire un acte de foi divine. — Sur ces conditions requises pour qu’une action surnaturelle de Dieu dans l'âme soit au sens propre une parole de Dieu, un témoignage de Dieu, voir Lugo, De fide, dist. I, n. 197, p. 101. Il y fait observer, par exemple, que la science infuse peut bien être regardée en quelque sorte comme une « révélation » , à cause du sens très ample de ce mot : Quæ cognoscerel per scientiam infusam, aliquo modo diceretur scire per revelationem ; mais ce n’est pas la révélation corrélative à la foi, suffisante à l’acte de foi ; et pourquoi ? parce que ce n’est pas une parole de Dieu. Pour qu’il y ait parole, il faut que l’on tende directement à manifester sa pensée ; or Dieu, en opérant surnaturellement dans l’intelligence d’Adam, par exemple, dès le premier instant de sa création, en lui donnant un ensemble de connaissances qui convenait à sa situation, en mettant dans son âme et dans son cerveau les modifications que, suivant les lois du développement psychologique ordinaire, il aurait mis bien du temps à acquérir, en lui donnant ainsi une science infuse, avait simplement l’intention de l’empêcher de traîner une misérable existence, contraire à son heureuse destinée, et non pas l’intention de lui manifester par ces connaissances sa propre pensée, l’intention de lui parler. Voir Adam, t. i, col. 370, 371. Dès lors que ce n'était pas là une parole de Dieu, la question de véracité divine ne se posait même pas, non est veracitas nisi in locutione, la véracité n’est-elle pas une conformité de la parole avec la pensée ? Ce n’est donc pas sur la véracité divine qu’Adam appuyait alors sa certitude ; il admettait simplement les objets de sa science infuse parce qu’il les voyait ainsi ; il n’y avait alors ni témoignage du côté de Dieu ni foi du côté de l’homme : ad objectum fidei requiritur locutio Dei, quia fundatur in veracilate Dei. Lugo, loc. cit. Qu’il y ait eu par ailleurs de véritables témoignages de Dieu donnés au premier homme, nous n’avons garde de le nier, mais c'était alors quelque chose de très différent de la science infuse.

Il ne suffit donc pas, pour expliquer la révélation corrélative à la foi, de décrire les opérations surnaturelles par lesquelles Dieu peut amener intérieurement un prophète à former un jugement, comme les a décrites, d’après saint Thomas, le P. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, leçon il, La révélation, n. 3, Paris, 1910, p. 57 sq. Il faut encore, si l’on veut que

Dieu parle à ce prophète, ou nous parle par son intermédiaire, et que ce prophète puisse affirmer comme dans l'Écriture : Hœc dicit Dominus, il faut que Dieu lui fasse connaître son intention de manifester sa pensée sur les choses, qu’il interpose son témoignage et sa véracité divine, qu’il fasse appel à la foi ou du prophète ou du moins de ceux à qui il l’envoie. Si saint Thomas lui-même ne met pas ce point délicat plus en relief dans ses questions sur la prophétie, c’est qu’alors il ne restreint pas son étude, comme nous, à cette révélation qui est à la base de l’acte de foi divine, et qu’il traite du charisme prophétique dans toute son ampleur. « La révélation prophétique, dit-il, s'étend soit aux futurs événements humains, soit aux choses divines ; et non seulement aux choses divines qui sont l’objet de notre foi, mais encore à d’autres mystères plus relevés communiqués aux parfaits » (dans les phénomènes de la mystique). Il ajoute que cette révélation dont il parle renferme le discernement des esprits, ce don surnaturel qui, dans les pensées se présentant aux âmes pieuses, leur fait distinguer (sinon avec certitude, du moins avec probabilité, et sans pouvoir faire là-dessus un acte de foi) ce qui est inspiration des bons anges et illusion du démon. Sum. theol., II a II æ, q. clxxi, préface avant l’art. 1. On voit que plusieurs des formes de la « révélation prophétique » dont parle saint Thomas sont, par défaut de certitude, insuffisantes à fonder un acte de foi divine. Lui-même le fait remarquer à propos de cette forme qu’il appelle 1' « instinct » prophétique. Avec ce don, le prophète « parfois ne peut pas pleinement discerner si sa pensée vient d’un instinct divin, ou de son esprit propre. » Au contraire, quand par le canal d’une révélation prophétique Dieu veut adresser la parole aux hommes et faire appel à leur foi, alors « le prophète a une très grande certitude qu’il se passe en lui une révélation divine…, autrement, s’il n’en avait pas lui-même la certitude, la foi (chrétienne), qui s’appuie sur les paroles des prophètes, ne serait pas certaine, » a. 5. Si elle n'était pas certaine, elle ne serait pas la foi ; Dieu se contredirait voulant la foi et n’en donnant pas les moyens. Du reste, Dieu, par ces révélations dont parle saint Thomas et qui sont de toute sorte, souvent ne se propose pas d’obtenir l’acte de foi, mais seulement d'édairer l'âme d’une demilumière, de la consoler ou de l'éprouver, comme il arrive dans les voies extraordinaires des mystiques. Et même quand la révélation prophétique est destinée à amener les autres à la fei, il n’est pas toujours nécessaire que le prophète paisse faire lui-même un acte de foi sur ce qu’il annonce ; peut-être la connaissance prophétique, intellectuellement plus parfaite, remplacerat-elle pour lui sur ce point la connaissance de foi. Nous voyons une chose semblable dans les anges, quand Dieu les envoie et par eux fait appel à la foi des hommes ; l’ange Gabriel fait appel à la foi de Marie, mais lui-même ne peut faire un acte de foi ; n’est-il pas dans l'état de béatitude où la foi n’existe plus, et ce qu’il annonce, ne le voit-il pas dans la suprême révélation de la vision intuitive de Dieu, et non dans l’obscurité d’un témoignage divin et d’un acte de foi ?

Cette supposition de Tyrrel n’est donc pas vraie dans sa généralité : o Je présume que ceux qui reçoivent les premiers une révélation divine sont capables de foi dans toute l’acception du mot, bien qu’ils aient pu acquérir la vérité sine prædicanie, par une vision intérieure. » Dans la Revue pratique d’apologétique, 15 juillet 1907, p. 501. Tyrrel ne dit cela que pour arriver à baser toujours la foi sur une vision intérieure, sur une expérience mystique, et finalement à la confondre avec cette expérience. Aussi ajoute-t-il (afin d'écarter toute révélation autre qu’une vision inté

rieure) qu’il ne faut pas imaginer ce don de la révélation « comme venant d’un dehors local ou spatial, à la manière d’un message qui nous arriverait par les sens externes, » et il se moque de la révélation « qui se fait entendre du haut des nuages. » Loc. cil. Puis il ajoute sans aucune preuve : « La révélation vient du dedans ; elle est individuelle et incommunicable. » Recevoir par l’intermédiaire de l'Église la doctrine, que Dieu a révélée autrefois, ce n’est donc pas recevoir la révélation corrélative à la foi ; pour lui, cette révélation est exclusivement intérieure et incommunicable : « On peut admettre intellectuellement toute la doctrine apologétique et théologique de l'Église, et néanmoins par manque de cette révélation intérieure, n’avoir pas plus de foi qu’un chien. » Loc. cit., p. 502. Ces aberrations montrent le danger qu’il y a à ramener la révélation à un prophétisme tout intérieur et à une communication de Dieu à l'âme sans aucun intermédiaire, ce que u’a pas fait saint Thomas dans ses questions sur la prophétie, puisqu’il a un article pour affirmer que la révélation prophétique se fait par les anges, q. clxxii, a. 2. Elles montrent aussi le danger qu’il y a à ne pas prendre la révélation corrélative à la foi pour ce qu’elle est, c’est-à-dire pour un témoignage de Dieu. Si Tyrrel avait compris qu’elle est un témoignage, il n’aurait pas dit qu’elle « vient du dedans » , ni qu’elle est « incommunicable » . Un témoignage est si bien communicable par la parole ou l'écriture que toute l’histoire est fondée sur d’anciens témoignages, transmis par l’historien qui les a recueillis. Si la révélation corrélative à la foi est un témoignage de Dieu, je puis, grâce à une transmission historique, la recevoir aujourd’hui, sans aucune « vision intérieure » et faire sur cette révélation un acte de foi. Mais, dit Tyrrel, vous ne pouvez faire un acte de foi, d’après les Pères, sans un pius credulilalis affectas, sans une « illumination surnaturelle » . Loc. cit., p. 503. C’est vrai : il faut la grâce de Dieu pour faire un acte de foi ; mais cette grâce n’est nullement une révélation, comme vous le dites ; cette grâce est invisible, indiscernable, du moins ordinairement ; ce n’est donc pas une « vision intérieure » , encore moins un témoignage de Dieu. J’y trouve un secours pour agir, et non pas une raison de croire ni surtout un motif où intervienne la véracité de Dieu. La révélation sur laquelle est basée la foi, étant un témoignage où la véracité de Dieu est engagée, ne peut donc aucunement consister dans le pius credulilalis af/cclus ou désir de croire, ni dans cette illuminalio Spirilus Sancti ou ins pi ratio qui doit précéder non seulement l’acte de foi, mais encore tous les actes salutaires, tous les actes méritoires des fidèles, d’après le concile d’Orange, eau. 7, Denzinger, n. 180, et celui de Trente, sess. VI, can. 3. Denzinger, n. 813. Nous n’avons pourtant pas une révélation, < Inique fois que nous faisons une lionne action, méritoire devant Dieu ! Reste donc que cette révélation sur laquelle est basée notre foi consiste Uniquement dans ce1 ancien témoignage de Dieu, historiquement transmis jusqu'à nous, lequel nous recevons par la foi sans aucune ision. mis aucun phénomène extraordinaire comme ceux des prophètes et des mystii Cf. Études du.') avril 1908, p. 39-41.

i* conséquence : la révélation corrélative a la foi contient dis énoncés, des affirmations divines, i énoncés sont l’objet direct de notre foi. Dans tout e, l’objel attesté, l’objet que l’on croit sur l.i parole du témoin ou di i émoins, c’i il ; ment un énon< é, une formule, une proposition : J’ai vu commettre tel meurtre. Les sources du Nil tel endroit. Donc la révélation qui s’adresse à notre foi, et notre fol elle-même, cet deux cho et corréla. doivent avoir pour objet dlred un énoncé

COmn le tés ; nous ressusciterons. »

DICT, DE Tlli’oi. CATIIOI.

C’est pourquoi le verbe « croire » dans l'Écriture a souvent pour complément grammatical une proposition, bien que cette proposition puisse ailleurs être brièvement rendue par des équivalents plus vagues. Voir col. 63. Dieu témoigne : c’est un jugement tout fait qui nous arrive, un énoncé sur les choses de ce monde ou celles de l’autre vie ; à ce jugement nous conformons le nôtre, nous acceptons les vues de Dieu, nous croyons ce qu’il dit parce que c’est lui qui le dit, voilà la foi. Les protestants antidogmatiques et agno tiques, et après eux les modernistes, ont donc tort de dire que la foi chrétienne a pour objet la chose en soi et non la formule, laquelle ne serait qu’un produit de notre esprit, un pur symbole de l’inconnaissable ; c’est à cet inconnaissable seul que tendrait notre foi, c’est lui seul qui serait vaguement révélé. « C’est des choses qu’il y a révélation, dit Tyrrel, et non de mots ou de symboles de choses. » Loc. cit., p. 501. Non, la formule même, que vous appelez « symbole de chose >, appartient au donné révélé ; c’est bien sur la formule, sur l'énoncé, que portent et la révélation divine et notre foi. Quant à la chose en soi, elle aussi est objet de révélation et de foi, mais moins directement, et par l’intermédiaire de l'énoncé que Dieu nous a donné ; c’est à elle comme à un dernier terme que la formule nous conduit, mais en nous la faisant connaître, et non pas en nous donnant un pur symbole d’une chose inconnaissable. « Si nous formons des énoncés, cnunliabilia, dit saint Thomas, ce n’est que pour connaître par eux les choses elles-mêmes, qu’il s’agisse de la science ou de la foi. » Sum. theol., II » II a >, q. i, a. 2, ad 2°'". L'énoncé n'étant qu’un moyen d’atteindre la chose en soi, dernier terme de l’intellect, on peut réserver à celle-ci le nom d' « objet de la foi » à un titre spécial. Mais il ne faudrait pas avoir l’air d’exclure les énoncés, en disant, par exemple : « Les propositions de la foi ne sont pas l’objet de la foi, » do m A. Lefebvre, L’acte de foi d’après la doctrine de S. Thomas, 2e édit., 1904, p. 276, ce qui ne pourrait se justifier que par une figure de style, une antonomase, dont le sens serait : Les propositions de la foi ne sont pas l’objet par excellence de la foi. Or, il est à craindre, surtout à une époque de modernisme, quc ce style figuré ne soit mal compris, et ne donne lieu à une exclusion erronée. Et saint Thomas dit formellement : Objectant fidei duplicilcr considerari potest. Uno modo… est aliquid incomplcxiun. sciliect rcs ipsa de qua /iiles habetur. Alio moi objectant jidci est aliquid complexum per modum enunliabilis. Sum. theol., II » II", q. i, a. 2. Et ailleurs : Alii dixerunt quod… fides non est de enuntiabili, sed de rc… Sc<l hoc falsum apparet : quia cum creden dical assensum, itoit potest esse nisi de compositions, in qua verunt et falsum inveniiur. Qumsi. disp., /)< veritate, q. auv, a. 12. Croire ne peut porter que sur un énoncé, sur cette synthèse du sujet et de l’attribut que saint Thomas appelle Compositio. Il n’est d’ailleurs pas exact de donner seulement i les cho comme objet aux sciences : les sciences physiques et

mathématiques n’ont-elles pas pour objet direct les lois qui sont des énoncés, les théorèmes, les Formules algébriques, etc.'.' Tout cela a une vraie valoir ol lire, en restant mêlé île subjectif, Car l'énoncé plus

ou moins complexe, comme le remarque s. mit Tho

mas, est pour L’homme si manière SUbje< tive et nécessaire de connaître les réalités, même la réalité divine parfaitement simple. Loc, cit. La révélation d’ic s’adapte à cette manière de connaître ; la vision intuitive de Dieu n’ama plus besoin de cet Intermédiaire d.- la formule, i Dana la vision de la patrie, ajoute i n. nous verrons Dieu comme il est en lui-même. I Joa.,

Ill, 2. Aussi (elle vision ne se fera point par manière d'énoncé, mail par manière de simple Intelligence.

Mais la foi ne saisit p ; is Dieu, Vérité pn ml< n.. omine

M. - :.

il est en lui-même ; on ne peut donc, de ce qui se passe dans la vision, conclure à ce qui se passe dans la foi. » Sum. tlieol., IMI*, q. i, a. 2, ad 3° m. Ainsi la révélation céleste diffère de la révélation terrestre objet de notre foi ; la première, du reste, n’est pas un témoignage comme la seconde. Ces lignes écrites, nous avons retrouvé une semblable critique de ce passage de dom Lefebvre chez le professeur Bartmann, de Paderborn, Lehrbuch der Dogmatik, Fribourg-en-Brisgau, 1911, Introduction, c. ii, § 10, n. 2, p. 56.

La foi chrétienne ne traite donc pas toute formule en simple accessoire plus ou moins utile, mais elle adhère à certains énoncés, comme à son objet propre et direct, parce qu’ils sont révélés ; et Pie X a condamné cette théorie symboliste et moderniste : « Le croyant ne doit point adhérer précisément à la formule, en tant que formule, mais en user purement pour atteindre à la vérité absolue, que la formule… fait effort pour exprimer, sans y parvenir jamais… Le croyant doit employer ces formules dans la mesure où elles peuvent lui servir, » etc. Encyclique Pascendi, édit. des Questions actuelles, p. 27 ; Denzinger, n. 2087. Erreur des plus graves, soit en elle-même, soit à cause de ses conséquences, qui sont la fausse évolution et le mépris des dogmes : « Ainsi est ouverte la voie à la variation substantielle des dogmes. Étant donné le caractère si précaire et si instable des formules dogmatiques, on comprend à merveille que les modernistes les aient en si mince estime, s’ils ne les méprisent ouvertement. » Op. « '/., p.l7 ; Denzinger, n. 2079, 2080. Ces passages de l’encyclique visent spécialement M. Loisy, qui avait écrit : « Le fidèle adhère d’intention à la vérité pleine et absolue que figure la formule imparfaite et relative. Adhérer à la formule comme telle, d’un assentiment de foi divine, serait adhérer à ses imperfections inévitables, la proclamer imperfectible et adéquate, bien qu’elle soit inadéquate et imparfaite. » Autour d’un petit livre, 1904, p. 206. Il ajoute, après l’encyclique : « "Va-t-on maintenant enseigner que l’on doit croire à la formule comme telle, en la tenant pour la perfection de la vérité même, en sorte que celui qui en entend la signilication verbale participe directement et pleinement à la science de Dieu ? » Simples réflexions sur l’encyclique, 1908, p. 177. On voit ici que M. Loisy n’avait pas l’idée de ce qu’est « l’assentiment de foi divine » , dont il parlait. S’il avait compris ce terme théologique, s’il avait réfléchi que c’est pour les catholiques un assentiment intellectuel basé sur un témoignage de Dieu, il aurait vu que, tout témoignage se faisant par manière d'énoncé, c’est à cet énoncé comme tel qu’adhèrent ceux qui croient sur la parole du témoin ; ils y adhèrent, c’est-à-dire ils le tiennent pour vrai, sans pour cela prétendre « participer directement et pleinement à la science de Dieu. » Quand on ne connaît que par témoignage, on ne participe jamais que partiellement et indirectement à la science et à l’expérience personnelle du témoin. Un savant célèbre atteste qu’il a fait telle expérience, répétée dans différentes conditions, et qu’il est arrivé à une loi physique exprimée par telle formule ; le public adhère à la formule sans prétendre par là « participer directement et pleinement à la science » de celui dont l’autorité, sans autre preuve, lui fait admettre cette formule, cet énoncé ; et il sait bien que la science humaine est perfectible, que là même où elle est sans erreur elle n’est pas sans lacunes, que ses formules les plus vraies sont « inadéquates » parce qu’elles ne disent pas tout sur la réalité ; et nous en disons autant des énoncés de la révélation, tout en adhérant à leur vérité. Qu’est-ce enfin que cette « adhésion d’intention » donnée par M. Loisy « à la vérité pleine et absolue que figure la formule, » à la « réalité de l’objet » qui reste inconnais sable, sinon un bon vouloir, un acte d’adoration, la « consécration à Dieu » de M. Ménégoz et de ses « fidéistes » , ce vague sentiment par où le modernisme rejoint le protestantisme libéral, et qui, nous l’avons vii, n’est la « foi » ni d’après l'Écriture et les Pères, ni même d’après M. Loisy, qui défend les modernistes d’avoir dit que la foi est purement une émotion, une affection. Voir col. 106.

5e conséquence : les énoncés de la révélation n’ont pas pour caractère essentiel de se réduire à des règles de conduite (comme l’a pensé M. Le Roy, voir Dogme, t. iv, col. 1586). La révélation est un témoignage de Dieu. Parmi les objets que Dieu peut nous attester, il y a sans doute ses volontés souveraines, les préceptes qu’il nous impose, et dans ce cas l'énoncé révélé prend le caractère d’une règle pratique. Mais le témoignage, de sa nature, ne consiste pas à n’attester que des volontés et des préceptes ; le témoignage humain porte même le plus souvent sur des faits qui n’ont rien de commun avec un précepte, ou sur des doctrines spéculatives dont témoignent les savants, et que le public accepte sur leur parole ; de même la révélation chrétienne, outre les préceptes, contient des faits et des doctrines qu’on ne peut, sans la violence d’une exégèse intolérable, transformer en règles pratiques. Par exemple, l'énoncé catégorique : « Jésus est réellement présent dans l’eucharistie » ne peut se réduire à cette règle : « Agissez comme si Jésus était réellement présent dans l’eucharistie. » D’ailleurs V auctoritas Dei revelantis, motif de la foi, ne signifie pas l’autorité du supérieur qui donne des ordres, mais l’autorité du témoin, et par suite la foi n’est pas une simple obéissance de volonté et d’action, mais une croyance. Voir col. 116. Aussi l'Église a-t-elle condamné la proposition suivante : « Les dogmes de la foi sont à retenir seulement dans leur sens pratique, c’est-à-dire comme règle obligatoire de conduite, non comme règle de croyance. » Décret Lamenlabili, prop. 26, DenzingerBannwart, n. 2026.

Le caractère abstrait de certains énoncés révélés, des formules dogmatiques de l'Église qui viennent les préciser et de l'étude théologique qui semble encore les refroidir et les dessécher, ne les empêchent pas d’avoir une influence salutaire et nécessaire sur la vie religieuse du chrétien. « La science théologique, dit Newman, étant l’exercice de l’intellect sur les credenda de la révélation, est dans la nature, est excellente et nécessaire, bien qu’elle ne tende pas directement à la dévotion. Elle est dans la nature, parce que l’intelligence est une de nos plus hautes facultés : excellente, parce que c’est notre devoir de développer nos facultés avec plénitude ; nécessaire, parce que, si nous n’appliquons pas à la vérité révélée notre intellect avec justesse, d’autres y exerceront le leur de travers, » etc. Grammar of assent, Londres, 1895,. I re partie, c. v, § 3, p. 147. La valeur des énoncés dogmatiques abstraits pour atteindre le réel, leur utilité même pour la vie chrétienne et la dévotion, est bien développée contre le modernisme par le P. Chossat, voir Dieu, t. iv, col. 815 sq. ; par le P. de Poulpiquet, Le dogme, Paris, 1912, c. i, p. 27 sq. Diverses objections modernistes contre la part que fait l'Église aux énoncés et aux dogmes ont été réfutées à l’art. Dogme, t. iv, col. 1591-1596.

6e conséquence : les énoncés de la révélation sont immuables ; ils ne peuvent, par l’effet du développement des idées ou par l’action des savants, subir une telle évolution qu’ils arrivent à nier ce qu’ils affirmaient. La révélation est un témoignage de Dieu. Or personne ne peut faire varier le témoignage même faillible d’un autre, ni surtout le faire passer de l’affirmative à la négative. Que dirait-on d’un greffier de tribunal, qui changerait le contenu d’une dépo

sition, sous prétexte de la rapprocher de la vérité telle qu’il l’entend lui-même ? En histoire, le témoignage d’un chroniqueur ou d’un savant d’autrefois doit rester ce qu’il est ; nul n’a le droit de faire dire au témoin autre chose que ce qu’il a dit ; pas même au nom du développement des idées et du progrès des sciences, on n’a le droit de remanier son témoignage, de toucher à son texte authentique et certain. Il se peut parfois qu’une mauvaise copie ou une mauvaise version en ait été adoptée, et que la critique ramène au texte authentique ; il se peut que la pensée soit exprimée d’une manière obscure, et que beaucoup l’aient prise à contre sens ; alors il peut y avoir progrès dans l’intelligence du texte, mais la pensée était dès le commencement telle qu’on la découvre enfin, elle n’a pas changé en elle-même. Si le modernisme avait compris que la révélation est un témoignage, comme le Christ l’a dit lui-même, l'Église n’aurait pas eu besoin de condamner cette proposition : « Le Christ n’a pas enseigné un corps déterminé de doctrine, applicable à tous les temps et à tous les hommes, niais il a plutôt inauguré un certain mouvement religieux adapté ou qui doit être adapté à la diversité des temps et des lieux. » Décret Lamentabili, prop. 59, édit. des Questions actuelles, p. xiii ; Denzinger-Bannwart, n. 2059. Un témoignage n’est pas un mouvement qu’on lance, c’est un monument qu’on pose ; aussi l’on dit : les « monuments » de l’histoire. Lorsque certaines paroles de Dieu sont obscures, l'Église peut en définir le sens ; et quand elle l’a fait, il n’y a pas à lui demander d’adopter ensuite le sens contraire : étant infaillible, elle n’a pu se tromper sur le vrai sens. De là l’immutabilité du « dogme » , c’est-à-dire de l'énoncé fait par l'Église d’une vérité révélée. Le concile du Vatican, à l’occasion des erreurs de Gùnther, avait déjà expliqué tout cela : « La doctrine de foi, que I Heu a révélée, n’a pas été livrée aux hommes comme un système philosophique à perfectionner, mais elle a été confiée à l'épouse du Christ comme un dépôt divin qu’elle devait garder fidèlement et déclarer infailliblement. C’est pourquoi on doit conserver perpétuellement aux dogmes sacrés le sens une fois déclaré pal l'Église, » etc. Sess. III, c. iv, Denzinger-Bannwart, n. 1800. Cf. can. 3, n. 1818. Enfin le serment I' l’ic X contre le modernisme nous fait dire : l’rorsus rcjicio liœrclicum commentum evolutionis dogmatum, ab uno in alitim sensum Iranseunlium, diversum ab eo quem prius habu.it Ecclesia. Voir Aria apos !, , li<{e sedis, Rome, 1910, p. 670 ; Denzingcr, 11e édit., 1911, n. 2115. L’immutabilité, nous l’avons vii, est une propriété absolument nécessaire du témoignage de Dieu, et conséquemment du dogme. On étend parfois cette expression immutabilité du dogme » à une propriété contingente de la révélation chrétienne, et qui n’appartient pas à l’Ancien Testament, mais seulement au Nouveau ; elle consiste en ce que la révélation ne s’augmente plus de nouveaux apports divins, depuis la mort des apôtres ; c’est en ce sens qu’il est parlé de 1' « immutabilité des dogmes » à l’art. DOOME, col. 1599 sq. La mutabilité des formules dogmatiques qu’on y admet, col. 1603 sq., le l’emploi de nouveaux mots, mais ne dit point que N'élise ait jamais contredit réellement ce qu’elle avait énoncé d’abord ; au contraire, on y maintient qu’elle n’a jamais porté aile, nie a l’identité substantielle du dogme, col. 1604.

conséquence : la méthode a suivre, quand on

traite de la révélation dans ses rapports avec la foi. Les nouvelles erreurs onl rendu nécessaire une plus sévère méthode, qui ne se perde pas dans les détails I lain i t insiste sur les points importants. Nous ! Qterons de l’esquisser a grands traits :

a) Avant tout, parmi les nombreux phénoni'

même surnaturels, qui pourraient à la rigueur recevoir le nom de révélation, il faut distinguer et séparer du reste la révélation corrélative à ta foi, celle qui peut suffire d’objet à un acte de foi chrétienne et salutaire ; c’est la Seule que le concile du Vatican entende sous le nom de révélation ; il prend toujours « la révélation > en fonction de la foi. Ne nous noyons donc pas, avec certains modernistes, dans des phénomènes mystiques qui ne peuvent servir de base à la foi, parce qu’ils sont ou apurement émotionnels, ou d’un caractère intellectuel trop vague, sans aucun énoncé, sans aucune certitude, ou enfin d’une origine problématique, et douteusement divine, quoiqu’ils puissent provenir de l’opération surnaturelle de Dieu, qui par eux se propose d’atteindre diverses fins, mais non pas celle de baser un acte de foi.

b) Cette révélation corrélative à la foi, il faut établir qu’elle n’est pas autre chose qu’un témoignage de Dieu et tirer de cette vérité les conséquences principales. Voir plus haut, col. 123 sq.

c) Puisqu’un témoignage est communicable et transmissible, puisque Dieu a voulu que le sien fût communiqué à toutes les générations, '"puisqu’il a a exigé de tous les chrétiens l’acte de foi basé sur ce témoignage même, et ayant pour motif l’autorité du témoin qui ne peut ni se tromper ni nous tromper nous-mêmes nous recevons aujourd’hui une vraie révélation, c’est-à-dire cette révélation -témoignage faite aussi pour nous, et qui nous parvient soit par la voie historique ordinaire, soit surtout par l'Église qui en a la garde. Il paraît donc raisonnable, quand on étudie la révélation corrélative à la foi, de commencer par ce qui nous touche de plus prés, c’est-àdire par la réception en nous de cette ancienne révélation, d’autant plus que c’est le cas "ordinaire pour tous les siècles, le cas vraiment pratique pour la foi. Cette réception, c’est-à-dire l’acceptation de certains énoncés comme autrefois révélés, se fait avec le secours de Dieu, mais ordinairement sans aucun phénomène anormal ou miraculeux, ce qui en simplifie l'étude, et accentue la distinction entre la révélation au sens strict et les voies extraordinaires de la mystique, qui n’ont rien à faire ici. Il faut seulement que l’origine divine de ces énoncés ait été constatée, avant le premier acte de foi : ce qui se fait au moyen des motifs de crédibilité dont nous parlerons plus loin et dont s’occupe l’apologétique.

d) Il faut distinguer soigneusement doux choses : a. le fait de cette origine divine des énoncés chrétiens, suffisamment constaté au moyen des motifs de crédibilité : />. la modalité de ce fait. Cette modalité est chose accidentelle et diverse, et en variant elle ne change rien à l’essentiel de la révélation, ni de l’acte de foi. Dieu nous a parlé par les prophètes et les h

graphes de l’Ancien Testament, par le Christ, par les

apôtres ; quel que soit l’instrument Immain dont il se soit servi, cpie cet instrument soit hypostatiquement uni à la divinité, comme dans le Christ, ou qu’il ne le soit pas. c’est toujours le même témoignage divin, motif unique de la même foi. On peut d’ailleurs être assuré de l’existence d’un fait, sans connaître le mode de sa genèse. Aussi l'étude de la révélation intérieure et immédiate, et de tout ce qui peut se (lasser dans lame du prophète ou île l’hagiographo inspiré, est-elle ici chose secondaire et même négligeable.

Quand nous Ignorerions comment se liassent ces phénomènes internes que nous n’avons jamais expérimentés, ni' nous Suffirait il pas de lavoir que le tout puissant, le créateur de l’intelligence humaine, n’est pas a court de movens pour éclairer intérieurement

un prophète, quand il Le veut ? i t notre ignorance du mode nous empêcherait elle de reconnaître, par les molli, de crédibilité, le fuit hn même, c’est à-dln U

qu’il y a eu révélation ? Au reste, le prophétisme intérieur n’est pas la seule origine possible île la révélation divine. Les patriarches et les prophètes ont reçu la révélation très simplement par les sens extérieurs, quand elle leur venait par des anges prenant une forme visible, ou même sans forme visible, formant dans l’air les ondulations d’une vj : x miraculeuse. Les apôtres ont reçu la révélation chrétienne en majeure partie, des lèvres du Christ, qui leur parlait comme on parle d’homme à homme, et dont ils nous ont transmis les enseignements. Il nous a toujours semblé que l’on exagérait de nos jours la préoccupation du prophétisme intérieur quand il s’agit de révélation, et nous sommes heureux de retrouver la même pensée dans une note ajoutée par le P. Janvier à ses conférences sur la foi : « Le mode de la révélation peut se présenter sous différentes formes. Ce qui importe, c’est la communication et non le mode dont Dieu se sert pour nous l’assurer. La manifestation divine peut se faire par l’intermédiaire de signes extérieurs ou par une inspiration purement intérieure. Aujourd’hui, beaucoup ont une tendance à supprimer le premier mode pour s’en tenir uniquement au second. Il y a là une exagération certaine et une concession regrettable faite au subjectivisme. La connaissance de l’homme débute par les sens, et l’on serait bien embarrassé pour prouver qu’il est plus facile de l’instruire sans frapper ses sens extérieurs qu’en les frappant. » Conférences de Notre-Dame de de Paris, La foi, carême 1911, 2e édit., note 2 de la iie conférence, p. 383.

On dira peut-être que remonter des prophètes aux anges qui leur parlaient, ou des apôtres au Christ qui les instruisait, ce n’est que déplacer la difficulté : ne retrouvons-nous pas alors dans le Christ et dans les anges ces phénomènes intérieurs du prophétisme dont nous voulions éviter l’explication, en sorte que toute révélation en dépend nécessairement ? Je réponds que nous ne les y retrouvons pas, et que cette dépendance nécessaire n’existe pas. Comment, en effet, le Christ en tant qu’homme puisait-il la révélation aux sources de la divinité? Non point par les complications du prophétisme et sa demi-lumière condamnée à disparaître au ciel, I Cor., xiii, 8-11 ; mais par la vision intuitive île Dieu, dont son âme jouissait déjà dans sa vie mortelle, d’après le sentiment unanime des théologiens. Cf. S. Thomas, Sum. iheol., III » , q. ix, a. 2 ; q. x. De même pour les anges, qui ont la vision intuitive. Matth., xviii, 10. On voit qu’un des modes (et le principal) de la transmission du témoignage divin a consisté en ceci, que la vision intuitive, cette suréminente « révélation » possédée par le Christ et les anges, a déversé de sa plénitude sur des hommes qui n’en jouissaient pas encore pour leur faire partager quelque chose de son objet par la voie moins parfaite du témoignage, mais d’un témoignage divin, car Dieu témoignait avec son envoyé et parlait par sa bouche.

2° Exposé des systèmes qui ont donné pour base à la foi chrétienne la « révélation naturelle » sous diverses formes. — Dès le xviii siècle, des protestants gagnés au rationalisme, ennemis du miracle et du surnaturel, cherchèrent à rester malgré cela dans les Églises protestantes, et à garder à leur manière les concepts chrétiens de foi et de révélation, en honneur dans ces Églises, et chers aux protestants conservateurs avec lesquels ils voulaient rester en communion, à peu près comme les modernistes de nos jours ont cherché à rester dans l'Église, et en ont gardé le langage avec tin sens tout différent. Ces protestants donnaient pour toute base à la foi du chrétien ce qu’on peut appeler la « révélation naturelle » . Mais comme on peut entendre sous ce terme un peu vague divers phénomènes moraux ou religieux, les uns s’attachèrent à tel de ces

phénomènes, 1er autres à un autre. Lnumérons ces diverses formes de la révélation naturelle, avec les systèmes qui s’y sont rattachés.

1. L’idéal moral.

Kant, en ennemi déclaré du surnaturel, rejette a priori « une triple foi erronée » : la foi aux miracles, la foi aux mystères, la foi à l’efficacité surnaturelle des sacrements. Seule, la foi au Fils de Dieu comme idéal moral de l’humanité a une valeur religieuse : croire ainsi au Christ, c’est vouloir, à son exemple, réaliser en soi l’idéal moral : foi utile et pratique, parce qu’elle contient le principe d’une vie morale et heureuse. Kant, La religion dans les limites de la raison, trad. Lortet, 1842. Cf. Senger, Kanl’s Lehre vom Glauben, 1903, p. 87 sq. Ainsi le bonheur de l’homme est pris arbitrairement pour l’unique fin qui décide de ce qui a une valeur religieuse et de ce qui n’en a pas ; et la foi est confondue avec la volonté postérieure à la foi, avec la volonté d’observer toute la loi morale, de réaliser en soi l’idéal moral ; voir au début de cet article le sens du mot

a foi » .

Dans l’homme-Dieu, poursuit Kant, ce qu’atteint la foi, ce n’est pas le phénomène qui tombe sous l’expérience, c’est le prototype qui réside dans notre raison et qu’elle introduit sous ce phénomène ; l’objet de la révélation et de la foi qui sauve, c’est ce prototype, cet idéal. Ainsi le Christ historique, d’après Kant, n’est qu’une occasion pour notre raison d’atteindre son propre idéal, et pour notre volonté, de le vouloir ; la foi chrétienne ne porte que sur cet idéal rationnel, et le christianisme devient le rationalisme.

Dans le même ouvrage de Kant, un autre point fondamental est la distinction entre cette « foi de la raison » ou « foi morale » — c’est elle qui constitue la religion pure, c’est-à-dire débarrassée de tout élément historique et empirique, et elle est sa démonstration à elle-même parce qu’elle rend l’homme moral et heureux — et la « foi ecclésiastique » ou « historique » , qui est une foi réglementée, dirigée par une Église et fondée sur des Livres saints, donc foi de savants et d’exégètes, sans valeur morale par elle-même, plutôt déprimante et gênante, elle n’a qu’une valeur relative (voilà qui est bien arbitraire). Kant accorde pourtant que la « foi de la raison » pour se soutenir a besoin d'être reliée à une « foi historique » et aidée par une Église. Cf. Senger, op. cit., p. 100 sq.

De ce concept kantiste de la foi au Christ — non pas au Christ réel, mais à un idéal que nous concevons à propos du Christ — paraît dériver l’usage singulier qu’ont fait les modernistes du mot « foi « pour signifier l’idéalisation d’un fait historique, l’auto-suggestion d’une multitude enthousiaste créant peu à peu une légende autour d’un grand nom, et dénaturant par l’idéal le réel de l’histoire. C’est là ce qu’il faut comprendre sous ces expressions onctueuses que les modernistes répétèrent si souvent : « sentiment chrétien, conscience chrétienne, foi des premières générations chrétiennes, » etc. On a pu s’y méprendre pendant longtemps, mais à la fin on y a vu clair avec des explications comme celles-ci : « Tous les dogmes et enseignements de l'Église au sujet de la Vierge Marie procèdent du sentiment chrétien, non de témoignages historiques… Suggestions de la foi, qui tendent au développement d’un idéal religieux et moral. » A. Loisy, Quelques lettres, 1908, p. 77. « Je crois en particulier que les récits de la naissance miraculeuse, dans les Évangiles dits de Matthieu et de Luc, sont purement légendaires et que ceux de la résurrection prouvent seulement la foi de l'Église apostolique. » Op. cit., p. 252. « Tel est, selon les hétérodoxes, le développement de Vespril légendaire, ou, comme disent les mystiques, de la conscience chrétienne. » Houtin, La question biblique au A.e siècle, 1906, p. 258. Ainsi

le modernisme explique-t-il, pour la plus large part, révolution des dogmes, ainsi distingue-t-il un Christ de l’histoire et un Christ de la « foi » . Cf. encyclique Pascendi, édit. des Questions actuelles, p. 13-45 ; Denzinger, n. 2076, 2096. Il peut y avoir aussi en cela une influence de Ritschl. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1801.

2. La voix de la conscience ; la vie morale. — C(tte forme de la révélation naturelle est très voisine de la précédente, puisque l’acte de concevoir un idéal moral est très voisin des actes plus détaillés de la conscience, par lesquels nous jugeons telle ou telle de nos actions, avant de la faire ou après l’avoir faite, moralement bonne ou moralement mauvaise, obligatoire ou prohibée, quelle que soit la théorie psychologique que l’on adopte sur ce fonctionnement de la conscience morale. On peut concéder, en un sens large, que Dieu nous parle par cette « voix » et que par elle il se révèle à nous comme être souverainement moral et comme auteur de la loi naturelle. — C’est à cet oracle de la conscience que certains protestants rationalistes ont réduit la « révélation » et ils ont appelé « foi » l’attention et la libre acceptation qu’on lui donne. De même, M. Loisy ; pour lui l’expérience religieuse, qui est la « révélation » du modernisme, paraît se réduire à « l’expérience morale » dont les progrès successifs sont « une véritable illumination de l’intelligence et un affermissement de la conscience. Cette expérience n’est pas autre chose que la vie morale. » Simples réflexions, p. 246.

3. L’idée d'être, ou d’infini. — Le rationalisme cartésien et ontologiste de l'école de Cousin aimait à employer en philosophie les mots de « révélation » et de « foi » et à présenter la raison humaine, qu’il exaltait outre mesure, comme une parole descendue du ciel, probablement pour suggérer aux catholiques « éclairés » une transformation de leur religion, qu’on pourrait débarrasser de tout « mysticisme » et ramener à la « religion naturelle » de Jules Simon. « La vie intellectuelle, écrit Cousin, est une suite continuelle de croyances, d’actes de foi à l’invisible révélé par le visible, à l’interne révélé par l’externe. Toute pensée, toute parole est un acte de foi, un hymne, une religion tout entière. » Fragments philosophiques, 3e édit., 1K65, t. I, p. 225. Nous croyons fermement, même avec le doute philosophique sur les lèvres, à l’existence réelle de tous les objets que (la raison) nous représente, de la substance dans les phénomènes, de la cause dans les effets, de l’unité dans la variété, de l’identité dans les changements successifs. Chaque idée de la raison est en même temps un acte de foi, et au delà de toutes ces idées…, nous sommes forcés d’admettre encore l’existence de l’incompréhensible, de l’inconnu…, de l’infini en un mot, regardé à tort comme une idée distincte de la raison, tandis qu’il en est le fonds commun, et l’objet immédiat de la foi… C’est ainsi que la foi se trouve au fond même de la raison qui lui doit son unité, son subbine commerce avec l’infini, son autorité irrésistible. Elle fait de la raison une parole vivante descendant du ciel dans l'âme humaine… UI1 véritable médiateur entre Dieu et l’homme. = Ad. Franck, Dictionnaire des sciences philosophiques, 2 édit., 1875, art. Foi, p. 545.

De cet ontologisme qui n’avait de chrétien que l’apparence, on peut rapprocher l’ontologisme d’un véritable chrétien et d’un saint homme, mais mal servi par sa philosophie, Rosmini : i I.'étrc indéterminé. indéniablement connu de toute intelligence, est < quelque chosi de divin qui est manifesté à l’homme dans la nature. Prop. 4' condamnée pat Léon XIII, ! > nzingcr-liannv. art. n. 1894. - L’ordre surnaturel 'institué par la manifestation de l'être, etc. Prop. 16. n. i

4. La connaissance naturelle de Dieu ; l’enseignement d’hommes providentiels. — Un professeur de théologie protestante à l’univers té de Halle, grand ennemi du « surnaturalisme » , Wegscheider, voulut appliquer méthodiquement à toute la théologie le « rationalisme chrétien » , inauguré en Allemagne à la fin du xviii siècle par Reimar et Lessing, comme il le remarque lui-même. Instilutiones theologise christianæ dogmaticæ, 8e édit., Leipzig, 1844, p. 39. Son rationalisme « simple et sobre » , dit-il, qu’on a voulu ridiculiser « en l’appelant vulgaire, maigre, rustique, se met sous le patronage du sens commun… et diffère de ce rationalisme mystique de Schleiermacher et de son école, qui restreint l’usage de la raison et prend pour guide un certain sens immédiat. Il diffère aussi du rationalisme contemplatif que les adeptes de Schelling et de Hegel habillent diversement, à l’aide de la philosophie spéculative dont ils ont plein la bouche, et surtout de leur théorie de Dieu arrivant à prendre conscience de lui-même dans les âmes des hommes… Divisés entre eux, ils s’accordent pour attaquer notre rationalisme et prédire sa mort précoce. » Op. cit., p. 53. Et de fait le pauvre Wegscheider, qui manquait de métaphysique nébuleuse, n’est pas arrivé à la célébrité de ces gens-là ; mais il faut lui reconnaître la clarté un peu terre à terre dont il fait profession. D’après lui, il n’y a de solidement prouvée que la « révélation naturelle » . Elle se divise en « universelle et particulière » . La première, qui éclaire tout homme suffisamment développé, se fait subjectivement par les facultés naturelles de l'àme, objectivement par les œuvres de Dieu dans la nature, dont le spectacle amène nos facultés à la connaissance et au culte de Dieu. La révélation particulière « consiste en ce que la providence de Dieu, mais toujours par le cours naturel des événements, suscite de loin en loin des hommes mieux doués que le commun de l’humanité à l’effet de pénétrer les principes de la vraie religion, et de les répandre autour d’eux avec un singulier succès. » Ce sont les envoyés divins, leurs noms sont dans l’histoire, ils ont fait l'éducation religieuse du monde. Et comme le [dus parfait de tous est le Christ : « voilà, conclut-il, l’intime et éternelle alliance du christianisme avec le rationalisme ! » Op. cit., p. 58, 59.

La révélation « universelle » de Wegscheider pourrait aussi s’appeler une révélation par les choses, la révélation « particulière » une révélation par les hommes. M. Hamack, de nos jours, a rejeté la première et retenu la seconde. « Il n’y a pas, écrit-il, de révélation par les choses. Ce sont des personnes, et avant tout les grands hommes, qui sont les révélateurs de Dieu à l’humanité. » Dans un article de revue, à propos d’une lettre de Guillaume II sur la révélation (février 1903) ; cité par Iloutin, La question biblique au v.V siècle, p. 17.

3°La révélation naturelle, sous ses diverses formes, ne peut suffire à la foi chrétienne. — Pour le montrer, nous n’irons pas chercher d’autre preuve que celle-ci : la révélation nécessaire à la foi chrétienne, c’est la révélation-témoignage de Dieu, nous l’avons déjà prouvé : la seulement peut intervenir le motif spécifique de la foi, la véracité divine. Or par ces diverses formes de la révélation naturelle, Dieu ne témoigne pas : elles ne peuvent donc suffire. Cette preuve a l’avaude rattacher toute cette question difficile à un seul et même concept, déjà solidement établi. Appliquons-la successivement aux diverses formes de la révélation naturelle que l’on a exploitées < antre nous, en nous servant de la division assez commode de Wegscheider.

1. Révélation universelle, prise plutôt du côté

subjectif : la raison, la voix de la conscience, les fa cultes de l’homme. Dieu. pal le fait qu’il crée et conserve ces (acuités, nous fail eoneevoir leurs objets, mi 10

peut le dire, mais non pas sa pensée ni son témoignage sur ces objets ; et quand nous concevons naturellement ces objets, par exemple, un idéal moral, ce n’est pas en passant par l’intermédiaire de la véracité divine et du témoignage divin, auquel nous ne pensons même pas. On peut appliquer à cette connaissance naturelle (et à plus forte raison) ce que nous avons dit de la science infuse : elle n’est pas une parole de Dieu et ne donne pas lieu à la foi. Voir col. 127. Si le cartésianisme a prétendu expliquer par le motif de la véracité divine la certitude fondamentale que nous avons de la valeur de notre raison, c’est un cercle vicieux, comme on s’accorde assez à le reconnaître ; et quand même on pourrait sans illogisme faire appel ici à la véracité divine, elle n’est pas le motif qui intervient pratiquement dans la certitude, comme on peut en faire l’expérience. Si saint Augustin, et après lui saint Thomas, Quæst. disp., De veritale, q. xi ; De magistro, a. 1, ont dit que Dieu, par le fait qu’il crée notre raison avec sa tendance à former les premiers principes, est un maître qui nous parle et nous enseigne, ce n’est là une « parole » qu’au sens large et figuré, puisqu’elle n’a pas pour objet direct de nous faire connaître la pensée de Dieu, et que, d’après saint Thomas lui-même, « parler à un autre, ce n’est pas autre chose que manifester le concept de son esprit à cet autre. » Sum. theol., I » , q. cvii, a. 1. Et quand ce serait une parole au sens propre, en tout cas ce ne serait pas un témoignage, où la véracité divine nous apparaisse et nous offre le motif de la foi ; et quand ce serait un enseignement proprement dit, en tout cas ce serait l’enseignement du maître qui amène l'élève à faire lui-même la démonstration intrinsèque et ainsi lui communique la science, et non pas l’enseignement du maître qui témoigne et fait purement appel à la foi. Voir col. 121. Pour la « voix de la conscience » , c’est, d’après l’explication scolastique, une conclusion par voie intrinsèque, spontanément et rapidement déduite de principes rationnels et de faits d’expérience, et non pas le résultat d’un témoignage. Que si vous préfériez l’expliquer par l’impératif catégorique de Kant, ce ne serait pas non plus le motif du témoignage divin qui lui donnerait sa force, puisque cet impératif fait abstraction de Dieu, et que l’existence de Dieu ne peut en être conclue que postérieurement, par un raisonnement de la « raison pratique » . Ainsi en serait-il de toute autre explication intuitionniste de la conscience morale : une intuition est l’opposé d’une croyance au témoignage.

2. Révélation universelle prise plutôt du côté objectif : l'être, l’absolu, l’infini qui apparaît à notre raison ; le spectacle de l’univers, qui conduit à son auteur. — Avoir l’idée de l'être en général, ce n’est pas avoir l’idée de Dieu ni connaître son existence et sa nature. Voir Ontologisme. Et quand ce serait connaître sa nature, ce serait la connaître immédiatement et intrinsèquement dans l’idée d'être ou d’infini, comme le veulent les ontologistes et non pas par la voie du témoignage, qui est médiate et extrinsèque. — Dans le spectacle de la nature se révèlent, avec l’existence de Dieu, ses attributs de sagesse, de grandeur, etc. Cf. Ps. xviii, 2. Mais ces œuvres de Dieu ne sont pas une parole proprement dite, qui puisse nous témoigner de sa pensée intime sur lui-même et ses attributs, en sorte qu’il y ait lieu à cette question : Le témoignage de Dieu est-il ici conforme à sa pensée ? question résolue par la véracité divine, motif de notre foi. Et pourquoi les étoiles, les plantes et autres œuvres de Dieu ne sont-elles pas proprement une parole ? Parce que leur fin principale n’est pas d'être un langage, de signifier la pensée de quelqu’un ; chacune a sa fin propre, très différente de cela. Et quoiqu’on puisse les prendre secondairement comme signes nous condui sant à Dieu, ce sont là signes naturels, qui conduisent à une chose et non à une pensée, et où la question de véracité ne peut se poser ; elle ne se pose réellement que dans les signes conventionnels tels que nos langues humaines, systèmes de signes destinés avant tout à signifier, dont la fin objective et normale est de faire connaître notre pensée, et qu’il arrive à l'être libre d’employer soit pour atteindre cette fin normale, soit au contraire pour tromper les autres sur sa propre pensée et indirectement sur les choses. « La véracité, qui est une vertu de la volonté, consiste en ce qu’on a l’intention d’employer des signes qui manifestent ce qu’on a dans l’esprit, comme le mensonge consiste dans l’intention d’employer des signes qui ne soient pas conformes à la pensée du menteur ; bref, la véracité et le mensonge supposent l’intention de choisir des signes pour manifester le vrai ou le faux ; enlevez cette intention de la volonté, vous détruisez la notion de véracité ou de mensonge. Voir S. Ihomas, Sum. theol., II a II æ, q. ex, a. 1. Or les seuls signes conventionnels, et non pas les signes naturels, ont la propriété de pouvoir être appliqués à volonté et par intention à signifier ou le vrai ou le faux… Si les signes naturels ne sont pas aptes par eux-mêmes à faire intervenir la véracité de Dieu ou auctoritas Dei revelanlis, concluons que l’assentiment qui s’y appuie n’est pas un assentiment de foi. » Wilmers, De fide divina, Ratisbonne, 1902, p. 77.

3. Révélation particulière : grands hommes, révélateurs de Dieu à l’humanité. — Ici, grâce à cet intermédiaire humain, nous avons des signes conventionnels, une parole, un enseignement, et nous pouvons avoir un témoignage : mais encore faut-il que ce témoignage soit divin et nous soit connu comme tel, puisque le motif spécifique de la foi n’est pas l’autorité d’un homme, mais celle de Dieu qui révèle. Pour crue le témoignage sorti des lèvres de l’homme nous arrive comme divin, il faut donc plusieurs conditions : que l’homme soit ici un simple agent de transmission ; que, par une intervention spéciale, Dieu lui fasse savoir ce qu’il doit promulguer en son nom, et veille ensuite à ce que la transmission soit fidèle ; enfin, que nous soyons avertis et assurés de cette intervention divine par des preuves certaines, de manière à pouvoir baser notre foi ferme sur la science et la véracité de Dieu même, sans cela pas de foi divine. Le Christ, d’ailleurs, prend soin de signaler toutes ces conditions dans l’enseignement qui sort de ses lèvres humaines. On entend l’homme, mais c’est Dieu qui parle par sa bouclie, Dieu qui a déterminé ce qu’il fallait dire au genre humain : « Ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé. » Joa., vii, 16. « Celui qui croit en moi, croit non pas en moi, mais en celui qui m’a envoyé… Car je n’ai point parlé de moi-même ; mais le Père, qui m’a envoyé, m’a prescrit lui-même ce que je dois dire et ce que je dois enseigner. » Joa., xii, 44, 49, 50. Et comment pouvons-nous savoir qu’il n’y a pas erreur dans la transmission ? A cause de l’assistance spéciale que Dieu donne à son envoyé pour cela : « Comme mon Père m’a enseigné, ainsi je parle. Et celui qui m’a envoyé est avec moi, et il ne m’a pas laissé seul. » Joa., viii, 28, 29 ; cꝟ. 16. « Dieu est avec quelqu’un, » lecution biblique pour exprimer une assistance divine spéciale et suivie d’un heureux succès. Enfin le Christ ne se contente pas d’affirmer tout cela, il le prouve par ses miracles, sans oublier le miracle moral de sa doctrine splendide et de sa sainteté. Joa., m, 2 ; v, 36 ; x, 37 ; xi, 42 ; Matth., xi, 2 sq.

Venons maintenant à ces grands hommes, dont le rationalisme a fait « les révélateurs de Dieu à l’humanité. » Les uns, comme Socrate ou Platon, ont eu sur la divinité un enseignement plus pur que leurs devanciers, et ont pu exercer sur la philosophie une heureuse

influence ; mais ils ne se sont pas même donnés comme envoyés de Dieu, parlant en son nom ; la « révélation » qu’ils ont fournie ne pouvait donc être un témoignage de Dieu, ni l’adhésion à leur enseignement ne pouvait être la foi divine que nous cherchons. Les autres, comme Moïse ou Mahomet, ont affirmé une mission surnaturelle et prophétique : mais ce n’est pas tout d’affirmer ce fait mystérieux, il faut le prouver, autrement nous serions à la merci du premier venu, illusionné ou trompeur, et, sous couleur d’obéir à Dieu qui parle, nous ferions même injure à Dieu, en nous exposant à confondre avec une parole purement humaine sa parole sacrée, à dégrader la majesté infinie de son témoignage, et à lui faire patronner l’erreur comme un faux témoin. Or le rationalisme, en rejetant tout miracle, supprime la seule preuve qui pourrait nous garantir la mission surnaturelle prétendue. En effet, le miracle supprimé, que reste-t-il ? Et par quel signe Dieu fera-t-il voir qu’il se porte garant de ce que ces grands hommes enseignent ? Leur génie, leur éloquence, leur science, leur utilité relative, leur succès ? Mais Dieu n’est pas tenu de réserver ces dons à ceux-là seuls qui sont ses envoyés infaillibles, et avec l’enseignement desquels il se solidarise. Ces dons sont choses qu’il distribue à ses ennemis aussi bien qu'à ses amis ; et on peut les rencontrer dans une aventure déplorable, aussi bien que dans une œuvre surnaturelle et divine. Enfermer Dieu dans le cours naturel des choses, comme l’ont fait les déistes et les rationalistes, c’est donc lui refuser toute possibilité de se servir des hommes comme ses envoyés, pour témoigner par eux et faire appel à notre foi. — Et en voici la raison profonde. Quand les causes secondes agissent suivant le cours ordinaire de la nature, Dieu n’est pas obligé d’intervenir surnaturellement à tout instant pour empêcher les défauts naturels de leur action, par exemple, les erreurs de l’homme, même de science et de génie, ou les succès de l’erreur. Il convient même crue Dieu tolère ces défauts de la nature, soit pour laisser aux choses un cours régulier qui ne déroute pas à chaque instant les prévisions de l’homme, soit pour laisser à la liberté humaine ordinairement tout son jeu ; et la tolérance n’est pas l’approbation. Sans doute, la providence surveille tout, et rien ne se fait sans son laisser-passcr : mais Dieu ne veut pas de la même manière tout ce qui se fait ; s’il est des choses qu’il veut positivement, et qui correspondent à son plan, à ses lois, il en est beaucoup d’autres, par exemple, le péché, la ruine des âmes, le succès d’une fausse religion, où simplement il laisse faire, sans prendre la responsabilité de ce qui se dit et se fait. Concile de Trente, sess. VI, can. 6, Denzinger, n. 810. Calvin seul a nié la distinction « hces deux manières de vouloir en Dieu ; du reste, ailleurs, sous la pression du bon sens, il est revenu sur cette négation. "Voir Calvinisme, t. ii, col. 1408, 1419. Si donc l’on veut plus qu’un simple laisser-passer, si l’on veut que Dieu, à travers l’intei médiaire humain, ait l’intention positive de nous parler, et nous la manifeste — sans quoi il n’y aurait de sa part ni parole ni témoignage faisant appel à notre foi — il faudra qu’il recoure à un signe dépassant l’action naturelle de foutes les causes secondes,

à un signe qu’il s’est réservé comme une propriété de sa puissance suprême, le miracle. Tombant sur l’enseignement d’un homme, le miracle nous y fait reconnaître une parole que Dieu a inspirée et dont il prend pon abilité En dehors du miracle)r ' s M s, , " s impie qui comprend la prophétie, le miracle interne. ! miracles moraux), il ne reste que le cours naturel, |es événements, où Dieu, à un moment donné, peut simplement laisser faire, et qui, par conséquent, ne peut ervii à marquer sou approbation. Admettre un Dieu personnel <t rejeter le miracle, comme l’ont

fait les rationalistes, c’est donc rendre impossible le témoignage de Dieu, seul motif de la foi chrétienne ; c’est faire de Dieu un roi muet enfermé dans son palais, qui ne peut ni parler à son peuple ni même lui écrire, qui ne peut faire savoir, par exemple, s’il veut pardonner et à quelles conditions, ni communiquer un secret, ni déterminer par une loi positive le culte qu’il désire et les prescriptions souvent si vagues de la loi naturelle. Une telle conception de Dieu contredit absolument celle que nous donnent les Évangiles et les Épîtres de saint Paul ; les « rationalistes chrétiens » , ou de quelque autre nom qu’ils se parent, font preuve de rationalisme, mais non de christianisme. Voir Crédibilité, col. 2216-2219 ; S. Thomas, '] Cont. gentes, 1. III, c. cliv.

En passant, on peut voir à quoi sert le miracle dans la révélation et dans la foi. Certains catholiques, mécontents de l’apologétique traditionnelle, ne le voient pas, ou bien s’imaginent que le miracle sert uniquement à abattre l’homme devant la puissance de Dieu, ou à étonner, à attirer les regards distraits, à la manière d’un prédicateur qui a le tort de frapper du poing sur la chaire pour forcer l’attention. Une comparaison meilleure, et traditionnelle celle-là, c’est que le miracle est comme la signature ou le cachet divin au bas de la page inspirée. S. Thomas, Sum. IheoL, III » , q. xliii, a. 1. Dieu dirige la pensée et la parole d’un homme qui nous donne de sa part un enseignement, soit oral, soit écrit : voilà le témoignage spécial de Dieu, avec tout son détail d’affirmations et d'énoncés. Mais pour que cet enseignement soit connu de nous non comme humain, mais comme divin, et que nous puissions arriver ainsi à l’acte de foi, Dieu ajoute un complément nécessaire, le miracle confirmant la mission de cet envoyé : voilà un témoignage général de Dieu, tombant sur tout ce détail d'énoncés pour nous en montrer la provenance et par conséquent le véritable caractère. Les miracles, dit le P. Janvier. « c’est comme une seconde parole de Dieu qui rend témoignage à la première, c’est le doigt de Dieu apparaissant pour indiquer le livre et la tradition qui contiennent l’enseignement infaillible descendu d’en haut, ce sont les phares destinés à éclairer dans les profondeurs de la nuit ceux qui cherchent où la voix du Verbe s’est fait entendre, c’est le geste de la Puissance et de la Sagesse suprême, conduisant l’homme au sanctuaire où la Vérité suprême a rendu ses oracles. » La foi, carême 1911, 2e édit., n c confér., p. 76, Le miracle fait donc nécessairement partie de l’ensemble de signes par lesquels le témoignage divin et la foi nous sont donnés. Les simplistes auraient toit de reprocher à cet ensemble sa complication : la télégraphie, elle aussi, n’est-elle pas compliquée dans son mécanisme, et cela l’empêche -t-U d'être exacte et pratique ?

Suffisance de la révélation médiate.

Notre foi

peut s’appuyer sur des révélations très anciennes, reçues à l’oriRine par d’autres que nous : car la révélation, base de notre foi chrétienne, est un témoignage de Dieu, et un témoignage peut se transmettre par la parole ou l'écriture à plusieurs siècles de distance, autrement les sciences historiques n’existeraient pas. Voir col. 129. Cette révélation ancienne qui, grâce à un premier intermédiaire Inspiré, puis a des intermédiaires historiques, vient aujourd’hui faire appel à notre foi, c’est ce que les théologiens appellent la

révélation médiate » . L- : t Us enseignent communément

qu’eue nous suffit a faire l’acte de foi, sans révélation

Immédiate lurnatureDement produite en nous, l’uis qu'à la foi chrétienne répond comme motif l' autorité du témoignage de Dieu, il suffit que i ' igc ROi ! présenté a M foi lune manière on d’une autre,

avec ou s ; ms Intermédl m. cette qui stion de mode m

FOI

144

lité ne changera pas le motif spécifique de la foi ni par conséquent son essence.

Dès le commencement du protestantisme, il n’a pas manqué de sectes illuminées pour faire de chacun des fidèles autant de prophètes. On y exigeait pour la foi chrétienne cette révélation immédiate : soit qu’on finît par la substituer entièrement à la révélation médiate, ainsi les anabaptistes, du temps même de Luther, en étaient venus à se moquer de la Bible, Bibcl, Babel, voir Vigouroux, Les Livres saints et la critique rationaliste, 2e édit., Paris, 1886, t. i, p. 446 ; soit qu’on l’adjoignît plutôt à la Bible, ainsi les quakers enseignèrent qu’il y a deux révélations nécessaires, l’une complétant l’autre, 1' « extérieure » et 1' « intérieure » . Voir Mœlher, La symbolique, trad. Lachat, 2e édit., Paris, 1852, t. ii, p. 228 sq. Plus tard, quand naquit chez les protestants le « rationalisme chrétien » , on eut une autre espèce de révélation immédiate et intérieure, où le fait miraculeux était remplacé par un phénomène absolument ordinaire et normal : idéal conçu par notre raison, voix de la conscience, etc. Voir col. 136 sq. De tels phénomènes se passent aujourd’hui même, et sont évidemment personnels à chacun de nous. Ceux-là seuls, parmi les rationalistes, qui parlent de « révélation par les grands hommes, » conçoivent encore la révélation comme un fait ancien dont bénéficient, à leur manière, les âges suivants, comme un fait particulier à quelques-uns et dont profitent tous les autres. D’autres exigent qu'à ce fait ancien vienne se joindre un fait nouveau du même ordre : « Ne crois pas, ô mon frère, s'écrie Aug. Sabatier, que les prophètes et les initiateurs t’aient transmis leurs expériences pour te dispenser de faire les tiennes… Les révélations du passé ne se démontrent efficaces et réelles que si elles te rendent capable de recevoir la révélation personnelle que Dieu te réserve… Ainsi la révélation divine qui ne se réalise pas en nous et n’y devient pas immédiate, n’existe point pour nous. » Esquisse, p. 58, 59. Ce mot de < révélation » et le terme encore plus vague d' « expérience religieuse » servent par leur ambiguïté aux protestants modernes, pour établir, dans une même secte, une sorte d’unité apparente. Qu’il s’agisse de « révélation » faite immédiatement au Christ ou aux prophètes ou à nous-mêmes, les uns, surnaturalistes et conservateurs, entendent par là un phénomène vraiment miraculeux, inexplicable par les causes naturelles ; les autres, naturalistes et libéraux, entendent sous le même mot un phénomène franchement naturel et ordinaire à tous les hommes, comme la voix de la conscience ; d’autres enfin, un fait indécis, situé sur les confins du surnaturel, un phénomène psychique et anormal, comme ces faits de commotion et de conversion subite chers à beaucoup de protestants et racontés par W. James, qui les explique naturellement, sans décourager pourtant les bonnes âmes préférant y voir du surnaturel. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1803, 1804.

La question de la révélation immédiate et personnelle, dans ses rapports avec la foi, vaut donc qu’on s’y arrête. Distinguons d’abord entre connaissance immédiate et révélation immédiate. La foi, puisqu’elle n’affirme une vérité qu’en passant par l’intermédiaire du témoignage divin, ne peut être une connaissance immédiate. Voir col. 107 sq. Mais elle peut s’appuyer sur une révélation immédiate et personnelle ; elle se prête également aux diverses présentations du témoignage divin. Abraham n’est-il pas donné par l’apôtre comme le prototype de la foi qui sert à la justification et au salut, Rom., iv, 4, sq.? Or l’acte de foi loué ici par l’apôtre portait sur une révélation faite immédiatement et personnellement à Abraham, 18-22. Cf. Gen., xv, 4-6. Une telle révélation, avec les condi tions voulues, peut donc suffire à l’acte de foi divine et salutaire. D’autre part, la révélation médiate suffit aussi à la foi : Jésus renvoyait déjà les Juifs à une révélation fort ancienne, confiée à l'écriture. Joa., v, 46, 47. Est encore médiate la révélation qui se propage par la prédication : or celle-là non seulement suffit, mais elle est pour nous l’ordinaire, dont nous devons nous contenter ; témoin saint Paul, qui fait de la prédication une condition normale de notre foi. Rom., x, 14Et l’on ne peut entendre l’apôtre en ce sens, que la prédication soit nécessaire pour exciter en chaque fidèle une révélation personnelle : une telle nécessité ne peut exister, car on pourrait trouver bien d’autres causes excitatrices, en dehors de la prédication ; du reste, si la révélation immédiate, comme le disent certains protestants, était une condition essentielle de l’acte de foi, saint Paul, énumérant ces conditions pourrait-il passer celle-là sous silence ? Et puis nous demanderons à chacun d’eux ce qu’il entend par ces termes de révélation immédiate ou personnelle. Si c’est la révélation naturelle de la raison, de la conscience, nous avons déjà montré qu’elle ne peut suffire à la foi chrétienne. Si c’est une extraordinaire commotion (psychique ou miraculeuse) sans aucune affirmation divine, et que l’homme interprète à sa façon par des affirmations sans valeur objective (Tyrrel), nous avons déjà répondu en prouvant que le motif de la foi chrétienne est le témoignage de Dieu, l’affirmation de Dieu, et que la « révélation » qui s’adresse à notre foi n’est autre chose que cette affirmation et ce témoignage. Si c’est une affirmation de Dieu lui-même, communiquée surnaturellement et directement au fidèle, comme l’entendent les sectes illuminées du protestantisme, nous ferons remarquer combien dangereux serait un état de choses où tous les chrétiens, à toute époque de l’histoire, même les plus grossiers et les plus ignorants, auraient le droit de se considérer comme des prophètes infaillibles et inspirés : de là ces horreurs du fanatisme, que nous Usons dans l’histoire des sectes. Il y aurait aussi là une excessive et inutile multiplication de miracles intérieurs ; l’humanité peut avoir la révélation surnaturelle à meilleur compte, en la recevant simplement par intermédiaires. D’autant plus qu’il faudrait encore des miracles extérieurs, pour prouver ce charisme intérieur à ceux qui, au nom de la raison, refuseraient de l’admettre ; Luther lui-même, et à juste titre, demandait aux anabaptistes des miracles, pour prouver la mission qu’ils s’arrogeaient en vertu de prétendues révélations personnelles : et cela se retournait contre lui. Voir Dcnifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, 1912, t. iii, p. 257-261. Non, la sagesse divine n’a pu établir une espèce de christianisme aussi funeste : des révélations que chacun ait le droit de supposer en soi sans en fournir aux autres la preuve ; des états anormaux devenant la foi normale ; l’exaltation et le trouble jetés dans une foule d'âmes faibles et maladives ; tant de portes ouvertes sur la folie et sur le crime I Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1831. Enfin de quelque façon naturelle ou surnaturelle que l’on conçoive cette révélation immédiatement donnée à chacun, elle aurait peine à coexister en pratique avec une société religieuse, une autorité, une hiérarchie, des institutions liturgiques. Voir ibid., col. 1830. Or, ces institutions, ces liens sociaux sont nécessaires à l’homme et voulus de Dieu ; leur nécessité est reconnue même par des penseurs étrangers au catholicisme. « Les choses communes, actes, croyances, symboles, institutions, sont une partie essentielle de la religion, même sous sa forme personnelle… Si le sentiment est l'âme de la religion, les croyances et les institutions en sont le corps ; et il n’y a de vie en ce monde que pour des âmes unies à des corps. » E. Boutroux, dans la Revue

de métaphysique et de morale, janvier 1908, p. 27. « Lareligion est-elle ou un fait individuel, ou un fait soeial ?… Le Christ a-t-il voulu fonder une religion individualiste ? A cette double question, j’ai toujours répondu : La religion est un fait social ; la religion chrétienne est une société universelle, qui tient du Christ le principe de son institution et de sa foi. » A. Loisy, Simples réflexions, p. 115. C’est une conception très forte de la religion comme société qui a rapproché Brunetière du catholicisme. — L’individualisme religieux, si par impossible il venait à triompher partout, s’il produisait le grand naufrage des dogmes et des institutions ecclésiastiques, serait condamné à disparaître bientôt lui-même, dernière écume de la vague où sombrerait la religion. Les sectaires antireligieux le sentent fort bien, et ne craignent guère cet individualisme protestant ou moderniste qui, à la manière d’un dissolvant, travaille pour eux.

Les révélations privées et la foi chrétienne.


Appuyer la foi de tout chrétien sur une prétendue révélation personnelle et privée ; confondre la révélation, base nécessaire de notre foi et lien social de l'Église, avec les voies extraordinaires de la mystique et les illuminations de luxe, c’est un trait caractéristique du modernisme, et cette erreur nouvelle donne une nouvelle importance à la vieille question théologique des « révélations privées » , dans leur rapport avec la foi.

La révélation « immédiate » , c’est-à-dire faite sans intermédiaire humain, n’est pas toujours « privée » Tout dépend ici de l’intention divine, suffisamment manifestée. Si Dieu parle directement à un seul, mais pour tous, c’est-à-dire avec l’intention que cette révélation soit communiquée à tous et fasse partie de l’ensemble de vérités que tous les chrétiens devront croire, explicitement ou implicitement, une telle révélation immédiate ne devrait pas être dite < privée » , mais « publique » à raison de sa destination. Ainsi, des révélations successives faites aux envoyés divins, à Abraham, à Moïse, aux prophètes, aux apôtres, sont venues grossir le « dépôt de la foi » , le patrimoine futur de la religion chrétienne. A côté, il y a place pour d’autres révélations immédiates, faites non pas seulement à un seul, mais pour lui seul, et sans intention de les introduire dans le dépôt de la foi : ce sont les révélations privées. Le concile de Trente les suppose possibles même aujourd’hui, quand il dit que personne ne peut savoir avec une absolue certitude qu’il aura le don de la persévérance finale « à moins de l’avoir appris par une révélation spéciale. » Sess. VI, can. 16, Dcnzinger, n. 826.

A quoi reconnaître qu’une révélation est « privée » ? Dans le cas précédent, où quelqu’un reçoit du ciel l’assurance de sa persévérance et de son salut, on voit assez par la nature même de l’objet révélé qu’il s’agit, dans l’intention divine, d’un bien purement personne et non d’un bien général, que la révélation ici n’est pas pour tous. Toutefois ce critère interne n’est pas à lui seul et pour tous les temps un suffisant indice. Car des révélations qui seraient privées, à ne considérer que la nature de leur objet, mais qui ont été consignées ensuite dans la sainte Écriture, sont entrées par l.i menu : dans le dépôt de la foi, que Dieu destine a tons. Dominique Gravina, dans un bon ouvrage sur les liions privées, en fait la remarque : « Nous croyons maintenant de foi catholique beaucoup de particulier ! racontés dans les Écritures, parce qu’ils ont revêtu la forme publique de la foi, in publicnni formant translerunt credendl, étant écrits dans les livres Inspirés, bien qu’ils n’appartiennent que

secondairement ; i la foi catholique, d’après s ; nnt

Thomas ; les niri blesserall lafoi, cai une telle négation tendrait à conclun que l'Éci Iture est fausse. Voir Sum.

iheol., II a II æ, q. il, a. 5. » Gravina, Ad discernendas lieras a falsis visionibus et revelalionibus… lapis lydius, Naples, 1638, part. I, 1. I, p. 84.

Mais nous avons un autre critère des plus simples, qui nous permet de ranger en bloc parmi les révélations privées toutes les révélations immédiates à partir du moment où fut close l'ère de la composition des livres inspirés. Il est fondé sur ce principe, que le patrimoine de la révélation commune à tous les chrétiens, le « dépôt de la foi » , ne s’augmente plus depuis la mort des apôtres. A la suite du concile de Trente, le concile du Vatican déclare que la révélation surnaturelle, base de notre foi, « est contenue dans les Écritures, et dans les traditions non écrites, reçues par les apôtres de la bouche du Christ, ou dictées aux apôtres par le Saint-Esprit. » Sess. III, c. ii, Denzinger, n. 1787. Ainsi le dépôt de la révélation est clos en même temps que l'ère apostolique. Cette vérité a été attaquée par des modernistes qui voulaient fonder notre foi religieuse sur une révélation personnelle, et dont on a condamné la proposition suivante : « La révélation qui constitue l’objet de la foi catholique n’a pas été terminée avec les apôtres, non fuit cum apostolis compléta. » Décret Lamentabili, prop. 21, Denzinger, n. 2021. En vain, M. Loisy proteste : « L’idée de marquer un terme à la révélation divine est toute mécanique et artificielle. Inutile d’observer qu’elle est étrangère aux apôtres ; mais elle est en rapport avec l’idée, non moins mécanique et toute mythologique, disons enfantine, qu’on se forme de la révélation elle-même. » Simples réflexions, p. 5X. L’idée d’une révélation purement médiate, avec transmission historique, est au contraire très simple, tris rationnelle, et n’a rien de mécanique ni d’enfantin. Quant au terme de cette révélation, ce n’est pas nous qui le marquons artificiellement, et ce n’est pas une idée étrangère aux apôtres. Voir Franzelin.De tradilionc, thés, xxii, 2e édit., Rome, 1875, p. 268 sq. ; Palmieri, De romano ponlifice, 2 c édit., Prato, 1891, p. 187189. Quand les Pères disent que notre foi est « apostolique » , ils expriment ce fait même : tout nous vient des apôtres en fait de révélation et de foi, rien après eux ; à eux il faut sans cesse remonter. Voir Dogme, t. iv, col. 1600 sq. Enfin, il serait facile de montrer que nos grands mystiques ont toujours reconnu cette vérité : ce n’est pas sur leurs révélations personnelles qu’ils basaient leur foi chrétienne, c’est sur l'Écriture et l’ancienne tradition, interprétées par l'Église ; et le modernisme a tort de se réclamer parfois de ces saints et de ces saintes, quand il cherche à fonder la foi et la religion sur une révélation immédiate faite à chaque fidèle.

Entre la révélation publique, objet de notre foi, et une simple révélation privée, il y a une autre différence du côté de la transmission et de l’assistance divine qui la protège. Quand Dieu donnait à un envoyé la mission de parler en son nom et par là faisait appel à la foi de tous, il l’empêchait d’y mêler des erreurs, il l’assistait surnaturellement pour que ses paroles, écrites ou non, fussent vraiment la parole de Dieu. Noir col. 128. Il n’en est pas ainsi, quand un mystique raconte ou écrit les révélations pi Ivées qu’il a cru recevoir à divers mo ments de sa vie ; même dans l’hypothèse où ce furent de vraies révélations, la transmission exacte n’est pas garantie, et des erreurs peuvent s’y mêler, soit défaut de mémoire, soit difficulté de distinguer entre le moment précis de la révélation et le moment suivant où

l’homme a pu ajouter du sien. Voir A<, i : ï n ( Marie <l),

1. 1, col. 629. Et en général, l’expéi lence des mj itiques est souvent difficile à communiquer aux autres, il su (lit qui lie I' m serve i eux, c’est ordinairement son but principal. Aussi l'émotion, l’affection y jouent souvent un plus grand rôle que l’affirmation. Au cou

traire, dès que la révélation a une portée sociale, dès qu’elle est destinée à toute la société religieuse, l’émotion du prophète n’est qu’un fait secondaire et accidentel ; l’important, c’est » qu’il ait été, entre les mains de Dieu, un bon instrument d’affirmation. » A. Gardeil, Le donné révèle, 1910, p. 55. Cf. p. 48-56.

Admettant des révélations privées, en quoi différons-nous des sectes illuminées du protestantisme ? — 1. Nous ne faisons pas comme eux, de ces révélations, une base nécessaire de la foi chrétienne. Pour nous, elles supposent la foi déjà constituée, et ne servent qu’à diriger la conduite, comme dit saint Thomas, non adnovam doctrinam fidei depromendam, sed ad humanorum actuum directionem. Sum. theol., IIa-IIæ , q. clxxiv, a. 6, ad 3um. — 2. Nous les regardons comme une exception, non comme la règle et le droit de tous les fidèles. — 3. Nous en exigeons des preuves sérieuses, et même chez les grands saints, nous les soumettons à une rigoureuse critique : témoin les procès de canonisation. Les âmes qui pensent avoir reçu des révélations ne sont pas crues facilement par leurs directeurs ; elles sont rappelées à une extrême prudence, et ne sont dispensées ni de l’obéissance ni des devoirs communs. Chez les illuminés, au contraire, souvent nul examen ; chacun s’attribue des révélations aisément et sans preuve, et s’en autorise aussitôt pour prêcher les autres, pour se dispenser des lois ordinaires ; de là, dans l’histoire de ces sectes, tant d’excentricités et même de crimes. Voir Milner, The end of the religious conlroversy, lettre vi, trad. franc., dans Migne, Démonstrations évangéliques, Paris, 1843, t. xvii, p. 601 sq. Défaut de critique même aujourd’hui dans l’expérience religieuse des protestants, voir Expérience’religieuse, t. v, col. 1835, 1836, 1853. — 4. L’expérience mystique des illuminés tend à détruire toute autorité religieuse. Ainsi les quakers rejettent tout ministère ecclésiastique, toute liturgie : « Nos frères s’assemblent, dit leur apologiste Barclay, dans une salle privée de tout ornement… Là, sans prononcer une parole, assis sur des bancs, dans une immobilité complète, ils se recueillent en eux-mêmes et se préparent à recevoir l’inspiration d’en haut, » etc. Dans Mœlher, op. cit., p. 248 sq. Au contraire, nos mystiques respectent la hiérarchie, et sont toujours prêts à se soumettre à son jugement. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1860. Et l’Église, sans laisser aux prédicateurs le droit de répandre telle nouvelle prophétie ou révélation privée, évoque ces matières à son tribunal. Léon X au Ve concile de Latran en 1516, bulle Supernæ majestalis, Hardouin, t. ix, col. 1806 sq. Cette action régulatrice de l’Église sur les révélations privées est si évidemment bienfaisante que des protestants pieux, inquiets de leurs expériences mystiques, ont été amenés à l’Église catholique parce qu’ils ne pouvaient trouver ailleurs la direction et le discernement dont ils sentaient vivement le besoin. Ainsi Hecker écrivait en 1886 : « J’ai été forcé de choisir un guide, sous peine de tomber dans le fanatisme le plus extravagant. » Dans W. Elliott, Le P. Hecker, trad. franc., 5e édit., 1897, c. x, p. 117. Cf. p. 114. D’autre part, l’Église, après avoir longuement examiné et suffisamment vérifié certaines révélations privées, s’en est servie pour la direction de quelques-uns de ses actes, ad humanorum actuum directionem, comme d’instituer une fête ou des dévotions, dont l’objet se justifie d’ailleurs indépendamment de la révélation privée, par des principes tirés de la révélation publique et de la foi chrétienne (institution de la fête du Saint-Sacrement, de la dévotion au Sacré-Cœur, etc.). Voir Cœur sacré de Jésus, t. iii, col. 293. Cette influence reconnue exceptionnellement par la hiérarchie à de simples laïques, à des femmes, rappelle à tous que la toute-puissance de Dieu brille dans les faibles ins truments dont il se sert, I Cor., i, 27 sq. ; qu’il est le souverain maître de ses dons ; que, s’il a attaché la grâce sanctifiante à l’action des ministres des sacrements, il s’est réservé la communication directe avec les âmes dans l’ordre de la grâce actuelle et dans celui des charismes ; qu’il fait briller dans tous les siècles de la vie de l’Église ces dons surprenants dont l’apôtre a affirmé la libre distribution par l’Esprit-Saint, même en dehors de la hiérarchie, I Cor., xii ; bien qu’à l’origine ils fussent plus répandus, pour autoriser et soutenir le christianisme naissant. Les révélations privées peuvent donc servir même à l’utilité générale, et c’est bien à tort que Mélanchthon et quelques autres protestants les ont attaquées. Voir Benoît XIV, De servorum Dei beatij. et canonizatione, 1. III, c. lui, n. 2, 3, Opéra, Prato, 1840, p. 600, 601.

Ceci posé, y a-t-il obligation de croire à ces révélations ? Oui et non. Oui, s’il s’agit de la personne qui les reçoit, et si, après les examens et les contrôles voulus, elle reconnaît que Dieu lui a parlé, que le doute à cet égard n’est plus un doute prudent : s’abstenir alors de croire serait fane injure à Dieu ; s’il parle à quelqu’un, il fait appel à sa foi. Voir Lugo. De fide, dist. I, n. 227, 229, Opéra, Paris, 1891, 1. 1, p. 112, 113. — Non, s’il s’agit d’autres fidèles vers lesquels Dieu n’a pas dirigé la manifestation de sa pensée ; lors même qu’ils entendent parler de révélations privées faites à autrui, ils ne sont pas tenus de faire là-dessus une enquête, et peuvent passer leur chemin : ce n’est pas là mépriser une révélation peut-être réelle, mais exercer leur droit de ne pas s’en occuper. Dieu n’a pas fait appel à leur foi : on peut dire tout au plus qu’il a parlé devant eux, à leur connaissance, et non qu’il leur a parlé. « Ce n’est pas la même chose de parler d quelqu’un et de parler devant quelqu’un, » comme l’explique Lugo, loc. cit., n. 197, p. 101. Seule la révélation publique doit, dans l’intention divine, être transmise à tous et devenir l’objet de la foi de tous : c’est ce qui la caractérise.

De cette liberté laissée aux fidèles concluons que, si les prédicateurs peuvent faire une allusion utile à des apparitions ou révélations autorisées, devant un pieux auditoire où elles sont communément admises, ils auraient tort d’en surcharger des esprits qui ont déjà quelque peine à croire ce qui est d’obligation. Il en serait sans doute autrement si l’Église, en autorisant la diffusion d’une révélation privée, l’imposait par là même à la foi universelle des chrétiens ; mais tel n’est pas le sens de son autorisation. « Cette approbation, dit Benoît XIV, n’est pas autre chose qu’une permission de les pubher pour l’édification et l’utilité des fidèl « s, après mûr examen. » Et il cite Gerson d’après lequel « il importe peu qu’une pieuse croyance des fidèles tombe parfois à faux ; non pas qu’on puisse jamais croire le faux comme tel, et quand on le reconnaît comme tel, chose indigne de la piété des fidèles ; mais leur pieuse opinion n’est pas une question de vrai ou de faux, mais seulement de probabilité, d’apparence. » Benoît XIV, op. cit., 1. II, c. xxxii, n. 11, 12, p. 300, 301. Cf. Dogme, t. iv, col. 1577. Et Pie X, vers la fin de son encyclique contre le modernisme, après avoir rappelé que l’autorité ecclésiastique ne permet de jeter ces révélations dans le public qu’avec beaucoup de précautions, ajoute : « Encore l’Église ne se porte-t-elle pas garante, même dans ce cas, de la vérité du fait ; simplement elle n’empêche pas de croire des choses auxquelles les motifs de foi humaine ne font pas défaut. » Encyclique Pascendi, édit. des Questions actuelles, p. 85. Lors même que l’Église concède à quelque apparition une fête, un office liturgique, elle ne couvre pas de son infaillibilité le fait en question ; se trouvât-il faux, le culte qu’elle autorise atteindrait toujours un objet réel, c’est-à-dire la personne à qui il est principalement adressé ; car ce culte n’honore le fait particulier (soit une apparition de la Vierge) que relativement et conditionnellement ; la personne seule (la Vierge) est honorée inconditionnellement et absolument. Ce culte, « en tant qu’absolu, ne peut jamais s’appuyer que sur la vérité, attendu qu’il s’adresse à la personne même des saints que l’on veut honorer. Il en faut dire autant des reliques. « Encyclique, loc. cit. Si la probabilité même venait à manquer, tout culte, même relatif, devrait cesser ; ainsi arrive-t-il que des reliques, reconnues fausses, soient soustraites par l’autorité ecclésiastique à la vénération des fidèles. A ces principes communément admis sur les révélations privées, les théologiens, dans le traité de la foi, ont ajouté une controverse un peu confuse, qui roule sur la possibilité de croire par un véritable acte de foi théologale à une révélation privée. L'école thomiste, assez généralement, nie cette possibilité ; beaucoup d’autres théologiens l’affirment, avec plus de raison, ce semble. Comme exemple de la première opinion, écoutons les carmes de Salamanque. Saint Thomas, disent-ils, n’a-t-il pas ces paroles : « Notre foi s’appuie sur la révélation faite aux prophètes et aux apôtres, qui ont écrit les livres canoniques, et non sur la révélation qui a pu être faite à d’autres docteurs ? » Sum. theol., Ia, q. i, a. 8, ad 2um. Oui, après la mort des apôtres, il n’y a plus de révélation publique, voir col. 146, et la révélation publique, à l’exclusion de la révélation privée, est la condition normale et ordinaire de la foi. Mais cela empêche-t-il qu’en des cas exceptionnels on puisse faire un acte de foi théologale sur un objet de révélation privée ? N’a-t-on pas alors le motif spécifique de cette foi, tel que le donne le concile du Vatican : auctoritas Dei revelantis ? La vertu infuse de foi s'étendrait donc accidentellement à cet objet secondaire, et on ne peut prouver l’impossibilité de cette hypothèse simple et commode. Prenons ces cas exceptionnels, disent les Salmanticenses. C’est en somme le cas du prophète : or c’est par la connaissance prophétique, essentiellement différente de la foi, que le prophète voit et donne son assentiment à ce qu’il voit ; dès lors il n’est pas tenu d’y donner en même temps une autre espèce d’assentiment, à moins d’un précepte spécial que l’on ne peut supposer toujours. Cursus theol., De fide, disp. I, n. 110 sq., Paris, 1879, t. xi, p. 52, 53. D’abord, répondons-nous, ces cas exceptionnels ne se réduisent pas tous au cas du prophète ; il y a aussi le cas d’une personne qui, par des motifs de crédibilité relativement suffisants, est arrivée à se convaincre de la vérité d’une révélation, d’une apparition faite à une autre ; elle n'était pas tenue de s’en occuper, mais elle a pu s’en occuper, et y croire. Ensuite, le prophète lui-même, c’est-à-dire celui qui a une révélation immédiate, peut, sinon au moment même de la connaissance prophétique, du moins après, faire l’acte de foi divine ; autrement, comment saint Paul nous parlerait-il de la foi d’Abraham, modèle de la nôtre ? Qu’il y ait des révélations privées où manque quelqu’une des conditions de latte de foi théologale, obscurité, liberté ou rapport de l’objet révélé avec Dieu, nous l’accordons volontiers aux théologiens de Salamanque : mais ne peut-il y en une autre où rien ne manque des conditions exigées ? — Oui, finissent-ils par dire, Dieu peut, s’il le veut, donner une semblable révélation privée ; et alors elle pourra être l’objet d’un acte de foi théologale ; les thomistes, défenseurs de notre opinion, le concèdent. Loc. cit., n. 115. Nous Voilà douc tous d’accord ; et j’ajoute que saint Thomas, qu’on nous objecte, admit une pareille révélation, suivie de l’acte de foi théologale, dans le cas d’un païen honnête et non évangélisé, qui ignore, sans faut de sa part, la révélation publique, les prophétes, les apôtres et l’Eglise. Quæst. disp., De veritate, q. xiv, a. 11, ad 1um. Ainsi encore aujourd’hui un moyen extraordinaire de foi et de salut peut se trouver, d’après le saint docteur, dans une révélation immédiate et personnelle, laquelle doit être rangée dans les révélations privées, puisque l’ère des révélations publiques est close. Quant aux textes scripturaires invoqués par les défenseurs de notre opinion, ils ne la prouvent pas ; il y est question de révélations immédiates, mais non privées. Schiffini, De virtutibus infusis, n. 85, p. 135.

V. Rôle de l'Église dans la foi.

La révélation sur laquelle est basée normalement la foi chrétienne est une révélation ancienne, dont les diverses étapes se sont terminées à la mort des apôtres et qui nous arrive par intermédiaires. Voilà un point déjà prouvé, qui précise le rôle de l'Église dans cette révélation publique, base de la foi. Ce rôle ne consistera pas à prophétiser, à écrire de nouveaux livres inspirés, à ajouter aux anciennes révélations d’autres documents qui aient la même valeur de témoignage divin : il ne pourra consister qu'à conserver les anciennes révélations, le « dépôt de la foi » , à les interpréter, à les appliquer aux besoins des temps nouveaux. Ce rôle est très grand, et nous devrons le défendre contre ceux qui ont tenté de le supprimer ou de l’amoindrir : mais il a, comme on le voit, ses limites et ses restrictions nécessaires, que nous devrons ensuite établir contre certaines exagérations. De là deux parties dans notre travail, l’une positive, l’autre négative.

I. GRANDEUR DU RÔLE DE L'ÉGLISE DANS LA FOI.

Pour nous en rendre compte, nous devons considérer l'Église :
1° comme une grande société humaine ;
2° comme infaillible ;
3° nous conclurons en expliquant comment l'Église est la règle de foi.

L'Église comme société humaine, son infaillibilité mise à part.

C’est ainsi qu’elle se présente d’abord à l’observateur, et qu’on doit d’abord la considérer en apologétique, pour éviter le cercle vicieux qui prouverait la valeur des Livres saints par l’infaillibilité de l'Église qui les transmet, et l’infaillibilité de l'Église par la valeur des mêmes Livres saints qui l’attestent, a par b et b par a, ce qui reviendrait à prouver a par a, c’est-à-dire à l’affirmer sans preuve. Quand donc, pour prouver l’authenticité de nos Évangiles, sources de la foi, nous faisons appel à l'Église de la seconde moitié du iie siècle, qui l’affirme par la voix de ses principaux docteurs en Orient et en Occident, alors nous prenons l'Église comme une grande société religieuse et traditionnelle, gardienne fidèle de ses livres sacrés, ainsi que nous prendrions la société musulmane comme témoin de l’authenticité du Coran. Pour prouver cette authenticité, dit le cardinal de la Luzerne, nous argumentons « du témoignage de l'Église, non pas de l'Église comme juge infaillible, mais de l'Église comme témoin constant et perpétuel depuis la publication de ces livres, et comme les ayant toujours regardés comme sa loi. C’est ainsi que nous sommes sûrs que l’Alcoran est véritablement de Mahomet, c’est ainsi que nous connaissons l’authenticité de tous les livn s quelconques. » Dissertation sur les Églises, c. x, n. 35, Œuvres, édit. Migne, 1855, t. ii, p. 491. Parlant de ces livres dont l’authenticité ou la valeur historique nous est ainsi connue, et de quelques-uns de leurs passages assez clairs par eux-mêmes sans en demander à l'Église une infaillible interprétation, nous pouvons arriver légitimement à l’infaillibilité ecclésiastique, à l'Église considérée plus profondément et sous un autre aspect, et faisant comme un personnage différent, ce qui n’est pas prouver a par a. Voir Franzclin, De traditione, 2e édit.. Rome, 1875, p. 61-63.

Déjà les Pères invoquaient ainsi l’autorité humaine de l’Eglise pour prouver l’authenticité, ainsi que l’état suffisant de conservation, des livres qui contiennent 1M

FOI

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le dépôt de la foi : « Qui pourrait, sinon aveugle par une étrange fureur, prétendre que l'Église des apôtres n’a pu obtenir un accord assez sûr et assez nombreux entre les frères pour transmettre fidèlement leurs écrits à la postérité, quand elle conservait par une succession très certaine leurs chaires jusqu’aux évêques d’aujourd’hui, et quand cette fidèle transmission des écrits est si facile pour les œuvres de toute sorte d'écrivains, soit dans l'Église, soit hors de l'Église ? » S. Augustin, Contra Faustum, 1. XXXIII, c. vi, P. L., t. xlii, col. 514 ; cꝟ. 1. XI, c. ii, col. 245. En ce sens il écrit ailleurs : « Sans l’autorité de l'Église catholique je ne croirais pas à l'Évangile. » Conl. epist. fundam., c. v, P. L., t. xlii, col. 176. Ce n’est pas seulement les Livres saints que cette société nous garantit, mais aussi ses institutions fondamentales, la pratique ancienne et constante de ses rites sacrés.

Ce qui augmente beaucoup la valeur de ce témoignage humain de l'Église des premiers siècles, ce sont ses qualités et les conditions historiques où elle vivait : d’une part, son caractère si traditionnel, son respect si grand pour les apôtres et la foi apostolique ; de l’autre, ce fait que les apôtres avaient fondé diverses Églises, très éloignées entre elles et diverses de caractère et de nationalité, dont chacune gardait pieusement et jalousement ses propres traditions, ses propres exemplaires des saints Livres, prête à rejeter toute altération venue d’ailleurs. Une innovation locale, pour s'établir partout, aurait eu autant de batailles à gagner qu’il y avait d'Églises particulières ; elle n’aurait pu s'étendre sans bruit et sans réclamation à l’insu de l’histoire. Ce que l’on trouve alors communément et pacifiquement admis doit donc remonter à l’unité première de la doctrine du Christ, implantée en tant de lieux divers par une prédication concordante des apôtres : ni le hasard, ni une conspiration muette de toutes les Églises pour innover, ni un concile général qui n’existait pas encore, ne peut expliquer une pareille uniformité. Déjà Tertullien voyait là une preuve certaine de la vraie doctrine du Christ, en dehors même de l’assistance de l’Esprit-Saint promise à l'Église pour la rendre gardienne infaillible de cette doctrine : « Supposons, si vous le voulez…, que le Saint-Esprit n’ait pas eu soin de diriger les Églises dans le sens de la vérité, lui qui a été envoyé par le Christ et demandé au Père pour devenir précisément le docteur de la vérité ; … est-il vraisemblable que tant d'Églises se soient rencontrées dans la même erreur ? Au milieu de beaucoup d'éventualités possibles, on ne saurait se rencontrer dans un résultat unique ; si les Églises avaient erré sur la doctrine, il y aurait eu nécessairement de la variété dans ces erreurs. Non, ce qui se trouve le même parmi un si grand nombre n’est point erreur, mais tradition. » De prsescript., c. xxviii, P.L., t. ii, col. 40. C’est en vertu du même principe que la critique compare les affirmations de nombreux témoins, ou collationne les nombreux manuscrits d’un même ouvrage et tire de leur concordance une preuve certaine de vérité ou d 'authenticité.

Après les persécutions, quand les évêques du monde entier purent plus facilement correspondre lesuns avec les autres, se réunir entre eux et prendre des mesures générales sous la direction de l'évêque de Rome, on les voit employer cette action commune à garder la foi apostolique, à s’envoyer mutuellement leurs professions de foi, à se rendre compte, par divers moyens, de toute innovation apparaissant sur un point du monde chrétien, pour l’arrêter et l’empêcher de se propager. Sur ces différentes institutions conservatrices, qui à leur tour sont venues contribuer à la valeur humaine et historique de la tradition, voir Franzelin, De tradil., thés, ix, p. 80 sq.

2° L'Église considérée comme infaillible. — Les pro testants, après avoir rejeté d’abord radicalement la tradition et les Pères pour exalter la seule Écriture, ont peu à peu accepté l’ancienne tradition ecclésiastique au point de vue purement historique, et de nos jours plusieurs d’entre eux en font l’objet de remarquables travaux. Mais il faut aller plus loin et prendre encore la tradition de l'Église au point de vue théologique, c’est-à-dire avec l’autorité nouvelle que lui donne l’infaillibilité surnaturelle de l'Église.

Cette infaillibilité, avec sa cause qui est l’assistance du Saint-Esprit, nous venons de la voir mentionnée à la fin du iie siècle par Tertullien. Déjà saint Irénée avait dit du collège des évêques : « Avec la succession de l'épiscopat ils ent reçu un charisme qui donne la certitude de la vérité, » charisma veritatis certum. Cont. hær., 1. IV, c. xxvi, n. 2, P. G., t. vii, col. 1053. Pour de plus amples preuves, tant scripturaires que patristiques, de l’infaillibilité de l'Église, voir Église, t. iv, col. 2175 sq. Pour comprendre combien cette institution divine est sage et raisonnable, il faut se reporter aux diverses circonstances de l’ordre présent qui l’ont rendue nécessaire. Nous allons les exposer ; ce sera aussi la meilleure manière de montrer en quoi consiste, dans le détail, le grand rôle de l'Église pour conserver les vérités de foi.

1. Les circonstances historiques de la révélation chrétienne rendaient l’infaillibilité nécessaire à la conservation de la foi. — Cette révélation a été faite il y a fort longtemps, et elle suppose et englobe les livres de la Bible encore bien plus anciens. De là une obscurité parfois fâcheuse et même dangereuse, qui trouve son remède dans l’infaillible interprétation de l'Église. Si de nombreux passages de nos Livres saints sont clairs par eux-mêmes, ou peuvent le devenir par l’inspection du contexte et des textes parallèles, par l'étude des usages anciens et de la philologie, etc., beaucoup d’autres ne le sont pas du tout. Les premiers protestants, parce qu’ils voulaient se passer de

, l'Église et faire de chaque fidèle, même le plus ignorant, 1 un docteur, ont prétendu qu’avec la grâce de Dieu l'Écriture est partout d’une grande clarté. Qui penserait aujourd’hui à soutenir ce paradoxe d’un optimisme naïf, surtout après la longue histoire de leurs controverses et de leurs discussions exégétiques ? Seule l’interprétation autorisée de l'Église peut garder au peuple chrétien les vérités de foi contenues dans ces livres, et les tirer de dangereuses erreurs. Voir Écriture sainte, t. iv, col. 2098 sq.

2. La nature de certains points de la révélation, desquels dépend un grand nombre nombre de vérités de foi, rendait l’infaillibité nécessaire. — Exemple : l’inspiration des Livres saints, qui fait toute leur valeur comme parole de Dieu ; selon que l’on pensera bien ou mal de cette inspiration, de son étendue, etc., on sauvegardera plus ou moins les témoignages divins, les révélations divines. Or, cette question est obscure et difficile, de l’aveu des experts. Si l'Église, considérée seulement comme société humaine, peut suffire à nous attester l’authenticité de ses Livres saints (surtout du Nouveau Testament), elle ne peut suffire de même à en attester l’inspiration. L’authenticité d’un ouvrage est un fait extérieur et simple, qu’une société purement humaine, ayant reçu et gardé un livre, peut facilement connaître et garantir ; l’inspiration est un fait intérieur et d’une nature mystérieuse, que l’on ne peut connaître que par le témoignage de Dieu qui inspirerait qui s’est transmis, pour nos Livres saints, d’une manière assez implicite et cachée ; cette tradition resterait obscure et douteuse en bien des points, si ne us n’avions l’infaillibilité de l'Église pour nous rassurer. C’est elle qui pourra nous donner avec certitude le catalogue ce mplet des livres inspirés, qui pourra nous dire jusqu’où s'étendent l’inspiration et

l’inerrance qu’elle comporte, etc. Voir t. ii, col. 15671569. Autre exemple : la nature de la foi. Comment faire cet acte, présenté par le Nouveau Testament comme fondamental, et qui a la révélation pour objet ? Dans quelle mesure est-ce un acte intellectuel ou affectif ? Quel est son motif propre ? Quelle révélation y suffit ? etc. Sur cette question de la foi, si difficile et si complexe comme on l’a déjà vii, qu’il serait facile de s’égarer sans l’enseignement de l’Église infaillible ! Les protestants, pour s’être privés d’une telle ressource, ne peuvent s’entendre sur la foi : chacun parmi eux conçoit aujourd’hui l’acte de foi à sa manière, l’un comme un sentiment, l’autre comme une connaissance, un autre comme un don de soi à Dieu sans croire à aucun dogme, celui-ci comme une science, celui-là comme une expérience, l’un comme un phénomène anormal, l’autre comme le développement naturel de la conscience humaine, quelques-uns selon la tradition, beaucoup contre elle. Et pourtant quelle question plus vitale pour la conservation de la foi elle-même, de la révélation, de la religion ? Pour l’impossibilité de trouver en dehors de l’Église infaillible un critérium de l’inspiration, voir Franzelin, op. cit., De div. Scripluris, thés, v-vm, p. 377 sq. ; Scheeben, La dogmatique, § 17, trad. franc., 1877, t. i, p. 192 sq. ; Wiseman, Conférences sur les doctrines de l’Église catholique, IIe conf., trad. franc., dans Migne, Démonstrations évangéliques, t. xv, p. 734 sq. Voir Inspiration. Pour les divergences actuelles parmi les protestants sur la nature de la foi, voir Snell, Essai sur la foi dans le catholicisme et dans le protestantisme, Paris, 1911.

3. L’effet naturel des controverses, qui devaient nécessairement surgir, rendait l’infaillibilité nécessaire pour la conservation de la foi. — Les apôtres et leurs successeurs, dans les catéchèses, n’ont jamais pu présenter à la croyance explicite et commune des simples fidèles qu’un nombre limité de vérités révélées ; il a fallu simplifier pour les foules, s’accommoder à leur faiblesse de mémoire et d’intelligence, et aux nécessités de la vie quotidienne qui les absorbent. D’ailleurs, par leur nature même certaines vérités révélées regardent plutôt les ministres de la religion que les autres, par exemple, ce qui a trait à l’administration des sacrements et au gouvernement de l’Église ; elles n’en sont pas moins profitables à tous par l’intermédiaire de ceux qui s’en occupent. Mais n’étant pas mises en lumière dans les Livres saints, ni prêchées publiquement, elles ont laissé peu de traces dans cette littérature chrétienne qui est parvenue aux âges suivants, d’ailleurs bien mutilée. Conservées par la simple pratique des ministres de l’Église, n’étant protégées ni par la prédication solennelle, ni par la publicité continue, ni par d’unanimes professions de foi, elles restèrent pins ou moins dans l’ombre, et prêtèrent davantage au doute et à la négation ; on conçoit que même des savants et des saints aient pu s’y tromper dans la suite des temps, et qu’elles aient été attaquées de bonne foi, et même au sein de l’Église. Mais quel sera l’effet naturel d’une pareille controverse ? La multitude des fidèles, voyant que les plus doctes dans l’Église disputent sur td point et ne s’accordent pas, viendra a en douter, ou se divisera elle-même ; ainsi une vérité salutaire restera, du moins [jour beaucoup de fidèles, obscurcie comme croyance, paralysée comme idée motrice, tant que la controverse durera ; et la contro-Verse tendra a s’éterniser : les écoles antagonistes qui

lucheront sut leurs positions, étant donnée la diffli ulté de la matière, et la facilité pour les meilleurs esprit ilre illusion <t de prolonger un

différend ; pi u d’espoii que lu l le que

nous venons de décrire pour une vélilé se reproduira ensuite poui nue autre, et pour <m-.mire encore.

Autant de vérités révélées, autant de petites flammes dans la nuit, que le vent de la controverse viendra agiter, et menacera d’éteindre ; peu à peu des taches noires se formeront çà et là dans ce vaste ensemble de lumières, dans cette belle illumination que Dieu avait donnée aux hommes ; et ces taches s’étendront de plus en plus. L’histoire intérieure du protestantisme nous montre sur le vif comment, par l’effet des négations successives, et en supposant même à tous les négateurs une parfaite sincérité, le doute finit par envahir tout ce qu’on avait conservé, comment on arrive a vider la religion de son contenu intellectuel, à n’avoir plus de vérité religieuse communément admise dans une même secte, dans une même réunion de prière ; et alors, comment un culte commun est-il sérieusement et longtemps possible ? Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1832. A ce mal si menaçant, Dieu, si attentif à pourvoir la société chrétienne de tous les organes et de tous les secours nécessaires, a dû préparer un remède. Mais quel remède ? On aura beau le chercher de toutes parts, on n’en trouvera pas d’autre que l’infaillibilité d’un tribunal qui finisse le débat et ramène l’unité de croyance. Voilà un nouvel aperçu sur le rôle de l’Église dans la foi, une nouvelle manière dont elle doit l’aider et la conserver, en jugeant les controverses. En même temps, c’est un argument classique pour l’infaillibilité de l’Église, admirablement développé par les théologiens catholiques après le concile de Trente. Sans doute, il ne pourrait suffire à lui seul : il faut la preuve historique de l’infaillibilité par les textes. Mais cet argument, c’est la profonde logique des choses qui va rejoindre et confirmer les textes positifs ; et il a l’avantage de montrer le pourquoi de l’infaillibilité de l’Église, d’après la méthode de saint Thomas qui cherche toujours la raison des dogmes et des institutions divines ; ne l’abandonnons pas. De plus, l’infaillibilité est du surnaturel : puisque le surnaturel ne peut être prodigué sans raison, il importe de montrer que les raisons ne manquaient pas pour l’institution divine de ce charisme ; qu’étant données la nature de l’homme et les conditions de la révélation surnaturelle telle que Dieu l’a faite, l’infaillibilité était requise comme un complément moralement nécessaire de cette révélation.

Nous ne pouvons ici que rappeler brièvement cet argument de nos controversistes, qui du même coup développe le rôle de l’Église comme gardienne de la foi. Des protestants ont cru trouver dans l’Écriture seule le tribunal que nous cherchons, le juge des controverses. Mais c’est son obscurité même qui fait naître les controverses I Ht jamais un livre ancien, quel qu’il soit, ne suffira par lui-même à trancher les questions qui s’agitent à son sujet. Quand les doctrines diverses qui lui sont favorables ou contraires auront revêtu des formes nouvelles, en rapport avec les nouveaux développements de la pensée ou du langage humain, comment reconnaître, sans contestation possible, le verdict du livre ? Il faudrait que l’Écriture ajoutât maintenant quelque chose à son texte obscur, à ses antiques formules ; qu’à ces deux plaideurs qui se disputent son autorité, elle fit entendre ce petit mot bien clair : « Nous, vous ave/, raison ; et vous, vous avez tort. Mais seul un juge vivant, interprétant le texte ancien, peut ainsi trancher le débat par une sentence ; aussi tous les peuples ont-ils reconnu que les codes ne sullisent pas a terminer les procès, et ont-ils établi pour cela des juges vivants. Voii i < un ri

sainte, t. iv, col. 2098. D’autres, parmi les anglicans surtout, ont ajouté a l’I'.crilure, comme arbitre

des controverses, les écrits des Pères qui l’expliquent,

les anciens monuments de la tradition. Mais par la nous ne sortons pas des livies inoits, qui ne peuvent S’expliquer eux-mêmes sur les nouvelles formes de la

vérité ou de l’erreur, ni prononcer une sentence entre les parties adverses. Les écrits des Pères, avec la sainte Écriture, sont sans doute une règle de notre foi » niais une règle incomplètement efficace dans les cas obscurs ; cette règle doit diriger les juges vivants dans leurs travaux préparatoires à un jugement, mais ne suffit pas sans ce jugement à finir les controverses. Alors, ne pourrait-on pas recourir à un tribunal ecclésiastique qui jugerait, mais sans infaillibilité? C’est la solution proposée souvent autrefois par des protestants, malgré l’entorse qu’elle donne à leur principe du libre examen. Ainsi, au synode de Dordrecht(lC18), des calvinistes condamnèrent le système des arminiens, hostile à la prédestination et favorable au libre arbitre ; en 1640, les anglicans condamnèrent les sociniens, ancêtres du rationalisme, etc. L'Église anglicane, dans son art. 20, s’attribue « l’autorité dans les controverses de foi, » tandis qu'à l’art. 21 elle nie l’infaillibilité des conciles généraux eux-mêmes. Que dire de cette solution moyenne, qui admet l’autorité du juge vivant sans aller jusqu'à son infaillibilité? Elle est insuffisante et boiteuse ; aussi les protestants et l'Église anglicane elle-même ont fini par renoncer en pratique, dans leurs synodes, à l’exercice de toute autorité doctrinale, leurs fidèles n’y ont pas confiance. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1858. C’est qu’ici il ne suffit pas d’une autorité quelconque, il faut qu’elle soit infaillible. Dans l’ordre civil et politique un législateur, un juge n’est pas infaillible, c’est vrai : mais il décide des questions purement extérieures, il n’a pas à imposer des adhésions de l’intelligence, comme quand il s’agit de la foi ; il ne tranche pas des questions d’idées. Même dans l’ordre ecclésiastique et religieux, on conçoit encore un tribunal faillible, pourvu qu’il se contente de rappeler les vérités déjà définies ou professées par tous les chrétiens, d’en urger l’application par des mesures disciplinaires, des excommunications : mais qu’un tel tribunal prétende trancher définitivement et sans appel une controverse de foi, c’est-à-dire une question nouvelle et librement discutée, et veuille par sa décision obliger la foi chrétienne, la foi souverainement ferme et inébranlable, à aller dans un sens plutôt que dans l’autre, c’est le faillible usurpant ce qui ne convient qu'à l’infaillible, c’est une tyrannie des consciences. Si l'Église catholique, pour ne pas laisser les fidèles sans direction avant d’arriver à une définition qui ne paraît pas encore assez mûrie, se sert parfois d’une forme de jugement doctrinal comme en première instance, rendu soit par un synode particulier, soit par une Congrégation romaine, etc., c’est à la condition qu’elle ait dans son infaillibilité la possibilité d’aller plus loin et de porter enfin une définition. La sentence provisoire peut avoir de bons effets : mais elle ne peut remplacer absolument et toujours la sentence définitive, Concluons : à l’obscurcissement progressif des vérités révélées par les controverses qui s’additionnent et ordinairement ne finissent pas toutes seules, il ne reste qu’un remède vraiment efficace : c’est l’infaillibilité de l'Église portant sur les doctrines un jugement absolu et définitif. Nous n’avons point parlé de la solution illuministe qui étendrait l’infaillibilité à chaque fidèle, soit parce qu’elle est contraire à l’expérience (il n’y aurait pas alors de controverses, et l’EspritSaint produirait en tous la même lumière), soit parce que nous l’avons déjà rejetée à propos des révélations privées. Voir col. 147. Sur les trois étapes ou « stades » par lesquels passent les vérités finalement définies, voir Explicite et implicite, t. v, col. 1870. Le protestantisme qui ne veut plus admettre d’infaillibilité ecclésiastique, ni hors de lui ni chez lui, a fini par se convaincre, à force d’expérience, qu’il restait sans remède contre cette diminution progressive et

cette déperdition de nombreuses vérités tenues autrefois comme révélées, souvent même inscrites dans ses confessions de foi officielles. Alors, sur la question de l’objet de la foi, il a essayé deux nouvelles positions. La première en date est celle des « articles fondamentaux » préconisée par le ministre Jurieu, adversaire de Bossuet. Ce système, que les protestants conservateurs d’alors regardaient comme téméraire et ultralibéral, est accepté aujourd’hui par eux comme le dernier refuge, le suprême effort d’un orthodoxisme aux abois. Il répond à cette préoccupation : Faisons la part du feu ; à l’audace envahissante des négations, abandonnons, comme simple accessoire de la foi, comme objet niable, la grande masse des dogmes révérés de nos pères ; mais du moins sauvons-en trois ou quatre, comme la trinité, la divinité du Christ, le péché originel : ceux-là, nous y tiendrons comme à la vérité absolue, ils seront l’essence même du christianisme, et l’on ne sera plus chrétien, mais excommunié, si l’on se permet d’en nier un seul. Voir t. i, col. 2025 sq. Voilà un conservatisme bien mitigé, une vraie miniature d’orthodoxie : jamais les premiers chrétiens n’ont réduit la foi obligatoire à un tel minimum. Si saint Paul avait eu un tel système, il n’aurait pas traité des chrétiens de son temps comme « naufragés de la foi, gens livrés à Satan » pour avoir nié le dogme de la résurrection de la chair, que nos protestants orthodoxes ne placent nullement parmi les points fondamentaux. I Tim., i, 19 ; II Tim., ii, 17, 18. De plus, il faudrait un critère pour fixer ces articles fondamentaux, une ligne de démarcation bien nette entre les vérités essentielles au christianisme et celles qui ne le sont pas, entre celles qu’on ne peut pas nier et celles qu’on peut nier sans cesser d'être chrétien. Or, ce critère manque absolument, et jamais les protestants n’ont pu s’entendre là-dessus, bien qu’au dire de l’un d’eux, Mosheim, on puisse monter une bibliothèque des ouvrages qu’ils ont écrits à ce sujet. Sur ce défaut de critère, voir le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1910, t. i, col. 1274, 1275. Les protestants libéraux ont depuis longtemps fait ressortir ce défaut capital du système : « Toutes les fois qu’on voudra vous imposer l’unité orthodoxe, disait Athanase Coquercl fils, exigez avant tout que les orthodoxes s’accordent entre eux sur ce qu’ils veulent vous imposer. » La conscience et la foi, Paris, 1867, p. 157. « Nous avons assisté avec intérêt et même avec sympathie, mais sans aucune illusion, écrit Aug. Sabatier, aux tentatives que l’on a faites pour déterminer un certain nombre de dogmes immuables ou absolus dans l’une ou l’autre des Églises protestantes. Les théologiens les plus subtils s’y sont employés ; tous ont échoué. Cet échec a été aussi éclatant et inévitable dans l'Église anglicane et dans le luthéranisme allemand, très voisins du catholicisme, que dans les Églises réformées de France, de Suisse, d’Ecosse ou d’Amérique… Pour opérer ce travail d’exégèse et de construction dogmatique, il faudrait avoir recours à des hommes, à des savants qui, n'étant pas infaillibles, ne sauraient communiquer au résultat de leur œuvre un caractère qu’eux-mêmes n’ont pas. La même contradiction revient toujours. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 4e édit., 1897, p. 288. Le résultat final, c’est que la fraction conservatrice elle-même, dans chaque communauté protestante, cède, cède encore aux libéraux pour le bien de la paix, et descend vers la destruction de tout dogme. Voir Snell, op. cit. r p. 109 sq. Pour s’entendre entre conservateurs et libéraux par une formule de conciliation telle quelle, on en arrive à réduire l’objet de la foi, l’essence du christianisme, à une idée très vague. M. Harnack, par exemple, mettra cette essence dans la « foi au Père » . Quant à ce Père, chacun l’entendra comme il voudra, Dieu

personnel ou non, âme du monde, force inconnue, etc. M. Loisy lui-même remarquait à propos de l’Essence du christianisme de Harnack : « Une religion qui a tenu tant de place dans l’histoire, et qui a renouvelé pour ainsi dire la conscience de l’humanité, a-t-elle son point de départ et toute sa substance dans une seule pensée ?… Se peut-il qu’un tel fait ne soit pas plus complexe ?… Cette théorie est celle qui domine la savante histoire des dogmes, qu’a publiée le même auteur. Mais l’a-t-il déduite réellement de l’histoire, ou bien n’aurait-il pas simplement interprété l’histoire d’après sa théorie ?… L'Évangile a existé indépendamment de nous ; tâchons de l’entendre en lui-même, avant de l’interpréter par rapport à nos préférences ou à nos besoins. » L 1 Évangile et l'Église, 1902, Introd., p. viii. Ces réflexions très justes atteignent également tous les autres « abstracteurs de quintessence » qui entreprennent aujourd’hui de réduire le vaste ensemble de vérités apportées par le Christ et par saint Paul à tel ou tel résidu minuscule qui leur plaît. Voir la formule de conciliation proposée à Genève : « Jésus sauveur des hommes, » dans Snell, op. cit., p. 106-108.

En face de cette banqueroute de la foi protestante, l’autorité doctrinale infaillible, si nettement revendiquée et si utilement exercée par l'Église catholique, loin d’effrayer ceux des protestants qui cherchent la vérité de toute leur âme, a été le principal attrait qui nous en a amené plusieurs, fatigués qu’ils étaient de l’anarchie intellectuelle à laquelle leurs Églises ne trouvaient pas de remède.

La dernière position essayée par le protestantisme — et celle-là en dehors de toute orthodoxie — c’est l’antidogmatisme des libéraux. « Les dogmes vont se perdre les uns après les autres dans le doute et la négation, disent-ils, et nous n’avons pas de remède au mal : mais ce mal est-il un mal ? Nous n’avons plus de doctrine commune, c’est vrai : mais le christianisme primitif n'était pas une doctrine ; la foi n’est pas l’adhésion à une doctrine. » Et l’on vit se précipiter dans ce paradoxe inouï, mais commode, une cohue d’esprits d’ailleurs fort divers : les piétistes, à qui suffisait une vague sentimentalité, voir Expérience religieuse, t. v, col. 1797, 1798 ; les protestants rationalistes, que gênaient la plupart des doctrines de l'Évangile, révélations et miracles, anges et démons, ascétisme et conseils évangéliques, eschatologie, etc. ; les protestants subjectivistes et sceptiques qui, n’admettant nulle part de vérité objective et absolue, n’en pouvaient reconnaître dans l'Évangile ; le modernisme enfin, qui relève et des piétistes et des rationalistes et des sceptiques. Ci paradoxe, nous l’avons déjà réfuté au commencement de cet article, en montrant le sens du mot « foi » dans le Nouveau Testament, en établissant l’idée première et fondamentale de la foi. Considérons les sources historiques par dû nous pouvons connaître les origines chrétiennes : nous y voyons que Jésus tenait essentiellement à la doctrine, et saint Paul aussi. Voir Études du 20 avril 1908, p. 170-173. M. Harnack avoue lui-même que Paul comptait parmi les conditions du saint une certaine science du Christ et de sa rédemption. L’essence du christianisme, trad. franc., 1902, p, 11." » . Le même souci de la doctrine, avec l’horreur de l’hérésie, se retrouve chez les premiers Pères, voir H. i<. d’Antloche, S. [renée, Tertullien, col. 79-80. Cf. S. Justin, Dial. cum Tryphone, a. 80, P. G., t. vi, col. 866 ; Polycarpe dans [renée, Cont. hier., 1. 111, c. iii, n. 1, /'. (, ., t. vii, col. 853 ; Clément d’Alexandiie, Simm., vil, c. xv, p. < ;., t. ix, col. 531.

Puisque toutes CCI positions successives du protestantisme <, iit Intenables, il faut donc revenir à l’infaillibilité de l'Église, moralement nécessaire à la conservation de i.i foi et prouvée pai des textes positifs. On peut même, comme nous l’avons « lit. tirer de <

nécessité un nouvel argument pour l’infaillibilité : non pas que Dieu soit obligé a priori de nous donner tout ce qui est moralement nécessaire au bien de la religion, ou qu’il ne puisse jamais donner à l’homme une révélation quelconque sans pourvoir, par une institution spéciale, à sa conservation ; non : mais la révélation chrétienne, seule ici en question, nous est montrée dans l'Écriture et la tradition comme l’aboutissant de toutes les autres, et d’une perfection telle qu’on ne peut douter que Dieu l’ait accompagnée de tous les compléments nécessaires à sa conservation. S’il a voulu, même par des moyens surnaturels et sûrement efficaces, conserver la foi chez le peuple juif jusqu’au Christ, comment s’imaginer qu’il n’a pas eu la même bonne volonté pour le peuple chrétien, et dans le Nouveau Testament, de tout point si supérieur à l’Ancien ? Et puisque, l'ère des révélations publiques étant close, il n’envoie plus, comme dans l’Ancien Testament, des prophètes dont l’influence servait aussi à conserver la foi chez les Juifs, cf. Franzelin, De tradilione, thés, xx, p. 251, il ne restait que cette institution de l’infaillibilité de l'Église pour assurer pendant des siècles nombreux, et jusqu'à la fin des temps, la conservation de la foi chrétienne.

4. Le développement futur du dogme et celui de la théologie rendaient l’infaillibilité de l'Église encore plus nécessaire à la conservation de la foi. — Le développement, le progrès du dogme découle inévitablement des circonstances de la révélation chrétienne. Et d’abord, des faits que nous avons rappelés tout à l’heure : bien des vérités révélées sont restées plus ou moins dans l’ombre, au début du christianisme, contenues et enveloppées soit dans d’autres vérités plus générales que l’on se contentait d'énoncer, soit dans la simple pratique des sacrements et autres divines institutions ; quand plus tard on a commencé à les en dégager et à les énoncer explicitement, la controverse a souvent surgi dans l'Église même à leur sujet, et ces vérités, ainsi révoquées en doute par plusieurs, en ont souffert plus ou moins longtemps ; enfin le jugement de la controverse par l’autorité doctrinale a rétabli dans toute l'Église le premier accord, le consentement unanime, mais cette fois perfectionné par le fait que la vérité était désormais explicitement reconnue de tous, et, grâce aux explications de l'Église, mieux comprise qu’aux premiers siècles ; voilà un progrès. La profondeur même et la fécondité des vérités révélées, leur harmonie avec, les besoins des différents temps, leur opposition aux innombrables erreurs de l’avenir, tout cela ne pouvait être compris des premiers chrétiens ; ils ne pouvaient recevoir que des principes dont l’avenir se chargeait de dérouler toutes les conséquences. Voir Franzelin, De traditione, thés, xxiii, p. 283 sq. Le développement de la pensée, en dehors même de l'Église, est un autre stimulant du progrès, soit en fournissant aux défenseurs de la révélation des méthodes plus exactes, et îles vérités rationnelles qui, rapprochées des vérités de la foi, en feront jaillir des conclusions dont s’accroîtra la théologie, soit en produisant des formes plus raffinées d’erreur, qui forceront les théologiens au travail, et que l'Église jugera par une application plus détaillée et plus savante des prlncipei de le révélation. Le développement, le progrès du dogme est affirmé par le concile du Vatican, dans les tenues de Vincent de I.érins. Denzinger, n. 1800, 1818. Voir Dogme, t. iv, col. 1603 1637. <)r un dogme qui se développe en

pawant de l’implicite à l’explicite, et qui, en se développant, ne doit jamais se changer en son contraire el doit garder son immutabilité substantielle, voir 1)> coi. 1599-1603, est bien pins difficile à conserver

qu’un recueil lise de formules anciennes qui n’aurait jamais à s’enrichit île nouvelles formules plus préei

ses, opposées à du nouvelles erreurs. Si l’autorité doctrinale n'était pas infaillible, ne serait-il pas à craindre que ces précisions nouvelles, adoptées par elle avec la meilleure foi du monde, n’aboutissent parfois à faire dévier le dogme, à changer substantiellement la révélation ? La science humaine des juges ecclésiastiques ne suffirait pas à nous rassurer ; et l’on pourrait discuter, par exemple, celle des Pères de Nicée, quand ils ont jugé la controverse soulevée par les ariens, et imposé la nouvelle formule du « consubstantiel » . Seule, l’infaillibilité du concile œcuménique peut, dans des questions si subtiles et si délicates, nous rassurer pleinement ; et déjà au Ve siècle l’historien Socrate répondait à un hérétique que les Pères de ce concile, " malgré leur simplicité et leur peu de science, éclairés qu’ils étaient par la grâce de l’Esprit-Saint, n’ont pu en aucune façon dévier de la vérité. » H.E., 1. I, c. ix, P. G., t. lxvii, col. 87. « Si le Seigneur n’habitait pas l'Église d’aujourd’hui, dit saint Augustin, la spéculation la plus studieuse aboutirait à l’erreur. » Enarr. in ps. ix, n. 12, P. L., t. xxxvi, col. 122.

Cette considération avait frappé Brunetière. Il cite ce mot de Newman : « Si le christianisme est à la fois social et dogmatique, et qu’il soit destiné à tous les siècles, il doit, humainement parlant, avoir un organe infaillible, » et le commente en ces termes : « Si le dogme ne vivait pas d’une vie intérieure et intense, mais surtout ininterrompue ; si, de l'étude approfondie que les théologiens en font, il ne s’engendrait pas tous les jours, pour ainsi parler, des conséquences si nombreuses, et quelquefois si contradictoires, qu’aucune autorité particulière ou individuelle, ni même collective, n’en saurait absolument garantir l’orthodoxie ; si son immutabilité ne courait pas enfin le risque d'être mise en péril par la richesse de son développement, c’est alors, vous le voyez bien, que le christianisme n’aurait pas besoin d’un organe infaillible ! Mais, comme il faut qu’il soit toujours, à moins de cesser d'être lui, « contemporain à l’humanité, » et comme il ne peut l'être qu’en adaptant à des besoins nouveaux des vérités éternelles, il lui faut donc une autorité dont le rôle soit de démêler ou de décider, parmi les développements du dogme, lesquels sont légitimes et lesquels ne le sont pas ; lesquels étaient contenus implicitement dans sa formule, et lesquels ne l'étaient point ; lesquels enfin élargissent, sans le dénaturer, l’enseignement de l'Église, et lesquels, comme au xvie siècle, en prétendant l'épurer, le déforment. » Le progrès religieux dans le catholicisme, discours prononcé à Florence en 1902, dans le Correspondant du 10 novembre 1902, p. 403.

Voilà pourquoi les schismatiques orientaux, ne reconnaissant pas plus que les protestants une infaillibilité vivante à laquelle on puisse recourir, mais tenant plus qu’eux à la conservation du dogme, proclament que les premiers conciles œcuméniques, ceux qui ont précédé leur séparation, étaient infaillibles, en quoi ils n’ont pas tort, mais ajoutent qu’il faut s’en tenir exclusivement aux définitions de ces conciles : soit que, d’après eux, il ne puisse plus y avoir de nouvelles controverses à décider, soit que la simple répétition des antiques formules doive suffire à trancher toute nouvelle controverse. On' aurait donc pu se passer d’un organe vivant de l’infaillibilité, et de tout concile œcuménique nouveau, pendant près de mille ans jusqu'à nos jours, et l’on pourrait continuer à s’en passer encore. Déjà Joseph de Maistre, qui avait étudié de près l'Église russe, observait que dans la discussion ils en reviennent toujours là et qu’il leur a entendu dire mille fois qu' « il ne faut plus de concile, et que tout est décidé. » Du pape, 1. IV, c. vi, Œuvres, Lyon, 1884, t. ii, p. 478, 479. Il ne faut plus

de controverses ; le czar les étouffe et impose silence à tout le monde. De Maistre, Lettres et opuscules, t. ii, p. 407. Que dire de cette position, diamétralement opposée au développement du dogme ? Si respectueuse qu’elle puisse paraître de la tradition, elle contredit la tradition des Pères grecs, ceux-là précisément dont se réclament les grecs séparés : les Pères grecs étaient des penseurs, des chercheurs, préoccupés de développer les sciences théologiques, développement qui ne peut se faire sans essayer des explications nouvelles, sans les défendre contre les contradicteurs, en un mot sans le choc des opinions. Elle contredit la tradition de ces conciles qu’ils invoquent, par exemple, de celui de Chalcédoine, qui, dans son allocution à l’empereur Marcien, déclare nécessaire d’opposer aux nouvelles erreurs une nouvelle « découverte de vérité » et de les réfuter par de « salutaires additions » à la doctrine. Hardouin, Concil., t. ii, p. 646. Restreindre cette nécessité à une époque ancienne, comme s’il n’y avait plus désormais de nouvelles erreurs, c’est se moquer de la psychologie et de l’histoire. Restreindre les promesses divines d’infaillibilité à quelques siècles de la vie de l'Église au détriment des autres, c’est illogique, et sans fondement dans l'Écriture ni dans la tradition chrétienne ; le Christ n’a pas dit : « Je suis avec les sept premiers conciles, » mais : « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. » Matth., xxviii, 20. Prétendre qu’un formulaire mort peut suffire à juger toutes les controverses nouvelles, c’est ce que nous avons réfuté plus haut. Vouloir étouffer toute controverse, c’est la prudence de l’aveugle qui s’arrête immobile sur un chemin dangereux qu’il ne connaît pas ; c’est vouloir comprimer l’esprit humain, supprimer le développement du dogme et de la théologie, conserver verbalement des formules sans chercher à en comprendre le sens, réduire la foi à un pur psittacisme, remplacer la science par l’ignorance, la vie intellectuelle par la mort.

Ce n’est pas ainsi que l'Église catholique entend l’immutabilité des dogmes, et leur conservation. Elle tient sagement le milieu entre l’anarchie fiévreuse des sectes protestantes, et la torpeur léthargique des Églises orientales séparées ; entre la mobilité effrénée des unes et l’immobilité pétrifiée des autres. Elle conserve les dogmes anciens, mais comme Dieu veut qu’on les conserve, avec intelligence, avec développement et progrès, pour être une lumière à tous les siècles. C’est qu’elle seule revendique l’organe nécessaire à une semblable conservation, le magistère infaillible et vivant. Parce qu’ils ne comprennent pas cette via média, ses adversaires lui jettent deux accusations qui se contredisent entre elles, comme le remarque le P. Janvier : « On lui reproche tantôt de changer…, tantôt de rester figée dans des conceptions condamnées par le progrès ; on la somme ici de revenir à ses origines, de renoncer à tout le développement dont elle a été l’agent, là d’oublier le passé…, de s’adapter, par des transformations volontaires, par une évolution continue, aux besoins des esprits, aux aspirations des âmes, aux caprices des âges. » La foi, carême 1911, 2e édit., Ve conf., p. 175.

3° Conclusion. L'Église, règle de foi. — Comme le feu a pour matière les divers combustibles, ainsi la foi a pour objet, pour matière, toutes les vérités qu’il a plu à Dieu d’attester, de révéler autrefois, son motif spécifique étant le témoignage divin. Et comme, pour faire du feu, il faut d’abord se procurer des matériaux, ainsi, avant de croire, il faut savoir où se trouvent les vérités révélées, et comment on peut les discerner de celles qui ne le sont pas. On appelle « règle de foi » un moyen général et infaillible de trouver, de discerner les vérités révélées, du moins un bon nombre d’entre

elles ; la règle de foi nous fournit de la « matière à croire » . Le credo a été appelé « règle de foi « par Tertullien, voir col. 80, mais c’est une règle en abrégé, qui ne donne que quelques vérités principales de la révélation. L’Écriture, infaillible et immense collection de vérités révélées, est certainement une règle de foi ; cependant plusieurs vérités révélées n’y ont pas pris place et ont été gardées par la seule tradition. Voir Écriture sainte, t. iv, col. 2095-2097. L’Écriture et l’antique tradition sont donc des règles de foi : mais on les appelle « règles éloignées » , parce que, à raison de leur antiquité et de leur obscurité en bien des points, leur contenu, avec son exacte interprétation, demeure trop éloigné de notre connaissance certaine : il faut que l’Église infaillible vienne nous rassurer sur leur origine divine, sur l’étendue et la nature de leur inspiration ou de leur infaillibilité, sur le sens de tel ou tel passage. L’Église est donc, elle aussi, une règle de foi, c’est-à-dire un moyen général et infaillible de discerner les vérités révélées : mais une règle vivante, qui peut toujours s’expliquer elle-même, et adapter ses explications à toutes les mentalités de tous les siècles ; et une règle prochaine, plus à notre portée que l’Écriture et les anciens monuments de la tradition, qu’elle sert à rapprocher de nous. Elle ne supprime pas, en cflet, ces règles éloignées : elle doit, au contraire, puiser à ces sources, employer ces instruments de travail ; elle épargne ainsi à chaque fidèle une besogne difficile et même impossible, en la faisant pour eux, et son infaillibilité en garantit le succès.

Il n’y a pas là, comme l’ont dit les protestants, l’usurpation d’hommes qui se mettent au-dessus de la parole de Dieu ; c’est Dieu qui les met, non pas au-dessus de sa parole et de son Écriture, mais au-dessus des individus faillibles qui la méconnaîtraient ou l’entendraient mal. De ce qu’une vaisselle d’or ou d’argent ne peut être vendue sans le poinçon de l’expert, sa valeur n’est pas diminuée, mais assurée. Au reste, l’Église n’ayant pas le don de révélations nouvelles, l’Écriture garde toujours sa suprématie comme révélation et témoignage de Dieu. L’Église n’est règle suprême de la fui qu’en un sens seulement, et relativement a nous, comme plus accessible et plus claire cl disant le dernier mot sur les controverses.

Mais, nous dit-on, quand vous confrontez une formule, une doctrine, avec l’Écriture et l’ancienne tradition, ou bien elle y apparaît clairement contenue ou bien la question reste obscure. Dans le premier cas, l’intervention de l’Église est superflue, les règles i éloignées » se suffisent. Dans le seconr cas, l’Église qui, de votre aveu, ne petit tirer les vérités révélées que de ces règles anciennes, ne peut alors procéder prudemment a une définition, el son intervention est impossible. Pourquoi donc l’ajouter comme règle à ces anciennes régies de foi’.' Réponse. — Dans le premiei ca. ce qui peut être clair pour les érudits de l’exégèse, de la patristique et de la théologie, souvent ne l’est pas assez pour la multitude des fidèles ; et pour mettre en jeu la fui de toute une société, il faut que l’obligation < ! < croire ioil lus nettement et 1res publiquement promulguée ; donc l’intervention de ri iie m’( i pas superflue. Dans le second cas, ton ! dépend di ci que vous entendez par obscurité » . si telle du. ii me. même après de longues recherches de l’Église dans les sources de la révélation, ne lui parait tainement contenue, alors la prudi née ne lui permet pas de procéder à une définition. Mais pat ob’urité on peut entendre seulement les mit s de l’état « le controverse, le choc des affirmations et di

Itions parmi les savanls, le doule qui en résulte « hé/, beaucoup de fidèles, i n tel obscurcissement de la vérité révélée n’empêche pas toujours l’Église, par

DK.T. DI lin.ol.. catiioi.

un travail difficile mais surnaturellement aidé, d’arriver à une solution qui lui paraisse assez sûre pour être définie. Dieu, d’autre part, en vertu de son assistance promise, ne permettrait pas que cette définition s’accomplît, si elle était erronée, et il a mille moyens de l’arrêter. Quand se produit le fait de la définition, ainsi revêtu de la permission divine, c’est donc un fait nouveau qui se suffit à lui-même pour trancher la question d’une manière absolue, quelle qu’ait été, du reste, la prudence des juges, laquelle échappe par ailleurs à notre appréciation, quel qu’ait été l’ensemble de preuves tirées des sources anciennes qui a pu faire impression sur les auteurs de la définition. Ainsi une question de science ou d’exégèse compliquée, discutée, difficile, sera remplacée par une simple question de fait, et de fait contemporain et indiscutable, grâce à l’intervention de la règle vivante.

De là deux méthodes pour se procurer les vérités révélées, matière de l’acte de foi. La méthode analytique recourt à l’analyse difficile et personnelle des sources, des règles éloignées ; la méthode synthétique recourt à la synthèse commode qu’en fait l’Église par ses définitions, par ses professions de foi. Le protes tantisme, au nom du libre examen, ne reconnaît que la première ; toutefois, par une heureuse faute de logique, il emploie la seconde pour l’instruction de ses fidèles, des enfants surtout, en leur donnant la synthèse commode d’un catéchisme, ou d’une confession de foi. Les catholiques donnent a la méthode synthétique une place prédominante. 1, eurs théologiens, il est vrai, par un usage modéré de la méthode analytique, pourront et devront chercher dans l’Écriture et les Pères ce qui se rapporte à chaque dogme. En montrant ainsi leur respect pour ces sources antiques, dont la fréquentation est d’ailleurs si bienfaisante, ils pourront montrer aussi que l’Église n’a pas créé le dogme de toutes pièces, mais n’a fait que le développer ; ce qui est une sorte d’apologie de ses définitions ; car, suivant la remarque du P. Janvier, l’Église « ne définit pas une vérité sans provoquer des cris et des colères : qu’elle parle de l’infaillibilité du pape ou de l’immaculée conception, ses ennemis l’attaquent au nom des croyances d’autrefois. » I.or. cit. Mais cette espèce d’apologie, si utile qu’elle soit, n’est pas nécessaire pour nous convaincre de la justesse des définitions : il est pour cela une autre voie qui consiste à nous convaincre d’abord de l’infaillibilité de l’Église ; dès qu’on la connaîtra comme infaillible, on saura « pie le développement du dogme a dû se faire normalement et sans déviation, et que tous les dogmes catholiques sont surs de rejoindre l’ancienne révélation. Cette voie est

suffisante a larigueur, et pratiquement la seule possible

a la grande multitude des fidèles. Les vérités de la foi, fermement acceptées comme la parole de Dieu même, doivent servir le plus tôt possible à éclairer et a diriger notre vie, c’est leur but. Or la méthode analytique les donne lentement, Une a une, avec un travail scien

tiiîquc différent pour chacune, et des recherches diffî ciles dans les sources ; bien plus tôt on connaîtra l’Église, et alors par la méthode synthétique on rece

yra d’eÙe toutes les vérités révélées dont on a besoin, toutes en bloc sous la même garantie de son infailli bilité une fois prouvée, la vie est < oui le, el les OCCU

pations absorbantes ne permettent pas a beaucoup d’esprits le luxe de la méthode analytique, c’est -à dire

de l’exégèse, de la théologie positive et de l’hi

dogmi. choses d’ailleurs tics compliquées dans les qui lies ils se mu. rftii ni. La méthode analytique a son rôle dans l’Église, oui. mais elle appartient a cette ice. a ( ette i M ]ms, - que les Pères conseillaient d’ajouter à la foi quand on en est capable et qu’on en a

le loisir, el après avoir longtemps auparavant coin

mencé pai croire. Voii Clément d’Alexandrie, Strom.,

VI. - 8

VII, c. i, P. G., t. ix, col. 481 ; S. Cyrille d’Alexandrie, In Joa., 1. IV, c. iv, P. a., t. lxxiii, col. 027 ; S. Anselme, CurDeus homo, 1. I, ç. ii, P. /.., t. clviii, col. 302. Cf. Scheeben, Dogmatique, trad. franc., 1877, t. i, n. 852 sq., p. 552 sq.

De même dans la controverse protestante, la voie efficace et relativement courte consistera à poser d’abord la question capitale de méthode, la question de la règle de foi, autant qu’on pourra l’obtenir d’eux ; car, en supposant leur méthode sans la discuter, ils préfèrent se jeter sur des dogmes particuliers et des questions de détail, à trancher par la seule Écriture ou les anciens monuments de la tradition. Déjà Tertullien avait noté la marche à suivre dans la polémique. De præscripl., c. xvii, P. L., t. il, col. 30 ; cf. c.xv, xix. Voir Freppel, Tciiullien, t. ii, p. 212 ; d’Alès, La théologie de Terlullien, p. 205. Que dire de ces modernistes, véritables protestants par la méthode, qui des enseignements de Jésus ou de Paul ne retiennent comme certain que ce qu’ils ont pu tirer d’une exégèse purement philologique et historique ? ou de ces catholiques qui, dans leur controverse avec l’hérésie, acceptent sur le terrain soit de la seule Écriture, soit des plus anciens Pères, la discussion d’un dogme particulier quelconque' ! N’y a-t-il pas des vérités révélées, appartenant, par exemple, aux sacrements ou liées logiquement avec eux, cpii ont pu se conserver implicitement mais suffisamment dans la seule pratique de l’administration des sacrements, pratique oralement transmise par les ministres entre eux ? Bien des détails de cette pratique n’ont laissé que peu ou point de traces dans les plus anciens écrits ; mais l’autorité ecclésiastique en avait conscience, et plus tard par des définitions elle nous a garanti et ces détails et les vérités dogmatiques qui s’y rattachent. La méthode historique ne peut donc suffire à nous fournir tout le donné révélé, ni à prouver que tous nos dogmes rejoignent l’ancienne révélation.

Pour achever de décrire le grand rôle de l'Église dans la foi, il faudrait montrer comment elle peut servir de motif de crédibilité : mais ce point sera traité ailleurs.

II. JUSTES LIMITES D<7 RÔLE HE L'ÉGLISE HA.S l 1

foi. — Après ce que nous venons de dire, une contre-partie s’impose, soit par souci de la précision, soit à cause des exagérations de quelques catholiques ou protestants. Avec les théologiens et pour éviter une longue périphrase, nous appellerons « proposition d’une vérité par l'Église » l’acte par lequel l'Église infaillible, entrant en communication avec le croyant et lui faisant connaître son autorité et sa mission, lui présente cette vérité comme révélée de Dieu, en lui notifiant l’obligation de la croire. D’après la doctrine commune, nous poserons les principes suivants :

1° La proposition par l'Église n’est pas une condition essentielle de l’acte de foi divine et salutaire. — En voici quelques preuves :

1. Dans saint Paul, Abraham nous est présenté comme le modèle achevé de la foi qui doit nous conduire à la justification et au salut. Rom., iv, 4 sq. Et cependant, puisque l’autorité doctrinale de l'Église n’existait pas de son temps, le patriarche n’a pu y appuyer sa foi : ce n’est donc pas une de ces conditions essentielles, qui ne peuvent en aucun cas faire défaut.

2. Même dans le Nouveau Testament, Act., ni, iv, nous voyons saint Pierre, après avoir prouvé par un miracle la divine mission du Christ « et sans faire aucune mention de l’autorité de l'Église ou de la sienne, convertir cinq mille hommes qui, sans doute, sont arrivés prudemment à faire un acte de foi (avant le baptême), bien qu’ils n’eussent pas encore l’idée de l’autorité de l'Église. » Lugo, De fide, dist. I, n. 252, Opéra, Paris, 1891, p. 122.

Et pareillement de nos jours l’infaillibilité de l'Église

n’est pas présentée nécessairement la première à notre foi. « L’expérience montre cpie les enfants ou les adultes qui commencent à être instruits dans la foi ne conçoivent pas toujours cette autorité infaillible de l'Église, cette assistance de l’Esprit-Saint, avant (le croire tout autre article. Ils croient les articles de foi dans l’ordre où on les leur donne ; et il arrive ainsi qu’ils croient cette vérité après plusieurs autres. » Lugo, loc. cit., n. 247, p. 120. Ni le symbole des apôtres, ni les catéchismes ne parlent en premier lieu de l’autorité infaillible de l'Église : or ils devraient le faire, si la foi aux autres articles n'était possible qu'à la condition de passer par ce dogme. Il y a donc quelque exagération dans la polémique de Bossuet contre le ministre Claude et dans sa célèbre conférence. Œuvres, édit. Lâchât, t. xiii, p. 544, 558, 583.

3. S’il arrive qu’une vérité révélée, comme l’immaculée conception avant sa définition, se trouve obscurcie par la controverse, voir col. 161, et qu’en conI séquence le magistère ecclésiastique ne la propose pas aux fidèles comme un objet de foi obligatoire, mais tolère qu’on ne la croie pas, elle n’est cependant pas perdue alors pour la foi de l'Église entière ; un certain nombre de fidèles la croient toujours très fermement comme révélée, et elle est ainsi conservée, quoique imparfaitement, dans la foi de l'Église, qui avec l’assistance divine ne peut perdre complètement une partie de son objet, de son patrimoine de vérité. Or, ceux qui croient alors ce point de révélation ne peuvent s’appuyer sur le magistère vivant et infaillible, puisqu’il se retire et se tait, pour le moment, en attendant une définition s’il y a lieu : voilà donc encore un cas où la foi ne s’appuie pas sur sa règle prochaine, l'Église infaillible, mais seulement sur ses règles éloignées. C'était donc une mauvaise théologie que Dôllinger, en 1870, opposait à la définition de l’infaillibilité pontificale, en tâchant de prouver ainsi que VÉglise n’avait jamais cru ce qui allait être imposé sous peine d’anathème à la foi des catholiques : « Elle ne l’a pas cru. Car ceux-là même qui ont regardé jusqu’ici comme certaine cette infaillibilité du pape ne pouvaient la croire dans le sens chrétien du mot… Le catholique ne peut et ne doit croire que ce qui est enseigné et proposé par l'Église comme vérité révélée par Dieu, appartenant à la substance de la doctrine du salut, élevée au-dessus de toute espèce de doute. Il ne peut et ne doit croire que les vérités dont la confession est nécessaire pour appartenir à l'Église, dont la négation est absolument prohibée par l'Église et rejetée comme erreur manifeste. Donc personne, depuis les commencements de l'Église jusqu'à nos jours, n’a cru réellement à l’infaillibilité du pape… Beaucoup ont simplement supposé, admis comme probable, ou tout au plus comme humainement certain, fide humana, cette prérogative. Par suite (la définition) serait un événement unique dans l’histoire de l'Église…, une révolution dans l'Église. » Dans Granderath, Histoire du concile du Vatican, trad. franc., Bruxelles, 1911, t. n b, p. 286. Cf. le texte allemand de Dôllinger dans les Acla du concile, Colleclio lacensis, t. vii, col. 1473. Un pareil sophisme aurait pu être opposé à toute définition des anciens conciles rétablissant l’unité parmi les catholiques sur un point de foi, et rendant ce point désormais obligatoire. D’ailleurs Dôllinger ne tient pas compte de la période de foi unanime qui a précédé l'époque d’obscurcissement et de controverse : car tous ont d’abord cru, au moins pratiquement et implicitement, à l’infaillibilité du pape, avant l’origine de la controverse, qui a eu pour occasion le grand schisme d’Occident et le désir d’y mettre fin..Mais de plus, comme lui répondit alors la Civiltà, « le chrétien peut croire tout ce qu’il reconnaît comme révélé de

Dieu, même quand l'Église ne l’a pas encore proposé à sa croyance en condamnant le contraire comme une hérésie. Il le croit fide divina, et non comme le prétend Dôllinger, /We humana. « Civiltà catlolica, VI Ie série, t. ix, p. 386 sq. Cf. Granderath, toc. cit., p. 297.

4. On admet communément que les hérétiques ou schismatiques de bonne foi peuvent faire l’acte de foi divine et salutaire. — a) Rien en cela d’impossible ou d’invraisemblable. Si Dieu leur a accordé (c’est un dogme de l'Église) de pouvoir être baptisés dans leur secte du vrai baptême de Jésus-Christ, et de recevoir ainsi la vertu infuse de foi, pourquoi ne leur donnerat-il pas de l’exercer, s’ils reçoivent une éducation chrétienne, si, persuadés de la valeur historique de l'Évangile, ils acceptent les preuves que Jésus y donne de sa mission divine, s’ils retiennent de l’enseignement du Maître au moins quelques passages dont le sens est facile, quelques vérités à croire ? Us en perdront un certain nombre, privés qu’ils sont de l’influence directe de l'Église infaillible : mais après tout, pour faire un véritable acte de foi, il sufïît, avec la grâce de Dieu qui étend son action même en dehors de l'Église, d’adhérer fermement même à une seule vérité révélée, avec la bonne volonté générale de croire toutes les autres. — b) Si nous l’admettons, le problème de leur salut s’explique bien mieux. D’une part, les vérités qu’il faut croire, de nécessité de moyen pour le salut, sont peu nombreuses, on le sait, et parmi elles on ne compte pas l’infaillibilité de l'Église, ni l’obligation de se soumettre à son autorité comme règle de foi ; il peut donc arriver facilement qu’ils croient explicitement toutes les vérités qui sont de nécessité de moyen, excusés par leur bonne foi de ce qu’ils ne croient pas toutes celles qui sont seulement de nécessité de précepte. D’autre part, la grâce de Dieu peut facilement les amener à ajouter à cette foi salutaire l’amour de Dieu et la contrition surnaturelle qui les purifiera des péchés graves et assurera leur salut. Si l’on n’admettait pas pour eux ce moyen de salut, il faudrait dire, ou que Dieu n’a pas la volonté sérieuse de sauver tous les hommes, ou qu’il a établi une providence spéciale pour faire arriver infailliblement, s’ils vivent bien, tous les hérétiques et schismatiques de bonne foi à se convertir à la véritable Église et à être enfin unis à son corps avant leur mort : mais supposer une telle loi providentielle est très arbitraire, et même en quelque façon contre l’expérience, puisque nous voyons mourir, dans les Églises séparées, des personnes qui, selon toute apparence, étaient de bonne foi et ont vécu aussi bien qu’elles le pouvaient ; faudra-t-il désespérer de leur salut parce qu’elles ne sont pas entrées dans la véritable Église axant leur mort ? Noir Honni : foi, t. ii,

COl. 1011-101 |.

5. Par une conséquence théologique du principe que Dieu veut sauver tous les hommes, saint Thomas affirme qu’un païen de bonne toi, que l'Église n’a pu atteindre par ses missionnaires, s’il observe de son mieux ce qu’il connaît de la loi naturelle, aura infailliblement, avant sa mort, une révélation Immédiate mu laquelle il pourra, avec la grâce « le Dieu, faire un acte <le toi et les autres actes nécessaires au salut. In IV Sent., I. II, dist. XXVIII, q. i, a. I, ad 1 aillel lit que dans ecl acte de foi divine Paulin H é de l'Église n’intervient en aucune façon. Voir

i, I. iv, col. 21 (if, , 2169. Voilà pourquoi les théologiens ont eu soin de ne pas exagérer le r<M. di l'Église dans la foi, si grand il. i i de l’exprimer par des formules modérées el

adoucies. Donnons deux exemples : l.'alll or il é de

.'. 1 1 1 Adam Tanner, avec sa proposition publique de la toi, m la loi ordinaire de Dieu, morale ment nécessaire soil a l'égard de toute la communauté aussi d’une certaine manière a l'égard île chacun

des croyants, pour qu’en eux la foi soit pleinement conservée sans la corruption de l’erreur et sans l'ébranlement du doute ; mais non pas en ce sens que sans cette proposition on ne puisse jamais jaire un acte de foi divine. » Theologiæ scholastic, Ingolstadt, 1627, t. iii, De fide, q. iii, n. 42, col. 131. « A considérer la seule nature de la foi, dit le cardinal Mazzella, il n’est pas nécessaire que l’objet à croire soit proposé par l'Église ; mais par le fait de l’institution du Christ, le magistère vivant de l'Église avec son autorité doctrinale est le moyen ordinaire qui fait connaître la révélation chrétienne comme croyable ; et même l’autorité de l'Église est un moyen très efficace de sa nature, et nécessaire dans l’ordre actuel de providence où nous sommes pour produire et conserver l’unité et l’universalité de la foi. » De virtutibus infusis, 6e édit., Naples, 1909, n. 931, p. 493.

On ne saurait donc approuver les quelques théologiens qui, dans leur ardeur à défendre la règle de foi catholique, ont semblé refuser à tout protestant, même de bonne foi, la possibilité de faire aucun acte de foi divine, faute de recourir à la règle vivante cl infaillible. Salmanticenses, Cursus theol., Paris, 1879, t. xi, disp. VIII, n. 41, p. 406, contrairement à ce qu’ils avaient dit, disp. 1, n. 158, p. 74 ; Perrone, l’raiectiones theol., 31e édit., Turin, 1865, t. i, De vera religione, part. II, prop. 7 ; voir cependant une restriction, n. 173, p. 179 ; De virtutibus fidei, etc., 2° édit., Turin, 1867, De fide, prop. 4, surtout, n. 81, p. 25. Sur deux théologiens américains plus récents, voir Église, t. iv, col. 2168. C’est grâce à la thèse plus large, aujourd’hui généralement reçue, que les théologiens peuvent donner une explication modérée de l’adage : « Hors de l'Église point de salut, i Voir Église, t. v, col. 2166-2170. Sur les diverses formes que prend cette explication modérée et leur valeur relative, voir J. Y. Bainvel, dans les Éludes du 5 août 1912, p. 289 sq.

2° L’autorité de l'Église, son infaillibilité, n’entre pas dans le motif essentiel et spécifique de la foi salutaire ou tliéolog<de. — Raisons de celle assertion : 1. Si la proposition de l’objet par l'Église, comme nous venons de le voir, n’est pas même une condition absolument nécessaire de l’acte de foi, a fortiori elle ne peut faire partie de son motif essentiel. 2. Le concile du Vatican, définissant la foi avec beaucoup de précision, n’y signale pas d’autre motif propre et spé< ifique que l’autorité de bieu qui révèle, propler auctoritalem l)<i r< velanlis. Voir COl. 117. Il ne fait la aucune allusion à L'Église. Quand nous nommons l'Église dans nos formules de l’acte de foi. nous la nommons comme règle et non comme motif de la foi. La règle de toi fournit la

matière à croire, ou objet matériel. Voir col. 161. « Mon Dieu, je crois tout ce que votre Église m’enseigne, toute la matière qu’elle me propose comme révélée par vous. L’objet formel, le motif, est indiqué par le propler, le pane que : Parce que c’est VOUS qui

l’avez révélé, el que ous ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper, i La règle de foi précède, prépaie l’acte de foi, elle se lient dans le estibule : le motif

spécifique Influe directement, essentiellement sur

lui-même, lui donne son caractère propre, le

spécifie.. :  !. Le motif qui donne a la foi salutaire son essence et son unité doit être le même pour nous

que pour Abraham, autrement La foi d’Abraham serait d’essence différente, et ne pourrait être prise par saint Paul comme le prototype de notre foi. n

faut donc que l’autorité de L'Église, qui n’inlhi a t pas

du ii mps d’Abraham, n ite i n dehors du motif essentiel et. spécifique de La toi. La question est bien

traitée par Wilmeis. I h fiilr dintna. Hat islionne, L902, p. 57 84,

Les limites qu’avec La théologie catholique nous

venons de tracer au rôle de l'Église dans la foi doivent aussi servir à rectifier le compte rendu inexact et fantaisiste que font souvent les protestants de notre théologie sur ce point, nous prêtant des erreurs pour nous réfuter plus facilement. « Pour le catholique, dit Jean Monod, la ioi suppose entre l'âme et la vérité un intermédiaire nécessaire qui est l'Église. (Nous avons montré que cet intermédiaire n’est pas toujours nécessaire à l’acte de foi ; mais passons.) La foi (pour le catholique) est un acte de soumission à l'Église ; elle consiste à la considérer comme la gardienne et la dispensatrice de la vérité et à accepter sa direction. » Dans Y Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger, art. Foi, t. v, p. 7. Ce n’est pas ainsi que nos conciles de Trente et du Vatican définissent la foi ; il n’est pas même question de l'Église dans leur définition. Si la foi se définissait « un acte de soumission à l'Église, » elle perdrait sa qualité de vertu théologale, puisque nos théologiens appellent « théologale » celle qui s’appuie immédiatement sur Dieu, sur un attribut divin, comme est ici l’autorité divine, résultant de sa science et de sa véracité souveraine. Il est vrai que nous considérons l'Église « comme la gardienne et la dispensatrice de la vérité » et que nous « acceptons sa direction. » Mais ce n’est pas en cela que pour nous « consiste la foi. » Cette attitude confiante envers l'Église n’est qu’un simple prélude à l’acte de foi, elle fait partie de l’enquête préalable par laquelle, avant de croire à cause de l’autorité de Dieu les vérités qu’il a révélées, nous cherchons où elles sont, recourant ordinairement à l'Église pour les trouver avec plus d’exactitude et de sûreté. Et le protestant ne va-t-il pas les chercher dans son « catéchisme » ou dans sa « confession de foi » , ou du moins dans une version de l'Écriture qui lui est recommandée par son autorité ecclésiastique, et qu’il tient pour fidèle ? — Auguste Sabatier cherche le « dogme central » du catholicisme et répond que ce n’est pas difficile à trouver : « Le catéchisme (catholique) nous apprend, dit-il, que c’est le dogme de l'Église, de son infaillibilité et de sa continuité traditionnelles, de son origine divine et de ses pouvoirs surnaturels… Ainsi la foi et la soumission à l'Église vont devant et demeurent la chose essentielle. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 1897, p. 235. Mais nos catéchismes ne posent pas même la question d' « un dogme central » 1 Et ce qu’ils présentent tout d’abord à croire, ce n’est pas l’infaillibilité de l'Église, c’est un seul Dieu créateur et tout-puissant, comme dans le symbole des apôtres, puis la trinité, l’incarnation, etc. Aucun de nos théologiens ne range le dogme de l'Église, de son infaillibilité et de ses pouvoirs surnaturels, parmi les vérités « de nécessité de moyen » , celles qui sont le plus nécessaires au salut ; comment donc serait-ce pour nous « la chose essentielle » ? Oui, la règle de foi vivante est pour nous le point capital dans la polémique avec les protestants, et encore, avec 'les protestants conservateurs d’autrefois ; mais il ne s’ensuit pas qu’elle soit le dogme central de notre religion, la chose essentielle entre toutes ; car, grâce à Dieu, la polémique avec les protestants n’est pas toute notre religion, et ne se confond pas avec elle. Pour le catholique, dit encore Sabatier, « le premier et principal acte de piété, c’est la soumission à l'Église. » Loc. cit., p. 240. Pardon : l’amour de Dieu et du prochain, la charité théologale, a toujours été regardé par l'Église et ses théologiens comme le principal acte de piété, la première des vertus. La soumission, l’obéissance, prise séparément en soi, n’est pour eux qu’une vertu morale, inférieure aux vertus théologales.

3° Épilogue : la foi « divine et catholique » , sa perfection spéciale. — L’acte de foi divine ne change donc pas essentiellement, soit que la matière en ait été reçue

de l'Église, ou non ; mais dans le premier cas il a une plus grandi' perfection accidentelle. Cette perfection supérieure, d’autant plus notable que la comparaison portera sur un plus grand nombre d’actes de foi, vient des causes suivantes : 1. Recevoir de l'Église infaillible la matière de notre foi est évidemment une voie plus sûre. — 2. Elle accentue cette humilité et cette soumission de l’esprit, qui donne à la foi divine son caractère de sacrifice et une partie de son mérite : car il en coûte moins de s’humilier devant Dieu seul et de se rendre à son témoignage consigné dans l'Écriture que de s’humilier en même temps devant l'Église. « Ce sacrifice, remarque toutefois Schceben, l'Église ne l’exige pas pour elle-même et en son propre nom : elle l’exige pour Dieu et au nom de Dieu. Dans cet holocauste, elle ne figure que comme une prêtresse dont les mains sont chargées de l’offrir au Seigneur. » Dogmatique, trad. franc., t. i, n. 769, p. 501. — 3. A un autre point de vue, la soumission filiale à l’enseignement de l'Église nous est plus facile que la soumission filiale au témoignage de Dieu, soit parce que l'Église visible est plus à notre portée qu’un Dieu invisible, soit parce qu’il est naturel à l’enfant de croire sa mère ; le rôle de l'Église est donc de nous habituer par degrés « à un commerce filial et vivant avec Dieu, Père de notre esprit et source de la vérité surnaturelle ; la foi y gagne une énergie et une vigueur qu’on ne trouverait nulle part en dehors de cet attachement à l'Église. » Schceben, loc. cit., p. 498. Cf. I Joa., iv, 20. Les simples, qui ne sont pas toujours à même de distinguer nettement entre la révélation et la mission conservatrice qu’a l'Église, entrevoient confusément la parole de Dieu à travers celle de l'Église qui leur est plus sensible, et sont aidés ainsi à atteindre le motif essentiel de la foi. Suarez, De fi.de, disp. III, sect. x, n. 10, Opéra, 1858, t. xii, p. 94. — 4. La soumission de tous les croyants à un seul et même organe visible d’unité de foi, l’autorité doctrinale de l'Église, donne à la foi divine un caractère social qui la perfectionne encore, soit en faisant servir très efficacement la foi à l’union des esprits et des cœurs, soit en la retirant d’un isolement individuel où elle végéterait.

De là deux corollaires, l’un contre les protestants qui ne peuvent souffrir cette intervention de l'Église, dont ils ne comprennent pas l’utilité, l’autre pour éclairer un point difficile de la théologie catholique et de sa terminologie.

1 er corollaire. — Écoutons d’abord ce que pensent les protestants de notre attitude à l'égard de la règle vivante de la foi : « Dans l'Église (catholique), dit Aug. Sabatier, l'état du chrétien ne peut être qu’un état de perpétuelle minorité, car la tutelle qu’il accepte ne cessera jamais ; elle a le droit de s’exercer partout et toujours. » Loc. cit., p. 240. Au contraire, par le protestantisme « l’homme sort de tutelle, et arrive, dans tous les domaines, à la possession de soi, au plein et libre développement de son être, à l'âge de sa majorité, » p. 248. « La forme catholique (du christianisme), dit-il encore, correspond à l'âge de l’adolescence, où l'éducation se fait péniblement et réclame une discipline extérieure très étroite et des maîtres dont l’autorité ne doit pas être discutée. C’est ainsi que la discipline et l’autorité catholiques ont fait l'éducation laborieuse et lente du monde païen et du monde barbare jusqu’au xvi c siècle. Mais un moment doit venir, quand l'œuvre d'éducation a réussi, où les lisières, dont l’enfant ne pouvait se passer, gênent et compriment la vie de son âge mûr, » p. 253. Scheeben avait déjà répondu à de semblables dires : « Par des influences extérieures et antireligieuses, ou par l’effet de l’orgueil, on se laisse persuader que cette piété filiale (envers l'Église) révèle un état de minorité indigne d’un homme libre, … oubliant ce que dit notre Sauveur : nisi efficia

mini sicut parvuli, non inlrabitis in regnum cœlorum. » Loc. cit., p. 500. Pour prouver sa thèse malgré JésusChrist, Sabatier cite saint Paul, I Cor., xv, 43, qu’il traduit ainsi, entre guillemets : « Il faut que la vie psychique vienne la première, ensuite apparaît la vie spirituelle et libre. » Esquisse, p. 252. Malheureusement saint Paul n’a pas ces mots, et parle ici d’une tout autre question : de deux espèces de corps humain qui doivent apparaître successivement dans la série des temps, le corps animal comme le nôtre, puis le corps glorieux et spiritualisé, que nous aurons à la résurrection, et dont celui du Christ ressuscité est le type. Sabatier cite aussi l'Épître aux Galates, iv, 1-5. Mais saint Paul n’y parle pas dos futures destinées de l'Église, il parle du passé, de l'état servile des Juifs sous la loi mosaïque, et du Christ qui est venu affranchir les hommes de cette loi de crainte. Décidément ce professeur de théologie protestante n’est pas heureux dans ses citations de l'Écriture. Il y a pourtant un endroit où saint Paul parle non plus du passé, mais de l’avenir, et non plus des corps, mais de la vie intellectuelle et morale, et annonce une transformation de cette vie, en se servant précisément de la comparaison de l’enfant qui devient homme et abandonne les choses de l’enfance. Mais cette transformation, c’est seulement dans la vie future qu’il l’attend, quand nous ne verrons plus Dieu obscurément et par la foi, mais face à face. I Cor., xii, 9-12. H faut donc nous résigner à rester, au point de vue de la connaissance religieuse, plus ou moins enfants ici-bas ; et notre robuste fierté n’a pas à s’offusquer de la tutelle de l'Église enseignante qui d’ailleurs, par son infaillibilité, nous domine davantage qu’une mère son enfant. Enfin le Christ n’a pas dit aux apôtres ou à leurs successeurs, quand il les envoyait enseigner les nations" : « Je suis avec vous jusqu’au xvi 8 siècle, » mais : « Jusqu'à la fin du monde. » Alors, mais alors seulement, l'Église finira d’exister sous sa forme militante, avec sa hiérarchie, son enseignement et ses lois ; alors chacun des élus, rendu par la vision béatifique personnellement infaillible et même impeccable à jamais, parviendra au plein développement de son être et à l'âge de sa majorité ; alors le Christ, comme homme et chef de l'Église, « remettra le royaume ù Dieu et au Père… afin qu’en tous Dieu soit tout. I Cor., xv, 24, 28.

2e corollaire. — Puisque la foi divine, en s’appuyant sur sa règle vivante, l’autorité de l'Église, acquiert un état de perfection supérieure, et un caractère social, et sert à réunir tous les croyants en une société universelle ou « catholique » , nos théologiens ont eu raison de la considérer parfois précisément dans cet état, et de l’appeler alors, non seulement « foi divine » à cause de son motif spécifique qui est l’autorité du témoignage divin, mais « foi divine et catholique. » Ainsi la considère le concile du Vatican en cet endroit : « On doit croire de foi divine et catholique toutes les vérités qui sont contenues dans la parole de. Dieu écrite ou transmise en dehors de l'Écriture, et qui sont proposées à notre foi par l’Eglise comme divinement révélées. Scss. III, c. iii, Dcnzingcr, n. 1792. Naturellement, quand il est question de foi « divine et catholique » , la proposition par l'Église devient un élément essentiel de la définition et ne peut être omise. Et même on peut 'lire cpi 'mie perfi « Hou accidi nielle très notable, comme ei Ile qu’ajoute à la foi divine la proposition ecclésiastique, une perfection accidentelle qui d’ailleurs n’est pas un fait individuel ou exceptionnel, mais le (ait normal depuis l’institution de l'Église destinée au monde entier, pourra dans notre esprit constituer comme une nouvelle essence composée et une nouvelle Fol. L’acte de fol, non plus que la vertu infuse qui le produit, ne sera pas changé physi quement dans sa substance ; mais, acquérant dans un nouveau cadre providentiel une nouvelle valeur morale, il sera changé moralement, et mis dans un état meilleur. On ne pourra donc considérer dans la foi qu’une seule espèce physique, unam speciem naturæ, comme dirait saint Thomas ; et c’est en ce sens que Scheeben a dit : « La foi catholique se distingue en quelque sorte formellement de la simple foi divine, non pas sans doute que ce soit une nouvelle espèce de foi : ce n’est qu’une forme particulière de la réalisation concrète de la fol divine, … une condition de son parfait développement. » Loc. cit., p. 497. Si haute que soit sa conception de la foi divine et catholique, Scheeben ne veut admettre qu’une seule espèce de foi. Mais on pourra considérer deux espèces morales, ce que saint Thomas appelle duas species secundum condiciones morales supervenienles ou secundum speciem moris. Sum. theol., PII 16, q. xviii, a. 7, adl um ; q. i, a. 3, ad 3um. Et cette remarque suffit à concilier les manières si différentes dont saint Thomas présente la définition de la foi, son « objet formel » , sa nature. Traitant ex professo de l’objet formel de la foi, il ne parle pas de l'Église, ni même de l'Écriture, mais seulement de la révélation, parce qu’il ne considère alors que ce qui est physiquement essentiel à la foi salutaire, et par suite omet toute condition physiquement accidentelle. Sum. theol., II a II æ, q. i, a. 1. Mais ailleurs, amené par son sujet (il est question de l’hérétique) à considérer la foi comme proposée par l'Église, comme catholique, il donne une autre définition : « L’objet formel de la foi est la Vérité première, en tant qu’elle se manifeste dans les saintes Écritures et la doctrine de l'Église, qui procède de la première Vérité, » q. v, a. 3. Schiffini aurait pu se contenter de cette remarque pour expliquer cette dernière définition de saint Thomas, d’autant plus que lui-même, pressé par une objection, finit par distinguer deux différentes spécifications de la foi. De virtutibus infusts, 1904, p. 151. Mais il a préféré expliquer saint Thomas par une opinion singulière de I.ugo, qui, pour résoudre une difficulté gênante dans l’analyse de la foi, s’oublie jusqu'à faire entrer la proposition par l'Église, et jusqu'à la parole du catéchiste, dans la révélation ellemême. C’est une exagération du rôle de l'Église dans la foi.

La foi divine et catholique » dont parle le concile est appelée par abréviation « foi catholique » . Et l’autre espèce morale, c’est-à-dire la foi divine non appuyée sur la proposition de l'Église infaillible (par exemple, celle d’un protestant de bonne foi, ou d’un païen à qui Dieu révèle immédiatement les vérités nécessaires au salut), est dite simplement « foi divine quand on la distingue de la première. I.e péché formel d’hérésie, le plus grave crue l’on puisse commettre contre la foi, suppose que l’on nie une vérité de i foi catholique » , une vérité non seulement révélée de Dieu, mais encore proposée par l'Église comme telle : la qualification odieuse d' hérétique » et les peinescanoniquescontrece péché autorisent cette restriction, cette stricte Interprétation, qui est présentée par une multitude d’auteurs. Si donc il arrive à un catholique de nier, et même par sa faute, Une Vérité révélée, mais que l'Église ne propose pas distinctement et certainement à notre foi comme révélée, il ne doit pas être traité d’hérétique. Si, au contraire, il nie en pleine connaissance de cause une éiité de foi Catholique, averti par sa conscience qu’il fait mal c t s’obst inant à

le taire, perttnætter, il est hérétique au sens propre 1 1

formel, et alors, quoiqu’il ne nie qu’un seul do

directement, il perd la vertu infuse de f<>i par cel acte ;

si d’ailleurs il rejette un dogme qu’il sait garanti par l’autorité de l'Église, base de la foi catholique, comment ne perdrait-Il pas, avec œttl ban qu’il méprise, la foi catholique tout entière ? Voir S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. v, a. 3. Mais s’il s’agit d’un homme qui ignore l’autorité infaillible de l’Église, l’ignorance empêche en lui ce double caractère de mépris et d’obstination, sans lequel il n’est pas d’hérétique formel ; quand bien même il nie l’autorité de l’Église ou par suite quelque autre point de la foi catholique, comme il arrive aux protestants de bonne foi. Cf. Lugo, De fide, dist. XX, n. 197, Opera, Paris, 1891, t. i, p. 55. Voir Hérétique.

Pour qu’il y ait « proposition de l’Église » , il n’est pas nécessaire qu’il y ait toujours « définition » . C’est assez qu’une vérité soit proposée par ce que le concile du Vatican appelle « magistère ordinaire et universel » . Loc. cit. Voir Magistère. Est de foi catholique, par exemple, ce qui est contenu explicitement dans les professions de foi usitées dans l’Église entière, quand même elles ne sont pas à proprement parler des définitions. C’est ainsi que beaucoup de théologiens subdivisent la foi catholique en « foi définie » et foi catholique non définie, ou « foi catholique » tout court.

VI. Préparation rationnelle de la foi ; le fidéisme.

Un motif ne peut agir sur nous qu’à la condition d’être d’abord connu de nous. Pour être connu de nous, le motif de la foi, qui est complexe, suppose que notre esprit se rend compte de la vérité de plusieurs énoncés. « Dieu existe ; il ne peut ni se tromper ni nous tromper (science infaillible et véracité) ; il a révélé telle doctrine et s’en porte garant. » Tout cela étant d’abord connu et affirmé, je puis croire cette doctrine par le motif de la foi, propter auctoritatem Dei revelantis, qui nec falli nec fallere potest. Ce qui complique encore ces énoncés qui sont appelés les « préambules de la foi » , c’est que leur affirmation ne se fait pas du premier coup à la lumière de l’évidence immédiate. Pour notre esprit humain, il n’y a de vérité immédiatement évidente ni dans le fait de l’existence de Dieu, voir Dieu, t. iv, col.887 sq., 923 sq., ni dans les attributs divins de science et de véracité, ni surtout dans le fait de la révélation, comprenant le fait général que Dieu ait parlé par le Christ et le fait particulier que tel dogme fasse réellement partie du contenu de la révélation chrétienne. Or, quand un énoncé n’est pas immédiatement évident, nous ne pouvons l’affirmer que moyennant d’autres vérités qui constituent son motif, sa preuve. Voir col. 125. Il en sera donc ainsi dans chacun des actes intellectuels par lesquels nous affirmons les préambules de la foi. Sur ces actes, les théories et les difficultés qu’ils soulèvent, nous poserons les questions suivantes :
1° Ces actes peuvent-ils se faire sans aucun motif intellectuel, par un coup de volonté ? Quels sont-ils, dans le détail ?
2° Qu’est-ce que le fidéisme ? Sa position est-elle raisonnable ?
3° Quelles sont ses origines et ses objections ?
4° L’Écriture est-elle favorable au fidéisme ?
5° Les Pères lui sont-ils favorables ?
6° Documents ecclésiastiques sur le fidéisme.
7° Ces actes qui préparent rationnellement la foi doivent-ils avoir la fermeté de la certitude ? Le semi-fidéisme.
8° Objection tirée de la 4e proposition condamnée par Innocent XI ; explication de la condamnation.
9° Aperçu sur la certitude en général, ses éléments, ses espèces ; l’évidence.
10° Peut-on exiger, avant de croire, d’avoir l’évidence parfaite des préambules, par exemple, du fait de la révélation ?
11° Qu’entend-on par « évidence de crédibilité » ?
12° La certitude relative des enfants et des ignorants sur le fait de la révélation existe-t-elle, et peut-elle suffire ?
On entrevoit déjà l’extrême complication de la question, d’ailleurs très pratique, que nous abordons.

Les actes intellectuels qui préparent la foi peuvent-ils se faire sans aucun motif intellectuel, par un coup de volonté ?

Nous ne nions pas le rôle de la volonté dans les croyances ; mais il doit être limité et réglé, car :

1. la force physique de la volonté ne va pas jusqu’à faire admettre quelque chose à l’intelligence sans aucun motif intellectuel, voir Croyance, t. iii, col. 2371 ; 2. quand elle aurait cette force physique démesurée, elle ne pourrait moralement et légitimement en faire usage. La volonté n’est pas une puissance despotique et sans règle dans la nature. Pour qu’elle agisse licitement sur une autre faculté, il faut qu’elle respecte la nature de cette faculté ; surtout, si cette autre faculté est l’intelligence, dont la nature est d’atteindre non pas seulement quelque intérêt subjectif, mais la vérité objective, qui ne dépend pas de nous et a droit à notre respect. Quand elle agit sans sortir d’elle-même, simplement, par un acte immanent, la volonté présuppose seulement comme motif un bien convenable qui l’attire ; mais quand elle influe sur une autre faculté, elle doit présupposer en outre que cette intervention se fasse dans les conditions normales de cette faculté et pour son bien : et cela doit être constaté avant qu’elle intervienne. « Quand il s’agit de mouvoir la volonté à son acte immanent, actus elicitus, écrivait le P. Jean Semeria, il suffit d’un motif proportionné à la volonté elle-même. Mais il en est autrement, quand il s’agit d’un acte commandé par la volonté (actus imperatus ) : celui-ci suppose un acte double, le mouvement de la volonté qui commande et le mouvement de la faculté qui exécute. Aussi faut-il alors et un motif proportionné à la volonté, et un motif proportionné à la faculté dont la volonté doit commander l’acte (un motif intellectuel, s’il s’agit de l’intelligence). Car, la volonté, qui gouverne toutes nos facultés comme un père de famille tous les membres de la société domestique, la volonté ne pourrait commander l’acte, par exemple, de l’intelligence, s’il n’était constaté par un jugement préalable qu’un objet proportionné à cette faculté ne fait pas défaut, sur lequel puisse s’exercer l’acte que la volonté est sur le point de lui commander. » Analysis actus fidei juxta S. Thomam et recentiores theologos, Plaisance, 1891, p. 43-45. Quand il s’agit de commander la foi de l’intelligence à tel dogme, il faut constater d’abord que ce dogme est croyable comme parole de Dieu : et le jugement préalable qui montre ainsi à la volonté la légitimité de son intervention s’appelle alors « jugement de crédibilité » .

Avec des motifs intellectuels très solides, quoique laissant place à un doute imprudent, nous admettons un certain coup de force de la volonté pour chasser ce doute de l’esprit. Voir Croyance, t. iii, col. 2384-2387. Mais de cette concession on ne saurait conclure que, sans aucun motif intellectuel, à l’aveugle, la volonté puisse commander a l’intelligence d’adhérer. La conclusion serait boiteuse. « C’est comme si l’on raisonnait ainsi : Sans une lumière intense, l’œil peut voir ; donc il peut voir sans aucune lumière. » Ulloa, Theologia scholaslica, Augsbourg, 1719, t. iii, p. 85.

Quels sont, dans le détail, ces actes intellectuels qui préparent l’acte de foi ?

Ces actes, qui, tendant au même but, ont entre eux une certaine unité morale, ont été sommairement groupés sous un seul nom : « jugement de crédibilité » ; par eux la vérité révélée nous est présentée comme croyable, credibilis. Examinant de plus près ce groupement, les théologiens y ont tout d’abord distingué deux choses :

1. Un jugement pratique de crédibilité, qui éclaire plus immédiatement la volonté de croire ; car avant que la volonté puisse commander la foi, il faut, comme dans tous ses autres actes libres, un jugement (dictamen) de la conscience sur l’honnêteté ou licéité de l’acte considéré au concret, hic et nunc, avec toutes ses circonstances : donc un jugement essentiellement pratique. Ce qu’on appelle « jugement de crédibilité » est principalement le jugement pratique. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2203.

2. Plusieurs jugements spéculatifs doivent préparer ce jugement pratique. En effet (nous l’avons vu plus haut) pour que le motif spécifique de la foi entre en jeu, il faut que l’intelligence adhère d’abord à l’existence du vrai Dieu, à sa science et à sa véracité, puis au fait de la révélation chrétienne ; et, pour avoir le dogme chrétien dans le détail, il faudra qu’elle adhère à l'Église infaillible, ou qu’elle remplace par autre chose cette adhésion qui n’est pas nécessaire dans tous les cas. Voir col. 150 sq. Cette pluralité de jugements spéculatifs préalables vient de ce que le témoignage est un procédé intellectuel bien plus compliqué que la simple intuition : à plus forte raison quand il s’agit du témoignage divin donné autrefois, et appliqué par un autre témoignage, par exemple, celui de l'Église. Et puis ces jugements préparatoires à la foi ne sont pas immédiats, ni ne peuvent se faire par un simple coup de volonté, nous l’avons vu : il leur faut donc d’autres jugements, qui leur fournissent à eux-mêmes leurs preuves, leurs motifs intellectuels.

Laissant de côté pour le moment ce grand appareil des jugements spéculatifs de crédibilité, revenons à leur aboutissant, le jugement pratique. Lui aussi, soumis à l’analyse, s’est montré plus complexe qu’on ne l’avait cru peut-être : il a été d’abord dédoublé : Je peux prudemment croire ; je dois croire. » Le premier de ces deux jugements garde à un titre spécial le nom de jugement de crédibilité » , vu l'étymologie de ce mot. Pour le second, un théologien d’une subtilité excessive et aventureuse, Caramuel, lui a fabriqué un nom. « Il ne s’est pas contenté du terme de crédibilité, mais il a ajouté la credendilé ou nécessité de croire, » dit de lui Cardenas, Crisis theologica, Venise, 1700, p. 188. En effet, nous trouvons dans Caramuel « qu’on doit démontrer la crédibilité de la foi orthodoxe, et même sa credendilé, » et pour s’excuser de la nouveauté du terme, il ajoute que, « bien que les auteurs classiques n’aient pas tiré du participe en dus des noms abstraits, c’est maintenant nécessaire. > Theologia moralis fundamentalis, Lyon, 1676, 1. II, n. 2339, p. 688. A partir du xviie siècle, plusieurs théologiens ont adopté ce terme nouveau, et quelques-uns l’ont rendu un peu plus barbare, en disant, je ne sais pourquoi, " crédentité » . Il y en a même qui exigent ce jugement avant tout acte de foi. Mais le précepte positif de la foi n’obligeant pas pour chaque instant, pro semper, l’acte de foi est souvent de surérogation et non pas d’obligation ; alors il suflit bien de voir que cet que je vais faire est licite, permis par la prudence, honnête, louable, sans voir qu’il soil d’obligation. Caramuel lui-même dit qu’il faut démontrer « la crédendité de la foi orthodoxe, » prenant évidemment la foi au sens objectif, pour la vraie religion, la vraie révélation ; il ne dit pas qu’axant tout acte (le foi il faut se démontrer l’obligation, la nécessité de cri acte. On comprend donc pourquoi beaucoup de theologiens, quand ils énumèrent les actes absolument aires comme préparation à tout acte de loi, omettent ce jugement de crédendité.

Les |ugements pratiques, préparatoires à la foi, peuvent encore se multiplier par un autre côté, l »api es les principes posés plus haut, l’intelligence doit diriger

la volonté tant dans ce premier acte, ou la volonté se propose une fin a atteindre par l’acte de foi. que dans l' second, on elle Intervient de fait dans le domaine d( l’Intelligence et la pousse à croire. Voir col. 172.

C’est a la direction du second acte qu’appartiennent I' |ugi menta de crédibilité dont nous avons parlé. A la direction du premier répond un jugement préalable

sur l’honnêteté dl la fin que poursuit la volonté, et sur

l’utilité de l’acte de fui considéré comme moyen poui

atteindre cette Qn ; mais nous n’insisterons pas sur

orie de jugements, soit parce qu’elle com

pliquerait une question déjà bien complexe, soit parce qu’elle ressemble à ce qui se passe dans tous les « actes humains » et n’offre pas de difficulté qui soit spéciale à notre sujet. Le P. Gardeil, au contraire, a cru devoir surtout insister, dans son résumé de la genèse de l’acte de foi, sur cette partie commune à tous les actes humains. Voir Crédibilité, col. 2205, 2206, et La crédibilité et l’apologétique, 2e édit., 1912. p. 327 sq. Et coramj d’ailleurs, sur ce terrain de la genèse de l’acte humain, il tend à multiplier des actes qui ne sont pas tous communément admis comme nécessaires à cette genèse, et dont quelques-uns répondent à des vues systématiques seulement, son énumération a quelque chose d’un peu effrayant, et la clarté des tableaux synoptiques ne semble pas suffire à dissiper cette impression.

2° Qu’est-ce que le fidéisme ? Sa position csi-elle raisonnable ? — 1. Sens du mot chez les protestants contemporains. — Chez eux, le mot « fidéisme » a pris un sens spécial, sous la plume de M. Ménégoz. En 1879, dans un opuscule intitulé : Ré /levions sur V Évangile du salut, il disait leur fait aux deux grandes écoles du protestantisme, les orthodoxes et les libéraux. La foi luthérienne, c’est la confiance, « le don du cœur à Dieu. » Qu’en ont fait les orthodoxes ? « Tout en enseignant la justification par la foi, ces docteurs confondent, sous le nom de foi, deux choses bien distinctes ; le don du cœur à Dieu, et l’adhésion de l’esprit à la vérité révélée ; ils confondent la foi et la croyance, et ils arrivent ainsi à substituer au dogme du salut par la foi seule le dogme du salut par la foi et par les croyances. » Ménégoz, Publications diverses sur le fidéisme, Paris, 1900, p. 30. Il aurait pu se souvenir que Luther lui-même avait déjà équivoque pareillement sur le mot « foi » , comme le remarque M. 1 larnæk. Voir col. 77. Quant aux libéraux, M. Ménégoz. leur reproche d’avoir remplacé la foi luthérienne par la charité, et de défendre « la doctrine du salut par l’amour de Dieu et du prochain. » Voir col. 71. Il conclut : « En face de cette double erreur, nous posons le dogme du salut par la foi, indépendamment des croyances… Nous allumons le sola fîde dans toute sa teneur. Le sola, nous l’opposons aux orthodoxistes ; le fidi. nous l’opposons aux libéraux. » Op. cit., p. 33-31. « Celui qui consacre son âme à Dieu est sauvé, indépendamment de ses croyances. Voilà l'Évangile, la bonne nouvelle, qu’il faut annoncer à ces masses… rongées par le doute que la science moderne a jeté dans leur esprit… Qu’on leur prêche le soin fide. le pfièismc, si l’on veut l’appeler ainsi, dans sa divine ampleur, et l’on verra que cette doctrine trouvera un écho dans leur âme. » Op. cil., p. 36. Doctrine commode, en eilei : i l.a foi n’implique pas d’une manière absolue la croyance consciente à l’existence de Di p. 19. Mais alors à qui se consacre-ton ? A ce christia nisine-là, ne semble pas non plus nécessaire la croyance a l’existence de.lésus. Voir Expérience rbuqh usi. col. 1832, une citai ion de MénégOZ. Mais nous avons déjà suffisamment réfuté ces fausses définitions de la foi et cet ant Idogmal isme. Ce qu’il importait « le noter

ici, c’est le mol fidéisme employé pour la première

fois en ce sens, emploi qui depuis a fait foi tune.

l. MénégOZ ne pouvait s’arrêter en si bon chemin,

et il devait lancer un autre mot, en 1897, à l’apparl lion du livre d’Aug. Sabatier, Esquisse… Profondément ému, il signale sa rencontre avec M. Sabatier,

son ami et collègue. Ils étaient partis de points de vue différents, et ainsi l’un était arrivé au fidéisme l’autre a ce (prit appelle le symbolisme critique.

Mais, au fond, c’est la même chose, qu’on pi ut appelei le » sj mbolo fidéisme, Op. i '/.. p. 228. Bien des gens.

trouvant l’expiession un peu lourde, se content eut du

mot de fidéisme, comme le remarque M. l’abbt  » )

Snell, Essai sur la foi dans le catholicisme et le protestantisme, 1911, p. 62, chez qui l’on trouvera déplus amples détails sur cette école protestante.

2. Sens du mol chez les catholiques.

Ainsi employé par les protestants contemporains dans un sens dont nous ne nous occuperons plus, le mot « fidéisme » se rencontre dès la première moitié du xixe siècle chez les catholiques dans un sens absolument opposé. C’est chez eux un mot pris en mauvaise part, et dont nulle école ne s’est vantée. Ceux qui se glorifiaient du nom de traditionalistes n’ont jamais revendiqué celui de lidéistes, quoique plusieurs d’entre eux l’aient mérité, et que leurs adversaires le leur aient donné. — Le « fidéisme » peut être défini comme tendance, ou comme système. Au premier point de vue, c’est « une tendance à donner trop peu à la raison, trop à la foi ou à la croyance. » J.-V. Bainvel, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de M. d’Alès, 1911, t. ii, col. 57. Au second, c’est un système qui met la « foi » à la base de toute notre connaissance, ou du moins de toute notre connaissance religieuse. Si cette « foi » est l’acte théologal expliqué dans cet article, c’est alors proprement le « fidéisme » dont nous voulons nous occuper.

Disons toutefois, en passant, qu’en un certain sens on pourrait appeler « fidéistes » les philosophes qui font reposer toute la connaissance humaine sur la « foi » , entendant par là tout autre chose que la foi théologale. Les uns, comme Jacobi, Herder et autres philosophes allemands, réagissant contre le subjectivisme de Kant, ou les philosophes écossais réagissant contre l’idéalisme, de Berkeley et le scepticisme de Hume, ont appelé « foi » l’adhésion immédiate à certaines vérités premières de la raison comme ayant une valeur objective, bien qu’elles ne puissent se démontrer. Voir Franck, Dictionnaire des sciences philosophiques, 2e édit., 1875, art. Foi, p. 543. Ils ont beaucoup de vrai : mais ce qu’ils appellent « foi » est l'évidence, si confuse soit-elle, de la valeur de notre raison ; et ils ont tort de la décrire comme une force aveugle, qui est ce qu’il y a de plus anti-intellectuel, et de rabaisser ainsi le fondement de la certitude, cette perfection de notre intelligence. Voir Certitude, t. ii, col. 2159, 2160. D’autres ont fait reposer toute la connaissance sur la foi au témoignage du genre humain (Lamennais) ; le système est mauvais, mais il emploie le mot « foi » avec plus de propriété et de précision. D’autres enfin ont fait reposer la connaissance morale et religieuse sur la « foi » , entendant par là une conviction sans valeur objective, mais qui joue un rôle utile, ainsi Kant, Hamilton. Voir Croyance, t. iii, col. 2365.

Pour nous, qui ne nous occupons ici que de la théologie, le « fidéisme » est le système qui veut mettre à la base et au début de toute notre connaissance religieuse la foi, au sens Ihéologique du mot : en d’autres termes, le système qui n’admet pas qu’on prouve d’abord les préambules de la foi par la raison naturelle, et qu’ainsi la raison conduise l’homme à la foi. On voit comment le fidéisme se rattache à la question présente des actes intellectuels qui doivent précéder la foi. Il vaut la peine qu’on y insiste, et n’est pas une erreur d’un autre âge, une erreur entièrement périmée. Aujourd’hui même, comme le remarque M. Bainvel, » il y a, chez nombre de catholiques en vue, une défiance de la raison et un réveil des tendances fidéistes. Il serait long d’en chercher les causes. Mais le fait est visible. » Loc. cit., col. 58.

Avant tout, il faut bien délimiter cette erreur. Ce n’est pas être fidéiste que de faire jouer un rôle à la grâce dans la connaissance des préambules de la foi, si l’on entend par « grâce » un secours subjectif, qui aide à connaître, mais sans constituer pour l’intelli gence un objet. Voir Dieu, t. iv, col. 860-862. Quand même on exagérerait le rôle d’une telle grâce dans la crédibilité (nous traiterons de ce rôle, col. 237 sq.), cette exagération ne supprimerait pas l’usage de la raison avant la foi, elle ne suppléerait pas les objets que doit voir alors la raison humaine, les motifs de crédibilité, la logique des preuves. Être fidéiste, c’est vouloir exclure cette preuve rationnelle des préambules de la foi, soit en la remplaçant par un coup de volonté, ce que nous avons déjà réfuté, voir col. 172, soit, plus ordinairement, en la remplaçant par le motif intellectuel de la foi divine, par l’autorité de la révélation, secours objectif. On comprendra mieux cette forme plus ordinaire du fidéisme, en examinant tout de suite si elle est raisonnable, ce qui nous la fera exposer en détail.

Les principaux préambules de la foi, c’est l’existence de Dieu, son autorité, c’est-à-dire sa science et sa véracité ; c’est encore le fait qu’il a parlé, qu’il a révélé telle et telle doctrine. Puisque ces préambules ne sont pas des vérités immédiatement évidentes, ils ont besoin d’une preuve, d’un moyen terme qui nous mette en communication avec eux. « Mais, dit le fidéisme, pourquoi ce moyen terme ne serait-il pas tout simplement le motif même de la foi divine ? J’admettrais un dogme, la Trinité, par exemple, à cause de l’autorité de Dieu ; et remontant plus haut sans sortir du motif de la foi, j’admettrais l’autorité de Dieu parce qu’il nous l’a révélée, voir, par exemple, Rom., ni, 4. Ainsi, l’on fonderait la foi sur la foi ; le fondement serait le plus solide de tous, et le procédé logique serait homogène et très simple. » Contre ce procédé nous donnons les raisons suivantes : « ) On veut que l’autorité de Dieu, motif de notre foi à la Trinité, soit prouvée par l’autorité de Dieu révélant son autorité même. L’autorité de Dieu jouerait donc ici un double rôle, actif et passif : elle se prouverait elle-même. Ou bien nous sommes en face d’un cercle vicieux ou d’une pétition de principe, a prouvé par a, procédé déraisonnable : ou bien, si on veut l'éviter, il faut que l’autorité de Dieu, prise activement, après s'être prouvée elle-même, devienne à son tour logiquement passive, par rapport à autrechose qui la prouvera. Que sera cette autre chose ? Sera-ce encore l’autorité de Dieu, intervenant dans un nouveau rôle actif ? Mais nous pourrons recommencer ici et toujours la même difficulté ; et si l’on garde la même solution (a prouvé par a' prouvé par a"…) nous allons à l’infini, autre procédé déraisonnable. Sera-ce une preuve rationnelle de l’autorité divine et du fait de la révélation, dernier point d’appui où l’on s’arrêtera enfin ? Je le veux bien, mais alors on abandonne le fidéisme, qui condamne ce genre de preuve, et l’on fait en quelque sorte reposer la foi sur la raison. Quoi qu’on choisisse, la position du fidéisme n’est pas tenable. Voilà l’argument décisif contre lui. Voir Franzelin, De tradilionc et Scriplura, 2e édit., Rome, 1875, Appendix de habitudinc rationis humunæ ad divinam fidem, c. ni, n. 1, p. 595. Cf. Certitude, t. ii, col. 2159.

b) La foi divine étant essentiellement une connaissance médiate, elle ne sera raisonnable, d’après la nature de l’esprit humain, que si elle se ramène en définitive à des connaissances immédiates, qui sont pour l’homme les principes évidents de la raison et les faits d’expérience : sans quoi elle restera en suspens, elle cherchera indéfiniment, sans le trouver, un premier point d’appui, l’anneau fixe d’où doit pendre toute la chaîne.

c) Les fidèles appliquent naturellement à la foi divine le même procédé qu’ils suivent pour la foi à un témoignage humain, et les Pères autorisent ce rapprochement. Voir col. 110. Or, quand un témoin nous

atteste une chose, et en même temps sa compétence et sa véracité, ce n’est pas à cause de son seul témoignage et par simple foi que nous admettons en lui ces qualités d’un bon témoin, mais parce que nous les avons vérifiées chez lui par l’expérience ou par le raisonnement. Car d’affirmer qu’on est véridique, c’est chose commune à ceux qui le sont… et aux menteurs ; en un mot, à tout le monde. La seule affirmation de l’intéressé ne suffît donc pas ; la traiter comme une preuve serait illogique : nous devons vérifier ces qualités par une autre voie. Cette vérification est une loi de notre intelligence ; elle doit donc s’appliquer au témoignage divin lui-même, qui ne change pas ces lois, mais s’y adapte pour entrer en communication avec nous. De plus, quand il s’agit d’un témoin éloigné qui nous parle par intermédiaire, par une déposition écrite, je suppose, il ne suffît pas que le document en question prétende provenir de lui ; il y a des pièces faussement attribuées à tel auteur, ou falsifiées. Le fait que c’est bien ce témoin qui parle doit donc être vérifié, soit par son écriture bien connue ou sa signature ou son cachet, soit par le témoignage d’autres personnes dignes de foi et déjà contrôlées, etc. Ainsi est-il nécessaire que nous vérifiions l’origine des Écritures, la mission divine que s’attribuent ceux qui ont fondé notre religion et ceux qui en conservent les dogmes. Non seulement ce n’est pas faire injure à Dieu qui parle, mais nous lui ferions injure si nous acceptions imprudemment ces intermédiaires, au risque de confondre la parole divine avec celle de quelque imposteur. Le fait delarévélation, cetautre préambule de la foi, ne doit donc pas non plus être admis en partant de la foi, sans un contrôle préalable de la raison.

L’enfant lui-même, quand, sous la direction de l'Église, il commence à faire l’acte de foi divine, ne peut échapper à cette loi d’une première vérification faite par sa raison. Il admet les mystères de la religion, parce que Dieu, qui les a révélés, ne peut ni se tromper ni nous tromper. Mais pourquoi admet-il ces attributs divins, et le fait de la révélation, et le fait de L'Église infaillible ? Parce que ses parents, le curé, le catéchisme imprimé, etc., affirment tout cela, sans parler de quelques raisons de bon sens que l’on a pu y joindre. Et pourquoi croit-il à leur témoignage ? Parce qu’il y aperçoit confusément les qualités des bons témoins, science, véracité : et par quel moyen les aperçoit-il ? Par son expérience et sa raison personnelle, en se basant sur dis signes extérieurs de gravité, de science, de probité, d’intérêt pour lui et pour son instrUCtlon, etc. De même les récits évangéliqueS le toucheronl par des signes de véracité, de haute vertu ; l'Église, par sa dignité, sa charité, sis œuvres, etc. « Il ne faut pas s’imaginer, dit Bossuet, que les enfants en qui la raison commence à paraître, pour ne savoir pas arranger leurs raisonnements, soient Incapables de ntir l’impression de la vérité… Il faut des motifs pour nous attacher à l’autorité de l'Église ; Dieu les sait, et nous les saous en général : de quelle sorte il les arrange, et comment il les fait sentir a ces âmes tnno< de son Saint-Esprit. Tant y a

que cela se fait. Réflexions sur un écrit de M. Claude, i réflexion, dans Œuures, édit. Lacbat, 1867, t. xiii,

p. 5 l t ne veut pas appeler < anien » Cet

I raison dans l’enfant qui, aidé di la e, s’achemine à son premiei acte de fol divine. Toul dépend de ce que l’on entend par examen » . si l’on y fait entrer le doute formel, il serait certainement néfaste a l’infant, il IV i lé] ii n< v montre que normales il n’existe pas chez lui. Au wm siècle, Lefranc de Pomplgnan, évêque du Puy, étudie la question dans une controverse Intéressante avi c un proto itant d l l’une

part, ces motifs ont en eux-mêmes tout ce qu’il faut pour les convaincre, et de l’autre (les enfants) n’opposent point à cette conviction, par des préjugés contraires, une résistance qui partage leur esprit et le tienne quelque temps en suspens… L'âge où un enfant devenu raisonnable est obligé à l’acte de foi divine, n’est pas dans l’espace du temps un point indivisible ; il a une durée qui correspond nécessairement à la succession et au développement des idées… Cette foi n’a pas dans son cœur une racine secrète qui la fasse éclore soudainement ; les opérations de la grâce ennoblissent et perfectionnent la nature, mais ne la détruisent pas. Il faut, axant l’exercice actuel de la foi, qu’il y ait une véritable proportion… entre l’intelligence de cet enfant et les motifs de crédibilité qu’on lui présente. Le temps qui amène cette proportion n’est pas un temps où il hésite ; c’est un temps où il écoute pour entendre : et dès qu’il a entendu, il croit, ou du moins il doit croire. » Controverse pacifique sur la joi des enfants, etc., dans Migne, Theologise cursus, t. vi, col. 1132. Ce n’est d’ailleurs pas encore le moment pour nous d’aborder tout le problème de la « foi des simples » . Voir col. 221.

Si l’on regarde superficiellement cet acte de foi de l’enfant, il semblera n’avoir aucune préparation rationnelle. Il en serait de même, si nous prenions mal à propos comme spécimen ces actes de foi implicites et confus, ordinaires aux pieux fidèles, quand, par exemple, ils adorent par une génuflexion le Christ dans l’eucharistie, où la foi seule peut ainsi le reconnaître. Lorsque nous renouvelons un acte complexe, que nous avons déjà fait mille fois, nous passons si vite sur certains de ses éléments, qu'à la réflexion ils sont imperceptibles : ainsi un raisonnement se fera si vite qu’on en prendra le résultat pour une intuition ; un choix de la volonté sera si rapide, que la délibération n’y apparaît pas, bien qu’en réalité l’acte soit suffisamment délibéré. De même dans le cas présent : le fidèle adhère au dogme de la présence réelle, non pas sans aucun motif intellectuel, mais pour le même motif pour lequel il y a toujours adhéré, et qu’il sait être bon et solide, quand même il ne s’en souvient pas distinctement. C’est adhérer implicitement à la révélation de l’eucharistie et à la véracité du Dieu qui l’a faite, en un mot, à tous les préambules nécessaires de la foi et à leurs preuves rationnelles ou « motifs de crédibilité » . Ainsi l’acte nouveau est suffisamment fondé en raison ; mais en psychologie, ce ne sont pas ces répé litions sommaires dattes antérieurs qu’il faut choisir, quand on veut étudier la nature et les éléments de telle espèce d’actes ; il faut remonter aux actes faits avant l’habitude prise, et lentement exécutés : ce sont là de « meilleurs sujets » pour l’analyse, et les autres, qui les répètent, ne valent qu’autant qu’ils se réfèrent confusément à ceux-là. Voilà pourquoi nous avons choisi le cas du premier acte de foi dans l’enfant

chrétien, et mieux vaudra encore choisir comme

exemple le | remier acte de foi dans Induite instruit qui se convertit lentement à la foi chrétienne ; c’est

le meilleur de tous pour étudier distinctement la genèse de La foi. Au moins sur ce cas typique, notre thèse est absolument commune à toute l'École. Voir

Coninck, /)< moralitale, etc., disp. XI II, n. 2, 1623,

p. 227 ; Kilber. De fid< . 171, dans.Migne. Cursus Iheologise, t. vi. col. 543. De nos jours, on a parfois accusé Suarez de s'écarter de ce consentement com mun, et d’aller au fldéisme, à « anse de son système sur l’analyse de La foi. Mais quelque erreur que l’on puisse reprendre dans ce sj stème, dont nous parti ron ailleurs, Suarez, comme les autres théologiens, i avant lu fol, que les préambules soient considérés à la lumière de la raison et prouvés par des motifs di dibilité, ce qui le distingue nettement des Qdéistes X0

Voir Tepe, Instiluiiones iheologicse, Paris, 189C, t. iii, p. 357.

3° Quelles sont les origines et les objections principales du fldéisme ? — Le fidéisme, qui suppose la vraie doctrine sur la nature et le motif de l’acte de foi, ne veut pas qu’on en prouve les préambules par la raison humaine. Mais la question des préambules et de leurs preuves ne se pose même pas pour tant de protestants modernes qui ont perdu la notion de la foi au témoignage de Dieu, et pour qui la « foi » est une intuition, ou même un sentiment. Ils ne sont donc pas fldéistes, à proprement parler, bien qu’ils aient des assertions semblables à celles du fidéisme, par exemple, Schleiermacher quand il dit : « Nous renonçons absolument à loute preuve de la vérité et de la nécessité de la religion chrétienne. » Cité par les théologiens du Vatican, Colleclio lacensis, t. vii, col. 528. Écartons donc tous ces piétistes, sentimentalistes, protestants libéraux, et enfin les modernistes, et ne considérons, dans la question du fidéisme, que des protestants conservateurs, des jansénistes, et des catholiques appartenant à l'école vaguement appelée « traditionaliste » . Et demandons-nous quels courants d’idées ont donné naissance à l’erreur que nous combattons chez eux.

1. Le principal de ces courants est un certain scepticisme, une défiance de la valeur de la raison et des preuves qu’elle peut fournir. Tandis que ce doute malsain est pour plusieurs « un oreiller commode » , d’autres qui en souffrent tâchent d’en sortir en se jetant tête baissée dans la foi, ils sont fldéistes. Mais 'omment des protestants conservateurs et des catholiques ont-ils pu arriver à douter de la valeur de la î aison, sinon dans tous les domaines, arts, sciences, etc., du moins dans celui de la morale et de la religion ? Par la fausse conception qu’ils se sont faite d’une doctrine révélée, celle du péché originel, dont ils se sont exagéré les ravages. Si nous suivons dans l’histoire des idées les principales apparitions du fldéisme, nous verrons qu’elles se rattachent le plus souvent à cette exagération.

Il en est ainsi des chefs de la Réforme. « Je dis que, soit dans l’homme, soit dans les dénions, les forces spirituelles ont été non seulement corrompues par le péché, mais complètement détruites, en sorte qu’il ne reste plus en eux qu’une raison dépravée, etc. Tout ce qui est dans notre volonté est mal, tout ce qui est dans notre intelligence est erreur. » Luther, Commentaire sur l' É pitre aux Galales, i, 55, voir Denifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, 1912, t.nr, p.G5. De là, chez beaucoup de protestants, la conviction que la raison est impuissante à prouver même l’existence de Dieu, ce premier préambule de la foi, cette vérité si accessible au genre humain. Voir Dieu (Connaissance naturelle de), t. iv, col. 765-767. De là, dans la doctrine de Luther, la « pure passivité » avec laquelle doit être reçue la grâce de Dieu en général et en particulier la foi « sans produire aucun acte d’intelligence ou de volonté. » Voir Denifle, loc. cit., p. 261-266. Cf. Expérience religieuse, col. 1787, 1788. De là, chez Calvin, la défiance de tous les arguments apologétkpues quand il s’agit de prouver le fait de la révélation : « Nos esprits ne font que flotter en doutes et scrupules, jusqu'à ce qu’ils soient illuminés. » Institution, 1. I, e. vii, n. 4, Genève, 1562, p. 27. « Ceux qui veulent prouver par arguments aux incrédules que l'Écriture est de Dieu, sont inconsidérés. Or cela ne se connaît que par foi. » Loc. cit., c. viii, n. 12, p. 35. Il fait cependant aux arguments une certaine place, mais après la foi.

Le jansénisme, tout en mitigeant la doctrine protestante sur les suites du péché originel, gardait encore là-dessus des idées fort exagérées. De là le fidéisme qui apparaît çà et là dans Pascal : « Qui blâmera donc

les chrétiens de ne pou voir rendre raison de leur créai ic<. eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ? » etc. Pensées, édit. îles Grands écrivains, t. ii, p. 145. Voir Dieu. t. i col. 803-806. On trouve cependant chez Pascal des assertions apologétiques qui ne sont pas d’un fidéiste. Sous l’influence du jansénisme, certaines exagérations de la doctrine de la chute apparaissent souvent dans notre littérature religieuse du xvii c siècle et du xviiie siècle.

Elles ont passé de là dans l'école traditionaliste, qui ne voyait rien de mieux à opposer au rationalisme moderne. Elles y ont produit chez plusieurs le fidéisme. Lamennais, par exemple, conclut de ses recherches « que la raison individuelle, abandonnée à elle-même, va nécessairement s'éteindre dans le scepticisme absolu… D’où il suit que la voie de raisonnement ou de discussion… n’est pas le moyen général offert aux hommes pour discerner avec certitude la vraie religion. » Essai sur l’indifférence, t. il, c. xix, dans Œuvres, 1836, t. il, p. 183 sq. « Il faut, dit-il ailleurs, que la vérité se donne elle-même à l’homme… Quand elle se donne, il la reçoit, voilà tout ce qu’il peut : encore faut-il qu’il la reçoive de confiance, sans exiger qu’elle montre ses titres ; car il n’est pas même en état de les vérifier. » Pensées diverses, dans Œuvres, t. vi, p. 411. Il sera question de Bautain et de Bonnetty à propos des documents de l'Église.

Nous n’avons pas à répondre ici aux exagérations du dogme de la chute, ni aux objections qu’elles peuvent fournir aux fldéistes. Voir Péché originel ; Révélation. Est-elle nécessaire depuis la chute, pour connaître les vérités morales et religieuses accessibles à la raison, et dans quel sens ?

Notons enfin que cette grande cause de fidéisme, le mépris sceptique de la raison, peut aujourd’hui provenir, chez un protestant ou même chez un catholique, non pas d’une exagération sur le péché originel, mais d’une philosophie subjcclivisic malheureusement adoptée ou insuffisamment abandonnée, par exemple, du kantisme ou de l’agnosticisme. Voir J.-V. Bainvel, et l’exemple de Brunetière qu’il donne, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1911, art. Foi, fidéisme, t. ii, p. 61, 62.

2. On arrive au fidéisme par un autre chemin : par exagération du principe d’autorité. On craindra de ne pas assez soumettre l’individu à Dieu ou à l'Église, de donner à la raison individuelle trop de contrôle et d’autonomie, enfin de rabaisser la foi en la faisant dépendre d’une raison faillible. C’est par cette voie que Gerbet est arrivé au fidéisme. Dans l’opuscule où il le défend, il n’est pas question du péché originel. Voir Des doctrines philosophiques sur la certitude, dans leurs rapports avec les fondements de la théologie, Gand, 1830. Nous critiquerons ses principaux arguments, soit parce que cette classe d’objections fldéistes n’est pas assez connue, soit parce que les explications qu’elle provoque sont importantes non seulement pour la controverse fidéiste, mais encore pour la controverse protestante.

i re objection. — Si l’acte de foi dépend d’actes préalables de la raison individuelle, par lesquels les préambules de la foi sont vérifiés et constatés, nous retombons dans le système protestant du jugement privé, du libre examen. Gerbet, op. cit., c. viii, p. 119 sq. — Réponse. — Qu’est-ce que le libre examen des protestants ? Il consiste à rejeter le magistère infaillible de l'Église, destiné à nous garder et à nous expliquer le contenu de la révélation ; en le rejetant, la raison individuelle assume la tâche immense de contrôler par elle-même quels sont les livres inspirés, dans quelle mesure ils le sont, quel est le sens exact même des passages difficiles, quel catalogue d'énoncés doit en être tiré pour être cru comme parole de Dieu. Nous

avons réfuté ce système en montrant le rôle qu’a dans la foi l’Église comme infaillible. Voir col. 151 sq. Mais le « libre examen » ne consiste pas du tout à se prouver par sa raison individuelle les préambules de la foi ; cette preuve est nécessaire pour que la foi soit raisonnable, d’ailleurs elle peut se faire d’une manière proportionnée au degré de culture de chacun, et n’implique pas la tâche immense dont nous parlions tout à l’heure.

Mais, dira le fidéiste, si l’on doit recevoir du témoignage de l’Église infaillible le contenu des Livres saints et tous les dogmes, pourquoi ne doit-on pas de même en recevoir les préambules de la foi ? — Réponse. — Parmi ces préambules figure l’infaillibilité de l’Église elle-même ; quand je ne la connais pas encore, je ne puis pas la recevoir de l’affirmation de l’Église sans aucune preuve ; ce ne serait pas raisonnable. Voilà pourquoi je dois, dans les préambules où je ne le connais pas encore, faire abstraction du magistère infaillible, ce qui n’est pas la même chose que le rejeter. Voir col. 150. Les Juifs de Bérée, après avoir, dans leur synagogue, entendu saint Paul prouver par les prophètes que Jésus était le Messie promis, vérifiaient clans leur bible ses citations et les interprétations qu’il avait données ; et l’écrivain sacré, en rapportant cet examen, ne le blâme pas. Act., xvii, 11. C’est qu’il ne faut pas confondre deux phases très différentes, dans la genèse de la foi : l Te phase : on ne connaît encore l’infaillibilité ni de l’Église, ni même du Christ ; alors on ne peut raisonnablement s’y appuyer ; c’est le cas des Juifs de Bérée ; ils en sont aux « préambules » de la foi chrétienne. — 2e phase : on a reconnu un magistère infaillible ; alors saint Paul ne permettra plus d’examiner avec doute la prédication apostolique, de lui préférer de nouvelles recherches scripturaires et de nouveaux docteurs, mais il dira comme aux Galates inconstants : « Si quelqu’un, fût-ce un ange du ciel, vous prêche un Lvangile différent de celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème 1° Gal., i, 8, 9. De même, Jésus donnait aux non-croyants des prouves de sa mission, des miracles à examiner par leur raison individuelle : mais une fois qu’ils avaient, comme Nicodème, reconnu par là sa mission, il exigeait la soumission et la foi à son enseignement infaillible. Voir col. 63.

Mais, disent les protestants, l’examen que l’on a permis à l’incroyant en voie de se convertir à la foi, pourquoi l’interdire ensuite au croyant ? La soumission dont le premier a été dispensé, pourquoi l’imposer au second ? — Parce que le premier ne peut raisonnablement se passer d’examen, et que son ignorance (qui n’est pas coupable) l’excuse de la soumission à un enseignement infaillible : tandis que le second, renseigné déjà sur cette infaillibilité, n’est plus excusé par l’ignorance, et doit tenir ferme à cette vérité capitale, et employer cette ressource unique pour connaître vite et sûrement tous les dogmes à croire, qui resteront la lumière de sa vie. Voir Tertullien, De prœscripl., c. viii sq., /’. I.., t. ii, col. 21 sq. Cf. Freppcl, Tertullien, 1801, t. ii, xxvii » leçon, p. 194 sq.

2* objection. — Ainsi la raison individuelle, avant la foi, fera comparaître à son tribunal et l’Église infaillible, et la révélation infaillible de Dieu même, et les jugera ! « C’est la déclarer souveraine, puisqu’on matière do croyance la souveraineté consiste précisemont dans ce droit de juger. Gerbet, toc. cit., p. 150.

— Réponse. — N’équivoquons pas sur le mot « Juger » . lise, on vertu d’une institution divine qui lui délègue quelque chose de l’autorité et de l’infaillibilité de Dieu, a un tribunal doctrinal, où elle juge » à la façon d’une cour suprême, dont la sentence juridique oblige, et oblige sans appel, ce qui lui donne une Vraie « souveraineté. La raison individuelle, au contraire, « juge au sens psychologique du mot, et non

pas au sens juridique ; ce jugement n’est autre chose que ce qu’Aristote appelle « la seconde opération de l’esprit. » C’est d’ailleurs pour elle seule qu’elle juge ; c’est par une enquête de caractère privé, qu’elle vérifie le pouvoir infaillible de l’Église, la véracité même de Dieu et le fait de sa révélation ; non parce qu’elle domine en souveraine Dieu et l’Église, mais parce qu’une des lois de sa nature, que Dieu lui a donnée, lui demande absolument cette vérification avant qu’elle puisse croire.

3e objection. — A quoi servira une règle de foi infaillible comme l’Église, si c’est à la raison individuelle qu’il revient d’en examiner et d’en vérifier l’existence, si à l’origine tout dépend du jugement de cette raison ? « Comme ce jugement est essentiellement faillible, la foi elle-même devient incertaine. » Gerbet, toc. cit., p. 120. Le résultat final, dépendant solidairement de deux facteurs dont l’un peut-être se trompe, ne pourra jamais être que douteux. — Réponse. — La « faillibilité » de la raison humaine, mal comprise des fidéistes, est un défaut en dépit duquel notre raison conserve une rectitude foncière, une légitime assurance contre l’erreur dans un cas donné, et un critérium certain de la vérité : le nier, ce serait nier la valeur de la raison, ce serait le scepticisme. Notre raison individuelle produit donc des actes qu’on peut appeler « infaillibles » ; elle se rend compte alors que les motifs sur lesquels ces actes s’appuient ne laissent pas de place à l’erreur. Seulement, cette infaillibilité naturelle ne tire pas à conséquence pour d’autres actes de la même raison, où les motifs ne seront pas si bien contrôlés, et où la raison, par une précipitation dont elle ne se rend pas bien compte ou par quelque autre accident, pourra se tromper. Des philosophes catholiques ont résumé cette situation complexe en disant que la raison humaine est normalement infaillible, faillible par accident : infallibilis per se, fallibilis per accidens. L’infaillibilité surnaturelle va plus loin : l’Église, dans ses définitions, par exemple, est préservée même de ces accidents, en sorte que le seul fait de la définition nous rassure pleinement contre l’erreur. Quoique dénuée de ce charisme, quoique sujette à dos erreurs éventuelles, il n’en reste pas moins vrai que la raison, dans de nombreux cas particuliers, portera sur les préambules de la foi un Jugement qui, par la valeur bien constatée de ses motifs, aura une certaine infaillibilité de fait. C’est assez pour que cet acte préalable do la raison ne vienne pas alors vicier le résultat final, priver l’infaillibilité de l’Église de son utilité, et la foi de sa certitude. Le cardinal Newman, bien qu’il réserve le nom d’infaillibilité à celle-là seule qui provient d’une assistance surnaturelle (pure différence de mot), donne la même doctrine, qui répond non seulement à l’objection fidéiste contre notre raison, mais encore à des objections protestantes contre l’infaillibilité do l’Église : « Très souvent, rcniarquc-t-il, dans la controverse religieuse sut tout, on confond mal à propos l’infaillibilité (avec tonte l’ampleur qu’elle a dans le don surnaturel) ot la simple certitude… J’ai un souvenir certain do ce que j’ai fait hier, et pourtant ma mémoire n’est pas infaillible ; je suis très sûr que doux et deux font quatre, mais je me trompe souvent dans les longues additions… La certitude tombe sur telle ou telle proposition particulière ; ce n’est pas une Faculté ou un don, niais une disposition de l’esprit par rapport à un cas bien défini que j’ai devant moi.

L’infaillibilité, au Contraire, est une faculté on un don, et s’étend, non pas seulement à une véiil particulier, mais a toutes les propositions possibles dans une matière déterminée. » Grammar of assrnt, Londres, 180"), II’part., c. vii, | 2. p. 22t. Et plus loin : « .le puis être certain que l’Église est infaillible, tout en étant moi-même un faillible mortel : autre18 : j

FOI

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ment, je ne pourrais pas être certain que Dieu est infaillible, sans être infaillible moi-même. C’est donc une singulière objection qu’on fait parfois contre les catholiques, qu’ils ne peuvent prouver ni admettre l’infaillibilité de l’Église sans croire d’abord à la leur propre. La certitude, comme je l’ai dit, tombe sur telle proposition déterminée. Je suis certain des propositions 1, 2, 3, 4, 5, une par une, chacune pour soi. Il peut se faire que je sois certain de l’une d’entre elles, sans être certain du reste. Que je sois certain de la première ne fait pas que je sois certain de la seconde. Mais si j’étais infaillible, alors je serais certain, non pas d’une de celles-ci, mais de toutes, et de beaucoup d’autres qui ne se sont jamais encore présentées à moi. Nous pouvons être certains de l’infaillibilité de l’Église, tout en admettant qu’en bien des choses nous ne sommes pas et ne pouvons pas être certains. » Loc. cit., p. 225, 226.

Par ces principes, on réfutera cette objection d’un rationaliste : « L’infaillibilité est nécessaire partout, ou elle ne l’est nulle part… Vous n’avez rien gagné si l’évêque n’est pas infaillible en expliquant les conciles à mon curé, si mon curé ne l’est pas en me transmettant les explications de son évêque, si moi-même enfin je ne le suis pas pour comprendre les paroles de mon curé. » E. Scherer, Mélanges d’histoire religieuse, Paris, 1864, p. 115. Il y aura lieu toutefois d’ajouter plus loin d’autres explications, quand il s’agit de la certitude des préambules non pas chez un homme connaissant suffisamment l’apologétique, mais chez un enfant ou un ignorant.

4° L’Écriture est-elle favorable au fidéisme ? — Les fidéistes, faisant ordinairement peu de cas de la raison humaine, et grand cas de la révélation, sont moins touchés des considérations qui prouvent que leur position n’est pas raisonnable, que des arguments tirés des sources de la révélation. Voilà pourquoi nous devons en venir à ceux-ci.

1. En fait de préambules de la foi, les prophètes et le Christ lui-même, comme ils parlaient à un auditoire juif, déjà profondément imbu de monothéisme, n’avaient à prouver ni l’existence de Dieu, ni sa science, ni sa véracité. Mais il leur restait à prouver une autre classe de préambules, le fait de leur mission, de la révélation divine qu’ils apportaient, et à le prouver par la seule preuve proportionnée à un pareil fait, par le miracle. Voir col. 108. Or, nous voyons cette preuve soigneusement donnée par les envoyés divins. Pour les textes de l’Ancien Testament et des Évangiles, voir Crédibilité, t. iii, col. 2236-2238.

D’ailleurs, le Christ ne suppose pas que sa mission et ses miracles doivent être reçus les yeux fermés, ou comme un objet de pure foi et non d’examen. Il fait appel aux procédés ordinaires de la raison. Il renvoie ses auditeurs à l’étude approfondie qu’ils font des Écritures, auxquelles ils croient déjà, et où ils pourront trouver ce qui est prophétisé sur lui. Joa., v, 39, 46. Il discute avec eux l’origine divine de ses miracles. Quand les Pharisiens essaient de la nier, disant qu’il chasse les démons par la vertu du prince des démons, Jésus raisonne avec eux, et leur montre combien il est invraisemblable que Satan se chasse lui-même, et que son royaume soit ainsi divisé. Matth., xii, 24 sq. Quand ils objectent qu’une guérison faite le jour du sabbat, étant une violation de la loi et un acte mauvais, ne peut avoir une origine divine, il leur montre qu’ils supposent faussement dans un tel acte une violation de la loi. Marc, ni, 4 ; Luc, xiv, 5 ; cf. xiii, 15. Quand ils cherchent à déprécier ses miracles en le traitant de pécheur, Joa., viii, 48 ; ix, 16, 24, il les met au défi de prouver leurs calomnies, ix, 46, 49.

Cette constatation préalable de ses miracles, de ses vertus, des preuves de sa mission, le Christ la déclare

nécessaire pour qu’il y ait obligation de croire en lui. Il parle ainsi des Juifs incrédules : « Si je n’avais pas fait au milieu d’eux des œuvres que nul autre n’a faites, ils seraient sans péché, » Joa., xv, 24 sans péché dans leur incrédulité, donc sans obligation de croire : donc cette obligation n’a commencé qu’après avoir examine les œuvres extraordinaires, preuves de sa mission. « Maintenant ils ont vu. » Loc. cit. C’est pourquoi maintenant ils sont coupables de ne pas croire. « Ils ont vu » : il ne leur demande pas de croire en lui. sans avoir vu d’abord ; la foi présuppose d’autres actes intellectuels qui la préparent. « Ils ont vu » : évidemment par leurs facultés naturelles, c’est-à-dire les sens extérieurs, et la raison aui utilise les données des sens. « Ils ont vu » : donc nos facultés naturelles au moins avec une certaine aide de la grâce, ne sont pas incapables de vérifier le fait de la révélation et l’obligation de croire. Vous avez, leur dit-il ailleurs, la permission de ne pas nie croire si les preuves de nia mission ne vous sont pas fournies. Joa., x » 37. Mais si vous avez vu des miracles, avec lesquels des païens même auraient cru, alors malheur à vous ! Matth., xi, 21, 22.

Jésus ne contredit pas cette méthode quand, pour divers motifs, il ordonne temporairement de ne pas divulguer certains de ses miracles. Voir S. Thomas, Sum. theol. IIP, q. xlv, a. 3, ad 4um. S’il demande (parfois seulement) un acte de foi à sa puissance avant de faire le miracle Matth., ix, 28. c’est qu’il s’adresse à des gens qui, sur d’autres motifs de crédibilité, par exemple, sur le récit de ses miracles antérieurs, pouvaient déjà croire en lui : la foi chrétienne reste postérieure aux preuves de ses préambules. Sans doute la « foi des miracles » précède le miracle lui-même : mais cette espèce de foi n’est qu’un charisme donné à quelques-uns, et surajouté à la foi chrétienne, qu’ils avaient déjà conséqucmment à d’autres motifs de crédibilité. Voir col. 69. Cf. Le Bachelet, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de M. d’Alès, art. Apologétique, t. i, col. 191, 192.

2. Les apôtres ne font pas appel à la seule bonne volonté de croire, ils se préoccupent d’expliquer et de prouver les vérités qui sont les préambules de la foi.

Sur la première classe de préambules, qui contient certaines vérités de théodicée, les apôtres insistent quand ils parlent, non pas aux Juils, mais aux païens, dont le polythéisme effaçait la conception du vrai Dieu, créateur et législateur, présent à nos âmes et opérant en elles. D’ailleurs, l’épicurisme, alors très répandu, niait la providence, qui s’occupe de nous, tandis que le stoïcisme, l’autre philosophie à la mode, se noyait dans un vague panthéisme. De pareilles philosophies rendent impossible la foi au témoignage divin : il y faut un Dieu personnel, s’occupant de nous pour nous sauver, pouvant nous parler et nous donner des signes de sa révélation. Deux endroits seulement des Actes nous montrent un auditoire païen : dans les deux occasions, les apôtres ne manquent pas de présenter tout d’abord une doctrine rationnelle sur Dieu. Act., xiv, 14-16 ; xvii, 24-29. Dans les deux passages, ils mènent au vrai Dieu créateur, et à sa providence, par le spectacle de l’univers bien ordonné ; dans le second, Paul insiste sur la réfutation du polythéisme et sur la présence et l’action bienfaisante de Dieu, citant même un de leurs poètes. Ce n’est qu’après ce long prélude, qu’il en vient au fait de la révélation, à la mission du Christ et au signe qu’en donne sa résurrection, xvii, 30, 31. Sa méthode ne sent en rien le fidéisme.

Sur la seconde classe de préambules, le fait de la révélation et ses signes, la méthode des apôtres nous apparaît en de nombreux passages des Actes et des Épîtres. On trouvera les principaux à l’art. Crédibi

lité, t. iii, col. 2238, 2239. Cf. Le Bachelct, loc. cil., col. 192. Observons comment au besoin les apôtres raisonnent avec les Juifs, pour maintenir aux yeux de la raison le caractère miraculeux des signes, et les défendre d’une fausse interprétation. Le jour de la Pentecôte, quand une partie des assistants attribue à une grossière ivresse l’enthousiasmeetles charismes des apôtres, Pierre rappelle que l’ivresse n’est pas vraisemblable à cette heure du jour, et les renvoie à leurs prophètes. Act., ii, 13, 15. Après un autre miracle, Pierre en explique au peuple la véritable portée : ce n’est pas par leur propre puissance, c’est par celle de Jésus, par la foi en son nom, que le miracle a été fait : c’est donc la foi en Jésus que ce miracle confirme. Act., m, 12, 16. Dans la synagogue de Thessalonique, Paul, la Bible en main, établit la messianité de Jésus, xvii, 2, 3. Il s’attache à l’argument des prophéties, spécialement adapté aux Juifs, puisqu’ils admettaient déjà la divine inspiration des prophètes. Nous avons déjà vu à quel examen critique des Écritures il provoque les Juifs de Bérée, xvii, 11, 12. Aux fidèles, il donne ses miracles comme signes de sa mission apostolique, que l’on avait contestée. II Cor., xii, 12.

5° Les Pères sont-ils favorables au fidéisme ? — Nous avons vu qu’en expliquant la nature de la foi, ils opposent la foi à la « démonstration » , à la « raison » , entendant par ces mots la preuve intrinsèque et philosophique, qui est la démonstration par excellence. Voir col. 114. Si c'était là être fîdéiste, nous le serions avec eux. Mais de ce que la foi n’est pas une connaissance intrinsèque, il ne s’ensuit pas que les préambules de la foi, eux, ne puissent être atteints par une connaissance intrinsèque ; et certes les Pères ont donné des preuves philosophiques de Yexislence et de la nature de Dieu. Voir Dieu (.S’a nature d’après les Pères), t. iv, col. 1029 (Aristide), 1032 (Athénagore), 1034 (S. Théophile d’Antioche), 1036 (S. Irénée), 1040 (Clément d’Alexandrie), 1046 (Origène), 1055 (Minucius Félix), 1056 (Tertullien), 1063 (Arnobe et Lactance), etc.

Quant au fait de la révélation, ils l’ont prouvé par l’argument qui lui est proportionné, les miracles et les prophéties, transmis jusqu'à nous par le témoignage historique. Ils ont même parfois étendu à cette preuve nistorique le nom de « démonstration » , comme nous le faisons souvent. Et ils regardent cette preuve préalable comme nécessaire à la foi. Sur toute cette question, voir Le Bachelet, loc. cit., col. 192-197, et sa bibliographie des ouvrages sur l’apologétique des Pères, col. 198, 199. Nous nous contenterons d’insister sur quelques textes, à notre point de vue de la controverse fidéiste.

1. Pères grecs.

Saint Justin, après avoir donné l’argument des prophéties messianiques : « En voilà assez, conclut-il, pour persuader ceux qui peuvent écouter et comprendre, et pour leur montrer que nous n’apportons pas des affirmations indémontrables, comme ces fables fabriquées sur les prétendus fils de Jupiter. Comment croirions-nous à un crucifié qui se déclare le Fils premier-né d’un Dieu non engendré et nous dit qu’il jugera le genre humain, si nous ne trouvions pas des prophéties faites sur lui bien avant sa venue, et si nous ne les voyions pus réalisées par I nement ? si nous ne voyions pas nous-mêmes la Judée devenue déserte, des hommes de toute nation conertis par les apôtres renonçant a leurs vieilles erreurs i-i transformanl leurs mœurs ' Apol., i, a. /'. '/.. f. vi. col. 105. Comment croire au Christ, si l’un ne Mut d’abord quelque preuve de sa mission.' le mol <le samt Thomas : Non enim crederet, nisi videret ea esse credenda vel propler evldentiam itgnorum, vel pr<>i>t<r aliquid hufusmodi. Sum. theol., Il 1 1'. q. i. a. I, ad 2'"". Saint Justin ajoute qu< dl telli - preuves sont de force à produire une fui raison nable, « la foi avec la raison, » jrcariv… u.îTa)ô- ; oj, col. 408. Au contraire, « ceux qui enseignent la mythologie imaginée par les poètes n’ont absolument aucune démonstration à donner aux jeunes gens qu’ils instruisent, » ce qu’ils racontent n’ayant aucune valeur historique. Loc. cit., n. 54. Aussi les chrétiens, en face du paganisme, ont seuls le privilège de la « démonstration » , [iôvoi U.ETJ i-0Σ ::; <.> :. Loc. cit., n. 20, col. 357. Voir d’autres textes de Justin dans Crédibilité, t. iii, col. 2240, 2241. Pour saint Théophile d’Antioche, saint Irénée, les Récognitions clémentines, Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe, saint J. Chrysostome, voir Crédibilité, col. 2241-2247.

On a produit contre quelques-uns de ces Pères, surtout Clément d’Alexandrie, les accusations les plus contradictoires. Tantôt on leur a reproché de donner trop à la raison et même à la philosophie païenne comme préparation à la foi, voir Clément d’Alexandrie, t. iii, col. 169-170, tantôt, ce qui vient à notre sujet, on a voulu en faire des lidéistes, parce qu’ils disent que la foi, -tu :  ;  ;, précède la connaissance, yvûffiç. Or, par là, ils ne veulent pas mettre la foi divine au début ni à la base de toute connaissance religieuse, comme les fidéistes, mais seulement à la base d’une certaine connaissance religieuse, d’une connaissance de luxe qui n’est pas à la portée de tout le monde, et que l’on acquerra ensuite si l’on en a le loisir, après avoir commencé par le plus pressé, par le plus nécessaire au salut, par la foi. On sait que chez Clément le mot « gnose » est souvent réservé à une connaissance spéciale aux plus avancés, de même que le corrélatif « gnostique » , pris en bonne part, est réservé au chrétien parfait qui est en même temps un savant. Il est donc tout simple, qu’il fasse passer la foi avanl la « gnose » et qu’il en fasse le fondement de la « gnose. Slrom., VII, c. x, P. G., t. ix, col. 481. Cf. Freppel. Clément d’Alexandrie, p. 333 sq. Voir surtout Clément d’Alexandrie, t. iii, col. 188-191. Origène a le même fonds d’idées. Il montre qu’il est impossible à la grande majorité de laisser les affaires de la vie pour s’adonner aux loisirs de la philosophie, aussi h' Christ leur a-t-il donné par la révélation et la foi une voie plus courte pour arriver aux grandes vérités dont ils ont besoin ; voie qui suppose d’ailleurs des motifs de crédibilité, comme les miracles du Christ, la transformation admirable des mœurs. Voir l’endroit cité, col. 110. D’autre paît. Origène loue le chrétien qui peut à cette foi première ajouter la science. Voir COl. M. Sur les objections que les lidéistes ont tirées des Pères grecs, surtout de Clément d’Alexandrie cl d’Origène, voir aussi d’Alés, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. ii, col. 58-60. Nous retrouvons plus tard cette même formule, dont abusent les lidéistes. dans d’autres Pères, comme saint Cyrille d’Alexandrie, et avec plus d’explications encore : i La science vient après la foi. Sur le fondement de la foi simple on bâtit ensuite la yvûciCi qui peu à peu nous élève a la mesure de la stature parfaite du Christ (Eph., iv, l.'i), et fait de nous des hommes parfaits et

spirituels. » In Joa., l. l, c. iv, /'. ( ;., t. lxxiii, col. 629. Par cette foi simple » , mise a la base. Cyrille n’entend pas (tailleurs une foi sans aucun exercice préalable de la raison : il vient de dire îles apôtres, modèles de nuire foi : Us n’ont pas été entraînés dans

la foi par légèreté ni trop facilement : mais ils s'étaient

convaincus loui d’abord que leur maître et initiateur était… l’introducteur de célestes doctrines, Loc, cit.,

col. 628. Quant a la gnose qui suit la foi, il la veut Lot. < il. i elle double assertion.

que la foi doit précéder, et que la gnose (pu la suit doit (ire modérée. Cyrille l’oppose aux hérétiques, gnostiques et manichéens, qui voulaient supprimer la foi, et promettaient une science religieuse sans Umlti s 187

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et sans mystères. Le concile du Vatican a très bien exprimé la même pensée : » La raison, déjà éclairée par la foi, si elle cherche avec confiance, piété et sobriété, obtient, avec le secours de Dieu, une certaine intelligence très fructueuse des mystères, » etc. Sess. III> c. iv, Denzinger, n. 1796. En somme, la yv&an des Pères répond assez bien à notre théologie dogmatique, qui suppose la foi, et cherche soit une analyse plus exacte et une synthèse plus harmonieuse du donné révélé, soit les conclusions que l’on peut en tirer : fides quærens intclleclum, comme disaient les scolastiques.

2. Pères latins.

Sur Tertullien, "saint Cyprien, Lætance, Arnobc, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Jérôme, prouvant le fait de la révélation par divers motifs de crédibilité, voir Crédibitité, t. iii, col. 2249-2257. Nous ajouterons quelques textes qui montrent bien comment ils se séparent du fidéisme, comment ils exigent l’exercice de la raison individuelle avant la foi.

Tertullien, après avoir blâmé les procédés arbitraires de Marcion, qui rejetait certains livres du Nouveau Testament et en conservait d’autres, remarque que cet hérétique n’a d’autre critère que sa fantaisie, qui n’est pas une preuve d’origine divine pour ceux qu’il conserve, et qu’il les croit ainsi sans raison ; et il pose ce principe : « Il ne faut rien croire témérairement ; or on croit témérairement tout ce que l’on croit, sans en avoir reconnu l’origine. » Adversus Marcionem, 1. V, c. i, P. L., t. ii, col. 468. Voir ce que nous avons cité de lui sur le sens de « foi » , col. 80 ; sur le rôle de l’Église, col. 151.

Lætance pose un principe semblable : Nequc rcligio ulla sine sapienlia suscipienda est. Institut., 1. I, c. i, P. L., t. vi, col. 119. Par sapientia, il entend l’exercice individuel de la raison naturelle ; car attaquant les païens qui s’attachaient à leur religion uniquement parce qu’elle venait de leurs ancêtres : « Il faut, dit-il, dans une affaire qui intéresse toute la vie, se fier chacun à soi-même, et se servir de son jugement propre pour examiner et peser la vérité, et non pas croire aveuglément aux erreurs des autres, comme si l’on n’avait pas soi-même la raison. Dieu a donné à tous dans une certaine mesure la sagesse, pour chercher la vérité quand ils ne l’ont pas entendue, et l’examiner quand ils l’entendent… Puisque la sagesse, c’est-à-dire la recherche de la vérité, est innée dans tous, ceux-là se l’enlèvent à eux-mêmes qui, sans aucun jugement préalable, approuvent les inventions de leurs ancêtres, et se laissent mener par d’autres à la façon des animaux. » Op. cit., 1. II, c. viii, col. 287.

Saint Augustin proclame la nécessité d’un jugement de crédibilité ou de crédendité avant la foi : Nullus crédit aliquid, nisi prius cogilaverit esse credendum. De prwdestinalione sanctorum, c. il, n. 5, P.L., t. xliv, col. 962. Ce jugement suppose que Dieu nous a donné des preuves de son existence, et du fait de sa révélation, en un mot des préambules de la foi : « Dieu t’a ordonné de croire ce que tu ne peux pas voir : mais il n’a pas laissé de te faire voir quelque chose par où tu puisses croire ce que tu ne vois pas. Les créatures elles-mêmes, n’est-ce rien comme signe, comme indice du créateur ? De plus, il est venu sur la terre, il a fait des miracles. » Scrm., cxxvi, n. 5, P. L., t. xxxviii, col. 700. Ces constatations préalables se font à la lumière naturelle de la raison individuelle, se servant des sens extérieurs : « Dieu a donné des yeux à votre corps et la raison à votre âme : éveillez cette raison, … servezvous de vos yeux comme un homme doit s’en servir, considérez le ciel et la terre, … la force vitale des semences, la succession des saisons ; considérez ces œuvres, et cherchez-en l’auteur. » Loc. cit., n. 3, col. 699. « Tout homme a des

veux au moyen desquels il peut voir les morts ressusciter. » Serm., xcviii, n. 1, ibid., col. 591. « C’est à nous de considérer à quels hommes ou à quels livres (qui se disent inspirés)il faut croire, pour avoir le vrai culte de Dieu, qui conduit au salut. De vera religione, c. xxv, n. 46, P. L., t. xxxiv, col. 142. L’Église, prise comme société humaine, nous atteste l’authenticité de ses livres, procédé ordinaire de critique. Voir col. 151. Pour arriver à la foi, nous partons toujours de quelque chose de visible et de. perçu, témoins, documents : Teslibus movemur ad /idem… Dantw signa vel in vocibus, vel in liilcris, vel in quibuscumque documentis, quibus visis non visa credantur. Epist., cxlvii, n. 8, P. L., t. xxxiii, col. 600.

Quand Augustin dit que « la foi précède la raison » ou l’intelligence, il suit les Pères grecs que nous venons d’expliquer. Il donne deux raisons de cette méthode : a) La brièveté de la vie ne permet pas de retarder la foi salutaire jusqu’à ce qu’on ait épuisé toutes les questions de théologie ou d’exégèse : Sunt enim innumerabiles : quæ non sunt finiendæ aide fidem, ne finiatur vita sine fide. Epist., en, n. 38, P. L., t. xxxiii, col. 386. — b)Lc mérite de la foi simple, et son influence pour exciter les autres vertus, purifie le cœur et ainsi nous prépare aux sentiers ardus de l’exégèse, de la théologie, ou même de la contemplation mystique qui essaie à sa manière aussi de pénétrer les mystères. Credendo subjugentur Deo, subjugati reete vivant, reete vivendo cor mundent, corde mundato quod credunl intelliganl. De fide et symbolo, n. 25, P. L., t. XL, col. 196. Parlant à Consentius de l’étude de la Trinité, il dit : « Ce que tu tiens déjà par la fermeté de la foi, regarde-le aussi à la lumière de la raison. Non, Dieu ne hait pas en nous cette faculté par laquelle il nous a mis au-dessus des animaux… Sur certains points de la doctrine du salut, que nous pourrons un jour pénétrer (au ciel), mais pas encore avec notre raison, il est juste que la foi précède la raison pour purifier le cœur afin qu’on puisse obtenir et soutenir la lumière d’un plus grand développement de la raison, » magnée redionis. Epist. ad Cons., n. 23, P. L., t. xxxiii, col. 453. Ainsi Augustin prend la foi pour base non pas de tout usage de la raison, mais d’un usage très relevé de la raison, dans le chrétien qui en est capable. Et il a soin de distinguer ce très haut degré d’un degré bien inférieur qui doit précéder et accompagner la foi (ce qui est l’opposé du fidéisme) : « Sans comprendre quelque chose, personne ne peut croire en Dieu ; mais cette foi même, quand il l’a, le guérit, lui donne de comprendre des choses plus grandes (ut intelligal ampliora). Il y a des objets que nous devons comprendre pour arriver à la foi : il y en a d’autres que sans la foi nous ne comprendrons pas. » Enarr. in ps. cxviii, serm. xviii, n. 3, P. L., t. xxxvii, col. 1552. L’exercice de la raison avant et après la foi porte donc sur des objets différents ; ce qui concilie l’antinomie apparente : la raison avant la foi et la foi avant la raison : Inlellige ut credas, crede ut intelligas. Serm., xliii, n. 9, P. L., t. xxxviii, col. 258. Sur sa critique de la méthode des manichéens, voir col. 111. Cf. d’Alès, loc. cit., col. 60. Voir aussi, pour plus de détails sur cette pensée de saint Augustin et son influence après lui, Krebs, Théologie und Wissenschafl, etc., dans Bâumker, Bcitrdgc, Munster, 1912, t. xi, p. 15 sq.

A la suite des Pères, saint Thomas exige avant la foi les actes intellectuels qui la conditionnent, et entend bien qu’on les fasse à la lumière de la raison naturelle. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2271-2276.

Documents ecclésiastiques sur le fidéisme.


1. Propositions que l’on fil souscrire à des fidéistes. — a) Propositions de Baulain. — Qu’il suffise de citer la 5e, qui s’oppose au fidéisme d’une manière générale et )0

précise. Nous la prenons sous la forme où elle fut présentée la seconde fois à sa signature, en 1840, souscription qui termina la question de son livre déféré à Rome. Les quatre propositions précédentes traitent de la possibilité pour la raison de constater les préambules de la foi, existence de Dieu, ses perfections, fait <le la révélation, preuve de ce fait par les miracles. Puis vient la 5e :

Qu >ad lias quicstiones varias, ralio (idem priecedit debetque ad eam nos conducere.Denzinger-ljar.nwart, n. 1626.

Sur ces questions diverses (des préambules) la raison précède la foi et doit nous y conduire (texte oiiginall. Denzinger, loc. cit., en note.

b) Propositions présentées à Bonnelty par la S. C. de l’Index, en 1855. Qu’il suffise de citer la 3 e. C’est la 5e proposition de Bautain sous sa première forme, signée en 1835 :

Rationis usas lidem præcedit et ad cam hominem ope revelationis et gratiaconducit.

L’usage de la raison précède la foi, et y conduit l’homme par la révélation et la grâce.

Voir Bautain, t. ii, col. 182 ; Bonnetty, col. 1021.

2. Pie IX, encyclique Qui pluribus, en 1846. — Ce document dirigé principalement contre le rationalisme, mais atteignant par endroits le fidéisme, affirme aussi que la raison individuelle peut et doit constater les vérités qui servent de préambules à la foi.

a) Sur la première classe de préambules, science et véracité de Dieu :

Quis enim ignorât vel ignorare potest, onineni Deo loquenti fldem esse habendam, niliilque rationi ipsi inagis conseil tancum esse, quatn iis acquiescerc Rrmiterque adhærere, quse a Deo, qui nec falli nec faillir potest, revelata esse constiteiil ? DenzingerBannwart, n. 1637 (1498).

6) Sur la deuxième classe révélation et ses preuves :

Humana quidem ratio, min tant ! moment ! negotio decipiatur ci enet, divinae itionis factum diligenter Inquirat opoi tet, ut cei lo sibl constet i >eum esse locutum… Sed quam multa, quam mira, quam splendida presto siini argumenta,

quiluis huniana ralio lucu lentissime evinci omnino débet. <iî Inam i sse < Ihristi lem ! etc. Denzinn. 1637, 1638.

Quel homme ignore ou peut ignorer que la parole de Dieu est digne de toute notre foi, et que rien n’est plus conforme à la raison elle-même que d’acquiescer et d’adhérer fermement à ce qui est reconnu comme révélé de Dieu, lequel ne peut ni se tromper ni nous tromper ?

de préambules, fait de la

La raison humaine, pour ne pas se tromper dans uniaffaire si importante, doil s’enquérir soigneusement du fail de la révélation divine, afin de reconnaître avec certitude que Dieu a parle… Mais combien de preuves,

et combien splendides, s’offrent à nous, capables de convaincre pleinement la i humaine que la religion du < ; in ist est divine ! etc.

iur la troisième classe de préambules (conclusion pratique des précédents), l’obligation de croire :

Itaque humana ratio ex iplendiditsimis h sce seque ac iirmissimjs argumentis clanaperteque cognoscena Diiiin ejusdem fldci auctoinn exlstete, ulterius progredl neqult, sed quavia difflcultate ac dubitatione penltus abjecta atque r< mota, omne i idem ndei ob sei| m pracbcal oportet.

Denzinger, ii, 1639.

a) Sur la première classe de les connaître par la raiso

Si quis dixerit Deum ununi et verum, creatorem et dominum nostrum, per ca, quse facta simt, naturali rationis humanae lumine certo cognosci non posse, anathema sit. Can. 1, De revelatione, Denzinger, n. 1806.

Ainsi l ; i raison humaine.

parvenue par ces arguments aussi lumineux que

solides à constater clairement que Dieu est l’auleili

dC II fol ' fin I leline. lie

peut aller plus loin :

laid alis.1 1 mien I toute dilli euiie, i |. nie hésitation,

il faut qu’elle rende pleinement ; i Dieu l’hoir de la foi.

/ i COncill du Y ni min, sess. 1 1 1. c. i iliv. et canons

pondants.

de préambules : possibilité n naturelle :

Si quelqu’un dit que le

Dieu unique et véritable, notre créateur et seigneur, ne peut pas être connu avec certitude par le moyen des choses créées, à la lumière naturelle de la raison humaine, qu’il soit anathème.

Voir aussi le c. il, qui correspond à ce canon, n. 1785. Pour l’interprétation complète de ces textes, voir Dieu, t. iv, col. 825 sq.

b) Sur la deuxième classe de préambules : possibilité de les connaître par la raison naturelle, et nécessité de le faire pour que la foi soit d’accord avecla raison, comme Dieu le veut :

Pour que l’hommage de notre foi fût d’accord avec la raison, Dieu a voulu ajouter aux secours intérieurs de l’Espril-Saint des arguments extérieurs de sa révélation*.., qui en son ! des signes 1res certains, el appropriés à l’intelligen v de tous.

Ut…fidei nostraobsequiuni rationi consentaneiim esset, voluit Deus cum intemis Spiritus Sancti auxiliis externa jungi revelationis sine argumenta… quoe… divinae revelationis signa sunt certissima et omnium intelligentiæ accommodata, c. m. Denzinger, n. 1790.

Fides et ratio… opem quoque sibi mutuam ferunt, eutn recta ralio fidei fundamenla demonstret…, c. IV. Denzinger, n. 1799.

La foi et la raison se prêt fil I un mutuel sec-nus. puisque la droite raison démontre les fondements de la foi, elc.

Sur la possibilité de connaître certains miracles avec certitude et de prouver par eux l’origine divine de la religion chrétienne, voir les canons 3 et 4, De fide. Denzinger, n. 1812, 1813. Sur la possibilité de reconnaître la véritable Église par des i signes manifestes de son institution. > voir c. m. Denzinger, n. 1793.

c) Sur la troisième classe de préambules : on peut conclure que l’obligation de croire est reconnaissante à la lumière de la raison naturelle, puisque le concile la prouve par un argument purement philosophique, ainsi brièvement donné :

Cum homo a De" tan quain creatore et domino suo lotus dependeal, el lalio cieala increatie veri tati pendus gubjecta sit, plénum revêtant ! Deo intellectus ci voluntatls obse quium fide pneslare trne niiu. c. m. Denzinger, n.

ITX'.I.

L’homme dépend tout entier de Dieu comme de

son créateur et seigneur, el la raison créée esi absolument subordonnée à la vérité Incréée ; nous somm< s donc obligés, si l Heu ré êle, à lui rendre pur la fol l’hommage total de noire inlrl ligence et de notre volonté.

Sur Us passages du concile opposés au fidéisme, vonCrédibii m. i. iii, col. 2334-2336.

I. Léon XIII, encyclique JEterni Palris, en 1879, met en relief le rôle de la raison dans I ; connaissance

de Ions 1rs préambules de la foi :

En premier lieu, un excellent fruil de la raison humaine, c’esl qu’elle >umonl re l’existence de i Heu.

Igilui primo loco magnus hic et prieclaruse humana

ratione tructus capltur.quod

illa Deum esse deinonsl rel..

Delnde l leum ostendil omnium perfectionum cumulo ilngularlter excellere Infinité m |n nuis saplentla quam

nulle iisquam res lalere el

lummi Justifia, quam pra us nunquam Inceie possii effectua, Ideoque Deum

non solum erucem esse

sed ipsam etlam veiitatem

falli et fallere nesclai

quo consequl peraplcuum

Ensuite, elle luit voir que I lieu surpasse tous l<

par une réunion de toutes

les perfections, particullèrcment d’une science infinie a laquelle rien ne peut

cehapper, el d’une SOUVC ralni sainteté dont nulle

affection désordonnée ne

peut triompher ; que par conséquent Dieu n’est pu sculemi ni éridlque, m. us l'.ll

KOI

192

est, ut huinana ratio plenissimam verbo Dei fldem al quc auctoritatem concilicl. Simili modo ralio déclarât evangelicam doctrinam mirabilibus quibusdam signis, tanquam certis certae verilalis argumentis, vel ab ipsa origine emicuisse : atque ideo omnes, qui Evangelio fidem adjungunt… rationabili prnrsus obsequio intelligentiam et judicium suum divinse subjicere auctoritati. IUud autem non minoris pretii esse intelligitur, quod ratio in pcrspicuo ponat, Ecclesiam aCliristoinstitulam(ut statuit Vaticana synodus) « ob suam admirabilempropagationem, eximiam sanctitatem et inexhaustam in omnibus locis fœcundilatem, ob catholicam unitatem invictamque siabilitatem, magnum quoddam et pcrpetuum esse motivum credibilitatis et divinæ suce legationis testimonium irrefragabile. » Acta Leonis XIII, Rome, 1881, t. i. p. 268 ; cf. t. xix, p. 168.

la vérité même, qui ne saurait s'égarer ni tromper. D’où il résulte clairement que la raison humaine concilie à la parole de Dieu la plus grande autorité et le plus grand crédit. De même, la raison fait voir que la doctrine évangélique, dés son origine, a brillé par des signes merveilleux, comme par des arguments certains d’une vérité certaine ; que par suite tous ceux qui ajoutent foi a l'Évangile sont tout à fait raisonnables de soumettre à l’autorité divine leur jugement et leur intelligence. Enfin, ce qui n’est pas moins précieux, la raison met en pleine lumière ce fait constaté par le concile du Vatican, que l’Eglise du Christ, « par son admirable propagation, son éminente sainteté et la fécondité inépuisable qu’elle montre en tout lieu, par son unité catholique et sa stabilité invincible, est ellemême un grand et perpétuel motif de crédibilité, et un témoignage irréfragable de la divinité de sa mission. »

7° Ces actes qui préparent rationnellement la foi doivent-ils avoir la fermeté de la certitude ? Le semi-fidéisme. — Nous avons vii, parmi les catholiques ou les hérétiques, des écrivains qui ont refusé à la raison humaine et individuelle toute intervention antérieure à la foi, toute preuve des fondements de la foi divine. Est-il juste de confondre avec eux, quand même ils s’en approchent, d’autres auteurs qui, pourtant, reconnaissent à la raison le droit et le devoir d’intervenir et de prouver les préambules ou fondements de la foi ? Si les premiers ont reçu le nom de fidéistes, aux seconds, pour mettre une différence et une atténuation, on pourrait donner le nom de « semi-fidéisïes » .

Par « semi-fidéisme » , nous entendons le système qui refuse à la raison, dans la preuve des préambules de la foi, la possibilité d’arriver à un jugement ferme ou, du moins, qui n’exige pas ce jugement ferme comme une condition de l’acte de foi. Peur bien délimiter la question présente, bien plus délicate que la précédente, nous ne considérons encore dans la certitude qu’un seul élément, la fermeté de l’assentiment ; nous ne nous occupons que de ceux qui peuvent étudier sérieusement et pénétrer suffisamment les preuves des préambules, réservant à plus tard la question de la « foi des simples » ; nous ne nions pas que les motifs de crédibilité étudiés par la raison ne puissent laisser des doutes imprudents, et que la volonté n’ait de ce chef une part légitime dans la production du jugement ferme sur les préambules. Voir Croyance, t. iii, col. 23842387. Dans ces limites, les théologiens scolastiques s’accordent tous à exiger un jugement certain sur les préambules, comme condition de l’acte de foi. Voici les principales raisons que l’on peut donner pour leur thèse, et contre le semi-fidéisme :

1. Un premier argument peut se tirer de quelquesuns des documents ecclésiastiques que nous venons de citer contre le fldéisme, quand ils disent que la raison peut, et même doit, constater avec certitude, avant la foi, les divers préambules, a) Ils ont parfois le mol même de certitude, de connaissance certaine : Deum… ccrlo cognosci possc (Vatican) ; ccrlo sibi conslel, Deum esse loculum (encyclique Qui pluribus). Cf. Cekti tude, t. ii, col. 2165. — 6) Ils le disent ailleurs équivalemment'. soit en attribuant à la raison de « démontrer les fondements de la foi » (Vatican), or une démonstration est une preuve certaine, qui produit un jugement ferme chez ceux qui peuvent la saisir, les seuls dont nous nous occupons en ce moment ; soit en disant à peu près de même que « la raison montre > (oslendit)hs perfections de Dieu, et surtout sa science et sa véracité ; que « la raison met en pleine lumière » (in pcrspicuo ponit) la divine mission de l'Église (encyclique JEterni Palris), soit enfin en présentant les preuves de la révélation divine ou de la mission de l'Église comme des signes très certains, des notes manifestes, un témoignage irréfragable (Vatican), des « arguments admirables, splendides, qui doivent porter dans la raison humaine une conviction entière et lumineuse r> (encyclique Qui pluribus). Tout cela doit se vérifier au moins dans ceux qui peuvent pénétrer ces arguments, ces notes, ces signes ; or ceux-là nous suffisent, car ce sont les seuls que nous considérions en ce moment.

2. Un second argument peut se tirer d’autres documents ecclésiastiques que nous n’avons pas encore cités :

a) Innocent XI a condamné en 1679 cette proposition 21e :

L’assentiment de foi surnaturelle et utile au salut est conciliable avec une connaissance seulement prébable de la révélation, et même avec la crainte que Dieu n’ait pas parlé.

Assensus fidei supernaturalis et utilis ad salutem stat cum notitia solum probabili revelationis, imo cum formidine, qua quis formidet ne non sit locutus Deus. Denzinger, n. 1171 (1038).

a. Occasion de la condamnation. — Un contemporain, le carme Raymond Lumbier († 1684), atteste que cette proposition a été condamnée à cause de certains théologiens du temps qu’il ne nomme pas, d’après lesquels, pour faire un acte de foi sur un objet particulier, il suffisait que cet objet fût probablement contenu dans un objet général ou vague, certainement révélé, de sorte que le fait de la révélation de l’objet particulier ne serait que probable. Summa, t. iii, n. 1773. Exemple : proposition générale certainement révélée : « La grâce est nécessaire au salut. » Or, je conçois la grâce de telle façon systématique et seulement probable, mettons, comme une prédétermination physique ; cette prédétermination probablement s’identifie avec la grâce, et par suite est probablement révélée comme nécessaire au salut : cela suffirait pour que je puisse croire de foi divine l’existence et la nécessité de cette prédétermination. Autre exemple : voici un texte de l'Écriture susceptible de plusieurs sens. J’ai des raisons probables, plus probables, de préférer tel sens : c’en serait assez, d’après cette opinion, pour que je puisse identifier ce sens avec l'Écriture inspirée dont Dieu est l’auteur, et faire un acte de foi divine sur la doctrine qui résulte de cette interprétation seulement probable.

b. Sens de la condamnation. — Il est bien suffisamment déterminé soit par cette origine de la condamnation au rapport de Lumbier, soit par le sentiment commun des auteurs de l'époque qui ont fait des ouvrages spéciaux sur les propositions censurées par Innocent XI, soit surtout par l’examen direct du texte lui-même. La « probabilité » pas plus que la certitude, ne pouvant se trouver dans cet acte incomplet de l’esprit, que les scolastiques nomment « simple appréhension » , mais seulement dans l’acte complet qui est le « jugement » , il s’ensuit que les mots notitia revelationis, avec l'épithète probabilis, signifient un jugement sur le fait de la révélation, et un jugement distinct de l’acte de foi, puisqu’on énumère ici deux actes, dont l’un est appelé assensus fidei, l’autre

nolilia revelationis, et que l’on cherche dans quelles conditions le premier tient debout (stal), est compatible avec le second. Et comme nous savons par ailleurs qu’un jugement sur le fait de la révélation doit nécessairement précéder l’acte de foi, nous voyons que le point dont il s’agit ici, c’est de savoir si ce jugement, pour donner lieu à la foi, peut être seulement probable, peut être mêlé de doute, de crainte (formido). Le pontife, par sa condamnation, prononce que ce jugement préalable doit être plus que probable, donc doit être certain. Cf. Laurent Pisani, O. P., Gedeonis gladius propositioncs a SS. D. N. Innoccnlio XI damnalas angelici doctoris ope penilus profligans, Palcrme, 1683, p. 117, 118 ; Jean de Cardenas, S. J., Crisis théologien… ex régula morum posila a SS. D. N. Innocenlio XI, etc., 5e édit., Venise, 1700, p. 258 sq. ; Viva, S. J., Damnalse thèses ab Alexandro VII, Innocenlio XI, etc., 10<= édit., Padoue, 1723, p. 230 sq. Mais, demandera-t-on, qu’ajoute dans la proposition le second membre de phrase, imo cum formidine, etc.? — Réponse. — Il précise les mots notifia probabilis. Les théologiens ont parfois rangé, dans la « connaissance probable » , un jugement dont les motifs estimés selon leur valeur probante par un connaisseur, ne dépassent pas la probabilité, lors même que nul doute ne se produit actuellement dans l’esprit de celui qui juge sous l’influence de ces motifs, comme il arrive aux esprits peu exigeants en fait de preuves. Il y a alors du doute en puissance, à l'état potentiel, mais non pas en acte. Par ces mots imo cum formidine, l’auteur de la proposition a voulu affirmer que non seulement alors, mais même s’il y a doute actuel dans ce jugement sur le fait de la révélation, on peut encore faire l’acte de foi sur cet objet douteusement révélé. C’est là qu’est le point nettement condamnable : aussi nous souscrivons volontiers à cette interprétation modérée de la condamnation, que pour la mériter il faut affirmer à la fois les deux membres de la proposition, parce qu’elle est complexe et copulative ; les deux membres, ne tendant qu'à une seule allirmation précise, sont inséparables, et le second fait corps avec le premier dans la condamnation. Ce serait donc exagérer la sévérité de la condamnation que de la faire tomber aussi sur ces très nombreux théologiens qui, traitant du jugement préalable sur la révélation tel qu’il se passe chez les enfants et les ignorants, ont admis (nous le verrons) qu’il peut reposer sur des preuves seulement probables aux yeux d’un connaisseur, pourvu qu’alors chez ces ignorants la conviction du fait de la révélation soit ferme, ce qui arrive facilement, soit parce qu’ils sont naturellement peu difficiles en fait de preuves, soit à cause de suppléances surnaturelles. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2233. <.f. Cardenas, loc. cit., n. 33-38, p. 263, 204. D’autrepart, sous prétexte de proposition copulative, il serait illégitime de réduire ce document ecclésiastique à dire ceci seulement, que l’acte de foi lui-même (quoi qu’il en soit des jugements préalables) doit être ferme, et ne peut renfermer aucun doute sur son objet et son motif. Une pareille interprétation n’est pas fondée : nous avons montré par l’analyse du premier membre que dans cette proposition il n’est pas question de MTOir si l’acte de foi est lui-même un jugement probable ri douteux, mais s’il est compatible avec un lient préalable qui ne constaterait le fait de la lation qu’avec probabilité et doute. Et il faut tenir compte de cei le analyse du premier membre pour bien entendre le second : autrement, pourquoi le premier aurait-il été inséré flans la condamnation ? Du , cette interprétation fait faire a l'Église une condamnation très inutile : aucun théologien, aucun héréUque même, n’attaquall alors la fermeté de l’acte de foi, pris indépendamment des jugements qui le con DICT. llF Tlll o|. r ATII.

ditionnent ; Innocent XI, dans ce décret, se proposait de condamner les erreurs réellement existantes de quelques théologiens laxistes ; et s’il avait voulu simplement affirmer en lui-même le dogme bien connu de la fermeté de la foi, il pouvait le dire beaucoup plus simplement qu’en condamnant cette proposition 21 e. Enfin, les théologiens ont tous rapporté cette condamnation, quand elle a paru, à la question des jugements préalables ; et aucun n’a, depuis, osé défendre que ces jugements puissent être seulement probables ou douteux (du moins si l’on tient à l'écart la question particulière de ces jugements chez les simples). Mazzella s’appuie sur ce dernier fait et remarque que « l’observation de la loi est un excellent interprète de la loi elle-même. "De virtutibus infusis, Rome, 1879, n. 810, p. 421, 422 ; 6e édit., Naples, 1909, n. 742, p. 376.

Quant à la 19e des propositions condamnées par Innocent XI : Volunlas non potest efficere, etc., elle ne regarde pas l’action de la volonté sur les jugements qui précèdent la foi, mais sur l’acte de foi lui-même, comme il y est dit clairement : aussi est-elle en dehors de la question présente et sera-t-elle expliquée plus tard.

b) Pie X a condamné, sous forme de décret du SaintOffice, la proposition suivante, 25e parmi les erreurs des modernistes :

Assensus fidei ultimo L’assentiment de foi se

innititur in congerie probafonde en définitive sur un

bilitatum. Décret Lamentaamas de probabilités. bflt, Denzinger, n. 2025.

Les modernistes supposent que les preuves philosophiques les plus fortes pour l’existence de Dieu^et ses perfections, etles motifs de crédibilité les plus forts pour la divinité de la religion chrétienne et catholique, soit pris séparément, soit pris dans leur ensemble, ne peuvent fournir un argument certain, même à l’intelligence qui les pénètre le mieux. En effet, ils méprisent tout ce que peuvent fournir la philosophie scolastique et l’apologétique traditionnelle ; et quant à leur nouvelle apologétique fondée exclusivement sur l’immanence, s’ils lui reconnaissent une pleine valeur subjective pour satisfaire l’individu qui l’emploie, ils n’y cherchent pas des preuves rationnelles, communicableo à d’autres esprits et capables de donner à d’autres la certitude. Aussi l’encyclique Pascendi leur reprcche-t-elle de détruire, par leur agnosticisme et leur subjectivisme, soit la « théologie naturelle » ou théodicée, qui fournit à la foi chrétienne certains préambules comme nous l’avons vii, soit aussi « les motifs de crédibilité » qui prouvent le fait de la révélation. Denzinger, n. 2072. De là, chez eux, mépris de 1' « assentiment de foi » lui-même, c’est-à-dire de la foi intellectuelle à des dogmes ; ils se réfugient dans la foi-sentiment, qui n’a pas besoin de toutes ces preuves préalables dont nous parlons. Contre eux, l'Église prend la défense de l’assentiment de foi tel qu’elle l’entend, et des préambules ou vérités philosophiques et historiques sur lesquels il s’appuie. Ces vérités ne sont pas de simples probabilités >. elles peuvent apparaître avec une vraie certitude au moyen des preuves de notre philosophie et de notre apologétique ; les fondements de la fol peuvent être démontrés par la raison et, du moins cbez ceux qui comprennent ces démonstrations, produire les jugements fermes que la foi présuppose. Ce document ecclésiastique confirme donc la thèse commune que nous défendons.

a. Explication fausse de cette condamnation ; Newmon est-il vite ?— Ainsi, la brève condamnation de cette proposition 25 parmi lis autres erreurs des

modernistes a été ensuite clairement expliquée par

VI. - :

la grande encyclique sur le modernisme ; et, pour en donner une explication satisfaisante, il n’est nullement besoin de supposer (comme d’aucuns l’ont fait) que cette proposition 25 du décret Lamentabili reproduise une théorie de Newman sur la preuve du fait de la révélation par des « probabilités convergentes » . Quelle apparence, d’ailleurs, que le cardinal Newman, et pour une théorie très défendable comme nous le verrons tout à l’heure, ait été mis au nombre des partisans de » ce rendez-vous de toutes les hérésies, » comme Pie X nomme le modernisme, Denzinger, n. 2105? La différence entre la position du cardinal et la leur est d’ailleurs manifeste et multiple. Les modernistes méprisent l’assentiment de foi dogmatique lui-même, et c’est pourquoi ils déprécient sa valeur intellectuelle, en disant qu’il n’est étayé que par des probabilités ; Newman, dans la Grammar of assent où il expose cette théorie, vénère la foi au sens théologique, avec ses dogmes et son motif spécifique, et ses préambules, et ses motifs de crédibilité. La proposition moderniste dit d’une manière universelle : « L' assentiment de foi est fondé sur des probabilités ; » Newman dit : Le fait de la révélation, comme les autres faits historiques, peut être démontré par un ensemble de probabilités ; mais il n’a jamais dit qu’on pût démontrer de la sorte tous les autres préambules de la foi, par exemple, la science de Dieu, sa véracité ; la proposition condamnée est donc trop universelle pour exprimer sa pensée. Newman ne parle que de probabilités « convergentes » ; la proposition 25 ne reproduit pas ce mot, capital dans sa théorie ; et les modernistes ne veulent rien savoir de cette théorie qui sert à prouver contre eux la certitude morale du fait d’une révélation surnaturelle dont ils ne veulent pas. Ils disent que toute notre foi intellectuelle ne s’appuie que sur des probabilités qui restent toujours des probabilités ; Newman dit que le fait de la révélation peut être prouvé par un tel ensemble de probabilités que la raison arrive à en dégager une certitude légitime. Les modernistes entendent que, même pour ceux qui saisissent le mieux les arguments les meilleurs de notre théodicée et de notre apologétique, ces arguments ne peuvent élever personne au-dessus des probabilités ; Newman, quand il lui arrive d’appeler « probable » toute la preuve préalable dont il se contente pour la foi, se préoccupe alors de la foi des simples, question, comme nous l’avons dit, que nous ne devons pas encore considérer ici, pour éviter une extrême confusion. Voir Croyance, t. iii, col. 2392. Depuis le décret Lamenlabili, de graves théologiens ont pris, au sujet de cette proposition, la défense de Newman ; tel le P. Christian Pesch : « Si (les modernistes), dit-il, avaient seulement voulu dire que la certitude morale est souvent produite par des arguments qui, pris séparément, sont seulement probables, et qu’une telle certitude suffit à la connaissance des préambules de la foi, ils n’auraient rien dit que de vrai. C’est ce qu’enseigne le cardinal Newman, souvent cité. Grammar of assent, 4e édit., Londres, 1874, p. 410 sq. Voir ce que j’ai écrit dans les Theologische Zeitfragen, t. v, p. 104 sq. » Pesch, Prselectiones dogmaticæ, 3e édit., 1910, t. viii, p. 131. De même le P. Le Bachelet, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de M. d’Alès, t. i, col. 238. Cf. Chossat, Le décret Lamentabili, Paris, 1907, p. 71.

b. Théorie des probabilités convergentes. — Ceci nous amène à examiner rapidement cette théorie, non seulement à cause de la justice à rendre à Newman, mais encore à cause du grand intérêt qu’elle présente dans la question du fait de la révélation, et de la manière de prouver avec certitude ce préambule de la foi. Notons d’abord que des preuves ou indices, qui, séparément, sont seulement probable-, peuvent s’accumuler de deux manières très différentes : en dépendant

ou en ne dépendant pas les uns des autres. — Exemples de la première sorte d’accumulation. Plusieurs historiens s’accordent pour attester un fait : mais le premier, dont le témoignage n’a qu’une valeur probable, a été simplement copié par le second, le second par le troisième et ainsi de suite ; c’est une chaîne qui dépend tout entière du premier témoignage, et ne peut en dépasser la valeur. Souvent même le dernier anneau de la chaîne est beaucoup moins solide que le premier : d’une conjecture je conclus à un fait probable ; sur ce seul fait je base l’induction d’une loi physique hypothétique ; enfin, au moyen de cette loi, je prédis que tel nouveau fait va se produire. Ou bien : cet homme a été peut-être assassiné ; s’il l’a été, c’est vraisemblablement par quelqu’un que l’on a vu se promener avec lui, avant qu’il disparaisse ; ce quelqu’un ressemblait assez à tel homme que voici ; c’est donc probablement un assassin. Dans ces exemples, la conclusion court bien plus de risques que le point de départ, et vaut beaucoup moins ; les chances d’erreur se sont accumulées ; c’est à ces chaînes de probabilités dépendantes les unes des autres, que s’applique le mot de saint Thomas : Parvus error in principio magnus est in fine. Cf. Clarke, S. J., Logic, Londres. 1889, p. 430, 431. Exemples de la seconde sorte d’accumulation. On a pris la photographie et le signalement très exact d’un criminel ; échappé de prison, on le recherche ; on arrête quelqu’un qui ressemble à cette photographie ; on n’a encore que des probabilités insuffisantes, il y a des ressemblances si extraordinaires 1 Mais voici qu’un sérieux examen du corps entier, des mensurations qui concordent, des signes particuliers que l’on reconnaît, des empreintes de doigts, le son de la voix et la manière de parler, etc., fournissent nombre d’indices, qui, indépendants les uns des autres, apportant chacun de son côté sa probabilité nouvelle, convergent tous vers le signalement donné ; d’autre part, rien ne s’oppose sérieusement à l’identification. Dans ces conditions, une certitude légitime se produit, beaucoup même n’auront pas l’idée de douter. Ce qui s’est fait là scientifiquement, méthodiquement, se fait instinctivement chaque jour : nous ne doutons pas que nous parlions à Pierre, ou à Paul : et comment les reconnaissons-nous, sinon par un ensemble de signes rapidement aperçus, traits du visage, son de la voix, etc., qui tous convergent avec l’image de Pierre ou de Paul, imprimée dans notre mémoire ? C’est aussi de la sorte que nos sens extérieurs, indépendants les uns des autres, se prêtent à chaque instant un mutuel secours : mes yeux aperçoivent un objet qui par sa forme et sa couleur semble être une vraie fleur ; mais ce pourrait être une fleur artificielle ; le toucher vient aussitôt attester la souplesse des pétales, l’odorat de son côté atteint le parfum ; la certitude naît de ces impressions concordantes. Cf. Allies, The throne of the fisherman, Londres, 1887, p. 17. L’existence d’une ville que nous n’avons jamais vue ne fait pas, pour nous, l’ombre d’un doute, et d’où vient cette certitude ? D’une foule de témoignages accumulés de divers côtés, dont nous avons un souvenir confus : ici un journal, là un autre journal, un livre, un voyageur. Chacun de ces témoignages était-il en lui-même digne de foi ? Nous ne savons même plus ceux qui en parlaient. Mais la concordance de tous ces témoignages indépendants les uns des autres est à elle seule un phénomène à part, qui réclame une raison suffisante, une cause spéciale et proportionnée : et toute conspiration et dépendance mutuelle étant hors de cause, nous ne trouvons à ce phénomène qu’une explication, la vérité du fait, l’existence réelle de cette ville, qui a pareillement exercé son influence sur tous ces témoins, pour les amener à l’uniformité du témoignage. Une erreur

commune n’a pu les faire ainsi converger : car si la vérité est une et constante, l’erreur est multiple et inconstante ; si dans le cercle il n’y a qu’un centre et une seule manière de l’atteindre, il y a (remarque Aristote) d’infinies manières de s'écarter du centre et de le manquer ; nous avons vu Tertullien argumenter semblablement de la concordance des Églises apostoliques sur un point quelconque du dogme chrétien. Voir col. 151. On ne peut pas non plus expliquer une semblable concordance par le hasard : nous discernons, par une estimation morale très juste, certaines coïncidences que pratiquement le hasard ne peut atteindre ; nous sommes certains, par exemple, qu’en jetant les dés cent fois de suite, nous n’amènerons pas toujours le même nombre ; pareille combinaison est impossible, non pas métaphysiquement, par impossibilité de la concevoir et contradiction dans les termes, mais physiquement, par manque d’une cause spéciale et proportionnée pour la réaliser. - — On trouvera d’autres exemples de probabilités convergentes, dans Newman, Grammar of assent, Londres, 1895, Informai inference, p. 316-329.

On voit comment peut se faire le passage de probabilités convergentes à une légitime certitude. Non seulement leur accumulation, à mesure qu’elle croît, fait croître par une progression extrêmement forte les chances de vérité, d’après le calcul des probabilités, lesquelles en pareil cas ne s’additionnent pas seulement mais se multiplient les unes par les autres : mais encore, en réfléchissant sur le fait certain de cette convergence remarquable, et en lui appliquant le principe certain de raison suffisante ou de causalité, on obtient, à l’occasion de ces probabilités accumulées, des prémisses certaines d’où l’on peut conclure avec certitude. Ce ne sont donc pas les probabilités ellesmêmes qui produisent directement la certitude, ce n’est pas le moins qui donne le plus, comme disent ceux qui n’ont pas compris cette théorie.

.Mais peut-on appliquer cette théorie à la preuve du fait de la révélation ? Oui, et voici pourquoi. Puisque cette méthode de l’accumulation des indices divers, ou des probabilités convergentes, est celle que suit spontanément tout homme pour arriver à la certitude quand il s’agit d’identifier une personne, ou de reconnaître un objet, par exemple, un vêtement à notre usage, voir encore Chalmers, dans les Démonstrations évangéliques de Migne, 1843, t. xv, col. 545-548, il s’ensuit que Dieu n’exige pas de nous une autre méthode pour reconnaître le Christ comme envoyé divin, pour identifier l'Église aujourd’hui vivante avec celle dont le Christ a esquissé les principaux traits. En effet, quand Dieu révèle, il s’accommode à nos manières de penser et d’acquérir la certitude, et jusqu'à nos manières de parler, comme nous le voyons dans la sainte Écriture. La grandeur des choses révélées, ou celle des envoyés divins, ne fait donc pas que dans notre collaboration intellectuelle nous devions changer les procédés naturels et nécessaires de notre raison, pas plus que ceux de nos sens, dont notre raison se sert. Voir Gladstone ci Newman cités à l’art. Croyance, t. iii, col. 2394, 2395. Et si cette certitude d’usage ordinaire ne nous paraît pas d’espèce assez haute pour constater le fait de la révélation, rien ne nous empêche d’ailleurs, quand nous l’avons acquise, de la faire mouler encore pat la réflexion suivante sur la providence divine : Dieu, qui dirige les

Ames vers la vérité, n’aurait pas pu permettre en

faveur d’une imposture, d’une fausse révélation, d’une

e mission, un tel éclat de vérité, un tel ensemble

d’indices ; ce serait tromper le genre humain, étant

lionne sa manière naturelle de reconnaître ce qu’il

Cherche. I là le mot célèbre de Richard de SaintVictor : « Seigneur, si ce que nous croyons est l’erreur,

c’est vous-même qui nous avez trompés. » De Trinitate, 1. I, c. il, P. L., t. exevi, col. S91. Cf. Suarez, De fide, dist. IV, sect. iii, n. 12, Opéra, Paris, 1858, t. xii, p. 125. Un théologien allemand du xviiie siècle, Eusèbe Amort, a soutenu, dans un ouvrage dédié à Benoît XIV, qu’il suffit d’avoir reconnu la religion catholique comme plus croyable que les autres religions, pour passer de là, en invoquant ce principe de la providence divine, à une certitude légitime de son origine divine, certitude qui rend possible et obligatoire l’acte de foi. Demonstratio critica religionis catholicse, nova, modesta, facilis, etc., Venise, 1744, surtout p. 261-263. Newman cite cet ouvrage d’Amort avec éloge, parce qu’il reconnaît comme lui un passage des probabilités à la certitude, et s’appuie sur la providence : toutefois à la place de ce point de départ : « plus grande probabilité de la religion catholique par rapport aux autres religions, » il préfère substituer celui-ci : « accumulation de probabilités diverses > en faveur de la religion chrétienne et catholique. Grammar of assent, Revealed religion, p. 411, 412. La formule de Newman est, en effet, plus satisfaisante, plus profonde, et d’autre part n’exige pas une comparaison avec les autres religions, comparaison qui, pour être complète et sérieuse, complique beaucoup l’enquête, et qui, bien qu’utile, n’est pas pour la preuve du fait de la révélation et de l'Église un élément indispensable. Saint Thomas admet le principe des indices accumulés. Sum. theol., IIP, q, lv, a. 6, ad l um.

3. Un dernier argument contre le semi-fidéisme découle, par voie de raisonnement, de divers points que nous avons établis plus haut. Voici un infidèle en train de se convertir à la foi, mais qui n’a encore qu’une probabilité en faveur de la divine mission du Christ, et par suite un jugement flottant sur le fait de la révélation chrétienne. Nous disons qu’il ne pourra pas encore faire l’acte de foi salutaire à n’importe lequel des dogmes révélés par le Christ. Car de deux choses l’une : ou bien son adhésion au dogme, s’il veut la donner, sera flottante comme son jugement préalable sur la révélation de ce dogme, les deux jugements consécutifs étant bien proportionnés l’un à l’autre ; ou bien le second jugement (l’acte de toi) ne sera pas proportionné au premier, et malgré une opinion vacillante sur le fait de la révélation de ce dogme, l’adhésion de foi au dogme lui-même sera posée avec autant de fermeté que s’il avait été reconnu comme certainement révélé. Dans les deux cas, l’adhésion au dogme ne saurait être l’acte de foi chrétienne et salutaire que nous cherchons : dans le premier cas, parce que cette adhésion sera chancelante, et que l’acte de foi chrétienne et salutaire est essentiellement ferme, voir col. 88 ; dans le second cas, parce qu’en n'étant pas proportionnée au jugement sur les préambules, l’adhésion au dogme blessera les exigences logiques et la nature même de l’intelligence : seule la volonté pourrait peut-être opérer ce coup de force, et, sans aucune nouvelle lumière Intellectuelle, faire passer de la probabilité à la certitude : mais cette volonté serait imprudente et désordonnée, voir ce que nous avons dit d’un tel coup de force de la volonté, col. 171 jet, par suite, on ne pourrait faire l’acte de foi salutaire, qui a pour condition nécessaire un acte de volonté complètement ordonné et honnête, ce que les Pères appelaient pins crrdulitatis affretus. Voir plus loin. Supprimer consciemment un doute prudent, la volonté ne le pedt pus en restant dans l’ordre et l’honnêteté ; or

la prudence dépend des circonstances subjectlvt (les apparences ; et il y a doute prudent contre la révélation (même objectivement vraie) lorsqu'à un bomnie de bonne foi le parti contraire apparat) corn pro »

bable, bien qu’A la réflexion il reconnaisse, en faveur

de cette révélation, une probabtli ! ou même

plus grande, et tant que, par de nouvelles considérations, il n’aura point passé de cette probabilité de la révélation à sa certitude morale. Cf. Schiffini, De virtutibus infusis, p. 268.

C’est ce qu’exprime ainsi le P. Gardeil : « Aux volontaristes nous disons : La volonté, sous la motion divine et l’illumination de la Vérité première, détermine l’assentiment de la foi : c’est chose entendue. Mais pour que l’acte de la volonté soit un acte moral, il doit être prudent. Or, un acte de la volonté, suscitant un assentiment intellectuel à une assertion déterminée, ne saurait être prudent que si, à défaut de l'évidence intrinsèque de l’objet de cet assentiment, on a la connaissance certaine (c’est moi qui souligne) de l’autorité de celui quila présente… C’est à la raison naturelle que le sujet devra s’adresser pour avoir ce renseignement. Avant tout il faut être homme, c’est-à-dire consciencieux, et ici, conscience égale : lumière rationnelle. » La crédibilité et l’apologétique, 2e édit., 1912, p. 74. Cf. Crédibilité, t. iii, col. 2203. Pourquoi fautil que le P. Gardeil, plus bas, semble devenu « volontariste » dans cette 2e édition, et qu’il admette, maintenant, qu’en présence d’une simple « probabiliorité » , d’une proposition qui apparaît comme plus probablement vraie, la volonté puisse, en vertu du principe : Verisimilius est sequendum, « supprimer la crainte » et faire que l’intelligence « donne désormais sans réticence son approbation au probable, » de manière à passer de l’opinion à la « certitude » ? Op. cit., p. 173, 174. « Le probable, dit-il, s’il ne représente pas le bien absolu de l’intelligence, la vérité démontrée, représente ce qui y achemine normalement. » Loc. cit. Disons : « ce qui a plus de chances d’y acheminer : » car il a toujours des chances, d’autre part, d’acheminer à l’erreur. Nous en avons vii, de ces opinions « plus probables » en théologie ou en exégèse, et même assez communément estimées ensuite comme telles, rejetées comme fausses par l’ensemble des théologiens ou des exégètes, ou même par l'Église 1 Et l’on voudrait, sur une opinion plus probable, faire légitimement un jugement certain, à coup de volonté ! Et pour quelle raison ? le voici : « Si, sous l’empire de la crainte, (l’homme) se refusait à adhérer, il devrait renoncer au bénéfice de la prépondérance de vérité manifestée dans le probable. Il demeurerait à zéro… Est-ce là le bien de son esprit ? Évidemment non. » Mais personne ne lui demande de rester à zéro, de suspendre tout jugement : qu’il juge, mais par cet acte d’opm/on, quc saint Thomas définit, accipere unam partem conlradiclionis cum formidine allerius. Quæst. disp., De veritale, q. xiv, a. 1. Le « bénéfice de la prépondérance » est sauvé par là. Cum formidine ! et non pas en « comblant l’hiatus… pour que le probable devienne un moteur efficace d’assentiment ferme. » Op. cit., p. 169, 170. Cum formidine ! et non pas en « supprimant par le fait même, dans sa source, la crainte qui aurait pu s'élever du fait du manque partiel de lumière, » p. 174. L’opinion, cum formidine, suffit alors au « bien de l’esprit. » Le P. Gardeil n’est pas de cet avis, particulièrement dans les matières scientifiques. « L’assentiment au vraisemblable, dit-il, est un point d’appui, et comme un tremplin d’où l’on peut s'élancer vers le mieux, vers de nouveaux progrès. Mais un tremplin ne remplit son office que s’il est solidement fixé. Le bien de l’esprit demande donc que l’on tienne pour vrai le probable, que l’on se fixe dans l’adhésicn au probable par un assentiment pratiquement ferme. » A. Gardeil, La a certitude probable » , 1911, p. 75. L’hypothèse, bien que non encore vérifiée, joue sans doute un grand rôle dans les sciences ; mais nous ne voyons pas l’avantage qu’il peut y avoir alors à se faire illusion à soimême, et à prendre son hypothèse pour une vérité. C’est parce que les hommes de génie ne se faisaient

pas illusion qu’ils cherchaient, sans s’arrêter jamais, la vérification de leur hypothèse, et s'élançaient ainsi vers le mieux, soit qu’il leur arrivât de rencontrer la vérification qu’ils cherchaient, ou de rencontrer… autre chose. L'élan de l’esprit vers la vérité s’accommode d’un autre genre de « tremplin « que celui qui fait bondir les jambes. Au contraire, si un penseur se « fixe solidement » dans une probabilité par un « assentiment pratiquement formé, » s’il détourne volontairement et toujours les yeux des points faibles de son système, s’il le classe désormais parmi les vérités certaines, c’est l’opiniâtreté substituée à l’amour de la vérité, c’est le piétinement sur place, c’est la mort de la recherche scientifique et du progrès. En théologie surtout, il est désastreux de confondre, sous un assentiment ferme, les vues systématiques d’une école ou d’un individu, de les confondre, je ne dis pas seulement avec les dogmes, mais encore avec les doctrines communément reçues de toutes les écoles et de tous les théologiens. Quant à l’axiome : Verisimilius est sequendum, d’abord, il ne dit rien d’un assentiment ferme. Et puis, que veut-il dire ? Ou bien il exprime un innocent encouragement à nous contenter de la probabilité et de l’opinion dans les matières où la certitude est impossible, ou bien il est la sceptique devise de la secte philosophique des académiciens, qui renonçaient à trouver jamais la vérité et lui substituaient la vraisemblance. En tout cas, je ne le trouve pas dans saint Thomas, auquel le P. Gardeil semble renvoyer, La crédibilité et l’apologétique, 2e édit., p. 174 ; ni à la q. iv, ni à la q. xiv. Mais je le trouve dans Huet. évêque d’Avranches, que l’on a appelé « le père du fidéisme » : « Encore que nous n’ayons pas une connaissance certaine de la vérité, dit-il, nous avons au moins des vraisemblances… Or ce sont ces vraisemblances et ces probabilités que nous devons suivre dans l’usage de la vie au défaut de la vérité. » Traité philosophique de la faiblesse de l’esprit humain, - 1. II, c. iv. Amsterdam, 1723, p. 204, 205. Enfin, pour ce qui est du mot « probable » , nous comprenons que de son temps saint Thomas l’ait employé parfois en un sens différent du sens qui a prévalu partout depuis des siècles et que l’on trouve même dans les documents ecclésiastiques, par exemple, ceux que nous avons cités : mais si l’on veut se faire comprendre et ne pas embrouiller encore la question de chose par une question de mots, il paraît plus sage de s’en tenir à l’usage général du langage, qui oppose le probable au certain, et n’admet pas plus de « certitude probable » que de cercle carré. La question du probabilisme n’a rien à faire dans cette terminologie, qui est celle de tout le monde. Voir le P. de Poulpiquet, O. P., dans la Revue des sciences philos, et théol., octobre 1912, p. 799.

8° Objection tirée de la 4e proposition condamnée par Innocent XI ; explication de la condamnation. — Le semi-fidéisme pourrait se servir du sens que plusieurs théologiens, faute d’en trouver un meilleur, ont donné à cette condamnation pontificale :

4. Ab infldelilale excusaSera excusé du péché

bitur infidelis non credens, d’infidélité l’infidèle qui ductus opinione minus pros’abstient de croire, en se babili. Denzinger, n. 1154 laissant conduire par l’opi(1021). nion la moins probable

(des deux).

Voici le cas de conscience sur lequel roule cette proposition, que le style technique de la théologie morale rend indéchiffrable aux profanes ; le cas est typique, et très important pour approfondir la question du semi-fidéisme. Un « infidèle » , païen ou hérétique, est parvenu à reconnaître que la religion chrétienne et catholique a pour elle plus de probabilité et que sa secte est relativement mo.ns probable, opinio minus probabilis. Que doit-il faire alors, s’il veut être excusé du

péché contre la foi, infidelitaleï Deux solutions. — Solution favorable au semi-fidéisme. — Cet infidèle doit aussitôt faire un acte de foi divine aux dogmes catholiques, bien qu’ils ne lui paraissent pas comme certainement révélés, mais plus probablement révélés. Le pontife ne dit-il pas qu’il sera inexcusable s’il ne croit pas, non credens ? On peut en conclure qu’un jugement certain sur le fait de la révélation n’est pas une condition nécessaire à l’acte de foi (thèse du semi-fidéisme). — Autre solution. — Remarquons tout d’abord que cette proposition est obscure, surtout à cause du double sens du mot non credens, comme nous le verrons. Sa dangereuse ambiguïté était déjà une raison suffisante de la condamner. En tout cas, ce n’est pas dans la condamnation d’une proposition obscure qu’il faut chercher la pensée du pontife, quand on a sur le même sujet un autre document de lui, dont le sens est clair : la condamnation de la proposition 21 e. Voir col. 192. Ayant déjà par là la pensée d’Innocent XI, il ne reste plus, en bonne méthode, qu'à expliquer la condamnation de la 4e d’une manière plausible, qui puisse se concilier avec cette pensée déjà connue. Mais cette explication demande d’assez longs développements. 1. L’explication que nous soutenons est fondée sur l’histoire de cette proposition 4 e. Son auteur est Jean Sanchez, théologien et jurisconsulte espagnol, et voici la phrase d’où la proposition est extraite : Sicut in aliis mater iis, ubi offensa mortalis intercedere posset, falentur ipsi (les probabilistes) eam non commilti ab opérante ex opinione minus probabili…, sic quoque cib infidelilale excusabitur infïdelis, non credens, ductus opinione minus probabili. Selectæ et praclicse disputaliones, Lyon, 1636, disp. XIX, n. 7 (à l’Index donec corrigalur). On sait qu’entre deux solutions contradictoires, dont l’une après examen nous paraît plus probable, l’autre moins, les probabilistes permettent de suivre en pratique celle qui paraît moins probable théoriquement, pourvu qu’elle soit assez sérieusement fondée, ou en raisons, ou en autorités ; mais qu’ils ne permettent pas cela en toute espèce de matière ; qu’ils exceptent, par exemple, le cas ou par là on s’exposerait à négliger ce qui est de nécessité de moyen pour la fin dernière, comme peut l'être la foi à certains dogmes, la recherche et l’acceptation de la véritable religion ; qu’alors, dans la pratique, ils exigent que l’on aille au plus sûr, dans la mesure du possible. Sanchez, auteur laxiste, voudrait supprimer cette

teeption, et entraîner les probabilistes plus loin qu’ils ne veulent aller ; il voudrait qu’on appliquât la permission du moins probable à cette matière même du choix d’une religion, sicut in aliis materiis. Dans sa phrase (qui est la proposition condamnée) il entend donc ceci : De même que, dans certaines questions de restitution, par exemple, les probabilistes permettent de suivre le moins probable, et de se former tellement la conscience qu’on se tienne pour définitivement quitte de la restitution, et qu’on laisse là toute inquiétude ultérieure à ce sujet : ainsi, dans notre cas, n'étant arrivé, après une enquête soignée, qu'à voir la religion catholique comme « plus probable, l’infidèle pourra, en vertu des mêmes principes, s’attacher à sa religion paternelle comme encore probable malgré tout, renoncer définitivement au catholicisme, et ne plus penser à la f'>i catholique, el c’est là chez lui le

du mot ambigu non crrr/c/is. Cette idée « le.T. Sanchez n’a pas d’ailleurs germé dans son cerveau seulement. Christophe Rassler, s..1., qui s’occupa beaucoup de controverse avec les protestants d’Allemagne, nous apprend que certains d’entre eux, connaissant, mais comprenant mal le système du probabilisme

outenu parmi les catholiques, cherchaient ainsi à en tirer parti pour se tranquilliser dans leurs doutes

Bien qu’il soit peut-être plus probable que la religion

catholique est la vraie, toutefois nous pouvons nous en tenir à la religion luthérienne ou calviniste, parce qu’elle nous paraît garder au moins une certaine probabilité, quoique moindre, et qu’il est permis de suivre une opinion moins probable. » Controversia theologica de ultima resolulione fidei divinæ, Dillingen, 1696, p. 394.

Voilà ce qu’Innocent XI a voulu condamner, à la suite de trois autres propositions laxistes où l’on abusait également du probabilisme (prop. 1-3). Le pontife a voulu condamner J. Sanchez, et non pas ceux qui, comme nous, dispensent cet infidèle de faire pour le moment l’acte de foi, mais qui en cela diffèrent doublement de la doctrine de Sanchez : a) parce qu’ils ne dispensent pas cet infidèle de continuer à chercher la vérité et à prier, mais veulent qu’il ne se tranquillise pas dans le statu quo, qu’il ne renonce pas définitivement à la conversion commencée, qu’il ne regarde pas l’incident comme clos, l’enquête comme désormais superflue ; qu’il ne désespère pas des lumières nouvelles que la divine providence pourra lui ménager, prêt à croire si à la probabilité plus grande, qu’il a déjà, succède une suffisante certitude ; b) parce que la raison pour laquelle J. Sanchez dispense cet infidèle de croire, c’est une mauvaise application du probabilisme ; la raison pour laquelle nous le dispensons de croire dès l’instant, c’est l’impossibilité où il est de le faire prudemment, n’ayant pas encore la certitude préalable qui est, quoi qu’en dise le semi-fidéisme, une condition nécessaire de l’acte de foi : raison qui n’a rien à faire avec le probabilisme, ni ne le suppose ni ne l’applique. On conçoit donc que la solution laxiste de J. Sanchez soit condamnée, et que la nôtre ne le soit pas, qui tient un juste milieu entre le laxisme et le semi-fidéisme, et qui reste en dehors des mauvaises applications du probabilisme que poursuivait Innocent XI dans cet endroit de son décret.

2. Notre solution est celle de nombreux et graves théologiens, soit avant, soit après la condamnation prononcée par Innocent XL Nous ne craindrons pas de citer, parce qu’aujourd’hui quelques-uns ont l’air de ne pas se douter que cette solution ait été très autorisée.

a) Avant la condamnation. — Malderus, docteur de Louvain et évêque d’Anvers, dit : « Pour que l’infidèle soit tenu de croire… 17 ne suffit pas que la foi lui apparaisse déjà comme aussi probable, ou même plus probable que sa secte. » De virtutibus theologicis, Comment, in //""//*, Anvers, 1616, q. ii, a. 7, p. 96. Le célèbre Thomas Sanchez, S. J. (qu’il ne faut pa » confondre avec Jean Sanchez), soutient que cet infidèle n’est pas obligé de croire tout de suite (du moins s’il n’est pas à l’article de la mort), « parce que, dit-il, cet homme estime encore avec prudence pouvoir demeurer dans sa secte, et qu’il lui reste le temps de mieux examiner la question ; et parce qu’il n’a pas, dans ces conditions, l'évidence de crédibilité que saint Thomas demande. > De præceplis dccalogi (1613), Vitcrbe, 1738, 1. II, c. i, n. 6, t. i, p. 71. Coninck n’oblige l’infidèle, qui doute de sa religion, qu'à faire une enquête sérieuse ; plus forte est sa conjecture en faveur de la vraie religion, plus grande est la peine qu’il est tenu de se donner pour arriver au vrai. IV moralitale et effectibus acluum supernaturalium, etc., disp. XIV, n. 2M Anvers, 1623, p. 278. Castropalao, si célèbre en théologie morale, expose nettement que notre infidèle ne peut encore faire l’acte de foi aux dogmes catholiques. Tr. IV, De j’ulr, dist. I, p. xii, n. 13, Opéra omniti, I.yon. 1669, t. i. p. 2.">8.

Baflet, qui est souvent cité à rencontre, en réalité ne

poM pas précisément le même cas, mais celui où l’on

aurait montré à un païen l'Évangile comme plus

ible que toute autre religion (et non pas seulement

que sa religion) et il affirme cette règle : Tenetur honvi sequi quod probabilissimum est omnium dogmalum. C’est la règle pratique que nous avons déjà rencontrée dans Amort, et qui, peut-être, se justifie théoriquement par une réflexion sur la providence. Voir col. 198. Puis, comme s’il voulait répondre d’avance à la théorie que devait faire plus tard Jean Sanchez, le même Banez. probabiliste, mais avec les restrictions voulues, dit fort bien : Non est universaliter verum quod possil homo sequi opinionem minus probabilem. Commentaria in II* m Il x, q. x, a. 1, dub. iii, 4 a conclusio, Douai, 1615, p. 252.

b) Après la condamnation. — Cardenas, que saint Alphonse regarde comme un auteur classique en théologie morale, démontre contre Lumbier que l’opinion commune des théologiens, sur l’évidence de crédibilité requise avant la foi, n’est nullement atteinte par la condamnation ; sans doute Innocent XI suppose que notre infidèle peut commettre alors un péché contre la foi, mais le péché contre la foi ne se commet pas seulement par défaut d’acte de foi, il peut se commettre aussi par défaut d’enquête, quand on est dans Vignorantia vincibilis, comme l’infidèle en question, et qu’on ne cherche pas à en sortir. Crisis theologica, 5e édit. de Venise 1700, dissert, sur la 4e prop. condamnée, n. 31, p. 188, 189. Lacroix, dont l’ouvrage si connu a paru en 1707, expliquant cette 4e proposition, cite Cardenas et l’approuve. Theologia moralis, 1. II, n. 48, Paris, 1866, t. i, p. 492. Le controversiste Rassler oblige notre infidèle à incliner déjà comme il peut son esprit du côté de la religion qui lui paraît plus probable, « à demander à Dieu plus de lumière, et à chercher encore la vérité, jusqu’à ce qu’il arrive à une certitude morale. » Op. cit., p. 392. Un fidèle disciple de Suarez, l’Espagnol Gormaz, dit que cet infidèle est tenu à chercher ; que « non credens, dans la 4e proposition, équivaut à discredens, et s’applique bien à un homme qui ne veut ni abandonner sa secte ni chercher la vérité. » Cursus theologicus, Augsbourg, 1707, t. i, p. 777. Antoine Mayr cite Gormaz et l’approuve. Theologia scholastica, De virtutibus theologicis, n. 506, Ingolstadt, 1732, t. i, p. 151. Kilber, dont le traité de la foi est si estimé : « L’infidèle, dit-il, dans ce cas ni ne doit ni ne peut croire ; mais parce qu’il a une certaine lumière sur la vraie foi qui est un moyen de salut absolument nécessaire, il est tenu de chercher avec soin, etc. » Theologia Wirceburgensis, Paris, 1852, t. iv, n. 68, 59 ; ou dans Migne, Theologiæ cursus, t. vi, col. 450, 451. L’Espagnol Gêner, qui dans sa théologie a préludé à l’érudition contemporaine, dit très bien de notre infidèle : « Pourvu qu’il cherche, il sera certainement excusé du péché d’infidélité : non parce qu’il est conduit par son opinion (ductus opinionc minus probabili, et par une mauvaise application du probabilisme) : mais parce qu’il manque d’une crédibilité suffisante. » Theologia dogmalicoscholastica, Rome, 1777, t. vi, p. 30. Au xixe siècle, même solution dans Mùller, Theologia moralis, 3e édit., Vienne, 1878, t. i, § 80, p. 302 ; dans Mazzella, De virtutibus infusis, Rome, 1879, n. 811, p. 442 ; Naples, 1909, n. 743, p. 377 ; dans Ballerini-Palmieri : « Cet infidèle… demeure prudemment dans sa secte, non qu’il puisse la considérer comme vraie ou plus vraie, mais pendant qu’il cherche la vérité, comme certainement il est tenu de la chercher… Et c’est là le point condamné dans cette proposition 4e, qu’il puisse demeurer tranquillement dans sa secte. » Opus theologicum morale, Prato, 1890, t. ii, p. 18. Citons encore Schiffini, De virtutibus infusis, p. 269 ; Chr. Pesch, Prœlectioncs, tr. VIII, 3e édit., 1910, n. 294, p. 132. Ce qui a contribué à soulever des nuages autour de cette condamnation de la 4e proposition par Innocent XI, c’est l’explication obscure et confuse qu’en donne

un spécialiste ordinairement plus heureux, Viva, Damnatæ thèses, 16e édit., Padoue, 1723, t. i, p. 199203 ; et dans Migne, Cursus theologise, t. vi, col. 13291335. Son article, bien court pour une pareille difficulté, ne touchant que la question du probabilisme et non pas celle des exigences de la crédibilité, est encore surchargé d’éléments étrangers qui l’embrouillent. De plus, il semble mettre saint Thomas du côté de la proposition condamnée ; le P. Gardeil a grandement raison de l’en reprendre, mais lui-même, à son tour, donne une idée peu exacte de la doctrine de Thomas Sanchez, soit confiance trop grande dans ce qu’en dit confusément Viva, soit influence du rigoriste Patuzzi. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2232. Dans une note de sa belle édition de la théologie morale de saint Alphonse, le P. Gaudé prétend que notre solution a été condamnée par Innocent XI, et que l’infidèle qui connaît la religion catholique comme plus probable est obligé, d’après le pontife, à faire tout de suite l’acte de foi : mais : a) saint Alphonse, lui, ne dit pas cela dans son texte ; b) le P. Gardeil ne discute pas la question, et n’apporte aucune preuvedesondire. S. Alphonsi theologia moralis, Rome, 1905, t. i, p. 303 en note.

3. Mais voici que, sur cette controverse, vient s’en greffer une autre. On suppose le même infidèle avec la même connaissance de la vraie religion, mais placé cette fois « l’article de la mort : cette circonstance nouvelle changera-t-elle la solution du cas, tel qu’il était d’abord posé ? Oui, répond Thomas Sanchez. « Cet infidèle, persuadé que sa secte est probable, quoique la religion opposée soit pour lui plus probable, serait tenu à l’article de la mort d’embrasser la vraie foi qu’il juge plus probable, parce qu’alors de cxlrema sainte agitur, et il doit aller au plus sûr. Mais en dehors de cette circonstanceiln’estpasobligé. » Loc. cit. Nous retrouvons cette opinion moyenne et pour ainsi dire transactionnelle, peu après, dans Malderus, loc. cit. ; de nos jours, dans Ballerini-Palmieri, loc. cil. Mais elle a été attaquée par la plupart des théologiens comme peu logique. Les uns, nos adversaires de tout à l’heure, ont dit : Si, d’après vousmême, l’infidèle dans ces conditions de crédibilité peut et doit croire à l’article de la mort, pourquoi pas aussi pendant la vie ? Il a le temps de chercher, dites-vous : oui, mais en attendant, il est privé des grands bienfaits de la vraie religion, et il peut être surpris par la mort avant d’avoir cru. Les autres peuvent dire mieux encore à T. Sanchez : Si, d’après vous, l’infidèle dans ces conditions de crédibilité n’est pas tenu de faire l’acte de foi pendant la vie, et cela parce qu’il ne le peut pas, « n’ayant pas l’évidence de crédibilité que saint Thomas demande, » comment voulez-vous qu’il le puisse davantage à l’article de la mort ? Si la certitude préalable des préambules est pour l’acte de foi une condition essentielle, l’essence des choses change-t-elle à la mort ? Si le coup de volonté qui transformerait le plus probable en certain n’est pas prudent, ne respecte pas la vérité, n’est pas honnête, peut-on employer un moyen qui n’est pas honnête, même en un cas d’extrême nécessité ? La nécessité. Dieu qui veut le salut de tous les hommes y pourvoira, si celui-ci fait ce qu’il peut ; ou bien il empêchera le cas de se produire, en faisant arriver plus vite à la certitude cet homme de bonne volonté, avant que le cours naturel des choses amène sa mort, ou en la retardant par une providence spéciale ; ou bien à ce dernier moment, il lui inspirera de prier, et s’il répond à cette inspiration, lui accordera une suppléance surnaturelle de crédibilité, alors le cas sera changé, et l’acte de foi sera possible. Parmi les théologiens qui vont de ce côté, nous en citerons quatre à notre connaissance, qui donnent très nettement leur pensée. « Ces raisons (de dispenser l’infidèle de l’acte de foi 205

FOI

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tant qu’il n’a pas la certitude morale des préambules), observe Castropalao, ont, à mon avis, la même valeur, soit qu’il s’agisse de l’article de la mort ou d’un autre temps ; aussi bien, aucun des docteurs que j’ai déjà cités, excepté Sanchez, n’a fait cette distinction, mais ils ont affirmé d’une manière générale que l’infidèle n’est pas tenu de croire les mystères de la foi, tant qu’il n’est pas convaincu de leur crédibilité. » Loc. cit. Castropalao est approuvé en cela par Adam Burghaber, Cenluriae selectorum casuum conscienlise, Fribourgen-Brisgau, 1665, centurie i, n. 60, p. 102. Cardenas s’exprime ainsi : « Si ce moribond, avec le secours de la grâce, n’est pas encore parvenu à la certitude, il est tenu de prier Dieu, pour qu’il éclaire son intelligence et le fasse parvenir à la certitude de la vérité ; et Dieu le lui accordera sans aucun doute, puisque cet homme fait tout ce qu’il peut faire à l’article de la mort, et que Dieu, qui veut sauver tous les hommes, ne refuse jamais sa grâce à celui qui use le mieux qu’il peut des secours qu’il a déjà. » Op. cit. dissert, sur la prop. 21 condamnée par Innocent XI, n. 103, p. 274. Enfin, Lacroix cite ces paroles de Cardenas et les approuve, loc. cil.

Mgr Berardi n’est donc pas exact en disant : « Tous les théologiens sont d’accord que, même à défaut de certitude, (cet infidèle) doit embrasser la religion catholique au moins à l’article de la mort : c’est la doctrine de Sanchez et des autres théologiens. » Praxis confessariorum. 4e édit., Fænza, 1903, t. i, n. 23, 24, p. 16. Cet auteur sent lui-même, du reste, l’impossibilité qu’il y a d’imposer à quelqu’un un assentiment ferme à des dogmes qu’il ne connaît pas avec certitude comme révélés. Aussi a-t-il recours à un expédient qui serait fort commode, s’il était admissible : il n’exige de cet infidèle, en fait d' « acte de foi » , qu’une pieuse volonté de croire à la religion catholique s’il la savait certainement révélée. Loc. cit., n. 25. Mais par là il s'écarte de la question, qui ne roule pas sur cette nolonté de croire, laquelle, surtout pour l’infidèle dont nous parlons, ne fait aucune difficulté, puisqu’il est en marche vers la foi ; mais qui roule sur 1' « acte de foi » tel que l'Église l’entend, consistant essentiellement dans un assentiment intellectuel et très ferme à la vérité révélée. Voir col. 82. En supposant que la volonté de croire peut suppléer, pour le salut, à cet assentiment intellectuel, en d’autres termes, que l’acte de foi proprement dit n’est pas absolument nécessaire en lui-même, mais seulement in volo, Mgr Berardi contredit la doctrine commune des théologiens qu’il invoquait tout à l’heure. Voir, à la fin de cet article, nécessité de la foi. Enfin, il cite à tort pour sa théorie le cardinal de Lugo, qui nie expressément qu’un adulte puisse être sauvé par le seul vœu de la foi, sans l’acte de foi proprement dit. De fide, <lisl. XI I, n. 5, 11, dans Dtsputationes scholast, et morales, Paris, 1891, t. i, ]). 485, 189. Mar Berardi cite Lugo dans un autre endroit OÙ il ne traite pas de la nécessité de la foi pour le salut des infidèles, ce qui est la question, mais d’un Mitre point bien plus douteux, la nécessité de la foi pour le mérite dans chaque nie méritoire du juste. Et dans la phrase qu’il cite : apud Patres roliintntirn credendi cum ipsa fide compulari, op. cit., n. 23, p. 195, LugO ne veut pas dire que d’après les l’eres la volonté de croire peut remplacer l’acte <l<' foi lui-même pour le salut, mais simplement que la volonté de croire est comptée par li Pères comme faisant un avec l’acte < ! < foi lui-mime, comme lui appartenant. Mais de ce que l’on peut considérer celle volonté préalable comme le commencement de l’acte de toi. il ne s’ensuit pas que ce commencement puisse remplacer i' omme

coud il ion de lalut ; en tout cas, Lugo ne le « lit pas, et plus haut il a dit le contraire.

La certitude, sis éléments, sis espèces ; l'évidence.

— La très difficile question de la certitude et de l'évidence est tellement liée à celle de la foi, elle est si incomplètement traitée, en général, par nos manuels de philosophie, faute d’avoir consulté les remarquables discussions qu’en ont faites les théologiens en traitant de la foi, que nous ne pouvons nous dispenser, avant d’aller plus loin, d'établir ici quelques principes dont nous avons et nous aurons ailleurs le plus grand besoin dans nos explications théologiques.

1. Éléments essentiels de la certitude.

Nous en distinguons deux : la fermeté et l’infaillibilité. — a) Fermeté. — Nous avons déjà explique ce concept avec tous les théologiens : le jugement ferme s’oppose soit au simple doute, où l’esprit reste en suspens, soit à l’opinion, où l’affirmation est mêlée de doute ou de crainte. Voir col. 88 sq. — b) Infaillibilité. — - Plusieurs auteurs, dans leur : - définitions de la certitude, laissent penser que tout est dans le premier élément, la fermeté, que saint Thomas appelle aussi « détermination de l’intelligence dans un sens, d’un seul côté, » determinatio ad unum. Cela est vrai, si l’on prend le mot « certitude » assez largement, assez vaguement, pour qu’il puisse renfermer la certitude légitime et la certitude illégitime ; la certitude des sages et celle des fanatiques également déterminées ad unum ; la certitude qui perfectionne l’esprit et celle qui le déforme, n'étant qu’un entêtement produit par la passion ou par un coup imprudent de la volonté. Voir Croyance, t. iii, col. 2378, 2379. Mais, au sens propre et philosophique, le mot « certitude » ne se prend qu’en bonne part, il désigne une perfection de la connaissance. Or, il n’y a aucune perfection de la connaissance à adhérer à une proposition, si c’est une erreur ; plus vous y adhérez fortement, plus vous vous éloignez du but de la connaissance, qui est la vérité. La vraie certitude doit donc renfermer deux éléments : elle ne doit pas seulement déterminer l’intelligence ad unum, mais encore ad verum. Schceben, Dogmatique, trad. franc., 1877, t. i, p. 536. En d’autres termes, elle doit exclure de notre affirmation, non pas seulement la crainte de l’erreur, mais le danger même d’errer, ce qui n’est pas la même chose : l’autruche, en se cachant la tête pour ne pas voir le péril qui la menace, si elle supprime la crainte du danger, ne supprime pas le danger. La vraie certitude doit donc rendre impossible le doute, ou crainte d’errer, et l’erreur : le premier élément est appelé par plusieurs théologiens indulnlabilitas, le doute étant impossible au moins à l’instant où l’on est certain, car un doute imprudent n’est pas rendu impossible à jamais ; le second est appelé infaïlibilitas ; ainsi dans Kilber, De fuie, n. 198, Migne, Theologix cursus, t. vi, col. 570 ; Mazzella, De virtutibus infusis, 6e édit., prop. xxiii, p. 3ns ; le cardinal Billot, De virtutibus infusis, thés, xviii, p. 319. Dans l'école scotistc, nous trouvons la même notion de la certitude avec ses deux éléments : Certitudo cognitionts nilul aliud est quam flrmitas et infaïlibilitas ipsius assensus. Frassen, De gratin, dist. III, a..'i, q. ni, Scotus açademicus, nouv. édit., Rome, I901, t.vni, p. 370. On pourrait objecter que saint Thomas semble ne reconnaître qu’un élément à la certitude proprement dite : Certitudo nilul iiliml est quam determinatio intelleclus ad unum. In IV Sent., 1. III. dist. XX III. q. m. a. 2, sol. 3 a ; certitudo proprie dicitur flrmitas adhseslonis virtutis cognoscilivs ml suum cognoscibile, dist. XXVI, q. ii, a. !. Mais quand le salnl docteur parle dune

chose en passant, il n’en donne pas loujours la défini

imn complète ; parfois il s’arrête a un seul élément, parce qu’il suffit au but présent qu’il poursuit. Ail leurs, il laisse entendre que V infaillibilité appartient .i la certitude. Snm. thmi.. ie. q, iii, ., . 2, ad

IPII', ([. XVIII, a. I. Aussi de lidcles ilisnples de

samt Thomas, que nous avons cités, ne craignent pas

de définir la certitude par ces deux éléments ; ajoutons cette définition du P. Hugon, O. P. : « La certitude est un assentiment inébranlable de l’esprit (fermeté) pour des motifs qui excluent tout péril d’erreur » (infaillibilité). Dans la Revue thomiste, mai 1902, p. 163. Enfin on peut même dire que le concile de Trente a consacré le mot infallibilis pour désigner une propriété de la certitude absolue : absolula et infallibili certitudine. Sess. VI, can. 16, Denzinger, n. 826. Quant à l’objection, qu’en appelant « infaillible » un certain acte de la raison naturelle, nous la mettons trop haut et sur la même ligne que l’Église, voir plus haut, col. 181.

Il nous reste à expliquer cette « infaillibilité » . Le mot lui-même dit plus que inerranlia, le simple fait de ne pas se tromper : par sa désinence, infalli-bilis, il dit une impossibilité de se tromper, en d’autres termes, une exclusion de tout risque, de tout péril d’erreur. Un jugement infaillible est donc un jugement vrai et quelque chose de plus. Pour qu’un jugement soit « vrai » , il suffit qu’il se rencontre, même fortuitement, avec la réalité des choses, avec la vérité objective. Quelqu’un dit sans motif sérieux, au hasard : Demain il fera beau ; et de fait, il se trouve qu’il fait beau ; son jugement, quoique mal fondé, a été vrai d’après la définition de la vérité : adsequatio intelleclus et rei. Pour qu’un jugement soit « infaillible » , il ne suffit pas qu’il se rencontre avec la vérité, il faut qu’il ait dans ses principes, par exemple, dans les motifs qui le spécifient, quelque chose qui exclut l’erreur, qui en détruit le risque. Ainsi l’infaillibilité « ajoute à la vérité de l’acte une impossibilité d’erreur qui dérive de la propre perfection de l’acte » ou des principes d’où il tire cette perfection. Muniessa, Disput. scholasticæ de providentiel, fide, baptismo, Saragosse, 1700, p. 316. « Impossibilité d’erreur » équivaut du reste à « connexion nécessaire avec la vérité, » expression dont se sert Lugo pour désigner le second élément de la certitude, dans cette définition : Certitudo est fuma adhœsio intelleclus assentienlis, et necessaria connexio ipsius assensus cum veritalc. Dispulaliones, etc., disp. IV, n. 78, Paris, 1891, t. i, p. 353. L’explication de ce second élément sera complétée plus loin à propos de la division de la certitude en métaphysique, physique et morale, voir col. 211.

2. Différentes espèces de certitude.

a) Division de la certitude en évidente et inévidente. — La première espèce de certitude, intellectuellement la plus excellente, est la certitude évidente, ou plutôt, qui procède de l’évidence stricte et parfaite, c’est-à-dire d’une clarté irrésistible, qui emporte par elle-même l’entière adhésion de l’esprit. Voir Évidence, t. v, col. 1725-1726. Quand l’objet de notre jugement a cette évidence (immédiatement ou médiatement), alors, comme dit saint Thomas, intelleclus (ad assentiendum) movetur ab ipso objecto… Illa videri dicuntur, quee per seipsa movent intellectum…ad sui cognilionem. Sum. iheol., II a II æ, q. i, a. 4. Videri, d’où evidenlia. Les scolastiques ne donnaient ordinairement ce nom « d’évidence » qu’à cette clarté irrésistible, nécessitante, où, sans intervention de la volonté, l’objet produit l’assentiment ; ainsi Lugo : Evidenlia (consista) in hoc quod intellectus convincatur ab objecto ipso et necessitetur ad assentiendum. Op. cit., disp. II, n. 10, p. 178. Aujourd’hui on donne souvent au mot « évidence » un sens plus large. Voir Évidence, loc. cit.

Une seconde espèce de certitude, bien qu’« inévidente » , c’est-à-dire ne procédant pas de l’évidence stricte et nécessitante, peut encore être une certitude proprement dite et digne de ce nom, car elle peut avoir les deux éléments essentiels, fermeté et i nfaillibilité. Fermeté : à cause de l’obstacle des passions, et d’un certain manque de clarté, l’objet tout

seul ne suffirait pas à la produire : mais il peut être aidé par de bonnes dispositions qui écartent l’obstacle ou même par une intervention plus directe, mais légitime, de la volonté libre arrêtant les doutes imprudents et sophistiques et produisant ainsi l’adhésion ferme. Quand l’intelligence, dit sa : nt Thomas, « est déterminée à adhérer totalement à l’une des deux (contradictoires), cela vient tantôt de l’objet de l’intelligence (ab intelligibili), tantôt de la volonté. » De veritale, q. xiv, a. 1. Voir Croyance, t. iii, col. 2384-2386. Infaillibilité. Cette seconde qualité essentielle de la vraie certitude est-elle attachée exclusivement à la stricte évidence ? Durand de Saint-Pourçain semble l’avoir pensé. A ses yeux, la « certitude d’évidence » mérite seule le nom de certitude. In IV Sent., 1. III, dist. XXIII, q. vii, n. 7 sq., Paris, 1550, fol. 220. Mais les autres scolastiques ont rejeté sa théorie. « Ce n’est point par l’évidence, mais par l’infaillibilité, qu’il faut expliquer et caractériser la certitude parfaite, « conclut Suarez, cité à l’art. Croyance, col. 2390 ; et, ajoute-t-il, il peut y avoir infaillibilité sans évidence. Les deux choses, en effet, sont distinctes et séparables : 1’« évidence » n’est autre chose qu’une spéciale clarté dans le motif de l’affirmation ; 1’« infaillibilité » , une spéciale sûreté de ce motif, une liaison nécessaire de ce motif avec la vérité. Voir Sahnanticenses, De fide, disp. II, n. 114, Cursus theologicus, Paris, 1879, t. xi, p. 158. Dans la stricte évidence « ce qui détermine et nécessite l’intelligence, dit pareillement Lugo, ce n’est pas seulement le poids du motif, mais encore la plus grande clarté avec laquelle il est présenté : cette clarté empêche le doute et la crainte plus que ne le fait le poids seul du motif connu sans cette clarté. » Loc. cit., n. 42, p. 191. Ainsi, prenons deux raisonnements qui aient au fond la même valeur, la même infaillibilité, deux raisonnements mathématiques, par exemple. L’un est très court, et par là peut être présent à l’esprit tout entier du même coup ; de cette proportion de l’objet à notre vue naîtra une clarté irrésistible. L’autre est très long, et arrivé au bout on ne peut le concentrer tout entier sous son regard ; il faut se fier à sa mémoire, qui atteste que chaque partie a été séparément bien i.ouvée : de là un amoindrissement de clarté, qui pouria donner occasion à la crainte, à un doute imprudent. A plus forte raison, quand on compare des connaissances de divers ordres, on trouvera cette différence. La stricte évidence est rare en histoire, par exemple. A notre esprit humain, uni étroitement à la matière, mais procédant par abstraction, le plus exactement proportionné de tous les objets, le plus irrésistiblement clair » est cet objet des mathématiques, qui est de la matière, mais de la matière extrêmement simplifiée par l’abstraction, dégagée de l’infinie complexité du réel, des variations fuyantes du mouvement et du devenir, comme l’explique saint Thomas. Opuscule sur Bocce, q. vi, a. 1, q. n. Cf. Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, De evidenlia, etc., p. 195.

Cette seconde espèce de vraie certitude, de ce qu’elle n’est pas arrachée à l’esprit par l’évidence stricte de l’objet, de ce qu’elle dépend de la volonté, peut s’appeler « certitude volontaire, libre » : non pas que la certitude soit un acte ou une qualité de la volonté, mais parce qu’un acte de la volonté sert ici à amener l’intelligence à la fermeté de la certitude. Intellectuellement moins parfaite, parce que l’intelligence aspire toujours à plus de clarté, cette seconde espèce a plus de valeur morale, en tant qu’elle dépend de la liberté ; ce qui la rend plus convenable dans le domaine religieux et dans une vie d’épreuve comme la nôtre. Voir Croyance, t. iii, col. 2394, 2395. — D’autre part, « le fait que la volonté intervient dans cette certitude, disent les Sahnanticenses, ne lui

enlève pas le caractère de certitude proprement dite et rigoureuse, quand l’intervention de la volonté ne dépasse pas le mérite du motif, mais plutôt lui est due. Il peut se faire que le motif soit infaillible, et cependant sans (stricte) évidence : alors la volonté supplée ce qui manque en évidence pour affermir l’intelligence, sans faire tort à la certitude du motif et de l’assentiment. » Loc. cit., n. 105, p. 153. Voir pour la réponse aux objections, Croyance, col. 2387, 2388. Sur cette double certitude, et d’autres questions plus approfondies qu’on ne le fait d’ordinaire en logique, voir Jeannière, Criteriologia, Paris, 1912.

b) Qu’entend-on par certitude morale' 1. — La seconde espèce de certitude dont nous venons de parler prend souvent aujourd’hui le nom de certitude morale. Et par suite, l'évidence imparfaite qui lui répond du côté de l’objet prend le nom d'évidence morale. Voir Évidence, col. 1726. Newman dit à ce sujet : « Cette certitude et cette évidence sont souvent appelées morales, mot que j'évite comme ayant un sens très vague. » Grammar of assent, c. viii, Informai infcrence, Londres, 1895, p. 318. En tout cas, il faut avoir soin de le bien définir quand on l’emploie. On parle souvent d’une « certitude morale » qui n’est pas une vraie certitude, mais seulement une grande probabilité ; « elle s’appuie sur des motifs assez solides pour nous permettre d’agir prudemment dans le cours ordinaire de la vie… Le consommateur qui va à l’hôtel est moralement sûr que les mets ne sont pas empoisonnés. » P. Hugon, La lumière et la foi, 1903, p. 68. S’il n’y a pas doute alors, c’est qu’on ne réfléchit pas ; si l’on réfléchissait, on verrait que l’empoisonnement n’est pas impossible ; on peut donc alors sans imprudence et sans déraison conserver un doute dans l’esprit ; mais on n’en tient pas compte dans la pratique : on agit comme si on ne doutait pas, et l’action est prudente. Une pareille « certitude morale » , quand elle est ainsi accompagnée de doute et n’a pas plus de fermeté que d’infaillibilité, ne peut suffire à personne pour les préambules de la foi ; à plus forte raison ne peut-elle suffire aux esprits plus cultivés et plus exigeants, les seuls dont nous nous occupons en ce moment. Nous n’admettons donc ici, sous le nom « de certitude morale, qu’une vraie certitude, infaillible par ses motifs, et ferme au moins à l’aide de la volonté qui, à défaut d'évidence stricte, exclut le doute de l’esprit. Et nous allons examiner les diverses définitions ou explications que l’on a données de ce mot < moral » .

Une première définition, que l’on rencontre souvent, est tirée de la matière du jugement certain : la certitude morale est celle qu’on a dans l’ordre des choses morales, » en faisant entrer assez confusément dans cet ordre de choses les principes moraux, les règles de l'éthique et de la prudence, les mœurs et instincts qui guident l’action humaine, la pratique de la vie, l’histoire, etc. Mais d’abord, ou devrait définir une certitude par son élément formel, par ses notes caractéristiques, et non par la matière, si vague du reste, sur laquelle elle tombe. Ensuite cette définition, malgré une certaine valeur approximative, prête à une double erreur : a) à confondre avec la vraie certitude Cet ! grande probabilité dont nous parlions tout a heure, < ; ir elle aussi appartient à l’ordre de la pratique et des mœurs ; b) à faire croire que la vraie certitude inévidente, celle dont nous parlions tout à l’heure, a’appai tient qu'à cet ordre des choses morales. Ce <|iii est f ; iux car : elle se rencontre souvent dans l’ordre />/ » /tique, dans les sciences naturelles ; telle est, comme le remarque Newman, la certitude de la rotation de la terre, même chez un savant ; la certitude de plusieurs

lob physiqi b tenu es pai une Induction contri

quelle on peut avoir des doutes Imprudents. Loc. cit.,

p. 322, 323. Plusieurs vérités d’ordre métaphysique n'échappent pas non plus à de pareils doutes, et ne s’imposent pas avec l'évidence stricte et irrésistible ; de même plusieurs vérités philosophiques de sens commun, à cause de leur évidence confuse. Voir Croyance, t. iii, col. 2369 ; Évidence, t. v, col. 1729.

Une seconde définition part plutôt de la différence des procédés que suit l’esprit humain pour arriver à la certitude. Il y a le procédé analytique ; ainsi en est-il dans ces vérités immédiatement évidentes où l’analyse des termes nous montre du premier coup que l’attribut est contenu dans le sujet, et dans les conclusions tirées de ces vérités. Il y a un certain procédé synthétique, où l’historien, par exemple, ou bien le juge dans un tribunal, après avoir recueilli une foule d’indices, de « probabilités convergentes » , apprécie, tout cet ensemble, et peut arriver parfois à un jugement vraiment certain. Voir plus haut, col. 196. C’est ce que Newman appelle raisonnement non-formel, informai, c’est-à-dire qu’on ne peut mettre en forme, dont on ne peut rendre compte par une série d’analyses et de syllogismes. En effet, si nous voulions aligner sur le papier tous les raisonnements que nous avons faits, tout ce qui nous a amenés à cette conclusion, tout ce qui a défilé rapidement dans notre esprit habitué à grouper tout cela à sa façon, à l’aide de certaines simplifications instinctives et de certains schématismes, nous omettrions des points qui nous ont touchés, nous nous perdrions dans nos analyses ; écrasés par leur complication, ou bornant notre vue à une partie seulement. nous n’aurions qu’une fausse appréciation de l’ensemble. Parce qu’il faut donc renoncer à l’analyse, ce procédé, si sûr qu’il soit, déroute les esprits habitués à la seule analyse, et dans les cas mêmes où il donne une vraie certitude, occasionne facilement des doutes déraisonnables. Voir Croyance, col. 2387. Comme les scolastiques appellent ce procédé seslimatio prudenlium, œslimalio moralis, ne pourrait-on pas définir la certitude morale « celle qui s’appuie sur une estimation morale ! » On l’opposerait à la certitude mathématique, où l’on peut, par des analyses détaillées, rendre raison du processus et de toutes ses parties. Cette définition est meilleure que la précédente : toutefois elle ne répond qu’incomplètement à ce que l’on entend aujourd’hui par « certitude morale » . Pourquoi ? Parce que les doutes déraisonnables, dont la possibilité correspond à ce qu’on entend par « certitude morale » , ne naissent pas seulement de ce procédé synthétique, mais d’autres causes encore, et qu’ils peuvent s'élever même dans les procédés analytiques, par exemple, s’ils ont une certaine longueur, comme nous l’avons remarqué plus haut.

Une troisième définition part de ce fait, que les doutes déraisonnables viennent beaucoup du cœur, de l’influence des passions et des mauvaises dispositions morales du sujet pensant, et qu’ils attaquent facilement les vérités morales et religieuses, parce qu’elles gênent les passions et les vices. Voir Croyance, col. 2368 ; Évidence, col. 1726. Le changement du cœur, au moins commencé, les bonnes dispositions morales, sont donc nécessaires à la certitude de ces vérités. De là îles définitions comme celles-ci : « la certitude morale, à proprement parler, est celle où l’adhésion de l’esprit est donnée sous l’influence îles dispositions morales. La certitude morale, telle qu’on l’entend aujourd’hui, a pour objet les vérités historiques ou métaphysiques qui influent vraiment sur la vie morale, comme la résurrection du Christ, l’immortalité de l’Ame, La certitude morale, au sens propre, est celle qu’on ne peut avoir tan » certaines dis positions mondes. C’est celle dont nous nous servons surtout en apologétique. Tanqucrcy, Synopsis Iheo

loglm fundamentalis, 13' "lit., 1910, p. 16. Cette défi

nition a l’avantage de mettre en relief le caractère libre et moral de la certitude dont nous parlons, et de la considérer dans la plus importante partie de son domaine, les grandes vérités morales et religieuses. Cependant elle est incomplète, elle aussi, soit parce que les doutes imprudents ne viennent pas seulement des mauvaises dispositions du sujet, mais supposent toujours du côté de l’objet, tel qu’il nous apparaît dans le processus mental, un défaut de clarté, une manifestation moindre qu’on appelle 1' « évidence imparfaite » ; soit parce que, parmi les dispositions défectueuses du sujet, origine de ces doutes, il ne faut pas considérer seulement les mauvaises dispositions morales, les vices du cœur, mais aussi les défauts de l’esprit, qui suffiraient à eux seuls à empêcher souvent l’adhésion de l’intelligence, même avec une moralité parfaite. L’esprit a, lui aussi, ses dispositions maladives, et peut facilement contracter des habitudes funestes ; la bonne éducation de l’esprit, l’hygiène de l’esprit, est ici aussi nécessaire, proportion gardée, que l'éducation du cœur et l’hygiène morale. VoirCROYANCE, t. iii, col. 2383, 2384. Si Augustin, dans sa jeunesse, a été poussé à l’hérésie et à l’incrédulité par ses passions, il l’a été aussi par la confusion des méthodes des diverses sciences, et les exigences déraisonnables d’un esprit mal formé : « Je voulais être certain des choses que je ne voyais pas comme j'étais certain que sept et trois font dix. » Confessions, 1. VI, c. iv, P. L., t. xxxii, col. 722. Brugère caractérise donc plus complètement l'évidence ou la certitude morale, quand il remarque que l'évidence stricte, celle que l’on considère ordinairement, détermine également tous les esprits, parce qu’elle ne demande aucune disposition spéciale de l’esprit et du cœur ; que 1' « évidence morale » au contraire, parce qu’elle dépend de ces dispositions, n’entraîne pas également tout le monde. De vera religione, Paris, 1878, p. 268. Suarez avait déjà parlé d’une « évidence morale » qui dépend des dispositions du sujet : « Durand, dit-il, prétend que les miracles faits en témoignage de la vérité ne peuvent en donner l'évidence. Son opinion est peut-être vraie de l'évidence mathématique, mais non pas de l'évidence morale, suffisante à convaincre un esprit qui ne soit pas trop mal disposé. » In III* m D. Thomse, q. xliv, disp.XXXI, sect. ii, n. 7, Opéra, Paris, 1860, t. xix, p. 486. Pour la manière dont les dispositions morales peuvent influer sur l’assentiment et en particulier sur l’assentiment aux préambules de la foi, voir Crédibilité, t. iii, col. 2220-2222.

De ces recherches, concluons que, si l’on voulait avoir une définition plus complète de l'évidence morale, on pourrait dire, par exemple : c’est une manifestation de l’objet (ou des motifs d’assentiment) suffisante à rendre l’assentiment infaillible, mais d’autre part, à cause d’un certain manque de clarté, insuffisante à rendre l’assentiment ferme et à empêcher les doutes imprudents, si elle n’est aidée par les bonnes dispositions du sujet ou sa libre volonté. La certitude morale, qui correspond à cette évidence morale, pourra se définir : une certitude qui doit à ses motifs une vraie infaillibilité, mais non pas toute sa fermeté d’adhésion, dont elle est redevable, en outre, aux bonnes dispositions du sujet ou à la volonté libre.

c) Division ternaire de la certitude en métaphysique, physique et morale. — Que dire de cette division, qui ne se rencontre pas dans les premiers temps de la scolastique, mais à une époque plutôt tardive ? Quel qu’ait été son succès dans les manuels de philosophie, elle nous semble obscurcir plutôt qu'éclairer la question de la certitude, et en plusieurs endroits, celle de la foi divine. Et d’abord, on ne s’accorde pas pour la manière de l’entendre.

Pour plusieurs, la certitude dite métaphysique a

I pour caractéristique « l’impossibilité absolue de se tromper, » ce que nous avons appelé « l’infaillibilité » ; et les deux autres ne sont de vraies certitudes qu’autant qu’on peut « les ramener à la certitude métaphysique. » Mais alors, dites qu’il n’y a qu’une seule vraie certitude ; ne divisez pas la vraie certitude en trois espèces qui n’en sont pas, qui ne peuvent avoir que des différences matérielles insignifiantes pour la question. Et puis, par ces noms, vous donnez occasion de croire faussement qu’il n’y a de certitude vraie que dans l’ordre métaphysique, jamais dans l’ordre physique ou moral. Sylvestre Maurus, un des premiers scolastiques chez qui nous trouvons exposée cette division ternaire, mentionne cette explication et la combat. Opus theologicum, q. cxxvii, n. 6, Rome, 1687, t. ii, p. 404.

Pour les autres partisans de cette division, la certitude physique et la certitude morale sont de vraies certitudes, mais d’un degré inférieur. — Afin de prouver la division ternaire ainsi comprise, on part de la considération d’une certitude qui est dans les choses elles-mêmes. Cette certitude n’est que la détermination d’une chose à être ou à agir. Plus une chose est nécessairement ce qu’elle est, ou plus elle produit nécessairement son effet, plus elle a cette certitude. Ainsi l'être nécessaire est plus « certain » que l'être contingent, qui n’a qu’une nécessité hypothétique ; la causalité nécessaire est plus « infaillible » , atteint plus « infailliblement » son effet, que la causalité contingente et libre. De ces divers degrés de nécessité ou d’infaillibilité dans les choses, doivent naître divers degrés de certitude dans nos jugements. « Suivant que le lien entre l’attribut et le sujet est plus ou moins nécessaire, dit le P. de Mandato, il faut qu’il y ait différentes espèces de certitude. Car ou bien l’attribut appartient au sujet absolument, c’est-à-dire en toute hypothèse, ainsi appartiennent à une chose ses attributs essentiels, à l’homme d'être un animal raisonnable ; ou bien l’attribut ne lui appartient qu’en vertu d’une supposition (hypothétiquement) : et alors cette supposition est fondée ou sur une loi physique universelle, qui sans détriment de l’essence peut être suspendue par Dieu, comme la loi de l’attraction des corps ; ou sur une loi morale universelle qui, en général, ne trompe pas, car elle résulte de la direction naturelle de la nature humaine vers le bien, mais qui peut manquer dans un cas particulier par l’intervention de la liberté humaine : par exemple, que les mères ne tuent pas leurs enfants. Dans le premier cas, nous avons la certitude métaphysique, dans le second cas, la certitude physique, dans le troisième, la certitude morale. » Inslitulioncs philosophiez, Rome, 1894, n. 257, p. 149. Critique. — Nous voyons bien qu’il y a là trois degrés de nécessité dans les choses, ou d’impossibilité dit contraire : le premier qui n’admet pas d’exception, le second qui admet l’exception du miracle, le troisième qui admet des exceptions du côté même de la liberté humaine. Ou bien trois sortes de lois : les lois essentielles et absolument nécessaires des êtres ; les lois physiques, contingentes au moins dans leurs effets ; les lois morales qui ne sont que des manières ordinaires d’agir, basées sur des instincts que la liberté fait parfois fléchir. Mais nous ne voyons pas là une division exacte et adéquate de la vraie certitude. Posons le cas particulier et pratique, que ces lois générales servent à prévoir : « l’effet de cette loi physique, de cette loi morale, va-t-il se produire dans tel cas ? » Puisque nous savons qu’il y a toujours des exceptions possibles, de deux choses l’une : ou bien nous n’aurons la vraie certitude dans aucun de ces cas particuliers, ce qui a fait dire que la certitude physique et la certitude morale, ainsi définies, ne sont pas de vraies certitudes ; ou bien nous tâcherons

d’exclure l’hypothèse d’une exception pour le cas présent, et nous y arriverons peut-être par un ensemble de probabilités convergentes, de manière à avoir une vraie certitude, voir col. 195 : ainsi, insuffisamment renseignés sur la vérité d’un témoignage collectif par cette loi morale, que les hommes ont un instinct de véracité, nous recourrons à la convergence des témoins. Mais voilà une nouvelle espèce de certitude, en dehors de la division ternaire, telle qu’on l’a expliquée : celle-ci n’est donc pas adéquate. De plus, ces mots de « certitude physique » , de « certitude morale » , par eux-mêmes disent plus que ces lois physiques et ces lois morales auxquelles vous limitez votre attention on ne sait pourquoi. « J’existe » : est-ce là une vérité métaphysique ? Non, je suis un être contingent. Une vérité morale ? Évidemment non. Reste donc que ce soit une vérité de certitude physique, si votre division de la certitude est adéquate. Et cependant mon existence n’est pas une loi physique, ni un fait que mon esprit déduise d’une loi physique. Vous voilà obligés d’agrandir vos cadres, de faire entrer dans la certitude physique tous les faits d’ordre physique, dans la certitude morale tous les faits plus ou moins d’ordre moral. Et c’est i : i que va apparaître plus complètement le faible du système.

Vous partez de la certitude qui est dans les choses, et vous supposez avec une apparence de logique qu’il doit y avoir une exacte proportion entre cette certitude et celle qui est dans notre esprit : à une vérité plus nécessaire nous devons plus adhérer, et c’est ce qui met la certitude métaphysique au-dessus des autres. Mais cette certitude que l’on attribue aux choses pour exprimer leur plus ou moins de nécessité, de détermination, ou le fait qu’elles sont connues de nous avec certitude, n’est qu’une figure de rhétorique et un terme impropre. « Je n’aime pas, dit avec raison Arriaga, que l’on mette une certitude du côté de l’objet, puisque la certitude se tient tout entière du côté de l’acte : une pierre connue n’est pas certaine, mais la connaissance de cette pierre peut être dite certaine ou incertaine. » De même pour l’infaillibilité, que l’on se figure parfois dans l’objet, dans la vérité perçue, dans les motifs : « Une pierre n’est ni infaillible ni faillible. Il y a deux éléments de la certitude (infaillibilité et fermeté) : mais tous deux doivent être mis dans le sujet pensant. » Dispulaliones théologies, Anvers, 1649, t. v, p. 58. C’est la pure doctrine de saint Thomas ; d’après lui la certitude, l’iniaillibilité ne sont dans les choses que par une métaphore ou quelque autre trope, transferuntur : Nomtna qu.ee, ad eognitionem pertinent, ad naturales operaliones transferuntur ; sicut dicitur quod natura sagaciler operatur, et infallibiliter ; et sic eliam dicitur certitudo in natura lendenle in finem. In IV Sent., I. III, q, xxvi, a. 1. Aussi ajoutc-t-il que la certitude n’est dans les ii livres de la nature qu’analogiquement, per similitudtnem et participative, ad 1'"". De ce que la certitude, improprement considérée dans les cho i i munie une ité d'être, est plus grande dans l’ordre métaphysique, où la nécessité est absolue et souveraine, vous concluez que les vérités métaphysiques donneront à mon esprit une souveraine Certitude, en prenant ii i i.i certitude au sens propre : vous ne concluez du même au même, mais de l’analogue à l’ana . raisonnement trompeur. Et l’expérience vient montrer la fausseté de la conclusion, i II arrive, observai ! déjà Maimis, qæ notre certitude SOit, non pas moins grande, mais au contraire plus grande à l'égard tains objets d'évidence morale ou physique, qu’a d de beaucoup d’autres qui sont d'évident métaphysique : par exemple, Je n’ai pas une moindre certitude de ma propri ce, ou di l’exlsteno

d’un pays étranger, qui di certaines propositions

métaphysiquement évidentes. » Loc. cit., n. 11, p. 405. Et cela se comprend : notre certitude, soit comme manifeste impossibilité d’erreur (infaillibilité), soit comme exclusion de crainte et de doute (fermeté), dépend beaucoup de la manière dont l’objet est saisi par notre esprit ; ma propre existence, si contingente qu’elle soit, m’est intimement et concrètement présente à moi-même, c’est un objet que je saisis d’une emprise plus sûre et plus ferme que bien des vérités métaphysiques très ardues, ou que la conclusion d’un calcul mathématique un peu long. D’ailleurs, la certitude métaphysique en nous peut d’autant moins surpasser les autres qu’elle dépend du fait physique de la conscience que nous en avons, de la certitude physique que nous avons d'être à l'état de veille, et souvent de la certitude physique que les parties précédentes d’un long calcul, d’un long raisonnement ont été bien faites, et que nous pouvons nous fier à notre, mémoire. Encore dans tout cela se mêle-t-il souvent des estimations morales. — J’existe : ce simple fait physique, c’est ce que Descartes, s’efforçant de douter de tout, a expérimenté comme la chose la plus indubitable de toutes. Nous sentons aussi que nous ne pouvons pas plus douter de l’existence d’un pays que nous n’avons pas vu que d’un principe métaphysique et que cette certitude est infaillible. On n'éclaircira pas beaucoup cette question de certitude morale en notant que, dans le raisonnement sur cette concordance d’innombrables témoins, intervient un principe métaphysique (ce que nous ne nions pas) et en donnant, de ce chef, à la certitude de la conclusion le nom de « métaphysieo-morale ou de quasimétaphysique, » de même que, dans un miracle transmis par des témoins sûrs, on qualifiera la certitude de « métaphysico-physico-historique » . P. Lagæ dans la Revue thomiste, 1910, p. 640, 641. Il n’est conclusion qui ne dépende de quelque principe métaphysique de premier ordre, quand ce ne serait que de celui de contradiction. Un tel principe, associé à une prémisse moralement certaine, ne relèvera jamais la conclusion au-dessus de la certitude morale, quelque idée qu’on ait de celle-ci ; c’est la remarque du P. Hugueny : « Le P. Lagae nous dira sans doute, pour n’oublier aucune des qualités de sa démonstration, que c’est une certitude physico-historico-moralo-métaphysique. Pour moi, imbu que je suis du vieux préjugé des logiciens, pejorem sequitur semper conclusio parlent, je dirai simplement qu’il s’agit ici d’une certitude morale. » Revue thomiste, 1910, p. 650.

On voit combien peu est justifiée cette division ternaire, et cette certitude suprême, que l’on suppose dans notre esprit au sujet de. toute vérité métaphysique. Tout bien considéré, il ne reste donc qu’une division sérieuse de la certitude proprement dite, et en deux espèces : la certitude d'évidence (parfaite), et la certitude que les anciens appelaient Inévidente, que les modernes appellent d'évidence imparfaite ou d'évidence morale. Le P. Gardeil ne veut pas reconnaître cette seconde espèce comme appai tenant à la vraie certitude, i II n’y a pas, dit-il, de milieu entre la science

(procédant de l'évidence parfaite et nécessitante) et l’opinion. » On pourrait objecter que saint Thomas semble avoir trouvé un milieu, la foi ; mais sans insister là-dessus, pourquoi n’y aurait-il pas de milieu entre la science et l’opinion ? Tarée que, répond le H. Père, le viai se modèle sur l'être… Or tout être est nécessaire ou contingent. 1)one toute vérité est néi

aire ou contingente. La crédibilité et V apologétique,

2< l’Iit.. p. 164. La conclusion est rigoureuse : mais de quel droit prend on ensuite (sans aucune preuve)

comme synonymes, * comme corrélatifs, ces deux termes : une vérité contingente, un objet d’opl nion ? » Loc. cit., p. 165. Alors mon existence, vérité

contingente, est pour moi un objet d’opinion, et j’ai la crainte du contraire, caractéristique de l’opinion d’après saint Thomas et tout le monde ? Et ne venonsnous pas de montrer que la nécessité et la contingence des vérités ne sont pas la mesure exacte des degrés de notre certitude ? Voir ce que nous avons dit contre Soto, col. 96.

10° Peut-on exiger, avant de croire, d’avoir l'évidence parfaite des préambules, par exemple, du fait de la révélation ? — Non ; c’est assez de l'évidence imparfaite ou « morale » dont nous venons de parler. Nous le prouverons : 1. par l'Évangile ; 2. par les documents ecclésiastiques ; 3. par le raisonnement théologique.

1. L'Évangile. — Jésus fait entendre à l’adresse des Juifs ces paroles de blâme : « Si vous n’avez pas vu des signes et des prodiges, vous ne croyez pas. » Joa., iv, 48. Que veut-il précisément leur reprocher ? Est-ce de demander quelque motif de crédibilité avant de croire à sa mission, de demander en particulier le miracle ? Il ne pourrait les en blâmer, puisque lui-même leur recommande de croire à cause de ses œuvres extraordinaires, voir col. 69 ; puisqu’il dit à leur sujet : « Si je n’avais pas fait au milieu d’eux des œuvres que nul autre n’a r aites, ils seraient sans péché, « donc sans reproche. Joa., xv, 24. Dans leur désir du miracle, on ne peut concevoir qu’une chose qui attire des reproches : c’est qu’ils exigent trop en ce genre avant de croire : ce qu’exprime d’ailleurs la phrase du Sauveur par cette accumulation emphatique : « des signes et des prodiges, » et aussi par le mot « voir » : ils veulent voir tout cela de leurs yeux, tandis qu’un miracle, attesté par des témoins dignes de foi, devrait leur suffire. C’est dire, équivalemment, qu’il ne faut pas exiger, avant la foi, une évidence de preuves qui saute aux yeux et force à croire ; qu’il faut savoir se contenter de moins, par conséquent d’une évidence imparfaite, d’une certitude morale.

Même excès d’exigence chez l’apôtre Thomas : « Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, etc., je ne croirai point. » Joa., xx, 25. Il aurait dû se contenter de la grave attestation de témoins nombreux et qu’il savait dignes de foi, sans exiger pour lui-même une apparition du Christ ressuscité, avant de croire ce grand mystère. Jésus le lui fait sentir en louant devant lui « ceux qui n’ont pas vu et qui croient. » Le P. Félix montre très bien la déraison de pareilles prétentions, renouvelées par quelques incrédules de son temps : « Que de faits dans l’histoire, admis par vous comme certains, et que vous n’avez pas vus, et que vous ne pourrez jamais voir ! … Vous voulez voir le miracle, le voir de vos yeux et le toucher de votre main ? Mais apparemment tous les autres simples mortels comme vous ont le même droit que vous. Il faudra donc que chacun, pour croire, soit admis au moins une fois dans sa vie à la faveur de voir et de toucher lui-même le fait miraculeux. Que dis-je, une fois ? ce ne sera pas assez… Êtes-vous bien sûr que le miracle qui a convaincu le jeune homme de vingt ans suffira encore pour convaincre le vieillard de soixante ans ? Il faudra donc que, pour raffermir votre conviction, Dieu fasse de nouveau pour vous seul un miracle, puis un autre, puis un autre encore… Est-ce que vous ne voyez pas qu’avec cette exigence, en apparence si simple, vous aboutirez à multiplier le miracle à l’infini, à substituer l’exception à la règle, et, comme conséquence dernière, à jeter dans la création cette perturbation que vous objectiez tout à l’heure comme la conséquence du fait miraculeux ? » Conférences de Notre-Dame, 1864, ive conférence, p. 216.

2. Indications fournies par les documents ecclésiastiques.

Détail assez remarquable : quand ils mentionnent en passant le degré de lumière ou de convic I tion avec lequel les préambules de la foi doivent être connus par la raison naturelle, ils parlent toujours de " certitude » , mais jamais d' « évidence » , ce dernier terme étant réservé dans l’usage théologique à l'évidence stricte ou nécessitante. Pour le préambule de l’existence de Dieu et de ses attributs, le concile du Vatican dit : cerlo cognosci posse. Pour les miracles, preuves du fait de la révélation, il anathématisc celui qui dirait qu’ils ne peuvent jamais cerlo cognosci. Et Léon XIII, encyclique JElerni Palris, les appelle cerla argumenta. Pour le fait de la révélation, Pie IX, encyclique Qui pluribus, dit que la raison humaine doit s’en enquérir, ut cerlo sibi constet Deum esse loculum. Les arguments en faveur de ce fait sont appelés mira, splendida, etc., mais jamais evidenlia : ce terme est toujours évité. Le concile du Vatican parle de V evidenlia credibililatis, mais cette alliance de mots a un sens particulier qui sera expliqué tout à l’heure. Le mot demonstrare est quelquefois employé, mais ne dit pas nécessairement un argument absolument irrésistible. Pour les textes, voir plus haut, col. 189 sq.

Le concile de Cologne, en 1860, a formulé explicitement la doctrine que nous défendons : « On donnerait trop à la raison, dit-il, si, quand il s’agit de prouver le fait de la révélation, on exigeait des arguments qui non seulement excluraient tout doute prudent, mais encore par leur évidence enlèveraient à l’homme toute possibilité de concevoir un doute quelconque, même imprudent. » Part. I, c. vi, dans Colleclio lacensis, t. v, col. 279.

3. Raisonnement Ihéologique.

Puisque la foi est nécessaire au salut, qu’elle est le fondement de toute la vie chrétienne, voir col. 84, et que « le juste vit de la foi, » elle doit être possible à l’infidèle en train de se convertir, facile au chrétien pour qu’il en fasse, s’il le veut, des actes fréquents ; d’où il suit que nul théologien, nul philosophe, n’a le droit, sans une preuve convaincante, de surcharger l’acte de foi de conditions restrictives qui le rendraient beaucoup plus difficile et même impossible à un grand nombre, même de ceux qui sont le mieux doués pour l’intelligence et l’instruction apologétique, et que nous considérons en ce moment. Or, si vous exigez, comme condition de l’acte de foi, que le fait de la révélation soit prouvé avec une évidence parfaite et nécessitante, vous le rendez bien plus difficile et plus rare ; vous le rendez même impossible, peut-être à tout le monde (car, d’après plusieurs théologiens, pareille évidence de ce fait est impossible en cette vie, c’est une question sur laquelle nous reviendrons), en tout cas au plus grand nombre. Pour avoir le droit de poser une condition aussi restrictive de la foi, quelle preuve convaincante apportez-vous ? Que, sans l'évidence nécessitante, il n’est pas d’adhésion ferme, ni de certitude digne de ce nom ? Mais nous avons prouvé le contraire, à propos des diverses espèces de certitude. Voir col. 207. Que les influences affectives et volontaires qui caractérisent la certitude morale, avec leur caractère subjectif, ne peuvent que jeter dans l’erreur ? Mais dans un cas comme le nôtre elles sont « légitimes ouvrières de vérité. » Voir Crédibilité, t. iii, col. 2220-2222. Qu'à l’importance suprême de la question religieuse doit répondre l'évidence suprême des arguments ? Mais nous avons prouvé le contraire avec Newman et Gladstone. Voir Croyance, t. iii, col. 2394, 2395. Que la preuve des préambules étant l’unique fondement de l’acte de foi, cet acte, qui doit être de la plus haute certitude, exige que ce fondement ait la plus haute perfection intellectuelle ? Mais nous montrerons que la preuve des préambules n’est pas l’unique ni le principal fondement de la certitude singulière de l’acte de foi. Voir plus loin ce qui sera dit de la certitude et de l’analyse de la foi. D’ailleurs, pour certain qu’il soit,

l’acte de foi est obscur, voir plus loin ce qui scia dit de l’obscurité de la foi : donc rien d'étonnant à ce qu’il n’exige pas dans ses préambules la plus lumineuse évidence.

11° Qu’enlend-on par « évidence de crédibilité » ? — Cette expression théologique a été consacrée par le concile du Vatican : evidenlem fidei christianee credibililatem. Sess. III, c. iii, Denzinger, n. 1794. Elle a son origine dans la formule : « Les mystères de notre foi ne sont pas évidemment vrais, mais ils sont évidemment croyables, » evidentcr credibilia, formule devenue commune chez les scolastiques, mais entendue différemment par eux ; de là une obscurité à dissiper.

1. Le sens originel de la formule paraît être : Les mystères n’ont pas et ne peuvent avoir d'évidence intrinsèque, mais ils sont connaissables par le témoignage et la foi ; si l'évidence intrinsèque (à laquelle ces anciens scolastiques réservaient le nom d'évidence) ne peut tomber sur les mystères, sur leur vérité, elle peut du moins tomber sur la vérité des préambules qui les rendent croyables : je puis démontrer intrinsèquement l’existence de Dieu, sa science, sa véracité, l’obligation de la croire s’il révèle ; je puis voir son envoyé, ses miracles, ou du moins voir les documents, les témoins ecclésiastiques qui attestent tout cela ; à la base de toute connaissance par le témoignage se trouvent des principes et des faits, Intrinsèquement connus par la raison et l’expérience. Nous voyons d’abord quelque chose, pour croire ensuite autre chose que nous ne voyons pas, suivant la pensée de saint Augustin. Voir col. 189 sq. Sur la nature de l'évidence intrinsèque, et sa différence de l’extrinsèque, voir Évidence, t. v, col. 1727, 1728. Entendue ainsi, la formule en question s’oppose, par son premier membre, au rationalisme qui veut pénétrer et démontrer philosophiquement les mystères ; par son second membre, au fidéisme qui s’arrête au témoignage, à l’extrinsèque, sans remonter, comme il est nécessaire, à une première connaissance intrinsèque et rationnelle qui montre la crédibilité des mystères. C’est ainsi que la formule est entendue par Cajetan ; il se plaint que les gens peu perspicaces ne discernent pas entre la connaissance qui est certaine ex evideniia rci cognilæ, et celle qui est certaine ex evideniia leslimoniorum. Comment, in II"* II*, q. i, a. 4, n. 3, dans l'édit. romaine de saint Thomas, t. viii, p. 14. Et parlant de l’ange à sa création, en face des révélations divines : Angélus… de revelatis, primariis sallem, ut Trinilale et beatiludine supcrnaturali, fideni habebalEvideniia enim suæ cognilionis tcrminabatur ad Deum ut revclanlem (les préambules de la foi) et non ultra procedebal… Ex hoc enim non videbat Deum esse Irinum, etc., q. v, a. 1, n. 5, p. 56. S’il admet la possibilité d’une évidence parfaite et nécessitante du té moignage divin, au moins dans l’ange dont il parle, il m fait pas d’une telle évidence la condition nécessaire de la foi. Au contraire, au premier endroit cité, il va jusqu'à admettre qu’une chose fausse peut par des témoignages devenir croyable pour quelqu’un, et qu’il peut avoir l'évidence de ; l’obligation d’y donner son assentiment, ce qui regarde la certitude relative, dont nous parlerons plus bas. Pour les textes et la pensée de i lajetan, voir Chkdibilité, t. iii, col. 2283, 2284.

2. La formule a été prise plus tard dans un sens différent. Sans plus s’occuper de distinguer entre L'évidence de la vérité en elle-même et l'évidence du I' moignage ou des préambules de la foi, on a appliqué l.i formule à dire que l'évidence de ces préambules, eu particulier du fait de la révélation, n’est point parfaite. Les mystères seraient cvidrnltr vera, d’après Cette nouvelle explication, si les motifs de crédlbllttl avaient une évidence nécessitante ; ils ne sont <'evidenier credibilia, parce que les motifs de crédibilité

n’ont qu’une évidence morale. Ces motifs, ne forçant pas à admettre le fait de la révélation, ne forcent pas non plus à admettre les dogmes, mais seulement montrent qu’ils sont croyables, que la volonté peut et doit commander l’acte de foi. Citons quelques théologiens qui entendent ainsi la formule. « Ces notes (ces motifs de crédibilité) rendent nos mystères évidemment croyables ; car pour cela il suffit qu’elles prouvent l’obligation de les croire à cause du témoignage divin, et qu’elles la prouvent d’une manière qui soit jugée moralement évidente et certaine, et qui engage tout homme prudent à les croire ainsi. De là il ne suit nullement que les mystères soient rendus pour nous évidemment vrais, ce qui supposerait une telle évidence de vérité que l’intelligence en fût tout à fait (irrésistiblement) convaincue. » Coninck, De moralitale supernaturalium, etc., disp. XI, n. 47, Anvers, 1623, p. 206. « Nous ne connaissons pas avec évidence. disent les Salmanticenses, l’existence du témoignage divin, nous avons seulement l'évidence de crédibilité qu’il existe. » Cursus theologicus, Paris, 1879, t. xi, dist. III, n. 32, p. 204. Ici 1' « évidence » tout court signifie, selon l’usage scolastique, l'évidence parfaite, nécessitante ; 1' « évidence de crédibilité » , qu’on lui oppose, doit donc signifier l'évidence imparfaite, morale. « La démonstration du fait de la révélation dont nous parle le concile du Vatican, écrit le P. Hugueny, nous donne la certitude morale, mais non point une évidence telle qu’elle exclut toute possibilité de doute. Nos vieux thomistes ont enseigné, au sujet de la démonstration du fait de la révélation, qu’elle pouvait bien nous donner l'évidence de crédibilité, comme on disait autrefois, la certitude morale, comme on dit aujourd’hui, mais non pas l'évidence absolue. » Revue thomiste, 1910, p. 650, 651.

Dans quel sens le concile du Vatican a-t-il pris les mots cités plus haut, evidenlem fidei christianse credibililaleml Nous pouvons le savoir par l’histoire du concile. Cette phrase figurait déjà dans le schéma ou projet de décret ; or le mot evidenlem déplut à quelques-uns comme trop fort, étant donné l’usage scolastique qui entend ordinairement par evideniia l'évidence stricte et irrésistible. Le P. Jandel, général des dominicains, faisait remarquer qu’il est possible de nier les dogmes révélés, et que l’on s’accorde à reconnaître qu’ils ne sont pas évidents ; il proposait de remplacer evidenlem par certam ou indubiam. L’historien du concile rapporte ensuite, d’après les Actes inédits, comment un autre Père, Mgr Meurin, résolut cette difficulté : « Est croyable, credibile, dit-il, tout ce qu’il esl prudent d’admettre. Le schéma déclare simplement qu’il est évident que, nous pouvons et que nous devons croire : en effet, nous pouvons et nous devons croire une assertion dès que nous avons la certitude morale qu’elle a été révélée… Qu’on distingue donc une vérité évidente et une crédibilité évidente, comme le font les théologiens. Suivant eux. le contenu de la révélation chrétienne est évidemment digne de foi, non évidemment vrai : il n’est pas évidemment vrai, car on peut avoir des doutes sur son objet, et il va. de fait, des gens qui en ont ; il est évidemment digne de foi, puisque nous voyons, d’une façon évidente l’obligation de croire. » Grandcrath, Histoire du concile du Vatican, trad. franc., Bruxelles, 1911, t. XI b, p. 112, 1 13. L’historien ajoute que les Pères, là dessus, décrétèrent presque à l’unanimité le maintien du mol aident. On peut donc dire que le mot ividentem, quand même on le prendrait au sens strict, ne tombe ici que sur la crédibilité pratique, sur l’obligation de croire qui nous apparaît. Le Jugement spéculatif sur le fail de la km lai ion peut n’avoir qu’une certitude

morale, basée sur une évidence imparfaite. Mais invoquant le principe réflexe patfaltement évident 21 !)

FOI

22D

qu’indique ici Mgr Meurin : « Nous devons croire une assertion dès que nous avons la certitude morale qu’elle a été révélée, » principe que nous avons prouvé plus haut, voir col. 215, nous pouvons, sans aucune faute de logique, en déduire cette conclusion parfaitement évidente, que nous avons la possibilité et l’obligation de croire : c’est 1' « évidence de crédibilité » .

Notons, en terminant, que, lorsqu’il s’agit de déterminer quelle est la valeur de notre apologétique, ou en général de notre démonstration des préambules spéculatifs de la foi, il convient d'écarter d’abord certains termes vagues, certaines questions secondaires, qui ne peuvent qu’embrouiller la question principale. Exemple : « Peut-on faire une démonstration rigoureuse, scientifique, du fait de la révélation ? » Question vaguement posée. Si les termes « rigoureuse, scientifique » signifient une démonstration mathématique et d’jne évidence qui arrache l’adhésion, on répondra non. S’ils s'étendent à signifier aussi une démonstration donnant l'évidence morale, et pouvant produire une certitude légitime et infaillible, bien que dépendante des dispositions du sujet et de sa volonté libre, on pourra répondre oui. Voir art. Apologétique, dans d’Alès, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. i, col. 246 sq. Sur la question semblable de la « connaissance scientifique » et de la « démonstration » de l’existence de Dieu, voir Dieu, t. iv, col. 923 sq. Autre exemple. Il est une controverse célèbre dans la scolastique sur la question de savoir si quelques privilégiés peuvent avoir exceptionnellement l'évidence parfaite et nécessitante du fait de la révélation, ou evidenlia aliestanlis (De/) : question bien secondaire ici, soit parce que l'évidence et la certitude morale, que l’on peut bien plus facilement avoir, a au fond la même valeur d’infaillibilité que la certitude qui procède de l'évidence nécessitante, voir col. 207 ; soit parce que de rares exceptions importent peu à l’apologétique générale ; cette question reviendra du reste a propos de l’obscurité de la foi. "Voir les justes remarques de M. Bainvel, dans la Revue pratique d’apologétique, 1908, t. vi, p. 176.

12° La certitude relative des enfants et des ignorants à l'égard du fait de la révélation exisle-t-clle, et peutelle suffire avant la foi ? — Par certitude relative (les théologiens disent certitudo respecliva), nous entendons l'état d’un esprit qui ne doute pas, fondé sur des motifs qui, tels qu’ils lui apparaissent, suffisent relativement à lui, mais non pas à tout autre, c’est-àdire qui, analysés par un esprit plus perspicace, seraient rangés parmi les motifs seulement probables et insuffisants à donner la certitude, mais qui, apparaissant à cet esprit peu développé et moins exigeant, suffisent à le convaincre : non pas qu’il réfléchisse lui-même sur la valeur de ces motifs ou qu’il les déclare absolument valables, suffisants pour donner la certitude à tous les esprits, ce qui serait une erreur, qu’il n’a pas du reste la tentation ni l’occasion de commettre, car une semblable réflexion le dépasse : mais, sans cette réflexion et cette analyse, sous la simple influence de ces motifs qui suffisent à son esprit, peu exigeant en fait de preuves, il va d’emblée à la ferme adhésion, ou il l’obtient à l’aide d’une volonté qu’il croit prudente et qui l’est en effet, la prudence dépendant des circonstances subjectives.

Des deux éléments essentiels de la vraie certitude, celle-ci n’en a qu’un, la fermeté d’adhésion. L’infaillibilité lui manque, parce que les motifs tels qu’ils apparaissent à l’esprit ne sont pas nécessairement liés avec la vérité, ou n’excluent pas la possibilité d’une erreur. Voir col. 218. Si l’on se rencontre de fait avec le vrai, on pourrait, à la rigueur, avec la même manifestation de motifs, se rencontrer avec le faux : c’est donc en partie par une heureuse chance qu’on est alors dans

i le vrai, et non pas en vertu de la seule valeur des ! motifs et de la seule perfection de l’acte qu’ils spécifient. Par là ce qu’on appelle « certitude relative n’est pas une certitude proprement dite ; et elle diffère essentiellement de la certitude « morale » et « d'évidence » imparfaite, analysée par nous, col. 207 sq. ; et de ce que celle-ci suffit dans la preuve des préambules de la foi, il ne s’ensuit pas encore que la certitude relative suffise.

Nous sommes donc en face d’une question nouvelle, et non moins difficile, pour la solution de laquelle nous présupposerons ce que nous en avons déjà dit à l’art. Croyance. Nous avons montré que, même dans ! l’ordre naturel et sur des matières qui n’ont rien de i religieux, diverses causes se réunissent pour amener ! les enfants, et beaucoup de gens qui plus ou moins

leur ressemblent, à une croyance ferme, non pas

> sans aucun motif intellectuel, mais pour des motifs intellectuels qui, examinés par un esprit plus péné ; trant, ne méritent pas cette fermeté d’adhésion. Parmi ces causes, on doit citer en premier lieu le penchant naturel à croire, à affirmer sans crainte, la tendance | naturelle à la possession de la certitude : de là ces certitudes spontanées qui sont par la suite révoquées i en doute, et alors, ou définitivement rejetées ou I transformées en certitudes contrôlées. Voir Certitude, t. il, col. 2155, 2156 ; Croyance, t. iii, col. 2371, 2372. S’il montre toute sa fraîcheur et sa force dans l’enfant, ce germe inné du penchant à croire n’est pas toujours détruit dans l’adulte par l’expérience des erreurs ainsi commises et le développement de la critique, tant s’en faut : témoin l’institution de la réclame, si bien implantée dans notre civilisation moderne, et qui atteint souvent aux proportions étonnantes d’un bluff gigantesque. « Sa puissance, remarque le vicomte d’Avenel, repose sur ce qu’il est naturel à l’homme de croire ce qu’il lit, ce qu’il entend. La défiance, l’esprit critique, n’agit qu’en seconde ligne, et chez la plupart des êtres il n’agit pas. » Revue des deux mondes, 1 er janvier 1908, p. 129. Parmi les causes qui facilitent cette certitude relative i et la fermeté de son assentiment, il faut citer encore l’ignorance des difficultés, voir Croyance, col. 2372 ; l’imagination sdsie, qui rend la croyance plus concrète et plus vivante, et par là, au moins accidentellement plus forte, col. 2373 ; l’action, qui fortifie de même la croyance par le seul fait de la mettre en pratique, col. 2374 ; l’affection et le sentiment, col. 2375 : l’influence d’autrui, non seulement sous la forme raisonnée de témoignage, mais encore sous la forme non raisonnée de suggestion, d’entraînement des foules, j de mode, de contagion du milieu, col. 2376, 2377 ; l’habitude, qui sert à maintenir l’esprit dans les con1 victions une fois établies, col. 2370.

Passant de cette description psychologique des faits à la question critique de la valeur d’une telle certitude, nous avons vu que, malgré sa grande fermeté, elle manque souvent d’infaillibilité dans ses motifs, qui ne suffiraient pas à un esprit plus averti : quand, par exemple, pour l’enfant, toute la raison d’admettre I une chose est l’autorité du témoignage de ses parents, col. 2380. Mais si, à cause de ce défaut d’infaillibilité, ce n’est pas une certitude proprement dite, d’autre part on ne doit pas la confondre avec la persuasion de pur entêtement, avec la croyance illégitime, mal formée sous l’influence des passions déréglées, avec I le sentiment de son imprudence, et malgré la réclamai tion plus ou moins étouffée de la conscience, col. 2378, 2379. De cette illégitime persuasion, la ferme adhésion de l’enfant, telle que nous l’avons décrite, se distingue par son entière sincérité, par sa prudence suffisante lors même qu’il y aurait erreur fortuite, par | sa formation qui appartient au développement natu

rel de l’esprit humain, par sa nécessité pour l'éducation en général, et en particulier pour l'éducation de l’esprit lui-même, qu’une critique prématurée rendrait impossible, col. 2380, 2381. En rés.imé, la certitude relative dont nous parlons difïère de la certitude absolue et proprement dite par son manque d’infaillibilité, de l’opinion par sa fermeté, de la persuasion d’entêtement par sa légitimité et sa prudence. Elle reçoit de plus une nouvelle valeur, sinon comme certitude, du moins comme connaissance, quand elle se trouve avoir la vérité pour elle, et par là elle s’oppose alors à la certitude erronée, à la connaissance fausse.

Ces notions générales étant supposées, reste à les appliquer sur le terrain théologique de la certitude des préambules de la foi chez les enfants et les simples. Et d’abord, une question préalable se pose.

1. Question de fait. — La certitude improprement dite que nous venons de décrire sous le nom de « certitude relative » exisle-t-elle, au sujet de quelque préambule de la foi, chez un certain nombre de fidèles de l'Église catholique elle-même ? Le problème doit être bien posé pour éviter les équivoques. Le préambule dont il est question surtout, c’est le fait de la révélation, soit qu’on le prenne en général, comme : « Dieu a parlé par le Christ, par les apôtres, » soit qu’on le prenne en particulier, comme : « La trinité, ou l’incarnation, etc., est un des dogmes révélés. » Les preuves du fait de la révélation, comme elles apparaissent à tel esprit, sont appelées les motifs (intellectuels) qu’il a d’admettre ce fait. Quand on compare la certitude avec ses motifs, comme dans la question présente, les « motifs » ne sont pas des arguments in abslracto, tels que la raison humaine la plus parfaite les produirait, ou tels qu’ils existent imprimés dans un traité d’apologétique. Non : le motif, on ne saurait trop se le rappeler, c’est ce qui, étant connu d’une intelligence concrète, et dans la mesure où il en est connu, proul apprehenditur, suffit à la mouvoir et la meut de fait à admettre telle chose. Il faut donc, sous le nom de « motif » , prendre ce qui apparaît de fait à cette intelligence, à cet enfant, photographier (pour ainsi dire) ce qui se passe dans son esprit ; c’est cela, et non pas ce qui est dans les livres qu’il faut juger, dont il faut estimer la valeur quand on veut savoir si sa certitude est infaillible « par ses motifs » , si c’est une certitude proprement dite et non pas seulement l’adhésion ferme de la certitude relative. La question présente n’est pas de savoir si l’argument des miracles ou de la résurrection du Christ, in abslracto, est de nature à donner une certitude infaillible, cela regarde l’apologétique ; ni de savoir si l’on peut accommoder, adapter ce genre de preuves même aux simples, ce qui est certain : la question est de savoir si ce qui apparaît de l’argument des miracles à l’esprit des enfants ordinaires vaudrait pour les meilleurs esprits, si de soi cette apparence est tellement liée avec la vérité du fait de la révélation qu’on ne pourrait jamais, sous la même apparence, faire passer une fausse révélation : en un mot, si cet argument, n insi

adapté et ainsi perçu, est de nature à donner une certitude Infaillible. Une preuve qui, in abslracto, a une valeur absolue, peut se trouver si mutilée, en passant par l’esprit des simples, qu’elle n’ait plus in concreto qu’une valeur relative, suffisante a rassurer cel esprit parce qu’il est peu exigeant, mais Insuffisante à en

rassurer d'.iuties. De plus, on peut concevoir une preuve faillible par sa nature, même in ttbilMClO, et

ne pouvant jamais suffire que relativement, de quel

que façon qu’on la développe : telle l’autorité <lu ténage « les parents, lorsqu’ils attestent à l’enfant,

qui les > i "it sur parole, que I Heu a pai lé, qu’il a ré élé la trinité, etc. Quel esprit cultivé pourrait se contenter du témoignage de ces deux personnes, elles-mêmes

peu instruites ? On dira que de nos jours les enfants ont plus que l’affirmation de leurs parents, ou de leur curé, pour admettre le fait de la révélation, qu’on a soin ordinairement d’ajouter quelque meilleur motif de crédibilité : oui, dans bien des cas, mais le cas contraire subsiste ; et puis il ne faut pas regarder seulement notre temps, où l’instruction est plus répandue et plus soignée, mais tous les siècles antérieurs de l'Église où déjà les simples croyaient ; or les anciens théologiens, témoins de leurs temps, nous affirment, comme nous le verrons, que beaucoup de gens peu instruits n’admettaient alors le fait de la révélation que sur cette autorité, que l’on reconnaît insuffisante à fonder une certitude infaillible.

Sur la question de fait, que nous venons de préciser, nous pouvons partager les théologiens, anciens et modernes, en trois catégories : a) Beaucoup ne l’ont pas traitée, ou en termes si courts et si vagues, qu’on ne peut distinguer nettement leur pensée ; commençons par les mettre de côté. — b) Quelques-uns ont soutenu que tous les simples, avant la foi, tiennent le fait de la révélation en vertu de motifs d’une valeur absolue, et par une certitude infaillible. On peut subdiviser ces théologiens en deux classes différentes et même opposées. Les premiers ont reconnu la faiblesse des preuves extérieures d’apologétique telles qu’elles entrent dans ces humbles esprits ; mais pour y suppléer, ils leur ont donné à tous quelque chose comme une révélation immédiate, ou un miracle intérieur. On pourrait, en effet, par cette nouvelle espèce de « motif » , arriver à une certitude rationnelle et infaillible du fait de la révélation, et le cas n’est nullement impossible : mais il y a de graves inconvénients à généraliser ce charisme de manière à le donnera zo ;  ;.s les simples ; nous en traiterons en parlant du rôle de la grâce. Les seconds, laissant de côté cette explication mystique, s’efforcent de prouver (en négligeant trop les précisions et les distinctions que nous avons données tout à l’heure sur la position du problème) que dans l'Église catholique les simples ont tous à leur portée, pour admettre le fait de la révélation, des motifs réellement valables pour tous les esprits, et qui leur donnent, bien que sous une enveloppe vulgaire qui rebuterait les délicats, une certitude vraiment infaillible ; qu’ils ont donc l’essentiel de la certitude proprement dite, avec des imperfections purement accidentelles. De ce nombre sont surtout quelques théologiens contemporains, dont nous examinerons tout à l’heure les assertions et les objections. — c) Enfin, la grande majorité des théologiens qui ont traité le sujet admet, chez, un certain nombre de fidèles, d’enfants surtout, l’existence d’une certitude « respective dans toute la force du mot, c’est-à-dire ferme, mais manquant d’infaillibilité par les motifs qui

apparaissent à l’esprit, même en les prenant dans leur ensemble quand il y en a plusieurs, même en tenanl compte du motif supérieur qui pourrait s’ajouter (mais dans quelques individus seulement) par le privilège d’une grâce extraordinaire. Nous citerons quelques-uns de ces théologiens, surtout à cause des explications utiles qu’ils ajoutent à leur affirmation, et qui seront le complément des nôtres.

Au xvii c siècle, où la question commence à se dis cuter avec ampleur, voici d’abord LugO : Il paraît incroyable, dit-il, que, toutes les fois que les fidèles rustiques et ignorants font l’acte de foi divine et surnaturelle, on leur ait auparavant présenté les articles de foi non seulement dans une mesure relative à leur Capacité, mais de telle manière qu'à égalité de motifs de crédibilité, à égal degré de preux i s. il eut été impos sible de leur proposer des articles faux. I Disputa liona, durp. IV, n. 84, Paris, 1891, i. i, p. 294. Din

qu’A égalité de molifs de crédibilité on aurait pu leur nier le faUX, c’est dire cpie ces motifs, tels qu’ils <2>-2'A

FOI

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apparaissent à leur esprit, ne sont pas nécessairement liés au vrai, et ne leur donnent pas une certitude infaillible, et proprement dite, du fait de la révélation de ces articles. Ailleurs, il montre que cette « évidence de crédibilité » , demandée par les théologiens avant la foi, est à la portée des enfants eux-mêmes, à la condition toutefois de n’entendre par là que l'évidence de ce jugement pratique : « Je peux, je dois croire. » Et à cette objection, que l’enfant arrivé à l'âge de discrétion ignore nos motifs de crédibilité, et n’en a guère d’autre que l’autorité de ses parents, il répond : « Quoique ce motif qui influence l’enfant ne suffise pas à produire l'évidence de crédibilité dans tous les esprits, il suffit cependant à lui donner à lui l'évi dence que les mystères sont prudemment croyables ; car il est évident qu’un enfant, incapable de rien vérifier par lui-même, agit prudemment en croyant ce que lui enseignent ses parents, que la nature lui a donnés pour maîtres. » Op. cit., disp. V, n. 25, p. 322. Lugo distingue donc entre préambule et préambule, entre le fait de la révélation, et la prudence et l’obligation qu’il y a de croire. Le fait de la révélation. préambule spéculatif, n’est pas prouvé à l’enfant de manière à lui en donner une infaillible certitude ; mais ensuite la prudence et l’obligation de croire, préambule pratique, grâce à un principe réflexe indiqué par Lugo comme évident, seront affirmées avec une vraie et infaillible certitude. Mais si, pour ce dernier jugement, le jugement pratique de crédibilité, les simples ont la même certitude que les autres, il n’en est pas de même du jugement spéculatif précédemment porté sur le fait de la révélation.

Jean de Saint-Thomas, vers le même temps, témoigne d’une doctrine semblable dans l'école thomiste : « Nous voyons, dit-il, beaucoup de fidèles très peu développés, valde rudes, qui n’ont rien perçu des motifs de crédibilité de la foi, bien loin de les avoir perçus avec évidence, mais qui seulement ont été instruits par leurs parents ou leur curé, et croient en s’appuyant sur la foi de ceux-ci ; et pourtant il est très dur de les priver tous de l’acte de foi infuse, ce qui serait les priver de la vraie pénitence et de la justification. » Cursus theologicus, De fide, q. i, dist. II, a. 3, n. 4, Paris, 1886, t. vii, p. 46. « L'évidence de crédibilité, ajoute-t-il, n’est pas l'évidence de la chose : ce n’est que l'évidence de l’aptitude qu’a telle matière à être crue… Un énoncé peut très bien être réellement faux, et en même temps très croyable à cause de la vraisemblance avec laquelle il est présenté, et des raisons par lesquelles on le persuade. » Loc. cit., n. 6, p. 47. Si les preuves du fait de la révélation, données aux simples, n’ont pas assez de valeur pour engendrer une certitude infaillible, il pourra arriver qu’avec de telles preuves ils croient quelque chose de faux qui n’a pas été révélé, et qu’ils le croient prudemment. « La fausseté même peut devenir prudemment croyable : » c’est l’affirmation du fait de la certitude relative, que nous avons déjà rencontrée chez Cajetan.Voir col. 217 ; Crédibilité, t. iii, col. 2283.

Haunold, qui a spécialement approfondi cette question au xviie siècle, dit : « Pour que les simples soient obligés à faire un acte de foi, il suffit de motifs de crédibilité qui ne suffiraient pas à obliger un esprit plus sagace. Les modernes appellent ces motifs respectifs, c’est-à-dire qui suffisent seulement aux simples, lesquels ne peuvent pénétrer les motifs de crédibilité universels (valant pour tout le monde). Cette conclusion est très commune parmi les théologiens…, si commune qu’il faudrait un long catalogue pour en énumérer les défenseurs. » Tlieologia speculaliva, LUI, n. 229, Ingolstadt, 1670, p. 373.

A la fin du xviie siècle, le célèbre controversiste Rassler exprime ainsi le principe réflexe au moyen

duquel les fidèles même ignorants peuvent avoir, et ont d’ordinaire un jugement pratique, soit évident soit moralement certain, » sur la prudence ou même l’obligation de croire : « La raison dernière, c’est que quiconque a conscience de son ignorance d’un art agit prudemment s’il cherche un maître sage et au courant de cet art et s’en rapporte à sa parole, tant qu’il n’a pas une raison prudente de douter : …suivant la parole de saint Augustin, De ulilitale credendi, c. xiu : Nihil nobis restât, quamdiu stulli sumus, si vila religiosa et optima nobis cordi est, quam ut quseramus sapienles, quorum dictis obtemperemus. » Conlrov. theol. de ultima resolutione fidei divinæ, Dillingen, 1696, p. 353, 355.

Au xviiie siècle, cette même doctrine est bien expliquée par nombre de théologiens. Gabriel Antoine distingue des motifs absolus les motifs relatifs ou respectifs de crédibilité : « telle est, par exemple, l’autorité du curé à l'égard de ceux qui reconnaissent sa probité et sa science. » Theologia universa, De fide, sect. ii, a. 6, Paris, 1736, 1. 1, p. 143. Antoine Mayr nous fait ce tableau de la foi des enfants et des simples : Ordinairement leur jugement de crédibilité est fondé sur le témoignage du curé, du prédicateur, du catéchiste, des parents, des voisins : en somme, d’un petit nombre de personnes, qui leur disent que tels articles ont été révélés et doivent être crus d’une foi très ferme. Si leurs instructeurs sont soigneux, ils ajoutent que la religion catholique est seule infaillible et dirigée par l’assistance du Saint-Esprit, et ils proposent l’un ou l’autre motif de crédibilité, comme les miracles… Mais cet ensemble proposé, n'étant garanti que par l’autorité d’un seul prêtre ou de quelques personnes, souvent peu doctes, ne serait pas de nature à persuader des gens instruits, ni à les amener au jugement de crédibilité. » Theologia scholaslica, De fide, n. 492, Ingolstadt, 1732, t. i, p. 147. Enfin on trouvera un substantiel résumé de la doctrine chez Kilber, Theologia Wirceburgensis, t. iv, n. 172 sq., ou dans Migne, Theologiæ cursus, t. vi, col. 543-551.

Au xix c et au xxe siècle, la même doctrine se retrouve chez beaucoup de théologiens. Patrice Murray, dans son remarquable traité de l'Église, parmi les conversions de protestants au catholicisme, n’omet pas d'étudier celles des gens peu instruits : il observe que les motifs de crédibilité, qui en général agissent alors, sont empruntés aux motifs de valeur absolue que l’on étudie en apologétique, « mais sont proposés différemment, et accommodés à ces esprits, et considérés imparfaitement et partiellement, espèces d'ébauches qui, en se complétant, arriveraient à la valeur de motifs absolus… Ainsi, l’origine de quelquesunes de ces conversions a été la considération de la vie sainte de quelques catholiques ; pour d’autres, l’examen des heureux fruits de la confession chez des serviteurs ou des parents ; ici, le spectacle de la dévotion des pieux fidèles dans les églises ; là, la lecture de livres de piété catholiques. D’autres ont été frappés des dissensions irrémédiables en matière d’articles de foi, qui agitaient leurs sectes, etc., etc. Tout cela doit se ramener aux notes de l'Église, unité, sainteté, etc. : ce sont, en effet, des manières plus ou moins claires de les entrevoir, ou des détails et des linéaments, qui leur appartiennent. La relativité de ces motifs ne vient pas des preuves telles qu’elles sont en elles-mêmes (les notes de l'Église), mais du degré et de la manière dont on les saisit. » Tractatus de Ecclesia, dist. XI, n. 264, Dublin, 1862, t. ii, p. 324. Mazzella établit très bien ce fait de la certitude purement relative des enfants et des simples. De virtutibus infusis, Rome, 1879, n. 813-828 ; Naples, 1909, n. 745 sq., p. 377 sq. Schiffini donne cette doctrine comme plus commune et 1res préférable : « L’opinion la plus commune ensei'20

gne qu'à ces hommes simples, pour qu’ils puissent et doivent croire de foi divine et infuse, suffît, comme certitude du fait de la révélation, celle qui, suivant l’ordre de la nature, est accommodée à leur capacité ; qu’il n’est pas nécessaire que cette certitude s’appuie sur un motif tout à fait infaillible, pourvu qu’elle rende impossible en eux un doute prudent ; si quelque erreur invincible venait à en résulter, elle ne leur nuirait pas davantage que les erreurs semblables en d’autres matières de précepte divin… Cette explication paraît absolument préférable à toute autre, comme plus sûre et répondant seule à ce qui se passe en pratique chez les fidèles, et à l’ordre naturel des choses. » De virtutibus, n. 148, 149, p. 265.

Enfin le cardinal Billot ajoute une lumineuse justification de cette doctrine de la certitude relative, en réfutant ceux qui la confondraient avec l’erreur sceptique de la vérité relative : « On appelle cette certitude respective, dit-il, en tenant compte de l'état d’imperfection intellectuelle dans laquelle se trouve quelqu’un. Non pas, certes, que les principes de la certitude varient suivant la diversité des personnes, comme si la vérité était autre pour moi que pour vous. Mais quand il s’agit de prudence dans les jugements, il y a une règle qui s’applique à l’un et non pas à l’autre, suivant les conditions différentes où se trouve chacun. .. Cette règle de prudence, c’est que dans les choses nécessaires où l’on ne peut voir par soi-même, on s’en rapporte à l’autorité de ceux que le cours naturel des choses a désignés comme instructeurs, pourvu que rien ne vienne soustraire la conscience à la direction de ces guides. De là vient que les enfants et les simples croient prudemment de foi humaine ce qu’ils apprennent de leurs parents ou du curé ou d’autres maîtres touchant l’histoire de la révélation, et se forment ainsi, d’après leur portée, un jugement certain sur la crédibilité de la doctrine chrétienne comme étant d’origine divine, et sur l’obligation de la foi. » De virtutibus infusis, thes. xvii, n. 3, Rome, 1901, p. 300, 301. Citons encore, parmi les auteurs récents, domLefebvre, L’acte de foi d’après la doctrine de S. Thomas, 2e édit., Paris, 1904, p. 378-382 ; le P. Gardeil, voir Crédibilité, t. iii, col. 2212, et dans la Revue pratique d’apologétique, 1908, t. vii, p. 187 sq.

En somme, d’après la constatation faite par de nombreux et graves théologiens depuis plusieurs siècles, et que chacun d’ailleurs peut vérifier par l’expérience, si l’on examine dans les âmes simples, non pas la grâce invisible qui les aide à donner leur assentiment et dont nous parlerons plus loin, mais ce qui apparaît à leur esprit en fait de preuve du fait de la révélation, en un mot, ce qu’on appelle les motifs de crédibilité, on reconnaîtra, au moins parfois et même souvent, une certitude qui ne manque pas de fermeté, mais qui manque d’infaillibilité, du moins à ne considérer que ces motifs qui, seuls, tombent sous l’expérience ; ce qui est la question présente, puisque nous parlons de la préparation rationnelle de la foi, qu’il ne faut pas embrouiller avec la préparation invisible et surnaturelle de la foi, comme on le fait trop souvent, le

Un tel motif peut-il être appelé « probable >? Oui, BU point de vue de l’observateur étranger, du critique qui en pesé la valeur, et le classe suivant l’effet « luit sur les esprits cultivés, bons juges de ce qu’on appelle une preuve probable ou certaine. Non, au point de vue des simples eux-mêmes, qui n’examinent ni ne classent ce motif, mais simplement en subirent l’impression suffisante a les convaincre, si donc on

entend par « probable > le motif qui produit « l’opinion.

qui, présentés l’esprit, l’incline à croire tout en lui laissant un doute dont il reconnaît la prudence (voir col. 98), on doit dire que le motif « le la certitude respective ne se présent* pas aux simples comme pro DICT. DE TIIÉOL. CATHOL.

bable, n’agit pas sur eux comme probable. Somme toute, pour ne pas éveiller l’idée qu’un doute prudent subsisterait chez les simples, ou que leur certitude relative manquerait de fermeté, mieux vaut ne pas appeler leurs motifs > probables » , mais « relativement suffisants » , comme le remarque M. Bainvel, dans la Revue pratique d’apologétique, 1908, t. vi, p. 169. Mais peut-on dire avec le même auteur que de tels motifs, comme l’autorité des parents, ne sont pas simplement probables, mais « valables en soi, objectivement valables, réellement valables, » loc. cit., p. 170, 174, 178? cl i ! semble bien qu’on entend : valables pour une vraie certitude. Cela paraît excessif. La raison qu’on en donne — l’ordre providentiel qui rend les enfants dociles et les fait dépendre de l’enseignement des parents, intéressés eux-mêmes à ce que cet enseignement soit vrai et, malgré de fréquentes exceptions, atteignant la vérité en bonne règle et en principe — cette raison fournit bien aux simples une maxime de prudence dont tout le monde doit reconnaître la valeur pratique et, en ce sens, la légitimité : mais elle ne fait pas, au point de vue spéculatif, que le seul témoignage d’Une autorité aussi faillible soit un motif valable en soi pour la vraie et infaillible certitude. Amicus disait mieux au xviie siècle : « Une telle présentation de la révélation n’est pas suffisante en soi, normalement, per se, à obliger les simples à la foi, mais seulement par rencontre, per accidens. La proposition de la révélation est suffisante per se, quand elle implique des motifs capables de produire en toute intelligence l'évidence de crédibilité ; per accidens, quand elle la produit à cause de la disposition d’esprit de celui auquel elle est appliquée, et de son manque de capacité. » Cursus llieologicus, De fide, disp. III, n. 38, Anvers, 1650, t. iv, p. 59. Et les autres théologiens que nous avons cités indiquent assez que la fermeté d’adhésion au fait attesté par ce genre de témoignage dépend de circonstances subjectives, d’un état d’imperfection intellectuelle, et non pas de la valeur objective et réelle de ce témoignage. La pensée de M. Bainvel s’accentue encore dans l’article suivant, où l’on voit qu’il veut donner aux simples plus qu’une certitude relative : « Comment, dit-il, produire cette évidence (de crédibilité ) avec des arguments probables ? » Loc. cit., p. 327. Rappelons qu’aux simples ils n’apparaissent pas comme probables, comme laissant un doute prudent sur la chose qu’ils prouvent. « Avec des probabilités, ajoutc-t-il, on ne fait pas la certitude. » Avec des probabilités connues comme telles (et en dehors de certains cas de convergence), oui, mais avec des probabilités non connues comme telles, et certaines circonstances subjectives étant données, on peut obtenir une certitude non pas absolue et infaillible, mais relative et ferme. Et même, d’une certitude relative sur le fait de la révélation, on peut passer à une certitude absolue sur la prudence qu’il y a de croire, en quoi consiste proprement l'évidence de crédibilité ; et il n’y pas, dans ce passage, d’infraction à la règle logique pejorem scquitur conclusio parlem, par la bonne raison que le jugement spéculatif sur le fait de la révélation, jugement qui est ici ferme mais non infaillible, n’est pas une prémisse d’où se déduise comme une conclusion le jugement pratique de crédibilité ; c’est un simple présupposé, a la suite, duquel, Invoquant un principe de prudence, ou raisonne ainsi : « Dans les choses nécessaires où l’on ne peut voir par soi même, il est prudent de s’en rapporter au témoignage de ceux qui nous sont ilonnés pour guides. <>r c’est un fait que je ne puis voir par moi-même si Dieu a révélé ce mstère, et que ceux qui m’ont été donnés pour guides me témoignent qu’il l’a révélé. Donc, il est prudent pour moi de tenir ce mystère pour révélé de Dieu, et de le croire parce que Dlen l’a dit.. Dans ce syllo VI.

gisme, la majeure et la mineure ayant une certitude absolue, l’une comme principe, l’autre comme fait d’expérience, il n’y a pas à s'étonner que la conclusion ait une certitude absolue, elle aussi. On peut donc passer d’une certitude relative et improprement dite du fait de la révélation à une certitude absolue et infaillible de la prudence de croire.

En face de la certitude purement relative qu’ont beaucoup de fidèles du fait de la révélation, nous constatons chez d’autres catholiques une certitude absolue du même fait : non pas sans doute une certitude mathématique mais une certitude morale vraiment infaillible, si l’on contrôle attentivement la valeur des motifs. Telle est la certitude à laquelle un catholique arrive par l'étude approfondie et consciencieuse de l’apologétique et de la théologie. L’apologétique lui donne le fait général de la révélation chrétienne et le fait général de l'Église catholique infaillible. La théologie dogmatique lui donne le contenu détaillé de la révélation, les dogmes définis par l'Église avec leur vrai sens, et ceux qui sans être définis appartiennent à la foi catholique. Qu'à l’aide de ces sciences nous puissions arriver à une certitude infaillible et absolue de la révélation de nos dogmes, cela résulte non seulement du contrôle des arguments eux-mêmes, mais encore, par voie d’autorité, de mainte parole du concile du Vatican : divinæ revclalionis signa certissima… Dcus Ecclesiam manifestisjiolis inslruxit… teslimonium irrejragabile… Recla rclio fidei fundamenta demonstral, etc. Denzinger, n. 1790, 1793, 1794, 1799.

Ainsi, bien que le jugement pratique de crédibilité, comme nous l’avons montré tout à l’heure, ait la même certitude absolue chez les ignorants que chez les savants ; bien que l’acte de foi qui vient après, et qui tire sa certitude suprême, non pas seulement de la certitude préalable qu’on a de ses préambules, mais d’autres sources encore, ait la même certitude spécifique chez les ignorants que chez les savants, comme nous l'établirons par la suite : il n’en est pas moins vrai qu’au moins sur un des préambules, le fait de la révélation, il y a dans l'Église deux classes de fidèles, dont l’une a une certitude essentiellement inférieure, quoique ferme. Si dans cette classe on peut l’emporter, et on l’emporte souvent du côté de la volonté et du mérite, l’autre l’emporte toujours du côté intellectuel, et à ce point de vue possède une réelle supériorité, comme l'Église primitive l’affirmait déjà au témoignage d’Origène : « Notre doctrine elle-même reconnaît qu’il est bien préférable d’adhérer aux dogmes en se servant du raisonnement et de la sagesse qu’en se servant de la simple foi. » Conl. Cclsum, 1. I, n. 13, P. G., t. xi, col. 680. Voir plus haut, col. 81.

La certitude absolue d’un certain nombre de chrétiens, au sujet du fait général de la révélation et de son contenu, était d’ailleurs nécessaire aux autres, soit pour les instruire et les diriger, soit pour défendre leur foi contre les hérétiques et les incrédules ; car si les fidèles doivent être prêts à rendre raison de leur espérance et par conséquent de leur toi qui la fonde, I Pet., m, 15, les enfants et les simples ne peuvent accomplir ce devoir que par l’intermédiaire d’autrui. De là aussi la division scolastique des croyants en majores et minores, au point de vue de la perfection intellectuelle de leur foi, les minores s’appuyant sur la classe dirigeante des majores. Voir S. Thomas, Sum. theol., II a IL 1 ', q. ii, a. G. De là enfin les services que non seulement la théologie et l’apologétique, mais les sciences purement naturelles et tout particulièrement les sciences philosophiques rendent à la foi. Voir l’encyclique JEtcrni Palris de Léon XIII en 1879. Ces principes de l'Église sont à rappeler dans un temps de nivellement démocratique comme aussi d’antiintellectualisme en religion, et de foi purement senti mentale. C’est dans les doctes seuls que la société des croyants prend conscience de la valeur objective de son apologétique ; c’est en eux seuls qu’apparaît pleinement cette harmonie de la foi et de la raison, qui répond aux accusations de la libre-pensée, et qui profite au bon renom de l'Église entière.

Cependant quelques théologiens de nos jours, au sujet des préambules de la foi, s’efforcent de minimiser la différence entre le docte et le simple, et de relever celui-ci en lui accordant la certitude infaillible et proprement dite. S’ils gardent le nom de « certitude respective » , en le restreignant à une infériorité purement accidentelle et sans importance, ils changent le sens que donnaient à ce mot les scolastiques qui l’ont employé les premiers ; ce qui ne contribue pas à la clarté. S’il s’agissait de l’acte de foi lui-même chez les simples, ils auraient raison de lui attribuer une valeur infaillible ; de même, s’il s’agissait du jugement pratique de crédibilité. Mais il est question maintenant des jugements spéculatifs qui sont à l’origine. j Et même sur ce terrain, s’il ne s’agissait que de ces premiers préambules de la foi, l’existence de Dieu, sa science, sa véracité, on pourrait plus facilement s’entendre. La connaissance spontanée de l’existence de Dieu, telle qu’elle se rencontre même chez l’ignorant, paraît basée sur une preuve rudimentaire et très simple, dont on peut toutefois défendre la valeur

absolue, et qui est au fond quelqu’une des preuves

i de la théodicée, aperçue en dehors de tout appareil scientifique. Voir Dieu (Son existence), t. iv, col. 912 sq. L’argument étant par lui-même court et simple, son moyen terme peut se trouver le même chez l’ignorant que chez le savant : alors entre eux la différence ne serait pas essentielle, elle consisterait dans une connaissance plus ou moins réfléchie, dans une forme plus ou moins méthodique de la preuve, dans la réfutation des objections qui sera le fait du seul savant, mais qui d’ailleurs n’est pas nécessaire à la valeur absolue de l’argument en soi. Tout reviendrait donc ici à la différence purement accidentelle qu’on admet en philosophie entre la certitude « scientifique » et la certitude « vulgaire » pour plusieurs vérités premières, soit immédiatement évidentes, soit prouvées par un raisonnement court et facile. Le vulgaire en a une certitude qu’on peut dire « infaillible, absolue » , et non pas seulement « relative » ; son moyen de preuve, son motif est objectivement valable, suffisant en soi à donner la certitude à tous les esprits. C’est dans ce cas que valent les considérations présentées par M. Bainvel dans la Revue pratique d’apologétique, 1908, t. vi, p. 180. Encore faudrait-il remarquer qu’un enfant n’a parfois d’autre raison d’admettre l’existence de Dieu et ses infinies perfections, que parce que ses parents ou son curé les lui ont affirmées. Quand saint Thomas, à propos de ces vérités : Deum esse, et Deum esse unum, etc., répond : Prseexiguntur ad ea quæ sunl fidei, et oporlct ea saltem per fldem præsupponi ab his qui eorum demonslrationem non habent, Sum. theol., IIa-IIæ*, q. i, a. 5, ad 3um, ces mots per fldem præsupponi nous semblent ne pouvoir être entendus que de cette foi humaine qui peut remplacer la preuve de l’existence ou de l’unité de Dieu chez l’enfant qui n’a pas cette preuve intrinsèque, demonstratio.

Mais quand il s’agit du fait de la révélation, celui des préambules de la foi qui est le plus difficile à connaître avec une vraie certitude, alors la différence entre l’enfant ignorant et l’homme qui a approfondi l’apologétique devient forcément plus qu’accidentelle. Un fait historique se prouve par des témoins ; un fait divin comme la révélation et la révélation faite à un autre se prouve par des signes divins, des miracles destinés à la confirmer, et arrivant jusqu'à nous, eux aussi, par le témoignage des hommes : au témoignage humain

tout se ramène donc en définitive. Or le témoignage humain est d’une valeur essentiellement différente, selon qu’il s’agit de deux ou trois témoins, ou d’un grand nombre ; selon qu’il s’agit de témoins séparés par des milliers d’années de l'événement qu’ils racontent, ou de témoins contemporains ou peu éloignés de l'événement, et dont on peut lire les témoignages dans des sources historiques dûment examinées. Sur un même fait, la preuve par témoignage n’a donc pas, comme la preuve mathématique ou métaphysique, un moyen terme simple, indivisible et essentiellement identique chez tous ceux à qui elle est communiquée. Elle a un moyen terme extrêmement variable, tour à tour infaillible ou faillible, suivant le nombre, la qualité et la critique des témoignages. Voilà le point capital qui s’opposera toujours à ce que l’on jette dans le même moule de valeur historique la certitude ferme du fait de la révélation, telle qu’elle est dans un enfant ordinaire, après un catéchisme ordinaire, et telle qu’elle est dans un homme après d’excellentes études historiques, critiques, apologétiques et théologiques. L'élasticité avec laquelle la preuve d’un fait par témoins se prête à toutes les valeurs est précisément ce qui fait qu’elle est à la portée de tous, même de ceux qui ne peuvent lui faire donner son plein rendement, et que les signes miraculeux autrefois donnés de la révélation sont « accommodés à l’intelligence de tous, » concile du Vatican, sess. III, c. iii, Dcnzinger, n. 1790 : non pas en ce sens que tous les atteignent avec la même espèce de certitude, mais en ce sens que toute intelligence peut prendre sa petite part à ce genre de preuve, et y trouver de quoi se faire une conviction ; tandis qu’une preuve mathématique longue et difficile ne peut ainsi s’adapter, s'émietter à l’usage des humbles ; c’est tout ou rien. Le concile peut aussi faire allusion à un caractère coneret de la preuve historique, au caractère merveilleux des faits miraculeux : l’enfant, par exemple, est moins fait pour les abstractions, et il est attiré et frappé par le merveilleux. Remarquons seulement que, lorsque le concile dit de ces faits miraculeux : sunt signa cerlissima, et omnium intcllicjenliæ accommodala, il énonce deux propriétés indiscutables de ces signes ; il ne dit pas : quaienus cerlissima, sunt omnium inteUigenliiv accommodala ; il serait parfaitement arbitraire de vouloir le lui faire dire.

Ce que nous venons de noter suffit à réfuter cette objection : « Les savants, comme les ignorants, ne connaissent le fait de la révélation que par le témoignage des autres hommes, par la foi humaine. » Donc la différence se réduit à ceci « qu’ils tiennent avec plus de réflexion ce que les gens moins instruits connaissent d’une manière plus directe. » C. l’eseli, Pnclcclioncs dogmaiieæ, t. viii, n. 298, p. 134. Non, nous avons montré une différence bien plus profonde entre foi humaine et foi humaine, sur un même fait : c’est que l’une est Infaillible, et l’autre ne l’est pas : la différence i i 'loue, dans l’essence même de la certitude, et non pas seulement dans la circonstance accidentelle du plus ou moins de réflexion. Recourir à « l'Église catholique avec son unité, sa sainteté et ses autres notes, foc. cit., n. :  ; o7. p. 138, ne changera pas la question : ce sont la encore des faits historiques, que les simples atteignent toujours par le même Intermédiaire, insuffisant a des esprits plus cultivés. Quant à rappelei Ici que 1rs hommes du commun ont mieux reconnu le (.hrisi que les phai isiens aveuglés par leurs préjugés, et que Dieu dans saint Paul maudit la s. Uli n ' di lages du monde, foc. cit., a. p. 136, trait vient il à propo IL l nls savants qui

ton) l’objel du présent débat, l< i seuls auxquels nous accordons une vraie certitude du fait de la révélation licllement supérii ure a i eue di s ilmpl<

des croyants, et non des incrédules, des catholiques comme les autres, bien qu’ils aient eu le malheur d'étudier, voire même de faire leur théologie ! Et ce ne sont pas nécessairement des orgueilleux, Dieu ayant des grâces même pour les théologiens. Mais, nous dit-on, de ce qu’un curé pourrt.it, avec la même apparence d’autorité, proposer à des enfants, un faux mystère, vous ne pouvez pas conclure à la non-infaillibilité du motif qui agit alors sur leur esprit et leur fait admettre que la trinité a été révélée ; autrement la même conclusion se retournerait contre vous : « De même qu’un curé peut proposer à croire ce qui est révélé, et en même temps y mêler quelque chose qui n’est pas révélé, de même un théologien peut, par des arguments insuffisants, prouver comme révélée une proposition qui l’est en effet, et par des arguments de même valeur une proposition qui ne l’est pas. Il n’y a pas là de différence essentielle entre les savants et les ignorants. les uns et les autres, parfois, prennent le faux pour le vrai, et des raisons qui ne suffisent pas pour des raisons qui suffisent. » Loc. cit., p. 136. Nous concédons volontiers qu’un théologien peut se faire illusion sur la valeur d’un argument qu’il propose ; l’auteur de l’objection, étant aussi auteur d’une théologie, montre ici sa modestie ; de cela il faut le féliciter. Mais pourtant, quand le théologien constate, pièces en main, que tel dogme a été défini par l'Église, il a une certitude absolue et infaillible du fait de la définition, et conséquemment du fait de la révélation de ce dogme ; il ne s’agit pas ici d’un argument théologique discutable. Au contraire, quand l’enfant entend dire à son curé que l'Église enseigne ceci, a défini cela, il n’en a qu’une certitude relative et faillible par son motif. La différence est donc essentielle. De même, un professionnel de l’apologétique peut essayer quelque nouvel argument et s’en exagérer la valeur ; mais quand il fait dans son esprit la synthèse de tous les arguments traditionnels et bien éprouvés en faveur du Christ ou de l'Église, quand il estime la valeur de ce vaste ensemble, il voit, au moins avec l'évidence morale et confuse du bon sens, que sa certitude du fait chrétien et catholique est infaillible, que cette infaillibilité résiste au contrôle de l’examen. Cette certitude d’ensemble bien contrôlée, c’est ce que la raison naturelle, en dehors des mathématiques, peut avoir ici-bas de plus sûr ; l'évidence apparente, même contraignante, du mirage ou du bâton brisé, où les simples se laissent prendre, ne vaut pas la certitude d’un sens contrôlée par les autres sens extérieurs, le jugement calme et réfléchi de la raison sur l’ensemble des données des sens. Voir Certitude, t. ii, col. 2155-2157. Mais enfin, nous dit-on, « beaucoup de chrétiens connaissent les préambules de la foi dans des conditions qui excluent toute erreur. » hoc. cil., n. 301, p. 135. Soit : mais ceci est en dehors de la question. Quand nous avons divisé les croyants en deux classes, ceux qui ont la certitude infaillible de tous les préambules de la foi, et ceux qui ne l’ont pas (au moins pour un préambule, le fait de la révélation), nous n’avons jamais prétendu déterminer le nombre îles uns et des autres, ni rejeter à la seconde catégorie tous les simples fidèles, ni tous ceux qui ne sont pas théologiens et apologistes de profession. Des laïques intelligents, même sans ces études spéciales, que d’ailleurs quelques-uns d’entre eux entreprennent avec succès, des laïques soucieux de s’instruire de leur religion, à quelque classe de la société qu’ils appartiennent, loi mes par l’expérience de la vie, par des conversations, des lectures, des réflexions personnel !. peuvent bien arriver a une vraie et absolue certitude du fait de la révélation en général, et de la révélation de tels dogmes cii particulier ; sans parler « les privl

léglés qui. avant vu de leurs yeux le miracle extérieur

confirmer leut religion, ou constaté le miracle intérieur 231

FOI

dans leur âme, ont un motif de crédibilité très bon, qui les dispense d’autres motifs plus éloignés de leur vue, et de la critique historique d’un passé lointain. Mettons donc « en première classe « beaucoup de simples fidèles ; il en restera toujours assez pour la seconde, soit parmi les enfants, soit parmi ces adultes des deux sexes qui pour une raison ou pour une autre ne dépassent guère la mentalité des enfants ; surtout si nous considérons, comme nous devons le faire, non seulement les pays les plus instruits et les plus civilisés du monde, où le vulgaire même est plus affiné, mais tous les autres pays où il y a des catholiques, toutes les missions étrangères, toutes les races même les plus sauvages, quand elles arrivent à la foi. On ne peut donc nier l’existence d’une certitude improprement dite dans un certain nombre de fidèles.

2. Questions de droit.

La certitude relative du fait de la révélation, entendant par là une certitude non infaillible de par ses motifs, est donc un fait. Ce fait peut-il légitimement suffire comme préparation rationnelle à l’acte de foi ? Telle est la nouvelle question qui se pose, et à laquelle nous répondons encore affirmativement, d’accord avec les nombreux théologiens que nous avons cités pour la question de fait, et qui affirment en même temps le fait et le droit. Voici nos raisons :

a) Les enfants, surtout ceux qui ne dépassent guère l'âge de raison, ne peuvent en général avoir qu’une certitude relative du fait de la révélation : c’est ce que nous venons de prouver. Malgré cela, l'Église suppose manifestement qu’ils peuvent déjà faire l’acte de foi, ce que nous montrons ainsi. Cet acte est la première et la plus fondamentale des dispositions positives et surnaturelles, présupposées à la réception des sacrements dans tous ceux qui ont atteint l'âge de raison. Or l'Église admet de très bonne heure, surtout aujourd’hui, les enfants au sacrement d’eucharistie, et même plus tôt au sacrement de pénitence, lequel peut encore moins que l’eucharistie se concevoir sans les actes surnaturels de celui qui le reçoit, et ne peut jamais se donner à personne, sans que ces actes aient précédé l’absolution du prêtre. Donc l'Église suppose l’acte de foi divine et surnaturelle chez de très jeunes enfants qui, en général, ne peuvent avoir qu’une certitude relative du fait de la révélation ; donc cette certitude suffit comme préparation rationnelle à l’acte de foi.

b) L’histoire ecclésiastique nous montre des peuples primitifs et barbares convertis par des hommes apostoliques, et baptisés en masse, après une évangélisation sommaire. La pratique de l'Église n’a certainement pas été de faire une enquête minutieuse sur les motifs de crédibilité de chacun, et d’examiner s’ils avaient une valeur absolue ; mais, comme dit Suarez, les prédicateurs de l'Évangile, en pareil cas, doivent suivre ce principe : « Si tu crois de tout cœur, il est permis de te baptiser. » Act., viii, 36, 37. Après avoir instruit les nouveaux convertis et les avoir excités à demander le secours divin, « ils peuvent et doivent s’en rapporter à ceux qui répondent qu’ils croient ainsi, et puis les baptiser, comme a fait le diacre Philippe. » Suarez, De fide, disp. IV, sect. v, n. 10, Opéra, 1858, t. xii, p. 135. Or l’acte de foi est nécessaire pour le baptême des adultes ; et d’autre part, on peut seulement présumer, dans beaucoup de ces barbares rapidement instruits, une certitude relative du fait de la révélation, et non pas infaillible de par ses motifs. Donc l'Église suppose, dans sa pratique, qu’une telle certitude est une préparation rationnelle suffisante à l’acte de foi.

c) Les protestants ou les schismatiques de bonne foi peuvent faire un acte de foi chrétienne et salutaire sur les vérités qu’ils admettent comme révélées dans les Livres saints, et qui sont vraiment révélées, et leur

ignorance de la véritable Église n’est pas à cela un obstacle ; telle est la pensée aujourd’hui commune des théologiens. Voir col. 165. Cette bonne foi se trouve principalement chez les enfants élevés dans ces sectes. Or, sur la parole de leurs éducateurs, ce qui suffit à l’enfance, ils tiennent pour certain le l’ait de la révélation du Christ, et passent de là à croire fermement comme paroles de Dieu les enseignements du Christ dans l'Évangile ; et la certitude qu’ont ainsi ces enfants et ces simples au sujet du fait de la révélation ne peut être que relative et sans infaillibilité. Car en accordant même à nos adversaires, pour le moment, que les enfants et les simples, dans l'Église catholique, aient une certitude infaillible et absolue, grâce au grand apport de crédibilité qu’ajoute la véritable Église à ceux qui reçoivent d’elle la foi, toujours est-il que ces autres, qui ne la connaissent pas, n’ont pas à leur service les notes et les miracles moraux de I Église du Christ, ni l’appui de son infaillibilité. Et pareillement, quand nous accorderions qu’un curé catholique ne peut jamais proposer à des enfants un faux mystère à croire, avec la même crédibilité qui lui sert à proposer des mystères vraiment révélés, toujours est-il qu’un ministre hérétique, avec la même autorité et les mêmes motifs de crédibilité pour les simples, enseigne tour à tour la vérité chrétienne et l’erreur ; les motifs de crédibilité qu’ils ont pour la révélation chrétienne ne sont donc pas de valeur infaillible et absolue, puisqu’ils se prêtent également à prouver le vrai et le faux. Voilà donc bien un exemple très sûr, où une certitude purement relative et non infaillible suffit comme préparation rationnelle à l’acte de foi divine et surnaturelle.

d) Ces petits et ces simples que Jésus appelait à lui, et dont les Pères louent la foi ignorante, voir col. 112-113, un théologien n’a pas le droit, sans preuves décisives, de leur rendre par ses exigences l’acte de foi beaucoup plus difficile, et souvent impossible. — Or il est bien clair qu’on leur rend l’acte de foi beaucoup plus difficile et souvent impossible, si, comme préparation rationnelle, on exige d’eux une certitude proprement dite, au lieu d’une certitude improprement dite et relative ; à moins qu’on ne prétende faire produire cette certitude proprement dite, sans travail difficile de leur part, par une illumination de la grâce ; mais nous montrerons qu’une pareille illumination n’est pas admissible pour l’ensemble des cas, et par conséquent n’est pas une solution adéquate du problème. Voir le rôle de la grâce dans la crédibilité. — D’autre part, pour exiger chez tous la certitude proprement dite du fait de la révélation, avant la foi, on n’apporte aucune preuve décisive.

Invoquera-t-on cette certitude des préambules, que nous avons exigée nous-meme, à rencontre du semifidéisme ? Mais quand nous l’avons établie, nous avons fait observer que ce qui force logiquement à l’exiger, ce qui autrement rendrait l’acte de foi impossible ou imprudent, c’est le manque préalable de fermeté, le doute prudent que la volonté n’a pas le droit de supprimer. Voir col. 219. Il n’y a pas d’autre raison intrinsèque, pour demander la certitude. Or la certitude relative, elle aussi, a toute la fermeté voulue ; et quand on a cette espèce de certitude, l’on n’a ou l’on ne croit avoir (ce qui revient au même, quand il s’agit de prudence) aucune possibilité de douter prudemment du fait de la révélation. Si la certitude relative n’est pas une certitude proprement dite, c’est par manque d’infaillibilité, et non pas de fermeté. La certitude de certains préambules peut donc sans inconvénient être seulement relative.

Dira-t-on que la certitude improprement dite de l’un (au moins) des jugements qui préparent la foi est un fondement bien débile pour la foi surnaturelle ? Mais

ces jugements ne sont pas, à proprement parler, le fondement de la foi, comme les prémisses d’un syllogisme sont le fondement de la conclusion. Ils sont nécessaires pour permettre de procéder avec prudence à l’acte de foi, et pour le rendre suffisamment raisonnable ; mais ils ne dosent pas sa certitude. Ils restent toujours d’une certitude inférieure, chez les savants comme chez les ignorants. Ce n’est pas à eux que l’acte de foi emprunte sa certitude suprême, c’est à d’autres causes, qui d’ailleurs ne font pas défaut chez les enfants et les simples. Voir plus bas ce que nous dirons de la certitude propre de la foi.

Dira-t-on que la certitude relative avec sa fermeté sans infaillibilité, est un désordre, et qu’17 ne convient pas qu’un désordre introduise la foi'/ Mais on ne peut appeler « désordre » ce que la nature, ou plutôt son auteur, utilise pour l'éducation normale de l’enfant et de l’ignorant. Voir Croyance, t. iii, col. 2380, 2381. Dites que c’est une imperfection de l’intelligence : mais souvenez-vous que la foi surnaturelle, elle aussi, est essentiellement imparfaite, et comme telle cessera dans la patrie ; une imperfection peut bien introduire à quelque chose d’imparfait 1 Et puis, il y a ici-bas des imperfections nécessaires, et même harmonieuses par rapport à tel être. L’abstraction, le raisonnement sont des imperfections de l’intelligence, et seraient un désordre en Dieu, la destruction même de Dieu : ce n’est pas un désordre dans l’homme. On objecte saint Thomas : Quandocumque intelleclus movetur ab aliquo fallibili signo, est aliqua inordinalio in ipso, sive perjecte (certitude relative) sive imperfecte (opinion) moveatur. De verilale, q. xviii a. 6. Mais il entend un « désordre » par rapport à l’intelligence idéale, ou plutôt par rapport à L’intelligence d’Adam au paradis terrestre, qui est le sujet qu’il traite. L’intelligence d’Adam aurait été, d’après lui, si parfaite qu’elle n’aurait même jamais produit l’acte d’opinion : Nunquam intelleclus hontinis inclinalus fuisset magis in imam parlera quant in aliant nisi ab in/allibili aliquo molivo. Ex quo pctlel quod… penilus nulla opinio in eo fuisset. Loc. cil. Mettons que l’opinion eût été un désordre dans Adam avant la chute, et qu’il en était préservé par une extraordinaire providence : en tout cas, elle n’est pas un désordre dans saint Thomas, qui avoue lui-même soutenir ici, à propos d’Adam, une simple opinion : Respondeo dicendo quod circa hoc est duplex opinio. Loc. cit. Et ce qui est vrai de l’opinion, qui n’est pas un désordre dans saint Thomas, l’est également de la certitude relative, qui n’est pas un désordre chez ceux qui en ont besoin.

Reste une objection importante, que nous ne pouvons traiter en ce moment : si un enfant n’a sur le fait de la révélation qu’une certitude relative, plus tard avec le développement de son intelligence devenue plus exigeante, viendra un moment où les motifs anciens de crédibilité ne lui suffiront plus : il sera donc obligé d’abandonner la foi ? Mais nous entrons ici dans une question différente, celle de la persévérance dans les jugements de crédibilité et dans la foi, sans aucune interruption ; nous l’examinerons plus tard avec le soin qu’elle mérite. — La solution d’autres objections est indiquée par les théolo que nous avons cités ; et les questions qui vont suivre achèveront d'éclaircir certaines difficultés.

3. Corollaire.

Dans l'Église catholique comme ailleurs, il peut arriver que plusieurs soient obligés de bure, autant qu’il est en eux, le même acte de foi sur un article faux qu’ils feraient sur un article vrai. Ceci résulte : a) du principe que nous avons établi sur l’obligation qu’ont les enfants de croire ceux qui les instruisent, à moins que leur conscience ne soit p : ir ailleurs spécialement avertie ; 0)dU tait que le curé,

dans la présentation des dogmes à croire, ne jouit pas du charisme de l’infaillibilité, comme le magistère suprême de l'Église, et peut errer. Sans doute il y a entre l'Église et les sectes séparées cette différence, que dans la première cet accident sera bien plus rare, soit à cause du enoix et de la préparation des ministres du cuite, soit à cause de la surveillance exercée par les supérieurs hiérarchiques, particulièrement pour la conservation de la foi : mais enfin le cas n’y est pas impossible, soit excessive négligence et manque d’instruction dans un prêtre, soit malice et hérésie occulte. L’enfant qui ne pourrait s apercevoir d’un cas si exceptionnel quand il arriverait, qui ne le soupçonnerait même pas, serait tenu alors de croire comme dans les cas ordinaires. Si l’on objecte qu’il est absurde d'être obligé à croire fermement comme parole de Dieu un faux article de foi, nous répondrons que cette solution n’est qu’une application de ce principe universellement reconnu en théologie morale, que l’on est tenu de suivre sa conscience même dans les cas où elle est invinciblement erronée. — Nous avons dit : Ils sont obligés alors de faire, autant qu’il est en eux, le même acte de foi qu’ils feraient sur un article vrai. » Mais nous ne disons pas qu’ils réussissent alors à faire un véritable acte surnaturel de foi : la vertu infuse n’y pourra pas coopérer, comme nous l’expliquerons ailleurs. Au contraire, quand ce qu’ils tâchent de croire est vraiment révélé, l’acte pourra être surnaturel, sans que cette différence soit aperçue par le sujet lui-même. « Ils ne sont pas tenus de croire d’une véritable foi théologale, disent les Salmanticenses, mais d’une foi qui soit théologale en apparence seulement. Nous admettons donc qu’une chose non révélée de Dieu peut parfois être proposée comme révélée et comme évidemment croyable. » Cursus theologicus. De fide, disp. II, n. 96, Paris, 1879, t. xi, p. 147. Enfin, leur foi naturelle des vrais mystères n’est point empêchée par l’erreur qu’ils y ajoutent de bonne foi, en croyant un faux article sur l’autorité de ceux qui les instruisent. Voir S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ b. ii, a. 6, ad 3°".

Suarez reconnaît que la solution donnée est presque unanimement acceptée, fere communis est. De fuie, disp. III, sect. xiii, n. 7, Opéra, Paris, 1858, t. xii, p. 109. Cependant il hasarde comme « probable » une théorie contraire qui n’a pas eu de succès, quoiqu’elle ait trouvé de nos jours un apologiste. Voir C. Pesch, Prxlectiones, t. viii, n. 305, 307, p. 137, 138. Partant d’une distinction bien connue entre la proposition publique et infaillible faite a tous les fidèles par l'Église, voir col. 161, et la proposition privée faite par le curé ou le catéchiste, qui distribue la première au détail, si l’on peut dire, et à quelques fidèles seulement, Suarez dit que la seconde « n’est pas suffisante pour croire d’un assentiment de foi infuse, si ce n’est quand on peut se rendre compte, avec certitude et sans aucun doute, que cette proposition privée est conforme a la doctrine infaillible de L'Église. Dans le cas proposé (du curé qui enseignerait un faux article de foi) quiconque est trompé pourrait, s’il voulait réfléchir, douter si cette doctrine est conforme ou non a celle de l'Église… Obligé peut-être à ne pas nier (ad non discredendum) avant d’avoir examiné davantage, ou tout au plus à donner à ce qu’on lui enseigne une certaine croyance, il n’est pas tenu de croire d’une toi qui n’admette aucune hésitation, Jusqu'à ce qu’il soit In de la doctrine de l'Église. » I. » r. cit., a. 9, p. 110. Voici donc un enfant simple et candide à qui le prêtre, qui pour lui représente La religion et l'Église,

enseigne un faux mystère. Si cet enfant VOUlalt ic Qéchlr, nous dit-on, il pourrait douter. Quelle possibilité en a-t-il ? Qui l’avertira ? L’insuffisance de l’autorité du curé? Mais cette autorité suffit a ui enfant.

Et si elle ne lui suffît pas, il ne pourra pas davantage croire les vrais mystères, puisqu’ils ne lui sont proposés que par la même autorité ; les enfants devront donc répondre à tous leurs curés, dans tous les catéchismes : « Attendez que nous ayons vérifié si ce que vous dites est conforme à la doctrine de l'Église ; nous voyagerons hors de notre village, de paroisse en paroisse, pour voir si l’on enseigne cela partout ; ou bien, comme notre évêque pourrait encore se tromper, nous écrirons au pape. En attendant, nous doutons 1° En première ligne, le doute sur ce qu’on leur enseigne ; voilà une belle formation de l’enfance ! Recourra-t-on à une grâce extraordinaire de Dieu, qui en pareil cas les avertisse de ne pas croire ce faux article ? C’est la solution imaginée au moyen âge par Guillaume d’Auxerre, qui regardait comme gravement coupables tous les ignorants élevés par des pasteurs hérétiques, parce que, s’ils priaient comme ils le doivent et s’ils faisaient pour le mieux, ils seraient surnaturellement illuminés de Dieu pour ne pas admettre d’erreur. Summa, 1. III, tr. III, c. ii, q. m.

Mais Suarez ne peut recourir à cette solution de Guillaume : un peu auparavant il la traitait d' « incroyable » en notant qu’elle est rejetée par tous les théologiens. « Elle est contre l’expérience, ajoutait-il, et contre la condition humaine, et sans aucun fondement solide ; rien ne prouve, en effet, une telle pormesse (d’illuminaton extraordinaire) de la paît de Dieu, car une erreur matérielle contre la foi n’est pas contre le salut éternel, il n’est donc pas nécessaire que Dieu, par une providence spéciale, illumine qui que ce soit pour le préserver d’une erreur de cette sorte, fût-il d’ailleurs un saint. » Loc. cil., n. 5, p. 109. Et ici il a raison.

Concluons que cette opinion, émise en passant, dans un moment d’oubli, et non sans hésitation, par un grand homme, est insoutenable, et demande aux simples beaucoup trop de critique. C’est pourquoi elle a été aussitôt blâmée par de célèbres théologiens. Adam Tanner dit que « la principale raison pour laquelle Suarez l’a enseignée à Rome en 1583 (son traité De fide n’a été publié qu’après sa mort, en 1621), c'était la crainte d'ébranler la certitude de la foi, si jamais une doctrine fausse pouvait être suffisamment proposée comme devant être crue de foi divine. » Theologia scholastica, dist. I, q. ii, n. 111, Ingolstadt, 1C27, t. iii, col. 106. A l’encontre, Tanner établit que, pour être obligé de croire de foi divine, pas n’est besoin d’avoir une proposition extérieure telle qu’elle ne puisse tomber sur un objet faux, loc. cit., n. 132, col. 113, et. que la certitude de la foi surnaturelle, quand elle a heu, n’en est nullement affaiblie, n. 137, col. 114. Arriaga dit de cette opinion de Suarez : Hsec sententia, salua reuerenlia lanlo viro débita, mihi videtur omnino improbabilis. D’après lui, « elle prive du véritable acte de foi la plus grande partie des fidèles et elle est contre le sentiment commun des théologiens, comme son auteur l’avoue. » Cursus llieologicus, De fide, dist. IV, n. 54, Anvers, 1649, t. v, p. 78. Il montre ensuite combien il est peu pratique de tant exiger des enfants et des ignorants ; et à cette objection qu’on leur donne un catéchisme imprimé, par où ils constatent la doctrine de l'Église, il répond : « C’est un fait accidentel qui ne résout pas la question, car ceux qui ne savent pas lire ne sont pas incapables de l’acte de foi (et avant l’invention de l’imprimerie ?) ; et puis, même dans un livre de ce genre peut se rencontrer l’erreur, si dans un diocèse on corrompait la doctrine ; enfin, lorsqu’il ne s’y trouve de fait aucune erreur, cela ne donne pas aux enfants l'évidence (ou la certitude infaillible) qu’il n’y en a pas, et ils ne peuvent s’en faire une démonstration si forte (qu’elle '

suffise à tous les esprits) ; et cependant ils peuvent croire indubitablement, » n. 55, p. 79. Il conclut : « J’ai longuement insisté, parce que cette opinion est tout à fait nouvelle, et comme il s’agit d’une chose très pratique, elle pourrait causer de grands scrupules et empêcher beaucoup d’actes de foi, parce qu’elle ferait dire aux gens qu’ils n’ont pas encore l'évidence voulue, et qu’ils ne sont pas tenus de croire, » n. 68, p. 82. Lugo dit que l’opinion de Suarez tombe presque dans le même défaut que celle de Guillaume d’Auxerre qu’il rejette. Dispulaiiones, De fide, disp. IV, n. 84, Paris, 1891, t. i, p. 294. Parmi les théologiens de nos jours, Schifflni dit que le système du discerniculum expérimentale (que nous rejetterons tout à l’heure avec tous les théologiens) n’est qu’un simple développement de l’opinion de Suarez. De virtutibus infusis, n. 148, p. 264. Et Mendive, malgré son affection pour le doclor eximius, son compatriote et son guide ordinaire, écrit : « Dire avec Suarez que jamais de fait un article faux n’est proposé de manière à obliger à le croire comme on croit les articles vrais, c’est soutenir une chose tout à fait inadmissible. » Insliluliones théologies dogmatico-scholasticæ, Valladolid, 1895, t. iv, p. 402.

Suarez lui-même, du reste, et dans le même traité, semble parfois abandonner cette malheureuse opinion pour parler comme tous les autres. Il admet que l'évidence de crédibilité peut tomber sur l’impossible (donc sur le faux) : Aliquid impossibile potest fieri credibile, disp.IV.sect. n.n. 9, p. 119. Plus loin, parlant de l’ignorance invincible chez les fidèles, il dit : Sœpe forte accidil ut homo rusticus, audiens explicationem aticujus arliculi fidei, loco verilalis errorem concipial, aquo sine dubio per ignorantiam seu perquamdam incapacilatem excusatur, disp. XV, sect. ii, n. 5, p. 405. La même incapacité doit a jorliori excuser ce même homme dans le cas où ce n’est pas lui qui entendrait de travers, mais le curé qui lui enseignerait un article faux ; si l’on admet pour le premier cas qu’en tâchant de croire de foi divine une erreur, il serait dans son devoir, il paraît logique de l’admettre aussi pour le second ; et dans le second l’inconvénient n’est pas plus grand pour lui ou pour la certitude de la foi en général.

Sans doute, si les enfants et les simples faisaient eux-mêmes cette réflexion, que, sous la même apparence de crédibilité, on pourrait à la rigueur leur proposer un article faux, il pourrait leur devenir impossible de donner une ferme adhésion même aux articles vrais, et la certitude de leur foi serait ébranlée ; c’est une des objections faites contre la certitude respective. Mais l’expérience prouve qu’ils ne la font pas, cette réflexion. « Les théologiens qui nous objectent cela. ditRassler, s’illusionnent en s’imaginant que les simples font à propos des objets de notre foi, de leur crédibilité, et de la manière dont on les leur propose, les réflexions que font ces théologiens eux-mêmes, hommes ingénieux et subtils, avec leur longue habitude de philosopher. Rien de plus faux. » Controv. theol. de uli. resolulione fidei, 1696, n. 273, p. 362, 363. Il en est de même de cette réflexion : « Moi je ne vois pas de difficulté à admettre ce que dit le curé, mais un savant pourrait en voir ; et les motifs que j’ai de croire pourraient ne pas lui suffire. » Les enfants et les simples n’ont pas coutume de faire de telles réflexions : « Si quelqu’un d’eux les faisait, dit Lugo. s’il comparait ses motifs avec ce qu’il faut aux savants, s’il pensait que ces motifs ne suffiraient pas à les obliger à croire, dès lors ils ne lui suffiraient plus à lui-même, et l’on sortirait du cas que nous examinerons à présent, » disp. V, n. 37, p. 326. C’està-dire qu’on entrerait dans le cas plus difficile où l’intelligence des simples se développe et devient plus exigeante ; nous le traiterons plus loin, en partant de la possibilité de la persévérance dans la foi.

VII. Rôle de la grâce dans la préparation rationnelle de la foi.

Cette difficile question, liée à la précédente, et où l’on a été souvent tenté de chercher la solution de la précédente, a donné lieu à plusieurs systèmes, soit anciens, soit contemporains ; on peut même dire qu’elle est à l’ordre du jour. On en trouverait difficilement un exposé détaillé et précis ; c’est ce que nous allons essayer. Quelques notions préliminaires prépareront utilement l’exposé et la critique des systèmes.

I. NOTIONS PRÉLIMINAIRES.

1° S’il s’agissait ici de la grâce extérieure de la révélation, tout serait déjà dit : nous avons suffisamment montré qu’elle est absolument nécessaire à l’acte de foi et comment, aidée des motifs de crédibilité, elle le prépare. Voir ccl. 122 sq., 172 sq. Mais quand saint Augustin, et avec lui l'Église, a contre les pélagiens défendu et expliqué « la grâce » , il ne s’agissait pas de la grâce de la révélation, admise par les adversaires eux-mêmes ; c’est sur autre chose que portait la lutte, c’est à autre chose qu’Augustin a réservé par excellence, le nom de « grâce » . C’est parfois une providence spéciale, qui a sa part dans le mystère de la prédestination, rejeté des pélagiens ; c’est surtout la grâce intérieure, qui comprend, avec les vertus infuses, ces principes permanents d’action surnaturelle, les secours passagers de la grâce actuelle, destinés soit à exciter, soit à aider, soit à suppléer les vertus infuses. Voir Grâce.

Nous n’examinerons pas encore le rôle de la grâce dans l’acte de foi lui-même (voir ce qui sera dit de la foi, vertu surnaturelle), mais seulement dans la préparation rationnelle dont nous venons de parler. Aussi nous ne limitons pas notre regard à ces opérations les plus sublimes qui sont dites surnaturelles quoad sulstanliam, et qui appartiennent à la déification du chrétien ; nous considérons aussi, suivant un sens plus ample du mot « grâce » , tout l’ensemble des secours spéciaux que Dieu nous donne, soit qu’il s’agisse d’une providence spéciale ou d’une grâce, interne, et dans le second cas, soit qu’il s’agisse de la grâce qui élève la nature à des opérations absolument au-dessus de ses forces, ou simplement d’une grâce qui facilite l’action que la nature ferait difficilement toute seule. l’une grâce qui réponde à une impuissance non pas physique, mais seulement morale. Voir Grâce.

La connaissance de Dieu est un des préambules de la foi, et peut, elle aussi, être parfois facilitée par un secours de la grâce. Voir Dieu, t. iv, col. 860, 861, 864. Mais la connaissance du fait de la révélation offre généralement à l’homme beaucoup plus de difficulté que la connaissance de Dieu, laquelle est, en un sens, spontanée dans la raison humaine. Elle demande donc bleu <l : r antage à être aidée, des avant la foi, de quelque secours de la grâce. Aussi le concile du Vatican mentionne-il les secours de l’Esprit-Saint » en même temps qui [< preuvi s du fait de la révélation, c. iii, Denzinger, n. 17 : hi (1639) ; et il ajoute plus loin : jnissimus Dominus errantes gratia sua excitât aique adjuvat, ul ad agnilionem veritalis ventre postinl, n. 1794 ; a qui les pèse, ces mots errantes, possint font Il nlir qu’il ne s’agit encore que de la préparation plus nu moins éloignée a la vérité que saisira l’acte de fui, 'i que i.i grâce travaille déjà, d’après le concile, a mieux recevoir les motifs de crédibilité. Elle est encore plus nécessaire, dans le développement successif de l’esprit et au milieu des objections et des tentations contre la foi qui surviennent, a maintenir perpétuellement la crédibilité indispensable ; i la Toi. mais c’est I., un point que nous traiterons a part. Vota ce qui it de la persévérance dans la foi.

La grâce vient donc au secours de la raison pour préparer la foi : mais comment doit on expliquer son action ? On peut la concevoir de deux manières fort différentes, qu’indiquera une comparaison. Pour arriver à voir un objet extérieur, à s’en rendre compte, on peut employer deux espèces de moyens ou intermédiaires, le visible ou l’invisible. Un verre dans un télescope, c’est un moyen de voir qui ne doit pas être vu : plus cet intermédiaire est invisible, plus il sert à bien voir ; il manquerait son but. s’il avait le moindre défaut capable d’intercepter ou de réfléchir la lumière comme un objet, ou s’il était irisé : l'œil trompé par ce qu’il voit projetterait cet accident très rapproché de lui dans le royaume lointain des objets qu’il cherche à découvrir. Au contraire, il y a des moyens de voir qui doivent être vus, qui ne servent qu'à la condition d'être vus : ainsi l’aurore est un moyen d’apercevoir déjà dans son reflet le soleil, de se rendre compte de sa position et de prévoir le jour. A l’espèce invisible appartiennent certains moyens de connaître, certains secours qui se tiennent plutôt du côté du sujet, comme la puissance native de l’organe, la facilité acquise par l'éducation et l’habitude, la détermination et comme le déclenchement produit par l’objet extérieur dans le sujet pensant, ce que les scolastiques dans leur théorie de la connaissance appellent la species impressa ; tout cela rentre dans les moyens de voir qui n’ont pas besoin d'être vus ou qui ne peuvent pas l'être, médium quo viilrtur et non pas quod videtur. A l’espèce visible appartiennent, par exemple, les symboles et les signes, qui doivent être connus les premiers pour nous faire par là connaître la chose signifiée ; les prémisses, qui, manifestées dans leur liaison, nous déterminent à la conclusion ; les motifs de crédibilité qui, présentés à l’esprit, rendent prudente l’intervention de la volonté et peuvent nous amener à croire ; tout cela rentre dans le médium quod videtur, médium cogniium.

Ainsi l’action de cette grâce, qui vient au secours de l’intelligence, pourra se concevoir de deux façons : soit comme un moyen par lequel on est aidé à connaître sans le remarquer, médium quo ; soit comme un moyen que l’on connaît.sur lequel on doit même réfléchir pour s’en aider, médium quod. Les théologiens, pour abréger encore les formules, disent, dans le premier cas, oii la grâce agit comme médium qun, qu’elle agit ul quo ; dans le second, qu’elle agit ul quod. A la première catégorie de secours appartient, comme grâce extérieure, la providence spéciale qui, sous l’apparence du hasard et sans avoir besoin d'être reconnue, procure à ce païen un missionnaire juste à temps pour l’instruire de la foi avant sa mort, à cet hérétique en train de se convertir, mais embarrassé de préjugés et de difficultés, ce livre, cette conversation qui les résoudra ; comme grâce intérieure, l’opération cachée par laquelle Dieu applique les facultés endormies ou distraites, surtout celles de l’enfant, de l’ignorant, à bien écouter le catéchisme ou la prédication, à bien saisir les motifs de crédibilité proportionnés à leur esprit ; ainsi « le Seigneur ouvrit le cœur de Lydia pour qu’elle fût attentive à ce que disait Paul. t., xvi. III, es secours de cette première espèce aident les motifs de crédibilité, mais ne peuvent les remplacer. A la seconde catégorie de secours appartiennent les visions, les i miracles internes » , qui bien examines peux eut apparaître, à la réflexion, avec plus ou moins de certitude, comme de vrais motifs de crédibilité. Car « le même que nous appelons miracle un phénomène qui d au cours ordinaire des lois physiques ou biologique ainsi pouvons-nous appeler miracle i un effet qui dépasse le cours ordinaire des lois psychologiques, comme sont les lois de l’association, |, , Idées. Su are/ nous en donne les exemple ! suivants. 1. Action miraculeuse sur l’intelligence far exemple, si un païen, qui n’a jamais peu, , -.m crr.it. nr., , it (oui a 23 !)

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coup et comme sans raisonnement cette vérité, qu’il faut admettre un suprême auteur de toutes choses, et s’aperçoit que cette pensée est tellement imprimée dans son âme qu’il ne peut l’écarter ; et beaucoup de considérations, qui rendent cette vérité croyable, viennent aussitôt s’ofïrir à lui, auxquelles il n’avait jamais pensé, et dépassent de beaucoup sa puissance ordinaire d’invention : c’est alors un signe presque évident que Dieu opère immédiatement dans son intelligence. De même, proportion gardée, s’offrira soudainement à un simple fidèle la connaissance du mystère de la Trinité …Cela peut surtout arriver dans ces jugements pratiques, qu’il faut aimer Dieu, faire pénitence, ou entrer dans la voie de la perfection : parfois ces énoncés sont proposés à l’esprit si subitement, si puissamment, qu’il est presque manifeste que l’origine de ces jugements n’est pas dans des objets extérieurs présents à nos sens, ni dans les traces qu’ils ont pu laisser dans notre mémoire. » 2. Action miraculeuse sur la partie alïective. « Sur un objet déjà vii, déjà connu, on ressentira une émotion beaucoup plus forte que cet objet ne pourrait par lui-même la produire, ou qu’il n’a coutume de le faire… La volonté se sentira entraînée par un élan presque irrésistible, elle goûtera une suavité inconnue. » Suarez, De religione, tr. X, 1. IX, c. v, n. 40, Opéra, Paris, 1860, t. xvi, p. 1032. Le miracle interne ou « spirituel » est défini par Monsabré « un changement merveilleux que Dieu lui-même opère dans Tàme humaine, afin de suppléer à l’impuissance relative des preuves extérieures qu’il donne de la vérité, ou à l’insuffisance des préparation rationnelles qui disposent l’homme à la foi… Transformations admirables, qui deviennent, pour certains individus, le principal motif de leurs croyances. » Conférences du couvent de S. Thomas d’Aquin, Introduction au dogme catholique, Paris, 1866, t. ii, xxxe conf., p. 306, 307. Voir les exemples qu’il en donne dans diverses conversions célèbres. « Le miracle spirituel peut remplacer tous les autres miracles… Un homme transformé miraculeusement a toute espèce de droit de s’en tenir à la démonstration mystique. » Loc. cit., p. 329, 332.

Oui, le miracle interne ou spirituel, suffisamment constaté, peut remplacer tout autre motif de crédibilité ; et cette assertion ne favorise pas le fidéisme, et ne détruit pas la préparation rationnelle à la foi, pourvu que nous supposions le contrôle de la raison s’exerçant sur ce miracle même. Mais ce miracle ne peut être qu’exceptionnel et l’on ne peut s’en servir pour l’explication générale de la crédibilité des enfants et des simples. Généraliser ainsi un cas particulier, ce serait d’abord contredire l’expérience. Nous avons tous eu la foi dans notre enfance, et en général nous n’avons pas constaté en nous un pareil phénomène, qui par sa nature merveilleuse aurait dû fortement attirer notre attention et se graver dans notre mémoire, s’il avait eu lieu. Ce serait ensuite tomber dans les inconvénients et les dangers que nous avons reprochés aux sectes illuminées, à propos des révélations privées, voir col. 147 ; et le danger est d’autant plus grand qu’il s’agit des ignorants, plus prompts à s’égarer par manque de discernement, si on leur ouvre à tous la voie du prophétisme ou des phénomènes extraordinaires de la mystique. Ce serait enfin, pour la masse des chrétiens, remplacer par la « seule expérience interne de chacun > les motifs de crédibilité qui préparent la foi, contrairement au concile du Vatican, can. 3, De flde, Denzinger, n. 1812. Il faut donc recourir nécessairement, dans la plupart des cas, à une autre espèce de grâce, plus cachée, qui agisse seulement ut quo, et qui ne remplace pas les motifs de crédibilité, mais qui les aide.

2° Jusqu’ici nous n’avons considéré la grâce que sous sa forme actuelle et passagère : inspiration intérieure, reconnaissable ou non avec certitude dans son origine

surnaturelle ; rencontre extérieure ménagée par une providence spéciale en vue de préparer la foi. Mais il y a une grâce de foi qui a en nous un caractère habituel et permanent, c’est la vertu infuse de foi, habilus fidei. Cette espèce de grâce (tous les théologiens sont ici d’accord) sert avant tout à produire l’acte surnaturel de foi ; mais, en outre, ne peut-elle, déjà avant l’acte de foi, servir à lui préparer les voies en influant sur notre connaissance de la crédibilité des dogmes ? Puisque l’enfant reçoit au baptême cette vertu infuse, plus tard, quand on lui présentera au catéchisme les dogmes comme croyables à cause d’une révélation divine qui en a été faite, la vertu infuse ne pourra-t-elle l’aider à en saisir la crédibilité ? Beaucoup de théologiens l’ont pensé, à la suite de saint Thomas quand il dit : Lumen fidei facil videre ea quse creduntur. Sum. theol., IIa-IIæ, q. i, a. 4, ad 3 am. Comme la foi ne fait pas voir les mystères intrinsèquement en eux-mêmes, il ne peut être question ici que de les voir extrinsequement dans leur crédibilité, sub commuai ratione credibilis, comme le saint docteur l’a dit lui-même trois lignes plus haut ; d’ailleurs, un peu plus loin il rappelle en ces termes plus clairs ce qu’il a dit : Per lumen fidei videntur esse credenda, ut dictum est, loc. cit., a. 5, ad l um ; esse credenda, c’est la crédibilité » ou la « crédendité » . Mais, qu’entend-il par lumen fldeil Précisément Yhabilus fidei, comme on peut le voir par le contexte du premier passage cité. Cf. q. ii, a. 3, ad 2° m. Les scolastiques entendent métaphoriquement par lumen non pas seulement une lumière objective, comme celle l de la révélation, mais souvent un principe qui est dans j le sujet et qui lui sert à connaître : c’est ainsi qu’ils disent lumen rationis ; et dans le ciel cet habilus qui, | d’après eux, aide notre intelligence à voir Dieu, ils l’appellent lumen gloriæ ; de la même manière ils ont j employé souvent ces mots : lumen fidei.

Mais si la vertu infuse de foi sert à reconnaître la crédibilité des dogmes, ce ne peut être en remplaçant ! totalement les motifs rationnels de crédibilité : ce ! serait le fidéisme, déjà réfuté plus haut. Ce ne peut ! donc être qu’en les supposant et en les aidant. Or, l’aide qu’elle leur donnera ne peut pas être un secours objectif. Sans doute, si nous pouvions prendre sur le fait l’intervention de cette vertu infuse en faveur de la crédibilité de telle ou telle proposition, nous aurions l là une excellente preuve de la vérité de cette proposition et du fait qu’elle a été révélée, parce que la vertu infuse ne peut coopérer en faveur de l’erreur, ni pour faire admettre comme révélé ce qui ne l’est pas. Voir plus bas ce qui sera dit de la foi, vertu surnaturelle. Mais l’expérience ne peut atteindre en nous ces vertus infuses ni leur intervention active ; elles restent mystérieusement cachées. Leur entrée en jeu ne peut donc se transformer pour nous en nouveau motif de crédibilité à ajouter aux autres ; elle ne peut nous aider ut quod, mais seulement ut quo. « Il n’est pas besoin, dit Tanner, que Yhabilus fidei concoure à la crédibilité par manière d’objet connu ; il suffit qu’il contribue à la facilité de croire, et à la fermeté de la foi, par manière de cause inclinant et fortifiant la faculté, et du côté du sujet. Il n’en est pas de même des inspirations, qui peuvent agir aussi par manière ! d’objet connu, plus ou moins (suivant qu’elles sont j plus ou moins reconnues dans leur caractère miraculeux), et qui peuvent concourir même à la première acceptation de la foi ; et encore n’est-il pas 1 toujours nécessaire que l’esprit du croyant réfle ! chisse sur la nature de ces inspirations. » Théologie | scholastica. Ingolstadt, 1627, t. iii, col. 88. Ceci étant i assez communément admis, cherchons à voir plus i positivement et plus clairement en quoi pourra con ! sister le rôle de la vertu infuse dans la crédibilité, dans i la préparation rationnellede la foi. Les nombreux théo2 41

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logiens qui admettent ce rôle l’ont entendu de deux manières différentes, qui, d’ailleurs, ne s’excluent pas, et que nous allons successivement examiner :

Ve manière : production directe du jugement de crédibilité (pratique) par la vertu de foi. — De même que i’habitus fidei, d’après la théorie commune, élevant notre intelligence, produit avec elle l’acte de foi, ce qui est sa fonction principale, de même ne pourrait-on pas supposer qu’il a pour fonction secondaire de produire (elicere) avec la même intelligence, avant l’acte de foi, le jugement de crédibilité pratique, acte surnaturel lui aussi comme nous le verrons plus bas, au sujet de la foi, vertu surnaturelle ? Ainsi expliqueraiton avec aisance et comment la surnaturalité nécessaire à ce jugement de crédibilité est réalisée, et comment par la vertu infuse de foi on voit que les mystères doivent être crus, esse credenda, d’après saint Thomas cité plus haut. Aussi, dans l'école thomiste, plusieurs ont-ils admis cette hypothèse, tandis que d’autres thomistes la rejettent, comme les théologiens de Salamanque, pour cette triple raison : la vertu infuse de foi a un caractère d’obscurité, donc elle ne peut produire un acte évident comme ce jugement de crédibilité ; elle a pour objet formel la révélation, donc elle ne peut produire un acte qui ne s’appuie pas sur la révélation mais simplement sur la raison, laquelle montre qu’il est raisonnable et obligatoire, si Dieu a parlé, de lui donner un très ferme assentiment ; enfin Yhabitus fidei est fait pour l’acte de foi, et ce jugement de crédibilité n’est pas l’acte de foi, mais le précède. Cursus theologiæ, 1879, t. xr, dist. I, n. 202, p. 93. Suarez avant eux avait déjà rejeté l’hypothèse pour cette même raison principale, qu’un liabitus ne peut pas agir en dehors de son objet formel qui spécifie son action. Opéra, 1858, t. xii, dist. IV, sect. vi, n. 2, p. 136. D’autres théologiens de la Compagnie de Jésus notent que la preuve de Suarez n’est pas décisive. Arriaga observe que cette limitation de la vertu infuse à une seule espèce d’actes reste incertaine : « Et comment savonsnous que notre vertu infuse n’a pas une double fonction ? Puisque cette évidence de crédibilité est de soi une disposition à l’acte de foi, on peut dire très probablement qu’elle procède de la même cause que cet acte : dans l’ordre physique, la cause qui a la fonction principale de produire la forme peut d’ordinaire produire aussi les dispositions à la forme… La question reste sans solution certaine, i Dispulaliones theologicæ, Anvers, 1619, t. v, disp. V, sect. v, p. 93, 94. Lugo, lin que suivant ici l’opinion de Suarez, est obligé pourtant de convenir qu’il ne faut pas trop argumenter des axiomes philosophiques sur la nature des liabitus, axiomes tirés uniquement de l’expérience des habitudes acquises ; que les vertus infuses ont une sphère plus étendue que les habitudes acquises. » Dispulaliones sclwlaslicæ, 1891, t. i, disp. V, n. 40, p. 328. Et ailleurs, il dit que la vertu infuse, participant de la nature d’une faculté, peut s'étendre à plusieurs espéces d’actes, et en quelque sorte avoir plusieurs objets formels subordonnes. Op. cil., disp. I, n. 230, 237, p. 115, 116. De nos jours, le cardinal Billot est de ceux qui attribuent à la vertu infuse de foi la production de jugement de crédibilité. De vtrtutibu » inftuis, 2e édit., Rome, 1905, thés, xvii, § 1, p. 301. Sans doute, comme ( < Jugement a un objet présenté par la raison naturelle, on aura peine à l’attribuer à la vertu infuse, si l’on admel cette autre théorie de Suarez et d’un bon nom bre de théologiens de son ordre et de l'école thomiste, que la surnaturalité d’un acte est toujours commandée par son objet, en d’autres termes, qu’une Vertu infuse ne peut jamais agir que sur un objet absolument Inaccessible à la simple nature ; et le cardinal bien, à propos de la question présente, toc. >ii., l’emb I théologiens atta< ni i ; cette thi

laquelle complique bien gratuitement et d’une manière parfois insoluble, une foule de questions sur les vertus et les actes surnaturels ; lui-même l’a réfutée. Op. cit., l’rolégomène, p. 64 sq.

2e manière : influence indirecte, ou disposilive, de la vertu de foi sur les jugements de crédibilité. — C’est plutôt ainsi, semblc-t-il, que saint Thomas entend l’influence de la vertu infuse, je ne dis pas sur l’acte de foi, mais sur le jugement de crédibilité. Pour ce qui est de l’acte de foi lui-même, il entend sans aucun doute que I’habitus fidei le produira directement : parlant de la foi non pas comme acte, mais comme habitus cognoscilivus, il dit : fîdes assenlit, Sum. theol., IIa-IIæ, q. I, a. 1 ; elle a son acte propre : fides, cum sit habitus quidam, débet definiri per proprium actum, actus autem fidei est credere, q. iv, a. 1 ; aussi est-elle dans l’intelligence : credere autem immédiate est actus intcllcclus, quia objectum hujus actus est verum… et ideo necesse est quod fides, quse est proprium principium hujus actus, sit in intellectu tanquam in subjecto, a. 2. Ce n’est donc pas en traitant directement de la production de l’acte de foi, mais en considérant les actes qu’il présuppose, que saint Thomas dit ailleurs : hic lamen habitus non movet per viam intellectus, sed magis per viam voluntatis ; cette vertu de foi ne vise pas à produire une évidence qui force l’assentiment, ce qui serait la perfection au point de vue intellectuel, mais à produire l’assentiment, avec l’intervention de la volonté : non facit videre Ma quse creduntur nec cogit ad assensum, sed facit voluntarie assenliri. Opusc. in Boelhium, q. ni. a. I, ad4" m. Nous comprendrons mieux tout cela, si nous nous rappelons qu’il y a des assentiments de l’intelligence qui dépendent des bonnes dispositions morales ; que tels sont, entre autres, les jugements de crédibilité et l’acte de foi ; qu'à l’accomplissement de tels actes intellectuels correspondent, en fait de principes permanents qui aident à les produire, non pas seulement une sorte de faculté infuse complétant notre intelligence pour les produire directement, ce qui est Yhabitus fidei au sens strict, mais encore une bonne disposition morale, surnaturelle, un habitus de la volonté, infus lui aussi, accompagnement nécessaire du premier : ideo oporlct quod tam in voluntate sit aliquis habitus, quam in intellectu, si debeat actus fidei esse perfectus, II 1 II » , q. iv, a. 2 ; enfin, que le nom (Yhabitus fidei peut s'étendre au groupe de ces deux habitus, ramenés à une véritable unité non pas physique mais morale, parce que subordonnés l’un à l’autre et tendant à une même fin. C’est en prenant Yhabitus fidei dans ce sens plus large et plus compréhensif, que saint Thomas, pour expliquer l’influence de la vertu infuse de foi sur la crédibilité, sur le discernement dis vérités révélées et dis erreurs qui leur sont contraires, a pu l’assimiler aux autres vertus qui ne sont pas dans l’intelligence mais dans la volonté (par exemple, la chasteté) < t à l’influence qu’elles ont pour repousser les objets qui leur sont contraires : i Y' habitus fidei a aussi cette puissance de retenir l’intelligence du Adèle et d’empêcher qu’elle ne donne son assentiment aux choses contraires à la foi, de même que la chasteté sert de frein pour empêcher d’aller à ce qui est contraire a la chasteté. » Quwsl. disp.. De vcrilatc, ([. xiv, a. 10, ad 10'"". (/est la vertu infuse de foi dans us plus large ctpluscomprchensif, qui inspiraitaux barbares Convertis cette haine vertueuse de l’erreur,

cette répugnance Instinctive au* hérésies, que loue en

eux saint Irénée : « Si quelqu’un, sachant leur langue, vient a leur annoncer les inventions des hérétiques, aussitôt, se bouchant les oreilles, ils s’enfuient, ne pouvant pas même supporter d’entendre ces paroles blasphématoires, i ('.ont. lurr., 1. III, c. iv, /'. <V., t. .

col. 855. Cependant, entre la vertu de loi. qui suppo » la révélation et qui. comme elle, pourrait ne pas i i

ter, et une vertu morale comme la tempérance, la chasteté, qui existerait (quoique moins parfaite) sans aucune révélation et en toute hypothèse, parce qu’elle tient davantage au fond de la nature humaine, il y a cette différence, que seuls les objets contraires à celle-ci sont déterminés nécessairement et par la nature même des choses : telle action, telle parole est nécessairement et naturellement opposée à la chasteté, telle autre lui est nécessairement conforme ; aussi comprend-on que l’homme chaste discerne dans le détail, rien que par un jeu nécessaire d’attraits et de répugnances vertueuses, que telle action est honnête, que telle autre, qui froisse la délicatesse de la vertu, ne l’est pas. La vertu de foi n’a pas une détermination pareille, elle n’est pas liée par la nature des choses à tel ou tel dogme en particulier ; c’est pour elle un fait contingent et accidentel, de croire dans l’ordre actuel tel nombre et telle collection de dogmes ; Dieu aurait pu n’en révéler qu’un seul, et donner, pour le croire, la même vertu infuse, qui n’a donc pas ex natura rei d’exigence pour tels ou tels dogmes en particulier, qui, par suite, ne peut discerner les énoncés croyabk s ou non croyables de loi divine de la même manière que la chasteté discerne les objets qui lui sont confond s et ceux qui lui sont contraires. Ce n’est donc pas la vertu intérieure de foi, mais l’enseignement reçu du dehors, qui pouvait donner aux barbares de saint Irénée le détail du credo et les avertir des hérésies contraires ; aussi insistc-t-il lui-même sur la tradition apostolique et sur le symbole transmis. Néanmoins la comparaison de saint Thomas vaut, nous semble-t-il, en ce sens que la vertu infuse de foi, prise dans son sens large et compréhensif, a une connexion nécessaire avec les dispositions morales requises par la nature même des choses pour l’acquisition ou la conservation du jugement de crédibilité en général, et une opposition nécessaire aux dispositions contraires qui lui sont un naturel obstacle. Quelles sont ces dispositions morales requises pour la crédibilité, par la nature même des choses ? Par exemple, l’humble docilité, la sobriété dans les investigations curieuses, l’amour de la simple vérité, la fidélité et vérité reconnue, la vénération pour la parole de Dieu, le soin de l’orthodoxie. Exemple de dispositions contraires : l’orgueil indocile, la curiosité exagérée de l’esprit, l’amour du brillant et du paradoxal, la passion des nouveautés et des changements, l’engouement pour les nouveaux docteurs et les systèmes à la mode, peu de délicatesse pour la pureté de la foi. La vérité infuse de foi tendra à écarter ces mauvaises dispositions et par suite les jugements qui en résultent, elle inclinera aux bonnes dispositions morales et par suite aux assentiments qui en procèdent.

Voilà dans quel sens il faut entendre la comparaison que fait saint Thomas entre foi et chasteté, et cet autre texte semblable : Sicut enim per alios habitus virtutum homo videt quod est sibi conveniens secundum habitum illum, ita etiam per habitum ftdei inclinatur mens hominis ad assentiendum his quse conveniunl rectæ fidei, et non aliis, IIa-IIæ, q. i, a. 4, ad 3um. M. Pierre Rousselot l’a bien remarqué : « Arrachée de son contexte, et prise en un sens absolu et universel, cette affirmation aboutit à la théorie du discerniculum expérimentale, soutenue par Antoine Pérez, et Pallavicini, et carrément contredite par l’expérience… Ce qui est vu sympathiquement dans la foi, ce n’est pas, per se loquendo, la détermination des différents dogmes. » Dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1910, t. i, p. 460. Et il ajoute qu’un don surnaturel de discerner absolument et universellement, dans le détail, les vérités révélées et celles qui ne le sont pas, appartiendrait à l’ordre des charismes ; un don si extraordinaire n’entre pas dans la vertu infuse de foi,

donnée à tous les fidèles, et n’a pas même été accordé à de grands docteurs de l’Église qui se sont trompés une fois ou l’autre sur la vérité révélée. — Disons-en autant d’un autre passage de saint Thomas, invoqué par Pérez dont nous examinerons tout a l’heure le système. In //a.ne [ jijzm partem I). Thomse traclalus VI, Lyon, 1669, p. 201. A cette objection, que les simples, si l’on exige d’eux la foi explicite de peu d’articles seulement, sont très exposés à se tromper sur les autres qu’ils ignorent, le saint docteur répond : Ille qui non crédit explicite omnes articulos, potest omnes errores vilare : quia ex habitu ftdei rctardatur ne consent iat contrariis articulorum quos solum implicite novit, ut scilicet, cum sibi proponuntur, quasi insolita suspecta habeal et assensum différât, etc. Quæst. disp., De verilale, q. xiv, a. 1 1, ad 2um. C’est évidemment dans un sens lerge, suffisant à réfuter l’objection qu’il propose, que saint Thomas entend ce potest omnes errores vilare : « le fidèle ignorant, veut-il dire, a un moyen général d’éviter les erreurs, » ce qui n’implique pas que ce moyen sera efficace dans tous les cas et dans tous les détails, ce serait alors dans le simple fidèle un charisme d’infaillibilité qui ne lui est pas nécessaire, et qui rendrait inutile celui de l’Église. Et remarquez ce retardatur, cet assensum différai. D’après le docteur angélique, le rôle de l’habitas ftdei n’est donc pas de discerner du premier coup et avec une infaillibilité absolue le donné révélé et croyable de foi divine, mais seulement de « retarder l’assentiment aux énoncés contraires, » — à quoi contribue, d’autre part, l’enseignement reçu, retenu et passé en accoutumance, en sorte que les assertions « insolites » , nouvelles, mettent en défiance cet esprit à demi instruit mais bien disposé, et qu’il « diffère d’y donner son adhésion » jusqu’à ce qu’il ait consulté ceux que l’Église a chargés de lui donner au besoin un supplément d’enseignement religieux. C’est à peu près dans le même sens qu’il faut entendre saint Jean, quand, voulant préserver les premiers chrétiens de la séduction des hérétiques, il fait appel non seulement à « l’enseignement reçu dès le commencement, » I Joa., ii, 24, mais encore à un principe surnaturel qui est en eux et qu’il appelle une onction permanente (maneat) et venant du Saint-Esprit, 26, 27. Quand il dit : Vos unelionem habetis a Sancto, et nostis omnia, 20, ce nostis omnia, en apparence si universel, demande évidemment à être atténué. Ainsi comprise avec les restrictions nécessaires, cette influence protectrice de la vertu infuse sera d’autant plus efficace que le fidèle aura été mieux instruit de sa religion dès le début et dans la suite, comme ceux à qui parle saint Jean, qu’il aura exercé plus longtemps cette vertu infuse de foi sous la direction de l’Église, et développé en lui par cet exercice un certain sens catholique, bien remarquable dans nombre de fidèles, qui du premier coup flairent l’erreur ou « suspectent certaines propositions insolites, » comme dit le texte objecté. Au reste, saint Thomas lui-même admet ailleurs expressément que les simples peuvent être parfois invinciblement induits en quelque erreur de détail par ceux qui les instruisent, et quç cela ne nuira pas à leur foi, pourvu qu’ils ne s’opiniâtrent pas dans la suite s’ils sont avertis de leur erreur par l’enseignement de l’autorité supérieure. Sum. theol., II a IL » , q. ii, a. 6, ad 2um, 3um. L’explication que nous avons donnée de la théorie de saint Thomas sur l’influence de vertu de foi en matière de crédibilité se trouve déjà chez les anciens théologiens ; nous citerons deux graves autorités. « Ce que veut dire saint Thomas, c’est que la vertu de foi a un rôle impulsif ou dispositif à l’égard du jugement de crédibilité ; non pas en ce sens, qu’il ne puisse absolument se produire sans l’impulsion de cette vertu ; mais parce que la foi dispose l’homme à porter ce jugement plus facilement et plus promptement. De même

ce jugement évident, qu’il faut vivre avec tempérance (exemple dont se sert saint Thomas), c’est la prudence qui le porte, mais c’est la tempérance qui a donné l’impulsion ; par manière de disposition, elle fait que son objet nous paraisse facilement convenir. » Adam Tanner, Theologia scholastica, Ingolstadt, 1627, t. iii, col. 81. Plus tard, les Salmanticenses, avec un peu plus de développement, distinguent deux influences de tout habitus : l’une directe, qu’ils appellent « élicitive » et que Yhabilus exerce sur son acte propre ; l’autre « indirecte et dispositive » exercée par Vhabiius sur le jugement prudentiel qui dirige son acte, tel le jugement pratique de crédibilité dirigeant la volonté de croire et préparant l’acte de foi. Cette influence dispositive s’exerce, disent-ils, « en écartant les obstacles, ou en introduisant quelque chose de positif qui facilite ce jugement… Par le fait qu’on est bien affectionné à la matière d’une vertu, on voit très facilement la convenance d’agir selon cette vertu, et même (dans le détail) les actes qu’elle demande. Inversement, si l’on est mal disposé à l'égard d’une vertu, il est difficile d’en avoir des idées justes ; le débauché a bien de la peine à voir qu’il convient d’observer la chasteté ; car l’affection désordonnée corrompt le jugement de la prudence… Ainsi, par le fait même qu’on a la vertu de foi et cette pieuse disposition de la partie affective qui lui est annexée, on est porté à voir facilement qu’il est convenable de croire. » Cursus theologicus, t. xi, disp. I, n. 203, p. 94. Ces auteurs, ainsi que beaucoup d’autres, citent à ce propos un mot que l’on a contume d’attribuer à Aristote : Qualiscumquc unusquisque est, lalis et finis videtur ei. Notons toutefois que cet adage, dangereux dans son imprécision, est tiré d’une objection que réfute Aristote, Élhioue à Nicomaque, 1. III, c. v, n. 17, dans Opéra, édit. Didot, t. ii, p. 28 ; trad. de Barthélémy Saint-Hilaire, Morale a" Aristote, t. ii, p. 33 ; pour la forme même de l’adage dans l’ancienne traduction latine, voir S. Thomas, Opéra, Parme, 18C7, t. iv, Commentaires sur l'Éthique d' Aristote, 1. III, lect. xiii, p. 93. Pourquoi a-t-on attribué ce propos a Aristote qui le réfute ? Probablement parce que le philosophe affirme, peu auparavant, quelque chose d’analogue, mais mieux précisé. Opéra, toc. cit., c. iv, p. 29. Cf. S. Thomas, loc. cit., lect. x, p. <S7. Il dit que le bien, objet de la volonté humaine, « pour l’homme vertueux et honnête, c’est le bien véritable ; pour le méchant, c’est au hasard ce qui se présente à lui… I. 'homme vertueux sait toujours juger les choses comme il faut 1rs juger, et le vrai lui apparaît dans chacune d’elles ; parce que, suivant les dispositions mondes de l’homme, lis ctioses varient, » etc. Trad. de Barthélémy SaintHilaire, loc. cit.. p. 20, 27.

II. SYSTÈMES.

Ces notions préliminaires étant supposées, venons maintenant aux divers systèmes que l’on a imaginés, autrefois ou de notre temps, pour expliquer la nature de cette grâce qui aide les motifs de crédibilité, spécialement en vue de résoudre le problème de la foi des enfants et des simples.

1° Système de Guillaume d’Auxerre, ]f siècle : une illumination est donnée, mais seulement dans le cas oi) le catéchiste leur présente à croire une chose fausse ou non re ; elle les préservera d’y croire comme à une , au moins s’ils ont eu auparavant lis dispositions morales convenables, désir et soin de la vérité religieuse, prière, etc. Summa, I. III, tr. III, c. ii, q. m.

Critique du système. — Il ne favorise pas le lidcisme. ni beaucoup l’illuminisme, puisque cette espèce de grâce n’interviendrait que dans des cas exceptionni Is et très rares (si on la suppose donnée seulement dam l'Église catholique), et qu’elle laisserait à la crédlbj lité naturelle tout son Jeu. Mais 1. ce os serait pas une

solution adéquate du problème, puisqu’on n’explique pas comment la grâce vient aider dans la difficulté d’admettre les préambules de la foi, même quand le catéchiste ne propose aucun article faux, ce qui est le cas ordinaire ; 2. l’inconvénient auquel on veut remédier n’est pas de grande importance, et le remède surnaturel en question est promis sans aucun fondement solide d’une telle promesse, comme le montre Suarez cité plus haut, col. 235 ; il y revient. Op. cit., disp. XV, sect. il, n. 4, 5, p. 404.

2° Système du discerniculum expérimentale, xvii e siècle : un phénomène miraculeux, donnant à l’esprit la certitude, se passe dans l’esprit des simples toutes les fois qu’ils ont à admettre un dogme vraiment révélé, et n’a pas lieu si on les trompe ; ils ont par là la possibilité de n’adhérer famais à l’erreur comme à la vérité. — Ce système a été expliqué de diverses manières par trois célèbres théologiens, professeurs au Collège romain : Antoine Pérez, d’une subtilité extraordinaire, surnommé de son temps theologus mirabilis ; Pallavicini, collègue et successeur de Pérez, très connu par son Histoire du concile de Trente, et depuis cardinal ; Esparza, disciple de Pérez et successeur de Pallavicini. Nous donnerons en détail l’explication de chacun, parce qu’aujourd’hui, tout en les rejetant sommairement d’un mot, et en croyant dire du nouveau. on ne fait parfois que reprendre tantôt l’une, tantôt l’autre de ces théories, au moins en partie. L’histoire des idées, elle aussi, est faite de recommencements.

1. Exposé du système de Pérez, premier auteur du discerniculum. — Sa théorie est intéressante pour la question de la certitude. Abordant le problème de la croyance au fait de la révélation chez les simples, il commence par repousser la suffisance de la certitude relative et non infaillible (telle que nous l’avons prouvée, col. 219 sq.), et cela par cette simple affirmation a priori, qu’il doit y avoir dans leur esprit quelque chose qui les amène suffisamment à la volonté de croire, et qui ait « une connexion infaillible avec la vérité du mystère à croire. » In II"" et 1 1 ! "< partent 1). Thomx traclatus VI, Lyon, 1669, tr. IV, disp. II, c. iii, n. 1, p. 201. Celte connexion infaillible, Pérez voit très bien qu’on ne peut la trouver dans la valeur intellectuelle du motif de crédibilité qui agit presque uniquement sur les enfants, le témoignage de leurs parents ou du curé sur le fait de la révélation, ni dans les miracles de l'Évan gile, etc., tels qu’ils sont dans leur es/ait, c’est-à-dire garantis seulement par l’affirmation des parents ou du curé. Voir col. 222. Cette connexion infaillible, il ira donc la chercher ailleurs, dans le fait même de leur volonté de croire sans aucune hésitation et de leur foi très fermerait expérimentalement certain et que Pérez transforme en un miracle ; et comme Dieu ne peut faire un miracle en faveur de l’erreur, il y a donc connexion infaillible entre ce miracle et la vérité du dogme que l’on croit. D’après lui, la fermeté, la sécurité que nous observons dans la croyance des simples au fait de la révélation, peut bien provenir en partie des motifs de crédibilité, mais elle provient surtout de ce que « Dieu a une vertu surnaturelle de mouvoir l’esprit et de l’amener à un jugement évident sur l’obligation de croire, et de croire fermement et sans aucun doute. » Loc. cit., n. 20, p. 205. « C’est, dit-il, une prérogative de Dieu seul quand il révèle, ou quand il applique (par ses ministres) sa révélation à quelqu’un, de pouvoir la proposer sans évidence métaphysique, et toutefois de pouvoir rendre l'âme aussi sûre du vrai, aussi ferme, que si elle recevait une démonstration métaphysique, lln’y a peut-être pas de plus grand miracle, parmi ceux qui nous portent à la foi, que cette sécurité ei cette absolue

fermeté d’une Intelligence sans démonstration métaphysique. » Loc. cit., n. 4, p. 202. Mais comment prouve i n cette assertion fondamentale <le son sys

tème, que cette ferme conviction des simples est un miracle, qu’elle ne peut procéder de causes purement naturelles ? » C’est une contradiction dans les termes, dit-il, qu’on puisse croire sans aucun doute par un acte purement naturel une chose fausse, ou même une chose vraie mais obscure… Un tel acte ne peut être qu’une opinion : or il est de l’essence de l’opinion de craindre, de douter ; et si quelques-uns disent de leurs opinions qu’elles sont certaines, qu’ils n’en éprouvent aucun doute, il ne faut pas les croire… Do plus, celui qui admet une erreur, ou en général celui qui a une pure opinion (vraie ou fausse), ne voit rien d’infailliblement lié avec la vérité : or, quand nous ne voyons rien d’infailliblement lié avec la vérité, il en résulte naturellement un jugement sur l’incertitude de la chose. » Loc. cit., n. 3, p. 201. Quant au cas du curé proposant à croire un faux mystère comme révélé, la conclusion logique de ce qui précède, c’est que tous les auditeurs, par manque de miracle divin, se sentiraient dans l’impossibilité d’y croire fermement, quand même une autorité que d’habitude ils vénèrent leur dirait qu’ils y sont obligés. « Un simple pourrait, sur la parole du curé, croire (par manière d’opinion spéculative et de conscience erronée) qu’il lui est possible et même obligatoire de faire un acte de foi, sans aucun doute, sur l’incarnation du Saint-Esprit, comme étant révélée de Dieu ; et cette persuasion pourrait bien le porter à essayer de croire cette fausse révélation sans aucun doute, mais sa tentative n’aboutirait jamais. » De même que, si le curé lui avait persuadé que Dieu lui ordonne de voler dans les airs, « il n’y pourrait croire pratiquement et efficacement, parce qu’en essayant de voler il n’aurait pas de peine à constater l’impossibilité de la chose, la bonne foi ne suffisant pas à soutenir quelqu’un dans les airs. » Loc. cit., n. 2, p. 201.

Critique du système. — Il ne favorise ni le fïdéisme proprement dit, puisqu’il laisse aux simples une préparation rationnelle à la foi, et les motifs de crédibilité qui leur sont propres, surtout l’autorité du curé ; n ; rilluminisme, puisqu’il ne suppose pas en eux de révélation nouvelle, mais seulement interprète comme un miracle le phénomène de ferme conviction qui est un fait notoire ; et encore Pérez ne dit-il pas que les simples eux-mêmes réfléchissent sur ce phénomène et l’interprètent comme un miracle, s’en servant comme d’un nouveau motif de crédibilité : cette grâce semble donc, d’après lui, opérer en eux, sans qu’ils s’en aperçoivent, ut quo, et non pas ut quod. Tout au plus dans le cas très rare d’un faux article proposé à leur foi, leur attention serait-elle éveillée par la situation nouvelle de leur esprit, qui ne pourrait croire fermement comme à l’ordinaire. Mais nous ne pouvons admettre la psychologie simpliste par laquelle ce profond métaphysicien, qui n’est pas assez psychologue, prétend prouver son assertion fondamentale. Comme beaucoup d’idéalistes ou d’optimistes même de nos joursetmême dans le camp de la libre pensée, Pérez bâtit a priori une raison humaine très parfaite dans tous les hommes et à tout âge, laquelle, mise en présence d’une proposition fausse quelle qu’elle soit, ou même d’une proposition vraie mais seulement probable (pour qui en sait critiquer les motifs) signalera fatalement le voisinage ou le danger de l’erreur par l’oscillation de la crainte ou du doute, par une oscillation que ni les circonstances ni la liberté ne pourront jamais empêcher ni maîtriser. Mais un tel instrument de précision dont l’aiguille serait si sensible, et en même temps si intangible dans ses oscillations, l’expérience montre qu’il n’existe pas, surtout dans les esprits peu cultivés. Un ensemble de causes naturelles, vérifiées par des faits innombrables, explique très suffisamment la ferme conviction qu’ont les simples là où les autres douteraient, qu’il s’agisse en réalité d’une vérité ou d’une erreur, et en matière

profane aussi bien qu’en matière sacrée : il n’y a donc pas lieu de trouver là aucun miracle avec Pérez. Voir rémunération de ces causes naturelles à l’art. Croyance, t. iii, col. 2370-2378. Quand l’explication par les causes naturelles suffit amplement, on n’a pas le droit * d’affirmer un miracle ni surtout « le plus grand des miracles, » ni surtout un miracle tellement généralisé, qu’il se renouvellerait tous les jours dans un nombre immense d’enfants et d’adultes, aussi souvent qu’ils croient fermement, f.es mêmes considérations montreraient que la grâce, miraculeuse ou non, n’est pas, comme se le figure aujourd’hui tel ou tel auteur catholique, absolument nécessaire pour donner la ferme conviction du fait de la révélation en sorte qu’on ne puisse jamais l’avoir simplement par la nature ; ce qui est vrai, c’est que la grâce est parfois nécessaire à la crédibilité, à cause des circonstances, par exemple, si l’enfant est placé entre l’autorité religieuse qui l’instruit et des influences contraires, ce qui se rencontre, hélas ! souvent aujourd’hui, bien moins autrefois. A un autre litre, la grâce est toujours et absolument nécessaire comme préparation à l’acte de foi : non pas que la conviction des préambules soit toujours impossible sans elle, mais parce que l’acte de foi est un acte salutaire comme le disent les conciles et par conséquent surnaturel ; dans quelle mesure ce titre nouveau réclame-t-il que les actes précédents aient toujours été eux aussi, surnaturels ou l’ouvrage de la grâce, c’est ce que nous examinerons plus loin au sujet de la foi vertu surnaturelle. « En face du vrai, s’il est obscur, » c est-â-dire s’il n’est pas appuyé de motifs infaillibles, dit Pérez pour prouver son miracle, « on ne peut avoir qu’une opinion, dont le caractère essentiel est de craindre, de douter. » Oui, si l’on a la force d’esprit nécessaire pour réfléchir sur ses motifs, les critiquer à fond, et reconnaître qu’ils ne sont pas infaillibles : mais les simples ne l’ont pas, et leurs motifs, qui ne donneraient à d’autres que l’opinion, leur donnent, à eux, la certitude relative, pleine de sécurité, du moins pour le moment. Voir col. 225. Si quelqu’un, entêté d’une doctrine qui serait pour d’autres une simple opinion, atteste qu’il n’en doute aucunement, il faut, dit encore Pérez, « refuser de le croire. » Mais ce refus est dur ; et la certitude d’entêtement est un fait, reconnu par saint Thomas, que Pérez cherche à suivre fidèlement. Voir Croyance, col. 2379. Plus singulières encore et plus dures sont les conséquences du système à propos de la conviction que peuvent avoir les hérétiques. S’il s’agit d’hérétiques inexcusables, « ils ont certainement quelque doute sur leur religion, dit-il : ils pèchent, par hypothèse : or ils ne pécheraient pas, s’ils ne doutaient pas. » Loc. cit., n. fi, p. 202. Inexact, cela : pour qu’ils soient responsables de leur état, il suffit qu’ils aient douté autrefois et qu’ils aient résisté à la grâce qui les pressait alors de faire une sérieuse enquête : depuis, ils ont pu s’entêter dans leur erreur, avec une véritable fermeté d’adhésion. On ne peut donc conclure d’une manière générale avec Pérez que « les hérétiques de notre temps, qui ont coutume d’attester qu’ils croient leur erreur sans aucun doute, mentent évidemment. » Loc. cit., n. 17, p. 204. S’il s’agit « d’enfants et de femmes de la campagne, croyant simplement comme articles de foi ce que leur enseigne un pasteur hérétique, » le faux avec le vrai, « ils n'éprouvent pas, dit-il, la certitude qu'éprouvent lesenfants catholiques…, lesquels voienttrès bien qu’ils ne peuvent sans péché se laisser écarter de leur foi par aucune persuasion humaine, même venant des hommes les plus savants… Ceci n’arrive à aucun de ceux qui sont élevés dans l’hérésie : car dès qu’ils entendent les catholiques dire le contraire de ce qu’ils croient, ils chancellent, ils commencent à douter… On objectera que des convertis ont affirmé qu’ils avaient d’abord cru de bonne foi les hérétiques qui les instruisaient…

et aussi fermement, qu’ils adhèrent maintenant à la religion catholique… On peut leur concéder qu’ils n’ont pas péché par cette croyance, mais non pas qu’ils aient été alors sans aucun doute, au moins habituel et en germe. Car ils n’avaient alors ni l’évidence méta physique, puisqu’elle est liée à la seule vérité, ni une certitude surnaturelle, puisque Dieu ne peut inspirer comme certaine une chose fausse, ni faire un miracle pour délivrer alors entièrement du doute. » Ils avaient donc au moins un germe de crainte, qui se serait développé s’ils avaient réfléchi. « Et même on peut ajouter comme plus probable que dans celui qui croit une erreur, il intervient nécessairement un doute actuel, au moins léger. » Loc. cit., n. 8-10, p. 202, 203. Toujours l’instrument de précision cher encore aujourd’hui à plus d’un philosophe catholique ! Et notons la théorie faussement supposée, que « l’évidence métaphysique » est indispensable pour avoir la fermeté d’adhésion, à moins de recourir au surnaturel et au miracle. Voir col. 217 sq. Pérez conclut qu’il ne faut pas facilement les excuser de péché, n. 14, p. 204, et qu’il ne faut pas ajouter foi à ces convertis, quand ils disent qu’ils ont cru aux hérétiques avec une adhésion aussi ferme, du côté de l’intelligence, que celle qu’ils éprouvent maintenant. Loc. cit., n. 11, p. 203. A tout cela voici la réponse d’un autre théologien espagnol, mais celui-ci connaissant mieux les hérétiques, parce qu’il enseignait à Prague, à la même époque : « Je réponds que cet auteur (Pérez, sans le nommer), qui, peut-être, n’a jamais traité avec un hérétique, montre bien peu d’expérience sur ce point… Les hérétiques sont aussi attachés à leur croyance, avec une erreur parfois invincible, ils chancellent aussi peu, souvent même ils doutent moins de leurs erreurs que les catholiques de la vérité. Dire que les convertis, quand ils attestent avoir cru jadis à l’hérésie avec la même fermeté, mentent ou s’illusionnent, c’est une affirmation bien hardie et qui étonne : quel meilleur témoignage pouvons-nous avoir que le leur sur l’état d’âme où ils étaient ?… Et quand même, à la première discussion avec des catholiques, les hérétiques vacilleraient dans leur croyance, il ne s’ensuivrait pas qu’ils n’aient pas eu auparavant un acte de croyance ferme, mais seulement qu’ils n’y ont pas persévéré » (la persévérance étant une autre question, à traiter ailleurs). Arriaga, Disput. theologicee, Anvers, 1649, t. v, dist. I, n. 41, p. 12. Ajoutons que le système de Pérez, s’il était généralement admis, pourrait servir a garantir toutes les erreurs. Puisque c’est un fait, que dans toute religion les enfants et les simples croient fermement sur la parole de leurs éducateurs, des ministres hérétiques, mahométans ou païens pourraient leur dire, en abusant de ce fait même : Vous croyez nos mystérieuses doctrines sans aucun doute, c’est un miracle et Dieu ne peut faire le miracle qu’en faveur de la vérité, i

Objections de Pérez. — i Si VOUS supposez que (les hérétiques de bonne foi) adhèrent à leurs erreurs tout comme nous aux articles vraiment révélés, ils feront un péché en allant écouter le prédicateur catholique et en doutant de leur secte. » Loc. cit., n. 11, p. 203. — Réponse. — Oui, il prul se faire que d’abord ils pèi lu ut en cela, surtout si ceux qui les instruisent (ce qui n’arrive pas toujours dans le protestantisme, à cause du libre examen) leur ont défendu d’écouter les catholiques, et dé douter : on pèche en résistant a sa COU nce invinciblement erronée. — Mais : ilors, ils

doivent confesser qu’ils ont péché i n se convertissant, qu’Us ont mal f ail d< se convertir : et pourtant ils voient clairement le contraire. » Loc. cil. — Krponsr. — En étudiant davantage la question religieuse, et la grâce aidant, vient un moment où leur erreur n’est plus in

vtncible, ou Ils reconnaissent qu’il est permis et même

I commandé d’en sortir. On en dirait autant du catho, lique à qui son curé aurait enseigné un faux article [ de fei, il finirait par voir que la doctrine de l’Église est différente, et qu’après tout le témoignage de son curé I n’a de valeur qu’autant qu’il représente l’Église. Il faut donc, pour le converti, distinguer deux temps : ses premiers doutes ont pu être une faute contre la conscience, mais des doutes ultérieurs, et la conversion qui s’en est suivie, ont été des actes de vertu et’de prudence et leur apparaissent définitivement comme tels. — « Vous voulez donc accorder à un ignorant, persuadé par un ministre hérétique, la même sécurité, la même fermeté que saint Paul admire et loue dans Abraham. » Loc. cit., n. 23, p. 205. — Réponse. — L’ignorant, même catholique, n’a pas un degré très haut de perfection dans la fermeté ; sa sécurité n’a pas autant de mérite (bien qu’elle suffise à l’acte de foi), parce qu’il ne voit pas les difficultés, que d’autres verraient. Ce que saint Paul fait ressortir dans la fermeté extraordinaire de la foi d’Abraham, c’est précisément qu’il a résisté aux difficultés et aux raisons de douter qui s’offraient à lui très vivement, puisqu’il s’agissait d’un fait personnel, absolument opposé aux lois de la nature, fait qu’il était depuis longtemps habitué à considérer comme impossible, et que tout à coup Dieu lui annonçait. Rom., iv, 18-21. — Enfin, une objection philosophique se devine au fond de la pensée de Pérez, quoiqu’il ne l’exprime pas clairement : c’est que l’on compromet la valeur de la raison humaine pour atteindre le vrai, la valeur de la certitude humaine en général, si l’on admet que notre raison peut se comporter de même, avoir la même adhésion ferme, en face du vrai et en face du faux : et cette idée, on la retrouverait encore aujourd’hui chez plusieurs. — Réponse. — De ce que la raison, dans certaines conditions défectueuses et dans des jugements dont les motifs ne sont pas contrôlés (comme c’est le cas des simples), adhère au faux comme au vrai, cela ne l’empêche pas de pouvoir, dans de mrilleures conditions, atteindre le vrai avec une évidence contrôlée, avec des motifs que l’on examine et dont on reconnail la valeur infaillible. De ce que la raison humaine est faillible per accidens, comme disent nos philosophes, cela ne l’empêche pas d’avoir normalement, per se. une certaine infaillibilité dans la possession du vrai. La certitude humaine n’est donc pas en danger d’une manière générale, quoique la raison éprouve des accidents et des imperfections que Pérez ne voulait pas reconnaître, de peur de tout ébranler.

2. Système de Pallavicini.

Il réfute d’abord son prédécesseur Pérez, par cette raison entre autres : La crédibilité doit précéder la volonté de croire, et la foi. Or, la grâce dont parL Pérez ne les précède pas, elle ne s’exerce qu’au moment précis de l’acte de foi, au moment où l’on arrive à croir.’fermement le mystère proposé ; c’est alors seulement que se ferait le discernement du vrai et du faux article, que l’enfant a tous deux essayé de croire, sur la parole du curé qui les a dits tous deux révélés. Cette grâce miraculeuse ne peut donc servir comme motif de crédibilité, comme prcu e du fait de la révélation, avant la foi : (die arrive trop tard. — A quoi Pérez. aurait pu répondre qu’il n’entendait pas faire de cette grâce miraculeuse un nouveau motif de crédibilité : que par (Ile il voulait si n lement obtenir de fait l’adhésion infaillible et ferme que ne pouvaient obtenir des motifs de crédibilité purement relatifs, et manquant d’infaillibilité j el qu’il expliquait ainsi la différence d’adhésion au vrai

et au faux article, différence qui lui semblait Qéceg Sain pour sauver la valeur de la raison et de la cerli tude en général. — Mais cet argument de Pallavicini nous fait bien voir son idée à lui : il Veut, lui, par une

miraculeuse, ajouter aux preuves du fait de la 2M

FOI

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révélation, trop imparfaites, qu’ont naturellement les enfants et les simples, et leur donner ainsi, avant la foi, un jugement infaillible sur ce fait ; il veut que la grâce intervienne ut quod, et non pas seulement ut qno. Il met donc dans l’esprit, avant la loi, un phénomène surhumain, reconnaissable comme un miracle, et comme une voix intérieure dont on peut dire : A T ec vox hominem sonat. Pallavicini, Assertioncs theologicæ, Home, 1649, t. iii, -De flde, spe et carilule, c. iv, n. 64 sq. Des disciples de Pallavicini expliquaient de la manière suivante la pensée du maître, au rapport de Haunold : une illumination intérieure se fait dans l’âme de l’enfant ou de l’ignorant ; attirant l’attention sur elle-même, elle se présente ainsi : « Je suis la voix de Dieu, inimitable à la nature, et je te certifie que celui qui t’instruit te dit maintenant la vérité. « Ce miracle interne leur servirait de preuve et les amènerait avant la foi à la certitude absolue et infaillible du fait de la révélation. Voir Haunold, Thealogia speculativa, Ingolstadt, 1670, 1. III, n. 194, p. 361.

Critique. — Donnant à tous les simples, comme motif de crédibilité, un miracle interne qui attire leur réllexion et sur lequel s’exerce leur raison, et qui est bien de nature à produire la certitude du fait de la révélation, ce système évite absolument le iidéisme. Mais a) il imagine un miracle qui, ainsi généralisé, est contraire à l’expérience : car la multitude des fidèles ne s’en aperçoit pas, et ne recourt jamais à ce motif de crédibilité quand on leur demande pourquoi ils croient, comment ils savent avec certitude que Dieu a révélé. Dira-t-on qu’ils ont oublié ce phénomène extraordinaire qui s’est passé en eux ? Mais alors à quoi leur sert-il pour appuyer leur foi, pour discerner la vraie de la fausse révélation ? Comment peut-il fonder pour eux l’obligation permanente de croire ? D’ailleurs on n’oublie pas ainsi le merveilleux ; et quand quelques-uns pourraient l’oublier, comment se fait-il qu’ici, sur un si grand nombre, tous aient perdu la mémoire même confuse du miracle constaté par eux ? — b) Malgré son désir, Pallavicini ne s’éloigne pas assez de l’illuminisme de certaines sectes protestantes, et du funeste individualisme qui en est la conséquence. Son discerniculum est une sorte de révélation immédiate donnée à tous les simples. Si cette expérience religieuse suffit à discerner infailliblement et surnaturellement la vraie révélation, elle tend à rendre inutile le magistère extérieur de l’Église. Direz-vous par hasard que les enfants et les simples ne doivent pas ajouter foi à cette voix intérieure, mais la mettre en quarantaine tant qu’ils ne l’ont pas fait contrôler par les supérieurs ecclésiastiques. Mais vous devez avouer qu’ils ne le font pas ; et puis cela leur ferait perdre les avantages que vous cherchez pour eux, les priverait de la foi pour un certain temps, et ne ferait que compliquer le problème au lieu de le simplifier. Direz-vous plutôt qu’ils croient et doivent croire sur-le-champ à cette voix, la reconnaissant comme la voix infaillible de Dieu ? Mais alors à quoi sert l’infaillibilité de l’Église, puisqu’ils ont Un charisme bien plus à leur portée, et au moins égal en valeur, l’Église enseignante n’ayant pas une « voix intérieure » comme eux, mais une assistance divine qui ne la dispense pas d’un pénible travail théologique pour arriver à se convaincre qu’une proposition est vraiment révélée ? On ne voit même pas pourquoi ils auraient besoin de catéchiste ; n’est-ce pas assez qu’ils lisent l’Écriture, la parole de Dieu qui vaut bien celle du curé, et qu’ils soient illuminés intérieurement sur son vrai sens qui est l’objet de notre foi, comme le voulaient les premiers protestants ? — c) Ce système ne s’accorde pas avec la pratique de l’Église. S’il était vrai, pourquoi ne leur permettrait-on pas de corriger leur curé s’il se trompe ? Pourquoi, dans les conciles, au lieu de discuter longuement pour savoir si

telle proposition est révélée ou non, ne ferait-on pas venir un enfant ou un fidèle ignorant, qui trancherait immédiatement la question avec son discerniculuml Pourquoi promouvoir et propager la science théologique, funeste puisqu’elle ferait perdre à qui l’étudié le charisme précieux qu’il avait dans son ignorance première* ?

3. Système d’Esparza.

Il réfute la conception de Pallavicini, montrant surtout combien elle se rapproche des erreurs de l’illuminisme protestant, et tend à rendre inutile le magistère de l’Église et à rabaisser le pasteur au-dessous des simples fidèles et des enfants mêmes. Il cherchera donc, lui, un « discerniculum de la vraie et de la fausse révélation » qui soit plutôt dans le curé que dans ses simples auditeurs et où les seconds soient complètement dépendants du premier. Dans l’ordre naturel, dit-il, la parole de quelqu’un nous fait connaître sa pensée, dont elle est comme le substitut et l’équivalent, et ainsi nous pénétrons dans cette pensée, du moins si nous sommes suffisamment disposés par la nature. Dans l’ordro surnaturel, qui répond harmonieusement à l’ordre naturel, il doit se passer quelque chose de semblable : une parole surnaturelle doit nous faire pénétrer dans la pensée surnaturelle dont elle émane, du moins si nous sommes suffisamment préparés à cela par l’action intérieure de la grâce. Or le prêtre qui croit intérieurement une vérité révélée a par lui-même une pensée surnaturelle, c’est cet acte de loi ; quand il communique cette vérité à ses fidèles, alors de sa pensée surnaturelle émane une parole que l’on peut appeler surnaturelle aussi : en effet, quand un ministre de l’Église a mission de Dieu pour transmettre la révélation, sa parole a, du fait de cette mission, une sorte de surnaturalité extrinsèque et quoad modum, comme disent les théologiens, et peut ainsi nous introduire dans sa pensée, dans sa foi surnaturelle dont elle est comme l’équivalent et le véhicule. Et puisque toute foi surnaturelle, en tant que surnaturelle, est infaillible (voir plus loin, au sujet de la foi, vertu surnaturelle), en conséquence, si l’on saisit sur le vif une âme de prêtre croyant surnaturellement à telle proposition comme à un article révélé, on a un critère infaillible de la vérité de cet article, et du fait qu’il est révélé. Le contraire se passerait dans le cas exceptionnel où le curé enseignerait comme révélé un article faux : alors ni sa foi intérieure à cet article, ni la proposition extérieure qu’il en fait sans véritable mission sur ce point, ne peuvent être surnaturelles ; l’âme disposée par la grâce percevra cette différence, sentira qu’ici manque le surnaturel et par conséquent l’infaillible, et sera ainsi avertie de ne pas croire l’article faux. Cette explication, conclut son auteur, concilie tout : elle fait une large part à Yinterior instinclus dont parle saint Thomas et qu’invoquait Pallavicini ; d’un autre côté, elle ferme la porte à cet instinct purement intérieur et personnel des hérétiques, trop indépendant de la proposition extérieure des mystères et de l’Église règle de foi. Cursus theologicus, Lyon, 1685, 1. 1, 1. VI, q. xxii, a. 13, 14, p. 622.

Critique. — S’il évite le fidéisme et diminue un peu les dangers de l’illuminisme, ce système, bien plus compliqué dans son échafaudage qu’il ne paraît à première vue, suppose, sans chercher à l’établir, plus d’un fondement ruineux. Il part de l’ordre naturel et proclame, non sans exagération, qu’il est de l’essence de la parole de nous faire pénétrer dans la pensée de celui qui parle, qu’elle en est l’équivalent. Or la parole ne manifeste pas essentiellement par elle-même les déterminations concrètes les plus importantes de la pensée : par exemple, si l’affirmation exprimée existe réellement dans celui qui parle, ou s’il feint de l’avoir, en un mot, s’il est véridique ou menteur ; et dans le cas

où il dit ce qu’il pense, si cette affirmation est chez lui certaine ou accompagnée d’un certain doute. Puisqu’il en est ainsi, comment prouver que la parole doit manifester cette autre détermination bien plus mystérieuse de la pensée, à savoir, si elle est ou non produite avec la coopération de la grâce invisible, si elle est surnaturelle ou naturelle ? Comment prouver que la parole du prêtre, enseignant tour à tour un mystère vraiment révélé et un mystère qui ne l’est pas, doit par elle-même faire connaître à ses auditeurs que, dans le premier cas, il accomplit sa mission, et que, dans le second, il ne l’accomplit pas ? Comment prouver que sa parole leur apparaîtra, dans le premier cas comme exlrinsèquement surnaturelle et rattachée à un acte de foi intrinsèquement surnaturel et infaillible, dans le second cas comme purement naturelle et rattachée à une pensée purement naturelle et faillible ? Du reste, la foi est surnaturelle quoad su.bslan.tiam : le surnaturel quoad modum des charismes, et le surnaturel quoad substanliam, lié par essence avec la grâce sanctifiante et la déification, sont d’ordre essentiellement différent ; donc une parole qui n’est surnaturelle que quoad modum n’est pas apte à nous révéler une pensée surnaturelle quoad substanliam : elle ne répond pas à l’acte de foi dans le même ordre, comme la parole répond à la pensée dans l’ordre naturel qui a servi de point de départ. La même erreur est fréquente aujourd’hui : on parle beaucoup de surnaturel, mais on abuse du vague de ce mot très général, et sous ce nom on traite scmblaljlement des choses fort différentes, appliquant à toutes les espèces de surnaturel certaines propriétés qui ne conviennent qu'à une seule. — Ainsi le système croule parla base ; mais de plus, l’expérience le dément : les fidèles, même avec la grâce qui les aide, n’atteignent pas la foi intime de leur pasteur. Il peut faire exactement le catéchisme en n’ayant pas la foi ; regardent-ils alors les vrais dogmes comme faussement révélés ? Non ; tout se passe dans leur instruction comme s’il avait la foi ; ils n’ont donc pas le don de découvrir immédiatement et infailliblement dans sa parole même s’il a ou s’il n’a pas la foi ; on ne pénètre pas ainsi dans la vie intime des autres. Ils seraient d’ailleurs bien embarrassés de saisir, même dans la plus vague des conceptions, la différence qu’il y a entre un acte naturel et un acte surnaturel, entre un acte fait par la nature laissé à sa seule activité, et un acte fait par la nature élevée ; ces questions trop ardues les dépassent. Enfin, si le curé présentait de bonne foi comme révélée une vérité qui ne l’est pas, il ne s’apercevrait pas lui-même qu’il agit autrement que dans les cas ordinaires, il penserait agir en vertu de sa mission, et il croirait pouvoir faire là-dessus un acte de foi divine, et rien ne lui indiquerait que son acte de foi ii I lias alors intrinsèquement surnaturel : et vous voulez qu’un enfant, qu’une bonne femme en voient plus long que lui sur sis actes à lui ? Vous voulez leur donner un esprit prophétique qui pénètre fi' secret des iM iirs ? Que d’inconvénients à répandre d’une manière générale ce don miraculeux sur les ignorants et les simples ! Aussi Dieu ne l’a-t-il pas fait.

Conclusion. — Trois théologiens, dune grande i niosité, se sont mis l’esprit a la toiture pour trouver une suppléance surnaturelle qui puisse donner un carat 1ère d' 'infaillibilité, et d’infaillibilité reconnalssable expérimentalement, à la connaissance que les simples mit du fait de la révélation, antérieurement à la foi. Chacun d’eux a détruit par de bonnes raisons l'œuvre ' ! ton prédéo iseur, mais nul d’entre eux n’esl arrivé A propo r quelque i hose <r.i< < eptable. Aussi la masse

les a pas suivis, cl, instruite par

l’insii. ces de leurs tentatives, s’est attachée de plus en plus a ces deux principes : « ) une certitude relative cl non infaillibli de certains préambules de la fol suf fit aux simples, en sorte que ni leurs motifs naturels de crédibilité, ni même la suppléance de la grâce ne doivent leur en donner avant la foi une certitude meilleure ; b) la grâce qui aide la crédibilité n’est pas en général une révélation proprement dite, ni un miracle que l’on puisse constater ; elle ne tombe pas sous l’expérience, du moins en tant que surnaturelle, et certainement surnaturelle ; elle n’agit pas ut quod, à la façon d’un objet, dont la surnaturalité perçue fournirait un nouveau motif de crédibilité, infaillible celui-là. La réfutation la plus détaillée de ces systèmes se trouve chez Haunold, loc. cit. Muniessa l’abrège, De providenlia Dei, de fide divina, Saragosse, 1700, disp. V, n. 109 sq., p. 489 sq. Kilber est encore plus bref, dans Theol. Wirceburgensis, t. iv, n. 178, 179, ou dans Migne, Theologix cursus, t. vi, col. 545, 548-551.

Système de la suggestion divine.

Les anciens

théologiens qui le soutiennent appellent cette grâce species suasivse, ou illuslratio suasiva, ou apprehensio suasiva. Voir, par exemple, Gormaz, qui en cite plusieurs autres, et discute amplement la question. Cursus theologicus, Augsbourg, 1707, t. i, De fide, n. 464 sq., p. 743 sq. Nous traduisons leurs appellations un peu vagues par le mot de « suggestion » , parce qu’il nous paraît rendre assez bien leur pensée, si l’on prend ce mot au sens précis et très connu qu’il a acquis de nos jours, depuis la découverte de l’hypnotisme et l'étude des phénomènes qui s’y rattachent de près ou de loin. Celui qui en « suggestionne » un autre lui fait faire à son gré des jugements et des actes divers ; nous ne nous occupons ici que des jugements.

Disons tout d’abord qu’il ne peut pas être ici question d’une « suggestion » telle que, sans aucun motif intellectuel, sans aucune preuve, par un entraînement purement aveugle et purement instinctif, l’homme arrive à affirmer une proposition qui a besoin de preuve, comme le fait de la révélation. Une telle intervention divine supprimerait l’exercice de la raison conduisant à la foi, c’est-à-dire qu’elle introduirait le fidéisme déjà rejeté. Voir col. 174 sq. Le concile du Vatican écarte une foi aussi déraisonnable : Dieu, dit-il, a donné des preuves du fait de la révélation, ut fldei nostrx obsequiuin rationi consentaneum esset. Licct fidei assensus nequaquam sit motus animi emeus, dit-il encore. Sess. III, c. iii, Denzinger, n. 1790, 1791. Enfin Dieu dans sa sagesse conduit les êtres conformément à leur nature, que le surnaturel ne détruit pas, mais perfectionne : or la nature et l'état normal de notre intelligence est de ne pouvoir affirmer sans aucun motif intellectuel. Voir CROYANCE, t. iii, col. 2371, 2372. Il faut donc, supposer d’abord un motif de crédibilité, sur lequel s’exerce la raison, mais un motif qui n’obtienne pas une ferme et complète conviction, soit défaut réel de valeur intrinsèque, soit inhabileté du sujet à saisir pleinement cette preuve, soit concours de circonstances difficiles et troublantes. I.a grâce viendrait alors non pas ajouter un nouveau motif, niais simplement ajouter à celui-ci une force persuasive (d’où le mot d’illustratio suasiva) ; elle agirait ut quo, sans même que l’on s’en rendit

compte, de manière à provoquer l’assentiment ferme,

au moins avec une coopération de la volonté bien disposée.

Quand même un honnie ne pourrait pas en persuader un autre de Cette manière, disent les défenseurs du

système, s’ensult-U que Dieu ne le puisse, lui dont la

puissance atteint a fond les faillites qu’il a créées.' D’ailleurs, l’homme lui-même, sans ajouter un nouvel argument poui l’esprit, en faisant appel aux sen-a lions, au sentiment, .. l'âme tout entière, peut renia preuve rationnelle. La même preuve, dit

Mayr, qui. proposée languissamment par un mauvais

avocat, ne fait pis d impression, en fera une 1res

grande, si elle est présentée par un Cicéron ou un Démosthène avec art et passion ; l’art de la parole excelle à proposer les motifs d’une manière persuasive. » Theologia scholaslica, Ingolstadt, 1732, t. i, tr. VII, n. 501. p. 150. Et très souvent, au barreau, à la tribune, les orateurs n’ont qu’un argument probable à faire valoir. La grâce ne pourra-t-elle pas «  fortiori ce que peut l'éloquence naturelle ; surtout, si en même temps elle détourne l’esprit des difficultés et des arguments contraires, ce qui évidemment ne dépasse pas son pouvoir ? Dira-t-on que cette habileté est malséante à l’action divine ? Non, si elle a une fin digne de Dieu, s’il s’agit par exemple de venir au secours d’un faible qui ne peut se défendre contre d’odieux sophismes, de l’amener malgré tout à la foi qui sauve, ou de lui maintenir la sécurité et le bonheur de sa foi. Cf. Mayr, loc. cit., n. 500. Un autre théologien du même temps, Ulloa, allègue pareillement en faveur du système la puissance d’un orateur humain, Theologia scholaslica, Augsbourg, 1719, t. iii, n. 107, p. 119. « Bien des gens, ajoute-t-il, s’imaginent que toute manière possible d’amener l’intelligence à l’assentiment doit se réduire aux seuls arguments, au seul tapage des raisons objectives. Il n’en est rien. Sans apporter d’arguments distincts de la vérité qui a besoin de preuve, on peut la persuader simplement, par exemple, en l’expliquant… On apportera de bonnes comparaisons (qui ne sont pas des raisons, mais) qui la feront comprendre : souvent, parce que nous commençons à comprendre ce qu’on veut nous dire, il nous arrive de l’admettre comme vrai. » Le sentiment agit aussi : « Parce qu’un événement nous est odieux ou agréable, nous en avons parfois le pressentiment. » Loc. cit., n. 109, p. 120. Pourquoi donc ne pas recon naître une semblable influence à la grâce ? Pendant que le catéchiste, le prédicateur, ou le bon livre agit au dehors, « Dieu renforce au dedans ces moyens extérieurs, en imprimant dans l'âme une vive lumière, ou une tendre dévotion, ou les deux à la fois, ou une haute estime, même sans douceur spéciale, ou une grande horreur de toute contradiction. » Loc. cit.

Critique du système. — a) La possibilité d’une telle grâce ne paraît pas niable. Si un grand orateur — non pas peut-être quand il s’adresse à des esprits critiques et défiants, habitués à disséquer l'éloquence et qui ne sont pas pour elle de « bons sujets » à expérimentation — mais quand il agit sur les foules, a la puissance de les persuader malgré l’imperfection de ses preuves, et d’ajouter du poids à ses raisons par des forces prises en dehors de la sphère de la raison, par la vibration d’une voix sympathique et l'énergie du geste, par la fascination du regard, par la force d’affirmation qui, éveillant l’instinct d’imitation, devient contagieuse, en un mot par un véritable phénomène de « suggestion » , Dieu ne doit-il pas avoir dans les trésors de sa toutepuissance, sous une forme très supérieure, des moyens analogues d’influencer l'âme et de la persuader ? On ne peut nier par ailleurs la convenance de leur emploi. Il est vrai qu’on a attaqué l'éloquence elle-même en disant qu’il serait plus digne, plus sincère d’exposer sèchement ses raisons : mais tant que les hommes, et surtout les simples, seront des êtres de passion et non pas de purs cerveaux, c’est faire tort à la vérité que de ne pas se servir, pour la défendre, de sensations et de sentiments bons en eux-mêmes, de n’opposer aucun entraînement instinctif, aucune impulsion du cœur, aux entraînements multiples qui, si souvent, favorisent le faux, et de ne pas savoir les combattre sur leur propre terrain. Ne soyons pas trop fiers, d’ailleurs, de la dignité de notre raison, si singulièrement liée à la matière : « Parmi les substances intellectuelles, dit saint Thomas, les âmes humaines sont les plus infimes. - Sum. theol., I a, q. lxxxix, a. 1. Et comme

acte intellectuel de l’homme, l’acte de foi, quoique surnaturel, reste imparfait ; aussi la foi cessera-t-elle au ciel pour faire place à la claire vue. Pourquoi donc s'étonner de trouver, dans le vestibule de la foi, une préparation rationnelle qui se ressente de l’imperfection de notrelntelligencc ? Enfin, parmi tous les actes de foi, ceux dont la préparation rationnelle est nécessairement la plus médiocre se rencontrent chez les simples, chez les enfants ; faut-il se scandaliser si Dieu adapte son action bienfaisante à la faiblesse de leur esprit, et les traite dans l’ordre surnaturel comme ceux qui les instruisent, qui les élèvent, qui les intéressent, qui les émeuvent, les traitent dans l’ordre naturel ? Voir Croyance, t. iii, col. 2376.

b) Quant à l’existence et à Y universalité d’une telle grâce, on ne doit pas la supposer dans tous les chrétiens et dans tous leurs ac-tes de foi, en sorte qu’il y ait toujours insuffisance des motifs rationnels à produire un assentiment ferme, et toujours suppléance surnaturelle au moyen de cette suggestion divine. — Ce serait faire tort à la valeur de l’apologétique chrétienne et catholique, chez ceux à qui elle est familière ; personne alors ne pourrait plus rendre raison de | notre foi. Ce serait contredire le concile du Vatican, qui nous parle de « signes très certains de la révéla, tion, » de « notes manifestes de l’institution divine de l'Église, » c. ni, Denzinger, n. 1790, 1793 : il faut donc i bien que ces signes soient manifestes au moins pour j quelques-uns, et suffisent à les faire adhérer fermei ment au fait de la révélation, du moins en supposant chez eux des bonnes dispositions morales qui peuvent demander, elles aussi, la grâce, mais une autre espèce de grâce qui aide la volonté. Même chez les enfants et les simples, souvent les causes naturelles, comme nous l’avons dit à propos du système de Pérez, voir col. 248, suffisent amplement à expliquer la fermeté de leur assentiment aux préambules de la foi, et alors pourquoi demander inutilement cette suppléance surnaturelle ? Ils croient fermement au fait de la révélation, comme ils croient fermement aux autres faits historiques qu’on leur enseigne ; et qu’on ne dise pas que les faits miraculeux ou les mystères sont pour eux plus difficiles à admettre : l’enfance va d’instinct au merveilleux, et admet aisément, sur le témoignage de ses éducateurs, même l’invraisemblable. Réservons donc cette suggestion divine, comme une explication plausible, aux cas difficiles et critiques où elle est en quelque sorte nécessaire, ou du moins utile. — Quelques-uns des défenseurs de cette « illustration suasive » , trop soucieux d’agrandir son rôle, l’identifient avec la grâce prévenante sans laquelle nul ne peut faire l’acte de foi salutaire, d’après les Pères et le concile de Trente. Sess. VI, can. 3, Denzinger, n. 813. Ainsi fait Ulloa, loc. cit., n. 86, p. 111 ; n. 87, p. 112 ; cf. p. 114, 117, 118. Si cette identification était juste, le rôle de cette suggestion divine serait universel comme celui de la grâce prévenante. Mais ils ont tort : cette suggestion de la grâce, qui vient renforcer des motifs insuffisants au heu de laisser les causes secondes suivre leur cours ordinaire, appartient par là même à ce que les théologiens appellent le surnaturel quoad modum ; l’assentiment ferme qu’avec son appui donnera l’esprit au fait de la révélation, ne différera pas en lui-même, quoad substanliam, d’une croyance ferme quelconque, il aura seulement été produit, en partie, d’une manière extraordinaire et en quelque sorte miraculeuse. Au contraire, la grâce prévenante demandé.par les conciles avant tout acte de foi salutaire implique un acte essentiellement différent des actes naturels, appartenant à l’ordre des vertus infuses, de la grâce sanctifiante, de la déification ; c’est une autre espèce de surnaturel, le surnaturel quoad subslantiam, le surnaturel déiforme. Il n’y a donc pas d’identification pos

sible. Voir Grâce, Surnaturel et ce que nous dirons de la foi comme vertu surnaturelle.

Système de la double erédibililé.

1. Exposé. —

Quelques théologiens de nos jours se sont posé à leur tour le problème de la grâce dans la crédibilité : ainsi le P. Gardeil. Partant de la distinction fondamentale que nous avons déjà signalée, il décrit bien les deux manières d’agir de la grâce, ut quo, et ut quod. Tantôt les « suppléances surnaturelles » n’ont qu’une sorte d’influence « motrice » écartant les obstacles, favorisant l’adhésion, elles n’agissent pas comme des objets présentés à l’esprit : tantôt, au contraire, elles peuvent être remarquées et par la réflexion « transformées en arguments à l’appui de l’existence du témoignage divin, » et devenir ainsi motifs de crédibilité. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2202 ; et pour plus de développement, La crédibilité et l’apologétique, 2e édit., 1912, Appendice B, p. 318-320. L’auteur admet en termes équivalents la possibilité de ces suppléances que nous avons nommées la suggestion divine et le miracle interne servant de motif de crédibilité ; il affirme « que nous ne pouvons ni ne devons limiter l’action divine ; que Dieu peut incliner une intelligence à adhérer en toute vérité à une proposition qui ne lui est que très insuffisamment justifiée, rationnellement parlant ; que, par la lumière et l’inspiration de sa grâce, il peut même suppléer totalement la crédibilité rationnelle. » La crédibilité et l’apologétique, p. 325. Notons que, dans ce dernier cas, c’est plutôt la crédibilité « ordinaire » que la crédibilité « rationnelle » qui est suppléée, car la raison se retrouve toujours, avant la foi, dans l’examen de ce miracle interne qui lui sert de motif. Le P. Gardeil reconnaît que ce cas du miracle interne n’est pas le cas normal ; mais » pourvu que l’on n'érige pas en critère normal et universel de la révélation ces suppléances totales, ce qui serait tomber dans les erreurs protestantes, rien ne défend à ceux en qui Dieu intervient de cette façon de se servir des convictions que Dieu leur met au cœur pour leur usage individuel. » Revue pratique d’apologétique, 1908, t. vii, p. 199.

De ces principes incontestables, le P. Gardeil passe à une théorie qu’il regarde comme génératrice de tout le reste de son livre, Repue pratique d’apologétique, loc. cit., p. 272, et qu’il est d’autant plus important d’examiner, qu’elle se réfère au cas normal, à la crédibilité de tout le monde, ignorants et même savants. Prenons un homme à qui l’on vient de démontrer le fait du témoignage divin par les meilleurs motifs de crédibilité, qu’il est tout à fait capable de saisir : convaincu, du reste, et non moins raisonnablement, de la véracité divine, el de l’obligation qu’il y a de croire très fermement quand Dieu témoigne, même

en des matières obscures ri mystérieuses, il conclut, en face de tous ces préambules, non seulement : credibile est, mais encore : credendum est. Toutefois, affirme notre auteur, il ne peut prononcer le credendum que d’une manière conditionnelle : si possibile est (erediri), credendum est. Voir /." crédibilité et l’apologétique, 2' 'dit.. Vppendice C, p. 329. Pourquoi cette condition, si pns*t/>iir est'/ La première édition l’expliquait davantage : S’il s’aeissail d’Un acte de foi

humaine, procédant des seules forces de la nature, il serait exigible aussitôt, h s garanties morales ayant i.i certitude nécessaire pour autoriser le passade du credtbile au credendum. > Mais comme il s’agit d’un acte de toi divine, c’est-à-dire surnaturelle, produit de la natun ce, tout reste subordonné à la

possibilité de cette élévation, à la possibilité pour une nature humaine d'émettre l’acte dé foi divine, > pf ssihilité sur laquelle la simple raison n’est p ; is sufii s.iiimient n ii nce qu’il s’agit là d’un ms tère de la râo il y a donc de l’lna< hevé dans le

DK.T. DE fin oi. CATTIOL.

jugement pratique… Je ne saurais dire, sans restriction du moins, credendum est… Pour que l’homme puisse prononcer catégoriquement le credendum est… l’intervention surnaturelle de la cause divine est nécessaire. » La crédibilité, l rc édit., p. 20, 21. Il faut donc nécessairement distinguer du premier credendum, qui ne peut que rester en suspens, un second credendum, qui seul est catégorique ; et il faut une grâce spéciale pour faire passer du premier au second. Le premier de ces jugements pratiques exprime la « crédibilité rationnelle » , celle qui regarde l’intelligence laissée à elle-même ; le second exprime la « crédibilité surnaturelle » , celle qui regarde l’intelligence élevée, « l’intelligence enrichie, ou en voie d'être enrichie, de la vertu de foi surnaturelle. » Voir Crédibilité, col. 2210. On voit que le P. Gardeil ne se propose pas d’expliquer en détail le secours que la grâce donne ou peut donner aux jugements spéculatifs qui précèdent la foi, et particulièrement au jugement sur le fait de la révélation, surtout quand il s’agit des simples. Il concentre sa principale attention sur le jugement pratique, credendum est : c’est seulement celui-ci qu’il croit nécessaire de dédoubler ; et c’est en ce point que consiste l’originalité du système, et qu’il diffère de tous ceux que nous avons précédemment exposés.

2. Critique.

a) Ce dédoublement de la crédibilité paraît introduire une complication qui contredit la simplicité des faits. Voyons ce qui se passe. Quand un infidèle, aidé par la grâce, est convaincu rationnellement des préambules de la foi et que sa volonté ne fait pas d’obstacle, il dit catégoriquement du premier coup : credendum est, sans aucune restriction ni condition. Il ignore la vertu infuse ou la surnaturalité quoad substanliam de l’acte de foi, et les missionnaires ou catéchistes n’ont pas coutume de l’en instruire : il lui suffit de savoir vaguement, comme aux premiers siècles de l'Église, qu’il faut un secours de la grâce pour arriver à l’acte de foi, et que ce secours ne lui est pas refusé. Il n’a pas la moindre idée de deux jugements pratiques de crédibilité à faire l’un après l’autre, l’un rationnel, l’autre surnaturel, l’un conditionnel, l’autre catégorique. — b) Les Pères n’expliquaient pas davantage aux fidèles de leur tennis l'élévation de la nature à faire un acte surnaturel, ce mystère de la grâce donl la raison ne voit pas l’impossibilité, niais ne voit pas non plus la possibilité, et qui doit la faire, hésiter au moment de dire : credendum est. Au contraire, ils se COntentaient de comparer l’acte de foi divine à l’acte naturel par lequel nous croyons tous un grave témoignage humain, sauf le surplus de fermeté que mérite naturellement le témoin hors ligne qu’est Dieu. Voir col. 110 sq. Ils supposent donc que Dieu mettra dans l’acte la surnaturalité nécessaire sans que l’homme ait besoin de s’en préoccuper, ni d’en être

averti par une illumination spéciale, ni d’y proportionner son Jugement de crédibilité. c) Saint Thomas Suppose que les motifs rationnels de crédibilité font voir le credendum du premier coup, et sans aucune condition m réserve, quand il dit : A'"" crederet nisi viderei ea esse credenda, vel propter evidentiam signorum pil propter uliquid hu/usmodt. Sum. theol., Il II.

q. i, a. l, ad 2 i.e P. Gardeil cherche a expliquer ce

credenda au sens impropre d’une aptitude seulement éloignée de la chose a être « rue : et cela sous prétexte

que, les m stères de la foi sonl. dans le < ontetc, ce ; isidérés seulement in gênerait, Sciltcet snh i ommunnatione credibilis. t. a crédibilité et l’apologétique, 2e édit., p. 55. Mais c’est une propriété commune > i"ni Juge mellt de Crédibilité, qu’il ne pénel le pas dans le fond

de la vérité du mystère ni dans sa démonstration Intrinsèque et particulière, >i qu’il se contente de l’atteindre par le dehors et pai un moyen général) i" témoignage constaté par dei In gênerait,

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liai sub commuai ralione credibilis. Voir Crédibilité, col. 2203. Si donc ces dernières paroles de saint Thomas signifiaient une aptitude « seulement éloignée » , elles éloigneraient, elles repousseraient également le second jugement de crédibilité qu’imagine le P. Gardeil, il en faudrait un troisième plus rapproché de la foi, ou plutôt, comme ces paroles tombent sur tout jugement de crédibilité, nous demeurerions éternellement privés du jugement plus rapproché qu’il exige. Son exégèse de saint Thomas, si elle était probante, prouverait donc trop pour le système lui-même. — d) Comment se fera le passage du premier jugement de crédibilité au second, du conditionnel au catégorique ? Par quoi sera-t-il légitimé? Par une illumination de la grâce, répond l’auteur. Mais cette illumination de la grâce sera-t-elle reconnue comme telle et agirat-elle objectivement sur l’esprit (ut quod)l Ou bien aura-t-elle une influence purement invisible, élévatrice ou motrice (ni quo)1 II faut choisir entre ces deux explications, et toutes deux sont insoutenables, ce qui montre l’impossibilité de ce rôle de transition que l’on veut ici faire jouer à la grâce. Voyons successivement les deux explications :

a. L’auteur semble préférer la première, lorsque, du fait même de l’existence d’un jugement de crédibilité catégorique, il déduit l’existence d’une grâce pour le faire, en ces termes : « Le caractère conditionnel du jugement antérieur de crédibilité a disparu. C’est donc que la condition a été remplie, c’est donc, tout jugement ne se légitimant que par des motifs objectifs, que la possibilité pour moi de réaliser l’acte de foi surnaturelle m’est apparue. Comment cela ? Ce ne peut être en vertu de motifs rationnels, impuissants à fournir la preuve de cette possibilité effective. C’est certainement par l’effet d’un secours actuel, d’une illumination de mon intelligence qui me représente actuellement les vérités de foi comme bonnes à croire, effectivement et sans la moindre réserve. » La crédibilité, l re édit., p. 23, 24. Fort bien : mais si je suis certain de la présence d’une grâce qui m’incline à croire, sipar elle je vois ce que tout motif rationnel était impuissant à me faire voir, j’ai en moi une révélation, ou du moins un miracle interne constaté avec certitude ; et comme il ne s’agit pas ici d’un cas exceptionnel, mais du cas normal, de l’explication générale de la crédibilité chez tous les fidèles, nous retombons dans un discerniculum expérimentale analogue à celui de Pallavicini ou d’Esparza. — b. Si l’auteur préférait donner ici à la grâce un rôle inaperçu, en sorte qu’elle ne pourrait se changer en motif objectif, nouvel inconvénient : comment alors justifiera-t-elle à nos yeux le passage que nous ferons à un nouveau jugement jusque-là impossible faute de motif, à un jugement non plus conditionnel mais catégorique ? L’auteur vient de dire lui-même avec beaucoup de raison que « tout jugement ne se légitime que par des motifs objectifs. »

Disons donc, pour éviter tous ces inconvénients, qu’il n’y a qu’un seul credendum est, catégorique du premier coup, légitimé objectivement par les motifs de crédibilité rationnelle sur lesquels il s’appuie ; et d’autre part, aidé par une grâce inaperçue s’il en est besoin. Il peut en être besoin à deux titres, pour deux buts : a. pour faciliter l’acte, pour empêcher la mauvaise volonté de faire obstacle à ce credendum ; ce besoin peut être réel, mais n’est pas universel ; b. pour élever la faculté et obtenir un acte intrinsèquement surnaturel, surnaturel quoad substantiam. Nous croyons que ce credendum est doit être toujours surnaturel ainsi. Voir plus bas au sujet de la foi, vertu surnaturelle. Mais à cela suffit une grâce invisible, comme la vertu infuse ; et il n’est pas nécessaire que nous discernions expérimentalement si notre acte a ou n’a pas cette surna | luralité. — Objection. — Pour croire d’une foi intrinsèquement surnaturelle, il faut que nous connaissions d’abord les vérités révélées comme croyables de cette foi-là ; c’est ainsi seulement que nous proportionnerons parfaitement notre jugement de crédibilité à l’acte de foi tel qu’il doit suivre. — Réponse. — Si cette proportion parfaite était possible, ce serait mieux ; mais elle est impossible, comme l’observe Lugo : « Comment pourrions-nous évidemment connaître la crédibilité par rapport à la foi divine (infuse), puisque nous ne savons avec évidence ni qu’une foi divine et infuse existe, ni qu’elle puisse exister ? » L'évidence de crédibilité avant la foi, dont parlent les théologiens, ne peut donc se rapporter à cela. Ce n’est que par la foi elle-même, ou par une déduction théologique des principes de la foi, que nous connaissons ensuite, obscurément et sans aucune évidence, l’existence, et par suite la possibilité, de la vertu infuse de foi en général et des actes surnaturels qui s’y rattachent. Donc en fait d'évidence de crédibilité, continue Lugo, » la seule chose que l’on connaisse évidemment, c’est que les articles de foi nous sont tellement proposés, que nous pouvons prudemment faire effort, autant qu’il est en nous, pour les croire fermement et sans aucun doute, en renonçant à savoir si cet assentiment, dans ce cas déterminé, sera produit par les forces de la nature ou par la foi infuse : car ceci, nous l’ignorons. » Dispulationes, Paris, 1891, t. i, disp. V, n. 31, p. 324. A fortiori, une multitude de fidèles l’ignore, qui ne savent même pas ce que c’est que vertu infuse et acte surnaturel.

Ceci pourrait aussi résoudre une difficulté qui a frappé M. Blondel, et dont il a cherché la solution dans un passage très critiqué de son livre de l’Action, comme il le racontait récemment : « Comment, me demandait-on, affirmer sans pétition de principe, et par suite, sans témérité et sans profanation, l’origine surnaturelle d’une foi qui n’est peut-être pas telle en moi, ou même qui ne saurait être telle que par l’acte de foi, lequel paraît supposer, avant, ce qui n’est qu’après ? » Simples remarques… Supplément auxviinales de philosophie chrétienne, du 15 février 1913. La réponse la plus simple et la plus sûre, c’est que, ni dans l’acte de foi, ni avant, nous n’avons à affirmer, par une sorte de réflexion sur notre acte, sa surnaturalité intrinsèque, qui peut y être sans que nous y pensions. Avant la foi, il faut avoir reconnu « l’origine surnaturelle » de la révélation ancienne qui nous est proposée à croire, mais non de cet acte de foi tel qu’il se passe en nous. L'Église n’a jamais demandé aux fidèles qu’ils sachent avant la foi ou qu’ils affirment par la foi l’origine surnaturelle de leur acte en tant que procédant de la vertu infuse.

5° Système qui englobe la préparation de la foi dans l’acte de foi lui-même, sous une seule et même influence de la vertu infuse. — 1. Exposé. — Autant le système précédent augmente la complication de l’acte de foi déjà bien complexe, autant celui-ci vise à une simplification extrême. M. Pierre Rousselct, professeur à l’Institut catholique de Paris, part de ce texte de saint Thomas : Fides principeliter est ex infusione, et quantum ad hoc per baplismum datur ; sed quantum ad delerminationcm suam est ex auditu, et sic homo ad fidem per catechismum instruitur. In IV Sent., 1. IV, dist. IX. q. ii, a. 2, sol. 3 a, ad l uu '. Donc deux principes, l’un intérieur, la vertu infuse, l’autre venant du dehors, la révélation de dogmes déterminés transmise par le catéchisme : le premier, quoique « principal » et plus excellent en soi, ne peut suppléer le second, ni déterminer le détail des dogmes. « Sous les mots techniques à'habitus infusus et de credibilium deierminatio, nous retrouvons les deux termes qui semblent hétérogène'. et dont l'Église continue d’affirmer la naturelle soli

darité. » Les yeux de ta foi, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1910, t. i, p. 242. Comment s’opère dans l’individu la conjonction des deux termes ? Le problème (un des problèmes) de l’acte de foi est là, et la solution doit consister à montrer l’accord des deux termes, non pas à supprimer l’un des deux. Hermès a supprimé la grâce intérieure, pour assimiler la foi à une connaissance rationnelle quelconque ; le sentimentalisme protestant a supprimé les dogmes ou bien a voulu les tirer de la seule expérience intérieure « de la grâce perçue expérimentalement : » le concile du Vatican a condamné ces deux solutions opposées, remarque notre auteur. Loc. cit., p. 241-245. Quoique opposées, elles se ressemblent pourtant en ce qu’elles ont tenté de réduire à une unité factice la nécessaire complexité des choses ; ce qui (soit dit en passant) doit nous mettre en garde contre les excès de la simplification ; mais revenons à notre auteur. Il ajoute d’utiles remarques sur le mode d’agir, sur la manière de produire en nous la certitude, qu’il convient d’admettre dans la grâce, dans la vertu infuse. « Les yeux de la foi ne se voient pas… On voit l’objet par eux. > Ce n’est pas < une grâce perceptible, » mais « une grâce percevante. » Loc. cit., p. 244. C’est exprimer élégamment que la grâce, dans la foi, agit non pas objectivement, ut quod. mais subjectivement, ut quo. M. Rousselot rejette le discerniculum expérimentale. Voir ce que nous avons cité de lui, col. 243. Pour expliquer cette sorte d’influence qui se tient du côté du sujet et complète celle de l’objet, il cherche dans l’ordre naturel des exemples de cette illumination des données objectives par une perfection subjective, science acquise, habitude, génie, p. 251-253. Et combien plus efficace sera le principe surnaturel ! Comme nous l’avons dit en admettant la possibilité d’une « suggestion divine » , voir col. 255, la grâce peut faire joindre avec certitude à l’esprit humain deux termes dont par lui-même il ne saisit que très imparfaitement la liaison. « Il suffit pour cela que ladite liaison soit réelle, » p. 258. En fait de grâce, l’auteur met en relief (peut-être trop exclusivement) la vertu infuse de foi : il a été frappé de ce fait que saint Thomas, quand il veut montrer l’influence de la grâce sur la crédibilité, prend pour exemple Yhabitus fidei, et explique son influence par des résonances de sympathie ou d’antipathie dans la partie affective, telles qu’elles se passent dans une vertu, non pas intellectuelle, mais purement affective et volontaire, par exemple, la chasteté, en face des choses qui lui sont convenables ou qui lui répugnent ; appelons cela le rôle sympathique » de la vertu, que nous avons essayé d’expliquer plus haut. Voir col. 230 sq>

in l’auteur arrive a des explications plus originales sur le rôle sympathique de la vertu infuse de foi, c’est lorsque : a) au lieu de l’entendre, avec les anciens théologiens que nous avons cités col. 24 1 sq.. d’une influence seulement indirecte et dispositive, soi t que ce principe surnaturel retarde > l’assentiment qu’on donnerait à l’erreur, comme s’exprime saint Thomas luimême, soil qu’il écarte les obstacles, les mauvaises dispositions qui empêchent de reconnaître la vérité, soit qu’il eu introduise de bonnes, M. Rousselot explique <c rôle sympathique par la nature même de l’intelligence qui ne serait qu’une sympathie, qu’un amour ; en sorte que ['habitué fi<t<i, en tant qu’il réside dans l’Intelligence et i, perfectionne eu coopérant

BVec elle, agirait aussi par manière d’amour. I.'in Quence sympathique, d’après notre auteur, ne doit rtains < as pari Icultera cflntellection, m. h. est la suite nécessaire d’une loi générale de l’Intelligence. Loc. cit., p. Ml. Et comme 01 pourrait lui objecter que l’expérience psychologique ne nous montre nullement que connaître soit almei

réfugie dans l’inconscient ; « L’inconscience de la sympathie n’empêche pas sa réalité. L’affirmation de l'être, qui paraît parfois imposée du dehors, par les objets, est, en réalité, l’expression de notre désir le plus intense, l’expression du charme irrésistible par lequel Dieu crée et conserve l'âme intelligente en l’attirant, en l’ordonnant à soi. » Loc. cit. Si nous ne nous apercevons pas de ce « moment sympathie » , c’est qu’il est « immergé dans l’inconscient, et c’est pourquoi l’affirmation de l'être semble, à la conscience superficielle, se faire simplement per modum ralionis, » p. 462. (Bien commodes pour les systèmes qui contredisent l’expérience, ces suppositions gratuites d' « inconscient » ! Malheureusement, elles ouvrent la porte à la négation sceptiqu ? de toute expérience psychologique, qui pourra toujours, être traitée de « conscience superficielle. » ) Continuons à écouter notre auteur : « Toute vision est vision d’amour, et est définie, dans l'être potentiel, par un habitus appétitif, conscient ou inconscient. La raison enchantée, pour ainsi dire, charmée, fascinée par le Dieu qui l’a faite capable de lui, n’est pas autre chose qu’un pur amour de l'Être, » p. 453, 454. « Concluons donc que, comme pour voir il faut des yeux, comme pour percevoir les choses sous la raison d'être, il faut cette sympathie naturelle avec l'être total, (sympathie) qui s’appelle l’intelligence, ainsi, pour croire, il faut avoir avec l’objet de la croyance cette sympathie spirituelle qui s’appelle la grâce surnaturelle de la foi, » p. 469. Mais sur quelle philosophie repose tout l'édifice de ces assertions ? L’auteur lui-même prend la peine de nous le faire remarquer : « Une grande vérité se cache dans le pragmatisme. » Il faut savoir « l’en extraire » en le poussant jusqu'à ses dernières conséquences. Si l’on a « poursuivi jusqu’au bout l’application du principe pragmutiste (que toute connaissance exprime un appétit), on a reconnu dans l’intelligence elle-même l’expression d’une appétition naturelle de la suprême et subsistante Vérité. » Loc. cit. Nous ne croyons pas’que saint Thomas admette le principe pragmatistc, ni cette identification de la raison et de l’amour, lui qui distingue si rigoureusement et si réellement la faculté de connaître et celle de vouloir ou d’aimer ; lui qui donne sans doute à la volonté une puissance d’agir sur l’intelligence, de commander l’assentiment, mais cela non pas parce que la volonté voit, mais parce qu’elle fait voir : et encore, non pas par « une loi générale de l’intelligence, » qui aurait toujours besoin de volonté, mais seulement comme « un cas particulier d’intellection » . Car pour lui cette adhésion totale qu’est la certitude vient seulement quelquefois de la volonté, d’autres fois purement de l’objet : quod totaliter adhæreat uni parti…, hoc est quandoque ab inlclligibili, quandoque a voluntate… Quandoque intelleclus non [Hiicsi determtnari ad alteram partent conlradiclionis…, delerminatur autern per rolimtalrm…, et ista est dispnsitio eredentis. Quæst. disp.. Dr vrritalc, q. xiv.a. 1. En

sorte que, d’après lui, cet élément d’amour, de volouié, bien qu’essentiel > la foi, qui présuppose toujours l’intervention de la volonté, n’est lias essentiel à l' intelligence en général : occidentale intellectui…, estaitiale fidei. Loc rit., a. >. ad I0um. Évidemment, si nous voulons comprendre el « lasser avec exactitude la

pensée de M. Rousselot, force nous est de reconnaître qu’ici il fausse compagnie a son guide, qu’ici il lui pie fére une philosophie plus moderne, tout en chcrchanl

à orienter celle-ci vers Dieu, ce qui n’est peut-être pas

pour elle un sullisant baptême ; mais nous n’avons pas

a réfuter dans cet article le pragmatisme.

/>) Ce système englobe dans lassent illlcllt intellei I ut- 1 de foi non seulement l’amour, qui, d’après ce que

nous venons de voir, serait au tond de toute Intelta

tion. mais nu on i ette forme spéciale d’amour qu’etl

la libre volonté de croire. Les théologiens en font un acte qui précède et cause l’acte de foi, sans être causé par lui, bien entendu. Selon M. Rousselot, cet élément de volonté libre est purement simultané à l’acte de foi : non seulement il n’a aucune priorité de temps, mais encore « il servirait peu d’affirmer la simultanéité temporelle, si l’on maintenait la priorité causale et exclusive de l’un des deux éléments. » Loc. cit., p. 448. « Il y a causalité réciproque entre l’hommage qu’on choisit de rendre à Dieu… pius affeclus credendi, et la perception de la vérité surnaturelle. Du même coup, l’amour suscite la faculté de connaître et la connaissance légitime l’amour, » p. 450. Nous devrons renvoyer la critique de cette partie du système à la question de la liberté de la foi, que l’auteur, en effet, touche ici, p. 444 sq.

c) Les théologiens font marcher, avant cette préparation volontaire à la foi, une préparation rationnelle que nous avons défendue tout au long contre le lidéisme : à savoir, un jugement pratique de crédibilité, éclairant et dirigeant l’acte de volonté libre dont nous venons de parler, et présupposant lui-même, comme une condition nécessaire pour s'éclairer, plusieurs jugements spéculatifs sur les préambules de la foi. Notre auteur englobe encore dans l’assentiment de foi tous ces jugements de crédibilité : « Dans les connaissances surnaturelles dont nous parlons, il ne faut point imaginer de « jugement de crédibilité » qui constitue un acte distinct. C’est un acte identique, que la perception de la crédibilité et la confession de la vérité. Que si la perception de la crédibilité ne fait qu’un avec l’acte de foi…, il est clair qu’il n’y a plus aucune difficulté à dire, avec saint Thomas, que c’est la lumière de la foi qui montre qu’il faut croire, » p. 254. (On pourrait pourtant expliquer ce mot de saint Thomas autrement, et sans aucune difficulté, voir col. 242 sq.) « Nous prétendons concentrer dans un acte unique, dit-il ailleurs, l'équivalent des jugements même « spéculatifs » de « crédibilité » , jugements qu’on représente d’ordinaire comme précédant l’acte de foi, » p. 451.

rf) Une conséquence de cette dernière « concentration » , c’est que la même grâce qui, d’après la doctrine révélée, est absolument nécessaire à l’acte de foi. est aussi, d’après M. Rousselot, absolument nécessaire pour être convaincu des préambules de la foi, au moins du fait de la révélation, du fait de l'Église et de l’obligation de croire ; absolument nécessaire pour estimer certaines les preuves de tout cela, pour avoir avec certitude les motifs de crédibilité. Et comme la grâce, absolument nécessaire à la foi, est ramenée par une autre simplification à la vertu infuse, il s’ensuit que sans ces nouveaux « yeux » on ne peut, même avec les meilleures dispositions d’esprit et de cœur, percevoir avec certitude les preuves de la religion. « De ce que les preuves historiques et extérieures de la religion peuvent être exprimées par le langage, réduites en un ensemble logiquement cohérent, et, sous cette forme, proposées à tous, l’on n’a nullement le droit de conclure qu’un homme puisse, sans l’illumination de la grâce, les percevoir synthétiquement comme preuves, leur donner un assentiment vraiment certain. Que les preuves de la religion soient individuelles ou communicables, deux conditions sont nécessairement requises à leur perception : la présentation de l’objet, la possession d’une faculté spirituelle qui le puisse saisir. Dans l’un et l’autre cas, le premier élément ne sert de rien sans l’autre… Le second élément, dans le cas des preuves de la foi, est nécessairement une lumière surnaturelle… On ne peut porter sur le Christ, l'Église, les Écritures, un jugement vraiment raisonnable, qu’avec l’aide de la grâce de Dieu. » Loc. cit., p. 466. « La raison naturelle est inhabile à

percevoir certainement les preuves de la foi, » p. 473. « .Mais, nous dira-t-on peut-être…, supposons qu’un prophète ressuscite un mort pour prouver que ses dires sont divinement garantis ; l’intelligence des spectateurs ne serait-elle pas naturellement convaincue qu’ils sont en présence d’une attestation du Dieu infaillible ? Voir Gardeil, op. cit., p. 73-96, et Crédibi I lité, col. 2275 sq. L’exemple est clair, et fort propre à mettre en lumière ce qui nous sépare des théologiens que nous nous permettons de contredire… C’est dans

le caractère surnaturel de la vérité annoncée que nous

trouvons notre motif de nier la possibilité d’un légitime assentiment. Mais rien ne manque à l’assentiment, ni l’intelligence des termes, ni la certitude de la connexion 1 II manque un sujet apte à voir, une faculté capable d’opérer la synthèse, et tout manque par là… Une voie est fermée (à l’esprit), celle de l’affirmation légitime, » p. 474. Il pourra être subjectivement convaincu du fait de la révélation, mais illégitimement, p. 467, en note. Toutes ces assertions de M. Rousselot découlent de ce principe : « L’homme ne peut voir les choses sous la raison formelle d'être surnaturel que par une faculté surnaturelle, » p. 468. Et il explique ainsi en note cette raison formelle d'être surnaturel : « On conçoit bien qu’il s’agit ici non de la connaissance réflexe de l'être surnaturel comme tel (qui est une notion technique), mais de sa connaissance spontanée… à laquelle il faut comparer, dans l’intellection naturelle, non l’idée d'être que considèrent les philosophes, mais celles dont usent tous les hommes, capables ou non de savante abstraction. » Loc. cit.

2. Critique du système.

Elle se bornera donc ici aux deux derniers points, d’ailleurs étroitement liés ensemble. Ils sont inadmissibles pour les raisons suivantes :

a) Si la perception de la crédibilité des dogmes est la même chose que l’acte de foi, comment le concile du Vatican peut-il parler de « l'évidente crédibilité de la foi chrétienne ? » c. iii, Denzinger, n. 1794. La foi, d’après tous les théologiens, d’après saint Thomas et son disciple aussi, je pense, est une connaissance essentiellement inévidente, obscure : la crédibilité, d’après les théologiens et le concile qui sanctionne leur formule, est évidente, peut être perçue avec évidence ; la connaissance de la crédibilité n’est donc pas la connaissance de foi ; une même connaissance d’un même objet, par la même lumière, ne peut être en même temps évidente et inévidente.

b) Aussi bien la vue de la crédibilité a un autre objet que la foi, et la précède d’après saint Augustin : Vides aliquid, ut credas aliquid. Quid est fides, nisi credere quod non vides ? Nullus crédit aliquid, nisi prius cogitaverit esse credendum. Voir col. 187. Et saint Thomas : Fides consista média inter duas cogitationes, quorum una voluntatem inclinât ad credendum, et hsec præccdit fidem ; Ma vero tendit ad intellectum eorum quse jam crédit. In IV Sent., 1. III, dist. XXIII, a. 2, q. i, ad 2 1, nl. Pie IX, encycl. Qui pluribus : Humana ratio ex splendidissimis hisce ac flrmissimis argumeniis (les motifs de crédibilité de la religion chrétienne) clare aperleque cognoscens, Deum ejusdem fidei auctorem existere, ullerius progredi nequit, sed, quavis difficullale ac dubitatione penilus abjecta atque remota omne eidem fidei obsequium præbeat oportel. Denzinger, n. 1 639. La raison ne doit pas illégitimement retarder l’acte de foi : mais il y a cependant une priorité et un intervalle entre la claire perception du fait de la révélation par ses preuves, clare aperleque cognoscens, et l’obsequium fldci, 'acte de foi, qu’elle doit exécuter à la fin.

c) Avant l’acte de foi, il faut admettre la possibilité et l’existence de jugements spéculatifs de crédibilité, doués d’une légitime certitude. Soit un païen intelli

gent et instruit, qui, avec de bonnes dispositions de l’esprit et du cœur fait une sérieure enquête sur la religion. Supposons qu’il soit d’abord frappé du fait de l'Église catholique : la supposition est légitime, puisque, nous dit le concile, (Ecclesia) veluti signum levatum in naliones ad se invitât qui nondum crediderunt. Loc. cil. Il voit dans cette Église même un vrai miracle moral, et un grand et irréfragable motif de crédibilité, ob suc m nempe admirabilem propagationem, exirniam sanctilalem, etc. Loc. cit. Pourra-t-il admettre ce motif de crédibilité avec une légitime certitude ? une certitude « morale » si vous voulez, dépendante de ses bonnes dispositions, mais infaillible pourtant, et absolument légitime ? S’il ne le peut pas, comment l'Église est-elle vraiment « un signe de ralliement apparaissant aux nations, invitant à elle ceux qui ne croient pas encore"} » S’il le peut, voilà un miracle, un signe de la mission divine de l'Église, perçu avec une certitude légitime par quelqu’un « qui ne croit pas encore, » donc avant la foi. Mais, objecte M. Rousselot, il ne peut percevoir un signe comme signe, sans percevoir en même temps la chose signifiée ; ce sont deux termes corrélatifs et inséparables dans la pensée même. « L’indice ne peut être perçu comme indice sans qu’on perçoive en même temps, par une corrélation nécessaire…, la chose indiquée. » Très bien : mais qu’en concluez-vous ? Qu' il ne faut point imaginer de jugement de crédibilité qui constitue un acte distinct…, que la perception de la crédibilité ne fait qu’un avec l’acte de foi, » p. 2.34. Un peu prompte, cette conclusion. Ce que nous pouvons légitimement conclure du principe invoqué, c’est que notre païen ne peut percevoir les signes de la divine mission de l'Église comme signes sans percevoir cette mission elle-même d’une manière générale. Mais percevoir cette mission d’une manière générale, ce n’est pas l’acte de foi ! L'Église pourrait avoir une mission divine qui ne se rapporterait pas à la foi divine, à la foi fondée sur la révélation surnaturelle, mais à autre chose : par exemple, à enseigner avec autorité ou même avec infaillibilité les vérités naturelles, morales et religieuses. Notre païen doit donc encore demander à cette Église, divinement garantie, en quoi précisément consiste sa mission. Et quand elle lui aura fait comprendre qu’elle est gardienne et interprète d’une révélation surnaturelle, que Dieu a parlé, alors seulement notre homme, et après avoir ré fléchi sur la science et la véracité divine, pourra faire le véritable acte de foi proplcr auctoritatem Dei révélant is. Donc, quand il a perçu avec certitude le fait d’une mission divine de l'Église, c'était bien un jugement spéculatif de crédibilité constituant un acte distinct de l’acte de foi, préparant celui-ci, mais d’une préparation encore éloignée.

d) Sans la vertu infuse de foi, sans cette sorte de « (acuité, on peut porter sur des miracles, sur le tait surnaturel de la mission de l'Église, ou sur celui de la révélation, un jugement de crédibilité légitimement Certain. — Témoin le jugement que nous venons de considérer dans ce païen, qui est encore à une certaine distance de son premier acte « le foi. Il ne peut encore avoir la vertu infuse. Car d’après l’opinion de beaucoup la meilleure, et la plus conforme au sens obvie du

concile de I unir. < 'est dans la justification que l’homme reçoit l’habilus fidei : In ipsa ftuttflealione… hac Omnia simili infusa act lpt1 homo…, fidem, spem et rari talem. Scss. VI, c, vii, Denzlnger, n. 800. Or notre nomme n’en est certainement pas encore a la justlBcatlon, qui demande d’abord « les dispositions, . à-dire l’acte de foi, ci puis d’autre* actes qui peuvent s ! f.iin attin’ip' plus ou moins longtemps, comme la pénlb n'e de sis p « lus. Loc. cit., c. vi. i >enzinger, n.798. Mais lors même que nous suivrions l’autre opinion, qui place l’infusion de la vertu de foi avant In justifi cation, au moment précis où se produit le premier acte de foi (en sorte que, par une causalité réciproque, d’après l'école thomiste, la vertu sert de cause efficiente pour l’acte et l’acte de cause dispositive pour la vertu), encore est-il que notre païen, dans ce jugement sur la mission divine de l'Église, n’en est pas même à son premier acte de foi, n’en est pas encore au moment où, d’après cette opinion, se fait l’infusion de la vertu. Il faut donc renoncer à toute influence de la vertu infuse, sur ce jugement de crédibilité ; notre homme n’a pas cette vertu, il ne l’a jamais eue, elle ne peut donc servir à expliquer la genèse de son jugement. Aussi Adam Tanner a-t-il bien limité le rôle de Yhabitus en cette matière : « Quand on dit que l’habilus fideisert à la crédibilité, il ne faut pas entendre cela de la première acceptation de la foi dans un homme auparavant infidèle… Mais il s’agit d’un homme déjà fidèle, par rapport aux actes qu’il fait après l’acquisition de l’habilus. » Theologia scholastica, 1627, t. iii, col. 88.

e) Non seulement on doit admettre des jugements de crédibilité spéculatifs qui précèdent l’acte et la vertu de foi, comme nous venons de le montrer : mais le jugement pratique de crédibilité ou de « crédendité » , quoique plus rapproché de la volonté de croire et de l’assentiment de foi, les précède aussi cependant, et même par une priorité de nature, en sorte que nous devons absolument concevoir d’abord la perception de la crédibilité, de l’obligation de croire, et ensuite la volonté délibérant sur cette obligation perçue, s’y soumettant ou ne s’y soumettant pas, arrivant par là au mérite ou au démérite ; et enfin l’assentiment intellectuel arrivant à l’existence ou n’y arrivant pas. En dehors de cette succession d’actes, on ne peut expliquer ni l’obéissance de la volonté libre à l’obligation reconnue de croire, obedienlia fidei, ni sa désobéissance qui est le péché d’infidélité positive et formelle, dont l’existence est affirmée par tous les théologiens avec saint Thomas. Sum. Iheol., II « II » , q. x, a. 1, 2. Ce péché ne pourrait jamais avoir lieu dans le système que nous critiquons. Car enfin, « ou bien l’intelligence (à qui on prêche la religion avec ses motifs de crédibilité) n’est pas arrivée encore à former un jugement de crédibilité convenable, et alors la volonté n’a pas pu commander prudemment à l’intelligence l’assentiment de foi, et le manque de foi ne sera pas imputable ; ou bien l’intelligence réussit de fait à former ce jugement (suffisant de crédibilité) et alors, suivant la théorie de l’auteur (identifiant ce jugement avec l’acte de foi), par là même existe déjà l’acte de foi, et l’on ne peut plus parler d’infidélité positive et formelle, c 'est-à-dire de contradiction volontaire à la divine vérité connue » et de refus de foi. Civilt I catlolica, 1911, t. iii, p. 331. Donc, le péché d’infidélité formelle ne pourrait exister en aucun cas.

Ce que nous avons dit de la précédciice nécessaire des jugements de crédibilité, spéculatifs et pratiques, n’a pas à souffrir de cette remarque de notre auteur : Il semble que dans le premier acte de foi… la vérité Surnaturelle est directement affirmée. Cette vérité est Crue, et la i crédendité est vue, mais comme est vu le o Je pense dans l’intellection naturelle. La crédendité » est une condition de la représentation (ratio sub qua) ; comme l'âme qui s'éveille à la vie de l’intelligence ne prononce pas explicitement cogilo, ni video, ni fldendum tntellectut, ainsi l'âme qui s'éveille à la vie de foi ne prononce pas explicitement credo, ni Deus dixit,

ni credendtim est. Mais dans l’un comme dans l’autre

cas, les trois affirmations sont réellement et Implicite ment contenues dans l’assertion qui porte directement sur l'être… Ensuite, la réflexion peut les extraire,

. 163. Le rapprochement n’est pas heureux entre le premier exercice Intellectuel et le premier exercice

de l.i foi. D’abord, parce que les premiers acti d( i

raison sont nécessairement fort imparfaits et fort confus, tandis que le premier acte de foi d’une vie humaine peut être fait par un adulte très perspicace et très accoutumé à la réflexion, comme notre païen de tout à l’heure. Ensuite et surtout, parce que les premiers jugements directs de la raison sur les données des sens ont pour motif l’évidence intrinsèque, sans que la question de la valeur de la raison humaine se pose aucunement à l’enfant, qui ne pourrait pas même la concevoir ; ce n’est pas d’ailleurs du principe général /idendum intellcclni, qu’il doit déduire chaque certitude particulière, ni les adultes non plus ; cela supposerait un raisonnement qui détruirait toute évidence immédiate. Au contraire, la foi est une connaissance essentiellement médiate et extrinsèque, voir col. 99 sq., où le témoignage, avec sa valeur, n’arrive pas après, par manière de réflexion sur la connaissance directe, mais doit être explicitement connu avant l’acte de foi, puisqu’il en est le motif. Et comme l’enfant lui-même, pour s’en rapporter au témoignage de ses parents, doit d’abord les entendre parler et en avoir une grande idée, ainsi, pour s’en rapporter au témoignage de Dieu, il doit d’abord savoir que Dieu a parlé et attacher un sens et une grande idée au mot « Dieu » : le fîdendum Deo est donc nécessaire explicitement avant le premier acte de foi, quoique plus tard, dans les actes de foi répétés par habitude, il puisse être plus ou moins implicite et confus ; le fîdendum intelleelui, au contraire, n’est pas nécessaire explicitement avant le premier acte de la raison, ni même avant les autres ; et, comme dit l’auteur, il est « ensuite extrait » par la « réflexion » , si l’attention est éveillée par les négations du scepticisme et si l’on fait la critique de la connaissance.

/) Dire avec M. Rousselot qu’« on ne peut porter sur le Christ, l’Église, les Écritures, un jugement vraiment raisonnable qu’avec l’aide de la grâce de Dieu, » c’est déprécier singulièrement l’apologétique chrétienne et catholique et la valeur objective de ses preuves, contrairement à ce qu’en disent les documents ecclésiastiques. Rappelons-nous qu’il est possible, d’après lui, p. 258 (et l’on ne peut nier cette possibilité, voir notre critique du système de la suggestion divine, col. 255) que la grâce, opérant sur l’esprit humain, lui fasse joindre par un jugement certain deux termes dont, laissé à lui-même, il ne voit que très imparfaitement la liaison, par de faibles arguments, de maigres probabilités. Ceci posé, si nos meilleurs arguments apologétiques, nos plus forts motifs de crédibilité peuvent sans doute nous convaincre légitimement à l’aide de la grâce de Dieu, mais sans elle ne peuvent donner à personne une certitude légitime et « vraiment raisonnable » , en quoi diffèrent-ils, alors, des plus faibles arguments, que la grâce saurait tout aussi bien faire valoir ? Comment peuvent-ils mériter les éloges que leur décerne le concile du Vatican, en les appelant divinie revelationis signa cerlissima, c. iii, Denzinger, n. 1790, divinæ institutionis (Ecclesise) manifestas notas, n. 1793, tam mulla et tam mira, teslimonium irrefragabile, n. 1794 ? D’autant plus que le concile ne tire pas leur légitime valeur de la grâce comme si seule elle la leur donnait, mais au contraire, après avoir parlé de ces excellentes preuves, traite de la grâce comme d’un autre secours qui vient s’y ajouter, accedit : Cui quidem teslimonio effieax subsidium aceedit ex superna virtute, etc.

Musset fait dire à un incrédule qu’un prêtre tâche d’amener à la religion : « Quittons ce sujet-ci…, je vois que vous avez le crâne autrement fait que moi. » Si de fait le cerveau d’un incrédule était organisé à l’opposé de celui d’un croyant, si l’objet variait du tout au tout suivant la faculté du sujet, en vain présenterait-on des motifs de crédibilité, en vain même

tâcherait-on d’amener l’incroyant â de bonnes dispositions morales pour le préparer à voir. X’en serait-il pas de même s’il manquait à l’incroyant une « faculté surnaturelle » nécessaire pour être légitimement certain du fait de la révélation, et qu’il ne peut recevoir qu’après avoir reconnu ce fait ? Et s’il connaissait cette théorie, ne pourrait-il pas dire : « Commencez par me fournir dans mon incroyance même cette faculté qui me manque d’après vous, et alors nous pourrons causer utilement. » Et pense-t-on l’attirer par l’espoir de recevoir (et quand ?) une vertu infuse qu’on reconnaît ne pouvoir lui prouver ?

L’auteur, à l’appui de cette assertion que la grâce (que la vertu infuse en particulier) est absolument nécessaire pour former un jugement « vraiment raisonnable et légitimement certain » sur le fait de la révélation ou de l’Église, établit, comme nous l’avons vii, ce principe que c’est seulement par une faculté surnaturelle que l’on peut connaître un objet surnaturel, du moins comme tel. Ce principe est déjà compromis par les conséquences inadmissibles qui en découlent et que nous venons de signaler. Il doit donc être faux ou du moins trop généralisé, ou exagéré. Pour le défendre, M. Rousselot en invoque un autre plus vaste dont celui-ci n’est que l’application : < C’est une loi générale de toute connaissance, dit-il, qu’il faut une communauté de nature entre le sujet et l’objet, < p. 468. Qu’elle est vague, cette communauté de nature exigée entre le sujet et l’objet ! Y a-t-il « communauté de nature » entre le fini et l’infini, entre l’homme et Dieu ? Ils ne sont ni dans la même espèce ni dans le même genre, il n’y a qu’analogie entre eux. Et cependans nous sommes bien obligés d’admettre que l’homme a une connaissance naturelle de l’infini, de Dieu, qu’il n’a pas besoin pour cela d’être élevé par une vertu infuse. Vous répondrez qu’il y a communauté de nature en ce sens que l’homme est un esprit et que Dieu aussi est un esprit, bien qu’infiniment supérieur. Mais, dans le même sens et avec le même vague, n’y a-t-il pas communauté de nature entre l’esprit humain d’une part, et l’Église, le Christ, le miracle, la révélation, de l’autre ?

Mais le surnaturel, objectera-t-on, est au-dessus de nos forces, de notre puissance naturelle. C’est-à-dire que nous ne pouvons pas le produire : cela veut-il dire que nous ne pouvons en aucun cas le eonnaître, une fois que Dieu lui-même l’a produit sous nos yeux ou qu’il nous en a, par des témoins oculaires et d’autres intermédiaires humains, fait connaître la production ? tout cela, sans doute, gratuitement de sa part, car nous ne pouvons l’exiger. Il y a cette différence entre produire et connaître, que la cause efficiente (si elle est adéquate ou principale, et non pas purement secondaire, instrumentale) doit au moins égaler l’excellence de son effet, le « précontenir » comme disent les scolastiques ; en d’autres termes, le moins ne peut produire le plus, ou nemo dat quod non habet. Au contraire, le sujet connaissant ne tire pas son objet de lui-même, il ne le contient pas, il ne le fait pas, il le suppose : c’est le principe scolastique (principe de simple bon sens) opposé au subjectivisme. L’objet, tenant sa perfection d’ailleurs, peut donc être infiniment supérieur au sujet pensant auquel il s’adapte ; et l’acte du sujet reçoit son caractère spécifique de l’excellence de l’objet en lui-même, mais combinée avec la manière imparfaite dont il est perçu, il faut tenir compte des deux éléments. N’appliquons donc pas à la connaissance un principe qui ne regarde que la cause productrice ; ne nous laissons pas tromper par la forme grammaticale, verbe actif avec régime direct : « connaître un objet ; » il semble à première vue que l’objet soit passif, que nous le produisions par notre connaissance, ou qu’il dépende de nous ; et pourtant c’est le -269

FOI

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contraire : c’est la faculté qui, bien que produisant son acte d’une activité immanente, dépend de son objet, qui est passive par rapport à lui, qui dans son acte est déterminée par lui. Le cardinal d’Aguirre, après avoir rappelé ce rapport inverse qu’a l’homme avec l’objet extérieur, quand il s’agit de le produire ou de le connaître, conclut : « Puisque la nature, considérée en soi, ne contient pas l’cffet surnaturel ou miraculeux, il s’ensuit qu’elle ne peut le produire par ses propres forces ; mais cela ne l’empêche pas d’en tirer une connaissance évidente, une fois qu’existe cet effet. Car l’intuition naturelle peut dépendre d’un objet miraculeux ou surnaturel existant, comme de sa cause formelle extrinsèque, ou qui termine la connaissance : il n’y a, en effet, aucune contradiction à ce qu’un être inférieur en ordre ou en dignité dépende d’un être supérieur, et le suppose existant ; tandis qu’il y a contradiction à ce qu’une cause efficiente produise un effet qu’elle ne contient pas du tout. » S. Anselmi Iheologia commeniariis illustrata, Rome, 1688, t. i, lisp. VIII, n. 25, p. 179.

Sans doute, il est une espèce d' « objet surnaturel » qui échapperait absolument à notre intelligence, si celle-ci n'était élevée par une grâce intérieure, par un habilus infus. C’est Dieu perçu en lui-même par la vision intuitive. Sans même parler de sa transcendance par rapport à toute créature, un tel objet échappe spécialement à la nature humaine, parce que, dans l’homme, la connaissance naturelle des choses suprasensibles est abstractive, c’est-à-dire tout l’opposé d’une intuition. Voilà donc un « objet surnaturel » auquel doit répondre une « faculté surnaturelle » , un habilus élevant l’intelligence, le lumen glorise des théologiens..Mais il y a un abîme entre Dieu lui-même vu lace à face, et un simple signe donné par lui ou un ensemble de signes, comme le miracle ou la révélation par laquelle il témoigne : signes adaptés à nos yeux de chair ou à nos oreilles, à nos concepts abstraits notre raisonnement naturel sur les données des sens ou sur les causes des phénomènes : en un mol, les à notre nature. Que des théologiens, par une synthèse tardive, aient étendu à ces signes (parce que nous ne pouvons ni les produire ni les exiger) le grand nom de i surnaturel » , tandis que d’autres auteurs, craignant quelque dangereuse confusion, préfèrent les classer dans un ordre à pari, le « préternaturcl » , aussi éloigné de l’ordre surnaturel de la vision intuitive que le l’ordre même de la nature, ce sont là des classifications qui, comme celles de la botanique, par exemple, n’ont de valeur qu’autant qu’elles se rapprochent le plus possible de la réalité des faits, et qu’on ne doit jamais prendre naïvement comme une vérité première, Comme un principe évident, devant lequel les faits eux-mêmes soient obligés de plier. On ne doit jamais nier ainsi : je range sous la même étiquette d’objet surnaturel non seulement Dieu vu en luimême, mais le miracle, la révélation, l'Église et ses charismes, etc. Donc, en vertu de cette classification, de même qu’il faut une faculté surnaturelle » pour

lieu, il en faudra ('gaiement une pour voir les . qu’il donne de la révélation, de la mission de Jésus ou de <ille de l'Église, en un mot, pour faire de l’apologétique raisonnable et légitimement certaine, i argumenter de la sorte serait subordonner le réel ; ï l’arbitraire, la chose, , l'étiquette. Non, c’esl chacun 'jets dénommés surnaturels qu’il faudra étu dler soigneusement et séparément, pour découvrir, d’après leur nature ou d’après la révélation, 'i Il Ues sont, i l'égard de chacun d’eux les conditions de notre

< "lin i l’obji l est isilde de sa nature,

<-. mime le mirade présent sous nos yeux, ou raconté

par une histoire authentique, la nature Intelligente, qui n’a pu le prévoir, ni le faire, ni l’exiger, pourra

cependant suffire à le constater quand il est donné. S’il est invisible, comme l’est pour nous actuellement le fait eschatologique de la vision intuitive de Dieu, alors, pour qu’il soit connu de nous comme certain dans l’avenir, entrevu de loin, sous nos concepts abstraits de « Dieu » et de « voir » , il y faut la grâce extérieure de la révélation, mais rien ne prouve, en outre, l’absolue nécessité d’une sorte de faculté nouvelle pour le saisir ainsi. De tels objets, dit le cardinal Billot, « étant une fois supposée la grâce extérieure de la révélation, peuvent être atteints par un acte naturel, c’est-à-dire produit par les seules forces de la nature… La vie éternelle elle-même, nous pouvons la connaître et la désirer par un acte purement naturel, sans aucun don intrinsèque élevant nos facultés. En effet, la béatitude surnaturelle consistant dans la vision de Dieu peut naturellement être représentée par un concept analogique, et être connue dans la réalité de son existence par le témoignage de la révélation confirmée par des signes suffisants. Elle peut semblablement être désirée de ce désir qu’on appelle appetitus elicitus, car ce désir naturel se porte sur tout ce qui est connu comme perfectionnant le sujet qui désire : serait-il sensé d’en excepter le bien de la vie éternelle ? » De virtutibus infusis, 2e édit., Rome, 1905, 1. 1, p. 68-70. SDdonc nous savons par ailleurs, par la tradition des Pères ou des docteurs basée sur les données de la révélation, qu’une grâce intérieure et surnaturelle doit d’une absolue nécessité coopérer aux actes de foi ou d’espérance par lesquels nous tendons méritoirement à cette béatitude surnaturelle, et qu'à cette grâce nécessaire appartiennent les vertus infuses, cette nécessité absolue de la grâce intérieure ne provient pas de ce qu’avec le seul secours extérieur de la révélation tout « objet surnaturel » échapperait absolument à notre faculté de con naissance naturelle, mais de ce que la faculté doit être élevée pour que l’acte ait dans son essence cette perfection intrinsèque spéciale qui le met en proportion avec la fin à atteindre, et le rend salutaire pour lajustification, méritoire pour le ciel. Aussi les conciles, continue Son Éminence, ont parlé avec une grande précaution, quand ils parlent de la nécessité absolue de la grâce pour faire les actes mêmes de foi, d’espérance et de charité ; ils ajoutent toujours cette limitation : pour faire ces actes sicut oporlct, sicut congruil ad justificationem et vitam œlrrnam ronsequendam. » Loc. cit., p. 70. Enfin, si nous nous transportons dans la patrie, s’il s’agit de notre vision intuitive non pas entrevue dès à présent et en énigme, mais un jour vraiment réalisée, c’est là qu’il faut absolument, pour atteindre Dieu en lui-même, pour cet objet surnaturel » au sens le plus élevé du mot, que la faculté soit élevée par un habilus infus, le lumen gloriee ; et jamais un tel objet ne pourrait être atteint d’une manière quelconque, pâlies forces de la nature.

Il serait surtout arbitraire d'établir une corrélation nécessaire et absolue entre cette : 4ràce extérieure du

miracle et de la révélation, que les pélagiens admettaient, que saint Augustin consentait a peine i appeler du nom de. grâce, et la grâce intérieure et proprement dite à laquelle appartient la vertu infuse de foi, liée int rinséqucment a la Justification, a la grâce sanctifiante, à la déification du chrétien. Pour établir une pareille corrélation, il n’y a pas entre ces deux termes la proportion voulue ; ils ne sont pas au même sens l.i grâce. te surnaturel.

Il y a là deux ordres différents de dons, qu’on

peut appeler l’ordre préternaturcl » et « l’ordre surnaturel. En sorte que le principe même de proportion qu’on invoque en le pressant trop : » Il faut

une communauté de nature entre le sujet et l’objet, » se retournerait plutôt contre cette thèse nouvelle

qui, lorsqu’il l’agll de constater simplement le lail

préternaturel du miracle ou de la révélation, exige du côté du sujet une vertu infuse appartenant à un ordre surnaturel très supérieur à ce préternaturel. — Les théologiens qui les premiers ont commencé à faire une synthèse générale du « surnaturel » ont bien remarqué qu’elle renferme des groupes différents, qui ne doivent pas être assimilés pour ce qui est de l’impossibilité naturelle de connaître le surnaturel. Molina, par exemple, distingue différents genres de surnaturel, et ajoute : « Ce sont les choses surnaturelles du premier genre que saint Thomas déclare ne pouvoir être naturellement connues par aucune créature intelligente, même après qu’elles sont données…, et par suite ne pouvoir être connues intuitivement ni par nous ni par les anges, si ce n’est surnatur. llement. » Il n’en est pas de même d’une autre catégorie de choses « surnaturelles » . Les démons, privés, comme on le sait, de toute vertu infuse et de toute grâce intérieure, ont pourtant, continue Molina, « pu voir intuitivement la résurrection du Christ et celle de Lazare, et les autres miracles ds Notre-Seigneur, et savoir que tout cela était surnaturel. » Commentaria in I » m D. Thomee, Lyon, 1593, q. lvii, a. 5, disp. I, p. 631, 632. Suarez, bien qu’il diffère de Molina par sa théorie qu’un acte naturel, soit dans l’homme, soit dans l’ange, ne peut atteindre en aucune façon un objet surnaturel du genre le plus élevé — aussi M. Rousselot dans cette question se réclame-t-il souvent de Suarez — admet pourtant sans l’ombre d’un doute qu’on peut naturellement atteindre le surnaturel quoad modum, le miracle, une fois que Dieu a bien voulu l’accomplir : les hommes pouvaient naturellement voir Lazare ressuscité, l’eau changée en viii, le Christ marchant sur les eaux, etc. Suarez, De angelis, 1. II, c. xxx, n. 2, dans Opéra, Paris, 1856, t. ii, p. 302. Et non seulement voir la chose matérielle, qui était naturelle en elle-même, comme le corps vivant de Lazare ressuscité ; mais encore connaître le mode surnaturel par lequel ce corps avait reçu la vie : le connaître, non pas intuitivement ou distinctement, mais du moins d’une manière abstraite et générale, comme une intervention divine en dehors de l’action des causes secondes. Quoad modum supernaturalem… non est dubium quin abslracle et generatim cognosci possit, fartas esse (lias res) præler naturam. Loc. cit., n. 4.

Nous avons insisté sur ce dernier point, à cause de la difficulté de la question et de son importance de nos jours, où l’on parle beaucoup et un peu confusément du surnaturel. Nous n’avons rien dit de la pensée de notre auteur sur la certitude relative et non infaillible qu’ont les enfants et les simples du fait de la révélation, certitude qu’il estime insuffisante à préparer la foi, sans alléguer d’ailleurs rien de nouveau contre la thèse de la suffisance : nous avons largement débattu la question et nous n’y reviendrons pas. Voir col. 231 sq.

Dans un article postérieur, M. Rousselot s’efforce de confirmer son système. Voir les Recherches de science religieuse, Paris, janvier-février 1913. Il s’en prend surtout à une certaine « foi naturelle » , admise par beaucoup de théologiens ; déjà dans les articles précédents il l’avait attaquée et avait signalé, parmi les défenseurs contemporains de cette « foi naturelle » , M. Vacant, M. Bainvel, le P. Gardeil, le P. Hilaire de Barenton, le cardinal Billot. Voir Recherches, t. i, 1910, p. 245. Il faudrait d’abord la bien définir. Cette foi est dite « naturelle » , non que la nature puisse la tirer d’elle-même par le simple jeu de ses principes immanents, sans un secours venant du dehors, surnaturel ou préternaturel. Au contraire, elle suppose d’abord et nécessairement pour chacun de ses actes le secours préternaturel de la révélation transmise du dehors par des intermédiaires. Elle suppose les mira cles qui authentiquent pour nous cette révélation. Elle suppose au besoin une grâce intérieure qui nous facilite l’examen de la révélation et des miracles, grâce qui peut être seulement préternaturelle ou surnaturelle quoad modum. Elle suppose de bonnes dispositions morales, nécessaires pour le genre d'évidence morale des préambules de la foi ; et l’acquisition, le développement, la conservation de ces bonnes dispositions morales a pu exiger, dans la partie affective, dans la volonté, des grâces surnaturelles, ou préternaturelles. Voilà déjà bien du surnaturel préalable pour cette « foi naturelle » . Tous ces secours étant supposés, l’infidèle en marche vers la foi, s'étant ainsi prouvé par des preuves rationnelles tous les préambules, l’existence, la science et la véracité de Dieu, le fait multiple de la révélation chrétienne en général, de l'Église et de la révélation de telle vérité en particulier, peut arriver, selon beaucoup de théologiens, à donner un assentiment certain, basé sur le témoignage de Dieu, à cette vérité, par exemple : « Nous devons nous aimer les uns les autres ; Dieu nous jugera ; Dieu s’est fait homme pour nous sauver, » et cela sans que son intelligence soit en outre élevée soit par la vertu infuse de foi, soit par une grâce actuelle équivalente et du même ordre ; du reste, cet assentiment n’est pas l’acte de foi théologale proprement dit, parce que, faute d'élévation intérieure de la faculté, ce n’est pas un acte intrinsèquement surnaturel : voilà dans quel sens on l’appelle « foi naturelle » . Scot l’appelle « foi acquise » , par opposition à la « foi infuse » qui est le produit de la faculté élevée par Yhabitus fidei ; et des documents cités par M. Rousselot pour « i’histoire de la notion de foi naturelle, » il résulte que c’est à Scot que revient l’honneur d’avoir le premier établi nettement cette importante distinction de concepts. Voir les Recherches de janvier 1913, p. 2-14. Quant à l’existence d’une pareille foi, non seulement Scot l’a admise, mais encore il semble avoir admis la nécessité de commencer par faire un acte de « foi acquise » toutes les fois qu’on va faire un acte de « foi infuse » ; et quelques théologiens de nos jours, en dehors de l'école scotiste, semblent ao mettre que les choses se passent ainsi en réalité. D’autres ne veulent pas de ces deux actes de foi, l’un naturel, l’autre surnaturel, s’appuyant tous deux sur l’autorité divine et ayant un même objet à croire ; c’est une complication qui n’est pas d’accord avec l’expérience générale, les actes surnaturels tombant eux-mêmes sous l’expérience par un certain côté ; déjà Lugo a réfuté une semblable opinion. Disputationes, Paris, 1891, t. i, De fide, disp. I, sect. ix, p. 95 sq. Ceux-là se contentent de dire que la « foi naturelle » , si elle n’est pas une condition de la foi surnaturelle, est un acte possible, au cas où la faculté n’est pas encore élevée, ou ne peut dans le moment présent être aidée par Yhabitus fidei. Ainsi le cas où un enfant baptisé, à qui on aurait proposé un faux mystère comme révélé, ferait là-dessus un acte de foi à cause du témoignage de Dieu ; en ce qui tombe sous la conscience, son assentiment à un faux et à un vrai mystère serait le même et également certain, et appuyé sur les mêmes motifs de crédibilité, et il ne percevrait la différence par aucun discerniculum, voir col. 246 sq. ; mais il y aurait une différence, invisible à ses yeux, en ce que Yhabitus fidei, qui ne tombe pas sous la conscience, coopérerait à l’assentiment quand il s’agit du vrai, et non quand il s’agit du faux : voir plus loin, la foi vertu surnaturelle ; cette coopération rendrait la foi au vrai mystère un acte intrinsèquement surnaturel, tandis que la foi au faux mystère serait la « foi naturelle » dont nous parlons. Ainsi Lugo, op. cit., disp. IV, n. 92, 93, p. 298. 299 ; Salmanticenses, De fide, disp. II, n. 96, p. 147, 148 ; Kilber, dans Theologia Wirceburgensis, Paris, 1852, t. iv, De virtutibus theologicis, n.18,

p. 15 ; n. 196, p. 168, 169, etc. Un aulrc exemple, qu’ils donnent, est celui où un infidèle, n’ayant pas encore l’habilus fidei, est arrivé par les motifs de crédibilité à croire les articles de la foi catholique, mais quelque obstacle du côté de la volonté l’empêche de vouloir universellement et sincèrement se soumettre à la foi ; son acte de foi ne serait pas surnaturel. Gentilis edoclus fidem, nolens esse christianus, eum hoc posset credere lolam fidem esse veram, ut Ecclesia tend : constat… quod talis nulla supernaturali gratin adjiilus crederel. Cajetan, In / » " II", q. cix, a. 4 ; dans l'édition léonine de S. Thomas, Rome, 1892, t. vii, p. 298. Cf. Salmanticenses, De gratia, disp. III, n. 43, 44, dans Opéra, Paris, 1878, t. ix, p. 350 ; De fuie, disp. I, n. 201, t. xi, p. 93.

Au milieu de ces opinions, notre auteur est parfaitement dans son droit de blâmer cette théorie « qu’un acte distinct de foi acquise précède toujours temporellement l’acte de foi infuse, » Recherches, 1913, p. 12 ; de blâmer « le dédoublement de la foi vivante en un acte de raison et un acte surnaturel, » p. 30, ou le proCédé qui consiste à « appliquer sur l’acte naturel la dorure du surnaturel, » p. 35, d’autant plus qu’il serait absurde de considérer un acte naturel qui fût ensuite » élevé » , l'élévation ne pouvant tomber que sur une faculté pour lui faire produire un acte essentiellement différent de l’acte naturel, et c’est ainsi que les théologiens cités entendent les choses. Libre à lui de rejeter les conclusions de Cajetan ou des Salmanticenses, de Lugo ou de Kilber, que nous venons de citer. Mais a-t-il la même liberté de rejeter l’existence de tout jugement de crédibilité antérieur à l’acte de foi surnaturel, et de concentrer » tous les jugements de crédibilité dans cet acte ? Ce n’est plus la même question : quoi qu’on pense de la < foi naturelle » , il faut bien admettre, comme nous l’avons montré, à cause de la succession des actes dans l’esprit humain, et des preuVea différentes de chaque préambule de la foi, il faut bien admettre des jugements de crédibilité portant sur tel ou tel préambule isolément, qui ne permettent pas de faire encore aucun acte de foi à la parole de Dieu, ni naturel, ni surnaturel, et qui précèdent l’infusion de la vertu de foi. En supprimant cette préparation de l’acte de /ni par des jugements de crédibilité distincts et successifs, M. Rousselot a contre lui toutes les écoles réunies, thomistes, scotistes, théologiens de la Compagnie de Jésus et tous les autres ; tous depuis des siècles ont admis ces jugements de crédibilité préalables. Un tel accord entre des écoles si facilement divisées est déjà bien remarquable au point de vue purement humain ; mais de plus, un consentement si unanime et si durable a sa valeur au point de vue théologique de la tradition ; n’est-il pas téméraire de l’en écarter pour introduire du nouveau ? Ne laissons donc pas ici la <i notion de foi naturelle » et son histoire nous donner le change. Il s’agit, avant tout, des

nents de crédibilité avant la foi, et il faut les admettre ; si, a les admel lie. on devait arriver logiquement à reconnaître aussi la foi naturelle » , tant mieux pour elle ; unis <<iii conséquence logique n’est pas prouvée, et la foi nature Ile reste une question contro et s. i ondaire, qu’il ne. faut pas substituer à la question décidéi et prin< ipale.

Pour montrer que saint l homas n’a admis ni l’exis tl ru ni l.i possibilité d’une foi naturelle. ce qui est

ible après tout et demanderait une très longue dis< ussion dont nous n’avons pas le loisir, l’auteur cite différents b (tes de lui. Rechen hes, 1913, p. 16-21. Nous ne retiendrons que les deux premiers, parce qu’ils

tOUChent a nie autre question déjà traitée tout a

l’heure, voir col. 240, beaucoup plus Importante que de la foi naturelle. Car on voudrait nous prouver aussi pai ces texb i que la doctrine de saint Tho mas « requiert rigoureusement la grâce (entendez la grâce de Yhabitus fidei, ou du moins une grâce actuelle équivalente qui élève la faculté) soit pour croire, soit pour voir qu’il faut croire. » Loc. cit., p. 25. Pour croire, oui ; pour voir qu’il faut croire, en comprenant là-dedans tous les jugements de crédibilité, tant spéculatifs que pratiques, et chez les infidèles qui se convertissent à la foi aussi bien que chez les fidèles, non, et les textes allégués ne le disent pas. Le premier conclut que, « puisque l’homme, dans son assentiment aux articles de foi, est élevé au-dessus de sa nature, il faut que cela lui vienne d’un principe surnaturel. » Suin. theol, IIa-IIæ , q. vi, a. 1. Il s’agit là de l’assentiment de foi théologale, et non pas des jugements de crédibilité. De même pour le second texte : in fide qua in Dcum credimus… est aliquid quod inclinai ad assensum, el hoc est lumen quoddam, quod est habitus fidei, etc. In Boctium, De Trinitatc, q. ni, a. 1, ad 4° iii, édit. Vives, t. xxviii, p. 508 ; du reste, ce second texte sera expliqué plus bas. Voir la foi vertu surnaturelle, sa certitude particulière. Comme M. Rousselot confond dans un seul acte les jugements préalables sur le fait de la révélation, de l'Église, etc., avec l’acte de foi lui-même, il applique naturellement dans sa pensée, à la perception de la crédibilité, ce que saint Thomas dit de l’assentiment de foi. Mais il ne prouve pas que

! saint Thomas ait fait la même confusion que lui et nous avons le droit, nous, de distinguer, avec tous les théologiens disciples de saint Thomas, ces actes très distincts, et, quand le saint docteur parle de 1' « assentiment de foi, » de ne pas entendre autre chose. En face de ces deux textes qui ont une certaine apparence en sa faveur, M. Rousselot en cite un autre que nous regardons comme très clairement en notre faveur, car il s’agit des démons qui, sans avoir l’habilus fidei ni

I aucune grâce élevant leur faculté, ont la crédibilité suffisante des révélations divines, par exemple, sur leur sort futur, Sum. theol., II « II 1, q. v, a. 2 ; le grand principe métaphysique sur la nécessité d’une « faculté surnaturelle » pour connaître la révélation ne vaut, donc pas ; autrement il devrait s’appliquer partout, même aux démons. L’auteur reconnaît loyalement que ce texte « peut sembler constituer une sérieuse objection à l’interprétation » qu’il propose de la doctrine de saint Thomas. Loc. cit., p. 22. Les efforts qu’il fait pour se concilier ce texte ne semblent pas heureux ; eu fin de compte, il se contente d’afhrmer simplement son principe métaphysique, p. 23, note.' !.

Ainsi, tout au plus pourrait-on dire que la pensé de saint Thomas reste un peu obscure, peut-être hésitante. D’ailleurs, dans ses aperçus souvent très brefs sur un sujet très compliqué, il n’a pas distingué aussi nettement qu’on l’a fait après lui le rôle de la dans la perception première de la crédibilité, et le rôle de la grâce dans la foi ; l’espèce de grâce différente qui peut intervenir pour l’un ou l’autre de ces buts : la nécessité de la grâce plus rigoureuse pour l’un que pour l’autre. Il passe, parfois de l’un à l’autre sans avertir. Ces considérations, a elles seules, suffiraient a nous dispenser d’entrer dans une fastidieuse discus sion de textes, l.t M. Rousselot ne dit-il pas, de son côté, que la théorie du rôle que jouent dans la foi la grâce et les dispositions du Sujet (lie/ saint Thomas lui-même, malgré des points d’attache nombreux. symétriques et très remarquables, est encore trop peu

développée. tel nous sommes d’accord. La différent

vient ensuite, quand il s’agit de développer les brèves Indications du docteur angélique. Quelle méthode suivre ? M. RoUMelot pense que, pour obtenir un

dans i.. 1 1 le de l’acte de foi, il faut puiseï

aux sources de la philosopha praumal iste. nous

lavons vu..lai essayé d’utiliser, ajoute i II en 191. certaines notions pré< leuses que la philosophie mo

derne a mises au jour touchant la potentialité, l’appétivité, la volontariété de toute connaissance conceptuelle. » Loc. cit., p. 36. Il tient surtout à ce que connaître soit vouloir, soit aimer : « L’immanence de la volition dans l’intellection est, à cet égard, une îles notions les plus nécessaires à éclaircir. » Il voudrait utiliser « l’explication kantienne de la perception du beau, » connaître au moyen d’un plaisir, p. 32 ; comme si d’ailleurs toute perception du vrai pouvait se ramener à la perception du beau ! Pour nous, la méthode qui nous paraît préférable sur le terrain théologique consiste à utiliser l’immense travail qu’ont fait sur les données de saint Thomas les grands théologiens suscités à leur tour par la providence, mieux éclairés que lui sur certains points par de nouvelles recherches, de nouvelles hérésies et de nouvelles définitions de l'Église ; surtout quand on peut avoir le consentement unanime de leurs diverses écoles.

6° Autres systèmes qui exigent, pour discerner le miracle, non pas une grâce quelconque, mais spécifiquement la grâce de la foi. — Nous les indiquerons brièvement ; ils diffèrent du précédent en ce que, par « grâce de foi » , ils n’entendent pas la vertu infuse de foi, dont ils se soucient peu, mais l’acte même de foi. Leur principal inconvénient est d’enlever au miracle son rôle apologétique si nécessaire, voir col. 142, et si marqué dans l'Écriture et les Pères, voir Crédibilité, col. 2236-2257 ; car s’il n’est reconnu comme miracle qu’après l’acte de foi et en vertu de cet acte, il ne peut lui servir de préparation rationnelle, et n’a pas de valeur apologétique.

1. Parmi les protestants conservateurs qui ont gardé une conception assez exacte de l’acte de foi, plusieurs ne veulent pas du miracle comme motif de crédibilité. Soit défiance générale de la raison humaine gâtée par le péché originel, soit crainte exagérée de la difficulté qu’il peut y avoir à manier le critère du miracle, soit désir de fonder la foi uniquement sur l’expérience intérieure, ils disent que le miracle n’est pas une preuve de la foi, mais un objet de foi ; que les miracles de Jésus, par exemple, ne servent pas à prouver sa mission (quoi qu’il ait dit le contraire, voir col. 69), mais doivent être crus comme les autres faits ou enseignements qui appartiennent au contenu de l'Évangile. On pourrait leur montrer que ces deux points de vue sont conciliables entre eux, que les miracles du Christ peuvent être preuve de foi ou objet de foi, suivant que l’on considère les Évangiles tantôt apologétiquement comme livres historiques et humains, tantôt théologiquement comme livres inspirés et parole de Dieu. Mais enfin, selon eux, ces miracles, ne devant figurer que de la seconde manière, sont seulement une des choses que nous croyons, et encore ne sont-ils pas une des principales : de sorte qu’avant de les croire, on a déjà la foi et on a fait un premier acte de foi, peutêtre même beaucoup d’autres. Les miracles qu’ils retiennent viennent donc toujours après la foi, jamais avant. Notons que leur théorie, fausse dans sa généralité, est vraie de certains miracles racontés dans l'Évangile, qui n’ont pas été faits devant un grand nombre de témoins, et dont la preuve historique est insuffisante pour nous, en sorte qu’ils n’ont pas de valeur apologétique, mais restent simplement objet de notre foi. Telle est la conception virginale du Christ, qui, pour sa mère, a été un motif de crédibilité, et même de toute première valeur, et ne l’est pas pour nous, d’après saint Thomas lui-même. Sum. theol., III 1, q. xxix, a. 1, ad 2um.

2. Certains modernistes, et les protestants libéraux, en disant aussi que « le miracle suppose la foi, que sa conception vient de la foi, » etc., entendent tout autre chose par le mot « foi » , c’est-à-dire la naïve crédulité, l’esprit légendaire, générateur des

légendes et des mythes.Voir col. 1 11-142. Nous n’avons

pas à réfuter ici ce pur rationalisme ou naturalisme, cette négation a priori du miracle et de sa possibilité. Voir Mihacle.

3. Le système de M. Edouard Le Roy est plus compliqué : il exige la foi à un double titre pour le miracle, d’abord pour le produire, ensuite pour le discerna. — a) Pour prouver que la foi produit le miracle, il cite les textes de l'Évangile qui, sous le nom de « foi, font allusion à ce charisme particulier que l’on a appelé, chez les catholiques aussi bien que chez les protestants, la « foi des miracles » . Voir col. 69 sq. Et il conclut : « Toujours la foi précède, accompagne, explique l'œuvre merveilleuse… Il n’y a de miracle que par la foi… Le miracle manifeste le pouvoir causal de la foi. Par lui, la foi montre qu’elle est une force efficace et réelle capable de vaincre les forces physiques… Sans doute, on peut croire sans être pour cela thaumaturge. Mais c’est que l’on croit d’une foi chancelante. » Anncdes de philosophie chrétienne, 1906-1907, t. cliii, p. 248, 249. On voit l’inconvénient de confondre la foi théologale exigée de tous les fidèles avec la foi-charisme donnée aux apôtres et à certains fidèles : c’est de mettre tous les chrétiens dans l’alternative d'être des thaumaturges ou de n’avoir qu' « une foi chancelante ; » c’est d’empêcher la foi de venir jamais après le miracle, ce qui est admissible de la foi-charisme, mais non de la foi ordinaire des fidèles ; c’est de supprimer le miracle comme motif de crédibilité, puisqu’il n’est plus présenté comme signe de l’origine divine de la révélation chrétienne, mais comme signe de la foi-charisme, signe de la puissance et de l’efficacité de la foi personnelle de tel individu ; signification bien moins utile, et même décevante, parce que le miracle ne suppose pas nécessairement cette foi comme sa cause, et il est inexact que cette fei « le précède toujours » ou qu’elle soit toujours exigée dans l'Évangile comme une condition du miracle. Voir col. 69. Du reste, l’auteur semble réduire la « foi des miracles » à ce qu’on appelle vulgairement « la foi qui guérit, » c’est-àrdire la confiance du malade, ce qui supprimerait arbitrairement de l'Évangile et de la vie de l'Église tous les miracles autres que les guérisons, tous ceux qui sont faits sur des êtres incapables de confiance, comme la multiplication des pains, la marche sur les eaux, l’arrêt subit de la tempête, etc., ou même les guérisons d’hommes inconscients ou placés à distance, et les résurrections. La fausse hypothèse de la foiconfiance précédant toujours le miracle, et le conditionnant, permet à l’auteur d’expliquer que « le miracle est surnaturel…, parce que la foi » dont il dérive nécessairement « l’est elle-même, » loc. cit., p. 250, et d’exclure ainsi le sens vrai dans lequel on doit admettre que le miracle est préternaturel, c’est-à-dire : a. parce qu’il dépasse la puissance des causes secondes, au moins de celles qui ont pu agir dans la circonstance donnée, et montre ainsi une intervention positive et immédiate de toute la puissance de Dieu, approuvant une doctrine, garantissant la mission d’un envoyé ; b. parce que nous ne pouvons pas l’exiger, parce que nous n’y avons pas droit. Pour M. Le Roy, le miracle perd cette caractéristique essentielle ; il devient, au contraire, l'œuvre propre et naturelle d’une cause seconde qui est l’activité humaine, l’activité à laquelle l’homme a droit : « Un miracle, c’est l’acte d’un esprit individuel…, agissant comme esprit à un degré plus haut que d’habitude, retrouvant en fait, et comme dans un éclair, sa puissance de droit….On peut dire que le miracle n’est pas autre chose que l’acte libre porté à sa plus haute puissance, » loc. cit., p. 242, ce qui est la négation du miracle tel que l'Église l’entend, « montrant la toute-puissance de Dieu » et par là devenant « un signe très certain de la révélation

divine. » Concile du Vatican, c. iii, Denzinger, n. 1790. Aussi, M. Brunschwicg a-t-il bien noté que la conception du miracle chez M. Le Roy, quoi qu’en dise celui-ci, diffère radicalement de la conception traditionnelle. Bulletin de la Société française de philosophie, mars 1912, p. 108 sq. Et M. Blondel, « que le système de M. Le Roy combine ensemble des thèses confuses et inexactes…, incompatibles les unes avec les autres au point de s’entre-détruire, délétères au point de détruire cela même qu’elles prétendent expliquer et maintenir (le miracle). » Ibid., p. 1.53.

b) Après avoir donné à la foi le rôle de « génératrice du miracle » le nouveau système lui donne encore celui de reconnaître le miracle, de le discerner. Ici revient, et plus manifestement, l'équivoque du mot < foi » : tellement que M. Le Roy, pressé par les objections du P. Laberthonnière, finit par déclarer qu’il parle de deux espèces de foi. En présentant la foi comme génératrice du miracle, « je prends, dit-il, le mot foi dans l’acception la plus large : ce n’est… ni forcément la foi chrétienne ou, en général, la foi religieuse, ni même une foi légitime et fondée… Mon attention ne se porte que sur son intensité, et sur l'éclair d’exaltation qui peut résulter pour elle de certaines circonstances… C’est un fait que la foi guérit… Ce n’est pas (de la foi chrétienne) particulièrement que je parle, mais de la foi-confiance en général… Quelle que soit la manière dont, ultérieurement et pour d’autres motifs, on qualifiera la foi génératrice, c’est toujours comme foi-confiance qu’elle engendre la matérialité du miracle, ou plus précisément du fait qui peut être miracle (car au point de vue de la pure matérialité, miracle et prestige ne font qu’un) ; et c’est pourquoi les faits extraordinaires dont nous parlons peuvent être acceptés par le savant… Venons maintenant au discernement du miracle. Cette fois, il s’agit bien de la foi chrétienne, puisque c’est du point de vue de cette foi que j’ai voulu indiquer comment peut se faire la discrimination du miracle et du prestige… N’e confondons pas foi-confiance et foi-croyance, foi psychologique et foi surnaturelle. » Bulletin, p. 151, 1°>2. Mais alors, si la foi génératrice n’a pas besoin d'être religieuse, ni même « légitime et fondée, » si « 'est une foi-confiance quelconque pourvu qu’elle ait i un éclair d’exaltation, » s’il ne faut pas « la confondre avec la loi surnaturelle, » comment a-t-on pu dire ailleurs que le miracle est surnaturel, parce que cette foi qui le produit « l’est elle-même ? » Annales…, loc. cil., p. 250. Comment a-t-on pu dire plus haut que cette foi est i une participation vécue à des réalités divines, e vivifiante et libératrice ? » Bulletin, p. 105. El si l’autre foi » , celle qui doit discerner le miracle, est la foi chrétienne, » alors le miracle n’est pas fait pour persuader ceux cpii ne l’ont pas, les infidèles : ce cru i

ontraire à la tradition des Pères et à saint Paul. I Cor., xiv, 22. M. I.e Roy cherche à éviter ce dernier inconvénient : « En disant que le miracle est un signe qui s’adresse à la foi et n’est entendu que de la foi, je parle d’une foi naissante, non parfaite, qui se cherche e, qui travaille à s'éprouver et à s’accroître. Voilà pourquoi le miracle peut jouer son rôle apologétique, peut concourir a la genèse de la foi qu'à un autre point de vue il rappose. il serait Indiscernable, il serait lettre moite pour qui ne posséderait aucun commencement ' ! > foi. Bulletin, p, 107, 108. '.et adoucissement n’en i > a s la contradiction avec l'Écriture ci in tradition. Ie n 'I lamaia que d’une croissance et d’un progrès, dit M. I.e Roy, non poinl d’une création <> nlhllo, qu’il s’agit au sujcl de la foi et de la grfli

'il. Saint Paul, lui, y voit une création : Dieu

qui a dit : Que la lumière brille du sein des téni

lui qui a fait luire sa chuté dans nos Cœurs, i II Cor., i.Nous sommes son ouvrage, ayant clé créés en

Jésus-Christ dans les bonnes œuvres. » Eph., Il, 10Aussi parle-t-il d’une « nouvelle création » . II Cor., v, 17. Les infidèles n’ont pas une foi chrétienne « qui travaille à s’accroître : » ils n’ont pas un atome de foi chrétienne. Tout ce qu’ils ont, c’est la loi naturelle « écrite dans leurs cœurs, » Rom., il, 15, c’est la raison qui, aidée au besoin d’une grâce facilitante, peut et doit leur donner certains préambules de la foi, nécessaires à la conception et au discernement du miracle, comme l’existence et la providence de Dieu, sa toutepuissance et la possibilité du miracle. Mais ne confondons pas la foi et ses préambules : de ce que certains de ses préambules sont nécessaires au discernement du miracle, ne concluons pas que la foi chrétienne elle-même lui soit nécessaire, et qu’il ne s’agisse pour i l’incroyant que d’augmenter cette foi.

Quant au cercle vicieux que M. Le Roy se propose S d'éviter, volontiers nous reconnaissons qu’il l'évite, en i n’exigeant qu’une foi « naissante » pour discerner le I miracle, et en réduisant le rôle apologétique du miracle à « accroître » la foi. On l'éviterait encore mieux, c’estj à-dire sans tomber dans d’autres inconvénients que nous avons signalés, si l’on disait que la foi proprement ' dite n’est requise à aucun degré pour reconnaître et discerner le miracle. A propos de cercle vicieux, nous devons signaler une autre objection de ce genre contre notre apologétique traditionnelle, contre la preuve de nos mystères par le miracle : « C’est un cercle vicieux, de prouver le surnaturel par le surnaturel. » Des erreurs opposées à l’extrême, le rationalisme allemand et le fidéisme de Bautain, ont fraternisé en nous faisant cette objection. Voir Hettinger, Théologie fondamentale, t. i, § 20, trad. franc., Paris, 1888, p. 282. — Réponse. — Le cercle vicieux revient à prouver une chose (qui a besoin de preuve) par elle-même : a par b et b par a, donc en définitive a par a. Mais dans notre cas, il n’y a que le mol de surnaturel qui soit identique des deux côtés, et qui donne une apparence de pétition de principe ou de cercle vicieux : ce mot couvre en réalité deux choses fort différentes. La première, le mystère, est inaccessible à notre expérience naturelle et à notre raison philosophique, mais peut se prouver par le témoignage divin, dont le fait se constate au moyen de signes miraculeux, si Dieu veut nous donner révélation et miracle, ce qui est pour nous une grâce extérieure ; et la preuve est valable, car le témoignage bien constaté d’un infaillible témoin est une source extrinsèque de certitude. La seconde chose, le miracle, avec la fait de la révélation dont il est le sif ; nc, pour surnaturel » qu’il soit appelé, tombe cependant sous l’expérience humaine et sous la raison naturelle, et est transmissible par le témoignage humain : c’est donc comme un pont jeté entre les mystères invisibles et nos facultés humaines ; pont de fabrication toute divine, mais ouvert à notre connaissance naturelle pour qu’elle y entre de plain-pied, quand il est gratuitement donné. Ainsi le surnaturel le plus caché se trouve relié à la connaissance rationnelle par un procédé logiquement cohérent. Lorsqu’elle aborde ce procédé, la raison humaine, d’une part, n’est pas laissée entièrement à ses seuls moyens naturels, puisqu’elle dépend alors de la grâce extérieure de la révélation ; mais, d’autre part, elle n’a pas besoin d’elle éle ce par une vertu infuse ni de recevoir ainsi de nouvelles forces intérieures, tant qu’elle ne fait encore que constater avec une certitude morale et naturelle le fait de cette

révélation, avant la certitude surnaturelle de L’acte

de loi, lequel peut d’ailleurs être différé ou même refusé. Voir Ce que nous BVOnS dil du suin.it tu et et du

naturel, col. 27n. Bien des erreurs contemporaines sur la révélation et i.i foi viennent de ce que l’on

n’a pas exactement saisi l’ensemble de ce prOCeMUS, qut

fait comme l’ossature <i< l’apologétique traditionnelle. VIII. Persévérance dans la foi ; résolution de persévérer.

Nous abordons des questions nouvelles et fort pratiques. En traitant de la fermeté de la foi, élément de sa certitude, jusqu’ici nous n’avons considéré qu’une fermeté d’adhésion actuelle, une fermeté de conviction pour le moment présent, et qui suffît à la certitude d’un acte de foi. Mais souvent on étend le mot « fermeté » à signifier une certitude habituelle, une force de conviction qui dure, ce que nous appellerons en termes plus clairs constance, persévérance dans la foi. Nous entendons une persévérance vraiment complète, perpétuelle, c’est-à-dire allant jusqu'à la fin de la vie, et sans interruption soit par l’apostasie soit par un doute librement accepté. Et la première question qui se pose, c’est de savoir si une telle persévérance est possible à tous les fidèles. Il y a contre cette possibilité deux classes bien distinctes d’obstacles. La première vient des passions et de la mauvaise volonté, puisque la certitude des préambules, condition de la possibilité et de l’obligation pratique de croire, n’est ordinairement qu’une certitude morale, laquelle dépend de bonnes dispositions morales. Voir col. 210. Ces bonnes dispositions venant à céder devant l’orgueil ou d’autres passions mauvaises, la certitude des préambules de la foi peut succomber, et avec elle la possibilité de croire, comme elle peut revenir par le seul fait du changement du cœur. Nous n’entrerons pas dans l'étude de ce genre d’obstacles affectifs, soit parce que cette étude est relativement facile, soit surtout parce qu’elle ne regarde pas directement notre sujet. La seconde classe d’obstacles provient de notre intelligence elle-même, de ses faiblesses et de ses besoins ; leur étude est tout à fait propre à notre sujet, et comprend plusieurs questions intéressantes et difficiles. D’abord, question de méthode scientifique. Si l’on veut transformer la foi naïve de l’enfance en une foi parfaitement raisonnable pour un homme instruit, ne conviendrait-il pas de l’interrompre soi-même à un certain point de la vie et de douter volontairement de toute sa religion, jusqu'à ce qu’on en ait fait une démonstration rigoureuse et complète ? Hermès l’a pensé. Ensuite, question de crise imprévue et soudaine où peut se trouver un croyant. Sans interrompre de sa propre initiative, à la façon d’Hermès, la ioi de son enfance, ne peut-il y être forcé, au moins pour un temps, par des circonstances telles que la crédibilité, condition nécessaire de sa foi, vienne à lui manquer sans qu’il y ait de sa faute ? Cette question se complique d’une question d'équité et de droit commun à tous les hommes : nous approuvons les membres des autres Églises, quand ils doutent de la religion de leur enfance et la quittent pour entrer dans l'Église catholique : n’est-il pas équitable d’approuver aussi les catholiques, s’ils disent que leur conscience les force à quitter leur religion, ou à entrer dans une autre ? Enfin, à la persévérance dans la foi, si elle est voulue de Dieu, correspond dans le fidèle une résolution de persévérer. Cette résolution est-elle prudente, et quelle doit être sa portée ? Voilà les questions qui s’offrent à nous. Donc :
1° documents généraux de la révélation sur la persévérance dans la foi ;
2° méthode d’Hermès ;
3° différence entre l' Église et les sectes quant au doute et au changement de religion ; possibilité pour tout catholique d’avoir toujours la crédibilité nécessaire et de persévérer dans la foi ;
4° résolution de persévérer, et de préférer la révélation divine à tout ce qui la contredit.

Documents généraux de la révélation sur la persévérance dans la foi, sa possibilité et son obligation.

1. Écriture sainte.

Elle montre la persévérance dans la foi comme une condition nécessaire de salut, comme une obligation. L’obligation suppose la possibilité, ad impossibile nemo tenetur ; d’ailleurs la parole de Dieu qui ne peut exhorter à une chose impossible, exhorteles fidèles à persévérer dans la foi. Voir Col., i, 22, 23 ; ii, 6-8 ; Heb., x, 22, 23, 38 ; I Joa., ii, 24 ; II Joa., 9.

2. Pères.

Tertullien, à rencontre des hérétiques qui cherchaient toujours sans s’arrêter à rien, affirme que, quand on a trouvé la foi, il n’y a plus qu'à la garder : Quærendum est donec invenias, et credendum ubi invencris, et nihil nisi amplius custodiendum quod credidisli. De prsescript., c. ix, P. L., t. ii, col. 23. Saint Jean Chrysostome commente ainsi les paroles de l'Évangile, Eslole prudentes sicut serpentes : « Comme le serpent livre son corps aux coups, pourvu qu’il sauve sa tête : ainsi, nous dit le Christ, vous devez tout sacrifier pour garder la foi : les richesses, les membres, la vie même. C’est que la foi est comme la tête et la racine : si vous la gardez, la perte du reste sera ensuite surabondamment réparée. » In Matth., homil. xxxiii, n. 2, P. G., t. lvii, col. 390. « Que de langues contredisent la vraie doctrine 1 dit saint Augustin. Pour toi, cours au tabernacle de Dieu, attache-toi à l'Église catholique, ne t'écarte pas de la règle de vérité. » Enarr. in ps. xxx, serm. ni, n. 8, P. L., t. xxxvi, col. 253. « Persévère dans ce que tu as appris, suivant la parole de l’apôtre, ajoute saint Cyrille d’Alexandrie ; dans ton âme simple conserve la foi ; et plaçant la tradition de l'Église comme une base dans le sanctuaire de ton cœur, garde la doctrine qui plaît à Dieu. » Homil. pasc, viii, n. 1, P. G., t. lxxvii, col. 558. Saint Anselme ait du chrétien : « Qu’aucune difficulté ou impossibilité de comprendre ne puisse l’arracher à la vérité, à laquelle il a adhéré par la foi. » De fide Trinitatis. c. ii, P. L., t. clviii, col. 263. Résumant l’enseignement des Pères, saint Thomas dit de tous les fidèles, même de ceux qui comprennent le moins les dogmes qu’on leur enseigne : Intelligunt tamen ea esse credenda. cl quod ab eis nullo modo est deviandum. Sum. theol., * IIa-IIæ, q. viii, a. 4, ad 2° m. Que l’on ne doive jamais dévier de la foi reçue, voilà bien la persévérance obligatoire dans la foi.

3. Documents ecclésiastiques.

Le concile de Trente, après avoir dit que la justice, qui nous renouvelle intérieurement et que nous recevons dans la justification, sess. VI, c. vii, Denzinger, n. 799, comprend les dons infus de foi, d’espérance et de charité, n. 800 ; après avoir rappelé les cérémonies du baptême, et comment les catéchumènes, candidats du baptême, demandent à celui qui va les baptiser « la foi, qui donne la vie éternelle, » ajoute : « Recevant donc cette justice chrétienne et véritable (qui comprend la foi), à la place de celle qu’Adam par sa désobéissance a perdue pour lui et pour nous comme une parure donnée par le Christ, ils reçoivent l’ordre de la conserver, après leur nouvelle naissance (leur baptême), toujours blanche et immaculée, pour l’apporter ainsi au tribunal de Notre-Seigneur Jésus-Christ et obtenir la vie éternelle. » Loc. cit. La profession de foi de Pie IV, ou du concile de Trente, se termine par un serment solennel de « garder et de confesser cette foi catholique… entière et immaculée jusqu’au dernier soupir très constamment, avec l’aide de Dieu, » Denzinger, n. 1000 : commentaire parfaitement clair de la phrase un peu plus enveloppée que nous venons de citer du concile de Trente. Le concile du Vatican dit à son tour : « Personne n’obtiendra la vie éternelle s’il n’a persévéré (dans la foi) jusqu'à la fin. Or, pour que nous puissions remplir notre devoir d’embrasser la foi véritable et d’y persévérer constamment, Dieu par son Fils unique a institué l'Église, et l’a revêtue de signes manifestes de son institution, » etc. Denzinger, n.1793. Tout ce passage sera expliqué plus bas.

Méthode d’Hermès.

1. Notions préliminaires.

Pour éclairer la question, et faire saisir la portée des condamnations de l'Église, nous devons tout d’abord distinguer deux espèces de doute, le réel et le fictif.

a) Le doute réel nous est déjà connu comme une suspension du jugement entre deux thèses contradictoires, un état d’équilibre de l’esprit n’inclinant pas plus d’un côté que de l’autre. Voir la définition de saint Thomas que nous avons citée à propos de l’opinion, col. 92. Analysons ce concept. On peut s’abstenir, même volontairement, de porter un jugement, sans qu’il y ait pour cela doute. « Si quelqu’un, dit Lugo, en face de tous les motifs de crédibilité ne veut pas faire pour’.e moment l’acte de foi, parce qu’il n’y est pas obligé pour chaque instant, pro semper, et qu’il veut alors éviter la fatigue, se distraire à d’autres objets, la suspension de l’assentiment n’est pas alors un doute. » Dispul., Paris, 1891, t. i, disp. XVII, n. 86, p. 786. Car une telle abstention commandée par un tel motif « ne déroge en rien à l’autorité ae la foi, dit-il plus loin. Au contraire, celui qui retient son assentiment à cause des difficultés qui se présentent contre la vérité de la foi, par le fait même semble approuver tacitement ces difficultés et ces raisons et leur reconnaître de la valeur ; il donne suffisamment à entendre qu’il y a danger de se tromper en faisant l’acte de foi et c’est pour éviter ce danger qu’il se commande à lui-même une suspension d’assentiment. Dans une telle volonté (inspirée d’un tel motif) se manifeste une grave irrévérence à l’égard de la foi (de la révélation divine)… Même entre bommes, si à l’affirmation sérieuse d’un grave personnage, confirmée peut-être par serment, vous répondiez : Je suspends mon jugement — il serait en droit d’y voir une insulte. » Loc. cit., n. 91. Lugo ajoute que s’abstenir d’affirmer par crainte de se tromper, c’est là proprement « suspendre son jugement, » c’est là « douter » d’après l’origine même du mot dubius : qui hærcl inter duas vias. Il y aurait donc doute réel, si, par crainte de se tromper dans plusieurs des convictions de son enfance, on s’efforçait à un moment donné de faire table rase de toute certitude antérieure, de soulever des doutes contre tout ce qu’on tenait jusqu’à présent comme assuré, en attendant de reconquérir scientifiquement la certitude dans la mesure du possible. Le fait d’espérer reconquérir la certitude perdue, ou le lait d’appeler ce doute « méthodique » parce qu’il fait partie d’une méthode ne l’empêcherait pas d’être réel ; c’est donc à tort que plusieurs prennent comme équivalentes ces deux épithètes : doute méthodique, doute fictif. Cette espèce de doute réel est appelée parfois doute positif » , sans doute à cause de l’effort positif et même violent qu’il Implique contre une conviction déjà enracinée, à Ile on tâche d’enlever ce règne paisible et incontesté qu’on appelle la certitude habituelle. Du reste, le nom de « doute positif » ayant un autre sens en théomoralc, il vaut peut-être mieux s’en tenir à l’expression moins ambiguë de « doute réel » .

b)Lc doute fictif ne fait pas cri effort violent contre une conviction antérieure, et ne la remet pas réellement en question. Il se contente de ne pas regarder la preuve sur laquelle ; i été basée la certitude habituelle de l’objet, de ne pas l’évoquer a l’état arluii, de faire " lion temporairement de cet te preuve et de cette certitude déjà conquise. Soit un mathématicien qui e une nouvelle démonstration d’un théorème II n’a pas besoin pour cela de douter réellement de l, i ir de l’ancienne preuve qu’il a depuis longtemps, ni de rétracter ou d’attaquer la certitude habituelle qu’elle B produite dans son esprit : c’est assez qu’il de côté cette preuve ancienne, qu’il s’abstienne d’en ranimer le souvenir au moment même ou il en cherche une autre, qu’il f ;.sse comme si elle n’existait pas, comme si l’énoncé du théorème l’offrait < lui poui la première fois, sans appui intérieur, sans garantie de vérité. Voilà le doute fictif, grâce auquel le savant concentre toute son attention sur une démonstration nouvelle, la laisse agir seule sur son esprit pour mieux en éprouver et en juger la valeur. Kleutgen, qui a beaucoup étudié et analysé les ouvrages d’Hermès, décrit ainsi le doute fictif : « L’esprit n’est pas indécis sur la vérité de la chose, mais il procède comme s’il était indécis, pour démontrer scientifiquement la vérité que par ailleurs il admet sans hésiter. » La philosophie scolastique exposée et défendue, trad. franc., 1. 1, n. 223, p. 432. Déjà saint Augustin avait bien décrit le doute fictif : « Quoique je tienne tout cela d’une foi inébranlable, dit-il, cependant, parce que je ne le tiens pas encore par la connaissance (scientifique), nous allons chercher comme si tout cela était incertain. » De libero arbilrio, 1. II, c. ii, P. L., t. xxxii, col. 1242. Voir aussi un endroit de ses Rétractations où il avertit que, dans un passage de son De vera religione, c. xxv, il ne faut pas voir un doute réel, mais seulement fictif. Relract., 1. I, c. xiii, n. 6, P. L., t. xxxii, col. 604. Les scolastiques ont exprimé le doute fictif par ces formules interrogatives, dubitatives en apparence seulement, mises en tête des différentes questions qu’ils traitent : Utrum DcuS sit ? Ulrum Deus sit corpus ? etc.

2. Exposé de la méthode d’Hermès.

Nous n’avons pas à faire ici la biographie d’Hermès, professeur de théologie catholique et chanoine de Cologne, homme de vie irréprochable et d’excellentes intentions, mais dont les idées se ressentirent du triste état où végétait alors la théologie en Allemagne, voir Hurter, Nomenclator, 3e édit., Inspruck, 1912, t. v, col. 899 ; cf. G. Goyau, L’Allemagne religieuse, Le catholicisme, 1905, t. ii, p. 6-12 ; puis le mouvement hermésien, surtout après la mort du maître (1831), la condamnation par Grégoire XVI (1835). Op. cit., p. 142-146, 166-169. La bibliographie de l’hermésianisme est donnée par ces deux auteurs, surtout par le P. Hurter, op. cit., col. 903-904. Nous n’avons pas non plus à exposer ici toutes les théories de Georges Hermès, mais seulement sa méthode, étroitement liée à notre sujet. Destinée par son auteur non pas à tout le monde, heureusement, mais seulement à ceux qui veulent se préparer solidement à enseigner la religion, cette méthode part d’un doute général sur les convictions antérieures portant sur les vérités de la foi elles-mêmes, y compris leurs préambules.

On a beaucoup discuté pour savoir si le doute de Descartes était un doute réel ou fictif : 1a chose est bien plus claire pour celui d’I termes, plus blâmable d’ailleurs en ce qu’il s’attaque directement aux vérités de la foi, que Descartes avait tâché d’épargner. Voici comment I termes, dans son Introduction à la théologie, expose les principes de sa méthode et l’usage qu’il en a fait lui-même : « Au milieu de tous ces travaux, j’ai été fidèle, de la manière la plus consciencieuse, à la résolution prise de douter tant que cela était possible et de ne rien décider définitivement, à moins de pouvoir constater, pour une telle décision, une absolue nécessité de la raison (cine absolute Nôtigung der Yernunft). Il m’a fallu pour cela traverser, avec beaucoup d’efforts, le labyrinthe du doute, où refuserait de s’engager celui qui n’est jamais parvenu à un doute sérieux {errulichen Zweifet), parce qu’il regarderait cette entreCOmme une peine inutile et comme une perte de temps. Puis il exprime ainsi les résultats acquis : b suis devenu certain de l’existence de Dieu, de l’Immortalité de mon Ame ; je suis certain mainte nant que le christianisme est une révélation divine, I I que le catholicisme est le.vrai christianisme. » Einlcitung fn hr christkalholltche Théologie, part. I, PhiloSOphiSCht Einleitling, 2e édit.. Munster, 1831, préface. p. x, xi. (.c doute sérieux i, enfin suivi d’une acquisition de la certitude qui auparavant n’existait pas, tout en un mot dans ce passage montre assez qu’il ne s’agit pas d’un cloute fictif. D’après Hermès encore, le futur théologien ne doit « reculer devant aucun doute, » mais au contraire doit les « rechercher » , aufsuchen. Loc. cit., p. xxvii. Il exhorte ses disciples à s’affranchir théoriquement de tous les systèmes de théologie et de religion, et à les regarder tous comme d’égale valeur. « Cet affranchissement, dit-il, n’est pas opposé, comme on pourrait le croire, au doute réel, comme s’il ne constituait qu’un doute méthodique (fictif), mais seulement à l’abandon pratique des devoirs religieux ou à l’apostasie proprement dite de la religion. » Loc. cit. Ainsi Hermès entend que, sans abandonner la pratique religieuse et sans se poser en apostat, on doute réellement. Comparez les citations d’Hermès faites par les théologiens du concile du Vatican, Colleclio lacensis, t. vii, col. 530, 531 (en note).

On a vu dans notre première citation d’Hermès, que la seule porte par laquelle il permet de sortir du doute, le seul moyen légitime de décider (pour soi) définitivement un point quelconque, c’est quand on y est forcé par « une absolue nécessité de la raison. » Entend-il par là l’évidence des scolastiques, qui détermine l’intelligence par une réduction aux premiers principes, ou celle de Descartes qui y ressemble ? Oui, mais pas uniquement. « Imprégné de kantisme…, cette raison par laquelle il se laissait conduire du doute à la foi, dit M. Goyau, était beaucoup moins la raison spéculative que la raison pratique de Kant. Car la vérité et la réalité de l’histoire évangélique ne peuvent, d’après lui, être admises de telle façon que tout doute spéculatif soit exclu ; et il ne serait pas absurde, pour la raison spéculative, d’admettre que Jésus, en se disant Dieu, ait été trompeur ou trompé ; c’est à la raison pratique de suppléer. Hermès, après avoir discuté si le Nouveau Testament et la tradition orale sont historiquement vrais d’une façon extérieure, remet à cette raison pratique le soin de décider si la doctrine de Jésus, telle qu’elle est proposée dans ce livre et dans cette tradition, est intérieurement vraie ; et c’en est assez pour deviner avec quelle force lui pouvait être adressé le reproche de subjectivisme… A ses yeux, les commandements de Dieu n’acquéraient force obligatoire qu’en tant qu’ils étaient intérieurement, après examen de leur objet, reconnus conformes aux exigences de la raison pratique. » G. Goyau, op. cit., p. 9, 10. Perrone avait déjà signalé le grand rôle de la « raison pratique » dans le système d’Hermès, et montré l’insuffisance de cette raison pour la vraie certitude et ses autres inconvénients. Réflexions sur la méthode introduite par G. Hermès dans la théologie catholique, traduit de l’italien dans Migne, Démonstrations évangéliques, 1843, t. xiv, col. 959 sq. Qu’elle soit spéculative ou pratique, Hermès fait passer du doute à la foi par une raison « absolument nécessitante » pour l’esprit. Il ne connaît ni l’évidence « morale » , ni l’espèce de certitude vraie qui, bien qu’infaillible par ses motifs, dépend des dispositions morales et de la volonté libre. Voir col. 207 sq. La « foi de connaissance » est pour lui sans aucune liberté, simple produit de raisons nécessitantes, ce qui a été condamné par le concile du Vatican. Voir ce que nous airons de la liberté de la foi. Enfin il ne faudrait pas confondre absoluj ment la méthode d’Hermès avec celle de Gùnther qui vint peu après lui, et qui, laissant de côté le témoignage divin, prétendait démontrer intrinsèquement et philosophiquement tous les dogmes, même la Trinité. Voir col. 100. Hermès admet davantage la voie extrinsèque. « Hermès, dit le P. Perrone, déclare cjue dans la dogmatique spéciale catholique il faut puiser aux sources qui lui sont propres, c’est-à-dire l’Écriture, la tradition et l’enseignement de l’Église. » Loc. cit., col. 960. Il y ajoutait cependant une exigence rationnelleexagérée : au lieu de se contenter de la preuve positive extrinsèque, il exigeait encore, avant de croire, que l’on eût directement résolu toutes les objections de la raison scientifique contre les dogmes, ce qui retarderait extraordinairement la foi : il fait de cela une « condition de notre foi » dans un passage cité par Perrone. Prœlectiones, 31e 6d.it., Turin, 1865, De locis theologicis, part. III, n. 243, p. 322.

3. Critique de la méthode d’Hermès.

Nous la critiquerons au point de vue de la révélation, et à celui de la raison, en rappelant les principes de l’une et de l’autre qui s’opposent à une pareille méthode ; puis nous montrerons les illusions et les inconséquences de l’auteur.

a) Les principes de la révélation exigent la persévérance dans la foi que l’on a reçue par l’enseignement apostolique et ecclésiastique ; qu’on reste enraciné dans cette foi, que l’on ne s’en écarte pas, même sous prétexte de philosophie. Voir col. 279 sq. Or le doute réel, tel que celui d’Hermès, écarte de la foi, déracine de la foi, puisque la foi est un assentiment intellectuel essentiellement ferme, excluant le doute. Voir col. 88 sq. Et comment observerait-il le précepte divin de garder sa foi, celui qui volontairement « rechercherait les doutes » suivant la méthode d’Hermès ? Cette méthode est donc ouvertement opposée aux documents de l’Écriture et de la tradition que nous avons cités.

b) Les principes de la raison et même du bon sens vulgaire ainsi que les faits d’expérience condamnent cette méthode. — Le développement naturel et légitime de l’esprit humain, tout le monde peut l’observer, se fait comme il suit. La vérité, non sans mélange d’erreur, vient à l’enfant par ses parents et ses maîtres ; sur leur simple parole, il acquiert beaucoup de fermes convictions, grâce à une docilité naturelle et, tout bien considéré, bienfaisante et nécessaire. Voir Croyance, t. iii, col. 2380, 2381, 2393. Plus d’un adulte ne dépasse guère cette mentalité de l’enfant, et s’en tient simplement à ce qu’on lui a jadis enseigné. Chez d’autres il se fait, grâce à’des circonstances qui le favorisent, un notable développement de l’esprit. Mais ce développement ne sera bon qu’à la condition de se faire par degrés, sans à-coup, comme la croissance normale d’un organisme vivant ; si des erreurs se sont glissées dans l’éducation, elles sont éliminées peu à peu par la réflexion, chacune en son temps et comme insensiblement, ainsi que beaucoup de toxines sont éliminées par notre organisme ; il y a ainsi évolution de l’esprit, et non pas révolution. Au contraire, c’est une révolution que veut Hermès. Un beau jour, abordant l’étude si ardue de la philosophie et de la théologie, le jeune chrétien qui se destine à l’enseignement de la religion « s’affranchira de tous les systèmes de religion, « c’est-à-dire du catholicisme aussi bien que du protestantisme, du christianisme aussi bien que du mahométisme, du bouddhisme, etc., et « les regardera tous comme d’égale valeur. » Les vérités les plus fondamentales de la vie morale et religieuse, l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme, les premiers principes de la moralité, tomberont d’après Hermès sous ce doute d’ensemble. Voilà donc un arbre que l’on ne se contente pas d’émonder, mais que l’on déracine ; un champ de blé où l’on arrache les épis avec l’ivraie. Dans ce terrible ravage, dans cet effondrement de toutes ses fermes croyances, que va devenir cette âme, à peine sortie de la mentalité de l’enfant ? Ne sera-t-elle pas jetée dans des angoisses atroces, comme Jouffroy un jour, avant sa vingtième année. « Grâce à ces croyances, dit-il, la vie présente m’était claire, et par delà, je voyais s «  dérouler sans nuage l’avenir qui doit le suivre… J’étais heureux de ce bonheur que donne une foi vive et certaine en une doctrine qui résout toutes les grandes questions qui peuvent intéresser l’homme… Je n’oublierai jamais la soirée de décembre où le voile qui me dérobait à moi-même ma propre incrédulité fut déchiré. Les heures de la nuit s’écoulaient et je ne m’en apercevais pas… En vain je m’attachais à ces croyances dernières comme un naufragé aux débris de son navire : en vain épouvanté du vide inconnu dans lequel j’allais flotter, je me rejetais pour la dernière fois vers mon enfance, ma famille, mon pays, tout ce qui m’était cher et sacré… Je sus alors qu’au fond de moi-même il n’y avait plus rien qui fût debout. Ce moment fut affreux… Les jours qui suivirent furent les plus tristes de ma vie, « etc. Nouveaux mélanges, 3e édit., Paris, 1872, De l’organisation des sciences philosophiques, part. II, p. 81-84.

Hermès, c’est vrai, ne veut pas qu’on reste dans ce vide ; il faut « traverser, avec beaucoup d’efforts, le labyrinthe du doute. » Mais comment se ressaisir, puisque l’esprit n’a point gardé de principes incontestés, à l’aide desquels il puisse reconquérir ce qu’il y aura perdu ? Et en attendant ce ressaisissement douteux, que restera-t-il pour soutenir la vie morale ? L’imagination et les passions, si vives à cet âge, ne pourraient-elles pas gagner la partie, surtout en face du long et fastidieux travail intellectuel de reconstruction diflicile, disons impossible, qu’on impose au jeune homme ?

c) Illusions et inconséquences d’Hermès.

a. Il méprise la certitude que l’on appelle spontanée ou vulgaire, puisqu’il la traite à l’égal d’un préjugé qu’on rejette. Il la méprise à tort, puisque sur certains points elle a une valeur absolue, sur d’autres une valeur relative qui n’est pas méprisable. Et toutefois, c’est à un esprit élevé depuis peu et de bien peu au-dessus de cette certitude vulgaire, qu’il demande un miracle de construction et de démonstration : comme si une méthode purement négative, qui consiste à démolir tout son acquis, allait devenir entre des mains novices une baguette magique pour accomplir des prodiges. —

b. Hermès, comme les rationalistes et les libéraux en général, se figure dans chaque individu une raison idéale, d’une puissance extraordinaire, que l’on peut sans danger bousculer et mettre à toute épreuve. Qu’il l’appelle spéculative ou pratique, il la regarde comme capable de prouver jusqu’aux faits historiques de l’apologétique avec une force nécessitante qui ne permet pas à l’assentiment de se dérober. M. lis quand une telle démonstration serait possible chez un grand génie, parfaitement outillé pour cela, rappelons-nous que les grands génies n’abondent pas, que le temps ou les livres nécessaires à bien traiter les questions historiques font souvent défaut, et surtout que beaucoup d’esprits ne manquent pas de tendances morbides qui les font facilement dévier, et leur permettent de se dérober à l’évidence morale, quelque Valable qu’elle soit en elle-même ; enfin, que la certitude purement relative des simples, avec laquelle notre novice entre à l’école d’I lermès, demande à être traitée d’une main délicate et avec beaucoup de ménagements.

c. Hermès veut que son disciple, auquel il B fait faire table rase et perdre la foi, conserve la pratique de la religion catholique. Mais sans la foi on ne peut recevoir les sacrements : une pareille fréquentation « les sacrements sans la disposition fondamentale pour les recevoir, serait, d’après la doctrine de l’Église, non seulement infructueuse et iimtile, mais hypocrite, sacrilège et mortellement coupable : quelle préparation pour un futur ministre du culte I Déjà au xvine siècle, ;. un savant de Genève qui voulait faire passer tout enfant baptisé « par un’i 1 1 de doute sur la vérité du christianisme, Mgr Lefranc de Pompignan demandait : « Participera-t-il au culte public, aux assemblées et aux prières communes des fidèles pendant tout le temps que durera son examen des motifs de crédibilité, et son indétermination sur ce qu’il doit croire ? Il faut bien l’en exclure, puisque la foi actuelle et formée est la première et la plus essentielle disposition qu’on a toujours exigée, non seulement des fidèles initiés aux mystères, mais des catéchumènes qui n’assistaient qu’aux instructions et à une partie de la liturgie. Est-ce néanmoins ce qui se pratique, je ne dis pas dans l’Église catholique, mais dans toutes les communions chrétiennes ? A-t-on jamais connu un intervalle de temps où un enfant baptisé ne fût pas en état d’entrer dans les temples du Seigneur…, d’y prendre part aux cérémonies de son culte ; un temps, en un mot, où la condition de ce néophyte fût pire que celle d’un catéchumène ? » Controv. pacifique sur la foi des enfants, etc. Réponse à la 2e lettre, n. 8, dans Migne. Theologiæ cursus, t. vi, col. 1130. Hermès, en faisant continuer la pratique du culte, se conforme à la tradition, mais en faisant suspendre la foi il s’en écarte ; la tradition est que l’on n’interrompe jamais ni la pratique, ni la foi sans laquelle la pratique ne serait pas permise. —

d. Enfin le travail d’enquête que veut Hermès sur notre religion, comparée aux autres, sur nos motifs de crédibilité, sur les dogmes et la solution de toutes les objections, en un mot le travail de reconstruction savante, menace d’être long, en concédant qu’il aboutisse. Hermès nous dit en 1819 qu’il vient d’y consacrer vingt-trois ans sans aucune distraction, et y passant souvent les nuits, aux dépens de sa santé ; bientôt il languissait, et après douze ans de foi reconquise il mourait. Voir Hurter, loc. cit. Eh bien, Dieu n’a pu rendre si difficile à un catholique l’acquisition de la foi, dont il a fait la première base de toute la vie chrétienne. Il l’a mieux proportionnée à la brièveté de notre vie. « S’il nous faut des bibliothèques et des musées pour conduire un homme à la morale et a la religion, disait Newman, soyons conséquents, et prenons des chimistes pour cuisiniers et des minéralogistes pour maçons. » Grammar of assenl, 1895, part. I re, c. iv, p. 95, 96. Et si la mort surprend cet homme au cours de ses doutes ? Celui qui, victime de sa méthode, meurt sans la foi, peut-il prétendre au salut ?

c. Et tout cela sous quel prétexte ? Arriver à la vraie certitude par ce doute réel, comme par un moyen nécessaire. Mais il ne l’est pas : l’attention, le consciencieux amour de la vérité, le doute fictif qui ne suspend pas la foi habituelle, suffisent au bon emploi des méthodes scientifiques, et par là à une certitude digne du savant. I.e mathématicien qui cherche une nouvelle démonstration n’est pas obligé, pour réussir, de douter réellement du théorème à démontrer ; le philosophe qui cherche à prouver scientifiquement une vérité de sens commun, n’est pas obligé de renoncer au sens commun.

4. Documents ecclésiastiques sur la méthode d’Hernies.

a) Grégoire XVI, en condamnant en général les ouvrages d’Hermès, lui reproche, entre autres erreurs de prendre le doute positif pour base de toute la recherche théologique. » )5rcf /)um acerbissimas, Dcndnger, n. 1619 (i W7). C’est là précisément la caractéristique de sa méthode. — b) Le concile du Vatican a condamné celle méthode. De ftde, can. 6, Dcn/inger, n. 1815. Nous le montrerons a l’instant.’.'<" Différence entre /’fù/lise et les sectes quant au douti et au changement de religion ; possibilité pour tout catholique, s’il fait son devoir par rapport </ la foi, d’aooii toujours la crédibilité nécessaire. - - Sur ce dlfftctli sujet nous examinerons les pointa suivants : i. Docu ments ecclésiastiques : un c.inon et un chapitre du concile du Vatican ; controverse sur leur interpréta lion ; 2. la question elle-même, en dehors de la décla

ration du concile et d’après d’autres sources ; 3. les concessions que l’on peut et doit faire à l’opinion la plus large ; 4. comment se peut-il que le catholique, s’il fait son devoir, ait toujours des motifs de crédibilité qui lui suffisent, et, malgré toutes les objections, puisse garder sa foi ? Explication psychologique et rationnelle.

1. Documents ecclésiastiques ; un canon et un chapitre de la session 1Il du concile du Vatican. Controverse sur leur interprétation. — a) Le canon 6, De fide.

Si quis dixerit, parem

esse conditionem fidelium

atque eorum, qui ad fldem

uniceveram nondum perve nerunt, ita ut catholici ju stam causam habere possint

fidem, quam sub Ecclesire

magisterio jam susceperunt,

assensu suspenso in dubium

vocandi, donec demonstra tionem scientificam credibi litatis et veritatis fidei suaî

absolverint, anathema sit.

Denzinger, n. 1815.

Si quelqu’un dit que les

fidèles et ceux qui ne sont

pas encore parvenus à la foi

seule véritable sont dans

une condition pareille, en

sorte que les catholiques

peuvent avoir un juste mo tif de mettre en doute la foi

qu’ils ont déjà reçue sous le

magistère de l’Église, en

suspendant leur assenti ment, jusqu’à ce qu’ils

aient achevé la démonstra tion scientifique de la crédi bilité et de la vérité de leur

foi, qu’il soit anathème.

Quelles sont les erreurs ici condamnées ? Nous pouvons démontrer qu’il y en a deux :

Première et principale erreur, la méthode d’Hermès : on le prouve, soit par les paroles finales : « en suspendant leur assentiment jusqu’à ce qu’ils aient achevé la démonstration scientifique, » etc., c’est en quoi précisément consistait cette méthode, comme nous venons de le voir, — soit aussi par l’histoire du concile. Conrad Martin, évêque de Paderborn, avait été chargé de refondre, avec l’aide d’un théologien, le schéma primitif. Voir Acla conciliorum recentiorum, Colleclio lacensis, 1890, t. vii, col. 1647. Expliquant au concile, comme rapporteur de la commission de la foi, le sens du schéma « réformé » , il dit à propos du passage que nous venons de citer : « Ce 6e canon exclut une erreur d’Hermès… Il voulait que toute la recherche théologique commençât par un doute, et un doute positif, par lequel on suspendrait l’assentiment donné jusque-là à la vérité de la religion et de la foi chrétienne. » Op. cit., col. 184.

Seconde erreur. — Quoique le rapporteur, très bref d’ailleurs dans ses rapides explications, ne parle ici que de la méthode d’Hermès, nous pouvons affirmer qu’une autre erreur est ici condamnée, une sorte A’indifféreniisme ou de libéralisme qui, même en dehors de toute méthode hermésienne, donne des droits égaux à toutes les religions sur leurs fidèles, tellement que la vraie religion ne s’impose pas davantage aux siens que les fausses religions aux leurs. Cette erreur est visée par le commencement du texte, qui nie la parité (parem conditionem) que l’on voudrait établir entre les fidèles de la vraie religion et les autres. Et les documents conciliaires nous donnent raison. Le schéma primitif, que Martin de Paderborn avait abrégé et refondu, en conservant pourtant ce qu’on en pouvait conserver comme il le déclare lui-même, op. cit., col. 1648, contenait un anathème tout semblable, col. 512, commenté par une note des théologiens qui en étaient les auteurs (note 20). Cette note, pour expliquer la condamnation, cite non seulement l’erreur d’Hermès, mais encore la 15e proposition du Syllabus. Op. cit., col. 534. Cette proposition est rangée sous le titre : « Indifférentisme, latitudinarisme. » La voici : Liberum cuique homini est eam amplccti ac profilcri religionem, quam rationis lumine quis ducius veram pulaveril. Denzinger, n. 1715. Il n’est pas question ici directement d’une liberté extérieure et civile, devant les lois de

l’État : celui-ci ne s’inquiéterait pas de savoir si l’on a choisi sa religion rationis lumine ductus ; mais d’une liberté intérieure et morale, devant Dieu et sa conscience. On peut aussi remarquer le verbe putaverit, qui indique seulement une opinion fondée sur une probabilité. Schiffini, De virtutibus in/usis, 1904, p. 269. L’auteur de la proposition condamnée, Vigil, regardait toutes les croyances religieuses comme des opinions, également dépourvues de vraie certitude, et donc n’ayant pas plus de droits sur les esprits les unes que les autres, mais restant également permises à tous.

Nous trouvons de plus amples explications dans une autre note (note 18) des mêmes théologiens du concile ; on sait qu’au premier rang parmi eux était Franzelin, et qu’il a été le principal auteur du schéma primitif. Voir Granderath, Histoire du concile du Vatican, trad. franc., Bruxelles, 1909, t. n a, p. 162. La note 18 montre comment l’erreur anathématisée dans ce canon dérive d’autres erreurs condamnées dans ce qui précède. En effet, si l’on part de cette erreur condamnée plus haut « qu’il n’y a pas, pour la vraie religion révélée, de critères objectifs qui fassent reconnaître avec certitude le fait de la révélation, pas de motifs de crédibilité… ; si tout revient à un sentiment et à une expérience intérieure, il s’ensuit que nulle religion n’est en soi et objectivement plus croyable qu’une autre ; et même qu’aucune n’est objectivement croyable. Reste donc que, au gré de cette expérience intérieure si sujette à l’illusion et si variable si on la sépare des critères extérieurs divinement préparés, il soit aussi bien permis de passer de la religion objectivement vraie à la fausse, que de la fausse à la vraie. » Collectio lacensis, col. 530. Ainsi le fidéisme et le subjectivisme minent la persévérance dans la foi. Et plus loin la note continue : « De là cette erreur très répandue en certains pays, que le passage de l’Église catholique à d’autres communions peut se faire sous la dictée de la conscience, et que généralement ces hommes (qui se séparent de l’Église) ne doivent pas être tenus pour gravement coupables, puisqu’ils prétendent presque toujours suivre la voix de leur conscience ; qu’autrement il faudra condamner aussi les conversions au catholicisme ; que si l’on refuse ce droit (d’apostasie ) aux orthodoxes afin de les retenir dans la vérité, en vertu du même principe on retiendra les hétérodoxes dans l’erreur. Et ceux qui parlent ainsi, ce ne sont pas seulement des impies qui ne font aucune différence entre les religions et n’en reconnaissent aucune de vraie, sorte d’indifférentisme (extrême) qui n’est pas à réfuter ici : ce sont aussi ceux-là mêmes qui, tout en reconnaissant la vraie religion, affirment (par une forme mitigée d’indifférentisme) un droit commun à tous les hommes de quitter, après examen, la religion où ils ont été élevés ; droit qui vaudrait donc pour les catholiques comme pour les autres. C’est sur ce principe que s’appuient, ou du moins sont dites s’appuyer, les lois portées dans plusieurs pays catholiques en faveur de ce qu’on appelle faussement la liberté de conscience. » Colleclio lacensis, t. vii, col. 531. La note se termine par une nouvelle citation de la proposition 15e du Syllabus.

Pourquoi ces théologiens ont-ils réuni dans une seule formule de condamnation ces deux erreurs ? Le point de ressemblance entre les deux qui semble les avoir frappés, c’est la violation du précepte divin de la foi, lequel oblige ceux qui sont dans la vraie foi à la constance dans leur religion, et leur interdit non seulement toute apostasie, mais encore tout doute réel, un tel doute étant contraire à la foi ; mais pour ceux qui n’ont pas encore la vraie foi, ce précepte divin, atteignant tous les hommes, les oblige à la chercher, et pour cela, à douter de leurs sectes, et à en sortir après enquête suffisante. Ces théologiens insistent 289

FOI

sur le précepte divin. Voir la note déjà citée, col. 531 a. Granderath a donc raison de conclure : « La définition ne porte pas seulement contre la doctrine d’Hermès, mais encore contre une autre erreur que les mêmes théologiens présentent comme très répandue en certains pays, etc. * Constitution.es dogmalicæ concilii Vatieani ex ipsis cjus aclis explicalæ alque illustratse, Fribourg-en-Brisgau, 1892, part. I, diss. IV, p. 63.

Cette conclusion nous semble confirmée absolument par l’examen du texte conciliaire lui-même. Si ce canon ne condamnait que la doctrine d’Hermès, il n’attaquerait pas directement dès le début, comme il le fait, la théorie qui établit une parité entre les catholiques et les autres : car on ne voit pas qu’Hermès ait défendu pareille théorie, ni fondé là-dessus sa méthode. Son doute réel, il ne le destine pas à tous les catholiques, mais seulement à ceux qui, destinés à enseigner la religion, abordent l'étude de la philosophie et de la théologie ; et la raison qu’il donne de sa méthode, ce n’est pas que tous les hommes ont un droit égal à changer de religion, c’est simplement que, sans sa méthode de douter, les futurs théologiens n’acquerront jamais de connaissance vraiment scientifique. Ce qu’il poursuit, c’est le bien de l’apologétique et de la théologie catholique ; ce n’est pas cette sorte d’impartialité et de respect égal de toutes les convictions, qui est le fait du libéralisme. Nous irons plus loin. Si dans ce canon on n’avait voulu que rejeter la méthode d’Hermès, on aurait dû éviter ce début, qui met l’accent sur une disparité entre catholiques et hétérodoxes ; ce serait sans nécessité donner occasion à une erreur, et laisser entendre que la méthode d’Hermès. mauvaise pour les catholiques, est bonne pour les protestants, pour les schismatiques orientaux, etc. En réalité, elle n’est bonne pour personne. Si à un certain moment de son développement intellectuel il est profitable à un hétérodoxe de douter réellement de la légitimité et des idées particulières de sa secte par comparaison avec l'Église catholique, il n’est jamais bon pour lui de douter réellement de l’existence de Dieu, de l’existence du devoir et des principes de la loi morale, enfin des autres vérités qui servent également de bases à la raison et de préambules à la foi. Or le doute d’Hermès s'étend à toutes ces vérités premières, et qui plus est, les ébranle toutes à la fois, mettant ainsi l’esprit et le cœur de l’homme dans un état fort dangereux, nous l’avons montré. I.c doute que nous pouvons conseiller aux hétérodoxes sur les croyances de leur enfance et de leur éducation n’est donc nullement le doute universel d’Hermès, mais un doute partiel, strictement limité, et saint Augustin a fort bien expliqué cette limitation : « Si un juif, dit-il, vient à nous pour se faire chrétien, nous détruisons le mal qui est en lui, mais non le bien qui vient de Dieu Quand il are en ne croyant pas la venue du Messie, sa naissance, sa passion, sa résurrection, nous corrigeons sen

a, et nous le préparons à croire ces articles de foi….Mais quand il croit qu’on ne doit adorer qu’un seul Dieu qui a fait le ciel et la terre, quand il déteste toutes les idoles et les sacrilèges des païens, quand il attend le jugement à venir, espère la vie éternelle, ne doute pas de la résurrection de la chair, en tout cela nous le louons, nous l’approuvons, nous l’assurons qu’il doit croire comme il croyait, tenir ferme comme il

il ferme. De unit » baplismo contra Petilianum, c. m. /'. f.., t. xi. iii, col. 596. Le sain ! docteur applique en mi' i.i même régie à notre conduite envers les

IChl m itiqui le Kl ri tiques et même les païens. b) I.e e. m :

i i autem offlcio veram

fldem amplci ti ndi, m caque

inlcr pcrscvcrandl. ;. tUfai en pu, mi, .. Unis

per Filium suum unigenitum Ecclesiam instituit su ; eque institutionis manifestis notis instruxit, ut ea lanquam custos et magistra verbi revelali ab omnibus posset agnosci… Quo fit, ut ipsa veluti signum levatum in nationes (Is., xi, 12) et ad se invitet qui nondum crediderunt, et fdios suos certiores faciat firmissimo niti fundamenlo fidem quam profitentur. Cui quidem testimonio eflicax subsidium accedit ex superna virtute. Etenim benignissimus Dominus et errantes gratia sua excitât atque adjuvat ut ad agnitionem veritatis venire possint, et eos, quos de tenebris transtulit in admirabile lumen suum, in hoc eodem lumine ut persévèrent gratia sua confirmât, non deserens nisi deseratur. Quocirca minime par est conditio eorum qui per cœleste iidei donum catholicrc veritali adlKvserunt, atque eorum qui ducliopinionibus humanis îalsam religionem sectantur : illi cnim.qui fidem sub Ecelesiwmagislcriosusceperunt, nullam imquam habere possunt justam causam mutandi aut in dubium fidem eamdem revocandi. Denzinger, n. 1793, 1794.

Pour que noill puissions

latiifalre un devoir d’em

imissi r la vraie toi <t d’j

avec constance

    1. DICT DE TIIÊOL##


DICT DE TIIÊOL. CATH0L.

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Dieu par son Fils unique a institué l'Église et l’a pourvue de marques visibles de son institution, afin qu’elle puisse être reconnue de tous comme la gardienne et l’interprète de la parole révélée… De là vient que, dressée comme un étendard au milieu des nations, elle invite à venir à elle ceux qui n’ont pas cru encore, et qu’elle assure ses entants de la base très solide sur laquelle repose la foi qu’ils professent. A ce témoignage s’ajoute le secours efficace de la puissance divine. En effet, ceux qui sont égarés (hors de l'Église), le Seigneur les excite et les aide par sa grâce pour qu’ils puissent venir à la connaissance de la vérité ; et ceux qu’il a fait passer des ténèbres ù son admirable lumière, par sa grâce encore il les affermit pour qu’ils persévèrent dans cette même lumière, n’abandonnant jamais s’il n’est lui-même abandonné. En conséquence, tout autre est la condition de ceux qui par le don céleste de la foi ont adhéré à la vérité catholique, et de ceux qui, conduits par des opinions humaines, suivent une fausse religion ; car ceux qui ont embrassé la foi sous le magistère de l'Église ne peuvent jamais avoir aucune juste cause de changer cette foi ou de la révoquer en doute.

Quelles sont les erreurs ici condamnées ? La méthode d’Hermès n’apparaît pas aussi clairement que dans le canon ci-dessus, mais elle est comprise dans cette assertion générale, que « jamais on ne peut avoir une juste cause de révoquer en doute la foi reçue sous le magistère de l'Église. » La thèse in différentes te et libérale du droit commun qu’ont tous les hommes de changer de religion est aussi nettement condamnée que dans le canon. Mais la grande question qui se pose ici. c’est de savoir si une troisième erreur n’est pas rejetée. Ce document n’Iraitil pas plus loin que le précédent, et ne contiendrait-il pas une troisième thèse, bien distincte des deux autres ? Notons d’abord que cela n’a rien d’impossible. I.e passage <ité du c. ni est plus long, plus développé que le canon 6 : il peut n’en être pas une simple amplification verbale, mais contenir un autre point de doctrine en plus. Les chapitres du concile sont destinés a donner aux fidèles bon nombre de vérités utiles ; les canons leur Indiquent ensuite non pas les erreurs opposées à toutes ces vérités, mais

Seulement les principales erreurs, celles que leur dilîusion assez générale au temps du concile rendait alors plus spécialement dangereuses.

i.a question présente, que nous traiterons au long à Cause 'le son importance et de quelques nuages qui sont venus l’obscurcir, est donc celle ci : le dernier document cité ne contient-il pas cette assertion que i tout catholique formé ; i la foi sous le magistère de l'Église a toujours ensuite, a moins qu’il n’y ait de sa

faute, la crédibilité suffisante pour persévérer dans

sa foi ? i Quoi qu’il J ait des définitions même dans les Chapitres et non pas seulement dans les canons, nous ne prétendons p.is que ce point la.ni été défini.' Jt

VI. — 10

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FOI

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concile, quand il propose la doctrine catholique, peut être amené à affirmer suffisamment un point lié à l’ensemble, sans qu’on puisse dire toujours qu’il ait eu l’intention de le dé finir. Odiosa sunt strictæ inlerpretulionis : la définition est un acte juridique, emportant comme conséquence le crime d’hérésie et les peines des hérétiques pour ceux qui nient scienler et contumaciter la vérité définie : elle doit être conçue en termes très clairs, clarté que parfois les conciles évitent à dessein pour qu’on ne puisse pas dire que la chose est définie. Le fait d’une controverse entre de graves théologiens sur le sens et la portée de certains termes d’un document ecclésiastique pourrait déjà à lui seul être un indice que tel sens contesté n’a pas été défini. Mais observons qu’il est dans l’usage des théologiens de tirer d’un concile un solide argument pour une thèse, tout en reconnaissant qu’elle n’a pas été définie ; exemple, la thèse de la suffisance de l’attrition, prouvée par le concile de Trente. Sess. XIV, c. iv, Denzinger, n. 898. Le concile a montré suffisamment la vérité à un esprit attentif et qui sait raisonner ; il ne l’a pas définie. — Avec la question de définition, écartons encore la question de savoir si le concile a dit d’une manière quelconque, et même en dehors de toute définition, qu’un catholique ne peut jamais changer de religion ni douter d’un dogme, sans commettre ce que les théologiens appellent le péché d’infidélité, le péché formel et direct contre la foi, qui détruit la vertu infuse d’après le concile de Trente. Sess. VI, c. xv, Denzinger, n. 808. Autre chose est de préciser « ’une manière si rigoriste la culpabilité subjective de tout abandon du catholicisme, autre chose est de dire que, si l’apostat avait fait à un moment donné de sa vie ce qu’il voyait être son devoir par rapport à la foi, Dieu lui aurait donné les moyens, et même au besoin, des moyens extraordinaires de persévérer dans sa religion, en sorte que c’est par sa faute qu’il est tombé dans l’illusion de conscience dont on le dit victime : assertion plus modérée, laquelle au moins est contenue dans le texte du concile d’après nous, quoi qu’il en soit de l’assertion plus rigide, que nous examinerons plus tard. Pour voir clair en une matière si complexe, il faut absolument sérier les questions, distinguer les thèses différentes bien que voisines, et les traiter à part.

On peut reprocher à deux théologiens très estimables, Granderath et Vacant, de n’avoir pas agi de la sorte dans leur explication de ce document conciliaire, qu’ils ont d’ailleurs le mérite d’avoir étudié de près, et non pas seulement salué de loin comme l’ont fait tant d’ouvrages sur le concile du Vatican ou sur la foi en général. Granderath pose ainsi la question, c’est le titre de sa IVe dissertation : Sitne a concilio definilum, eos qui fidem sub Ecclesiæ magisterio susceperint, sine peccato formali eamdem fidem mutare vel in dubium vocare non posse ? Constituliones concilii Valicani. .. explicalse, 1892, p. 61. Vacant le suit, et pose la question de même. Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, la constitution Dei Filius, 1895, t. ii, p. 165. A la question ainsi posée ils répondent négativement, et nous croyons leur réponse bonne, en ce sens que le concile n’a pas défini. Mais les arguments qu’ils emploient pour la prouver sont moins bons que la réponse elle-même ; ces arguments vont plus loin, trop loin, et tendent à exclure non seulement une définition, et une définition de la position la plus rigide contre les apostats, mais encore le fait que le concile, sans la définir, ait laissé suffisamment entendre la thèse plus modérée que nous énoncions tout à l’heure. Enregistrons ici leurs arguments, et les répliques que l’on peut y faire en serrant de près le texte du concile.

a. La phrase principale, disent-ils, nullam unquam

habere possunt juslam causam mulandi, etc., s’entend très bien ainsi : les catholiques ne peuvent jamais avoir une cause objectivement juste, une raison objectivement valable d’abandonner leur religion ou d’en douter, puisqu’elle est objectivement la vraie religion, puisque Dieu a réellement commandé, par le précepte de la foi, d’y rester toujours fidèle : précepte méconnu par les théories d’Hermès et des indifférentistes. Or l’assertion du concile ainsi entendue n’empêche pas qu’un catholique ne puisse, dans certaines difficultés extraordinaires où se trouve sa foi, se figurer, sans aucune faute de sa part, par une erreur invincible dont il n’est pas responsable, par une persuasion purement subjective, qu’il est en droit de douter de sa religion, ou même de la quitter ; auquel cas il serait excusé de la transgression du précepte de la foi, et aurait une raison subjectivement valable d’agir ainsi, à savoir sa conscience erronée qu’il peut et doit suivre. Un détail des Acta prouve même, ajoutent-ils, que le concile a voulu se renfermer dans le sens purement objectif. Le projet de canon proposé avait gardé cette formule du schéma primitif : Si quis dixeril, parem esse condilionem fidelium, etc., ita ut fidèles calholici licite possinl, etc. Collectio lacensis, t. vii, col. 77 ; cf. col. 512. Au lieu de ce licite possint, un amendement proposa : veram et juslam causam habere possint, col. 164. Cet amendement fut accepté par la commission sous cette forme simplifiée : justam causam habere possint, voir le discours du rapporteur, Martin de Paderborn, col. 189, 190, enfin accepté avec cette simplification par les Pères. Or, si licite possint indique bien le point de vue même subjectif, juslam causam habere possint a un sens purement objectif, ce que Granderath prouve de la manière suivante : o Si quelqu’un par erreur se croit offensé par son ami, et rompt avec lui, on ne dira pas qu’il a un juste motif de rompre : on ne le dirait que s’il avait été réellement (objectivement) offensé. » Loc. cit., p. 65, 66. Donc le concile veut simplement dire contre Hermès et les indifférentistes que les catholiques n’ont jamais un motif objectivement valable de douter ou d’apostasier : il n’affirme rien de plus.

Réponse. — Pour quelle raison l’auteur de l’amendement Pavait-il proposé, les Actes imprimés ne le disent pas ; c’était souvent affaire de style ; en tout cas, on ne peut rien tirer de cet amendement accepté en partie par le concile. Car la formule première du schéma et la formule substituée s’équivalent ; la « licéité » de la première formule a elle-même son double point de vue, objectif et subjectif : ainsi le mensonge est toujours « illicite » objectivement : il devient subjectivement « licite » à qui de bonne foi croit le mensonge permis pour sauver un ami. Et de même pour le juslam causam de la seconde formule. Si l’on ne dit pas qu’un homme, qui par erreur rompt avec un ami, a un « juste motif » de le faire, c’est que l’on considère la question d’homme à homme seulement. Si l’on considère l’acte au point de vue de la conscience et de Dieu (comme nous devons le considérer dans la question présente), on peut fort bien dire que celui qui, sur une fausse supposition, mais de bonne foi, croit en conscience devoir rompre avec un indigne ami, a devant Dieu un juste motif de le faire. Les mots juslam causam de la nouvelle formule n’excluent donc nullement le point de vue subjectif. D’ailleurs Martin de Paderborn lui-même, avec la commission de la foi, ne mettait pas de différence entre les deux formules, puisqu’avant l’amendement, dans le schéma réformé dont il était l’auteur et qu’il proposa au nom de la commission, les deux formules se trouvaient indifféremment employées pour dire la même chose à divers endroits, le justam causam dans le c. iii, Collectio lacensis, col. 74, et le licite possint dans le canon 6, col. 77. Donc cette phrase du concile au c. m : nullam un

quam habere possunt juslam causam mulandi…, Denzinger, n. 1791, peut très bien signifier, dans sa généralité absolue, que ces catholiques, quand le doute ou l’apostasie s’offre à eux, non seulement n’ont pas de raison objectivement valable pour y céder, mais encore qu’il ne peut jamais leur arriver, par la grâce de Dieu, d’avoir une persuasion subjective qu’ils peuvent y céder, fondée sur une erreur vraiment invincible et dont ils ne soient pas responsables. Que le sens de la phrase ait cette plénitude, les mots nullam unquam l’insinuent. Car si l’on voulait s’en tenir au seul sens objectif, il faudrait dire, contre la fausse égalité introduite par l’indifïérentisme : « Les catholiques, étant dans la religion seule véritable, n’ont pas de juste cause d’en douter ou d’en changer, » sans les mots nullam unquam. Ainsi procède le canon 6, qui semble affirmer moins crue le c. ni : il n’a pas les mots nullam unquam. Denzinger, n. 1815.

.Mais, même en négligeant ces mots, et en admettant que cette phrase du chapitre m se prête également par elle-même soit au sens purement objectif de Grand crath et de Vacant, soit au sens plein et complet, à la fois objectif et subjectif, c’est alors au contexte, et surtout au contexte immédiat, à déterminer la vraie signification. Or ce contexte détermine le second sens. Examinons la phrase qui précède immédiatement, cl qui dans la série des idées est plus étroitement liée avec celle que nous voulons expliquer, puisque de la première on conclut la seconde ; ce n’est donc pas une parenthèse » , comme le suppose Vacant sans en donner aucune preuve, Éludes théologiques, p. 171 ; et un concile, toujours soucieux de la clarté, n’intercale pas une immense parenthèse de vingt-cinq lignes comme celle qu’on voudrait voir ici. Voici donc les deux phrases avec leur enchaînement, telles qu’elles sont dans le concile : « Les égarés, le Seigneur si bon les excite et les aide par sa grâce, pour qu’ils puissent venir à la connaissance de la vérité ; et ceux qu’il a fait passer des ténèbres â son admirable lumière, par sa grâce encore il les affermit pour qu’ils persévèrent dans celle même lumière, n’abandonnant jamais s’il n’est luimême abandonné. En conséquence, quoeirca, tout autre est la condition de ceux qui ont adhéré à la vérité catholique, et de ceux qui… suivent une fausse religion, etc. » Si dans cette dernière phrase il élail question d’une différence purement objective entre catholiques et hétérodoxes, comment de la phrase précédente conclurait-on cette différence-là? Vous voulez prouver contre une certaine théorie indifîérentiste et libérale que la religion catholique a objectivement sur ses fidèles un droit que n’a pas une autre religion sur les siens, et que ses enfants n’ont pas le droit d’apostasie. Lites que, le droit venanl de Dieu, il n’y a pas objectivement de droit a l’erreur, ni au mal ; qu’on a tort de reconnaître les mêmes droits ; l’erreur qu’a la vérité : que la religion catholique est la seule vraie, ce cjui se prouve par l’apologétique ; que seule elle a donc le droit de garder ses enfants, et que seuls ils ont objectivement le devoir (le persévérer dans leur religion, soi I qu’ils connaissent ce devoii ou ne le connaissent pas. Voilà d’où l’on peut tirer la différence purement obp. Mais comment la tirer d’une différente opération de la grâce que nous ne voyons pas, et qui n’est donc pas une source de preuve ? C’est tics vrai, théologiqucincnt, quc Dieu par sa grâce aide les catholisévérer dans leur religion, et leur en facilite le devoir, tandis qu’il aide les autres a sortir d’une religion fuisse. Mais ce travail de la providence surnaturelle et de la grâce est ordinairement Invisible, et ne peut donc servir de preuve pour discerne ! on est i.i on, ou est objectivement le droit ; et d’autre part, une religion reste objectivement vraie « ntre toutes les autres par son origine divine, et sa

prétention à garder ses fidèles reste objectivement le droit, quand bien même ses enfants seraient dans l’impossibilité de la reconnaître et d’y persévérer, quand bien même la grâce ne les y aiderait pas. Que vient donc faire ici cette considération du concile sur les opérations différentes de la grâce dans les différents sujets, s’il ne s’agit de prouver qu’une différence de valeur objective et de droit objectif entre les religions ? Au contraire, cette considération vient à point, s’il s’agit de prouver une différence subjective entre les adeptes de la vraie et de la fausse religion, quant à la possibilité pratique de tenir toujours ferme dans la religion de leur enfance, et d’avoir toujours les motifs de crédibilité suffisants. A ce point de vue, peu importe que la grâce leur soit visible ou non, qu’elle soit ou non une source de preuve en elle-même, pourvu qu’elle obtienne le double résultat qu’elle poursuit : fournir au catholique, dans une crise quelconque, à l’aide des ressources infinies de la puissance divine, le nécessaire pour persévérer dans sa foi première ; au contraire, laisser parfois sentir à l’hétérodoxe, à mesure que son esprit se développe, l’impossibilité de rester prudemment dans sa religion en face d’une autre qui est la vraie, et l’aider à se tourner vers celle-ci ; en d’autres termes, maintenir jusqu'à la mort chez les catholiques, et ébranler chez leurs frères égarés, la persuasion subjective de leur confession religieuse, persuasion par laquelle tous avaient également débuté à l’aurore de leur vie intellectuelle. C’est sur l'état subjectif du catholique, comme étant plus intéressant pour nous, que le concile insiste davantage. Puisque la grâce le pousse à persévérer toujours, il ne sera jamais apostat, s’il est fidèle à la grâce. Ce que le concile fait encore ressortir en disant de Dieu, à propos de cette grâce qu’il lui donne : non deserens nisi descratur. Dieu n’est jamais le premier à abandonner : si clone ce catholique se trouvait un jour comme abandonné à une impossibilité subjective de croire, à cause du milieu, des objections qu’il entend, du manque de secours humain et de crédibilité nécessaire et marchait ainsi fatalement à l’apostasie, Dieu n’aurait pu permettre cette situation pour qui aurait cherché sérieusement à garder la foi. pour qui l’aurait invoqué dans la tempête, pour qui n’aurait pas le premier « abandonné » ,

b. Cette déclaration faite par le concile, non deserens nisi deseratur, « affirme seulement qu’ils ne perdront la grâce sanctifiante et les vertus surnaturelles qu’autant qu’ils auront commis un péché formel… Cette déclaration est tirée, en effet, du concile de Trente, sess. Vf, c. xi, qui, parlant de la possibilité d’observer tous les commandements, enseigne, des hommes en état (le grâce, que Dieu ne les abandonne que s’il en est abandonné, jusdficalos non deseril nisi ab cis prias deseratur. « Vacant, Éludes (héol. sur le concile du Vatican, t. ii, p. 172, 173. Cf. Granderath, loc, cil., p. 67, 68.

Réponse. — La persévérance dans l'étal de iini<< regarde les seuls justes, fusliflcalos ; mais la persévérance dans la foi regarde tous les membres de l'Église, justes et pécheurs : car en perdant la charité et la grâce sanctifiante par un péché moi tel autre que le péché contre la foi, infldelilas, on garde néanmoins la foi et on est encore chrétien et no in' re de l'Église. Voir le concile de Trente, sess. VI, c. xv, et eau. 27, 28, Denzinger, n. 808, 837, 838. Or le concile du Vatican ne traite pas, comme le concile de Trente, de la justiBcation et de l'état de grâce, in.iis seulement de la foi,

disposition éloignée à la grâce Sanctifiante, et don

moins sublime. Il ne parle pus ici des seuls fUSles, niais de tous les enfants de l'Église, flltot suos cerlin rcs faclt (Ecdetia) ftrmluinw nili fundamento fUttm

quam profitrnliir ; de tous ceux qui font profession de la foi catholique, fulem… profltentur. qui lui donnent

leur adhésion, qui per cœlesle fidei donum calholicse verilati adhœserunl. Il ne dit pas un mot de la persévérance dans la grâce sanctifiante, il parle dès le début de la persévérance dans la foi : « Pour que nous puissions satisfaire au devoir d’embrasser la vraie foi, et d’y persévérer avec constance… » Et à l’endroit même que nous discutons : « Il les affermit par sa grâce (actuelle) pour qu’ils persévèrent dans cette même lumière (de la foi), n’abandonnant jamais s’il n’est lui-même abandonné. » Donc, d’après tout le contexte, ces derniers mots ne signifient pas : Dieu ne retire jamais à un juste son amitié, sa grâce sanctifiante, s’il n’est lui-même abandonné par un péché mortel — chose très vraie, mais qui n’a rien à faire ici — mais : Dieu ne perniet jamais qu’un catholique tombe dans l’impossibilité de croire, pourvu que de son côté ce catholique ne fasse pas défaut. Rien, du reste, ne forçait le concile du Vatican d’appliquer l’axiome très général Deus non deseril nisi deseratur à la même matière que le concile de Trente, et dans le même sens. L’auteur de cet axiome n’est pas le concile de Trente, mais saint Augustin ; et ce Père ne l’a nullement restreint aux justes et à la grâce sanctifiante, pas plus que les théologiens qui après lui l’ont répété. Par exemple, on l’applique après saint Augustin à ce.> pécheurs endurcis, auxquels Dieu refuse l’abondance de ses grâces actuelles (ou même toute grâce actuelle d’après certains thomistes), et qu’il « abandonne » ainsi au sens plus ou moins strict, mais non point toutefois avant que ces pécheurs n’aient les premiers abandonné Dieu par une extraordinaire malice et un spécial abus de ses grâces, ce qui est plus qu’un péché mortel ordinaire.

c. On objecte encore contre l’explication que nous venons de donner du c. m : « Est-ce que les catholiques et les hétérodoxes sont d’une condition différente, au point de vue des preuves de la vraie foi et des grâces qu’ils reçoivent pour croire ? Non, puisque le concile a, au contraire, fait ressortir que ces preuves et ces grâces sont données non seulement aux catholiques, mais encore à ceux qui ne le sont pas. » Vacant, loc. cil., p. 172.

Réponse. — Sans doute, « les preuves de la vraie foi » sont les mêmes et pour le catholique et pour le protestant en voie de conversion, qui tous deux les étudient ; la différence de condition signalée par le concile n’est pas de ce côté-là. Elle est entre les preuves de la vraie religion et celles de la fausse. L'Église catholique a pour elle « des notes manifestes » , Denzinger, n. 1793, « un grand motif de crédibilité, un témoignage irréfragable de sa mission divine, » n. 1794. Les sectes ont pour elles des ombres de preuves, des apparences, qui peuvent dans un simple produire la certitude relative, mais qui, bien examinées, ne donneront jamais qu’une probabilité, même prises toutes ensemble ; ainsi la prospérité des nations protestantes, regardée comme une bénédiction de Dieu sur le protestantisme ; les missions protestantes, marque de fécondité ; les saints dont se vante l'Église russe. Ce sont des preuves de ce genre que le concile vise en disant : minime par est conditio… corum qui ducli opinionibus humanis religionem sectantur. Elles sont très bien caractérisées par le mot opiniones, qui suppose un motif insuffisant à la certitude. Voilà pour la différence des preuves entre catholiques et hétérodoxes. Quant à la grâce, sans doute elle est donnée des deux côtés, mais elle travaille différemment chez les uns et chez les autres : « elle excite les errants à venir » à la vraie religion, donc à sortir de la leur, puisqu’ils ne peuvent être à la fois dans les deux ; elle « confirme » les catholiques pour qu’ils « persévèrent » dans la leur. Quocirca minime par est conditio…

d. Les théologiens romains, auteurs du schéma primitif, dans leurs notes explicatives de ce schéma, ne

parlent pas de cette doctrine que l’on dit affirmée ici. Vacant, op. cit., p. 168. Martin de Paderborn n’en dit rien dans son rapport sur le nouveau schéma. Ibid., p. 170.

Réponse. — Ces théologiens, qui aiment à synthétiser, parlent souvent comme s’il n’y avait qu’une seule erreur visée par leur schéma. Ailleurs pourtant, ils la dédoublent en deux, celle d’Hermès et celle des indifférentistes. Ailleurs encore, quand ils énumèrent les vérités catholiques opposées à cette « unique erreur » , leur énumération devient plus longue : « L’erreur dont il s’agit ici, disent-ils, s’oppose à la doctrine catholique et révélée : a. sur la nécessité et le précepte divin de la vraie foi ; p. sur la crédibilité de toute la révélation, en tant que proposée par l'Église catholique, et sur la certitude immuable même pour les simples, en dehors de toute enquête scientifique et philosophique ; y. sur la lumière de foi et la fermeté surnaturelle de la foi. » Colleclio lacensis, col. 532. Remarquons ces mots : la crédibilité, la certitude immuable du fait de la révélation eliam pro rudibus ; voilà qui nous tire des considérations purement objectives, et qui descend dans les circonstances subjectives où se trouvent certains individus, pour montrer qu’ils pourront « immuablement » avoir la « certitude » des préambules de la foi, à moins évidemment qu’il n’y ait de leur faute. Or le concile, dans ses chapitres, se propose non pas seulement de condamner des erreurs, comme dans ses canons, mais de déclarer aux fidèles les vérités opposées ; parmi ces vérités est celle à laquelle ces théologiens font ici allusion. Ailleurs aussi, ils se plaignent de « l’erreur très répandue dans certaines régions, » qui ne veut pas considérer les apostats du catholicisme comme criminels, criminis reos, parce que ces apostats « disent presque toujours qu’en cela ils ont suivi leur conscience, » loc. cit., col. 531 ; ce criminis reos, cette conscience qu’on dit avoir suivie, voilà bien qui nous fait sortir du point de vue purement objectif pour descendre dans le vif de l'âme, dans la culpabilité subjective de l’individu ! Le P. Pesch conclut de ce passage : Ergonon de objectiva lantum certiludine sermo est, sed eliam de subjectiva. Prxlectiones, 3e édit., Fribourg, 1910, t. viii, p. 173, 174. Notons enfin que le sens naturel du texte conciliaire, analysé plus haut, vaudra toujours mieux, comme source d’information sur son contenu, que les notes annexées par de simples théologiens à un schéma primitif rejeté par les Pères, et puis large, ment remanié et éclairci. Quant à l'évêque de Paderborn, il continue à parler comme s’il n’y avait d’attaquée ici qu’une erreur : mais à cette erreur sont opposées plusieurs vérités, dont d’ailleurs il ne faut pas attendre l'énumération complète dans un résumé de dix lignes pour toute cette partie du c. m. Il ne s’agit chez lui que d’un coup d’ceil rapide, par manière d’exorde, sur l’ensemble et l’enchaînement de ce chapitre. Colleclio lacensis, col. 165.

e. Bien plus, les mêmes théologiens romains disent positivement que leur schéma ne touche pas à cette question subjective, qu’il ne prétend pas empêcher d’admettre en certains cas un abandon de la religion catholique sans péché formel. Granderath, op. cit.. p. 68, 69 ; Vacant, op. cit., p. 169, 170. Voici le passage des théologiens romains qu’on invoque : Xcque etiam in proposita declaralione doclrinæ et condemnalione erroris illud attingitur, quod aliqui vcleres theologi concedere non dubilanl, posse pcr accidens et in cerlis quibusdam adjunclis conscientiam rudis cujusdam hominis calholici ila induci in errorem invincibilem, ut seclam aliquam licterodoxam ampleclatur sine peccato formait contra fidem ; qua in hypolhesi is fidem non amilleret, nec formalis sed materialis hxreticus foret. Tanner, De fuie, q. ii, dub. v, n. 139 ; Platelius, De fide, n. 61. Hœc quidem, nisi cautissime explieentur, periculose dis

pulantur ; scd ab hxrcsi, qusc sacro concilio cxaminanda proponitur, sunt alienissima. Cotlectio lacensis, col. 534, 535.

Réponse. — L’opinion que ne veulent pas toucher ces théologiens, qu’ils regardent comme très éloignée de l’hérésie proposée à l’examen du concile, c’est une opinion de Tanner, auquel ils renvoient. Voyons donc ce que dit Tanner. Soutenant la thèse si commune de la certitude relative qu’ont les simples du fait de la révélation, avant la foi, voir col. 219 sq, il rapporte cette objection contre la thèse : Si l’on admet cette certitude purement relative, « il peut arriver à un fidèle, dans la suite des temps, qu’une religion fausse lui soit proposée comme plus croyable que la vraie, et par conséquent… qu’il abandonne prudemment la foi, pour embrasser quelque secte erronée… Car si par hypothèse il n’a eu pour la foi catholique que des motifs de crédibilité humains et défectueux, sous le couvert desquels on aurait pu aussi bien faire passer une fei fausse, rien n’empêche qu’ensuite une foi fausse lui soit rendue croyable par des motifs de même catégorie, mais encore plus impressionnants ; en sorte qu'à l’arrivée de ces motifs nouveaux et contraires, il puisse et doive juger prudemment qu’il ne peut plus, avec prudence, se laisser influencer par les premiers motifs qui l’avaient amené à la foi catholique, et qu’il ne doit plus croire. » Puisque cette conséquence est inadmissible et contraire au devoir de la persévérance dans la foi, conclut l’objection, la thèse de la certitude relative des simples, qui mène à de pareilles conséquences, est fausse elle-même. Adam Tanner, Theologia scholcislica, Ingolstadt, 1627, t. iii, De fuie, disp. I, q. il, n. 113, col. 108. Pour résoudre la difficulté, Tanner observe qu’on peut considérer la crédibilité de la foi catholique sous deux aspects : en tant qu’elle résulte des seuls motifs de crédibilité, extérieurement proposés, et en tant qu’on tient compte de tous les facteurs de la crédibilité, parmi lesquels sont les divers secours de la grâce ; crcdibilitas fidei prsecise quantum est ex parte propositions extermv, et credibilitas fulci undequaque spcclata. Loc. cit., n. 137, col. 114. La première considération est fragmentaire, la seconde est adéquate. Parlant de cette distinction capitale, il répond que la fâcheuse conséquence imputée à la certitude relative des simples serait en effet un accident possible, si l’on ne considérait la crédibilité que dans sa proposition extérieure et ses motifs, si imparfaits Chez les simples ; mais que cet accident apparaît impossible, dès qu’on prend la crédibilité adéquatement comme on doit le faire, dès qu’on tient compte des secours surnaturels qui aident le catholique soucieux i foi à avoir toujours des motifs de crédibilité rafflsants. Loc. cit., n. 137, col. 114. Or celle réponse > st précisément ce que nous axons soutenu : tout catholique, du moins s’il fait son devoir en matière « le foi, aura toujours et dans les moments les plus difficiles la crédibilité nécessaire a la conservation de sa foi, fait général et perpétuel qui ne peut s’expliquer, surtout chez les simples, sans l’aide de la grâce, en comprenant sous ce nom. avec des dons intérieurs, une providence surnaturelle de Dieu qui veille sans < i l.i conservation de noire foi. Tanner, il est vrai, est amené par cette object ion à parler Incidemment d’une question plus technique, c’est-à-dire de la perte de ['habilus fidei ou vei lu infuse de foi, qu’il appelle limplement perte de la foi » ; et a propos des catholiques qui apostasient, il dit que généralement ils perdront vertu, communiler amissuros (idem, mais pourtant que dans un cas extraordinaire un catholique pourrait la conservei tout en adhérant a l’hérésie ; i de même qu’au sentiment commun des théologiens ww enfant bapti é, élev< ! pai les hérétiques et qui de bonne dbère < un< si i te foi e, ne perd pas pour cela la

vertu infuse de foi reçue au baptême, parce qu’il n’a jamais péché formellement contre la foi. » Loc. cit., n. 139, col. 115. Cet endroit de Tanner, dans sa brièveté, n’a pas tous les développements désirables ; c’est justement celui que citent les théologiens romains comme n'étant pas touché ni condamné par le schéma qu’ils proposent, tout en reconnaissant qu’on est là sur un terrain dangereux et où il faut marcher prudemment. Mais Granderath et Vacant ne peuvent arguer de leur concession contre notre exégèse du con : cile, car cette concession, nous la faisons nous-même ; j nous défendrons plus loin cette dernière assertion de Tanner, d’une importance d’ailleurs plutôt secondaire, et nous ferons voir qu’elle ne contredit nullement ce que nous avons affirmé jusqu’ici de la vériI table pensée du concile. Quant à Platel, subsidiaire ! ment cité par les théologiens romains, il ne fait que ! rapporter l’opinion de Tanner, que du reste il condense i dans une formule assez peu exacte. Synopsis cursus [ theol., Douai, 1706, De fide, n. Gl, p. 236.

I. Enfin Vacant invoque contre notre explication 1 du concile l’autorité de plusieurs théologiens ; et il ne voit en notre faveur que Schmid, Erkenntnisslehrc, 1 1890, t. i, p. 99.

Réponse. — A part Granderath, les théologiens in ' voqués n’entrent pas dans la discussion de la ques

tion. D’ailleurs ils ne sont pas exclusifs
ils se con

I tentent d'énumérer sommairement les erreurs prin , cipales ici condamnées, sans prétendre que le concile,

! en rejetant ces erreurs avec plus de développement

| au c. iii, n’y ait pas énoncé la vérité que nous croyons

, y voir. Enfin ils traitent seulement de ce que le concile

a défini : et nous ne prétendons pas que le concile soit

allé jusqu'à définir cette vérité. Leur témoignage reste

donc en dehors de la question présente. On peut en

dire autant de Schifilni. De virtutibus in/usis, p. 274.

De notre côté, outre le D r Schmid, nous pouvons citer

de graves autorités que Vacant ne mentionne pas : elles

disent nettement que la vérité en question a été sinon

définie, du moins affirmée par le concile, ce qui nous

suffit.

Kleutgen d’abord : son autorité est d’autant plus grande ici qu’il est précisément le théologien, et le seul théologien, qui travailla pour Pévêque de Paderborn et mit au point le schéma primitif. Voir Granderath, Histoire du concile du Yalican, trad. franc., Bruxelles, 1911, t. n b, p. 12, 13. Mieux que les théologiens du schéma primitif, dont on aime à citer les notes, Kleutgen est à même de nous renseigner sur le sens du schéma nouveau, c’csl-à-dire du texte tel qu’il a été en définitive adopté par le concile ; écoutons-le. « Celte question, dit-il, dépend surtout de l’assistance de Dieu et de la lumière de la grâce. Puisque c’est Dieu qui donne la persévérance, dans la foi, puisqu’il a [ait de cette persévérance la condition du salut éternel, il ne refuse certainement pas son secours à celui qui le demande, et ne prive pas de la grâce de la foi celui qui par sa résistance ne s’en est pas rendu indigne. » (Voilà noire thèse.) i C’est ce '/'"' dit le concile du Vatican : Benignissimus Dominas… in hoc codera luminc ut persévérant, gratia sua confirmai, non deserens nisi deseniliir. « Die Théologie der Vorzeil, 2° éilit., .Munster, 1874, t. v, n. 612, p. 161. Et plus loin :. I sonne ne perd la foi sans une faute contre la foi. i

Loc. cit., ]). 165. El à celle objection, qu’un catholique pourrait être amené par la recherche scientifique a

changer d’avis sur la crédibilité de s ; i religion, il répond entre autres choses : L'Église avait toujours supposé ce qu’elle a formellement expliqué (au concile), que le croyant ne peut jamais avoir un juste motif de quitter la foi Pour les hétérodoxes, restés en dehors de la vraie religion, bien qu’ils aient pu sans aucune faute adhérer aux croyana dans leur

enfance, être obligés même à suivre leur conscience erronée, toutefois, quand ensuite ils rencontrent des raisons à rencontre de leurs convictions, ils doivent d’abord, comme les autres, prier et chercher à s’instruire, et s’ils le font, il leur arrivera le contraire de ce qui arrive aux fidèles de la vraie religion. Tandis que dans ceux-ci la persuasion première durera, se fortifiera, dans ceux-là elle s'évanouira pour faire place à une croyance meilleure. Car la même lumière d’en haut qui, dans celui qui adhère à la vérité, consolide la vraie certitude, détruit la fausse dans l'égaré qui cherche la vérité. En conséquence, comme l’a déclaré le concile du Vatican, on ne peut pas assimiler la condition des orthodoxes à celle des hétérodoxes ou des incrédules. » Loc. cit., n. 643, p. 466, 467. On voit par cette citation, que nous aurions pu allonger, comment Kleutgen entre en plein dans le point de vue subjectif, et explique en ce sens les paroles du concile, sans dire toutefois que ce point ait été défini.

Scheeben va même plus loin : « C’est toujours un crime de rétracter la foi catholique, quand on l’a formellement acceptée comme telle et possédée… Il y a toujours, soit du côté de l’objet, soit du côté du sujet, devoir impérieux en même temps que possibilité rationnelle d’y rester immuablement attaché. » Et il ajoute que ce point « a été défini par le concile du Vatican. » La dogmatique, trad. franc., Paris, 1877, 1. 1, § 46, p. 547, 548. Lahousse explique le même endroit du concile par la différence d'état subjectif où arriveront les orthodoxes et les hétérodoxes s’ils sont fidèles à la grâce. Orthodoxes : « A cause du milieu où l’on se trouve, il peut arriver que la persévérance dans la vraie foi devienne moralement impossible sans un secours spécial de Dieu. Ce secours, Dieu ne le refuse à personne qui le demande et se conduit bien. Mais on peut par une mauvaise conduite s’en rendre indigne, et, parce qu’on a le premier abandonné Dieu, en être abandonné à son tour. Il peut donc arriver qu'étant privé de la lumière divine on ne voie plus la nécessité d’adhérer à la religion catholique, qu’on se persuade même qu’il faut en sortir. » Hétérodoxes : « L’hérétique de bonne foi, quand il est pris de doutes sur sa secte, n’est pas tenu d’abjurer immédiatement l’hérésie, mais d’implorer la lumière de l’Esprit-Saint et d'étudier sa religion. Comme il n’y a en faveur de la secte et de ses erreurs aucun véritable motif de crédit ilité, plus il avancera dans l'étude de la question religieuse, plus ses doutes prendront de force, si sa volonté est bien disposée et s’il demande humblement la grâce de Dieu. Par tout cela s’explique et se vérifie l’affirmation du concile du Vatican : Minime par est conditio eorum, etc. » De virtutibus theologicis, Bruges, 1900, n. 231, p. 296, 297. "Wilmers, après avoir cité le texte du concile, explique les mots justam causam dans un sens non pas seulement objectif mais subjectif : « L’homme qui a reçu la foi sous le magistère de l'Église, et qui de plus est continuellement poussé par la grâce à y persévérer, ne peut jamais avoir aucune cause d’apostasier ou de douter, laquelle il puisse regarder sincèrement comme étant juste. S’il ne peut avoir aucune juste raison, il s’ensuit qu’il ne peut être excusé, quand, malgré tout, il change sa foi ou la révoque en doute, tandis que l’infidèle peut (souvent) être excusé, quand il ne reçoit pas la foi ou doute de la révélation. La révélation en elle-même, ou objectivement considérée, est absolument indubitable ; mais il ne s’agit pas ici de la révélation objectivement considérée, il s’agit plutôt de la connaissance qu’on en a, certaine ou incertaine. » De fuie divina, édité par le P. Lehmkuhl, Ratisbonne et New York, 1902, n. 181, p. 189, 190. Plus loin il remarque que dans le texte du concile non comparatur religio cum religione, sed « conditio » credenlis catholici « cum condilione » infidelis vil helcrodoxi, n. 188, p. 195.

Le cardinal Billot paraphrase ainsi le texte du concile : Benignissimus Deus injallibililer providel ut ii omnes quos de lencbris translulit, etc., habeunt semper unde… absque de/ectione rationabililer perseverare possini, non deserens, etc. De virtutibus infusis, Rome, 1905, t. i, thés, xvii, coroll., p. 314. Il y a donc une spéciale c providence » qui pourvoit à ce que tout catholique ait « toujours, infailliblement » les moyens, la « possibilité de persévérer raisonnablement » dans la foi, " à moins qu’il n’abandonne le premier. » La grâce de la foi exige, dit-il plus loin, « que jamais le fidèle ne soit mis dans une circonstance où malgré lui il lui deviendrait impossible de garder raisonnablement sa foi ; or il serait mis dans une semblable circonstance, s’il était amené invinciblement à un état où il manquerait de crédibilité suffisante. » Loc. cit., p. 315. Au contraire, pour les non-catholiques, « la crédibilité purement respective qu’ils ont eue d’abord en faveur de leurs articles faux peut venir à manquer totalement, et cela non seulement avec la permission de Dieu mais par l’action positive de sa grâce. » Loc. cit., p. 316. Le P. Pesch résout ainsi le cas le plus difficile, celui d’un jeune catholique vivant au milieu d’ennemis acharnés de sa foi, entendant mille objections sans que personne puisse l’aider : « S’il se jette volontairement, dit-il, dans le danger de perdre la foi, ou s’il y demeure volontairement, c’est une faute, et il doit s’en prendre à lui-même des conséquences de cette faute. Mais s’il est forcé de vivre en un tel milieu, et s’il fait ce qu’il peut, continuant surtout à prier, une grâce même extraordinaire ne lui fera pas défaut… et suppléera ce qui lui manque du côté des secours extérieurs, et ainsi sa foi ne succombera pas. C’est ce qu’enseigne le concile du Vatican : Deus non deserit, nisi deseratur. » Prælecliones dogmaticæ, 3e édit., 1910, t. viii, n. 381, p. 173. Et rapportant l’opinion de Granderath « qui soutient qu’on reste dans la pensée du concile, en admettant une apostasie dans laquelle il ne soit pas nécessaire de supposer aucun péché, » le P. Pesch estime que cela paraît dépasser les bornes, nimium videtur. Loc. cit., n. 385, p. 175.

2. La question en elle-même, en dehors de la déclaralion du concile et d’après d’autres sources. — Il importe de bien distinguer ce point du précédent. Granderath lui-même a eu soin de le faire : « Je ne veux nullement soutenir ni prouver, dit-il, qu’il puisse arriver à quelqu’un, par une erreur invincible et sans faute de sa part, de se séparer de l'Église ; je veux seulement montrer que le concile n’a porté aucun jugement là-dessus. » Constitul. dogmatiese, Fribourg, 1892, p. 62. Autre chose, en effet, est de savoir si un concile s’est prononcé sur un sujet donné, autre chose est de traiter par ailleurs ce sujet lui-même. Indépendamment de la preuve que nous avons tirée de l’autorité du concile, notre thèse se soutient par une autre démonstration théologique qu’il faut maintenant donner. Une première partie regardera les catholiques : une seconde partie, les hétérodoxes.

a) Première partie : catholiques. — Il faut ici distinguer deux cas possibles : le défaut de persévérance clans la foi (doute volontaire ou apostasie, suspension seulement temporaire à la façon d’Hermès ou rejet qui veut être définitif, cf. Wilmers, loc. cit., p. 189). le défaut de persévérance dans la foi peut figurer de deux manières dans une vie humaine. La première, c’est qu’on soit surpris parla mort dans ce défaut de foi ; la seconde, c’est qu’on ne le soit pas. Dans le premier cas, un homme formé par l'Église dans la foi, et vrai croyant d’abord, vit et meurt ensuite dans le doute ou l’apostasie. Dans le second cas, le doute ou l’apostasie ne sont qu’une triste parenthèse dans sa vie ; il en revient, et finit comme il avait commencé. Or, disonsnous, si le catholique fait, comme il le peut, son devoii

en matière de foi, la providence empêchera infailliblement l’un et l’autre cas de se produire : mais comme nous en avons plus de preuves quand il s’agit du premier cas que du second, il convient de les traiter séparément.

Premier cas. — La foi n’est pas seulement de nécessité de précepte, mais encore de nécessité de moyen : voir Nécessité de la foi. C’est pour le chrétien non pas seulement une obligation comme une autre, dont peut excuser l’erreur invincible, mais une condition indispensable de salut ; il faut, comme condition nécessaire pour être sauvé, être fidèle à sa profession de foi jusqu’au dernier soupir. Voir Pro/essio fidei (ridentina, Denzinger, n. 1000. Or Dieu veut le salut de tous les Iminmes. et d’une manière plus spéciale le salut des fidèles. I Tim., iv, 10. Cette volonté ne serait pas sérieuse si le Tout-Puissant, qui a mille moyens d’aider à persévérer, permettait qu’un fidèle, qui a fait ce qu’il a pu pour garder sa foi, soit forcé de l’interrompre malgré lui, de la rétracter, faute de cette condition nécessaire de persévérance qu’est la crédibilité, et enfin soit ainsi surpris par la mort, et privé de son salut éternel. C’est l’argument de Kleutgen. Voir col. 298. C’est aussi la pensée des théologiens du schéma primitif, quand, à l’erreur qui permet au catholique de douter, et de changer de religion, ils opposent ces trois choses : « la nécessité de moyen qui est dans la vraie foi, Heb., xi, 6 ; le précepte du Christ, de croire toute la doctrine qu’il a ordonné à ses envoyés de prêcher à toute créature ; enfin, comme conséquence, la gravité du péché de ceux qui, ayant été une fois illuminés par la vraie foi, l’ont abandonnée par une triste chute. Heb., vi, 4. 6. » Note 19 du schéma, dans la Collectio lucensis, col. 532. On voit déjà la réponse à cette objection : Quoique l’accomplissement des préceptes qui obligent sub gravi soit objectivement nécessaire au salut. Dieu n’est pas tenu de pourvoir à ce que tous les fidèles aient subjectivement la possibilité de les accomplir : par exemple, de faire que tous puissent jeûner, entendre la messe, restituer malgré leur pauvreté une somme qu’ils n’ont plus ; qu’ils n’aient jamais d’erreur invincible qui leur fasse faire, même en matière grave, un péché matériel dans lequel la mort pourra les surprendre. Donc, Dieu ne tera pas tenu de rendre toujours possible l’accomplissement du précepte de la persévérance dans la foi, ni (l’empêcher l’erreur invincible qui forcerait un catholique à apostasier pour suivre sa conscience erronée, même quand la mort devrait le surprendre en cet état. » La réponse est contenue dans notre démonstration elle-même. Quand une chose est seulement de nécessité de précepte, comme dans les exemples cités, alors l’ignorance invincible, ou toute autre cause qui met dans l’impossibilité d’accomplir le précepte, sufhl, i en excuser et a faire disparaître l’obstacle au salut. Mais quand pour le salut une chose est de nécessité de moyen comme la foi, alors l’ignorance invincible ou toute autre cause d’impuissance peut bien excuser d’une faute nouvelle, mais elle n’enlève pas l’obstacle qui résulte par ailleurs du défaut de moyen : le salut reste inaccessible, si l’on n’est pas muni à l’heure de la mort du moyen nécessaire. 1 > ; ms ces conditions, comme Dieu veut sérieusement le salut de tous les adultes, et des fidèles surtout, de manière que leur salut dépende de leur volonté personnelle, ci qu’ils ne puissent s’en prendre qu'à eux-mêmes de leur perte, cette volonté de leur saint l’engage logiquement a leur donner le vaire pour pouvoir mourir dans la foi, du moins si leur volonté personnelle a fait son devoir de ce cotéla : autrement leur perle ne Viendrai ! pas d’eux, mais de lui, et sa volonté de leur salut ne serait pi

' t. Scheeben, loc. ni., p. 5 10 S’inmi cas. Si l’homme ne doit pas être turprl

par la mort dans le manque de foi, si ce moment décisif n’est pas en jeu, nous ne pouvons plus invoquer les conséquences de la nécessité de moyen, ni le salut rendu impossible au fidèle indépendamment de sa volonté personnelle, contre la promesse de Dieu ; l’argument précédent n’est plus applicable. Aussi Granderath ne voit-il pas comment on peut prouver que Dieu doive empêcher pareil cas : « Si (le catholique qui, faute de crédibilité, aurait douté de sa religion par une impuissance dont il ne serait pas responsable) revient bientôt à la vérité, dit-il, on ne voit pas quel plus grand malheur il peut y avoir à cela, qu'à commettre par erreur (invincible) une autre sorte de péché grave. » Loc. cit., col. 69. C’est ce « plus grand malheur » que nous allons montrer avec un peu d’insistance, parce que la plupart des théologiens n’ont guère considéré ce cas, et qu’on ne semble pas avoir assez approfondi une vérité de cette importance. — a. La foi est le fondement de toutes les vertus chrétiennes. Voir col. 84 sq. Sans elle, de quelque façon qu’on en soit privé, pas d’espérance de notre fin surnaturelle et ineffable, pas de crainte de l’enfer éternel, pas de contrition surnaturelle de ses fautes avec confiance du pardon, pas d’amour de Dieu comme ami, uni à nous par la communication familière des biens surnaturels, de son Fils qui nous a rachetés et se donne à nous en nourriture, de son Esprit qui habite en nous, de son adoption et de son propre bonheur un jour : tout cela ne peut se connaître que par la révélation et la foi. Sans la foi, pas d’amour pour nos frères, comme membres d’une même famille divine et représentant pour nous Jésus lui-même, pas de charité s'étendant jusqu'à nos ennemis, pas d’ardeur à conserver la pureté, pas de culte divin tel qu’il a plu à Dieu de l’instituer avec son sacrifice et ses sacrements, pas de soumission à l'Église infaillible, pas de zèle pour la conversion de ceux qui sont restés dans les ténèbres en dehors de cette admirable lumière, pas de vertus héroïques, pas de sublime dévouement allant parfois jusqu’au martyre. Sans elle, plus de communication intime avec la grande société qui jusque-là nous avait soutenus, plus de.Mère au ciel et de saints à invoquer, plus d’habitudes religieuses et de dévotions qui consolent et fortifient. Etre privé de la foi, même sans faute de sa part, et ne fût-ce que pour quelques années ou quelques semaines, c’est être pendant ce temps-là privé de tous ces biens, de tous ces divins éléments qui élèvent l'âme ; c’est être rejeté, sinon dans le scepticisme, du moins dans les idées vagues et abstraites de la raison naturelle et de la philosophie, peu accessibles et peu vivantes ; c’est être rejeté dans le vide du cœur, et par suite dans le matérialisme des intérêts d’ici lias, ou dans la folle exaltation des passions humaines : et cela d’autant plus dangereusement qu’en perdant les convictions fermes de la foi, par une transition soudaine, on tombe d’un monde dans un autre, on change brusquement tout son horizon, tout son avenir et toute sa vie, on voit s'écrouler tout un passé dont on a vécu, sans savoir si jamais on pourra relever tant de ruines. Au contraire, qu’un fidèle liai inadvertance manque la messe un jour d’obligation. qu’il aille par une erreur Invincible jusqu'à se croire permise une action gravement immorale et la commet le. ou se croie mal à propos dispensé de restituer. tout cela est plus ou moins regrettable, mais n’a aucunement pour lui les conséquences que nous venons d’indiquer. Il y avait donc une raison très forte pour quc Dieu, bien qu’il n’ait pas promis d’empêcher, dans des lideles même très pieux, tout péché matériel cou

i re les autres préceptes, empêchai en eux l’abandon de

la foi même par une erreur Invincible et un péché scu Icnient matériel, du moins si auparavant ils ont fait de leur côté leur devoir pour la conserver. I.a diflé

rence essentielle qui existe sur ce point entre le devoir de la foi catholique et plusieurs autres devoirs, dit Scheeben, vient de ce que la possession de la foi divine est la condition fondamentale de l’accomplissement de tous les autres préceptes. » Loc. cit., n. 848, p. 549. — b. Dans l'Église tout comme dans la société civile, il y a un fonds commun d’idées et de vérités, regardé comme une base sociale et supposé par la législation, les jugements et les peines. Supposons qu’un criminel réponde aux assises : « Ma conscience a autorisé ce que vous appelez le vol et l’homicide » ou bien : « Pour moi il n’est pas de devoirs, je suis convaincu que le plaisir seul est la règle de la vie ; en tuant pour avoir de l’argent, j’ai voulu vivre ma vie. » S’il est déclaré irresponsable par l’examen médical, on ne le punira pas, on le mettra dans une maison de santé, parce qu’on reconnaît ce principe, que la peine (du moins la peine grave) suppose un délit volontaire, dont le délinquant soit vraiment responsable. Si au contraire il est reconnu que cet homme est dans l'état normal de ses facultés, on le punira, même de mort. Mais puisque cet homme vous dit qu’il n’a point vu de mal dans l’homicide, qu’il a suivi sa conscience, son idée de la moralité, pourquoi ne le faitesvous pas bénéficier d’un cas d’irresponsabilité pour cause de conscience invinciblement erronée ? Comment conciliez-vous votre conduite si dure à son égard avec votre piineipe que l’on ne doit punir que les responsables ? Ah ! c’est que vous supposez avec raison que les vraies notions sur le bien et le mal moral, sur la règle de la vie, sont accessibles à tout homme qui ne pervertit pas lui-même son esprit par sa faute ; que cet homme a vii, ou du moins a dû voir le contraire de ce qu’il dit ; que s’il est arrivé réellement à détruire en lui les principes qui sont la base de toute société, ce n’est point par une erreur invincible et innocente à son origine, c’est par sa faute, en corrompant volontairement sa conscience : il est donc responsable, d’une manière ou d’une autre, des crimes commis. Remarquons maintenant que la société ecclésiastique ne repose pas seulement sur des données de bon sens ou de raison philosophique, mais encore sur des données révélées. Sa liturgie, les définitions de son magistère, sa législation supposent communément admis par ses membres que le Christ lui a donné une mission surnaturelle à remplir, lui a confié des vérités révélées et des institutions divines à conserver. Aussi exige-t-elle de ses néophytes une profession de foi, un ensemble de vérités que tous doivent croire pour entrer dans la société. Partant de cette profession qu’ils ont faite, elle a le droit de supposer qu’ils ont cru intérieurement ce qu’ils professaient extérieurement, et donc qu’ils ont eu la crédibilité suffisante ; elle sait qu’avec la grâce de Dieu, s’ils font leur devoir, ils peuvent continuer à l’avoir toujours. Que deviendrait cette société, que Dieu a rendue obligatoire, si à chaque instant ses membres pouvaient en conscience échapper à sa législation, à son action sociale, parce qu’ils auraient malgré eux perdu leur crédibilité, cette condition essentielle pour reconnaître l'Église ? Il fallait donc que la providence veillât à empêcher de pareils accidents, non pas à empêcher toute apostasie, mais à empêcher toute apostasie légitime et du côté des meilleurs enfants de l'Église ; il fallait que Dieu conservât dans les fidèles (au moins s’il n’y a pas de leur faute) cette base sociale de vérités révélées, comme il conserve dans le genre humain un patrimoine de vérités morales sur lesquelles reposent toutes les sociétés. — c. Mais la raison décisive pour nous, c’est la pratique générale de l'Église, dès les premiers siècles. Quand à l'époque des persécutions les chrétiens étaient traînés devant les prétoires, et devaient choisir entre l’apostasie ou le martyre, l'Église a toujours considéré non seulement

la confession publique de leur foi comme obligatoire en général et objectivement, mais encore l’apostasie comme subjectivement criminelle et dans tous les cas : c'était un des crimes principaux qu’elle soumettait dans tous les cas à la pénitence publique, et la plus rigoureuse, supposant par conséquent que le fidèle en est toujours responsable. Or si la thèse de nos adversaires était vraie, parmi ces chrétiens interrogés par les magistrats païens plusieurs auraient pu se trouver à ce moment de leur vie, par un défaut de crédibilité nécessaire et une erreur invincible, dans l’impossibilité de croire, sans aucune responsabilité de leur part. « Et celui qui a cessé de croire, observe Wilmers, ne peut pas déclarer qu’il croit : un chrétien pourrait donc alors (légitimement d’après nos adversaires) vouloir déclarer au juge qu’il ne croit plus, qu’il n’a plus la foi chrétienne, ce qui le mettrait au rang des apostats. » Loc. cit., p. 199. Et de cette apostasie il ne serait pas responsable, d’après les théologiens, nos adversaires ; d’où il suit que l'Église, qui est infaillible dans sa discipline générale, au lieu de soumettre tous les apostats en bloc aux peines les plus rigoureuses, aurait dû les interroger sur l'état d'âme qu’ils avaient au moment de l’apostasie et sur la responsabilité qu’ils pouvaient y avoir ; et qu’elle devrait le faire encore de nos jours, quand elle excommunie les apostats. Donc la thèse adverse, qui admet des cas de légitime apostasie, est opposée à la pensée et à la pratique de l'Église. On pourrait tirer une conclusion semblable, soit des professions publiques de foi que l'Église exige de certaines catégories de fidèles, par exemple, des professeurs et des étudiants des universités catholiques, sans demander à chacun où en sont pour le moment ses motifs de crédibilité, soit des peines dont elle punit quiconque, parmi ses membres, manque à la foi qu’il a professée et nie publiquement les vérités qui servent de base à cette société tout entière. Voir Kleutgen, loc. « 7., p. 466. Enfin, si la thèse opposée était vraie, si les bons et pieux fidèles, qui prient et font ce qu’ils peuvent pour garder leur foi catholique, étaient parfois dans la nécessité de l’abandonner, l'Église devrait avertir au moins ceux-là de la possibilité d’un si triste accident, et, pour les empêcher de se livrer en pareil cas au désespoir, les informer de son caractère purement temporaire, parce que la bonté de Dieu qui veut sérieusement leur salut leur donnera les moyens de recommencer à croire avant leur mort. Voir premier cas, col. 301. De plus, elle devrait leur donner, à eux ou aux prêtres qui peuvent les conseiller dans cette terrible crise, des instructions pour ce temps-là, par exemple, qu’ils seront dispensés du précepte de la communion pascale et qu’ils devront même éviter d’en approcher jusqu'à ce qu’ils aient retrouvé la foi à l’eucharistie et à tout l’ensemble des vérités catholiques. Or non seulement l'Église n’a jamais donné semblables instructions, mais elle a urgé pour tous les fidèles le précepte de la communion annuelle. Elle suppose donc impossible le cas admis par nos adversaires comme possible. Concluons donc avec saint Thomas que le fidèle a, avec le secours de la grâce, la possibilité de ne pas abandonner sa foi, à moins qu’il n’y ait de sa faute : Homo lumen fidei habens non consentit his qu.se. sunt contra fidem, nisi inclinalionem fuki dcrelinquat ex sua culpa. In 1 V Sent., 1. III, dist. XXIV, q. i, a. 3, sol. 2°, ad 3'" » . Ici saint Thomas, suivant son habitude, groupe autour de l’habilus fidei, que possède le fidèle, toutes les grâces qui servent à l’exercice de la foi et à la persévérance dans la foi, révélation, grâces actuelles intérieures et providence spéciale extérieure, et résume tout cela sous le nom de lumen fidei. C’est que la vertu infuse, qu’il appelle souvent lumen fidei, est comme le centre des grâces de foi, centre auquel se rattache tout le reste et qui exige tout le reste. C’est la remarque du

cardinal Billot : « De même que la grâce habituelle appelle tous les secours qui sont nécessaires au juste pour persévérer (dans la justice), de même Vhabilus fidei exige ce qui est requis du côté de la grâce (actu-elle ) ou de la providence divine, pour que l’homme ne soit jamais mis dans une situation où, malgré sa volonté, il lui serait impossible de garder raisonnablement la foi ; ce qui lui arriverait, s’il était amené invinciblement à un état où lui manquerait la crédibilité suffisante. » De virtutibus infusis, 2e édit., Rome, 1905, thés, xvii, coroll., p. 315.

b) Seconde partie : les hétérodoxes : ils ont commencé, eux aussi, par croire fermement des leur enfance avec une crédibilité purement relative ce qu’on leur a enseigné. — a. Dans cet ensemble religieux qu’on leur a enseigné, établissons d’abord une grande différence entre les vérités révélées, les vrais articles de foi qu’a gardés leur secte, et les erreurs qu’elle y a ajoutées.

Articles vrais. — Nous devons admettre une certaine possibilité de les perdre, même pour des hétérodoxes pieux et faisant ce qu’ils peuvent pour les conserver ; parce que cette promesse de Dieu dont nous avons parlé, de fournir aux fidèles de bonne volonté, à tout moment de leur vie même le plus critique, la crédibilité suffisante pour qu’ils n’abandonnent jamais la foi, cette promesse, r.is-je, est faite à la seule véritable Église, qui est l’Église des promesses ; les preuves que nous avons apportées de cette providence spéciale se rapportent à la seule Église catholique, et rien ne garantit qu’elles s’étendent plus loin. Ajoutons les dangers bien plus grands que court la fei dans des milieux qui n’ont pas d’Église infaillible pour retenir dans la vérité, dans des milieux où circulent librement sur la nature de la révélation ou de la foi, sur la nature de l’inspiration des Écritures, etc., des erreurs capables de couper par la racine toute foi à des dogmes quelconques. Cependant il faut appliquer ici la distinction que nous avons faite tout à l’heure entre la perte des vérités révélées qui serait seulement temporaire, et celle qui durerait jusqu’à la mort. S’il s’agit île la seconde, la volonté qu’a Dieu du salut de tous les hommes ne peut permettre qu’une âme de bonne volonté, qui prie et fait ce qu’elle peut suivant les lumières qu’elle a, arrive au moment qui décide de l’éternité, avec une erreur invincible qui la priverait de la foi nécessaire à la rémission de ses péchés. Une providence spéciale de Dieu lui procurera donc avant la mort, non pas nécessairement et toujours la possibilité d’entrer dans l’Église, de faire partie de son corps » , mais le moyen de retrouver la crédibilité des dogmes, au moins de ceux qui sont de nécessité de moyen pour la justification et le salut. Voir SALUT.

erreurs des sectes. — Ici surtout apparaît la diffé entre catholiques et hétérodoxes. Ces erreurs, qui renferment en premier lieu l’identification de leur avec la véritable Église instituée par Jésus(.luist (ou bien, s’il s’agit du paganisme, la vérité des faux dieux), n’ont pas objectivement de preuves solides, et prêtent le flanc à de terribles difficultés ; Dieu, qui a pu parfois tolérer quelques apparences eu leur faveur, n’a pu leur donner des notes convaincantes comme à la véritable religion, ce qui serait positive ment induire en erreur le genre humain. Le développement naturel de l’esprit et l’étude de la religion amèneront donc un certain nombre d’hétérodoxes sinei intelligents à douter sérieusement et prudemment de l’ut ecte, et à pouvoir la quitter. Mais surtout le travail surnaturel de la grâce doit par moments

les | <iit ii de « es erreurs. Cm la grâce n’est

pas un principe indifférent au bien ou au mal, au vrai nu au faux, a la façon du concours général que Dieu

donne a Imites nos actions bonnes ou mauvaises. Voir

divin, t. iii, col. ".si si(. La grâce est i

tiellement un principe d’action plus limité et plus spécial, déterminé par lui-même au vrai, au bien, n’aidant que dans la direction du salut, ne donnant que la lumière du vrai dans l’intelligence ou l’amour du bien dans la volonté. Voir Grâce. Un semblable principe ne peut se comporter de la même manière en face de la vérité salutaire ou de l’erreur dangereuse, en face de la véritable Église, ou d’une secte qui lui fait la guerre. Et comme la grâce traite d’une manière opposée l’âme endormie dans le péché mortel et l’âme pieuse et toute à Dieu, comme elle trouble la première dans sa fausse quiétude, l’agite, l’attriste par le remords de la conscience, et au contraire tranquillise la seconde dans ses troubles, lui donne la consolation et la joie (S. Ignace de Loyola, Exercices spirituels, Régies du discernement des esprits pour la première semaine, règle 1 et 2) : ainsi la grâce traitera d’une manière opposée l’âme attachée par une erreur même inconsciente à une fausse religion, et l’âme qui se trouve dans la véritable Église, dans la voie du salut ; elle inquiétera ordinairement la première dans un repos qui malgré sa bonne foi lui est plus ou moins funeste, et au contraire tranquillisera la seconde et la fixera où elle est. On voit ici la raison profonde, et fondée sur la nature même de la grâce, de cette différence que le concile du Vatican affirme entre catholiques et non catholiques, du côté de la grâce de Dieu. On peut même en faire une sorte de contre-épreuve par un certain emploi de l’expérience, autant qu’on peut du dehors appliquer l’observation à ce qui s’est passé dans les âmes, à l’aide des autobiographies, des signes et des faits extérieurs qui encadrent un changement de religion. Muni d’un bon nombre de cas, si l’on compare, par exemple, les passages bien connus du catholicisme au protestantisme et les convergions célèbres du protestantisme au catholicisme, on verra que les catholiques devenus protestants paraissent avoir cédé d’une manière générale à des motifs humains, à la légèreté ou à l’orgueil froissé, au désir de secouer un joug pénible aux sens, à des passions où la grâce n’a point de part, et qu’ils étaient peu coutumiers de la prière, qui obtient la grâce : tandis que les protestants convertis étaient des âmes sérieuses, élevées, soucieuses de la question religieuse et de l’union avec Dieu, cherchant la vérité, priant, et se mettant ainsi sous l’influence de la grâce. On peut donc conclure que la grâce les a poussés dans la direction où ils ont abouti, tandis qu’elle n’a pas aidé au changement des autres, et le combattait plutôt ; ce qui peut, par ailleurs, fournir un indice nouveau pour le discernement de la véritable Église. Voir Kleutgen, loc. cit., p. 465.

b. Conséquence. — Au sujet des hétérodoxes, nous devons tenir un juste milieu, et éviter deux excès opposés. — Le premier <

cs est de supposer gratuite ment, et même contre d’excellents témoignages, qu’il y en a très peu qui soient de bonne foi, et d’ajouter que ceux mêmes qui le son ! ne peuvent jamais faire un véritable acte de foi divine et salutaire sur les articles de la révélation chrétienne que leur secte a conservés : ce que nous avons réfuté à propos des

limites du rôle de l’Église dans la foi, col. 165. Ailleurs

nous avons montré qu’en fait « le certitude rationnelle exigée comme condition préalable de l’acte de foi. une certitude purement relative peut suffire, et qu’une

telle certitude se trouve couramment dans les fausses religions elles-mêmes ches les enfants et les simples, qui tiennent avec fermeté et prudence, par exemple, les

préambules de la fol chrétienne sur la parole de ceux qui les instruisent. Voir col. 231, 232. Ce genre de certitude tombe d’ailleurs aussi bien sur les erreurs de la secte et les ailieles faux qu’on lem enseigne que sur

rticles vrais et les véritables préambules de la fol

chrétienne. Voir col. 233, 234. La différence de condition subjective qui sur la crédibilité oppose les hétérodoxes aux catholiques n’existe donc pas ordinairement à l’origine pendant leur éducation religieuse et les premiers temps qui la suivent. Voir ce que nous avons dit contre Pérez, col.248, 249. Cette différence ne se dessine que plus tard, quand l’esprit ne se contente plus, pour la crédibilité, du simple témoignage des éducateurs, et commence à juger par lui-même de la valeur des preuves en faveur de la religion qu’il a suivie jusqu’alors. Alors l’hétérodoxe arrive souvent à se sentir suspendu dans le vide, tandis que le catholique éprouve de plus en plus la solidité des bases de sa religion, ce qui est la raison pour laquelle il ne lui est jamais permis d’en douter, comme le remarque Amort, Demonslratio critica religionis catholicse, Venise, 1744, part. IV, n. 39, p. 281. Encore faut-il, pour que cette différence subjective se dessine, que la mentalité de l’hétérodoxe soit assez développée pour le rendre capable dece jugement personnel sur les preuves de sa religion, et que les préjugés, souvent si tenaces, ne l’arrêtent pas. La grâce n’est pas obligée non plus, quelles que soient ses bonnes dispositions et ses prières, de lui faire obtenir vite et de bonne heure toute la vérité, ni même (rigoureusement parlant) de le faire ici-bas parvenir à la véritable Église, s’il a par ailleurs, avec la bonne foi, un moyen de salut dans la foi surnaturelle suivie de l’espérance et de la charité avec la contrition de ses fautes. Il s’ensuit que, pour une personne qui nous paraissait bien disposée, mourir dans sa secte n’est pas un signe qui doive nous faire désespérer de son salut.

Le second excès, opposé au premier, est de nier toute différence quant à l'état subjectif scit de doute ou de certitude, soit de prudence ou d’imprudence, soit de bonne ou de mauvaise foi, entre l’ensemble des catholiques et l’ensemble des hétérodoxes ; je dis l’ensemble, ce qui suppose qu’on prend les uns et les autres également à tous les âges, dans toutes les classes de la société, et dans toutes les phases du développement de l’esprit humain. — On ne peut aller jusque-là. Ce serait nier qu’il y ait une différence de valeur et d’efficacité entre les signes et les notes que Dieu a donnés à la vraie religion pour la faire reconnaître, et les apparences qu’on peut tâcher de faire valoir pour une fausse religion ; ce serait croire tous les esprits si obtus, si emprisonnés dans leurs préjugés, qu’ils ne puissent jamais saisir, entre de bonnes et de mauvaises preuves, une différence de valeur, ce qui est faire peu d’honneur à la raison, et à Dieu qui aurait agi sans but et sans sagesse, en donnant à la vraie religion des signes et des notes qui ne serviraient jamais de rien ; ce serait, en somme, une forme de fidéisme ou de scepticisme. Nier ainsi toute différence subjective, ce serait encore nier tout travail de la grâce dans les âmes, soit pour tranquilliser et affermir les unes dans la religion véritable, soit pour inquiéter les autres dans leurs fausses religions ; ce serait enfin nier en pratique toute obligation de chercher la véritable religion, et d’y entrer, puisqu’elle serait pratiquement indiscernable. A l’excès dont nous parlons se rattache la 17e proposition du Syllabus, condamnée malgré son apparente modération. Elle se garde bien, en effet, de dire, comme la proposition précédente, que toutes les religions sont bonnes et mènent au salut. Elle dit avec un indifïérentisme plus mitigé :

Du moins il faut avoir

17. Saltem bene sperandum est de aeterna illorum omnium salute, qui in vera Christi Ecclesia nequaquam versantur. Denzinger, n. 1717.

Si la proposition s'était bornée à dire qu’on peut espérer le salut de plusieurs de ceux qui ne sont pas

bon espoir du salut éternel de tous ceux qui ne sont pas dans la véritable Église du Christ.

dans la véritable Église, parce qu’il y en a beaucoup de bonne foi, même jusqu'à la mort, et que ceux-là, par un acte de foi surnaturelle et un acte de contrition parfaite, avec le secours de Dieu, peuvent mourir en état de grâce, leurs péchés pardonnes — elle n’aurait pas été condamnée. Mais elle fait « bien espérer du salut de tous les hétérodoxes : cet espoir suppose qu’ils sont tous de bonne foi dans leur secte, et de plus, qu’ils ont tous la notion juste de l’acte de foi, qu’ils ont tous la certitude suffisante des préambules pour pouvoir faire un acte de foi très ferme, qu’ils ont tous gardé les vérités révélées qui sont de nécessité de moyen, enfin qu’aucune erreur (comme celles de Luther sur la justification et la pénitence) ne les empêche de faire un acte de contrition de leurs péchés ; et tout cet ensemble de suppositions, démenti en partie par l’expérience, est nécessaire pour que cette proposition soit juste. Si elle l'était, il n’y aurait en outre aucune différence de condition subjective entre catholiques et hétérodoxes, ce que nous venons de réfuter.

c. Objections. — Mais, dira-t-on, nous devons laisser à Dieu, qui seul scrute les cœurs, le jugement sur la bonne ou la mauvaise foi des hétérodoxes. — Oui, quand il s’agit de désigner d’une manière déterminée, nommément, ceux qui sont dans la mauvaise foi ; non, quand il s’agit de juger d’une manière indéterminée, sans désigner personne : or, c’est ainsi que nous avons conclu, en vertu de preuves solides, sans désigner personne, que dans l’ensemble des hétérodoxes il doit y eiv avoir un certain nombre forcés de soupçonner ou même de reconnaître l’insuffisance de leur secte et le devoir de chercher ailleurs, bien qu’ils tâchent de s'étourdir ou de faire illusion à eux-mêmes, par une grave imprudence dont ils ne sont pas toujours inconscients. — Mais, dit-on encore, si nous interrogeons les membres des diverses religions, tous paraissent également persuadés d'être dans la vraie. — Leur assertion peut être exacte, s’il s’agit de gens médiocrement instruits, peu difficiles en fait de preuves ; tous ceux-là, dans les diverses religions, peuvent ne pas différer beaucoup par la conviction subjective. Voir ce que nous avons dit de la certitude relative. Mais s’il s’agit de tous les autres, répondons avec le cardinal Gerdil : « Tous ceux qui engagent un procès semblent également persuadés de la bonté de leur cause : et pourtant un juriste perspicace distingue aisément, parmi ses clients, ceux qui sont sérieusement et solidement persuadés et ceux qui se bercent d’une vaine espérance. » Inlroduzione allô studio délia religione, discours préliminaire, dans Opère, Florence, 1845, t. iii, p. 157. — Enfin il y a une objection de sentiment et de courtoisie, fréquente aujourd’hui : on répugne, par délicatesse, à accuser les autres de « mauvaise foi » ; on craint de passer pour un fanatique mal élevé qui dit des injures, pour un esprit étroit, sans équité naturelle et sans impartialité. Cette impression se dissiperait, si l’on savait que nous ne prenons pas ici le mot de « mauvaise foi » au sens vulgaire, mais au sens théologique. Nous entendons par là que l’adhésion est donnée ou continuée à une secte malgré la réclamation de la conscience ; et encore cette réclamation a-t-elle pu être étouffée peu à peu et oubliée, tellement que peut-être maintenant ces gens sont tranquilles dans leur religion et ne voient en eux que sincérité ; néanmoins cette réclamation a existé, et les a rendus alors coupables devant Dieu, en sorte qu’ils sont devant lui responsables de leur situation actuelle. Aussi leur ignorance de la vraie religion n’est point par les théologiens qualifiée d' « invincible » , parce qu’autrefois elle a pu être vaincue ; et même dans l'état actuel, quand parfois la grâce vient les troubler dans leur tranquillité, s’ils voulaient l'écouter, ils pourraient encore vaincre l’erreur. Ce n’est donc pas nécessairement la « mauvaise foi » au sens.

vulgaire du mot, la mauvaise foi à l'égard des hommes, qu’ils tâcheraient de tromper par l’hypocrisie ou le mensonge ; ni même à l'égard d’eux-mêmes, en ce sens qu’ils chercheraient constamment à se tromper, et manqueraient absolument de droiture et de sincérité. On voit que cette distinction théologique des hétérodoxes « de bonne foi » et des hétérodoxes « de mauvaise foi » n’a pas, pour ces derniers, le sens injurieux qu’on lui prête ; sans compter qu’on ne caractérise ainsi aucune personne déterminée. Dans un sujet pareil, à propos des athées, Ollé-Laprune, tout en soutenant qu’ils n’ont pu le devenir que par leur faute, fait une semblable remarque : « Assurément, dit-il, il peut y avoir une certaine honnêteté dans l’erreurmême coupable, une certaine candeur d'âme, qui inspire la sympathie et une sorte de respect : je puis, à la condition de ne point donner aux mots leur sens plein et complet, honorer la sincérité et rendre hommage à la bonne foi de tel et tel homme dont je condamne énergiquement les négations. Ce n’est pas pure convenance mondaine, pure politesse : c’est justice. Cet homme ne se sert-il pas avec loyauté des armes de l’argumentation ? N’a-t-il pas vers la vérité de beaux et généreux élans ? N’a-t-il pas eu le courage sur tel point de surmonter un préjugé, d’avouer une erreur ? Que sais-je ?… bien des choses décèlent la noblesse de son âme, et voilà ce que je loue, ce que j’aime en lui. Mais le même esprit de justice m’empêche de voir là cette absolue sincérité, cette parfaite bonne foi qui, dans le for intérieur, devant la conscience, excuse complètement l’erreur. On n’a pas le droit d’exiger de moi que j’aille jusque-là, car je ne puis, pour absoudre un homme qui se trompe, accuser la vérité morale de se dérober, en ce qu’elle a de plus essentiel, à la bonne volonté qui la cherche et l’appelle. » De la certitude morale, c. vii, Paris, 1880, p. 374.

3. Les concessions que l’on peut ou que l’on doit faire a l’opinion la plus large. — Elles serviront à bien délimiter la doctrine que nous venons d’exposer, qu’un catholique ne peut, sans qu’il y ait de sa faute, perdre la possibilité de croire sa religion, en quoi il diffère des hétérodoxes. « ) // n’est question que d’un catholique bien formé. — Quand on dit, pour abréger, qu' « un catholique » ne saurait changer de religion sans qu’il y ait de sa faute, il faut toujours sous-entendre cette condition, que le concile du Vatican indique par ces mots : qui fidem sub Ecclesix magisterio susceperunt. Voir col. 290. Il faut donc entendre un catholique dûment catéchisé, comme on a coutume de le faire normalement dans I I -lise, et parvenu ainsi à faire un véritable acte de foi avec toutes les conditions exigées, enfin ayant appris qu’il doit évitei les dangers et résister aux attaques contre la foi, et y persévérer toujours. Sans cela il ne partirait pas pour la vie avec le bagage que doit emporter tout fidèle, d’après saint Thomas : Elsi non omnes habentes fidcrn plenc intelligunt ea quoe propoiiimtur credenda, intelligunt (amen eu esse credenda, i ( quod ab cis nullo modo est deviandum. Sum. theol., II a II » , q. viii, a. 4, ad 2 U ">. Il ne serait donc pas étonnant qu’il quittât sa religion sans qu’il y eût de sa faute, croyant que c’est permis, et ignorant ce que c’est que fermeté et constance dans la foi ; et Dieu ne sciait pas obligé de faire des miracles pour suppléer au cati chisme qui lui a manqué ; toutefois il veillerait à lui offrir avant sa mort des moyens de salut. De même notr< thé i ne s'étend pas a un enfant baptisé dans lise catholique, et puis emmené par de-, parents indifférents dans un milieu hétérodoxe où sans aucune nie de i pari il passerait a une secte. Le baptême ne suffit pas, il finit encore le catéchisme ; et non pas un demi-i atéchisme, ni un catéchisme donné dans des conditions ou l’enfant ne pouvait rien saisir. Bien d « 

apostasies aujourd’hui pourraient s’expliquer ainsi, sans la faute de l’incroyant.

b) Il n’est question que de la foi « catholique » . — Cette « foi reçue sous le magistère de l'Église, » qu’on n’a jamais ensuite un juste motif de révoquer en doute, ou d’abandonner, et qui par une protection spéciale de Dieu gardera toujours pour le catholique sa crédibilité, c’est l’ensemble des vérités révélées que l'Église propose comme devant être crues explicitement par tous les iidèles, c’est la foi « catholique » . On ne peut pas prouver que la protection providentielle doive s'étendre à une vérité révélée qui n’est pas ainsi proposée par l'Église, et qui est de foi « divine » sans être en même temps de foi « catholique » . Voir col. 169 sq. Une telle vérité ne serait pas su b magisterio Ecclesia' suscepla. Exemple : un fidèle fait un acte de foi divine et surnaturelle sur une vérité que l'Église n’a pas proposée comme devant être crue explicitement par tous les fidèles, mais qu’il tient pour révélée dans tel passage de l'Écriture, et qui l’est en effet. Mais voici que des exégètes catholiques lui disent par erreur que tel n’est pas le sens de ce passage et que cette doctrine ou ce fait n’appartient pas au donné révélé ; devant leur autorité, il cesse de croire ce point comme révélé, et même le révoque en doute : peut-il arriver qu’il le fasse prudemment, et sans aucune faute de sa part, et la providence peut-elle permettre dans un homme bien disposé cette perte d’une vérité révélée ? De même, avant la définition de l’immaculée conception, un fidèle qui la croyait fermement comme révélée, l’entendant nier par des théologiens catholiques, a-t-il pu sans faute la révoquer en doute et perdre cette vérité pour le reste de ses jours ? Rien ne prouve que tout cela soit impossible ; les preuves données plus haut ne valent pas pour ces cas, où malgré un inconvénient de détail l’ensemble de. la foi « catholique » serait sauf. « Il est possible moralement (c’est-à-dire licitement), dit Scheeben, de rétracter dans certaines circonstances la foi vraiment divine et surnaturelle en tant qu’elle n’est pas la foi catholique réelle et formelle. Car il est toujours possible en soi que sur certains points de doctrine l'évidence de la crédibilité disparaisse plus tard de l’esprit ou soit obscurcie par des raisons contraires… Mais la foi catholique, sans être physiquement indestructible, est cependant irrévocable et indélébile en ce sens, qu’elle ne peut être rétractée que par une conduite déraisonnable et immorale. Il y a toujours devoir impérieux en même temps que possibilité rationnelle d’y rester immuablement attaché. La dogmatique, trad. franc., l’aris, lcS77, >$ 46, p. 547. Eusèbe Ainort avait déjà au xviii siècle une remarque semblable : « Il y a une grande différence entre un point de religion non encore défini, et la religion tout entière ; car la providence divine est tenue d’empêcher que nous ne soyons induits en erreur sur le choix menu île notre religion… Mais elle n’est pas tenue d’avoir la même sollicitude sur chaque art Ide en particulier. l.or. cit.. n. 1°). p. 265, 266. El il Indique la raison profonde tic cette différence : c’est que, si un fidèle a le malheur de perdre un article, il peut facilement le retrouver tant qu’il conserve par ailleurs la vraie religion, tant qu’il peut recourir a l’enseignement infaillible de l'Église ; mais s’il perd l'Église elle-même, comment réparer cette perte Immense ? Dans le premier cas, mais non pas dans le second, il peut trouver à sa portée un remède au mal.

r) // n’est pas question d’un dogme particulier dont h piiic mcompromettrait pas r ensemble île In foi catholique, la raison que donne Aniort s'étend aussi bien au cas d’une vérité de foi catholique, si de sa perti ne doit pas résulter la perle de la foi catholiqui

entière', Dieu ne sérail pas obligé, semble i il. d’empêcher par une pn> idence spéciale le fait de se produire.

— Il pourrait arriver, par exemple, qu’ayant été instruit autrefois d’un dogme et l’ayant cru de foi surnaturelle, un bon catholique oublie que cette doctrine est un dogme de foi et qu’il l’a crue lui-même jadis ; et quevoyantdes gens qui la révoquent en doute, il se croie permis d’en faire autant. Hassler, op. cit., p. 373, 374. Suarez lui-même incline déjà à l’admettre : a Sur les vérités, dit-il, qui lui ont été suffisamment proposées par l’autorité de l’Église et qu’il a crues d’une vraie foi, le chrétien ne peut errer ou douter délibérément sans qu’il y ait de sa faute, à moins peut-être qu’il n’ait oublié sa connaissance première absolument comme s’il ne l’avait jamais eue. « De fuie, disp. XV, sect. ii, n. 6, dans Opéra, Paris, 1858, t. xii, p. 405. Mais, de ce qu’on peut supposer un tel oubli comme possible à l’égard d’un dogme moins usuel, moins souvent prêché aux fidèles, on ne peut en dire autant à l’égard de la foi catholique tout entière, comme le remarque Wilmers. De fuie dioina, Ratisbonne, 1902, p. 193. Hors le cas d’une infirmité physique où l’on perdrait la mémoire (et la doctrine que nous avons développée d’après le concile ne regarde que ceux qui ont conservé l’usage de leurs facultés), il n’y a aucune parité à établir entre l’oubli d’un détail et l’oubli de la foi catholique en ce qu’elle a de principal et de plus connu : soit du côté de la possibilité naturelle d’oubli, soit du côté de l’aide surnaturelle que Dieu a promise pour maintenir la crédibilité du dogme, soit du côté du danger qu’il y a pour le salut. Voir Pesch, Præleetiones dogmaticæ, 3e édit., 1910, t. viii, n. 382, p. 174. Ce que nous venons de dire nous donne l’occasion d’expliquer un document ecclésiastique sur l’assentiment de foi.

d) Explication de la 20e proposition condamnée par Innocent XI. — Voici cette proposition, avec celle qui la précède et qui fait corps avec elle :

19. Voluntas non potest

efficere ut assensus fidei in

se ipso sit magis fnmus,

quam mereatur pondus ra tionum ad assensum inipel Jentium.

20. Hinc potest quis pru denter repudiare assensum,

quem habebat, supernatu ralem. Denzinger, n. 1169,

1170.

La volonté ne peut faire

que l’assentiment de foi soit

plus ferme en lui-même que

ne le mérite le poids des

raisons inclinant à l’assen timent.

En conséquence, quel qu’un peut rétracter pru demment l’assentiment sur naturel qu’il avait aupa ravant.

On pourrait tirer de là une objection contre les deux dernières concessions (b et c) que nous avons faites. Innocent XI, en condamnant la proposition 20, ne semble-t-il pas dire que l’on ne peut jamais rétracter prudemment un assentiment de foi surnaturelle ? Il n’y a donc pas de distinction à faire ici entre foi catholique et foi divine (non catholique), celle-ci étant un « assentiment surnaturel » tout comme celle-là, et ne différant que du côté de la « proposition » de la vérité par l’Église. De même, l’assentiment à un dogme est surnaturel comme l’assentiment à plusieurs. — Réponse. — Il ne faut pas ici, pour avoir la pensée du pontife qui condamne, considérer isolément la proposition 20, et en prendre la contradictoire. Cette proposition, en effet, a été condamnée en connexion avec la précédente, ce qu’indique le mot hinc qui les lie. Ce qui est condamné, c’est donc tout cet ensemble et cette déduction que faisait l’auteur (qui a mis lui-même le mot hinc) ; c’est le sens qu’il y attachait. Or malheureusement la pensée de cet auteur, même au sens objectif, reste obscure pour nous, comme le remarquait déjà Cardenas. Crisis iheologica, 5e édit., Venise, 1700, diss. XIII, c. iv, p. 258. Ces deux propositions condamnées sont textuellement des thèses du franciscain Arnaud Marchant, soutenues en 1674 à Anvers. Voir Viva, Damnalæ thèses ab Innocenlio XI,

10’édit., Padoue, 1723, prop. 18, n. 3, p. 223 ; prop. 19 et 20, n. 1, p. 226. Nous avons l’énoncé des thèses, mais sans aucun contexte : nous ne savons pas comment elles étaient entendues et prouvées. Autant qu’on peut le conjecturer par le simple énoncé et l’enchaînement des deux thèses, l’auteur rejetait le rôle spécial de la volonté dans la foi, et mesurait la fermeté de la foi au poids des motifs de crédibilité (ralionum), à la force des arguments, un peu à la façon d’Hermès ; aussi, quand une difficulté auparavant inconnue venait affaiblir ces preuves au moins en apparence, quand un doute quelconque surgissait contre ces motifs, la volonté n’avait rien à faire pour conserver la foi ferme, et pouvait prudemment laisser l’intelligence céder à ce doute, et « répudier » ainsi un assentiment même surnaturel. Une pareille théorie était fausse et condamnable. Condamnable d’abord dans son principe, énoncé par la proposition 19 : la volonté, en effet, doit jouer un rôle spécial dans la foi, voir ce cjui sera dit de la liberté de la foi ; en particulier, elle doit éliminer les cloutes imprudents et déraisonnables, donnant ainsi une fermeté d’assentiment que les motifs de crédibilité n’auraient pas obtenue tout seuls ; la crédibilité elle-même, dont l’évidence préalable est nécessaire à l’acte de foi, n’a qu’une évidence morale qui dépend des bonnes dispositions morales de la volonté, et non pas uniquement des motifs intellectuels. Voir col. 210 sq. Condamnable aussi dans la conséquence, énoncée par la proposition 20 : cjuand même cette proposition, bien expliquée et strictement limitée, pourrait avoir un sens vrai, elle devient dangereuse non seulement parce qu’elle ne s’accompagne d’aucune distinction, d’aucune restriction, mais encore parce que le principe faux d’où on la tire lui communique nécessairement une généralité excessive ; elle met donc semblablement en péril toute espèce d’« assentiment surnaturel » , même celui qui porterait sur la foi catholique tout entière. Elle mérite donc au moins les qualifications de « scandaleuse, de pernicieuse en pratique » indiquées comme un minimum par le décret. Denzinger, n. 1215. Or s’il en est ainsi, si c’est la généralité scandaleuse et pernicieuse qui est condamnée dans la proposition 20, cette condamnation ne tombe nullement sur ceux qui se bornent à admettre un cas particulier et exceptionnel, où, sans compromettre en soi l’ensemble de la foi catholique, on abandonnerait par suite d’une erreur invincible un assentiment de foi, « surnaturel » en lui-même sans qu’on puisse le discerner comme tel ; où on l’abandonnerait « prudemment » , la prudence dépendant des circonstances subjectives telles que l’erreur invincible, et Dieu n’étant pas obligé d’empêcher cette erreur de détail, même dans le fidèle qui fait tout son devoir. Ajoutons que le terme employé dans la proposition condamnée, repudiare assensum, ne s’applique pas bien au cas exceptionnel dont nous parlons. Le mot repudiare indique une action faite en pleine [liberté, avec pleine possibilité d’agir ou de ne pas agir, comme lorsqu’on divorce avec une femme, lorsqu’on la a répudie » . On ne dirait ni en latin ni en français qu’un homme « répudie » la faveur d’un prince, pour exprimer qu’il est dans l’impossibilité de l’obtenir. Or, dans le cas exceptionnel que nous admettons, le fidèle manque de crédibilité à l’égard d’une vérité révélée, sans qu’il y ait de sa faute : il est donc mis malgré lui dans l’impossibilité de la croire, et l’on ne peut pas dire qu’il la « répudie » , ni qu’il « répudie » ou rétracte l’assentiment surnaturel qu’il lui avait donné. — Enfin, plusieurs théologiens interprètent et restreignent ainsi la condamnation de cette proposition 20. Tels sont Kilber, dans Theologia Wircebwgensis, t. iv, n. 17(>, ou dans Migne, Theologiæ cursus, t. vi, col. 546, 547 ; Pisani, O. P., Gedeonis gladius propositions a SS.

D. X. Innocenlio damnatas, etc. Païenne, 1683, p. 158, 159 ; Rassler, Conlroversia theol. de ultima resolutionc fidei, Dillingen, 1696, p. 367 sq., où il traite au long la question. Et de nos jours, Mendive, S. J., Inslitutiones theologicse, Valladolid, 1895, t. iv, p. 403, 404 ; Schifïini, De virtutibus infusis, Fribourg, 1904, p. 273, 274. En tout cas, la condamnation restant obscure aujourd’hui pour nous, on ne peut légitimement la faire tomber sur la concession susdite.

e) Dernière concession : on n’est pas obligé d’admettre, dans tout abandon de la religion catholique, le péché d’hérésie, ou d’apostasie, qui est appelé « péché formel contre la foi. » — Les théologiens ont appelé « péché formel contre la foi » — non pas un péché quelconque nuisant à la foi, même mortel — mais le péché principal et plus directement opposé à la foi, celui qui non seulement, comme tout péché mortel, détruit la charité et la grâce sanctifiante si elle est dans le sujet, mais qui détruit encore la vertu infuse de foi, cette dernière racine du surnaturel si l’on peut dire, laquelle subsiste dans les autres chrétiens pécheurs, et leur sert à ressaisir la grâce perdue, et à rendre leur conversion moins difficile. Voir le concile de Trente, sess. VI, c. xv, Denzinger, n. 808, cf. n. 838. Ce péché principal est appelé d’un nom général, infldelitas, dans Cet endroit du concile de Trente, et prend divers autres noms suivant les circonstances particulières : par exemple, « hérésie i s’il ne nie qu’un seul dogme ou quelques-uns, « apostasie » s’il rejette en bloc toute la loi catholique ; au reste, le péché d’hérésie détruit aussi bien la vertu de foi que s’il niait explicitement tous les dogmes, et l’on ne peut rejeter sciemment la foi catholique sur un point, sans la rejeter implicitement sur tous les autres, voir S. Thomas, Stun. theol., IIa-IIæ , q. v, a. 3 ; ce qui fait qu’on peut prendre le « péché d’hérésie o comme type du péché dont nous parlons, péché qui par la ruine qu’il cause en nous est le plus grand de tous les péchés (dans son genre, et toutes choses égales d’ailleurs). S. Thomas, loc. cit., q. x, a. 3, (i. Le péché d’hérésie, d’après saint Thomas, suivi par tous les théologiens, suppose qu’on nie le dogme, qu’on le corrompt » , et qu’on s'écarte ainsi de la foi sciemment, librement, « par élection » suivant l'étymologic du mot hæresis, q. xi, a. 1. Cf. Suarez, Opéra, Paris, 1858, t. xii, De fide, disp. VII, sect. iv, p. 214 sq. ; disp. XVI, sect. il, n. 2, p. 409 ; sect. v. p. 185 sq. On appelle souvent contumacia ou pertinacia, cette injure faite à Dieu sciemment et librement par l’hérétique proprement dit. — En dehors du péché d’hérésie, on peut considérer d’autres péchés qui seulement préparent la perte de la foi, et par conséquent l’attaquent de plus loin et plus indirectement. En elTct, le devoir général de persévérer dans la foi, affirmé par les documents de la révélation, voir col. 280, s’appuie de certains graves devoirs auxiliaires, qui lui servent pour ainsi dire de contreforts : par exemple, de continuer a s’instruire de sa religion et d’entretenir ce qu’on a appris ; d'éviter les occasions dangereuses à la foi, connue sont les faux prophètes, Matth., vii, 15, les

faux docteurs qui veulent changer l'évangile qu’on a

des apôtres, Gal., i, 7-9, ceux qui créent des divisions et des scandales en s'écartantde la doctrine enseignée aux fidèles, Rom., xvi, 17. ceux qui cherchent a les tromper par la philosophie et les sophismes,

Col., i, 8, les hérétiques, 'lit., iii, l". Us antechrists, les séducteurs, I Joa., Il, 18, 22, 26 ; IV, 1-3 ; Il 7-11, les livres dangereux, qu’il ne faut pas garder.

Aii.. xix, 19. Manquer gravement et délibérément a

quelqu’un de ces devoirs auxiliaires de la foi sera un

péché mortel 'le négligence ou d’imprudence, mais ce i.i pa ! ' péché d’hérésie, qui, nous lavons vii, suppose essentiellement la négation d’un dogme, n< lion qui alors n’a pas lieu, et la cri u infuse de foi in séra pas détruite par cette négligence ou cette imprudence, d’après le sentiment presque unanime des théologiens. « Celui qui s’expose par sa faute au danger moral (prochain) de perdre la foi, perd-il par là même l’habitus fideil » Non, répond Lugo, parce qu' « il est encore dans la disposition de ne pas rejeter la foi, de croire tout ce qui lui est suffisamment proposé. » Disputaliones, Paris, 1891, t. i, disp. XVII, n. 82, p. 784, 785. Suarez, au sujet de celui « qui se constitue dans un danger moral de tomber dans l’hérésie, » admet qu’on puisse dire « qu’il veut l’hérésie indirectement ou virtuellement : » mais il maintient « qu’il n’est pas hérétique à proprement parler, parce que cette qualification est tirée d’un acte (nier le dogme) qui ne se trouve pas encore dans cet homme. » Op. cit., disp. XIX, sect. iv, n. 18, p. 485. A propos du fidèle qui néglige de continuer à s’instruire de sa religion, et qui l’oublie, Banez dit : « Nous ne nions pas que cet homme puisse pécher mortellement, si son ignorance est coupable ; son péché sera contre la vertu nommée sludiositas, qui nous oblige à savoir et à chercher ce qui appartient à notre état… Mais il ne viole pas le précepte de la foi, qui nous oblige à recevoir (les dogmes) et à ne jamais les nier. » Commentaria in // am // » , Douai, 1615, q. xi, a. 2, concl. D, p. 272. D’autres soutiennent que ce genre de péché, bien que très différent du péché d’hérésie, peut être appelé encore < péché contre la foi » , qu’il attaque indirectement : ainsi Oviédo, De fide, spe et carilede, Lyon. 1651, cont. X, part. V, n. 64, 65, p. 159, 160. Cette divergence sur la question de dénomination et de classification des péchés est chose secondaire : on s’accorde pour le principal, c’est-à-dire que ce n’est pas là h : péché par excellence « contre la foi » , l’hérésie, qui seule détruit la vertu infuse. Voir IIéiœsie, Hérétique.

Ces notions étant supposées, considérons maintenant le fidèle qui, sans avoir jamais douté d’un dogme, s’est rendu gravement coupable de négligence ou d’imprudence en matière de foi. On ne peut certes pas dire epic de son côté il ait été fidèle au devoir de bien garder sa foi, d’en procurer la persévérance, ni qu’il ait droit à cette providence spéciale de Dieu, promise comme nous l’avons vu au fidèle qui fait son devoir. Il peut donc arriver qu’ayant abandonné Dieu par un péché mortel se rapportant à la foi, il soit abandonné à son tour ; que dans une circonstance critique il ne trouve pas. pour la conservation de la crédibilité, le secours extraordinaire qui lui serait actuellement nécessaire, et qu’une providence surnaturelle eû1 mis infailliblement à sa disposition, s’il avait préalablement accompli son devoir. N’ayanl plus la crédibilité qui réponde à son état d’esprit actuel, il ne peut réellement pas faire l’acte de foi, et il peut facilement se persuader que, la foi lui étant impossible, il doit renoncer. S’il le fait, on ne peut pas dire, du moins avec certitude, qu’en rejetant le dogme dans ces conditions il commette le péché d’hérésie. Ce péché consiste a rejeter le dogme en voyant (malgré les sophismes dont on

cherche à s’obscurcir la vue) qu’il est suffisamment proposé par l'Église, suffisamment croyable comme révélé de Dieu ; or l’homme dont nous parlons n’a pas celle condition essentielle, de voir que le dogme lui est suffisamment proposé comme révélé, puisque, par hypothèse, il manque maintenant des motifs de crédibilité nécessaires. En d’autres termes, son ignorance actuelle « le la crédibilité du dogme, bien que coupable dans son origine et pouvant ainsi se rattacher a l’ignorance que les théologiens appellent vinctbllis, snllil i. pendant a excuser du pi i lie d’hérésie, d’autant plus que fmur le moment elle est Invincible et forcée, ce qui empêche la eonliunai i<. une noie essentielle du p

d’hérésie. Dans ces conditions, on n’abandonne pas la vérité sciemment et librement. De la vient que plu315

FOI

316

sieurs apostats, sous le coup de cette ignorance actuelle, de cette sorte d’aveuglement, disent sans manquer de sincérité qu’ils se voient forcés d’abandonner leur religion, et qu’ils suivent leur conscience. Mais ils ne sont pas pour cela excusés de la faute grave de négligence ou d’imprudence commise auparavant par eux, et qui les rend responsables de leur apostasie ; de même que, si l’on s’expose volontairement à une occasion prochaine de péché, à un grand danger pour les mœurs, il peut arriver qu’en face de la tentation le jugement se trouble, et qu’on fasse le mal dans une sorte de folie momentanée : on en est responsable cependant parce qu’on s’y est librement exposé, et c’est ce qu’on appelle en théologie morale un acte qui n’est pas volontaire en soi, mais volontaire dans sa cause, voluntarium in causa. L’exemple classique est celui de l’homme qui s’est mis librement en état d’ivresse, prévoyant plus ou moins confusément les actes mauvais qu’il peut faire en cet état, et qui lui seront imputables. En ce sens nous disons que jamais catholique formé par l'Église n’abandonne sa religion sans qu’il y ait de sa faute et qu’il en soit responsable. Mais il peut se faire qu’il n’ait jamais commis le péché par excellence « contre la foi » , et n’ait pas perdu la vertu infuse. Car au temps où il voyait suffisamment la crédibilité des dogmes, il ne les a pas niés de fait, malgré les péchés de négligence ou d’imprudence qui préparaient sa chute et attaquaient la foi indirectement : faute de négation, il n’y a pas eu péché d’hérésie. Et au temps où il commence à les nier, il peut arriver qu’il n’en reconnaisse plus suffisamment la crédibilité : faute de cette connaissance, il n’y a pas non plus maintenant péché d’hérésie.

C’est cette théorie que Tanner a brièvement indiquée, voir col. 297 ; c’est cette théorie que les théologiens romains du concile, citant Tanner, ont voulu mettre à l’abri de toute condamnation dans une note de leur schéma. Voir col. 296. Pour eux comme pour Tanner, on voit que l’expression qu’ils emploient, peccatum formule contra fldem, signifie uniquement le péché d’hérésie, qui seul fait « perdre la foi » , c’est-àdire perdre la vertu infuse de foi. Les autres péchés qui attaquent à leur façon la vertu de foi (négligence, imprudence), ne l’attaquent qu’indirectement, virtuellement, et ne la font pas perdre quand on les commet ; si on les appelle contra fidem, ce qui ne plaît pas à quelques théologiens, il faut du moins reconnaître qu’ils ne sont que virtualitcr contra fidem, et non pas (ormaliler. Tanner oppose donc formate à virluale, ce qui se fait parfois chez les théologiens ; et son peccatum formate contra fidem veut dire le péché direct contre la foi, c’est-à-dire l’hérésie qui la détruit. Granderath, au contraire, et Vacant à sa suite, n’ont pas saisi le sens de cette expression technique, peccatum formate contra fidem, et n’y ont pas vu l’hérésie exclusivement désignée. Ils ont pris le mot formate dans un tout autre sens, plus souvent usité en théologie morale, c’est-àdire en tant qu’on l’oppose non pas à virluale, mais à malcrialc. Et cette méprise les empêchant de comprendre la note des théologiens romains qui les a surtout impressionnés, ils ont prétendu d’après cette note que le concile laissait parfaitement libre de soutenir qu’un catholique formé par l'Église puisse dans certains cas passer à une secte sans aucune faute de sa part se rapportant d’une manière quelconque à la foi, ni au moment de son apostasie ni auparavant, sans aucun autre péché que le péché matériel qui, n'étant pas libre, ne comporte aucune culpabilité, aucune responsabilité ; en quittant la vraie religion il ferait une chose objectivement mauvaise, mais, au point de vue subjectif, il n’aurait, de ce chef, sur la conscience aucun péché, il n’y aurait pas vraiment de sa faute dans son apostasie ; ce que nous avons déjà réfuté. Tout ce

qu’on peut leur accorder, c’est la dernièie concession que nous venons de faire, avec Tanner et les théologiens romains bien compris. Cette même concession est faite de nos jours en termes très précis par le P. Pesch, Prælectiones dogmatiese, 3e édit., 1910, t. viii, n. 383-385, p. 174, 175 ; et par le P. Lahousse, De virtutibus theologicis, Bruges, 1900, n. 231, p. 296.

4. Comment se peut-il que le catholique, en avançant dans la vie, ait toujours des motifs de crédibilité qui lui suffisent ? Explication psychologique et rationnelle. — Nous connaissons déjà, par diverses preuves tirées de la tradition, des documents et de la pratique de l'Église, cette volonté divine, que tout catholique dûment catéchisé, au moins s’il n’est pas ensuite gravement infidèle aux devoirs que lui impose la persévérance dans la foi, ait toujours la crédibilité rationnelle nécessaire à la foi, la providence dût-elle recourir, pour la lui donner, à des moyens extraordinaires. Mais l’extraordinaire est plutôt rare ; et pour qu’on ne nous accuse pas de multiplier incroyablement les miracles, il importe de montrer comment cette volonté divine pourra très souvent se réaliser pratiquement par le simple jeu des forces naturelles et des lois psychologiques.

Tout catholique a acquis des motifs de crédibilité, qui se trouvent être ou d’une valeur absolue, valables pour donner la certitude à tous les esprits, même les plus perspicaces et les plus exercés à la critique, ou d’une valeur seulement relative. De là deux cas très différents à examiner, au point de vue de la possibilité rationnelle de croire. Le premier cas (valeur absolue) est facile. De tels motifs donnent une certitude infaillible ; ils valent pour toute intelligence possible, par conséquent pour tout développement possible d’une même intelligence, ce qui doit les rendre toujours suffisants. Comme cette certitude infaillible peut dépendre cependant des bonnes dispositions morales, nous ne prétendons pas qu’elle soit physiquement indestructible ; nous disons seulement que la volonté ne peut jamais la détruire prudemment et légitimement, ce qui suffit à la question actuelle. — Objection. — Les plus excellents motifs de crédibilité, supposant en général des raisonnements historiques assez longs et assez compliqués, peuvent, après un certain temps, sans qu’il y ait de la faute de celui qui a passé par tous ces raisonnements, ne lui apparaître plus que d’une façon confuse, ce qui leur ôte de leur valeur à ses yeux : son avenir n’est donc pas assuré en matière de crédibilité. — Réponse. — Il lui sera souvent possible et facile de les repasser, et de leur rendre l'éclat primitif. Mais même en dehors de cela, le souvenir certain qu’a un homme d’avoir vu distinctement une démonstration dont il a oublié le détail, et d’en avoir alors reconnu la valeur absolue, est un fait suffisant à lui donner encore une infaillible certitude de la vérité autrefois démontrée. C’est à cette certitude d’avoir vu la vérité en des temps où nous étions mieux en état de la voir, que le bon sens lui-même nous dit de recourir dans les moments où nos facultés sont affaiblies soit par l'âge, soit par la maladie, soit par ces crises intellectuelles d’origine morbide où l’esprit est comme saisi d’une sorte de vertige, soit dans ce qu’on appelle en langage ascétique des « tentations contre la foi » . Ne rien changer, ne rien innover dans ces bourrasques de la tentation ou de la « désolation » , où l’on peut être sous l’influence de l’esprit de ténèbres, c’est le conseil très raisonnable de saint Ignace, Exercices, Règles du discernement des esprits pour la première semaine, règle 6. Tenons-nous-en à ce que notre âme a vu et décidé en un temps calme et lucide où notre jugement naturel avait toute sa valeur, où les influences mauvaises cédaient la place à celles de la grâce de Dieu. Chose curieuse, dans une lettre signalée par M. Jules Lemaître, Jean

Jacques Rousseau lui-même dit quelque chose de sein blable à propos de ses croyances à la providence de Dieu et à la vie future : « J’ai cru dans mon enfance par autorité, dans ma jeunesse par sentiment, dans mon âge mûr par raison, maintenant je crois parce que j’ai toujours cru. Tandis que ma mémoire éteinte ne me remet plus sur la trace de mes raisonnements, tandis que ma judiciaire affaiblie ne me permet plus de les recommencer, les opinions qui en ont résulté me restent dans toute leur force ; et sans que j’aie la volonté ni le courage de les mettre derechef en délibération, je m’y tiens en confiance et en conscience, certain d’avoir apporté dans la vigueur de mon jugement à leurs discussions toute l’attention et la bonne foi dont j'étais capable… Je n’ai rien de plus aujourd’hui ; j’ai beaucoup de moins. Sur quel fondement recommenccrais-je donc à délibérer ? Le moment presse ; le départ approche. Je n’aurais jamais le temps ni la force d’achever le grand travail d’une refonte. > Œuvres, Paris, 1820, t. xx, lettre du 15 janvier 1760, p. 162.

Le second cas est le seul difficile : c’est lorsque l’ensemble des motifs acquis n’a pas une valeur absolue, et ne suffirait pas à un esprit plus développé. Ces motifs ont d’abord suffi relativement ; mais voici que l’esprit auquel ils suffisaient se développe par la culture générale, devient sur tous les terrains plus exigeant en fait de preuves, entend contre la religion des difficultés jusqu’alors inconnues ; les anciens motifs ne lui sufflsent plus, même en supposant que l’homme conserve parfaitement ses bonnes dispositions morales, et qu’il ne puisse se reprocher ni négligence de sa religion, ni imprudence. Comment, sans un miracle qu’on ne peut supposer si fréquent, aura-t-il encore la crédibilité nécessaire et la possibilité rationnelle de croire ? - C’est surtout pour tourner cette grave difficulté que certains théologiens contemporains attaquent le fait d’une certitude de crédibilité purement relative et non infaillible chez les enfants et une partie des adultes catholiques, et préfèrent supposer chez tous la valeur absolue de leurs « motifs » , c’est-à-dire des preuves qu’ils voient et comme ils les voient. Le second cas est ainsi ramené par eux au premier. Nous ne demanderions pas mieux que de résoudre d’une manière I simple la difficulté, si c'était possible ; mais les faits sont les faits, et nous empêchent d’avoir une aussi haute opinion qu’eux sur l’apologétique réelle des enfants et des simples. Voir col. 221 sq. Force nous esl donc de chercher une autre solution, moins sommaire et plus longue à exposer. Elle consistera en assertions principales qu’il faudra mettre eu lumière, a) Dans une âme soucieuse de sa foi et conservant ses bonnes dispositions morales, à côté du développement général de l’esprit se fera un développement parallèle et correspondant des motifs de crédibilité, en sorte que l’esprit ait toujours ce qu’il lui faut la. b) Malgré les objections, l’esprit pourra garder sa certitude sans subir un doute réel, sans suspendre sa foi : ni la force des choses ne l’y contraint, ni la prudence ne l’j oblige.

a) Le développement dis motifs de crédibilité correspond nu développement de l’esprit. Partons d’un fait évident, c’est que l’intelligence humaine se développe lentement et par degrés, qu’elle ne saute pas des lande son berceau â la mentalité d’un profond peu seur. Naltira non procedit per snltus, disaient les scolastiques. I a question n’est donc pas de faire d’un bond passer quelqu’un des motifs relatif » qui lui ont suffi" dans son enfance a des motifs de crédibilité d’une

valeur absolue. Puisque les motifs capable ! de donner

I. certitude relative, a I instar des probabilités, sont

plus forts les uns que les autres et forment uio it ri( II.

ridante, il suffi) que l’esprit humain, a rn

qu’il monte en développement, monte aussi ces degrés de preuve, de manière à rencontrer toujours sur son chemin ce qui correspond à ses exigences grandies. A l’enfant, content d’abord du témoignage de ses parents ou de son curé, il faudra plus tard un petit raisonnement simple et facile pour confirmer les préambules de la foi ; peu à peu ce raisonnement prendra des allures qui le rapprocheront de certaines conférences populaires ou de nos manuels d’apologétique les plus rudimentaires, et ainsi de suite, d’après la marche du progrès intellectuel, qui est d’ailleurs bien loin d’aller chez tous du même pas, et d’arriver au même terme. — Partons encore d’une autre vérité d’expérience ; c’est que la providence, dans cette vie d'épreuve, ne donne aux hommes rien de grand, ni même ordinairement le nécessaire, sans un sérieux travail de leur part. Seul le dur travail arrache à la terre le blé qui conservera la vie, aux entrailles du sol le charbon et le métal, à la mer le chemin des navigateurs, à l’air celui des aviateurs, à l'étude de la nature les secrets de la science, aux luttes de l'âme la grandeur morale. La providence n’est donc pas davantage obligée de pourvoir à la conservation de notre foi sans que nous ayons à nous donner de la peine pour cela. La grandeur et l’importance d’un objet qui dépasse les limites du temps, d’un objet pour nous le plus nécessaire, rend même notre effort gravement obligatoire : car l’effort doit être proportionné à l’importance et à la nécessité de son objet. De là le péché grave de négligence que nous pouvons commettre en ce genre, et qui peut nous amener dans une impasse où Dieu ne sera pas obligé de faire des miracles pour nous conserver la possibilité de croire. Voir col. 315. Si le fidèle tient a sa foi, vraiment résolu à faire son devoir pour la conserver, il sentira bien qu’il ne peut se contenter d’avoir été autrefois au catéchisme, formation qui s’oublie si facilement dans le tourbillon de la vie ; et de fait « tout catholique, soit par des prédications qu’il écoute, soit par des lectures, doit demeurer sous l’intluence de l’enseignement de l'Église, afin que le progrès de sa faculté de connaître soit accompagné d’un progrès semblable dans sa connaissance de la foi ; car de même que l’intelligence est capable de développement, ainsi la preuve de la foi l’est aussi, et peut s’adapter à tous les esprits et à toutes les nécessités ; d’autant plus que l'Église n’est pas un document mort, mais un magistère vivant, auquel on peut s’adresser, et proposer ses difficultés. » C. Pesch, Prselectiones dogmatiese, 3e édit., 1910, t. viii, n. 380, p. 172. Que dire donc de ces catholiques qui trouvent du temps pour tout, et même pour une demi-culture intellectuelle, niais n’en trouvent pas pour s’occuper de leur religion ? Chez eux, dit Hettinger, » l’instruction religieuse n’avance point : elle reste ce qu’elle était dans l’enfance, ensevelie, oubliée sous la poussière de la vie quotidienne, de ses soucis et de ses peines, de ses dissipations et de sis jouissances. Toutes les facultés et les forces de l’homme

se sont développées et affermies : seul le sens religieux, qui est cependant le premier de nos attributs naturels, s'étiole et dépérit. On cultive toutes les régions de l'âme, excepté la plus profonde, la plus intime, la plus essentielle (pli reste déserte, stérile et désolée comme une une terre en friche. » Apologie du christianisme, c. i, .' ! " édit.. trad, franc-. Paris, s. d., t. i. p. 22. D’autres, après quelques démarches superficielles par

manière d’acquit, ont vite fait de conclure qu’ils ont Cherché et n’ont pas trouvé, i Ils croient avoir fait de grands efforts pour s’instruire, dit Pascal, lorsqu’ils ont employé quelques heures à la lecture de

quelque livre de l'Écriture, et qu’ils ont Interrogé

quelque ecclésiastique sur les vérités de la loi. Après cela, ils se vantent d’avoir cherché sans succès dans les livres et parmi les hommes. Mais, en viril.

leur dirai ce que j’ai dit souvent, que cette négligence n’est pas supportable. Il ne s’agit pas ici de l’intérêt léger de quelque personne étrangère, pour en user de cette façon ; il s’agit de nous-mêmes, et de notre tout. » Pensées, 2e édit. Brunschwicg, Paris, 1900, sect. iii, n. 194, p. 416. Un exemple nous est donné par saint Augustin dans sa propre personne. Rappelant à Honorât, son ancien ami d’enfance, comment ils avaient tous deux ensemble, miserrimi pueri, perdu la foi en fréquentant les manichéens, et « arbitrairement condamné la religion très sainte répandue sur toute la terre, » il attribue cette chute à leur imprudence et à leur négligence personnelle. Ils auraient dû, dit-il, ne pas lire les Livres saints sans un guide, consulter « quelqu’un de pieux et de savant » qui les eût aidés ; s’ils ne le trouvaient pas facilement, « le chercher même avec de pénibles démarches ; » au besoin, s’embarquer, voyager au loin pour le trouver. De ulililate credendi ad Honoralum, n. 17, P. L., t. xlii.coI. 77. Il est vrai qu’il s’agit ici de jeunes gens qui avaient des loisirs, de la fortune et n'éprouvaient pas de difficulté à traverser la mer pour aller apprendre la rhétorique. Évidemment, même quand il s’agit d’un si grand objet, les démarches obligatoires pour chacun doivent toujours s’entendre proportionnellement à sa condition, à ses moyens et à ses ressources. Qu’on ne dise donc pas que nous voulons mettre des hommes faits sur les bancs de l'école, ni contraindre des employés, des ouvriers catholiques, qui pour vivre ont besoin de leur travail quotidien, soit à entreprendre de longs voyages, soit à suivre un cours d'études religieuses, pour lequel ils n’ont ni capacité peut-être ni lcisir surtout. Mais un autre genre d'étude leur est accessible, qu’il nous faut expliquer.

a. Travail spontané de la pensée ; observation de Ncwman. — En dehors du travail méthodique, soumis à des lois rigides, et qui tombe distinctement sous la conscience, il se fait spontanément dans l’homme un travail plus ou moins latent de la pensée, travail qui n’a rien de réglé ni de gênant, qui ne fatigue pas ni ne se trahit par la fatigue et l’effort conscient ; travail sans apparat, sans lieu ni heure déterminée, qui se poursuit souvent quand nous sommes occupés à autre chose, quand nous allons et venons ; travail pourtant considérable, et qui a une merveilleuse influence sur notre certitude de bien des choses. Descartes et PortRoyal n’ont-ils pas exagéré la nécessité d’une méthode réglée et en quelque sorte officielle pour arriver à la vraie certitude, au point de ne pas reconnaître la légitimité d’une opération non méthodique de la raison ? C’est ce raisonnement sans méthode que Newman appelle « sans forme » ou en dehors des formes, informai inference. « Un tel procédé de raisonnement, dit-il, est plus ou moins implicite, et l’esprit qui l’exerce ne lui donne pas une directe et complète attention. » Grammar of assent, c. viii, § 2, Londres, 1895, p. 292. Il l’appelle aussi natural inference : car c’est une propriété de notre nature, plus frappante chez les uns que chez les autres, mais qui « appartient à tout le monde dans une certaine mesure… Comme la vraie poésie est une effusion spontanée de l'âme, et par suite appartient aux natures frustes aussi bien qu’aux plus brillantes, tandis qu’on ne devient pas poète par les seules règles des critiques ; ainsi ce genre de raisonnement, qui n’a rien de scientifique, tantôt faculté naturelle et non cultivée, tantôt approchant d’un don, parfois plutôt habitude acquise et seconde nature, a une source plus profonde que les règles de la logique, nascitur, non fit. » Loc. cit., § 3, p. 331. Mais il est temps de donner des exemples. « Un paysan habile à prévoir le temps est peut-être dans l’impossibilité d’expliquer par des raisons intelligibles pourquoi il pense qu’il fera beau demain ; et s’il essaie de le faire, peut-être donncra-t-il

des raisons sans valeur ; mais cela n'ébranlera pas la confiance qu’il a lui-même dans sa prédiction. Son esprit ne procède point pas à pas, mais il sent tout d’un coup la force de plusieurs phénomènes combinés, bien qu’il n’en ait pas conscience. Autre exemple. Il y a des médecins qui excellent dans le diagnostic des maladies, mais il ne s’ensuit pas qu’ils puissent soutenir leur décision, dans un cas donné, contre un confrère qui la combat. Ils sont guidés par la sagacité naturelle et par l’expérience acquise, ils ont leur manière à eux d’observer, de généraliser et de raisonner. » Loc. cit., p. 332. Telle est aussi la sagacité des policiers pour percer certains mystères. Tels ces enfants-prodiges qui font si vite de longs calculs par des chemins de traverse qu’ils ne peuvent expliquer ; on dit que de leur enseigner les règles ordinaires de l’arithmétique, ce serait compromettre ou détruire leur don merveilleux, p. 336. Mais donnons un exemple plus universel. que chacun peut reconnaître en soi-même, c’est le portrait fidèle qu'à la longue, sans aucun travail conscient et méthodique, nous nous faisons du caractère de quelqu’un avec qui nous vivons depuis longtemps. Ce portrait est le résultat, très net et très certain, d’une foule de petits faits, de petits mots spontanément enregistrés au jour le jour, ruminés en leur temps dans des moments de rêverie, et qui nous ont amenés à des inductions dont nous avons perdu la trace ; ce portrait, bien que restant dans l’ombre, est si présent à notre esprit, qu’entendant raconter une action que cet homme a faite, une parole qu’il a dite, nous comparons cela aussitôt avec l’image gravée en nous et nous nous écrions : Que c’est bien lui ! Et toutefois s’il fallait décrire cette image, nous ne trouverions pas facilement des mots pour l’exprimer ; s’il fallait prouver qu’elle est fidèle, nous ne pourrions citer les faits oubliés dont elle dérive, ni alléguer des preuves suffisantes : mais cela n’empêche pas notre jugement sur cet homme d'être pour nous clair et certain.

b. Application de cette observation au développement des motifs de crédibilité. — N’en sera-t-il pas ainsi d’un fils de l'Église vivant longtemps en contact avec sa mère ? N’arrivera-t-il pas à connaître mieux le caractère de cette grande société dont il est membre, à s.'en former une fidèle image ? Puisque l'Église, « par son admirable propagation, par ses grands saints, par la fécondité inépuisable qu’elle montre partout dans ses œuvres, par son unité catholique (son unité dans une si grande diffusion), par sa stabilité victorieuse de tant d’attaques, est elle-même un grand et perpétuel motif de crédibilité, « comme le dit le concile du Vatican, Denzinger, n. 1794, vivant de la vie de l'Église, n’arrivera-t-il pas à la mieux connaître et ne développera-t-il pas en lui ce grand motif de crédibilité? Pareillement, en entendant parler souvent du Christ qui est comme la tête de ce corps, en lisant parfois l'Évangile, ne se formera-t-il pas aussi du Christ une image dont la beauté morale, dont les traits de bonté, de puissance, de sainteté grandiront toujours dans son esprit et lui prouveront la vérité du christianisme ? Rappelons-nous aussi que le fait de la révélation avec le fait du miracle qui la confirme, et de même le fait de l'Église, doivent se prouver comme tous les autres faits, par exemple, devant un tribunal ; qu’un tel genre de preuve n’a pas, comme la démonstration géométrique, un moyen terme indivisible et toujours identique à lui-même, voir col. 229, mais un moyen terme qui peut s’accroître lentement et gagner en valeur à mesure que l’on multiplie le nombre des témoins, des signes, des indices convergents ; à mesure aussi que l’estimation morale de cet ensemble, que le jugement du bon sens se fait plus pondéré et plus sage. Enfant, il admettait sur l’autorité de ses parents,

de son~curé, ; la divine mission du Christ et de l’Eglise ; à ces autorités, voici que s’en ajoutent de nouvelles et toujours de nouvelles ; ce sont des catholiques distingués, prêtres ou laïques, qu’il lui arrive de rencontrer, de savants livres qu’il entrevoit, des grands génies dont on lui parle et qui ont cru comme lui, une société immense de témoins qui s’accordent, c’est-àdire l'Église considérée comme société humaine, voir col. 150, qu’il connaît maintenant avec la même absolue certitude que le gouvernement de son pays et les différentes nations voisines. Quant aux signes miraculeux du christianisme et de l'Église, tantôt il entend un prédicateur ; un conférencier qui développe quelque point d’apologétique ; tantôt ce sera un journal religieux ou une brochure de propagande qu’il lui arrive de lire ; ici lui apparaît la sainteté chrétienne dans une âme toute de dévouement et de vertu ; là, c’est la sainte fécondité de l'Église dans des œuvres de charité admirable qu’il voit de ses yeux, ou dans les récits de ce que les missionnaires font et souffrent dans les pays lointains. Tantôt c’est le parfum pénétrant de la vie d’un grand saint ; tantôt c’est le spectacle du bien que fait la religion dans des individus ou des familles ; tantôt c’est une belle manifestation de l’unité catholique, avec sa hiérarchie et son souverain pontife, avec sa foi unique eu tant de pays différents. Ici, c’est un miracle de Lourdes : là, c’est une conversion extraordinaire. Ou bien, c’est un dogme dont il entrevoit la sublimité, ou qu’il sent répondre aux besoins de son âme ; c’est la pureté morale de la doctrine en général. Ou bien encore, c’est un trait de l'Évangile qui va au cœur en même temps qu'à l’esprit, un miracle de Jésus naïvement raconté, une parole simple et puissante du Christ affirmant la vérité, ou établissant la mission de l'Église : Qui vous écoute, m'écoute…, Allez, enseignez toutes les nations… Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. » D’autres fois, c’est l’expérience intérieure d’une remarquable lumière, d’une prière exaucée, d’une grande force reçue dans le malheur ou contre la tentation ; c’est une grâce obtenue dans un sanctuaire de Marie ; c’est une communion faite avec une foi et une ferveur plus qu’ordinaire : O vere ardens /ides corum, probubile existens argumenium sacræ prœsentiic tuai Imitation de Jésus-Christ, 1. IV, c. xiv. De tant d’indices venant de tous côtés, lors même que pris séparément chacun ne lui donnerait que probabilité, naît un faisceau puissant de certitude, peut-être de certitude absolue (ce qui n’est d’ailleurs pas nécessaire comme nous l’avons dit). Voir la théorie des probabilités convergentes, col. 195 sq. Sur l’expérience de lu vie chrétienne accroissant la certitude de la foi, voir Expérience hkligieusk, t. v, col. 1840, 1811. c. Expérience de la vie, serrant à mieux comprendre certains motifs île crédibilité. - lui dehors même de ce qu’on appelle l’expérience religieuse, l’expérience ordinuire que l’on acquiert spontanément par l'âge sert à beaucoup mieux saisir d’importants motifs de crédibilité, qui supposent la connaissance pratique de la le. Tels sont les miracle moraux a : par exemple, la transformation extraordinaire des mœurs accomplie par le christianisme au sein du paganisme gréco-romain, l’héroïsme des martyrs, et la sainteté héroïque néral. Le i : arai tér< mirai uleux de ces faits vient de ce qu’ils surpassent les forées morales de la iii, dure humaine, el ne peut 'ire saisi que par celui qui se fait une idé< i / nette de ces rorces et de leurs limites. <ii i, ii observation de son propre cœur, soil observa lion de son entourage social, il arrive que plus on a Vécu, plus on se rend compte « le la faiblesse humaine,

m 'i'- la limite de vertu que par ses propri - Forces elle m M' pa < re ; par suite, mi saisit le caractère sm naturel rh certains héroïsme* : surtoul s’il ne pa eulement d’une sublimité passagère, mais d’un

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

sacrifice prolongé et constant. On y voit donc une action miraculeuse de la grâce, qui par là signale aux yeux la vraie religion, et ne pourrait faire briller de telles merveilles en faveur d’une religion fausse. De même, l’expérience de la vie montre assez combien les hommes ont peine à s’entendre, à s’unir entre eux, combien facilement ils se divisent : ainsi comprendrat-on ce qu’il y a d’extraordinaire dans l’unité d’une Église si vaste et répandue en tant de nations diverses et parfois ennemies ; surtout si l’on compare cette « unité catholique » à la division et à l'émicttement des sectes religieuses séparées d’elle. Et si l’on songe après cela combien cette unité catholique a duré, quelle a été 1' « invincible stabilité » de cette Église au milieu de tant de causes de désagrégation et de ruine, la continuation de ce pontificat romain à travers tant de hasards et d’influences contraires dont i ! dépendait, alors l’expérience des révolutions et de la fragilité des institutions humaines fait comprendre cet indice d’une spéciale assistance divine. De même, sur le terrain de l'économie sociale, l’expérience des misères sociales, de la haine et de la lutte des classes, attire à l'Église qui sait donner si providentiellement le remède. Ainsi, à mesure qu’on avance dans la vie, tous ces signes moraux de la divine mission du Christ et de l'église deviennent de plus en plus convaincants, non seulement parce que les faits eux-mêmes sont attestés au catholique par un nombre toujours croissant de témoignages ou d’expériences, mais encore parce que le caractère surnaturel de ces faits lui devient toujours plus manifeste grâce à son expérience croissante de la vie. Un enfant, un jeune homme, ne comprendrait pas ce qu’il y a là de prodigieux ; il ne juge guère que par autrui des choses morales et sociales, et de la complexité de la vie pratique, et encore même, pour comprendre ce qu’on lui affirme, lui manque-t-il certaines notions et certaines données que l’expérience de la vie peut seule fournir ; et Newman, à propos d’apologétique, au dernier chapitre de sa Grammar of assenl, renvoie à ce passage d’Aristote : « Les jeunes gens peuvent liés bien devenir géomètres, mathématiciens, et même se rendre fort habiles en ce genre de sciences. Mais il n’y a guère de jeune homme, ce semble, qui soit prudent. La cause en est toute simple : …le jeune homme n’est lias expérimenté, car c’est le temps seul qui procure l’expérience. On pourrait se demander encore, comment il se fait qu’un enfant même puisse devenir mathématicien, tandis qu’il ne peut être ni sage, ni versé dans la connaissance des lois de la nature. Ne peut-on pas dire que ceci tient à ce que les mathématiques sont des sciences d’abstraction, tandis que la science de la sagesse (c’est-à-dire des choses morales et de la vie pratique) et la science de la nature tirent leurs principes de l’observation et de l’expérience ? Ne peut-on pas ajouter que, pour ces dernières, les jeunes gens ne peuvent pas avoir d’opinions personnelles, et qu’ils ne font que répéter ce qu’on leur enseigne, tandis que dans les mathématiques la réalité (abstraite) n’a lieu

d’obscur pour eux ? n Moralea Nicomaque, 1. VII, c vi, trad. de Barthélémy Saint-Hllalre, 1856, t. » , p. 216.

On voit comment, de bien des manières, l’clfi cadté « les motifs de crédibilité peut croître même naturellement, selon le développement de l’esprit, de

manière i conserver au catholique, à mesure qu’il avance en fige et en pénétration, la crédibilité suffisant a la persévérance dans la foi. Ainsi se jusljheul les paroles du concile de Cologne eu 1860 : Argumenta

qulbus mi credendum homo inductus est hujusmodi su ni, ut //un magii perpenduntur, en clarlora et graviora apportant ; umie consequitur, eautam air homo, quasi nia

non suffieinnt, fidem suspemlnl, < uslere nuni/unm passe. l’art. I, e. i. dans i, i Collectio læen$U, I. v. col. 27 !). Rappelons-nous d’ailleurs que, pour 'appropria une

M. - Il

nouvelle preuve, et une preuve solide, pas n’est besoin de passer par un doute réel sur la eonclusion, ni sur les preuves antérieures qu’on en avait, tin mathématicien qui voit assez par l’expérience que la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre, et qui voudrait le démontrer mathématiquement, ne serait pas oblige de commencer par douter réellement des données de l’expérience. Voir ce que nous avons dit de la méthode d’Hermès, col. 282 sq. A plus forte raison, dans cette certitude morale qui résulte d’une accumulation d’indices : de nouveaux indices peuvent encore s’ajouter à la preuve et la renforcer, sans qu’on ait même l’idée de mettre en doute, fût-ce un seul instant, les indices précédemment acquis. Concluons donc avec M. l’abbé de Grandmaison : « La lumière augmente avec les années, les raisons de croire se multiplient avec les besoins grandissants de l’intelligence : la fécondité inorale des principes reçus, leur aptitude à résoudre les problèmes posés par le monde et par la vie, leur harmonie interne, les autorise, les affermit ; ainsi, sans qu’il soit besoin de recourir à un examen en forme, sans heurt, sans crise aiguë (du moins le plus souvent), par un travail paisible et continu d’appropriation personnelle, le croyant naïf des premières années devient un lidèle averti, conscient de sa foi. » Qu’est-ce qu’un dogme, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1905, p. 206.

d. Question particulière du contenu de la révélation :. développement de la certitude sur ce point. — Nous avons traité la question la plus fondamentale et la plus dillicile, c’est-à-dire comment un catholique, parti d’une apologétique bien pauvre quoique suffisante au début, aura toujours, malgré les exigences nouvelles de son esprit, des motifs de crédibilité suffisants pour admettre en général la mission divine du Christ et celle de l'Église. Reste la question particulière du contenu de cette révélation chrétienne, gardée infailliblement par l'Église : tel énoncé, tel article en fait-il partie ? La certitude première qu’en avait l’enfant peut-être sur la seule parole de son curé, lui affirmant au nom de l'Église que telle et telle doctrine est la parole de Dieu même, cette certitude se fortifiera paisiblement à mesure qu’il entendra de nouveaux témoins de la foi de l'Église, qu’il lira un catéchisme ou d’autres livres de religion, qu’il verra des images ou des peintures représentant les principaux faits révélés, etc. Ce que l'Église propose à tous les fidèles comme devant être cru de foi divine, n’est pas difficile à savoir toujours mieux. « C’est en effet une question de fait, dit Murray, et d’un fait actuel, facile à constater, public, important, où l’on a le témoignage des simples fidèles, des religieux et des religieuses, des prêtres, des évêques, qui tous, dans les conversations, dans les catéchismes, dans les serinons, dans les livres de prières, dans les livres liturgiques, dans l’administration des sacrements et par les cérémonies de l'Église, etc., attestent clairement et unanimement que la trinité, la divinité du Christ, les sept sacrements, etc., sont des dogmes définis par l'Église. » Tractatus de Ecclesia, Dublin, 1802, t. ii, disp. XI, n. 519, p. 426, 427.

Dans le cas très rare où la foi de l'Église lui aurait été jadis mal présentée sur un point, le catholique mieux averti, venant à le découvrir, comprendra, et la grâce de Dieu l’aidera à comprendre que sa première instruction n’avait de valeur qu’autant qu’elle était censée représenter exactement la foi de l'Église ; qu’il faut donc abandonner tel point qui n’appartient pas réellement à cette foi. Cet abandon de son instruction première sur un point ne peut légitimement ébranler sa certitude sur le reste : car ce n’est plus par cette seule première instruction enfantine, mais par un bien meilleur canal, qu’il connaît maintenant la doctrine de l'Église. Voir dom Lefebvre, L’acte de foi, d’après

la doctrine de saint Thomas, 2e édit., Paris, s. d., p. 384, 385. La découverte d’une erreur qu’on a faite n’a pas pour effet nécessaire d'ébranler une certitude mieux fondée, ni de jeter dans une sorte de scepticisme. » Si après l’expérience d’une certitude déçue nous devions renoncer à toute certitude, dit Newman, alors, parce qu’on a fait une fois un mauvais raisonnement, il faudrait renoncer à raisonner… Il est absurde de briser tout le mécanisme de notre connaissance, la gloire de l’intelligence humaine, parce que l’intelligence n’est pas infaillible dans toutes ses conclusions. » Et il ajoute cet exemple. Marchant au clair de lune, je crois voir un homme au milieu des arbres qui bordent la route, j’arrive même à en être certain. Je m’approche, et enfin je découvre qu’il n’y avait là qu’un jeu d’ombre et de lumière. « Faut-il me défier de ma seconde certitude, parce que la première m’a trompé? Toute objection que la faillite de la première soulèverait contre la seconde ne s'évanouira-t-elle pas devant la preuve solide sur laquelle la seconde est fondée ? » Grammar of assenl, Londres, 1895, c. vii, § 2, n. 2, p. 230.

b) La certitude relative des préambules de la joi se maintient malgré les objections. — Rappelons d’abord que nous ne parlons que des catholiques qui font leur devoir par rapport à la conservation de leur foi. Ceuxlà continuent à se renseigner sur leur religion, et d’autre part ne s’exposent pas volontairement à un danger qui dépasse leurs conditions intellectuelles, soit en lisant des livres hérétiques et des journaux qui attaquent leur foi, soit de toute autre manière. De là vient qu’ils rencontrent beaucoup moins d’objections qu’on ne l’imagine, et qu’elles ne les obsèdent pas toutes ensemble ; et au besoin ils savent consulter ceux qui représentent pour eux l’enseignement vivant des l'Église. S’il s’agissait du cas plus difficile d’un jeune homme, par exemple, jeté par sa situation et malgré lui dans un milieu sectaire, où il entend constamment attaquer sa religion et n’a pour ainsi dire pas de secours humain, c’est là surtout qu’il faut se souvenir qu’une grâce même miraculeuse viendra à son aide s’il prie, s’il fait de son côté ce qu’il peut et ce qu’il doit. Rappelons encore que nous parlons de ceux-là seulement qui gardent dans leur cœur les bonnes dispositions morales d’où dépend la certitude religieuse ; certaines objections, sophistiques pour le bon sens, ne trouvent un point d’appui que dans la corruption du cœur : ramenez la santé morale, elles s'évanouiront. Parmi ces bonnes dispositions morales on doit compter cette modestie, compagne de la vraie science, cette humilité, condition de la foi, et par suite, ce respect profond de Dieu, du Christ, de l'Église et de ses dogmes, qui est l’opposé du respect humain. Au contraire, nulle disposition du cœur n’expose plus à accepter tous les sophismes que l’engouement de la nouveauté et de la mode, joint au mépris du passé, l’admiration a priori de la « pensée moderne » ; de là la supposition vaniteuse que la lumière date de notre siècle, c’est-àdire en quelque façon de nous, la supposition fausse que de brillantes découvertes dans l’ordre physique et une meilleure civilisation matérielle garantissent un progrès semblable dans l’ordre philosophique, dans l’ordre moral, dans l’ordre religieux. Nous voyons tous les jours des gens de demi-culture, des primaires, se redresser contre tout le passé avec cette vanité toute « moderne » . Le catholique dont nous parlons ne donnera pas dans ces préjugés assez ridicules. — Ceci posé, nous pouvons diviser les objections qui se présentent à lui en deux catégories : celles qu’il peut et celles qu’il ne peut pas facilement résoudre par luimême.

a. Objections qu’un simple fidèle peut facilement résoudre par lui-même ; pour celles-là on admettra

aisément qu’elles ne lui fassent pas perdre sa certitude. — Il y a d’abord celles qui ne tiennent pas devant le bon sens. Souvent le bon sens naturel est plus développé dans un esprit simple et sans prétention que Chez un demi-savant. Joint à l’humilité et à la droiture, ce grand bon sens trouvera des solutions, comme le remarque Fénelon à propos de l’objection des protestants qui vantent leur libre examen et attaquent l’autorité doctrinale de l'Église : « Tous les hommes, et surtout les ignorants, ont besoin d’une autorité qui décide, sans les engager à une discussion dont ils sont visiblement incapables. Comment voudrait-on qu’une femme de village ou qu’un artisan examinât le texte original, les éditions, les versions, les divers sens du texte sacré?… Toutes les nouvelles sectes, suivant leur principe fondamental, lui crient : Lisez, raisonnez, décidez… Qui voulez-vous que cet ignorant suive, ou de ceux qui lui demandent l’impossible, ou de ceux qui lui promettent ce qui convient à son ignorance et a la bonté de Dieu ?… Au lieu des livres et des raisonnements… il ne lui faut que son ignorance bien sensée pour décider. Cette ignorance se tourne pour lui en science infaillible. Plus il est ignorant, plus son ignorance lui fait sentir l’absurdité des sectes qui veulent l'ériger en juge de ce qu’il ne peut examiner. » Lettres sur divers sujets de métaphysique et de religion, lettre v, dans Œuvres, Paris, 1851, t. i, p. 132, 133. Le même bon emploi de son ignorance, dont parle Fénelon, lui donnera une réponse facile a toute cette catégorie d’objections rationnelles qui attaquent comme absurdes les prof onds mystères de notre religion : et, à vrai dire, un tel moyen de résoudre ces difficultés de la raison contre les mystères n’est pas spécial à l’homme peu instruit ; il est à l’usage de tous, puisque l’intelligence humaine la plus développée s’arrête devant des mystères insondables. Qu’est-ce, par exemple, que la matière ? Les physiciens et les chimistes, après bien des hypothèses opposées, reconnaissent franchement l’impuissance de la science à percer ce mystère ; ils mtonnent dans les apparences, dans les phénomènes. Cela étant, de quel droit viendrait-on traiter d’absurde ce que la foi nous enseigne, d’une manière d’ailleurs vague et générale, sur divers états surnat ni ils de la matière, par exemple, sur l'état du corps du Christ dans l’eucharistie, ou sur l'état des corps glorieux après la résurrection ? Pour répondre aux objections sur les détails de ces mystères, n’est-ce pas assez, comme disait tout à l’heure Fénelon, i d’une Ignorance bien sensée ? » A plus forte i aison connaît-on assez la nature divine, pour décider qu’il est absurde qu’elle se communique à trois hypostases réellement distinctes entre elles ? N’ous concevons déjà bien vaguement ce qu’est notre < nature » , notre personne » : mais ces concepts humains ne s’appliquent a Dieu qu’imparfaitement, qu’analogiquement ; comment alors décider à leur sujet, et avec certitude, ce qui est absurde et ce qui ne l’est pas ? Revenons au fidèle peu instruit. Son bon sens naturel peut s’exercer dans bien dis directions encore. Les Réponses de Mgr de Ségur donnent de bons exemples de ces solutions populaires, « pii sont a 'a portée d’un simple fidèle, en face d’une objection courante. Il résoudra facilement aussi une autre l’objections, (elles qui dénaturent notre

religion pour la mieux réfuter, et qui mettent sur le Compte de II lie ce qu’elle n’enseigne pas. [.instruction religieuse, que le catholique dont nous parlons a souci d’entretenir et d’améliorer en lui, lui (ourdira tout de suite la réponse a « es attaques plus fréquentes qu’on ne croit, qui reposent uniquement sur des malentendus, et sur une extrême ignorance du catholicisme. Quand il entendra dire aux protestants ou aux Incrédules que 1rs catholiques adorent comme une déesse la sainte Vierge, reconnaissent le pa] e

connue infaillible dans tout ce qu’il dit, ou même comme impeccable, que l'Église en concédant des indulgences donne pour de l’argent l’autorisation de commettre tel ou tel péché, il saura bien ce qu’il faut répondre. Au contraire, une âme moins soucieuse de bien connaître sa religion, et par orgueil prompte à la condamner, pourra perdre la foi pour un malentendu semblable. Ainsi en advint-il de la fameuse M me Roland, peu avant la Révolution : « La première chose qui m’ait répugné, dit-elle, dans la religion que je professais avec le sérieux d’un esprit solide et conséquent, c’est la damnation universelle de tous ceux qui la méconnaissent ou l’ont ignorée. » Mais l'Église ne lui enseignait pas cela. L'Église laisse espérer le salut d’hérétiques qui la méconnaissent de bonne foi, tic païens qui l’ignorent ; encore moins fait-elle de cette » damnation universelle » un article de foi. « Je suis trompée dans cet article, c’est évident, se bâta de conclure M me Roland : ne le suis-je pas sur quelque autre ? Examinons. Du moment où tout catholique a fait ce raisonnement, l'Église peut le regarder commeperdu pour elle, » etc. Mémoires, édit. Dauban, Paris, 1864, II" partie, p. 65. Enfin l’expérience de la vie, qui renforce les motifs de crédibilité chez les catholiques dont nous parlons, voir col. 321, lui fait aussi mieux connaîlre les ennemis de sa religion tels qu’ils sont le plus souvent, les sectaires haineux et passionnés qui font flèche de tout bois, et recourent à toutes les falsifications et à tous les sophismes, les Ilomais de l’anticléricalisme et de la maçonnerie, les rhéteurs aux grands mots sonores et vides, etc. Par le fait même de leur provenance, leurs objections sont mises en quarantaine ; elles sont bien loin de faire sur lui l’effet foudroyant que d’aucuns se figurent, mais sont plutôt méprisées.

I). Objections qu’un simple fidèle nipeut résoudre par lui-même. Quand on a déjà la preuve d’une thèse ou d’un fait, il est raisonnable et logique de rejeter une objection cou Ire cette thèse ou ce fait. Lors même qu’on ne pourrait directement la résoudre, on voit indirectement qu’il doit y avoir là quelque chose de faux, le vrai ne pouvant contredire le vrai que l’on tient déjà. Xotre catholique est convaincu de la vérité de sa religion par des motifs suffisants pour lui ; dès lors la prudence même l’invite à repousser ce qui contredit sa conviction. J.-.I. Rousseau lui-même reconnaît ce principe ; il n’est pas, dit-il, de (eux qui rejettent « une vérité claire ou suffisamment prouvée, pour les difficultés qui l’accompagnent et qu’on ne saurait lever. » Loc. cit., p. 163. « Mais les objections I dit-il encore… Donnez-moi un système où il n’y en ait pas… Pourvu que mes preuves directes soient bien établies, les difficultés ne doivent pas m' arrêter, i p. 171.

Et qu’on ne dise pas que / » « / lu force des choses une

Objection non résolue ébranle noire ccililadc, el nous fait douter : il y aurait la une étrange erreur psychologique, Quand nous sommes convaincus d’une chose, notre premier mouvement, en face d’une objection qui vient l’attaquer, n’est pas de douter ni par conséquent de lâcher notre certitude acquise, mais au contraire de la maintenir, soit que nous cherchions une solution

quelconque de in difficulté nouvelle, soit même quc

nous n’ayons pas le loisir d’en chercher. Lu joui, un étudiant qui se trouvait sur le passage d’Arago attira l’attention du savant professeur sur une boule

métallique, fixée comme ornement a la balustrade de

lier. Chose étrange ! tandis que le soleil donnait sur celle sphère, l’hémisphère exposé a ses rayons

était relativement froide, et c'était l’autre, ou te su

leil ne donnait pas, qui était chaullée. Quoique ce tait

semblât contredire les lois du rayonnement telles qu’il les avait admises toute i avant eut il sur ces

lois le moindre doute ? Non ; mais il se mit à chercher une cause, une explication savante qui conciliât ce fait singulier avec la vérité intangible de ces lois. L'étudiant aurait pu lui en épargner la peine par l’aveu de sa supercherie : s’apercevant que la houle pouvait tourner sur elle-même, il avait, un instant avant le passage d’Arago, fait faire demi-tour à la partie échauffée par le soleil. Comme il y a de mauvais plaisants, il y a aussi des sophistes, et des gens qui truquent l’histoire ; et le catholique peu instruit, entendant alléguer contre sa religion des raisonnements et de prétendus faits, n’est pas obligé de les prendre aussitôt comme argent comptant. Il peut bien, sans faire tort à personne, prendre le temps d’examiner, de consulter. Et notons que cet examen, cette consultation, n’implique pas forcément de sa part le doute réel. S’il existe un « examen dubitatif » , il y a aussi un « examen confirmatif » , où l’on se propose simplement de mettre dans tout son jour une vérité dont on est persuadé, de bien réfuter ceux qui l’attaquent et que l’on regarde comme des gens qui se trompent ; où l’on est prêt à garder en toute hypothèse sa certitude première, soit qu’on réussisse ou qu’on ne réussisse pas à trouver la solution directe et triomphante. Sur ces deux sortes d’attitudes de l’esprit dans l’examen et la recherche, voir Franzelin, De tradilione. 2e édit., Rome, 1875, th. xviii, coroll. 2, en note, p. 229 ; Mazzella, De virtalibus infusis, Rome, 1879, n. 1061, 1076, p. 599, 609. Donc, en face de l’objection qu’il ne peut résoudre directement, le catholique peu instruit, mais convaincu et bien disposé, se dira : Ce n’est pas étonnant de ma part : d’autres plus savants répondraient sans peine ; et s’il consulte pour savoir la réponse à donner, ce sera sans aucun ébranlement de sa certitude acquise. — Ceux qui s’imaginent que tout homme, à la première objection qu’il rencontre, vient à douter de ce qu’il croyait, confondent deux états d’esprit fort différents : l’opinion chancelante, et la ferme conviction. Dans le premier état, comme l’explique bien le carme Dominique de la SainteTrinité, « nous inclinons dans un sens, mais non sans garder une certaine crainte de la vérité du contraire (ce sont les paroles mêmes de saint Thomas) ; et cette crainte nous dispose à écouter les preuves qui peuvent nous faire revenir de notre premier jugement et nous retourner dans l’autre sens. C’est comme quelqu’un qui a choisi un des deux chemins qui s’offraient à lui, mais en gardant sur ce chemin un certain doute : il s’avance timide, prêt à s’arrêter ou à changer de route au premier cri, au premier avertissement sérieux… Au contraire, qui est certain d'être en bonne voie continue joyeux et sûr, et ne veut pas même écouter le rappel qui tenterait de l’en faire revenir. » Bibliotheca theologica, Rome, 1666, t. i, p. 143. On peut comparer l'état d’opinion à celui d’un homme suspendu par les bras à une corde qui pend ; la moindre impulsion suffit à le mettre en mouvement. Au contraire l'état de certitude, c’est la situation d’un homme adhérant au sol, bien campé sur ses deux pieds, attendant l’ennemi de pied ferme, et difficile à déplacer. Aussi Newman alfirmc-t-il qu’une certaine « intolérance » caractérise la certitude, intolérance non pas toujours envers les adversaires de nos convictions, mais envers les assertions contraires. « Celui-là, dit-il, n’est pas vraiment certain, dont l’esprit, à la première suggestion, ne repousse pas spontanément et vite, comme vaine, impertinente et sophistique, toute objection à rencontre de ce qu’il tient pour vrai. Celui-là n’est pas certain, qui peut endurer la pensée de l’aflirmation contradictoire… Qu’on dise, si l’on veut, qu’un homme ne devrait pas en tel cas part iculier, ou même en général, avoir une conviction si profonde ; qu’il a tort de traiter avec ce mépris, même involontaire, des opi nions qu’il ne partage pas ; on est libre de dire cela, si l’on y tient. Mais en fait, si cet homme est vraiment convaincu, s’il est sur que l’Irlande est à l’ouest de l’Angleterre ou que le pape est le vicaire du Christ, il ne lui reste, s’il est conséquent avec lui-même, qu’a pousser sa conviction jusqu'à cette magistrale intolérance de toute assertion contraire. S’il était, à l'égard des objections comme telles, tolérant au fond de son âme (je ne dis point patient, car la patience et la douceur sont des devoirs moraux, mais j’entends une tolérance intellectuelle), il approuverait virtuellement les vues que ces objections représentent… Quand on tâcherait de me persuader que la trahison, la cruauté ou l’ingratitude sont aussi estimables que la tempérance et la probité, et qu’un homme qui a vécu la vie d’un gredin et qui est mort de la mort d’une brute n’a rien à craindre de la rétribution future, on ne me ferait pas écouter de tels arguments, à moins qu’il n’y eût espoir de convertir celui qui les fait, dût-on me traiter de fanatique et de poltron pour refuser de m’occuper d'élucubrations pareilles. » Grammar oj assenl, c. vi, § 2, n. 1, p. 197-199. Par nos temps de dilettantisme et de scepticisme, de ce scepticisme qui n’a pas de peine à sourire poliment à toutes les thèses, n’y a-t-il pas des âmes énervées qui n’ont plus sur rien la vigoureuse « intolérance » de la certitude ? Quoi qu’il en soit, c’est surtout chez les simples que l’on trouvera les fortes convictions ; et si leur certitude manque d’infaillibilité, elle ne manque nullement de fermeté. Elle exprimera même souvent au dehors cette intolérance caractéristique dont parle Newman ; et saint Irénéc nous en a donné un exemple saisissant dans ces barbares initiés au christianisme, qui fuyaient en se bouchant les oreilles, s’ils entendaient les négations des hérétiques. Voir col. 242.

La fermeté d’adhésion peut encore s’augmenter de bien des manières dans leur esprit, à mesure qu’ils avancent dans la vie. Car si l’absence de doute, élément négatif de la certitude, n’a pas de degrés (ou elle est, ou elle n’est pas), l’adhésion positive de l’activité vitale à son objet peut devenir physiquement de plus en plus forte ; et si cette énergie croissante n’augmente pas la valeur objective de la certitude, elle permet du moins à la certitude subjective de mieux résister, de braver plus facilement les attaques. A cette augmentation de fermeté peuvent contribuer — indépendamment de tout nouveau molif de crédibilité et de loute nouvelle solution de difficultés — les causes purement subjectives qui, en général, fortifient les croyances, et qui ont leur utilité, quand il s’agit de résister à l’erreur et au sophisme. Telles sont : Vhabiiude de croire, fortifiée de tous les actes longtemps répétés et accumulés ; les éléments imaginalifs qui, aux croyances abstraites, donnent pour ainsi dire un corps et de la vie, et par suite les unissent à nous plus fortement, comme sont l’art chrétien, les images qui représentent la vie du Christ, les cantiques sur les principaux sujets de la religion, les cérémonies liturgiques avec leur symbolisme ; le sentiment, car nous adhérons davantage aux vérités qui font vibrer notre cœur, et comme un fils repousse avec horreur les accusations que des ennemis lancent contre son père, contre l’honneur de sa mère, ainsi le catholique, toujours plus attaché à son Dieu, à son Église, est toujours plus prompt à repousser les accusations lancées contre ce qu’il aime ; l’action et la pratique même de la religion, les sacrifices qu’elle exige, le respect de la présence de Dieu, la prière et les œuvres par lesquelles on « vit » sa croyance ; tout cela donne plus de force à l’adhésion même intellectuelle. Voir Croyance, t. iii, col. 2373-2377. Vouloir proportionner la force subjective d’adhésion de toute certitude à la seule perfection objective des motifs intellectuels, par

une froide et mathématique équation, c’est ce faux système de Locke, qu'à la suite de Newman.W. G. Ward a combattu sous le nom d' « équationnisme » . Voir Croyance, t. iii, col. 2390, 2391. Ces causes subjectives comme l’habitude et le sentiment, venant fortifier l’adhésion de la certitude, ne donnent pas plus de lumière, plus de preuve, soit ; mais elles rendent la persévérance plus facile et plus sûre. Inutiles à une raison idéalement parfaite, elles servent beaucoup à une intelligence imparfaite, guettée par les mauvaises passions du dedans et les sophismes du dehors, incapable de lutter à armes égales avec des esprits plus déliés et plus habiles, et ne conservant qu'à travers bien des dangers le trésor de vérité reçu par un bienfait de la providence. Autre remarque : on ne peut pas exiger l’impossible d’un esprit peu exercé à la critique, par exemple, qu’il sache toujours faire un discernement exact entre un doute sérieux, reposant sur un motif vraiment probable, et un doute déraisonnable et sophistique. S’il lui arrive de mépriser et de supprimer par un coup de volonté un doute de la première espèce, en le prenant pour un doute de la seconde, et de traiter comme n’ayant absolument aucune valeur une difficulté qui ne serait pas sans valeur pour des yeux plus perspicaces, il agit même alors en toute sincérité et avec une suffisante prudence, puisque la prudence est relative aux conditions du sujet. Rien donc n’empêchera sa persévérance dans la foi d'être même alors prudente et légitime. L’acte de foi est indépendant d’un accident semblable, et peut continuer à procéder de la vertu infuse de foi, puisque la prudence a été observée, que l’intention est droite, et que le fidèle croit très fermement, à cause du témoignage de Dieu, une vérité qu’il a vraiment révélée. Enfin une dernière cause qui facilitera à tous la persévérance dans la foi, c’est la résolution de persévérer, dont il nous reste à parler.

4° Résolution de persévérer dans la foi et, pour cela, de préférer la révélation divine à tout ce qui la contredit. — Puisque la persévérance dans la foi est un grave devoir, et que le fidèle, dans ses actes de charité, s’il veut aimer Dieu sérieusement, dans ses actes de contrition et même d’attrition, s’il veut obtenir le pardon de ses fautes, doit avoir le « ferme propos » d’accomplir tous ses graves devoirs, il s’ensuit que la résolution de persévérer dans la foi doit être assez souvent renouvelée, au moins d’une manière implicite comme faisant partie de cette résolution plus générale. Mais le rôle si fondamental de la foi et les attaques si spéciales auxquelles elle est en butte demandent un renouvellement explicite et fréquent de cette résolution de persévérer. Et comme l’obstacle à cette persévérance, du côté de l’esprit, provient soit des autorités humaines, soit des raisonnements que l’on est tenté de préférer à l’autorité de la révélation divine, la résolution de persévérer dans la foi implique celle de préférer la 'ation divine telle que l'Église nous l’enseigne à tout ce '/m contredit cette révélation, c’est-à-dire de sacrifier tout ce qui la contredit plutôt que de l’abandonner elle-même. — Sur cette résolution, ou ferme disposition de la volonté, nous traiterons les points suivants : 1. Documents qui la concernent. 2. Cette résolution, st elle prudente <i raisonnable ?, . Doil elle descendre dans le détail, et dans quelle mesure ? l. Formes qu’elle prend en pratique parmi les fldi li foi implicite

1. Documents scripturaires rt traditionnels sur relie résolution ou disposition. a) Écriture. Suint Paul Mâmi i ni l’inconstance d<, qui, trou blés et séduits par quelques docteurs ludalsants, au lieu de repo usser ces discours ce Ifl foi.

vaient plutôt abandonné leur foi première, quelque*les dogmes reçus par l’enseignehient de l’apôtre,

i, 6-7. Et pour leur inculquer la disposition d âme où doit être un véritable fidèle, de rejeter avec horreur toute doctrine contraire aux dogmes qu’il a reçus, quelle que soit l’autorité apparente de cette doctrine nouvelle, il ne craint pas de dire, sous la forme la plus énergique : « Quand un ange descendu du ciel vous annoncerait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème I » i, S. Cette vigoureuse détermination qui leur a fait défaut, il la leur avait apprise déjà dans leur instruction première : « Nous l’avons dit précédemment, et je le répète à cette heure : Si quelqu’un vous annonce un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! » 9. b) Pérès grecs. — Saint trénée donne un exemple de cette énergique disposition de la volonté dans ces barbares si attachés à la foi reçue, et si ennemis de l’hérésie. Voir col. 242. Saint Basile pose cette règle pratique, qu’un fidèle doit être résolu à suivre : « Il ne faut pas douter de ce que dit le Seigneur, mais, en dépit des résistances de la nature, avoir une ferme conviction que toute parole de Dieu est vraie, et d’une réalisation possible » (quand c’est la promesse d’un miracle). « C’est là qu’est le combat de la foi… Il ne faut pas s’appuyer sur ses propres raisonnements pour rejeter ce que le Seigneur a dit, mais partir de ce principe, que les paroles du Seigneur sont plus dignes de foi que notre propre persuasion. » Moralia, reg. viii, P. G., t. xxxi, col. 712-713. Voilà bien la résolution de préférer pratiquement la révélation divine à nos vues personnelles, ce qui ne se fait pas sans « combat » . Saint Cyrille de Jérusalem veut que nous soyons dispesés à préférer le témoignage divin au témoignage même de nos sens : « Ne regarde, pas (l’eucharistie) comme un pain et un vin ordinaire : c’est le corps et le sang du Christ, sa parole en est garant. Si les sens te suggèrent (le contraire), que la foi te rassure. Ne juge pas d’après le goût ; mais par la foi sois convaincu sans aucun doute que le Christ t’a donné son corps et son sang. «  Cal., xxii, n.6, P. G., t. xxxiii, col. 1101. Voir Cyrille de Jérusalem, t. iii, col. 2534, 2538, 2569, 2570. Saint Cyrille d’Alexandrie veut que le fidèle établisse la doctrine de l'Église comme une base dans le sanctuaire de son cœur. Voir col. 280. Que peut exprimer cette image, sinon la rés..'ution de persévérer dans cette doctrine révélée, et de la préférer inébranlablement dans son cœur à tout ce qui la contredirait ? c) Pères latins. — Saint Augustin prêche cette disposition de l'âme, quand il dit : « Si les infidèles tirent de leur littérature quelque chose de contraire à nos Livres saints, c’est-à-dire à la foi catholique, mettonsen la fausseté en lumière, si nous en sommes capables, nu du moins, croyons sans aucun doute que c’est absolument faux. » De Genesi ad lilleram, 1. I, n. 41, P. L., t. xxxiv, col. 262. Saint Vincent de Lérins commente avec force le texte cité de saint Paul aux Galates sur la « ténacité avec laquelle nous devons garder notre foi première » et conclut « que l’apôtre ordonne (cette ténacité) à toutes les générations ; qu’il a toujours fallu, qu’il faudra toujours anathématiser ceux qui affirment quelque chose de contradictoire au dogme une fois reçu. » Commonitorium, c. viii, ix, P. L., t. L, col. 619. Le même Père donne cette belle définition du » vrai catholique : (.'est celui qui ne préfère rien à la religion divine, à la foi catholique, ni l’autorité de quelque homme que ce soit, ni l’amitié, ni le génie, ni l'éloquence, ni la philosophie : restant, au mépris de tout cela, fixe et solide dans la foi, il prend la décision (decemii) de garder et de croire tous les anciens dogmes de l'Église catholique, et rien d’autre (d’opposé). » Op. cil., c. w, col. 665. En 852, l'Église de Lyon, ou en son nom le diacre Florus, fait une déclaration srmblable sur la méthode et l'état d'âme du vrai croyant : t Tout fidèle doit ermmeiiccr par apprendre très exac-2

tement la vérité de la foi (la vérité révélée) on portant do l’autorité des Écritures divines : en sorte que, s’il faut ensuite lire ou connaître quelque chose des livres humains, toul cela soit discerné et jugé (dijudicelw) d’après l’autorité divine et la vérité de la foi, en vue d’admettre sans danger ce qui n’est pas trouvé en désaccord avec cette voix qui sert de règle, et de rejeter comme donnant la morl (morliferum) tout ce qui rend une note dissonante. » Adversus Joan. Scolum, c. xviii, P. L., t. exix, col. 231. Saint Anselme exprime en deux mots très nets cette disposition d’esprit et de volonté : « S’il m’arrive de dire quelque chose qui soit en contradiction indubitable avec la sainte Écriture, je suis certain d’avance que c’est faux ; et dès que je me serai aperçu (de cette contradiction), je veux ne plus le maintenir. » ('.tir Deus liomo, 1. I, c. xviii, P. 7.., t. clviii, col. 388.

A ce docteur de l'Église, ajoutons-en deux autres. Saint Thomas : « Il est de l’essence de la foi que la Vérité première soit préférée à tout. » Sum. theol., II » II æ, q. v, a. 4, ad 2, , m. Les fidèles « comprennent qu’il ne faut en aucune manière dévier (des vérités de foi qu’on leur a proposées), » q. viii, a. 4, ad 2° m. Saint François de Sales fait ainsi parler la foi, la foi au sens objectif, c’est-à-dire la révélation divine : « Ne faut-il pas qu’en effet je sois infiniment aimable, puisque les sombres ténèbres et les épais brouillards entre lesquels je suis, non pas vue, mais seulement entrevue, ne me peuvent empêcher d'être si agréable, que l’esprit, me chérissant sur tout, fendant la presse de toutes autres connaissances, il me fait faire place et me reçoit comme sa reine, dans le trône le plus relevé qui soit en son palais, d’où je donne la loi à toute science et assujettis tout discours et tout sentiment humain ? Oui vraiment, Théotime, tout ainsi que les chefs de l’armée d’Israël, se dépouillant de leurs vêtements, les mirent ensemble et en firent comme un trône royal sur lequel ils assirent Jéhu, criant : Jéhu est roi, de même, à l’arrivée de la foi, l’esprit se dépouille de tous discours et arguments, et les soumettant à la foi, il la fait asseoir sur iceux, la reconnaissant comme reine, et crie avec une grande joie : Vive la foi I » Traite de l’amour de Dieu, 1. II, c. xiv, Œuvres, Annecy, 1894, t. iv, p. 134.

c/) Documents ecclésiastiques. — L'Église, dans des professions de foi, a imposé cette résolution explicite de persévérer dans « une foi entière et immaculée jusqu’au dernier soupir, » ce qui revient à rejeter toute opinion qui entamerait l’intégrité de cette foi, qui ferait une tache à cette virginale blancheur. Voir la conclusion de la Professio fidei tridentina, Denzinger, n. 1000.

2. Cette résolution est-elle subjectivement prudente et objectivement raisonnable ? — Elle est subjectivement prudente : puisque le catholique, s’ilfait son devoir pour garder sa foi, aura toujours les moyens d’y persévérer, par exemple, les motifs de crédibilité nécessaires pour constater le témoignage divin, il peut donc prudemment, au point de vue subjectif, prendre la résolution d’y persévérer toujours, et, pour cela, de rejeter tout ce qui sera contraire. Elle est objectivement raisonnable. Le témoignage divin est de tous nos moyens de connaître le plus intimement et le plus infailliblement lié au vrai. Dieu est la Vérité même, « la première Vérité, » comme dit saint Thomas. Il est métaphysiquement impossible que la science infinie ignore quelque chose ou se trompe, que la sainteté et la véracité infinie profère jamais un mensonge. Au contraire, les autorités purement humaines sont faillibles, l’homme peut errer, il peut mentir : témoignage pour témoignage, quoi de plus raisonnable que de préférer, en cas de conflit, le témoignage de Dieu à celui d’un homme quelconque, et même des plus grands savants, des

plus célèbres historiens, et de persévérer sans aucun doute dans la foi divine qu’ils attaqueraient ? Si lestimonium Imminum accipimus, ieslimonium Dei majus est. I Joa., v, 9. Et s’il s’agit, non pas du témoignage des autres hommes, mais de nos spéculations personnelles, philosophiques ou scientifiques, noire propre raison ne nous a-t-elle point parfois trompés, et même, sous l’influence de passions déréglées, ne cherche-t-elle point parfois à se tromper elle-même, a se faire illusion ? Quoi donc de plus juste que de préférer à nos vues personnelles le témoignage de Dieu, et de persévérer à croire ce qu’il dit, en dépit de nos idées contrains ? Mais est-il juste, dira-t-on peut-être, de préférer la connaissance extrinsèque, basée sur un témoignage, à la connaissance intrinsèque, qui pénètre les choses plus personnellement, plus directement, et qui satisfait davantage l’esprit ? La réponse à cette question dépend de la compétence relative du témoin par l’apport à celui qui l'écoute. « Toutes choses égales d’ailleurs, dit saint Thomas, voir est plus certain qu’entendre dire. Mais si le témoin qu’on entend surpasse de beaucoup les vues qu’on peut avoir par soi-même, alors entendre est plus certain que voir (la connaissance indirecte, par ouï-dire, est plus sûre que la connaissance directe). Ainsi, un homme de peu de science est plus certain de ce qu’il entend dire à un savant, que de ce qui lui semble vrai d’après sa propre raison. » Sum. theol., II a IL 1 -, q. iv, a. 8, ad 2° m. Que de gens, d’après leurs propres lumières, jugeraient immobile la terre où ils sont paisiblement assis, lesquels admettent, sur la simple autorité des savants, que cette terre fend les espaces avec une vitesse bien plus grande que celle d’un boulet de canon ! Et ils n’ont pas tort de préférer l’autorité des savants à leurs vues contraires. Or, qui pourrait refuser à Dieu de se connaître luimême, et ses divines volontés, et toutes les autres choses qu’il nous révèle, infiniment mieux quenous ne pouvons connaître tout cela avec nos vues personnelles ? Saint Thomas a donc raison de conclure : « L’homme est beaucoup plus certain de ce qu’il apprend de Dieu, qui ne peut se tromper, que de ce qu’il voit par sa propre raison, qui peut se tromper. » Loc. cit. Cf. q. i, a. 3. Telle est la considération fondamentale et classique, qui justifie objectivement la résolution de persévérer toujours dans la foi, et de préférer la révélation divine à tout ce qui pourra la contredire. On la trouve dans les documents ecclésiastiques :

Cum huniana mens corL’esprit humain, circon tis finibus iisque satis anscrit dans des limites déter gustis conclusa teneatur, minées et même assez étroi pluribus erroribus et multes, est exposé à de nom tarum rerum ignorationi est breuses erreurs et à igno obnoxia. Contra fides chrirer bien des choses. Au con stiana, cum Dei auctoritate traire, la foi chrétienne,

nitatur, certissima est veriappuyée qu’elle est sur

tatis magistra. Léon XIII, l’autorité de Dieu, est une

encyclique JElemi Patris, maîtresse très sûredevérité.

1879, dans Lettres apostoOp. cit., p. 55. liques de Léon XIII, édit. de la Bonne Presse avec trad. franc., Paris, s. d., t. i, p. 54.

Par notre résolution de préférer la foi chrétienne à tout ce qui peut la contredire, nous nous attachons donc pour toujours à l’Infaillible, à la Vérité même : et comme le vrai ne peut contredire le vrai, tout ce qui contredira la révélation divine sera jugé et condamné par le fait même, et cela raisonnablement. Nous sommes donc décidés à le rejeter aussitôt, lors même que nous n’avons pas la capacité de le réfuter directement, ou que nous n’en avons pas encore le loisir. Mais ici de graves difficultés se présentent, qui demandent un examen approfondi ; leur solution, nécessairement un peu longue pour être vraiment complète, achèvera

de justifier, aux yeux de la raison même. In résolution en question.

Z™ objection. — Théoriquement, la supériorité « lu témoignage divin sur le témoignage humain est écrasante. Mais pratiquement, nous ne pouvons nous servir de ce moyen supérieur d’arriver au vrai qu’après avoir constaté par l’apologétique que Dieu a vraiment témoigné : ce que nous ne pouvons savoir que par des témoignages humains, qui nous affirment le fait d’un homme se donnant comme envoyé de Dieu, le fait de sa sainteté et de ses miracles, le fait de l'Église, le fait de la définition ecclésiastique de tel dogme, etc. Pourquoi ces témoignages humains, d’où tout dépend, seraient-ils raisonnablement préférables aux témoignages humains des savants, des penseurs qui nous parlent contre tel ou tel dogme ? Pourquoi faudrait-il rejeter plutôt l’autorité de ceux-ci ? »

Réponse. — Le témoignage humain est un moyen de connaître, qui aux yeux de la raison même vaut principalement sur le terrain des faits ; les faits, et surtout les faits publics, sont Ce leur nature plus faciles et à bien constater, et à bien transmettre ; aussi l’histoire, basée sur des témoignages de faits, est généralement appréciée comme un moyen de légitime et absolue certitude, quand ses conditions sont bien remplies. Le témoignage humain vaut beaucoup moins pour autoriser des doctrines, surtout en matière subtile et ardue : aussi blâme-t-on la méthode des disciples de Pythagore, qui, dans les difficiles controverses de la philosophie, s’en rapportaient au témoignage de leur maître sur la valeur de ses propres théories, et, n'étant pas des enfants, résolvaient les questions les plus délicates par la seule autorité du maître : ipse dixit. Sur un semblable terrain, il faut se défier même d’un ensemble de savants, de ce qu’on appelle la science, la philosophie du jour : dans ses jugements sur la valeur des doctrines, elle cède souvent à la vogue, à la mode, a l’autorité exagérée d’un chef d'école, à un courant d’idées créées par des circonstances étrangères à la recherche de la vérité. Voilà ce que veulent dire nos manuels de logique, quand, à propos du témoignage humain considéré comme moyen de certitude, ils distinguent entre le lestimonium hisloricum et le testimonium scientificum : le témoignage sur la réalité des faits et le témoignage sur la valeur des théories. Cette distinction supposée, notons que notre apologétique ne s’aide du témoignage humain que sur le terrain où il <sl incontestablement le plus fort, sur le terrain historique des faits. Ce qu’elle emprunte au témoignage humain, ce sont des faits, l’authenticité d’un livre, le fait matériel d’un miracle que l’examen rationnel reconnaîtra ensuite comme un véritable miracle, le fait d’une défi nition ecclésiastique, etc. Par l’intermédiaire de ces faits, susceptibles d'être prouvés avec une vraie certitude, on entre en contact avec l’enseignement divin, .ni ir cment sûr que celui des savants et des philosophes, et qui peut sans aucun péril d’erreur nous enseigner les questions les plus mystérieuses et la valeur des doc trines. 1 Jonc, en cas de conflit, l’autorité révélatrice de I in h. bien que nous arrivant par des témoignages his torlques, reste plus gûre, même pratiquement pour nous, que l’autorité des philosophes et des Bavants prononçant sur la valeur des théories : sans compter que bien des hommes n’ont aussi ce verdict des savants

que de seconde main, et ; i travers d’autres téinoigna 2° objection. Vous opposez l’infaillibilité de Dieu ci 1 1 faillibilité de la raison humaine, de nos vues pei tonnelles. Mai la raison humaine doit, par une enquête pri ilable, Intervenir pour constater avec certitude le fait du témoignage divin, humona ratio., , divin » ren tattonis factum diligenier inmitai oportet, ni crrin m in i De u m tsse loculum. Pie |X, encyclique de 1846,

Denzinger, n. 1037. Étant faillible, elle peut se tromper dans cette enquête comme dans toute autre enquête. Donc, en cas de conflit entre notre foi et nos vues personnelles, nous n’avons pas, comme vous semblez le supposer, d’un côté, de l’infaillible tout pur, de l’autre, du faillible : mais en réalité, notre raison faillible intervient des deux côtés ; et par sa coopération nécessaire avec ce qu’elle déclare être le témoignage divin, elle rabaisse les données mêmes de la foi. Donc, il ne reste plus de motif raisonnable de préférer ces données à tout ce qui pourra les contredire, a priori, et pour tout l’avenir. Du moment que la même raison (nous n’en avons pas deux) agit des deux côtés, avec les mêmes risques, on ne voit pas pourquoi un des côtés, celui de la foi, deviendrait la règle d’après laquelle on devrait juger l’autre, pourquoi toute doctrine philosophique, par exemple, si elle se trouve en opposition avec ce que nous croyons, la révélation, serait d’avance et sans autre examen jugée fausse. A cause de cette valeur foncière de la raison humaine, que seuls peuvent nier les sceptiques, il faut avouer que si, d’une part, la voie de la révélation, contrôlée par cette raison, a sa valeur, d’autre part, nous sommes également sûrs d’arriver au vrai, en appliquant bien les méthodes de la philosophie. Ainsi, lorsqu’il y aura conflit entre les données de la foi et celles de la philosophie, examinons soigneusement dans chaque cas particulier lequel des deux éléments paraît, avoir été le plus sùrement manié et mérite de l’emporter sur l’autre ; mais ne prenons pas d’avance une résolution et une méthode de préférer toujours les données de la foi, et d’en faire la règle d’après laquelle nous jugerons tout le reste. » Cette grave difficulté n’a pas complètement échappé aux anciens théologiens ; si les Sahnanticenscs, par exemple, n’y donnent pas une solution bien claire, ils indiquent l’objection en ces termes : « Bien que le motif de notre foi soit le témoignage surnaturel de Dieu, ce motif pourtant dans son application dépend de la lumière naturelle qui juge de la véracité du témoignage divin, de son existence, de la crédibilité des mystères. La valeur éminente de ce témoignage est donc par là déprimée pour nous, en sorte qu’il ne peut communiquer tout entière à notre foi celle suprême certitude qu’il tend par lui-même à fonder. » Cursus théologiens, Paris, 1879, t. XI, De fuie, disp. II. n. [20, p. 162.

Réponse. - Nous avons prouvé contre les fidéisles que la raison humaine, « faillible par accident » malgré sa valeur foncière, doit intervenir pour constater le témoignage divin. Nous admettons donc qu'à cause de son intervention, dans la suprême certitude que le témoignage divin mérite de fonder, il y a un déchet pour nous, et que pratiquement celle suprême certitude ne peut nous être appliquée dans toute sa perfection, a (anse « le l’imperfection de Pinstrument qui l’applique. Toutefois, mime en tenant compte de ce déchet, nous maintenons la justesse de noire mé

thode, de préférer le donné révélé à tout ce qui peut le contredire ; et nous allons le prouver, en parlant des principes qu’approuve la raison elle-même en ce, de conflit entre deux moyens de connaître, dans l’ordre même naturel et humain. Souvent, en effet, une même question peut se décider par l’une ou par l’autre de icu voies différentes, si on les emploie toutes

deux, on arrive parfois à des résultats opposes ; pour sortir d’un tel conflit, le bon sens, la droite raison estime qu’il faut alors entre les deux préférer la voie * 1 1 1 ï offre par sa nature ci d’une manière générale

le plus de garanties, sur un terrain donné. Ainsi, dans l’exemple allégué plus li.nil : malgré la icimpies sion personnelle qui le ferait croire A l’immobilité de la

terre, l’homme peu Instruit, voyant l’unanimité des

ivants, et tant d’autres qui les suivent, admettre le

mouvement de notre planète, finira, s’il suit la direction du bon sens, par préférer dans ce conflit l’autorité de ceux qui ont étudié à fond la question, à ses vues personnelles et directes, moyen de connaître qui, étant donnée son ignorance sur ce terrain-là, offre de sa nature moins de garanties ; et il pourra raisonnablement se tracer cette ligne de conduite générale, de s’en rapporter toujours au témoignage des savants sur ces matières scientifiques qu’il ne peut étudier sérieusement par lui-même ; quand même il ne voudrait pas s’en rapporter à eux sur un autre terrain, par exemple, sur celui de l’agriculture pratique où il croit que sa compétence, basée sur l’expérience, dépasse la leur. Autre exemple. On sait comment Le Verrier découvrit la planète Neptune. Partant de ce raisonnement, que les perturbations dans la marche d’Uranus ne pouvaient provenir que de l’attraction d’une autre planète plus lointaine et invisible à l'œil nu, il arriva, par les lois de la mécanique céleste et le calcul, à fixer la position que devrait avoir dans le ciel la planète perturbatrice à tel moment déterminé ; et à ce moment-là, un fort télescope la trouva de fait à l’endroit fixé d’avance. Supposons un autre astronome, qui, cherchant à déterminer de la même manière la position d’une autre planète hypothétique, n’ait pas la même réussite. Où ils devraient découvrir, les puissants télescopes d’aujourd’hui ne découvrent rien. Dans ce conflit de deux moyens différents de connaître, auquel devra-t-on croire ? Aux télescopes. Et pourquoi ? Parce que la vision directe par le télescope, bien qu’elle puisse avoir quelquefois ses accidents, ses hallucinations, est pourtant, par sa nature même et tout compte fait, un moyen plus sûr que de longs et difficiles calculs où une erreur est facile ; on peut du reste, en employant les instruments avec soin, en multipliant et en comparant les observations, écarter l’hypothèse d’un défaut dans le verre, ou d’une hallucination. Comme on le voit par ces exemples, c’est bien une seule et même raison qui travaille des deux côtés et, pour connaître, nous ne pouvons jamais sortir de notre raison individuelle ; mais cette raison emploie deux moyens de connaissance dont l’un est de sa nature plus sûr que l’autre sur un terrain donné ; et la raison elle-même approuve que, si ces deux moyens de connaître ne concordent pas dans leurs résultats, on puisse alors s’en rapporter au plus sûr des deux, rejetant par le fait même les données de l’autre. Il nous reste à montrer comment la voie de la révélation, même en tenant compte du déchet que nous avons concédé, demeure encore par sa nature, je ne dis pas seulement plus noble, mais plus sûre que les moyens de connaître qui peuvent entrer en conflit avec elle. Pour cela nous considérons successivement les deux ordres d’idées sur lesquels porte principalement la révélation chrétienne : les mystères et la conduite de la vie.

a) Les mystères. — Sur ce terrain, la raison laissée à elle-même, la philosophie ne voit clair ni pour ni contre : donc elle ne peut donner un résultat ferme qui contredise la révélation. Voir Mystère. Et dans le cas même où l’on croirait apercevoir dans le mystère révélé une contradiction, il n’en reste pas moins vrai que, pour juger les profondeurs des mystères divins, nos investigations rationnelles et philosophiques vont à l’aveugle, et que la révélation divine, par sa nature même, est un moyen bien plus sûr ; en cas de conflit entre ces deux moyens de connaître, il serait donc raisonnable de préférer la révélation.

b) Les matières qui regardent la conduite de la vie sont encore un objet principal de la révélation ; car notre foi a un but pratique en définitive, elle est destinée à être le fondement de toute la vie chrétienne, en soutenant toutes les vertus. Voir col. 84 sq. Or la vie morale est cliose complexe : il y a beaucoup de cas

particuliers et difficiles à résoudre ; et il ne faudrait pas croire que la « voix de la conscience » , sans aucun travail de notre part, rende immédiatement un « oracle » sur chacun de ces cas ; ce serait une figure de rhétorique, ou un beau rêve contraire à l’expérience. On connaît la sonore invocation de Jean-Jacques : « Conscience ! Conscience ! instinctdivin, immortelle et céleste voix, guide assuré d’un être ignorant et borné mais intelligent et libre, juge infaillible du bien et du mal, qui rend l’homme semblable à Dieu ! » Sur ce passage de l’Emile, M. Jules Lemaître dit fort bien : « La conscience, guide assuré? La conscience, juge infaillible ? Infaillible toujours ? et jamais abusé par « l’entende « ment sans règle » ? Hélas, quel guide et quel juge étaitelle à Rousseau lorsque, ayant abandonné son troisième enfant, et cela, nous raconte-t-il, « après un « sérieux examen de conscience, » Confessions, 1. VIII, il écrivait : « Si je me trompai dans mes résultats, rien « n’est plus étonnant que la sécurité d'âme avec laquelle « je m’y livrai. » Et un peu plus loin : « Cet arrangement « (le dépôt aux Enfants-Trouvés) me parut si bon, si tsensé, si légitime ! » Oh I que Julie, régénérée et devenue dévote, avait raison d'écrire : « Je ne veux plus être « juge en ma proprecause ! » La conscience, non appuyée sur une règle fixe, une tradition, une religion dogmatique, ou simplement le Décalogue, risque tant, dans certains cas, de se confondre avec l’orgueil ou l’intéI rêt secret 1° J. Lemaître, J.-J. Rousseau, Paris, s. d., 3e édit., viiie conférence, p. 276, 277. Dans ces questions délicates de la vie pratique, les passions, qui ne veulent pas être enchaînées, ont une terrible influence pour corrompre jusqu’au jugement de la conscience et de la raison. Ajoutez que, par les discussions philosophiques, on ébranle de nos jours jusqu’aux premiers fondements de la moralité ; l’idée même du devoir est attaquée ; et lorsqu’on sent trop vivement la nécessité d’une morale pour le salut de la société, alors on en fabrique plusieurs également discutables. En face de ces déficits de la raison laissée à elle-même, la lumière de la révélation possède, pour éclairer sûrement la conscience et la soutenir, deux avantages considérables que nous allons expliquer.

i er avantage. — M. Jules Lemaître y faisait allusion tout à l’heure, en citant ce mot de la « Nouvelle Héloïse » : « Je ne veux plus être juge en ma propre cause. » Si c'était par notre seule raison individuelle et par de subtils raisonnements philosophiques qu’il nous fallût établir les princij es < ! e la vie pratique et la règle même des mœurs, et puis résoudre les cas de conscience qui nous concernent personnellement, alors sur ce terrain brûlant, étant « juges dans notre propre cause, » notre jugement serait trop facilement troublé par nos passions ou nos intérêts. Il n’en est pas de même, quand, ayant une fois reconnu spéculativement le fait de la révélation et le fait de l'Église, et habitués à les regarder avec vénération, nous recevons de ces sources plus hautes, étrangères à nos petits intérêts et à nos petites passions, ce qu’il faut penser sur quantité de points de morale et de cas de conscience, nettement enseignés et définis, avec condamnation des erreurs contraires. Il n’y a plus alors à tergiverser, à chercher des raisons pour nous justifier à nous-mêmes telle action qui nous plaît : la condamnation est trop nette. En même temps, une autorité suprême et reconnue infaillible vient donner un point d’appui à notre raison vacillante et à notre fragile volonté contre les appétits, les passions qui séduisent et les répugnances qui arrêtent. Maine de Biran a bien montré que tout homme a besoin d’appuyer sa conscience à quelque chose d’extérieur et de supérieur. Objectera-t-on que la raison à elle seule peut obtenir cet avantage, pouvant atteindre Dieu et la loi naturelle comme un principe supérieur auquel elle s’appuie ? Nous répondrons 33 :

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que cette révélation naturelle et improprement dite, plus vague, plus livrée aux subtilités de la raison individuelle qui est son seul interprète, ne sera jamais aussi nettement opposée à nos mauvaises tendances, aussi rigoureusement inflexible. Les jugements publics et solennels de Dieu par la révélation surnaturelle du Décalogueet de l'Évangile, ceux de l'Église qui explique et applique cette révélation et tranche certains cas de conscience, ne peuvent être déformés ni transformés aussi facilement que nos vues privées, si brumeuses et si ondoyantes, si souvent mises à la réforme sous un prétexte ou sous un autre. A ces grandes autorités nous pouvons et nous devons nous en rapporter tout à fait, sans examiner les raisons intrinsèques, sans entrer en discussion avec la passion qui nous tente, et avec laquelle il faut couper court si l’on ne veut pas être vaincu. Cf. Nieremberg, Le prix de la grâce, trad. franc., Paris, 1880. t. il, part. V, c. x, p. 399 sq. Dirat-on encore que ce quelque chose d’extérieur et de supérieur, auquel notre conscience a besoin de s’appuyer, peut se trouver suffisamment dans les principes moraux généralement reçus, dans le verdict de l’opinion, de la coutume, de la société dont nous faisons partie ? Mais souvent l’opinion et la coutume ont leurs variations ou leurs préjugés : le duel, par exemple, largement approuvé en certains pays et depuis des siècles en vertu d’une conception spéciale de l’honneur, est-il également approuvé par la saine raison ? D’autre part, le monde n’a pas un fondement solide de sa morale, ni des solutions bien nettes et atteignant une foule de cas. Et l’opinion de nos égaux peut-elle s’imposer à nous avec autant d’autorité que les jugements de Dieu et de l'Église ?

M. Paul Bourget a exprimé d’une manière très vivante le peu de secours qu’une âme, dans une crise terrible de conscience, trouve en dehors de la révélation, soit dans l’opinion générale et la coutume, soit dans les principes abstraits d’une morale toute philosophique, soit dans l’exercice personnel de sa raison. Il met en scène une jeune fille qui, malgré sa conscience, envisage le crime d’avortement comme moyen de cacher sa faute. « Une obligation ? Mais, pour s’y soumettre, il s’agit d’y croire. Au nom de quoi Julie aurait-elle cru a celle-ci, à ce devoir d’une femme qui va être mère, de préserver à tout prix la vie de son enfant ? « Sans doute, c’est une idée universellement

reçue. Et après, si elle ne l’est pas par moi ? » Elle avait trop entendu son père exalter l’esprit critique, le libre examen… autanl dire le caprice et l’anarchie… La fille du jacobin y avait contracté cette habitude de se prouver l’indépendance de sa pensée par un mépris systématique des conventions. Dans ces instants d’une crise tragique de conscience, c'était cette fatale manie de révolte contre les préjugés qu’elle retrouvait à son service, et tout n’est-il pas préjugé quand on veut tout réduire à sa propre logique ? Comme éléments de résistance, en dehors de l’indestructible instinct qui veut que l’amour maternel s'éveille dans le cœur de la femme avant même qu’elle ait conçu, que rencontrait II' ' Rien que ces vides et inefficaces principes sans Justification supérieure, par lesquels les laïcisateurs Insensés d’aujourd’hui prétendent remplacer le Dieu vivant et aimant, le Père céleste, auteur de tout ordre et de toute loi, dont les commandements révélés n’admettent pas li discussion, qui récompense et qui punit, que l’on prie et qui soutient, envers qui l’on se repent et qui pardonne. Pour Julie, (prêtait ce Dieu, dont son père ne lui avait Jamais prononcé le nom durant son enfance, pai rupule ' Et, quand il lui en avait parlé, ('avait été dans le style « le Kant… Le Dieu qu’il avait olîert au besoin religieux de su fille et de ses fll.

it ilé le. postulat de l : i liaison pratique,

un mental de la Justice immanente, « la « Catégorie de l’Idéal, » toutes conceptions éminemment philosophiques, admirablement dégagées de la souillure des superstitions. Que valent ces quintessences et ces fumées, quand il faut agir et se décider, quand le cœur en détresse a besoin d’un secours qui vienne d’en haut, d’une certitude à laquelle on veut s’attacher pour n’en plus bouger ? » L'étape, c. x, dans la Revue des deux mondes du 15 avril 191>2. p. 845.

2e avantage. — La voie extrinsèque d’une révélation proposée infailliblement par l'Église réduit à un minimum l’enquête nécessaire de la raison faillible, ce qui diminue d’autant les chances d’erreurs. Il est évidemment plus facile de faire sans erreur une seule enquête que cent enquêtes différentes. Or il suffit d’avoir constaté une fois pour toute la mission du Christ et celle de l'Église, pour avoir ensuite par l'Église, sans longues recherches, la liste exacte des nombreux dogmes proposés ensemble à notre foi. Chacun des dogmes n’a pas besoin d’une preuve spéciale tirée du fond de la question : c’est assez qu’il soit inclus, comme tous les autres, dans la preuve générale que nous venons de rappeler. Par le canal d’une Église infaillible une fois reconnue, nous pouvons presque aussi facilement recevoir cent dogmes qu’un seul. Sans doute, il y aura à saisir le sens des cent énoncés, c’est plus long que pour un seul ; mais quant à la preuve, elle est la même pour cent que pour un ; et si l’on se fait une fois à soi-même cette preuve, de manière à arriver à une certitude ferme et bien contrôlée, on tiendra avec la même certitude les cent dogmes ayant tous la même origine et la même garantie. Au contraire, la voie de la démonstration intrinsèque, la voie de la philosophie et des sciences, la voie des vues personnelles et quasi scientifiques suppose pour chaque théorème un raisonnement tout spécial ; la preuve est entièrement a recommencer pour chaque point ; et l’on sait si, dans l’ordre moral et religieux, les questions sont nombreuses et difficiles ; que de chances d’erreurs compensent donc les chances de vérité 1

De plus, la voie de la révélation proposée par l'Église nous donne un catalogue exact de vérités principales et certainement révélées, ayant toutes la même origine sûre ; on peut aussi dresser la liste de beaucoup d’autres vérités liées à celles-là comme des conclusions certaines, ou que l'Église nous propose infailliblement parce qu’elles sont nécessaires à la garde du dépôt de la révélation, ou qu’elle laisse enseigner communément par les théologiens placés sous sa surveillance ; tout cela est sûr, et nettement distingué des thèses controversées dans l'Église, des probabilités, des hypothèses théologiques qui gardent des chances d’erreur. On sait ce qui est certain, et ce qui ne l’est pas. Au contraire, l’ensemble des vues personnelles d’un homme est loin d’avoir cette précision dans le discernement et la classification des divers éléments au point de vue de leur valeur. Laissant même de côté ce qu’il considère lui-même comme douteux, comme seulement probable, si nous prenons exclusivement ce qu’il regarde comme certain, ce qui a acquis droit de cité parmi ses convictions, ce qui est devenu pour lui principe dirigeant, sans doute dans cet ensemble, il y a des points d’une évidence assez facile à constater, mais combien d’autres auraient de la peine.i justifier leurs titres ! Chacun, en avançant dans la vie.

se fait son trésor personnel de pi Lndpes, de jugements sur les hommes et les choses, de méthodes de penser. de règles de conduite morale comme de règles d’hygiène. Mais qui peut vérifier l’origine première de chacun de ces Jugements dès longtemps acceptés, et toi pat l’habitude ? L’origine en est très diverse et de

valeur tics Inégale. Tantôt ce scia une expérience.

mais peut être Incomplètement faite, ou trop gér Usée ; tantôt un passage d’un livre, d’un journal, qui

nous aura frappés dans l'étal d'âme où nous ('lions par hasard ; tantôt les restes encore subsistants d’une influence extérieure, d’une autorité qui aura jadis trôné dans notre esprit ; tantôt une âpre discussion, qui par esprit de contradiction nous aura enracinés davantage dans le parti que nous avons soutenu sans en être pleinement convaincus d’abord ; tantôt une tournure de caractère qui a influencé nos jugements, des événements qui nous ont affectés. « Depuis que nous avons commencé à observer, à penser et à raisonner, dit Newman, jusqu'à la décadence finale de nos facultés, nous acquérons sans cesse de nouvelles informations par le moyen de nos sens, et plus encore par autrui et par les livres. Amis et étrangers que nous rencontrons, conversations et discussions auxquelles nous prenons part, journaux, livres du jour, récréations et voyages, autant d’apports de matériaux intellectuels dans les dépôts de notre mémoire. Ces renseignements, spontanément acceptés, distinguent l’homme civilisé du sauvage, constituent le mobilier de l’esprit, … son éducation ; sans cela, il ne se formerait pas, il n’aurait pas de stimulant à son activité ni à son progrès… C’est par ces assentiments, donnés vite et sans marchander à ce qui s’offre à nous avec tant d’abondance, c’est par là que nous entrons en possession de principes, de doctrines, d’appréciations, de faits qui sont notre trésor de connaissances utiles et libérales. Par là nous sommes au courant de la littérature, de l’histoire, des arts, des affaires puhliques. Nous puisons là pour une bonne part nos idées morales, politiques et sociales, notre art de la vie… Même les meilleurs esprits, et les plus sérieux, sont forcés d'être un peu superficiels dans la plus grande partie de leurs acquisitions. » Grammar of assent, 1895, c. iv, § 1, n. 2, Credence, p. 53-55. Il y a donc dans notre trésor, collectionné au hasard des circonstances, un singulier mélange d'éléments plus ou moins solides, un résidu de toutes les phases de notre vie, de toute espèce d’influences, bonnes ou mauvaises, utiles ou nuisibles à la conquête de la vérité. Ce qui est certain, c’est que l’origine particulière de chacune de ces acquisitions nous est actuellement invérifiable. On ne peut d’ailleurs faire table rase de l’ensemble, suivant la méthode d’Hermès. Voir col. 282. Que faire ? En pratique, personne ne se donne la peine d'établir un inventaire, de dresser le catalogue de ce qui est légitimement certain et de ce qui est suspect, ou même, d’aborder cet immense travail de revision ; séparer le bon grain de la paille est ici pratiquement impossible. On se résigne donc à une vague promiscuité qui fatalement déprécie la valeur de chacune de ces certitudes, excepté celles peu nombreuses qui sont d'évidence immédiate, ou qui dérivent d’un court raisonnement très obvie, et dont les prémisses sont immédiatement évidentes.

De tout cela il résulte que, tout bien compté, la voie de la révélation divine proposée par l'Église est dans l’ordre des choses morales et religieuses une voie plus sûre vers la vérité. C’est la conclusion de saint Thomas : Investigationi rationis humante plcrumque (alsilas admiscelur… Inter multa eliam vera qu.se demonstrantur, immiscetur uliquando aliquid falsum quod non demonstratur sed aliquu probabili vel sophistica ratione asseritur, quæ inlerdum demonslralio reputatur. Et ideo oporluit per viam fidei, fixa certitudine, ipsam veritalem de rebus divinis hominibus exhiberi. Contra génies, 1. I, c. iv. Nous avons donc le droit et le devoir de la préférer, en cas de conflit, à la voie ordinaire et naturelle par laquelle l’homme acquiert l’ensemble de I ses idées. Notre « résolution de préférence » est donc | justifiée.

3. Cette résolution doit-elle descendre dans le détail, ' et dans quelle mesure'.' — Tant qu’elle reste dans sa | Connugénérale et abstraite, cette résolution de pré férence a une certaine universalité, qui par son vague même échappe à toute difficulté. La difliculté ne commence que lorsqu’on veut préciser et descendre dans le détail des choses qu’on doit sacrifier d’avance à la révélation divine. Faut-il prendre cette résolution précise et explicite, de nier jusqu’aux vérités premières de la raison, ou les autres dont l'évidence est parfaite, comme ma propre existence, ou 2 et 2 font 4, plutôt que de nier une vérité de la foi ? Sur ce point nous trouvons parmi les théologiens deux opinions diamétralement opposées, entre lesquelles il sera possible de tenir une position moyenne. L'étude de cette question est d’ailleurs utile pour mettre au point ce que nous avons dit tout à l’heure, et y apporter les restrictions convenables.

i re opinion. — - Elle affirme l’obligation pour tout fidèle d'être résolu à nier l'évidence même, par exemple, les premiers principes de la raison, plutôt que les vérités de la foi. Guillaume d’Auvergne semble être de cet avis : « Vous ne trouverez pas de fidèle, dit-il, qui ne soit prêt plutôt à sacrifier le principe de contradiction {qui prius non concedercl affirmalionem et negationem de eodem dici posse) qu'à nier la vérité d’un article de foi. » De fide, c. i, dans Opéra, Paris, 1674, t. i, p. G. Viva explique en ces termes la disposition nécessaire du fidèle à l'égard des vérités de foi : paratum potius dubilarc de veritate primorum principiorum, quam de verilate myslerii revelali. Cursus theologicus, Padoue, 1755, part. IV, De fide, disp. III, q. iv, n. 6, p. 102.

Critique. — Les fidèles, pour être sérieusement prêts à persévérer dans la foi comme c’est leur devoir, doivent assurément être prêts à rejeter tout ce qui sentit contraire aux vérités de la foi. Mais, en plus de cette disposition générale et implicite, on vient ici exiger d’eux une résolution explicite et particulière de rejeter jusqu’aux premiers principes de la raison plutôt que les vérités de la foi. L’obligation de prendre cette résolution particulière est inadmissible pour les raisons suivantes. — a) Un théologien n’a pas le droit d’appesantir le fardeau de l’obligation, sans apporter des raisons solides. Or les auteurs cités se dispensent d’apporter des raisons. Us ne peuvent pas dire que cette disposition particulière, qu’ils exigent, soit nécessaire à la persévérance dans la foi : les premiers principes de la raison ne constitueront jamais un obstacle à cette persévérance, étant impossible qu’ils contredisent jamais la révélation, comme le déclare le concile du Vatican : « Bien que la foi soit au-dessus de la raison, il ne saurait pourtant jamais y avoir de véritable désaccord entre la foi et la raison, attendu que le Dieu qui révèle les mystères et donne la grâce de la foi est le même qui a mis la raison dans l’homme, et qu’il est impossible que Dieu se contredise lui-même, ou que le vrai soit jamais contraire au vrai. » Sess. III, c. iv, Denzinger, n. 1797. Ici le mot « raison » doit signifier avant tout les premiers principes, les données les plus parfaitement évidentes de la raison. On dira peut-être que cette affirmation du concile est théoriquement vraie, mais qu’en pratique il peut y avoir entre la foi et la raison désaccord et conflit, apparent et imaginaire sans doute, mais néanmoins troublant et dangereux parce qu’il semble réel, et auquel il convient « le se préparer par une forte résolution : qu’on peut être influencé par des autorités considérables qui disent à tort : « La science a démontré, » etc., ou bien accepter une prétendue démonstration, sans en remarquer le défaut. Nous répondons que tous ces accidents sont, en effet, pratiquement possibles, mais non pas quand il s’agit des premiers principes et autres vérités semblables, que chacun vérifie par soi-même et qui sont garantis par leur évidence immédiate ou presque immédiate, en dehors de toute démonstration. — b) Non seulement le rejet des premiers principes ne sera 341

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jamais nécessaire à la persévérance dans la foi ; mais s’il était fait d’une manière catégorique et non pas hypothétique, ou même si l’hypothèse d’un tel conflit était considérée comme possible, ce serait du scepticisme nuisible à la foi elle-même, puisque les raisons de croire et les motifs de crédibilité dont elle a besoin s’appuient objectivement sur ces premiers principes. Ces principes de la raison nous sont même nécessaires pour saisir le vrai sens d’un mystère, comme la Trinité. Voir Franzelin, De Dco trino, 3e édit., Rome, 1881, thés, xx, p. 329, 330. — c) Non seulement cette résolution de nier les premiers principes plutôt que la foi n’est pas prouvée nécessaire, mais pour tel ou tel sujet à qui on la proposerait même comme une hypothèse impossible, elle serait funeste, et ce serait tenter bien des fidèles contre la foi, que de leur demander au nom de la foi un acte qui leur paraîtrait rebutant et sans but. En théologie morale, on est d’accord qu’il suffît de demander au pénitent, en restant dans le vague et l’abstrait, qu’il soit prêt à tout soufïrir, à tout sacrifier, plutôt que de retomber dans le péché mortel, qu’il soit résolu à le fuir plus que tout autre mal, et formules semblables ; on admet que Dieu veut bien se contenter d’une aussi vague disposition, et qu’il serait dangereux d’en vouloir faire saisir au vif le contenu, d’entrer dans le détail : Êtes-vous prêt à accepter la mort de votre enfant, telle tortuie épouvantable, etc., plutôt que d’offenser Dieu ? » Quamvis talis debeal esse conlrili dispositio, ri it saint Thomas, non lamen de lus lenlundus est. In IV Sent., 1. IV, dist. XVI 1, q. ii, a. 3, sol. 1% ad 4° m. C’est-à-dire, bien que le pénitent doive être disposé à tout soutïrir plutôt que de pécher mortellement, par conséquent même ces douleurs s’il le fallait, il n’est pas à propos de lui présenter ces exemples concrets et qui surexcitent l’imagination : car ce serait peut-être le tenter et lui donner occasion de rétracter le ferme propos général qu’il avait, et qui suffisait. Voilà un acte religieux où il ne faut pas trop « réaliser » , comme dit Newman, et où l’idée abstraite, trop dédaignée aujourd’hui de plusieurs dans la religion, rend beaucoup de services. Cf. S. Bonaventure, In IV Sent., 1. IV, dist. XVI, a. 2, q. i, dans Opéra. Quaracchi, 1889, t. iv, p. 388, où il appelle cette manière d’interroger le pénitent periculuni et slullitia ; S. Alphonse, Theol. moral is, De pœnilentia, n. 433, dans Opéra, Rome, 1909, t. III, p. 431. Or, notre cas de la foi, et a ni semblable a celui-là, doit recevoir la même solution. Et même " fortiori : car après tout, il n’est pas impossible qu’un pénitent soit réellement appelé par la providence a accepter tel sacrifice qui le fait frémir : tandis qu’il est absolument impossible que pour garder la foi on soit jamais mis en demeure de nier un premier principe île la raison, ou une vérité mathématique. La r< olution obligatoire de rejeter tout ce qui peut être en (nii/lil avec la révélation ne s'étend donc point a des conflits chimériques, et nous pouvons conclure avec Scheeben : La fermeté souveraine de la certitude de foi n’exige pas qu’on tienne toute autre certitude pour chancelante, qu’il faille la révoquer en doute, ou être i<mI.i jacriflei.i la foi la certitude rationnelle la plus évidente. Dogmatique, § 16, trad. franc., 1X77, t. i.

p. ' ;

2' opinion. Non seulement elle nie que les fidèles

it obligés a cette résolution particulière et con . mais elle la condamne comme absurde dans ions

h cas et son-, quelque forme, même hypothétique,

qu’elle puisse prendre. Ainsi LugO ne « lit pas seulement

qu’une telle préférence n’est pas exigée des fidèles, m. lis il ajoute : Ce sciait une disposition suite il i lu ne i Ique ; el Il la compare > celle d’un dévot qui pou*i i imoui de Mien |usqu’a être disposé a imn Dieu, si |. n impossible cela loi falsall plaisir. » Dt

sputat. seliolaslicæ, Paris, 1891, t. i, De fide, disp. VII, n. 53, p. 357, 358. Il est suivi par ses disciples, qui appellent cette résolution, même sous forme hypothétique, « un acte imprudent, » Haunold, Theol. spéculative/, Ingolstadt, 1670, 1. III, n. 282, p. 386, une disposition qui n’est « ni nécessaire ni utile. » Kilber, De fide, n. 205, dans Migne, Theologiæ cursus, t. vi.col. 576, 577. Critique. — Cette opinion, en tant qu’elle réfute la première, est parfaitement fondée. Mais, à sa réfutation elle ajoute une exagération. — a) D’abord, la comparaison de Lugo ne semble pas juste. Le dévot qui, pour mieux aimer Dieu, se dirait prêt à le haïr si par impossible cela lui plaisait, ferait un acte absurde, mais pourquoi ? Parce que, la disposition à la haine détruisant directement l’amour, on aurait alors un acte d’amour qui, à force de raffinement, se détruirait luimême, el l’homme en serait conscient. On ne voit pas, dans notre cas, que la tendance énergique à sacrifier à la foi jusqu'à l'évidence la plus irrésistible, si par impossible il y avait conflit, se détruise directement elle-même, et que l’homme doive cire conscient d’une telle destruction quand il fait cet acte. />) Saint

Augustin ne craint pas d’exprimer une semblable disposition d'âme, quand, parlant de la certitude souveraine qu’il a des vérités de la foi. il dit qu’il douterait plutôt de sa propre existence : Facilius dubitarem vivere me. Confess., 1. VII, c. x, P. I… 1. xxxii, ml. 742. Lugo tâche d’expliquer ce texte et de le concilier avec son opinion ; mais son exégèse plus subtile que naturelle est bien réfutée par Ripalda. De fuie, disp. XI, n. 64, dans Opéra, Paris, 1873, t. vii, p. 211. Saint Paul lui-même, pour réagir contre l’inconstance des Galates, les invite à une telle disposition d'âme que, si un ange du ciel venait leur prêcher le contraire de la foi reçue de l’apôtre, ils voudraient rejeter sa doc truie et l’anathématiser, i, 8. « Ce n’est pas, observe Vincent de Lérins, que les anges bienheureux qui sont dans le ciel puissent jamais errer ou pécher ; mais l’apôtre veut dire : « lui supposant nu-nu que l’impo s sible arrive, an a thème à quiconque essaierait de changer la foi transmise et reçue. » Commonitorium, I. c. viii, P. L., t. L, col. 649. — c) Ces vieux coud il ion nels qui partent d’une hypothèse chimérique n’ont rien en eux-mêmes d’absurde ni d’imprudent, et, connue le remarque Ripalda, « ils servent même aux théologiens pour expliquer la force et l’efficacité des actes de la volonté, ("est ainsi que nous exprimons

l’efficacité de la contrition par ce vœu conditionnel.

tombant en réalité sur un objet impossible, d’effacer un passé mauvais, de faire qu’il n’ait pas existe, de faire que le passé ne soit pas le passé, i Loc. cit., n. 66. Et ce n’est pas là une subtilité d'école, puisque la nature même pousse tous les hommes à concevoir et à exprimer ainsi leur repentir : a.le voudrais ne l’avoir pas fait. Oh ! si c'était ; i reluire !, . Hypothèse chiini rique : vous ne pouvez ni retourner en arrière pour recommencer dans le même cadre de circnnstnin choix malheureux que VOUS déplore/ à présent, ni

arracher ce feuillet de l’histoire de votre vie : la taute

d’un instant restera éternellement vraie. Et pourtant

ci i acte de repentir, qui tend vainement a anéanti] le

passé, est 1res lit île dans l’ordre surnaturel pour purifier l'âme des conséquences de ce passe 1 et de ce qu’on

appelle I' « étal de péché, le péché habituel ; et c’est un acte satie et raisonnable, comme l’explique s ; iinl Thomas : Volunlas condilionata… esse potest de (mposttbilibus : '/un etiam sapiens vellel quod impossibile est, si possibile foret, in i Sent., I. IV. dist. XVII, q. n. a. i, soi. 1 1, ; ni :  ; </) Enfin, > cet acte, qui exprime

sous (orme hypothétique un souverain attachement ; i

i.i foi, on ne peut reproche) une tciid.iiio.m Qdéiiræ

.ni Scepticisme qui doute de léi.lence inclue. « Ce

qui ne devrait se faire que dans une h] pothéie Impôt

sible, dit Mayr, n’est pas de nature à fonder un doute réel. » Et il ajoute cette comparaison : « On ne pourrait pas accuser un père de vouloir la mort de son fils aîné, s’il disait : Supposé que je dusse perdre un de mes fils, j’aimerais mieux perdre l’aîné que le cadet. » Theol. scholaslica, Ingolstadt, 1732, 1. 1, De fide, n. 664, p. 188. A plus forte raison, ce n’est pas vouloir douter réellement de l'évidence, que de dire : Si par impossible il naissait un conflit entre une vérité immédiatement évidente et la vérité révélée, j’aimerais mieux nier la première que la seconde. Concluons que nous ne pouvons empêcher ceux qui le veulent d’exprimer ainsi l’ardent amour de préférence qu’ils ont pour la parole de Dieu et la foi, ni mépriser leur acte comme absurde. Leur amour de préférence acquiert ainsi un plus haut degré de perfection accidentelle. Oxea, Tract. De spe et cariiate, Saragosse, 1662, p. 216, 217.

3e opinion, moyenne et préférable. Elle nie l’obligation d’envisager cette hypothèse impossible, et reconnaît même que souvent la prudence interdit de l’envisager. Mais elle reconnaît que cette forme hardie de la résolution de préférer la foi n’a rien d’absurde, que par elle de grands saints ont exprimé leur souverain attachement à la parole de Dieu, et qu’elle a son utilité en certains cas. La preuve de cette opinion a été donnée en critiquant les deux autres.

4. Qutlles formes cette résolution prend-elle parmi les fidèles ? — A cette occasion, nous parlerons de la « foi implicite » , et de la « foi du charbonnier » .

a) Diverses formes de cette « résolution de préférence » . — En pratique, elle peut s’exprimer de bien des manières, que l’on rencontre chez les fidèles, par exemple : « Je veux résister à'toutes les tentations contre la foi. » Ou bien, comme disent les catholiques quand ils craignent de proférer ou d'écrire quelque chose de contraire à la révélation, dont l'Église est la gardienne et l’interprète autorisé : « Je suis prêt à me soumettre au jugement de l'Église. » C’est en effet à l'Église de décider ce qui contredit ou ne contredit pas le donné révélé, et ce que l’on peut avancer sans danger de le contredire iulo. Être prêt d’avance à accepter toujours ce jugement de l'Église sur les doctrines, c’est pratiquement être disposé à préférer toujours la révélation à ce qui peut la contredire.

A cela revient aussi la formule générale qu’emploient si souvent les fidèles dans leurs actes de foi : « Mon Dieu, je’crois tout ce que vous avez révélé » ou bien — formule qui comprend la précédente, puisque l'Église est chargée de nous enseigner la révélation divine — : « Je crois tout ce que votre Église nous enseigne. » Analysons cet acte. Y a-t-il là quelque chose d’intellectuel ? Oui, au moins indirectement : cet acte suppose comme certain que Dieu a fait une révélation, ou même encore qu’il a fondé une Église et lui a donné mission de nous proposer cette révélation, pour que nous puissions l’avoir dans son intégrité. Ces faits généraux, voilà l’objet que l’on atteint par 1'inttlligence, indirectement. Mais d’autre part, en disant : « Je croit tout ce que vous avez révélé, tout ce que votre Église enseigne, » on cherche à entrer en relation avec toutes les vérités qui forment le contenu de la révélation divine, sans rien retrancher, sans rien excepter. Cette relation-là ne peut pas être une relation de connaissance : un fidèle ne connaît pas, ne peut pas connaître tout ce qui est proposé par l'Église, ni surtout tout ce qui est révélé dans les Livres saints ; et quand il l’aurait connu, il ne peut avoir tout cela présent à l’esprit dans cet acte rapide ; de plus, cet acte peut être fait par un enfant que l’on commence à instruire de la foi, qui ignore encore une partie des vérités que l'Église oblige tous les fidèles à connaître et à croire explicitement. Reste donc qu’il y ait là une relation de volonté, de désir : « Je veux croire tout le

contenu de cette révélation, je désirerais le croire explicitement si c'était possible, et de mon côté je ne mettrais aucun obstacle par la mauvaise volonté. «  C’est ce que saint Thomas appelle credere implicite, vel in præparalione animi, inquantum paratus est credere quidquid divina Scriplura continet. Sum. theol., IIa-IIæ, q. ii, a. 5. Je suis prêt à croire, en particulier, tout ce que l'Église dans la suite pourra proposer aux fidèles, prêt à accueillir le dogme, prêt à rejeter ce qui lui est contraire. C’est donc encore une manière d’exprimer la résolution générale dont nous parlons. Et si ce n’est pas « croire » les dogmes au sens propre du mot, c’est « vouloir les croire » .

b) La foi implicite. — C’est l’acte dont nous venons de parler ; et l’analyse que nous en avons faite nous permet de répondre aux objections dont Calvin a voulu l’accabler. « Ils (les théologiens catholiques) ont bâti une fantaisie de foi, qu’ils appellent implicite, ou enveloppée… Cette fantaisie non seulement ensevelit la vraie foi, mais la détruit du tout. Est-ce là croire, de ne rien entendre moyennant qu’on soumette son sens à l'Église ? Certes, la foi ne gît point en ignorance, mais en connaissance… C’est par cette connaissance et non point en soumettant notre esprit aux choses inconnues que nous obtenons entrée au royaume céleste. » Institut, chrétienne, 1. III, c. ii, n. 2, dans le Corpus reformalorum, Calvini opéra, Brunswick, 1866, t. iv, col. 11. Et plus loin : « Ils déterminent que ceux qui s’abstiennent (al. s’abrutissent) en ne sachant rien, et même se flattent en leur bêtise, croient dûment et comme il est requis, moyennant qu’ils s’accordent à l’autorité et jugement de l'Église sans rien savoir ; comme si l'Écriture n’enseignait point partout que l’intelligence est conjointe avec la foi. » Loc, cit., n. 3, col. 12. — Réponse. — « .Calvin calomnie nos théologiens. Ils n’ont jamais dit qu' « en ne sachant rien » on croit « comme il est requis. » Au contraire, ils ont affirmé, et tous nos manuels de théologie morale leur font écho, que les plus ignorants des fidèles ont le précepte rigoureux de croire « explicitement et donc de connaître un certain nombre de vérités révélées, spéculatives ou pratiques, le symbole, le Décalogue, etc. Personne ne peut se contenter de la « foi implicite » , mais doit y ajouter d’autres actes de foi, explicites ceux-là et où l’on attache aux formules un sens déterminé. De là les catéchismes, et la peine que se donnent ceux qui les font pour mettre les principales vérités de la foi à la portée des enfants et des simples. — b. La foi implicite elle-même, nous l’avons montré, n’est pas sans aucun élément de connaissance : elle rappelle d’une manière générale une vérité essentielle à la foi comme les premiers principes le sont à la raison, c’est-à-dire que Dieu nous a fait une révélation ; elle y joint une autre vérité importante, c’est que cette révélation nous est enseignée par l'Église ayant mission pour cela. — c. Mais surtout il y a dans cet acte de foi implicite l’expression de la volonté de croire, et de la seule bonne volonté de croire, celle qui s'étend à tout ce que Dieu a révélé, sans rien excepter, préférant ainsi l’intégrité du témoignage divin à tout ce qui pourrait le mutiler, c’est-à-dire le contredire en un point quelconque. La foi demande essentiellement la bonne volonté ; aussi l’importance de cette volonté docile, de cette pieuse affection envers la révélation divine est si manifeste qu’un peu plus loin Calvin lui-même est obligé de l’avouer : « Nous pouvons appeler foi (l'édition latine dit fidem implicitam) ce qui, à proprement parler, n’est qu’une préparation à icelle. Les évangélistes récitent que plusieurs ont cru, lesquels seulement ont été ravis par les miracles de JésusChrist, pour l’avoir en admiration, sans passer plus outre que de le tenir pour le rédempteur qui avait été promis ; combien qu’ils n’eussent connu la doctrine de

l'Évangile que bien peu, et quasi rien… Il appert de ces témoignages (de l'Évangile) que ceux mêmes qui ne sont point encore abreuvés des premiers éléments, moyennant qu’ils soient enclins et duits à obéir à Dieu, sont nommés fidèles, non pas proprement, mais d’autant que Dieu par sa libéralité fait cet honneur à leur affection. » Loc. cit., n. 5, col. 13, 14. Ils sont « enclins » à recevoir tous les cléments de la révélation, toute la « doctrine de l'Évangile. » Cette « affection » n’est pas encore la foi, mais c’est « une préparation » nécessaire à la foi. Du reste, s’ils croient que Jésus est « le rédempteur promis, » n’est-ce pas déjà un article de foi ? Et la « fo' implicite » n’est-elle pas, par ce côté-là, explicite sinon complète, et acte de foi au sens propre ? Somme toute, Calvin nous accorde ici l’essentiel de ce que nous demandons pour la foi implicite. Comme s’il s’apercevait qu’il a beaucoup accordé : « Au reste, ajoute-t-il aussitôt, une telle docilité avec désir d’apprendre est bien diverse de cette lourde ignorance, en laquelle croupissent et sont endormis ceux qui se contentent de leur foi implicite, telle que les papistes imaginent ; ceux qui, de propos délibéré appètent de ne rien savoir. » Loc. cit. Mauvaise querelle : les papistes enseignent au contraire qu’il faut venir au catéchisme, connaître sa religion en détail, et même entretenir ensuite et perfectionner ce que l’on en sait, dans la mesure du possible ; le tout sous peine de négligence grave. Sur la foi implicite, voir Didiot, Logique surnaturelle objective, Paris, 1892, p. G37-641 ; Bainvel, art. Foi, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1911, col. 42-44.

c) Les protestants modernes et la foi implicite. — Certains protestants semblent avoir voulu se contenter de la foi implicite, d’après ce passage d’un protestant conservateur, Hodge, qui les réfute : « On a prétendu que croire simplement que la Bible est la parole de Dieu, c’est croire tout ce que la Bible enseigne, au sens propre du mot croire, lors même qu’on ignore beaucoup de ses enseignements. Mais ce n’est pas exact. L’homme qui croit ainsi à la Bible est prêt à croire sur son autorité tout ce qu’elle déclare vrai : mais, à proprement parler, il ne croit de son contenu que ce qu’il connaît… Cette disposition à croire tout ce que la 1 tible enseigne, dès que nous saurons qu’elle l’enseigne, peut s’appeler une foi implicite, niais ce n’est pas une foi réelle. Elle n’en a ni les traits caractéristiques ni le pouvoir. » Syslemalic theology, Londres, 1874, t. iii, c. xvi, p. 85. Ces idées sont justes. Mais il fallait bien terminer par le couplet obligé contre nous ; aussi l’auteur ajoute-t-il, dans la meilleure manière de Calvin, qu’au dire de l'Église de Rome, « un homme qui n’a aucune idée de ce que signifie le mot sacrement a suffisamment la foi pourvu qu’il croie qu’il y a sept sacrements ; que - la vraie foi est regardée comme compatible avec une ignorance absolue ; qu’un homme peut être un vrai chrétien, s’il se soumet à l'Église, bien que, dans ses convictions intérieures, il soit un panthéiste ou un païen. » A cette apothéose de l’ignorance religieuse Hodge attribue des pratiques de l'Église ayant une tout autre origine : la Bible qui nY l pas mise entre les mains de tout le monde ; lu liturgie eu latin ; le symbolisme des cérémonies ; la réserve des prédicateurs. > C’est assez de frapper l’imagination. La vérité doil être cachée (par le prédicateur). On montre une croix au peuple, mais il n’est pas nécessaire de im enseignei la doctrine du sacrifice pour le péché… On convertit les païens non par la vérité, non par un cours d’instructions, mais par le baptêmi On les fait chrétiens par milliers… en n’exigeant que la simple soumission a l'Église et à ses i i 1 | De la vient que les missions catholiques, bien que continuées

parfois plus de cent ans, n’ont pas d’emprise sur les

peuples mais presque toujours disparaissent dés

qu’on empêche l’arrivée des prédicateurs étrangers. » Loc. cit., p. 86-88. Voilà un tableau fidèle de la doctrine et de la pratique de l'Église ! L’auteur a oublié de nous dire si les enfants et la plupart des adultes, chez les protestants, connaissent beaucoup de vérités révélées et comprennent bien les formules du catéchisme protestant, ou les obscurités de leur bible ; si, pour enfler la statistique des conversions, dans les missions protestantes, on ne porte pas comme « agrégés » des gens qui ont simplement accepté le don matériel d’une bible ; si les nègres baptisés par les ministres sont de grands clercs ; si les missions protestantes où les indigènes sont persécutés et ne reçoivent pas de secours du dehors, ne disparaissent pas, et un peu plus vite que les nôtres.

Que l’orlhodoxisme protestant se fasse, contre les catholiques, le champion de l’intellectualisme dans la foi, cela se comprend encore. Mais que des protestants anti-intellectualistes continuent les mêmes attaques, c’est plus piquant. Il faut vraiment que le protestantisme soit tenace dans ses préjugés et dans ses vieilles traditions de polémique, pour que l’on voie de nos jours jusqu'à des protestants libéraux et « symbolofidéistes » nous reprocher cette malheureuse « foi implicite » des simples, comme ne donnant pas assez à la connaissance des dogmes et à la foi en tant qu’intellectuelle. Voici comment Aug. Sabatier présente au public notre notion de la foi et du dogme : « La foi catholique, par la force même des choses, tend à devenir une foi implicite. Sans aucun doute, on demande aux fidèles d’apprendre les principales doctrines de la religion, c’est-à-dire de mettre quelque chose sous l’autorité à laquelle ils se soumettent sans condition ni réserve ; mais la foi implicite a toujours la vertu de suppléer ce qui manque à la foi expresse et pleine. » Esquisse d’une philosophie de la religion, 1897, p. 283. C’est le contraire de la vérité : d’après les théologiens catholiques, la foi implicite n’a pas la vertu de suppléer la croyance distincte des vérités principales, dont la connaissance et la foi explicite sont nécessaires de nécessité de précepte ou de nécessité de moyen. Par exemple, d’après une déclaration d’Innocent XI, on n’a pasledroitderegarder quelqu’un comme capable de recevoir l’absolution, quelque grande que soit sou ignorance des mystères de la foi, et dans le cas même où, par sa négligence, même coupable, il irait jusqu'à ignorer les mystères de la trinité et de l’incarnation. 64e proposition condamnée, Denzingcr, n. 1211. Mais revenons à Sabatier : « On a donc, conclut-il, justement nommé la foi catholique, en ce qui regarde la doctrine, un blanc-seing donné par le fidèle à la hiérarchie. Ce que je dois croire, je l’ignore par moi-même ; mais mon curé, mon évêque et le pape le savent pour moi. Cela suffit. Malheureusement, le caractère d’un blanc-seing, c’est d'être une page blanche. Cette manière de croire ressemble dès lors beaucoup à Vabsencc même d’une foi personnelle. C’est une façon de proclamer que le fond de la doctrine est Indifférent a la vie religieuse. » Loc. cil. Le beau zèle pour la doctrine ! Sabatier, au lieu d’attaquer les catholiques, aurait pu faire ici son mea culpa, lui qui a écrit : « Qu’est ce que la foi ? Kst-cc une adhésion intellectuelle à des dogmes ?… Non. iVoir col. * » 1 ; cf. col. 77. Il aurait pu aussi retourner son Zèle contre sou ami MénégOZ, qui établit comme principe fondamental i le salut par la foi (entende/, le don du coeur a Dieu. s ; ms savoir ce qu’on

entend par le mot Dieu) indépendamment des engonces. » Voir col. 17 t. Voilà certes « des pages blanches i »

Voilà qui est pi "clamer que « le fond de la doctrine

est Indifférent -i la vie religieusi I I I une foi aussi « implicite, ce n’est pas seulement aux esprits les plus lents et lis plui bornés quon la permet, on la vante aux plus perspicai

Les protestants, en combattant la foi implicite des catholiques a à tout ce que l'Église enseigne, » u’oublient pas d’y mêler un peu confusément des attaques contre le rôle de l'Église et notre règle de foi. Nous y avons déjà répondu, col. 152 sq., 160 sq. Le procédé de polémique qui consiste à embrouiller les questions ne favorise pas la recherche de la vérité. La question spéciale de la « foi implicite » , roulant sur la connaissance ou l’ignorance des principales vérités révélées, n’est pas liée par elle-même au concept de l'Église : on pourrait aussi bien avoir la « foi implicite » , en ignorant le donné révélé et en disant : « Je crois tout ce que la Bible enseigne. » Voilà pourquoi nous traitons à part la question de la foi implicite, et celle de la règle de foi.

Un protestant libéral, le D r Georges Hoffmann, privatdocent et pasteur à Breslau, a fait une collection de textes, depuis les anciens Pères jusqu'à nos jours, se rapportant plus ou moins à la foi implicite et, on pourrait dire aussi, à l’histoire de l’enseignement catéchistique dans l'Église, à la question du minimum de connaissance religieuse exigé des plus ignorants aux diverses époques de l’histoire de l'Église, et chez les protestants. Die Lehre von der Fides implicita, 3 vol., Leipzig, 1903-1909. Quelques-uns de ces documents font voir qu'à certaines périodes du moyen âge, l’ignorance religieuse était grande parmi les laïques, et que la difficulté de la combattre était pour plusieurs un prétexte à interpréter trop largement le précepte de la foi implicite. Si l'Église a toléré cet abus par impossibilité d’y porter un prompt remède, elle ne l’a pa^ consacré. Elle ne le consacre nullement au concile œcuménique de Latran sous Innocent III, quoi qu’en pense M. Hoffmann, t. i, p. 63 sq. Après avoir condamné comme une hérésie la doctrine de l’abbé Joachim sur la Trinité : Si quis igitur sententiam vel docirinam preefali Joachim in hac parle defenderc vel approbare præsumpserii, lanquam hierelicus ab omnibus confuletur, le concile n’applique pas la qualification d' « hérétique » à la personne même de l’abbé, et ne veut pas qu’on porte préjudice au monastère très régulier qu’il a fondé, surtout parce qu’il s’est soumis au jugement de l'Église : maxime, cum ipse Joachim omnia scripla sua nobis assignari mandaveril, aposlolicæ sedis judicio approbanda seu eliam corrigenda, diclans epislolam, quam propria manu subscripsit, in qua firmiler confitetur, se illam fldem tencre, quam romana tenet Ecclesia, etc. Denzinger, n. 433 (358). Oui, lors même que quelqu’un s’est trompé dans l’explication subtile d’un mystère de la foi, sa soumission au jugement de l'Église l’empêche d'être qualifié personnellement d' « hérétique » et traité comme coupable du péché d’hérésie, parce qu’il est de bonne foi et que la controverse n’a pas été tranchée encore, parce qu’on n’est pas hérétique, au point de vue canonique, sans cette obstination, contumacia, qui est une disposition d'âme absolument opposée à celle du pauvre abbé Joachim. Mais voilà encore une question qu’il ne faudrait pas embrouiller avec celle du minimum exigé des simples. De ce principe que la soumission d’un savant, sur un point difficile, à la décision de l'Église lui évite en cas d’erreur la qualification d’hérétique, il ne s’ensuit pas qu’une soumission semblable, sans aucune foi explicite, suffise à un ignorant pour accomplir le précepte de la foi. A qui pose le principe, on ne peut donc imputer cette absurde conséquence. Quant à la « décision du pape Innocent IV, » citée par M. Hoffmann, t. i, p. 73 sq., ce n’est qu’un passage d’un livre fait avant son élévation au pontificat, travail de canoniste qui ne fait pas loi. La dignité papale, plus tard reçue, n’a pu conférer, je ne dis pas seulement l’infaillibilité, mais une valeur officielle quelconque à cette élucubralion antérieure ; peu importe donc qu’il y ait fait des conces sions trop grandes à l’ignorance du peuple et du bas clergé, concessions que le malheur des temps faisait accepter à certains canonistes comme pratiquement inévitables, mais que l’autorité doctrinale de l'Église n’a jamais sanctionnées. M. Hoffmann aurait tort surtout de chercher dans ces abus un point d’appui pour l’antidogmatisme et la « foi sans croyances » du protestantisme libéral.

d) La foi du charbonnier. - — Cette locution, encore en usage de nos jours pour exprimer en général « la foi des simples » ou parfois plus spécialement « la foi implicite » , a eu primitivement un sens un peu différent. Elle dérive d’un récit que l’on rencontre presque en même temps sous la plume de Luther en 1533, Avertissement aux gens de Francfort, et sous celle d’un théologien catholique, Albert Pighius, dans un ouvrage imprimé pour la première fois en 1538, où il dit l’avoir entendu dans son enfance. Nous citerons ce second récit comme plus détaillé, et se rapportant, d’après Hoffmann lui-même, à une tradition plus ancienne. « Un savant professeur de théologie rencontra un charbonnier ; curieux de s’amuser de sa simplicité et d’en faire un sujet d’expérience, il l’interrogea sur ce qu’il croyait comme articles de foi. Notre homme commença par lui réciter les principaux articles sur Dieu, que souvent il avait entendus à l'église, et confiés à sa mémoire. » Remarquons donc en passant que la foi du charbonnier n'était pas purement implicite. « Comme le théologien continuait à l’interroger sur ce qu’il croyait en outre, il se contenta de répondre qu’il croyait ce que croyait l'Église, ne pouvant rien préciser d’ailleurs quand on poussait la question : Mais que croit l'Église sur telle ou telle matière ? Il éludait ces interrogations par une sorte de cercle : L'Église croit ce que je crois ; je crois ce que croit l'Église. » Qui ne voit là une simple fin de non-recevoir, une façon de se débarrasser de questions que l’on considère comme importunes et peut-être comme dangereuses et déplacées, une manière de faire sentir au savant qu’il n’avait pas le droit de les poser, ni d’abuser de sa science pour troubler une âme simple ? Mais reprenons le récit de Pighius : « Il arriva ensuite que ce théologien, malade et en danger de mort, fut gravement tenté contre la foi par les suggestions insidieuses de Satan ; et il ne put s’en tirer que par le souvenir de la foi simple et assurée du charbonnier. Dans cette tempête, il dut s’y réfugier comme en un port ; on l’entendait crier : Comme le charbonnier I Surprise des assistants : on le crut en délire. Il guérit, et on lui demanda quelle idée il avait eue de crier ainsi. Il leur dit son histoire…, remerciant la divine miséricorde de cette rencontre avec un pauvre homme dont l’exemple l’avait tiré d’un grand péril… Ces suggestions du démon triompheraient de la faiblesse humaine, si l’on acceptait de les écouter, si, les yeux et les oreilles fermés, on ne se cachait pas dans la foi de l'Église, comme en un asile très sûr. » Hierarchix ecclesiaslicse asserlio, Cologne, 1551, 1. I, c. v, fol. 26, 27. En somme, par ce récit, historique ou légendaire, on a voulu montrer la conduite à tenir quand notre foi est troublée par un plus habile que nous, homme ou démon : la consigne est de ne pas discuter alors avec lui, ce qui serait un danger pour un homme troublé, obsédé, surtout dans l'épuisement de la maladie. Voir col. 327. Il s’agit donc d’un cas très spécial ; et le refus de discuter et de répondre dans ces conditions n’implique pas le moins du monde la recherche habituelle de l’ignorance, ni la suffisance de la foi implicite, dont ce charbonnier même ne se contentait pas. Et si cette ritournelle bizarre : « Je crois ce que croit l'Église, et l'Église croit ce que je crois » n'était pas un acte de foi, c'était au moins un bon moyen d'échapper au trouble et à la tentation. Aussi Luther aurait-il pu

l’apprécier plus équitablement qu’il ne l’a fait, peutêtre même en profiter, lui qui combattait tant avec le diable. Voir ses paroles, avec d’autres renseignements dans Bainvel, loc. cit., col. 42. Sur la foi du charbonnier, voir Hoffmann, Fides implicita, t. i, p. 212-220 ; t. iii, p. 44-63.

IX. Rapports de la foi et de la science chez le savant qui est un croyant.

Ce problème a été beaucoup agité au xixe siècle, et souvent mal résolu. Pour diminuer la longueur de cet article, nous renvoyons à plus tard la question dans toute son ampleur avec les documents ecclésiastiques qui la concernent, et la critique des divers systèmes. Voir Science. On peut consulter, entre autres études sur la question : Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. ii, p. 234281 ; Didiot, Logique surnaturelle subjective, Paris, 1891, p. 275-318 ; et plus récemment Bainvel, art. Foi, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1911, col. 84-93, avec ses utiles indications bibliographiques. Nous nous bornerons ici à répondre le plus complètement possible à une objection courante et sans cesse renouvelée, qui se rattache d’ailleurs à la méthode d’Hermès et à la résolution de préférence précédemment traitées.

Objection des « idées préconçues ». — Si tout catholique doit croire fermement les dogmes de son Église, dont plusieurs peuvent s’opposer à des philosophies en vogue, à des thèses historiques qui tendent à prévaloir, à de grands courants de la pensée moderne ; s’il doit être prêt à persévérer dans cette foi jusqu'à la mort, et conséquemment à rejeter tout ce qui se trouve contredire les données de la révélation telles que l'Église les propose, il abordera les sciences, la philosophie, l’histoire, etc., avec des idées préconçues, ce qui enlèvera toute valeur à ses recherches et à ses conclusions. Il faut donc, ou bien condamner l’attachement définitif à un credo, les dogmes absolus et immuables, et s’en affranchir comme l’ont fait les protestants libéraux, et à leur exemple les modernistes, ou bien faire perdre toute valeur à la science des catholiques. Cette objection est très fréquente aujourd’hui dans les milieux libéraux, surtout en Allemagne. Voir Bainvel, loc. cit., col. 86. C’est sous l’impression déjà très vive de cette objection que Hermès imaginait sa méthode, et qu’en vue de faire de bonne besogne philosophique et théologique, il faisait table rase de toute idée précédemment acquise. Voir col. 282. C’est sous l’impression de la même objection que certains esprits, bien peu sensibles au besoin d’unité dans une seule et même intelligence, ont recouru au bizarre système de la « cloison étanche » entre leur science et leur loi, du maître Jacques » , qui, tantôt savant sans tenir compte de sa foi, tantôt croyant sans tenir compte de sa science, contredit comme savant ce qu’il affirme comme croyant. Voir la note 22 des théologiens du concile du Vatican, dans la Collectio lacensis, t. vii, col. 536. L’objection des idées préconçues embarrasse encore aujourd’hui (bien a tort !) plus d’un catholique : elle mérite donc qu’on y réponde avec soin.

Réponse. Nous montrerons : 1° que ceux mêmes qui nous font cette objection, et qui s’honorent, eux, de suivre le drapeau de la critique indépendante » en histoire, en exégèse, en philosophie, etc. ont aussi des idées préconçues, dont dépend leur critique, et qu’ils ont donc mauvaise grâce de faire aux catholiques un reproche qui retombe sur eux-mêmes ; 2° que les idées préconçue, si d’ailleurs on suit en général les méthodes scientifiques, ne détruisent pas la valeur d’un travail ; 3° que le travail scientifique exige même à sa base certaines idées préconçues ; 4° que les vérités révélées sont des idées préconçues de la plus hautes valeur, qui, au lieu de nuire au travail scientifique, doivent lui rendre de signalés services.

Ceux qui nous font cette objection ont eux-mêmes des idées préconçues.

Ou ce sont des protestants, ou des modernistes, ou des rationalistes non croyants.

1. Les protestants.

Sont-ils « orthodoxes » , tenant aux dogmes, du moins à quelques-uns, admettant que cette croyance doit être ferme et immuable, et anathématisant avec saint Paul quiconque, viendrait l’ébranler ? Ceux-là ont évidemment des idées préconçues du même genre que celles des catholiques. Sont-ils de l’espèce « libérale » et antidogmatique ? Renan leur disait que, si les catholiques sont l’oiseau en cage, les protestants libéraux sont l’oiseau avec un fil à la patte, plus libre en apparence qu’en réalité. Car ils veulent encore pouvoir se dire chrétiens, ils veulent garder un lien de fidélité qui les rattache au Christ plutôt qu'à tout autre qui viendrait fonder à sa place une religion nouvelle ; alors, avec Auguste Sabatier par exemple, « ils affirment, sans le moindre doute, que le christianisme est la religion idéale et parfaite, la religion définitive de l’humanité. » Esquisse…, p. 177. Nous catholiques, nous n’avons pas de peine à l’affirmer sans le moindre doute, et raisonnablement, nous qui savons par la révélation surnaturelle, bien prouvée d’ailleurs, qu’il n’y aura plus jusqu'à la fin des temps d’autre religion révélée, que le Verbe incarné et rédempteur est le point culminant de l’humanité. Mais eux, qui rejettent la révélation surnaturelle et ses preuves, eux qui ne voient en Jésus qu’un homme plus pieux qu’un autre et d’une conscience plus unie à Dieu, ayant eu d’ailleurs, selon eux, de nombreuses erreurs, comme de croire aux miracles, aux anges et aux démons, à son second avènement ou « parousie » , à l’enfer et à la résurrection des morts, aux conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté, etc., sur quoi peuvent-ils baser leur affirmation péremptoire, que sa religion est la religion « idéale, parfaite et définitive de l’humanité. » Un homme ne peut-il être dépassé par un autre homme, qui, grâce à des qualités d’esprit et de cœur encore plus exceptionnelles, grâce au progrès des idées et de l'éducation (ces libéraux sont pour le progrès en tout) arrive à fonder une religion plus parfaite et plus adaptée aux temps nouveaux ? Leur affirmation, ils la basent, disent-ils, sur leur expérience religieuse : « Ils sentent que leur besoin religieux est entièrement satisfait, que (par le contact avec l’expérience religieuse de Jésus) Dieu est entré avec eux et qu’ils sont entrés avec lui en une relation si intime et si heureuse, qu’au dessus d’elle et au delà, en fait de religion pratique, non seulement ils n’imaginent rien, mais encore ils ne désirent rien. » Loc. cit., p. 176. Fort bien ; mais l’expérience ne porte que sur le présent. Oui donc leur dit, à eux qui ne reconnaissent pas de dogme absolu, que dans l’avenir un autre homme ne viendra pas, et une autre religion, qui satisfera mieux la conscience religieuse de l’humanité ? C’est l’objection de Strauss : « L’idée ne verse pas toute sa richesse dans un seul individu. L’absolu ne tombe pas dans l’histoire. Il est contre toutes les analogies, que la plénitude de la perfection se rencontre au début d’une évolution quelconque ; ceux qui la mettent à l’origine du christianisme sont victimes de la même illusion que les anciens, qui plaçaient l'âge d’or au début de l’histoire humaine. » L’objection est insoluble en dehors du surnaturel. Que répond Sabatier à Strauss ? « Il importe, dit-il, de faire ici une distinction essentielle. Il faut distinguer entre la quantité et la qualité, ou mieux, l’intensité de l'être… C’est le propre de tout ce qui se compte ou se mesure (la quantité), de ne pouvoir être conçu, sans qu’aussitôt l’esprit conçoive quelque chose de plut grand. » Loc. cit., p. 181. Mais pour « la qualité ou l’intensité, » n’est-ce pas la

même chose qui arrive ? Une qualité humaine et finie ne peut-elle pas croître ? Ne peut-on la concevoir plus grande ? Vous ne gagnez donc rien, en vous retranchant dans la « qualité » de l’expérience religieuse de Jésus : vous ne prouvez pas que cette qualité ne puisse être dépassée. Le distinguo de Sabatier n’est donc pas une réponse sérieuse à l’objection de Strauss, qui reste insoluble pour les protestants libéraux. S’ils continuent à ne pas tenir compte de cette objection, s’ils « feignent de ne pas l’entendre, » comme dit Sabatier lui-même, p. 180, c’est qu’alors, démentant leur antidogmatisme, ils partent, eux aussi, d’une idée préconçue et même d’un dogme absolu, pour rejeter tout ce qui contredit ce dogme, et le rejeter même sans aucune solution directe et satisfaisante d’une difficulté pour eux insoluble.

Mais une autre classe d’idées préconçues chez les protestants, soit orthodoxes, soit libéraux, ce sont leurs préjugés contre le catholicisme. Un anglican, le révérend Headlam, cite lui-même comme exemple d’idées préconçues un article de l’Encyclopédie britannique sur l’histoire de l'Église, où il est écrit : « Personne n’attendra d’un catholique romain une histoire de l'Église vraiment scientifique. » Il ajoute avec une louable impartialité : « Si un catholique romain avait écrit : Personne n’attendra d’un protestant une histoire scientifique — il serait traité de fanatique, d’encroûté dans ses préjugés ; et pourtant les deux assertions seraient exactement d'égale valeur. » M. Headlam montre ensuite qu’en histoire ecclésiastique bien des protestants se sont égarés grâce à des idées préconçues : « Combien de protestants ont attaqué l’authenticité des lettres de saint Ignace d’Antioche par préjugé contre l'épiscopat 1 Les résultats définitifs de la critique leur ont donné tort. L’opposition aux revendications papales a fait mettre en doute le fait de la venue de saint Pierre à Rome : doute mal fondé, comme on le reconnaît aujourd’hui. Bunsen était un champion très militant du protestantisme ; pourtant ses opinions sur Hippolyte étaient certainement moins scientifiques que celles de son adversaire catholique. Les conclusions de centaines de critiques qui aimaient à se réclamer de la science ont été prouvées fausses, et souvent absurdes, tandis que Dupin, Tillemont, Hefele et Duchesne sont au premier rang des historiens scientifiques. Il n’est pas nécessaire d’accepter les vues de ces écrivains en tout point… Ce que l’on soutient, c’est qu’ils ont autant de droit qu’aucun auteur d’histoire de l'Église à être appelés des historiens scientifiques… Le seul vrai sens de ce mot est celui d’une méthode scientifique. Ce n’est pas par les conclusions du livre, en les jugeant a priori comme scientifiques ou non, que l’on doit déterminer si l’historien mérite ce titre… Dans Harnack, un semblable préjugé (protestant) exerce souvent son influence, plus ou moins latente… » Conférence faite à l’université de Cambridge et reproduite dans VEnglish historical review, Londres, 1899, p. 27 sq.

2. Les modernistes.

M. Loisy distinguait deux

exégèses. L’une, théologique, pastorale, ecclésiastique, devait recevoir les directions de la foi et de l'Église ; l’autre, scientifique et historique, pour être digne de ce nom, devait éviter toute idée préconçue, et par suite ne devait pas être dirigée par les vérités de la foi ni par l'Église ; c'était celle qu’il pratiquait. Autour d’un petit livre, 1903, p. 49 sq. ; cf. l’avant-propos. Ses travaux sur l'Écriture, disait-il, n'étaient influencés par aucune théorie philosophique. « Le grief que vous faites aux modernistes d’asservir l’histoire et la critique à un système de philosophie préconçue, écrivait-il à Mgr Dadolle, a déjà été allégué contre Renan, et il n'était qu'à demi fondé, si même il l'était à demi. Contre les modernistes, il pourrait

bien être radicalement faux… Les opinions philosophiques que j’ai émises dans mes petits livres n’ont pas influencé ma critique. » Quelques lettres, 1908, p. 198-200. Et toutefois, quinze jours auparavant, il avait écrit à un curé : « Ce n’est pas l’origine de tel dogme particulier qui est en cause maintenant (dans le mouvement moderniste), c’est la philosophie générale de la connaissance religieuse. » Op. cit., p. 157. Voilà un aveu à retenir ; et il est difficile de supposer que cette philosophie, en cause dans le modernisme, n’ait pas influencé la critique de M. Loisy, surtout dans ses derniers ouvrages d’exégèse, ni qu’il ait pu établir une cloison étanche entre ses opinions philosophiques et sa besogne d’historien et de critique des textes : ce serait un miracle aussi grand que ceux qu’il rejette.

3. Les rationalistes incroyants.

Le révérend Headlam, cité plus haut, observe que Renan part d’une idée préconçue, quand il part de ce principe, affirmé sans aucune preuve du reste, que l’essence même de la critique est la négation du surnaturel. Renan n’a donc pas le droit d’ajouter que le seul légitime usage du mot « rationaliste » , c’est de désigner celui qui étudie la littérature juive ou chrétienne sans aucun préjugé. Il croit en être là, et ce n’est pas exact. Loc. cil. Le comble du préjugé, c’est bien de faire ce qu’il fait : non seulement de partir, dans sa critique, d’un prétendu principe tout à fait arbitraire, mais encore de vouloir l’imposer comme la condition même de toute critique et de toute science. « La condition même de la science, dit Renan, est de croire que tout est explicable naturellement… Tout calcul est une impertinence, s’il y a une force changeante qui peut modifier à son gré les lois de l’univers… Les sciences historiques ne diffèrent en rien, par la méthode, des sciences physiques et mathématiques : elles supposent qu’aucun agent surnaturel ne vient troubler la marche de l’humanité ; que cette marche est la résultante immédiate de la liberté qui est dans l’homme et de la fatalité qui est dans la nature ; qu’il n’y a pas d'être libre supérieur à l’homme, auquel on puisse attribuer une part appréciable dans la conduite morale non plus que dans la conduite matérielle de l’univers. De là cette règle inflexible, base de toute critique, qu’un événement donné pour miraculeux est nécessairement légendaire. » Questions contemporaines, 2e édit., Paris, 1868, La chaire d’hébreu, p. 223, 224. On trouvera chez les incroyants d’autres exemples d’idées préconçues. L’un partira d’un système philosophique très contestable ; l’autre n’aura que de l’enthousiasme pour une époque de l’histoire (la Réforme, la Révolution, etc.), que de l’horreur pour une institution (l'Église, la société du moyen âge, etc.) ; ces sentiments outrés dicteront beaucoup des jugements de sa critique. Croit-on que le rationalisme suffise à enlever toute passion ? Si l’amour du Christ et de l'Église a pu occasionner quelques exagérations sur le terrain de la critique et de l’histoire, ne voit-on pas combien plus en a causé la haine de l'Église et du Christ ? Nous avons trop d’exemples quotidiens de cette haine fanatique et des esprits qu’elle a déformés, pour concéder que l’incroyance soit exempte de préjugés et qu’elle mette mieux que la foi sur le chemin du vrai. Nous voyons trop de campagnes entreprises ostensiblement au nom de la vérité pure et du progrès des sciences, mais en réalité dans un but sectaire, pour craindre la fameuse objection contre le catholique, toujours apologiste et ne cherchant pas la vérité pour elle-même. « Les savants catholiques, disait Mgr d’Hulst, en viennent à des timidités étranges que ne connaissent pas les incroyants. Est-ce qu’ils ont peur, ceux-là, de former des ligues dont la science fournit l’objet et dont l’impiété fournit l’inspiration ? Est-ce

que… ils hésitent à former des sociétés spéciales, à réunir des congrès, à fonder des revues où l’on traite

SCientiflauement toute sorte de sniets avec une cnm d’un texte. Il ne faut pas plusieurs protestants, que

SOCIÉTÉ

D’HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE

DE LA FRANCE

La Revue d’histoire de l’Eglise de France a déjà quatre ans d’existence. L’intérêt croissant qui s’y attache, le désir souvent exprimé par nos abonnés d'établir entre eux des liens plus étroits, enfin le souci d’assurer son lendemain nous l’ont un devoir de donner à cette entreprise une base plus étendue et plus solide par la constitution d’une Société d’histoire ecclesiasti'/ue de la France.

Cette Société se propose de rapprocher les personnes qui s’intéressent à l’histoire religieuse de la France, de leur procurer les moyens de se réunir, d'échanger leurs idées, de se renseigner sur l’objet propre de leurs études, et de promouvoir des travaux sérieux et impartiaux.

Ce projet est plus qu’une promesse. Un Comité composé d’historiens éminents s’est constitué pour aidera la formation de cette Société. Au nom lire des premiers adhérents, appelés à former sont 'onseil d administration, sont : Mgr Baudrillart, recteur de l’Institut catholique de Paris ; — M. Bot dinhon, directeur du « Canoniste contemporain » ; — M. le comte Boulay m I, Meurthe ; — Mgr Bouquet, évêque de Chartres ; — Mgr de Carsalade I)i Pont, évêque de Perpignan ; — M. Châtelain, de l’Académie des Inscriptions ; - M. Ulysse Cm valier, de l’Académie des Inscriptions ; — Mgr h' un -m. de l’Académie française et de l’Académie deInscriptions ; — M. Fagniez, de l’Académie deSciences morale- ; — M. le comte de Franqi bville, de l’Académie deSciences morale- ; — M. Goyau, agrégé de M Iniversité : M. Imbart de I.a Toi r, de l’Académie deSciences morales ; — M. Joly, de l’Académie deSciences morales ; M. Jordan, professeur d’histoire du Moyen âge à la Faculté deLettres de Paris ; — M. Lacour-Gayet, de I académie des Sciences morales ; - M. m I.a Gorce, de

d’ailleurs s’imaginer, avec les scolastiques se soient , .v, n„, , „ ^ PS dogmes par la eût imposé de .auvaise besogne léclaré, tous ou euvent être déie ; et le concile î point de notre tendent pas déar l'Écriture, et

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n’est pas là, après tout, la loi même de l’esprit humain ? L’homme peut-il dépouiller sa conception générale des choses, chaque fois qu’il s’occupe d’un objet particulier’.' Ce serait dire que les pyrrhoniens sont seuls à pouvoir faire de la science. Étrange prévention ! Mais non, Messieurs, il n’est pas vrai que toute opinion faite, toute croyance établie infirme d’avance, chez celui qui la possède, l’autorité du savoir. Pour que cette autorité demeure intacte, il suffît que, dans sa façon de traiter chaque question, le savant demeure rigoureusement fidèle à la méthode scientifique… Autrement, pour avoir un bon renom scientifique, il faudrait ne rien penser, n’avoir rien pensé sur l’ensemble des choses, ou du moins, si l’on a fait quelque réflexion générale, avoir eu cette bonne fortune de n’arriver à aucune conclusion. Le brevet d’homme de science serait alors le privilège des cerveaux vides ou des cerveaux faibles ! » Loc. cit.

4° Les vérités révélées sont des idées préconçues de lu plus haute valeur, qui, au lieu de nuire au travail scientifique, doivent lui rendre de signalés services. — Si les vérités de sens commun rendent grand service au philosophe, s’il doit les prendre comme règle, j’allais dire comme garde-fou, on peut en dire autant des vérités révélées, une fois que le fait de leur révélation a été solidement démontré. Recevant alors le jugement de Dieu mêmesur telle question mixte qui relève en même temps de la révélation et de la science humaine, le croyant ne peut rien avoir déplus sûr ; il est donc juste et raisonnable qu’il tienne compte de cette infaillible direction qui à un moment donné l’empêche de tomber dans une fondrière. « N’est-ce pas un précieux service rendu à la science ou à la philosophie, dit M. Bainvel, de l’avertir que de ce côté il n’y a rien à gagner pour la vérité ? En des circonstances analogues, on accepte avec reconnaissance les lumières d’une science supérieure, qui empêche de faire fausse route dans le domaine où l’on s’est cantonné. » Loc. cit., col. 87. Un naturaliste s’est renfermé dans l’étude d’un animal ou d’une plante : ce spécialiste pourrait arriver à quelque fausse conclusion, s’il ne prenait contact avec les maîtres de la biologie, qui voient de plus haut les phénomènes de la vie, si sur un point il ne tenait pas compte de leur avis contraire. Voir ce que nous avons dit pour montrer combien raisonnable est la résolution de préférer, en cas de conflit, les données de la foi, bien constatées, à ce qui nous paraît la science, col. 329 sq. Ajoutons quelques observations. 1. La révélation ne vient pas ici remplacer les méthodes scientifiques, ni leur enlever leur raison d’être ; elle ne joue pas le rôle positif d’enseigner les différentes sciences, de fixer leurs méthodes, etc., mais seulement le rôle négatif de faire rejeter comme erreurs, parce qu’opposées au témoignage divin, plusieurs propositions particulières que le savant, le philosophe, pourrait être tenté de prendre ou comme des vérités scientifiques, ou du moins comme des hypothèses d’avenir, en voie de se vérifier un jour. Le concile du Vatican n’attribue pas à la révélation, en face des sciences, un rôle directeur plus grand que ce rôle négatif. « La foi, dit-il, délivre et protège la raison de bien des erreurs… L’Église, assurément, n’interdit pas aux sciences de se servir de leurs propres principes et de leur propre méthode, chacune dans son domaine ; mais, tout en reconnaissant cette juste liberté, elle n’entend pas que, par opposition à la révélation divine, elles se jettent dans l’erreur, ou qu’en sortant de leurs frontières elles envahissent et bouleversent le domaine de la foi. » Sess. III, c. iv, Denzinger, n. 1799. L’Église, gardienne de la révélation, ne s’occupe des systèmes philosophiques et autres qu’au point de vue du conflit qui peut en résulter avec la doctrine révélée. « Ce n’est qu’en partant des principes révélés,

disent les théologiens du concile dans leurs notes au premier schéma, que l’Église juge de l’enseignement des sciences humaines, et en tant que les assertions lancées au nom de la science s’opposent ou ne s’opposent pas à la doctrine de la foi et des mœurs… Dans l’étude de presque toutes les sciences, on peut arriver, par la faiblesse ou l’abus de la raison, à des jugements contraires à la vérité révélée. Étant supposées l’infaillibilité de l’Église et l’absolue certitude de la foi catholique, tout jugement contraire est d’avance regardé comme faux, et donc comme n’étant pas dérivé des lois de la vraie science, mais de faux principes ou de raisonnements défectueux, bien que peut-être l’origine et le mode de cette erreur n’aient pas encore été constatés scientifiquement. » Colleclio lacensis, t. vii, col. 535, 536. Ils ajoutent que c’est là tout ce qu’on demande, quand on dit avec Pie IX que « les savants catholiques doivent avoir devant les yeux la révélation divine comme une étoile directrice, dont la lumière servira à les avertir des écueils à éviter. » Lettre à l’archevêque de Munich, du 21 décembre 1863, Denzinger, n. 1681. Cf. Didiot, loc. cit., p. 288-296.

2. Si le savant catholique acceptait sans preuve le fait de la révélation chrétienne, comme beaucoup de protestants modernes qui disent eux-mêmes renoncer à le prouver, ou s’il se le prouvait par une expérience religieuse vague et insuffisante, alors il serait déraisonnable de prendre une révélation si problématique comme « étoile directrice » dans les travaux scientifiques. Mais on suppose toujours que le savant catholique dont on parle s’est prouvé solidement le fait de la révélation et celui de l’Église, et qu’il ne cède en rien au fidéisme rejeté par l’Église elle-même. Voir col. 175 sq. Ainsi la raison du savant reconnaît et approuve le rôle supérieur que possède la révélation, de lui signaler parfois l’erreur à éviter. Ainsi il y a parfaite unité dans sa pensée, et il n’est pas obligé de se dédoubler contre nature en deux hommes étrangers l’un à l’autre, le penseur et le croyant. « Nous sommes les seuls, dit M. Bainvel, … pour qui la critique garde tous ses droits en matière religieuse. Je ne crois que là où je vois que je dois croire. » Dictionnaire apologétique, art. Foi, col. 86. Et plus loin : « Quand une donnée est de foi, nous n’avons plus à la mettre en question. Mais c’est que pour nous elle est acquise, » col. 90. La raison même approuve que l’on ne remette pas en question les vérités légitimement acquises : autrement le tissu de notre pensée ne serait qu’une toile de Pénélope.

3. Pour mieux répondre à l’objection des idées préconçues, quelques-uns ont avancé que le savant catholique n’a point, pendant ses recherches, à s’occuper de sa foi, mais qu’il lui suffit alors de bien appliquer les méthodes propres de la science ; qu’après ses recherches, et lorsqu’il croit avoir abouti à une solution, il doit, avant de la proposer, examiner si elle n’est pas contredite par quelque vérité certaine démontrée dans les sciences limitrophes, y compris les sciences sacrées, ce qui est parfaitement raisonnable. Voir Revue pratique d’apologétique, t. v, 15 décembre 1907, p. 411. Que les choses puissent parfois se passer dans cet ordre, quand un savant ignore de bonne foi, pendant son travail, certaines vérités révélées, certaines décisions de l’Église, nous ne le nions pas ; et pourvu qu’avant de proposer la solution au public, il la soumette, au point de vue de l’orthodoxie, à de plus compétents que lui, l’essentiel paraît sauvé. L’Église a prévu ce cas en instituant la revision des livres qui touchent aux matières religieuses et en exigeant l’unprimatur. Encore est-il que ce savant, qui n’a sur la révélation que les connaissances ordinaires des fidèles, doit profiter, pendant son travail, des données de la foi qu’il connaît ; et qu’il n’y a pas à lui recommander

de les laisser au vestibule. Que le concile du Vatican ait tracé aux savants catholiques cette méthode qui réserverait pour la fin de leur travail le contrôle de la foi, on ne peut en apporter aucune preuve. Quant à Pie IX, en disant que « les savants catholiques doivent avoir devant les yeux la révélation divine comme une étoile directrice, » il montre par cette comparaison qu’il ne faut pas faire abstraction de la foi au cours des recherches et du voyage scientifique : l'étoile direcIrice sert aux navigateurs pendant la traversée, et non quand elle est finie. L’idéal serait donc, pour un savant catholique, d’avoir déjà les données de la foi, cl même les données de la science sacrée (j’entends celles qui sont bien certaines) avant d’aborder son travail. Ne vaut-il pas mieux prévenir les erreurs que de les corriger après coup ? Ne vaut-il pas mieux s'éviter à soi-même de longues et inutiles recherches de certains côtés, ou de malheureuses solutions péniblement échafaudées, que l’on devra abandonner ensuite'.' N’y aurait-il pas à craindre, comme dit M. Lebreton, « que le contrôle que (le savant) se. réserverait de faire à la fin de ses travaux ne devînt alors parfois plus difficile et plus douloureux que s’il l’avait fait au fur et à mesure du développement de sa pensée ? » Krruc pratique d’apologétique, t. v, p. 500, 501 sq. i.f. I. vi, p. 629. Enfin cette réponse nouvelle à la vieille objection des idées préconçues présente, comme réponse, un double inconvénient signalé par M. BainveL « Elle déplace la difficulté » — ce qui n’est pas la résoudre ; même, en faisant le plus tardivement possible Intervenir la foi, elle lui suppose encore sur les résultais du travail scientifique un droit de contrôle qui est précisément ce que nient nos adversaires, et ce qu’il s’agit d’expliquer et de concilier avec la juste liberté de la science, pe plus « elle laisse subsister cette idée fausse, qu’il faut faire abstraction de sa foi pour produire de bonne besogne scientifique. » Loc. cit., col. 89. ("est donc une demi-mesure qui ne satisfera personne.

X. La foi, vertu surnaturelle et théologale ; son objet matériel et son objet d’attribution ; sa certitude particulière.

Nous connaissons les vertus par leurs actes ; elles existent pour leurs actes ; voilà pourquoi c’est l’acte de foi surtout qui a jusqu'à présent attiré notre attention, et qui même ici va beaucoup la retenir encore. Pour comprendre la foi comme vertu surnaturelle, il faut d’abord la comprendre comme acte surnaturel. Nous expliquerons donc les points suivants :
1° l’acte de foi en tant que surnaturel ;
2° la vertu infuse de foi ; son infaillibilité ;
3° la foi comme vertu théologale ; son objet matériel et son objet d’attribution ;
4° la certitude particulière de la foi.

I. L’ACTE DE FOI EN TANT QUE SURNATUREL.

On saint que les théologiens entendent par surnaturel dans le sens le plus général du mot ce <iui dépasse les forces et les exigences de la nature. L’acte de fol sera surnaturel, si d’une pari ce n’est pas un simple développement de mes forces innées et de mon activité naturelle, mais un don de Dieu, sans exclure toutefois ma coopération, et si d’autre part ce don de Dieu n’est a aucun titre exigé par ma nature. D’un don aussi transcendant, la raison ne peut prouver l’impossibilité Voir Surnaturel. L’Eglise en affirme la possibllité "si quelqu’un dil que l’homme ne peut p ; is être i l’action de Dieu, à une connaissance et à une perfection qui dépasse celle qui lui est naturelle, mais qu’il peut et doil parvenir de lui même, par un continuel progrès, à la possession de toute vérité ei de tout bien, qu’il soit anathenie. » Concile du Y.ili III, can. :  !. hi reoelatlone, Denzinger, n. 1808. Voilà pour l.i possibilité d’un don surnaturel nous donnant la é/ilé. Quant à Y existence d’un tel don

dans l’ordre de choses actuel, et spécialement dans l’acte de foi qui est l’objet de cet article, nous en connaissons déjà quelque élément.

Surnaturalité objective de la foi.

Le motif de la foi est o l’autorité de Dieu qui révèle. » Voir col. 107119. Or cette < révélation » est un moyen surnaturel de connaître, une « voie surnaturelle > par laquelle nous arrive la vérité, d’après le même concile :

Ecclesia tenet et docel, Deum… naturali humanae rationis luminee rébus creatis, certo cognosci posse… attameit placuisse ejus sapientise et bonitati alia, eaque super naturali, via se ipsum… revelare. dicente apostolo : Olim I>eus loquens patribus in prophetis. novissime diebus istis locutus est nobis in Filio. Sess fil, c. îi, Denzinger, n. 1785.

L'Église tient et enseigne « pie la lumière naturelle de la raison humaine peut connaître Dieu avec certitude au moyen des choses créées ; que cependant il a plu à ht sagesse et à la bonté de Dieu de se révéler lui-même par une voir différente cl surnaturelle, celle qu’indique l’apôtre en disant l>ieu, qui a parlé à nos pères par les prophètes, nous a parlé en ces derniers temps par son Fils.

lit, en elîcl, cette voie de la révélation implique dans les envoyés divins. Christ ou prophètes, une communication divine de vérité qui dépasse le jeu naturel de la raison et ses exigences : et déjà de ce chef elle est surnaturelle. Elle implique aussi, pour que le témoignage de Dieu même nous soit reconnaissable sur les lèvres de son envoyé, des signes miraculeux qui n’ont ce pouvoir de nous certifier la révélation que parce qu’ils dépassent les forces de la nature, comme ils en dépassent les exigences. Voir col. 140-142. Cette « voie surnaturelle » de la révélation, avec ses signes miraculeux, n’est pourtant qu’une espèce inférieure de surnaturel. Voir col. 269-271, 278. Par cette voie surnaturelle de la révélation nous sont arrivées des vérités religieuses accessibles à la raison, comme dit ensuite le concile. Denzinger, n. 1786. Mais par la même voie nous sont arrivées aussi des vérités qui dépassent la raison, par exemple, que » Dieu a destiné l’homme à une fin surnaturelle. » Loc. cit.

Præter ea, ad qua ; naturalis ratio pertingere potest, credenda nobis proponuntur mysteria in Deo abscondita, quse, nisi revelata divinitus, innotescere non possunt… Divina enim mysteria suapte natura intellectum creatum sic excedunt, Ut, eliani revelatione tradita et flde suscepta, ipsius tamen fidei vclaniine conterta et quadani quasi caliginc obvoluta mancanl. quamdl i in hac morlali ii : i peregrlnamur a Domino Ibid., c. iv. Denzinger, n. 1795, 1796.

Outre les vérités auxquelles la raison naturelle peut atteindre, on nous propose à croire des mystères cachés en Dieu, qui ne peuvent être connus que par révélation divine… Les mystères divins, par leur nature même, dépassent tellement lHntellect créé que, même après qu’ils ont été communiqués par la révélation et reçus par la foi, ils demeurent pourtant enveloppés <l’une sorie de ténèbres, tanl

que nous voyageons loin du Seigneur dans cette vie mortelle

i 1 1 s i, à la BUrnaturalité générale que possède la révélation comme voie et moyen de connaître, vient ici s’en ajoute) une autre. Les mystères, cette partie Importante du contenu de la révélation, dépassent la

perspicacité naturelle de la raison même après qu’ils

oui (' ! (' révélés, et déliassent d’autant plus ses exigences que Dieu est moins lenu de révéler de pareils

secrets. Par la ils ont une surnaturalité particulière,

qui ne vient pas de la VOtt par laquelle ils arrivent a nous, mais de la nature même de ces vérités, sutiple nul ura. La révélation des mystères est donc surnatun II.

i i.i deuxième puissance, si l’on peut dire.

Surnaturalité subjective de la foi.

De ce qui précède résulte pour l’acte de foi une certaine luruatu*

ralité objective, qui affecte son objet. Mais ce n’est pas celle qu’entendent les théologiens, au mgins directement, quand ils disent que « l’acte de foi est surnaturel. » Ils entendent ce qu’entendait saint Augustin et avec lui les catholiques de son temps, quand ils disaient à rencontre des pélagiens que l’acte de foi est un produit de la grâce, est fait à l’aide de la grâce. La « grâce » qu’ils défendaient contre les pélagiens, ce n’était pas la révélation, qu’admettaient ces « ennemis de la grâce : » c’était une opération de Dieu dans le sujet, une grâce intérieure qui prévient et aide nos facultés, même quand nous ne la remarquons pas comme telle ; non point, par conséquent, quelque chose d’objectif, mais un principe d’action qui se tient du côté du sujet. C’est cette surnaturalité du côté subjectif de l’acte, que nous avons à établir maintenant. Mais ce qui vient ici compliquer la question, c’est que, sous le nom d’« acte de foi » , souvent on n’entend pas strictement l’assentiment donné à une vérité révélée. Dans un sens plus large, on associe à l’assentiment intellectuel l’acte de volonté qui le précède et le commande. Ces deux actes ne tendent-ils pas au même but, qui est de mettre cet assentiment dans l’intelligence ? L’unité du but leur donne entre eux une véritable unité morale, qui permet de les ranger ensemble sous le même nom d’« acte de foi » . Bien plus, les jugements de crédibilité qui précèdent et préparent cet ensemble, tendant, eux aussi, au même but, peuvent être compris dans 1’« acte de foi » , en prenant ce mot dans un sens encore plus large et avec moins de propriété. Non pas que tous ces actes se confondent réellement et physiquement avec l’assentiment de foi, et n’aient pas de précédence réelle. Voir col. 263-266. Mais plusieurs actes réellement distincts et successifs peuvent avoir entre eux une certaine unité morale qui permette d’étendre à tout cet ensemble le nom qui, au sens propre, n’appartient qu’à l’acte principal, vers lequel tous les autres convergent comme vers leur but ; or, dans la foi, les divers jugements de crédibilité, puis la volonté de croire, tout en un mot converge vers l’assentiment final de l’intelligence aux vérités révélées, qui est au sens le plus strict l’acte de foi. De là plusieurs questions à démêler : 1. L’« acte de foi » pris vaguement, c’est-à-dire sans déterminer si l’on parle au sens strict ou plus large, ni quel élément spécial on vise, est-il surnaturel ? 2. L’acte de volonté qui commande la foi est-il surnaturel ? 3. L’assentiment de foi est-il surnaturel ? 4. Que penser des jugements préalables de crédibilité ?

1. L’« acte de foi » , pris vaguement, est-il surnaturel ?

— Oui, et cela résulte de tous les textes qui demandent « la grâce » comme facteur essentiel de l’acte de foi, sans préciser davantage. On a coutume de les donner à propos de la grâce, soit en parlant des actes salutaires dont la foi est le premier, soit en disputant avec les semipélagiens sur Yinitium fidei. Voir Grâce. Plusieurs des textes d’Écriture, de Pères ou de conciles, que l’on y cite ordinairement, font mention spéciale de l’acte de foi ; et de plus, on prouve qu’il est un acte salutaire, c’est-à-dire conduisant positivement au salut, lorsqu’on traite des dispositions positives à la justification, dont la première est la foi. Voir Justification. Nous nous bornerons ici aux deux documents suivants.

Si quis dixerit, sine prae veniente Spiritus Sancti

inspiratione atque ejus ad jutorio, hominem credere,

sperare, diligere aut pœni tere posse sicut oportet ut

ci justiiicationis gratia con feratur, anathema sit. Con cile de Trente, sess. VI,

can. 3, Denzinger, n. 813.

Si quelqu’un dit que, sans

l’inspiration prévenante du

Saint-Esprit et sans son

aide, l’homme peut faire les

actes de foi, d’espérance,

d’amour ou de contrition

de la manière qu’il faut pour

que la grâce de la justifica tion lui soit conférée, qu’il

soit analhème.

C’est au Saint-Esprit que sont attribués tous 1rs charismes et toutes les œuvres surnaturelles. Voir, par exemple, I Cor., xii, 1-13. En conséquence, les mots inspiratio Spiritus Sancli, adjulorium Spiritus Sancti sont les termes consacrés par les Pères pour signifier l’opération divine, intérieure à notre âme, et surnaturelle, que supposent les actes salutaires, la grâce qui nous prévient et nous aide à les faire. Voir le II e concile d’Orange, can. 5, 6, 7, Denzinger, n. 178-180, et sa conclusion, n. 200. Cf. l’explication détaillée que donne le concile de Trente, ibid., c. v, Denzinger, n. 797. Cette « inspiration » ou « illumination » du Saint-Esprit, nécessaire à tout acte de foi salutaire, ne doit pas être confondue avec une « révélation » personnelle qui nous serait faite, confusion que nous avons réfutée dans Tyrrel. Voir col. 129.

Fides ipsa in se, etiamsi

per caritatem non operetur,

donum Dei est ; et actus

ejus est opus ad salutem

pertinens, quo homo li beram prsestat ipsi Deo obe dientiam, gratise ejus, cui

resistere posset, consen tiendo et cooperando. Con cile du Vatican, sess. III,

c. iii, Denzinger, n. 1791.

La foi, en elle-même, est

un don de Dieu, alors même

qu’elle n’opère point par la

charité (ou, qu’elle n’est pas

actionnée, perfectionnée par

la charité, Gal., v, 6) ; et

son acte est une œuvre ten dant au salut, par laquelle

l’homme se soumet libre ment à Dieu, en consentant

et en coopérant à sa grâce,

à laquelle il pourrait résis ter.

Le concile vise une erreur d’Hermès, lequel n’attribuait aucunement à l’action de la grâce la « foi de connaissance » , comme il appelait la foi prise en elle-même en dehors de la charité, mais seulement la « foi du cœur » , comme il appelait la foi perfectionnée par la charité : ce qui revenait à ne demander l’intervention de la grâce qu’à raison de la charité jointe à la foi. A rencontre de cette erreur, le concile reconnaît déjà comme donum Dei (c’est-à-dire comme œuvre de la grâce, dans le style de saint Augustin d’après Eph., n, 8) la foi en elle-même, fût-elle d’ailleurs séparée de la Charité, ce que les théologiens appellent la foi « morte » , Jac, ii, 17 ; à la condition toutefois que ce qu’on appelle « foi morte » ait du reste tous les éléments essentiels pour être acte de foi disposant à la justification, ou vertu de foi ; c’est pour qu’il n’y ait pas d’erreur sur cette condition nécessaire que le concile préfère à l’expression de « foi morte » , un peu vague et susceptible d’un sens plus large, l’expression plus déterminée et plus complète : fides ipsa in se. La foi, en effet, est déjà foi dans toute la force du terme, avant que la charité la perfectionne en s’y ajoutant ; quelle que soit d’ailleurs l’immense supériorité du groupe foi-charité sur la foi toute seule. En dehors de toute addition de la charité, la foi a donc son essence propre, fides ipsa in se ; et son acte est un acte salutaire, ad salutem pertinens, ainsi que l’avait affirmé le concile de Trente en disant : « La foi est le commencement du salut de l’homme, le fondement et la racine de toute justification. » Sess. VI, c. viii, Denzinger, n. 801. Comme acte salutaire, la foi, bien que n’étant encore qu’un « commencement » de l’œuvre entière de la justification ou du salut, doit avoir pour facteur un secours intérieur de la grâce. Hermès avait tort de refuser à cet acte la qualité de « salutaire » ; c’est de là qu’il concluait que la grâce n’était pas nécessaire à sa production. Et il lui refusait la qualité de « salutaire » parce qu’il se représentait cet acte comme n’étant pas libre, ce qui est une fausse conception de l’acte de foi, comme nous le verrons plus bas ; c’est pourquoi les Pères du concile du Vatican, poursuivant l’erreur d’Hermès jusque dans son origine première, affirment ici la liberté de l’acte en même temps que sa production par la grâce ; et, pour bien expliquer cette

liberté, ils disent que l’homme « pourrait résister > à cette grâce, avec laquelle de fait il « coopère » .

Que ce passage du concile vise Hermès, nous le savons : a) par le discours du rapporteur du nouveau schéma, Simor, primat de Hongrie, Colleclio lacensis, t. vii, col. 87 ; b) par le discours du rapporteur des amendements proposés, l'évêque de Paderborn, toccil., col. 16f> : c) par la note 17e que les théologiens romains avaient ajoutée au schéma primitif et où ils expliquent en détail, avec textes à l’appui, cette erreur d’Hermès et de ses disciples, loc. cit., col. 529, 530. Cf. Vacant, Éludes théologiques sur le concile du Vatican, t. ii, p. 07-73. L'Église a donc défini que la grâce est nécessaire à l’acte de foi, en tant que distinct de la charité ; mais la définition garde une certaine généralité ; le concile ne précise pas, avec la clarté absolue d’une définition, par lequel de ses éléments cet acte est surnaturel, quoiqu’il indique plutôt la volonté libre et son consentement à la grâce.

2. L’acte de volonté, qui commande la foi, est-il surnaturel ? — Il nous faut maintenant prendre en détail les éléments surnaturels qui figurent dans l’acte de foi largement compris. Nous commençons par la volonté de croire, le pius credulilalis affeclus, comme disent les Pères, parce que sa surnaturalité est plus manifeste, et fait l’objet d’une célèbre définition du concile d’Orange, dont les canons, comme on sait, ont une valeur œcuménique :

Si quis… initium fidei ipstmique credulitatis affectum, quo in eum credimus qui justificat inipium… non per gratis donum, id est, per inspirationem Spiritus Sancti corrigentem vnUintatem nostram…, sed naturaliter nobis inesse dii it apostolicia dogmatibus adversarius approbatur… 5 I Hnzinger, n. 178.

Si quelqu’un dit que le commencement de la foi et le désir même de croire, en vertu duquel nous croyons en celui qui justifie l’impie, ne vient pas d’un don de la grâce, d’une inspiration du Saint-Esprit corrigeant notre volonté, mais que c’est en nous l'œuvre de la nature, en disant cela il se montre en opposition avec les dogmes apostoliques.

Quant au concile du Vatican, nous venons de le voir, pour prouver contre Hermès que l’acte de foi en général est un produit de la grâce, il affirme tout d’abord que c’est un acte salutaire. Ceci renferme implicitement la surnaturalité de l’acte de volonté dans la foi. Qu’est-ce, en effet, qu’un acte salutaire ? C’est essentiellement un acte libre, qui conduit soit à la justification (salut commencé ici-bas) sous forme de disposition morale qui la prépare, soit à la vie éternelle (salut consommé au ciel) sous forme d’acte méritoire de la céleste récompense. Or un acte libre ne peut proprement résider que dans la volonté ; c’est en nous la seuli faculté libre, la seule capable de mériter. On peut, il est vrai, appeler libre et méritoire le mouvement de la main qui donne l’aumône, mais par une sorte d’analogie et de participation, et à la condition de ne pas liséparer, même par la pensée, de l’acte de volonté libre qui commande ce mouvement, et qui seul est foncièrement libre et méritoire ; de même on peut donner la dénomination de libre et de méritoire à l’acte Intellectuel de foi, mais seulement en tant qu’il

ir la volonté libre de croire, qu’il fait moralement un seul tout avec elle, et participe ainsi comme il peut à cette liberté dont il n’a pas la source m lui-même. Concluons que, dans ce groupe de deux auquel on étend le nom de « foi » , c’est l’acte volontaire qui est proprement « l’acte salutaire ; s’il reçoll di l’acte intellectuel la dénomination de i foi, il lui prêti i son tour celle de libre et de méritoire ; c’ast donc lui qui a besoin de la grâce nécessaire aux

. et qui à ce titre doit être surnaturel. OU < » > i

3. L’assentiment de foi est-il surnaturel'.' — Considérons maintenant l’acte intellectuel en lui-même, et en faisant abstraction de la volonté qui le commande. Ainsi considéré, il ne peut être libre ni salutaire, comme nous l’avons dit ; mais il peut être surnaturel. Car la qualité d’acte libre et salutaire n’est pas, comme se l’imaginent quelques-uns (ainsi déjà Hermès), le seul titre à la surnaturalité. Il y a des actes qui ne sont ni libres, ni salutaires, et qui toutefois sont surnaturels : par exemple, une illumination prophétique ; ou mieux encore, dans le ciel, la vision intuitive et l’amour béatifique, qui ne sont pas des actes libres, qui ne sont pas des actes salutaires, c’està-dire conduisant au salut, mais le salut même auquel nous tendons. Il n’y a donc pas d’impossibilité en ce que l’acte intellectuel de foi soit surnaturel en luimême, et non pas seulement commandé par un acte surnaturel de volonté. L’est-il ? L'Église ne l’a pas défini. Saint Augustin et les autres défenseurs de la grâce ne se sont pas occupés de ce côté de la question. La controverse, en effet, portait directement sur le « libre arbitre » , dont les pélagiens se constituaient les défenseurs exagérés ; craignant pour le libre arbitre, ils attaquaient surtout une grâce intérieure de la volonté : et par suite, c’est surtout une grâce intérieure de la volonté, un acte surnaturel de volonté, que défendaient contre eux saint Augustin et les Pères et les conciles d’alors. Aussi ces Pères, quand ils viennent à préciser, considèrent distinctement dans la foi la volonté de croire et la grâce qu’il faut à cette volonté. Voir notre citation du concile d’Orange. Pareillement le concile di Vatican est amené par l’erreur d’Hermès à indiquer plutôt la grâce de la volonté.

Cependant on peut donner des preuves très solides pour la thèse que saint Thomas exprime ainsi : F ides quantum ad assensum, qui est principalis aclus fidei, est a Deo interius movente per gratiam. Sum. t licol., II" II', q. vi, a. 1. Il appelle l’assentiment le « principal acte de foi » pour indiquer que l’acte préalable de volonté peut aussi être considéré comme une partie dans l’ensemble, mais secondaire, étant donné le sens propre du mot « foi » . D’autres endroits de saint Thomas qui renferment cette même doctrine, c’est quand il met la vertu surnaturelle de foi dans l’intelligence, ou du moins principalement dans l’intelligence, loc. cit., q. iv, a. 2 ; quand il appelle cette vertu une lumière, lumen fidei. Voir col. 240. Les théologiens admettent communément cette thèse, bien que plusieurs la supposent plutôt qu’ils ne la prouvent. Nous la prouverons par le concile du Vatican, l'Écriture et des considérations théologiques.

a) l.e concile du Vatican, sans définir ce point, nous permet de le conclure de ses paroles. Il dit que la foi est une < vertu surnaturelle, dont il assigne l’acte propre. Voir col. 115. Or cet acte qu’il assigne est l’acte intellectuel de foi, puisqu’il a pour objet le vrai : virtutem supernaturalrm qua, Dei aspirante et adjuvante gratia, ab eo revelala vera essr credimus. L’acte intellectuel de foi, l’assentiment aux vérités révélées, a donc pour facteur une grâce, une vertu surnaturelle : il est donc surnaturel.

b) La sainte Écriture nous représente l’homme comme entièrement régénéré par la rédemption du Christ, recevant une nouvelle vie spirituelle qui

s'étend a foutes ses facultés spirituelles, à l’intelligence comme à la volonté. Si le péché, détruisant l'œu vre première du créateur, a mis l’ignorance et l’erreur dans l’intelligence, comme la faiblesse et l’impuissance

dans la volonté, la grâce a partout surabondé. Voir.

par exemple, Rom., v, 17, 20 ; vi, i. Nous avons reçu en nous l’Kspiit s.iint poui connaître les chosi.

que Dieu nous : i données par la grflce, i I Cor., ii, 12 ; l’homme animal i, qui n’a que la vie naturelle, ne non

FOI

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peut connaître » ces choses ; il n’en est pas ainsi de « l’homme spirituel » : il a « le sens du Christ. » Ibid., 14-16. Ainsi l’apôtre arrive à montrer explicitement dans l’intelligence du chrétien comme une faculté nouvelle, voOv Xptoroû. Il demande pour les Éphésiens « un esprit de sagesse » pour connaître Dieu et les « richesses de l’héritage réservé aux saints. » Eph., i. 17, 18. Il veut que les fidèles < soient enrichis d’une pleine conviction de l’intelligence, et connaissent le mystère de Dieu, du Christ. » Col., ii, 2. Saint Jean parle de même : « Nous savons que le Fils de Dieu est venu, et qu’il nous a donné une intelligence, Btavoiav, pour connaître le vrai Dieu. » I Joa., v, 20. Ces mots n’indiquent pas seulement le don d’une révélation extérieure et objective, mais comme une faculté nouvelle dans le sujet, une faculté de connaissance. C’est ce même don que saint Jean a décrit plus haut comme « une onction permanente » qu’ont en eux les chrétiens, qu’ils ont reçue de Dieu, qui leur fait « connaître tout » , tout ce qui est nécessaire à leur connaissance religieuse ; « qui enseigne les fidèles sur toute chose, d’un enseignement véridique et qui ne peut tromper, » ibid., ii, 20, 27, sans les dispenser pourtant de l’enseignement extérieur des apôtres, dans lequel on doit demeurer, 24, et cela malgré les séducteurs, 26. Or il s’agit de la foi dans ces textes, dans ceux mêmes où elle n’est pas nommée dans le contexte. Ce don de connaissance, nous élevant au-dessus de l’homme naturel, ce don qui est l’apanage de tous les chrétiens grâce à la rédemption du Christ, ce don qui se rapporte à l’habitation de l’Esprit-Saint en nous, c’est-à-dire à la justification, qui nous fait connaître les mystères, les grâces que Dieu nous a faites, cette grâce intérieure qui nous aide à atteindre toute la vérité religieuse dont nous avons besoin et à en avoir la pleine conviction, ne peut être qu’une grâce nous aidant directement à l’assentiment intellectuel de foi. Car on ne voit aucun autre acte intellectuel qui soit ainsi dans tous les chrétiens, qui atteigne les mystères et toutes les vérités religieuses dont ils ont besoin, enfin qui soit lié à la justification : seul l’acte intellectuel de foi réalise toutes ces conditions ensemble, ce que ne font pas d’autres actes de connaissance appartenant à la mystique. D’ailleurs aucune autre connaissance religieuse ne caractérise davantage la vie présente que l’assentiment de foi ; l’apôtre le décrit comme la lumière propre qui sur la terre guide nos pas : Per fidem ambulamus, et non per speciem, II Cor., v, 7 ; cf. I Cor., xiii, 12, 13, ou il oppose encore la foi d’ici-bas à la claire vision du ciel. L’acte intellectuel de foi est donc le produit direct d’une grâce spéciale, il est surnaturel en lui-même.

c) Non seulement l’assentiment de foi éclaire et caractérise la vie présente du chrétien, comme un autre acte intellectuel, la vision de Dieu face à face, éclaire et caractérise sa vie future, d’après saint Paul que nous venons de citer, mais, si différentes que soient ces deux attitudes de l’intelligence, l’une par son peu de durée et son mélange de ténèbres, l’autre par son éternité et sa splendide clarté, il y a entre elles une relation intime, une ressemblance, une continuité essentielle, d’après de nombreux Pères et docteurs des divers âges de l'Église. Ainsi Clément d’Alexandrie définit la foi une anticipation, TtpôXrnkç, et comme il cite immédiatement la définition célèbre, Heb., xi, 1, on peut conclure qu’il entend une anticipation de l'éternelle contemplation de Dieu que nous espérons. Strom., II, c. ii, P. G., t. viii, col. 939. Saint Augustin, citant II Cor., v, 7, explique ainsi le mot specii’s : « Cette pleine vision qui est le souverain bonheur, » et il ajoute : « Vous me demandiez quel est le premier et le dernier terme ; les voici : inchoari fi.de, perfici speeie. » Il établit ainsi la corrélation, et dans '

la foi ce caractère de commencement, d'ébauche qui

sera un jour achevée. Enchiridion de fide, etc., c. v, P. L., t. xl, col. 233. Saint Pierre Chrysologue compare la foi à la fleur et la future vision au fruit ; le fruit est le développement de la fleur, mais il met fin a la fleur. Grali flores, sed usque dum veniatur ad poma… Flores eonsumuntur a pomis. Serm., lxii, P. L., t. lii, col. 372. Saint Bernard définit la foi « un avant-goût certain de la vérité non encore mise au grand jour. De consideratione, 1. V, c. iii, P. L., t. ci.xxxii, col. 791. Saint Thomas, employant le même mot de prselibatio, avant-goût, essai d’une liqueur, dit : Fides prælibalin quædam est illius cognitionis quse in fuluro bealos faciet. Opusc, 1, Compendium lheologiæ ad Reginaldum, c. i, dans Opéra, Paris, 1895, t. xxvii, p. 2. Il dit encore : (Fide) inchoatur vita œlerna in nobis. Sum. theol., II a II æ, q. iv, a. 1. Cf. Qiuvst. disp., De veritate, q. xiv, a. 2. Et Jésus lui-même n’a-t-il pas dit : « C’est (déjà) la vie éternelle de vous connaître, ô vous seul vrai Dieu, et le Christ que vous avez envoyé, » Joa., xvii, 3, connaissance qui se fait par la foi. Cela explique mieux encore pourquoi l'Épître aux Hébreux fait entrer la béatitude future, res sperandw, dans la définition même de la foi, xi, 1.

Mais comment la foi obscure peut-elle être considérée comme un avant-goût, une anticipation, un commencement de la claire vue, puisque le clair est oppose à l’obscur, puisque la vision mettra fin à la foi ? De la même manière que l’aube matinale est le commencement du grand jour, et qu’une première idée confuse est souvent un acheminement à l’idée distincte. Tandis que notre raison laissée à elle-même n’atteint tout au plus de Dieu que ce qui nous est naturellement connaissable, quod notum est Dei, Rom., i, 19, la foi, dépassant la nature, commence à découvrir avec certitude les profondeurs de Dieu, profunda Dei, I Cor., ii, 10, bien que dans l’obscurité du mystère ; par là elle se rattache à la vision éternelle où ces profondeurs apparaîtront à découvert. Malgré toutes les différences, il y a donc ressemblance et continuité entre ce faible commencement et cette consommation admirable. Donc, puisque le dernier terme appartient intrinsèquement au monde surnaturel, il devait en être de même du premier, afin de ne pas dissocier comme dans des sphères différentes l'ébauche et sa perfection, la fleur et le fruit, l’aurore et le jour.

La volonté de croire, dont nous parlions tout à l’heure, tend à la vision intuitive comme l’intention à la fin dernière, ou (dans le juste) le mérite à la récompense ; à ce titre elle devait être surnaturelle, car le mérite doit être proportionné à la rémunération, et dans le même ordre. L’acte intellectuel de croire tend à la vision intuitive d’une autre façon, à titre d’anticipation, d'ébauche, d’aurore, et c’est ce qui motive sa surnaturalité. Mgr Berteaud, évêque de Tulle, a bien rendu ce dernier point, moins généralement connu que le premier. Parlant du passage de la foi à la vision céleste : « Les ombres s’en iront, dit-il ; sans changer d’objet, sans recherche nouvelle, nous trouverons sous notre œil l’essence divine. Il sera démontré que nous avions Dieu pour terme de notre connaissance par la foi. Ce petit germe contenait l’infini. Quelques-uns se plaignaient du peu de beauté et d'éclat des formules de la foi : on les disait minces et ternes. Cependant les splendeurs sans bornes y étaient contenues, non gênées, non amoindries. Une graine d’arbre est fort médiocre. Qui oserait dire, si l’expérience ne l’attestait, que là-dedans sont rangés à l’aise, selon une parfaite règle, le tronc, les rameaux, les feuilles, les fleurs. les fruits ? Tout y est néanmoins ; c’est de cet écrin obscur que L’arbre s'élance. L’objet infini s’est mis en son intégrité dans de faibles syllabes. Il en jaillira un jour à nos yeux, étincelant. » Lettre pastorale sur fifi

la foi, dans Œuvres pastorales, Paris, 1872, part. I, p. 161, 162.

4. Les jugements de crédibilité, qui précèdent la volonté de croire, sont-ils surnaturels ? — Cette question est moins importante et moins claire que les précédentes ; elle est controversée entre théologiens. Un grand nombre pensent (à bon droit, ce semble) qu’il faut distinguer ici entre les jugements spéculatifs de crédibilité, et les jugements pratiques qui viennent après (voir l'énumération de ces jugements, col. 172, 173) ; que le dernier jugement pratique, celui qui préode immédiatement la volonté de croire, doit être surnaturel, quoi qu’il en soit des autres jugements de crédibilité ; Lugo dit de cette opinion : Verior est et communis jam inter nostros recentiorcs. Disput., 1891, t. i, disp. XI, n. 3, p. 463. C’est, en effet, un corollaire assez manifeste de la thèse générale de la grâce excitante ou prévenante. Avant tout acte salutaire, il faut une grâce excitante, qui pour l’intelligence consiste dans une bonne pensée surnaturelle, pia cogilalio, comme disent les Pères, c’est-à-dire un jugement éclairant la volonté libre, l’excitant à faire cet acte. Voir Grâce. Or la volonté de croire, en tant que libre et surnaturelle, est un acte salutaire ; et le jugement éclairant et excitant cette volonté, c’est précisément et surtout le dernier jugement pratique de crédibilité dont nous parlons. C’est donc ce jugement qui jouera le rôle de grâce excitante, et comme tel sera surnaturel. Sans doute, il ne sera pas toute la grâce excitante, puisque, sans parler des autres jugements de crédibilité qui l’ont préparé et qui peut-être font partie de la grâce excitante, celle-ci comporte aussi un mouvement indélibéré de la volonté, du cœur, une « délectation céleste » , comme dit saint Augustin ; mais nous ne considérons en ce moment que la part de l’intelligence dans la grâce excitante. Ajoutons enfin ce mol du docteur de la grâce : Quis non videal, pruis esse cogitare quam credere'.' Nullus quippe crédit aliquid, nisi prias coyilaveril esse credendum. De prsedestin. sanctorum, c. ii, n. 5, P. L., t. xliv, col. 962. Cogilaveril esse credendum, c’est exactement le dernier jugement pratique de crédibilité ; et cette cogilalio qui précède la foi divine, cet inilium fidei doit être en nous l'œuvre de la grâce, saint Augustin le prouve immédiatement après, dans ce passage. Si l’on demande quel principe surnaturel produit en nous ce jugement, les uns pensent que ce peut être Vhabitus fldei (en celui qui le possède), d’autres recourent à une autre vertu infuse comme la prudence, ou à une grâce actuelle. Voir col. 241.

Quant aux jugements qui précèdent celui-là, et surtout a <cux qu’on nomme « les jugements spéculnlil de crédibilité en commençant par le jugement sur l’existence de Dieu, sur le fait de la révélation, etc. rien ne prouve qu’ils doivent être surnaturels, a foi tiori, tous surnaturels. Ce sont de simples conditions présupposées, ou du moins ils n’ont (prune Influence éloignée sur la volonté de croire et l’acte de foi ; ils n en sont pas le moteur immédiat, à la façon du dernier jugement pratique. C’est une forte exagération, que de dire avec quelques auteurs : La nature, un acte naturel, ne peut jamais d’une façon quelconque influer sur un acte surnaturel, l’occasionner, l’exci leT, Un tel principe part d’une idée arbitraire du surnaturel, et créerait des difficultés énormes quand il s’agit d’expliqué ! la coopération de notre faculté naturelle a l’acte surnaturel, ou de montrer le poinl d’insertion 'in urnaturel dam la nature, de l’acte surnaturel dans la séiie de nos actes ps eholopques. El puis, il est démenti par des faits certains. Exemple : un prêtae h étal de péché mortel a l’intention lège de consacrer ; cette intention est un acte purement naturel puisque mauvais ; el | tant ellea une pari

d’influence sur la consécration de l’hostie, opération surnaturelle s’il en fût. Concluons que, s’il n’y a pas d’arguments efficaces pour prouver la surnaturalité de ces jugements spéculatifs, il vaut mieux la nier, car on ne doit pas multiplier le surnaturel sans nécessité ; et en remontant la chaîne des actes qui précèdent un acte surnaturel, il faut bien finir par s’arrêter à quelque chose de naturel. Du reste l’opinion qui nie la surnaturalité de ces actes a beaucoup de partisans, elle est même appelée communis apud auctores par Mendive, S. J., Inslituliones theol. dogmatico-scholastiav. Valladolid, 1895, t. iv, De fide, n. 165, p. 417. Notons cependant que, lorsqu’on nie la surnaturalité de ces actes, on nie seulement leur surnaturalité intrinsèque, quoad subslanliam, laquelle rendrait physiquement et absolument nécessaire, pour les produire en un cas quelconque, une grâce qui élèverait nos facultés. On ne nie pas qu’une grâce facilitante, surnaturelle au moins quoad modum, les aide souvent, et qu’en certains cas elle devienne moralement nécessaire, à cause des difficultés toutes spéciales que l’on rencontre à établir ces jugements de crédibilité. Nous n’insisterons pas ici sur ce rôle de la grâce dans la crédibilité, l’ayant déjà longuement développé. Voir col. 237 sq.

II. LA VER1V INFUSE DE FOI ; SON INFAILLIBILITÉ. — Nous parlerons uniquement de ce qui lui est spécial, supposant expliquée ailleurs la théorie générale des vertus infuses. Voir Vertu. Nous traiterons les points suivants : 1° son existence, d’après les preuves spéciales à cette vertu ; 2° sa nature et son activité ; comment l’acte de foi lui doit sa surnaturalité intrinsèque ; 3° son infaillibilité, communiquée à son acte.

Preuves spéciales de son existence.

1. Dans

l'Écriture. — Ce principe surnaturel, intérieur et permanent des actes surnaturels de foi, cette espèce de faculté nouvelle que Dieu donne au chrétien est déjà indiquée dans quelques-uns des textes qui prouvent que l’assentiment de foi est surnaturel. Voir col. 362 sq. Saint Paul l’appelle spirilum sapientiæ et revelationis, Eph., i, 17 ; spirilum qui ex Deo est, ut sciamus, I Cor., il, 12 ; sensum Cliristi, 16 ; divitias pleniludinis i nielledus, in agnitionan musterii. Col., ii, 2. Saint Jean l’appelle une intelligence, îiâvotav, (ledit nobis sensum ut cognoscamus, I Joa., v, 20 ; unelionem quam habetis a Suncto ; …maneal ; … docel vos de omnibus, il, 20, 27.

2. Dans l’ancienne tradition.

Le nom de « fidèle » , qui vient de /ides, désigne dans la langue sacrée ceux qui ont la foi, comme le nom d' infidèle » désigne ceux qui ne l’ont pas. Or c’est le baptême qui rend fidèle, d’après les Pères et les liturgies. L’adulte instruit par l'Église, mais qui n’a pas encore reçu le baptême, le catéchumène, est ('(instamment opposé au fidèle. Aux catéchumènes qui, suivant un grave abus de l'époque, retardaient indéliniinent leur bap ténie, saint Grégoire de Na/ian/.e dit : Xe dédaigne/ pas l’avantage d'être fait » et d'être nommés fidèles. HomiL, xi., n. 16. /'. G., t. xxxvi, col. 379. Les cale cliumènes ne pouvaient, en règle générale, être supposes déjà justifiés (cl a ce litre possesseurs des vertus infuses), niais seulement par exception : d’autre pari, ils axaient fait profession de la foi chrétienne, ils reniaient le symbole, ils avaient accompli en règle généi aie Vmlr de foi. Quelle foi pouvaient dune avoir en vue les

Pères, quand ils disaient d’eux que le baptême leur

donnerait la foi. les rendrait fidèles'.' Ils ne pouvaient

avoir en vue que la perfu de foi. un principe perma

lient qui n’a pas besoin d'être en acte pour existe i Ceci devient enrôle pins clair, quand nous vovons que même les I ont petits, les in/nnlrs. baptisés BVanl

di raison, sont appelés fidèles : ce ne peut être ici

Varie de loi. dont ils sont incapables, qui leur vaul., titre. Dans les catacombes, on voit des inscriptions comme celle-ci Hic requiescil m pure Fllipput infant 367

FOI

H68

fidclis. Urcia Florent ina meurt « fidèle » à l'âge d’un an. Voir Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 3e édit., Paris, 1889, art. Fidèle, p. 321. Cette tradition de la foi donnée au baptême s’est conservée clans le rituel romain. Quand le prêtre interroge l’entant nouveau-né : « Que viens-tu demander à l'Église de Dieu ? » le parrain répond pour l’enfant : « La foi. » Il ne peut être ici question que d’un principe permanent de foi, donné par le baptême et qui peut exister dans un nouveau-né sans aucun acte. Le concile de Trente, parlant de la foi « infuse » , fait allusion à cette cérémonie du baptême, qu’il fait remonter aux apôtres : Hanc fldem ante baplismi sacramentum, ex apostolorum traditione, eatechumeni ab Ecclesia peiunt, cum petunt fidem, etc. Sess. VI, c. vii, Denzinger, n. 800. Et il maintient aux enfants qu’on vient de baptiser le titre de « fidèles » , malgré leur impuissance à faire des actes de foi : Si quis dixerit parvulos, eo quod ttetum credendi non habent, suscepio baptismo inler fidèles compiilandos non esse…, analhema sit. Sess. VII, can. 13, De baptismo, Denzinger, n. 869.

3. Dans les conciles.

Le même concile dit explicitement que la foi, l’espérance et la charité sont « infuses dans la justification » baptismale. Sess. VI, c. vii, n. 800. Nous avons déjà fait l’interprétation de ce texte. Voir Espérance, t. v, col. 608. Le concile du Vatican définit la foi comme une « vertu surnaturelle » . Voir col. 115. Opposant plus loin « la foi » et « son acte » , il montre assez clairement qu’il n’admet pas seulement l’existence d’un acte de foi, mais encore d’un principe permanent auquel appartient cet acte passager. Sess. III, e. iii, Denzinger, n. 1791. Voir lepassage, col. 360. L’histoire du concile vient encore en éclairer le sens. Le schéma portait : Fides ipsa in se, etiamsi nondum per caritatem operetur, donum Dei est, et actus ejus opus est ad salnlem perlinens, etc. Collectio lacensis, t. vii, col. 73. La commission de la foi, revisant ce schéma, préféra au mot nondum le mot non, comme le rapporteur de la commission l’exposa devant le concile ; et pourquoi ? Ut scilicet nobis non possit altribui opinio, ac si habitus fidei possil esse in animo ante juslificationem. Ibid., col. 175. Si l’on eût dit, en effet, que la foi (distinguée de son acte) était un don de Dieu lors même qu’elle n'était pas encore (nondum) complétée par la charité, on aurait pu attribuer au concile l’opinion de plusieurs théologiens qui, chez les adultes, ont admis l’infusion de la vertu de foi avant (et même longtemps avant) la justification, en sorte que l’infidèle converti au christianisme aurait déjà la vertu de foi, quoique n’ayant pas encore celle de charité, inséparable de la justification. Or cette opinion n’est pas la meilleure, et se concilie difficilement avec les paroles du concile de Trente : In ipsa justificatione… hsec omnia simul infusa accipil homo…, fidem, spem et caritatem. Sess. VI, c. vii, Denzinger, n. 800. Il s’agit ici de la justification baptismale, dont « la cause instrumentale est le sacrement de baptême. » Loc. cit., Denzinger, n. 799. Au contraire, en remplaçant nondum par non, dans le schéma, on évitait d’approuver la susdite opinion. On admettait sans doute que Vhabilus fidei peut se rencontrer séparé de Vhabitus carilalis : mais tout le monde doit admettre cela dans le fidèle en état de péché mortel qui n’a pas perdu Vhabilus fidei (voir le concile de Trente, sess. VI, can. 28, Denzinger, n. 838), et qui pourra retrouver Vhabilus carilalis dans une autre justification, mais alors il n’est plus question de la première, de la justification baptismale. En somme, il était bien entendu, d’après l’exposition même du rapporteur citée plus haut, que, dans le texte soumis à la délibération du concile, l’expression : fides ipsa in se équivalait à habitus fidei, la vertu infuse de foi. Et le concile, qui accepta ce texte sur-le-champ, l’accepta dans le sens

exposé par le rapporteur. lia donc reconnu l’existence

d’un habitus fidei.

2° Nalure et activité de cette vertu. Elle est traitée dans la théorie générale des vertus infuses. Voir Vertu. Nous nous bornerons à montrer comment, en partant de l’existence et de l’activité de ce principe surnaturel, on arrive à mieux comprendre et à mieux préciser la surnaturalité de son acte ; c’est un point souvent mal compris. Voici un acte de foi qui n’est pas le résultat de la seule faculté naturelle, mais qui est produit par la faculté élevée, c’est-à-dire par un double principe, la faculté et la vertu infuse, et même surtout par la vertu infuse, considérée à bon droit comme la cause principale dans un tel ordre d’opération. Le produit peut-il être le même que si la nature seule avait travaillé? L’acte unique qui émane des deux principes, et qui n’est pas autre chose que leur mise en œuvre, ne diffère-t-il pas essentiellement d’un acte de la nature seule sur le même objet, que cet acte soit réellement possible ou non ? Et ne reçoit-il pas son caractère propre de la cause principale qui, en élevant la faculté naturelle, l’a subordonnée à son activité comme une cause secondaire et instrumentale ? C’est bien le cas de se rappeler le principe de saint Thomas, basé sur l’expérience : Effeclus non assimilatur instrumenta sed principali agenti. Sum. theol., III a, q. lxii, a. 1. L’acte de foi, procédant de la vertu infuse comme de sa cause principale (nous ne séparons pas de cette vertu la grâce actuelle nécessaire à la mettre en action, ni Dieu qui agit par sa grâce et dirige tout), reçoit donc par le fait même une perfection spécifique assimilée à celle de la vertu infuse. Or qui pourrait dire l’ineffable perfection de cette vertu ? Elle appartient à l’ordre de la déification du chrétien. Elle est, en effet, du même ordre que la vision béatifique, qu’elle ébauche et commence comme nous l’avons vii, col. 363. Il fallait ce principe, cette vertu théologale, pour nous ordonner et nous proportionner à cette béatitude surnaturelle, d’après saint Thomas. Sum. theol.. Il* II 1 ', q. lxii, a. 1. Elle est du même ordre que la grâce sanctifiante ou « justice reçue en nous par la justification, » comme parle le concile de Trente, sess. VI, c. vii, Denzinger, n. 799 ; elle fait même partie de cette « justice » , puisque, d’après le même concile, « la sainte Église demande l’augmentation de cette juslice, quand elle prie ainsi : Augmentez en nous, Seigneur, la foi, l’espérance et la charité. » Sess. VI, c. x, Denzinger, n. 803. Il est vrai que la vertu infuse nous demeure expérimentalement inconnaissable, et que son influence sur l’acte reste invisible comme elle ; que nous ne voyons pas l’essence intime de nos actes, ce qu’ils sont du côté du sujet, mais que nous découvrons seulement l’objet auquel ils tendent, et de plus leurs qualités accidentelles de facilité et d’intensité dans l’effort, enfin certains résultats ultérieurs ou effets de ces actes, comme l’explique saint Thomas. In IV Sent., 1. I, dist. XVII, q. i, a. 4. Mais pour invisible que nous soit, dans notre acte de foi, la perfection déiforme qu’il reçoit de sa cause principale, la vertu infuse, cette perfection caractéristique n’en existe pas moins en lui, et aux yeux de Dieu le rend essentiellement différent d’un acte naturel de croire, et le rattache à la vision béatifique comme l’aurore au grand jour. Voilà comment, après avoir prouvé ci-dessus que l’acte de foi salutaire doit être surnaturel, sans expliquer de quelle espèce de surnaturalité, nous montrons en lui, maintenant, une surnaturalité foncière, intrinsèque, quoad subslantiam, suivant le langage des théologiens ; et non pas la surnaturalité quoad modum d’une chose miraculeuse, par exemple, de l'œil guéri par miracle, œil qui ne diffère pas essentiellement de l’organe naturel commun à tous ; sans compter que le miracle tombe sous l’expé

rience, et qu’il serait contre l’expérience de supposer du miraculeux dans chacun des actes salutaires de foi qui doivent se faire couramment parmi les fidèles. Ainsi arrivons-nous à préciser ce que nous entendons, quand nous disons que l’acte de foi est surnaturel. On objectera peut-être : Vous suivez ici une marche inverse à l’ordre légitime de la connaissance humaine, qui est de connaître les facultés et les vertus par leurs actes, et non pas réciproquement. — Réponse. — Cet ordre est légitime en effet et s’impose, mais dans la connaissance expérimentale. Dans la connaissance théologique qui s’appuie sur la révélation et les documents positifs, on peut avoir de plus riches données BUT les vertus surnaturelles que sur les actes surnaturels, et aller ainsi de la vertu à l’acte comme du plus connu au moins connu, à certains égards ; et c’est ce que nous venons de faire.

D’autres détails sur le fonctionnement et l’activité de la vertu de foi ont été donnés plus haut, a) Si son rôle actif est avant tout de produire Varie de foi, elle peut avoir aussi un rôle secondaire par rapport à la crédibilité dont la constatation est exigée avant l’acte de foi ; et saint Thomas admet ce rôle additionnel. Nous avons expliqué son opinion, col. 210-215, et critiqué une certaine manière de la concevoir, col. 261 sq. A cette opinion se rapporte encore ce texte du saint docteur : Fides (la vertu), quantum in se est, ad omnia quse fidem (l’acte) concomitantur, vel sequuntur, vel præccdunt, sufficienter inclinai. In IV Senl., I. III, dist. XXIV, q. i, a. 2, sol. 2°. Quantum in se est, parce qu’il y a pour ces actes précédents et suivants d’autres conditions, qui peuvent manquer et faire obstacle. — b) La destruction de cette vertu se fait par le péché direct et formel contre la foi, le péché d’hérésie, et non par d’autres péchés qui n’attaquent la foi qu’indirectement, bien qu’ils puissent être mortels (imprudence, négligence, etc.). Voir col. 313-316.

3° Infaillibilité propre de la vertu infuse de foi et de son acte. - Cette propriété est de la plus haute importance, pour ce qui doit suivre, et c’est un point trop laissé de côté par les manuels. Nous verrons : 1. l’infaillibilité de la vertu ; 2. son invisibilité ; 3. l’infaillibilité de son acte.

1. Infaillibilité de. la vertu de foi. — Cette vertu infuse, en tant qu’elle produit l’assentiment de foi, est une « vertu intellectuelle » , un perfectionnement de l’intelligence. A ce titre elle doit être infaillible, c’està-dire exclure l’erreur, comme le remarque saint Thomas d’après Aristote. Sum. theol., II" II*, q. i, a. 3, snl contra, et ad l um. Mais si Aristote a dit cela, avec une vérité approximative, à propos des vertus intellectuelles (ou bonnes habitudes île l’esprit) qui appartiennent a l’ordre naturel, qu’aurait-il dit d’une vertu intellectuelle produite immédiatement par Dieu et appartenant à l’ordre surnaturel, s’il l’avait connue ? Les vertus infuses, appartenant à la nouvelle nature reçue dans la justification, ont une incomparable exccl lence. Celles qui, comme la charité, perfectionnent l ; i volonté, sont impeccables, comme on peut le déduire de ce texte de saint Jean : * Quiconque est né de Dieu ne commet point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui ; et il ne peut pécher, parce qu’il est né de Dieu. » I Joa., iii, » . Saint Jean veut-il dire que le juste, fils de Dieu, est absolument impeccable ? Non : il lui reconnaît lui-même des péchés, triste fruit de la nature humaine. Ibid., i, H sq. ; ii, 1 sq. Il veut donc dire qui le juste est impeccable par sa nouvelle nature <|ui le rend lils <v Dieu, par cette « semence divine » qui demeure en lui, ri qui coin prend les vertus Infuses, principes surnaturels île sis nouvelles opérations. C’esl l’interprétation de saint Augustin : Per fuod fil a iumus, i" i ii' « peccare omnino non pouunuu… Inquantum limita heo (par les dons surnaturels qui

nous assimilent à Dieu), illinc peccare non possumus. De peccatorum meritis et remissione, 1. II, c. vii, viii, P. L., t. xliv, col. 157. Cum ergo peccat homo, non secundum carilalem, sed secundum cupidilalem peccat, secundum quam non est natus ex Deo. De gratia Christi, c. xxi, ibid., col. 371. Cf. Episl. ad Innocent., n. 17, P. L., t. xxxiii, col. 771. Or de même que les vertus infuses de la volonté sont ainsi impeccables, de même la foi, vertu infuse de l’intelligence, doit être infaillible : car si le péché est le mal de la volonté, l’erreur est le mal de l’intelligence ; et si la vertu infuse exclut le mal qui lui est opposé, celle de l’intelligence doit exclure le mal qui lui est opposé, c’est-à-dire l’erreur, ainsi que le remarque saint Thomas. Loc. cil. Aussi saint Jean lui-même dit-il explicitement de la vertu de foi, qu’il compare à une onction permanente, reçue de Dieu : Unclio ejus docel vos de omnibus, et verum est, et non est mendacium. Pas de mensonge, pas d’erreur possible, sur un point quelconque, de omnibus. I Joa., ii, 27. Citons encore cette définition de la vertu infuse, que les scolastiques ont tirée de divers endroits de saint Augustin : Est bona qualilas menlis, qua recle vivitur, qua nullus maie utitur, quam Dcus in nobis sine nobis opcratur. Saint Thomas l’explique, Sum. theol., Ia-IIæ, q. ly, a. 4. Qua nullus maie utitur : pour une vertu de la volonté, s’en mal servir, ce serait pécher par elle : pour une vertu de l’intelligence comme est la foi, s’en mal servir, ce serait se tromper par elle. Elle ne peut donc jamais concourir à l’erreur, pas plus que la charité ne peut concourir au péché. C’est du reste le minimum d’infaillibilité à lui donner, pour qu’elle dépasse la raison naturelle. Celle-ci doit avoir une certaine infaillibilité, àmoinsd’allerau scepticisme ; elle se sent infaillible dans ses actes parfaitement certains et bien contrôlés : infallibilis per se, fallibilis per accidens. Qu’aura de plus la vertu intellectuelle de foi, sinon d'éviter pour elle-même ces accidents, en sorte que, la raison se trompant, V habitas fldei la laissera se tromper toute seule, et par son excellence même ne pourra coopérer à l’acte erroné? C’est là le minimum qu’il faut bien lui accorder, disons-nous : car on pourrait concevoir une infaillibilité plus parfaite, un don surnaturel, qui non seulement ne coopérerait jamais luimême à l’erreur, mais encore, par sa présence et son action, bannirait absolument de l’intelligence toute erreur de quelque source qu’elle pût venir ; mais un tel don est réservé à la vie future. Les preuves que nous venons de donner étaient supposées par anticipation. quand nous avons dit que, si l’on propose à un enfant un faux article de foi, son adhésion sera purement naturelle, la vertu infuse de foi n’y pouvant concourir. Voir col. 234.

Les théologiens sont d’accord sur l’infaillibilité de la vertu infuse de foi. Contentons-nous de quelques grands noms, en commençant par le plus grand de

tous, saint Thomas, déjà dté dans sa Somme. Dans un opuscule, il parle de ce lumen quoddam, quod est habilus fidei, divinilus menti humante infusum ; et il fait cette déclaration très nette sur l’infaillibilité que possède cet habilus, par assimilation à l’infaillibilité de Dieu même : Lumen alitent fidei. quod est quasi sigillatio qusedam Primée Vcritalis in mente, non potest jallcre, sicut Deus non potest decipere vel mentiri. In Iloelium, de Trinitate, q. iii, a. 1, ad 4'"", édit. Vives, t. xxviii, p. 508. El pour faire ressortir par comparaison cette prérogative surnaturelle de V habilus. il tranche admirablement cette délicate question de

l’Infaillibilité mi de la faillibilité de la srience humaine, in admettant, d’une part, que la démonstration vraiment scientifique est Infaillible, mais en obint, d’autre paît, que nous prenons souvent poui démonstration ce qui ne l’est pas : [Demotutrattone) etil nunqiiam falttun concludatur, lamen fréquenter m T7I

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hoc liomo /dllitur, quod pulat esse demonslralivum quod non est. Loc. cit. Méprise qui est due soit à la subtilité ou à la complexité extrême de certains raisonnements d’ordre scientifique, où l’erreur peut facilement se glisser, soit à l’influence d’autorités en vogue, humaines et faillibles, qui nous disent à tort : « La science a démontré, » etc., soit à ce que nous avons introduit jadis dans le trésor de nos certitudes et accepté comme démontrées certaines propositions qui, en réalité, ne le sont pas, et que l’inventaire et le triage de nos nombreuses acquisitions d’origine diverse n’est plus possible, soit enfin au manque de secours surnaturel dans l’ordre des sciences naturelles et profanes. Voir col. 339, 365. Scot en ce point ne s’écarte pas de saint Thomas : l’ides infusa, dit-il, non potest inclinare ad aliquod falsum, inclinât autem virtute luminis divini, cujus est parlicipalio, et ita nonnisi ad illud quod est conforme illi lumini divino ; aclus igitur credendi, inquantum innilitur isli fidei, non potest lendere in aliquod falsum. Quæst. quodlibelales, q. xiv, n. 7, dans Opéra, Paris, 1895, t. xxvi, p. 11. Suarez étend avec raison cette prérogative d’infaillibilité non seulement à la vertu infuse, mais à la grâce actuelle qui la remplace dans celui qui n’a pas encore ou qui n’a plus cette vertu et se dispose à la recevoir — et même à toute motion positive de l’Esprit-Saint dans les charismes où l’on affirme quelque chose, comme le don de prophétie, de discernement des esprits, etc. Comme la grâce ne peut jamais pousser au péché, ainsi ne peut-elle jamais pousser à l’erreur. « Ce jugement (de discernement des esprits), dit-il, quand il procède du mouvement de la grâce, est infaillible matériellement, pour ainsi parler. Car l’Esprit-Saint ne pousse jamais par un instinct spécial, sinon à ce qui est réellement vrai ou bon, ou meilleur, ou plus convenable à l’homme selon l’ordre de sa providence. En conséquence, toutes les fois qu’en réalité le discernement des esprits se fait par une grâce, le jugement, en vertu de son principe moteur, est infaillible, donc matériellement certain ; quoiqu’il ne rende pas l’homme absolument certain, parce qu’en général, l’homme ne constate jamais avec une entière certitude que ce jugement vient de la direction et de la motion du Saint-Esprit. » De gratia, t. i, proleg. iii, c. v, n. 45, Paris, 1857, t. vii, p. 165.

2. Invisibilité de la vertu infuse, et de son acte en tant que surnaturel. — Cette remarque de Suarez montre comment la thèse commune, en admettant, dans la vertu infuse et dans son acte, cette infaillibilité réelle, mais matérielle comme il dit, ne rend pas pour cela cette infaillibilité reconnaissable avec certitude, ne fait pas que l’homme puisse constater formellement l’infaillibilité de son acte. Ainsi cette infaillibilité, bien qu’existant certainement dans l’acte, aux yeux de Dieu, ne peut servir à l’homme de discerniculum expérimentale ; et l’on ne peut reprocher aux théologiens de retomber ici dans le faux système qu’ils rejettent ailleurs. Voir col. 246 sq. Scot avait déjà fait la même remarque. « Si je percevais, dit-il, que j’agis en ce moment à l’aide de la foi infuse, sachant qu’elle ne peut coopérer qu’à un acte vrai, je constaterais par cela seul que mon acte ne peut être faux…, que son objet est infailliblement vrai. Mais personne, je crois, n’éprouve en lui-même cela (cette perception de l’intervention de la foi infuse). Nous nous bornons donc à croire en général (à cause des documents de la révélation) que celui qui affirme quelque chose par l’action de la foi infuse ne peut errer en cela ; mais que telle personne déterminée, et à tel moment, agisse par la foi infuse, ni la personne elle-même ne le sait, ni une autre ; personne n’en a une expérience certaine. » Loc. cit., n. 8, p. 12.

Il est vrai qu’une parole de saint Augustin : Fidem ipsam videt quisque in corde suo esse, citée par le Lom bard dans ses Sentences, 1. III, dist. XXIII, r. vii, a été pour plusieurs scolastiques l’occasion de croire, sur son autorité, que nous voyons en nous la vertu infuse de foi, ou l’acte de foi en tant que surnaturel. Mais saint Augustin ne songe guère ici à la vertu infuse, ou à la surnatunilité de l’acte. Il se contente d’opposer simplement la foi des mystères aux mystères eux-mêmes. Ceux-ci, dit-il, nous ne pouvons les voir en aucune façon ; ils restent non vus. Heb., xi, 1. Mais la croyance que nous en avons, ce n’est pas un mystère : nous la voyons en nous par une conscience certaine ; nous voyons bien si nous croyons ou si nous ne croyons pas. De Trinitate, 1. XIII, c. i, n. 3, P. L., t. xlii, col. 1014. C’est une antithèse entre l’objet mystérieux de la foi, objet qui se dérobe totalement à notre expérience, à notre intuition, et notre acte subjectif de foi, dont notre conscience saisit avec certitude l’existence, sans pénétrer pour autant sa nature intime, s’il est surnaturel ou non. L’antithèse, en effet, ne demande pas que notre expérience pénètre à fond l’acte de foi. On a fait appel à une autre parole de saint Augustin, (lisant dans un sermon, à propos de la < justice » , ou de la grâce sanctifiante comme nous dirions aujourd’hui : Nolo vos inlerrogare de juslilia vestra ; forlassis enim nemo vestrum milii audeat respondere : Juslus sum ; sed interrogo vos de fide vestra. Sicut nemo vestrum audet dicere : Justus sum, sic nemo audet dicere : Fidelis non sum. Enarr. in ps. xxxil, serin, i, n. 4, P. L., t. xxxvi, col. 279. Ici encore, le mot fides doit faire absolument abstraction de la vertu infuse, de l’acte en tant que surnaturel, sujet d’ailleurs beaucoup trop subtil pour les auditeurs ordinaires de saint Augustin. « Si je vous interroge sur votre foi, dit-il, personne n’osera répondre : Je ne suis pas un fidèle. » Et pourquoi ? Parce que le titre de « fidèle » si cher au chrétien ne dépend que de deux conditions facilement reconnaissables et reconnues de tous, de deux f ; iits extérieurs et publics, la solennelle profession de foi et le baptême ; à moins de rétracter librement sa profession de foi et de devenir apostat, un fidèle ne peut pas dire qu’il n’a pas la foi, qu’il n’est pas un fidèle. Au contraire, le titre de « juste » repose uniquement sur une condition que le juste lui-même ne peut connaître avec certitude, la présence en lui de la grâce sanctifiante, qualité invisible et surnaturelle ; sur une condition qui n’est pas un fait extérieur et public, qui n’est d’ailleurs pas requise pour être chrétien et membre de l’Église, comme saint Augustin l’a si souvent soutenu contre les donatistes. Voilà pourquoi l’Église, qui parfois interroge publiquement les fidèles sur leur foi et leur en fait renouveler la profession, ne leur demande jamais : « Ètes-vous un juste ? Êtes-vous en état de grâce ? » Eux-mêmes n’oseraient répondre. Voilà évidemment ce que veut dire saint Augustin : or la vertu infuse, l’habilus fidei, n’a rien à faire ici : car, lorsqu’on demande aux fidèles une profession de foi, on leur demande s’ils adhèrent fermement aux articles de foi, on ne leur demande pas s’ils voient en eux-mêmes une vertu surnaturelle, ou si leur acte en est le produit.

On a voulu aussi s’appuyer sur saint Thomas. Mais le saint docteur sait fort bien distinguer dans un acte surnaturel ce qui est perceptible à l’expérience, et ce qui ne l’est pas. Prenons l’acte de charité. Nous percevons en nous, sans doute, un acte de dilection : mais est-ce la vraie charité, la charité surnaturelle ? Nous ne pouvons le savoir avec certitude, et pourquoi ? Quia actus ille dileclionis, quem in nobis percipimus secundum id de quo est perceptibile, non est sufficiens signum caritatis, propter similitudinem naturalis dilectionis ad gratuitum. Quæst. disp., De verilate, q. x, a. 10, ad l um. L’acte naturel d’aimer Dieu ressemble pour nous à l’acte surnaturel, produit de la grâce (gratuitum) : si .17.1

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notre expérience interne atteignait la surnaturalité, nous verrions une immense différence entre les deux ; mais elle ne l’atteint pas, et c’est pourquoi nous les confondons entre eux, et nous n’avons pas de signe suffisant qui nous dise quand notre acte procède de la vertu infuse de charité. — Ne pourrait-on pas trouver ce signe dans le plaisir que nous éprouvons à aimer Dieu, puisqu’un habilus, d’après Arist te, se trahit par la délectation avec laquelle il nous fait agir ? Non, répond encore saint Thomas. Deleclatio Ma quse in actn relinquitur ex caritate (la vertu infuse), potest etiam ex habitu aliquo acquisilo causari ; et ideo non est safficiens signum ad caritatem demonstrandam. Loc. cit., ad 2° m. Une habitude naturelle acquise par des actes naturels d’amour de Dieu peut donner la même facilité et le même plaisir à l’aimer que la vertu infuse de charité. Mais quand nous avons une grande charité pour nos frères, nous le voyons bien ! Saint Thomas répond toujours par la même distinction : Quamvis mens cerlissime cogno.scal dileclioncm qua diligil fratrem inquantum est dileclio, non tamen cerlissime novil eam esse caritatem, c’est-à-dire la vertu infuse de charité. Loc. cit., ad 3° m. Mais, poursuit l’adversaire, Aristote a dit qu’il nous est impossible d’avoir de très nobles habitus, et de les ignorer. Aristote ne connaissait que les habitus naturels. Et encore, dit saint Thomas, parle-t-il des habitudes intellectuelles parfaites, comme la science, qu’il est impossible d’ignorer quand on l’a, quilibet sciens scil se scire ; cela ne tire pas à conséquence pour tous les habitus. Loc. cit., ad 5° m. Si ailleurs saint Thomas met une différence entre la charité et la foi, ce n’est pas qu’il veuille qu’on voie la foi, en tant que surnaturelle, ce qui serait contraire à tous les principes qu’il vient d'établir. On lui fait cette objection : « La grâce (sanctifiante) est un don de Dieu comme la science (infuse). Or, quand on reçoit de Dieu la science, on sait qu’on l’a. Sap., vii, 17. On doit donc savoir aussi quand on a la grâce. » On aurait pu répondre que la science infuse, dont parle ici le Sage, peut se reconnaître même comme surnaturelle, parce que le miracle, le surnaturel quoad modum, tombe sous l’expérience, et qu’un ignorant soudain inondé de lumière et de science voit se passer en lui un fait qui dépasse les lois psychologiques et le cours naturel des choses ; tandis que le surnaturel bien plus sublime, mais plus mystérieux, qui est dans la grâce sanctifiante, ne tombe pas sous l’expérience. Le saint docteur, suivant le goût du temps, préfère une autre réponse plus philosophique et empruntée à Aristote, comme nous venons de le voir : « Il est essentiel à la science, dit-il, qu’on la constate en soi-même avec certitude. » Il n’en est pas ainsi des dons qui ne sont pas intellectuels, comme la grâce sanctifiante, la charité : on peut donc les avoir sans savoir qu’on les a. Et en ant, il rapproche de la science la foi, comme étant aussi d’ordre intellectuel : mais rien ne dit qu’il veuille qu’on la connaisse expérimentalement en tant que surnaturelle. Au contraire, le point de vue philosophique où il se maintient fait abstraction du surna turel ; et il dit simplement : De ratione scienlise est quod homo cerlitudinem habeat de lus quorum habrt scientiam ; et simililer de ratione fldei est quod homo sit certus de his quorum habet f’ulem. Sum. Iheol., II II q. cxii, a. 5, ad 2° m. De quoi l’homme estil certain, d’après lui De his quorum habet /idem. Sa certitude porte donc, non pas sur la surnaturalité de l’acte, mais sur les objets dont on a la foi. Seulement, on ne peut Mre certain d’un objet s ; ms avoir conscience qu’on en esi certain : Et ideo quicumque habet letentlam, uel ftdem, certus est habere. Loc. cit. L’existence en nous de la entitude, de la ferme adhésion à un objet, voilà que nous constatons expérimentalement i, loi i omme dans la icieni i l i ~ ; iint docteur ne

dit rien de plus. Notre interprétation de saint Augustin et de saint Thomas a été donnée par plusieurs graves théologiens, par exemple, les Salmanticenses, Cursus iheologicus, Paris, 1879, t. x, De gratia, disp. IX, n. 16, 17, p. 294-296.

Tout en reconnaissant que l’acte de foi ne tombe pas sous l’expérience en tant que surnaturel, le chanoine Didiot pense que nous pouvons du moins conclure par des raisonnements théologiques certains que tel acte de foi déterminé que nous faisons est surnaturel et par conséquent infaillible. Logique surnaturelle objective, Paris, 1892, p. 625-628. Voyons ces raisonnements. « Me refuser la grâce pour l’acte de foi serait me refuser l’accès au rédempteur, au moment même où je le réclamerais humblement et sincèrement. » Dieu ne peut faire cela. Loc. cit., p. 627 en note. Mais différer cette grâce à un autre moment, à un autre acte que je ferai plus tard, ce n’est pas me refuser l’accès au rédempteur. Quant à la prière « humble et sincère que l’on suppose faite alors à l’effet d’obtenir la grâce, elle n’a pas lieu dans tout acte de foi : et quand elle a lieu, suis-je certain d’avoir ces dispositions d’humilité et de sincérité, et toutes les conditions nécessaires de la prière, en particulier qu’elle soit surnaturelle ? L’auteur lui-même nous dit ensuite, pour les actes de la volonté : « Quand je fais ces actes, suis-je dans les conditions voulues pour recevoir la grâce et agir surnaturellement ? Je ne le sais pas certainement. » Loc. cit., p. 628 en note. Eh bien I la prière est un acte de volonté. De plus, l’acte de foi suppose toujours, comme condition nécessaire, un acte de volonté, et surnaturel. Voir col. 361. Si l’on nous accorde que nous ne pouvons connaître avec certitude la surnaturalité de nos actes de volonté, voilà donc l’acte de foi lui-même dont la surnaturalité retombe dans l’incertitude ; la théorie ne se tient pas. Mais, dit l’auteur, « ce serait aussi me refuser la possibilité de croire (à la révélation) comme Dieu ordonne pourtant que j’y croie, surnaturellement. Qui ne voit l’absurdité de telles suppositions ? » Loc. cit. — Réponse. — a) En admettant que la surnaturalité de l’acte tombe sous le précepte divin, si Dieu ne me donnait pas la grâce à tel moment, c’est que son précepte de faire un acte de foi n’urgerait pas pour ce moment-là : un précepte positif n’oblige pas de fait à chaque instant, pro semper. — b) On peut d’ailleurs nier que la surnaturalité de l’acte tombe en général sous le précepte. Même pour les actes des vertus théologales, Cajétan admet que le précepte divin peul être accompli par les actes de croire, d’espérer, d’aimer, lors même qu’ils se feraient d’une manière naturelle. et non par l’activité des vertus infuses : Omnia pru 1 ccpla virtutum theologalium… credere. sperare, diligere Deum… potest homo per sua naturalia quantum ad subslantiam operum adimplere, et non inquantum implentur ex spe et fide et caritate. Comment, in I*" Il q. cix, a. 4, n. 6, dans l'édition léonine de saint Thomas, Home, 1892, t. VII, p. 298. La >< substance de l'œuvre commandée, c’est de croire, d’espérer, d’aimer Dieu, selon les éléments qui tombent sous la conscience et qui dépendent de notre libre choix ; quan1 à croire, etc., par l’influence de la vertu infuse, cela in dépend pas de notre pouvoir et de notre choix, et n’est pas précisément l’objet du précepte. In acte même naturel suffit donc ; i nous mettre en règle avec notre devoir. Sans doute la fin du précepte, qui est de nous faire produire des actes s : ilut.iins et surnatu rels, ne serait pas alors obtenue pour lr moment ; mais de notre côté nous aurions suffisamment observé le précepte : finit pnirepli non eadit sub pnrerpio. Poui une doctrine semblable à celle de Cajétan, nous avons déjà cite les Salmantieensi s, col. 234, les l’eus dans

leui manière de proposa aux Qdèles le précepte d< la f..É. col 258, i' cardinal de Lugo, col. 260. fi

3. Infaillibilité de l’acte de foi.

Pour qu’un assentiment soit vraiment « infaillible » , il faut que ce soil positivement lui, et non pas un pur hasard, qui exclue l’erreur ; il faut une impossibilité d’erreur qui dérive de la propre perfection de cet acte, ou, ce qui revient au même, de ses propres principes, d’où il tire sa perfection. Voir col. 207. — a) Parmi ces principes, il y a d’abord ceux qui influent sur lui objectivement, les motifs ou preuve de l’assentiment : si cette preuve est d’une valeur absolue, elle communique à l’acte une véritable infaillibilité naturelle ; et voilà, pour un jugement, la seule source d’infaillibilité que l’on considère dans l’ordre naturel et humain. C’est aussi la seule qu’en face du lidéisme nous ayons considérée dans les préambules de la foi, et en traitant de la certitude en général et de ses espèces, col. 206-211, et de la certitude relative des simples, col. 219-233. — b) Mais dans un assentiment surnaturel comme l’assentiment de foi, on peut distinguer un autre principe qui influe non pas objectivement et comme preuve connue, mais p’utôt subjectivement et comme faculté connaissante : c’est la vertu infuse, qui en coopérant à la production de l’acte le rend infaillible, puisque l’infaillibilité surnaturelle, dont nous venons de parler, n’est dans la vertu de foi qu’en vue de ses actes. Que cette sorte d’infaillibilité ne puisse être discernée par nous expérimentalement dans les actes où elle est, qu’elle ne puisse accroître notre fermeté d’adhésion, ni servir à l’apologétique, cela ne l’empêche pas d’exister réellement dans notre acte et de le rendre plus parfaitement lié au vrai en lui-même et aux yeux de Dieu.

Si nous comparons entre elles ces deux infaillibilités venues de sources différentes, et qui peuvent se rencontrer dans un même acte de foi, nous reconnaîtrons, somme toute, la supériorité de la seconde. La première vient de l’excellence des preuves, et suppose d’assez grandes connaissances apologétiques, qui ne sont pas à la portée de tous les fidèles ; la seconde vient de la vertu infuse, ou de la grâce actuelle remplaçant la vertu infuse, et se trouve aussi bien chez les enfants et les simples que chez les fidèles les plus savants : c’est donc la seule qui soit essentielle à l’acte de foi salutaire et surnaturel, à cet acte qui est le même essentiellement dans tous. La première rapproche l’acte de foi des actes naturels certains, et fait reconnaître sa valeur par la raison humaine ; la seconde n’a pas d’analogue dans les certitudes purement naturelles, et donne à la certitude de la foi un caractère spécial et transcendant. La première est liée à l’apologétique ; il faut donc qu’au moins quelques-uns dans l’Église aient de par leurs motifs de crédibilité cette infaillibilité-là, et la fassent valoir pour la défense et la justification de la foi commune à tous ; la seconde, n’étant connue qu’en partant de la révélation, ne peut servir à la prouver ; et n’étant connue qu’en général et dans l’abstrait, elle échappe dans le concert et pour tel acte déterminé à nos constatations humaines : elle ne peut donc servir comme discernicuhtm ou critère de la révélation pour soi-même, encore moins comme moyen d’apologétique pour les autres. Quand on s’occupe de l’acte de foi à un point de vue purement théologique et nullement apologétique (ce qui n’est pas d’ailleurs la tendance de notre temps), on peut considérer seulement la seconde infaillibilité et faire abstraction de la première. On est amené ainsi à prendre comme type l’acte de foi tel qu’il se présente chez les simples. Et telle est, pensons-nous, la position de saint Thomas dans tout le passage In Boetium dont nous avons cité quelque chose, col. 370 ; passage très riche, mais très bref parce qu’il traite beaucoup de choses incidemment, et par suite ne donne pas tous les éclaircissements désirables. Il y parle de motifs qui poussent à la foi, mais qui n’ont réellement

de valeur que pour donner une opinion plus ou moins forte : et tels sont bien les motifs de crédibilité tels qu’ils sont perçus par une multitude de fidèles, bien que ces motifs leur donnent, à eux, une certitude relative et une croyance ferme. Mais une croyance ainsi motivée n’est pas un « jugement parfait » : elle ne peut avoir sa fermeté que grâce à l’imperfection du développement de l’intelligence. Nec per hoc potest haberi perfeclum judicium de lus r/uibus assentitur. Opéra, édit. Vives, t. xxviii, n. 508. Elle peut suffire telle quelle dans un jugement spéculatif de crédibilité antérieur à l’acte de foi. Voir col. 231 sq. Mais l’acte de foi lui-même doit être un jugement parfait, un jugement infaillible : il faudra donc qu’il puise son infaillibilité à une autre source que ces motifs qui ne la donnent pas. Unde et in fide qua in Deum credimus, poursuit saint Thomas… est habitas fldei, divinilus menti humanse infusum… Non potest fallere… Unde hoc lumen suffïcil ad judicandum. C’est ce principe surnaturel seul qui donne l’infaillibilité et la perfection à ce jugement de la foi tel qu’il est dans tous. Mais de ce que saint Thomas ne considère ici que l’infaillibilité essentielle de l’acte de foi, il ne s’ensuit pas qu’il nie une autre infaillibilité secondaire, qui procède de la perfection des motifs de crédibilité et ne se trouve que dans une partie des fidèles : il en fait seulement abstraction. Ainsi peut très bien s’expliquer ce texte ; et nous ne voyons pas qu’une interprétation toute différente s’impose à nous, celle qu’en donne M. Rousselot, conformément à son système exposé plus haut, col. 260 sq.

Ce que nous avons dit fera aisément comprendre une preuve donnée par beaucoup de théologiens en faveur de l’infaillibilité surnaturelle de l’acte de foi. Cet acte est représenté comme certain, véritablement et absolument certain, dans l’Écriture et la tradition, par des expressions comme ïlsy/oc, Heb., xi, 1, 7r).r, po<popia, Heb., x, 22 ; Rom., iv, 21. Voir ci-dessus, col. 86, 88, 89. Donc il doit avoir les deux éléments essentiels de la certitude véritable et absolue, voir col. 206 : non seulement la fermeté d’adhésion, mais encore l’infaillibilité. Et le concile de Trente le déclare infaillible : « La certitude de foi, dit-il, où l’erreur ne peut se glisser, » ceriitudine fidei, cui non potest subesse falsum. Sess. VI, c. ix, Denzinger, n. 802. Or l’infaillibilité de cet acte manquerait dans une multitude de fidèles, s’ils devaient l’emprunter à la valeur des motifs de crédibilité qui les amènent à la foi, s’ils n’avaient pas une autre source d’infaillibilité pour leur acte, dans le principe surnaturel qui le produit. Il faut donc admettre (ce que nous savions déjà par ailleurs) que ce principe surnaturel est infaillible, qu’il ne peut jamais exercer son acte sur une proposition fausse ou une fausse révélation. Voir, par exemple, Lugo, De fide, disp. IV, n. 78, t. i, p. 29 ; Franzelin, De traditione, 2e édit., Appendix, c. i, sect. ii, n. 5, p. 577-579.

/ ; I. LA 101 COMME VERTU THÉOLOGALE ; SO OB.IEf

matériel et sos objet d’attbi rutiox. — 1° Notions préliminaires. - — Il existe une vertu infuse de foi, nous l’avons prouvé. Mais toute vertu infuse n’est pas nécessairement théologale. Outre les vertus théologales, la grande majorité des théologiens admet avec saint Thomas contre Scot l’existence de vertus morales infuses : prudence infuse, tempérance infuse, etc. Voir Vertu. Quoi qu’il en soit de cette controverse, des vertus morales infuses étaient au moins possibles, et les concepts de vertu infuse et de vertu théologale ne se confondent pas. Le premier fait abstraction de Vobjet de la vertu, et signifie seulement que Dieu est la seule cause efficiente de cette vertu, lui seul pouvant mettre en un instant une vertu dans notre âme ; c’est pour la vertu une question d’origine. Le second concept roule sur Vobjet de la vertu : pour qu’elle soit « théologale » , il faut que Dieu en soit l’objet formel et immédiat. C’est du moins la caractéristique principale, donnée communément. La vertu morale, elle, n’a pas immédiatement Dieu pour objet, lors même qu’elle se rapporte à lui médiatement ; nous avons dit ailleurs qu’elle a pour motif (objet formel) un certain idéal particulier de bonté morale, une specialis honesias, objet qui n’est pas Dieu, quoique dérivé deDieu. Voir col. 84. Prouver que la foi est une vertu théologale revient donc à prouver qu’elle a immédiatement Dieu pour « objet formel » . L’objet formel est l’objet qui « spécifie » une vertu, c’est-à-dire qui lui donne son caractère propre, sa physionomie, sa « forme » , son unité et son être en quelque sorte. Opposé à l’objet « formel » , il y a l’objet purement « matériel » que la vertu atteint, quod creditur, quod amatur, etc., mais qui ne spécifie en aucune façon. La foi divine atteint des objets de toute sorte, passés, présents et futurs, des biens à espérer, des maux à craindre, etc. Voir S. Augustin cité à l’art. Espérance, t. v, col. 606, 607. Si ces diverses catégories d’objets de la foi avaient le pouvoir de spécifier, il faudrait admettre plusieurs vertus de loi, la foi des choses passées, celle des choses futures, celle des biens, celle des maux, etc. Or, nous savons par les documents positifs qu’il n’y a qu’un seul acte de foi, qu’une seule vertu de foi. Ces multiples objets seront donc regardés comme pur objet « matériel » de la foi, pure matière à croire, quod créditer.

Mais l’objet formel doit ici se dédoubler. Pour employer la terminologie de plusieurs théologiens, il y a Yobjectum formalequo, etYobjectum formelle quod. Le pren lier n’est pas autre chose qucle motif de la vertu, auquel le nom d' « objet formel » est souvent réservé par excellence. Quand, pour mieux le distinguer, les théologiens ajoutent quo, voici la raison de cet ablatif causal : c’est par le motif que l’on agit ; le motif propre de la vertu est cause de tous les actes de la vertu ; c’est un Élément essentiellement actif. Voilà pour Vobjectum formule i/uo. h’objectum formule quod est tout autre chose : comparé au motif dont nous venons de parler, il n’est qu’un objet matériel, que la vertu atteint à l’aide de son motif, et de la ce mot de quod ; et il n’agit pas sur nous dans tous les actes de la vertu, comme le motif. Mais entre tous les objets matériels de la vertu, il se distingue par une prééminence telle que tous les autres se subordonnent à lui : donc lui aussi, à sa manière, donne à la vertu son unité, sa physionomie et Ire, donc on peut aussi le regarder comme un objet i formel » . On lui donne le nom spécial d' « objet d’attribution » . Dans les sciences, dans les arts, dans les vertus, l’objet d 'attribution, ou objectum formate quod, spécifie : nous en avons donné des exemples à l’art. Espérance, col. 631, 632.

2° Preuve. Une vertu sera « théologale » , dans le sens le plus complet du mot, si elle trouve Immédiatement en Dieu ses deux objets formels, quo et quod ; en d’autres termes, si quelque attribut divin lui sert immédiatement de motif (toul attribut divin « 'identifiant avec Dieu même), et si Dieu est son objet d’attribution. Or la vertu de foi réunit ces deux conditions. I. Elle a pour motif » l’autorité de Dieu qui révèle. d’après le concile du Vatican ; et celle >ilé » se décompose en deux attributs divins : la science infinie « qui ne peut se tromper et la véracité Infinie qui ne peut vouloir tromper, i Voir le motif Iflque de la foi, col. 98 sq., el surtout col. 107 1 19. l’autoi ité de la révélation dlvini. quelque chose de divin, que nous appuyons tout assentiment de foi salutaire. Et cet objet formel détermine conséquemment le vaste domaine de la matière 1 'mue, de l’objet matériel, qui sera toair vérité rivé1 la condition, bien entendu, qu’elle nous appa

raisse suffisamment comme révélée. — 2. Bien des théologiens s’en tiennent là, pour prouver que la foi est une vertu théologale ; et le motif de la foi est bien ce qu’il y a de principal à considérer dans cette preuve. Néanmoins, pour donner un concept plus complet et une preuve adéquate, il faut avec saint Thomas considérer encore Y objet d’attribution de la foi, et montrer que cet objet est Dieu lui-même.

3° L’objet d’attribution de la foi, el son objet purement matériel. — La vertu de foi nous sert donc à croire, surnaturellement et salutairement, toutes les vérités que Dieu a révélées, qui sont pour elle Yobjet matériel. Mais ces vérités révélées ne sont pas toutes sur la même ligne, pour ainsi dire. Il y a entre elles une subordination et comme une hiérarchie, ainsi qu’il convenait au Dieu révélateur qui met de l’ordre dans tous ses ouvrages. Au sommet, l’objet principal de la révélation, Dieu ; le reste, objet purement matériel, n’a été révélé qu'à cause de lui, afin de le mieux connaître ; telle a été l’intention divine en révélant. Comment la connaissons-nous ? Ce n’est pas a priori. Puisque la révélation, don surnaturel, dépendait de la liberté et de la libéralité divines, Dieu aurait pu, à la rigueur, ne rien révéler sur lui-même, el cependant enseigner par révélation à sa créature quelque connaissance utile : à peu près comme les païens attribuaient à leurs dieux la révélation de différents arts, Cérès avait enseigné aux hommes l’agriculture, etc. Dans cette hypothèse qui n’a rien d’impossible, la révélation n’eût pas été une religion ; à inoins de tomber dans l’erreur des manichéens, qui donnaient à toute espèce de vérité prétendue révélée un caractère religieux, et dissertaient dans leurs églises sur le cours des astres, ce qui les avait amenés à faire parade de science et à mépriser la foi des catholiques qui s’avouait étrangère à cette science. « Le prophète Manès, disait son disciple Félix, a enseigné aux hommes le cours du soleil et de la lune. » Dans S. Augustin, De aetis cum Fclicc manichxo, 1. I, c. ix, P. L., t. xlii, col. 525. Une révélation pourrait donc n'être pas une. religion, et ne devrait pas s’enseigner à la place de la religion. Cf. Lugo, Disp., 1891, t. 1, De fuie, disp. III, n. 11. p. 235. Mais dans l’ordre présent. Dieu ne s’esl pas proposé d’enseigner les arts ni les sciences. Voir la réponse de saint Augustin à Félix, loc. cit., c. x. Et si l’on examine le contenu de la révélation qu’il a faite, on voit que Dieu, sa nature, ses divers attributs, ses desseins, ses préceptes, ses miracles, les vertus qui nous unissent à lui, le péché qui l’offense, les moyens qu’il nous a donnés de le connaître, de le servir, d’obtenir notre pardon, d’arriver un jour à le posséder dans le ciel, remplissent les pages de la Bible el de l'Évangile ; on voit que notre révélation est une religion, qu’elle nous fait connaître un ensemble de rapports avec Dieu ; aussi le sens commun des chrétiens prend-il ces deux mots comme synonymes : « révélation chrétienne, religion chrétienne. * Où sont représentés les articles principaux de la foi ? Surtout dans le symbole. Or le symbole est plein de Dieu, des trois personnes de la sainte Trinité, de leurs a u divines : sur les êtres différents de Dieu, on y trouve relativement peu de chose, el cela encore à cause d’une opération toute spéciale par laquelle Dieu main feste en ces êtres sa puissance et sa Imiile et les attire à lui : Credo… sanciam Eccletiam catholicam, rrmissionem peccatorum, carnii returrectionem, vttam aeternam.

Aussi, de l’avis des l’eus et des dOCl eut s. l’objet que nous CTOyOni avant tout, c’est Dieu. 1 Le premier el le pi incipal devoir île la foi. dit saint Augustin, c’est de

croire en celui qui al le vrai Dieu. »< civttatt Dei, 1. iv, c. x. /'./… 1. xi 1. col. 127. Et 1 croire en Dieu,

ici. ce n’est pas seulement attire sur In parole de Dnu. ce qui a lieu dans tout " I' 'le lui quelle qui suit sa

matière : mais c’est encore croire Dieu, c’est-à-dire ce que Dieu a révélé sur lui-même, principale partie de la révélation, à laquelle répond le principal devoir de la foi.

Saint Thomas dit la même chose de la révélation. "Voir col. 123. Il en tire cette conséquence : Fides… ipsum Deum habct sicut principale objectum, alia vero qusecumquc sicut conscquenter adjuncla. De verilale, q. xiv, a. 8. Il donne à cet objet principal la qualification d' « objet formel » . Sum. theol., II a 11-% q. vii, a. 1, ad 3um. Il joint synthétiquement les deux objets formels, quo et quod, dès le premier article où il commence à traiter de la foi. Ibid., q. i a. 1. Dès le début, il ne pouvait donner de la foi une idée plus caractéristique, plus spécifique, ni mieux montrer pourquoi c’est une vertu théologale. Avec saint Thomas, tous les théologiens detoutes les écoles sont ici d’accord. Calvin leur a cherché noise : « Quand on dispute de la foi aux écoles de théologie, écrit-il, en disant crûment que Dieu en est l’objet, ils égarent çà et là les pauvres âmes en spéculations volages… Saint Paul proteste qu’il n’a rien estimé digne d'être connu, que Jésus-Christ… (Les théologiens sorbonniques) ont couvert tant qu’ils ont pu Jésus -Christ d’un voile. » Institution, 1. III, c. il, n. 1, 2, dans le Corpus reformatorum, Calvini opéra, l. iv, p. 1<>, 11. Ce n’est pas « couvrir JésusChrist d’un voile » que de reconnaître Dieu comme objet suprême auquel tout se rapporte dans la révélation et dans la loi. Car enfin, ou Calvin prend ici Jésus-Christ comme Dieu, ou il le prend comme homme. Dans le premier cas, il revient à dire ce que nous disons, et la querelle est futile. Dans le second cas, il devra bien accorder que la révélation de l’humanité du Christ est subordonnée à celle de la divinité, qui reste l’objet suprême de notre connaissance et de notre amour. Jésus, parlant de la mission qu’il a reçue comme homme pour transmettre aux hommes de ses lèvres humaines la divine révélation, dit : « Mon Père…, j’ai consommé l'œuvre que vous m’avez donnée à faire… J’ai manifesté aux hommes votre nom » (votre nature divine, votre autorité suprême, etc.). Joa., xvii, 4, G. Voilà l’objet, sinon unique, du moins principal de la révélation faite par le Christ. Jamais d’ailleurs les théologiens catholiques n’ont contesté que la sainte humanité du Christ, après la divinité, soit au premier rang par rapport à tout le reste, qu’elle ait dans la révélation chrétienne, en ce sens, une primauté relative.

L’objet d’attribution de la foi, si on le considère dans le concret, c’est donc Dieu. Si on le considère dans l’abstrait, dans les énoncés qui nous disent quelque chose de Dieu, et qui sont aussi objet de foi, voir col. 129-131, alors la question se pose de nouveau. Ces nombreuses vérités sur Dieu que nous donne la révélation sont-elles toutes sur la même ligne ? Ou bien y a-t-il entre elles une subordination, une sorte de hiérarchie dans la pensée et l’intention divine, ce qui continuerait et pousserait jusqu’au bout l’ordre déjà constaté dans la révélation ? Cette seconde position est bien à présumer d’après ce qui précède. Elle se prouve d’ailleurs en désignant dans la révélation une catégorie de vérités qui domine, qui se subordonne les autres vérités sur Dieu : ce sont les mystères. Nous avons déjà distingué, parmi les vérités sur Dieu, deux catégories, l’une que saint Paul appelle quod nolum est Dei, l’autre qu’il appelle profunda Dei, les mystères. Voir col. 364. Or ce sont les mystères seuls qu’il indique comme objet de sa prédication, I Cor., ii, 7-10 : sans doute parce que c’en est l’objet principal. C’est parce qu’elle entrevoit déjà ces profondeurs mystérieuses que la foi, malgré son imperfection, a pu être appelée par plusieurs Pères et docteurs de l'Église une anticipation, un avant-goût de la vision béati fique. Voir col. 363. C’est bien la l’objet principal, puisque seul il donne à la foi chrétienne son rapport essentiel à la vision céleste. D’autres docteurs, dans cette célèbre définition de la foi : Fides est… argumentum non apparentium, Heb., xi, 1, entendent par non apparentium les mystères ; et non sans raison, car seuls les mystères ont cette propriété de rester « non apparents » , voilés, même après que la foi, leur servant de preuve, a donné la conviction de leur existence, suivant la remarque du concile du Vatican. Voir ccl. 358. Ainsi ce passage est-il entendu par saint Grégoire le Grand : Fides, dit-il, illarum rerum argumentum est, quse apparere non possunt. Homil. in evang., homil. xxvi, n. 8, P. L., t. lxxvi, col. 1202. Apparere non possunt est plus clair que non apparentium pour indiquer le mystère. Mais si la foi, quoiqu’elle atteigne d’autres objets que les mystères, voir col. 377, est définie comme si elle n’avait pas d’autre objet, c’est que le mystère est son objetprincipal, son objet d’attribution : on sait qu’une science, par exemple, se définit fort bien par son objet d’attribution. Saint Thomas entend de même l’expression scripturaire non apparentium : « La foi, dit-il, a pour objet les choses invisibles qui dépassent la raison humaine (les mystères) : c’est pourquoi l’apôtre dit (Heb., xi, 1) que la foi a pour objet les choses non apparentes. » Sum. theol., I a, q. xxxii, a. 1. Le saint docteur affirme très nettement la thèse que nous exposons ici, quand il dit : « Certaines vérités tombent sous la foi directement et par elles-mêmes, perse directe : ce sont celles qui dépassent la raison naturelle, comme la trinité, l’incarnation. D’autres tombent sous la foi en tant qu’elles sont subordonnées à celles-là, ordinatu ad isla, et qu’elles s’y rapportent d’une manière ou d’une autre : ainsi toutes les vérités révélées que contient l'Écriture. » Sum. theol., II" II*, q. viii, a. 2. Cf. q. i, a. 6. De là aussi très souvent, chez saint Thomas, les mots res fldei, ea quse sunt fldei, pour indiquer les mystères, comme si c'était l’unique objet de la foi, parce que c’en est l’objet d’attribution. Sum. theol., I » , q. xxxii, a. 1 ; II » II æ, q. i, a. 5, ad 2um ; In Boelium, etc. En cela il imite les Pères, qui, réservant le nom de « foi » (pris ici objectivement) aux principaux mystères de la religion, ont écrit des « traités de la foi » , des « expositions de la foi » qui ne sont pas autre chose qu’un exposé de la trinité, ou de la trinité et de la rédemption. Ainsi saint Athanase a composé une Exposition de la joi, P. G., t. xxv, col. 199 sq., saint Grégoire de Nysse un Traité de la joi, P. G., t. xlv, col. 135 sq., saint Ambroise le De fide ad Gratianum, P. L., t. xvi, col. 527. Outre les raisons déjà indiquées pour que le mystère soit l’objet principal de la foi, signalons-en quelques autres. La foi est plus liée au mystère, parce qu’elle lui est plus nécessaire : sans elle il ne peut être connu en aucune façon, tandis que d’autres vérités révélées ne sont pas inaccessibles à la raison. Voir S. Thomas, Quwst. disp., De verilale, q. xiv, a. 9. La révélation des mystères est doublement surnaturelle. Voir col. 358. Elle montre la familiarité d’un Dieu qui communique ses secrets. Marc, iv, 11 ; Joa., xv, 15. En croyant le mystère, la foi a un mérite spécial, elle triomphe de plus d’obstacles, elle rend plus d’honneur à Dieu : plus une chose est difficile à admettre, plus on honore le témoin sur la parole duquel on l’admet. En croyant le mystère, la foi fait briller davantage son efficacité, sa puissance. « Sa vertu, dit Scheeben, consiste précisément à rendre ce qui est invisible aussi certain que ce qui est visible. Heb., xi, 27. Plus un objet dépasse la sphère naturelle de l’homme, plus il est caché à son regard naturel, plus il offre d’occasions à la foi de manifester sa vertu intime… La foi est donc une connaissance transcendantale… Le mystère est son élément propre, et c’est

en lui qu’elle règne et qu’elle triomphe. » Dogmatique, trad. franc., Paris, 1877, t. i, § 41, p. 467. Cf. Salmanticenses, Cursus theologicus, Paris, 1879, t. xi, De fi.de, disp. I, n. 33, p. 17 ; C. Pesch, Prælectiones dogm., 3e édit., Fribourg, 1910, t. viii, n. 398, p. 183. Les mystères spécifient donc la foi, et lui communiquent les caractères particuliers que nous venons de signaler, et en outre celui d’obscurité. Voir ce qui sera dit de l’obscurité de la foi.

Ainsi, l’objet d’attribution de la foi, en un sens plus précis, c’est Dieu dans ses mystères. On peut serrer encore la question, et se demander si, parmi ces mystères eux-mêmes, il n’y a pas une hiérarchie et une subordination, en sorte qu’un seul domine. Dieu mettant l’ordre dans tout ce qu’il veut et ce qu’il fait, il est raisonnable de penser qu’il l’a poussé jusque-là dans sa révélation. Ce mystère suprême, au point de vue spéculatif, pourrait être la Trinité ; au point de vue pratique, la vision intuitive de Dieu, ou fin surnaturelle qui commande toute notre vie. Il y a d’ailleurs une étroite liaison entre ces deux mystères, puisque la contemplation de Dieu dans sa vie intime, dans sa Trinité, fera l’objet de notre béatitude surnaturelle. Saint Thomas désigne l’objet d’attribution, quand il dit des nombreux objets matériels de la foi : Tamen sub assen.su fidei non cadunt, nisi secundum quod habent aliquem ordinem ad Deum. Il le précise, en ajoutant aussitôt : prout scilicet per aliquos divinitatis effectus homo adjuvatur ad tendendum in divinam jruitionem. Sum. Iheol., IL II', q. i, a. 1. In divinam fruilionem, vers la béatitude surnaturelle : pourquoi la nommer ici à propos de l’objet d’attribution, sinon parce qu’il la regarde comme la suprême détermination de cet objet, comme le mystère suprême auquel se rapportent toutes les vérités révélées ? Et comme cette béatitude surnaturelle est en même temps l’objet d’attribution de notre espérance, voir Espérance, col. 631, on aurait là une explication plus profonde de la célèbre définition Fides est sperandarum substantia rerum, Heb., xi, 1 : la foi y serait définie par son objet d’attribution, la béatitude céleste qu’elle croit, res sperandæ. Et l’on conçoit qu’en parlant aux convertis du judaïsme, ad Hebrœos, il ait été plus opportun d’insister sur cet objet que sur le motif de la foi. Les juifs, en effet, habitués à s’enfermer avec la loi mosaïque dans le cercle étroit des promesses de biens temporels, avaient quelque peine à s'élever à la foi et à l’espérance des biens de la vie future. Au contraire, le motif de la foi, l’autorité de la parole de Dieu, ne leur offrait guère de difficulté, utumés qu’ils étaient « lis l’enfance, et par l’esprit public de leur race, à vénérer l'Écriture, la révélation divine. On n’avait donc pas, avec eux, à mettre en relief le motif de la foi ; il est d’ailleurs, dans cette dé tin il ion. indiqué imp icitement, puisque les mystères et les promesses divines ne peuvent être admis que sur l' nage « le Dieu.

Si Dieu n’avait pas élevé l’homme a la fin surnaturelle ni révélé de mystères, il n’aurait pas mis dans lis âmes la vertu infuse de foi. qui correspond a ce liant objet ; il aniait pu cependant révéler des vérités moins éloignées de notre raison, et l’homme aurait dû croire cette révélation : mais sa foi, quoique semblable a la nôtre par son motif ou objectum formate quo, aurait différé par Vobjectum formate quod, qui n’aurait pas été Dieu dans ses mystères. Elle aurait donc été d’une autre espèce que la nôtre ; et même, à proprement parler, n’aurait pas été un acte de vertu théologale,

du moins dans le même sens. C’esl l’opinion de saint Thomas : il rattache au mystère divin, comme a leui objet propre, nus trois eitus théologale !  : « L’objet des vertus théologales est Dieu lui-même…m tant qu’il '/r/„ ; ^< /, / connaissance de notre raison, Sum,

theol., I a IL, q. lxii, a. 2. Il les rattache même plus spécialement au mystère de la béatitude surnaturelle. Voir Espérance, t. v, col. 645, 646. « C’est par là, dit-il, que la vertu infuse de foi se distingue de la « foi » dans un sens plus général, qui ne serait pas ordonnée à la béatitude que nous espérons maintenant. » IIa-IIæ, q. iv, a. 1.

Les auteurs n’ont point manqué qui, à la suite de saint Thomas, ont considéré la béatitude surnaturelle comme le suprême objet d’attribution de la foi. Fides primarie respieil beatitudinem, dit Louis de Torrez, S. J., et alia in ordine ad illam ; et ideo per objecta, quorum est spes, definita est fides. Heb., xi, 1. Disput. in II RW II*, Lyon, 1617, col. 454. A cela revient la thèse de quelques anciens scolastiques : Objectum altributionis fidei est Dcus sub ratione glorificatoris, ou celle de Lugo : Objectum… est Dcus secundum se, et utassequibilisanobis.Disput., t. i, De fide, disp. III, n. 14, p. 236. Et de nos jours le cardinal Billot : Dicendum, objectum altributionis (fidei) esse ipsum Deum ut finem supernaturalem. De virtutibus infusis, 2° édit., Rome, 1905, thés, x, p. 233, 234.

Quant aux objets matériels de la foi, en dehors de l’objet d’attribution, le même cardinal les classe en deux catégories. Il y a d’abord les vérités qui de leur nature se rapportent, d’une manière ou d’une autre, à l’acquisition de cette fin surnaturelle : soit qu’elles en indiquent les moyens, soit qu’elles signalent les obstacles à éviter, soit qu’elles proposent des modèles, des symboles, des figures de cette acquisition, soit qu’elles entrevoient les profondeurs que contemplera la vision céleste, etc. Ce sont les vérités qui appartiennent par elles-mêmes à la foi. Il y a ensuite des vérités qui n’ont pas par elles-mêmes cette valeur religieuse, qui n’ont été révélées que par « pure concomitance » , comme sont bien des faits historiques révélés dans l'Écriture et à ce titre objets matériels de la foi. Loc. cit., p. 235-238. Plusieurs donnent à cette dernière classe le nom de revelata per accidens. Ces choseslà n’ont pas été révélées pour elles-mêmes, mais seulement pour aider à connaître les autres, ad manifeslationem aliorum, dit saint Thomas, Sum. theol., Il » II æ, q. i, a. 6, ad l mn ; c’est un cadre qui fait ressortir les autres vérités, celles dont la révélation a été directement voulue. In Scripluris, dit Bellarmin, plurimu sunt, quse ex se non pertinent ad fidem, id est, quæ non ideo scripla sunt quia necessario credenda eranl, sed necessario creduntur quia scripla sunl. Conlrov., I, De verbo Dei, 1. IV, c. xii, dans Opéra, Paris, 1870, t. i, p. 229. Nous n’avons pas d’ailleurs à considérer ici les phrases de l'Écriture qui contiennent un ornement de parabole, ou une citation, ou une invocation, etc., et par conséquent point d’affirmation directe, point de témoignage de Dieu, point de vérité révélée, point d’objet matériel de la foi. Cet objet, d’après le cardinal Billot, peut se partager finalement en trois classes : objectum primarium ou altributionis — secun(liirium pure aceidentarium. I.oe. cit.

Xous ne traiterons pas davantage de l’objet matériel de la foi. Sous cette rubrique, les anciens théolo giens faisaient entrer l'étude des symboles de foi, l'élude de toutes les « règles de foi » , voir col. 160 sq., Écriture, tradition, conciles, pape ; l'étude de l'Église, alors moins fouillée qu’aujourd’hui, l’infaillibilité et son objet, etc. Aujourd’hui, ces vastes sujets mil quitté le traité de la foi v constituent des traités à part. Voir

Concili i olisb, I’api. Symboles, a propos de

l’objet matériel de la foi, on abordait aussi I histoire de la révélation dans l’Ancien et le Nouveau Testanu ni. comment la révélation s’est accrue peu à peu avant JéSUS-Christ, et surtout pat son enseignement et celui de ses apôtres ; coin ni eut au en nt 1 ail i. api i s la

moi ! dis apôtres, il n’y a plus de nouvelle révélation

publique, voir col. 146, plus d’accroissement d’articles, et les articles de foi ne font plus que s’expliciter davantage. Voir Révélation. Une autre question préoccupait les scolastiques à propos de l’extension plus ou moins grande de l’objet matériel de la foi : c’était de savoir si, dans un syllogisme où seulement l’une des deux prémisses est une vérité de foi divine, la conclusion est elle-même une vérité de foi, un objet matériel de la foi ; si l’on peut dire que Dieu a eu l’intention de la révéler en révélant les prémisses de foi. Cette question particulière, difficile et controversée, et qui demanderait des précisions et des distinctions, n’est pas nécessaire pour l’ensemble de la théorie de la foi, et c’est pourquoi nous pouvons l’omettre, d’autant qu’elle se rattache à la question du développement du dogme, que l’on a coutume de traiter à part aujourd’hui. Voir cette question dans Mazzella, De virtutibus infusis, Rome, 1879, prop. xx, p. 243-268 ; Billot, De virtutibus infusis, 2e édit., Rome, 1905, thés, xii, xiii, p. 258-272 ; Pesch, Prwlecliones dogm., 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1910, t. viii, prop. xv, p. 118-126. Voir ici Explicite et implicite, t. v, col. 1869, 1870 ; Dogme, t. iv, col. 1576, 1577, 1641-1647. Voir, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, l’art. Dogme, col. 1144, 1145.

4° En quoi consiste, pour la foi, la souveraine appréciation de son objet. — C’est une propriété commune aux vertus théologales d’apprécier leur objet par-dessus tout, comme il le mérite, cet objet étant Dieu. Oh dit de l’acte de ces vertus, qu’il est apprelialive summus, qu’il adhère à Dieu super omnia, qu’il préfère Dieu à tout. Il y a une certaine ambiguïté dans le mot " préférer » : la préférence de l’esprit, et celle du cœur. Voir Espérance, t. v, col. 646 ; cf. col. 616. Il ne faudrait pas, sous prétexte que la foi est un acte intellectuel, s’arrêter à une préférence de l’esprit, à un jugement qu’on pourrait appeler « d’excellence » ou de « préférence » , par exemple : « L’autorité de Dieu comme témoin est plus infailliblement fiée au vrai que tout autre moyen de connaître ; les vérités révélées sont plus sûres que toutes nos vues personnelles et toutes les autorités humaines. » Nous n’avons garde de contester la vérité d’un pareil jugement, que nous avons nous-même prouvée plus haut, col. 331 sq., ni sa nécessité pour préparer les voies à la volonté : il doit être considéré comme faisant partie des « jugements de crédibilité » requis pour diriger la marche de la volonté dans la foi. Mais si l’on se bornait à ce jugement, l’acte de foi n’aurait pas tout ce qu’il lui faut pour être apprelialive summus, pour préférer à toute chose le Dieu véridique, comme c’est de l’essence de la foi d’après saint Thomas : De rationc fldei est, ut Veritas Prima omnibus præferatur. Sum. theol., IIa-IIæ , q. v, a. 4, ad 2° 1 ". Il faut y ajouter une préférence de la volonté, comme dans les autres vertus théologales. De même que la charité préfère l’amitié divine à tout ce qui peut la détruire en nous rendant ennemis de Dieu, c’est-à-dire est prête à sacrifier tout ce qui la détruirait ; de même que l’espérance préfère le bonheur ineffable, qu’au ciel on trouvera en Dieu, à tout autre bonheur qu’elle est prête à lui sacrifier, ne désespère pas d’y atteindre un jour et compte pour cela sur le secours divin plus que sur les forces de l’homme dont elle se délie, voir Espérance, col. 647, 648, de même, dans la foi, la volonté est prête à écarter l’intelligence de tout ce qui viendrait contredire la révélation divine, à le faire rejeter comme faux par le seul fait de l’opposition à cette révélation bien constatée. C’est non seulement, par un jugement, reconnaître en principe l’excellence de la parole de Dieu, mais encore la choisir en pratique comme le critère qui tranchera tous les conflits avec la prétendue science, comme la norme qui dominera tout dans notre intelligence, la grâce

aidant. Ainsi le super omnia se précise, et se ramène, dans l’ordre de la volonté et de la pratique, à super omnia contraria. Qu’on doive l’entendre ainsi, c’est ce qu’il est facile de montrer par les raisons et les autorités suivantes.

1. Quand un théologien fait la théorie de l’acte de foi, il ne doit pas la tirer a priori de son cerveau, mais il doit avant tout utiliser les éléments qui lui sont fournis par les documents positifs de la révélation et de l’Église. Or nous savons déjà, par ces documents, que tout fidèle doit avoir cette résolution générale, ce ferme propos, de préférer en cas de conflit les vérités révélées à tout ce qui pourra les contredire. Voir col. 329 sq. Une résolution générale est une disposition de la volonté, qui se prépare d’avance à faire toujours son devoir : et le devoir de la volonté, dans la foi, consiste à appliquer l’intelligence à ceci, à la détourner de cela, à supprimer les doutes imprudents en supprimant les sophismes déraisonnables, etc. Voilà donc un élément volontaire de la foi qui nous est fourni par les documents positifs ; il se rapporte évidemment, de sa nature, au super omnia, à la souveraine préférence que nous devons donner à l’objet de la foi : il faut donc s’en servir pour expliquer le super omnia. Si dans cette explication on le laissait de côté, on ferait œuvre, non pas de théologien, mais de constructeur de systèmes a priori.

2. Si l’on réduisait le super omnia, dans la foi, à un « jugement d’excellence » , le super omnia se rencontrerait même chez les hérétiques les plus coupables. Car, en général, ils reconnaissent théoriquement ce principe abstrait de l’excellence du témoignage divin, et des devoirs qui s’ensuivent. N’est-ce pas un principe évident de la raison, et que nul ne peut ignorer ? Voir Pie IX, encyclique Qui pluribus, Denzinger, n. 1637. Leur faute n’est pas de nier ce principe, mais de priver pratiquement du culte qui lui est dû l’autorité du Dieu qui révèle, en cherchant à se persuader que tel article qui leur déplaît (et qui, au fond, leur est suffisamment proposé comme révélé) n’est pas contenu de fait dans la révélation. Leur volonté mal disposée, influant à tort sur l’intelligence, ils préfèrent sur un point, à la parole de Dieu suffisamment constatée, leurs vues personnelles ou des autorités humaines ou des doutes imprudents et sophistiques. Et quand on en est là sur un point, comment dire sérieusement qu’on est prêt à sacrifier à la parole de Dieu tout ce qui lui est contraire ? Dans la disposition d’âme où ils sont, il est donc impossible qu’ils aient sérieusement cette résolution générale, que nous avons prouvée nécessaire à tout fidèle ; et par suite il est impossible de dire qu’ils préfèrent, dans toute la force du terme, la parole de Dieu, comme ils sont tenus de le faire, qu’ils en ont une appréciation souveraine, etc. Cette appréciation souveraine renferme donc plus qu’un jugement d’excellence.

3. Parmi les théologiens dont l’attention s’est portée sur ce super omnia et qui en ont donné l’explication (beaucoup ne l’ont pas fait), nous n’en trouvons point qui aient été assez intellectualistes pour le réduire a un simple jugement de l’intelligence ; et nous pouvons en citer plusieurs qui esquissent une explication conforme à celle que nous avons donnée. « Les vertus théologales, dit Sylvestre Maurus, sont celles par lesquelles l’intelligence et la volonté adhèrent à Dieu comme à la fin dernière et à la première règle… Mais adhérer ainsi à un motif, c’est le préférer à tous les motifs contraires. » Si, en effet, dans la foi, nous prenons la révélation comme règle de notre intelligence, par là même nous rejetons tout ce qui serait contraire à cette règle. « Par l’acte de foi théologale, conclut-il. telle est donc notre adhésion à la Première Vérité qui révèle, que nous la préférons à tous les motifs con

traires, et c’est pourquoi saint Thomas dit : De ralionc fidei est, ut Veritas Prima omnibus præferatur. » Opus theologicum, Rome, 1687, t. ii, q. cxxxix, p. 443. « La foi divine, si elle est vraiment ce qu’elle doit être, dit Kilber, est appretialiue super omnia divinæ auctoritali ac revelationi graviter opposita… Son assentiment présuppose une volonté efficace de captiver et de soumettre en tout l’intelligence à la divine autorité qui parle : soit parce que c’est nécessaire pour croire de tout cœur, Act., viii, 37, soit parce qu’une véritable et entière captivité de l’intelligence l’exige. II Cor., x, 5. » Dans la Theologia Wirceburgensis, De flde, n. 221 ; ou dans le Theologise cursus de Migne, t. vi, col. 594. « Tout acte de foi chrétienne, dit PJatel, implique du côté de la volonté un ferme propos de se soumettre en tout à la divine autorite suffisamment proposée… De là vient que l’acte de foi chrétienne, commandé par ni le pieuse affection dont la portée est universelle…, ne peut se trouver chez un hérétique formel (hérétique de mauvaise foi) qui nie un article quelconque de la foi. Bien qu’il ne nie pas l’infaillibilité de la révélation divine en général, mais seulement que tel article soit révélé…, il fait pourtant injure à la divine autorité : parce que sa négation ne se produit pas dans des circonstances quelconques, mais dans le cas précis où cet article lui a été suffisamment proposé. Par là il fait une grave injure à la divine autorité (non pas en la niant théoriquement elle-même, mais en éludant pratiquement le culte qu’il lui doit), comme il ferait injure au roi, s’il ne voulait pas se rendre au témoignage du roi absent (ou à son ordre), quand il lui serait suffisamment proposé (par un intermédiaire digne de foi, une pièce authentique, etc.). Aussi un tel acte (l’acte de foi d’un hérétique formel sur les articles qu’il lui a plu de conserver) ne peut procéder de cette pieuse volonté de rendre un culte suprême à la divine véracité, volonté requise pour l’assentiment surnaturel de foi chrétienne, et qui donne à l’acte de foi d'être ex loto corde et super omnia. » Synopsis cursus theol., Douai, 1706, part. III, n. 267 sq., p. 277. « On ne peut faire un acte de foi divine (salutaire et surnaturelle), avait déjà dit Lugo, qu’en vertu de la volonté universelle de soumettre son intelligence à la foi. C’est faute de cette volonté qu’il ne peut y avoir un acte de foi divine dans l’hérétique (formel) même sur les autres articles de foi qu’il croit. » Dispul., t. ii, De fide, disp. XX, n. 186, p. 50. Et c’est la raison pour laquelle cet hérétique perd la vertu infuse de foi, désormais inutilisée par sa faute.

4. Conséquences.

Ainsi notre manière d’entendre le super omnia rend bien compte de cette thèse communément admise en théologie, que l’hérétique formel ne peut faire de véritables actes de foi sur les dogmes mêmes qu’il a conservés et qu’il reconnaît comme révélés. Tant qu’il cherche à se persuader, contre la réclamation intime de sa conscience, que tel dogme pas révélé, il ne peut avoir sérieusement le ferme propos universel de soumettre son intelligence à ta révélation comme à sa règle suprême ; de même qu’un pécheur, attaché à un péché mortel, ne peut avoir sérieusement le repentir des autres ni le ferme propos universel d'éviter tout péché mortel. Cet élément de volonté défectueuse n’a pas échappé à saint Thomas, quand, traitant cette thèse, il dit de l’hérétique formel : Inheeret proprise viiluntati… Non est paratus sequi in omnibus doctrinam Ecclesise, Sum, theol., II « II', q. v, a. 3 ; el quand il distingue de cette mauvaise disposition la bonne volonté du fidèle, qui paratus est omnia credere. I.oc cit.. a. I, ad I » . Voilà

ne.li' déman ation nettement tique formel et le vrai fidèle. seul, (lit l’abbé Mérit, "> vrai fidèle accepte avec un filial empressement tonte parole de Dieu, disposé toujours…a faire « le la

DUT. I)K Tlll « il. i.ATII.

parole de Dieu l’unique règle de ses pensées, de ses sentiments et de toutes ses actions. » Cette vraie foi peut se trouver même chez les hérétiques matériels, « mutilée, mais vivante dans les âmes invinciblement trompées ; enfants ravis à l'Église, jetés et retenus de force hors de la maison de famille, mais que la bonne volonté lient unis, sans qu’ils le sachent, à la pensée, à l’amour de leur mère. » Si nous pouvions lire dans les cœurs, « partout ailleurs n’apparaîtraient que de vains simulacres de foi… La foi de tant d’hérétiques et schismatiques fameux, de tant d’arrangeurs de religions ! … Le monde entier atteste, eux-mêmes confessent, que leur credo d’aujourd’hui n’engage pas celui de demain.. Prétendre que ces penseurs sans frein ni règle ont la foi, une foi comparable à celle des vrais chrétiens, c’est se moquer ouvertement de Dieu, des hommes et de soi-même. Pour croire en chrétien, il faut soumettre entièrement et irrévocablement son intelligence à la parole de Dieu. » La foi, Paris, 1880, p. 44-46.

C’est cet élément essentiel de la foi, si l’on n’y prend pas garde, qui peut manquer à la conversion de certains intellectuels de l’anglicanisme, habitués à décider de tout suivant leurs vues personnelles ou leur caprice, et qui n’ont jamais compris, dans leur milieu particulier d’indépendance spéculative, ce que c’est qu’une règle de l’intelligence et une autorité doctrinale, même en Dieu. On en a vu qui, dégoûtés de leur secte, pris un jour d’une sorte d’engouement pour l'Église catholique parce qu’ils la trouvaient seule logique, se sont convertis en vertu d’une théorie personnelle, qui leur plaisait en tant que personnelle. Plus tard, la même mobilité de pensée et le même attachement à leurs idées du moment les a ramenés au protestantisme. Quelqu’un qui les connaissait bien, un illustre converti de l’anglicanisme, Mgr Croke Robinson, ancien fellow d’Oxford, écrit à leur sujet : « Ce ne sont pas des apostasies réelles… Ils n’avaient qu’une conviction intellectuelle. » C’est-à-dire qu’il leur manquait cette humble, entière et irrévocable disposition de la volonté, élément nécessaire de la foi. « Ces gens ne sont pas des apostats, car ils n’ont jamais eu la foi. » Roads lo Rome, collection de souvenirs personnels de plusieurs convertis, Londres, 1901, p. 221. C’est dans le même sens que nous partageons cette théorie du même auteur : « La conviction intellectuelle n’est pas la foi… Il y a des milliers de gens aujourd’hui qui sont intellectuellement convaincus que, de toutes les sociétés se prétendant chrétiennes, seule l'Église catholique est logique et inattaquable dans ses articles de foi. Mais ils ne deviennent pas et ne deviendront jamais catholiques, parce qu’ils n’ont pas la foi… Dieu seul peut donner la faculté de voir dans l’ordre de la grâce comme dans celui de la nature ; et jusqu'à ce qu’il la donne, personne ne peut l’atteindre par aucun procédé de raisonnement scientifique. » Loc. cit. Ce n’est pas que la grâce de la foi ne soit olïcrte à tous, mais l’orgueilleuse indépendance dont nous avons parlé lui oppose un obstacle absolu.

5. Remarques.

a) Quand nous disons que cette résolution de préférence » est un élément de la foi, nous ne prétendons pas qu’elle doive être renouvelée à chacun des odes <lr foi. Ce serait mettre à l’acte de foi une condition onéreuse et i esti active, qui diminuerait forcément le nombre de ces actes, appelés pourtant a être fréquents dans la vie du chrétien, comme nous le savons par la révélation, t 'n théologien

n’a pas le droit de poser de telles conditions, à moins d’y être forcé par la révélation même ou ses conséquences logiques. Or ici, rien ne nous force i I igcr, pour qu’il y ait vraiment ; n le de foi, un renomclle mini actuel de celle disposition d'âme, loties quottts. i ne disposition générale de la volonté ne peut elle

VI.

i : i

pas demeurer et exercer une influence virtuelle sur tous les actes de foi, sans être aussi souvent renouvelée par un acte réfléchi, distinct et pleinement conscient ? Si ce renouvellement en règle était nécessaire, l'Église devrait en avertir les fidèles, qui n’y pensent pas, et, infaillible gardienne de la foi et de la morale, elle ne manquerait pas de le faire : or elle ne le fait pas. Du reste il y a, comme préludes nécessaires de l’acte de foi, d’autres actes qui n’ont pas besoin, eux non plus, d'être ainsi renouvelés. Telle la preuve apologétique du fait de la révélation ; nous savons confusément qu’elle existe, que nous l’avons vue, mais nous ne la repassons pas dans notre esprit à chaque nouvel acte de foi. Il en sera de même de cette résolution, qui prélude à l’acte de foi du côté de la volonté. Et en généra], tout acte de vertu que l’on ne fait pas pour la première fois, qui est passé plus ou moins en habitude, peut être beaucoup plus rapide, confus et implicite, parce qu’il s’appuie sur des actes précédents de la même vertu, faits plus distinctement, et trouve en eux son point de départ, son explication et sa justification. Enfin il faut se rappeler que les fidèles renouvellent assez souvent, sous une forme ou sous une autre, la résolution dont nous parlons, par exemple, dans les actes de « foi implicite » , lesquels expriment directement et avant tout cette résolution même. Voir col. 384. — b) La manière qu’avec de grands théologiens nous avons donnée d’entendre dans la foi le super omnia nous débarrasse de questions oiseuses introduites par quelques auteurs qui ou bien ne l’avaient pas comprise ou bien l’avaient oubliée : par exemple, disent-ils, devons-nous préférer les vérités de foi, données par le témoignage divin, aux préambules mêmes de la foi, donnés par la raison humaine ? — Si l’on a compris que le super omnia équivaut à super omnia contraria, la question tombe d’elle-même : car jamais les préambules de la foi, vérités certaines et présupposées à la foi, ne seront contraires à la foi ni à la révélation.

IV. CERTITUDE PARTICULIÈRE DE I.A FUI. 1 ° Éléments caractéristiques de la certitude de foi. — Partant de ce principe que la certitude en général a deux éléments, l’infaillibilité et la fermeté, voir col. 206, 207, nous avons déjà montré séparément ce que la foi possède par rapport à chacun de ces éléments. Il est temps d’en faire le résumé et la synthèse.

1. Infaillibilité particulière de la foi.

Nous avons vu que l’assentiment de foi divine doit être surnaturel, voir col. 362 sq., et procède de la vertu infuse de foi, quand elle existe déjà dans le sujet, voir col. 368 sq. ; que cette vertu a une infaillibilité propre, qui ne lui manque jamais quand elle entre en acte. Voir col. 369 sq. Voilà donc la « certitude de foi » caractérisée par une infaillibilité spéciale, à laquelle le concile de Trente fait allusion dans ces mots : certiludine fidei, cui non potest subesse falsum, sess. VI, c. ix, Denzinger, n. 802. — Objection. — Dans notre acte, une telle infaillibilité nous est invisible, comme est invisible la surnaturalité d’où elle découle. Voir col. 371 sq. Restant inaperçue, elle ne peut servir à la certitude de notre acte. — Réponse. — Elle ne peut servir à augmenter la fermeté d’adhésion, soit ; mais elle n’en est pas moins, par elle-même, un élément de la certitude. Invisible pour nous, cette infaillibilité venant du surnaturel n’en est pas moins, aux yeux de Dieu qui voit toute la réalité, une perfection de notre acte même, et une perfection qui l'éloigné du faux et le rattache au vrai, par suite, une perfection appartenant à la certitude de cet acte. Dans un acte qui vaut surtout aux yeux de Dieu, comme la foi divine, il faut lenir compte d’une perfection que Dieu voit, quand même la faiblesse de notre vue nous empêche de la voir. De plus, vouloir que les éléments de la certitude

tombent tous et nécessairement sous la réflexion psychologique, c’est faire de cette réflexion parfaite un élément essentiel de la certitude, ce qui est faux. Sans doute, une certitude parfaitement réfléchie et contrôlée a de ce chef une perfection accidentelle plus grande. Mais la réflexion parfaite n’est pas un élément essentiel de la certitude. Autrement, ce qu’on appelle la « certitude directe » ne serait pas vraiment certain. Il faudrait refuser cette qualité, par exemple, à la foi des enfants et des simples, qui ont tant de peine à réfléchir sur leurs actes, ou les obliger à des réflexions qu’ils ne peuvent faire. Il faudrait refuser le nom de certitude proprement dite à des actes dont tout le monde reconnaît la perfection en ce genre. Par exemple, dit Lugo, « un saint du ciel, qui voit Dieu, a l’acte de tous le plus certain, et cela sans réflexion sur l’infaillibilité de son acte. » Tout à son objet, il ne s’amuse pas à de pareilles réflexions. « Quand nous voyons la lumière, ajoute-t-il, nous sommes certains de son existence sans aucune réflexion sur notre assentiment. » Disput., Paris, 1891, t. i, disp. VI, n. 5, 20. Lugo réfute ici Coninck, qui exige comme élément essentiel de la certitude la réflexion sur l’infaillibilité de son acte. De moraliiate… actuum supernaturalium… et de fide, spe ac caritaie, Anvers, 1623, disp. XIV, n. 45, p. 247. Ce n’est pas Lugo seul qui rejette cette exigence arbitraire ; un peu plus tard, Borrull dit que « cette opinion du P. Coninck déplaît généralement, et à bon droit. » Tract, de essenlia et allributis Dei, Lyon, 1664, disp. I, n. 65, p. 33. Répondant à une objection semblable à celle que nous avons citée plus haut, les Salmanticenses disent : « Il n’est pas besoin d’un acte distinct, par lequel on réfléchisse sur son assentiment, quoique cela aussi puisse avoir heu… Tout ce que prouve cette objection, c’est que la certitude de l’assentiment de foi ne nous apparaît pas complètement ; mais elle ne prouve pas que cette certitude (en ce qu’elle a de caché) ne soit pas une propriété de cet assentiment, en tant que dans la réalité il procède de la vertu de foi. » Cursus theologicus, Paris, 1879, t. xi, De fide, disp. II, n. 109, p. 155.

2. Fermeté particulière de la foi.

Nous savons déjà que l’assentiment de foi est ferme. Voir col. 88 sq. Mais en cela, la foi n’a rien de particulier : la science a aussi des adhésions fermes. Ce que la foi, en ce genre, peut ajouter de spécial, d’original, c’est cette résolution de persévérance et de préférence, requise d’après les documents de la révélation et de l'Église. Voir col. 383 sq. Cette résolution, nous venons de le voir, est pour la foi un élément volontaire qui contribue essentiellement à son caractère de vertu théologale, en donnant à son acte ce que les théologiens appellent le super omnia, la souveraine appréciation de son objet. Cette résolution fortifie évidemment la volonté, et lui donne plus de fermeté contre les défaillances possibles. Mais la « fermeté » de la foi n’est pas seulement dans la volonté, elle doit être aussi dans l’assentiment intellectuel, nous l’avons vu. Peut-on montrer que la résolution dont il s’agit donne de la fermeté à cet assentiment lui-même ? Oui : mais pour le montrer, il faut distinguer d’abord, dans la fermeté d’un assentiment intellectuel quelconque, deux éléments que nous n’avons pas eu l’occasion de distinguer encore. — a) Élément négatif : absence de doute. C’est l'élément que nous nous sommes contentés de considérer, quand il s’agissait vaguement et en général de la fermeté d’adhésion : l’exclusion du doute suffisait à la faire reconnaître. Voir col. 88, 206. Nous n’avions pas alors à distinguer des degrés positifs dans la fermeté d’adhésion. Maintenant nous devons compléter la théorie de cette fermeté. — b) Élément positif. — La simple absence de doute, élément purement négatif, ne suffit pas : autrement une pierre, qui ne doute pas,

aurait la fermeté de la certitude ; celui qui ignore corn plètement une vérité n’est pas en doute à son sujet, il aurait donc la certitude ; et autres conséquences absurdes. Il faut donc un acte positif qui exclue le doute, ou bien une « détermination totale » de l’intelligence par son objet, ou bien une « adhésion totale » donnée à l’objet, autre formule dont se sert saint Thomas pour exprimer ce qu’il y a de positif dans la fermeté de l’assentiment. Voir col. 92. Le doute est ou n’est pas : il n’y a pas là de degrés. Mais un acte positif, même une connaissance, peut avoir des degrés, au moins d’intensité. En face d’une même vérité admise sans aucun doute, le sujet pensant peut secomporter d’unemanière tantôt plus énergique et plus vive, tantôt plus languissante et plus effacée, comme il arrive dans des moments de distraction ou de fatigue. Distrait, il y a des choses que nous voyons sans les voir, que nous entendons sans les entendre : de même, il y a des jugements certains, mais languissants et comme paralysés, qui '>nt l’inconvénient de rester sans influence sur les lussions, sur la volonté. Il y a au contraire des assentiments de l’esprit vifs et dégourdis, qui ont une efficacité prenante pour émouvoir le cœur. Nieremberg, De urte voluntatis, Paris, 1639, LUI, c. xxxviii, p. 235, ' 236. De plus, si une vérité est plus vraie qu’une autre (comme l’admettent saint Thomas, Quæst. disp., De virtutibus, q. ii, De caritatc, a. 9, ad l um ; Suarez, Melal’Iujs., disp. IX, sect. i, n. 24), cela peut servir à' expliquer pourquoi il est raisonnable d’adhérer davantage à des vérités plus vraies, en tout cas plus fondamentales et plus importantes, comme sont les vérités de foi. Secundum quod conlingil esse aliquid mugis verum, sie etiam contingit aliquid mugis eredere, dit saint Thomas. Lue. cit. Mais quand même on ne voudrait pas admettre de degrés dans la vérité objective, on serait obligé d’en admettre au moins dans la certitude subjective, et en particulier dans la fermeté d’adhésion. Voir Lugo, Dispul., t. i, De fide, disp. VI, n. 28, p. 349 ; Salmanticenses, Cursus théologiens, t. xi, De fide, disp. II, n. 106, p. 153 ; et ce que nous avons dit dé l’accroissement de la fermeté des croyances par l’habitude, voir Croyance, t. iii, col. 2370, par l’imagination et l’action, col. 2373, 2374, et la réfutation de Locke, col. 2390, 2391.

Cela étant, quand un homme prend la résolution 'le persévérer dans la foi jusqu'à la mort, de rejeter tout ce qui viendra contredire son objet, de faire ainsi 'les vérités révélées la régie suprême de son intelligence, il est impossible que par le fait même il n’attache pas davantage son intelligence aux vérités révélées dont elle était déjà convaincue, et que ce ferme propos de la volonté n’ait pas un contre-coup dans la fermeté de l’esprit lui-même. N’y a-t-il pas harmonie ithie entre nos facultés ? L’expérience ne mon'"I "H" pas que, si quelqu’un, ayant grande Idée d une théorie philosophique ou scientifique, et la considéranl comme la clef de la science, s’y affectionne particulièrement et veut en faire 'la base de travaux, alors son intelligence même arrive à y adhérer bien plus fortement ? Le signe manifeste de ""< adhésion spéciale, c’est qu’il est extrêmement difficile de lui enlever cette théorie de la tête. Dans la foi divine un phénomène semblable se produira, et non l-as comme un simple accident, comme le caprice d un individu, mais comme une condition nécessaire et imposée à tous les vrais croyants. Il n’y a pas seulement, alors, un accroissement purement accidentel el quantitatil de fermeté dans la certitude de la foi ""'""' " illi que décril si l.ien saint Thomas Sun, ' il H. M- v, a. 4. En vertu de cette. résolution 'I' Préférence prise par le lidele, un, '"lue nouveau est donné à s ;, certitude de loi

devient souveraine, mper omnia, et cela non pas seu lement pour un acte passager, mais d’une manière générale et définitive. Il en est un peu comme de cette valeur spécifique que les vœux perpétuels de religion ajoutent à l’observation des conseils évangéliques : la certitude des vérités révélées acquiert une valeur toute spéciale, si elle résulte non pas de bonnes dispositions morales quelconques, mais de cette résolution générale par laquelle un chrétien se consacre au culte de la parole divine, en lui donnant volontairement la première place dans son esprit et en lui sacrifiant tout ce qui viendrait la contredire. C’est d’ailleurs la seule explication possible de cette souveraine adhésion, de cette fermeté super omnia, que les théologiens exigent dans l’assentiment de foi : on ne peut songer à une intensité vraiment suprême. Qu’entendrait-on par là? Une intensité finie au-dessus de laquelle on ne pourrait rien concevoir ? Absurdité. L’intensité la plus grande que dans les circonstances données puisse réaliser l’effort du sujet ? Mais pratiquement nous ne pouvons mesurer cet effort relativement suprême, et Dieu n’aurait pu nous en faire un précepte sans nous jeter dans des anxiétés de conscience ; et puis une telle manière d’agir par un suprême effort, au milieu des difficultés et des obstacles qui nous entourent, et dans un acte destiné à être souvent répété comme est la foi, une telle manière d’agir, même avec la grâce qui nous est offerte, ne serait pas humaine, ne serait pas proportionnée à notre condition^ ici-bas. Voir Esparza, Cursus théologiens. Lyon, 1685, t. i, De virtutibus theologicis, q. iv. a. 6, p. 582. Aussi tient-on communément, en théologie morale (jw les actes de charité, de contrition, etc., doivent être super omnia upprelialive, mais non lias super omnia intensive.

La foi est plus certaine que la science.

Cette

thèse, commune parmi les théologiens, fait l’effet d’un paradoxe. Quoi ! La foi obscure, plus certaine que la science avec son évidence lumineuse I La foi, que l’on peut abandonner par apostasie, plus certaine que la science dont il est impossible de douter et de se séparer ! - Précisons le débat. On ne prétend pas que la foi soit plus évidente que la science, on prétend qu’elle est plus certaine. La certitude n’est pas l'évidence, et l'évidence (parfaite) n’est pas une condition essentielle de la vraie certitude ; il y a une certitude inévidente, qui est pourtant une certitude digne de ce nom. Voir col. 207-209. Quand un jugement de la science brille d’une évidence parfaite, on est forcé de le reconnaître, on éprouve l’impossibilité de douter ; et cette évidence parfaite, dans bien des cas, ne s’assombrit jamais ; de là, pour ces convictions scient i fiques, une persévérance qui va de soi, un avenir assuré. Dans la foi la persévérance ne va pas toute seule, par une sorte de mécanisme fatal ; il y faut île bonnes dispositions morales qui se continuent, et de libres efforts. Voir col. 27 ! » sq. Ainsi la science aurait plus de fermeté que la foi. si par. fermeté on entendait la fermeté habituelle, que l’on nomme plutôt « constance, persévérance » : constance inébranlable dans la conviction, persévérance pour tout l’avenir. Mais il ne s’agit ici que de la fermeté actuelle, qui exclut le doute pour le présent, quoi qu’il en soit de l’avenir.

Notre thèse, en effet, ne regarde que la certitude

actuelle : comparant acte à acte, assentiment de foi à assentiment de science, elle prétend que le premier est plus certain, c’est ainsi qu’elle e. t comprise en gêné

rai par les théologiens. Pour la bien juger, il faut donc comparer entre eux ces deux assent iment s. du double

point de vue de l’Infaillibilité el d< la fermeté, éléments

essentiels d’un acte vraiment certain.

1. Comparaison quant d l’Infaillibilité. Si l’on

U dans son ensemble une seirnee humaine, une science qui se fait, on y trouverait des hypothi 391

K O I

w2

des explications seulement probables, qui n’ont aucune infaillibilité ; si l’on prenait dans un individu l’ensemble des convictions naturelles qu’il est habitué à regarder comme certaines, on devrait en reconnaître a priori un bon nombre comme suspectes dans leurs origines diverses et invérifiables : à ce titre on pourrait prouver une supériorité du côté de l’ensemble des vérités de foi. Voir col. 370. Mais nous sommes maintenant dans une autre question. Nous ne devons pas comparer ensemble à ensemble, mais acte à acte ; et, laissant de côté les hypothèses et autres éléments de moindre valeur qui sont dans les sciences humaines, nous entendons par « assentiment de science » un jugement scientifique parfaitement évident : car c’est là ce que les scolastiques, auteurs de la thèse, entendaient par aclus scientisc, c’est là ce qu’ils comparaient à l’acte de foi. Nous reconnaissons donc l’infaillibilité de ce véritable assentiment de science. Voyons maintenant celle de l’acte de foi. Si c’est le véritable acte de foi divine, comme le suppose cette thèse, a) il a pour objet une vérité vraiment révélée, et s’appuie à bon droit sur le témoignage de Dieu ; or rien au monde n’est si lié à la vérité, si éloigné de l’erreur, si infaillible en un mot que le témoignage de Dieu ; la foi tient donc de son motif propre une infaillibilité plus parfaite que celle de la science ; b) l’assentiment est surnaturel, donc infaillible ; rien ne dépasse autant, en cette vie, la faillibilité naturelle de la créature, rien n’assimile mieux à l’infaillibilité divine que la vertu infuse de foi, préparation de la vision béatifique. Voir col. 369 sq. L’acte de foi tient donc de son principe surnaturel, de son entité surnaturelle, une infaillibilité transcendante, plus haute que celle de la science, et identifiée avec lui d’une manière plus intime.

Voilà comment, du côté de l’infaillibilité, la foi est plus certaine que tout assentiment naturel ; ce qui se vérifie également bien dans la foi des simples. Si l’on recommence à objecter que cette infaillibilité nous reste invisible, nous répondrons de nouveau que ce n’en est pas moins une perfection de l’acte aux yeux de Dieu, et une perfection appartenant à la certitude. S’il s’agissait ici d’apologétique, un clément de certitude ne compterait qu’autant qu’il pourrait être constaté par un autre moyen que par la révélation elle-même. Mais la thèse des théologiens que nous avons ici à expliquer n’a pas la prétention d’être pratiquement utilisée en apologétique : elle est purement spéculative, déduite de la révélation, et ne sert qu’à donner à ceux qui croient déjà une plus haute et plus complète idée de leur acte de foi, en le prenant adéquatement avec tous ses éléments, visibles et invisibles. L’apologétique, elle, ne tiendra compte que d’une seule infaillibilité, de celle qui peut se constater par la critique des meilleurs motifs de crédibilité, reconnus d’une valeur infaillible comme preuves des préambules de la foi. Cette infaillibilité, quoique n’étant pas essentielle à l’acte de foi, puisqu’elle manque chez beaucoup de fidèles, est nécessaire à l’apologétique et en ce sens est une propriété importante de la foi. Et nous avons même le droit de la considérer dans la thèse présente, qui est une comparaison de valeur entre la foi et la science. Une telle comparaison doit se faire d’une manière équitable. Nous prenons la « science » à son plus haut point de perfection intellectuelle, dans son résultat le plus parfait, qui est l’assentiment certain sous la lumière de l’évidence. Il est donc juste de prendre aus_i la foi dans son acte le plus parfait intellectuellement, c’est-à-dire dans le cas où ses motifs de crédibilité sont d’une valeur absolue, et bien saisis dans toute leur valeur par la raison du croyant. Si l’on prend cet acte-là comme terme de comparaison avec la science, il aura, comme l’assentiment de science. une vraie infaillibilité naturelle et rationnellement

constatée, et, en plus, l’infaillibilité surnaturelle que nous avons développée plus haut. Ainsi la supériorité de la foi deviendra encore plus incontestable : deux infaillibilités valent mieux qu’une. « Plus il y a de raisons qui déterminent l’acte à la vérité, dit Pierre Ilurlado, plus grande est la certitude. » Uni versa philosophia, Lyon, 1624, p. 573.

2. Comparaison quant à lu fermeté.

Dans l’acte de foi, comme dans l’assentiment de science, il y a une adhésion ferme de l’esprit. Voir col. 88 sq. Que dans l’acte de foi cette fermeté soit duc en partie à l’influence de la volonté, c’est une pure question d’origine, qui n’atteint et n’atténue en rien la fermeté eu elle-même. Cf. Wilmers, De fide divina, Ratisbonne, 1902, p. 179. Que, par la suite, des doutes puissent s’élever plus facilement sur le terrain de la foi que sur celui de la science, cela ne diminue en rien, la fermeté actuelle de la foi, la seule que nous ayons à considérer ici : de même qu’une rechute d’un pénitent dans l’avenir n’empêche pas son ferme propos actuel. « L’assentiment de foi, dit un célèbre docteur de Sorbonne, Martin Grandin, peut être triplement envisagé : avant sa production, pendant et après. Il peut se faire qu’il y ait doute avant ou après la production de l’acte, mais non pas au moment même où il se produit. .. Or le doute qui précède, ou qui suit, ne diminue pas la certitude, à proprement parler. » Opéra, Paris, 1710, t. iii, p. 100, 101. Quand on considère précisément la fermeté d’un acte, on n’a pas à considérer l’état différent d’esprit qui a pu précéder, ou celui qui pourra survenir. L’absence de doute est donc égale dans l’assentiment de foi et dans celui de science : elle n’a pas de degrés. Mais on peut considérer dans la fermeté un élément positif qui a des degrés, nous l’avons vu tout à l’heure. Et de ce côté-là, on peut soutenir que la foi l’emporte sur la science. C’est l’avis de saint Thomas dans ce passage : « La foi, quant à la fermeté d’adhésion, a une plus grande certitude que la science ou l’intelligence (intuition immédiate), quoique, dans la science et l’intelligence, il y ait une évidence plus grande des choses auxquelles on adhère. » In IV Sent., 1. III, dist. XXIII, a. 2, sol. 3*. Cf. Qusest. disp., De verilate, q. xiv, a. 1, ad 7° m. On peut justifier cette assertion, si l’on tient compte de la résolution de préférence, acte de la volonté, mais qui a un contrecoup sur la fermeté même intellectuelle de la foi. C’est ainsi que saint Bonaventure procède : « Si nous regardons la certitude d’adhésion, dit-il, la certitude de la foi est plus grande que celle de la science : la vraie foi fait adhérer le croyant à la vérité qu’il croit, plus qu’une science ne fait adhérer à son objet. Un signe de cela, c’est que les vrais fidèles ne peuvent être amenés ni par raisonnements, ni par tourments, ni par promesses à nier, même extérieurement et en apparence, la vérité qu’ils croient. Au contraire, un géomètre serait insensé, qui souffrirait la mort pour un théorème de géométrie. Un vrai fidèle, qui posséderait à fond la philosophie, aimerait mieux perdre toute sa science, qu’ignorer ou nier un seul article de foi, tant il adhère à la vérité qu’il croit. » In IV Sent., 1. III, dist. XXIII, a. 1, q. iv, dans Opéra, Quaracchi, 1887 t. iii, pT 481, 482. Ajoutez que cette fermeté souveraine est aidée par la grâce, secours qui manque à la science naturelle. Ainsi il y a au moins compensation, du côté de la foi, pour la fermeté plus facile et toute spontanée que donne l’évidence parfaite, dans la science.

3. Conclusion.

La supériorité de la foi est très claire du côté de l’infaillibilité ; moins claire du côté de la fermeté, mais au moins la foi de ce côté-là n’est pas inférieure. La thèse commune des théologiens est donc solide ; car, pour la justifier, il n’est pas nécessaire de prouver que la foi l’emporte sur la science pour chacun des éléments de la certitude : il suffirait que

pour l’infaillibilité elle l’emportât très notablement comme nous l’avons prouvé, et que pour la fermeté elle fût à peu près égale.

C’est peut-être l’idée de saint Thomas dans la Somme Ihèologique, IIa-IIæ , q. iv, a. 8. La distinction qu’il y donne en disant que la foi a une certitude supérieure, secundum causam suam, et non ex parte subjecti, n’est pas très claire : elle a été diversement interprétée. Banez en fait la remarque : £170 tamen erediderim quod est maxima sequivocatio in eo quod dicitur, ex parie subjecti, et quoad nos. Commentaria in II"" 1I*>, Douai, 1615, q. iv, a. 8, concl. 2 p. 220. Suarez dit aussi : Distinclio est obscurci, et sano modo inlerpretanda, ne aliquid falsum contineal. De fide, disp. VI, sect. v, n. 12, dans Opéra, Paris, 1858, t. xii, p. 182. Cf. Salmanticenses, Cursus theologicus, t. xi, De fide, disp. II, n. 116, 117, p. 159, 160.

XI. Liberté et obscurité de la foi.

Dans cette double question fort difficile, nous suivrons cet ordre : 1° documents positifs sur la liberté de la foi ; 2° conclusion théologique certaine : il faut admettre dans la foi une liberté spéciale qui n’existe pas dans la science ; 3° l'évidence irrésistible des préambules. evidenlia alleslanlis, est-elle contraire à cette liberté spéciale de la foi ? 4° systèmes sur la liberté de la foi ; 5° documents positifs sur l’obscurité de la foi ; 6° conclusion théologique certaine : il faut admettre dans la foi une obscurité spéciale qui n’existe pas dans la science ; 7° systèmes sur l’obscurité de la foi ; 8° controverse célèbre : peut-on avoir simultanément sur un même objet la science et la foi ?

Documents positifs sur la liberté de la foi.

Si nous prenons la liberté de la foi d’une manière générale et un peu vague, sans entrer encore dans aucune explication théologique, nous la trouvons affirmée : 1. par l'Écriture ; 2. les Pères ; 3. les conciles, en sorte que nous pouvons la regarder comme une doctrine de foi, et de foi définie.

1. L'Écriture.

« Prêchez l'évangile à toute créature. Celui qui aura reçu la foi et le baptême sera sauvé ; celui qui n’aura pas cru sera condamné. » Marc, xvi, 15, 16. « Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Or voici le jugement : c’est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière. » Joa., ni, 18, 19. « Repentez-vous, et croyez à l'évangile. » Marc, 1, 15. < Son commandement est que nous croyions en son Fils Jésus-Christ. » I Joa., iii, 23.

La liberté dont il peut être ici question n’est pas un droit de ne pas faire l’acte do foi salutaire ; ce n’esl pas e qu’on appelle parfois liberté morale, plus clairement, liberlas ab obliqalione. Au contraire, l'Écriture atteste notre devoir de croire, et nous en fait le commandement : Croyez. Ce ne peut être qu’une liberté physique, une possibilité physique de tic pas faire cel même quand nous nous déterminons à le faire. telle liberté peut en effet se déduire des textes cités, et de plusieurs manières, ) Aussi sont-ils rendus responsables, « jugés et condamnés pour leur mauvais choix. Or la responsabilité, la condamnation SUp posent dans le condamné un délit volontaire et libre. UrtOUt lorsque, comme ici. le juge est infaillible. ') Le commandement, le précepte <iu<iu de- 1 roire supcette liberté de la foi. Les préceptes ne s’adresqu’aux êtres libres, et pour une chose où ils sonl libre fin pouvant faire ou ne pas fin

qu’on leur ordonne, On ne donne paa à l’homme qui

1 tombe d’une maison dans la rue, l’ordre de ne pas tomber ; à un boiteux, l’ordre de ne pas boiter, pas

| plus que celui de boiter ; parce qu’il ne peut pas faire autrement.

2. Les Pérès.

a) Leur défense de la liberté de la

| foi contre les qnostiques. — Ces hérétiques ont été les premiers à attaquer, au 11e siècle, la liberté de la foi, par exemple, en disant avec Valentin, un de leurs chefs, qu’il y a parmi les chrétiens des natures supérieures et des natures inférieures, les pneumatiques et les psychiques ; les premiers aboutissant par la nécessité même de leur nature à la science ou gnose, les seconds à la foi. Ainsi la foi n'était d’après eux que le résultat fatal d’une organisation, d’une nature particulière. Les Pères de ce temps réclamèrent. « Ce n’est pas seulement dans les œuvres, dit saint Irénée, c’est aussi dans la foi que Dieu a conservé à l’homme son libre arbitre… A cause de (cette liberté de la foi), celui qui croit en lui a la vie éternelle. » Cont. hser.. 1. IV, c xxxvii, P. G., t. vii, col. 1102. Clément d’Alexandrie réfute aussi les gnostiques, et définit la foi « une anticipation volontaire, un assentiment pieux. » Slrom.. II, c. ii, P. G., t. viii, col. 940 ; cf. col. 941, 961, 964. « Croire et obéir, dit-il encore, sont en notre pouvoir. » Slrom.. VII, c. iii, P. G., t. ix, col. 419. Ce qui ne l’empêche pas de reconnaître en même temps la nature intellectuelle de la foi. Voir plus haut, col. 79, 80.

b) Leurs définitions de la foi. énonçant par/ois sa liberté. — Non seulement Clément que nous venons de citer, mais d’autres Pères encore font entrer le concept de volontaire, c’est-à-dire de libre, dans la définition même de la foi. Ainsi Théodoret : « Suivant notre définition, la foi est un assentiment volontaire. » Grsecarum affectionum curalio, serm. 1, P. G., t. i.xxxiii, col. 815. D’après saint Bernard, la foi est « un avant-goût volontaire et certain de la vérité qui n’est pas encore manifestée (au ciel). » De considérations ; 1. V, c. iii, P. L., t. clxxxii, col. 791. Or on ne fait entrer dans une définition que des éléments essentiels : ces Pères regardent donc la liberté comme essentielle à la foi.

c) La liberté de croire, donnée par eux comme condition ou élément de l’acte de foi. — On cite ordinairement ce mot de saint Augustin : Crcdere non potest, nisi volens. In Joa., tr. XXVI, n. 2. P. L., t. xxxv. col. 1607. Ce mot dit bien que l’acte de croire suppose comme condition un acte de la volonté, de la partie affective : mais cet acte a-t-il la liberté que nous voulons ici, liberlas a necessitalct Le contexte montre qu’il est seulement question ici de la liberlas a coactione. Voir Wilmcrs, De fide. 1902, p. 131. 135. Or, c’est la liberlas a necessilale qui est requise pour un acte méritoire, d’après la condamnation de la 3e proposition de Jansénius. Donzinger. n. 1(194. Mais ailleurs, paraphrasant cette liberté par ces mois : < avoir un

acte « -n notre puissance, ou bien : le faire ou ne pas

le faire, a notre choix, » saint Augustin dit : Quant aliquis, ulrum fuies ipsa in nostra constiiuta sit poieslale… Hoc i/nisijiir in potestate habere dicitur. quod si vult facii. si non vult non fæit… Profecto fuies in

potestaie est. Dr spirilu et lillera. c. xl, P. L.. t. xi. iv. col. 235. Ceci rappelle la formule de saint Cyprien : credendi vil non (credendi) Uberlatem in arbitrio posilam. Tesiimonia, I. m. c. iii, /'. /… t. iv, col. 760.

d) Leurs assertions sur le mérite de lu foi (ce qui suppose sa liberté). - Fides habet obedlentim meritum, dll saint Hilaire. In ps. CXVlll, ht. x. n. 12. /'. /.. t. ix. col. 568. Neque entm nullum est meritum fldel, dit saint Augustin. Bptst., cxciv, ad Slxlum, n- 9.

/'. /… I. wiii. col..S77. Il dit encore : Quls dlcal cum. qui fam CCfpit ' mli 11. ah ; //<>. m </'""' '" ' ï16

nihil mereri ? De prædesl. sanctorum, c. ii, P. L., t. xliv, col. 962.

3. Les conciles.

a) Le concile de Trente, énumérant les actes qui servent de dispositions aux pécheurs pour obtenir le pardon divin, assigne en premier lieu un acte de foi, qu’il décrit ainsi :

Excitati divina gratia et adjuti, fidem ex auditu (Rom., x, 17) concipientes, libère moventur in Deum, credentes vera esse, quae divinitus revelata et promissa sunt. Sess. VI, c. vi, Denzinger, n. 798.

Excités et aidés par la grâce divine, recevant en eux la foi par l’audition (du témoignage divin qui leur est transmis), ils ont un libre mouvement vers Dieu, et croient à la vérité de ce qu’il a révélé et promis.

b) Le concile du Vatican, sess. III, c. m. — A propos de la surnaturalité de l’acte de foi, nous l’avons cité, disant que cet acte est une œuvre salutaire « par laquelle l’homme rend à Dieu une libre obéissance, en consentant et en coopérant à sa grâce, à laquelle il pourrait résister. » Voir col. 360. La « liberté » est expliquée très nettement par le consentement donné à l’inspiration de croire tandis qu’on pourrait lui résister. C’est le mot de saint Augustin : Suasionibus agit Deus, ut velimus et ut credamus… ; sed consenlire vel dissentire propriæ voluntatis est. De spirilu et liltera, c. xxxiv, P. L., t. xliv, col. 240. Comparez le concile de Trente, sess. VI, c. v, Denzinger, n. 797, et can. 4, n. 814.

c) Le concile du Vatican, can. 5. De fide.

Si quis dixerit assensum fidei chiistianae non esse liberum, sed argumentis humanae rationis necessario produci…, anathema sit. Denzinger, n. 1814.

Si quelqu’un dit que l’assentiment de la foi chrétienne n’est pas libre, mais qu’il est produit nécessairement par les arguments de la raison humaine…, qu’il soit anathème.

Une erreur d’Hermès est ici visée. Nous le savons par le discours du rapporteur du nouveau schéma : Canon quinlus contra scholam Hermesianam, Collcctio lacensis, t. vii, col. 87 ; par le discours du rapporteur des amendements : Quinlus canon vindicat libertalem fidei, et quidem contra Hermesium… Primus error Hermesii eral, quod fides producatur demonslratione scientifica et quidem necessariis, necessario cogenlibus argumentis scientiæ humanæ ; ila ut non liber sit aclus fidei, sed ut sit aclus necessarius. Op. cit., col. 184. Dans la langue théologique, « nécessaire » est souvent opposé à « libre » . Nous avons cité Hermès, s’efforçant d’abord de douter de tout, et sur chaque point de la religion ne se rendant qu'à « une absolue nécessité de la raison. » Voir col. 282, 283. L’assentiment ainsi arraché par les arguments rationnels était nomme par les hermésiens « la foi de connaissance » ou foi « passive » . Ils réservaient la liberté et la grâce pour « la foi du cœur » , c’est-à-oire la foi vive ou jointe à la charité : seconde erreur, condamnée à la fin du canon 5. Voir la note des théologiens romains, Colleclio lacensis, col. 529.

2° Conclusion théologique certaine : il faut admettre dans la foi une liberté spéciede, c’est-à-dire une influence spéciale de la volonté qui n’existe pas dans la science. — L’assentiment de foi est libre, c’est chose définie. Mais quelle est cette liberté? Avant d’en venir aux conceptions systématiques, plus précises, mais aussi plus discutables, il est un point certain sur lequel tous doivent s’accorder, comme étant une conclusion rigoureuse des documents positifs. Pour l'établir, nous examinerons : 1. l’influence de la volonté dans la science même ; 2. les preuves d’une influence plus grande et toute spéciale dans la foi.

1. Influence de la volonté libre dans la science même. — Nous ne considérons pas ici, sous le nom de « science".

les hypothèses scientifiques seulement probables, où il est trop manifeste que la volonté peut jouer un rôle ; nous prenons seulement les démonstrations évidentes, auxquelles les scolastiques réservent le nom de « science » et où il semble que la volonté n’ait rien à faire ; et nous disons que, même dans l'étude de la géométrie, par exemple, il y a une influence légitime de la volonté sur l’intelligence. Elle consiste dans ce fait psychologique qu’on appelle l’attention : la volonté faisant effort pour appliquer l’intelligence à l'étude, et pour l’y retenir. Cette application soutenue est d’autant plus nécessaire que les questions sont plus difliciles, les raisonnements plus longs et plus pénibles. Au milieu du torrent d’images et d’idées qui tend à nous envahir par le canal de nos sens extérieurs, au milieu des jeux fantastiques de l’imagination et de la rêverie, notre pensée s'égarerait vers des occupations plus faciles et plus agréables, si la volonté, attirée par une fin supérieure, ne retenait l’esprit dans la ligne droite de la démonstration commencée, dans les recherches entreprises, quelque fastidieuses qu’elles puissent paraître à certains moments. Voir Certitude, t. ii, col. 2162, 2163. Eu égard à cette influence de la volonté, le travail scientifique, malgré la nécessité qui impose ses conclusions, peut justement être considéré comme libre, et par suite comme louable et méritoire, en supposant d’ailleurs les conditions voulues pour le mérite, par exemple, du côté de l’intention. La certitude des résultats dépend elle-même, quant à son existence, de cette influence de la volonté, puisque la conclusion finale serait nulle, si l’on ne s’appliquait pas à la démonstration et si l’on n’allait pas jusqu’au bout par l’effort de la volonté. Et lors même que l’on a fait autrefois la démonstration entière et qu’on la possède de façon habituelle, si l’on évite librement ce la repasser actuellement dans sa mémoire, on peut arriver à douter des conclusions évidentes que l’on avait. Kleutgen, Théologie der Vorzeit, 2e édit., Munster, 1874, t. iv, n. 226, p. 432. On voit que cette liberté de considérer les preuves ou de ne pas les considérer influe vraiment sur la certitude de fait qu’on a de la science même. On pourrait ajouter une autre influence de la volonté, quand la certitude d’une vérité est déjà acquise : se complaire dans cette vérité acquise comme en un bien de l’esprit, lui donner une place de choix dans nos connaissances, la prendre comme point de départ pour d’autres acquisitions, etc. Voir Certitude, col. 2163, 2164. Mais cet attachement particulier de la volonté n’intervient pas dans toute certitude scientifique ; c’est pour la science quelque chose de contingent et d’accidentel. On peut donc réduire le rôle essentiel de la volonté dans la science à une influence qui applique l’esprit à considérer ou à ne pas considérer actuellement l’objet de science, comme le réduit saint Thomas : Consideralio actualis rei scita' subjacet libero arbitrio ; est enim in potestate hominis considerare vel non considerare ; et ideo consideralio scientiæ potest esse meritoria. Sum. theol., IIa-IIæ, q. il, a. 9, ad 2um.

Cette influence de la volonté est commune à la science et à la foi, puisque la foi suppose elle-même une préparation rationnelle où l’attention est bien nécessaire. Voir col. 171 sq. Mais il faut admettre, de plus, une influence libre qui soit propre à la foi seule. Kleutgen, loc. cit. « Ils sont loin de la vérité, dit le P. Pesch, ces philosophes qui n’admettent d’autre influence de la volonté sur l’intelligence que celle qui commande une attention persévérante de l’esprit. Une telle attention peut appartenir même aux actes de la science : mais l’acte de foi possède une liberté intime qui ne se trouve pas dans l’acte de science, Prxlectiones dogmaticæ, 3e édit., 1910, t. viii, n. 140, p. 62, en note.

2. Preuves d’une influence spéciale de la volonté libre dans la foi. — a) Les définitions de l’acte de foi. — Plusieurs Pères ont fait entrer l'élément volontaire dans les définitions mêmes qu’il donnaient de la foi. Voir col. 394. Le concile de Trente en fait autant dans sa description de l’acte de foi comme première disposition à la justification : libère moventur in Deum, credentes, etc. Voir col. 395. Comparons les définitions qu’en philosophie et ailleurs on donne de la science et de son assentiment : jamais on n’y mentionne cet élément volontaire, sans doute parce que le rôle qu’il peut jouer dans la science parfaite n’est pas aussi intime que celui qu’il joue dans la foi parfaite.

b) L’interprétation historique de la condamnation de Hermès sur la liberté de la foi, au concile du Vatican, canon 5, De fuie. Voir col. 395. Quelle était son erreur, d’après ses propres ouvrages ? Niait-Il la liberté de l’homme en général ? Non. Niait-il la liberté commune a la foi et à la science, la volonté appliquant l’intelligence à l'étude, le fait psychologique de l’attention volontaire ? Non : il dit lui-même que, pour arriver aux conclusions de l’enquête philosophique, apologétique, dogmatique, qui lui a rendu la foi, n il a dû traverser avec beaucoup d’efforts le labyrinthe du doute » où d’autres « refuseraient de s’engager. » Voir col. 282. Il suppose donc un rôle important de l’effort volontaire dans l'étude des préambules, et, en ce sens, dans la foi. Seulement, d’après lui, la volonté n’a pas autre chose à faire qu'à appliquer l’intelligence, d’abord à douter malgré les convictions acquises, ensuite à étudier profondément les raisons de croire, jusqu'à ce que ces raisons produisent « une absolue nécessité (ou détermination) de l’intelligence. » Loc. cit. La foi, d’après lui, est « la persuasion forcée que l’on a d’une vérité démontrée. » Voir les théologiens romains qui le citent, Collectio lacensis, l. vii, col. 529. La foi, pour lui, est produite par des » arguments nécessitants » , nôtigenden Grùnden. Voir sur le sens de ce mot l’explication de l'évêque de Paderborn dans son rapport au COftcile, ibid., col. 188. Ce que dit Hennés irait très bien à une définition de la science parfaite : mais, quand il s’agit de la foi, ce n’est pas lui donner assez de liberté ; là était son erreur. Le concile a donc implicitement affirmé, dans ce canon, que la foi doit avoir une liberté spéciale que n’a pas la science. L’a-t-il définiel On peut penser que non. la « définition » devant être une déclaration explicite. Mendive dit que la doctrine commune et vraie, » c’est de reconnaître à la foi j une liberté spéciale, que n’a pas la science, et qu’il | appelle » immédiate » : mais que l'Église ne l’a jamais j définie. Institution/s dogmalico-scholaslicse, Yalladolid. 1895, t. iv, n. Of., p. 361.

i) Le mérite spécial île lu /ni. — Il peut y avoir mérite même dans la science : ce mérite consiste uniquement dans la considération que la question, dans l’attention persévérante qu’on lui donne, consideralio //.c potest esse meriloria. S. Thomas, loc. cil. Mais

l'évidence parfaite met la conclusion scient i li(|lle à

l’abri des doutes, même imprudents : aucun sophisme ne s'élève contre la conclusion d’un raisonnement mathématique bien vérifié. Dans la foi. outre le mérite de la « considération » , il en a un autre qui n’appartient pas à la science. et qui tien) au défaut d'évidence rite. Même après la plus sérieuse considération motifs de crédibilité, des sophismes peuvent ever contre eux, grâce au procédé synthétique et

Complexe du raisonnement, a la nature des Vérités morales et religieuses, qui gênent les passions, a une mauvaise formation ou a un défaut de l’esprit. Voli ' "i 210, 211. Bien que réprouvés par le bon sens, ces sophismes peuvent être utilisés par une volonté plus ou moin niai disposée. Il y a donc un mérite, bien

i' ii itlque de la foi chrétienne, a combattre cette

mauvaise volonté, par une volonté droite et pure, qui, tendant à un bien supérieur, détourne l’intelligence de ces vains sophismes, et coupe ainsi par la racine les doutes qu’ils produisent ou qu’ils produiraient. Voir col. 95, 96. Tandis que la science évidente n’a pas d’autre mérite que de considérer tant qu’elle peut la question sous toutes ses faces, d’aborder directement toutes les difficultés, car plus elle voit, plus elle atteint son but, dans la foi, au contraire, l’esprit sous l’influence de la volonté ne considère pas certaines objections sophistiques, et il y a là un mérite que loue saint Paul dans Abraham : Ncc consideravil… Rom., iv, 19. En face de la toute-puissance divine, les impossibilités physiques, si obsédantes qu’elles fussent pour l’esprit d’Abraham, n'étaient qu’un vain sophisme, qu’il n’y avait pas lieu de considérer, contre lequel la volonté même devait réagir, rendant ainsi gloire à Dieu. Voir col. 68, 88. La science, qui par sa nature même tend louablement à voir le plus qu’elle peut, et qui peut sans inconvénient laisser sa conclusion scientifique en suspens, s’efforce de résoudre directement les difficultés. La foi, qui n’exige qu’une demilumière, et qui ne peut laisser le doute planer sur les vérités auxquelles elle adhère immuablement (voir col. 284286, 300-304), se contente d’une solution Indirecte des objections. Voir col. 326. La science aborde la nature intime de son objet, son développement, l’enchaînement de ses causes et de ses effets, le comment et le pourquoi des choses ; son but est la connaissance intrinsèque, son mérite est d’y tendre. La foi reconnaît que son objet principal est le mystère, qu’elle ne peut voir ni pénétrer ; la volonté arrête l’intelligence au seuil du mystère, la force à se contenter de la connaissance extrinsèque, basée sur un simple témoignage. Voir col. 107 sq. De là un mérite spécial, célébré par le Maître : Beali qui non viderunt et crcdidcrunl. Joa., xx, 29. Et les Pères de l’Eglise célèbrent cette retenue de la foi, cette obéissance aveugle au témoignage divin : ils l’opposent à la vision, à l’intuition, à l’expérience, à la science, à la curiosité, à la recherche du comment et du pourquoi. Voir leurs textes, col. 112-115. Ils disent avec saint Ephrem : « Comme les tempêtes agitent la mer, ainsi une curiosité vicieuse trouble l'âme (en face des mysIVrcsi… Comprime l’avidité de savoir et tu sentiras la domination pacifique de la foi. » Très sermones ci indice Yii/iiiinn. serm. il, dans Opéra, Home, 1713. t. iii, si/riacc et Inline, p. 192. Ils disent avec saint Augustin : « C’est le triomphe de la foi. si ce que l’on croit est Invisible : quel grand mérite y a-t-il à croire ce que l’on voit ? » In./ou., tr. LXXIX. n. 1. /'. /.., I. xxxv. col. 1X37. Avec saint Grégoire le Grand : l.a foi n’a pas de mérite, si la raison humaine fournil l’expérience, i llomil. in evangeliû, hoinil. xxvi. n. 8, /'. /.., I. i.xxvi, col. 1202. l.a vraie foi a donc un mélite spécial, qui n’est pas dans la science. Mais de

même que le mérite suppose essentiellement la liberté.

de même un mérite spécial suppose une influence spéciale de la volonté libre : il faut donc admet Ire celle influence dans l’acle de foi.

(/) /, < péché spécial contre la fui. il y a une faute

commune qui attaque la foi comme la science : c’est

s’instruire comme on le devrait, il y a

une faille spéciale contre la foi seule : quand l’Objet a

été suffisamment présenté à l’intelligence, ce qui ne

comporte pas une évidence irrésistible (Voir col. 215

217). la volonté libre peut faire refuser l’assenlinient :

c’est I' Infidélité ou l’hérésie. le péché direct

re la foi. déjà étudié par les Pères. Saint Augustin

décrit l’hérétique en ces termes La doctrine de la foi catholique lui étant manifestée, il a préféré résister,

il a ainsi choisi l’opinion conl i aire ipii lui plaisait Dl

bapllsmo cont. donattslas, c, xvi. /'. /.., t. xLtft, col.

169. De ce libre choix, oûpeutç, vient le nom d’« hérésie » . On voit combien ce péché spécial contre la foi diffère de celui de négligence. Cf. col. 313, 314. Mais un péché spécial, qui n’existe pas dans l’ordre de la science, suppose, dans l’ordre de la foi, une influence spéciale de la volonté libre.

e) Ajoutons l’autorité de sain L Thomas, dont le texte est éclairé par ce que nous avons dit : Assen.sus scienliæ non subjicitur libcro arbitrio, quia sciens cogitur ad assentiendum pcr efficaciam demonslrationis… : sed consideratio aclualis rei scilæ subjacet libcro arbitrio. .. Sed in fide utrumque subjacet libero arbitrio ; et ideo, quantum ad utrumque, actus fidei potest esse mcritorius. Sum. theol., IPII » , q. ii, a. 9, ad 2um.

Les raisons scripturaires et patristiques que nous avons données suffisent à réfuter la thèse contraire de plusieurs protestants anglais. Ils soutenaient, plutôt au siècle dernier qu’aujourd’hui, que la foi chrétienne, étant intellectuelle, est absolument involontaire : que personne n’est responsable de croire quand il croit, de douter quand il doute, puisqu’en tout cela il est déterminé par ce qui lui apparaît. Voir Croyance, t. iii, col. 2379, 2380 ; et, pour la réponse aux objections philosophiques d’un tel intellectualisme, col. 2387, 2388. Murray attestait que cette thèse ultraintellectualiste était assez répandue parmi les protestants plus ou moins libéraux de son temps, surtout les gens de lettres et les politiciens. De Ecclesia, Dublin, 1860, t. i, n. 105, p. 51. « Dans la philosophie moderne, disait alors W. Hazlitt, c’est un axiome que la foi est absolument involontaire. » Lilcrary remains, Londres, 1836, t. i, p. 83. Lui-même combat cet axiome : quant à son origine, il note qu’il a été inventé pour combattre plus facilement l’intolérance en matière de religion et les lois portées contre les hérétiques.

3° L’évidence irrésistible des préambules est-elle contraire à cette liberté spéciale de la foi ? — Il y a là un problème très discuté par les théologiens, qui fait serrer de plus près la difficile question de la liberté de la foi, et qu’il importe de résoudre d’abord pour pouvoir comprendre et critiquer les divers systèmes. Par « évidence irrésistible des préambules » nous entendons une clarté nécessitante pour notre esprit de ces deux vérités principales : l’autorité de Dieu, comme témoin, et le fait de son témoignage ou révélation. Ces deux vérités se rapportant au témoignage divin, cette évidence a été appelée par les théologiens evidentia atleslantis ou testifleantis (Dei). Par rapport à l’objet révélé, on l’appelle evidentia in attestante : car alors le mystère même devient en quelque sorte évident, non pas en lui-même, in se, mais dans celui qui l’atteste, in attestante ; on voit qu’il s’agit ici, pour le mystère, d’une évidence extiinseque. Voir col. 99, 100. Elle est pourtant irrésistible, c’est-à-dire aussi parfaite qu’elle peut l’être dans son ordre d’évidence extrinsèque ; elle force l’intelligence à admettre les préambules dont nous avons parlé, et ne laisse place là-dessus à aucun doute, même imprudent. Voir col. 207-209. Sur cette évidence, nous savons déjà qu’on ne peut l’exiger comme condition nécessaire ne la foi, ni, parce qu’on ne l’a pas, différer de croire jusqu’à ce qu’on l’ait. Voir col. 215, 216. Nous savons aussi cjue généralement elle n’existe pas pour les fidèles : soit parce que le fait de la révélation n’est connu d’un grand nombre que d’une manière imparfaite et relative, voir col. 219 sq. ; soit parce que chez ceux-là mêmes qui en ont une certitude absolue et une sorte d’évidence, ce n’est, ordinairement du moins, qu’une évidence morale, laissant place à la résistance et au doute imprudent tant à cause de la nature, des preuves de la religion qu’à cause des passions qui attaquent facilement les vérités morales et religieuses. Voir col. 210, 211. Sans doute on pourra dire eu un vrai sens que)a démonstration

apologétique est rigoureuse, scientifique ; pourtant elle n’élimine pas absolument par elle-même le doute imprudent. Voir col. 219. De là peut-être, dans les documents ecclésiastiques, lors même qu’ils exaltent les preuves de notre religion, le soin d’éviter de dire qu’elles soient « évidentes » , mot que l’usage scolastique réserve à l’évidence nécessitante et irrésistible. Voir col. 189-191, 216. Enfin, comme cette démonstration apologétique est un tout très complexe, celui qui l’a eue ne l’a pas toujours entière devant les yeux : donc, en supposant même que le doute imprudent soit impossible sous le foyer de lumière que donne la démonstration complète, il deviendra possible dès qu’un oubli partiel viendra diminuer le faisceau de rayons lumineux. « C’est un fait d’expérience, dit Ulloa, que les théologiens mêmes, qui par profession s’occupent fréquemment de ces questions, souvent n’ont pas présentes à leur esprit, du moins avec vivacité, toutes les raisons dont l’ensemble constitue le fondement de cette évidence. » Theol. scholaslica, Augsbourg, 1719, t. iii, disp. III, n. 18, p. 87. Sans doute on peut alors s’en rapporter à ce qu’on a vu autrefois, on y est suffisamment autorisé par le bon sens. Voir col. 316. Mais cette autorisation n’empêche pas un doute imprudent de s’élever parfois dans l’esprit, elle sert seulement alors à le juger déraisonnable et à justifier contre lui l’intervention de la volonté. Tous ces points étant supposés, il reste à examiner les questions suivantes : 1. l’évidence irrésistible des préambules, evidentia (dlestantis, peut-elle être admise, au moins à titre d’exception, chez quelques privilégiés ? 2. peut-elle se concilier avec la foi et sa. liberté essentielle ?

1. L’évidence irrésistible des préambules doit-elle être admise, au moins à litre de fait exceptionnel ? — La controverse à ce sujet s’engagea, au xive siècle, à propos de la foi des anges pendant leur état d’épreuve, in via. Durand de Saint-Pourçain avança qu’ils n’ont pas eu la foi proprement dite, parce qu’ils avaient certainement l’évidence des préambules de la foi, et que cette évidence, en forçant l’assentiment, ôte à la foi sa liberté et son mérite. Super Sententias, Paris, 1550, 1. III, dist. XXIII, q. ix, n. 12, fol. 221. Cf. dist. XXXI, q. iv, n. 10, fol. 232. La grande majorité des théologiens s’est prononcée contre lui en faveur de la foi des anges, libre et méritoire. Mais en répondant à son objection sur l’évidence des préambules, ils se sont divisés. Les uns ont nié cette évidence, même chez les anges ; les autres l’ont admise, mais ont nié qu’elle fasse tort à la foi. »

l’e opinion. — Elle ne reconnaît aucun fait d’evidentia alleslantis, ni chez les anges, ni chez les prophètes, les apôtres, la sainte Vierge, les plus grands saints ou les plus savants en apologétique. A la suite du dominicain Victoria, le plus célèbre défenseur de cette opinion fut Banez. Pour mieux soutenir ce manque d’évidence extrinsèque chez les anges, il prétendit que seule la vision intuitive de Dieu, qu’ils n’avaient pas encore, peut donner l’évidence du fait de la révélation. In // am //*, Douai, 1615, q. iv, a. 1, dernière conclusion, p. 224. Comme si le tout-puissant ne pouvait, sans se montrer par la vision intuitive, trouver un moyen de faire connaître à l’ange avec évidence qu’il lui parle 1 C’est restreindre arbitrairement la toute-puissance divine. Aussi Banez n’a-t-il été imité en ce point-là par personne. Lugo, tout en réfutant cette exagération, suit l’opinion tic Banez. Pour lui, aucun miracle ne peut donner une évidence irrésistible au fait de la révélation ; la Vierge elle-même pouvait douter de sa conception virginale et de la révélation liée à ce miracle, parce qu’à la rigueur un prestige diabolique aurait pu opérer en elle cette merveille ; elle aurait donc pu céder à un doute, d’ailleurs imprudent et coupable ; son mérite est de ne l’avoir pas fait, et ainsi la

liberté de sa foi fut sauvée. Dispul., 1. 1, disp. II, n. 122 p. 183. Lugo a entraîné dans cette opinion quelques théologiens de son ordre surtout au xviiie siècle, comme Kilber, De fide, n. 210, dans Migne, Theologise cursus, t. vi, col. 583 ; encore au xix c, Franzelin, De divina traditione, 2e édit., Rome, 187. r >, Appendice, c. iv, sect. iv, p. 670-672. Bancz a de même entraîné à sa suite quelques dominicains, comme Serry, qui commence l'étude de la question par ces mots : Mirum, quantum ea de re digladientur inter se thomislæ nostrates. Preelecliones, Venise, 1742, t. iii, De fide, disp. I, prælect. vi, p. 169. Jean de Saint-Thomas hésite et se contente de donner les arguments des deux opinions avec les réponses qu’on y fait. Cursus theologicus, Paris, 1886, t. vii, De fide, disp. II, a. 2, p. 38.

2e opinion. — Elle admet le fait de Yevidentia attestanlis en certains cas, et le concilie avec la liberté et l’obscurité de la foi. Elle est soutenue par un bien plus grand nombre de théologiens. Citons quelques-uns d’entre eux avec les preuves qu’ils indiquent. Au xv° siècle, Denys le Chartreux, qui a si bien résumé les grands maîtres du xiiie, dit entre autres choses : « Les apôtres n’ont-ils pas su avec la plus grande certitude qu’ils avaient reçu l’Esprit-Saint le jour de la Pentecôte ? Paul n’a-t-il pas su qu’il avait été ravi au troisième ciel, et qu’il avait entendu immédiatement de Dieu de secrètes paroles ? Et cependant il a eu ensuite la foi. La glorieuse Vierge a su avec une certitude transcendante, supercerlissime, qu’un ange saint lui avait parlé, qu’elle avait conçu du Saint-Esprit et enfanté ! < Fils de Dieu, qu’elle avait entendu de la bouche de ce I "ils les mystères de la foi ; cependant elle a eu la loi.. In IV Sent., 1. III, dist. XXIV, q. i, dans Opéra, Tournai, 1904, t. xxiii, p. 421.

Dans l'école thomiste, Cajétan soutient que les an^es in via avaient Yevidentia attestantis, et avec cela la foi de la Trinité. In //>"> II", q. v, a. 1, n. 5, dans l'édition léonine de S. Thomas, t. viii, p. 56. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2283, 2284. Des prophètes, îles apôtres, des évangélistes. il dit ailleurs : Est ex parle humani generis necessarium, necessilale suavis dispositionis qua divina sapientia cuncla ordinal, ut aliqui homines revelationem de lus quæ sunt a Deo sic habuerinl, ut cerli fuerinl evidenter quod Deus hœc révélât, et ab illis alii quasi discipuli a magisiris instrnrrrntur. q. clxxi, a. 5, n. 5, t. x, p. 374. Quand Cajétan dériverait cette évidence moins d’un raisonnement naturel que d’une lumière prophétique, comme le pense le P. Huguejiy, Revue thomiste, 1909, p. 276, 277, cela importe peu à la question présente ; que Yevidentia attestantis soit d’origine naturelle ou surnaturelle, le fait de l'évidence reste le même, ainsi que la difficulté de la concilier avec la foi libre au donné révélé. Gonet donne des faits d’eoidenlia attestantis. Ciypeus théologie thomislicse, 6e édit.. Lyon, 1(181, t. iv. De fide, disp. 1. n. 99, p. 231. Sur la question de compatibilité entre cette évidence et la foi.il répond : Affirmativa sententia m schola l>. Thomæ communier /.. n. 201, p. 232. Les Salmanticenses affirment eu même temps cette évidence et. l’acte de foi dans l’ange in vin. Cursus theologicus, Paris. 1879, disp. III. n. 13, p. 192 ; dans le prophète, n. 20, p. 196. n eoideniiam in attestante

passe componi cum fide rei revelalm. f.or. rit., n. 7. p. lM ! t. Cette conclusion, ajoutent-ils. bien qu’elle i trouve pas chez lini Thomas, est cependant

plus conforme à sa doctrine et a sa pensée. Aussi est

'Ile plus commune chez les thomistes. Et ils en ci tent nu bon nombre Contenson admet la foi ave< Vevidenlia in attestante, non seulement chez les h (n via, mais chez les saints docteurs qui ont pénétré parfaitement les arguments de crédibilité de notre foi. ccux-la surtout, qui ont (ail des miracles au non

Christ, ou qui ont été témoins oculaires de miracles qui leur donnaient une. pleine conviction de l’origine divine de notre foi. » Theologia mentis et cordis, Paris, 1875, t. ii, 1. VIII, De fide, diss. II, c. i, p. 501. Cf. Billuart, Summa, Arras, 1868, t. ii, Dr fide, diss. I, a. 5, p. 215.

Deus…, dit Scot, potest sic causare nolitiam certain absque omni dubitatione, ita quod habens talem nolitiam revelatam a Deo non possit dubilarc de veritale illius cujusmodi nolitiam creditur prophetas habuisse. et mullos alios sanctos in Scriplura… ita quod… non poluerunt non assenlire veritali. Il ajoute qu’ils n’avaient pas pourtant « l'évidence de la chose, avec, laquelle la foi ne peut subsister. » Ils avaient seulement l'évidence du témoignage. In IV Sent., 1. III, dist. XXIV. n. 17, dans Opéra, Paris, 1894, t. xv, p. 46. 48. Les scotistes ont entendu leur docteur de Vevidentia in attestante compatible avec la foi. Voir Mastrius, In IV Sent.. Venise, 1675, 1. III, disp. VI. n. 86, p. 325. A cette objection de Lugo, que l'évidence des préambules rendrait évident l’objet même de la foi, Mastrius répond que l’objet deviendrait évident, d’une évidence extrinsèque, mais non pas d’une évidence intrinsèque et en lui-même. Loc. cil., n. 96, p. 327. Frassen parle de même. Scolus academicus, Rome, 1901, t. viii, De fide, disp. I, a. 1, q. vi, concl. l a, p. 475), 480. Gabriel Biel représentera ici la branche nominaliste du xiv° et du xve siècle : « On admet, dit-il, que les prophètes, les apôtres et les saints qui ont reçu immédiatement de Dieu la révélation, en ont eu une connaissance d’une telle certitude et d’une telle évidence que tout mouvement de doute était absolument exclu. C’est la thèse du docteur subtil… Cette certitude… leur venait de la révélation divine, aussi n'était-ce pas une science. Il y avait cependant évidence, ce qui donne une certitude égale à celle de la science. » In IV Sent.. 1. III, dist. XXIV, concl. 7% Brescia. 1574, p. 240.

Parmi les théologiens de la Compagnie de Jésus, Tolct cite les paroles de Cajétan rapportées plus haut sur la foi des anges, et dit : Et mihi ita videtur, et est doctrina S. Thomæ. In Sumnuun theol. S. Thomæ enarralio, Rome, 1869, t. ii, p. 95. « Nous affirmons deux choses, dit-il ailleurs : a, ordinairement, les fidèles n’ont pas une telle évidence du fait de la révélation., . ; b, une telle lumière n’est pas impossible ; elle a été accordée de fait à quelques-uns. » Op. cil., t. i, p. 23. Suarez admet le fait de Vevidenlia attestantis, soit surnaturelle, soit naturelle. De fide, dis]). III, sect. viii, n. 2, 3, Opéra, Paris, 1858, t. xii, p. »8-70. Quant à la conciliai ion de ce fait avec la foi, il ne veut pas, sans doute, que « l’assentiment de foi soit fondé per se ac formaliter sur la connaissance évidente de la révélation ni qu’on puisse le confondre avec la conclusion de ces deux prémisses : « Ce que Dieu révèle est vrai, car il a révélé ce mystère. «  Loc. i il., n. 19, p. 7(). Mais il admet que Yevidentia testifteantis est compatible avec l’acte de foi, pourvu qu’elle soit concomitante » et non pas cause proprement dite de l’assentiment, causa per se. f.or. cil.. n. 26, p. 78. Il admet que les ailles ont en celle évi dence avec L’acte de foi. disp. VI, sect. ix, n. 2, p. 198. S’il hésite en pass.ml à propos de la foi île la sainte Vierge, disp. III. sect. viii, n. 7. p. 71. ce n’est donc

pas sullisant pour qu’on le eile en fa eur de l’autre opinion, comme on l’a lait parfois. Vasquez dit que l’acte de croire quelque chose sur un témoignage évident n’exclul pas la foi. bien plus, que C’esl la foi ellemême, puisqu’elle s’appuie sur le témoignage comme sur son propre moyen d<. mnattre. In is. I /m mm, Ihgolstadt, n ; ". disp. CXXXV, i m. p. 157.

Cf. In !  !  !. dis ! I III. e. i. n. â. Son disciple Louis

Torrez atteste pout que que le sentiment

commun des théologiens est que l’ange a eu l'évidence du témoignage de Dieu. » Disput. in Il am II X, Lyon, 1617, De fuie, disp. IX, dùb. il, col. 140. Il admet la même évidence chez Adam, les prophètes, les apôtres, col. 142. Il prouve ensuite que « l’assentiment de foi infuse subsiste avec Vevidentia attestantis, » col. 147. Coninck en dit autant : « Comme (les apôtres) devaient non seulement croire très fermement que Dieu leur avait révélé telles vérités, mais encore le témoigner très certainement au monde entier, il était de la plus haute convenance qu’ils eussent cette évidence (du fait de la révélation). » De aciibus supernatur… et flde, etc., Anvers, 1C23, disp. XI, h. 64, p. 208. Les apôtres lui semblent faire allusion à ce privilège. Joa., xix, 35 ; Act., iv, 20 ; I Joa., i, 1. « Les hommes pieux et doctes, tels que furent les docteurs de l'Église, ajoutet-il, en considérant par une longue étude les notes de la foi, en les pénétrant avec soin, reconnaissent par ces signes la vérité de la révélation avec une si grande certitude et évidence, qu’ils en sont comme convaincus à n’en pouvoir douter. » Loc. cit., n. 68, p. 209. Tanner admet ce privilège comme indubitable pour la sainte Vierge, et très probable pour d’autres, et il ajoute : Actus fidei slare potest cum evidentia attestantis. lia ex commuai…, etsi contrariant dixerit Bannes. Theologia scholaslica, Ingolstadt, 1627, t. iii, De flde, disp. I, n. 167, col. 53, 54. Au xviii c siècle, malgré l’influence de Lugo, on trouve toujours des défenseurs de cette opinion parmi les jésuites, comme Antoine, Mayr, cités pas Pesch, Praiecliones, 3e édit., t. viii, n. 150, p. 66. Les théologiens récents la défendent presque tous. Citons Mazzella, De virtutitus infusis, Rome, 1879, n. 720 sq., p. 375 sq. ; Naples, 1909, n. 652 sq., p. 331 ; Mendive, Instit. iheol., Valladolid, 1895, t. iv, p. 465, 466 ; Lahousse, De virtutibus tlieologicis, Bruges, 1900, n. 218, p. 280-282 ; Wilmers, De flde, Ratisbonne, 1902, p. 216, 217 ; Schifïini, De virtutibus infusis, Fribourg, 1904, n. 76, 77, p. 122, 124 ; Billot, De virtutibus infusis, 2e édit., Rome, 1905, t. i, thés, xviii, p. 318 sq. ; Pesch, loc. cit., et n. 410-417, p. 189-192.

Critique des deux opinions. — Les tenants de la première, pour exclure le fait de l'évidence irrésistible des préambules, n’avancent que leurs vues systématiques sur la liberté ou l’obscurité de la foi. Mais en bonne logique, on devrait d’abord s’assurer d’un fait, indépendamment des systèmes qu’il peut favoriser ou gêner, et non pas plier les faits aux systèmes. Les défenseurs de la seconde opinion, suivant une meilleure méthode, étudient la question de fait en ellemême ; et parce qu’ils ont de bonnes raisons d’admettre certains cas d’evidentia attestantis, ils les admettent, malgré la sérieuse difficulté qu’ils auront ensuite à les concilier avec la liberté de la foi. Voici les principales raisons d’admettre le fait, quoi qu’il en soit ensuite des systèmes. — a. La sagesse divine fait tout avec ordre et convenance ; or il convenait souverainement que les envoyés divins (prophètes, apôtres) connussent avec évidence que Dieu leur parlait, et fussent ainsi dans les meilleures conditions pour rendre témoignage aux autres sur le fait de cette révélation, puisque de leur témoignage dépend toute la foi de l'Église ; et d’autre part ils ont cru comme nous de foi divine et salutaire. C’est la raison donnée plus haut par Cajétan, Coninck, etc. — b. Il est indécent d’admettre en Marie un doute sur sa conception virginale, comme pouvant être le fait d’une opération diabolique. Voir Pesch, loc. cit., n. 413, p. 190. — c. Les doutes imaginés pour détruire dans lous les cas possibles l'évidence nécessitante des préambules, par exemple, par Lugo et Kilber, loc. cit., mèneraient au scepticisme. Voir Pesch, loc. cit., n. 414, p. 191. Assurément ces théologiens, en imagi nant de tels doutes, les considèrent comme imprudents, et supposent que les saints les ont bannis de leur esprit par le commandement de la volonté. Assurément aussi, des tentations même de scepticisme peuvent se présenter à bien des esprits. Voir Croyance, t. iii, col. 2383 sq. Mais de pareils phénomènes ne se produisent dans l’esprit humain qu’en vertu d’un état anormal, d’une sorte de maladie passagère. Est-on autorisé à transférer cet état morbide en des intelligences aussi droites, aussi saines, aussi éclairées d’en haut que celle de la sainte Vierge, ou des apôtres après la Pentecôte ? — d. L’apologétique chrétienne et catholique perdrait beaucoup de sa valeur tant célébrée par les Pères, les conciles et les papes, si l’on admettait avec la première opinion que jamais ni le plus savant et le plus saint des docteurs de l'Église, ni même les thaumaturges et les apôtres, familiers du Christ, n’ont reconnu avec évidence le fait de la révélation chrétienne, ou celui de la mission de l'Église. Voir les documents, col. 189 sq. — e. Outre l’excellence propre des arguments rationnels de l’apologétique aidés de la grâce ordinaire, il y a encore le phénomène mystique d’une lumière extraordinaire donnée à quelques grands saints, en sorte que les doutes, soit contre le fait de la révélation divine, soit contre les mystères les plus ardus, n’avaient aucune prise sur leur intelligence. C’est là un des traits caractéristiques de cette « foi héroïque » dont traite Benoît XIV à propos des vertus héroïques des saints canonisés : par exemple, dans les Actes de la canonisation de saint Pierre d’Alcantara, qu’il cite : « En lui, aucune des certitudes les plus évidentes et les plus claires ne pouvaient atteindre, même de loin, à la certitude qu’il avait de la vérité infaillible de notre sainte foi, contre laquelle il n’eut jamais de tentation. » De canonizalione sanctorum, 1. III, c. xxiii, Opéra, Prato, 1830, t. iii, p. 236. Une telle lumière empêche absolument de douter de l’origine divine de la religion : et pourtant l’assentiment est encore la foi, puisque c’est la « foi héroïque » . Dans des âmes même moins privilégiées, on rencontre une impossibilité du moins morale de douter, comme le remarque Arriaga : « Chez beaucoup de catholiques, soit longue conviction des motifs de crédibilité, soit inspirations spéciales de Dieu, l’affection envers les choses de foi va si loin qu’il leur est moralement impossible de nier ces mystères ; leur volonté n’est donc pas libre, au moins quant à l’espèce de l’acte. » Disput. theol., Anvers, 1649, t. v, disp. XVII, n. 15, p. 248. — I. Quant à l’ange in via. « s’il a eu la certitude du fait de la révélation, dit le cardinal Billot, il a du en avoir aussi la pleine et parfaite évidence : car il n’y a pas place dans l’intelligence angélique pour cette évidence imparfaite et mêlée d’obscurité (l'évidence morale) dont la cause en nous ne peut être que le mode discursif de l’intellect humain, et l’imagination empêchant par de vaines apparences que les motifs n’illuminent l’esprit de toute leur lumière intelligible. Dans une intelligence intuitive et séparée de toute matière, il n’en peut être ainsi. » Loc. cil., p. 320, 321. Somme toute, la seconde opinion, suivie par un plus grand nombre de théologiens, justifie par de bonnes preuves les faits qu’elle affirme, et ne part pas seulement, comme l’autre. de vues systématiques. Nous la préférons donc, et nous la supposerons en expliquant la liberté de la foi. Car, à moins de vouloir ensuite se perdre dans uni' inextricable confusion, il faut prendre parti dans cette controverse fondamentale.

2. L'évidence irrésistible des préambules peul-ette se concilier avec la foi et sa liberté essentielle ? — Les défenseurs de la seconde opinion l’affirment, et le prouvent de deux manières : a) Indirectement, par les preuves données ci-dessus : les anges, la sainte

Vierge, les apôtres, etc., ont dû avoir en même temps cette évidence et la loi : il doit donc y avoir un moyen de les concilier. Et notez qu’il suffirait d’un seul fait semblable pour pouvoir ainsi conclure ; les adversaires doivent donc les réfuter tous, s’ils veulent montrer que cette conciliation est impossible. — b) Directement, en expliquant le comment, en proposant un moyen de conciliation. Mais comme plusieurs ont été proposés, nous renvoyons à l’examen que nous ferons des systèmes sur la liberté de la foi.

Un autre fait bien constaté tend à montrer aussi la possibilité de cette conciliation. C’est ce qu’on peut appeler la foi confuse, ou, comme disent quelques-uns, « subjectivement implicite » . Voici le fait. Les pieux fidèles, ignorants ou instruits, « vivent de la foi, » Heb., x, 38, et multiplient ces actes de foi : souvent Ce ne sont pas des actes à pari, et nettement formulés, mais à l'état confus, à l'état implicite, contenus dans les actes d’autres vertus qui supposent la foi, par exemple, dans l’acte intérieur d’adoration qui accompagne une génuflexion devant le tabernacle, dans le regard jeté alors vers Jésus-Christ ; comment adorerais-je l’hostie consacrée, si la révélation ne m’avait appris et la présence réelle et la divinité du Christ, et si je n’y avais foi ? L’expérience montre que le fidèle, alors, n’a souvent pas la possibilité pratique de douter du fait de la révélation, cette possibilité que les adversaires de ï'evidentia attestanlis exigent pour la liberté de la foi et vont chercher même dans la sainte Vierge et les anges, afin que l’intelligence reste en suspens jusqu'à ce que la volonté libre la détermine à affirmer plutôt qu'à douter. Pourquoi le fidèle n’a-t-il pas alors la possibilité de douter du fait de la révélation ? Parce que, dans cet acte rapide, il ne considère distinctivement ni la révélation, ni à plus forte raison les motifs de crédibilité qui la prouvent : il prend la présence réelle comme un fait acquis, il se souvient confusément de l’avoir toujours admise pour une excellente raison qu’il ne saurait préciser en ce moment, mais qui est en réalité le motif spécifique île la foi. Ce motif, avec ses preuves qui rendent la foi raisonnable, est suffisamment visé par ce souvenir confus pour spécifier l’acte et en faire un acte de foi divine, et raisonnable en même temps. Voir col. 17<H. Mais comme il n’est visé que sous un concept très rapide et très vague — « l’excellente raison que j’ai eue d’admettre cela et qui me rend certain il ne lionne pas au doute et à la crainte, formido, le temps ni l’occasion de surgir. Car enfin il faut une occasion et au moins une apparence de preuve à ce jugement qui exprime la formula : « Je suis en danger de nie tromper. Voir col. 95. Ou manque tout motif même apparent, l’intelligence est dans l’impossibilité positive e< absolue de juger ainsi du moins, Aie et mine dans le concret : quelle que soit la possibilité abs e qui reste, en supposant d’autres circonstances que celles qui existent. Dans d’autres circonstances,

i dire si je considérais distinctement le motif rpie j’ai d’admetl re ici la présence du Christ, si la révélation de l’eucharistie, l'Écriture qui la contient, l'Église qui la propose, les miracles qui la prouvent, défilaient devant mon esprit, sans parler de la dlfllCUlté ii. ! mm èque du mystère qui pourrai ! me venir à la pensée, la crainte trouverait, ici ou là, l’occasion

élever. Mais dans les circonstances présentes

lion n’existe pas : j’adore une présence ruinée. i|in |i uis accoutumé a reconnaître, comme l’cnfanl lent la prtf enec de mère dans la chambre voisine

1 1 oir. Ainsi le fidèle, sans même que sa volonté libre ait, i intervenir de nouveau pour déterminer un

I en uspens, va d’emblée : i cet assenlinienl Implicite de foi dont bien des actes précédents lui ont raccourci et facilité le chemin, sans oublier la

grâce qui l’aide. Dire qu’il ne fait pas alors un véritable acte de foi, ce serait rendre beaucoup plus rare l’exercice de ces vertus théologales, destinées à la vie quotidienne des âmes ; un théologien n’a pas le droit d’imposer arbitrairement des conditions aussi restrictives de la vie chrétienne.

Le cas de la « foi confuse » que nous venons de voir est-il le même que celui de Yevidenlia alleslantisl Pas précisément : celle-ci suppose l’intelligence parfaitement éclairée sur le motif de la foi et les preuves qui l’appliquent, au moment où elle va croire ; et ce motif intellectuel rend alors toute crainte impossible par la perfection de sa manifestation, tandis que, dans la foi confuse, c’est par Y imperfection même de son apparition qu’il rend le doute impossible. Malgré cette différence, il y a un point commun dans les deux cas : c’est l’impossibilité réelle et pratique de douter dans la circonstance. Or ce point est le seul important dans la question présente de la liberté de la foi, le seul qui amène Banez et Lugo à rejeter Yevidentia attestanlis. Concluons que, si la liberté essentielle de la foi peut se concilier avec la foi confuse, elle peut aussi se concilier avec l'évidence parfaite des préambules. L’assimilation partielle entre les deux cas permet de comparer l’apparition du motif dans la foi confuse à une sorte d'évidence, mais plutôt à celle évidence apparente et provenant pour une bonne part d’un élément négatif, d’une imperfection intellectuelle qui ne saisit pas les difficultés et les raisons de douter, telle que nous la rencontrons surtout chez les simples. Voir Véga, Gormaz, Mayr cités à l’article Croyance, t. iii, col. 2373.

Systèmes sur la liberté de la foi.

Non seulement

il est intéressant de voir les ciïorts faits en tous sens pour résoudre un problème des plus ardus ; mais la question exige d’autant plus une sérieuse étude que dans la plupart des traités et manuels elle se présente d’une manière bien incomplète et obscure. On s’est embrouillé souvent dans les mots ; on a pris comme décision de l'Église ce qui n’en était pas. Nous voudrions faire le dépouillement des textes et des opinions théologiques sur la question, et fournir ainsi des matériaux à une étude plus approfondie et à une solution plus éclairée.

1. Système du despotisme de lu volonté. - Nous le voyons apparaître dès le xiv siècle. « t’n homme qui n’a pas la foi entend dire à un prédicateur : Il y a un seul Dieu en trois personnes ; qui l’aura cru. aura la Vie éternelle. Peut-il aussitôt, sans aucune autre évidence de la raison, donner un libre assentiment à cette proposition ?… Peut il. par le seul coniinandenient de

sa volonté, croire qu’elle est vraie ou qu’elle est

fausse ? " En posant cette question, et en soutenant la négative contre des théologiens qu’il ne nomme pas. un célèbre dominicain, professeur à Oxford.

Robert llolcot († 1349), nous apprend qu’il > avait des lors des défenseurs de « système qui attribue à la volonté une action absolument despotique sur l’intelligence ; on a parfois cité Ockam, in i Sent.,

1. Il.disl. XXV. On voit dans quel sens llolcot nie que i croire soil en noire libre pouvoir. Super IV liliros Sent, queestiones, Lyon, 1510, I. I. q. t, a. 1, C Cans pagination). On l’a souvent acciisé lui-même d’avoir nié la liberté spéciale de la foi. en cet endroit, mais surtout a l’art. 6, ou il résout les difficultés qu’on lui fait. Voir Crédibilité, t m. col. 2280, 2281. H ne

donne certainement pas sm cette liberté tOUS les

rclSSementS désirables. Cl dans ses réponses aux

adversaires il va paifois trop loin en sens oppose.

connue il arrive dans les polémiques ; mais on doit

dire a sa décharge que ce qu’il se propose uniquement d’attaquer, c’est un système évidemment outrancler ; aussi quelques-uni onl Us pris sa défense, comme

Louis de Torrès. Op. cil., disp. XXIX, dub. i, p. 370. Dans la discussion du dominicain anglais, émaillée de justes observations psychologiques, on trouve, entre autres, cet argument : « Nous ne sommes pas maîtres de prendre à volonté telle ou telle opinion. L’expérience le prouve : en face d’une proposition qui est pour nous neutre ou douteuse — par exemple : Le roi est assis en ce moment — nous ne pouvons, sans l’addition de quelque raison, assentir ou dissentir… Ajoutez l’autorité d’Aristote et de son commentateur (Averroès), quand ils distinguent l’imagination et l’opinion : nous pouvons imaginer à volonté, avec les images sensibles enregistrées dans notre mémoire ; mais nous ne pouvons opiner à volonté, l’opinion n’a pour objet que ce qui nous apparaît comme vrai. » Et la vérité objective, même apparente, ne dépend pas arbitrairement de notre volonté, ce qui serait du subjectivisme. Pour le texte d’Aristote, voir Croyance, t. iii, col. 2372. Son principe, que la volonté n’a pas un pouvoir despotique sur l’opinion, a été récemment développé par le P. de Poulpiquet, O. P., L’objet intégral de l’apologétique, Paris, 1912, part. II, c. i, p. 292 sq. Mais voyons ce qu’en conclut Holcot : « Si l’on ne peut par la seule volonté causer en soi l’acte d’opinion, dit-il, on ne peut y causer l’acte de foi, et je le prouve. Qui ne peut exécuter le plus facile ne peut exécuter le plus difficile : or il est plus difficile de mettre en soi l’assentiment ferme et sans aucun doute qu’est la foi que l’assentiment chancelant qu’est l’opinion. » Loc. cit.

Vers la fin du xve siècle, le même argument, tiré de l’opinion, fut repris par Pic de la Mirandole contre de nouveaux partisans du despotisme de la volonté ; et lui aussi, comme Holcot, a été trop sévèrement jugé. A lire Denzinger, n. 736, 737 (619), on s’imagine facilement qu’Innocent VIII dans une bulle (exactement, c’est un bref) a condamné distinctement et en particulier la double proposition citée, et même que c’est le pontife qui a donné la note erronea et hseresim sapiens. La vérité est que cette note n’avait été donnée à la proposition que par les consulteurs ; que le pape dans son document ne fait pas siennes ces notes données par les consulteurs à certaines propositions déterminées ; qu’il ne cite même aucune proposition en particulier, mais se contente de condamner en général l’opuscule qui contient le simple énoncé des 900 thèses de la soutenance, et d’en interdire la lecture. Bref Etsi ex injunclo, du 5 août 1487, n. 4, dans le Bullarium romanum de Cocquelines, Rome, 1743, t. iii, p. 211. Abstraction faite du préambule malencontreux : Dico probabililer, etc. (Denzinger, loc. cit.) qui a pu faire regarder Pic comme voulant attaquer ici le sentiment commun des théologiens, tandis qu^il ne vise que la manière de parler, sa thèse dit assez qu’il n’attaque que le système outrancier du despotisme de la volonté : « De même, dit-il, que personne n’a l’opinion qu’une chose est telle, précisément parce qu’il veut avoir cette opinion, ainsi personne ne croit qu’une chose est vraie, précisément parce qu’il veut croire qu’elle est vraie. Corollaire : il n’est pas au libre pouvoir de l’homme de croire qu’un article de foi est vrai quand il lui plaît, et de croire qu’il est faux quand il lui plaît. » Denzinger, loc. cil. Avoir le pouvoir de prendre une même chose comme vraie ou comme fausse d’après son bon plaisir, avoir le droit ou l’obligation de croire un article de foi précisément par un coup de volonté, c’est-à-dire sans jugement de crédibilité, sans motif intellectuel, tout cela, bien loin d’être la commune et saine doctrine, lui est opposé. Voir col. 172-174, 189-191. Dans l’apologie où Pic fournit l’explication et les preuves des thèses incriminées, on voit encore mieux par ses preuves le sens de sa thèse. Par exemple, en cet en droit : « Si l’on demande à quelqu’un : Pourquoi croyez-vous à la religion chrétienne plutôt qu’à la religion de Mahomet ? — il n’assignera pas précisément sa volonté pour motif, comme chacun peut en faire l’expérience ; et tous nos théologiens énumèrent pour la foi chrétienne divers motifs de crédibilité… Ce n’est donc pas précisément (uniquement) l’acte de la volonté, merus actus voluntatis, qui l’incline à croire. Voici deux hommes qui croient des choses opposées : s’ils n’y sont déterminés que par leur volonté, indifférente ad hoc omnino judicio vel suasione rulionis, on ne peut dire que l’un soit plus raisonnable que l’autre dans sa foi… Comme dit Albert (le Grand) au IIIe livre De anima, quand la volonté agit ainsi précisément parce qu’elle veut agir ainsi, elle ressemble à un tyran dans les actes duquel on ne cherche point de raison… Or tout le monde a coutume de dire de deux personnes qui croient des choses opposées, par exemple, d’un chrétien et d’un mahométan, que l’un agit raisonnablement et l’autre non. C’est donc que la seule volonté ne détermine pas l’acte de foi ; autrement aucun des deux ne serait raisonnable, il n’y aurait plus dans les deux qu’un commandement tyrannique de la volonté. Apologia quæsliomim, q. viii, De liberlate credendi, dans Opéra, Venise, 1519, feuille i, 2 (sans pagination). Voilà qui est clair et orthodoxe. Aussi peut-il citer ensuite en sa faveur, non seulement Holcot et Pierre d’Ailly, etc., mais presque tous les docteurs qu’il a fréquentés à l’université de Paris, fere iota universitas I’arisiensis. Un thomiste célèbre, Pierre d’Aragon, dit de cette thèse de Pic : Hanc conclusionem acute probal Picus Mirandulanus, loc. cil., et est sine dubio vera. In II™ 11*, Venise, 1625, De fide, q. i, a. 4, p. 17. Le savant Théophile Raynaud cite avec éloge Holcot et Pic de la Mirandole comme ayant attaqué le faux système du despotisme de la volonté. Moralis disciplina, dist. II, n. 200, 201, dans Opéra, Lyon, 1065, t. iii, p. 281.

Au xvie siècle, la question reparaît avec Cajétan. Scot avait dit : « Si la volonté était la cause (unique) de l’acte de croire, et que l’on proposât à l’intelligence cet énoncé : Les astres sont en nombre pair

— sans rien pour le persuader, la volonté pourrait ordonner à l’intelligence de croire que les astres sont en nombre pair : ce qui est absurde. » In IV Sent., 1. III, dist. XXV, q. n laieralis, n. 2, dans Opéra, Paris, 1894, t. xv, p. 211. Cajétan lui répond : « Il n’y a aucun inconvénient à admettre qu’on puisse par sa seule volonté croire que les astres sont en nombre pair… Comme un médecin par sa seule haine détermine l’art de la médecine à tuer un malade, ainsi par le seul amour d’un bien quelconque on se détermine à croire une chose sans aucune raison. » In / am //", q. lxv, a. 4, n. 2, dans l’édition léonine de S. Thomas, t. vi, p. 426. Théophile Raynaud retourne ainsi la comparaison de Cajétan contre lui : « Comme un médecin ne peut déterminer l’art de la médecine à guérir ou à tuer un malade sans employer des drogues appropriées, ainsi la volonté ne peut appliquer l’intelligence à donner un assentiment à un objet, sans qu’une raison convenable apparaisse à l’esprit. » Loc. fil. Au reste, sans parler des scotistes, qui défendirent leur docteur, et de beaucoup d’autres, Banez lui-même réfuta Cajétan par la thèse suivante : « Pour croire, ou pour donner quelque assentiment que ce soit, il faut nécessairement du côté de l’intelligence une persuasion soit vraiment raisonnable, soit au moins apparente… L’objet de l’intelligence est le vrai, comme celui de la volonté est le bien : de même que la volonté ne peut tendre qu’à un bien, réel ou apparent, de même l’intelligence ne peut donner son assentiment qu’au vrai, apparent ou réel. Or de ce que la volonté veut déterminer l’intelligence à adhérer à

tel énoncé, celui-ci n’en devient pas aussitôt pour cela un objet vrai, en réalité ou en apparence : la seule motion de la volonté ne suffît donc pas sans quelque persuasion. » In II 3m II X, Douai, 1615, q. i, a. 4, concl. 4-, p. 24. Banez fait remarquer d’ailleurs que Cajétan ne veut pas parler ici de l’assentiment selon la prudence ; que dans ce même article il exige l'évidence de crédibilité pour la prudence et le caractère moral et vertueux de l’acte de foi. Loc. cit., p. 23. Cajétan se borne donc à exagérer la puissance physique de la volonté sur l’esprit.

Critique du système. — a) S’il pouvait être admis, il faciliterait d’une manière simpliste la conception de l' imperium voluntatis, ce qui explique que plusieurs y aient eu recours. Ce n’est donc pas précisément la liberté de l’acte de foi qu’il détruit : il l’exagère. — b) Si l’on entend le despotisme de la volonté à la façon de Cajétan, comme un fait matériellement possible, mais sans prudence et sans légitimité, nous l’avons vu réfuté par de bons arguments d’Holcot et de Banez, qui le montrent psychologiquement impossible. Si ce système était vrai, dit encore Holcot, « nous pourrions à volonté nous donner de grandes joies, en nous commandant à nous-mêmes de croire que nous allons avoir tel bonheur ; nous pourrions ne douter jamais de rien ; nous pourrions dire n’importe quoi sans mentir, car au moment d’affirmer ce qui nous paraît faux nous pourrions croire volontairement que c’est vrai. » Loc. cit. — c) Mais si l’on va plus loin encore, si l’on prétend que ce despotisme de la volonté est légitime et prudemment possible, alors c’est le fidéisme, condamné par l'Église : chacun sera autorisé à croire sans aucune préparation rationnelle, par un simple coup de la volonté. Voir col. 171, 172, 175-178, 189191. Les miracles, l’apologétique avec ses motifs de crédibilité seront inutiles, la foi du chrétien ne sera pas plus raisonnable que celle du musulman, comme le remarquaient Holcot et Pic de la Mirandole. lit que l’on ne dise pas que la volonté du chrétien, en tyrannisant ainsi l’intelligence contre nature et en supprimant les motifs intellectuels voulus par l'Église dans la foi. tend à une fin excellente, la récompense céleste : la lin ne justifie pas les moyens. Enfin le système mène au subjectivisme, en enlevant à la vérité son caractère objectif et impersonnel, pour la faire dépendre uniquement d’un clément subjectif et personnel, la volonté. De ces arguments certains contre ce système, nous pouvons utilement tirer trois corollaires.

1 er corollaire. — Il faut donc bien entendre ce passage de saint Thomas : Quandoque intellectus non potest delerminari ad aller/un parlent contradictionis, neque stalim per ipsas deflniliones lerminorum, sien in principiis, nec eliam virtute principiorum, sicut in conclusionibus démonstratives est ; ilclerminutur aillent per voluntatem, quæ eligit assentire uni parti determinate et præcise propter aliquid quod est suffteiens ad tnovendum voluntatem, non autem ad movendum intellcctum, ulpole quod videtur bonum vel conveniens, huic parti assentire, il ista est dispositio credentis… Kl hoc. præmio (vitæ wlcrnse) mooetur volunlas ad o tlendum his quæ dicuntur, quamvis intellectus non movcutur per uliquid intelleclum. Quæst. disp., De Veritale, q. xiv, a. I. Saint Thomas voudrait-il ici m m placer purement et simplement, dans la foi, les motifs Intellectuels, les raisons de croire, le motif même du témoignage divin, pai un motif propre de la volonté, pu mi bien i|ui non-, attire, par exemple, l.i récom ulement ce sei ; iit le fidéisme et le ectivisræ mais c< ei ! ii contraire a toute s ; i me bien connue sur le motif spécifique de la foi, voir col. 99, 116, 121. 12 : ', ; sur la vertu de foi dant avant tout dans l’intelligence, 'i servant même à voir la crédibilité, col. 240 245 ; enfin sur la nécessite

des motifs de crédibilité. Voir Crédibilité, t. iii, col. 2271-2276. Il faut donc, dans ce texte elliptique de saint Thomas qui ne peut énumérer en si peu de mots toutes les conditions de l’acte très complexe qu’est la foi, il faut sous-entendre les motifs intellectuels dont il parle ailleurs. Et quand il dit : quamvis intellectus non moveatur jur uliquid intelleclum. il faut entendre ce moveatur dans le sens de delerminctur. expression qu’il a lui-même employée au début : Quandoque intellectus non potest delerminari, etc. Et il faut comprendre ainsi le cas dont il parle : on a des motifs de crédibilité sullisants, qui expliquent le témoignage divin et inclinent à l’admettre ; mais, tels qu’ils se présentent, ils ne « déterminent » pas, ne nécessitent pas l’intelligence à l’assentiment ferme, comme cela a lieu dans l'évidence immédiate des « principes » , ou dans l'évidence médiate et scientifique des « conclusions démonstratives » , dont il vient de parler. Dans cette fluctuation de l’esprit, la volonté seule, animée par le bien qu’elle poursuit, et sans nouveau motif intellectuel, chassera les doutes, d’où qu’ils viennent (doutes imprudents, puisque les motifs contraires sont par hypothèse su/fisanls pour l’assentiment ferme), et obtiendra ainsi la ferme adhésion. Voilà le maximum d’influence volontaire que nous puissions lire dans cette phrase du saint docteur ; elle revient à affirmer dans la foi une influence spéciale de la volonté qui. n’est pas dans la science. Voir col. 395 sq.

2e corollaire. — Si la volonté ne peut par son seul commandement déterminer l’esprit en face d’une proposition neutre, où il ne voit de raison ni pour ni contre, a fortiori, elle ne peut le déterminer dans un sens opposé à l'évidence (stricte) : il y a là une impossibilité physique (|n’elle ne peut vaincre ; autrement, jamais n’existerait cette évidence irrésistible où l’esprit est déterminé par l’objet seul et non par la volonté, d’après la doctrine de saint Thomas. Voir col. 207. Et sans aller jusqu'à cette impossibilité physique, plusieurs fidèles éprouvent en eux, au moins à certains moments, une impossibilité morale de douter de leur religion. Et ceux mêmes qui peuvent en douter ne peuvent pas aussitôt la nier, c’est-à-dire la juger fausse, avec une certaine conviction : car il faudrait pour cela des raisons apparentes, bien plus fortes que pour douter seulement. Voir CROYANCE, t. iii, col. 2372. C’est donc donner trop d’empire à la volonté, que d’affirmer que tout fidèle, dans tout acte de foi. a la liberté la plus complète d’affirmer, de douter, ou de nier. « Beaucoup semblent croire, dit Michel de Eli/.alde, S..]., que la foi est pour chacun aussi volontaire, aussi libre qu’il m’est libre en ce moment de m’asseoir ou de me promener, d’aller de ce côté-ci ou de ce côté-là ; et c’est en ce sens qu’ils la disent libre quoad speciem. Forma vers religionis quærendse et inveniendæ, Naples, 1662, p. 380. Oui. ajoute-t-il, la vraie religion est librement reçue, librement conservée… M, lis il ne faut pas l’entendre en ce sens, que

h croyanl ait en sa liberté de rejeter Immédiatement

la religion et de la juger fausse, et une autre vraie à sa place. Il a l’assentiment toujours en son pouvoir, mais le dissentiment seulement en germe, m causa, en ce sens qu’il peut par sa faute arriver à altérer, a

corrompre Ifl bonne disposition où il est… Si je m’examine moi-même, je ne me trouve pas la liberté de pouvoir, tOUl de suite, juger et décider « pic l.i religion Catholique est fausse… Je ne veux p ; is qu’ils m’accordent la liberté d’approuver les folles les plus extravagantes. Loc. cit., p. 382. Remarquons du reste

que, dans la foi. le simple doute, plus facile que la négation et demandant pour exister moins d’appa rences de raison, suffit a la détruire, parce quc la foi est essentiellement ferme. De la cet axiome : hubius

in fide, infulelis est. De là aussi l’ambiguïté de ces mots employés par les théologiens, liberlas dissenliendi, discredendi, qui parfois signifient la liberté de nier, mais souvent aussi celle de douter simplement.

3e corollaire. — Une terminologie qui ne se trouve pas chez saint Thomas mais seulement plus tard, pour désigner la liberté qui est dans la foi et non dans la science, c’est d’appeler la liberté spéciale de la foi liberlas quoad specificationem ou quoad speciem, tandis que la liberté commune aux deux est appelée liberlas quoad exereilium. « L’assentiment de science, dit Valentia, dépend de la volonté seulement quant à son exercice, c’est-à-dire pour que l’acte se produise et que la puissance ne reste pas inactive : l’assentiment de foi en dépend encore, quant à sa spécification, c’est-à-dire que la libre motion de la volonté est nécessaire non seulement pour que sur l’objet de foi se produise un acte, mais encore un acte de telle espèce, un assentiment plutôt qu’un dissentiment. » Commentar. theol., Lyon, 1603, t. iii, disp. I, q. i, p. iv, § 1, p. 67. A d’autres théologiens, cette expression déplaît, parce que la spécification des actes ne vient pas de la volonté, mais de l’objet. Voir S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. ix, a. 1. Les premiers répondent que la volonté, sans usurper la causalité propre de l’objet, concourt du côté du sujet à mettre et à conserver en lui telle espèce d’acte ou d’état d’esprit. « L’objet formel, dit Ysambert, est le principe spéciflcatif de l’acte, mais à la condition d’être suffisamment perçu tel qu’il est objectivement et de fait… Si donc il a en lui quelque obstacle à être saisi tel qu’il est, et qu’il puisse être dégagé de cet obstacle par un mouvement de la libre volonté, alors, bien que la spécification de l’acte au sens propre et formel vienne de cet objet, cependant la détermination de l’acte à telle espèce viendra proprement de la libre motion de la volonté… L’objet formel ou motif donne toujours à son acte d’être de telle espèce ; et de plus, quand il apparaît avec évidence…, il détermine son acte à entrer dans cette espèce. Mais quand il manque d’évidence…, comme l’intelligence, loin d’être convaincue par l’objet proposé, a plutôt par ailleurs des raisons qui peuvent l’en écarter et l’amener à un dissentiment, alors, pour que l’acte sur un tel objet soit plutôt assentiment que dissentiment, il faut que l’intelligence soit déterminée par la volonté, qui est alors le principe de détermination quoad specificationem actus. « Disput. in II"" II X, Paris, 1648, De fide, disp. XXIII, a. 4, p. 157, 158. Le célèbre docteur de Sorbonne rejette d’ailleurs l’opinion de Cajétan sur le despotisme de la volonté, et indique certaines conséquences qui en découleraient, quse sunt absurda apud omnes philosophos. Loc. cil. — Ainsi la terminologie en question, suivie par beaucoup de théologiens et encore de nos jours, peut se justifier. Elle a d’autre part l’inconvénient d’être ambiguë. Cette formule, liberlas quoad specificationem actus, a été employée aussi pour désigner précisément le système du despotisme de la volonté. C’est en ce sens qu’elle est déjà signalée et rejetée par Pic de la Mirandole : Merus actus volunlaiis non potest se liabere ut actus primus respectu specificationis actuum intelleclus… Palet ex communi sententia omnium doclorum in hoc consentienlium, quod licel actus intelleclus quoad exereilium dependeal a voluntate, non lamen quoad specificationem. Loc. cit. C’est dans le même sens qu’elle est rejetée par Théophile Raynaud, loc. cit., et par Élizalde. Loc. cit. Dans l’école scotiste, il y a toujours eu tendance à la rejeter, ce qui n’implique pas d’ailleurs un désaccord avec les autres théologiens catholiques sur la nécessité d’admettre une liberté spéciale dans la foi. Il serait donc peut-être préférable d’éviter cette formule, empruntée à la théorie générale de la liberté,

OÙ elle a son utilité, mais devenue obscure et ambiguë sur le terrain particulier de l’acte de foi ; d’autant plus que celle « liberté de spécification » est prise par les uns pour la seule liberté de croire ou de douter, par lis autres pour la liberté de croire ou de douter ou de nier, et ne peut que susciter des logomachies. Voilà pourquoi nous avons évité ce terme, quand il s’agiss ; iit de désigner ce qui est communément admis par les théologiens, ce qui doit être admis de tous, en nous bornant à dire : Il y a dans la fui une influence spéciale de la volonté, qui n’est pas dans la science. Voir col. 395.

2. Système qui explique la liberté de la foi par l’inévidence de l’objet formel, ou au moins du fait de la révélation. — Ce système, très opposé au précédent, regarde l’assentiment de foi comme la conclusion de ces deux prémisses : « Ce que Dieu a révélé est vrai : or il a révélé tel dogme ; » prémisses qui sont, du moins pour les partisans du système, l’objet formel ou motif de la foi. Seulement, d’après eux, la mineure de ce syllogisme n’apparaît jamais à l’esprit avec une évidence nécessitante, quoi qu’il en soit de la majeure. Il faut donc, pour l’affirmer, la coopération de la volonté libre : par le fait même, la conclusion, qui est l’assentiment de foi divine, dépend aussi de la volonté, puisqu’elle ne serait jamais affirmée avec certitude, si la volonté n’intervenait dans la mineure pour affermir l’esprit. Et c’est bien là une influence spéciale de la volonté, qui ne se trouve pas dans l’assentiment de science proprement dit, où la conclusion résulte essentiellement de prémisses toutes nécessitantes. Ce qui caractérise le système, c’est donc que l’acte libre de volonté, précédé du jugement pratique de crédibilité qui le déclare légitime et prudent, n’a pas lieu immédiatement avant l’assentiment de foi (conclusion), mais est reporté un peu plus en arrière, avant l’affirmation du fait de la révélation (mineure), où il y a toujours pour la volonté des doutes imprudents à chasser. Ainsi pensent les théologiens qui, pour expliquer la liberté de la foi, rejettent absolument Yevidentia atleslanlis (voir col. 400) et qui ne l’expliquent que par là : Banez, et surtout Lugo, et, de nos jours, Franzelin, qui en donne un bon résumé. De traditione, 2e édit., Rome, 1875, Append., c. iv, a. 4, p. 668-672.

Critique. — a) Omettant ici certaines critiques qui se rapportent non pas à la liberté mais à l’analyse de la foi, nous accordons que ce système donne à la volonté libre une influence spéciale qui n’a pas lieu dans la science. On a dit, il est vrai, que, si le rôle de la volonté « consiste à expulser » des doutes subsistant dans l’intelligence, « il n’y a plus aucune différence entre la manière dont la volonté intervient dans la science et dans la foi. » P. de Poulpiquet, L’objet intégral de l’apologétique, 1912, p. 313. Tout dépend de la manière de concevoir cette expulsion des doutes imprudents. Si elle se bornait, comme on l’a dit, à « considérer avec plus d’attention la valeur des motifs de croire, la frivolité des raisons contraires, » et si cette considération nouvelle, commandée par la volonté, avait assez de force par elle-même pour faire cesser tous les doutes, pour déterminer l’intelligence, alors oui, il n’y aurait pas là d’autre intervention de la volonté que celle qui a lieu dans la science. Mais si la volonté applique l’intelligence à fermer les yeux, à ne pas considérer les objections obsédantes qui ne trouvent pas de solution directe, et à faire cesser ainsi les doutes imprudents comme le feu s’éteint faute d’aliments, c’est là un coup de force autorisé sans doute par le bon sens, mais enfin c’est un coup de force, qui n’a pas lieu dans la science. L’idéal de la science n’est pas de fermer les yeux, mais d’examiner la question le plus possible et sous toutes ses faces, les objections comme le reste, enfin de chercher la solu

lion directe et purement intellectuelle des difficultés. Voir ce que nous avons dit d’après l'Écriture et les Pères sur le mérite spécial de la foi, col. 398. On a aussi reproché à ce système de ne pas mettre l’assentiment de foi sous une dépendance assez immédiate de la volonté. Mais l’exigence d’une dépendance plus immédiate ne paraît pas fondée : il y a une connexion si intime entre la mineure et la conclusion d’un syllogisme que la volonté actionne vraiment celle-ci en actionnant celle-là. Rien ne prouve que l'Écriture, la tradition ou l'Église exigent davantage pour que la foi soit suffisamment libre. Le P. Pesch tâche de le prouver ainsi : « L’acte par lequel on admet librement le l’ait de la révélation précède la foi ; du moment que cet acte est posé, avec l’autre qui affirme la véracité de Dieu, l’intelligence, suivant les adversaires, ne peut plus hésiter à admettre l’article révélé, lequel suit évidemment de ces deux prémisses. La foi d’après ce système n’est donc pas un acte libre en lui-même, niais seulement dans ses causes. Or, l’assentiment de foi doit être libre en lui-même, in se, comme dit le concile du Vatican : Fides ipsa in se… est actns quo liomo liberam pnestal ipsi Deo obedienliam. » Sess. III, c. nr, Denzinger, n. 1791 ; Pesch, Præleclioncs, 3e édit., l !)lu, t. viii, n. 416, p. 191, 192. Malheureusement pour ce raisonnement, la phrase du concile y est détournée de son véritable sens. D’abord le concile ne dit pas : Fides ipsa in se est uelus, etc., mais : Fides ipsà in se, eliamsi per curilalem non opcrctur, donum lui est ; et actus ejus est opns, etc. Ensuite fides ipsa in se signifie la foi sans la charité, c’est-à-dire la foi « morte » , ou plus exactement la foi prise en elle-même, en faisant abstraction du fait d’avoir avec elle la charité ou de ne pas l’avoir, d'être « vive » ou d'être

morte » : prise ainsi, elle est déjà « un don de Dieu » , elle implique une grâce ; voilà tout ce qu’affirme ici le concile, à rencontre de Hermès, qui n’exigeait la grâce que pour la foi vive et à raison de la charité, lai liii, nous avons montré par le contexte et surtout par les Actes du concile, quc ces mots fides ipsa in se, opposés à actus ejus, prennent la foi comme vertu infuse, et en tant que distincte de l’assentiment qui en procède. Voir col. 351. On ne peut donc en aucune i traduire : « L’assentiment de foi doit être libre en lui-même, et non pas dans ses causes : dans la phrase du concile il ne s’agit de cela ni de près ni de loin.

b) Un reproche plus grave que l’on fait aux tenants du second système, c’est de nier absolument, pour le besoin de leur cause, tout exemple d’evidentia atteStanlis dans la foi. Voir col. 403 sq. Ils ne reconnaissent d’acte de foi proprement dit dans les anges in via, <l ans la sainte Vierge, dans les apôtres, etc., qu'à la condition d'étendre jusqu'à eux le doute sophistique que la volonté aidée de la grâce vient éliminer ; ils niiili ipiieni outre mesure ces doutes imprudents, Ils ne peuvent expliquer non plus les actes de foi confaits par habitude, où les fidèles n’onl pas même l’idée ni la possibi lit <' de douter. Voir col. 405. Ou bien, ils regardent ces actes comme n'étant pas des h foi salutaire, et diminuent ainsi considérablement parmi les fidèles et les saints un acte si important de vertu théol"

i. Système qui explique lu liberté de la fui par Vinévidence ordinaire du fait < ! < lu révélation, sans exiger

cette liberté spéciale absolument dans tous les actes de foi. C’est une mitigation du système précédent. On admet encore que l’influence spéciale de la volonté dans la foi consiste a expulser l<s doutes imprudents ; que ces doutes viennent du manque d’evidentia ultetlanlis ; qu’avec cette évidence ils ne seraient pas possibles ; que le manque de cette évidence caractéri foi. In i le manque d'évidence irrésistible des pré ambules est la règle générale, voir col. 210, 211, il peut y avoir par exception des actes particuliers de foi dérivant de cette évidence. Il n’est pas nécessaire que tous les actes de foi aient une aussi grande liberté les uns que les autres. Pareillement, dans la « foi confuse » : quand le fidèle renouvelle rapidement un acte de foi souvent répété, quelle nécessité y a-t-il d’exiger inutilement la même influence de volonté libre qui a dû intervenir dans les actes plus lents et plus réfléchis, avant la formation de l’habitude ? Ainsi ont pensé plusieurs théologiens de diverses écoles. —

a) École thomiste. — « Il faut un acte de volonté, dit Jean de Saint-Thomas, quand une vérité est crue pour la première fois, de novo… Une fois qu’elle a été crue, il suffit que la volonté (de la croire) demeure virtuellement, et un nouvel acte de volonté n’est pas requis expressément et formellement. » Cursus theologicus, Paris, 1886, t. vii, De fide, q. i, disp. III. a. l.'n. 8. p. 80. Un autre thomiste dit que l’intelHgence est déterminée par la volonté, quoad specificationcm le plus souvent, ut plurimum. « Il peut arriver, ajoute-t-il, qu’une vérité de foi lui apparaisse avec Yevidentia in attestante, ce qui l’empêchera d’avoir pour cette vérité un dissentiment positif, quand même la volonté pourrait librement interrompre et suspendre l’assentiment. « Labat, Theologia scholaslica secundum illibaiam I). Thomse doclrinam, Toulouse. 1659, p. 176, 177. —

b) Compagnie de Jésus. — Suarcz admet que le fidèle habitué à croire n’a pas toujours besoin d’une nouvelle motion de la volonté : « parce qu’alors il est déjà conduit par l’habitude, et les actes surnaturels de l’intelligence, qui ont lieu alors, ne sont pas produits dans leur espèce déterminée par la force du commandement présent de la volonté, mais en vertu des actes précédents de la volonté actionnant surnaturellement l’intelligence et la soumettant à la foi chrétienne. » De fuie, disp. VI, sect. vii, n. 6, dans Opéra, 1858, t. jcii, p. 187. Ripalda traite largement la question : « Tout assentiment de foi, dit-il, s’il procède d’un esprit qui puisse dissentir, a besoin de la détermination et du commandement positif de la volonté ; s’il procède d’un esprit incapable de dissentir, il n’en a pas besoin. Or on est capable de dissentir, quand on a une parfaite advertance de l’objet sous toutes ses faces, c’est-à-dire avec des motifs pour et contre (l’assentiment). On en est incapable, quand l’advertance ou connaissance de l’objet est imparfaite (du point de vue de la liberté). quand on voit seulement la vérité de l’objet sans aucun inoiif pour le dissentiment… Parce que l'Écriture, les conciles et les l’cics prennent généralement et communément, comme type de l’acte de foi. cet assentiment qui suit la complète advertance de l’objet (laquelle comprend aussi la vue des objections, même sophistiques et de peu de valeur), on doit dire généralement et communément que l’acte de foi se fait par le commandement positif de la volonté… J’affirme donc que l’assentiment de foi régulier et ordinaire… demande d'être déterminé par la volonté. « De fide, disp. W I. n. : '.. I. dans le De ente siiprrnnturtili. Paris, 187 : '.. t. vii, p. 308. Il ajoute que même dans cet assentiment de foi ou l’on n’a pas le pouvoir de dis scnlir, il y a une pari de libellé et de mérite par le fait de la volonté qui applique l’intelligence à la con itlon des motifs ; de plus, seuls les vrais fidèles oui un tel assentiment, car il suppose une résolution de considérer les seuls motifs de la foi (et non les raisons sophistiques qui en détourneraient) et une hab11 1 id c d’agir ainsi : résolution et habitude qui n’existent

pas chez les hérétiques (formels et mal disposes), qui sont portés a l’erreur, à ce qui contredit la i

al., n. 21, |> 313. De nos jours et même après le cou elle du Vatican. Si hillini admet qu’avec ['évident ta m attestante on n’est plus libre de douter de la vérité du

mystère et qu’il n’y a plus de libellas spccificationis, mais qu’il reste alors une liberté qui suffit 'à un mérite île la loi, la « liberté d’exercice » . De virtutibus infusis, 1904, n. 77, p. 125. A part cette liberté, il admet avec Suarez qu’il n’y a pas de nouvelle motion de la volonté dans le cas du fidèle habitué à croire, et croyant sous l’influence virtuelle d’actes de volonté faits autrefois. Op. cit., n. 144, p. 257. — c) École scolisle. — Plusieurs scotistes interprètent ainsi Scot, In IV Sent., 1. III, dist. XXV, q. n lateralis, n. 2, dans Opéra, 1894, t. xv, ]>. 211. « Chez les chrétiens accoutumés à faire des actes de foi, dit le cardinal Brancatus de Laurea, il n’est pas toujours nécessaire d’avoir dans tout acte de foi un commandement formel de la volonté, précédant immédiatement l’assentiment, mais il suffit d’un commandement virtuel… Les pieux fidèles, accoutumés par la méditation des vérités révélées à l’exercice de la foi…, ont cette expérience que, sans un nouveau commandement, ils font plusieurs actes de foi consécutifs sur le même article ou sur plusieurs… L’intention virtuelle n’a-t-elle pas une véritable influence et ne suffit-elle pas à la validité des sacrements et des contrats ? » In III um lib. Senl. Srnli, Rome, 1673, t. iii, part. I, disp. IX, n. 138 sq., p. 551. Mastrius fait une semblable remarque, In IV Sent., Venise, 1675, 1. III, disp. VI, n. 247, p. 358. Dans le cas de Vevidenlia in attestante, la volonté est incapable d’obtenir un dissentiment, et son commandement n’est pas nécessaire à l’acte de foi, d’après Krisper. Theologia scholæ scolisliciv, Augsbourg, 1748, t. ii, dist. VII, p. 134. Herincx, chargé d'écrire une somme théologique à l’usage des frères mineurs, dit qu’en face des motifs de crédibilité l’assentiment n’est pas toujours libre quoad specificationem, mais seulement plerumque. Sum. Iheol., Anvers, 1663, t. iii, disp. VII, q. ii, n. 13, p. 140. — d) École de la Sorbonne. — A cette difficulté : « La foi doit être libre : or elle ne le serait pas avec Vevidentia altestantis, » le célèbre docteur Martin Grandin répond : « La foi doit être libre disposilive (par sa disposition, sa tendance générale) : pour ce qui est d'être libre dans son acte, cela arrive ordinairement, communément : mais non pas absolument » dans tous les cas. Et il s’explique ainsi : La foi est libre par sa disposition, c’est-à-dire qu’elle est apte par elle-même à produire un acte libre, dans le cas où la divine révélation sera obscure. Elle est libre aussi dans son acte, mais, ordinairement…, il n’est pas absolument nécessaire qu’elle soit libre ainsi, puisqu’il peut exister un acte de foi spontané, primo primus, qui n’ait pas cette liberté ; de plus, il n’y a rien d’absurde à ce que Dieu nécessite l’intelligence à un assentiment de foi. » De ftde, disp. I, p. vi, dans Opéra, Paris, 1710, t. iii, p. 42.

Critique du système. — a) 11 évite ces exagérations du précédent, de nier avec bien des inconvénients tout fait d’euidenlia altestantis, et de mettre arbitrairement dans tout acte de foi un doute imprudent que chasse la volonté. — b) A rencontre de ces exagérations, il admet des exceptions qui ne détruisent pas la règle générale, et qui se concilient suffisamment avec les documents positifs sur la liberté spéciale de la foi. Le cas normal pour la foi, c’est celui où l’intelligence n’est pas déterminée par les preuves de l’objet formel, preuves solides mais laissant prise au doute imprudent, et où elle a besoin d'être déterminée par une intervention positive de la volonté. A côté de ce cas normal, quod est per se et regulariler, comme disaient les scolastiques, il y a place pour d’autres éventualités par manière d’exception, quod est per accidens. Or, dit saint Thomas, non datur judicium de re aliqua secundum illud quod est per accidens, sed solum secundum illud quod est per se. Sum. Iheol., Ia-IIæ , q. xx, a. 5. Dans l’ordre des choses morales dont parle ici le saint

docteur, ordre auquel appartient la foi, c’est par le cas normal que nous jugeons, que nous caractérisons une chose : c’est de lui que la foi pourra tirer son caractère propre, sa liberté spéciale. On objectera : un cas qui n’arrive pas toujours et par essence n’est qu’un accident : vous ne pouvez vous servir d’un accident pour caractériser, pour juger le sujet où il se rencontre. La réponse est qu’on doit distinguer des autres accidents l’accident régulier et normal, accidens per se ; cette sorte d’accident, dans les arts qui s’occupent du contingent, dans l’estimation des choses morales, sert à caractériser son sujet, à le spécifier, aussi bien qu’une propriété essentielle. Cette distinction est de saint Thomas : Accidentia quse omnino per accidens se liabent, relinquuntur ab omni arte propter eorum incertitudinem et infinitatem… Accidentia autem per se, cadunt sub arte. Ibid., q. vii, a. 2, ad 2um. A’on omnia accidentia per accidens se habent ad sua subjecta ; sed quædam sunt per se accidentia, quæ in unaquaque arte considerantur. El per hune modum considerantur circumslanliæ acluum in doclrina morali. Ibid., q. xviii, a. 3, ad 2um. En morale, il faut donc éviter d'être trop métaphysicien, de ne considérer jamais dans les choses que ces caractères essentiels qui conviennent à leur sujet sans aucune exception. Quand les conciles, les Pères ou saint Thomas, dans la description de l’acte de foi, font déterminer l’intelligence par la volonté, on a donc le droit de dire qu’ils prennent alors comme type caractéristique le cas principal et normal, celui où la liberté est plus grande et la foi plus méritoire, suivant la remarque de Ripalda ; qu’ils n’entendent pas nier tout autre cas possible ; qu’ils en font seulement abstraction dans leur jugement sur la foi, parce que non datur judicium de re secundum illud quod est per accidens. Ainsi le système se concilie avec ces textes. — c) Dans les cas secondaires et per accidens, où cette liberté spéciale de la foi manquera, il restera encore assez de liberté pour que l’acte puisse être méritoire. Le fidèle aura d’abord cette liberté qui consiste à appliquer son esprit, sans se laisser distraire, aux vérités de foi et aux saints objets plutôt qu'à des pensées humaines et à des objets plus attrayants pour la nature. De plus, si le seul rappel de la vérité de foi suffit à entraîner comme spontanément son adhésion, cette spontanéité ou cette facilité acquise n’est-elle pas le fruit de bonnes résolutions, d’efforts antérieurs de la volonté, et comme telle libre et méritoire dans sa cause, volunlarium in causal N’estelle pas, comme dit Ripalda, propre à l’esprit fidèle, étrangère à l’esprit hérétique ? Du reste, l’acte de foi proprement dit, qui consiste dans l’assentiment intellectuel, reste toujours intrinsèquement le même, quelle que soit sur lui fin fluenec plus ou moins grande ou plus ou moins prochaine de la volonté. Le canon 5 du concile du Vatican, si on l’objecte (voir col. 395), n’a point pour but de trancher cette controverse entre de grands théologiens, mais uniquement, ainsi que nous le savons par les Actes du concile, de rejeter l’erreur de Hermès, qui faisait de la production nécessaire de la foi par les arguments le cas normal, et même le cas unique et indispensable pour que l’acte de foi fût raisonnable ; le concile fait abstraction du cas exceptionnel de Vevidenlia altestantis, et ne juge pas de l’acte de foi secundum id quod est per accidens. Dans la « foi confuse » , le jaillissement spontané et nécessaire de la foi ne se fait pas comme chez Hermès par la pression des arguments, argumenlis humanæ rationis, mais, comme dit Suarez, en vertu d’actes antérieurs de la volonté, faits avec cette liberté spéciale niée par Hermès. — d) Malgré la réelle valeur de ces explications et de ces réponses, le problème serait résolu d’une manière encore plus satisfaisante si l’on pouvait montrer dans tous les actes de foi une liberté qui

ne soit pas dans la science. De plus, dériver les doutes imprudents et la liberté spéciale de la foi uniquement de l’inévidence des preuves de l’objet formel, comme le faisait déjà le système précédent dont celui-ci n’est qu’une modification, semble être une conception un peu étroite de cette liberté, et qu’il faudrait élargir.

4. Système qui explique la liberté de la foi par l’inévidence de l’objet matériel. — Rappelons que l’objet matériel de l’acte de foi, c’est le donné révélé en général, ou telle vérité qui fait partie de ce donné ; c’est l’énoncé qu’affirme et atteint directement l’assentiment de foi : « Je crois tout ce que vous avez révélé ; je crois tel mystère. » On peut donner à ce système une forme plus modérée ou plus rigide. — a) Forme plus modérée. — Quelques théologiens, sans nier que l’évidence des préambules puisse parfois suffire à entraîner l’assentiment, font observer que cette voie extrinsèque a été librement choisie par la volonté, malgré la tendance naturelle que nous avons à la connaissance intrinsèque, à voir, à pénétrer la vérité, à chercher le pourquoi et le comment des choses qu’on nous affirme. En voulant bien se contenter de la voie extrinsèque du témoignage de Dieu et croire sur sa simple parole sans s’attarder à une vaine curiosité, le fidèle aidé de la grâce a rendu possible cet assentiment rapidement emporté par Vevidenlia alteslantis ou par la foi confuse. Et pour employer la comparaison du philosophe Hobbes sur la différence de la foi et de la science, l’homme a librement avalé la pilule amère qui le guérira, sans la soumettre à l’analyse, sans la mâcher ni l’ouvrir avec les dents, ce qui aurait pu. par l’amertume goûtée, le détourner d’absorber un remède salutaire. Il faut tenir compte à la liberté humaine de ce premier effort méritoire d’où dépend toul le reste, et qui est si différent du procédé scientifique. La volonté a fait sacrifier à l’intelligence sa tendance naturelle à voir, à pénétrer, et l’a mise comme en captivité ; elle a coupé dans sa racine les doutes qui pouvaient facilement résulter de la curiosité a scruter les mystères. Cette explication d’une liberté spéciale dans le cas même de Vevidenlia atteslantis se trouve, avec d’autres, chez Thyrse Gonzalez. A cause de la difficulté intrinsèque des mystères, dit-il, « il faut que la volonté, mue par la grâce, ou bien commande l’assentiment au fait de la révélation, ou du moins le permette, en n’appliquant pas l’intelligence a considérer lu difficulté du mystère… Les motifs de crédibilité ne suffisent donc pas à l’assentiment sans le consentement de la volonté, puisqu’elle peut détourner l’intelligence de la considération de ces motifs, cl l’appliquer à scruter la difficulté du mystère, jusqu’à tomber peut (lie dans l’hérésie. Manuduclio ml conversionem mahumelanorum, Dillingen, 1689, part. I. I. [I, n. 64, p. 83. « La loi avale plutôl qu’elle ne mâche, dit-il encore, et donne son assentiment non parce qu’elle saisit la raison des choses, mais puce que Dieu l’a dit. » Loc. cit.. n. 70. p. 85. Son disciple Élizalde a bien développé celle théorie. Il fait allusion a Hobbes, p. 111. Et il dit plus loin :

Nous axons montré que dans la foi il ne faut pas. comme ailleurs, vouloir tout examiner, peser, mesurer dans le détail ; mais qu’il faut seulement considérer les fondements généraux par lesquels Dieu lail voir qu’une religion a été révélée par lui ; et qu’ensuite Une fini pa vouloir déplier ou mâchei li m ; ti

iler sans examen, comme nous l’avons expliqué pai l’i < mple de pilules salutaires, et de la différence

entre la science et la foi. L’est faute de cela que se

p< i ilen | beaucoup d’incroyants et d’hérétiques, parce qu’ils se jettent tout d’abord sur la discussion des comme l’euchari tic, la trinité, l’incarnation. .. Ainsi l’évidence de la vérité catholique se Compose pu lie d’un élément positif, partie d’un 6I<

DICT. DE xiii or. catiioi..

ment négatif : consideratione considerandorum, et non consideratione non considerandorum. Elle se perd par le manque de l’un ou de l’autre. » Forma verse religionis quserendas, Naples, 1662, p. 393.

b) Forme plus rigide. — D’autres vont plus loin, et nient que la seule évidence d’un témoignage puisse jamais suffire à entraîner l’assentiment. « Quand même on a sur une vérité Vevidenlia atteslanlis, dit Gonet, cette vérité demeure pourtant obscure, elle n’est pas vue en elle-même ; par suite, elle ne peut d’elle-même déterminer efficacement et infailliblement l’intelligence à l’assentiment. Il faut donc quelque chose qui supplée à son insuffisance : c’est la pieuse motion de la volonté. » Clypcus theologiae ihomistiese, <i" édit., Lyon, 1681, t. iv. De fide, disp. VI, a. 1, n. 10, p. 30 1. Même avec Vevidenlia attestantis, dit Amiens, S..1., il faut un commandement de la volonté pour déterminer l’intelligence à exercer son acte. Car cette espèce d’évidence, étant extrinsèque à l’objet attesté, … ne nécessite pas l’intelligence à agir… Ainsi quelques prophètes avec Yevidentia attestantis ont eu la foi libre quoad cxcrci/iiim, bien qu’ils n’aient pas élé libres quoad specifleationem, parée que Vevidenlia atteslanlis les mettait dans l’impossibilité de dissentir, de nier la chose révélée… Quand les prémisses, comme la véracité divine et le fait de la révélation, ne sont qu’un moyen de connaissance extrinsèque, n’ayant pas de connexion intrinsèque avec l’objet révélé…, elles ne peuvent forcer l’intelligence à affirmer la conclusion. » Cursus théologiens, Anvers, 1650, t. iv, De fide, disp. X, n. 68, p. 138. Parmi les théologiens contemporains, on peut citer le cardinal Mercier. A défaut de sa Critériologic spéciale, qui n’a malheureusement point paru, nous citerons un cours lithographie où il traitait de la liberté de la foi : « Xous ne voyons qu’une explication qui justifie les faits de conscience et les enseignements de la théologie ; elle consiste à placer la cause formelle de la liberté de la foi dans l’inévidence de la proposition admise sur l’autorité d’autrui. » Sommaire du cours île philosophie professé à l’université catholique de Louvain, année 1888-1889, Du fondement de la ccrlilude, Louvain, 1889, p. 290. Et après la réfutation d’autres systèmes : « C’est un fait de conscience, que l’évidence intrinsèque peut et peut seule déterminer l’intelligence à adhérer d’une manière inébranlable à une proposition… Xous avons conscience que le caractère mystérieux de la proposition ; < il y a trois » personnes en un seul Dieu d nous laisse libres dans l’exercice même de l’acte de foi que nous y donnons… C’est ce qui ressort aussi du fait que nous demandons des garanties d’autorité d’autant plus fortes que l’objet du témoignage est plus difficile à comprendre. » Loc. cil, , p. 2’. » : ’, . 2< » i. Le I’. Semeria Interprète saint Thomas de même i L’obscurité de la chose à croire explique 1res bien la liberté de la foi… Au contraire, l’inévidence de l’objet formel ne semble nullement nécessaire a la foi. Analysis aclus fidei fuxla s. Thomnm et récent iores, Plaisance. 1891, p. 71. 75. i La certitude du fait de la révélation d’un objet (soit la Trinité) el la cei I il ode de l’autorité de Dieu qui révèle demeurent extrinsèques à cet objet, et ne le rattachent pas a un principe qui brille a l’esprit de sa propre lumière 1 1 qui force l’assentiment… Donc la volonté gardera toute possibilité d’amener l’esprit a l’assentiment par son Influence causale, en quoi consiste la liberté de l’acte de foi. Op. ni., p. 87, 88. Le I’. de Poulpl

quel, parlant de la foi au témoignage soil humain soil

divin, Interprète Benblablement saint Thomas : Ce n’est point parce que la volonté a des doutes à réprimer, qu’elle doit déterminer l’adhésion de l’esprit,

mais a cause de l’hu ideuce lol.de de la proposition

de loi.’I. p. n suite, de son tn< produire l’as VI. - li

sentiment. Kl comme l’obscurité intrinsèque de l’objet est une condition sine qua non de la foi, la volonté — alors même qu’elle n’aurait point de doutes à écarter — est obligée d’intervenir dans chaque acte de eroyance ; … point d’exceptions. » L’objet intégral de l’apologétique, Paris, 1912, p. 299, 300. « Nos raisons de croire…, dit-il encore, étant extrinsèques à l’objet de foi, ne sont pas sullisantes par elles-mêmes pour déterminer l’adhésion de l’esprit. » Loc. cit., p. 310.

Critique du système. — On doit convenir que l'Écriture et les Pères, sans exclure toute autre source de mérite, dérivent spécialement le mérite de la foi (et par conséquent sa liberté) de la non-vision de l’objet matériel, de la non-considération de ses difficultés intrinsèques. Voir col. 393 sq. Aussi le système a-t-il une part importante de vérité, et doit-il concourir, du moins dans sa forme plus modérée, à expliquer la liberté de la foi. Sur sa forme la plus rigide, voici les observations qu’on peut faire. — a) On ne peut lui reprocher de ne pas donner à la foi une liberté suffisante. Il affirme une influence spéciale de la volonté, qui n’est pas dans la science, lors même qu’avec Amicus il la réduit à une influence quoad exercitium ; car cette sorte de « liberté d’exercice » (nouvelle preuve de l’ambiguïté de cette terminologie), survenant même après les prémisses affirmées, n’existe pas dans la science, où les prémisses, une fois posées, entraînent nécessairement la conclusion. Quand la volonté pourrait à la rigueur empêcher dans la démonstration scientifique une conclusion explicite, comme le pense, avec d’autres, Théophile Raynaud, Opéra. t. iii, p. 284, du moins qui pose les prémisses évidentes d’un syllogisme scientifique, par le fait même et à moins de nier le principe de contradiction, pose au moins implicitement la conclusion ; et de ce que la volonté pourrait parfois faire obstacle à l’acte de conclusion explicite en distrayant l’esprit à ce moment, il ne s’ensuivrait pas que l’intelligence, dans la pratique, subisse chaque fois un temps d’arrêt et un moment d’indétermination avant de passer à cet acte, ni qu’elle ait besoin, pour franchir cette passe, d’une motion positive de la volonté. Exiger, même dans la science, une telle motion, serait nier l'évidence médiale nécessitante, qui est un fait d’expérience et qu’afiirine saint Thomas : Quandoque intellectus delerminutur ab intelligibili… médiate…, et isla est disposilio scientis. Quæsl. disp., De verilale, q. xiv, a. 1. Voir De Benedictis, Philosophia peripaletica, Venise, 1723, t. i, p. 476 sq. Si donc il est vrai que dans la foi l'évidence extrins.èque ne sufïise jamais à déterminer l’intelligence, et qu’il faille en conséquence une motion de la volonté pour passer à l’assentiment final, il y aura certainement dans la foi une liberté qui n’est pas dans la science, et qui même aura l’avantage d’atteindre très directement l’assentiment de foi. Mais cela est-il vrai ? C’est ce qui nous reste à examiner.

b) Les auteurs que nous critiquons ont bien raison d’admettre une différence profonde entre l'évidente intrinsèque et l'évidence extrinsèque, mais ils l’expliquent mal. Sur la véritable explication, voir ce qui sera dit de l’obscurité de la foi. Cette différence va-t-elle jusqu'à enlever absolument à l'évidence extrinsèque la possibilité de déterminer l’esprit, de le nécessiter ? On l’affirme sans le prouver ; et il est facile de multiplier les preuves du contraire. — a. D’abord, l’expérience. C’est un fait que nous ne pouvons pas plus douter de l’existence d’une ville lointaine connue seulement par ouï-dire, que d’objets vus ou démontrés par la voie intrinsèque ; et nous n’avons alors conscience d’aucun commandement de la volonté. Voir Wilmers, De fide divina, 1902, n. 118, p. 133. Objectera-t-on que saint Thomas donne comme caractéristique de la foi soit au témoi gnage humain, soit au témoignage divin, d'être déterminée par le commandement de la volonté, en quoi elle diffère de la science ? De verilale, loc. cit. ; Sum. theol., ll a II*, q. i, a. 4. Nous répondrons que, dans les choses morales, une note caractéristique admet des exceptions Voir le système précédent, col. 414 sq. Et saint Thomas est ainsi interprété par de graves auteurs thomistes." Nous expérimentons parfois, dit Dominique Soto, que, sans l'évidence (intrinsèque), nous sommes forcés de croire par la seule autorité du témoignage ; par exemple, quand même nous ferions un effort de volonté en sens contraire, renuente voluntate, il nous faut reconnaître l’existence de Rome, ou que César a fait la guerre aux Gaulois. » Et à cette objection tirée de saint Thomas, il répond : Opinio S. Thomse intelligitur regulariter et per se exiialura rei : niliil lumen vclat quin aliquando sil lam vehemens aucloritas, ut citra evidenliam (en dehors de l'évidence intrinsèque) convincatur intellectus sine inclinatione voluntatis. In libros poster. Arislolelis, Venise, 1574, q. viii, p. 419, 420. De même Banez, In II 1 ™ II*. q. i, a. 4, 2° conclus., p. 24. Et un autre thomiste, Pierre d’Aragon, général des augustins : Absotule dicimus quod fuies et opinio pendent a voluntate, quumvis id tantum regulariter loquendo et ut plurimum sil intelligendum. In //" « !  !. Venise, 1625, De fide, q. i. a. 4, p. 17 — b. Le système paraît impliquer ici une contradiction. Ces théologiens admettent le cas de l’evidenlia in attestante. Mais en quoi Yevidenlia in attestante, diffèret-clle de l'évidence de crédibilité ordinaire ivoir col. 217-219)? En ce qu’elle est irrésistible, et détermine l’intelligence à admettre la chose attestée, laquelle n’est pas alors évidente intrinsèquement en elle-même, mais pourtant devient évidente in attestante. Or ces auteurs, tout en supposant l’evidenlia in attestante, ne la disent pas irrésistible : c’est détruire l’hypothèse même qu’ils viennent de faire. Il serait plus logique, alors, de nier la possibilité de l’evidenlia in attestante, de l'évidence extrinsèque de l’objet. Les idées y gagneraient en clarté. — c. Ces deux prémisses : « tout ce que Dieu dit est vrai, or il a dit ceci, » si on les suppose manifestées par des preuves absolument évidentes ou par une lumière surnaturelle extraordinaire (et c’est le cas de l’evidenlia attestantis). produisent leur conclusion avec autant de nécessité logique que toutes autres prémisses évidentes, et en vertu du même principe de contradiction qui est au fond du mécanisme de tout syllogisme. Pourquoi pourrait-on résister à leur influence combinée plus qu'à celle d’autres prémisses évidentes ? Le premier de tous les principes, le principe de contradiction, peut-il subir des éclipses et perdre ici sa valeur ? Et dans les cas d'évidence médiate, ce qui détermine l’intelligence d’après saint Thomas, n’est-ce pas la « vertu des premiers principes ? » De veritate, loc. cit. c) Pour renforcer l’inévidence de l’objet matériel et l’insuffisance de l’objet formel à déterminer jamais l’esprit, on a recours à l’obscurité toute spéciale du mystère, comme la trirtité. Nous pourrions faire observer que tout assentiment de foi n’a pas pour objet matériel un mystère proprement dit ; qu’il resterait donc des cas où l’evidentia attestantis nécessiterait l’assentiment. Mais prenons le mystère. — Nous avons conscience, nous dit-on, que le mystère nous laisse libres dans l’acte de foi que nous en faisons. — Oui, quand nous faisons sur le mystère un acte de foi bien réfléchi, nous avons cette conscience : mais pourquoi ? parce que nous n’avons pas l’evidenlia attestantis. Si nous l’avions (et on peut l’avoir par exception, voir col. 414), nous n’aurions plus alors conscience de cette liberté. De plus, dans la « foi confuse » , qui n’est pas réfléchie, nous n’avons pas cette conscience. — « Nous demandons des garanties d’au

torité d’autant plus fortes que l’objet du témoignage est plus difficile à comprendre. — Oui ; dans un même livre d’un même voyageur, nous croirons sans peine et parfois sans aucune intervention de la volonté des choses très vraisemblables qu’il nous raconte, et puis notre croyance s’arrêtera en face d’un fait extraordinaire ou peu vraisemblable : il nous faudrait une garantie plus forte de son autorité. C’est que l’on n’a pas ordinairement en un seul homme une autorité absolument sûre ; tout à l’heure nous ne doutions pas des choses vraisemblables qu’il nous racontait, parce qu’aucun motif de douter ne se présentait à notre esprit ; maintenant, un récit invraisemblable nous rappelle l’insuffisance de son autorité, la possibilité chez lui d’une exagération ou d’une illusion. Mais quand il s’agit de Dieu qui témoigne, si nous saisissons bien ce qu’il est (et c’est le cas de Vevidentia attestanlis), nous aurons la confiance la plus absolue dans toute affirmation d’un pareil témoin, vraisemblable ou non. Si d’une part les mystères étonnent la raison, de l’autre la garantie d’autorité est toujours à la hauteur voulue : elle est absolue et infinie.

</i Dans ce syllogisme : Quod Deus révélât est verum : ati/ui Deus revelavit Trinilalem : ergo Trinilas est vent, il n’est pas exact de dire avec le 1'. Semeria que la conclusion signifie : Trinilas est vera extrinsece, loc. cit., p. 88, 89, — ou avec M. Bainvel : Vrai d’une vérité extrinsèque, vrai en tant que dit par un témoin véridique ; mais ce n’est pas là le jugement sur la vérité en soi de la chose à croire, et dont la formule exacte est : Cela est. ' La foi et l’acte de foi, Paris, 1898, pari. II. c. iv. p. 124, en note. Non, la conclusion du dit syllogisme est bien : La Trinité est. » Le fait de l’existence de la Trinité est affirmé simplement et sans restriction et comme objectivement vrai, bien que nous n’en voyions, pas le comment, ce qui enlève la connaissance intrinsèque. S’il y a deux espèces d'évidence et de connaissance, il n’y a pas deux espèces de vérité, l’intrinsèque et l’extrinsèque ; l'énoncé qui est prouvé vrai p. ii voie extrinsèque est aussi vrai, aussi conforme à la réalité objective que s’il élail prouvé par voie Intrinsèque. Dire encore avec le P. Semeria que vera équivaut à evidenter credibilis, n’est pas plus exact. Loc. cit. Le vrai est très différent du croyable, el ['évidemment vrai de ['évidemment croyable, commel’adtnettent tous les théologiens, malgré des différences d’explication. Voir col. 217-219. Aucune dialectique n’acceptera le syllogisme qu’on voudrait nous faire ici : Quod Deus révélai est verum : alqui Deus revelavit Trinitatem : ergo Trinitasest evidenter credibilis. Il y a vraiment trop de termes. Ajoutons en finissant que ce lystème, ainsi que d’autres, s’est souvent réclamé d’un prétendu texte de saint Ambroisc : ('.redire aul non eredere volunialis est : neque enim cogi potest ad id quod manifestum non est. In Episl. ml Rom., iv, I. I'. /… I. xvii, col. 82. La critique a reconnu, non seulement que les mots nei/ue eiiiiu c.ogi, etc., manquent dans plusieurs manuscrits et peuvent être une glose, mais nirtout ipie ce commentaire sur l'Épître aux Romains n’est pas de saint Ambroisc, mais d’un inconnu bien moins recommandable que l’on désigne sous le nom d Vmbrosiasti

.">. Système qui fuit consister l’influence spéciale île la volaille a choisir entre ileu.x manières différentes de croire au témoignage divin, et a appliquer l’intelligence a l’une de rrs deux manières, regardée comme itielle a la foi divine. Cette manière essentielle est d’ailleurs présentée diversement par divers défenseurs du système, qui pourrait ainsi se subdiviSuarez semble en avoir clé le premier auteur, en cant dans l’assentiment de foi une manière 1res particulière d’atteindre l’autorité divine et le fait de (lit ion ; nous en parlerons à propos de l’anal) se

de la foi. Étant donnée même Vevidentia altestanlis, il y a pour lui deux assentiments possibles. Le premier prend cette évidence pour fondement, causa per se. Ce n’est point la « foi simple » , mais un acte discursif étranger à la nature de la foi, non habetur (assensus) ex simplici fide, sed per discursum alienum et exlraneum a fide. Le second ne s’appuie pas sur Vevidentia altestanlis avec ses preuves, simple phénomène « concomitant » , mais sur l’autorité de Dieu admise parce que Dieu la révèle, crue et non pas vue. Disp. III, sect. viii, n. 25, 26, p. 78 ; cf. sect. vi. n. 5 sq., p. 64. Entre ces deux espèces d’assentiments possibles, il y a une indétermination qu’il appartient à la volonté libre de faire cesser en commandant celui-ci plutôt que celui-là. Toutefois Suarez n’est pas très clair sur la liberté de la foi, et semble hésiter entre diverses explications, loc. cit.. et disp. VI, sect. vi, où il condamne d’ailleurs le despotisme de la volonté, n. 8, p. 185. .Mais ses disciples ont tiré plus clairement la conséquence de ses principes. Ainsi Coninck explique la liberté malgré Vevidentia altestanlis dans les prophètes, les apôtres, etc. par leur manière de croire, non pas déductive, mais immédiate propter ieslimonium Dei eliam eredilum. Et la volonté était nécessaire alors, non pas seulement pour choisir cette seconde manière de croire plutôt que l’autre, mais encore parce que cette seconde manière < rend l’objet formel obscur et incapable de déterminer l’assentiment. » De acluuiu superualuralium. etc. Anvers. 1(12 : 5. dis]). XIII. n. 39. p. 2'.. Mazzella a donné une formule très claire du système : Etant donnée l'évidence du fait de la révélation, dit-il. duplex potest oriri assensus in verilatem revclalam : iinus, qui in illum lendit ob aucloritalem et revelalianem evidenter notam ; qui proinde dclcrminidur ab ipsa prsesenlia objecti, et est necessarius : aller qui fcrtur in illam verilatem ob ipsam aucloritalem et revelalianem créditant ; qui proinde delcrminatur ab imperio volunialis, et est liber… Jamvcro assensus divinse fidei fertur in auctoritalem et revelalianem non ut evidentem, sed ut créditant ; adeoque supposiia evideniia concomitante aucloritatis et revelationis, adluie intégra manet libertas fidei. De virtutibus infusis, Home. 1879, n. ~'M. p. 384. F.t ailleurs : Possum abslraIwre a motivis quæ evidentem reddunt divinam auctoritalem… Si ergo ab his abslrahendo clieio assensum fidei, hic nequit ab evideniia determinari. Delerminabitur ergo a voluntate, imperante actum [verum fidei assensum). quo simul credo ex <jr. incarnulioncm. el aucloritalem Dei revelanlis. l.oe. cit., n. 72n, p. : '>7(i. Mais à partir de la ! 5 édition, une évolution se fait chez le cardinal Mazzella. Celle difficile théorie de Suarez. qu’il faut dans l’acle de foi croire les préambules comme on croit les mystères et pour le même motif spécifique (voir ce qui sera dit au sujet de l’analyse la foi), il l’abandonne et la combat maintenant. Mais pour la liberté de la foi. Ma/./.clla garde au fond la même explication : faire abstraction des motifs de crédibilité et de leur évidence plus ou moins stricte, laquelle demeure concomitante ; et. en dehors de tout cela, affirmer l’objet formel « le la foi d’une

nouvelle manière, sous l’influence de la (douté libre. Ce reste de silaré/.ianisme lui permet de conserver. mu la liberté de la foi. le texte primitif que nous venons de citer : seulement, au mol eredilam qui suppose la

théorie de Suarez, il substitue non visam. Voir 6e édit.. 1909, n. 668, p. 340. Celle nouvelle expression est

empruntée a saint Thomas : Objeelum fidei est res divina non visa. Sum. Ilieul.. [II » , q. VII, a. 3, Ou equivalemment : Veritas Prima non est objeelum proprium

fidei, nisi suh hue ralione praul est non apparent. Quæst. disp.. De venlale. q, xiv. a. '.', . ad 0'"". Mais

en réalité l’auteur détourne ces paroles de leur vrai sens, et applique a l’auctorilas Dei revelanlis,

motif de la foi, ce que saint Thomas dit de Dieu comme objet matériel, res divina non visa. Le cardinal Billot l’a bien remarqué : Non visa, scilicet intuitive ; nusquam vero dicit (S. Thomas) quod sit auctoritas Dci loquentis non perspecta. De virtutibus infusis, 2e édit., Rome, 1905, De fuie, Proleg., § 3, p. 215. Au contraire, du côté du motif de la foi, sub conununi ratione credibilis, saint Thomas dit plutôt que les vérités de foi sont vues, visa. Sum. iheol., 11 » II » , q. i, a. 4, ad 2, lm. En somme, cette expression vague, objection ftdei, a été mal comprise par Mazzella : il l’a prise pour Yobjectum formate quo, pour le motif de la foi, tandis que saint Thomas, comme il apparaît par le contexte, la prenait pour Vobjcctum formule quod, ou objet d’attribution, lequel consiste en effet dans le mystère, c’està-dire n’est pas vu à découvert dans la foi, mais connu sous un voile, res divina non visa. Voir col. 379 sq. Néanmoins, Mazzella se persuada qu’il avait enfin découvert le système de saint Thomas : Nullum milii superest dubium quin hsec sit D. Thomæ sententia. Loc. cit., n. 821, p. 422. Hélas ! les trois autres systèmes analysés ci-dessus, et de même Suarez, en avaient dit jadis autant, avec la même bonne foi : ce qui tendrait à montrer que saint Thomas, sur quelques profondeurs difficiles de la foi, est resté volontiers dans les généralités, planant à une certaine hauteur, et ne s’est pas proposé de descendre dans un système bien précis ; qu’en tout cas il faut être bien prudent avant de mettre ses propres élucubrations sur le compte du saint docteur sine ullo dubio. Sous le manteau de saint Thomas, le nouveau système à demi-suarézien de Mazzella a cependant fait son chemin, quoique manquant un peu de base psychologique et rationnelle. Il était réservé au cardinal Billot de lui en donner une, et de présenter le système sous une forme nouvelle et plus satisfaisante, qu’il nous reste à exposer.

Le cardinal Billot part de ce principe certain, que l’assentiment de foi doit honorer l’autorité de Dieu comme témoin, auctoritatem Dei revelanlis : la foi théologale est un hommage, obsequium, rendu à Dieu par l’intelligence et la volonté. Concile du Vatican, sess. iii, c. iii, Denzinger, n. 1789, 1790. De ce point de vue, on peut diviser en général toute croyance au témoignage d’autrui en deux espèces fort différentes : celle qui honore le témoin, et celle qui ne l’honore pas. Je crois quelqu’un sur parole à cause de sa compétence reconnue et de sa véracité constante : je l’honore, en reconnaissant en lui ces qualités d’un bon témoin. Au contraire, voici un juge qui n’accorde aucune estime au malfaiteur qu’il interroge, et qui le connaît comme un menteur ; il lui arrivera pourtant de croire un aveu de ce malfaiteur, en vertu de ce principe, que même les menteurs n’ont pas coutume de mentir contre leur propre intérêt ; mais cette croyance n’a rien d’honorable pour celui qui en est l’objet. Loc. cit., § 2, p. 207, 208. Autre exemple plus fréquent de cette foi qui n’honore pas le témoin : j’admets un fait, soit l’existence d’une ville que je n’ai pas vue, à cause d’une multitude de témoignages venus de divers côtés et en divers temps, un voyageur, un journal qui en parle, etc. Quant à la compétence et à la véracité habituelle de chacun de ces témoins, je serais bien embarrassé pour m’en rendre compte aujourd’hui, et ce n’est pas nécessaire. La seule raison qui me fait admettre l’existence de cette ville, c’est la concordance, la convergence de tous ces témoins, phénomène qui ne peut avoir de raison suffisante que dans la vérité du fait, qui les a tous réunis dans la même affirmation, quelle que soit d’ailleurs la valeur habituelle de chacun d’eux comme science géographique et comme véracité. Voir col. 196, 197. Le cardinal Billot n’a garde d’omettre cet exemple : » Si nous avons, dit-il, un tel concours de témoignages concordants que toute erreur ou tromperie apparaisse impossible, nous aurons Vevidentia in attestante. » Appuyés sur celle évidence, nous pourrons être certains que les témoignages pour cette fois disent Mai. mais sans reconnaître l’autorité des témoins. Lu effet, l’autorité d’un témoin résulte de ce que ses attestations sont par une loi constante et ordinaire déterminées au vrai, à cause des perfections ou habitudes de sagesse et de véracité dont il est orné. Mais la vérité d’un témoignage peut se constater indépendamment de la probité et de la sagesse du témoin, par I diverses circonstances dont ce témoignage est entouré. » | Loc. cit., § 3, p. 214. note. Évidemment dans cette sorte de foi, comme je ne m’appuie pas sur la science et la probité habituelles des témoins, mais sur des considérations qui leur sont étrangères, je ne reconnais pas ces qualités en eux, je ne les honore pas comme témoins. L’autorité du témoin, cette « dignité qui lui donne droit chez les autres à une adhésion docile de l’esprit, ne se trouve pas en celui qui, pour une fois, évite l’erreur et dit la vérité, mais en celui-là seul qui a la science voulue au moins dans une ligne donnée, et qui a surtout l’habitude de la véracité. » Loc. cit., p. 209. La foi qui n’honore pas le témoin est amenée tantôt par des prémisses évidentes, tantôt par une intervention de la volonté, mais qui n’a rien pour lui d’honorifique : la foi qui honore le témoin relève toujours d’une intervention de la volonté, soit qu’il y ait evidentia attestantis, mais purement concomitante, soit qu’il n’y en ait pas. Loc. cit., p. 207-210. Étant supposée comme condition préalable la connaissance de l’autorité du témoin, la volonté peut commander immédiatement l’assentiment proplcr ipsam auctoritatem. Loc. cit., p. 212. C’est là une manière honorable de croire quelqu’un ; la volonté est libre de la commander, pouvant en commander une autre, ou ne pas intervenir du tout : volunlas est semper libéra applicandi vcl non applicandi intcllcelum ad hujusmodi obsequium. Loc. cit., p. 210. Un tel assentiment est donc libre et quoad exercilium et quoad specificationem. Op. cit., thés, xviii, p. 324. Dans ce système « le commandement du libre arbitre, appelé aussi pins voluntatis affeclus, est requis par la nature même de la foi, per se, requis parce que la foi est un acte de telle espèce, atteignant son objet sous tel motif et de telle façon vraiment formelle. Il n’est pas requis seulement per accidens, comme pour enlever un obstacle (le doute), ou pour suppléer à un défaut accidentel du motif (manque d'évidence parfaite). » Loc. cit.. p. 325. M. Bainvel a contribué à populariser en France, parmi ceux qui s’occupent de ces questions, cette conception de la foi et de sa liberté. Il appelle « foi scientifique » la manière de croire où l’on n’honore pas le témoin, et qui est le fruit d’un raisonnement, qui est « discursive » ; par exemple, celle de l’historien qui contrôle les témoignages les uns par les autres, et ne se rend qu'à leur concordance. La foi et l’acte de foi, part. I, c. iii, p. 22-20 ; 2e édit., p. 33-35. Il appelle « foi de simple autorité » la manière de croire où l’on honore le témoin, cette manière « plus confiante » . Elle n’est pas discursive. Sans doute, pour être raisonnable, elle suppose des motifs de crédibilité qui ont amené à ce jugement, implicite ou explicite : Ce qu’il me dit est vrai, » Mais je n’appuie pas ma foi sur ce jugement évident. Mon seul motif est l’autorité de celui qui parle : je m’y arrête sans songer plus loin, je fais abstraction de mon évidence préalable : Il l’a dit, je le crois. » Loc. cit., p. 27 ; 2e édit., p. 37. On nous donne comme exemple la foi de l’enfant qui croit ses parent 1 -, en toute certitude, sans songer à contrôler leur dire. Loc. cit., p. 211. 3U. Nous-mêmes, « il est mainte occasion où nous croyons purement et bonnement sur le

dire d’autrui. Un homme qui. avant de croire, contrôlerait tous les dires et qui ne dirait jamais oui sans avoir l'évidence du témoignage, un tel homme serait insupportable. Comme nous donnons notre confiance, nous voulons aussi qu’on nous la donne… Sans doute, il faut faire très large la part… de ce contrôle rapide et tacite d’un témoignage, qui précède en bien des cas notre adhésion. Mais un observateur attentif ne saurait nier, semble-t-il, que la plupart des hommes ne fassent à chaque instant de ces actes de foi sur le seul dire d’un autre, » p. 31, 32 (41, 42). Conclusion sur l’influence de la volonté dans la foi divine : « Ce n’est pas pour suppléer la faiblesse des motifs, que la volonté est nécessaire. C’est au contraire parce que les motifs intellectuels sont suffisants que la volonté intervient pour commander à l’esprit non pas l’acte de science (ou de foi scientifique), mais un acte d’ordre tout différent, appuyé onlologiquement sur des bases scientifiques inébranlables, mais ne s’appuyant pas logiquement sur ces bases… L’adhésion sur la parole d’un autre, l’adhésion que nous avons appelée de simple autorité, exige essentiellement l’intervention de la volonté. L’esprit, en effet, n’est déterminé de lui-même à dire oui que par l'évidence de la vérité. Or notre foi, par hypothèse, fait abstraction de toute évidence pour s’en rapporter uniquement à la parole du témoin, au point d'être impossible, je ne dis pas si j’ai ou l'évidence du vrai ou l'évidence du témoignage, mais si cette évidence s’impose avec une clarté telle qu’il me soit impossible d’en faire abstraction. » Op. cit., 2° édit., part. II, c. iv, p. 128-130. Le P. Pesch se rapproche de ce système dans sa 3e édit., Preetecliones…, 1910, I. viii, n. 144 sq., p. 04, 65.

Critique du système. — a) Il donne certainement à la volonté libre une influence spéciale dans la foi, qui n’est pas dans la science : influence d’ailleurs très directe et qui n’a rien d’accidentel, et avec laquelle on concilie l’evidentia atlestantis dans les cas exceptionnels où elle a lieu. — b) C’est, du reste, une louable préoccupation que celle de la foi simple » . On a raison de dire qu’elle nous est demandée par les Pères, d’après l’esprit de l'Évangile. Voir Bainvel, op. cit.. part I, c. v, p. 54-56 : 2e édit.. p. 64-67. Seulement. relie foi simple » reste une idée un peu vague, on la prend dans des sens divers. Il y a d’abord une « foi simple » ainsi appelée parce qu’elle se contente de la voie extrinsèque du témoignage, et ne demande pas de preuves intrinsèques, de la chose affirmée, ni même d’explications du pourquoi et du ruminent. M. Bainvel y fait allusion parfois : « La soumission qui honore le maître ou le savant, c’est celle du disciple qui s’en remet tout entier à sa parole…, ipsedixil… De la vient aussi le mérite et la difficulté de la foi. Car pour se rendre ainsi sur la seule parole d’autrui, cette parole fût-elle celle de Dieu, il faut, comme a dit un de nos évêques…, il faut « pic la raison renonce à cette délicate volupté de pénétrer son objet, de se l’expliquer. > / '. cit., p. 59. 60 ; 2e édit, p. 00. Il y a une autre i foi simple qui appartient en propre à ce système, et qui consisterait, non pas a n’avoir pas de motifs de crédil>ilii<' eu de preuves du fait de la révélation avant la foi (ce serait le fldéisme le plus absolu, voir col. 17") sq.), niais du moins a faire abstraction i de ces preuves au moment de l’acte de foi. pour appuyei celui-ci sur le seul témoignage de Dieu, « eu/ a l’exclusion des preuves de i, véracité divine et des preuves « pie Dieu a parlé. Or, si nous examinons quelle est I. foi simple que demandent les Pères, nous verrons que c’esl la première, et nullement la seconde. La foi

simple îles l’eus, ('est (elle qui mik.iicc a pénétiei

objet, » qui se contente du témoignage de Dieu

sans lui demander de démonstration philosophique el

intrinsèque rt< - qu’il affirme ; qui applique

au Maître divin l’ipse dixit des disciples de Pythagore : voilà celle que louent Clément d’Alexandrie, saint Jean Chrysostome, Théodoret. Voir col. 110. La foi simple des Pères, c’est celle qui ne demande pas avec curiosité le pourquoi et le comment des mystères : voilà celle que louent saint Athanase, ou saint Cyrille d’Alexandrie, etc. Voir col. 115. Mais en même temps qu’ils louent cette foi, les Pères nous rappellent expressément, pour la justifier, les motifs de crédibilité, les miracles du Christ. En même temps qu’il reproche aux manichéens de remplacer la foi par la science, leur disant que le Christ n’enseignait pas les sciences, mais conduisait les âmes par la foi, fuie stullos ducebal (voilà bien la foi simple), saint Augustin rappelle toutefois que le Christ « par des miracles s’est concilié l’autorité, par l’autorité a mérité la foi. » Voir col. 113. Croyant Dieu sur parole, sans lui demander ni les preuves intrinsèques, ni le comment ni le pourquoi, fermant ainsi les yeux sur le mystère et ses difficultés, en ce sens, la foi est aveugle. Mais il n’est jamais venu à la pensée des Pères qu’elle doive encore fermer les yeux sur les preuves de la véracité divine et du témoignage divin, ce qui donnerait la complète cécité que rejette le concile du Vatican : fulei assensus nequaquam est motus animi eœcus, c. iii, Denzinger, n. 1701. Il ne leur est jamais venu en pensée que le fidèle, pour croire, doive « faire abstraction » de ces motifs de crédibilité, nécessaires pour appliquer à notre esprit la révélation divine, et. qui font par conséquent bon ménage avec elle ; qu’il ne doive pas o s’y appuyer logiquement. » Jamais les Pères n’ont enseigné cette i abstraction » , cette crainte et cette fuite des motifs de crédibilité, comme si ceux-là pouvaient nuire à la foi qui les exige. Avec l'Écriture, ils louent Abraham de « n’avoir pas considéré o les difficultés intrinsèques de la chose révélée, de n’avoir pas demandé des raisons et des explications, ainsi saint Ainbroise, voir col. 112 : mais ils ne le louent pas d’avoir mis de côté, au moment de croire, les considérations qui lui molliraient que c'était vraiment Dieu qui lui parlait, et non pas, par exemple, le démon se transformant en ange de lumière. La raison même nous fait distinguer en deux groupes fort différents les motifs qui peuvent aider à admettre le dire d’un témoin. Il y en a qui s’opposent à ce témoignage, qui en sont indépendants. Vous m’atteste/, avoir vu tel fail, je ne suis pas convaincu ; je cherche un autre témoin, indépendant de vous et de votre récit, il me confirme le fail, et je crois. .l’ai peut-être usé de mon droit en VOUS confrontant avec un autre et en contrôlant ainsi votre récit ; ce qui est certain, c’est que mon assentiment final n’est pas un honneur quc je vous fais. Un savant mathématicien me dit qu’on démontre tel théorème ; j’attends, pour le croire, d’avoir vu moi-même la

démonstration : je ne lui fais pas honneur. Si nous traitions Dieu ainsi, nous lui ferions injure ; el nous ne pourrions jamais croire les mystères qu’il nous révèle, n’ayant rien pour contrôler son dire là dessus, ni

témoin indépendant de lui, ni démonstration intrinsèque du mystère. Mais il y a un autre groupe de motifs auxiliaires, qui n’ont pas ces inconvénients, qui ne s’opposent pas au témoignage, qui au contraire font orps mue lui. comme des signes nécessaires pour le faire connaître et l’appliquer. VOUS ni'éciive/ pour

m’attester un fait : votre écriture bien connue, votre i nature, l’expérience de voire véracité sont pour moi

des motifs d’admettre la chose que vous me dites. Mais ce ne sont pas la des mol ifs qui ^'opposent à votre

témoignage : au contraire, ils le servent ; Us ne lui sont

pal coordonné*, mais subordonnés. Les considérer ne

dlminue pas l’honneur quon rend au témoin. Surtout

dans la foi divine, la considération de ces motifs de

crédibilité ci nécessaire a l’honneur de Dieu même

autrement nous nous exposerions au danger de porter au compte de Dieu les paroles d’un imposteur : par suite, au danger de faire servir la divine autorité à confirmer des erreurs, monstrueux et sacrilège abus. C’est donc faire honneur à Dieu que d’examiner soigneusement les motifs de crédibilité, par lesquels nous écartons un tel danger et un tel sacrilège. I.es auteurs du système nous diront qu’ils admettent tout cela : mais ils semblent l’oublier quand ils parlent de leur « foi simple » . Et si la considération attentive des preuves et motifs de crédibilité, comme ils l’avouent, est nécessaire avant la foi, quel mal peut-il bien y avoir à ce que cette attention se prolonge, plus ou moins confusément, pendant l’acte de foi lui-même, et le conditionne ? Ce qui est nécessaire pour la prudence de notre acte de foi et pour l’honneur de Dieu, ce qu’il exige lui-même, ne peut tout à coup lui déplaire. Ce qui rend la foi raisonnable ne peut être rejeté sans la rendre déraisonnable. « Si l’on entendait, dit le P. l’esch lui-même, qu’afin de pouvoir faire l’acte de foi. nous devons par la volonté chasser le souvenir actuel des motifs de crédibilité, ce serait une étrange idée, puisque tout ce qu’il y a de subjectivement raisonnable dans l’acte de foi s’appuie sur ces motifs. » Loc. cit., n. 348. Et il déclare ailleurs que l’opinion d’après laquelle nous devrions, dans l’acte de foi, faire abstraction des motifs de crédibilité, lui paraît fausse. Theologischen Zeilfragen, 4e série, p. 35. Et quel tour de force on exigerait de la volonté, puisque souvent ces motifs viennent d'être considérés distinctement avant la foi. et sont encore très nettement présents à la mémoire ! — Mais, dira-t-on peut-être, la volonté n’a pas à les faire oublier : seulement, en leur présence, elle fera affirmer le témoignage divin d’une nouvelle manière, sans « s’appuyer logiquement » sur eux. — Réponse. — Le fait que Dieu témoigne est de sa nature une vérité essentiellement médiate, qui a besoin d'être prouvée. Si on ne l’appuie pas logiquement sur ses preuves, au moins confusément perçues, la proposition qui énonce ce fait devient une proposition « neutre » , comme disent les scolastiques. Or, admettre par le commandement de la volonté libre une proposition neutre, c’est le système du despotisme de la volonté, déjà amplement réfuté. Voir col. 406 sq. Cf. Tepe, Inslitiiliones theologicie, Paris, 1896, t. iii, n. 682 sq., p. 379-381. — Reconnaissons toutefois que ces auteurs ont été amenés aussi à cette position difficile par des considérations étrangères à la question de la liberté, et que nous aurons à apprécier dans l’analyse de la foi. — c) En supposant même que la volonté puisse accomplir le tour de force qu’on lui demande et l’accomplir prudemment, encore faut-il qu’elle soit avertie de la nécessité de le faire : cela ne se fait pas tout seul. Il est vrai, on cherche dans l’enfant un exemple naturel et spontané de cette manière spéciale de croire. Mais l’exemple n’est guère probant, soit parce qu’on ne devrait pas aller le chercher dans des actes aussi imparfaits et aussi rudimentaires que ceux de l’enfant, soit parce qu’au moment même où l’enfant croit sa mère sur parole, il voit qu’elle lui parle, et nous ne sommes pas sûrs que cette évidence n’influe pas logiquement sur sa croyance, et que « les enfants, pour ne savoir pas arranger leurs raisonnements, soient incapables de ressentir l’impression de la vérité, » comme dit Bossuet. Voir col. 177. Nous ne pouvons pas lire dans cette âme d’enfant ; et il y a gros à parier qu’elle ne fait pas « abstraction de l'évidence » qu’elle a, opération plutôt difficile. Mais en lin admettons qu’il y ait deux espèces de foi. la foi simple et la foi scientifique ou discursive ; on reconnaît que la seconde aussi est naturelle et fréquente : « C’est elle que j’ai toutes les fois que je crois, parce que le bon sens et la saine raison me disent qu’il est absurde ou im prudent de ne pas s’en rapporter a autrui en des choses dont je n’ai pas l'évidence directe. c’est-à-dire intrinsèque. Ainsi parle M. Bainvel, loc. cit., p. 24-26. Or cette manière de croire peut se trouver non seulement chez les savants, mais encore chez les ignorants ; les simples basent sur ce principe de bon sens leur croyance aux préambules de la foi, d’après le cardinal Billot, voir col. 225 ; ne peut-il arriver qu’ils basent aussi là-dessus l’acte de foi lui-même ? Voilà donc bien des gens, savants ou ignorants, exposés à faire de la foi discursive au lieu de la foi simple, el en danger de manquer leur acte de foi divine, s’ils ne sont pas avertis. L'Église, gardienne infaillible de la foi, l'Église qui veille à l’instruction des fidèles sur les moyens essentiels du salut, devrait donc, et aurait dû depuis longtemps déclarer (si le système était vrai) qu’il y a deux manières de prendre le témoignage divin dans la foi des dogmes, l’une qui suffit devant Dieu, l’autre qui ne suffit pas ; elle aurait dû le mettre dans les catéchismes et le faire prêcher partout, vu l’importance de l’acte de foi pour la justification et le salut. Or l’Eglise n’a jamais donné une pareille instruction ; la prétendue condition essentielle, « faire abstraction de l'évidence. ne pas s’appuyer logiquement sur les motifs de crédibilité, » n’en est donc pas une. On peut faire le même raisonnement contre l’explication de Suarez et toutes les autres formes possibles de ce système.

d) Une observation du cardinal Billot demeure incontestable, c’est que, lorsqu’il s’agit de croire à la parole humaine, il y a deux procédés intellectuels différents : l’un qui honore les témoins en s’appuyant logiquement sur leur science et leur véracité habituelles, en reconnaissant chez eux ces précieuses qualités d’un témoin ; l’autre qui ne les honore pas, parce que l’esprit en allant à la croyance ne passe en aucune façon par ces qualités habituelles du bon témoin, mais s’appuie sur un tout autre principe, par exemple, dans le cas de la concordance d’une multitude de témoins indépendants. Cette différence de procédé se rencontre pratiquement dans la croyance aux hommes. Mais on n’a pas à s’en préoccuper dans la foi divine. En effet, nous n’avons pas d’autres témoins indépendants à confronter avec Dieu ; et, quand nous en aurions, nous sommes avertis par l'Église que le véritable acte de foi doit passer toujours par les qualités habituelles de Dieu comme témoin, auctoritas Dei revelanlis, qui nec jalli nec fallere potest : c’est le motif essentiel de la foi. Voir col. 107 sq., 115 sq. En dehors de ce procédé intellectuel, il n’est pas de foi théologale. Nous n’avons donc jamais à craindre que l’acte de foi divine, tel que le font les catholiques, manque d’honorer Dieu comme procédé intellectuel. Sans doute, dans l’honneur qu’on rend à Dieu, le procédé intellectuel n’esl qu’un élément : il doit être en lui-même capable d’honorer Dieu, comme la génuflexion est en elle-même un geste capable de l’honorer ; c’est l'élément seulement matériel de l’honneur à rendre : le formel vient de l’intention de la volonté. Aussi, pour que l’acte soil vraiment et complètement honorifique, il faut faire à la volonté libre sa part, et choisir parmi les systèmes celui qui paraîtra le meilleur, ou en grouper plusieurs ensemble. Mais encore faut-il (et c’est de quoi il s’agit maintenant) que le geste employé pour marquer sa vénération, ou le procédé intellectuel dans le cas d’un culte de l’intelligence, soit matériellement capable d’honorer Dieu, quoique ce soit à la volonté de donner le formel de l’honneur. Et sur ce terrain ainsi limité. L’assentiment de foi divine, parce qu’il s’appuie sur les qualités de Dieu comme témoin, lui est honorable : el le procédé discursif, le jeu dialectique des motifs de crédibilité, parce qu’il n’empêche pas l’esprit de passer par ces qualités divines, ne peut enlever à l’assentiment de foi cette capacité honorifique, ce matériel de

l’honneur à rendre à Dieu. — e) Enfin, la liberté de la foi, telle qu’elle est expliquée dans ce système par opposition à tous les autres, n’est pas une liberté de contrariété (comme dit l’école) entre le bien et le mal, entre la foi et le doute imprudent, entre la foi et l’incrédulité coupable. C’est essentiellement la liberté de choisir entre deux biens, entre deux assentiments fermes donnés au témoignage divin, la foi discursive et la foi non discursive. Assurément, la seconde est présentée comme très supérieure à la première, comme seule surnaturelle, seule satisfaisant au précepte de la foi. Mais, en admettant même cela, nous ne sommes pas obligés , r surnaturellement à chaque instant, ni de la manière la plus parfaite ; le précepte posilil de la foi théologale n’oblige pas pro semper : il laisse donc place à des actes de foi discursive ou « scientifique » auxquels il n’y a aucune obligation d’ajouter un assentiment supérieur loties quolies. Quant au précepte négatif delà foi, il n’est violé que par le doute volontaire ou la négation d’une vérité suffisamment proposée comme révélée : il ne peut donc être violé par une ferme adhésion à cette vérité, cette adhésion fût-elle sous une forme discursive ou scientifique qui n’a rien en soi d’immoral, et qui a son utilité au moins comme préparation rationnelle à la foi proprement dite. Ainsi, et îlel’aveu même des défenseurs du système, la liberté qui peut suffire à un acte de foi théologale consiste à choisir une foi plus parfaite au lieu d’une foi moins parfaite au témoignage de Dieu. Or, cette conception de la liberté essentielle de la foi ne semble pas répondre a celle que donnent les documents sacrés, qui doivent guider nos théories. D’après eux, la liberté de la loi ne consiste pas a choisir entre deux biens, mais entre l.i loi et le doute, entre la foi et l’incrédulité, ce que nous prouvons par les considérations suivantes. Le rôle de la volonté libre et son objet peut se déduire de celui de la grâce, puisque la volonté ne fait que consentir el coopérer a ce que la grâce lui inspire et opère en elle, homo libérant præstal ipsi Dca obedienliam Un fuir), gratiæ ejus, eni resistere posset, consentiendo operando. Concile du Vatican, c. m. Denzinger, n. 1791. Voyons donc le rôle de la grâce sur la volonté dans la foi, décrit par le I I f’concile d’Orange. Il dit que la volonté de croire, ipse creduliialis affeclus, est en nous par un don de la grâce, iil est. per inspiralionem Spirilus Sancti corrigenlem voluntatem nostram <ib infldelilate ad fidem, ab impielale ad pictalem. Can. â, Denzinger, n. 17X. La volonté doit donc, sous l’in-Qlience de la grâce, choisir non pas entre deux biens, Biais entre l’incrédulité et la foi, entre l’impiété el la L’Écriture nous donne déjà la même conception. La loi d’Abraham est donnée par saint Paul comme le prototype de la nôtre. Or en quoi consista son mérite, cl p. n conséquent sa liberté, racine du mérite ? Que loin saint Paul en lui’.' I.sl ce d’avoir adhéré au témoignage divin de telle façon plutôt que de telle autre, ferme cependant ? Non : mais d’avoir cru fermement au lieu de se laisser aller ; iu douteel a l’incrédulité : Non inprmalus est fuie…. mai hœsitavit <li]idtntia, etc. Rom., iv, II » . 20. Est-ce d’avoir fait abstraction de Vevidenlitt atlestantis qu’il avait’.' Non : mais d’avoir fait abstraction des raisons inliiulèques qu’il pouvait avoir <<- douter du miracle annoncé : nec considf ravit, etc., 19. Voir, sur ce texte, col. us, x.x. Ajoutons que saint Thomas, quand il explique (sommairement) le rôle de la volonté libre dans la foi, représente toujours la volonté comme fixant et déterminant l’intelligence, qui autrement

dt dans le doute, dans la fluctuation enln II deux assertions opposées. Sain, theol., IL II’, q. i. a. I. I >r veritate, q. xiv, a. I.

fi. Système qui explique la liberté ipécialt de In foi par la résolution de préférenci, qui doit régner dam la

volonté du fidèle. — Cette résolution générale de croire tout ce que Dieu a révélé, de persévérer toujours dans la foi reçue et de la préférer à tout ce qui viendrait la contredire, est demandée par les documents positifs, voir col. 320 sq. — fondée en raison, voir col. 331 sq. Elle doit servir à expliquer l’appréciation souveraine, super omnia, qui est requise dans la foi comme dans les autres vertus théologales, et qui fait de ces vertus un suprême hommage rendu à Dieu. Voir col. 383 sq. Elle influe d’une manière spéciale sur l’adhésion aux vérités révélées, et concourt à donner à la certitude de la foi son caractère propre. Voir col. 387. Il était donc naturel que cet acte de la volonté libre, cette disposition régnante, fût utilisée dans l’explication du pius affeclus et de la liberté spéciale de la foi. Saint Thomas, si l’on rapproche plusieurs de ses paroles, semble avoir indiqué cette direction aux recherches des théologiens. Même les vérités révélées qu’on ignore, on doit avoir l’âme prête à les croire, crederc in prseparatione animi, > être prêt à croire tout ce que contient la divine Écriture. » Sum. theol.. II » II’. <[. ii, a. â. L’hérétique formel « est attaché â sa propre volonté… ; il n’est pas prêt â suivre en tout la doctrine de l’Église. » q. v. a. 3 ; au contraire, les fidèles sont « prêts â croire tout, » q. v. a. 1, ad l" nl. Ceux-là mêmes, parmi eux, qui ne connaissent que peu d’articles, « comprennent… qu’il ne faut en aucune façon s’en écarter et dévier, » q. viii, a. ], ad 2°"’. Quand on a cette disposition générale, « cette promptitude de la volonté à croire, on aime la vérité que l’on croit, el l’on cherche des raisons (pour la défendre, ou se la rendre à soi-même plus croyable) : ainsi employée, la raison humaine n’exclut pas le mérite de la foi. au contraire, elle est signe d’un plus grand mérite, iq, ii, a. in. « Les raisons démonstratives qui apparaissent à l’esprit pour prouver les préambules de la foi… ne diminuent pas cet amour, par lequel la volonté est prête a la loi quand bien même ces raisons n’apparaîtraient pas : c’est pourquoi le mérite n’est pas alors diminué. > /.oc. cit., ad 2’"". Notons ici que, si les « preuves des préambules > sont démonstratives » - étant donné le sens que les scolastiques attachent au mot o démonstration « ---c’est Vevidentia atlestantis : saint Thomas la juge donc compatible avec le mérite (et par conséquent la liberté) de la foi. el cela, à cause de la volonté générale de croire en toute hypothèse, qu’il y ail ou qu’il n’y ait pas celle évidence de luxe. Car nous ne devons pas exiger celle évidence et il suffit d’une crédibilité inférieure. Voir col. 215 sq. Au contraire, la loi des démons » non seulement est dépourvue de cette volonté générale de rendre à Dieu le plein hommage de la foi, mais encore est accompagnée d’un déplaisir, parce que leur foi. même forcée, est après tout un hommage matériel qu’ils lui rendent el qu’ils ne voudraient pas lui rendre, en sorte que, pai

celle opposition de leur volonté, leur hommage n’esl

pas formel. Voir système précédent, col. 128. Cela même déplaît aux dénions, dit saint Thomas, que les pieuses de la révélation soient m évidentes qu’elles

les forcent a croire. (|. v. a. 2. ad 3 Ce n’esl donc

pas précisément V évident la atlestantis qui détruit la liberté et le mérite de la foi : mais tout dépend de la

volonté et de la disposition gêner. de qui lègue : disposition toute contraire dans le vrai fidèle qui aurait cette évidence, el dans le démon qui l’a. I.e premier

i l.i pieuse affection
le second, la résistance impie

de la volonté. Saint Bonaventure donne les mêmes indications. Il tant que l’Intelligence adhère a la souveraine Vérité propter se et super omnia… Celle

rectitude, on ne l’a pas sons la vouloir, mais en la voulant, on veut captiver son Intelligence pour rendre hommage au Christ. In IV Sent.. I. III, dlst. XXIII, a. i. q. i. Opéra, Quaraccht, 1887, t. m. p. 171. I i

plus loin, après avoir dit que les démons ont l'évidence des préambules, manifesta ralione coguntur credere, ce n’est p ; is précisément par leur procédé intellectuel qu’il explique comment leur foi n’est pas la vraie foi, mais par le double déficit du surnaturel et de la bonne disposition générale de la volonté : « La foi comme vertu… ne peut se trouver chez eux, soit parce qu’ils ne sont pas susceptibles de vertus infuses, soit parce que leur volonté est plus portée à attaquer la pieuse vérité qu'à lui faire donner assentiment. » Loc. cit., a. 2, q. ni, p. 493. « Ils croient par force, et quasi cum quodam murmure, » ad 2um, p. 494. Tolet suit ces grands docteurs du moyen âge. Pour les anges in via, il déduit la liberté de leur foi de ce que leur volonté était bien aiîectionnée, quoiqu’elle n’eût pas à intervenir pour déterminer l’intelligence : « Pour eux il était évident que Dieu avait révélé ; à cause de cette évidence, ils ne pouvaient ne pas croire aux vérités révélées ; et pourtant leur foi n'était pas forcée, parce qu’ils faisaient cela volontairement et non pas avec répugnance de la volonté. » In 7/ am //*, q. v, a. 1, t. ii, p. 95. Pour les démons, au contraire, « leur foi est forcée, dit-il, parce qu’ils ne voudraient pas que ces mystères fussent vrais, et qu’ils croient à contre-cœur : aussi leur foi n’a pas de mérite. » Loc. cit., a. 2. Quand Tolet dit que la foi des démons est forcée, coacla, ce n’est donc pas Y intelligence nécessitée par Vevidentia atleslantis, qu’il regarde surtout : car ce même phénomène se passait d’après lui chez les anges in via, « et pourtant leur foi n'était pas forcée : » ce qu’il regarde, c’est la disposition générale de la volonté, répugnant chez les uns et ne répugnant pas chez les autres à l’assentiment intellectuel nécessairement donné par tous. Dans le vrai croyant qui a Vevidentia attestant is, il ne faut donc pas s’arrêter à son intelligence déterminée par cette évidence, mais tenir compte de sa volonté bien disposée à l'égard de la foi en général, contente de croire et prête à faire son devoir s’il y avait quelque doute à chasser, s’il y avait l’intelligence à déterminer. D’autres théologiens font une part à cet élément, bien qu’ils aient en même temps recours à quelqu’un des autres systèmes précédents. Ainsi Lugo : « Et quand bien même les motifs de la foi nous convaincraient indépendamment de la volonté, dit-il — c’est Vevidentia atlestantis — il faudrait encore la volonté pour avoir l’assentiment super omnia, à quoi l’intelligence n’est pas déterminée par elle-même. » De fuie, disp. X, n. 10, p. 427. Avec Vevidentia atlestantis l’acte de foi est libre, d’après Ripalda, à cause de cette affection de la volonté, qui, évidence ou non, choisit en toute hypothèse l’hommage de la foi : eo ajjectu ut, seclusa evidenlia revelationis, eliam cum cligerct in obsequium Dei. De ente supernalwali, Paris, 1873, t. vii, disp. XII, n. 12, p. 219. D’après Gormaz, pour que l’acte de foi salutaire soit conciliable avec Vevidentia atlestantis, on doit croire ex tali animi præparationc…, ut, quamvis deficerel illa evidenlia, et maneret sola obligatio credendi, assensum illum imperarent. Cursus theologicus, Augsbourg, 1707, t. i, De fuie, n. 711, p. 802. Mayr reproduit la même doctrine, Theologia schotastica, Ingolstadt, 1732, t. i, De fide, n. 468, ]). 142 ; et plus loin : « Dans cette préparation du cœur à vouloir croire, même sans Vevidentia in attestante, consiste alors la mise en captivité de l’intelligence et l’hommage qui est dû. » Loc. cit., n. 469. Avant eux, Arriaga avait dit : « Quoique toutes les vérités de la foi ne soient pas mystérieuses en elles-mêmes, c’est assez que l’une ou l’autre le soit pour qu’une pieuse affection doive intervenir même dans la foi des choses faciles : car même celles-ci doivent être crues d’une foi universelle, pour ainsi dire, et préparée à croire scmblablement les choses les plus difficiles. » Disp. theol.. t. v, disp. XVII, n. 13, p. 247. Paroles reproduites et

louées par le scotiste Mastrius, Dispul. theol. in ///"> » Sent., Venise, 1675, dist. VI, n. 257, p. 360. et par Kilber, De fide, n. 1<S2, dans Migne, Theologise cursus, t. vi. p. 552, 553. De nos jours, le docteur Scheeben a aussi indiqué cet élément. Il dit que la liberté de la foi n’es ! pas « une imperfection née du défaut d’arguments victorieux…, imperfection qui distinguerait la foi de la science évidente, et qui lui serait commune avec ce qu’on appelle opinion. » Non : « l’absence de force coercitive dans les arguments ne lui est qu’une occasion de manifester pleinement la liberté qui est dans sa nature. La base de cette conception a été posée par le concile du Vatican, où il est dit que par la foi plénum revelanli Deo intellectus et voluntatis obsequium præstare lenemur (Denzinger, n. 1789)… La foi… est une adhésion à la vérité révélée, provenant d’une soumission respectueuse à l’autorité et d’un attachement étroit à la Vérité éternelle. » La dogmatique, trad. franc., Paris, 1877, t. i, § 45, p. 525. 526. C’est le « caractère et la perfection propre » de la foi, qui exige que l’assentiment de foi soit « suscité et soutenu par le libre arbitre… Cette énergie de la liberté ou de l’affection filiale de la volonté se révèle en ce que l’assentiment de l’intelligence qu’elle éveille et supporte est essentiellement une adhésion transcendante, super omnia, conforme à l’infinie dignité de la nature divine. » Loc. cit., p. 527.

Critique du système. — a) Il met en avant un élément trop laissé dans l’ombre par beaucoup de théologiens, une résolution ou disposition générale de la volonté qui, d’après les documents positifs, appartient certainement à la foi divine, et par sa nature même réside dans la volonté libre ; élément qui doit donc entrer, au moins pour une part, dans l’explication distincte de la volonté de croire et de la liberté spéciale de la foi. — b) On peut même en faire comme l'élément principal et le centre de la liberté de la foi : car cette résolution domine l’acte de foi dans tous les cas différents qui peuvent se rencontrer. Si un doute se présente et tient l’esprit en suspens, si la vogue et l’autorité humaine d’une prétendue science vient contredire l’autorité divine, cette résolution générale, sérieuse comme nous la supposons, l'éliminera avec l’aide de la grâce ; car de même qu’on ne peut garder sérieusement le ferme propos de ne jamais commettre de péché mortel et en même temps en commettre un, de même, on ne peut garder sérieusement la résolution de rejeter tout ce qui viendra contredire la foi, la résolution de faire du témoignage divin la règle suprême de son intelligence, et en même temps se laisser aller librement au doute sur un point particulier de la révélation. Dans le cas contraire où nul doute, nulle raison de douter ne se présente — qu’il y ait evidenlia atlestantis, ou « foi confuse » — cette disposition de la volonté, toujours régnante, n’en est pas moins méritoire devant Dieu : si elle ne bannit pas actuellement les doutes, c’est qu’il n’y a pour le moment rien à bannir ; mais l’intention est réputée pour le fait. Et l’assentiment intellectuel, alors donné d’emblée à la vérité révélée, reste « informé » en quelque sorte par cette bonne résolution, soit qu’elle vienne d'être renouvelée actuellement, soit qu’elle persévère virtuellement, ce qui suffit. Voir col. 430. Ce système a donc l’avantage de faire intervenir la liberté spéciale de la foi, d’une manière plus ou moins prononcée, dans tous les actes de foi : ce qui est encore plus satisfaisant que d’admettre, avec le 3e système, des exceptions où elle n’intervient pas du tout. Ainsi l’on peut résumer tous les cas dans une seule formule : « La liberté spéciale de la foi consiste essentiellement dans la libre et ferme résolution de préférer la parole divine, à cause de sa valeur souveraine, à tout ce qui viendra la cou t redire ; en vertu de cette résolution, la volonté, si des doutes

sont présents, les combat et les exclut ; s’ils sont absents, elle est prête à les exclure. » Ainsi la liberté de la foi reste essentiellement une « liberté de contrariété » entre la foi et l’incrédulité, comme il ressort des documents positifs. Voir ce que nous avons dit dans la critique du 5e système, col. 429. Ainsi le fidèle n’a pas à choisir entre deux procédés intellectuels différents, complication que nous avons réfutée au même endroit. Sans qu’il ait à se préoccuper d’un tel choix, c’est la disposition régnante de sa volonté qui dirige tout, déterminant l’intelligence où il faut la déterminer, et en tout cas lui donnant ce super omnia, cette fermeté supérieure, ce caractère d’hommage suprême à la Vérité divine, qui est un élément essentiel de la foi théologale. Voir col. 383 sq. — c) Ce système pourtant ne semble pas suffire, s’il n’emprunte à quelqu’un des autres telle remarque qui le complète. Par exemple, le 4e système insiste avec raison sur les libres efforts qui ont été faits précédemment pour croire promptement sur la simple affirmation de Dieu, malgré notre tendance naturelle à pénétrer l’objet affirmé, à l’examiner intrinsèquement avant de nous rendre ; c’est à ces efforts qu’est duc ensuite, pour une large part, la facilité avec laquelle le fidèle est entraîné à la foi, et croit maintenant sans crainte, sans arrêt et comme spontanément. Voir col. 416. Mais ces efforts précédents, qui les a suscités et soutenus, sinon la pieuse résolution (inspirée par la grâce) de rendre à Dieu constamment l’hommage de la foi, de captiver l’intelligence, et de préférer la parole divine à tout ce qui lui est contraire ? C’est cette résolution île préférence qui a fait contracter l’habitude de croire Dieu sur parole, sans entrer dans l’examen du mystère ire, sans se laisser hypnotiser par les difficultés. la détermination spontanée de l’intelligence est donc en quelque sorte son œuvre, et lui emprunte un élément de liberté. Par là nous voyons qu’un acte de foi. même enlevé spontanément dans certains cas, n’a pas cette résolution seulement pour compagne, mais encore pour cause : qu’il en procède ; condition nécessaire pour qu’il puisse en recevoir de la libellé, et pour qu’elle joue à son égard le rôle d’imperium voluntatis, d’après l’expression ordinaiie de saint Thomas. Car suivant la remarque du cardinal Billot, la volonté dans fade de foi ne doit pas être. purement concomitante i, mais il faut croire par une influence de la volonté libre, et cette préposition par, ou en latin l’ablatif, libéra voluntate, doil absolument signifier une relation causale, en sorte que l’adhésion de l’intelligence dépende de la volonté libre comme l’effet de sa e. « De virtutibus infusis, 2e édit., Rome, 1905, tins, xviii, p. 325. Distinction indiquée par saint Thomas, Simi. theol., I » , q. xi.i. a. 2.

Objection. Dans le cas de Yevidentia altestantis, l’assentiment nécessairement produit par les preuves des préambules pourra être fade de foi lui-même. d’après ee système, pourvu qu’il soit en même temps produit par la vertu infuse. Or, celle production nécessaire par les arguments est condamnée par le concile du Vatican. Can..">, De fuir. Denzinger, n. 181 l.

Réponse. - - a) On pourrai ! dire : Le concile cou damne la doctrine d’Hermès, et fait abstraction du itionnel de Vevidenlia altestanlis. Voir 3 « système, col. 116. Mai en outre : b) dans ce cas exceptionnel, I icte de foi, considéré précisément dans sa partie intellectuelle, sera le produit nécessaire des preuves évidentes des préambules, soit : mais il ne pas que cela. Il faut tenir compte de celle réso ration régnante, qui entre dans la composition de de toi. et qui ne dérive nullement des arguments nts, mais qui en reste indépendante. I lei mes. lui. ne tenait aucun compte de cet élément volontaire qu’il n’admettait pa i, pa plus que I i grâce. Poui lui.

l’acte de foi n'était que le produit nécessaire des arguments, et c’est ce qu’on a voulu condamner. Le canon proposé aux Pères le disait explicitement : Si quis dixerit ftdèm… non esse nisi persuasionem necessariis scientiæ humaine argumentis induclam…, anathema sil. Colleclio lacensis, t. vu. col. 77. Non esse nisi : il ne faut pas dire qu’elle n’est que cela. Or le système précédent ne le dit pas, puisqu’il réclame un élément volontaire inconnu à Hermès, et lui attribue sur l’assentiment une influence réelle, même dans le cas exceptionnel de Yevidentia at lestant is. Si l’on objecte que ce canon proposé aux Pères a été modifié par suite des amendements, et que les mots non esse nisi n’y figurent plus, la réponse sera que les amendements successifs d’où a fini par sortir la forme actuelle n’avaient jias pour but de changer le sens premier du cancn proposé, qui reste toujours le même, mais ne visaient qu’une question de style : et les Acla en font foi. Ce terme, necessaria argumenta, est la seule cause des changements introduits. Destiné à traduire en bon latin les « arguments nécessitants » de Hermès (necessitantia, comme on l’a plusieurs fois remarqué au concile, serait d’une mauvaise latinité), le mot necessaria parut équivoque à plusieurs, et non sans raison. Loc. cil., col. 164. Chose étrange, c’est pour expliquer ce mot ambigu que la commission de la foi introduisit alors dans ce canon le passage qui nous paraît maintenant le principal : Si quis dixerit assensum ftdei non esse liberum, et… l.oc. cil., col. 1C5. Ainsi tombèrent les mots fidem non esse nisi, qui ne pouvaient plus cadrer avec la nouvelle forme de la phrase. La commission et son rapporteur pensaient avoir, par cette addition explicative, donné satisfaction complète : E contexlu verborum jam etiam apparet, necessaria dici argumenta, quiv vim inlcllcclui inférant, cl ml assensum cogunl. Loc. cit., col. 188. On n’en continua pas moins à attaquer la malheureuse expression necessaria argumenta, col. 191. Il fallut une nouvelle délibération de la commission, qui proposa alors le texte actuel, adopté ensuite par les Pères, col. 192, 193. Cf. Granderath-Kirch. Histoire du concile du Vatican, trad. franc., Bruxelles, 1911, L n b, p. 113115.

En terminant, observons quc tous les systèmes précédents, malgré leurs divergences, sont d’accord pour distinguer deux actes, l’un de volonté, qui précède, l’autre d’intelligence qui suit, en sorte que le premier soit au second dans la relation de cause à effet, et non réciproquement. C’est Viniellectus a VOluntate moins de saint Thomas. Sum. tlicol.. II » II"'. ([. n. a. 2. Vaclus intellcclus assentientis veritidi divinm ex imperio voluntatis, loc. cit.. a. 9, avec la théorie

célèbre de Vaclus imp<rans et de Yui lus imper atUS, actes

différents quoique avec une certaine unité, quodammodo uniis actus, [ « II'. ([. Jtvn, a. I ; cf. a. 6. Ainsi pouvons-nous répondre a cette difficulté : L’assentiment est un acte de l’intelligence ; or l’intelligence n’est pas une faculté libre : comment donc le concile. dit-il, après les théologiens, que L’assentiment de loi est Libre ? i L’assentiment, acte de l’intelligence. n’est pas libre formellement, Intrinsèquement, c’esl

vrai ; mais il peut participer a la libellé de l’acte de

volonté qui l’a commandé, et en i ecevoir la dénomination de volontaire, de libre, de méritoire. Quoique ces mois : acte (le volonlé. acle olonl aile se disent premièrement défaite immanent de volonté, 00 peut les

étendre secondairement a tout acte qui, n'étant pas

dans la volonté, est commandé par clli. comme dit saini Thomas : Aclus voluntatis dicttur esse, non solum qiiem OOlunlCU ilt< il. seil ipiem minutas imprrat : unde m ulroque merttum considerari potest. Qusesl. dtsp., De

oertlale, q. xiv, a. t. ad 6 La volonté commande à

toutes nos énergies, el les met en acte : pi ises par rap

poil à ce commandement, et en tant qu’elles agissent

sous celle motion, leur acte peut être dit « volontaire » : un mouvement « volontaire » de la tête ou du bras. insi, dit Suarez, l’assentiment de foi « est à la volonté de croire comme l’acte extérieur à l’acte intérieur de la volonté. » De fuie, dist. VI, sect. vii, n. 9, Opéra, t. xii, p. 188. Il reçoit, de l’acte intérieur de la volonté, non pas une nouvelle et différente liberté, mais la même liberté, le même mérite, qu’il participe analogiquement et du dehors, suivant la meilleure théorie de 1' « acte extérieur » dans le traité De uctibus humants. Voir Suarez, loc. cit. ; Billuart, Summa, etc., Paris. 1827, t. vu. De aciibus humanis, diss. IV, n. 8, p. 362 sq. Ce sciait donc se séparer de saint Thomas et du grand courant théologique dans l’explication de la liberté de la foi que de rêver un assentiment de l’intelligence intrinsèquement libre ; ou bien de faire de l’intelligence un amour, comme semble le faire M. Rousselot, voir col. 262 ; ou encore, avec le même auteur, de supposer une « causalité réciproque » entre la volonté et l’intelligence dans l’acte de foi, la volonté rendant libre l’assentiment, qui à son tour rend cette volonté raisonnable, de même qu’une passion violente, en altérant le jugement, fait voir les choses d’une manière qui la justifie elle-même (mais dans ce cercle vicieux bien faible est la garantie 1). Voir col. 263, avec les références.

Documenta positifs sur l’obscurité de la foi.


1. L'Écriture. — « La foi est… la preuve (ou la conviction) des choses que l’on ne voit pas » , où (O.eito [livtov. Heb., xi, 1. Voir col. 86. « Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru. » Joa., xx, 29. « Ne pas voir, » c’esl l’inévidence de l’objet, et par suite, l’obscurité de la connaissance ; la connaissance de foi est donc obscure. Si ailleurs le mot « voir » est employé pour l’acte de foi, au sens 1res large de connaître, c’est avec des restrictions qui attestent l’obscurité de cette connaissance : « Nous voyons en cette vie d’une manière énigmatique. èv a ! vîy|j.aTi, mais alors (nous verrons) face à face. » I Cor., xiii, 12. Que cette connaissance énigmatique ou obscure signifie la foi, nous le concluons soit du verset suivant où il s’agit explicitement de la « foi » qui demeure ici-bas avec l’espérance et la charité, soit d’un texte parallèle où la « foi caractérise notre pèlerinage en cette vie par opposition à la vision du ciel. II Cor., v, 7. La révélation, objet de notre foi, est obscurément saisie, puisqu’elle est comparée par saint Pierre à « une lampe qui luit dans un lieu obscur jusqu'à ce que le jour brille. » II Pet., i, 19.

2. Les Pères.

a) Conformément à l'Épître aux Hébreux, xi, 1, ils font entrer souvent dans leurs définitions de la foi l’idée d’obscurité, sous une forme ou sous une autre : ils la considèrent donc comme caractéristique de la foi, puisqu’on ne met dans une définition que des éléments caractéristiques. Ainsi Clément d’Alexandrie : « La foi est un assentiment qui nous unit à une chose qui n’apparaît point, » àœavoOç. Slrom., II, c. ii, P. G., t. viii, col. 939. Théodoret, entre autres anciennes définition de la foi qu’il a recueillies, cite celles-ci : « La foi est la contemplation d’une chose cachée, » àaotvoùç upàyixaT’j ; Œwpia. « La foi est une connaissance des choses invisibles, » T<iiv àopirarv. Grsecarum affect. curalio, serm. i. de fuie, P. G., t. lxxxiii, col. 815. Saint Prosper dit : Fides csl, quod non vides, credere. Liber sentent, ex S. Auguslino, n. 534, P. L., t. li, col. 484. Voir la définition de saint Augustin citée plus haut, col. 113 ; celle de saint Berna d, prselibatio nnndum propalaiæ veritatis, col. 364. Cf. S. Thomas, Sum. theol., IL 1 II » , q. iv, a. 1.

/>) Ils donnent l’obscurité comme si essentielle à la foi qu’on ne peut plus appeler foi la claire vision, qu’on n’est plus fidèle si l’on veut nier ou comprendre

le mystère, qu’on perd ainsi le mérite de la foi. Écoutons saint Athanase : « Une foi qui apparaît avec évidence (c’est-à-dire dont l’objet apparaît ainsi) ne peut s’appeler foi. La foi croit l’impossible (comme devant se réaliser) dans la puissance (de Dieu), le faible (comme devant être) dans la force, le souffrant dans l’impassibilité, le corruptible dans l’incorruptibilité, le mortel dans l’immortalité. » Contra Apollinarium, 1. ii, n. 11, P. G., t. xxvi, col. 1150. On peut voir là des allusions à Luc, i, 37, 45 ; Rom., iv, 18-21 ; ICor., i, 21-25 ; ii, 3-5 ; xv, 53, 54. Sur Tertullien, voir col. 80 ; sur S. Jean Chrysostome, col. 113. Il ajoute à l’endroit cité : « Si vous voulez voir, vous n'êtes plus fidèles. » Sur S. Éphrem, Primasius et S. Grégoire le Grand, S. Irénée, S. Hilaire, etc., voir col. 113, 114. Voir aussi les textes sur le mérite spécial de la foi, col. 398. Enfin, ils disent que, lorsque nous verrons au ciel l’objet divin, la foi deviendra impossible et devra cesser. Voir col. 364.

3. Les documents de l'Église. — Jamais l’obscurité de la foi n’a été définie, parce que jamais elle n’a été niée. C’est une vérité de foi catholique, mais non pas de foi définie ; enseignée par le magistère ordinaire, mais non par un jugement solennel et extraordinaire de l'Église. Certaines définitions fournissent pourtant des principes liés à cette obscurité, et qui servent à l’expliquer comme nous le. verrons. Telle est cette définition de Benoît XII, qu’au ciel les deux vertus théologales de foi et d’espérance sont éliminées par la claire vision et la jouissance de leur objet divin. quoâ Visio hujusmodi divinse Essentise ejusque fruitio (ictus fidei et spei in eis (animabus) évacuant, proul fides et spes proprise theologicæ sunt virtutes. Const. Benedictus Deus, Denzinger, n. 530. Telles sont ces définitions du concile du Vatican, que la foi n’est pas une connaissance « intrinsèque » , c. iii, Denzinger, n. 1789 ; que la foi n’est pas la science, can. 2, De fide, n. 1811 ; que dans la révélation, objet de notre foi, sont contenus des mystères au sens proprement dit, que la révélation seule peut nous faire connaître, c. iv, n. 1795, et can. 1, De fide et ralione, n. 1816 ; que, même connus par la révélation et la foi, ces mystères, qui dépassent la raison, restent couverts d’un yo ; 7e et enveloppés d’obscurité pour ainsi dire, quadam quasi catigine obvolula, c. iv, n. 1796.

6° Conclusion théologique certaine : il y a dans la foi une obscurité spéciale qui n’est pas dans notre science. — Sans doute, à cause de l’imperfection de notre science, surtout de la science naturelle de Dieu ou théodicée, on pourrait trouver une certaine obscurité dans la science même avec ses concepts vagues et abstraits, et même purement analogiques quand il s’agit de Dieu, avec les images empruntées au monde corporel, sous lesquelles notre intelligence cherche à se leprésenter les choses spirituelles. La révélation d’ailleurs offre cette même obscurité, puisque pour s’exprimer elle emprunte ces mêmes concepts à la nature humaine, et parle un langage humain. On peul donc admettre une certaine obscurité commune à la science et à la foi. Mais les documents que nous avons cités doivent nous faire conclure à une autre obscurité, qui soit propre à la foi seule. Car ils mettent l’obscurité dans la définition même de la foi, ce qui n’a jamais lieu pour la science. Ils déclarent l’obscurité essentielle à la foi, ce que l’on ne peut dire de la science, qui plutôt élimine l’obscurité tant qu’elle peut et, sur bien des objets proportionnés à notre intelligence, n’est pas obscure. Enfin, ils disent que la clarté détruit la foi, par exemple, au ciel : mais la clarté ne détruit pas la science ! Les s : olastiques opposaient entre elles la science et la foi sous le rapport de la clarté ou évidence. El comme la clarté est une perfection, l’obscurité une imperfection, sous ce rapport

ils mettaient la foi au-dessous de la science dans cel axiome : Fides est supra opinionem et infra scientiam. Hugues de SaintVictor. De sacramentis, 1. I, part. X, c. il, P. L., t. clxxvi. col. 331 ; cité et expliqué par S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. iv, a. 1 ; In IV Senl., 1. III, dist. XXIII, q. il, a. 2, sol. 3. ad 1'"". Au-dessus de l’opinion par sa certitude, elle est au-dessous de la science par son obscurité. Il faut donc admettre dans la foi une obscurité toute spéciale. Conséquence à tirer : dans l’explication théologique de cette obscurité, il faudra chercher autre chose que les considérations qui vaudraient pour notre science humaine comme pour la foi : le caractère abstrait ou analogique des concepts, le vague des métaphores, etc. ; quoi qu’on doive aussi tenir compte de cet élément commun. Autre conséquence : l’obscurité de la foi par rapport à la science et à la vision n’est pas une question de simple différence accidentelle dans le degré de clarté, une différence seciindum magis et minus ; mais il doit y avoir dans la science une espèce de lumière qui manque totalement dans la foi ; en d’autres termes, il doit y avoir dans la foi un élément d’obscurité exclu totalement par la science, et qui constitue ainsi une note spécifique, une différence essentielle. Car les documents sur l’obscurité de la foi ne parlent pas d’un moindre degré d'évidence, de vision ; ils nient simplement la vision. Aussi a-t-on ralement rejeté la différence purement accidentelle que Durand de Saint-Pourçain a exprimée en ces termes : Aclus visionis et scientise aequisitw et tutus fidei non habent oppositioncm nisi secundum magis evidens et minus evidens. In IV Senl., 1. III, dist. XXXI, q. iv, n. 11, Paris, 1550, fol. 232. Il dit ensuite que cette opposition est seulement « apparente » , et il conclut logiquement : Aclus scientiæ stat in patria cum aclu visionis secundum doclores, ergo similiter aclus fidei polcrit slarc in palria cum visione. Loc. cit. Sur l’habilus fidei, il conclut aussi qu’il peut demeurer au ciel, et quant au fait, s’il ne demeure pas, il dit qu’on ne peut en avoir une pleine certitude. Ibid., q. iii, n. 13, fol. 331. Ces conclusions, si peu conformes a l’enseignement de l'Écriture et des Pères, et rejetées par Benoit XII peu après la mort de Durand (voir le document ci-dessus), suffiraient à montrer que ce théologien aventureux est parti d’une conception fausse de l’obscurité de la foi. A l’appui de sa thèse, il disait qu’un degré de perfection moindre pouvait bien être de l’essence de la foi, mais non pas une privation, parce qu’un être positif n’est constitué que par des éléments positifs. Ibid., q. v, fol. 233. Mais un élément négatif, une privation même. peut, comme condition essentielle, servir a caractériser une espèce, concourir ; i la spécification d’un acte ou d’un habilus, comme l’a bien remarqué contre lui Capréolus, ce prince des thomistes. au xv siècle : Privaiio potest ondilio objecti hululas positivi : non quidem u/ principaliter motiva nec terminaliva, sut concomitativa : lieul eiiam incertitudo et formido ri tilubatio sunt de tatione opinionis, quee est habilus posilivus ; et irroim ttale de ratione asini, qui est species substantiæ posiet lumen irralionale dicil privalionem. C’est ainsi qu’il fail (le l’obscurité une condition ou raison fornulle de l’objet de foi : m hoc modo dicimus senigma formalem ralionem objecti fidei… Non est rai m mooens vel motiva, ner primo terminaliva, sed conco mttatt iones Iheologiie D. Thomw, I. III Sent.,

XXV, q. i. a. '.', . » 1. Tours, 1904, t. v, p. 328. 329. olu dit encore qu’une privation on négation peut appartenir à l’essence d’une chose positive non lanquam parlem tialem aai intrgralem, sed tan

quam parlem ralionis, designalivam il charactcritaii '""" "/ modum differrntiir extrinseem. !, <.

cil., rlisl [.,, ., . ;, ', . | 2. p. 388. Il en est de

l’obscurité dans l’objet que l’on croit comme de la difficulté dans l’objet qu’on espère. Voir Espérance, col. 632, 633. Comme la difficulté n’est pas un motif d’espérer, au contraire elle est souvent un motif de découragement, ainsi l’obscurité n’est pas un motif de croire, ce n’est pas elle qui attire notre intelligence à une vérité. Xous espérons malgré la difficulté, nous croyons malgré l’obscurité. Mais l’une et l’autre caractérisent nos actes d’espérer et de croire. Cette remarque est commune chez les théologiens.

Systèmes sur l’obscurité de la foi.

 1. Système de

l’obscurité totale, de la foi complètement aveugle. — Telle semble être la pensée de Guillaume d’Auvergne, quand il ne veut pas même considérer la véracité divine ; celle des fidéistes, quand ils rejettent toute preuve des préambules et du motif de la foi.

Critique du système. — Voir ce que nous avons dit sur la théorie de Guillaume, col. 118, 119 ; sur le fidéisme, col. 175 sq. D’ailleurs, la foi est un acte intellectuel, col. 56 sq., 82 sq., ayant un motif intellectuel, l’autorité du témoignage divin, col. 107 sq. ; le fait de ce témoignage doit être prouvé à la lumière de la raison, col. 189 sq. Un coup de volonté ne peut remplacer cette lumière, col. 171 sq. Voir aussi ce qu'à propos de la liberté de la foi nous avons dit du despotisme de la volonté, col. 396. La grâce vient encore aider à voir la crédibilité avant la foi. col. 237 sq. Enfin, nous venons d’entendre saint Paul décrire ainsi la foi : Videmus in œnigmale : s’il y avait obscurité complète, il ne pourrait dire : Videmus. Ailleurs il l’appelle comprendre, savoir. Eph., iii, 17-19. « La foi est une connaissance, dit saint Thomas, et à cause de cela elle peut être appelée science et vision. » Quæst. disp., De verilale, q. xiv, a. 2, ad 15, , m. Et d’autant plus que c’est une connaissance certaine. « On emploie non sans quelque raison, non immerilo, dit saint Augustin, le mot savoir non seulement pour ce que l’on a vu ou ce que l’on voit, mais encore pour ce que l’on croit sur des témoignages ou des témoins sûrs. Après avoir pris de la sorte, et sans trop d’impropriété, non incongruenter, le mot savoir pour une foi 1res certaine, on est arrivé à dire aussi, des choses cjue nous croyons à bon droit bien qu’elles ne soient pas présentes, que par la pensée nous les voyons, t Liber de videndo Den. ou Epist., r.xLvii, c. iii, P. L., t. XXXIII, col. 600. Sans doute, c’est au sens large et impropre qu’on parle ici de « savoir » , de « voir » . Voir col. Il : ' » , 111. Au sens propre, l’obscurité de la foi nie absolument la « science. la vision » . Mais elle ne. nie pas pour autant la connaissance » . ce qui nous sullil en ce moment. La foi n’esl pas absolument « aveugle. ce que l'éprouve le

concile du Vatican : Fidei assensus nequaquam motus animi csbcus, c iii, Denzlnger, n. 1791. Ce premier

système est donc insoutenable.

2. Système qui explique l’obscurité de lu foi par Vint VidenCt de l’objet formel (qUO, OU motif), en d’autres

termes, par le manque d’evidenlia alteslanlis. C’esl celui de liane/, de l.ugo et autres ennemis intransigeants de celle évidence extrinsèque, qui, la croyant

Contraire aussi bien a l’obscurité qu'à la liberté de la foi. la bannissent de tOUl acte de celle vertu. D’autres mitigent ce Système en admettant cette évidence a titre d’exception, comme nous l’avons vu pour la libellé. Voir col. 399 sq., H2 sq.

Critique du système. a sous sa forme Intransigeante, il a lori de nier l oui fail d' évident la attestant is, el toute possibilité de concilier cette évidence avec

l’acte de fol. b) On peut, pour expliquer l’obscurité de i.i loi. recourir partiellement < celle Inévidence de l’objet formel, en admettant des exceptions. Car enfin, tout manqua d'évidence constitue une espèce d’obscurité, li le P. Pesch semble allei trop loin quand il dit que ce genre d’ob curité est commun a h foi 43 !)

FOI

MO

et à la science. » Prselectiones, 3e édit., n. 415, p. 191. La science au sens propre, telle que les scolastiques l’opposent à la foi, a généralement un objet formel d’une évidence parfaite, et qui ne donne pas prise aux doutes imprudents : tandis que l’objet formel de la foi, avec les motifs de crédibilité qui nous l’appliquent, a généralement une évidence morale et imparfaite, voir col. 207-211, et même moins quand il s’agit de la certitude relative des simples. Voir col. 219 sq. Or, dans les choses morales, ce qui arrive généralement, per se, reguiariter, sert à caractériser, à spécifier, en dépit des exceptions, de ce qui est per accidens. Voir col. 416. — c) Mais on ne peut, avec les défenseurs de ce système, chercher exclusivement dans l’inévidence de l’objet formel l’explication de l’obscurité de la foi. La raison en est que les documents scripturaires et patristiques, que tous les théologiens allèguent pour prouver l’obscurité de la foi, parlent de l’inévidence de l’objet matériel : ce sont toujours « les choses que l’on ne voit pas, qui n’apparaissent pas, les choses invisibles, » fïdes est credere quod non vides, etc. Voir col. 435 sq. L’invisibilité de l’objet matériel est, d’après saint Augustin, une condition commune à ces deux vertus, l’espérance et la foi. Voir Espérance, col. 607. Spes, dit saint Paul en prenant ce mot pour l’objet espéré, spes quæ videtur, non est spes : nam quod videl quis, quid sperat ? Rom., viii, 24. L’espérance suppose son objet matériel absent, et la foi aussi d’après saint Augustin. Voir col. 113. Concluons qu’un système qui veut expliquer l’obscurité de la foi uniquement par l’inévidence de l’objet formel n’est pas d’accord avec les documents de la révélation ; et que ce genre d’explication ne peu' être que secondaire.

3. Système qui explique l’obscurité de la foi par l’inévidence que laisse toujours dans l’objet matériel la preuve par témoignage, même irrésistible. — C’est par l’inévidence de l’objet matériel qu’il faut, principalement du moins, expliquer l’obscurité. Mais l’objet matériel de la foi, en réalité, est double. Il y a l'énoncé, et il y a la chose que nous atteignons par l'énoncé. Voir col. 129-132. Or le système très important dont nous allons nous occuper soutient que le procédé logique essentiel à la foi, c’est-à-dire la preuve par témoignage, en supposant même Yevidenlia alteslantis, peut bien nous amener à un énoncé dont nous ne puissions douter, mais laisse, par sa nature même, la chose concrète dans une certaine obscurité, ce que ne fait pas le procédé de la science. La science, en effet, quand elle atteint une réalité concrète à travers un énoncé qu’elle démontre, la fait voir en quelque sorte, ou entrevoir : soit que la démonstration se fasse alors par tes causes propres et particulières dans lesquelles cette chose concrète est virtuellement contenue, où on la voit comme en germe ; soit qu’elle se fasse par les effets propres et particuliers de cette chose, effets qui en sont comme la reproduction ou la prolongation, et dans lesquels on peut la voir comme continuée ou reproduite. Exemple dans l’ordre physique : la science prévoit tel phénomène de combustion dans ses causes toutes préparées ; c’est voir déjà tout ce qui vase passer. Que la combustion soit près de se produire, on peut le découvrir aussi par les effets, par la fumée qu’on commence à apercevoir ; dans cet effet, dans ce signe naturel d’un feu qui commence, on voit aussi, en quelque sorte, ce feu qui en est la cause propre. Exemple dans l’ordre moral : je puis conclure ma responsabilité de sa cause propre, de mon action libre : dans cette liberté dont j’ai conscience, je vois la responsabilité qui en découle et qui se mesure à cette liberté. Je puis conclure la même responsabilité et comme la voir dans ses effets, dans ce remords qui m’agite, dans le sentiment que j’ai d’avoir mérité une peine. « Les effets… tiennent à la cause, dit Ollé-Laprune, sans

quoi ils ne seraient point effets… Venant d’elle, ils ont en eux d’une certaine manière quelque chose d’elle, et ainsi ils l’expriment et la manifestent… Demeurâtelle d’ailleurs enveloppée d beaucoup de nuages, il serait encore vrai qu’elle est connue dans une lumière qui part d’elle… N’y eût-il pour la révéler qu’un pâle reflet, qu’une pure ombre, ce serait encore la connaître (la voir) que d’en affirmer par là l’existence : car le reflet et l’ombre n’existent que par l’objet dont ils reproduisent la forme » — voir l’ombre est en quelque sorte voir la forme humaine qu’elle reproduit. De la certitude morale, 2e édit., Paris, 1892, p. 83, 84. Ainsi la démonstration scientifique d’un énoncé qui roule sur une chose concrète, soit a priori par les causes, soit a posteriori par les effets, peut se ramener à une vision de cette chose, comme le dit saint Thomas : « Il faut reconnaître que tout ce qui est su (objet de science) est en quelque façon vu. » Sum. theol., IL IL, q. i, a. 5. Au contraire, la preuve par témoignage, qui caractérise la foi humaine ou divine, pourra bien établir un énoncé, parfois même irrésistiblement, et par cet énoncé faire connaître la chose concrète, mais elle ne la fera pas voir. En vain chercherait-on à ramener la preuve par témoignage à une preuve par les causes ou par les effets, afin de la ramener ensuite à la vision. Le témoignage n’est évidemment pas cause de la chose qu’il atteste : la déposition d’un témoin sur un vol commis n’est pas cause de ce vol ; Dieu lui-même, en tant qu’il nous atteste des réalités qui sont hors de lui ou en lui, n’en est pas la cause. Le témoignage n’est pas non plus un véritable effet de la chose attestée. L’action libre par laquelle le témoin vient se présenter au tribunal, sa libre véracité surtout, élément capital de la preuve par témoignage, ne sont nullement déterminées, ni d’une manière quelconque amenées à l’existence par la chose sur laquelle roule le témoignage, mais proviennent de causes étrangères et toutes différentes. L’existence du témoignage, son espèce (qu’il soit affirmatif ou négatif), son autorité, tout cela n’est donc pas un signe naturel de la réalité concrète, un effet propre et caractéristique dans lequel on puisse la voir, comme on voit l’homme dans son ombre, le pied dans l’empreinte qu’il a laissée sur le sol. La réalité ne peut être ici connue que par les signes artificiels du langage, et en supposant que le témoin a bien voulu ne pas les employer contre sa pensée, et qu’il était bien informé. Dans ces signes artificiels, dans ce bon usage de la liberté du témoin, fût-il démontré à l'évidence, nous n’avons pas la continuation naturelle de la chose attestée, nous ne voyons pas quelque chose d’elle-même. « Voir la cause par ses etïets et dans ses effets, dit encore Ollé-Laprune, c’est la voir dans ce qui vient d’elle… Mais ne voir un objet que par les paroles et dans les paroles qui en affirment l’existence, ce n’est plus voir… ; car c’est saisir les choses par un intermédiaire qui n’a point avec elles un rapport fondé sur leur nature même. » Loc. cit., p. 85. Telle est, pour connaître une même réalité, la différence essentielle entre le procédé de la science et celui de la foi. Seule, cette explication justifie ces expressions opposées de connaissance « intrinsèque » et connaissance « extrinsèque » , reçues en philosophie et en théologie, consacrées même par le concile du Vatican. Voir col. 115, 116. La connaissance « intrinsèque » pénètre au dedans, inlra, parce qu’elle a une sorte de vision de la réalité concrète à travers les idées abstraites et les énoncés ; la connaissance « extrinsèque se tient au dehors, extra, parce qu’elle prouve quelque chose sur cette réalité sans la voir. La vision même que l’on a du témoin, si fréquente dans la foi, n’est pas la vision de la chose qu’il atteste. De là vient que les scolastiques ont souvent réservé le nom ù' « évidence » à la seule évidence intrinsèque, comme à l'évi

dence par excellence. Cela ne voulait pas dire, comme on l’a cru parfois, que le témoignage, de sa nature, ne puisse jamais forcer l’assentiment ; qu’il laisse toujours place au doute ou à l’indétermination de l’intelligence. Voir col. 418 sq. Mais cela voulait dire que ce que nous appelons l'évidence extrinsèque, si irrésistible soit-elle, n’est point par ailleurs l'évidence parfaite, puisqu’elle ne peut être ramenée à la vision de la réalité concrète, et que le mot « évidence » 'vient de video. Quand ils ont étendu davantage le nom d' « évidence » , les scolastiques ont pris soin de préciser leur pensée en y ajoutant le mot extrinsèque. Voir Évidence, col. 1727, 1728. Ou bien ils l’ont appelée evidentia dicti, évidence de l'énoncé, evidentia consecutionis, évidence de l’enchaînement logique, et l’ont opposée à l'évidence de la chose concrète, evidentia rci. Ce n’est donc pas l’enchaînement dialectique des énoncés qu’il faut prendre comme caractéristique de la science : il peut se trouver même dans la preuve d’autorité, qui n’est pas de la science. La dialectique, naturelle ou artificielle, est un besoin général de l’intelligence humaine, toutes les fois qu’il n’y a pas évidence immédiate de la vérité. On la retrouve partout, soit qu’il s’agisse d’une science qui reste dans les abstractions pures, comme les mathématiques, ou d’une science qui. à travers les énoncés, atteint une réalité concrète (la science que nous considérions plus haut), ou en lin d’une connaissance de cette réalité par le seul témoignage. Ce qui est commun à toute connaissance médiate ne peut servir à caractériser le genre science.

Et qu’on ne dise pas que, dans le cas du témoignage divin, la valeur incomparable du témoin fera voir la réalité. Non : la preuve par témoignage ne change pas de nature avec le changement de témoin. « A mesure que l’autorité du témoin augmente, dit Grandin, docteur de Sorbonnc, l’objet attesté devient plus certain, mais non plus clair. Or il n’est pas question maintenant de certitude, mais de clarté et d'évidence. » Opéra theologica, Paris, 1710, t. iii, p. 39. Voilà pourquoi l’usage traditionnel symbolise la foi divine, non par le sens de la vue, qui rappelle l’idée de parfaite évidence, mais par celui du toucher, par la main qui saisi/, qui tient ferme un objet, ce qui donne l’idée de certitude s ; ms celle d'évidence. C’est une remarque de Scheeben : « Il est mieux de dire que la foi, à l’opposé de la science, est une appréhension de son objet (apprehendere, saisir). Le toucher d’un objet dans l’obscurité peut avoir autant de valeur (comme certitude) que la vue même de cet objet. » Dogmatique, trad. franc., 1877, § 38, I. r, p. 435. Fi’des, dit saint Thomas, est ccrla apprehensio corum qu : c non vidcl. In JIrb.. i. 1. Quant au mot « tenir >, lenere, il se trouve dans les professions de foi et dans les conciles : Tenet et docet S.romana Ecclesia. Profession de foi de Michel Paléologue au IIe concile de Lyon, Denzinger, n. 465. Hanc… fidem… veraciler leneo. Profession de foi de Me IV, Denzinger, n. 1000. Hoc… perpetuus Ecclesiie consensus lenuit et Icncl. Concile du Vatican, sess. iii, c. iv, Denzinger, n. 1795, etc.

Cille théorie, qu’il ; i fallu développer parce qu’elle est souvent mal comprise, est indiquée par saint Thomas : L’argument, dit-il, qui est tiré des principes propres de la choe (c’est-à-dire des causes, et aussi effets, qui la caractérisent) fail apparaître la i (la f : iii voir). Mais l’argument qui est tiré de {'autorité divine ne f.iii pus apparaître la cho

même. Sum. theol., il M*, q. iv, a. i. ad ". Ailleurs, d p. m le d’une intelligence qui est convaincue, non pas p. n l'évidence de la chose, per eviden/""" "'. el il donne cet exemple : Si un prophète nnonçail au m. m de Dieu quelque événement futur, et ajoutait un signe miraculeux, en ressu citant un moi 1 jnc convaincrait l’intelligence des ; issis

tants, et leur ferait connaître manifestement que les paroles de ce prophète sont le témoignage de Dieu, qui ne ment point : toutefois, l'événement prédit ne serait pas évident en lui-même. Aussi, l’acte de foi (avec son obscurité essentielle) pourrait-il subsister encore. » Loc. cit., q. v, a. 2. Voir le commentaire des Salmanticenses, De fuie, disp. III, n. 11, 12. Cf. Quæst. disp., De verilate, q. xiv, a. 9, ad 4 1 "". Citons encore ce texte : « Les arguments qui forcent à croire, comme les miracles, ne prouvent pas la foi (la chose de foi) en ellemême, per se ; ils prouvent seulement que celui qui l’annonce dit vrai : c’est pourquoi, sur les choses de foi, ils ne donnent pas la science. » In IV Sent., 1. III, dist. XXIV, q. i, a. 2, sol. 2 ad 4 un >. C’est V evidentia dicti, opposée à {'evidentia rci. Quand saint Thomas nie que la foi soit une « connaissance » , il ne veut pas dire autre chose. Il prend alors, comme parfois les Pères, le mot « connaissance » comme synonyme de « science » . Sum. theol., IIa-IIæ, q. clxxi, a. 3, ad 2 nm. Beaucoup de théologiens célèbres de toutes les écoles utilisent cette théorie à propos de l’obscurité de la foi. Nous citerons les paroles de plusieurs d’entre eux, comme complément d’explication dans un sujet diflicile. — a) École thomiste. — Cajétan dit que l’ange in via, malgré Yevidenlia atleslanlis, ne voyait pas la Trinité et pouvait la croire, parce que « l'évidence de sa connaissance… n’allait pas plus loin que les énoncés en tant que connus par le témoignage de Dieu, » cnunliata ut revelala ; parce que « la conviction de son esprit par l'évidence d’un témoin véridique ne l’amenait pas à une vision des choses attestées, mais seulement à les croire, qu’il le voulût ou ne le voulût pas. » In I Z am II"', q. V, a. 1, n. 5, dans l'édit. léonine de S. Thomas, t. viii, p. 56. Voir col. 217. Sylvestre de Ferrare insiste sur ce que la preuve par le témoignage divin, avec les miracles pour signes, ne donne pas Vcvidenliu rci. ne montre pas les choses de foi in parliculari, c’est-à-dire par les causes particulières et les effels particuliers à chacune, mais seulement in universali, par le moyen général du témoignage qui de sa nature n’est pas lié plus particulièrement à une chose qu'à une autre. Commentaire sur le Contra génies, 1. III, c. xi.. Voir Crédibilité, col. 2285. Les Salmanlieenses développent la même théorie. Cursus théologiens. De fute. disp. III, n. '.) sq., Paris, 1879, t. xi, p. 190 sq. « Bien que la chose révélée soit vraie en elle-même, dit Conlenson, on ne la connaît pas en elle-même, et on ne pénétre pas sa vérité objective, mais on la connaît par la seule lumière du témoignage extérieur… Quoique Dieu soit très digne de foi. la chose qu’il révèle n’est pas liée par elle-même à son témoignage… Il y a donc une connexion plus grande, et plus intime entre l’elTel et la cause, qu’entre le témoignage révélateur et la chose révélée : car l’effet esl {'expression de sa cause, dont il dépend essentiellement ; mais le mystère révélé ne dépend pas de la révélation, et ne donne point par lui-même la révélation… Quand il est révélé, il ne produit donc pas en nous la science… Quand l’univers nous chante la gloire de Dieu, celle voix n’est pas libre, mais naturelle… Aussi les choses créées nous l’ont nécessaire meni lire et connaître en elles l’existence de la cause

dont elles dépendent essen I iellemenl. Mais la révélalion est une voix libre, el qui ne procède p.is naturcllc ment de la vérité révéléi. mais qui seulement l’atteste. Bien que digne de foi, elle laisse donc la chose obscure

en elle inclue, i / heolOQia mentis et Cordis, Paris. 187."),

i. n. p. 502, 503, "ii coi. 139, il". De nos jours on peut citer, entre autres, le cardinal Zlgliara, Propa deulica ad sacrant theologiam, l. I. c. i. Rome, 1884, p. 73, 71, 77 ; le P. Gardeii, voli Cm dibiu n'. col. 2203. />> École tcolUte. propos de Vevtdenlia attexiouii^. nous avons entendu Scot dire qu’elle ne donne

pas l'évidence de la chose, Mastrius et Frassen soutenir qu’elle ne rend pas évident « l’objet même de la foi » du moins < d’une évidence intrinsèque ; » que o l'évidence extrinsèque laisse subsister l’obscurité de l’inévidence de la chose révélée, ce qui suffit à la foi ; » que « la science, au contraire, demande une évidence intrinsèque. » Voir col. 402. — c) Docteurs de Sorbonne. — Grandin, loc. cit., p. 38. Duplessis d’Argentré résume ainsi toute la théorie : Cum omnis evidentia sit clara cl perspicua cognilio rei, vel in seipsa proxime, vel in alio quod ipsi ex principiis inlrinsecis et essentialibus annexum sit, sive lanquam causa, sive tanquam efjcctus ; fides uulem non sit cognilio rei in seipsa proxime, neque in ullo alio ex principiis inlrinsecis et essenlialibus illi annexo, sed in solo dicenlis teslimonio, rei ipsi omnino exlrinseco, consequens igiiur est omnem fldei assensum, quacumque cerliludine plénum, obscuritatem aliquam involverc. Porro evidentia consecutionis, quæ nonnunquam reperitur leslimonium inter et verilalem ici tali teslimonio confirmais, confundenda non est rum ipsa euidenlia rei, cui fides adhibetur. Sœpius enim res cui (quæ) creditur non cognoscitur evidenter in seipsa, licel connexio sil evidens inter ejus veritatem et leslimonium quo nilitur. Elementa theologica, etc., c. xvi, Paris, 1702, p. 316, 317. — d) Théologiens de la Compagnie de Jésus. — Le cardinal Tolet dit que « la vérité d’une chose peut être connue de deux manières : en elle-même… ou bien dans un intermédiaire qui lui est étranger, comme lorsque nous connaissons par le témoignage, même évident et évidemment veridique, qu’il est vrai que Naples existe… Je n’ai pas alors l'évidence de la chose en elle-même, parce que je n’ai pas vu Naples… C’est l'évidence de la vérité de la chose (ou de l'énoncé qui exprime cette vérité) plutôt que l'évidence de la chose elle-même. » In Summam S. Thomse, Rome, 1869, t. i, q. i, a. 2, p. 22. Louis de Torrez dit de l'évidence extrinsèque : « L’opinion la plus commune est que ce n’est pas l'évidence au sens propre, aussi l’appelle-t-on evidentia in attestante (non pas evidentia tout court). C’est l’enseignement de Cajétan, d’Aragon, de Vasquez et de beaucoup de doctes théologiens de notre temps… Quand nous prouvons que Dieu s’est fait homme parce que Dieu l’a révélé, ce témoignage n’explique pas une connexion particulière, ex natura rei, entre les termes de la conclusion, c’est-à-dire entre Dieu et l’homme. Le témoignage de Dieu est commun à toute vérité que Dieu révèle… Le témoignage n’est pas un effet particulier et propre, manifestant la connexion entre les termes, » etc. Torrez, Disput. in Il am II*, disp. IX, dub. ni, Lyon, 1617, col. 145, 146. Coninck, bien qu’il préfère regarder l’evidenlia in attestante comme une véritable évidence (question secondaire de définition de mots et de terminologie), s’accorde avec les précédents pour le fond de la question : « Il est très différent de dire : Cette chose, la Trinité, m’est évidente en elle-même — ou bien de dire : Il m’est évident que cette proposition (ou énoncé). Dieu est un en trois personnes, est vraie… Dans la première assertion, on veut dire que la nature du sujet et de l’attribut, ou du moins la nature et la qualité de leur connexion, me sont clairement connues ; que je sais clairement comment l’attribut convient au sujet, et quelle connexion il y a entre eux. Dans la seconde, on veut dire que je connais clairement qu’il y a connexion « parle rei : ce qui peut être vrai, quand bien même j’ignore quelle est cette connexion ; et ainsi la seconde assertion peut être vraie, quoique la première soit fausse… Il est donc assez certain que l'évidence du témoignage ne fait pas que la chose en elle-même me soit évidente. » De… aci. supernatural., disp. IX, n. 108, Anvers, 1623, p. 181. « Le témoignage de Dieu sur la Trinité, dit Thyrse Gonzalez, ne la suppose pas comme un’effet

suppose la perfection de sa cause, dont il participe et qu’il développe ; ce témoignage ne la contient pas non plus comme une cause son effet ; c’est un intermédiaire tout à fait extrinsèque. Il s’ensuit que, même connu avec évidence, ce témoignage ne peut découvrir la convenance de l’attribut avec le sujet : mais cette convenance demeure cachée comme sous un voile, et par suite l’objet demeure obscur et proportionné à la loi. Le témoignage de Dieu est donc extrinsèque à la chose non seulementontologiquement, in essendo, mais encore logiquement, ('/ ! cognoscendo ; tandis que l’effet propre d’une chose ne lui est pas extrinsèque de cette seconde manière, comme l’explique le P. Amicus. » Manuductio ad conversionem maliumelanorum, part. I, I. II, n. 81, Dillingen, 1689, p. 89. Amicus, en effet, a bien défendu le système contre plusieurs objections. Cursus theologicus, De fide, disp. II, n. 150, Anvers, 1650, p. 33. Élizalde donne cet exemple typique : « Il nous est évident que les démonstrations d’Euclide sont bonnes… Le monde entier, depuis tant de siècles, atteste la vérité de leurs conclusions… Qui les dirait fausses serait, je crois, aussi fou que s’il niait l’existence des Cicéron et des Pompée… Avons-nous pour cela, nous autres ignorants en mathématiques, l'évidence de ces choses ? Les savons-nous, les comprenons-nous ? Heureux êtes-vous, si en un jour, par cette simple réflexion sur le grand témoignage rendu à Euclide, vous acquérez l’intelligence de ces choses et la qualité de parfait mathématicien ! Pour moi, je ne me crois pas devenu un savant à si bon marché. L'évidence incontestable de la vérité d’un énoncé n’engendre donc pas l'évidence de la chose : la chose ne doit pas être confondue avec l'énoncé, res cum diclo. » Forma veræ rcligionis, etc., n. 341, Naples, 1662, p. 232. Enfin, parmi les auteurs récents, voir Pesch, Prœlecliones, 3e édit., 1910, t. viii, n. 396, p. 182. Critique du système. — a) Il montre dans la foi un élément d’obscurité qui ne se trouve point dans la science, et qui, résultant du procédé même de la foi, par opposition à celui de la science, sera justement appelé spécifique et essentiel. — b) La distinction fondamentale qu’il pose entre la foi et la science résiste bien à toutes les attaques. Celles qui viennent des anciens théologiens trouvent leur réponse dans ce que nous venons de dire et de citer. Pour ce qui est des philosophes modernes, Kant a rangé parmi les « choses de fait » , qui sont d’après lui objet de « science » et non de foi, « les choses et les qualités des choses que nous pouvons connaître ou par notre expérience personnelle, ou par l’expérience d’un autre qui nous les atteste. » Critique du jugement, § 91, n. 2, dans Opéra ad crilicam perlinenlia, trad. lat. de Gottlob Boni. Leipzig, 1797, t. iii, p. 497. Il voulait donc réduire la connaissance par témoignage, l’histoire, etc., à l’expérience et conséquemment à la science, sous prétexte qu’un autre a eu l’expérience de la chose à notre place, et nous en fait bénéficier par son témoignage. OlléLaprune a fait justice de cette idée de Kant. « Sans doute, dit-il, ce que j’affirme parce que vous nie l’attestez, vous pouvez l’avoir vii, et il faut que la chose connue maintenant par le témoignage ait été pour le témoin primitif objet d’expérience… Mais qu’importe ? moi, qui n’ai point vu cette chose, je ne l’affirme que parce que vous me l’attestez : pour moi donc, elle est objet de foi. » La certitude morale, 2e édit., 1892, p. 159. La vision d’un autre ne me donne à moi ni vision ni science ; saint Thomas l’avait déjà remarqué : Fides cognilio quædam est, in quantum intelleclus detcrminatur per fidem ad aliquod cognoscibile. Sed hsec delerminalio ad unum non procedit ex visione credentis, sed a visione ejus cui creditur (du témoin à qui l’on croit). Et sic in quantum deesl visio, deficit(fides) a ralione cognilionis quæ est in scientia. Sum. theol.,

I 1, ([. xii, a. 13, ad 3um. La foi n’est pas cette connaissance parfaite qui est dans la science, parce qu’elle ne peut se ramener à une vision de celui qui croit, à sa propre expérience. En vain Victor Brochard écrivait-il pour défendre ici Kant contre Ollé-Laprune : « C’est notre propre expérience que nous consultons dans celle du témoin : il est notre remplaçant, notre substitut, et le témoignage ne sert qu’à étendre, à prolonger dans le passé la sphère de notre expérience personnelle. » Revue philosophique de novembre 1880. Ce sont là des figures de rhétorique ; l’expérience ne peut se faire par substitut, par procureur. Autrement un aveugle-né aurait l’expérience et la vision des couleurs, quand on lui dit qu’il y en a, quand on cherche à lui en donner quelque idée par des considérations abstraites ou par Mis comparaisons avec les sons, etc. L’expérience, de l’aveu de tous, est un mode personnel de connaître, dont la clarté et l’originalité savoureuse consistent précisément en ce que c’est moi, et non pas un autre, qui entre en contact avec la réalité. En vain Paul Janet écrivait-il à son tour contre Ollé-Laprune : Nous ne pouvons admettre cette théorie du témoignage humain… Je conclus des paroles du témoin aux faits attestés avec la même certitude et en vertu des mêmes principes qui me font conclure en général du signe à la chose signifiée, par exemple, des vestiges fossiles laissés par les plantes, qu’il y a eu une Qore a telle ou telle période géologique. Il n’y a pas là une certitude spéciale d’un genre nouveau, mais la même certitude que dans les sciences expérimentales. » Principes de métaphysique et de psychologie, Paris, 1897, I. ii. p. 174. Il peut y avoir « la même certitude » que dans les sciences expérimentales : mais il n’y a jamais la même évidence : l’évidence extrinsèque ne pourra jamais, comme l’évidence intrinsèque, se ramener à la vision de l’objet, pour la raison longuement développée ci-dessus. Quoi qu’en dise Janet, ce sont deux procédés bien différents, de conclure des signes artificiels et moyennant la véracité du témoin à la vérité de ce cpi’il dit, ou de conclure d’un signe naturel a la chose dont ce signe émane naturellement et nécessairement, procédé qui peut se ramener à la vision, oir l’empreinte laissée dans la pierre ou le charbon nie fougère, c’est voir la plante en quelque sorte, c’esl donc reconnaître l’existence d’une flore à cette période géologique en voyant quelque chose de cette flore. Que des mêmes principes » généraux interviennent dans les deux raisonnements, comme le principe de causalité ou celui de contradiction, c’est vrai, et de lé-la il n’y a pas de différence. Mais voir un principe vague ef abstrait qui concourt au raisonnement n’est pas la même chose que voir une réalité concrète que tout le raisonnement tend à manifester : I l c’est la vision ou la non-vision de celle réalité con(M le qui fail toute la différence d’évidence que nous avons expliquée. c)Ce système a besoin, toutefois, d’emprunter quelque chose au suivant pour expliquer

Complètement l’obscurité de la foi, ainsi que nous le

verrons toul a l’heure.

Corollaire. l.i connaissance par ouï-dire, fondée sur le témoignage, n’est en aucun cas une » Bcieno > proprement parler, mais toujours une foi, humaine ou divine, naturelle mi surnaturelle. Nous avons entendu saint Thomas, parlant même du cas extrême de Vevidentia attestanlis : Argumenta quæ coguni ml fldem…, dit-il, scientiam non faciunt. In IV Sent., I. III. dist. XXIV, q. i, a. 2, sol. 2. ad 1.C’est Durand de Saint-Pourçain le premier qui a dit le contraire : SI constaret evidenler Deum aliquid dixlsse, constant il/m illud esst verum, licet m specialt non vidrrelaram connexionem terminorum. Super Sententias, I. III. dist. XXIII, <|. ix, n. 12, Paris, 1550, loi. 221. Ailleurs, après avoii supposé ie cas où l’on aurait

l’évidence des prémisses de ce syllogisme : « Tout ce que Dieu dit, est vrai, or, il a parlé par l’Écriture, donc l’Écriture est vraie, » Durand dit de cette conclusion, appuyée sur le témoignage de Dieu : Cognilio ejus est aclus scienliæ, et non fidei, quse (fides) innititur uuclorilali de qua non est evidens quod sil a Deo dicta. Loc. cit., dist. XXXI, q. iv, n. 10, fol. 232. Cette assertion de Durand est expressément réfutée par plusieurs des théologiens que nous avons cités sur Vevidentia attestanlis, à propos de la liberté de la foi, voir col. 401 sq., et par d’autres que nous venons de citer. Elle a été reprise de nos jours : In omnium hominum œslimalione, dit le cardinal Billot contre Lugo, assensus in conclusionem proul fluenlem ex pnemissis aclus scientix est, non fidei. De virtutibus infusis, 2e édit., Rome, 1905, thés, xvi, p. 292. Ainsi ce serait la forme discursive, le fait d’être une conclusion découlant de prémisses, qui constituerait la « science » , qui l’opposerait à la « foi » ; et cela dans le cas même supposé par Lugo, où il n’y a pas (Vevidentia alleslantis. Durand exigeait du moins Vevidentia attestanlis pour que la foi fût transformée en science ! Kl ce qui est plus extraordinaire, c’est qu’on prête une pareille opinion à « tous les hommes » . Elle est si peu universelle que les théologiens discutent depuis longtemps si l’acte de foi divine est discursif ou non. Sans doute beaucoup d’entre eux ne veulent pas qu’il le soit : encore cst-il que la raison qu’ils en donnent n’est pas celle-ci. que s’il était discursif il deviendrait un acte de science. M. Bainvel a bien senti qu’il fallait mitiger en ce point une doctrine qu’il suit par ailleurs ; et il a qualifié la foi discursive non pas de » science » . mais de n foi scientifique » . Noir col. 121. Cf. Portalié, ail. Augustin (Saint) t. i, col. 2338, 2339. Que dire, a ce propos, de l’usage moderne de regarder l’histoire comme une science ? On peut sans doute admettre celle manière de parler dans ce sens large, fréquent aujourd’hui, où toute collection de faits se rapportant à un objet ou à un but unique prend le nom de « science. Mais si l’on prétend assimiler l’histoire a une science au sens propre, connue bien des modernes le prétendent à la suite de Kant, si l’on veut de cette classification arbitraire tirer des conséquences en philosophie et en théologie, a tout cela S’opposent les raisons que nous avons fail valoir. L’encyclique Pascendi laisse enlendre qu’il y a là quelque chose de nouveau, et peut-être de dangereux, lorsque, parlant des modernistes, elle relève cette même manière de parler ; Quo rtiam scienliæ nomine hisloria apud illos nolatur. Denzinger, n. 2084. Nous reconnaissons d’ailleurs comme une science la critique historique, qui établit et applique les principes du contrôle des témoignages et des documents ; nous ne parlons que de l’histoire en tant que, sur des témoignages pua laidement contrôlés, elle affirme simplement ce qu’elle croit s’être passé. Quant a l’art avec lequel l’historien groupe les détails obtenus par divers témoignages,

emploie la couleur locale et manie la description, il

lient bien nous taire imagina une époque, un fait,

mais a proprement parler il ne nous les fail pas voir.

I. Système qui explique l’obscuri/c de la foi par

l’exclusion de toute vision simultanée (ou science simultanée )’/' son objet matériel. La foi n’est pas en elle-même une vision, une science de son objet. : Ions les

théologiens sont d’accord la-dessus, bien qu’ils l’expliquent différemment.’Voir col. in sq., et les docu ments sur l’obscurité, col. 135 sq. Mais la foi peut elle

subsister, si son objet matériel est por ailliius scieil tlfiquemenf démontré, ou s’il esi mi ? (.elle vision,

., i le science qui ne serait pas la foi. mais qui se rencon lieiall avec la foi sur un mime objet matériel, celle

vision simultanée, cette concomitante est < n.

compatible RVec l’obscurité de la foi, laisse-t-elle sub

sister l’acte de foi ? Beaucoup de théologiens le nient d’une manière absolue, surtout l'école thomiste, expliquant par là l’obscurité de la foi, et alléguant les formules générales de saint Thomas : Fides non potest esse de visis. Sum. theol., II 1 ' II æ, q. i, a. 4. Non est possibile quod idem ab eodem sit visum et credilum… Unde eliam impossibile est quod ab eodem idem sit scilum et credilum. Ibid., a. 5. Les scotistes, pour la plupart, tiennent la même doctrine avec Scot. D’autres, connue la grande majorité des théologiens de la Compagnie de Jésus, affirment non seulement qu’un même objet matériel peut être en même temps connu par le témoignage divin et par démonstration concomitante, parce que ces deux moyens de connaître s’additionnent, loin de se nuire, mais encore qu’avec cette démonstration d’un objet on peut néanmoins en avoir la foi proprement dite.

Critique du système. — a) Quelle que soit sa valeur, il n’est pas à lui seul suffisant à expliquer l’obscurité de la foi. Pour la sauvegarder, vous voulez exclure toute vision (ou science) concomitante : fort bien, cela peut contribuer à l’obscurité de l’objet ; mais si d’autre part la foi elle-même, dans le cas où le témoignage divin est bien prouvé et surtout dans le cas de Vevidenlia attestantis, devenait par là une vision ou une science, qu’auriez-vous gagné? Reste donc à expliquer comment elle ne le devient pas, même dans ce cas ; et c’est ce que faisait très bien le système précédent. Aussi saint Thomas y a-t-il recours, comme nous l’avons vii, ainsi qu’une bonne partie de l'école thomiste. — b) Inversement, le système précédent ne semble pas non plus se suffire à lui-même, et doit emprunter au moins quelque chose à celui-ci. Pour satisfaire, en effet, aux documents scripturaires et patristiques, c’est l’objet matériel qui doit être obscur. Voir col. 438. Et comme ces documents ne doivent pas être pris dans un sens impropre, il faut mettre dans cet objet une obscurité proprement dite, une obscurité qui exclue simplement et absolument la vision. Or cet objet n’aurait pas une telle obscurité, s’il était mis en pleine lumière par une évidence intrinsèque concomitante. Une petite lampe fumeuse, image de la connaissance obscure par simple témoignage, éclairait seule une chambre : en la laissant allumée, on ouvre les volets, et la chambre est inondée de lumière ; image de l'évidence intrinsèque concomitante. Peut-on dire encore que la chambre est obscure ? On dira peut-être : « Elle l’est, si on ne la considère qu’en tant qu'éclairée par la lampe, si l’on fait abstraction de la lumière qui lui vient du soleil. » Mais c’est là une abstraction subtile qui ne rend pas la chambre véritablement obscure, d’une obscurité proprement dite, de manière à exclure absolument toute vision. De même, si nous voyions le donné révélé, qui constitue l’objet matériel de notre foi, s'éclairer de toutes parts, recevoir à flots la lumière de l'évidence intrinsèque, nous ne pourrions pas dire sans une vaine subtilité que nous en avons cette foi dont parlent l'Écriture et les Pères, qui est par définition la conviction des choses qui n’apparaissent pas, que l’on ne voit point. Comme le dit Esparza, ncqueunt proprie et simpliciler dici non apparentia, quæ per visionem aut scienliam apparent, licet non appareant per ipsam fldem. Cursus theologicus, Lyon, 1685, t. i, q. xxv, p. 628. Et comme le remarquent les Salmanticenses, l’apôtre n’a pas dit : Fides est argumentum non faciens apparere objectum, mais argumentum non apparentium : négation posée sans aucune restriction, et qui par suite exclut absolument toute vision, de quelque côté qu’elle vienne. Cursus theologicus, De fldc, disp. III, n. 34, Paris, 1899, t. xi, p. 206. Absolue, illimitée est la négation de la vision (non pas pourtant de la connaissance, voir col. 438).

En fait, cette exclusion absolue de toute vision ou

science concomitante se vérifie sans aucun doute pour l’objet matériel principal de la foi. Cet objet, ce sont les mystères. Voir col. 379-382. Or les mystères sont des objets ainsi appelés parce qu’en cette vie ils ne peuvent être ni vus, ni démontrés intrinsèquement par la science. Denzinger, n. 1816. Quand on les croit, ils excluent donc absolument toute vision et toute science simultanée. Et comme, d’autre part, le procédé de la foi ne fait pas voir les objets, ni ne les démontre intrinsèquement, rien n’empêche le mystère de rester obscur et voilé, malgré la révélation et la connaissance de foi, comme l’affirme le concile du Vatican, c. iv, n. 1796. Voir col. 358. L’objet matériel principal de la foi, lui au moins, réalise donc cette négation absolue de la vision, non apparentium, où f3).gKO|iiviv. De ce côté, au moins, on doit dire avec saint Thomas : Fides est de non visis, de non scilis. On peut reprocher à la plupart des théologiens, dans la grande controverse que nous venons d’aborder, d’avoir, dans l’ardeur de la lutte, arboré de part et d’autre des formules trop générales et trop intransigeantes. Les défenseurs de la simultanéité de la foi et de la science auraient dû signaler cette distinction capitale entre l’objet principal et l’objet secondaire de la foi, et concéder tout d’abord l’impossibilité de cette simultanéité pour ce qui est de l’objet principal, d’autant plus qu’ils ne devaient avoir aucune peine à faire cette concession. Quelques-uns l’ont faite expressément. Voir Haunold, Theologia speculaliva, 1. III, n. 296, Ingolstadt, 1670, p. 389. Et de nos jours, Pesch, Prælectiones, 3e édit., 1910, n. 397 sq., p. 182 sq. Au lieu d’accentuer la divergence des esprits, on aurait eu ainsi un terrain d’entente au moins partielle. De leur côté, les adversaires de la simultanéité, s’ils étaient partis de la même distinction, auraient eu moins de peine à faire quelques concessions qui paraissent s’imposer à propos de l’objet secondaire, et dont nous parlerons tout à l’heure, après quelques explications nécessaires sur l’objet principal.

Explications complémentaires sur l’obscurité de l’objet matériel principal, et ses conséquences. — Si nous considérons a parle rei, comme dit l'école, ces « profondeurs de Dieu » , I Cor., ii, 10, qui sont l’objet mystérieux et principal de la foi, cet objet n’a pas en soi d’obscurité essentielle. La Trinité est indifférente à être connue obscurément, ce qui est le cas pour nous ici-bas, ou clairement, ce qui est le cas pour Dieu lui-même et pour les saints au ciel : elle est donc séparable de toute obscurité. Si nous ne la voyons pas, c’est une imperfection qui vient de nous et non pas de la chose, selon saint Thomas : Fides in sui ratione habet imperfeclionem quæ est ex parle subjecti, ut scilicel credens non videal id quod crédit. Sum. theol., I" IL. q. lxvii, a. 3. Il faut nous défier de la tendance que nous avons à projeter au dehors, à attribuer aux choses mêmes l’obscurité de notre connaissance : à peu près comme quand nous disons que le soleil subit une éclipse, tandis que c’est notre terre seule qui la subit, et qui est privée de la lumière du soleil. Ulloa, Theologia scholastica, Augsbourg, 1719, t. iii, disp. III, n. 156, p. 142. Mais si par « objet matériel » nous entendons non pas la chose divine, res divina, comme dit saint Thomas, IIP", q. vii, a. 3, mais V énoncé, lequel est véritablement aussi objet de foi, voir col. 129-132, alors l’objet de foi — qui, en ce sens, est mêlé de subjectif tt ne se confond pas absolument avec la chose, quoiqu’il la représente avec une suffisante vérité — est essentiellement, irrémédiablement obscur et mystérieux. « Si l’on prend l’objet de la foi en tant qu'énoncé, enunliabile, dit très justement le cardinal Billot, c’est-à-dire en tant que proposition composée d’un sujet, d’un verbe et d’un attribut, alors il est comme une espèce d’intermédiaire entre l’intelligence et la

chose en soi, et suivant le double rapport qu’il soutient avec ces deux extrêmes, il reçoit une double qualification. Par rapport à la chose, à laquelle il est conforme, il est dénommé vrai ; par rapport à l’intelligence du croyant, à laquelle il ne fait pas apparaître la chose par le dedans, ; '/ ! suis intrinsecis, il est dénommé obscur. » De virtutibus infusis, 1905, 2e édit., thés, x, coroll., p. 239. Cette obscurité, qui tient à notre manière naturelle de concevoir par concepts très imparfaits sur Dieu, et par énoncés groupant ces concepts, est une imperfection qui vient du sujet, mais que l’on peut attribuer à la foi elle-même, acte ou vertu. La foi, en effet, n’est pas un don qui transforme notre connaissance abstraite de Dieu en vision intuitive — ce que fera au ciel le lumen gloriee — mais en élargissant notre connaissance et en lui donnant plus de certitude, elle en laisse subsister l’imperfection innée, et pour elle-même utilise les énoncés composés de concepts, si défectueux surtout quand il s’agit de connaître Dieu. C’est ainsi qu’elle s’adapte aux condition^ de cette vie d'épreuve, où nous devons lutter librement contre l’incrédulité et le péché, que la vision intuitive de Dieu rendrait impossibles ; où le mérite de la volonté compte beaucoup plus que la perfection et la satisfaction de l’intelligence ; car dans cette vie il s’agit de mériter la claire vue de Dieu, et non pas dru jouir. De là cette doctrine de saint Thomas que le bonheur final auquel l’homme aspire « ne peut consister dans cette connaissance de Dieu que donne la foi. i Contra génies, 1. III, c. xi.. I.e bonheur comporte, dit-il, une parfaite opération de l’intelligence, une parfaite connaissance de Dieu ; or la foi ne peut la donner. In cognilione fidei invenitur operatio intelleclus imperfectissima. Ce qui fait surtout la valeur de la foi, ce n’est pas la perfection intellectuelle qu’elle donne, c’est son côté volontaire, méritoire : in cognilione fidei, principalilatem habet uolunlas, loe. cil. ; paroles qui, arrachées de leur contexte, ont été de nos jours souvent mal entendues, tout comme cette autre phrase, qui dérive du même ordre d’idées : Hic habilus (fidei) non movel per viam intellecius sed inagis pet viam voluntaiis : unde non façit videre illa quic crcduntur, nec cogil assi nsum (deux choses que fera la vision de Dieu), .serf facit voluntarie assentiri. In Boetium, de Trinitate,

qm. a. 1. ad i dans Opéra, Paris, 1875, t. xxviii,

I » . 508. Cette connaissance très Imparfaite de la foi nous lait paraître Dieu comme lointain et nous éloigne Intellectuellement de lui, même quand nous sommes pics de lui par l’amour et la volonté. S. Thomas, Cont. génies, lot. cil. C’esl la parole de saint Paul, comparant la foi et la vision intuitive de Dieu ; Tant que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur : <"/ nous marchons par la foi. et non par la vue. i II Cor.. v. ;. 7. Remarquons ce car. Doue la foi. en conclut Capréolus, lait que l’homme soit loin de Dieu (intellec tuellement), qu’il tende a Dieu comme a un objet éloigni Defensiones I). Thomte, I. 1 1 1 Sent., dist. WXI, q. i. a..".. n. 1. Tours, 1904, I. v. p. 381. El Barth. Médina. O. I'. : Voyons dans ce texte quelles

dispositions met en nous la foi. Elle nous rend éloignes liés de la pallie céleste… Il a donc opposition absolue entre la vision béatifique et l’acte de foi.

silio m i " il', q. i.xvii. a..".. :  ; édit., Venise, I.V.im. p :  ; 17.

Corollaire. Explication théologiqut de lu cessation de l’acte ri de la vertu de jm mi ciel. Elle découle de ce qui nous venon (le ' oil car on ne peut en même i' nui. lie éloigné de Dieu (pai la foi) et lui être prisent (pai la vision intuitive), le tout sous le même rapport intellectuel ; on ne peut, mi même temps, être dans la

coud il ion de l'épn UVC et de l.i possibilité de pé< - J i i. I I

dan, l.i condition de la récompense et de l’impossibl llti de pécher. Il aurait contradiction. Durand,

UK.T. DI TIIHII.. CATHOL.

ajoute Capréolus, part d’une fausse théorie, c’est que l’acte de vision et l’acte de foi ne différent que comme le plus évident et le moins évident, qu’ils n’ont pas entre eux d’opposition contraire ou contradictoire. » Loc. cil. Sans doute, on doit lui accorder qu’une connaissance moins parfaite pourrait subsister avec une connaissance plus parfaite du même objet : mais la question n’est pas là. La foi divine, telle que Dieu nous l’a donnée, n’est pas seulement imparfaite au sens d’une moindre évidence ; elle implique essentiellement une absence de vision concomitante de l’objet divin : elle n’est donc pas compatible avec la présence de la vision, et de Dieu par la vision. La vertu infuse de foi, adaptée aux conditions de cette vie d'épreuve, tend ainsi que son acte à l'énoncé du mystère essentiellement obscur, comme à un objet principal qui la spécitie : quand disparaîtra l’obscurité du mystère sans possibilité de retour à cause de la stabilité éternelle de la vision béatifique, alors cette vertu infuse, perdant pour jamais ce qui la spécifie, deviendra sans objet, sans but, et ne pourra subsister. Voir S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ , q. lxvii, a. 5, ad 3° ni. Elle sera remplacée par une autre espèce de connaissance surnaturelle de Dieu, laquelle ne procédant pas par énoncé appuyé sur le témoignage divin, mais par intuition directe de la chose en soi, aura une manière essentiellement différente d’atteindre la même chose, et ne souffrira aucune obscurité. Nous ne pouvons donc admettre cette idée de Gratry : « Il y aura encore foi dans la vision : comme, dans la vue de ce monde par nos yeux, il y a une foi ; comme, dans l'évidence des premiers principes, il y a une foi ; et cela parce que nous ne voyons le tout de rien, » etc. De la connaissance de Dieu, part. 11, c. iii, 2 a édit.. Paris, 1854, t. ii, p. 266. Gratry allègue pour sa thèse l’article de saint Thomas que nous venons île citer ; il y découpe ces mots ; laides pariim lollitur, sciUni quantum ml senigma, et pariim manet, scilicel quantum ml substanliamcognitionis. Mais ces paroles sont mises par saint Thomas dans la bouche de gens qu’il critique : Quidam dixerunt quod… fides pariim lollitur, etc. Et le saint docteur ne concède ce manet quoad substantiam qu'à la condition d’entendre subsiantia d’un élément seulement générique et abstrait, d’une simple classification qui réunit la foi et la vision sous la même étiquette générale de i connaissance » : fides enim cum visione patries convenit in génère, quod esteognilio. Mais rien de ce qui est spécifique ou indii’iduei dans la foi ne peut rester, d’après lui : Nihil idem numéro net specie, quod est in fuie, ranimer in pulriu, sedsolum idem génère. Ceci ne favorise donc en lien la lli : se de (.rati qui voudrait faire continuer dans la vision du ciel une imperfection qui appartient spécifiquement a la foi et a la vie présente, une sorte d’obsCU rilé. Pour cela, il recourt aussi a ce que « nous ne pourrons voir ni Dieu, ni le monde, ni les principes de la raison, autant que 1 Heu les voil. Inc. cil. ; à ce quc notre vision Intuitive, d’après la théologie, restera essentiellement inférieure a la vision compréhensive quc Dieu

a de lui-même. Tout cela est vrai : mais la manière dont l'Écriture et les Pères, connue nous l’avons mi. Opposent la foi a la ision du ciel, ne nous autorise pas

a mettre en celle et une obscurité véritable. L’obscurité proprement dit<. telle qu’elle est dans la loi. n’est pas seulement un degré inléiieiii de ision. comme se l’est imaginé Durand de Saint l’ouiçain : c’esl une

privation absolue de vision, credere quod non vides. Or,

la ision des saints dans la pal lie n’a i ieu de cet le |>i i viliou. On ne peut donc l’appelei obSCUTe ni la

rapproche ! de la toi ni mettre en « lie un peu de fol sous prétexte qu’il exl te en Dieu une vision beaucoup

plus pal faile.

X" Conlroversi célèbrt peut-on avoii simultanément tur un même objet la /m et la sciena (ou la vision)

VI. - 15

1. Notions préliminaires.

a) Nous venons de résoudre négativement la question pour une part, c’est-à-dire quand il s’agit de l’objet principal de la révélation et de la foi, objet qui se compose des mystères divins. C’est l’avoir résolue dans ce qu’elle a de plus important, et sur un point où tous peuvent et doivent s’accorder. C’est avoir rendu compte déjà des textes des Pères : « La foi est l’argument des choses qui ne peuvent pas apparaître, » des mystères. Voir col. 380. Si dans un de ces mystères, par exemple, celui de l’incarnation, il est un élément que l’on peut voir, du moins on ne peut voir le mystère lui-même ; de là cette parole des Pères qui nie alors la coexistence de la vision et de la foi sur un même objet : Aliud vidit, aliud credidit. L’apôtre Thomas voyait l’humanité du Christ présente à ses yeux ; il ne voyait pas le mystère de la divinité du Christ, qu’il a cru en disant : Dominus meus et Deus meus. Joa., xx, 28. Vidit hominem, et Deum confessus est. Voir Primasius et S. Grégoire le Grand qui le copie, col. 114. Et avant eux, S. Augustin, In Joa., tr. LXXIX, n. 1, P. L., t. xxxv, col. 1837 ; tr. CXXI, n. 5, col. 1958 ; S. Hilaire, De Trinilalc, . VII, n. 12, P. L., t. x, col. 209. Sur le vrai sens du Deus meus, voir la condamnation de l’interprétation de Théodore de Mopsueste par le Ve concile œcuménique, can. 12, De tribus capitulis, Denzinger, n. 224. La question qui reste à résoudre doit donc déjà être ramenée à ceci : Sur un objet secondaire de la foi, c’est-à-dirè sur un objet révélé qui n’est pas un mystère proprement dit, peut-on avoir simultanément la foi et la science (ou la vision) ?

b) Les objets secondaires, que Dieu a révélés de fait, peuvent se partager en deux catégories. Les premiers, bien que n’étant pas proprement des mystères, ne peuvent être connus de nous que par révélation. Tels sont certains décrets libres de Dieu, qui n’ont pas imprimé dans cet univers de trace ou d’effet par où nous puissions les connaître et les démontrer, mais dont l’objet est d’ailleurs facile à comprendre ; certains faits qui n’ont rien non plus en eux-mêmes d’impénétrable et de mystérieux, mais dont l’existence ne nous peut être connue que par le témoignage de Dieu, soit qu’ils appartiennent aux origines de l’humanité, soit qu’ils se rapportent à l’avenir, par exemple, qu’il y aura de grandes persécutions de la religion dans les derniers temps du monde, que l’Antéchrist sl’fera adorer comme un dieu, etc. De tels objets, ne relevant pas, pour nous, de la vision ou de la science, doivent être omis dans la question présente. La seconde catégorie comprend les vérités révélées qui ne sont pas inaccessibles à la raison naturelle et philosophique. L concile du Vatican nous en aflirme l’existence dans la révélation, et considère spécialement, à cause de leur nature éminente et de leur valeur religieuse, celles de ces vérités qui ont trait aux choses divines, in rébus divinis, sess. ni, c. ii, Denzinger, n. 1786. C’est le plus important terrain où il pourrait y avoir rencontre et simultanéité en Ire la foi et la science ; c’est là que se porte la discussion.

c) Ceux qui nient la possibilité de cette simultanéité ne la nient que pour une seule et même intelligence. Ils accordent volontiers qu’une vérité révélée de cette seconde catégorie puisse être objet de foi chez l’un, objet de science chez l’autre. Qui n’en a pas la démonstration rationnelle pourra faire là-dessus un acte de foi divine. C’est la doctrine expresse de saint Thomas : l’utest contingere ul id quod est visum vel scilum ab uno homine… sit ab alio creditvm, qui hoc démonstrative non novil. Sum. llwol., IIa-IIæ, q. i, a. 5. On voit que ces « minimistes » , qui cherchent à diminuer dans la sainte Écriture le nombre des vérités révélées, ne peuvent s’autoriser de l’autorité de saint Thomas ou de la thèse thomiste pour retrancher du contenu de la révé lation les vérités philosophiques, ou démontrables par la philosophie. Les théologiens qui nient la possibilité d’un acte de foi sur ces vérités ne la nient pas absolument et du côté de ces vérités, comme si elles n’appartenaient pas à la révélation, mais du côté du sujet et dans l’hypothèse de la science acquise, hypothèse plutôt rare, puisqu’elle ne se réalise pas pour la multitude « les fidèles. On voit aussi pourquoi la controverse est exprimée par beaucoup d’auteurs sous cit le forme : « Le philosophe chrétien peut-il faire un acte de foi sur les vérités révélées dont il possède la démonstration ? » Et il s’agit ordinairement des vérités de la théodicéc. Qusestio, dit le cardinal Billot, restringitur ad ea sola quæ in rébus divinis humons : rationi per se non impervia, etc. De virtutibus infusis, 2e édit., thes. xi, p. 211.

(/) La question étant ainsi restreinte, nous pouvons ne nous occuper que de la science, en négligeant la vision proprement dite, ou connaissance immédiate ; d’autant plus que la simultanéité de la foi et de la vision n’est pas un cas pratique pour nous : les objets que Dieu a révélés ne sont pas des choses que nous connaissions immédiatement, ou que nous voyions de nos yeux. Une autre raison de ne pas faire porter la controverse sur la vision proprement dite, c’est que les plus célèbres défenseurs de la simultanéité de la foi avec la science concèdent de leur plein gré qu’il ne peut y avoir simultanéité de la foi, soit humaine, soit divine, avec la vraie vision. Ainsi Lugo, invoquant l’expérience. Dispul., De fide, disp. II, n. 67, Paris, 1891, t. i, p. 201. Et il cite, pour une semblable concession, Suarez, Vasquez, Coninck et autres. On peut donc regarder comme incontesté qu’il y a une sorte d’impossibilité à croire ce que l’on voit de ses yeux, ou en général avec une évidence immédiate et parfaite ; à admettre à couse d’un témoignage que le soleil brille, quand on le voit. Nous éprouvons alors une impossibilité au moins morale d’appuyer notre conviction sur ce témoignage surajouté à l’expérience personnelle ; et quand même à force de volonté notre intelligence pourrait viser les deux motifs à la fois, expérience et témoignage (comme « le veut Arriaga), l’amalgame est au moins contre l’inclination de la nature, et cette inclination bien constatée sutlit à établir une sorte d’incompatibilité entre les deux espèces de connaissance. « Qui donc, voyant quelque chose de ses yeux, dit Antoine Pérez, a jamais cru sur la parole d’autrui qu’il le voit ? ou bien sur la parole d’autrui que le tout est plus grand que la partie ? On rirait de celui qui en telle matière exigerait qu’on s’appuyât sur son témoignage. » In II im et IIP 1 " parlent D. Thomas tractatus sex, De virt. theol., disp. III, c. viii, n. 6, Lyon, 1669, p. 245. Il note ensuite que ce phénomène n’a pas été toujours bien expliqué ; et voici l’explication qu’il en donne : « Quand un mode de connaissance est essentiellement destiné à n’être que le supplément d’un autre qui manque (une sorte de pis-aller), ils ne peuvent sans contradiction coexister dans le même intellect. » Il donne l’exemple des lunettes qui remédient à un défaut de l’œil : elles gêneront de lions yeux et les empêcheront de voir. Loc. cit., n. 7. « Le témoignage est un gage, une garantie pour rassurer contre le péril d’erreur (faute de vision) : il serait ridicule de vous garantir ce que vous voyez de vos yeux, de vous assurer par un gage que 2 et 3 feront toujours 5. » Loc. cit., n. 9. Par là on prouverait aussi que la vertu infuse de foi, modeste suppléance de la vision céleste, doit disparaître quand celle-ci régnera sans tin. Lu boiteux miraculeusement guéri ne continue pas de marcher avec ses béquilles, quelque service qu’elles lui aient rendu.

c) Si la foi, d’après une opinion, supporte la présence de la science sur le même objet, personne n’admet

qu’elle l’exige. Elle gagne plutôt en perfection à son absence ; et le fidèle doit être dans la volonté de croire indépendamment de toute démonstration surajoutée. Les Pères demandent au fidèle à l'égard de Dieu la disposition des disciples de Pythagore à l'égard de leur maître : être prêt à croire sur parole, sans exiger de démonstration philosophique, sans explication du pourquoi et du comment. Voir col. 110, 112. 114. 115. Si le fidèle, par la résolution de préférence et le super omnia, sait rejeter les plus séduisantes apparences d’une science contraire, il sait à plus forte raison se passer du concours de la science et n’en pas faire dépendre sa foi. Voir col. 329-331. D’ailleurs, ces démonstrations scientifiques des vérités révélées qui en sont susceptibles varient avec chacune d’elles, et sont longues à acquérir : les exiger avant de croire serait donc retarder beaucoup et sans raison l’acte de foi salutaire et agréable à Dieu, déjà suffisamment raisonnable grâce à la preuve extrinsèque. Voir col. 110,

/) La controverse qui nous reste à exposer peut se décomposer en trois. - l Te question. La foi habituelle, Vliabitus fidei. est-elle compatible dans le même sujet avec la scienc » du même objet ? — Cette question peut s’expédier tout de suite par une réponse affirmative, quoi qu’aient pu dire quelques outranciers. Les deux habitua ne peuvent se faire tort l’un à l’autre. « Ils peuvent, dit (irandiii, coexister dans la même intelligence. On objecte : Les ténèbres excluent totalement la lumière. Cela est vrai, parce que les ténèbres sont une pure privation, et parce que la lumière ou les ténèbres occupent tout l’espace. Mais la foi n’est pas une pure privation île science, ni la science une privation de foi : elles sont toutes les deux quelque chose de positif ; et la science n’occupe pas l’esprit tout entier, elle x laisse place à d’autres habilus > el de même la foi. Opéra, Paris, 1 71 o. t. m. p. i.">. Que la vertu de foi bannisse de l’esprit toute science, c’est une absurdité démentie par l’expérience du savant qui se convertit a la foi ; dément le aussi par les principes de saint Thomas, que le surnaturel. la grâce ne détruit pas la nature, mais la présuppose et la perfectionne. La science, de son côté, ne peut détruire la foi : nous saxons.pie les vei lus infuses ne peuvent être détruites naturelles autres que le péché, et la vertu de toi par le seul péché d’infidélité ou d’hérésie. Von col, 313, "1 I Si la vision céleste détruit l’habitus fldei, c’est qu’elle le remplace supérieurement et pour toute l'étendue de son objet, et ainsi le rend inutile : que ne fail.incline science ici-bas. pas même la

in relie de Dieu, soii parce qu'étant naturelle

elle « si d’ordre inférieur, soit parce qu’elle ne peul

udie.> tout l’objet de la foi. comme le remarquent

Salmanticenscs, ni atteindre l’objet principal

divins), mais tout au plus quelques

objets matériels et secondaires de la loi. comme

de Dieu, auteur et fin de la nature : il n’arrivera donc jamais que, par la seule science nain nlle. quel que puisse être son développement et son lue. Vluibitus fidei soil exclu. Cursus theol.,

79, I. xi. De fi’lr. disp. III. n. 12. p. 21 I.

a. La science habituelle d’un objet empêchi i elle loui acte de to i sur le même objet ? En d’autres

eiiir précis que j'.ii, || |.| ( IcIIIOII si 1.1 1 i(>l I

de i et objet, ou du moins de l’avoir démontré, ou l.i po iioliie de reconstituer cette démonstration, m’einpêche-l elle de lecroin ' Il faut rappeler ici que

non. p. nions. ni. m. ni de la science, et non de la

Ion propn mrnl dite : s’il s’agissait di celli

ible incontestable que même a l'étal habituel elle

empi appuyer sur le témoignage, suivant la

remarqui de Saint Thomas : Qui scmri vidit

am, non /i< i ampliu credert Romain tue, Itcei

aclu non vident illam ; quia memoria sufjicienter convincit et quietat intelleclum. Cursus theol., q. i, disp. II, a. 1. n. 19, Paris, 1886, t. vii, p. 31. On peut appliquer ici ce que nous avons dit de la vision actuelle. Voir col. 452. Mais si l’on restreint la question à la science, c’est une partie de la controverse que nous verrons tout à l’heure. — 3 question. Les deux actes, de foi et de science, peuvent-ils se faire en même temps sur le même objet ? — ( Test ainsi que la controverse est le plus souvent présentée : mais alors il faut en limiter le terrain comme nous allons le faire.

g) Le débat étant ainsi posé sur la simultanéité des actes, on évitera utilement certaines questions secondaires, subtiles, appartenant à la psychologie, qui sont venues souvent embrouiller une controverse déjà bien assez touffue, comme celles-ci : Peut-il y avoir simultanéité absolue, et pour ainsi dire dans un seul instant mathématique, entre les deux actes ? Peuvent-ils même s’identifier en un acte unique et simple, affirmant un seul objet pour les deux motifs réunis de la démonstration scientifique et du témoignage ? Si cet acte pouvait exister, au moins dans l’ordre naturel de la science et de la foi humaine, devrait-il être classé dans la science ou dans la foi ? Peut-on admettre un tel acte lorsqu’il s’ngil de foi divine ? D’ailleurs, sur ces questions moins importantes, on voit des défenseurs de la simultanéité faire des concessions, surtout ne pas admet Ire cet acte unique pour la foi divine ; et même en admettant deux actes distincts, on en voit soutenir une simultanéité non pas mathématique, mais seulement monde, qui consiste dans la succession rapide de l’acte de science et de l’acte de foi sur le même objet. Voir l’esch, Prælecliones, .' ! édit., 1910, 1. vin. n. 403, p. IX.-). 186.

Comme résultat de toutes ces remarques, voici le point capital de la discussion, le seul qui ail pour la foi divine une certaine importance et une application pratique : Un philosophe qui vient de se démontrer une vérité de théodicée. par ailleurs révélée, ou qui en n du moins la science habituelle, pcul-il faire un acte de foi divine sur cette vérité?

2. Les (leur opinions en présence : leurs défenseurs. — L’opinion négative (qui nie la simultanéité) paraît être celle de saint Thomas ; toutefois nous examinerons à part ce que pense le docteur angélique. Elle est suivie par deux grandes écoles : l'école thomiste en général : la plupart (les scolistes avec Scot. Bien d’autres Ihéo

logiens s’y rallient : même parmi ceux de la Compagnie de Jésus, on peut citer Père/., lue. cit. : Kspar/.a. Inc. cil., et de nos jours le cardinal Billot, Inc. cit.

L’opinion affirmative a néanmoins pour elle : (/) de grands docteurs du moyen âge, et même de la meilleure époque. On peut citer : Albert le Grand, In IV Sent.. 1. III. disi. XXIV, a. '.i. Opéra, Paris, 1894, t. xxvin.

p. 168 ; Alexandre de I laies : In philosopha venicnle ud

fidem, idem est scilum ri creditum, (4c. Summa theologica, part. III. q. lxviii, m. vu. a. ?.. Venise, l.">7.'>. fol. 2X9 ; S. Bonaventure : Quando <diquis est simul

sciais et credens, liabitUS fidei tend m en principulum. etc., In l Sent., I. III. dlst, XX IV. a. 2. q. m.

ad I, Opéra, Quaracchi, 1887, t. m. p. 523 ; leB, Pierre

de Tarentaise, 0, P. (Innocent V) : Sctentia vite de divinis (la théodicée) propice admixtam obscuritatem ex improporlionalilate tnlellectus nostri ad objection, ci frequentem obnubilationem phanlasmatum, non excludit (Idem, etc. In I Seul., I. III. dlst, XXIV, q, unica, , i. I. Thomas de Strasbourg représentera les ai Uns dont il était général. In IV Sent., Venise, 1564, In prolog. Magittrt, q, m. a. 2. fol. 12, i opinion opposée reconnaît elle-même que bon nombre d’anciens il principaux docteurs sont contre elle ; sens

COIICéde Alexandre de Ihdes. Il icrt le Grand, s. uni

Bonaventure, Durand, Gabriel o beaucoup d’autres.

dit-il, Prseleciiones, Venise, 1742, t. iii, p. 165 ; les Salmanticenses ajoutent les noms de Guillaume d’Auxerrc. Henri de Gand, Jean Bacon. Cursus theol., Paris, 1879, t. xi, disp. 111, n. 51, p. 215.

b) Après le concile de Trente, l’opinion affirmative est reprise par presque tous les théologiens de l’ordre des jésuites. Avec eux, bien d’autres, par exemple, les docteurs de Louvain, commentateurs de saint Thomas, comme Makler, De virtutibus theologicis, Anvers, 1616, q. i, a. 5, dub. i, p. 13 ; Wiggers, De virtutibus theol.. 4e édit., Louvain, 1689, q. i, a. 5, n. 102, p. 18 ; les docteurs de Sorbonne, comme Grandin, loc. cil. ; Gamache, Summa theol., Paris, 1627, De virtut. theol., c. i, p. 465, p. 7. Même parmi les théologiens d’ailleurs thomistes, on peut citer Estius : Contingit et ea qiue apparent, si lestimonium habent divinum, a nobis eredi, etc., In D. Pauli Epislolas, Paris, 1892, t. iii, In Heb., xi, 1, p. 266 ; et une partie de l'école bénédictine, voir Wenzl, Conlroversise seleclæ ex universa theologia, Ratisbonne, 1724, t. iii, p. 344, 345, où il cite entre autres grands noms de bénédictins le célèbre thomiste Reding, prince-abbé d’Einsiedeln, et le cardinal d’Aguirre, Theologia S. Anselrni, Rome, 1688, t. i, p. 159 sq.

Parmi les scotistes, on trouve pour l’opinion affirmative non seulement jadis la branche nominaliste, représentée par Gabriel Biel, In IV Sent., 1. III, dist. XXIV, Brescia, 1574, p. 237, 238 ; mais plusieurs depuis le concile de Trente, comme Herinckx dans la Somme à l’usage de son ordre : Admilto simpliciter posse talem philosophum simul scirc et credere exislentiam Dei, sed scienliaa posteriori ci ex creaturis desumpta… Nam hase scientia non générât perfeclam evidentiam de objecto, cujus propria naturel per proprias species non cognoseitur. Summa, part. III, disp. III, n. 38, Anvers, 1663, p. 41. Et il explique Scot comme excluant seulement une espèce d'évidence plus parfaite. De même Sporer, Theologia moralis, Côme, 1742, t. i, tr. II, c. i, sect. i, n. 6, p. 99.

Nous donnerons les preuves principales, soit théologiques, soit rationnelles, de chaque opinion, avec les réponses qu’y fait la partie adverse.

3. L’opinion négative, ses preuves théologiques. — Nous résumons les preuves généralement données, telles que nous les trouvons chez le cardinal Billot, De virtutibus infusis, 2e édit., thés, xi, p. 243-245. — a) Fides… est argumentum non apparentium. Heb., xr, 1. L’obscurité exigée ici est celle de l’objet matériel, qu’il a antérieurement à la foi : or une telle obscurité ne peut lui provenir que de ce qu’il n’est pas objet de vision ou de science. — b) La cessation de la foi au ciel prouve une incompatibilité entre la foi et la vision. — c) Les Pères : Aliud vidil, aliud credidil. Fides est credere quod non vides. Voir les références plus haut, col. 451. Or la science se ramène à la vision : elle ne peut donc atteindre le même objet que la foi.

Réponse. — Omettant une réponse moins bonne donnée par plusieurs adversaires, disons avec d’autres : a) Il est vrai que non apparentium indique un objet matériel, et dont l’obscurité soit antérieure à la foi. Mais il ne s’agit que de l’objet matériel principal, les mystères. C’est ainsi que saint Grégoire limite le texte, en traduisant : qme apparerc non possunt ; ce mot n’est vrai que des mystères, qui ne peuvent ni se voir ni se démontrer. C’est aussi l’interprétation de saint Thomas. Voir les textes, col. 380. A première vue, fides pourrait paraître signifier tout acte de foi ; mais, comme le remarque l’archevêque Mac Evilly dans son commentaire, saint Paul a déjà exclu ce sens en disant : fides est sperandarum substantiel rerum ; ce qui ne serait pas vrai de loul acte de foi, puisque beaucoup d’actes de foi ne s’occupent pas des choses que nous espérons, et ne servent pas de soutien à l’espé rance. Exposition of the Epistles oj SI. Paul, Dublin, 1891, t. il, p. 239. Il ne s’agit donc pas de tout acte de foi même l’ait sur un objet secondaire, mais de la loi en général, de la vertu de foi, laquelle peut se définir par son objet principal, les mystères divins, non apparentia, et tout spécialement par la béatitude surnaturelle, res sperandte : car L’objet d’attribution caractérise une vertu, une science, et la spécifie. Voir col. 379-382. La question de l’objet secondaire, qui est notre controverse actuelle, n’est donc pas touchée par ce texte, et demeure intacte, suivant la réflexion de saint Bonaventure : Quod enim dicitur fides esse de non apparentibus et non visis…, ex hoc non excluditur quin, quasi per accidens et per coneomitantiam, possit dici quod fides sil de aliquibus quee apparent. In IV Sent., 1. III, dist. XXIV. a. 2, q. i, ad 2 1 "", dans Opéra, Quaracchi, t. iii, p. 519. C’est également la pensée du célèbre commentateur Estius, loc. cil. — b) La cessation de la foi au ciel ne prouve pas autre chose qu’une incompatibilité entre la foi et la vision intuitive de Dieu, par laquelle l’objet principal de la foi est rendu visible. Saint Thomas est formel : Illa sola manifeslalio excludit fidei ralionem, per quam redditur apparens vel visum id de quo principaliter est fides. Principale autem objectum fidei est verilas prima, cujus visio bealos facit, et fidei succedil. Sum. theol., II" II » , q. v, a. 1. — c) Les Pères, dans les textes objectés, visent toujours l’objet principal, comme ne pouvant être vu ici-bas. Aliud vidil, aliud credidil : il s’agit d’expliquer comment l’apôtre Thomas, tout en voyant l’humanité du Christ, n’a pas vu l’objet principal, qui doit rester invisible ici-bas, c’est-à-dire la divinité, et le mystère de l’incarnation. L’expression familière à saint Augustin, credere quod non vides, se restreint dans sa pensée à l’objet principal de la foi, comme nous le voyons par cette phrase : Est autem fides credere quod nondum vides : cujus fidei merces est videre quod credis. Serm., xliii, n. 1, P. L., t. xxxviii, col. 254. La récompense de la foi sera de voir dans ses profondeurs ce Dieu que maintenant nous croyons dans le mystère : il s’agit donc précisément de l’objet principal, et rien ne nous force d'étendre la formule de saint Augustin à l’objet secondaire.

Preuves rationnelles. — a) « Quand l’intelligence, dit le cardinal Billot, a été amenée à son terme propre, la vision d’un objet intelligible où elle trouve son parfait repos, elle ne peut avoir sur le même objet un acte comme celui de la foi, où elle ne peut trouver son repos : de même que dans le mouvement matériel il serait contradictoire, étant parvenu au terme, d'être encore en dehors de lui et en mouvement vers lui. Et le sens commun semble admettre que nous ne pouvons adhérer aux premiers principes à cause d’un témoignage extrinsèque. Or ce que nous venons de dire des premiers principes doit s’appliquer aussi aux conclusions scientifiques qui s’y ramènent avec une entière évidence. » Loc. cil. — b) D’autres mettent en avant l’obscurité de la foi, ou la liberté de la foi.

Réponse. — a) Oui, il y a une sorte d’impossibilité à s’appuyer sur un témoignage, quand on a la vision, qui donne à l’esprit son parfait repos. Voir col. 149 sq. Mais ce que l’on nie, c’est que cette observation, très juste pour la vision, puisse s’appliquer à la science, ou du moins à tout assentiment de toute science. Ainsi, la conclusion scientifique d’un long ou d’un subtil raisonnement ne donne pas toujours à l’esprit un parfait repos, et peut très bien se fortifier d’un témoignage, de celui des savants, par exemple. Et dans le cas même où la science actuelle suffirait à rendre le témoignage hors de saison, la même science à l'état habituel souvent n’y suffirait pas, comme le remarque, entre autres bonnes réflexions, le docteur de Sorbonne Louis Habert, Theologia dogmutica et moralis ad usutn

seminariorum, Venise, 1789, t. iii, De fi.de, c. i, S 2, p. 428. Quelle est d’ailleurs la science dont il est pratiquement question dans cette controverse ? C’est la théodicée. Or les vérités de cette science, si solidement prouvées qu’elles soient, peuvent à l’occasion, per accidens, laisser place à un doute imprudent, et avoir besoin de Vimperium voluntatis, d’après l’expérience, et d’après le cardinal Billot lui-même. Op. cil.. p. 205 (l TO édit..)). 202). Même dans le cas normal (per se) où les démonstrations do la théodicée s’imposent à l’esprit sans le concours de la volonté libre, l’intelligence, îjien que forcée d’admettre ces énoncés en vertu de l'évidence d’un principe abstrait, cl. en allant de l’effet à la cause, ce qui appartient à la science. l’intelligence, dis-je, n’a pourtant pas son parfait repos, parce que ces effets n’ont qu’une trop lointaine ressemblance avec la cause in finie, parce que Dieu n’est connu qu'à travers des concepts analogues et extrêmement imparfaits. C'était déjà la remarque de Pierre de Tarentaise, contemporain de saint Thomas. Voir col. 454. De ce que la science naturelle de Dieu, a l’instar des autres sciences, peut.se ruminer tant bien que mal à la vision, il ne faut pas en conclure qu’elle lui équivaut, qu’aussi bien que la vision proprement dite, elle donne à l’intelligence pleine satisfaction et parfait repos. Ainsi il n’y a pas uneclarté telle dans les démonstrations de théodicée, qu’elles empêchent toujours de s’adresser au témoignage pour en recevoir une nouvelle confirmation des mêmes vérités. El île fait n’a-t-on pas coutume de recourir aussi $ une preuve de l’existence de Dieu par le consentement du genre humain, par la croyance de tous les peuples, ou par les grands génies et les grands savants qui ont admis son existence, ce qui n’est pas autre chose qu’une preuve extrinsèque par témoignage ? A plus forte raison, nous pourrons demander la connaissance des attributs divins au témoignage même de Dieu qui se connaît lui-même mieux que personne, pour en recevoir cette certitude spéciale et supérieure même à celle de la science, que peut donner la foi divine. Voilent. 390 sq. Saint Thomas a montré que la raison humaine a une faiblesse bien plus grande dans l'étude des choses divines, el il en conclut : (7/ ergo essel indubilntit et eerta cognitio apud humilies de lieu, oportuii quod divina eis per modum fidei traderetitur, quasi u Deo dicta qui mentiri non pot est. Sum. theol., [I « II » , q. u. a. 1. Rappelons-nOUS encore celle autre belle remarque qu’il fait : Si ille, a quo auditur, multum dit visum videnlis (c’est le cas pour Dieu relative ment à l’homme), sic cerlior est audilus quam visus. Ibid., q. iv. a. 8, ad 2'"". Voir col. 332. Cf. Scheeben, La dogmatique, trad. franc., Paris, 1.X77. 1. 1, §41, p. 168. In L’obscurité requise par la vertu de foi n’est pas

virement la même dans tous ses actes. Les actes principaux. cv qui allinnent l’objet matériel principal (les mystères divins), réalisent davantage l’obscurité de la foi : ils excluent toute science concomitante, el la théodicée n’atteinl pas leur objet. Les

secondaires qui affirment les vérités sur Dieu

-ibles à la raison humaine, réalisant moins

i obscurité de la foi, n’ont pas besoin d’exclure la pré de la science, du moins d’une science imparfaite

il demi-obscure comme la théodicée. m si l’on peut concilier la liberté de la foi avec Veoidentia aile

similis ou évidence de l’objcl formel, on peut l ; i coin i avec l'évidence de l’objet matériel : car la

première amené aussi irrésistiblement que la leconde : i

admettre cel objet, el omble, par là devoir détruire

tout autanl la liberté de la foi. Voir Schiffini, l>c virtu

1904, Ihes. xii. p. 126, Or la grande

ordes théoloi ions, la majorité même de l'écoli

admel avec la foi une concomitance de

Veoidentia ulteiiantis, h pai divers systèmes expliqua

comment la liberté de la foi peut alors se maintenir. Voir col. 401 sq. Parmi ces systèmes, il en est qui concilieraient tout aussi bien la liberté de la foi avec l'évidence intrinsèque de l’objet matériel ; on n’a qu'à choisir.

4. L’opinion affirmative, sa preuve scripturaire. — « Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu : car il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu’il existe, et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent. » Ileb.. xt, 6, S’approcher de Dieu, c’est se disposer à la justification, à la réconciliation avec Dieu : le concile de Trente s’appuie sur ce texte pour affirmer que l’acte de foi est la première disposition à la justification. Soss. VI, c. vi, Denzingcr, n. 798. Cet acte de foi doit porter sur l’existence même de Dieu, d’après l’apôtre, credere quia est. Or, parmi ceux qui se disposent à la justification, il s’en trouve qui connaissent parfaitement les preuves de l’existence de Dieu, qui en ont la science : l’apôtre veut que ceux-là. comme tout le monde, en aient la foi. La coexistence de la science et de la foi sur le même énoncé n’est donc pas impossible.

Réponse. — Elle est d’une variété étonnante. —

a) Cajétan dit que saint Paul, en proclamant comme nécessaire la foi proprement dite à l’existence de Dieu, vise seulement la grande multitude qui n’a pas la science de cette vérité, et non pas les rares philosophes qui en ont la science « ce qui vaut beaucoup mieux que la foi. » La foi n’est donc nécessaire qu’en règle générale, in commuai, avec des exceptions. Episiolæ Pauli… enarratse, Paris, 1542, Ileb., xr, fol. 401. Mais un autre thomiste non moins célèbre. Melchior Cano. dit que Cajétan s’est tout à fait écarté du sens de l’apôtre ; et après avoir blâmé celle idée, qu’il est beaucoup mieux de savoir que de croire, ce que l’on peut admettre de la foi humaine, mais non de la foi divine dont il s’agit ici, il attaque cette interprétation, que l’apôtre a parlé in commuai et ut plurimum : elle rendrait vain tout son raisonnement en cet endroit. Delocis theologicis, 1. XII, c. iii, dans Migne, Théologies cursus, t. i. col. 566, 507. Ajoutons que la masse des théologiens voit dans cet oporlel credere quia est, dans ce sine fi.de impossibile est placere Deo. une absolue nécessité de moyen ; or une telle nécessité n’admet ni exception ni excuse. l’A les Pères, on expliquant ce texte ou les symboles de foi, n’ont jamais fait de différence entre savants et ignorants, ni dispensé les premiers de croire quelqu’un dos dogmes éiiuinérés. —

b) Cano cherche donc une autre solution : « Pour pouvoir plaire à Dieu, dit-il. ce n’est pas assez de le connaître Comme principe et auteur de la nature, niais il faut l’atteindre comme fin surnaturelle… Savoir ce qu’enseigne la raison naturelle ne siiitii pas n cette surnaturelle approche de Dieu (qu’est la justification). » l.uc. Cit., Col. 568. La réponse est juste en partie : l’apôtre parle ici de Dieu coin nie fin su rua lu relie, soit ! Mais cela est déjà dit dans le mol rcmiinerulor : on ne doit donc pas le mettre encore sous le mot est, qui signifie une autre vérité. Drus est ne dit pas autre chose que l’existence de Dieu : il signifie ce que Dieu est absolument et nécessairement en lui-même, et non pas ce qu’il devient librement par rapport a nous, comme dit le grec ffvtrai (en latin /il. Véritable leçon à la place de s/7, d’après la conjecture d’Estius : remuni loi or /il). Que Dieu SOii notre fin surnaturelle i, cela

ne lui appartient pas nécessairement et absolument,

c’est un décret libre et gratuit de Dieu à notre égard ;

Cela entre donc non pas dans t : i, niais dans y./STïi. On voit bien poiiKpioi Cano a voulu I ransfoi nier Dcus est en DeUS csl /mis supiriiiiliiridis : c’est afin d’avoir

un dogme que la science naturelle ne puisse atteindre. Mais on mvoit pas que cette transformation soit jui tirer i) Une exégèse analogue, >t qui a le même

but, voil dans le Deus est non pas la fin surnaturelle, mais les moyens surnaturels pour y arriver : dans la première incise, Dieu serait présenté comme auteur de la grâce, dans la seconde, comme auteur de la gloire. Ainsi Billuart, Summa, etc., Paris, 1827, t. ix, De fidr, diss. III, a. 1, p. 57 ; Gotti, Theol. dogmatica, Venise. 1750, t. ii, q. i, dul). viii, n. 13, p. 424, 125 ; Billot, De virtutibus infusis, thés, xi, § 3, p. 243. Mêmes remarques : « Dieu existe » ne veut pas dire : « Dieu est l’auteur de la grâce. » "Ectti, par opposition à yivsTat, ne signifie que l'être nécessaire et éternel de Dieu, et non ses dispensations temporelles et contingentes pour nous faire arriver au salut ; saint Thomas luimême en fait l’observation. Sum. theol., II" II » , q. i, a. 7. — d) Une autre solution qui tend aussi à transformer Deus est en un dogme que la science ne puisse atteindre, c’est de dire qu’il signifie : Deus est unus ri Irinus. C’est la solution donnée par saint Thomas dans son commentaire sur ce verset. In Episl. ad Heb., lect. ii, dans Opéra, Paris, 1876, t. xxi, p. 692. Mais le saint docteur ne maintient pas cette exégèse dans ses autres ouvrages, sans doute parce qu’elle est trop arbitraire. Cet énoncé : « Dieu existe » n’exprime pas le mystère de la trinité. Et tous les théologiens, depuis des siècles, traitant des vérités qui sont de nécessité de moyen, établissent avant tout les deux vérités exigées par ce verset de FÉpître aux Hébreux, et en distinguent tout à fait les mystères de la trinité et de l’incarnation, dont le genre de nécessité est l’objet d’une controverse entre eux. — e) Ailleurs, saint Thomas indique une autre solution : « L’unité de Dieu, dit-il, telle qu’on la démontre (en théodicée), n’est pas appelée article de foi, mais vérité présupposée aux articles : car la connaissance de foi présuppose la connaissance naturelle, comme la grâce présuppose la nature. Mais l’unité de l’essence divine telle qu’elle est posée par les fidèles, c’est-à-dire avec la toute-puissance, et la providence de toutes choses, et autres attributs semblables qui ne peuvent être prouvés, constitue un article. » Qusesl. disp., De verilate, q. xiv, a. 0, ad8 llm.Que, pour constituer le premier article du symbole, on doive prendre l’unité de Dieu avec sa toute-puissance, en joignant unum Deum à omnipotentem, soit : mais malgré ce groupement plus ou moins artificiel, il n’en restera pas moins vrai que je crois cette vérité distincte, l’existence d’un Dieu unique, en même temps que j’ai la science concomitante de cette même vérité, ce qui sufiit à prouver la thèse de la simultanéité. Quant à l’autre assertion du saint docteur, que la raison ne peut pas prouver la toutepuissance de Dieu ni sa providence, on en voit bien le but : c’est de constituer un article que la science ne puisse atteindre. Mais l’assertion elle-même paraît bien extraordinaire. Il est donc permis de ne pas suivre saint Thomas dans ces réponses auxquelles l’a forcé de recourir la position qu’il avait prise ; et un fait bien significatif, c’est que bien des thomistes vont chercher des solutions différentes de celles du maître, comme nous l’avons déjà vu. — /) Une de ces solutions, indiquée par les Salmanticenses comme efficace (facillime dilu.il…) bien qu’ils en préfèrent une autre, consiste à empêcher momentanément l’acte de science dans le philosophe qui va faire un acte de foi : « On ne peut pas prouver que notre philosophe (au moment où il va croire pour se disposer à la justification) doive posséder la science actuelle de (l’existence de Dieu) : il peut ne pas faire attention aux preuves de cette vérité, mais seulement à l’autorité de Dieu, et s’y appuyer pour croire. » Cursus llieologicus, 1879, t. xi, disp. III. n. 51, p. 215. Mais d’abord cette solution laisse subsister avec l’acte de foi la science habituelle, dont il s’agit aussi dans cette controverse, et c’est pourquoi les Salmanticenses préfèrent une autre réponse.

Ensuite, un philosophe peut-il toujours faire abstraction des preuves de l’existence de Dieu, qu’il peut avoir eues devant les yeux à l’instant même, puisque l’existence de Dieu naturellement prouvée est un préambule de la foi ? Et l’autorité de Dieu elle-même est une vérité naturelle dont il peut avoir la démonstration présente. Et quand il pourrait, pour l’instant, appuyer ces vérités naturelles sur autre chose que sur leurs preuves qu’il vient de voir, celles-ci n’en auraient pas moins avec l’acte de foi une simultanéité monde qui nous sullit. Voir les notions préliminaires, col. '154. Enfin reviennent ici d’autres inconvénients que nous avons signalés à propos du 5e système sur la liberté de la foi. Voir col. 427 sq. — g) Une solution bien plus hardie, c’est de remplacer au contraire la foi par la science en détournant le mot credere, Heb., xi, (i. de son sens propre et traditionnel. C’est la première des réponses proposées par Serry : « Le mot credere, employé ici par l’apôtre, est équivoque ; il peut signifier ici : rem cerlo tenere, affirmer une chose avec certitude, de quelque manière qu’on l’affirme, par la foi ou par la science. » Prselectiones, Venise, 1742, t. iii, De fide, disp. I, prselect. vi, p. 167. Réponse dangereuse : elle donne l’exemple d’interpréter l'Écriture en s'écartant du sens propre, sans y être forcé autrement que par un système seulement probable. Et l’on peut d’autant moins supposer ici un sens impropre de credere que fout le contexte du chapitre traite ex professo de la foi proprement dite, de sa définition, de sa nécessité, de son influence sur les autres vertus et en particulier l’espérance, voir col. 85-88 ; que le concile du Vatican, en établissant la définition de la foi proprement dite et théologale, cite ce chapitre, sess. m, c. iii, Denzinger, n. 1789 ; qu’enfin c’est précisément ce verset (> qui sert de base à tous les théologiens et au concile de Trente, sess. vi, c. viii, Denzinger, n.801, pour établir l’absolue nécessité de l’acte de foi proprement dite. L’interprétation de Serry amènerait à nier cette nécessité pour les privilégiés de la science. Une fois cette exception admise et cette porte ouverte, on aura tout autant de raison d’admettre d’autres exceptions, par exemple, en faveur des infidèles de bonne foi qui n’ont ni révélation ni foi divine parce que la révélation ne leur a jamais été prêchée ni suffisamment proposée. Au nom de la doctrine thomiste qui proclame l’impossibilité de croire ce qui est philosophiquement démontré, et qui range l’existence de Dieu et la rémunération future, telles que la raison les démontre, non point parmi les objets à croire, mais parmi les simples préambules de la foi, le D r Gutberlet, interprétant comme Serry le mot credere, Heb., xi, 6, a pensé que, chez ces infidèles, il pouvait signifier ce qu’on appelle fldes laie dicta ; il leur suffirait donc de connaître l’existence de Dieu par le spectacle de l’univers créé (et la vie future par notre tendance naturelle au bonheur et à l’immortalité, ou toute autre preuve de ce genre) pour pouvoir arriver à la justification. Voir la continuation de la Dogmalische Théologie du D r Heinrich, Mayence, 1897, t. viii, § 453. p. 496. Pour mettre une différence entre sa doctrine et la proposition 23 condamnée par Innocent XI : Fides laie dicta ex testimonio creaturarum similive motivo ad justi/icationem sufficil, Denzinger. n. 1173, Gutberlet exige que cette foi improprement dite, dans l’infidèle en question, procède d’une grâce surnaturelle qui l’aide ; et il y ajoute le désir surnaturel de la révélation et de la foi proprement dite, votum fidei, fides in volo. qu’il appelle assez fâcheusement « foi implicite. ce mot ayant déjà dans la théologie catholique un sens déterminé et un peu différent. Voir col. 343 sq. Tout cela, d’après lui. serait compris sous le mot credere de l’apôtre. Mais pour ce qui est du votum fidei, c’est une simple volonté de croire, un pius affectus, et il

est impossible de le voir dans le rrcderc quia est, parce que credere signifie un acte de l’intelligence et surtout quand il a pour complément une proposition, comme dans le cas présent. Voir col. GO. Il est vrai que la foi suppose un acte de volonté : mais si credere signifie la fides laie dicta, ou cet acte préalable de volonté n’a pas lieu, ou en tout cas ce n’est pas le vœu de la foi proprement dite. Cette exégèse de Heb., xi, ti. est donc. insoutenable. On voit par là comment certains thomistes, en voulant soutenir leur opinion très discutable, en sont venus à compromettre la thèse commune de la nécessité de la foi..Mais nous ne prétendons pas rendre l'école thomiste solidaire de ces errements de quelques-uns. Elle admet généralement et avec raison que, par le mot remuncrator, l’apôtre entend une rémunération surnaturelle, qui dépasse par conséquent la portée de la fidex laie dicta. Elle prend généralement le mot credere au sens propre. Elle prouve l’absolue nécessité de la foi proprement dite par des textes bien clairs de saint Thomas. Voir la réfutation du D r Gutberlet par le P. Raymond Martin, O.P., De necessilate credendi et credendorum, Louvain, 1906.

Aptes avoir parcouru toutes ces solutions et ces exégèses de Heb., xi, (>. il semble qu’il reste encore à trouver une réponse satisfaisante à la preuve scripluraire de l’opinion affirmative. Mais en passant, répondons a une objection. I.'existence de Dieu, dira-t-on peut-être, du vrai Dieu distinct de tous les êtres contingents et des fausses divinités, est un préambule nécessaire de la foi, une vérité qu’il faut, avant la foi divine, connaître par la raison (ou au moins par la foi humaine) sous peine de tomber dans le tidéisme. Voir col. I711. 184, 190. Cela étant, que sert à un philosophe, qui en a la science, de croire cette même vérité parce que Dieu l’a révélé '.' D’abord, il est. singulier que Dieu l’ail révélée ; dans les témoignages humains, jamais un témoin ne nous dit : Croyez-moi sur parole, j’existe. > dmettons que Dieu ail. lévélé son existence dans l'Écriture : Ego sum ; il semble que ce soil tourner dans un cercle et n’avancer à rien, que de vouloir nous appuyer sur son témoignage pour admettre son existence, déjà connue de nous, et nécessa ireinent connue pour pouvoir admettre son témoignage, car qui n’existe pas ne peut témoigner. Réponse. I n

témoin que nous voyons ne nous dit pas : « Croyez-moi, j’existe parce que la vision proprement dite rend

la voie du témoignage inutile et moralement impossible. Voir col. 152. Mais nous ne voj ons pas Dieu : il a donc pu nOUS révèle] son existence. Il est vrai qu’avant li foi nous devons déjà la connaître par une autre voie que celle de son témoignage. Mais il n’est pas inutile

d’ajouter ce nouveau moyen de la connaître, le témoignage divin : car grâce a ce témoignage nous pouvons mais tenir l’existence de Dieu non pas seiileinenl avec une Certitude ordinaire et humaine, mais avec

la certitude supérieure de la loi surnaturelle. Voir col. 390 sq. Il fallait d’ai Heurs que la vertu Infusede loi. qui a certainement pour objel la trinité, pûl atteindre

idaircment l’existence d’un Dieu unique, telle

que la raison peut la démontrer. Car celle existence

d’un Dieu unique est contenue comme un élément

dans le mystère même de la trinité : un

teul Dieu < trois personnes ; toul chrétien qui croit

iturellement ce mj itère doit croire surnaturel lemini. au moins pai concomitance, cette existence d’un Dieu unique, qui est par ailleurs un préambule de la foi, (I dont il peut se faire qu’il possède la démons tratlon. Cette existence est contenue aussi dans tous i ribnts divins considérés comme quelque chose de réellement existant, el non pas de purement Idéal ; en

i' ulier. dans le rémunérateur surnaturel que

' Paul eut que nous croyions comme très réel ;

c’est pourquoi il l’a spécialement mentionnée : quia est, et remuncrator…

Preuve nouvelle tirée du concile du Vatican. — « La sainte Église catholique apostolique romaine croit et confesse qu’il y a un seul Dieu vrai et vivant, créateur et seigneur du ciel et de la terre, tout-puissant, éternel, immense, incompréhensible. » etc. Sess. iii, C. i. au début, Den/.inger, n. 17X2. Ecclesia, c’est ici « l’Eglise enseignante » : car peu après on lit : « La même sainte Eglise notre mère (la même dont on parlait au début du c. i cr) tient et enseigne que Dieu, » etc. Ibid., c. ii, Denzingcr, n. 1785. Or le pape et les évèqucs qui composent « l’Eglise enseignante o sont de ceux qui peuvent avoir, qui ont en général la démonstration des attributs divins énumérés dans ce texte, telle qu’elle se fait dans la théodicée, dans ce que le concile appelle plus loin scienlia naturalis de Dca. Can. 2, De ftde, n. 1811. Et toutefois, d’après ce texte, l'Église enseignante croit ces attributs ainsi que l’existence de Dieu, crédit ; elle les croit explicitement, distinctement ; et nous ne pouvons absolument pas supposer un sens impropre à ce mot crédit dans cette attestation solennelle de la foi de l'Église enseignante sur ces divers points. Il y a donc au moins quelques hommes dans l'Église (il suffirait d’un seul) ayant simultanément la foi et la science d’un même énoncé ; cette simultanéité est donc possible. Cet argument a été bien développé et défendu par le D r Didiot, Logique surnaturelle subjective, Paris, 1X91, n. 477 sq., p. 322-327.

Réponse. --- « Les l'éres du concile, dit au D r Didiot le 1'. de Croot, O. P., ne se sont pas proposé de trancher cette controverse sur la coexistence de la foi et de la science. » Summa apologetica de Ecclesia co/holica, 2<- édit., Ratisbonne, 1X92, q. xx, a. 2, p. 743. Assurément, puisque trancher une controverse dogmatique, c’est définir. Mais sans rien définir, le concile peut fournir un argument solide, et à cet argument le I'. de ('.root ne répond point. Vacant a une réponse qu’il convient de noter : « Ce chapitre, dit-il, expose des vérités révélées qui pourraient être formulées par la raison… Mais il n’expose pas ces vérités comme des enseignements de la raison, il les définit au contraire comme des vérités révélées.Or, en les présentant comme des vérités révélées, il leur attribue un rapport avec l’ordre surnaturel. Il est donc bien loin de donner ces vérités sous l’aspect purement naturel qu’elles revêtent lorsqu’on ne les connaît qu'à l’aide des créatures… Les enseignements de ce chapitre ne détruisent donc point la théorie thomiste, i Éluiles Iheol… sur le concile du Vatican, Paris. 1x9 ;., t. i, p. ni, 172. Vacant

semble croire qu’il sullit de présenter comme révélée [el. par suite, exlrinséqucment surnal urellel une vérité démontrée d’ailleurs par la science, pour que l'école

thomiste soil satisfaite, et permette de faire sur cette vérité un acte de foi. Mais non : (die ne saurait le permettre sans renoncer a sa théorie même, a savoir que

la démonstration scientifique d’une vérité révélée est

pOUr celui qui possède celle déinonsl rat ion un obstacle

Infranchissable a la foi di> Ine. (an’est donc pas l'école thomiste, c’est au contraire l'école opposée qui dit ici avec Vacant : Pourvu qu’une vérité soil présentée comme révélée, on peut toujours la croire de foi divine.

Ainsi en Voulant concilier l’opinion thomiste avec le

concile, sans s’en apercevoir, il la jette tout simplement par-dessus hord. Ailleurs Vacant, sans résoudre

davantage la difficulté posée par l’argument de Didiot,

qu’il nomme, défend d’une manière satisfaisante

l’opinion thomiste contre d’autres arguments tlréi 'in concile par Mazzclla. Voir op. cit.. 1. n. p. 201, 2112 ; et dans le même sens. Billot, De virtutibus m/usis. [905, th. 's. xi. p. 245-247. Ces arguments de Mazzella ne sortent donc pas Indemnes de la critique qui en a 1 1' faite ; mais quant a celui de Didiot, d ne lui a pas if)3

FOI

Ï64

été répondu, que je sache. Dans ce 11e vol., Vacant va jusqu'à ajouter : « Le sentiment des thomistes me semble néanmoins avoir reçu quelque atteinte, du silence gardé par notre concile sur l’obscurité que les théologiens de cette école exigent pour l’objet de la foi. Jusqu’ici, le silence de l'Église à cet égard se pouvait expliquer, par cette raison que nulle part elle n’avait encore exposé l’ensemble de son enseignement au sujet de la foi. Mais il n’en est plus de même désormais, » etc. Loc. cil., p. 202. Cet argument négatif peut, en effet, confirmer la preuve positive del’opinion adverse. Si le concile avait partagé cette idée de l'école thomiste, qu’il y a la un point fondamental pour la théorie de la foi, il n’aurait eu garde d’en négliger la discussion ni l’affirmation, qui s’offrait tout naturellement en plusieurs endroits. Or il a gardé là-dessus le plus profond silence, et en fait d’obscurité, s’est contenté d’affirmer celle des mystères, et l’impossibilité d’en avoir la science en même temps que la foi.

Preuve rationnelle. — Elle ne considère plus seulement, comme la preuve scripturaire, le dogme de l’existence de Dieu, et le cas du philosophe païen converti qui, voulant recevoir le baptême, doit d’abord croire ce dogme d’après l’apôtre. Elle considère aussi toutes les autres vérités révélées dont un philosophe chrétien peut avoir la démonstration scientifique, spécialement en théodicée et en morale, et prouve que cette science ne doit pas lui nuire en l’empêchant de croire de foi divine ces mêmes vérités. Sans doute, la science n’est pas nécessaire pour le salut, et comme toutes les bonnes choses, elle peut être une occasion d’abus, d’orgueil, etc., et à ce titre les Pères ont pu vanter la sécurité des fidèles peu instruits. Voir col. 114. Mais il est inadmissible que la science soit de sa nature un agent en antagonisme avec la foi divine et que le fidèle soit détourné de la science par sa religion même. Les Pères grecs, s’ils ont voulu que la foi, à cause de sa nécessité universelle et de la brièveté de la vie, prît les devant, ont cependant pressé ceux qui le peuvent d’y joindre la science, yvôxtiç. Et cette « gnose » n’est pas seulement la théologie dérivée de la foi, mais aussi la philosophie avec ses démonstrations intrinsèques et sa propre méthode. Voir col. 186. Les Pères latins ne sont pas moins pressants. « Ce que tu tiens par la fermeté de la foi, dit saint Augustin, vois-le aussi à la lumière de la raison. Loin de nous la pensée que cette raison déplaise à Dieu, qui l’a donnée pour nous élever au-dessus de l’animal. Loin de nous l’idée de croire pour nous dispenser de raisonner : nous qui ne pourrions croire si nous n’avions des âmes raisonnables. » Epist. ad Consenlium, P. L., t. xxxiii, col. 453. « Une fois affermis dans la foi, dit saint Anselme, ce serait de la négligence, à mon avis, de ne pas chercher à comprendre ce que nous croyons. » Cur Deus homo, 1. I, c. ii, P. L., t. clviii, col. 362. « La foi et la raison, dit le concile du Vatican, se portent un mutuel secours… L'Église ne s’oppose point à la culture des sciences humaines. » Sess. iii, c. iv, Denzinger, n. 1799. Or l’opinion adverse semble décourager le fidèle de la science, de celle du moins qui peut se rencontrer avec la foi sur un même objet, et tout particulièrement de la science naturelle de Dieu. Car enfin le fidèle qui acquerraiLcette science, d’après cette opinion, serait mis par là même en état d’infériorité. Sur ces vérités dont il connaîtrait les démonstrations philosophiques il ne pourrait plus avoir la certitude de foi divine qui est une suprême certitude. Comme le vrai fidèle dans le domaine intellectuel tient naturellement avant tout à la foi et à la certitude de foi. ne peut-on pas dire que cette opinion constitue une prime à l’ignorance ?

Réponse. — Les défenseurs de l’opinion négative ne sont nullement d’accord sur la réponse à faire, et

se réfutent les uns les autres. — a) Pour Cajétan, nous l’avons vii, il est bien mieux de savoir que de croire, longe melius : le philosophe chrétien, en ne pouvant plus croire ces vérités, ne serait donc pas mis en étal d’infériorité. Mais c’est aller à un autre extrême, cl déconsidérer la foi. Aussi Melchior Cano regarde-t-il celle idée comme insoutenable. Voir col. 458. Bien que la science l’emporte en évidence sur la foi, l’acte de foi divine reste supérieur en dignité et en certitude. Voir col. 390 sq. — b) D’autres ont répondu : Le philosophe chrétien ne peut pas faire un acte de foi sur ces vérités, mais il le fait in præparalione animi : la disposition de sa volonté est telle que, si la démonstration lui manquait, il n’en tiendrait pas moins cette vérité par un acte de foi. Il ne perd donc rien. A cela revient la solution du cardinal Billot, que, si la science empêche de faire un acte de foi explicite sur ces vérités, elle n’empêche pas de les croire implicitement sous cette formule : Mon Dieu, je crois tout ce que vous avez révélé. De virtutibus infusis, 1905, thés, xi, p. 249, 250. Car la « foi implicite » à laquelle on a ici recours consiste précisément à croire in præparalione animi d’après saint Thomas. Voir col. 344. — Mais contre un telle solution, Banez dit avec, justesse : « Cette disposition de la volonté, præparalio animi, bien qu’elle suffise à suppléer le mérite de la foi à ces vérités, ne paraît pas sullire à suppléer la certitude actuelle qu’en a le fidèle peu instruit : il resterait donc toujours pour celui-ci une supériorité du côté de la certitude. » In //'"> //', Douai, 1615, q. i, a. 5, ad 2° iii, p. 33. — c) Banez préfère donc une autre réponse, assez obscure dans sa brièveté, où il semble dire que la présence de la vertu infuse de foi dans le philosophe chrétien communique à l’assentiment de science du même individu la certitude surnaturelle et propre de la foi divine, « parce que la grâce perfectionne la nature autant qu’il est possible. » Loc. cit. — Mais Gonet rejette la solution de Banez, parce qu’elle fait sortir l’habitus fldei de sa fonction propre et de son objet spécifique, en le faisant influer sur un acte de science concomitante qui a un objet formel tout autre. Clypeus theologiæ thomisticæ, 6e édit., Lyon, 1681, t. iv, De fide, dis]). I, n. 162, 163, p. 226. — d) Jean de SaintThomas, avec d’autres, reprend d’une manière différente la solution de Banez : il observe qu’une force ou vertu supérieure, sans sortir de son ordre, peut diriger une force inférieure et lui communiquer de sa perfection ; ainsi la volonté libre dirige le mouvement du bras, et le rend volontaire ; ainsi l’ange supérieur fait participer l’ange inférieur à un mode de connaître plus élevé, d’après saint Thomas. Sum. theol, , I a, q. cvi. a. L Ainsi l’habitus fidei. non point directement, mais indirectement par des actes passés qui ont laissé dans la mémoire certains jugements sur le donné révélé et sur la valeur suprême du témoignage divin, peut communiquer quelque chose de sa certitude à l’assentiment de science. Cursus theologicus, Paris, 1886, t. vu. De fide. q. i. disp. II, a. 1, n. 22 sq., p. 32-35. Sans se confondre formellement avec la certitude de foi divine, cette certitude participée peut y être ramenée ; elle est de même espèce reductive. non formaliler. Loc. cit.. n. 26. — Mais, dit Gonet, saint Thomas a remarqué expressément, loc. cit., a. 4, que ces participations demeurent toujours bien inférieures à la vertu dont on participe. « Il reste donc toujours à expliquer comment le philosophe chrétien n’a pas une certitude moindre quc le fidèle ignorant (chez qui la vertu de foi agit directement et formellement) ; et l’argument de la partie adverse garde sa force. » Loc. cit., n. 164. Et les Salmanticenses ajoutent : « La solution imaginée par ces thomistes est insuffisante… Soit que cet assentiment de science ait pour motif secondaire le témoignage de Dieu, ce que nous regardons comme faux.

soit qu’il ne l’ait pas ; soit qu’il participe une modalité surnaturelle, ou non ; en toute hypothèse, c’est un assentiment intrinsèquement naturel, et, comme tel, il ne peut égaler la certilude de l’assentiment de foi, qui est intimement et spécifiquement surnaturel. » Cursus theol., Paris, 1879, t. xi. De fuie, disp. III. n. 54, p. 217. e) Les Salmanticenses cherchent donc une autre réponse. On nous objecte, disent-ils. qu’une conséquence de l’opinion thomiste, c’est que le philosophe chrétien ne pourra pas l’aire un acte de l’oi sur ces vérités, et qu’il sera sur ce point inférieur en certitude au Qdèle ignorant. Pli bien ! oui. nous admettons celle conséquence. Elle n’a pas d’inconvénient… Tout bien considéré, le philosophe chrétien n’est point mis par là dans une condition inférieure, mais plutôt supérieure. Car l’objet matériel principal et propre de la foi ne consiste pas dans ies vérités naturelles, mais dans les mystères surnaturels… Quand il ne peut pas faire un acte de foi sur une vérité naturelle, le philosophe chrétien subit un dommage, c’est vrai, niais sur un point tout extérieur qui n’appartient à la foi que par accident. Et ce dommage est abondamment compensi par trois avantages, a. Pu se retirant de ces objets naturels et en y cédant la place à l'évidence, sa foi se recueille et se ramasse dans son domaine propre, l'être surnaturel ; émondée, pour ainsi dire, et débarrassée de ces branchages extérieurs, elle pousse avec plus de vigueur les fruits qui lui sont propres, b. Si le Qdèle ordinaire étend sa foi à plus d’objets naturels que le philosophe, celui-ci étend la sienne à plus d’objets surnaturels, il connaît plus d’articles, c. I.e philosophe a le même mérite, a.anse de sa volonté de Croire (ces vérités naturelles), s’il n’en avait pas l'évidence, f.ue. nt.. n. 5 ;), p. 217, 21X. — Mais ce troisième avantage, comme Panez l’a remarqué, ne répond pas a la question, qui porte sur la certitude de l’intelligence, et non sur le mérite de la volonté. Le deuxième ne regarde pas non plus la certitude, mais l'étendue des connaissances religieuses ; d’ailleurs, il fait souvent défaut, puisqu’on peut être philosophe sans être théologien, et sans avoir plus qu’un autre fidèle la connaissance des vérités cachées à la raison. Reste donc uniquement le premier avantage ; mais il est fondé sur une idée fausse. Les vérités en question, existence et

attributs de Dieu tels qu’on les prouve en théodicée, vérités morales, etc. ne sont pas des objets extérieurs »

a la loi. des broussailles qui l'étoulTent : ce sont des

vérités révélées, des dogmes proposés par l'Église, par

exemple, au concile du Vatican, ou dans la condamna lion solennelle (le certaines propositions de morale ; d’après les thomistes eux-mêmes, ce sont des objets de

foi divine au moins pour les simples fidèles. Elles ne nuisent pas a l’objet principal, comme nuisent au fruit de l’arbre les rameaux superflus : au contraire, elles

m tout qu’un seul tout avec les autres parties de la révélation, un tout harmonieux, où tout s'éclaire et se soutient mutuellement. D’ailleurs, il n’y a pas en Dieu une partie naturelle et une partie surnaturelle : si nous di tinguons en lui l’auteur de la nature et l’auteur de

tee, des vérités naturelles, et des vérités c surnaturelles sur Dieu, ce ne sont la que dénominations de nos forces, de nos exigences et de notre manière de connaître, et des limites de tout cela ; la toute

lire de Dieu dans l’ordre de la nature n’est pas moins divine que dans l’ordre de la grâce, l’unité de sa nature n’est pas moins divine que la limité des personnes Quand il ne porte plus ces vérités accessibles à

on mais révélées, l’arbre de notre foi n’est donc pal (inonde, mais inutile.

ml d’achever cette recension des diverses réi preuve rationnelle de l’opinion affirmative, il Importe de partager les défenseurs de l’opinion e 1 n deux foii différentes. n. Les uns.

comme ceux que nous venons d'énumérer, mettent réellement le philosophe chrétien dans un état d’infériorité à l'égard des vérités en question. Ils ne lui accordent ni le pouvoir d’appuyer sa conviction sur le témoignage de Dieu, ni une certitude de même ordre que celle des fidèles ignorants, c’est-à-dire la certitude suprême et intrinsèquement surnaturelle de la foi. — b. Les autres évitent ces inconvénients, ou à peu près. Ils concèdent que la démonstration scientifique n’empêche pas de s’appuyer sur le témoignage de Dieu, ni d’avoir une certitude intrinsèquement surnaturelle de ces vérités démontrées, une certitude égale à la certitude de foi des fidèles qui n’ont pas la démonstration. Seulement, ils ne veulent pas appeler « foi » cet acte surnaturel fondé sur le témoignage de Dieu. parce que, disent-ils, il n’a pas cette obscurité qui est un élément essentiel de la foi. Les premiers s’opposent à l’opinion affirmative sur une question de chose et quant au côté positif de l’assentiment du philosophe chrétien ; les seconds ne lui sont opposés que sur une question de mot, ou du moins sur un élément négatif. A la seconde catégorie appartiennent des noms illustres. Dès le commencement du xve siècle, Capréolus, « prince des thomistes » , écrivait : « Le fidèle qui a acquis la science de celle vérité. Dieu est un, la tient par un double moyen (de preuve), c’est-à-dire par l’autorité de Dieu et par un moyen démonstratif. Mais il ne suit pas de là que l’assentiment causé par ces deux moyens soit un acte de science et de foi en même temps (comme Durand le prétendait), mais seulement de science. Car on ne peut pas dire de tout assentiment causé par l’autorité (d’un témoignage) qu’il est un acte de croire, assensus creditivus : il y faut encore cette condition, que l’autorité en soit la cause totale, ou du moins, que l’autre moyen, qui concourt avec l’autorité, n’enlève pas la raison formelle de l’objet de foi (l’obscurité). Or, un moyen nécessaire (de science évidente) enlève cette condition, et par suite empêche que ce ne soit un acte de foi. » Defensiones theologix

S. Thomas, 1. III Sent., dist. XXV, a. 3, S 2. ad : î

Tours, 1901, t. v, p. 331. Tout le monde comprendra qu’on puisse réserver le nom d’acte de foi, ou le mot croire, dans le sens le plus strict du mot. à l’assentiment où l’autorité du témoignage figure comme cause totale. Voir Pesch, Prselectiones, ' ! ' édit., 1910, I. viii, n. 409, p. 188, 1X9. Capréolus est d’autant plus en droit de refuser le nom de o foi t à l’assentiment en question qu’il envisage le cas de simultanéité le plus complet, simultanéité mathématique, bien plus, le cas où les deux actes n’eu font plus qu’un seul, ayant deux motifs ou moyens > qui concourent ensemble ; or les principaux défenseurs de la simultanéité n’osent admettre, pour des raisons psychologiques, une simultanéité aussi parfaite, ni soutenu* qu’un tel acte unique, s’il était possible, dut être appelé » foi » . Voir col. I") I. Du reste Capréolus ne refuse pas de faire directement Intervenir, dans l’acte en question, la vertu infuse de foi aussi bien que le témoignage de Dieu : Dans un tel assentiment, causé par le concours de la divine autorité el du moyen nécessaire, il y a deux éléments, la fermeté d’adhésion (certitude), et l'évidence de l'énoncé auquel on adhère. Pour le premier de ces éléments, la cause de l’assen I inient de foi (sans

doute la vertu infuseï agit directement, / "<. cit., ad i, p. 33 I. C’est probablement aussi ce que voulait

dire liane/, cité plus h. ml ; voir ce qu’il ajoute, op. cit..

q. ii. a. Pi. 2° conclus., p. 201. Gonet, plus développé

cl plus clair que Pane/., cite Capréolus. et conclut : Le philosophe chrétien ne peut avoir en même temps la science < la fui de cette proposition : Dieu existe, ou : Dieu est un. Il peut néanmoins eu avoir en même

temps la nrtitiiiii de teience et la certitude de foi. la première, en tanl qu’il s’appuie surtout iut t> moyen Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/241 Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/242 Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/243 Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/244 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/245 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/246 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/247 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/248 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/249 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/250 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/251 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/252 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/253 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/254 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/255 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/256 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/257 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/258 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/259 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/260 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/261 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/262 MediaWiki:Proofreadpage pagenum templatePage:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/263 MediaWiki:Proofreadpage pagenum template#lst:Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 6.djvu/264