Dictionnaire de théologie catholique/IMAGES (CULTE DES)
IMAGES (Culte des).
I. Histoire.
II. Doctrine.
1o Dans l’Ancien Testament.
Le culte des images n’existait pas dans l’Ancien Testament. L’usage même en était fort restreint, à cause du danger d’idolâtrie. Le premier commandement du Décalogue qui défend de faire aucune image taillée ni aucune figure « de ce qui est en haut dans le ciel, de ce qui est en bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre », Exod., xx, 3 sq., doit être entendu non d’une manière absolue, mais dans le sens du contexte, c’est-à-dire qu’il vise les images destinées à être adorées. Cette prohibition s’applique tout d’abord aux images des fausses divinités que les Israélites avaient pu voir dans les maisons et les temples des Égyptiens, mais encore, et sans nul doute, aux images de Jahveh lui-même. Deut., iv, 15 sq. Le motif de cette défense, indiqué clairement par le Deutéronome, ibid., est le danger où était le peuple juif, récemment sorti d’Égypte et entouré de nations païennes, de tomber dans l’idolâtrie. Représenter Jahveh par une image, c’était, à cause de la mentalité de ce temps-là et de la pratique des nations voisines, attribuer à Jahveh la forme choisie pour le représenter ou prendre cette forme pour la divinité elle-même, ou du moins pour une chose animée par la divinité. C’est pourquoi l’adoration du veau d’or, qui dans la pensée d’Aaron, peut-être même dans celle des Hébreux, était une image de Jahveh, fut punie comme un acte d’abominable idolâtrie. Voir col. 624 sq.
Que le précepte du Décalogue cité plus haut n’eût point une portée absolue et ne visât que les représentations de la divinité, cela paraît par le fait que Moïse, sur l’ordre de Jahveh, fit placer deux chérubins d’or sur l’arche d’alliance, qu’il fit taire un serpent d’airain en signe de salut, Num., xxi, 3, et que Salomon décora le temple de sculptures variées (chérubins, lions, taureaux, palmes…), tous objets qui n’avaient point pour but de représenter la divinité. Plus tard, Ézéchias détruisit le serpent d’airain, parce que les Juifs brûlaient des parfums devant cette figure, et il en est loué par l’Écriture. IV Reg., xviii, 3-4. Le peuple hébreu en effet était toujours enclin à l’idolâtrie et les prophètes ne cessaient de combattre cette tendance. Leur réaction « aboutit, vers le viiie siècle, à la proscription de toute image taillée ou fondue d’un être quel qu’il fût, appartenant au règne animal. En pratique, la statuaire n’a jamais été que tolérée, avec des retours offensifs sous Ézéchias, Josias et d’autres encore. Mais les artistes ne pouvaient travailler qu’en cachette, et l’art, on peut le dire, n’exista jamais. La peinture fut tenue en pareille suspicion ; elle fit si peu de progrès chez les Juifs que la langue hébraïque ne possède même pas de mots qui signifient proprement peindre, un peintre, une peinture. » Leclercq, Manuel d’archéologie, t. i, p. 519.
À l’époque des Macchabées, la défense du Décalogue fut prise à la lettre, et l’hostilité contre toute image d’être vivant fit en quelque sorte partie de la mentalité des Juifs. Josèphe nous les montre détruisant l’aigle d’or placé par Hérode au-dessus de l’entrée principale du temple, Ant. jud., t. XVII, c. vi, § 2, 3, Josephi opéra, édit. Didot, t. I, p. 669-670, réclamant de Pilate qu’il ôtât les statues de César qui étaient sur les étendards de l’armée à Jérusalem, ibid., l. XVIII, c. iii (iv), 1, p. 698 ; De bello judaico, l. II, c. ix (xiv), 2-3, t. ii, p. 100-101, demandant même à Vitellius de ne plus faire transporter de semblables statuts à travers leur pays. Ant. jud., t. XVIII, c. v (vi), 3, t. 1, p. 705. « II est contre la loi, dit Josèphe, d’avoir dans le temple des images ou tableaux ou toute autre représentation d’êtres vivants » De bello jud., l. I, c. xxxiii (xxi), § 2, t. ii, p. 79. Tacite apporte sur les Juifs un semblable témoignage : « Ils ne souffrent aucune effigie dans leurs villes, encore moins dans leurs temples. Point de statues ni pour flatter leurs rois, ni pour honorer les césars. » Hist, V, 5.
Cette hostilité fut surtout le fait des Juifs de Palestine, plus soucieux de garder la lettre de la loi que ceux de la Diaspora. Nous remarquons bientôt chez ceux-ci des idées plus larges au sujet qui nous occupe. On trouve dans leurs cimetières, aux premiers siècles du christianisme, des peintures représentant des plantes, des oiseaux, des poissons, des hommes et des femmes. Cf. dom Leclercq, Manuel d’archéologie, t. i, p. 495-528. La nécropole de Gamart, aux environs de Carthage, est intéressante à ce point de vue. Mais ces images, même si elles représentent des objets du culte, comme le chandelier à sept branches, ne sont jamais que des motifs de décoration, et ne sont pas l’objet d’un culte particulier. Ce n’est que dans le christianisme que nous voyons fleurir le culte des images.
2o Dans le christianisme avant l’iconoclasme.
1. Durant les trois premiers siècles.
La loi de grâce abolissait les prescriptions rituelles et purement légales de l’ancienne alliance. La contrainte, en son temps nécessaire, qu’imposait la lettre de la loi mosaïque, était brisée, et toutes les aspirations légitimes de l’âme humaine pouvaient prendre un nouvel essor ennobli dans la sainte liberté des enfants de Dieu. Parmi ces aspirations est le goût esthétique, l’amour de l’art, imitation ou mieux « embellissement de la nature ». Bossuet, Sermon sur la mort, IIe part. Chose bonne en soi, l’art s’était prostitué au vice et à l’idolâtrie. La religion chrétienne, au lieu de le proscrire, allait s’en emparer, le purifier et le grandir jusqu’à la représentation sensible de la beauté morale et surnaturelle.
Cette rénovation ne se fit pas tout d’un coup. L’Église, recrutée d’abord chez des Juifs, qui dans leur éducation première avaient puisé un grand éloignement des images, et chez les gentils, qu’il importait de prémunir contre la pratique de l’idolâtrie, ne pouvait donner, dès son commencement, à l’usage et au culte des images toute l’importance qu’ils eurent dans la suite. La pauvreté de ses moyens, du reste, ne le lui permettait guère. Cependant, dès l’origine, l’art chrétien s’essaie à orner les lieux du culte de peintures religieuses, à sculpter sur des sarcophages ou des pierres fines ou à graver sur des médailles des motifs religieux. Les documents archéologiques abondent. C’est Rome souterraine surtout qui les fournit. À la suite du célèbre De Rossi, on a divisé en six catégories principales les sujets représentés dans les catacombes : « a) les sujets symboliques, objets, animaux qui symbolisent des personnages ou des mystères chrétiens (l’ancre, l’agneau, la colombe, le poisson, etc.) ; b) les sujets allégoriques, représentant les paraboles de Notre-Seigneur et les figures sous lesquelles il s’est dépeint lui-même (la vigne, le bon pasteur, les vierges sages et les vierges folles) ; c) les sujets bibliques de l’Ancien Testament souvent figures eux mêmes des mystères du Nouveau (Noé dans l’arche, Daniel, Jonas, Moïse frappant le rocher). On a de ces trois premières catégories de sujets des exemples remontant au Ier ou au iie siècle ; d) les images directes de Notre-Seigneur, de la Vierge et des saint. Un peu plus récentes en général que les précédentes, plus importantes aussi pour notre objet, peintes sur le stuc des murailles ou sur des fonds de verres dorés, ou même frappées en médailles, ces images présentent quelques spécimens qui paraissent remonter tout à fait à l’âge apostolique, au ier ou au iie siècle, mais appartiennent surtout au iii et au ive siècle ; e) les scènes tirées des vies des saints et de l’histoire de l’Église, qui n’apparaissent guère avant le ive siècle, après la pacification de Constantin ; f) enfin les sujets liturgiques, dont les plus remarquables exemples se trouvent dans les chambres du cimetière de Calliste dites Chambres des sacrements. Moïse frappant le rocher, le pêcheur tirant de l’eau un poisson, le baptême, le sacrifice eucharistique, le repas des sept disciples devant le pain et le poisson, etc., ornementation exécutée à la fin du iie ou tout au commencement du iiie siècle.
« Que l’on joigne à ces représentations figurées des catacombes les sculptures des sarcophages (généralement du ive ou ve siècle, quelques statues du bon Pasteur, dont deux au moins paraissent antérieures à Constantin, et l’on aura une idée du témoignage que fournissent les plus anciens monuments pour établir l’usage que l’Église a fait, dès son origine, des images religieuses. » Tixeront, Histoire des dogmes, t. iii, p. 437-438. Cf. De Rossi, Roma sotterranea, Roma, 1864 ; Paul Allard, Rome souterraine, Paris, 1872 ; Marucchi, Éléments d’archéologie chrétienne, Rome-Paris, 1900-1902 ; Sixte Scaglia, Notiones archeol., 3 vol., Rome, 1908 ; dom Leclercq, Manuel d’archéologie chrétienne, 2 vol., Paris, 1907.
Précieux aussi sont divers textes d’auteurs. Certes, ne peuvent témoigner pour la tradition chrétienne ni la statue légendaire élevée à Jésus par l’hémorroïsse de l’Évangile, selon Eusèbe, H. E., vii, 18, P. G., t. xx, col. 679, ni les images honorées par les carpocratiens, selon saint Irénée, Cont. hær., i, 25, P. G., t. vii, col. 685, ni les statues d’Abraham et de Jésus placées dans le Lararium d’Alexandre-Sévère, selon Lampridius, Alex. Sev., 29, mais on doit mentionner et Tertullien parlant du bon Pasteur représenté sur les calices. De pudicilia, vii, 10, P. L., t. ii, col. 1OOO, et Eusèbe affirmant avoir vu des images peintes des saints Pierre et Paul et de Jésus-Christ. H. E., vii, 18, P. G., t. xx, col. 679.
L’usage des images s’établit donc et se répand dans l’Église, ni imposé par décret, ni introduit par surprise, mais fleurissant comme naturellement de l’âme chrétienne, restée humaine sous l’empire de la grâce. Mais leur rendait-on d’ores et déjà un culte ? Aucun texte n’autorise à l’affirmer, aucun non plus à le nier. Celui de Minucius Félix dans l’Octavius, 29, P. L., t. iii, col. 332, manque de précision. Cf. Tixeront, op. cit., t. iii, p. 439. Toutefois il est probable que les chrétiens devaient s’en abstenir pour ne point paraître imiter les païens, auxquels ils reprochaient de se prosterner devant les idoles. Origène, Contra Celsum, l., VII, 66, P.G., t. xi, col. 1514.
2. Aux ive et ve siècles.
À la paix constantinienne, églises et basiliques jaillissent du sol et permettent au culte chrétien de déployer une plus grande magnificence. Le signe du Labarum et surtout la découverte de la vraie croix sont une invitation aux artistes chrétiens à représenter cet instrument de notre salut, une invitation au peuple fidèle à l’entourer de vénération. Aussi la croix est-elle le premier objet de notre religion que l’histoire nous montre recevant un culte relatif. Pour tout ce qui concerne la croix, voir t. iii, col. 2339 sq.
Quant aux images proprement dites de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints, l’usage s’en répand de plus en plus. Le ive « et le ve siècle nous ont laissé un certain nombre de ces images. Rome et Ravenne en particulier possèdent plusieurs mosaïques de cette époque représentant Notre-Seigneur, la sainte Vierge et plusieurs saints. À Rome, le mausolée de Sainte-Constance, le plus ancien édifice chrétien du ive siècle, nous montre encore quelques-uns de ces précieux documents : « les mosaïques des absides latérales ont été épargnées et nous ont conservé la plus ancienne représentation de ces compositions qui vont devenir le thème le plus habituel de l’art chrétien. Dans l’une, Dieu le Père, assis sur le globe du monde, donne à Moïse la loi ; dans l’autre, le Christ, debout sur la montagne d’où s’échappent les fleuves mystiques, proclame la loi nouvelle, dont il confie le texte à saint Pierre et la prédication à saint Paul. » Leclercq, Manuel d’archéologie chrétienne, t. ii, p. 212. Remarquables aussi, parmi d’autres, la mosaïque de l’abside de Sainte-Pudentienne (ive s.), représentant Jésus-Christ, saint Pierre et saint Paul et d’autres personnages ; celle du grand arc de Sainte-Marie-Majeure (1re moitié du ve siècle), qui retrace la rencontre de Jésus porté par sa mère avec Siméon et Anne ; celle aussi de Sainte-Sabine (vers 424), dont il reste un fragment. « Ce fragment se compose de deux figures placées aux deux extrémités d’une immense inscription en lettres d’or sur fond bleu lapis… Les deux figures représentent, l’une l’Église des circoncis, ecclesia ex circumcisione, l’autre, l’Église des gentils, ecclesia ex gentibus. Leclercq, op. cit., t. ii, p. 220. À Ravenne, Sainte-Agathe-Majeure possède une mosaïque représentant Jésus-Christ entre deux anges (fin du ive s. ou commencement du ve). Dans les mosaïques du mausolée de l’impératrice Galla Placidia (vers 449), on voit encore représentés le bon Pasteur, saint Laurent et les apôtres.
Des textes nombreux appuient ces documents. Nous ne devons citer que pour mémoire le récit contenu dans l’Επιστολή συνοδική τῶν ἁγιοτάτων πατριαρχῶν…, publié par Sakkelion, Athènes, 1874, d’après lequel l’impératrice Hélène, à Bethléem, « éleva le grand temple de la mère de Dieu, et au couchant, dans la partie extérieure, fit représenter en mosaïque la naissance du Christ, la mère de Dieu portant sur sa poitrine l’enfant qui donne la vie, et l’adoration des mages… À leur arrivée à Bethléem, les Perses virent avec étonnement les images des mages persans, observateurs des astres, leurs compatriotes, et… ils épargnèrent l’église. » Ce document est trop tardif (ixe s.) pour qu’on en puisse faire état. Leclercq, op. cit., t. ii, p. 232. Cette mosaïque, en effet, peut fort bien dater de l’époque de Justinien, comme le notent Vincent et Abel. Bethléem, Paris, 1914, p. 128, note 1. Nous avons mieux et suffisamment dans les auteurs de l’époque.
C’est, en Orient, saint Grégoire de Nazianze, parlant de l’image du saint homme Polémon, dont la vue convertit une pécheresse, Carm., l. I. sect. ii, v. 800 sq., P. G., t. xxxvii, col. 737-738 ; saint Basile invitant les peintres à le surpasser par leur art dans la louange de saint Barlaam, P. G., t. xxxi, col. 489 (il y a des raisons de croire que ce discours est de saint Éphrem) ; Astère d’Amasée et saint Grégoire de Nysse, décrivant, le premier, les peintures religieuses qu’il a vues dans l’oratoire de Sainte-Euphéniie, à Chalcédoine, In laudem sanctæ Euphemiæ, P. G., t. xl, col. 333-337, le second, une mosaïque de pavement et des peintures murales à sujets religieux, Oratio in laudem S. Theodori, P. G., t. xlvi, col. 737 : le même saint Grégoire disant avoir vu souvent, πολλάκις, représenté en peinture le sacrifice d’Isaac ; speclacle qui lui arrachait toujours des larmes des yeux, tant le tableau était expressif. P. G, l. xlvi, col. 572. Il ne faisait alors que s’approprier les sentiments et les expressions elles-mêmes du célèbre docteur de Syrie, saint Éphrem. S. Ephrem opera, édit. Mercati, 1915, t. 1, p. 7 ; C. Emereau, Saint Éphrem le Syrien, Paris, 1919, p. 97. C’est encore saint Nil, blâmant Olympiodore de vouloir peindre dans une basilique des scènes de chasse et de pêche et l’exhortant à choisir pour sa décoration des sujets bibliques qui auront l’avantage d’instruire les illettrés. P. G., t. lxxix, col. 577.
En Occident, c’est saint Jérôme, In Jon., iv, 6, P. L., t. xxv, col. 1148, parlant d’images d’apôtres qu’on a coutume de peindre sur des vases ; saint Augustin, nous indiquant l’habitude qu’on a de son temps, multis in locis, de représenter saint Pierre et saint Paul auprès de Notre-Seigneur, De cons. evang., l. I, c. x, P. L., t. xxxiv, col. 1049, nous parlant de la peinture où l’on voit saint Étienne lapidé et Saul gardant les vêtements ; elle lui paraît dulcissima, Serm., cccxvi, c. v, P. L., t. xxxviii, col. 1434 ; et encore mentionnant une peinture fort répandue (tot locis pictum) dont le sujet est le sacrifice d’Abraham. Contra Faustum, t. XXII, c. xliii, P. L., t. xlii, col. 446. C’est Prudence qui décrit les peintures retraçant le martyre de saint Cassien, Peristephanon, hymn. ix, v. 7 sq., P. L., t. lx, col. 433-435, et celui de saint Hippolyte, ibid., hymn. xi, col. 544 sq. ; saint Paulin de Noie et Sulpice-Sévère, décorant d’images religieuses les basiliques construites par eux ; les sujets sont assez variés : scènes de l’Ancien Testament, Poema xxii, P. L., t. lxi, col. 660 ; martyrs des deux sexes, Poema xxviii, ibid., col. 663 : saint Martin, baptême de Notre-Seigneur par saint Jean-Baptiste, la sainte Trinité elle-même et les apôtres. Epist., xxxii, P. L., t. lxi, col. 330 sq.
On a moins de détails sur le culte. On insiste plutôt sur la portée instructive des images. Pourtant, l’image de Polémon, dont nous avons parlé, est appelée σεβασμία par saint Grégoire de Nazianze, loc. cit., celle de saint Martin est dite vénérable par saint Paulin de Nole : Martinum veneranda viri testatur imago. Epist., xxxii, P. L., t. lxi, col. 332. Et nous savons par Theodoret, Hist. rel., xxvi, P. G., t. lxxxii, col. 1473, qu’à Rome, dans le vestibule de tous les ateliers, se voyaient de petites icônes de saint Siméon Stylite placées là comme une protection et un secours, φυλακήν… καὶ ἀσφάλειαν. On peut voir là un commencement de culte des images.
Ce culte se développera à mesure que les chrétiens seront moins exposés à la contagion de l’idolâtrie. Cette crainte de ressembler aux païens en honorant les images causait toujours une certaine hésitation. Des païens plus raffinés, au reproche que les chrétiens leur faisaient d’adorer le bois ou la pierre, répondaient que leurs hommages n’allaient en réalité qu’à la divinité invisible dont l’idole matérielle était le signe. Mais saint Augustin leur répliquait que la pente est rapide qui conduit à l’adoration de l’idole elle-même : Ducit enim, et affectu quodam infirmo rapit infirma corda mortalium similitudo et membrorum imitata compago…, quis autem adorat vel orat intuens simulacrum, qui non sic afficitur ut ab eo se exaudiri putet, ab co sibi præstari quod desiderat speret ? Enarrat. in ps. cxiii, serm. ii, 1, 5, P. L., t. xxxvii, col. 1481, 1483. On a voulu voir là un argument valable aussi contre le culte des images. Mais, à le considérer de près, le texte de saint Augustin avec tout son contexte ne peut s’appliquer qu’aux images représentant les fausses divinités. En premier lieu, ces images étaient des statues. Or, les statues ont d’elles-mêmes, par leur imitation complète des formes, une valeur plus strictement représentative. D’où la tendance naturelle à mettre un lien de similitude parfaite entre elles et les objets représentés. En second lieu, ces idoles représentaient les formes naturelles d’un être vivant, homme ou animal ; d’où autre tendance, pour le païen qui prie devant elles, à croire son idole, qu’il voit immobile, habitée ou animée par un numen invisible. En fin, la force de la tradition, l’autorité de maîtres qui paraissent sages, le spectacle et la contagion de la foule prodiguant ses hommages à l’idole, achèvent en lui la persuasion qu’il est bien devant la divinité elle-même quand il est devant son image, et même que la statue s’identifie avec la divinité. On voit tout cela dans le discours de saint Augustin. Nous touchons ici à un point qui nous explique en grande partie la rareté des statues religieuses à l’origine de l’Église, comparativement au nombre des peintures, fait que le savant Petau avait déjà noté. Opéra theologica, Anvers, 1700. t. VI, p. 325. Celles mêmes qui nous restent ont pour la plupart un caractère purement symbolique, qui nous explique aussi pourquoi dans l’Église orientale les statues furent dans la suite et sont encore proscrites. Dans la lettre de Germain de Constantinople à Thomas de Claudiopolis, lue au concile de 787, on voit indiqué, à propos de la statue de Panéas, que l’usage de dresser des statues était encore considéré comme propre aux païens. Mansi, Concil., t. xiii, col. 125-128 ; cf. Petau, op. cit., t. vi, p. 325. Les statues prodiguées par le paganisme devinrent, quand l’empire se fit chrétien, des ornements pour les places publiques. La statue fut par suite considérée comme un objet profane et civil, et dans la demeure de Dieu ne furent admises que les images peintes, et aussi, quelquefois, les rondes-bosses qui, plus semblables à la peinture, avaient comme elle un caractère d’évocation plutôt que de représentation proprement dite.
3. Aux vie et viie siècles.
À cette époque, les images se multiplient. Il nous en reste un grand nombre. La chose du reste est si notoire qu’elle dispense d’une énumération qui serait trop longue. Notons seulement qu’il y a tendance à en couvrir toutes les parties de l’édifice sacré, comme en témoigne l’église Sainte-Marie-l’Antique, découverte en 1899, sur le Forum romain. Cf. Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. iii, p. 610, note 2. Ce qui nous occupe désormais et uniquement, c’est le développement du culte. Jusqu’ici, on en a vu peu de traces, et les images paraissent surtout des ornements instructifs. À l’époque où nous sommes, il prend un essor inattendu, favorisé qu’il est par la croyance qui se répand alors aux images miraculeuses (ἀχειρο-ποίητοι), celle surtout que Notre-Seigneur aurait envoyée à Abgar, cf. Tixeront, Les origines de l’Église d’Êdesse, Paris, 1888 ; Leclercq, Dictionnaire d’archéologie et de liturgie, art. Abgar, et à l’histoire de la fameuse statue de Panéas, élevée à Jésus-Christ par l’hémorroïsse de l’Évangile. Plusieurs textes nous indiquent ce développement. Une lettre de saint Siméon Stylite le Jeune, mort en 526, citée par le VIIe concile général, dans sa Ve session, Mansi, t. xiii, col. 160-161 ; P. G., t. lxxxvi, col. 3216-3220, demande à l’empereur Justin la punition de malfaiteurs qui ont commis l’impiété et l’abomination de profaner dans une église l’image du Fils de Dieu et de sa sainte mère. Le même auteur, cité par saint Jean Damascène, P. G., t. lxxxvi b, col. 3220 ; cf. P. G., t. xciv, col. 1409-1412, repousse l’accusation d’idolâtrie portée contre les chrétiens parce qu’ils honorent, προσκυνοῦντες, les images. Un autre Père nous fournit un témoignage précieux par sa netteté et sa précision. C’est Léonce, évêque de Néapolis en Chypre (582-602), dont le IIe concile de Nicée cite un long fragment Υπὲρ τῆς χριστιανῶν ἀπολογίας κατά Ἰουδαίων καὶ περὶ εἰκόνων τῶν ἁγίων. Voici condensée sa pensée : χριστιονοὶ πάντες εἰκόνα Χριστοῦ, ἣ ἀποστόλου, ἣ μάρτυρος κρατοῦντες καὶ ἀσπαζόμενοι τῇ σαρκί, τῇ ψυχῇ αύτὸν τὸν Χριστὸν νομίζόμενοι ἣ τὸν μάρτυρα αὐτοῦ κατέχειν. Mansi, t. xiii, col. 44 ; P. G., l. xciii, col. 1600. « Ce ne sont pas les signes extérieurs, c’est l’intention qu’il faut considérer dans tout salut et toute adoration. Et l’auteur poursuit ainsi sa démonstration, empruntant ses exemples à l’Écriture, à la vie civile, à la vie de famille, où l’on voit constamment honorer l’image, le sceau, le vêtement même d’une personne et tout ce qui lui appartient. Et si l’on place dans les églises des croix et des images, continue-t-il, ce n’est pas qu’on regarde ces objets comme des dieux : c’est πρὸς ἀνάμηνησιν καὶ τιμὴν, καὶ εὑπρέπειαν ἐκκλησιῶν. Ainsi, conclut Léonce, celui qui craint Dieu honore conséquemment et vénère et adore comme Fils de Dieu le Christ, notre Dieu, et la représentation de sa croix et les images de ses saints. » Tixeront, op. cit., t. iii, p. 449. Cette vénération pour les images est encore attestée par les Collectanea d’Anastase le Bibliothécaire. On y lit la relation d’une conférence en 650 de saint Maxime le Confesseur, avec Théodore, évêque de Césarée, où il est dit que Théodore, Maxime et tous ceux qui se trouvaient là se jetèrent à genoux et baisèrent les Évangiles, la vénérable croix, l’image de Notre-Seigneur et de sa mère. P. G., t. xc, col. 156 ; cf. ibid., col. 164. Jean de Thessalonique, légat du pape au concile de 680, revendique dans un discours cité par le IIe concile de Nicée le droit de peindre les images des saints, non qu’on adore les images elles-mêmes, mais parce qu’on glorifie les saints dont la peinture reproduit les traits, τοὺς διὰ γραφῆς δηλουμένους δοξάζομεν. Il ne croit pas possible d’avoir des images de Dieu, en dehors de Jésus-Christ, qui a été visible dans un corps. Mansi, t. xiii, col. 164-165. Le concile Quinisexte (in Trullo) de 692 s’occupe aussi des images, can. 82. Il les déclare σεππάς, c’est-à-dire vénérables, augustes, mais prescrit de ne plus représenter Jésus-Christ sous la forme d’un agneau, mais sous la forme humaine, en laquelle il a apparu, Mansi, t. xi, col. 977-980, mesure de précaution destinée à prévenir ou à guérir des abus. Le culte des images, en effet, avait alors pris en Orient « un prodigieux développement ; il s’était enraciné peu à peu dans la vie religieuse du peuple, qui s’était fait une habitude très chère de demander aux images secours et protection dans toutes ses entreprises. On les emportait en voyage ; elles présidaient aux jeux de l’hippodrome ; elles marchaient dans les batailles en tête des armées impériales : Héraclius emmenait avec lui dans son expédition contre les Perses l’image « non faite de main d’homme » du Sauveur ; à la veille d’engager une lutte décisive, une image du Christ à la main, il haranguait ses soldats ; les Avares, qui étaient venus, en son absence, mettre le siège devant Constantinople, avaient été obligés, après quarante jours d’efforts inutiles, de se retirer en désordre, repoussés loin de la « ville gardée de Dieu » moins par le courage de ses habitants que par la toute-puissante protection de la mère de Dieu, patronne de la capitale. Comment la très sainte Théotocos aurait-elle pu résister aux supplications de son peuple ? Son image et les images des saints auraient-elles donc en vain été portées en procession, au chant des psaumes et des cantiques, à travers les flots pressés d’une population suppliante ? » Marin, Les moines de Constantinople, Paris, 1897, p. 319. « Le culte des images occupait une place considérable dans les circonstances solennelles et dans les cérémonies officielles de l’empire ; il se trouvait mêlé plus intimement encore aux habitudes de la vie ordinaire du peuple de Byzance. Partout, dans les églises et les chapelles, dans les maisons particulières, dans les chambres d’habitation et dans les chambres à coucher, devant les boutiques, sur les marchés, sur les livres et les habits, sur les ustensiles de ménage et les joyaux, sur le chaton des bagues, sur les coupes, sur les vases, sur les murailles, à l’entrée des ateliers, en un mot, partout où cela pouvait se faire, on plaçait l’image du Sauveur, de la mère de Dieu, ou d’un saint. On les trouvait sous toutes les formes et toutes les grandeurs ; on peut les voir encore sur les sceaux d une multitude de particuliers et de fonctionnaires de tout ordre ; on en portait sur soi comme amulettes, on les emmenait avec soi en voyage : les images étaient pour le chrétien de Byzance un gage assuré de bénédiction et de salut, une garantie de la protection et du secours d’en haut : sans l’image il ne pouvait pas vivre. » Ibid., p. 320-321.
Passons en Occident. Là aussi, bien qu’on soit plus réservé, on a accepté le culte des images. Fortunat, dans son poème de saint Martin (avant mai 576), dit qu’une lampe brûle devant l’image du saint ; un mal d’yeux dont il souffrait avait cessé par une onction de l’huile de cette lampe.
Hic paries retinet sancti sub imagine formam…
Lychnus adest, cujus vitrea notat ignis in urna.
P. L., t. lxxxviii, col. 426. Un auteur dont le témoignage est précieux, c’est saint Grégoire le Grand. Il n’y a pas seulement le texte cité par le pape Hadrien aux reprehensiones de Charlemagne, que trop peu de manuscrits contiennent : Et nos quidem non quasi ante divinitatem ante illam (image de Notre-Seigneur) prosternimur, sed illum adoramus quem per imaginem aut natum, aut passum, sed et in throno sedentem recordamur. Epist., ix, 52, P. L., t. lxxvii, col. 991. Voici un autre texte tout aussi important et sans suspicion. Il se trouve dans une lettre que saint Grégoire écrivait en 599 à Januarius, évêque de Caralis. Un nommé Pierre, juif nouvellement converti et baptisé de la veille, s’était, par un zèle intempestif, emparé de la synagogue avec plusieurs autres chrétiens, et ils y avaient transporté une croix et une image de la Vierge. Le pape ordonne de rendre la synagogue aux juifs, après en avoir retiré avec l’honneur qui convient l’image et la croix : sublata exinde cum ea qua dignum est veneratione imagine atque cruce. Epist., IX, 6, P. L., t. lxxvii, col. 944. En opposition à cette lettre, on a voulu citer du même auteur la lettre à Sérénus, le premier des iconoclastes, écrite en l’an 600, où il dit : Frangi non debuit, quod non ad adorandum in ecclesia, sed ad instruendas solummodo mentes fuit nescientium collocatum. Epist., xi, 13, P. L., t. lxxvii, col. 1128. Mais on comprend que le pape, ayant affaire à un peuple porte à la superstition, ne pouvait s’étendre en des considérations qui eussent été mal comprises. Ce qu’il y a lieu surtout de souligner dans cette lettre, c’est le reproche que saint Grégoire fait à Sérénus d’être en opposition avec la conduite universelle de l’épiscopat : Dic, frater, a quo factum sacerdote aliquando auditum est quod fecisti. Si non aliud, vel illud te non debuit revocare, ut, despectis aliis fratribus, solum te sanctum et esse crederes sapientem ? Ibid. Citons un dernier témoignage. Saint Augustin de Cantorbéry, raconte saint Bède le Vénérable, se présenta avec ses compagnons devant le roi Édilbert, en portant comme étendard une croix d’argent et l’image du Sauveur peinte sur un tableau, et en chantant des prières, crucem pro vexillo ferentes argenteam, et imaginem Domini Salvaloris in tabula depictam, lætaniasque cantantes. Hist. eccl. gentis Anglorum, l. I, c. xxv, P. L., t. xcv, col. 55.
Telle est la tradition, tel est le développement de l’usage et du culte des images durant les siècles qui précédèrent l’iconoclasme. On l’a vu, c’est surtout en Orient qu’ils fleurissent. C’est la terre classique de la dévotion aux icônes et il le sera de plus en plus. Au viiie siècle, où nous arrivons, on multiplie pour elles les témoignages de la vénération la plus profonde, baisers, encensements, inclinations, prostrations, pieux cantiques, lampes allumées, draperies, couronnes, rubans. Cf. Marin, op. cit., p. 321. « L’extension prodigieuse et la vénération profonde, constante, des images telle qu’elle ressort de toutes les histoires que nous connaissons, nous font voir avec une évidente clarté combien leur usage était profondément enraciné dans la vie et les habitudes du peuple, combien on s’était accoutumé dans toutes les situations et toutes les entreprises d’attendre secours et profit de la présence de ces images. La prière faite devant une image égalait la prière faite à l’endroit le plus vénérable d’une église. L’image était une garantie de bénédictions, l’intermédiaire visible entre le saint et ceux qui imploraient son secours ; mettre en question le culte et l’existence des images, c’était, aux yeux des fidèles, compromettre la prospérité et la sauvegarde des individus et des peuples ; les avantages de toutes sortes… qu’on attribuait aux images sont l’un des arguments les plus graves que l’on puisse faire valoir en leur faveur. » Schwarlose, Der Bilderstreit, p. 173, dans Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. iii, p. 613, en note. Dans cet élan de la piété, excité bientôt par la persécution, il ne faut pas s’étonner que des abus se soient glissés, semblables à ceux que Michel le Bègue, dont le témoignage, il est vrai, n’est point d’absolue valeur, indiquera en 824 à Louis le Débonnaire (voir plus loin), et dont on trouve un exemple dans le fait du spathaire Jean, qui donna pour parrain à son fils l’image de saint Démétrius. P. G., t. xcix, col. 962-963. Désormais le culte des images est une partie importante et comme intégrante de la vie religieuse des grecs. Les ateliers de peinture et de miniature se multiplient. Saint Théodore Studite en fonde un au monastère de Studion, dont les règles et les modèles feront autorité.
En Occident, il y a moins de traces de ce culte. On y est, en général, moins prompt dans la vénération, comme on y sera plus calme dans l’hostilité (du moins jusqu’aux violences de la Réforme). Dans toute cette histoire de l’usage et du culte des images, nous n’avons pas mentionné les diverses oppositions qui çà et là se produisirent. Voir Iconoclasme, col. 576-577.
3o La querelle des images en Orient. Voir Iconoclasme, col. 577-590.
4o La querelle des images en Occident.
1. Concile de Gentilly.
La querelle des images en Orient eut son contre-coup et son pendant en Occident, par le fait surtout de l’intervention de Charlemagne. En dehors de Rome, où les papes et deux conciles (731 et 769) avaient condamné les prétentions des empereurs iconoclastes, il n’y avait eu à s’occuper de l’affaire que le concile de Gentilly, bourg aux environs de Paris, en 767. Éginhard, Annales, an. DCCLXVII, P. L., t. civ, col. 385 : Adon de Vienne, Chronicon, Ætas sexta, P. L., t. cxxii, col. 125. Les actes de ce concile sont perdus. Le texte d’Adon de Vienne donne à penser qu’il ne fut point question du culte, mais seulement de l’usage des images, quæstio ventilata inter græcos et romanos… de sanctorum imaginibus, utrumne fingendæ aut pingendæ essent in ecclesiis. Mansi, t. xii, col. 677. Le texte de Migne, loc. cit., reproduisant celui de la Bibliotheca maxima Patrum, porte cette variante : utrumne fingendæ an pingendæ essent. Quelle que soit la vraie leçon, s’il faut l’entendre au sens disjonctif qui se présente à première vue, l’usage des images est évidemment supposé permis et le débat n’en vise que les modalités. Si le sens est copulatif, la question porte sur la légitimité même de l’usage. Ce qui peut donner lieu à cette interprétation, c’est qu’alors en Orient sévissait la persécution (761-775) de Constantin Copronyme, qui s’acharnait contre l’usage même des images. Réduit à ce point, il n’y a pas de doute que le concile ne se soit prononcé dans le sens de l’orthodoxie, surtout si l’on admet, avec toute probabilité, comme lui étant postérieure, la lettre du pape Paul au roi Pépin, Mansi, t. xii, col. 604 ; P. L., t. xcviii, col. 206, où il le loue de son zèle pour l’exaltation de l’Église et la défense de l’orthodoxie. Hefele, op. cit., trad. Leclercq, t. iii, p. 726.
2. Livres Carolins et concile de Francfort (794).
C’est Charlemagne qui rouvrit la question, selon toute apparence, pour raisons politiques. Irène, récemment arrivée au pouvoir (780), inquiète des attaques des Arabes et des Bulgares, avait recherché l’alliance du puissant roi des Francs. Elle fut conclue en 781, au cours des fêtes de Pâques, et la fille aînée de Charlemagne avait été fiancée au jeune empereur Constantin. D’autre part, la même Irène, soumettant au saint-siège la majesté impériale, rétablissait en Orient la paix religieuse et la situation de l’orthodoxie. Le pape ne pouvait que l’en remercier et l’encourager. Charles vit de mauvais œil ce rapprochement et craignit de voir sa puissance décroître en Italie. Pour comble de malchance, Irène rompit l’alliance et fit épouser à son fils une jeune fille arménienne. En même temps qu’elle taisait cet affront, elle envoya sa flotte opérer un débarquement en Italie pour y revendiquer l’intégrité des droits impériaux. Charles para le coup, et les grecs furent complètement défaits. De tout cela, il restait à Charles un profond ressentiment. Il en voulait à Irène de l’avoir outrageusement trompé, et au pape d’avoir favorisé la politique de Byzance en Italie. C’est dans ces dispositions qu’il accueillit les résultats du IIe concile de Nicée. De la conduite qu’elles lui inspirèrent, il « faillit résulter, pour l’Occident, un schisme à l’heure même qui mettait fin au schisme de l’Orient et à propos de cette même question des images. » Hefele, op. cit., trad. Leclercq, t. iii, p. 1242.
Les circonstances favorisèrent le ressentiment du roi. Le pape fit faire des actes du concile de 787 une traduction qu’il lui envoya vers 788. Elle était si défectueuse et si peu intelligible que le savant bibliothécaire romain Anastase disait, au ixe siècle, qu’elle était illisible, ce qui l’avait décidé à en faire une autre, Mansi, t. xii, col. 981, qui a été placée en regard du texte grec dans les collections des conciles. De la première traduction il ne subsiste que les fragments contenus dans les Livres Carolins ; on y voit en particulier quel travestissement a subi le vote de l’un des principaux Pères du concile, Constantin de Constantia, dans l’île de Chypre. Dans la IIIe session, ce prélat avait dit : « J’accepte et je baise avec honneur les saintes et vénérables images ; mais je réserve à la seule et suressentielle et vivifiante Trinité l’adoration de latrie. » Mansi, t. xii, col. 1147. Le traducteur avait rendu ce passage par le texte suivant : Suscipio et amplector honorabiliter sanctas et venerandas imagines secundum servitium adorationis quod consubstantiali et vivificatrici Trinitati emitto et qui sic non sentiunt neque glorificant a sancta catholica et apostolica Ecclesia segrego et anathemati submitto. C’était juste l’opposé de ce qu’avait proféré l’évêque Constantin. On conçoit qu’à travers un pareil document, le second concile de Nicée devait paraître tout autre qu’il n’avait été et devait susciter l’opposition de l’Occident. Sans doute, cette détestable traduction n’en est pas seule responsable, mais en faisant attribuer aux grecs l’énormité qu’on vient de voir, elle rendait les théologiens occidentaux bien plus défiants pour tout l’ensemble de leur doctrine.
Revenons à Charlemagne. Quand lui fut lue la traduction, il s’aperçut vite du parti qu’il en pouvait tirer. Il nota au fur et à mesure un grand nombre de choses qui le choquèrent, et en fit composer en 790 une réfutation très détaillée. Ce sont les Livres Carolins, P. L., t. xcviii. L’auteur en fut probablement Alcuin. Mais quel qu’il fût, il n’était que l’instrument de Charles et l’interprète de ses sentiments. Dès le début de l’ouvrage, on sent quel esprit l’a dicté : « Le vent de l’ambition la plus arrogante, l’appétit le plus insolent de vaine gloire, s’est emparé en Orient non seulement des princes, mais aussi des prêtres. Ils ont rejeté toute sainte et vénérable doctrine et méprisé les paroles de l’apôtre : « Si quelqu’un vient nous annoncer un évangile qui n’est pas l’Évangile, quand même il serait un ange, qu’il soit anathème » ; et transgressant les enseignements des ancêtres, par leurs infâmes et ineptes synodes, ils s’efforcent de faire prévaloir des croyances que ni le Sauveur ni les apôtres n’ont connues ; et pour que la mémoire de leur nom parvienne à la postérité, ils n’hésitent pas à briser les liens de l’unité de l’Église. Il y a plusieurs années, en Bithynie, un synode fut assemblé, qui, par une audace insensée, prescrivit la destruction des images. Ce que le Seigneur avait ordonné touchant les idoles des païens, ils l’ont étendu à toute représentation figurée, ignorant que l’image est le genre, l’idole l’espèce et qu’on ne peut conclure de l’espèce au genre ni du genre à l’espèce. Il y a trois ans à peine, dans le même pays, un nouveau synode, présidé par les successeurs des empereurs précédents, et où assistaient des prélats qui avaient siégé dans l’autre concile, préconisa une doctrine qui diffère de tout point de la première, mais qui constitue une erreur aussi grave. Ces images que le premier synode défendait même de regarder, celui-ci oblige maintenant à les adorer. » Libri Carolini, præf., P. L., t. xcviii, col. 1002 ; Hefele, op. cit., trad. Leclercq, t. iii, p. 1243. Et tout de suite, on en vient à des personnalités sur Constantin et Irène, qui n’ont pour but que de froisser et pour principe l’animosité d’un cœur blessé. Puis c’est la critique du concile. Elle se poursuit avec la visible intention de le trouver en défaut. C’est ainsi que le mot adoratio, de soi équivoque, est toujours pris dans le sens le plus défavorable aux Pères de Nicée. On pouvait se douter que pour cette discussion subtile et ergoteuse l’auteur avait dû s’aider de quelques sources byzantines. La découverte, au début de ce siècle, d’un ouvrage inédit de Nicéphore, patriarche de Constantinople, enlève toute témérité à cette supposition. On y trouve, en effet, certains témoignages invoqués par les livres Carolins, témoignages empruntés sans doute à des écrits de propagande iconoclaste composés à Constantinople au viiie siècle. Cf. D. Serruys, dans les Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1904, p. 360-363. Voir t. ii, col. 1792-1799.
Quant à la doctrine émise dans ces Livres, la voici
condensée en ces divers points :
a) Bien que l’auteur
donne le plus souvent au mot adoratio le sens strict de culte « dû à Dieu seul » et l’oppose aux décrets de Nicée,
il ne méconnaît pas cependant une autre adoratio, quæ… humilitatis et salutationis officio erga homines agitur.
Mais celle-là même ne se donne qu’aux personnes
vivantes, ii, 24.
b) On doit vénérer (c’est le terme
employé) la croix, parce qu’elle a été l’instrument du
salut, et les reliques des saints, qui aut in corporibus eorumdem sanctorum, aut circa corpora fuisse, et ab his
sanctificationem ob quam venerentur percepisse credantur ;
mais on ne doit aucunement vénérer les images,
parce que ce n’est pas avec de la peinture que le Christ
nous a sauvés et parce qu’elles n’ont vis-à-vis des saints
aucun rapport d’appartenance, sed pro captu uniuscujusque
ingenii, vel instrumentis artificii, modo formosse,
modo deformes, plerumque etiam rebus impuris fiunt, ii, 28 ; iii, 24.
c) Le principe du culte des images, à savoir que
l’honneur qui leur est rendu remonte à l’original, nulla ratione percipitur, nec divinorum eloquiorum testimoniis approbatur, iii, 16. « Et à supposer d’ailleurs que les
gens instruits soient capables de reporter sur l’original
les honneurs qu’ils paraissent rendre aux images,
indoclis tamen quibusque scandalum generant, qui nihil aliud in his præter id quod vident venerantur et adorant,
iii, 16.
d) Il ne faut donc pas allumer des cierges ni brûler
de l’encens devant les images qui ne peuvent ni voir
ni sentir, iv, 3.
e) Tout culte ainsi écarté, il est permis
de peindre et d’employer les images à la décoration des églises
et au rappel des faits passés ; mais cela même est
indifférent, et à cet usage ou non-usage la religion n’a
rien à gagner ni à perdre, cum ad peragenda nostræ sa- lutis mysteria nullum penitus officium (imagines) habere noscantur, ii, 21.
f) Cependant là où il existe des
images religieuses, on ne doit point les briser, ni les détruire,
i, præf. ; ii, 23. Cette doctrine, on le voit, était
très nette, et allait plus loin que le refus d’adorer les
images. Tout culte, même relatif, leur était dénié ; on
pouvait seulement s’en servir. » Tixeront, op. cit., t. iii, p. 475-476.
Le concile de Francfort, formé de trois cents évêques
environ, qui s’était réuni en juin 794 pour combattre l’adoptianisme espagnol, voir t. vi, col. 712 sq., ne pouvait
point ne pas dire son mot au sujet de l’affaire qui agitait
tout l’Orient, et y avait fait, à trente-quatre ans d’intervalle,
l’objet de deux conciles contradictoires. Les
Livres Carolins lui furent, selon toute probabilité, communiqués.
Nous ne possédons pas le compte rendu des
débats, et de tout ce qui se dit et décida au concile, au
sujet des images, il ne reste de précis que ce que contient
le 2e canon. Le voici : Allata est in medium quæstio de nova græcorum synodo, quam de adorandis imaginibus Constandnopoli fecerunt, in qua scriptum habebatur ut qui imaginibus sanctorum, ita ut deificæ Triniiati servitium aut adorationem non impenderent, anathema judicarentur. Qui supra sanctissimi patres nostri omnimodis adorationem et servitutem renuentes contempserunt, atque consentientes condemnaverunt. Mansi, t. xiii,
col. 909. « On voit par ce canon :
a) que les Francs ne
considéraient pas le concile de Nicée comme œcuménique,
et qu’ils le croyaient tenu à Constantinople,
cette dernière erreur étant explicable par le fait que la
dernière session s’était tenue en effet dans cette ville ;
b) qu’ils lui attribuaient une doctrine qui n’était pas
la sienne, erreur occasionnée par la mauvaise traduction
qu’ils avaient sous les yeux, et notamment par le
travestissement qu’y avait subi le vote de l’évêque
Constantin de Constantia dans l’île de Chypre. » Tixeront,
op. cit., t. iii, P. 476, en note. Les légats du pape,
Théophylacle et Étienne, étaient présents. Les actes
ne mentionnent ni leur acceptation ni leur protestation.
Leur embarras devait être bien grand ; car, d’une part,
le pape avait approuvé le concile de Nicée, et d’autre
part, les Pères de Francfort jugeaient l’œuvre des
grecs d’après la traduction exécutée sur l’ordre du pape
lui-même et envoyée par lui à Charlemagne. Or, cette
traduction rendait indifféremment par le mot adoratio
les différents degrés et nuances du culte que les grecs
avaient pris soin de distinguer, et en outre, prêtait,
nous l’avons vu, des absurdités formelles aux restaurateurs
du culte des images. De plus, l’objet principal
du concile était l’examen et la condamnation de l’adoptianisme :
la question des images n’était traitée que
secondairement. Il est probable que, condamnant l’erreur
prêtée aux grecs, les légats, pris au dépourvu,
durent, quant à la condamnation du concile de Nicée,
réserver leur avis.
Le 2e canon de Francfort condamne-t-il aussi le culte relatif des images ? Le terme omnimodis pourrait le faire croire, mais il est bien certain que, la seconde phrase étant la contre-partie de la première, les mots adoratio et servitium, indépendamment même de toute autre considération sur leur valeur pour les évoques francs, doivent y avoir le même sens, c’est-à-dire absolu. Et comme il faut bien que le mot omnimodis signifie quelque chose, voici comment doit être entendu le canon cité plus haut : le concile condamne non seulement l’adoration des images qui se fait selon le culte dû à la très sainte Trinité, mais encore, et c’est la portée du mol omnimodis, toute adoration et tout service, au sens absolu de ces mois. Cette remarque est importante, si l’on considère la présence des légats du pape à ce concile. Le concile n’errait point sur la doctrine, mais seulement sur un point d’histoire. Les légats pouvaient laisser passer une erreur historique qu’il n’était pas en leur pouvoir de redresser, mais ils ne pouvaient trahir sur la question dogmatique la pensée du saint-siège. C’est même sans doute à leur influence que les Pères de Francfort se refusèrent à suivre jusqu’au bout l’enseignement des Livres Carolins, et gardèrent, en fait de doctrine, la juste vérité.
Charlemagne, du reste, obtenait l’essentiel de ce qu’il désirait, à savoir un blâme solennel infligé aux grecs. Mais il ne parut pas s’en contenter et voulut faire partager ou du moins connaître au pape lui-même son ressentiment contre les Orientaux. C’est pourquoi il lui envoya, dans la seconde moitié de 794, par l’entremise d’Angilbert, quatre-vingt-cinq capitula, extraits des Livres Carolins. Ce Capitulaire, que nous n’avons plus, peut facilement être reconstitué en conférant la réponse du pape et les Livres Carolins. Hadrien reçut l’envoyé du roi avec grand honneur et prit connaissance de l’ouvrage. L’opposition de Charlemagne, ainsi que celle des évêques francs, dut bien l’étonner. Il invoqua la tradition de l’Église romaine et la doctrine de ses prédécesseurs. Sans se décourager, il répondit point par point à chaque reprehensio du Capitulaire. La subtilité de bien des réponses a pour cause la futilité pointilleuse de l’attaque, et quelquefois aussi l’embarras du pontife, lié lui-même par la mauvaise traduction des actes de Nicée. C’est ainsi qu’à la reprehensio qui concerne le vote de l’évêque Constantin de Constantia, il ne peut que dire qu’il faut l’entendre dans le sens général de la définition du concile. P. L., t. xcvii, col. 1276. Vers la fin de sa lettre, il dissipe le malentendu qui cause l’opposition de Charlemagne. Et sicut de imaginibus sancti Gregorii sensum et nostrum continebatur (il s’agit de la lettre à Secundinus, citée plus haut) : ita ipsi (les Pères de Nicée) in eadem synodo definitionem confessi sunt, his (les images) osculum et honorabilem salutationem reddidere ; nequaquam secundum fidem nostram veram culturam quæ decet soli divinæ naturæ… Et ideo ipsam suscepimus synodum. Mansi, t. xiii, col. 808 ; P. L., t. xcviii, col. 1291. Nous ne savons pas quel effet produisit la réponse du pape sur Charlemagne et son entourage. Hadrien meurt cette année même, et il ne semble pas que son successeur ait dû s’occuper de la question. Charlemagne, qui, sans aucun doute, aspire dès cette époque à la couronne impériale, a besoin pour cela du saint-siège, et n’a garde de vouloir en éprouver de nouveau l’inflexibilité. Il s’apaise peu à peu, mais le concile de Nicée continue dans le royaume des Francs à n’être point considéré comme œcuménique. Toutefois, on n’entend plus parler des images sous son règne.
On a déjà dû remarquer combien la politique se trouva mêlée à cette querelle religieuse. C’est alors la lutte pour la domination, sur l’Italie en particulier, entre l’empire byzantin et le royaume franc, dont le prestige grandit de jour en jour. C’est à qui entraînera dans son orbite la papauté romaine, dont l’appui est le plus sûr gage de la suprématie. Le fossé se creuse ainsi entre l’Orient et l’Occident. Le blâme de Francfort l’approfondit, et l’élévation de Charles à l’empire, que le pape Léon III ne peut lui refuser à cause des éminents services qu’il a rendus à l’Église et de ceux qu’on peut attendre de lui, achève entre les deux parties du monde chrétien l’opposition politique et prépare, pour une grande part, le schisme religieux qui se produira au siècle suivant.
3. Réunion de Paris (825).
La question des images ne réapparaît en Occident qu’en 824, à l’occasion de l’ambassade et de la lettre de Michel le Bègue à Louis le Débonnaire. Cette lettre révélait et vraisemblablement exagérait les excès où se portait la dévotion des iconophiles. « Ils ont éliminé des églises la sainte croix, qu’ils ont remplacée par des images devant lesquelles ils font brûler des parfums, leur rendant le même honneur qu’au signe sacré sur lequel le Christ a souffert. Ils chantent des psaumes devant ces images, leur témoignent leur vénération (προσκυνεῖν, mot à mot adorare, geste qui consiste à porter la main à sa bouche et à la baiser en signe de vénération), et en attendent du secours. Beaucoup revêtent ces images d’habits de lin, et les choisissent pour parrains de leurs enfants. D’autres, voulant prendre l’habit monastique, abandonnent la vieille tradition, d’après laquelle les cheveux qu’on leur coupe étaient reçus par des personnes de marque ; ils préfèrent les laisser tomber sur les images. Des prêtres et des clercs grattent les couleurs des images, mêlent ces couleurs aux hosties et au vin, et distribuent le tout après la messe (comme eulogies). Enfin d’autres placent le corps du Seigneur entre les mains des images, avant de le distribuer aux communiants. Quelques-uns ne célèbrent plus le service divin dans les églises, mais dans les maisons privées et sur des images qui tiennent lieu d’autels. Ces faits et plusieurs autres bien constatés, les hommes savants et sages les regardent comme défendus et inconvenants. » Hefele, op. cit., trad. Leclercq, t. iv,p. 42.
Le concile de 815 avait condamné ces abus, et l’empereur partageait le même sentiment. Pour rétablir dans la sainte Église la paix et l’orthodoxie, il envoyait au pape des ambassadeurs (les mêmes qui étaient adressés à l’empereur Louis) et priait cet empereur de les faire accompagner avec honneur et à l’abri de tout danger jusque auprès du pape. Mansi, t. xiv, col. 417. Le monarque franc, ému des désordres auxquels aboutissait, lui assurait-on, la dévotion aux images, flatté d’ailleurs qu’on eût recours à sa protection pour clore toutes les difficultés, entra dans les vues de l’empereur byzantin. Il fit à ses envoyés le meilleur accueil, les fit accompagner à Rome comme on l’en priait, et demanda au pape Eugène II l’autorisation d’ouvrir, dans une assemblée d’évêques, une enquête patristique au sujet des images. Le pape y consentit. La réunion eut lieu à Paris en 825. Sans être et sans vouloir être un concile, elle prétendit tracer sa conduite au saint-siège. Quatre pièces nous sont restées de ses délibérations : un mémoire à l’empereur et à son fils Lothaire, et trois projets de lettres officielles ; l’une, que Louis écrirait au pape, une autre, que le pape écrirait aux empereurs grecs, et une troisième, que l’épiscopat français adresserait au pape. De cette dernière nous n’avons que des fragments intercalés dans la précédente. Voir ces documents dans Mansi, t. xiv, col. 422 sq. La première pièce, dissertation détaillée sur les images, commence par juger la lettre du pape Hadrien à Irène : on le loue d’avoir blâmé les briseurs d’images, et on le blâme d’avoir ordonné d’adorer ces mêmes images. Le concile de Nicée, poursuit le mémoire, s’est grossièrement trompé, et ses raisons en faveur du culte des images ne valent rien. La réponse du pape Hadrien aux reprehensiones de Charlemagne apporte, defensionis causa, des témoignages aliquando absona, aliquando inconvenientia, aliquando etiam reprehensionis digna ; le pontife romain avait répondu quæ voluit, non tamen quæ decuit, et sans l’enseignement de saint Grégoire, il se fourvoyait au point de tomber dans le précipice de la superstition. Aussi priait-on le prince de s’entremettre auprès des grecs et du pape, pour les ramener dans la bonne voie. Et dans ce but, on leur présentait une série de textes bibliques et patristiques, dirigés, les uns contre les iconoclastes, les autres, en nombre beaucoup plus considérable, contre les iconophiles. Les empereurs choisiraient eux-mêmes ceux qui leur paraîtraient les plus propres à établir la vraie doctrine. On voit persister dans ce recueil le malentendu qui prête au IIe concile de Nicée l’absurdité même qu’il a expressément rejetée, can. 12. On y voit, par contre, admise l’adoratio de la croix en l’honneur de la passion du Christ, parce que la vénération rendue à la croix est une institution de l’Église universelle, mais rejeté l’argument qu’on en tire en faveur de l’adoration des images. Et certes, bien à tort, car le mémoire ne parle pas seulement de la vraie croix, mais de toute autre croix destinée à rappeler la passion du Sauveur. Sancta mater Ecclesia… decrevit licitum esse universis catholicis, ob amorem solius passionis Christi, ubicumque eas (cruces) viderint, inclinando si voluerint venerari, et insuper die sancto quo passio Domini in universo mundo specialiter celebratur, cum omni devotione universum ordinem sacerdotalem seu cunctum populum prostratum adorare, can. 14. Car, si l’image de la croix est vénérable, pourquoi l’image de celui qui est mort sur elle ne le serait-elle pas ? Le second document contient des considérations vagues sur le bien général et n’a rien de commun avec notre objet. Le troisième et le quatrième documents reproduisent l’enseignement des Livres Carolins au sujet des images. Il se résume en ces quelques mots : les images sont chose indifférente à la religion, leur usage est permis, mais leur culte illicite. « Ainsi l’assemblée de Paris ne se contentait pas de rejeter la doctrine romaine ; elle prétendait dicter au pape la lettre qu’il écrirait en Orient et les arguments qu’il y alléguerait pour désavouer les décisions de ses prédécesseurs et condamner un concile reçu par eux. On ne pouvait trahir plus de naïveté et de confiance en soi. » Tixeront, op. cit., t. iii, p. 479.
De tous ces documents qui lui furent remis le 6 décembre 825, l’empereur fit faire un extrait qu’il chargea deux évêques francs, Jérémie de Sens et Jonas d’Orléans, de porter à Rome. Ils devaient aussi remettre au pape une lettre de l’empereur Louis pleine de déférence. « Nous avons fait demander à Votre Sainteté qu’il fût permis à nos évêques de recueillir les textes des saints Pères… Nous vous envoyons, par les vénérables évêques Jérémie et Jonas, ce qu’ils ont pu réunir dans le peu de temps qu’ils ont eu. Cependant ce n’est pas pour vous enseigner que nous vous les envoyons avec ce recueil d’autorités : c’est seulement pour vous fournir quelque secours… Si vous avez pour agréable que nos ambassadeurs aillent à Constantinople avec vos légats, faites-le-nous savoir à temps… Nous ne disons ceci que pour vous montrer combien nous sommes disposé à faire tout ce qui sera du service du saint-siège. » Hergenrœther, Histoire de l’Église, trad. Belet, Paris, 1886, t. iii, p. 108 ; P. L., t. civ, col. 1318-1319. Quelle suite fut donnée à ces démarches ? Rien ne nous l’apprend. Aucune, sans doute, et tout dut finir par l’ambassade de politesse que devait le monarque franc. On sait, en effet, par un biographe anonyme de Louis le Débonnaire, que ce prince envoya comme ambassadeurs à Constantinople l’évêque Halitgar et l’abbé Ansfried de Nonantula. Hefele, op. cit., trad. Leclercq, t. iv, p. 48.
4. Claude de Turin.
Vers ce temps, se place l’éclat de Claude, évêque de Turin. D’origine espagnole, il avait passé quelque temps à la cour de Louis et en partageait l’hostilité contre le culte des images. Homme peu cultivé et d’ailleurs d’un caractère entêté, suivant jusqu’au bout une logique étroite et fruste, il se mit à effacer les images et à briser les croix. Il alla même jusqu’à condamner le culte des reliques et nier l’intercession des saints. Cela causa beaucoup d’émoi dans le peuple fidèle. Le pape Paul Ier infligea à cet iconoclaste un blâme qui n’eut aucun résultat. Théodmir, abbé du monastère de Psalmody (diocèse de Nîmes), son ancien ami, le reprit fortement. Claude répondit par un volumineux écrit, Apologeticum atque rescriptum Claudii episcopi adversus Theudmirum abbatem, P. L., t. cv, col. 459-464, où il exposait et accentuait ses erreurs, traitant d’idolâtrie le culte et l’usage même des images et de la croix, non idola reliquerunt, sed nomina mutaverunt. L’empereur lui-même trouva son zèle excessif, mais il le laissa dans la tranquille possession de son siège, jusqu’à sa mort, qui arriva à quelque temps de là, vers 827. À l’Apologeticum répondirent le moine Dungal, de Saint-Denis, Liber adversus Claudium Taurinensem, P. L., t. cvi, col. 465-530, en 827, et Jonas, évêque d’Orléans, De cultu imaginum libri tres, P. L., t. cvi, col. 305-388. Cet ouvrage ne parut qu’une quinzaine d’années après la mort de Claude. Jonas, à la suite de saint Augustin, établit que le mot culte a un sens applicable à la créature, col. 319. On ne doit donc pas traiter d’idolâtres ceux qui pratiquent le culte des images : tout au plus sont-ils des ignorants qu’il faut charitablement instruire, col. 315, 336. Dungal va plus loin, et ne refuse pas aux saintes peintures un certain honneur in Deo et propter Deum, Tixeront, op. cit., t. iii, p. 481. Le texte est intéressant et marque le progrès que fait en Occident le culte des images. Evidentissime patet picturas sanctas et Domini crucem et sacras electorum Dei reliquias dignis et congruis honoribus a catholicis et orthodoxis in Deo et propter Deum venerari oportere, col. 527. Voir t. iii, col. 13-16.
L’opposition au culte des images se manifestait encore à la même époque par le traité d’Agobard de Lyon, Liber de imaginibus sanctorum, P. L., t. civ, col. 199-228, écrit vers 825, où l’usage est admis, mais où l’on met en garde contre le culte. Voir t. 1, col. 614. La même attitude est gardée par Walafrid Strabon, mort en 849, dans son De rebus ecclesiasticis, P. L., t. cxiv, col. 927-930, où, voulant garder le milieu entre « l’irrévérence » et le « culte immodéré », il s’en tient à un honneur tout négatif, que rendrait bien le mot de respect. Comme il reconnaît que l’irrévérence envers les images rejaillit sur ceux qu’elles représentent, il semble bien que seule la crainte des excès l’ait détourné d’un culte positif. Sic itaque imagines et picturæ habendæ sunt et amandæ ut nec despectu utilitas annuletur, et hæc irreverentia in ipsorum, quorum similitudines sunt, redundet injuriam ; nec cultu immoderato fidei sanitas vulneretur, et corporalibus rebus honor nimie impensus arguat nos minus spiritualia contemplari. P. L., t. cxiv, col. 930. Hinemar de Reims, mort en 882, fit un ouvrage, Qualiter imagines Salvatoris nostri vel sanctorum ipsius vencrandæ sint, aujourd’hui perdu, mais dans un autre ouvrage, Opusculum lv capitulorum adversus Hinemarum Laudunensem, P. L., t. cxxvi, col. 360, on voit qu’il regarde le concile de 787 comme un pseudo-concile tenu sine auctoritate apostolica, qui fut incapable de résoudre la question intellectu sano. C’est pourquoi le concile tenu en France sous Charlemagne l’avait détruit et rejeté. La méprise persistait donc qui avait donné lieu au 2e canon du concile de Francfort.
L’opposition au culte des images ne cessa qu’à la fin du ixe ou au commencement du xe siècle, quand fut reçu en France le VIIIe concile général, IVe de Constantinople (869), qui avait approuvé les décisions du IIe concile de Nicée. « Ainsi se termina cette longue controverse, dans laquelle le génie propre de chaque nation tint une si large place. Le culte des images cadrait avec le tempérament religieux des grecs, et l’Église grecque en est restée la terre classique. En Occident, Rome et l’Italie, la patrie des arts, furent les premières à le défendre, bien qu’on n’y ait jamais accepté certaines conceptions des byzantins, qui faisaient des images de vrais sacramentaux, et les identifiaient par trop, au point de vue de l’action et de la vertu, avec les originaux qu’elles représentent. La France et l’Allemagne, longtemps rebelles, cédant à la logique et aussi, on peut le croire, à l’influence romaine, ont fini par y venir, mais en y gardant toujours plus de réserve et de sobriété. » Tixeront, op. cit., t. iii, p. 482-483.
5. Le malentendu dans la querelle des images en Occident.
On a souvent expliqué l’opposition des Francs à la doctrine de Nicée parce qu’ils donnaient au mot adoratio, dont on avait fait l’équivalent de προσκύνησις, le sens de latrie. C’est trop dire ou plutôt ce n’est pas assez expliquer, car les théologiens occidentaux n’ignoraient pas que ce mot eût aussi un autre sens, employé dans la Bible, et l’auteur des Livres Carolins le reconnaît à plusieurs reprises. Il est bien vrai toutefois que, mises à part les préventions politiques et la défiance causée par les graves contresens de la traduction des actes de Nicée, c’est dans un malentendu verbal qu’il faut, pour une bonne part, rechercher le principe du désaccord qui survint entre l’Orient et l’Occident.
Tout d’abord se présente le mot adoratio, qui rend celui de προσκύνησις. Ce mot avait été employé au concile de Rome (769) auquel assistaient douze évêques francs. Mansi, t. xii, col. 721. Pour l’auteur des Livres Carolins, qui déclenche l’offensive contre les décisions de Nicée, ce mot a un double sens : l’un, réservé au culte religieux, et qui s’identifie avec celui de latrie ; l’autre, en usage dans le commerce des hommes entre eux. Dans les deux cas, le sens est absolu. Parce qu’il s’agit d’actes religieux, l’adoratio imaginum prend pour l’auteur une signification de latrie. Et comme les iconophiles disent qu’on peut fort bien adorer sans latrie, ainsi que la Bible le dit de plusieurs personnages, il leur répond que, s’il est raisonnable d’exprimer sa déférence envers des personnes vivantes, il est insensé d’en faire autant pour une peinture qui ne voit ni ne sent, insensé d’accorder la même vénération à un être raisonnable et à une chose inanimée. Par où il apparaît bien que le terme d’adoration n’a point chez cet auteur le sens le plus large qu’a chez les grecs celui de προσκύνησις. Il le restreint au sens absolu, et, dans ce sens, à deux déterminations précises. Le terme colère est restreint à une signification religieuse, et dans cette signification, il a la même portée que l’adoratio de latrie. Dieu seul est adorandus et colendus. Au-dessous est le mot venerari. Il s’applique à la croix, aux saints, à leurs reliques, à leurs basiliques, à tout ce qui est consacré pour le culte dû à Dieu. C’est celui qui eut le plus de chance d’être reçu des Occidentaux. Dans les réponses d’Hadrien aux reprehensiones du Capitulaire de Charlemagne, il est à remarquer que le pape paraît abandonner, pour désigner le culte des images, le terme d’adoration qui effarouche son royal contradicteur, mais se sert à sa place de celui de vénération. Voir en particulier P. L., t. xcviii, col. 1285-1286. Et même, en reproduisant un passage de sa lettre aux empereurs grecs où un texte de saint Ambroise contient le mot adoramus au sujet de la croix, il lui substitue celui de veneramur. Cf. Mansi, t. XII, col. 1068-1069 ; P. L., t. xcviii, col. 1288. Ce rapprochement n’a toutefois de valeur que si le texte latin qui se trouve dans Mansi est vraiment, comme l’assure Hefele, la reproduction de l’original latin de la lettre d’Hadrien, Le mol adoratio est de même absent du décret du concile de Trente pour désigner le culte des images, pour ne pas permettre aux hérétiques de surprendre la bonne foi des simples. Mais comment expliquer que la vénération elle-même soit refusée aux images, alors qu’elle est accordée aux reliques et aux temples ? Nous sommes ici au nœud de la question. Il faut quitter les considérations philologiques, pour faire appel à l’histoire et à la psychologie. Les Occidentaux étaient peu portés par tempérament à cette forme de religion qui fleurissait en Orient. Quand une méprise leur eut fait croire que cette piété tournait à l’idolâtrie, ils reculèrent d’horreur et d’indignation, et le recul brusque et violent les rejeta, comme il arrive presque toujours, plus loin qu’il ne fallait. Redoutant jusqu’à l’ombre même de pratiques païennes, ils condamnèrent tout culte des images, n’en permettant que l’usage. Et ce faisant, ils s’imaginaient tenir le juste milieu entre les iconoclastes et les iconolâtres. Ainsi engagés par défiance, ils prirent à cœur de prouver la sagesse de leur position. On vit que les images ne ressemblaient à rien de ce que la piété occidentale vénérait alors ; il ne fallait donc pas les honorer. Elles n’étaient pas autre chose que de la peinture, plenunque ex rébus impuris, étendue sur une toile ou sur un mur avec plus ou moins de talent par un artiste quelconque. On prêtait peu d’attention à l’original, mais on considérait surtout la matière de l’icône, qui n’avait qu’accidentellement l’avantage d’instruire et d’exciter le souvenir. On ne pouvait donc les comparer à des reliques, sanctifiées par le saint à qui elles avaient appartenu, ni aux temples, ni aux vases consacrés pour le culte divin, encore moins à la croix, instrument de notre rédemption.
Ainsi donc, la pensée occidentale se porte sur l’image, d’abord et principalement en tant que chose, et secondairement en tant que similitude. D’où il suit que, si l’on vénère l’image, la vénération se porte directement sur l’image en tant que chose. Or, l’image, en tant que chose, ne mérite aucune vénération. Donc il ne faut point vénérer les images. Sans doute, cela n’est point dit aussi clairement par les théologiens francs, mais à lire les multiples objections des Livres Carolins et du concile de Paris à la doctrine de Nicée, on s’aperçoit que c’est bien cette conception toute matérielle de l’image qui en fait le fond. Ce n’est que plus tard, sous l’influence des doctrines aristotéliciennes, que l’on s’élèvera jusqu’à la conception formelle.
Tempérament national, rivalités politiques, traduction maladroite, confusions linguistiques, amour propre engagé, conception matérielle de l’image, tout cela a contribué, pour une part plus ou moins grande, à diviser l’Occident de l’Orient. Ce n’est que peu à peu que tout cela se dissipe. Le concile de Paris élargit le sens religieux du mot adoration, et l’applique à la croix. Strabon reconnaît que le mépris des images rejaillit sur l’original et l’on a vu le moine Dungal admettre comme évident pour les saintes peintures un culte in Deo et propter Deum. L’idée orthodoxe est en marche et atteindra son plein développement et sa claire explication au xiiie siècle, surtout avec le docteur angélique.
5° Iconomaques du moyen âge et de la Réforme.
Le moyen âge, en dehors de l’opposition carolingienne, nous présente encore plusieurs iconomaques. Un certain nombre de sectes professent le mépris des images parmi d’autres erreurs beaucoup plus graves. C’est, en Orient, après les pauliciens, qui s’attaquent surtout aux croix, Tixeront, op. cit., t. iii, p. 452, n. 1, les bogomiles, dont le plus célèbre est Basile le Médecin, qui préféra marcher au bûcher plutôt que d’honorer la croix. Ils tiennent tous les hiérarques et les Pères pour des idolâtres, nous apprend d’eux Euthyme Zigabène, parce qu’ils adorent les images (διά τῆν τῶν εἰκόνων προσκύνησιν), et ne regardent comme vraiment chrétiens, fidèles et orthodoxes parmi les basileis que les iconomaques, surtout le Copronyme. Panoplia dogmatica, tit. xxvii, 11, P. G., t. cxxx, col. 1308. En Occident, c’est Pierre de Bruys qui s’élève contre le culte de la croix, en particulier, parce que, selon lui, l’instrument qui a tant fait souffrir le Sauveur est plutôt digne d’exécration que de vénération. Cruces sacras confregi præcepit et succendi, quia species illa vel instrumentum, quo Christus tam dire tortus, tam crudeliter occisus est, non adoratione, non veneratione digna est ; sed ad ultionem tormentorum et mortis ejus, omni dedecore dehonestanda, gladiis concidenda, igni succendenda est. Pierre le Vénérable, Tractatus contra petrobrusianos. præf., P. L., t. cxxxix, col. 722. Voir t. ii. col. 1153. Pierre de Bruys eut des disciples appelés pétrobrusiens, dont le plus célèbre fut Henri de Bruys (qui engendra à son tour les henriciens). Il périt sur le bûcher et fut salué par les protestants comme un de leurs patriarches. Voir t. vi, col. 2180-2181. Les wicleffistes et les hussites devaient avoir aussi, au nombre de leurs erreurs, la condamnation du culte des images, car parmi les questions qui doivent leur être posées, d’après la bulle Inter cunctas, du 22 février 1418, la 29e porte ceci : Ultrum credat et asserat, licitum esse sanctorum reliquias et imagines a Christi fidelibus venerari ? Denzinger-Bannwart, Enchiridion, 1908, n. 678. On sait du reste le mépris des wicleffistes pour les images de la croix, qu’ils appelaient des troncs pourris. À l’époque de Wicleff et de Jean Hus, s’élève en Russie un iconoclaste du nom de Markian : chose étrange en ce pays, où les icônes étaient si unanimement vénérées. Il apparut à Rostov, sous l’évêque Jacob (1385-1392). Cet hérétique, de rite arménien, prédicateur de grand talent, avait réussi à ébranler non seulement le peuple, mais aussi le prince et les boyards. L’évêque prépara et organisa une discussion publique en présence du prince, des boyards, du clergé et du peuple, accusa solennellement Markian, le confondit elle fit chasser de Rostov. Macaire, Histoire de l’Église russe (en russe), Saint-Pétersbourg, 1888, t. IV, p. 251.
Nous voici à la Réforme. Les novateurs n’ont pas tous au même degré la haine ou l’éloignement des images et le goût de les briser. Dans ses débuts, Luther permet l’usage des images, mais en défend le culte ; il s’élève contre les iconoclastes, dont le diable se sert pour susciter des troubles et faire couler le sang. Mais il n’est point constant avec lui-même. Dans un sermon sur l’invention de la sainte croix, il s’écrie : Ad diabolum cum ejusmodi imaginibus ; nullius enim boni causa sunt. Jungmann, De Verbo incarnato, Fribourg-en-Brisgau, 1897, p. 366. Carlostadt s’opposa violemment aux images et excita contre elles à Wittenbourg une guerre ouverte. De même, Zwingle, Vera et falsa religio, c. De statuis et imaginibus, dont le parti brisa les images dans la ville de Zurich. Les apologistes de la Confession d’Augsbourg accusèrent les catholiques d’enseigner qu’il y avait dans les images une certaine vertu, comme les magiciens le prétendaient pour les figures des constellations. Mais ceux qui combattirent le plus brutalement les images furent les calvinistes. Ils les bannirent absolument de leurs temples, auxquels ils donnèrent la froide nudité des mosquées. Calvin, dans ses Institutions, i, 11, déclare que les catholiques, par l’usage et le culte des images, sont allés contre le premier précepte du Décalogue et sont retombés dans l’idolâtrie. Et l’on connaît ce propos impie de Théodore de Bèze : Fateor me ex animo crucifixi imaginem detestari. Voir encore Jean Daillé, De cultibus religionis latinorum, Genève, 1671, passim. Les sociniens eurent sur les images les mêmes sentiments que les calvinistes. Catechismus Racoviensis, q. ccli sq. La mise en pratique de ces doctrines perverses couvrit de ruines un grand nombre de régions. La France surtout et les Pays-Bas en souffrirent. En France, environ cinquante cathédrales et cinq-cents églises furent pillées et leurs croix et images abattues ou détruites. Dans les Pays-Bas, des milliers d’autels furent saccagés, les images brisées et les croix foulées aux pieds. En Angleterre, la Réforme n’a point introduit d’iconoclasme, mais les « anglicans ont banni les crucifix ; ils représentent la sainte Trinité par un triangle renfermé dans un cercle, et un auteur anglais trouve cette figure plus ridicule et plus absurde que toutes les images catholiques. Stéele, Épître au pape. » Bergier, Dictionnaire de théologie, t. iii, p. 115. Au concile de Trente, l’Église précisa de nouveau sa doctrine et proclama le culte dû aux images. Voir plus loin. Après le concile de Trente, on ne voit pas se produire de nouvelles oppositions contre la doctrine du culte des images, mais seulement contre certains usages permis ou approuvés par l’Église. Les baianistes et les jansénistes déclaraient qu’on ne devait pas représenter dans les églises l’image de Dieu le Père. C’est la 25e des 31 propositions condamnées par Alexandre VIII, le 24 août 1690. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1315. Voir t. I, col. 759-760. Le synode de Pistoie (1786) émit sur le culte des images un certain nombre de prescriptions et d’avis qui encoururent la condamnation du saint-siège. Il voulait qu’on enlevât toutes les images de la Trinité incompréhensible, comme pouvant être une occasion d’erreur pour les fidèles, blâmait le culte spécial rendu à certaines images de préférence à d’autres, défendait qu’on se servît de vocables pour les distinguer (surtout celles de la sainte Vierge) en dehors de ceux qui sont en rapport avec des mystères expressément mentionnés dans l’Écriture, enfin voulait extirper comme un abus l’usage de garder voilées certaines images. Ces idées furent jugées par le saint-siège téméraires, contraires à l’usage de l’Église et à la piété des fidèles. Bulle Auctorem fidei, 28 août 1794, Denzinger-Bannwart, n. 1569-1572. En Russie, au xvie siècle, apparut un hérétique connu sous le nom de Cosoï, qui, parmi beaucoup d’autres erreurs, considérait le culte des images comme une idolâtrie. Voir t. iii, col. 1919. La plupart des sectes nées du raskol, depuis le xviie siècle, condamnent le culte des images ainsi que des reliques, pour les mêmes motifs que les iconoclastes byzantins du viiie siècle. Cf. L. Baurain, Le culte des images, dans la Revue augustinienne, 1906, t. ix, p. 647-649.
6° La pratique du culte des images dans les temps modernes, surtout en Orient.
Pour terminer l’histoire du
culte des images, il nous reste à voir comment il est
pratiqué, surtout en Orient. En ce pays, il garde toujours
la même importance et le même éclat. La Russie
le reçoit de Byzance en même temps que le christianisme,
quand on célèbre encore la victoire des iconophiles sur les iconoclastes. Elle s’y porte avec une
grande ferveur. L’iconographie, qui fleurit en Russie
d’assez bonne heure, xiie siècle, fut considérée comme
une sorte de sacerdoce. Plusieurs évoques, parmi les
quels le métropolite Pierre de Moscou (1308-1326),
s’adonnaient à la peinture des icônes. Le xive et le xve siècle
ont déjà un grand nombre d’icônes thaumaturgies,
surtout de la sainte Vierge, dont plusieurs peintes
par Pierre de Moscou. « Dans le Domostroï (Ordre de la
maison), livre du commencement du xvie siècle, il est
écrit : La maison de chaque chrétien doit être pareille
à une petite église ; sur les murs, à une place spéciale et
ornée, doivent être placées les saintes icônes : pendant
les prières il faut allumer devant elles des cierges et les
encenser. » Macaire, op. cit., t. vii, p. 448. Le respect dû
aux icônes réclame qu’elles ne soient pas livrées aux
caprices des artistes et demande à ceux-ci une conduite
digne de leur art pieux. Plusieurs conciles s’y emploient.
« En répondant aux questions posées par Ivan le Terrible,
le concile des Cent décida :
1. les iconographes
doivent exécuter les images selon les icônes anciennes,
et non pas selon leur fantaisie ;
2. les iconographes
doivent être obéissants, modestes, pieux, ne doivent
pas abuser du vin, être chastes, et en général vertueux,
et ils doivent faire les icônes avec une grande application ;
3. de pareils iconographes doivent être protégés
par le tsar, sauvegardés et estimés par les prélats plus
que les autres et vénérés par les seigneurs et le peuple. »
Macaire, op. cit., t. viii, p. 15.
Le même auteur ajoute :
« On peut juger à quel point on honorait l’iconographie
par ce fait, que, lorsque les icônes avaient besoin
d’être restaurées, on les transportait de loin à Moscou
avec une grande solennité et souvent les métropolites
eux-mêmes travaillaient à leur restauration. Op. cit.,
t. viii, p. 17. Un voyageur du xviie siècle atteste la
même ferveur. « Dans leurs églises, écrit Oléari, les
Russes ont une énorme quantité d’icônes, suspendues
tout autour sur les murs… Les images sont considérées
comme indispensables à la prière et, pour cela, elles se
trouvent non seulement dans les églises et processions
solennelles, mais aussi dans les maisons de tous les particuliers
et dans chaque chambre, afin que chacun
puisse voir l’image pendant sa prière. » Cité par Macaire,
t. XI, p. 210. Cela nécessitait un grand nombre
d’iconographes. Le tsar en avait un groupe à son service.
À Moscou, selon Oléari, près du Kremlin, il y avait
une rue où on ne vendait que des icônes. Les Russes ne
donnaient pas à cette transaction le nom de vente, mais
disaient qu’ils échangeaient l’icône contre de la monnaie.
Macaire, ibid. Depuis la fondation du saint-synode,
le gouvernement réglementa par une série d’oukazes
la peinture, la vente et l’entretien des saintes
images. L. Baurain, loc. cit., p. 652. Sous ces lois, protectrices
de la sainteté des icônes, mais aussi parfois
gênantes pour la piété des fidèles, le culte des icônes
chez le peuple russe ne s’est pas démenti jusqu’à nos
jours. La liturgie leur a accordé une large place dans
son cycle. Les icônes de la sainte Vierge, à elles seules,
sont fêtées plus de cinquante fois par an, sous des noms
divers. L. IBaurain, loc. cit., p. 658. De 1518 à 1569,
cinq fêtes ont été introduites dans le calendrier pour
honorer différentes icônes plus célèbres, toutes de la
sainte Vierge. Macaire, op. cit., t. viii, P. 48-49. Le culte se
répand en dehors du sanctuaire, ou plutôt il fait de la
Russie un vaste sanctuaire. Dans les bateaux, les restaurants,
les banques, les bureaux, la plupart des magasins,
il y a toujours l’icône, généralement de la
sainte Vierge ou de saint Nicolas, à la place d’honneur.
Les salles d’attente des gares ont la leur, devant laquelle
les voyageurs vont faire brûler des cierges. Dans
les gares importantes des grandes villes, ce sont des
centaines de lumières qui étincellent devant l’icône.
Les maisons des pieux orthodoxes ont de même des
icône.s dans chaque chambre, et devant l’une d’elles,
une lampe brûle, sinon constamment, du moins les dimanches
et les jours de fête.
Cette dévotion aux icônes, qui est portée à un tel degré en Russie, se retrouve avec plus ou moins d’intensité dans tout l’Orient. Elle fleurit surtout chez les grecs. Le rôle qu’elle joue, en cas de maladie, à l’occasion d’une naissance, d’un baptême, d’un mariage, d’une cérémonie d’action de grâces, en attestent l’étendue et la profondeur. L’icône préside à tous les actes de la vie ; elle est la compagne inséparable du prêtre. « À vrai dire, ces manifestations de la piété russe ramènent en d’autres temps. L’étranger qui arrive en Russie se croit transporté une dizaine de siècles en arrière, au lendemain de la défaite de l’iconoclasme. Comme pour affirmer plus fortement un dogme et un culte longtemps discutés, les fidèles se pressent devant les images. Elles sont à la fois un drapeau et un trophée; et de même que, au lendemain de luttes terribles où la patrie a été en danger, tous les enfants d’un pays se serrent plus près autour du drapeau et perçoivent plus clairement dans leur âme l’idée de patrie qui les unit, ainsi le culte que l’Église gréco-slave rend aux saintes images témoigne de la dernière lutte d’où elle est sortie victorieuse, en même temps qu’il entretient l’amour de la patrie céleste. Mais, hélas ! pourquoi faut-il que l’Église russe semble toujours n’être encore qu’au lendemain de l’iconoclasme ! » L. Baurain, loc. cit., p. 664.
Les images usitées dans les églises de rite oriental sont les images peintes. On ne permet généralement pas les sculptures, mais seulement le Christ en croix, la sainte Vierge et saint Jean sur bois découpé. Les statues ne sont pas admises, bien que cet usage n’ait jamais fait l’objet d’un grief important contre les Occidentaux. C’est par fidélité à leurs traditions, par goût et tempérament national (en Orient on aime les couleurs) que les fidèles s’en tiennent à la seule peinture. En Russie, on est cependant moins rigoureux. Dans certaines contrées occidentales, on vénère même dans plusieurs églises des statues très anciennes. Cela est dû à l’influence latine qui se fit sentir sur plus d’un point par l’intermédiaire des Ruthènes.
Tandis qu’en Orient, le culte des images paraît absorber le meilleur de la piété des fidèles, en Occident, il se pratique avec beaucoup plus de modération et de discrétion. Il se porte surtout sur les nombreuses images dites miraculeuses, spécialement de Notre-Dame, qu’abritent nos sanctuaires, et leurs reproductions. Des cierges et des lampes brûlent devant elles, mais on ne voit point autant de démonstrations corporelles. Une forme particulière du culte des images en Occident est le couronnement solennel, dont le plus célèbre exemple est le couronnement de l’image de Notre-Dame dans la basilique de Sainte-Marie-Majeure, à Rome. Le rite usité à cette occasion sert de règle à toutes les cérémonies du même genre.
I. NOTION DE L’IMAGE.
1o Sens divers du mot image.
Le nom d’image est donné premièrement à toute représentation visuelle d’un objet. La nature en fournit d’impalpables, quand des corps lumineux ou éclairés projettent leurs rayons sur la surface polie d’un miroir ou d’une onde calme. L’art surtout en produit de durables et de tangibles quand, au moyen du pinceau, du ciseau, du moule, etc., il retrace sur une toile ou reproduit dans un bloc de marbre ou de métal une personne, une chose, un événement, réels ou fictifs. C’est là ce qu’on entend le plus ordinairement par le mot image. Dans un sens plus large, on a donné ce nom à tout ce qui, à la façon d’une image, fait connaître quelque chose. C’est ainsi que nous l’appliquons aux métaphores et aux comparaisons qui servent à traduire dans un langage sensible les réalités invisibles de l’ordre intellectuel ou moral, et aussi que nous disons que l’image de Dieu brille dans la création. C’est ainsi que saint Jean Damascène appelle image (εἰκὼν) soit l’Écriture sainte qui revêt de formes Dieu et les anges pour nous les faire connaître, soit les figures prophétiques de l’Ancien Testament, comme l’arche qui annonce la Vierge mère de Dieu, soit les choses créées qui servent à expliquer la révélation divine, comme le soleil, la lumière et le rayon, qui signifient la sainte Trinité, soit enfin toute écriture qui relate les événements passés. Il applique même ce nom d’image aux idées immuables et aux conseils éternels de la Divinité, non évidemment en ce sens qu’ils sont le reflet des êtres créés et des événements futurs, car c’est le contraire qui est le vrai, mais parce que c’est par eux que Dieu les connaît. De imaginibus, orat. iii, 18-23, P. G., t. xciv, col. 1337-1344. Nous laisserons ces significations dérivées, sinon impropres, du mot image, et nous essaierons d’en dégager le sens naturel et formel. Mais il nous faut tout d’abord, à la suite des Pères, marquer la différence radicale qui sépare l’image de l’idole, par où se dissipe l’accusation d’idolâtrie, portée par les iconoclastes contre les iconophiles.
2o Distinction entre l’image et l’idole.
Le mot idole n’a certainement pas l’étymologie forcée que lui attribue l’auteur cité par Euthyme Zigabène : Εἴδωλα οὗν ὡς εἰκότα ὄλλειν καἱ διαφθείρειν τοὑς τιμῶοντας αὐτα, Panoplia, tit. xxii, P. G., t. cxxx, col. 1173, mais bien sans doute celle que lui assigne Tertullien : εἰδος græce formam sonat ; ab eo per diminutionem εἴδωλον deductum, æque apud nos formulam fecit. Igitur omnis forma vel formula idolum se dici exposcit. De idololatria, iii, P. L., t. i, col. 665. C’est donc un diminutif de εἶδος. Si on lui compare εἴκών (image), la différence n’est pas grande au point de vue étymologique, car εἰκών, de εἴκω, veut dire ressemblance, similitude. Mais il faut juger du sens des mots par l’usage qui s’en fait. Comme l’usage a précisé la signification de tyran et de martyr, il a précisé aussi celle d’idole. Déjà les auteurs profanes lui attachaient un sens péjoratif. Il est pris habituellement chez eux pour signifier ombre des morts, songe vain, rêve, apparence fugitive. Il indique quelque chose d’insaisissable, d’inconsistant, prope nihil. Cf. Henri Estienne, Thesaurus linguæ græcæ’'. La version des Septante rend par ce mot les statues des faux dieux. Voir col. 603. Et c’est ce sens qui, tout naturellement, passe dans la langue chrétienne. Qu’il suffise de rappeler le texte de saint Paul : Οἴδαμεν ὅτι οὑδὲν εἴδωλον ἐν κόσμῳ. I Cor., viii, 4. C’est sur cette parole que s’appuient les Pères pour marquer la différence de l’idole et de l’image. Origène distingue ainsi la similitude de l’idole : « Autre est l’idole et autre la similitude ; il y a similitude quand, par la sculpture ou la peinture, on reproduit un poisson ou un quadrupède, ou une bête sauvage ; mais on a une idole, si l’esprit produit une forme qu’il a imaginée, et qui n’a pas son prototype parmi les choses existantes, comme est une figure tenant, à la fois de l’homme et du cheval. » Hom. in Exod., viii, 3, P. G., t. xii, col. 353. De même Théodoret : « L’idole ne présente aucune substance, mais la similitude est l’apparence et la reproduction de quelque chose. Parce que les gentils façonnent des formes qui n’existent pas, comme les sphinx, les tritons, les centaures, le nom d’idole est donné à ces imitations de choses inexistantes, et celui de similitude aux reproductions de choses qui existent, comme le soleil, la lune, les étoiles, les hommes… Dieu défend d’adorer tout cela. » Quest., xxxviii, in Exod., P. G., t. lxxx, col. 264. Comme on l’a remarqué, le mot idole a chez Origène et Théodoret, et aussi plus tard chez saint Théodore Studite, Antirrheticus, I, xvi, P. G., t. xcix, col. 345, un sens restreint pour désigner les reproductions de choses inexistantes, sans exclure cependant le sens plus large qu’implique le mot idolâtrie.
Chez les auteurs latins, le mot idole signifie toute effigie, soit d’un être inexistant, soit d’un être existant, faussement reçu et honoré comme Dieu. Les latins empruntent à la langue grecque le mot idole, dont lis n’ont point le correspondant dans la leur. Les auteurs profanes lui donnent le sens qu’il a dans la langue grecque profane. Chez les Pères, il signifie toute statue de fausse divinité, même si la chose représentée existe dans la nature. C’est ainsi que Tertullien l’entend, et c’est pourquoi il pense que Dieu, après avoir défendu de faire des idoles, proscrit aussi, en ajoutant le mot similitude, tous les arts représentatifs. De idolatria, iv, P. L., t. i, col. 665-666. Saint Augustin définit l’idole cujusquam Dei falsi et alieni simulacrum. In Heptateuchum, l. VII, q. xli, P. L., t. xxxiv, col. 806.
Quant à l’image, son sens naturel et premier est d’être la reproduction de quelque chose qui est censé exister ou avoir existé. Εἰκών veut dire similitude, ressemblance, sans aucun doute tout d’abord similitude et ressemblance de quelque chose qui existe ou que l’on croit exister. Imago veut dire imitation, tout d’abord pareillement de quelque chose qui a ou qui a eu l’existence. Et c’est ainsi, en prenant le mot dans son sens premier, que les défenseurs des images ont repoussé les attaques de leurs adversaires. La différence entre l’image et l’idole est donc celle-ci : le mot image, dans un sens large, est de soi indifférent et est susceptible de désigner soit les idoles, comme lorsqu’on dit les images des faux dieux. soit toute autre reproduction, et dans son sens premier, naturel et précis, signifie la représentation d’une chose existante ou qui a existé, tandis que le terme d’idole, toujours pris en mauvaise part, même chez les auteurs païens, pour désigner une ombre, un songe vain, une apparence à quoi rien ne répond, veut dire chez les chrétiens représentation d’une fausse divinité, soit que l’objet regardé comme dieu n’ait jamais existé (Pères grecs), soit encore qu’il existe ou ait existé, mais n’est point tel qu’on le présente, c’est-à-dire n’est point Dieu (Pères latins). De toute façon l’idole n’est qu’un mensonge à la réalité. Aussi plusieurs théologiens se sont élevés contre la définition d’Henri Estienne, dans son Thesaurus linguæ græcæ : Apud Ecclesiæ autem scriptores εἴδωλα, latine etiam Idola, peculiari significatione vocantur Simulacra numen aliquod repræsentantia, quod honore et cultu dignamur. Sans doute, le savant humaniste ne mérite pas les anathèmes qu’appellent sur lui les Salmanticenses, car en disant aliquod, il donne à entendre qu’il parle de divinités païennes. Il aurait dû toutefois dissiper l’équivoque, et dire numen aliquod falsum vel fictum.
Les défenseurs des images n’ont pas manqué d’attirer l’attention sur cette différence de l’image et de l’idole. Saint Grégoire II, dans sa lettre à saint Germain, dit : Eorum quæ non sunt formatio idolica pictura nominatur, quæ et paganæ fabulationis poema finxit, eorum quæ nunquam fuerunt per essentiam (ἐν τῇ ὑπάρξει) facturam desipienter asseverans. Mansi, t. xiii, col. 95. Saint Théodore Studite compare ainsi l’image et l’idole : « Celle-ci (l’image) est réellement la ressemblance de la vérité ; celle-là (l’idole) est la similitude du mensonge et de l’erreur. C’est ainsi que les habiles en cette matière (de langue) ont cru devoir distinguer ces noms, en appelant idole une imitation mensongère et image la représentation du vrai. » Vita (par le pseudo-Michel), lxx, P. G., t. xclx, col. 180. Saint Nicéphore dit de même : L’image est la similitude et l’empreinte des choses qui sont et qui subsistent. Mais l’idole est la fiction de choses qui ne sont pas et ne subsistent pas… C’est ainsi que l’image et l’idole diffèrent, de telle sorte que ceux qui n’admettent pas cette différence seraient justement appelés idolâtres. » Antirrheticus, i, 28-29, P. G., t. c, col. 277. Enfin l’auteur cité par Euthyme Zigabene proclame la même différence : « Les prototypes des maudites idoles sont faux, étant appelés dieux et n’étant que des démons ; mais les archétypes des images sont vrais. » Panoplia, tit. xxii, P. G., t. cxxx, col. 1173.
Aux mots d’image et d’idole, touche de près celui de simulacre. Son correspondant grec, ἄγαλμα, signifie proprement statue et est appliqué principalement aux statues des divinités païennes. Simulacrum a un sens ambigu. Lactance appelle l’homme Dei simulacrum, Div. inst., t. l, De vero cultu, x, P. L., t. vi, col. 666. Les traductions latines de l’Écriture emploient ce mot pour désigner les idoles. Voir col. 603. C’est bien aussi un sens péjoratif qui domine chez les Pères. Saint Augustin observe que ce que les latins appellent simulacre est appelé idole par les grecs. In ps. cxxxv, 3, P. L., t. xxxvii, col. 1757. Saint Jérôme se sert du mot simulacre comme parfait synonyme d’idole, sicut enim contrarium est simulacrum Deo, ila mendacium veritali. In Ose., l. II, c. ii, 1, P. L., t. xxv, col. 872. Toutefois, à la différence d’idole, il n’exclut pas un sens favorable, et c’est ainsi qu’Alexandre VIII (1690) a pu condamner la proposition suivante : Dei Patris (Viva ajoute sedentis) simularrum nefas est christiano in templo collocare. Denzinger-Hannwart, Enchiridion, n. 1315. Voir t. i, col. 759 760.
3° Sens formel du moi image.
Il nous faut maintenant, après avoir distingué l’image de l’idole, en dégager le sens formel et les caractères saillants. Nous suivrons ici les traces du docteur angélique. A la suite de saint Augustin, qui, dans son livre des LXXXIII Quæsiiones, à la q. lxxiv, P. L., t. xl, col. 85-86, distingue soigneusement et ingénieusement l’image, l’égalité et la similitude, et les éclaire par leur comparaison mutuelle, saint Thomas nous apprend quels sont les éléments que requiert la raison d’image. « Dans la raison d’image, nous dit-il, se trouve la similitude. Non pas toutefois qu’une similitude quelconque suffise pour nous donner la raison d’image. Il faut une similitude spécifique ou tout au moins portant sur un des caractères spécifiques. Or, parmi les notes ou les signes de l’espèce, dans les choses corporelles, il semble qu’il n’est rien de plus caractéristique que la figure. Nous voyons en effet, observe finement saint Thomas, que les diverses espèces d’animaux ont toutes une figure différente. Il n’en est pas de même pour la couleur. Aussi bien, si l’on peint sur un mur la couleur d’une chose, on ne dira point que ce soit son image, à moins qu’on n’y dessine en même temps ses traits et sa figure. » Donc, la ressemblance dans la forme spécifique, ou tout au moins dans l’un des caractères de l’espèce, et, par exemple, s’il s’agit des êtres corporels, dans les traits de la figure, est requise pour la raison d’image. » Pourtant, ni cette similitude de l’espèce, ou de la figure, ne suffit encore. Il faut de plus, pour la raison d’image, que nous ayons le rapport d’origine ; car, ainsi que le remarque saint Augustin dans son livre des LXXXIII Quæstiones, q. lxxiv, nous ne disons pas qu’un œuf soit l’image d’un autre œuf » bien qu’il lui ressemble spécifiquement : « c’est qu’il n’en a pas été exprimé ; » il n’a pas avec lui un rapport d’origine. « Pour cela donc que nous ayons vraiment la raison d’image, il faut que nous ayons un quelque chose procédant d’un autre en ressemblance de nature soit par la forme spécifique, soit au moins par un de ses caractères distinctifs. » S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. xxxv, a. 1 ; P. Pègues, Commentaire français littéral de la Somme théologique de S. Thomas d’Aquin, t. ii, p. 331-332. Notons ici avec le P. Pègues qu’ « il n’y a pas qu’une manière dont l’image peut procéder de la chose dont elle est l’image. Elle en peut procéder comme de son principe d’ordre physique ; et c’est ainsi que le fils procède de son père. Mais elle en peut procéder aussi comme de son principe d’ordre intellectuel ; et c’est ainsi que la statue de César procède de l’être intellectuel qu’a César dans la pensée de l’artiste. » Ibid., p. 332. Trois choses donc sont requises pour qu’il y ait image. Il faut : 1. qu’il y ait similitude : 2. que la similitude porte sur un des caractères spécifiques ; 3. qu’elle ait pour cause l’origine. Dans l’article suivant de la même question, saint Thomas ajoute une quatrième condition ou plutôt il précise la troisième, à savoir qu’il faut que l’origine soit la raison propre de la similitude. C’est à défaut de cette dernière condition que le Saint-Esprit ne peut être appelé image au sens propre et formel du mot, bien que ce nom lui ait été donné par les Pères grecs pour indiquer la parfaite ressemblance qu’il a avec le Père et le Fils, dont il procède.
En recueillant ces divers traits, on aura donc de l’image la définition suivante : similitudo in aliquo signo speciei expressa ab exemplari. Similitude en un des caractères spécifiques reçue de l’original. Nous voyons par cette définition que l’image est un être relatif, essentiellement relatif, qui ne peut s’expliquer que par l’être auquel il dit relation. De même que le père est père du fils, que le fils est fils du père, que l’ami est l’ami de son ami, ainsi l’image est l’image du prototype, comme le prototype est le prototype de l’image. C’est cette relation que nous allons maintenant considérer. Nous en marquerons deux caractères saillants. L’image, d’une part, est semblable à l’original, elle est en quelque sorte identique à l’original, et d’autre part, elle s’en distingue nécessairement. Ces deux caractères : ressemblance et différence, sont importants, car ils servent, l’un à légitimer le culte des images, et l’autre à en préciser la nature. Tous les deux ont été mis en relief par les défenseurs des images. Le concile de Nicée (787) rapporte des textes qui établissent le premier caractère. C’est d’abord saint Athanase : « Dans l’image du roi, il y a sa forme (εἶδος) et son aspect (μορφή) et dans le roi il y a la même forme que dans l’image, car dans l’image il y a la similitude exacte du roi, et qui voit le roi connaît que c’est lui qui est dans l’image ; et parce que la ressemblance ne varie pas, l’image pourrait dire à celui qui voudrait voir le roi après avoir vu l’image : Moi et le roi nous sommes un ; je suis en lui et il est en moi ; et ce que tu vois en moi, tu le vois en lui, et ce que tu vois en lui, tu le vois en moi. Qui donc adore l’image, adore en elle le roi ; car elle en est l’apparence et la forme (μορφή καὶ εἶδος) » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 69. C’est ensuite saint Basile, dont le texte suivant est si souvent cité : « L’image du roi est aussi appelée roi, et il n’y a pas deux rois. En effet ni la puissance n’est scindée, ni la gloire n’est partagée. » Mansi, ibid. Saint Jean Damascène, après avoir reproduit ce texte, l’applique aux images saintes. « Si l’image du roi, c’est le roi, l’image aussi du Christ est le Christ et l’image du saint est le saint. Ni la puissance n’est scindée, ni la gloire n’est partagée, mais la gloire de l’image devient celle de celui qu’elle représente. » De imaginibus, orat. i, Testimonia, P. G., t. xciv, col. 1264. Dans saint Théodore Studite, on trouve également aussi cette pensée : τοῦ ἀρχετύροθ τὴν κλῆσιν τό παράγωγον κέκτηται, ce qui procède de l’archétype en possède le nom. Epist., l. II, epist. xxvi, P. G., t. xcix, col. 1193. Ainsi donc, à cause de la ressemblance, le nom même du prototype passe à l’image, il y a entre eux comme une identité morale, fondée sur la communauté de forme, car la forme, la cause formelle est celle qui donne aux choses leur être et par suite leur unité, et qui est la raison de leur cognoscibilité et de leur appellation. C’est de ce premier caractère que découle la vénération et le culte des images. À ce titre seul elles sont vénérables et c’est à raison de ce titre que l’Église y ajoute une députation spéciale au culte divin par ses prières et ses bénédictions.
Le second caractère de l’image, la différence, est tracé avec autant de clarté. Après avoir défini l’image ὁμοίωμα καὶ παράδειγμα καὶ ἐκτύπωμα τινός, ἐν ἐαυτῷ δεικνύον τὸ εἰκονοζόμενον, saint Jean Damascène ajoute : « Et cependant, l’image n’est pas semblable en tout à son prototype, c’est-à-dire à la chose dont elle est l’image, et absolument l’on voit entre eux une différence, autrement l’image ne serait pas une chose et le prototype une autre. Par exemple, l’image de l’homme, même si elle exprime la figure du corps, n’a cependant pas les facultés de l’âme ; car ni elle ne vit, ni elle ne pense, ni elle ne parle, ni elle ne sent, ni elle ne meut aucun membre ; et même le fils, qui est l’image naturelle du père, a quelque chose qui le distingue de lui, car il est fils et non père. » De imaginibus, orat. iii, 16, P. G., t. xciv, col. 1337. Ailleurs, le même docteur fait entrer expressément cette note de différence dans la définition de l’image et l’applique in divinis : Εἱκὼν μὲν οὖν ἐστἱ ὁμοίωμα χαρακτηρίζον τὸ προτότυπον, μετὰ τοῦ καὶ τινὰ διαφορὰν ἔχειν πρὸς αὐτο. Οὐ γὰρ κατὰ ἡ εἰκὼν ὁμοιοῦται πρὸς τὸ ἀρχέτθπον. Et il poursuit : « Ainsi, le Fils est l’image vivante et parfaite du Dieu invisible, reproduisant en lui-même le Père, identique en tout à lui, excepté en ceci, qu’il en procède comme de son principe. » De imaginibus, orat. i, 9, col. 1240. Le concile de Nicée (787) relève aussi ce caractère dans les images pieuses quand il repousse l’accusation d’idolâtrie. « Autre est l’image, dit-il, et autre l’original. Dans l’image, aucun de ceux qui ont la raison saine ne cherche ce qui est propre à l’original. La droite raison ne voit rien dans l’image, sinon qu’elle prend le nom de l’original, et non la nature. » Mansi, t. xiii, col. 257. Il s’agit, évidemment ici de l’image artificielle dont parlent les adversaires. Ce second caractère déterminera le caractère de l’adoration qui est due à l’image. S’il n’y a pas de différence de nature entre l’image et le prototype, il n’y aura pas non plus de différence d’adoration. Le Père et le Fils, son image, sont la même nature divine, ils seront adorés de la même adoration latreutique. Et c’est dans ce sens que saint Augustin dit : Nulla ejus (Dei) imago coli débet, nisi illa quæ hoc est quod ipse ; nec ipsa pro illo, sed cum illo. Epist., lv, ad inquis. Januarii, c. xi, P. L., t. xxxiii, col. 213. Et comme, dans les images artificielles, il y a diversité de nature avec le prototype, il s’ensuit aussi qu’il y aura à leur égard diversité d’adoration. L’adoration des images devra être σχετικὴ οὐ λατρευτική, comme s’expriment le IIe concile de Nicée et les Pères grecs, défenseurs des images. Ainsi donc, le caractère de ressemblance au prototype qui appartient aux images, fonde la légitimité de leur culte, et le caractère de différence qui en est inséparable précise la nature et la portée de ce culte.
4° Division des images.
Nous avons déjà parlé d’images naturelles et d’images artificielles. Il est temps de préciser et de mettre en relief cette grande division des images, en négligeant celle donnée par saint Jean Damascène, où parfois le mot d’image s’écarte trop de sa signification propre et naturelle. De imaginibus, orat. iii, 18-23, P. G., t. xciv, col. 1337-1344. Mieux que lui, saint Théodore Studite a marqué cette séparation des images en deux catégories et leurs différences caractéristiques. « Toute image, dit-il, porte la ressemblance de son prototype, l’image naturelle une ressemblance naturelle, l’image artificielle une ressemblance artificielle. La première est parfaite (ἀπαράλλακτος) et quant à la nature et quant à la similitude (τῇ οὐσιᾳ καὶ τῇ ὁνοιώσει) à celui dont elle est le sceau (ἀποφράγισμα) : ainsi le Christ selon sa divinité est semblable à son Père, et selon son humanité à sa mère. La seconde, identique au prototype quant à la similitude, en diffère quant à la nature (ὁμοιώοσει ταυτιζομέν, ἠλλωτρίωται τῆς οὐσίας τοῦ ἀρχετύπου) : ainsi l’icône du Christ est différente du Christ, » Antirrh., III, c. ii, P. G., t. xcix, col. 417 ; et ailleurs : « L’image artificielle et le prototype sont deux choses, et leur différence est non pas dans la personne, mais dans la nature (ἡ διαφορότης οὐκ ἐπὶ τῆς ὑποστάσεως, ἀλλὰ κατὰ τὸν τῆς οὐσίας λόγον). » Epist., l. ii, epist. ccxii, P. G., t. xcix, col. 1640. Cf. Epist. ad Platonem, ibid., col. 405-408. Saint-Nicéphore a des passages semblables, mais moins précis. Antirrh., III, 21, P. G., t. c, col. 405-408. Euthyme Zigabène développe très heureusement la doctrine du Studite : ἄλλο φυσικὴ εἰκὼν καὶ ἄλλο μιμητική. La première n’a pas de différence de nature d’avec son principe, mais une différence de personne : ainsi le Fils par rapport au Père ; car ils n’ont qu’une nature, mais sont deux personnes. La seconde, au contraire, ne diffère pas de l’original quant à la personne, mais quant à la nature : ainsi l’image du Christ par rapport au Christ, car ils n’ont qu’une personne, mais deux natures (μία νὴν γὰρ τούτων ὑπόστασις, δύο δὲ φύσεις). Autre en effet est la nature de la matière peinte, autre celle du Christ dans son humanité, selon laquelle il est représenté et est constitué l’exemplaire de l’image… L’image imitatative ou artificielle n’a pas de personne propre (ού γαρ ἴδιο = ὑπόστατός ἐστιν), mais désigne la personne de l’archétype, et c’est en quoi elle est son image. Nous appelons ici personne (ὑπόστασιν) non ce qui simplement subsiste (οὐ τὸ ἀπλῶς ὑφεστως), mais une nature (οὐσίαν) avec des propriétés qui la distinguent des choses de même espèce. C’est pourquoi l’image n’a point de personne propre, mais seulement l’archétype… Et tout ce qui est représenté par l’art est reproduit non selon sa nature, mais selon la personne ; et à cause de cela l’image est identique à l’exemplaire, non par la nature, mais par la personne, à savoir par l’imitation de la personne. » Panoplia, tit. xxii, P. G., t. cxxx, col. 1165. Nous devons noter ici un caractère spécial de l’image artificielle. L’image artificielle ne présente directement que ce que la vue peut percevoir, c’est-à-dire les couleurs, les traits, les contours ; elle ne peut représenter l’âme et ses facultés ; mais parce que ces dernières sont nécessairement unies dans l’homme avec les caractères individuels perçus par la vue, il s’ensuit qu’en peignant ceux-ci, on désigne indirectement celles-là, et partant l’on peut vraiment dire que l’image artificielle est l’image de tel homme, quoiqu’elle ne soit directement que l’image de son corps dans ses accidents extérieurs. Le concile de Nicée arguera de ce caractère pour revendiquer la légitimité des images de Jésus-Christ.
Saint Thomas nous donne une autre division des images : Imago dupliciter in aliquo ivenitur : uno modo in re ejusdem naturæ secundum speciem, ut imago regis invenitur in filio suo ; alio modo in re allerius naturæ, sicut imago régis invenitur in denario. « De la première manière, le Fils est l’image du Père ; de la seconde, l’homme est appelé image de Dieu, et pour indiquer l’imperfection de cette image, nous disons non pas seulement qu’il est l’image de Dieu, mais qu’il est à son image, par où nous signifions un certain mouvement tendant à la perfection. » Sum. theol., Ia, q. XXXV, a. 2, ad 3um. Cette division de saint Thomas coïncide avec la première, à condition d’entendre le terme μιμητικὴ dans un sens assez large pour s’appliquer aux œuvres de Dieu ad extra, qui ne sont en effet que des artefacta Dei. Ce n’est pas le lieu ici de traiter de l’image naturelle, d’expliquer comment le Fils est l’image du Père, ni non plus comment l’homme est l’image de Dieu. Nous nous restreignons aux images artificielles religieuses ou saintes.
5° Les images religieuses.
Les images religieuses sont celles dont l’exemplaire est quelque chose de saint et c’est à cause du prototype qu’elles représentent qu’on les appelle saintes, religieuses ou sacrées. Elles sont de deux sortes : les unes représentent des êtres corporels, comme les images du (Christ et des saints, les autres des êtres purement spirituels, comme les images de Dieu et des anges. En outre, parmi les images d’êtres corporels, il y en a qui représentent proprement leur original, comme l’image du Christ en croix, et d’autres qui le représentent symboliquement, comme l’image de l’agneau représente Jésus-Christ. Il en est en effet des images comme des noms ; les uns désignent proprement une personne, comme le nom de Jésus désigne le Verbe fait chair, et d’autres la désignent sous une métaphore, comme l’agneau divin, le lion de la tribu de Juda, la pierre angulaire, etc.
Au sujet des images des êtres spirituels, il faut observer qu’il y a trois manières de les faire. Ou bien l’on prétend retracer par la couleur leur nature propre ; c’est qu’alors on a une idée fausse et païenne de la divinité et des esprits ; ou bien on ne veut les exprimer qu’analogiquement : ainsi, si l’on représente Dieu sous la forme d’une très pure lumière, pour signifier sa divine clarté, ou encore le Père éternel sous la forme d’un vieillard vénérable pour signifier son éternité. Troisièmement on peut représenter Dieu et les anges, non comme ils sont en eux-mêmes, mais en la forme où ils ont apparu aux hommes : ainsi l’Esprit-Saint est représenté sous la forme d’une colombe. Il ne s’agit point évidemment ici des images de la première manière, mais seulement des deux autres et nous verrons en son lieu ce qui se rapporte à leur usage et à leur culte.
II. LÉGITIMITÉ DE L’USAGE DES IMAGES.
1° Preuves d’autorité.
En matière de religion, c’est le premier genre d’arguments qu’il nous faut invoquer. Sans doute, la raison nous montre la sagesse de l’usage des images saintes et l’utilité immense qui en découle. Mais comme, d’une part, les images ne sont pas essentielles à la religion et appartiennent à la catégorie des choses dites indifférentes (ex genere ἀδιαφόρων) et que, d’autre part, leur emploi peut donner lieu à des abus, soit dans la confection elle-même des images, soit dans le culte qui ne peut manquer de s’y attacher, la question de l’usage des images est et demeure une question d’ordre disciplinaire, et c’est à l’autorité religieuse qu’il appartient de déterminer positivement si nous devons ou pouvons faire des images et nous en servir. L’Écriture sainte, la pratique constante de l’Église, le magistère ecclésiastique surtout établissent la légitimité de cet usage.
1. L’Écriture sainte nous apprend que l’usage des images est bon et apte à des fins religieuses. Dieu lui-même a commandé de faire des images. En dehors de l’arche d’alliance, qui était une figure des réalités de la Loi nouvelle, il a prescrit de faire des chérubins d’or et de les placer de part et d’autre de l’arche, et dans le désert il a ordonné à Moïse de faire un serpent d’airain en signe de salut. Salomon fit aussi placer dans le temple d’autres figures de chérubins et un certain nombre d’images symboliques diverses. Cet argument scripturaire fut utilisé par le concile de Nicée et les iconophiles. Au début de la IVe session, on relit les principaux passages de la Bible concernant les images : Exod., xxv, 17-22 ; Num., 88 b-89 ; Ezech., xli, 1, 15 c-19 ; Heb., ix, 1-5 a. Mansi, t. xiii, col. 4-5. Le pape Hadrien, dans sa lettre aux empereurs Constantin et Irène, Mansi, t. xii, col. 1063 ; Léontius de Néapolis, ibid., t. xiii, col. 44 ; le pape Grégoire II à saint Germain, ibid., col. 97 ; Jean de Thessalonique, ibid., col. 168 ; S. Jean Damascène, De imaginibus, orat. i, 20 ; orat. iii, 9, P. G., t. xciv, col. 1252, 1329 ; S. Théodore Studite, Epist, t. II, epist. XXI, P. G., t. xcix, col. 1184, s’appuient également sur l’Écriture pour prouver la légitimité des images. Parfois même, on va dans ce but jusqu’à invoquer le passage de la Genèse où il est dit que Dieu fit l’homme à son image et à sa ressemblance. Ainsi le pape Hadrien, dans sa lettre aux empereurs, Mansi, t. xii, col. 1070 ; ainsi saint Jean Damascène, quand il donne la division des images. De imaginibus, orat. iii, 20, P. G., t. xciv, col. 1340. À noter ici que les images religieuses employées dans l’Ancien Testament n’étaient que des images symboliques, et que ce n’est que dans le christianisme qu’apparaît l’emploi d’images représentant proprement de saints personnages, patriarches, prophètes, martyrs, et surtout Jésus-Christ et sa sainte mère.
2. La pratique constante du peuple chrétien.
Nous avons vu dans la première partie de cette étude comment, naturellement et spontanément, les premiers chrétiens ont adopté ce moyen très simple d’instruction et d’édification et comment l’usage, tout au moins, des images remonte aux origines mêmes de l’Église et a pris naissance, pour ainsi dire, avec elle. Cet usage, au lieu de s’affaiblir, n’a fait que s’étendre et se développer prodigieusement. Nous ne revenons pas sur cette histoire. Cette tradition pratique trouve son expression théorique et authentique dans les actes du magistère ecclésiastique.
3. Le magistère ecclésiastique s’exprime dans les conciles généraux et particuliers, approuvés par Rome, dans les documents pontificaux et l’enseignement des Pères, ceux surtout qui ont consacré leur vie à la défense des images. Nous en ferons ici la revue, nous réservant de les citer à mesure et selon que nous en aurons besoin, soit pour montrer l’utilité des images, soit pour en établir et en déterminer le culte.
a) Conciles.
Les principaux conciles qui supposent
ou déclarent légitime soit l’usage, soit le culte
(qui implique l’usage) des images sont les suivants :
a. le concile Quinisexte (691), can. 82, Mansi, t. xi,
col. 977-980, suppose légitime l’usage des images,
puisqu’il ordonne de représenter Jésus-Christ non
plus sous la figure d’un agneau, mais dans sa forme
humaine. Hadrien Ier, dans sa lettre à saint Taraise,
accepte tous les canons de ce concile,
quæ jure ac divinitus promulgatæ sunt, parmi lesquels il range le 82e.
Mansi, t. xii, col. 1080. À plusieurs reprises, dans le concile
de Nicée (787), on rappelle ou reproduit ce canon.
IIIe, session, Mansi, t. xii, col. 1125-1126 ; IVe sess.,
Mansi, t. xiii, col. 40-41 ; VIe sess., ibid., col. 220.
b. Le concile de Rome tenu sous Étienne III, en 769,
VIIIe sess., Mansi, t. xii, col. 720.
c. Le IIe concile de
Nicée, VIIe œcuménique (787), qui se réunit dans le
but exprès de rétablir l’usage et le culte des images.
Mansi, t. xi et xii.
d. Le VIIIe concile œcuménique,
IVe de Constantinople, en 869, 3e canon. Mansi,
t. XVI, col. 161-162, 400. Voir t. iii, col. 1296 sq.
e. Le concile de Florence (1438), Ve session, où fut reproduite
la doctrine du IIe concile de Nicée. Mansi, t. xxxii, col. 548.
f. Le concile de Trente (1563), session
XXVe, Mansi, t. xxxiii, col. 171-172, qui exposa
avec une grande précision et une grande clarté la
doctrine de l’Église sur les images, et les règles générales
qui doivent diriger leur confection et leur emploi.
On peut signaler aussi d’autres conçues particuliers moins importants ou dont les actes sont perdus : deux conciles tenus à Rome, l’un en 727, sous Grégoire II, dont parle Hadrien Ier, dans sa réponse aux reprehensiones de Charlemagne, P. L., t. xcviii, col. 1275, 1278 ; Mansi, t. xiii, col. 789, 792, et l’autre en 731, sous Grégoire III, Mansi, t. xii, col. 299 ; Hefele, op. cit., trad. Leclercq, t. iii, p. 676-678 ; le concile de Constantinople (842), qui triompha définitivement de la réaction iconoclaste et dont les actes sont perdus. Mentionnons enfin le concile de Sens, sous Clément VII, en 1529, qui soutint contre les vaudois l’usage et le culte des images, qu’ils accusaient d’idolâtrie, can. 14, Mansi, t. xxxii, col. 1175-1176, et celui de Mayence, en 1549, sous Paul III, can. 41, 42. Mansi, t. xxxii, col. 1414-1415.
b) Les principaux documents pontificaux sont :
a. la lettre de saint Grégoire II à saint Germain de Constantinople,
Mansi, t. xiii, col. 93 ;
b. les lettres d’Hadrien Ier aux empereurs Constantin et Irène, Mansi, t. xiii,
col. 1056, et au patriarche saint Taraise, ibid., col. 1020,
ainsi que sa réponse aux reprehensiones de Charlemagne
au sujet du IIe concile de Nicée, P. L., t. xviii,
col. 1247 sq. ; Mansi, t. xiii, col. 759 sq. ;
c. la constitution
de Martin V Inter cunctas (1418), Denzinger-Bannwart,
n. 679 ;
d. la profession de foi de Pie IV
(1564), Denzinger-Bannwart, n. 998 ;
e. le Codex juris canonici, can. 1225, § 2, 1276.
c) Les Pères, défenseurs des images.
a. Avant l’iconoclasme. Saint Basile n’a pas eu à défendre la
légitimité des images, mais il a posé les principes sur
lesquels se sont appuyés tous les iconophiles : il n’est
pas d’autorité qui, durant toute la querelle des images,
ait été plus souvent invoquée que la sienne. Ces principes,
en petit nombre, sont les points lumineux qui
éclairent toute la doctrine : il y a identité (morale) entre
l’image et le prototype ; dans la confection et le
culte de l’image, c’est l’intention qu’il faut voir et
d’après elle qu’il faut juger ; l’honneur fait à l’image
rejaillit sur le prototype. Toute la doctrine rationnelle
des images sort de là. À un moindre degré, on invoque
saint Athanase. Léontius, évoque de Néapolis, en
Chypre, on s’en souvient, a développé le premier, d’une
façon logique, la légitimité de l’usage et du culte des
images. P. G., t. xciii, col. 1597-1609. Le concile de
Nicée le cite tout au long. Mansi, t. xiii, col. 49-53.
Plus proche de l’iconoclasme est Jean de Thessalonique,
cité de même par le concile. Mansi, t. xiii, col. 164-168.
b. Au temps de l’iconoclasme, nous avons saint Germain de Constantinople (lettres à Jean, évêque de Synnade, Mansi, t. xiii, col. 100-105 ; P. G., t. xcviii, col. 156 ; surtout à Thomas, évêque de Claudiopolis, Mansi, ibid., col. 108-128 ; P. G., t. xcviii, col. 164) ; le patriarche saint Taraise (lettres aux empereurs Constantin et Irène, Mansi, t. xiii, col. 400 ; P. G., t. xcviii, col. 1428 ; au pape Hadrien Ier, Mansi, t. xiii, col. 458 ; P. G., t. xcviii, col. 1436 ; à Jean, prêtre et higoumène, Mansi, t. xiii, col. 471 ; P. G., t. xcviii, col. 1452 ; aux évêques et aux prêtres d’Antioche, d’Alexandrie et de Jérusalem. Mansi, t. xii, col. 1119 ; P. G., t. xcviii, col. 1460). Mais les trois grands docteurs des images sont : saint Jean Damascène, dont les trois discours sur les images sont si célèbres, P. G., t. xciv, col. 1232-1420, saint Théodore Studite, qui se fit le défenseur des images, non seulement dans ses Antirrhétiques, mais dans de nombreuses lettres, P. G., t. xcix ; il fit vraiment sa cause de la cause des images, et nous verrons que mieux que tout autre il en caractérisa le culte. Enfin saint Nicéphore, qui, comme le Studite, consacra sa vie à la même œuvre. Antirrhétiques et Apologétiques, P. G., t. c.
2o Preuves de raison.
La raison nous montre combien l’usage des images religieuses est bon, utile, conforme aux besoins légitimes de notre nature et, par suite, acceptable et louable.
1. Un premier argument se tire de l’estimation commune des hommes. Puisque chez toutes les nations se trouve l’usage des images dans la vie domestique et civile, pourquoi serait-il absurde, déraisonnable et défendu per se, dans la vie religieuse ? Si l’on reçoit communément les images des rois, des empereurs, des grands hommes, des parents, pourquoi n’aurait-on pas des images des saints ? Cet argument se trouve exprimé dans le IIe concile de Nicée, dans la profession de foi de l’évêque Théodose (Ire session) : « Si l’on vient en foule avec des cierges et de l’encens au-devant des λαυράτα et des images impériales envoyées aux cités et aux provinces (χωρίοις), honorant ainsi non le tableau enduit de cire, mais l’empereur, combien plus faut-il dans l’église peindre l’image du Christ notre Dieu, de sa mère immaculée et de tous les saints et bienheureux Pères et ascètes, » Mansi, t. xii, col. 1014,
2. La principale preuve de raison en faveur de l’usage des images se trouve dans leur multiple utilité. C’est cela surtout qui est mis en relief par le concile de Nicée et les iconophiles. « Ce n’est pas par un amour charnel, dit le IIe concile de Nicée, que nous louons les saints ou que nous les peignons, mais parce que nous voulons avoir leurs vertus à imiter, et nous retraçons leurs vies dans les livres et nous les reproduisons par la peinture ; non qu’ils aient besoin d’être loués par nous par le récit, ou d’être reproduits en peinture, mais nous faisons tout cela pour notre utilité. » Mansi, t. xiii, col. 301-304. Une utilité préalable des images, si on peut lui donner ce nom, c’est d’être un ornement pour les églises, l’ornement qui leur convient. Cette vue artistique ne semble pas toutefois avoir été celle des défenseurs des images, ou du moins elle n’a joué qu’en fonction des utilités proprement dites qui reviennent au peuple chrétien de Ja fréquentation des images. C’est pourquoi nous nous contentons de la signaler. Les utilités de l’image découlent de sa notion même. Puisque l’image tient lieu du prototype et qu’il est moralement idem cum illo, le commerce des images procurera proportionnellement les mêmes avantages que le commerce du prototype lui-même. Ces avantages sont au nombre de trois, ainsi résumés par saint Thomas : Fuit autem triplex ratio institutionis imaginis in Ecclesia. Primo, ad instrudionem radium, qui eis quasi quibusdam libris edocentur. Secundo ut incarnationis mysterium et sanctorum exempta magis in memoria essent, dum quotidie in oculis repræsentantur. Tertio ad excitandum devotionis affectum qui ex visis efficacius excitatur quam ex audilis. In IV Sent., t. III, dist. IX, a. 2, sol. 2, ad 3um. Cette triple utilité appartient à l’image plus qu’à tout autre moyen de connaissance, comme le répètent à l’envi les iconophiles, car la vue est le premier des sens cognoscitifs, le plus prompt, le plus rapide, le plus universel et qui saisit le plus vivement l’objet.
a) La première utilité de l’image, l’instruction, est celle qui a été tout d’abord signalée par les anciens Pères. Nous l’avons vue indiquée par saint Nil à Olympiodore, P. G., t. lxxix, col. 577, et par saint Grégoire Ier à Sérénus de Marseille : Quod legentibus scriptura, dit ce docteur, hoc idiotis præstat pictura cernentibus, quia in ipsa etiam ignorantes vident quid sequi debeant, in ipsa legunt qui litteras nesciunt. Unde et præcipue gentibus pro lectione pictura est. P. L., t. lxxvii, col. 1128. De même saint Jean Damascène : ὅπερ τοῖς γράμμασι μεμνημένοις ἡ βίβλος τοῦτο καὶ τοῖς ἀγραμμάτοις ἡ εἰκών· καὶ ὅπερ τῇ ἀκοῇ ὁ λόγος, τοῦτο τῇ ὁράσει ἡ εἰκών. De imaginibus, orat. i, 17, P. G., i. xciv, col. 1248. Cette comparaison de l’image avec la parole ou le livre, qui se trouve aussi dans le concile de Nicée, Mansi, t. xiii, col. 113, 300, est à plus d’un égard à l’avantage de l’image. Saint Nicéphore développe ainsi ce point : « Les discours aussi sont les images des choses et en dépendent comme de leurs causes. Et premièrement, ils entrent dans l’oreille, car il faut tout d’abord que les sons des paroles frappent l’oreille des auditeurs, et secondement, l’auditeur, au moyen du raisonnement, arrive à l’intelligence des choses qu’on lui montre ; tandis que la peinture, dès l’abord et sans intermédiaire, conduit aux choses elles-mêmes, comme si elles étaient présentes, l’esprit de ceux qui la contemplent, et du premier regard, dès la première rencontre, donne une connaissance claire et parfaite des choses ; et pour me servir de la parole d’un Père, ce que le récit raconte, la peinture, par l’imitation, le montre. Et autant le fait (ἔργον) est au-dessus du discours, autant l’imitation et la similitude du fait remportera sur les sons du discours pour nous faire connaître les choses. C’est pourquoi souvent les discours deviennent plus manifestes et plus clairs au moyen d’une telle description (τῆς τοιαύτης ἱστορίας). Car souvent les doutes et les ambiguïtés naissent de la parole, et de là, sans doute, proviennent diverses pensées dans les âmes ; beaucoup, en effet, ont en eux-mêmes et vis-à-vis des autres des sentiments opposés, disputent sur les mots et ne savent au juste ce qui est dit ; tandis que la connaissance qu’engendre la vue fies choses est à l’abri de l’ambiguïté (ἀναμφίλεκτον). Ces deux moyens de connaissance sont d’ailleurs si bien faits l’un pour l’autre, que, dans un seul et même livre, comme on peut le voir souvent dans de très anciens documents (δέλτοις), le discours est tracé alternativement ici en syllabes et là par la peinture, et c’est la même narration qui est reproduite de part et d’autre. » Antirrh., III, P. G., t. c, col. 381-384.
L’histoire de l’iconoclasme nous fait connaître une autre utilité des images, spéciale à ce temps, et qui se ramène au chef de l’instruction. Elles étaient un moyen très efficace de combattre l’erreur des phantasiastes et d’affirmer, par un langage qui parle aux yeux, la réalité de la chair de Jésus-Christ et la vérité de sa nature humaine. Ces hérétiques prétendaient que le Christ n’a point pris une vraie chair, semblable à la nôtre, et par suite soutenaient qu’on n’avait pas le droit d’en faire des images. C’est pourquoi saint Germain de Constantinople écrit à Thomas de Claudiopolis : « La représentation du Seigneur dans les images, selon sa forme de chair, est d’abord une réplique (εἰς ἔλεγχον μὲν ἐστί) aux hérétiques qui ont la folie d’affirmer qu’il ne s’est pas fait homme véritablement, puis un secours (χειραγωγίαν) pour ceux qui sont incapables de s’élever à la contemplation spirituelle, mais ont besoin d’une considération corporelle pour affermir ce qu’ils ont entendu. » Mansi, t. xiii, col. 116.
b) Le deuxième avantage des images est qu’elles font souvenir. Il ne suffit pas à l’homme de connaître une fois pour toutes les vérités religieuses ; il a besoin de ramener souvent son esprit à leur contemplation, sous peine d’oublier ce qu’il a appris ou, tout au moins, de n’en tirer aucun profit. C’est seulement par le commerce assidu et la contemplation fréquente des mystères de la religion et des exemples des saints que l’âme s’élève au-dessus du terre-à-terre auquel l’entraîne continuellement le corps qu’elle anime. À ce but tendent la lecture du saint Évangile et des livres pieux, les méditations, les saintes exhortations. À ce but aussi contribuera, et à un haut degré, la vue des images religieuses par le souvenir des saints personnages et des scènes bibliques qu’elles impriment et gravent dans l’esprit. C’est ce que si fréquemment inculquent les défenseurs des images et le IIe concile de Nicée. Saint Grégoire II, dans sa lettre à saint Germain, inculque cette raison de faire des images, dans un développement saisissant dont voici la fin : « S’il (Jésus-Christ) n’a pas ressuscité les morts, redressé les paralytiques, purifié les lépreux, fait voir les aveugles, délié la langue des muets, raffermi les pieds des boiteux, et chassé les démons; s’il n’a pas ouvert l’oreille des sourds, opéré toutes les merveilles et accompli les divins oracles : qu’on ne le retrace point ; et s’il n’a pas volontairement subi la passion, dépouillé l’enfer et n’est point ressuscité et monté au ciel pour venir juger les vivants et les morts : qu’on ne retrace point, qu’on ne reproduise point tout ce qui raconte ces choses soit en lettres, soit en couleur, soit livres, soit peintures. Mais si toutes ces choses sont arrivées, et c’est un grand mystère de bonté, plût à Dieu qu’il fût possible que le ciel, la terre et la mer, tous les vivants et toutes les plantes, et s’il est quelque autre chose, eussent pour nous les raconter des voix, des lettres et des couleurs. » Mansi, t. xiii, col. 96. L’image est un mémorial (ὑπόμνημα), dit saint Jean Damascène. Elle nous rappelle les bienfaits de Dieu et les mystères de Notre-Seigneur.De imaginibus, orat. i, 17, 18, P. G., t. xciv, col. 1248-1249. « C’est pour nous souvenir d’eux, écrit Hadrien Ier aux empereurs Constantin et Irène, que nous faisons les images des saints, à savoir d’Abraham, de Moïse, d’Élie, d’Isaïe, de Zacharie et des autres prophètes, des apôtres et des saints martyrs qui ont souffert pour le Seigneur, afin que quiconque les voit dans l’image se souvienne d’eux et glorifie le Seigneur qui les a glorifiés. » Mansi, t. xii, col. 1070. Jean de Thessalonique, cité par le concile, avait dit aussi : « Les images que tu vois sont peintes pour rappeler la rédemption miséricordieuse de notre Sauveur Jésus-Christ, en indiquant la figure (πρόσωπον) de son incarnation, et également les images des saints, qui indiquent les combats de chacun contre le démon, et leurs victoires et leurs couronnes. Il n’est pas vrai, comme tu penses, que les chrétiens les divinisent et les adorent, mais dans la ferveur de leur zèle et de leur foi, ils contemplent les images des saints, en se souvenant de leur culte envers Dieu. » Mansi, t. xiii, col. 168. Cette deuxième utilité, l’image la fournit d’une manière permanente. « Par elles (les images), dit le IIe concile de Nicée, nous avons toujours le souvenir de Dieu. La lecture n’est pas toujours chantée dans les temples vénérables, mais la représentation par l’image y est comme une chaire, qui, le soir, le matin et au milieu du jour, nous raconte et nous proclame la vérité de ce qui s’est passé. » Mansi, t. xiii, col. 361.
Ces deux utilités, instruire et rappeler, de l’image lui sont communes, avons-nous vii, avec le discours et le livre. Les iconophiles, au moyen de ce rapprochement, tirent un argument très fort de l’emploi de l’Écriture sainte. Si l’on accepte l’Écriture sainte, on doit aussi recevoir l’image sainte. Saint Jean Damascène, dans sa division des images, les place dans la même catégorie : « Le sixième genre d’image est celle qui est faite en mémoire des choses passées, soit d’un prodige, miracle ou action vertueuse, pour la gloire, l’honneur, la louange (στηλογραφίαν) de ceux qui ont excellé dans la vertu, soit d’une action condamnable, pour l’opprobre et la honte des méchants, et qui devient l’utilité de ceux qui, dans la suite, la regarderont : à savoir pour que nous fuyions les vices et cherchions à acquérir les vertus. Or, cette image est de deux sortes. Ou bien elle est tracée par le discours dans les livres (car la lettre est l’image du discours) et c’est ainsi que Dieu a gravé la loi sur des tables et a ordonné de retracer par l’écriture la vie de ceux qui ont été ses amis, ou elle est perceptible par le simple regard, et c’est ainsi que Dieu a ordonné de placer dans l’arche l’urne et la verge… De la même manière, maintenant, nous traçons avec amour les images des hommes qui ont été vertueux pour nous les rappeler et nous exciter à les imiter. » P. G., t. xciv, col. 1341-1344. Le IIe concile de Nicée presse le rapprochement : « Si les Pères ont transmis qu’il ne faut point lire l’Évangile, ils ont transmis par là même qu’il ne faut point faire d’image ; mais s’ils ont transmis la première chose, ils ont par là même transmis la seconde. La représentation par l’image reproduit la narration évangélique et celle-ci développe celle-là, et toutes les deux sont bonnes et précieuses. Elles se montrent l’une l’autre (ἀλλήλων δηλωτικά). » Mansi, t. xiii, col. 269. Tout aussi catégorique est saint Nicéphore : « Qui reçoit l’Écriture admet nécessairement aussi la représentation ; s’il rejette l’une, il doit aussi rejeter l’autre. Et puisque tout le mystère de l’anéantissement du Verbe est l’œuvre de la providence divine, et qu’il a plu à Dieu de nous faire voir avec bonté, même en cette manière, les desseins de sa miséricorde ; à cause de cela, il a fallu aussi ce genre d’écriture, plus grossière et néanmoins plus claire, pour les gens simples et frustes, afin que même les illettrés rencontrassent et apprissent par la simple vue ce qu’ils sont privés de connaître par la lecture et ainsi reçussent une connaissance plus abrégée et plus claire des choses. Car, ce que souvent l’esprit n’a pas saisi en entendant les paroles, la vue, en le percevant d’une manière stable, l’a interprété plus clairement. On est donc ainsi conduit plus facilement au souvenir de ce que Jésus-Christ a fait et souffert pour nous, et plus rapidement que par le développement des paroles, pour autant que la vue est plus prompte que l’ouïe à connaître les choses et à s’assurer de leur vérité. » Antirrhelicus, III, 3, P. G., t. c, col. 380-381.
c) De la seconde utilité des images, qui est de faire vivement souvenir des bienfaits de Dieu et des exemples des saints, une troisième découle : les images excitent, nourrissent et entretiennent la vie chrétienne et dévote : consolation de la piété, sentiments de reconnaissance envers Dieu, d’admiration envers les saints, de désir de les imiter ; ce sont tous avantages que procurent les images, par la façon vive dont elles nous représentent les mystères de la religion et les exemples de la sainteté. C’est là surtout qu’apparaît leur supériorité sur la parole, comme le dit saint Thomas (voir plus haut) et comme avant lui le proclamait déjà la raison d’Horace (ad Pisones) :
Segnius irritant animos immissa per aures
Quam quæ sunt oculis subjecta fidelibus…
Pour exciter notre affection, nous aimons à avoir et à contempler les images de ceux qui nous sont chers, le fils de son père, l’épouse de son mari, les sujets de leur roi et l’ami de son ami. Cette vue en effet ravive le sentiment en agissant sur l’imagination et la mémoire. Le concile mentionne cette puissance d’émouvoir en faisant relire la conversion d’une pécheresse à la vue d’une image de saint racontée par saint Grégoire de Nazianze, Mansi, t. xiii, col. 13, et aussi le passage où saint Grégoire de Nysse déclare qu’il n’a jamais vu l’image du sacrifice d’Isaac sans en être touché jusqu’aux larmes. Après cette dernière lecture, Basile, évêque d’Ancyre, fait la réflexion suivante : « Souvent ce Père avait lu cette histoire, et n’avait pas pleuré ; mais quand il l’a vue en peinture, il a pleuré. » Et Jean, prêtre et moine, vicaire des évêques orientaux, d’ajouter : « Si la peinture produit une telle utilité et des larmes chez ce maître, combien serat-elle plus utile aux ignorants et aux simples. » Mansi, t. xiii, col. 9. Nous avons tout le récit évangélique retracé dans les images, dit plus loin le concile, nous rappelant à la pensée de Dieu et nous comblant de joie. Quand elles sont sous nos regards, le cœur de ceux qui craignent Dieu se réjouit, leur visage s’épanouit, leur âme passe de la tristesse à l’allégresse et chante avec David, l’ancêtre du Seigneur (θεοπάτορος) : « Je me suis souvenu de Dieu et j’ai été comblé de délices. » Mansi, t. xiii, col. 260-261. Aussi le concile, pénétré de cette puissance qu’a l’image pour exciter la dévotion, la proclame-t-il dans son ὅρος : « Autant ils (Notre-Seigneur et les saints) sont fréquemment regardés au moyen de la reproduction de l’image, autant ceux qui contemplent ces images sont excités au souvenir et au désir des prototypes. » Mansi, t. xiii, col. 377. Répondant à un iconoclaste qui demandait à quoi bon les images et quel fruit on pensait en retirer, saint Théodore Studite réplique : « Qui donc, mon ami, regardant attentivement une image, à droite et à gauche, se retire sans en garder l’empreinte dans l’esprit, empreinte bonne, si l’image est bonne, honteuse, si l’image est honteuse, de telle sorte que souvent, même à la maison, l’une excite la componction et l’autre la passion. » P. G., t. xclx, col. 1220. On aura plaisir à retrouver sous la plume d’un auteur mystique moderne de la plus haute autorité, sainte Thérèse, ce sentiment de l’utilité de l’image pour exciter la dévotion : « Savez-vous, dit-elle, en quel temps il est utile de recourir à un tableau de Notre-Seigneur, et que je le fais moi-même avec le plus grand plaisir ? C’est lorsque le divin Maître s’éloigne de nous, et nous le fait sentir par les sécheresses où il laisse notre âme. C’est alors une bien douce consolation d’avoir devant les yeux l’image du Bien-Aimé de nos cœurs ; je voudrais que notre vue ne pût se porter nulle part sans la rencontrer. Et quel objet plus saint, plus fait pour charmer les regards, que l’image de celui qui a tant d’amour pour nous, qui est le principe et la source de tous lesbiens ? Oh ! que malheureux sont ces hérétiques qui, par leur faute, ont perdu cette consolation, et tant d’autres ! » Chemin de la perfection, c. xxxv, Œuvres, trad. Bouix, t. iii, p. 256.
Les images sont un soutien, un stimulant pour la vie chrétienne. Exempla trahunt, surtout lorsqu’ils sont vus, et l’image les fait voir : « Les images qu’ont les chrétiens, écrit saint Germain à Thomas de Claudiopolis, des saints qui ont résisté au péché jusqu’au sang, selon le mot de l’apôtre, qui ont été les serviteurs de la parole de la vérité, à savoir des apôtres et des martyrs, ou encore de ceux qui, par une vie pieuse et la pratique droite des bonnes œuvres, se sont montrés vraiment les serviteurs de Dieu, ne sont pas autre chose pour nous qu’un exemple d’héroïsme, un modèle de vie sainte et de vertus, un stimulant et une excitation pour glorifier Dieu, à qui ils ont plu dans la vie présente. » Mansi, t. xiii, col. 113. « Je reproduis par la peinture, dit saint Jean Damascène, les vertus et les souffrances des saints, parce qu’ils me sanctifient et m’animent du désir de les imiter. » De imaginibus, orat. I, 21, P. G., t. xciv, col. 1252. Longtemps auparavant, saint Paulin montrait cette valeur moralisatrice de l’exemple vu dans l’image : il ajoutait même que le temps que les pèlerins de saint Félix passeraient à contempler les peintures de sa basilique serait un temps dérobé aux bas plaisirs de l’homme animal et qu’ainsi s’insinuera la pratique et le goût de la tempérance chrétienne.
Historias, castorum operum subrepit honestas
Exemplis inducta piis ; potatur hianti
Sobrietas, nimii subeunt oblivia vini.
Dumquo diem ducunt spatio majore tuentes,
Pocula rarescunt, quia per miracula tracto
Tempore, jam paucæ supersunt epulantibus horæ.
Poem., xxvii, 589-594, P. L., t. lxi, col. 661.
Pour finir ces considérations sur l’utilité des images, citons le concile de Trente, qui les résume si bien : Illud vero diligenter doceant episcopi, per historias mysteriorum nostræ redemptionis, picturis vel aliis similitudinibus expressas, erudiri et confirmari populum in articulis fidei commemorandis et assidue recolendis ; tum vero ex omnibus sacris imaginibus magnum fructum percipi, non solum, quia admonetur populus beneficionim et munerum, quæ a Christo sibi collata sunt, sed etiam, quia Dei per sanctos miracula et salutaria exempla oculis fidelium subjiciuntur, ut pro iis Deo gratias agant, ad sanctorumque imitationem vitam moresque suos componant, excitenturque ad adorandum ac diligendum Deum, et ad pietatem colendam. Sess. XXV. Cavallera, Thesaurus doctrinæ catholicæ, n. 822.
Après tous ces avantages que procurent les images, on ne sera pas étonne que les théologiens orientaux, en particulier, leur aient attribué une sorte de vertu sanctificatrice. Chez eux ces effets se produisaient à un haut degré. Cette vertu sanctificatrice ne réside pas dans la matière de l’image, mais seulement dans son élément formel, la similitude avec le prototype. L’image opère à la manière de l’Évangile, indirectement, simplement en étant connue, en mettant devant les yeux et en gravant dans l’esprit les épisodes touchants de l’Évangile, les exemples des saints et les augustes mystères du christianisme. « Les vrais fils de l’Église catholique…, dit le concile de Nicée, en contemplant par le sens de la vue l’image du Christ et de sa sainte mère, qui est proprement et véritablement notre souveraine, et des saints anges et de tous les saints, sont sanctifiés, et conforment leur esprit à ces souvenirs et croient dans leur cœur à un seul Dieu pour être justifiés, et le confessent de bouche pour être sauvés : tout ainsi que ceux qui entendent l’Évangile remplissent le sens de l’ouïe de sanctification et de grâce et comprennent dans leur cœur le récit des choses qui sont écrites. » Mansi, t. xiii, col. 249.
3. L’utilité des images est si grande qu’elle confine à la nécessité. Nous en avons pour ainsi dire besoin. Elles sont à la mesure humaine, proportionnées au mode humain de connaissance, qui dépend du sensible, et des limites qu’imposent le temps et la distance. Cf. S. Jean Damascène, De imaginibus, orat. iii, 17, P. G., t. xciv, col. 1337. « Parce que nous sommes sensibles, trouve-t-on dans une pièce anonyme qui termine la collection des Actes du IIe concile de Nicée, nous ne pouvons tendre aux choses intelligibles qu’au moyen de symboles sensibles, soit par la contemplation de l’Écriture, soit par la représentation de l’image. Ainsi nous nous souvenons de tous les prototypes et nous sommes introduits auprès d’eux. Nous percevons l’une par l’ouïe et l’autre par les yeux ; toutes deux, sans contredit, s’expliquent mutuellement et s’éclairent l’une l’autre et reçoivent les mêmes honneurs. » Mansi, t. xiii, col. 482. Dans la VIe session, la vue des images est donnée comme appartenant à l’ensemble des moyens nécessaires pour acquérir la vertu. Ibid., col. 304. Ce besoin des images, saint Jean Damascène le proclame énergiquement à l’orgueilleux qui prétend s’en passer : « Toi peut-être, tu es haut et immatériel, et, t’élevant au-dessus du corps et devenu sans chair, tu méprises tout ce qui se voit ; mais moi, je suis homme, entouré d’un corps ; je désire, même avec mon corps, rencontrer et contempler les choses saintes. Toi, qui es si haut, tiens compte de ma petitesse et garde pour toi ta sublimité. » De imaginibus, orat. i, Testimonia. P. G., t. xciv, col. 1264. Même le parfait, selon saint Théodore Studite, a besoin de l’image, comme il a besoin du livre pour l’Évangile. Epist., t. II, epist. clxxi, P. G., t. xcix, col. 1537.
3o Objections et réponses.
L’hérésie iconoclaste est fille du monophysisme, et par là, du manichéisme. Cette dernière secte, que l’on retrouve si vivace dans l’histoire de l’Église, professait qu’il y a deux principes, l’un bon, l’autre mauvais, deux mondes en lutte, d’un côté Dieu et les esprits, et de l’autre le mal et les corps. La matière, unie à la divinité dans l’unité de nature, tout en demeurant matière, cela parut inadmissible à ce dogme orgueilleux, qui par endosmose s’insinuait partout. De là, Arius, qui prétendit que le Christ n’était qu’une créature ; Nestorius, qui enseigna qu’en lui il y avait union seulement accidentelle de deux substances distinctes ; Eutychès et Dioscore, qui se refusèrent à admettre en lui la permanence de l’élément humain ; le monothélisme qui ne fut qu’un monophysisme mitigé ou voilé ; l’iconoclasme enfin, qui mit en pratique le monophysisme et repoussa toute réalisation matérielle du divin, opposant ainsi le monde corporel et le monde spirituel. Saint Jean Damascène note, à plusieurs reprises, cet esprit manichéen dans l’erreur qu’il combat. Bien entendu, tout cet enchaînement n’est point formulé clairement par les iconoclastes, et dans leur lutte contre les images, ils font flèche de tout bois, mais c’est bien ce qui s’en dégage à la réflexion. Ici, comme plus tard, chez les réformateurs, qui s’élevèrent contre le dogme de l’Église visible, nous rencontrons l’orgueil de l’esprit qui, sans aucun secours humiliant, voudrait monter à Dieu par ses propres forces et devenir semblable au Très-Haut, et qui, pour étayer ses folles prétentions, trouve bons tous les arguments, même contradictoires. Voyons ceux que l’iconoclasme présenta contre l’usage des images : d’abord ceux que l’on rencontre dans l’iconoclasme oriental, puis ceux qu’y ajoutèrent les théologiens protestants de la Réforme.
1. Objections des anciens iconoclastes.
a) La première objection et la plus fréquente chez les iconomaques de tous les temps est celle tirée de la prohibition contenue dans le Décalogue : « Tu ne te feras pas d’image taillée ni aucune figure de ce qui est en haut dans le ciel, ou de ce qui est en bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux au-dessous de la terre ». Exod., xx, 4. Le contexte montre clairement que la défense n’est point absolue, mais ne concerne que les images destinées à être adorées comme des divinités ; l’Écriture ajoute en effet immédiatement : « Tu ne te prosterneras point devant elles et tu ne les serviras point. Car je suis Jahvé ton Dieu », etc., v. 5 ; c’est ce qu’indiquent aussi les passages parallèles, Lev., xxvi, 1 ; Deut., VI, 13 sq. ; Ps. xcvi, et les circonstances historiques de cette prohibition : le peuple juif sortait d’Égypte, où il avait vu des idoles de tout genre, et le premier soin devait être de le mettre en garde contre tout retour à l’idolâtrie. Voir col. 624-625. Du reste. Dieu lui-même fit faire des images : aurait-il établi des choses contraires ? τἰ οὖν νομοθετεῖ τὰ ἐναντία ; Telle est la réponse qu’ont faite aux iconoclastes les défenseurs des images, saint Jean Damascène, De imaginibus, orat. i, 15, P. G., t. xciv, col. 1244 ; orat. ii, 7-9, col. 1288-1293 ; orat. iii, 7, 9, col. 1325-1328 1329 ; le concile de 787, Mansi, {{t.|xciv, col. 284-285 ; S. Théodore Studite, Antirrheticus, I, 5, P. G., t. xcix, col. 333 ; et à supposer que Dieu eût fait une défense positive d’avoir des images, ce qui ne pouvait être qu’à cause du penchant naturel des Juifs à l’idolâtrie, par suite, ce frein n’avait plus sa raison d’être pour les chrétiens, à jamais délivrés de cette grossière erreur par l’incarnation du Fils de Dieu. S. Jean Damascène, De imaginibus, orat. i, 8 ; iii, 8, P. G., t. xciv, col. 1237, 1328.
Outre l’autorité de l’Écriture, les iconomaques ont recherché celle des Pères. Comme ils ne trouvaient point assez chez eux, ils abritèrent de leur nom certaines pièces rédigées dans ce but. Il n’y a évidemment qu’à négliger ces factums. Quant aux textes authentiques allégués par eux, il serait trop long de les rapporter par le menu et d’en faire le commentaire. Qu’il suffise de noter premièrement que ces textes sont bien souvent isolés du contexte, comme le remarque le concile, sess. VI : « C’est le propre des hérétiques de lancer des témoignages tronqués, » Mansi, t. xiii, col. 301 ; ensuite, que les passages invoqués ont généralement une portée autre que celle que lui prêtent les iconomaques, comme, par exemple, celui d’Amphiloque d’Iconium : οὐ χρήομεν τούτων (images des saints), ἀλλὰ τὴν πολιτείαν αὐτῶν διʼ ἀρετῆς ἐκμιμεῖσθαι, Mansi, ibid., qui veut dire, comme l’indique tout son discours, que c’est en vainque l’on fait des images des saints si l’on n’imite leurs vertus ; et enfin que, si quelques Pères anciens, comme Clément d’Alexandrie, ont pensé que la prohibition du décalogue avait une portée absolue, il la faut restreindre à l’Ancien Testament, et qu’en tout cas, l’autorité d’un ou de quelques docteurs doit s’effacer devant la doctrine commune des Pères et la pratique générale et constante de l’Église.
b) Une autre objection concerne l’image de Jésus-Christ. C’est le point central de la controverse. Les iconomaques accusent ceux qui font des images d’être nestoriens, parce que, peignant l’humanité, ils la séparent de la divinité, et d’être monophysites, parce qu’en prétendant peindre Jésus-Christ, qui est Dieu, ils circonscrivent la nature divine et commettent le crime de la confondre avec la nature humaine. Cette double accusation n’est point formulée seulement à la façon d’un dilemme, quoiqu’on la trouve aussi sous cette forma, Mansi, t. xiii, col. 257-230, elle n’est point seulement disjonctive, mais encore copulatlve. Mansi, t. xiii, col. 241, 244, 340-341. Le concile ne manque pas de relever cette contradiction flagrante : « Ô contes inconsidérés et dignes de vieilles radoteuses ô mensonge caché ! De nouveau, ils trouvent bon de s’arrêter aux mêmes inepties. Car, ou ils ignorent l’opposition des hérétiques qu’ils ont énumérés, ou ils se plaisent délibérément dans un vain bavardage… Il est donc clair que c’est témérairement et en vain qu’ils accusent l’Église de Dieu, disant tantôt qu’elle s’unit à Nestorius, impie qui divise (le Christ), parce qu’elle peint l’incarnation du Seigneur, et tantôt qu’elle s’unit à Eutychès et à Dioscore, criminels qui confondent (les natures)… Si nous accordons que l’Église, comme ils disent, suit Nestorius, ils mentent en l’accusant de penser avec Eutychès et Dioscore ; si, au contraire, nous accordons que son sentiment est celui d’Eutychès et de Dioscore, là encore on les trouve à mentir, car, comme on l’a montré, Nestorius et Eutychès se combattent dans leur impiété, et le raisonnement de ceux-là (les iconoclastes) est sans raison et hors de propos. » Mansi, t. xiii, col. 241-244. À l’accusation de nestorianisme, le concile répond par l’affirmation de sa doctrine christologique et par l’imperfection essentielle de l’image artificielle, que nous avons signalée plus haut en étudiant la notion de l’image. « De nouveau, ils énoncent seulement et ne prouvent pas. Comment celui qui peint l’image du Christ établit-il Nestorius ? Nestorius introduit deux Fils : l’un, le Verbe du Père, et un autre, né de la Vierge. Mais les vrais chrétiens confessent un seul et même Fils, Christ et Seigneur, et, quand ils peignent une image selon que le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous, homme parfait, ils agissent selon la raison, car Dieu le Verbe a été circonscrit par la chair en venant à nous ; mais cependant personne n’imagine de peindre sa divinité… L’image n’est pas semblable selon la nature (κατὰ οὐσιαν) au prototype, mais seulement selon le nom et selon la position des membres exprimés (κατὰ τὸ ὄνομα καὶ κατὰ τὴν θέσιν τῶν χαρακτηριζονένων μελῶν). Et en effet, lorsqu’on fait l’image d’un homme quelconque, personne ne cherche son âme dans l’image, et cependant il y a une distance infinie entre l’âme humaine et la nature divine, car celle-ci est incréée, créatrice et éternelle et celle-là est créée et temporelle, et faite par l’autre. Et aucun de ceux qui ont le sens bon ne pense, en voyant l’image d’un homme, que le peintre a séparé l’homme de son âme ; car l’image n’est pas seulement privée d’âme, mais de la substance même (οὐσίας) du corps, je veux dire de chairs, de muscles, d’os et d’éléments, c’est-à-dire de sang, de phlegme, d’humeur et de bile ; le mélange (σύγκρασιν) de ces choses ne se peut voir dans l’image. Si, en effet, on voyait tout cela dans l’image, nous l’appellerions un homme et non pas l’image d’un homme. » Mansi, t. xiii, col. 241-244. Cf. ibid., col. 344. Il suit de là que c’est bien Jésus-Christ qui est peint dans l’image, malgré que sa seule humanité y soit reproduite. » Pierre et Paul, dit encore le concile, sont vus en peinture, mais leur âme ne paraît point, puisque, même quand le corps de Pierre est présent, on ne voit pas son âme, et parce qu’on ne la voit point, qui dira, parmi ceux qui suivent la vérité, que la chair de Pierre a été séparée de son âme, si ce n’est par la considération seulement (κατʼ ἐπίνοιαν μόνον) ? Qui dira, à plus forte raison, que la nature incirconscriptible du Verbe de Dieu a été séparée de la chair circonscrite qu’il a prise ? » Mansi, ibid., col. 261. En résumé, de même que, quand on peint un homme, on ne peint pas son âme, mais seulement son corps dans ses accidents extrinsèques et que cela suffit pour que l’image représente un homme ayant une âme ; de même, en peignant le Christ, on ne peint point sa divinité, mais seulement son humanité ; mais parce que la divinité est jointe indissolublement à l’humanité, l’image que nous avons est bien l’image de Jésus-Christ, à savoir d’un homme qui est Dieu, de l’Homme-Dieu. Aussi, saint Théodore Studite, a pu dire : Εἰ γὰρ ἄνθρωπος· καὶ εἰκονίζεται δηλανότι·… εἰ δὲ οὐκ εἰκονίζεται· οὐκ ἄνθρωπος· ἀλλὰ ἄσαρκος· καὶ οὔπω ἥκε Χριστός. Epist., l. II, epist. XXI, P. G., t. xcix, col. 1184, et encore plus énergiquement : Χριστός οὐ Χριστός, εἰ μὴ ἐγγράφοιτο. Epist., t. II, epist. xxxvii, col. 1225.
Contre l’accusation de monophysisme que, par une inconséquence piquante, les iconomaques adressent aux iconophiles, le concile proclame encore la distinction des natures en Jésus-Christ avec leurs propriétés respectives de « circonscription » et d’« incirconscriptibilité » et, par suite, la légitimité de l’image qui reproduit le Sauveur selon celle de ses deux natures qui est circonscrite. « C’est selon la nature dans laquelle il a été vu que les chrétiens ont appris à peindre son image, et non selon celle en laquelle il est invisible, car elle est incirconscriptible. Le Christ étant peint selon son humanité, il est clair que… les chrétiens confessent que l’image qu’ils voient ne ressemble au prototype que par le nom et non par la nature. Ce sont eux qui, devenus insensés, disent qu’il n’y a aucune différence entre l’image et le prototype et jugent qu’en des natures diverses il y a la même nature. Qui ne raillerait leur ignorance, ou plutôt ne pleurerait sur leur impiété ?… La nature divine est au-dessus de toute circonscription, mais la nature humaine est circonscrite et aucun de ceux qui ont l’esprit bon, en disant que la nature humaine est circonscrite, ne circonscrit par elle celle qui est incirconscriptible. Et en effet, lorsque le Seigneur, selon qu’il était homme parfait, était en Galilée, il n’était pas en Judée, et il l’affirme en disant : « Allons en Judée de nouveau ; » et quand Il parlait de Lazare à ses disciples, il leur dit : « Je me réjouis pour vous, parce que je n’étais pas là ; » mais selon qu’il est Dieu, il est en tout lieu de sa domination, demeurant de toute manière incirconscriptible. Comment donc, par des paroles vaines et futiles et donnant libre cours à leur langue intempérante, disent-ils que le peintre a circonscrit, comme il a plu à sa folie, la divinité incirconscriptible par la circonscription de la chair ? Si, quand il était couché et enveloppé de langes dans retable, la nature de sa divinité a été circonscrite par la nature de son humanité ; et pareillement, si, sur la croix, la nature de sa divinité a été circonscrite par la nature de son humanité : alors aussi, dans l’image que l’on a tracée de son humanité, se trouve en même temps circonscrite la nature incirconscriptible de sa divinité ; mais si cela n’a pas eu lieu, ceci non plus aucunement. » Mansi, t. xiii, col. 252-25.3. Saint Théodore Studite a longuement développé la même doctrine, Antirrheticus, III, c. i, ii. P. G., t. xcix, col. 389-420 ; Προβλήματα τινα πρὸς εἰκονομάχους, ibid., col. 477-485, et l’a condensé en des vers d’une précision remarquable :
Ὡς μὲν γὰρ ἀπλοῦς, οὐ περιγραφὴν ἔχει.
Θεὸς γὰρ ἐστι, παντὸς ἔξωθεν τόπου.
Ὡς ἐνδυθεὶς δὲ τὴν καθ' ἡμᾶς οὐσίαν,
Ἄνθρωπός ἐστι, συνθέσι γεγραμμένος,
Ἕχων ἀφύρτως θάτερον κατ' οὐσίαν,
Ὑποστάσι μιᾷ τε συντεθειμένος.
« En tant qu’il est simple, il n’a point de contours, car il est Dieu, en dehors de tout lieu. En tant qu’il a revêtu une nature comme la nôtre, il est homme, et a été peint à cause de ses parties ; ayant sans mélange chacune des deux natures, il n’est constitué que d’une seule personne. »
Et aussi :
Ὁ Χριστός ἐστι τῇ γραφῆ δεδειγμένος,
Ἐχεὶ βροτός πέφηνεν, ὢν Θεὸς φύσει.
Ὁ μὴ γὰρ αὑτῶς προσβλέπειν αὐτὸν θέλων
Φαντασματωδῶς σωματοῦσθαι προσλέγει.
« Le Christ est montré par la peinture, puisqu’il est apparu mortel, demeurant Dieu par nature. Celui qui ne veut pas le regarder ainsi professe par là qu’il ne s’est incarné qu’en apparence. » P. G., t. xclx, col. 1792, 1793. De telles gens, dit-il ailleurs, sont des ἀρνεσίχριστοι, par là même qu’ils renient son image. Epist., l. II, epist. cclv, P. G., t. xcix, col. 1621.
2. Objections des réformateurs.
a) Comme leurs devanciers, ils en ont appelé à l’Écriture et aux Pères. Les observations faites plus haut à ce sujet leur sont pareillement applicables. Mais de plus, ils ont cherché si quelque concile ne s’était point prononcé contre l’emploi des images. En dehors des conciles iconoclastes de Léon l’Isaurien (726) et de Constantin Copronynie (753), que certains ont eu l’impudeur d’opposer, Centuriateurs de Magdebourg, 8e centurie, les protestants ont généralement invoque le concile de Francfort (794) et surtout le concile d’Elvire (305 ou 306). Le 2° canon du concile de Francfort ne s’occupe que du culte et nous avons vu ce qu’il en faut penser. Nous n’y reviendrons plus. Le 36e canon du concile d’Elvire porte sur l’usage même : Placuit picturas in ecclesia esse non debere ne quod colitur et adoratur in parietibus depingatur. Mansi, t. ii, col. 11. Bien des interprétations ont été données de ce canon. Voir Mansi, ibid., col. 33-34, 46. Même en le prenant dans le sens rigoureux, on n’a pas le droit d’en faire une décision doctrinale, mais seulement une décision disciplinaire dont la raison doit être cherchée dans les circonstances historiques. Cf. Elvire, t. IV, col. 2383-2385. Et on mettant les choses au pire, un concile particulier ne saurait prévaloir contre l’usage constant et la pratique commune de l’Église.
b) Une autre objection qu’on ne trouve point chez les anciens iconomaques, nous en dirons plus loin la raison, concerne l’emploi des images pour représenter les anges et surtout Dieu. On ne peut représenter ce qui n’a point de corps, et vouloir le représenter, c’est agir comme les païens, qui avaient une idée toute matérielle de la divinité. Nous avons déjà dit qu’il y a plusieurs manières dont un peintre ou un sculpteur peut prétendre représenter Dieu. En dehors de toute intention païenne, on peut représenter Dieu en lui prêtant par métaphore des conditions matérielles et sensibles qu’il n’a pas. On se sert de ces sortes d’analogies dans le langage, quand, par exemple, on parle de l’œil ou de la main de Dieu. Pourquoi ne le pourrait-on pas en peinture et en sculpture ? Quant aux anges et aux personnes de la sainte Trinité, nous les représentons sous la forme où l’Écriture nous montre qu’ils ont apparu et non pour reproduire leur nature. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet.
c) Les protestants insistent et disent que cette manière de peindre Dieu et les anges induit les simples en erreur. La Bible elle-même devrait alors être défendue, car elle est pleine de ces métaphores qui nous rendent sensibles les perfections divines. Mais il y a pour expliquer les images, comme pour expliquer la Bible, le magistère de l’Église. Le concile de Trente ne nie pas, il semble supposer même, que les simples livrés à leur propre sens seraient facilement trompés par de telles images, mais à cause des avantages que procure leur droite compréhension, il ne les condamne point. Il enjoint seulement aux évêques de veiller à ce que le vrai sens en soit expliqué aux fidèles.
d) L’emploi des images chez le peuple chrétien et dans les églises peut donner lieu à des inconvénients d’ordre moral. Car, non semet tales imagines generant turpes affectus et sunt incentivum luxuriæ. Que des abus puissent se glisser dans la confection et l’emploi des images religieuses, qui le niera ? Les sacrements institues par Notre-Seigneur ne sont-ils pas profanés parfois par d’abominables sacrilèges ? Faut-il, à cause des abus, supprimer l’usage, surtout lorsque, comme c’est le cas, il en est si facilement séparable, Abusus non tollitusum. Oui certes, l’on peut rencontrer des images de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge et des saints qui manquent de dignité religieuse et qui portent à des pensées mondaines plutôt qu’à de pieux souvenirs. La conclusion directe en est que ces images-là seulement doivent être supprimées et prohibées, et non point les autres. Et de fait, l’Église les a condamnées et elle veille, suivant son pouvoir, à ce que les images proposées à l’usage et à la vénération des fidèles soient chastes, dignes et leur inspirent vraiment le respect et la piété. Voir le Décret du Saint-Office, du 30 mars 1921, prohibant les images d’un nouveau genre qui sont reproduites dans La Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par C. Verschaeve, Bruxelles, Paris, 1920. Acta apostolicæ sedis, 4 avril 1921, p. 197.
e) Calvin accepte bien que l’on représente des scènes historiques qui relatent les actions vertueuses des saints, mais il ne veut point que l’on fasse des images de personnages isolés. D’abord, quel inconvénient y a-t-il ? Ensuite, s’il est utile de nous remettre sous les yeux des actions vertueuses, il est pareillement utile de nous rappeler les saints qui les ont accomplies, indépendamment de telle ou telle action déterminée, et seulement avec la pensée générale de leur héroïsme sur la terre et de leur triomphe dans le ciel. Si ce souvenir est utile, pourquoi ne pas l’aider par l’image du saint, même représenté isolément ? Du reste, assez souvent, les saints sont représentés dans une attitude ou avec un attribut qui rappelle un souvenir plus précis. Le lis de saint Joseph nous parle de sa virginité et le gril de saint Laurent nous fait penser à son martyre. De plus, si, comme on le verra plus loin, le culte de l’image est raisonnable, si l’honneur qu’on lui rend rejaillit sur le prototype, cela suffit à légitimer toutes les images, celle qui nous représente isolément une personne sainte, comme celle qui nous la montre accomplissant une action vertueuse. C’est à la personne en effet que s’adresse l’hommage, et non à l’action.
III. LÉGITIMITÉ DU CULTE DES IMAGES.
1o Notions sur le culte et la proskynèse.
1. Le culte.
Le culte est la reconnaissance, l’aveu fait de plein gré de l’excellence supérieure que l’on reconnaît en quelqu’un ou quelque chose. Le culte religieux est la reconnaissance d’une excellence surnaturelle. Comme en Dieu se trouve la plénitude infinie et la source de toute excellence surnaturelle et qu’il lui a plu de la répandre sur des créatures, c’est à lui, tout d’abord, qu’ira le culte religieux, puis, à cause de lui, à ceux qu’il a daigné sanctifier et glorifier. Tout le culte chrétien commence donc à Dieu et finit à Dieu. C’est lui qui est vraiment et proprement l’objet du culte. Les créatures qu’il a associées à sa félicité ne le sont que relativement, comme disent les anciens Pères, σχετικῶς. Cf. Petau, op. cit., t. vi, l. XV, c. v. Et, comme le dit si bien Thomassin, præter ipsum non colitur quod propter ipsum colitur. De incarnatione, t. XI, c. I, n. 9, Venise, 1730, p. 731. Charitate, non servitute, dit saint Augustin, De vera relig., c. lv, P. L., t. xxxiv, col. 170. Ainsi le culte ne convient en propre qu’à Dieu, et c’est donc dans ce sens qu’il faut entendre les paroles des Pères, quand ils disent qu’il n’y a pas de culte que de Dieu seul. Ille solus colendus est, dit saint Augustin, quo solo fruens, beatus fit cultor ejus, et quo solo non fruens, omnis mens misera est, qualibet re alla perfruatur. Contra Faustum, l. XX, c. v, P. L., t. xlii, col. 371.
Le nom de culte, pouvant s’appliquer à Dieu et à la créature, est donc, comme celui d’excellence, dont il est la reconnaissance, un nom de signification large, ou, comme disent les scolastiques, analogue. La doctrine aristotélicienne et thomiste de l’analogie, dont l’importance s’est avérée si grande dans l’apologétique antimoderniste, trouve une application de plus dans la question qui nous occupe. Parce que la nature divine est d’une excellence, d’une dignité infinie, à côté de laquelle celle de toute créature est non point seulement chétive, mais nulle, on devra dire que le culte, testification d’excellence, devra lui convenir en propre ; lui seul est adorable par nature, dit saint Jean Damascène, μόνῳ τῷ φύσει προσκυνητῷ θεῷ, De imaginibus, orat. i, 14, P. G., t. xciv, col. 1244 ; et parce que la créature, dont l’origine est le néant, n’a d’excellence que de la main toute-puissante et libérale de Dieu, elle ne pourra avoir de culte que par participation, à cause de ce rapport qu’elle a avec le Premier Excellent, σχετικῶς. Mais il faut remarquer ici qu’il y a deux sortes de σχέσις et que les êtres qui reçoivent d’un premier analogue une appellation dérivée sont dans un double cas. Certains, en effet, possèdent en eux-mêmes la forme qui les dénomme, diverse sans doute (simpliciter diversa) de celle qui est dans le suprême analogue, mais propre et proportionnée à leur capacité. Ainsi l’homme est intelligent et libre parce qu’il a vraiment et proprement en lui les formes qui le dénomment ainsi, à savoir l’intelligence et la liberté, mais elles sont imparfaites et dans un ordre tout à fait inférieur (simpliciter diversa) si on les compare à l’intelligence et à la liberté divines, dont elles sont une faible participation. D’autres objets sont privés de la forme qui sert à les nommer et ne reçoivent le nom analogue que parce qu’ils regardent la forme qui est dans le principal analogue. Ainsi, pour employer l’exemple classique, l’air, la nourriture, le teint, le pouls, le régime ne sont dits sains que parce qu’ils sont causes ou indices de la santé qui est dans un vivant et non point parce qu’ils ont la santé, qualité qui ne peut appartenir qu’à une substance vivante. Appliquons ces considérations au culte religieux. Ce culte n’est dû et ne se rend en propre qu’à Dieu, plénitude, source infinie de toute sainteté. Il se rend aux créatures par analogie. Mais les créatures raisonnables, anges et hommes, ayant en elles-mêmes la perfection qui motive le culte qu’on leur donne, à savoir la sainteté, participation de la sainteté divine, sont dites et sont vraiment saintes subjective, et par suite sont l’objet d’un culte dans un certain sens absolu ; les créatures irrationnelles, temples, reliques, images, vases sacrés, etc., n’ayant point en elles-mêmes la forme qui les dénomme, mais ayant seulement relation à un être qui possède cette forme, étant dites saintes, non parce qu’elles possèdent la sainteté, mais parce qu’elles ont appartenu à des saints, ou les représentent, ou bien sont dédiées au culte du Dieu Très-Saint, n’auront qu’un culte purement relatif. Ainsi, seul, le culte de Dieu est parfaitement absolu ; celui des saints n’est point absolu, si l’on veut dire par là qu’il ne se rattache à rien de supérieur ; mais il est absolu, si l’on entend par là que l’on reconnaît en eux non point seulement une pure relation, mais vraiment une forme ou perfection qui leur appartient et pour laquelle ils méritent qu’on les honore et glorifie en eux-mêmes, et, dans un sens subordonné, pour eux-mêmes ; enfin, celui des objets inanimés est purement relatif.
En plus du terme commun qui sert à les désigner tous, chacun des analogues a généralement un nom particulier qu’il ne communique pas aux autres. « Culte » est le terme analogue qui englobe toute « testification d’excellence ». Il faudra d’autres noms pour préciser ce qui est dû à telle ou telle excellence. Il en faudra un surtout pour distinguer le culte que l’on doit à Dieu de celui que l’on doit à des créatures. Le culte propre à Dieu a reçu le nom de latrie, qui veut dire service, ici soumission absolue et dépendance sans réserve vis-à-vis du souverain Maître. C’est l’adoration au sens ordinaire du mot français. Celui que l’on rend à des créatures intelligentes a reçu celui de dulie, qui veut dire service aussi, mais que l’usage a restreint à signifier l’honneur que l’on rend à une créature, non pas à cause de la dépendance, mais à cause de la charité, non servitute sed charitate. « Nous vénérons (προσκυνοῦμεν les anges, mais nous ne les servons pas (οὑ λατρεύομεν) », dit saint Anastase, patriarche d’Antioche, tant de fois cité dans le concile de Nicée. Que nous ne devions la latrie qu’à Dieu seul, cela apparaît de ce que nous n’avons l’être que de lui, et que de lui seul nous pouvons avoir notre félicité. Il n’y a rien d’intermédiaire en effet entre l’âme raisonnable et Dieu, car il n’y a que la vue de Dieu, vérité immuable qui puisse la béatifier. Les autres créatures sont ou à côté ou au-dessous ; à côté, les anges, heureux de la même source ; au-dessous, la nature inanimée. Le culte donné aux objets inanimés prend un nom particulier dans le concile, c’est la τιμή, l’honneur, le respect. On les honore et respecte parce qu’ils disent rapport à Dieu ou aux serviteurs de Dieu. « Ceux qui disent qu’ils ont de l’honneur (τιμᾶν) pour les images et leur refusent la vénération (προσκύνησις) sont convaincus d’hypocrisie », dit Taraise au concile de Nicée. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 56. A noter que, si la latrie ne se dit que de Dieu, la dulie peut se dire aussi de Dieu, et la τιμή des saints et de Dieu. Mais pour les images et autres objets inanimés, on ne dit que τιμή, pour les saints que τιμή et δουλεία et pour Dieu τιμή, δουλεία et λατρεία, cette dernière expression étant réservée à son culte. Notons aussi que le terme de dulie, n’a été déterminé à signifier le culte des saints que plus tard, et procède de la distinction que saint Augustin a remarquée dans l’Écriture entre le service dû à Dieu (λατρεία) et celui que l’on rend aux créatures (δουλεία).
2. L’expression du culte.
Le culte ne se termine pas dans le cœur, il s’épanche, il éclate au dehors. En tant qu’il est dans l’âme, c’est le culte intérieur ; l’expression sensible de l’hommage intérieur s’appelle culte extérieur. Le culte total est constitué des deux, mais de telle sorte que l’acte extérieur n’a sa valeur que de l’acte intérieur. Le signe ordinaire, l’expression habituelle du culte et de tout hommage est l’inclination, le fléchissement du corps. Chez les Orientaux, cette inclination se faisait jusqu’à terre et s’appelait προσκύνησις, à proprement parler, prosternement accompagné d’un baiser. On ne peut le traduire par adoration qu’en prenant ce mot dans le sens plus large qu’il a en latin. Si nous le faisons quelquefois, c’est en l’accompagnant du mot grec pour en préciser le sens. Ce mot de proskynèse peut être pris dans le sens de culte, mais strictement il signifie l’expression du culte. Saint Jean Damascène le définit : « indice de soumission et d’honneur, marque de soumission, c’est-à-dire d’infériorité et d’humilité. » De imaginibus, orat. i, 14 ; iii, 27, P. G., t. cxiv, col. 1244, 1348. Anastase d’Antioche, cité par le IIe concile de Nicée, avait donné cette définition : « expression de l’honneur, du respect. » Mansi, t. xiii, col. 56.
Comme le culte dont elle est le signe, la προσκύνησις a une signification large et analogue. Elle peut s’appliquer à tout culte civil ou religieux. De soi indéterminée, c’est le sentiment intérieur d’où elle procède qui lui donne sa signification précise, qui fait qu’elle est λατρευτική ou τιμητική une vraie adoration ou simple honneur. C’est ce que les défenseurs des images ont eu soin de faire remarquer et pourquoi ils ont établi tant de modes de proskynèses, dont le premier est toujours celui qui se donne à Dieu selon la latrie. De imaginibus, orat. iii, 28, P. G., t. xclv, col. 1348. Cf. S. Nicéphore, Antirrheticus, III, 10, P. G., t. c, col. 392. Le concile déclare expressément que ce n’est pas la même chose que προσκυνεῖν et λατρεύειν, et base cette distinction sur le texte de l’Évangile : κύριον τὸν Θεόν σου προσκυνήσεις καὶ αὐτῷ μόνῳ λατρεύσεις, où il note que μόνῳ n’est employé que pour le mot λατρεύσεις. Matth., iv, 10. Mansi, t. xiii, col. 56.
Comme on a distingué un culte propre à Dieu, qui est celui de latrie, on a institué aussi pour ce culte un signe, une action extérieure qui lui est propre et qu’on ne peut employer dans le culte des créatures. « Cette action, c’est le sacrifice où on lui offre quelque chose avec des cérémonies qui marquent expressément qu’il est le seul de qui tout dépend. Cette action, du consentement de tous les peuples, est réservée à la Divinité… Telle est la nature du sacrifice, qu’il attribue toujours la divinité à celui à qui on l’offre. » Bossuet, Le culte dû à Dieu, viii. Multa denique de cultu divine usurpata sunt, dit saint Augustin, quæ honoribus defeuntur humanis, sive humilitate nimia, sive adulatione pestifera : ita tamen, ut quibus ea deferunfur, homines haberentur, qui dicuntur colendi et honorandi, si autom cis mullum additur, et adorandi ; quis vero sacrificandum censuit, nisi ei quem Deum, aut scivit, aut putavit, aut finxit. De civitate Dei, l. X, c. iv, P. L., t. xli, col. 281. Saint Germain, cité par le concile, donne aussi le sacrifice auguste des chrétiens comme la marque propre de la latrie. Mansi, t. xiii, col. 120. Et même ce mot latrie était employé anciennement pour désigner ces divins mystères eux-mêmes. Voir, par exemple, S. Épiphane, Hær., t. III, c. ii, 22, P. G., t. xlii, col. 828.
On voit donc, par ce qui précède, ce qu’il faut entendre par le culte que les catholiques rendent aux images, comment il se distingue de celui qui se rend aux personnes, et surtout à Dieu lui-même. Cela suffit pour le moment. Nous verrons plus loin les sentiments divers des théologiens sur la nature du culte à rendre aux images. Il est temps de faire voir comment l’Église expose son dogme, le légitime et le défend.
2° Doctrine de l’Église.
C’est ici le lieu de reproduire les principaux documents qui contiennent la doctrine officielle de l’Église et que nous n’avons fait qu’indiquer à propos de l’usage des images.
1. La définition du concile de Nicée (787) :
« Nous décidons avec toute exactitude et soin de rétablir, semblablement à la figure de la croix précieuse et vivifiante, les saintes et vénérables images, faites de couleurs, de mosaïques ou de quelque autre matière décente, dans les églises de Dieu, sur les vases et les vêtements sacrés, sur les murs et les planches, dans les maisons et sur les chemins : à savoir l’image de Jésus-Christ, notre Seigneur, Dieu et Sauveur, celle de notre souveraine immaculée la sainte mère de Dieu, des anges honorables et de tous les pieux et saints personnages, car plus on les regarde longuement à travers la représentation de l’image, plus ceux qui les contemplent sont excités au souvenir et au désir des prototypes ; de leur rendre salut et adoration d’honneur (τιμητικὴν προσκύνησιν) : non pas certes la latrie véritable qui provient de la foi et qui ne convient qu’à Dieu, mais l’honneur que l’on donne à la figure de la croix précieuse et vivifiante, aux saints Évangiles et aux autres objets sacrés ; d’approcher d’elles de l’encens et des lumières, comme c’était la pieuse coutume des anciens. Car l’honneur témoigné à l’image passe au prototype et celui-là qui vénère l’image vénère la personne qu’elle représente… Si donc il en est qui ont la témérité de penser ou d’enseigner autrement, de mépriser à la façon des hérétiques impies les traditions ecclésiastiques, de méditer quelque nouveauté ou de rejeter quelqu’une des choses consacrées par l’Église, Évangile, figure de la croix, représentation par l’image ou reliques de martyr ; ou de travailler avec fraude et fourberie à détruire quelqu’une des traditions légitimes de l’Église catholique ; ou encore d’employer à des usages profanes les vases sacrés ou les saints monastères : ils seront déposés s’ils sont évêques ou clercs, et excommuniés, s’ils sont moines ou laïques. » Mansi, Concil., t. xiii, col. 377-380.
La définition proprement dite comporte trois décisions :
a. La première concerne l’usage des saintes images. Il faut les admettre comme on admet la croix (παραπλησίως). Les images dont il s’agit sont celles de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge, des anges et des saints. On ne parle point des images de Dieu le Père ou de lu sainte Trinité.
b. La deuxième décision concerne le culte des images. Un culte leur est dû, mais bien compris et contenu dans de justes limites. Le concile vise avant tout à le distinguer de celui que l’on doit à Dieu. La grande accusation des iconomaques était en effet que l’Église rendait aux images des honneurs divins. À noter ici que le même genre de culte est adressé à toutes les images et qu’à toutes, même celles de Jésus-Christ, on refuse la latrie.
c. La troisième décision légitime certaines marques d’honneur adressées aux images, comme de les encenser et de mettre des lumières auprès d’elles. Le tout est couronné par le grand principe de l’honneur relatif, énoncé par saint Basile, et qui caractérise Je genre de culte qui convient aux images. Quant à la sanction qui accompagne la définition, elle tombe sur ceux qui repoussent l’usage et le culte des images, parce que c’est là incriminer l’Église de choses qui, bien que non nécessaires, sont cependant bonnes et légitimes, et accuser d’erreur celle qui est instruite et gardée par l’esprit de vérité.
2. Le pape Hadrien Ier, dans sa lettre aux empereurs Constantin et Irène, avait proclamé la relativité du culte donné à l’image : « Toute image faite au nom du Seigneur ou des anges ou des prophètes, ou des martyrs, ou des justes, est sainte ; car ce n’est pas le bois qu’on vénère, mais ce qui est rappelé sur le bois qu’on honore. « Mansi, op. cit., t. xii, col. 1067.
3. Le IVe concile de Constantinople, VIIe œcuménique (869), donne dans son 3e canon la même doctrine. Voici la traduction latine d’Anastase et la traduction française du résumé grec.
Sacram imaginent Domini nostri Jesu Christi et omnium liberatoris et salvatoris, æquo honore cum libro sanctoram Evangeliorum adorari decernimus. Sicut enim per syllabarum cloquia, quæ in libro feruntur, salutem consequemur omnes, ita per colorum imaginariam operationem et sapientes et idiotæ cuncti ex eo, quod in promptu est, perfruuntur utilitate ; quæ enim in syllabis sermo, hæc et scriptura, quæ in coloribus est, prædicat et commandat ; et dignum est, ut secundum congrnentiam rationis et antiquissimam traditionem propter honorem quia ad principalia ipsa referuntur, etiam derivative iconæ honorentur et adorentur æque ut sanctorum sacer Evangeliorum liber atque typus pretiosæ crucis. Si quis ergo non adorat iconam Salvatoris Christi, non videat formam ejus, quando veniet in gloria paterna glorificari et glorificare Sanctos suos (II Thess., i, 9 sq.) ; sed alienus sit a communione ipsius et claritate : similiter autem et imaginem intemeratæ matris ejus et Dei genitricis Mariæ ; insuper et iconas sanctorum angelorum depingimus, quemadmodum eos figurat verbis divina Scriptura ; sed et laudabilissimorum apostolorum, prophetarum, martyrum et sanctorum virorum, simul et omnium sanctorum, et honoramus et adoramus. Et qui sic se non habent, anathema sint a Patre et Filio et Spiritu Sancto. Denzinger-Bannwart, n. 337 ; Mansi, op. cit., t. xvi, col. 161.
« Nous ordonnons que l’image sacrée de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit vénérée à l’égal du livre des saints Évangiles. Car de même que les mots renfermés dans ce livre procurent à tous le salut, de même les représentations en couleurs sont la source d’une utilité à la portée de tous, savants et ignorants ; car ce que le livre nous dit par le mot, l’image nous l’annonce par la couleur et nous le rend présent. Si donc quelqu’un ne vénère pas l’image du Christ Sauveur, qu’il ne voie point sa forme, lors de son second avènement. L’image de sa mère immaculée et les Images des saints représentés sous les traits que leur donnent les récits de la sainte Écriture, et aussi les images de tous les saints, sont également l’objet de notre respect et de notre vénération ; et s’il en est qui ne leur rendent point ce culte, qu’ils soient anathème. » Mansi, op. cit., t. xvi, col. 400.
C’est donc un honneur relatif qu’on doit témoigner aux images, derivative iconæ honorentur, pareil à celui que l’on rend à la croix et aux Évangiles, æque ut sanctum Evangeliorum liber atque typus pretiosæ crucis. Denzinger, n. 137, p. 155. Ce culte est conforme à la raison, secundum congruentiam rationis, et repose sur une tradition très ancienne, et antiquissimam traditionem.
4. Le concile de Trente s’est occupé des images dans sa XXVe session. Le décret qui les concerne comprend trois parties : la première précise le culte, la seconde en explique l’utilité, la troisième en règle disciplinairement l’usage. Nous donnons ici la première partie et un fragment de la troisième, qui a un intérêt doctrinal.
Imagines porro Christi, Deiparæ Virginis et aliorum sanctorum in templis præsentim habendas et retinendas, eisque debitum honorem et venerationem impertiendam, non quod credatur inesse aliqua in iis divinitas vel virtus propter quam sint colendæ, vel quod ab eis sit aliquid petendum, vel quod fiducia in imaginibus sit figenda, velut olim fiebut a gentibus, quæ in idolis spem suam collocabant (Ps. cxxxiv, 15 sq.) ; sed quoniam honos, qui eis exhibetur, refertur ad prototypa, quæ illæ repræsenlant, ita ut per imagines, quas osculamur, et coram quibus caput aperimus et procumbimus, Christum adoremus, et sanctos, quorum illæ similitudinem gerunt. veneremur. Id quod conciliorum, præsertim vero secundo : Nicænæ synodi decretis contra imaginum oppugnatores est sancitum. Quod si aliquando historias et narrationes sacræ Scripturæ, cum id indoctæ plebi expediet, exprimi et figurari contigerit, non propterea divinitatem figurari, quasi corporeis oculis conspici vel coloribus aut figuris exprimi possit. Cavallera, Thésaurus, n. 821, 823.
Le concile de Trente, comme celui de Nicée, auquel il se réfère, ne propose et ne recommande expressément à l’usage et à la vénération des fidèles que les images de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge et des saints (les anges y sont compris implicitement). Il s’attache à écarter de leur culte toute superstition païenne. « Qui pèsera avec attention tout ce décret du concile y trouvera la condamnation de toutes les erreurs de l’idolâtrie touchant les images. Les païens, dans l’ignorance profonde où ils étaient touchant les choses divines, croyaient représenter la divinité par des traits et par des couleurs. Ils appelaient leurs idoles dieux d’une façon si grossière, que nous avons peine à le croire, maintenant que l’Évangile nous a délivrés et désabusés de ces erreurs. Ils croyaient pouvoir renfermer la Divinité dans leurs idoles ; selon eux, le secours divin était attaché à leurs statues, qui contenaient en elles-mêmes la vertu de leurs dieux : touchés de ces sentiments, ils y mettaient leur confiance : ils leur adressaient leurs vœux, et ils leur offraient leurs sacrifices. Telles étaient les erreurs des idolâtres,… le concile a rejeté toutes ces erreurs de notre culte. » Bossuet, Culte des images, i, Œuvres complètes, édit. Bloud et Barral, t. iii, Controverse, p. 71. Quant aux images de Dieu, qui le représentent en la forme où il est apparu dans l’Ancien et le Nouveau Testament, elles sont seulement permises, et, suivant le commentaire de Bossuet, « ces peintures doivent être rares selon l’intention du concile, qui laisse à la discrétion des évêques de les retenir ou de les supprimer, suivant les utilités ou les inconvénients qui en pourraient arriver. » Ibid.
5. La profession de foi de Pie IV (1564) ne concerne également que les images de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge et des saints : Firmissime assero imagines Christi ac Deiparæ semper Virginis, necnon aliorum sanctorum habendas et retinendas esse, atque eis debitum honorem ac venerationem impertiendam. Cavallera, Thesaurus doctrinæ catholicæ, n. 824.
6. Citons enfin le Codex juris canonici, can. 1255, § 2. Sacris quoque reliquiis atque imaginibus veneratio et cultus debetur relativus personæ ad quam reliquiæ imaginesque referuntur. Can. 1276. Bonum atque utile est Dei servos, una cum Christo regnantes, suppliciter invocare eorumque reliquias atque imagines venerari.
Dans l’expression générale Sacris… imaginibus de la première citation faut-il aussi comprendre les images de Dieu ? Il serait besoin, semble-t-il, d’un texte plus formel pour permettre de croire que le législateur a voulu ajouter quelque chose aux décisions de Trente et de Nicée.
Peut-on faire appel, pour étayer le culte des images, à l’Ancien Testament ? Les défenseurs des images l’ont pensé, mais cette raison se présente plutôt sous leur plume comme une réponse ad hominem. On leur reprochait d’adorer des choses faites de main d’homme ; ils répliquaient que l’arche, le propitiatoire, les chérubins, etc., étaient faits de main d’homme et que cependant les Juifs étaient pour eux pleins de respect et les vénéraient (προσκυνεῖν). Ainsi trouve-t-on dans la lettre d’Hadrien Ier aux empereurs, Mansi, op. cit., t. xii, col. 1070 ; dans la Synodique de Théodore de Jérusalem, ibid., col. 1145, dans saint Jean Damascène. De imaginibus, orat. ii, 14, 22, P. G., t. xciv, col. 1300, 1308. Cf Léonce de Néapolis, Mansi, op. cit., t. xiii, col. 52.
Enfin Dieu lui-même, par des miracles, est intervenu, pour montrer que le culte des images lui est agréable. Le IIe concile de Nicée en relate plusieurs dans sa IVe session.
3° Preuves de raison.
1. Le fondement rationnel du culte des images, comme de leur usage, se tire de leur notion même. Dans l’image, il y a deux choses, la matière, or, argent, bronze, bois, toile, couleur, etc., et la forme, représentation d’une personne ou d’une chose. « Nous vénérons (προσκυνοῦμεν) les images, dit saint Jean Damascène, non pas en adressant notre vénération à la matière, mais à ceux qu’elle représente. » De imaginibus, orat. iii, 41, P. G., t. xciv, col. 1357. La matière n’est pas susceptible de vénération, οὐδὲ προσκυνεῖσθαι πέρυκε, dit saint Théodore Studite, Antirrheticus, III, c. iii, 1, P. G., t. xcix, col. 421. C’est l’élément formel de l’image qui est la raison du culte qu’on lui rend. C’est en tant qu’image et non en tant que chose qu’on l’honore. Et ce culte est très raisonnable. L’image, en tant qu’image, avons-nous vu, est une en quelque sorte avec l’original ; elle n’a point de personne propre, mais présente la personne de l’original. Et puisque c’est l’original que je vois et regarde dans l’image, tous les sentiments que je ressens pour l’original se réveillent alors, sentiments d’amour, de reconnaissance, de respect, de vénération, et, comme je suis homme, à la fois raisonnable et sensible, intelligent et matériel, tout naturellement je les produis au dehors, tout naturellement je m’incline devant cette image, à cause du prototype, je la baise, je la vénère (προσκυνῶ). Et parce que l’image n’a point de personne propre susceptible de vénération, mais ne présente que la personne du prototype, en la vénérant, on ne vénère rien en elle, si ce n’est la personne de l’original ; et l’honneur qu’on lui rend est un honneur rendu à l’original. C’est l’inébranlable fondement du culte des images, celui qu’invoquent les Pères et les conciles de Nicée et de Trente. Saint Basile est le premier à le proclamer..près avoir dit que l’image du roi est aussi appelé le roi, et que cela ne fait pas deux rois, il ajoute : « Comme est une la domination qui nous tient et la puissance ; une aussi et non multiple est la louange que nous lui donnons, parce que l’honneur de l’image passe au prototype. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 69. À sa voix fait écho toute l’antiquité. C’est la nature même des choses qui nous l’enseigne, dit saint Taraise. Ibid. « Si tu me demandes, dit saint Théodore Studite, où il est écrit qu’il faut vénérer l’image du Christ, tu recevras vite cette réponse : Partout où il est écrit qu’il faut adorer le Christ, car ce qui procède du prototype en est inséparable, » Antirrheticus, II, 6, P. G., t. xcix, col. 356. Le même auteur, tout pénétré de cette notion formelle de l’image, fait bien ressortir l’identité du culte de l’image et du prototype. Il ne saurait y avoir deux hommages, l’un pour l’image et l’autre pour le prototype, mais seulement un seul, puisque c’est la même ressemblance de part et d’autre. « Ce n’est pas la substance (οὐσία) de l’image qu’on vénère, dit-il, mais la figure du prototype qu’elle exprime, la substance de l’image demeurant sans vénération. Ce n’est pas la matière qui est honorée, mais c’est le prototype qu’on vénère avec la figure et non pas avec la substance de l’image. Si c’est l’image, donc la vénération de l’image est la même qui va au prototype, de même c’est la même similitude. On n’introduit donc pas, quand on vénère l’image, une autre vénération en dehors de celle qui s’adresse au prototype. » Et encore : « Si celui qui voit une image voit en elle la ressemblance du prototype, il faut de toute nécessité que celui qui vénère l’image vénère en elle la forme du prototype. Comme la ressemblance est une, il n’y aura donc qu’une vénération pour les deux. » Antirrheticus. III, c. iii, 2 et 13, P. G., t. xciv, col. 421, 425. Ainsi donc, dès là qu’on admet l’usage de l’image, on doit aussi en recevoir le culte. C’est une inconséquence d’accepter l’un et de repousser l’autre. Le concile la relève. « Ceux qui disent qu’il suffit d’avoir des images pour le souvenir seulement et non pour les saluer, acceptant l’un et rejetant l’autre, se montrent par là demi-pervers et faussement véridiques, confessant ici la vérité et la méprisant là. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 364. Saint Théodore Studite dira plus tard : « Si quelqu’un, quand on présente l’image du Christ, dit que c’est assez de ne lui adresser ni honneur ni injure, est hérétique, parce qu’il rejette par là la proskynèse relative qui est une marque d’honneur. » Antirrheticus, I, 20, P. G., t. xcix, col. 349. De même sont convaincus d’inconséquence ceux qui professent du respect pour les saintes images et leur en refusent les marques : « Ceux qui disent qu’ils ont vu honneur les saintes images et leur refusent la vénération sont convaincus par ce Père (saint Athanase de Théopolis, dont on vient de citer un passage) de parler avec hypocrisie. En effet, ceux qui ne veulent pas vénérer, ce qui est la marque de l’honneur, sont censés faire le contraire, ce qui est injurier. « Mansi, t. xiii, col. 50. « C’est pourquoi le concile ordonne non seulement la vénération, mais encore l’adoration pour les images, parce que nul homme sincère ne fait difficulté de donner des marques de ce qu’il sent dans le cœur. » Bossuet, Le culte des images, i, loc. cit., p. 72.
2. Cette raison fondamentale du culte des images ne se présente pas seulement sous une forme abstraite, qui, toute claire et évidente qu’elle est, n’a cependant pas assez de force sur l’ensemble des hommes tant qu’elle ne revêt pas des conditions sensibles ; vérité de sens commun, elle se concrétise aussi, elle prend chair et os et s’incarne dans les manifestations naturelles et quotidiennes de la vie affective de l’humanité. Les défenseurs des images surent la présenter avec ce caractère tangible qui frappe l’esprit et s’impose à lui, et cela d’une double manière : a contrario et a simili.
a) A contrario. — « Si tu méprises le vêtement royal, dit le pape Hadrien Ier en citant saint Jean Chrysostome, est-ce que tu ne méprises pas par là celui qui en est revêtu ? Ne sais-tu pas que, si quelqu’un injurie l’image de l’empereur, c’est à l’empereur lui-même qui est le prototype et à sa dignité qu’il adresse l’Injure ? Ne sais-tu pas que, si quelqu’un maudit l’image faite de bois ou de couleurs, il n’est pas jugé pour avoir attenté à quelque chose d’inanimé, mais pour avoir agi contre l’empereur ? » Mansi, op. cit., t. xii, col. 1068. Cf. t. xiii, col. 325. « L’honneur de l’image, dit aussi le concile, passe au prototype et celui qui voit l’image du roi voit en elle le roi. Celui donc qui vénère l’image vénère en elle le roi ; car c’est son apparence et sa forme qui sont dans l’image ; et de même que celui qui fait injure à l’image du roi subit justement un châtiment, comme ayant injurié véritablement le roi, bien que l’image ne soit pas autre chose que du bois avec des couleurs et de la cire unies et mélangées, ainsi celui qui injurie l’image de n’importe qui adresse son injure à celui dont l’image est la reproduction. Mais la nature même des choses nous apprend, que quand l’image est déshonorée, c’est évidemment le prototype qui est déshonoré : tout le monde sait cela. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 273. Ainsi, mépriser l’image de Jésus-Christ sera mépriser Jésus-Christ, lui-même. Refuser la proskynèse à l’image de Jésus-Christ sera la refuser à Jésus-Christ même. Professer qu’il ne faut point honorer l’image de Jésus-Christ, c’est professer qu’il ne faut point honorer Jésus-Christ. Antirrheticus, III, c. iv, 5, P. G., t. xcix, col. 429. S’il en est ainsi, si l’opprobre rejaillit sur l’original, le culte aussi qui est son contraire, oppositorum eadem est ratio. Et vraiment c’est vouloir détruire le culte du Christ que de vouloir détruire celui de son image.
b) A simili.
Si, dans la vie civile et domestique, on rend un honneur aux images, et que cet honneur ne s’adresse aucunement à la matière de l’image, mais seulement à celui qu’elle représente, pourquoi en serait-il autrement dans la vie religieuse ? L’homme est le même partout et partout l’image a la même essence et les mômes caractères fondamentaux. Quand on apporte aux villes, dit le pape Hadrien Ier, les effigies et les images des empereurs et que les magistrats et le peuple viennent à sa rencontre, ce n’est pas le tableau qu’ils honorent ou la peinture faite d’enduit de cire, mais bien la figure de l’empereur. » Mansi, op. cit., t. xii, col. 1068. « Dis-moi, dit Léonce de Néapolis en Chypre, cité par le concile, dis-moi donc, toi qui penses qu’il ne faut rien vénérer de ce qui est fait de main d’homme, ni absolument rien de créé, est-ce que bien souvent, en voyant dans ta chambre un habit ou un ornement de ta femme ou de tes enfants décédés, tu ne les as pas saisis, baisés et arrosés de larmes, sans que personne t’en fît un reproche ? Tu n’as pas adoré les vêtements comme Dieu, mais tu as montré en les baisant ton affection envers celui qui en était autrefois revêtu. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 45. Si, dans la vie sociale et domestique, il y a un honneur, un culte relatif, c’est tout naturellement qu’il y en aura un aussi dans la vie religieuse. Si l’on honore quelque chose qu’a possédée une personne qui nous est chère à un titre spécial ou qui la représente, à plus forte raison devra-t-on honorer ce qui appartient à Dieu, ce qui représente une personne divine ou amie de Dieu, les temples, les autels, les reliques, les Écritures divines, et enfin les images saintes.
3. La comparaison des images saintes avec d’autres objets sacrés que l’on vénère d’un culte relatif fut aussi un argument puissant des iconophiles. On a déjà remarqué que le concile, dans son ὃρος, parle de la figure de la « croix précieuse et vivifiante » et des saints Évangiles, et dit qu’il faut rendre aux saintes images le même honneur qu’on rend à ces objets. C’est le moment d’exposer ce double argument, qui a toute la force d’un argument ad hominem.
a) Si les iconomaques honorent le livre des Évangiles, ce ne peut être à cause des lettres ou des sons matériels, c’est parce que lettres et sons rappellent les mystères de Jésus-Christ ; mais pareillement l’image rappelle les mêmes choses que l’Évangile : ils s’expliquent mutuellement ; ils ont donc droit aux mêmes honneurs. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 482. Poursuivant la comparaison qu’il a déjà faite de l’Écriture et de l’image, qui ont même utilité, saint Nicéphore continue : « Si l’Évangile qui résonne aux oreilles mérite tant d’honneur (car la foi dépend de l’ouïe), certes ce qui tombe sous la vue et nous fournit par ce sens le même enseignement que la lecture, ou bien l’emporte sur elle à cause de la rapidité de l’instruction, car la vue a plus de force que l’ouïe pour persuader, ou bien tout au moins n’est pas au second rang. Le même honneur lui sera donc rendu qu’à l’Évangile. » Antirrheticus, III, 5, P. G., t. c, col. 384. (Il va sans dire qu’il faut restreindre ce rapprochement à la clarté de l’exposition et ne pas l’étendre à l’autorité.)
b) Plus souvent encore qu’avec le livre, on compare, pour justifier leur culte, les images saintes avec la croix. L’honneur donné à la croix et même à la figure de la croix n’était contesté par aucun des iconomaques. On conçoit donc quelle était la faiblesse de leur position. Les iconophiles ne pouvaient manquer d’en tirer parti. Ils le firent, et parfois avec un grand luxe d’arguments. Saint Jean Damascène, du culte rendu aux instruments de la passion et à la figure de la croix, tire un éloquent argument a fortiori en faveur de l’image du Christ. « Si j’honore et vénère comme des moyens de salut la croix, la lance, le roseau, l’éponge, par lesquels les Juifs déicides ont couvert d’opprobres mon Maître et l’ont tué, n’adorerai-je pas les images faites par les fidèles dans une intention droite pour glorifier et rappeler les souffrances du Christ ? Si j’adore l’image de la croix, faite de n’importe quelle matière, n’honorerai-je pas l’image de celui qui a été crucifié et qui nous présente la croix comme un salut ? Ὤ ἀπανθρωιπίας ! Que je n’adore pas la matière, c’est clair ! Détruite la forme de la croix, faite de bois par exemple, je jette le bois au feu : ainsi des images. » De imaginibus, orat. ii, 19, P. G., t. xciv, col. 1305. En dehors de son ὃρος, le concile fait aussi plusieurs fois la même comparaison. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 269-272, 284. Dans son IIe Antirrhétique, saint Théodore Studite presse fort l’argument ad hominem : Ἐκ σοῦ μοι τὸ νικᾶν τὰ ἴσα λέγοντι, P. G., t. xcix, col. 359-362. Mais c’est surtout saint Nicéphore qui développe cet argument et s’attache à montrer combien l’image du Christ l’emporte sur sa croix et l’image de sa croix. Dans son IIIe Antirrhétique, il présente dans ce but dix raisons dont voici la première : « L’image est la ressemblance du Christ ; elle est semblable à son corps, nous décrit la figure de son corps, nous rappelle sa forme et nous signifie en le reproduisant le mode de son action, de sa doctrine ou le plus souvent de sa passion. La figure de la croix n’est ni semblable à son corps, ni ne nous montre aucune des choses dites. Or ce qui est semblable à quelqu’un lui est plus proche et le touche de plus près que ce qui ne lui est pas semblable, parce qu’il nous le fait mieux connaître au moyen de la ressemblance, , et à cause de cela, est aussi plus précieux. Donc la figure du Christ, qui le touche de plus près et le fait mieux connaître, devra être d’un plus grand prix et en plus grande vénération que la figure de la croix, qui parmi nous est précieuse et vénérable, » P. G., t. c, col. 428.
Un autre argument ad hominem est celui qu’on adresse à Calvin, qui, ne croyant pas à la présence réelle de Notre-Seigneur dans l’eucharistie, explique la terrible sentence de saint Paul sur la communion indigne, en disant que l’injure faite au symbole va à ce qui est symbolisé. C’est évidemment se condamner soi-même et dévoiler son parti-pris que de faire appel à un principe pour expliquer un texte gênant et n’en vouloir plus sentir la force quand ce sont les adversaires qui l’invoquent. Si l’injure au symbole est une injure à ce qui est symbolisé, l’injure à l’image sera donc une injure à celui que l’image représente, et il en sera de même de l’honneur ; car l’image, comme le symbole, est essentiellement relative.
4. Objections et réponses.
a) Plusieurs de ces objections ont pour but de prouver que le culte des images est une idolâtrie. Car c’est la grande accusation de tous les iconomaques. Ils l’étayent tout d’abord sur l’Écriture.
« Ils prétendent, dit Bossuet, que s’incliner et fléchir le genou devant une image, quelle qu’elle soit, fût-ce celle de Jésus-Christ, et pour quelque motif que ce soit, c’est tomber dans une erreur capitale, puisque c’est contrevenir à un commandement du Décalogue, et encore du plus essentiel, c’est-à-dire à celui qui règle le culte de Dieu. » Cf. Deut., v, 6-9. Cette défense est confirmée par la destruction du serpent d’airain, louée par l’Écriture. IV Reg., xviii, 3-4. Et ils précisent leur objection en disant que les paroles d’un commandement doivent être prises simplement et dans leur sens littéral. — Mais précisément, quel est le sens littéral ? Si le commandement divin, pris à la lettre, défendait tout culte des images, il faudrait aussi que, pris à la lettre, il en prohibât toute confection, parce qu’en effet les deux ne font qu’un même commandement. Aussi les iconomaques extrêmes ont poussé jusque-là leur erreur ; ils ont bien vu qu’adoucir la défense de faire des images était adoucir la défense de les honorer. Nous avons dit plus haut ce qu’il fallait penser de la prohibition touchant l’usage des images. Les mêmes considérations s’appliquent à l’objection présente et nous font connaître quel est le vrai sens littéral du passage invoqué. Ce que Dieu défend, tout le contexte l’indique, c’est qu’on ait d’autres dieux que lui, c’est qu’on pense qu’une image matérielle puisse exprimer sa nature, qu’on fasse de telles images et qu’on se prosterne devant elles, à la façon des païens qui attribuaient à leurs idoles la divinité. Ce que Dieu défend, en un mot, c’est l’idolâtrie. Il faut donc entendre ce qu’elle est pour bien comprendre le dessein de Dieu dans le commandement dont il s’agit. « L’idolâtrie, dit Bossuet, n’est pas tant une erreur particulière touchant la Divinité que c’en est une ignorance profonde, qui rend les hommes capables de toutes sortes d’erreurs. » Deux points principaux faisaient le fond de la religion des païens : « Ils regardaient leurs idoles comme des portraits de leurs dieux. Bien plus, ils les regardaient comme leurs dieux mêmes : ils disaient tantôt l’un et tantôt l’autre, et mêlaient ordinairement l’un et l’autre ensemble… Premièrement, il est certain qu’ils se figuraient la Divinité corporelle, et croyaient pouvoir la représenter au naturel par des traits et par des couleurs. Comme leurs dieux au fond n’étaient que des hommes, pour concevoir la Divinité, ils ne sortaient point de la forme du corps humain : ils y corrigeaient seulement quelques défauts ; ils donnaient aux dieux des corps plus grands et plus robustes, et quand ils voulaient, plus subtils, plus déliés et plus vites. Ces dieux pouvaient se rendre invisibles et s’envelopper de nuages. Les païens ne leur refusaient aucune de ces commodités ; mais enfin ils ne sortaient point des images corporelles ; et quoi que pussent dire quelques philosophes, ils croyaient que par l’art et par le dessin on pouvait venir à bout de tirer les dieux au naturel. C’était là le fond de leur religion… Mais les païens passaient encore plus avant, et ils croyaient voir effectivement la Divinité présente dans leurs idoles. Il ne faut point leur demander comment cela se faisait. Les uns, ignorants et stupides, étourdis par l’autorité publique, croyaient leurs idoles dieux, sans aller plus loin ; d’autres, qui raffinaient davantage, croyaient les diviniser en les consacrant. Selon eux, la Divinité se renfermait dans une matière corruptible, se mêlait et s’incorporait dans les statues. Qu’importe de rechercher toutes leurs imaginations touchant leurs idoles ? tant il y a qu’ils conspiraient tous à y attacher la Divinité, et ensuite leur religion et leur confiance. Ils les craignaient, ils les admiraient, ils leur adressaient leurs vœux, ils leur offraient leurs sacrifices : enfin ils les regardaient comme leurs dieux tutélaires, et leur rendaient publiquement les honneurs divins. » Du culte des images, ii, loc. cit., p. 77 et 78. C’est tout cela que le Décalogue défend, et l’on verra, par la réponse à l’objection suivante, combien les catholiques sont loin de telles pratiques et de telles erreurs. Quant à la destruction du serpent d’airain louée par l’Écriture, elle s’explique par la conduite des Juifs, qui avaient commencé à l’adorer à la manière des païens. — Nous omettons les objections tirées des Pères, qu’il serait trop long d’examiner. Les textes allégués se rapportent soit au culte absolu, soit aux images destinées à représenter la nature divine, soit à des abus à prévenir ou à extirper.
b) Avoir des images dans les temples, se prosterner devant elles, c’est imiter les païens, c’est agir en païens ; car les païens, que font-ils autre chose ? Entrez dans un temple païen, puis dans un temple catholique, ne verrez-vous point que de part et d’autre il y a des images et que l’on se prosterne devant elles ? Par là, l’Église ne fait-elle pas voir qu’elle est retombée dans l’idolâtrie ? — La réponse est tout à fait simple et facile. Quand il s’agit de juger un acte extérieur qui de soi a une portée multiple, comme est le prosternement (προσκύνησις), et dont toute la valeur et la signification dépend de l’intention d’où il procède, c’est évidemment l’intention qu’il faut uniquement regarder et sur elle qu’il faut régler son jugement. C’est le principe qu’ont unanimement suivi les défenseurs des images et les Pères de Nicée (787). On le trouve exposé et développé dans le remarquable discours de Léonce, évêque de Néapolis, cité par le concile. « Comme je l’ai dit souvent, il faut rechercher l’intention dans tout salut et dans toute proskynèse. Or, si tu m’accuses d’adorer comme Dieu l’image de la croix, pourquoi n’accuses-tu pas Jacob, qui a adoré le sommet du bâton de Joseph, mais il est clair qu’il n’a pas adoré le bois qu’il voyait, mais, par le bois, Joseph : ainsi nous, nous adorons le Christ par la croix… Parce que tu m’as vu saluer l’image du Christ ou de sa mère immaculée, ou de tout autre juste, tu t’indignes et tu bondis, l’injure à la bouche, et tu nous appelles idolâtres. Dis-moi, ne frémis-tu pas ? ne trembles-tu pas ? ne rougis-tu pas, en me voyant abattre par toute la terre les temples des idoles et édifier des temples de martyrs ? Si j’adorais les idoles, pourquoi honorerais-je les martyrs qui ont détruit les idoles ? Si j’honore et glorifie des morceaux de bois comme des dieux, comment puis-je honorer et glorifier les martyrs qui ont détruit ces simulacres de bois ? etc. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 45-48. Cf. col. 52. Et plus loin : « Nous ne disons pas à la figure de la croix, ni aux figures des saints : Vous êtes nos dieux, car les images ne sont pas des dieux, mais seulement des similitudes du Christ et des saints, placées et vénérées pour le souvenir, l’honneur et pour l’ornement des églises, » col. 53. Saint Germain, dans sa lettre à Thomas, évoque de Claudiopolis, après avoir dit que le peuple chrétien adore et glorifie la seule Trinité vivifiante, ajoute : « Le peuple chrétien, vrai et sincère adorateur de la Trinité, n’encourt pas la condamnation des idoles, écrite dans les saints Livres, en ayant les images des saints pour se souvenir de leur vertu ; de même que personne ne fait au bienheureux apôtre Paul, qui défendait la circoncision de la chair et s’élevait contre ceux qui voulaient être justifiés par la loi, un reproche et un crime d’avoir circoncis Timothée, de s’être tondu selon la loi et d’avoir offert un sacrifice dans le temple. Car il ne faut pas regarder seulement ce qui se fait, mais partout examiner le but de ceux qui agissent, » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 120-121, principe qu’il répète plus loin à propos de la statue d’airain élevée par l’hémorrhoïsse, col. 125. Saint Jean Damascène dit de même : « Quand il s’agit d’images, il faut rechercher la vérité et l’intention de ceux qui les font. Si l’intention est juste et droite, et qu’elles soient faites pour la gloire de Dieu et de ses saints, pour le désir de la vertu, la fuite des vices et le salut des âmes, il faut les recevoir comme images, initiations, ressemblances, livres des ignorants, les vénérer, les baiser, les saluer des yeux, des lèvres, du cœur ; à savoir, la ressemblance du Dieu incarné, ou de sa mère, ou des saints, compagnons des souffrances et de la gloire du Christ. » De imaginibus, orat. ii, 10, P. G., t. xciv, col. 1293. Cf. orat. iii, 9, col. 1332. « Si nous faisions, dit-il ailleurs, des images du Dieu invisible, nous serions vraiment dans l’erreur, car ce qui est sans corps, ni figure, invisible et incirconscriptible, ne peut être mis en image. Et aussi, si nous pensions que celles que nous faisons sont dieux, et que nous les adorions comme des dieux, nous serions vraiment impies : ce n’est pas ainsi que nous agissons. » Orat. iii, 2, col. 1320. Le concile de Nicée précise bien lui aussi à quel titre il reçoit les images, et que ce n’est pas à la façon dont les païens ont leurs idoles. « Nous recevons les véritables images, sachant bien que ce ne sont que des images et rien autre chose, n’ayant de l’original que le nom et non la substance. » Mansi, t. xiii, col. 261. Cf. col. 232. B Les chrétiens ni n’ont appelé les saintes images leurs dieux, ni ne les ont adorées comme des dieux, ni n’ont placé en elles l’espérance de leur salut, ni n’attendent d’elles le jugement à venir, mais les ayant comme un souvenir et un avertissement, et épris d’amour envers leurs prototypes, ils les ont saluées et vénérées dans un sentiment de respect (τιμητικῶς), mais ils ne les ont pas servies (οὐ μέν δὲ ἐλάτρευσαν) et ne leur ont pas rendu les honneurs divins. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 225. Le concile de Trente a reproduit une partie de cette déclaration dans sa définition sur les images. On ne peut donc, pour conclure avec Bossuet, « reprocher aux défenseurs des images qu’ils leur rendaient des honneurs divins, puisqu’ils ont déclaré si hautement que ce n’a jamais été leur intention, » et que « c’est l’intention qui donne la force aux marques d’honneur qui d’elles-mêmes n’en ont aucune. » Le culte des images, i, loc. cit., p. 73. « Selon nous, dit-il encore, la divinité n’est ni renfermée ni représentée dans les images. Nous ne croyons pas qu’elles nous la rendent plus présente, à Dieu ne plaise mais nous croyons seulement qu’elles nous aident à nous recueillir en sa présence. Enfin nous n’y mettons rien que ce qui y est naturellement, que ce que nos adversaires ne peuvent s’empêcher d’y reconnaître, c’est-à-dire une simple représentation, et nous ne leur donnons aucune vertu que celle de nous exciter par la ressemblance au souvenir des originaux ; ce qui fait que l’honneur que nous leur rendons ne peut s’adresser à elles, mais passe de sa nature à ceux qu’elles représentent. Voilà ce que nous mettons dans les images. » Ibid., p. 71.
c) Il n’en est pas moins vrai qu’en se prosternant devant l’image, c’est devant de la matière, de la vile matière, qu’on se prosterne. On ne doit se prosterner que devant Dieu, n’adorer que lui. — Saint Jean Damascène répond à cette objection en notant l’esprit manichéen qui la dicte. « Tu vilipendes la matière et la déclares vile ; les manichéens ont fait de même. Mais la sainte Écriture la proclame bonne, car elle dit : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et tout cela est très bon. » Donc la matière aussi est l’œuvre de Dieu, et je la proclame bonne ; mais toi, si tu la déclares mauvaise, tu dois avouer ou bien qu’elle ne vient pas de Dieu, ou bien que Dieu est l’auteur du mal. Or, écoute ce que dit la sainte Écriture de la matière que tu regardes comme méprisable : « Moïse parla à toute l’assemblée des enfants d’Israël et dit : Voici ce que l’Éternel a ordonné : Prenez sur ce qui vous appartient une offrande pour l’Éternel. Tout homme dont le cœur est bien disposé apportera une offrande à l’Éternel : de l’or, de l’argent et de l’airain ; des étoffes teintes en bleu ; du bois d’acacia ; de l’huile pour le chandelier ; des aromates pour l’huile d’onction et » pour le parfum odoriférant ; des pierres d’onyx et d’autres pierres pour la garniture de l’éphod et du pectoral. Que tous ceux d’entre vous qui sont habiles viennent et exécutent tout ce que l’Éternel a ordonné : le tabernacle. » Voici donc que la matière est honorée, quoiqu’elle soit pour vous méprisable… Je n’adore pas la matière, mais j’adore l’auteur de la matière, qui s’est fait matière pour moi, a pris domicile dans la matière, et a accompli mon salut par la matière. Le Verbe s’est fait chair et il a habité au milieu de nous. Tout le monde sait que la chair est matière et qu’elle a été créée. Je vénère donc et j’adore la matière par laquelle s’est accompli mon salut. Je la vénère, non comme Dieu, mais comme remplie de la vertu et de la grâce divines. Le bois de la croix, trois fois heureux, n’est-il pas de la matière ? La sainte et vénérable montagne, le Calvaire, n’est-il pas de la matière ? La pierre vivifiante, le monument saint, source de notre résurrection, n’est-il pas de la matière ? L’encre et les feuilles des Évangiles ne sont-ils pas de la matière ? La table vivifiante, qui nous donne le pain de vie, n’est-elle pas de la matière ? L’or et l’argent, dont on fait les croix et les images, et les calices, ne sont-ils pas de la matière ? Et, avant tout, le corps et le sang du Seigneur ne sont-ils pas de la matière ? Ou supprime la vénération et l’adoration de tout cela, ou accorde à la tradition ecclésiastique le culte des images sanctifiées par le nom de Dieu et de ses amis, et, à cause de cela, recouvertes de la grâce de l’Esprit divin. » De imaginibus, orat. ii, 13-14, P. G., t. xciv, col. 1297-1300 ; trad. Ermoni, Saint Jean Damascène, p. 300-302.
d) Certains trouvaient que l’usage et l’adoration des images devaient se limiter à celles de Notre-Seigneur et de sa sainte mère, et ne voulaient pas qu’on peignît les saints. — Les iconophiles trouvèrent intolérable cette restriction et injurieuse pour les saints. « C’est bien assez de peindre l’image du Christ et de sa divine mère. Ô absurdité ! répond saint Jean Damascène, tu t’avoues donc nettement l’ennemi des saints. Car, si tu peins l’image du Christ et aucunement celle des saints, sans doute tu n’écartes plus l’image, mais tu enlèves aux saints leur honneur. Tu fais l’image du Christ comme étant plein de gloire et tu ne fais pas l’image des saints, comme s’ils étaient sans gloire, et tu déclares mensongère la Vérité : « Je vis, dit le Seigneur, et je glorifie ceux qui me glorifient. » Ce n’est plus aux images, c’est aux saints que tu fais la guerre. » De imaginibus, orat. i, 19, P. G., t. xciv, col. 1249. Et ce n’est pas seulement l’honneur des saints, c’est l’honneur dû au Christ qu’atteint indirectement cet ostracisme : « Nous peignons le Christ, roi et Seigneur, de façon que nous ne le privons pas de son cortège. Les saints sont l’armée du Seigneur. Que le roi terrestre se prive d’abord de son cortège, avant de songer à priver du sien le roi et Seigneur. Qu’il dépouille la pourpre et le diadème et alors qu’il dépouille de leur honneur ceux qui ont combattu contre le tyran et qui ont dominé leurs passions. En effet, s’ils sont les héritiers de Dieu et les cohéritiers du Christ, s’ils sont appelés à participer à la gloire divine et au royaume futur, pourquoi les amis du Christ ne participeraient-ils pas à la gloire terrestre ? Dieu dit : Je ne vous appelle plus serviteurs ; vous êtes mes amis… » Leur refuserons-nous l’honneur qui leur est accordé par l’Église ? » De imaginibus, orat. ii, 15, P. G., t. xciv, col. 1301 ; Ermoni, op. cit., p. 291. « Que certains ne se scandalisent pas, dit saint Germain dans sa lettre à Thomas de Claudiopolis, de ce que, devant les images des saints, l’on allume des lumières et l’on brûle de l’encens, car tout ceci s’accomplit selon un dessein symbolique pour l’honneur de ceux qui ont maintenant leur repos avec le Christ et dont l’honneur remonte à lui, selon le mot du sage Basile : l’honneur que les coserviteurs rendent à ceux qui sont vertueux fait voir leur bonne volonté envers le commun maître. » Mansi, t. xiii, col. 124. La même sentence se trouve dans la lettre synodique de Théodore de Jérusalem. Mansi, t. xii, col. 1143. Ainsi, c’est en dernier ressort à Dieu que rejaillit l’honneur rendu soit aux images, soit même aux prototypes, car c’est pour le glorifier qu’on honore les uns et les autres.
e) Des iconomaques, gênés qu’on leur opposât toujours le principe de saint Basile : L’honneur de l’image passe au prototype, objectèrent que ce grand docteur ne pensait nullement aux images saintes, mais n’avait pour but que de démontrer la divinité du Verbe. Saint Nicéphore leur répondit que saint Basile supposait ce principe vrai pour les images artificielles, puisque c’est de là qu’il s’élevait à ses considérations théologiques. Ce maître, traitant de la nature de Dieu, et sachant bien que le Fils est de même nature et de même substance que le Père, professant qu’il n’y a pas de différence entre eux sinon d’hypostase ou de personne, eut besoin, parce que beaucoup d’hérétiques s’étaient élevés contre la gloire du Fils, d’établir et de montrer par un exemple la vraie doctrine : car nous avons coutume d’expliquer au moyen de choses qui sont parmi nous celles qui sont au-dessus, comme on peut le voir dans la sainte Écriture et non moins chez les docteurs de l’Église. Après avoir dit : Comment, s’il y a un et un, le Père Dieu et le Fils aussi Dieu, n’y a-t-il pas deux Dieux ? Et tournant son discours au dialogue : « Parce que, dit-il, l’image du roi est appelée aussi roi, et il n’y a pas deux rois ; ni la puissance n’est divisée, ni la gloire n’est partagée. » Ensuite, comme si quelqu’un demandait d’où cela pouvait tirer son évidence, il apporte pour confirmer son exemple des pensées communes à tous et sur lesquelles tout le monde s’accorde, disant : « Car l’honneur de l’image passe au prototype. » Personne, en effet, ne pense autrement de l’image, et en tous ceux qui ont la raison, non seulement l’enseignement, mais la nature même a inculqué cette idée. Ayant achevé cet exemple, il reprend son discours où il l’avait laissé : « Ce que l’image fait ici par imitation (ici, il s’agit évidemment de l’image qui doit à l’art sa similitude), là, le Fils, le fait par nature. » Ensuite, ce Père, connaissant bien la différence et la ressemblance des images artificielles avec leurs prototypes, se sert de nouveau de cet exemple qui a une sorte d’analogie avec l’image naturelle et dit : « Et de même que dans les images artificielles la ressemblance est quant à la forme, ainsi dans la nature divine qui n’a point de parties, de la communication de la divinité résulte l’unité. » Antirrh., iii, 21, P. G., t. c, col. 4O8-409.
f) Enfin, nous disent les protestants, même à supposer que le culte des images dans le sens où l’expliquent les théologiens, soit raisonnable et légitime, il reste que la foule ne peut s’élever à leurs considérations subtiles et que son culte pour les images ne peut se dégager de la superstition. Le vulgaire pense que les images vivent : c’est pourquoi il les prie et leur parle comme si elles entendaient. De là vient que l’on préfère les unes aux autres et que certaines sont des buts de pèlerinage. Cette seule raison devrait suffire pour abolir le culte dont il s’agit. — Que le culte des images, sans enseignement ni contrôle, puisse être, pour les simples, une occasion de superstition, personne ne le nie. Mais l’enseignement est donné, le contrôle est fait par l’Église elle-même. Il n’y a donc pas de péril pour la communauté chrétienne. S’il est des particuliers qui, faute de s’être fait bien instruire, sont dans l’erreur, ou ils se corrigent eux-mêmes implicitement par l’intention où ils sont de vouloir agir dans l’esprit de l’Église, prêts qu’ils sont à embrasser son enseignement aussitôt connu, ou s’ils sont obstinés dans leur propre sentiment, c’est alors à eux-mêmes qu’il faut attribuer leur stupide aveuglement, et non point à l’Église, à qui ils résistent. Du reste, c’est abuser que de prétendre que le vulgaire attribue vie et personnalité aux images. Si, dans la vie civile, il sait distinguer le roi de la statue du roi, pourquoi serait-il à ce point insensé, surtout après avertissement, que de prendre pour le saint lui-même la statue du saint ? D’où vient cette manie d’ôter la raison à l’homme dès qu’il fait acte de religion ? D’un côté comme de l’autre, l’homme est homme, et l’image est l’image, et il ne faut pas plus de subtilité d’esprit pour la distinguer du prototype, si celui-ci est saint Antoine de Padoue que si c’est Napoléon. Maintenant, que le fidèle aime mieux prier devant telle image que devant telle autre, qu’il aille en pèlerinage à une image célèbre, il peut y avoir à cela des motifs honnêtes ; car ou ces images sont en même temps des reliques, ayant été faites ou possédées par des saints ; ou bien Dieu a accompli en elles des prodiges insignes : ou bien elles représentent leur prototype d’une manière plus vive, et par là excitent une plus grande dévotion : tous motifs raisonnables qui n’ont aucun relent de superstition.
5. Pourquoi l’Église a-t-elle tant combattu pour le culte des images ?
Si l’usage et le culte des images ne sont pas choses essentielles à la religion chrétienne, étant ex genere ἀδιαφόρων, pourquoi les a-t-elle tant défendus ? Pourquoi a-t-elle opposé ses docteurs, réuni ses conciles, donné le sang de ses martyrs ? À cela il y a plusieurs réponses, dont certaines sont contenues dans ce qui précède. L’Église n’a pas voulu priver ses enfants des précieux avantages et secours que leur procurent la vue et la contemplation des saintes images ; elle n’a pas voulu frustrer Notre-Seigneur, la sainte Vierge et les saints de l’honneur qui leur revient de la vénération des images qui les représentent, ni surtout permettre qu’injure leur fût faite par la destruction et le bannissement des images ; car l’injure, comme l’honneur, passe de l’image au prototype. De plus, comme dit Bossuet, « l’Église catholique, fidèle dépositaire de la vérité, veut conserver ce qui est utile, c’est-à-dire qu’elle donne pour essentiel ce qui est essentiel, pour utile ce qui est utile, pour permis ce qui est permis, pour défendu ce qui l’est, et ne veut priver ses enfants, ni d’aucune chose nécessaire, ni même d’aucun secours qui peut les exciter à la piété. » Du culte des images, i, loc. cit., p. 75. Mais surtout, elle n’a pas du supporter l’accusation que lui faisaient les iconoclastes d’être tombée dans l’idolâtrie. C’est ce que leur reprochent unanimement les défenseurs des images et les Pères du IIe concile de Nicée. C’est le principal sujet de leur condamnation. « Il faut prendre garde, écrivait saint Germain à Thomas de Claudiopolis, que les ennemis de la croix du Christ ne prennent occasion de là pour s’élever contre notre foi et qu’ils en viennent à dire : Jusqu’à maintenant les chrétiens ont été dans l’erreur. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 123. À la fin de son livre Περὶ αἱρέσεων, saint Jean Damascène indique ces hérétiques sous trois noms différents, dont le premier est Χριστιανοκατήγοροι, accusateurs de chrétiens. « Ils sont et on les appelle Χριστιανοκατήγοροι, parce qu’ils accusent les chrétiens qui n’adorent (λατρευότων) qu’un seul Dieu vivant et véritable, loué dans la Trinité, d’avoir adoré aussi (ὃτι ἐλάτρευσαν) comme des dieux, à la façon des païens, les images vénérables de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de notre souveraine immaculée la sainte mère de Dieu, des saints anges et des saints. (Ils sont et on les dit) iconoclastes, parce que méprisant toutes les saintes et vénérables images, ils les ont brisées et livrées au feu, et quant à celles qui sont sur les murs, ils ont raclé les unes et enduit les autres de chaux et de noir. (Ils sont et on les appelle) thymoléontes (Θυμολέοντες, qui ont une fureur de lion), parce que, profitant de leur puissance et armant la secte de fureur, ils ont infligé à ceux qui reçoivent les images des mauvais traitements et des tortures extrêmes. C’est pourquoi on leur a donné ce surnom du chef de l’hérésie. De hæresibus, 101, P. G., t. xciv, col. 773. Cf. S. Nicéphore, Antirrheticus, III, 84, P. G., t. c, col. 523. Le pape Hadrien Ier, dans sa lettre aux empereurs, s’élève aussi contre la folie de ceux qui attaquent la foi et la religion chrétienne. O insania frementium contra fidem et religionem christianam. Mansi, t. XII, col. 1063. Dans tout le concile de 787, on désigne cette secte sous le nom de Χριστιανοκατήγοροι, Mansi, op. cit., t. xiii, col. 208, 221, 261 ; d’hérésie qui accuse les chrétiens d’avoir abandonné le vrai Dieu pour servir les images, Κριστιανοκατηγορικῆς αἱρέσεως, col. 259 : κατηγορικῶς συκοφαντήσαντες τὴν Ἐκκλησίαν, col. 232 ; οὐδὲν ἕτερον συναγουσίν ἣ κατηγορῆσαι τῶν χριστιανῶν καὶ τῶν τοῦ Θεοῦ ἱερέων καταλελοιπέναι θεὸν ζῶντα καὶ ἀληθινὸν καὶ εἰκόσι λατρεύειν, col. 357 ; et surtout le titre du 9e canon, Περὶ τοῦ μὴ κρύπτειν τινὰ χριστιανοκατηγορικῆς αἱρέσεως βίβλον, col. 430 ; qui accuse l’Église d’idolâtrie, ἧς κατηγοροῦσιν εἰδωλολατρείαν, col. 348 ; et s’efforce de jeter le mépris et la malédiction sur elle, ἔσπευσαν ἐξουδενῶσαι τἡν Ἐκκλησίαν, col. 229 ; τὴν ἀγιασμένην τοῦ Θεοῦ Ἐκκλησιαν ἀρᾶσθαι πειρώμενοι, col. 344. Aussi l’Église ne pouvait manquer de repousser énergiquement cette injure, qui non seulement la couvrait d’opprobre et de risée devant les juifs et les mahométans, mais qui s’attaquait à Jésus-Christ, car elle revenait à signifier qu’il n’avait pu sauver les hommes de l’idolâtrie, cf. S. Nicéphore, Antirrheticus, I, 10, P. G., t. c, col. 220, ou que, malgré ses promesses, il avait abandonné l’Église. Cf. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 229. Elle ne pouvait manquer de combattre cette hérésie de toutes ses forces, de l’écraser de tous ses anathèmes, et de la poursuivre jusqu’à complète destruction. Les iconoclastes s’étaient vantés d’avoir délivré le monde de l’idolâtrie, αὐτοὶ ταύτην σωτηρίαν σφετεριασαμένοι col. 232, ils en avaient fait honneur à leur synode et à leur empereur, σύλλογος ἐπισκόπων καὶ πρεσβυτέρων καὶ βασλέων κράτος ἐρρύσατο ἡμὰς τῆς πλάνης τῶν εἰδώλων, col. 353-356. Cf. S. Nicéphore, Apologeticus pro sacris imaginibus, 27, P. G., t. c, col. 601. Le concile revendique cette gloire pour Dieu seul : « Après que le Christ nous a sauvés de l’erreur et du mensonge des idoles, ils se glorifient d’avoir opéré cette délivrance. Ô arrogance et folie ! » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 356. « Une fois délivrés des idoles par le Christ, il n’y a pas lieu de nous accuser au sujet des idoles ; à moins peut-être qu’ils ne poussent l’audace jusqu’à dire qu’il y a eu changement dans l’Église, » col. 228 ; et à un autre endroit ; « Vous êtes forcés d’avouer que le Christ, notre Dieu, nous a délivrés de l’erreur des idoles. Que s’il nous a délivres, comment ceux qui ont mis foi dans le Christ sont-ils encore idolâtres ? Cessez votre maudit bavardage… Dieu n’est pas comme les rois de la terre, tantôt vainqueurs et tantôt vaincus ; mais sa victoire demeure éternellement, » col. 210. Après cela, on ne sera pas étonné de voir que les anathèmes que l’on porte contre cette hérésie l’atteignent surtout par ce côté, et avec une insistance frappante. Voici ce qu’on lit dans la profession de foi de Basile d’Ancyre, Ire session : « Dans la simplicité de mon cœur et avec une intention droite. Dieu m’en est témoin, je prononce les anathèmes suivants : Aux accusateurs des chrétiens, à savoir les iconoclastes, anathème ! À ceux qui tournent contre les vénérables images les paroles que la sainte Écriture dit contre les idoles, anathème ! À ceux qui ne saluent pas les vénérables images, anathème ! À ceux qui disent que les chrétiens vont à elles comme à des dieux, anathème ! À ceux qui appellent les saintes images des idoles, anathème ! À ceux qui s’unissent sciemment à ceux qui injurient et déshonorent les vénérables images, anathème ! À ceux qui disent qu’en dehors du Christ notre Dieu, un autre nous a délivrés de l’idolâtrie, anathème !… À ceux qui osent dire que l’Église catholique a jamais reçu des idoles, anathème ! » Mansi, op. cit., t. xii col. 1010-1011. On retrouve les mêmes anathèmes, ou à peu de choses près, clamés par tout le concile, à la fin de la IVe session, de la Ve, après la lecture de l’ὅρος dans la VIIe, et enfin dans la session de clôture. Avoir accusé l’Église d’idolâtrie est le grand crime qu’on reproche aux iconoclastes, le leitmotiv des Pères du concile, le principal sujet de la condamnation qu’ils portent contre cette hérésie. C’est la même impression que l’on ressent à la lecture des anathèmes qui terminent le Ier Antirrhétique de saint Théodore Studite. « Si quelqu’un n’appelle pas image du Christ, ou Christ par homonymie, la description de la forme corporelle du Verbe, mais la dit une idole mensongère, il est hérétique. Si quelqu’un a la témérité de dire que l’adoration relative du Christ dans l’image est une adoration d’idoles…, il est hérétique… Si quelqu’un tourne et applique à la sainte image du Christ les défenses que l’Écriture fait au sujet des idoles, au point d’accuser l’Église du Christ d’être un temple d’idoles (εἰδωλεῖον), il est hérétique. » Antirrheticus, I, 20, P. G., t. xcix, col. 349.
Ainsi donc, le débat s’est élevé et a pris une portée très haute. Il ne s’agit pas seulement de savoir si l’usage et le culte des images sont bons et utiles, cela a son importance, mais il s’agit de savoir, ce qui en a bien plus, si vraiment l’Église, qui approuvait et pratiquait le culte des images, était, oui ou non, tombée dans l’erreur, et dans la plus grossière de toutes les erreurs, l’idolâtrie ; si vraiment l’incarnation de Jésus-Christ a été vaine ; et si son œuvre a abouti à une catastrophe ; en un mot, la question est de savoir si l’Église vit encore, ou est morte, si elle est, ou si elle n’est pas. Si l’usage et le culte des images ne sont pas essentiels à l’Église, il lui est bien essentiel de ne pas admettre qu’elle est idolâtre, ni que l’œuvre du Christ a sombré. Voilà pourquoi elle a déployé tant de zèle contre cette erreur accusatrice des chrétiens, pourquoi les images ont eu leurs docteurs, leurs conciles et leurs martyrs.
4o Nature du culte des images.
Tous les théologiens sont d’accord pour enseigner qu’aucun hommage ne s’adresse à l’image ut est res, mais que l’image est honorée ut est imago. Leurs opinions diffèrent sur la nature de ce culte. Les images sont-elles vraiment objet de culte, ou seulement par manière de dire ? Faut-il rendre à l’image un culte de même espèce que celui qui se rend à l’original, ou bien un culte d’un ordre inférieur ? L’image est-elle susceptible d’un culte qui s’arrête à elle, ou tout culte de l’image est-il essentiellement relatif ? Voilà divers points que concernent les divergences des théologiens. Pour les juger, nous tiendrons principalement compte des lumières de la théologie positive.
1. Exposé des opinions.
a) Une première opinion est celle de Durand, In IV Sent., l. III, q. ix, a. 2, et de quelques autres théologiens. Selon eux, l’image n’est pas à proprement parler objet de culte, mais seulement par manière de dire et abus de langage, improprie et abusive ; à savoir, devant l’image on honore l’original, l’image n’étant qu’une occasion qui fait naître le souvenir de l’original et incite à l’honorer. Cette opinion est généralement rejetée par les théologiens, parce que, présentée ainsi absolument, elle heurte le sens obvie des définitions conciliaires. Le IIe concile de Nicée dit en effet : ταύτοις ἀσπασμὸν καὶ τιμητικὴν προσκύνησιν ἀπονένειν, et le concile de Trente : eisque debitum honorem et reverentiam impertiendam. Exciter au culte de Dieu ou des saints n’est évidemment pas la même chose que recevoir un culte. Le spectacle de l’univers incite à adorer Dieu, mais on ne dit pas pour cela qu’on adore ou qu’on honore l’univers. L’opinion de Durand, qui n’a sans doute pas connu le concile de Nicée et vivait longtemps avant celui de Trente, n’a plus maintenant qu’un intérêt historique et n’est à citer que pour mémoire. Plus importantes sont les deux autres théories.
b) Doctrine de saint Thomas et de nombreux commentateurs. Saint Thomas traite cette question à propos de la croix et de l’image du Christ. Il se demande si l’on peut les adorer d’une adoration de latrie. Cette façon concrète de poser le problème du culte des images en fait mieux comprendre le sens et la portée. Car ce qui se dit de la latrie s’applique proportionnellement à la dulie. Duplex est motus animæ in imaginem : unus quidem in ipsam imaginem, secundum quod res quædam est, alio modo in imaginem, in quantum est imago alterius ; et inter hos duos motus est hæc differentia, quia primus motus, quo quis movetur in imaginem, ut est res quædam, est alius a motu qui est in rem ; secundus autem motus, qui est in imaginem, in quantum est imago, est unus et idem cum illo qui est in rem. Sic ergo dicendum est quod imagini Christi, in quantum est res quædam (puta lignum sculptum vel pictum), nulla reverentia exhibetur, quia reverentia nonnisi rationali naturæ debetur. Relinquitur ergo quod exhibeatur ei reverentia solum in quantum est imago ; et sic sequitur quod eadem reverentia exhibeatur imagini Christi, ut ipsi Christo. Cum ergo Christus adoretur adoratione latriæ consequens est quod ejus imago sit adoratione latriæ adoranda. Sum. theol., IIIa, q. xxv, a. 3. Il applique cette même doctrine à la croix du Christ et à l’image de la croix. Cf. In IV Sent., l. III, dist. IX, q. I, a. 2, sol. 2. Ainsi donc, on donne le même culte, mais d’une manière différente, à l’original et à l’image, à l’original à cause de lui-même, à l’image à cause de l’original, à l’un absolument, à l’autre relativement. Évidemment, parce que le culte de l’image n’est pas pour elle, mais à cause de sa pure relation au prototype, le culte qui atteint l’image atteint aussi, idem numéro, le prototype, mais ce culte est-il le même, idem specie, que celui que l’on donne au prototype en dehors de l’image ? Saint Thomas entend-il l’adoration de latrie qu’il rend à l’image dans le même sens spécifique que l’adoration de latrie qu’il rend à Jésus-Christ ? Il ne le dit pas expressément, mais il faut avouer que rien n’avertit du contraire. Cette précision a été donnée par les commentateurs, et pour l’école thomiste, c’est le même culte spécifique que l’on rend à l’original et à l’image, toute la différence étant dans la modalité d’absolu ou de relatif. L’argumentation des thomistes revient à ceci : La nature d’un acte, d’un mouvement, doit se prendre d’après son terme, c’est-à-dire d’après l’objet qu’il concerne principalement, et à cause duquel il concerne les autres. Or, le mouvement qui se porte vers l’image se porte vers lui à cause de l’original, et donc se porte principalement vers l’original. Or, le mouvement qui atteint l’original diffère selon la dignité de l’original, et selon cette dignité reçoit le nom de latrie ou de dulie. Donc le mouvement qui se porte vers l’image différera également et sera latrie ou dulie, selon la dignité de l’original. C’est donc bien la même espèce de culte qui atteint l’image et qui atteint l’original. Cf. Salmanticenses, tr. XXI, De incarnatione, disp. XXVII, dub. iii, § 2.
Cette doctrine, poussée à bout, conduit à des conséquences hardies et qui ne laissent pas que de choquer. Si le principe : Motus in imaginem est motus in prototypum autorise à dire que c’est la même adoration spécifique que l’on donne à l’image du Christ et au Christ, on pourra se demander aussi s’il n’y aura pas également latrie relative pour les vases sacrés, les corporaux, etc. Les Salmanticenses n’hésitent pas. Quemadmodum motus in imaginem est motus in imaginatum et propterea adoratio est ejusdem specici cum adoratione prototyporum : sic etiam adoratio rerum sacrarum est adoratio Dei, et subinde adoratio latriæ ; licet respectu rerum sit respectiva et respectu Dei absoluta, ut proportionnabiliter contingit in cultu imaginum. Loc. cit., § 5. Bien plus, on se pose sérieusement la question : Puisqu’en toutes choses se trouve un reflet de l’Être divin, on pourra donc adorer toutes choses ? Et l’on répond, non moins sérieusement, en écartant les personnes à cause du péril de latrie absolue, soit comme Vasquez : Res omnes inanimes et irrationales rite adorari posse, vera sententia est ; soit comme Thomas de Vaux, Arauxe et quelques autres, avec plus de bon sens, qu’il faut réserver son adoration pour les choses qui représentent Dieu expressément ; soit enfin, que c’est possible en théorie, et métaphysiquement, mais qu’il faut ne la point conseiller et se garder d’en parler à la foule. C’est l’opinion des Salmanticenses et même du grave Cajétan, qui écrit tranquillement ces lignes : Concludendum ergo videtur quod si quis creaturam veneraretur in quantum est simililudo, vel vestigium Dei, hoc est, quod veneraretur Deum in creatura hac vel illa, latriæ cultum exhiberet, non creaturæ, sed Deo in creatura, sicut etiam blasphematur Deus in creatura et amatur… Sed quoniam objecta hæec connexam habent occasionem erroris : ideo exhibendus non est honor latriæ istius modi imaginibus, et vestigiis, ut sic. In IIam IIe, q. ciii, a. 3. Il faut noter ici que pour Vasquez le culte relatif ne concerne que l’acte extérieur adressé à l’image, et par l’image au prototype, tandis que l’acte intérieur atteint immédiatement le prototype, sans passer par l’image. Cela diminue l’étrangeté de son assertion, qui, même ainsi réduite, continue d’étonner.
Le sentiment de saint Thomas et de ses commentateurs n’a d’autre appui dans la tradition que la parole de saint Basile, citée dans le Sed contra, et les textes patristiques qui affirment l’identité morale de l’image et du prototype. Nous examinerons plus loin si tout cela autorise la conclusion qu’on en tire. Auparavant, l’exposé de la troisième opinion nous permettra de comparer la doctrine thomiste avec la doctrine du IIe concile de Nicée et des Pères grecs, défenseurs des images.
c) La 3e opinion est celle de Bellarmin. Elle précise et développe le sentiment de Perez et Catharin, qui enseignaient que le culte de l’image est inférieur à celui qu’on rend à l’objet représenté, et qu’à aucune image on ne peut rendre un culte de latrie. Voici comment J. de La Servière résume la doctrine de Bellarmin : « Bellarmin établit successivement plusieurs propositions. Les images doivent recevoir un culte, non seulement en tant qu’elles tiennent la place de l’objet représenté, mais même si on les considère en elles-mêmes. » C’est que dans l’image pieuse il y a quelque chose de sacré ; « la similitude d’une chose sainte et la consécration par l’Église au culte divin » ; d’ailleurs lorsque le VIIe concile œcuménique définit que les images du Christ doivent être honorées, mais d’un culte autre que celui de latrie, il ne peut parler que de l’hommage rendu à l’image en elle-même. On ne doit pas dire, surtout dans des sermons au peuple, que le culte de latrie est dû à quelque image que ce soit ; en effet, ce mode de parler est interdit par le VIIe concile ; les scolastiques ne semblent pas avoir connu ce concile, sans quoi ils n’auraient pas employé cette expression ; elle est pleine de péril, ne peut s’expliquer que par des distinctions subtiles et incompréhensibles au peuple, prête aux blasphèmes des hérétiques. On peut dire improprement que le culte de latrie est dû aux images du Christ, « car quelquefois l’image est prise pour son objet, et on fait en sa présence les actes qui se feraient devant l’objet même s’il était présent, la pensée s’arrêtant à l’objet ; » c’est là ce qu’ont voulu dire les scolastiques, quand ils ont attribué aux images du Christ le culte de latrie. La conséquence est que les images n’ont pas droit au même culte que l’objet représenté ; sans quoi les images de Dieu ou du Christ auraient droit au culte de latrie. De plus, l’image, en tant que telle, est inférieure à l’objet qu’elle représente, et par conséquent ne mérite pas le même culte. » La théologie de Bellarmin, p. 316-317. Accusé auprès de Clément VIII par Bañez de s’écarter des expressions de saint Thomas au sujet du culte dû aux images, il répondit qu’il le faisait à cause des décrets des conciles et des papes que le docteur angélique n’avait pas connus et à cause du danger que présentait ce langage en face des attaques dirigées par les hérétiques contre le culte des images. Ibid., p. 317, note 6.
2. Critique des opinions.
a) Celle de saint Thomas.
Il est de fait que le texte de saint Thomas semble en opposition avec la définition du IIe concile de Nicée, que sans doute il n’a pas connue. Dans cette définition, toutes les images sont mises dans la même catégorie, celle de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge et des saints, et à toutes on dit de rendre le même genre d’honneur qu’on rend à la croix, la προσκύνησις τιμητική, qu’on a bien soin de distinguer de la προσκύνησις κατὰλατρείαν, refusée à toutes et réservée à Dieu seul. Il y a donc entre le docteur angélique et le concile une antilogie qu’il faut résoudre. Les thomistes s’y sont appliqués. Ils répondent d’abord, et le cardinal Billot à leur suite, De Verbo incarnato, Rome, 1904, p. 356, que le IIe concile de Nicée ne refuse pas toute latrie aux images, mais seulement la vraie latrie, ἀληθινὴν λατρείαν, par où, disent ces théologiens, le concile désigne seulement la latrie absolue et laisse entendre qu’il peut y avoir un culte relatif de latrie. Examinons à la lumière des documents ce que vaut cette explication. Il nous sera facile de voir que, dans le concile et chez les Pères, s’il est un mot qui sert à expliquer le culte relatif, ce n’est jamais celui de λατρεία, toujours celui de προσκύνησις.
a. Dans la IIe session, saint Taraise marque cette opposition : « Nous les (les images) honorons par une affection relative…, n’adressant manifestement notre latrie et notre foi qu’à Dieu seul. » Mansi, op. cit., t. xii, col. 1086. Pareillement, mais sans le mot σχετικῷ, le même Père, dans sa lettre à Jean, prêtre et higoumène, où est expliquée la doctrine du concile, dit : « Nous les saluons comme les représentations des prototypes et pas autre chose, en réservant évidemment notre foi à Dieu seul loué dans la Trinité, et n’offrant qu’à lui la latrie. » Mansi, op. cit., t. xii, col. 474. Dans la lettre de saint Grégoire II à Léon l’Isaurien, document apocryphe, sans doute, mais où il est permis de chercher le sens des mots, nous trouvons cette opposition en toutes lettres : « Les hommes, ayant abandonné le culte du démon, ont vénéré les saintes images non d’un culte de latrie, mais d’un culte relatif, οὐ λατρευτικῶς, ἀλλὰ σχετικῶς, Mansi, op. cit., t. xii, col. 963. Ainsi, pour le concile, le culte de latrie est réservé à Dieu seul et jamais ne signifie le culte relatif. Que veut donc dire la vraie latrie de l’ὅρος ? Si l’on en juge par quelques passages du concile, cette expression n’est qu’un rappel de cette adoration en esprit et en vérité que les vrais adorateurs doivent offrir au Père, et dont Notre-Seigneur parle à la Samaritaine. Joa., iv, 23-24. « Sachant que Dieu est esprit, est-il dit dans la VIe session, et que ses adorateurs doivent l’adorer en esprit et en vérité, (les chrétiens) n’offrent l’adoration et la latrie qui procède de la foi qu’à Dieu seul, loué au-dessus de tout dans la Trinité… (Quant aux images) nous leur rendons salut et proskynèse d’honneur, ἀσπαζόνεθα καὶ τιμητικῶς προσκυνοῦμεν. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 284. Et encore : « Nous qui n’offrons qu’à Dieu notre latrie en esprit et en vérité, baisons et embrassons tout ce qui lui est dédié et consacré, soit la divine figure de la précieuse croix, soit les saints évangiles, soit les vénérables images, soit les vases sacrés, dans l’espoir d’en recevoir sanctification et rendons-leur une proskynèse d’honneur. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 309.
b. Doctrine des Pères.
Elle est encore plus nette. Interrogeons en particulier saint Theodore Studite. Son témoignage est on ne peut plus explicite. Nul n’a mieux que lui proclamé qu’il n’y a qu’un culte pour l’image et le prototype, et pour le prouver, c’est à foison qu’il a multiplié les arguments. Voir IIIe Antirrhétique, c. iii et iv, P. G., t. xcix, col. 420-433. Dit-il pour cela qu’il faut adresser la latrie à l’image du Christ ? Non seulement il ne le dit point, mais il le nie énergiquement toutes les fois qu’il se pose ou qu’on lui pose la question : « Il n’y a dans la proskynèse de l’image du Christ, écrit-il à saint Platon, qu’une seule proskynèse et glorification de la bienheureuse Trinité. Mais quelqu’un dira peut-être : Puisque cette proskynèse est latrie, il arrive donc que l’image du Christ reçoit la latrie avec la sainte Trinité. Celui qui dit cela oublie qu’il y a plus d’une proskynèse, puisque nous l’offrons aux saints sans leur offrir la latrie. En outre, qu’il apprenne que la proskynèse ne s’adresse pas à la substance (οὐσιας) de l’image… En un mot, l’image du Christ ne reçoit pas la latrie, mais seulement le Christ que l’on honore en elle, et il faut la vénérer (προσκυνεῖν), parce qu’elle représente la personne du Christ, bien qu’elle en diffère par sa substance. » P. G. t. xcix, col. 504-505. Une autre lettre, adressée à Anastase, est remarquable de précision : « Comment, me dis-tu, l’image du Christ ne reçoit-elle pas la latrie, mais seulement le Christ qui est adoré en elle ? Parce que, quand il s’agit du Christ lui-même, l’adoration (προσκύνησις) est latreutique, car lorsque je l’adore (προσκυνῶν), j’adore en même temps (συμπροσκυνῶ) le Père et le Saint-Esprit : ce qui est notre proskynèse et latrie triadique (réservée à la Trinité). Quant à l’image, c’est la même proskynèse et pourquoi pas ? car les choses qui ont une puissance, une gloire, ont aussi manifestement un culte et une proskynèse, mais relative et homonymique. En l’adorant (προσκυνῶν). je n’ai pas coadoré (οὐ προσεκύνησα), mais j’ai adoré (προσεκύνησα) le Christ, qui n’est pas différent selon la personne, mais divers selon la nature : ce qui est la proskynèse relative et non latreutique. C’est cependant la même, revêtant un concept et un nom différent. selon qu’elle s’adresse à la Trinité et concerne la nature, et selon qu’elle est relative et concerne la personne. Si donc tu appelles latreutique la proskynèse de l’image, tu signifies par là que le Père et le Saint-Esprit se sont incarnés comme le Fils, ce qui est absurde. » Epist., l. II, epist. lxxxv, P. G., t. xcix, col. 1328-1329. À Sévérien, son fils spirituel, qui lui avait fait cette objection : « Le Christ reçoit un culte de latrie dans son image, donc l’image aussi doit recevoir un culte de latrie », le saint répond avec indignation : « D’où et de qui as-tu donc appris ce que tu enseignes ? car aucun des saints n’a pu dire cela, mais seulement que le Christ reçoit un culte (προσκυνεῖται) dans son image et que l’image est digne de culte (προσκυνητή), c’est-à-dire est honorable, ou vénérable, ces deux mots ont même sens ; et cela, avec raison, car la latrie, comme la foi, ne s’offre qu’à la sainte Trinité, mais aux autres on rend un autre culte, à la mère de Dieu, à la sainte croix, aux saints, à l’image vénérable du Christ et aux autres images saintes, et cela en tenant compte que les prototypes sont au-dessus de leurs similitudes. Que si le Christ reçoit la latrie dans son image, ainsi que tu dis, comme ce culte est propre à la Trinité, le Père et le Saint-Esprit sont donc adorés aussi dans l’image. Que s’ensuit-il ? Ceci, que le Père et le Saint-Esprit se sont aussi incarnés. Quoi de plus impie ? Et de plus, puisque tu dis que l’image du Christ est digne de latrie, tu te trouves être tétradique, parce que, en plus de la Trinité, tu honores l’image du Christ d’un culte de latrie. Cette absurdité sera évitée, si c’est la proskynèse que l’on offre à la Trinité et aussi à l’image, car l’honneur et la proskynèse peuvent se donner même au simple mortel, mais non pas la foi et la latrie. Comme nous ne croyons qu’au Père, au Fils et au Saint-Esprit, nous n’offrons qu’à eux la latrie. Après avoir entendu ces explications, renonce, mon frère, je t’en prie, aux vains discours et à l’hérésie tzycalique ou centucladique, qui est diamétralement opposée à celle des iconomaques. » Epist., l. II, epist. cli, P. G., t. xcix, col. 1472. « Il faut vénérer (προσκυνεῖν) l’image du Christ, écrit le même auteur dans une lettre à Diogène, et, c’est ici le dernier mol du sujet, relativement, σχετικῶς, mais ne point lui offrir la latrie, ἀλλʼ οὐ λατρευτέιν. Car il n’y a qu’une latrie, et elle est pour la Trinité. À la mère de Dieu elle-même, on ne peut offrir la latrie, ni à la croix vivifiante. De même à l’image du Christ point de latrie, mais seulement la proskynèse : « le telle sorte que toutes les proskynèses soient, par le moyen des prototypes, rapportées à l’unique et seule adoration latreutique de la sainte Trinité. » Epist., l. ii, epist. clxvii, P. G., t. xcix, col. 1532. Et au grammairien Jean : « Remarque bien que, pour nous chrétiens, il n’y a qu’une latrie, que toute la nature visible et invisible offre à la seule Trinité sainte et consubstantielle. Et il n’est pas permis de dire qu’il faut rendre à la vénérable image du Christ un culte de latrie. Car l’un ou l’autre : ou bien ce que vous adorez ainsi par latrie est introduit dans la latrie que l’on rend à la Trinité, ce qui est impossible, puisqu’on ne peut rien ajouter à la Trinité sans en faire une quaternité ; ou bien si cela n’a pas lieu et qu’on adore vraiment l’image en elle-même, vous professez qu’il y a parmi nous deux latries. Et que cherchent autre chose les iconomaques, sinon de montrer que nous avons une double latrie, et qu’en plus du créateur nous adorons (λατρεύομεν) la créature, égalant les ariens en impiété ? Il faut donc offrir à l’image du Christ la proskynèse et non la latrie, celle-ci étant réservée au Christ qu’on vénère dans l’image, selon les lois de la conséquence, car ce sont deux choses que l’image et le prototype, la différence étant non dans la personne, mais dans la nature. Epist., l. II, epist. ccxii, P. G., t. xcix, col. 1640. Terminons ces témoignages intéressants du célèbre Studite par quelques mots adressés à la vierge Thomaïs : « Nous vénérons (προσκυνοῦμεν) l’image de Notre-Seigneur Jésus-Christ comme Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même. Mais ce mot comme, Ὡς, signifie la similitude et non l’affirmation (le mot ὼς en grec comporte en effet les deux sens)… Il ne faut pas, parce qu’on rend au Christ l’adoration de latrie, rendre aussi la latrie à l’image ; autrement, il n’y aurait pas de distinction entre l’image et le prototype. Or, ce sont deux choses diverses par leur substance, non par la similitude de la personne. » Epist., l. II, epist. ccxvii, P. G., t. xcix, col. 1656.
Euthyme Zigabène, qui, nous l’avons vu plus haut, avait fortement insisté sur l’identité de la personne pour l’image et le prototype, donne le même enseignement. Son texte n’est du reste qu’un tissu de paroles des Pères et du concile à ce sujet et présente un bon résumé de leur doctrine. « Les orthodoxes offrent à la bienheureuse Trinité la latrie en esprit et en vérité, aux saintes images aucunement la latrie, mais la proskynèse, le baiser, l’honneur. Bien que l’honneur de l’image passe à l’original, on ne doit cependant pas la latrie aux saintes images, mais à la seule bienheureuse Trinité, pour ne point paraître adorateurs de la créature et de la matière, (κριτομολάτραι καὶ ὑλολάται). Quand il s’agit du Christ lui-même, l’adoration est latreutique et concerne la nature (λατρευτικὴ καὶ φυσική), parce qu’il appartient à la sainte Trinité par sa nature divine. Quand il s’agit de l’image du Christ, l’adoration (προσκύνησις) est relative et homonymique : en elle j’adore le Christ, qui, parce qu’il s’est incarné, est représenté selon sa forme corporelle ; et cette adoration est relative et concerne la personne représentée (σχετικὴ καὶ ὑποστατική). De même que la foi, la latrie est réservée à la bienheureuse Trinité. C’est pourquoi celui qui rend à l’image du Christ un culte de latrie est jugé offrir la latrie à une quaternité et introduire l’image dans la Trinité, car c’est le propre de la Trinité, comme il a été dit, de recevoir la latrie. » Panoplia, tit. xxii, P. G., t. cxxx, col. 1168.
Voilà plus de témoignages sans doute qu’il n’en faut pour établir que le mot de latrie n’était pas susceptible chez les grecs d’un double sens, absolu et relatif. De ce que l’honneur de l’image passe à l’original, ils ne croyaient pas permis, ils jugeaient même criminel de conclure que l’image du Christ peut recevoir aussi la latrie. Car, pour eux, la latrie, comme la foi dont elle dérive, est essentiellement absolue, c’est l’adoratio alicujus propter seipsum. Ce qui lui est opposé est précisément la relativité du culte. προσκύνησις σχετική. Puis donc que la « latrie relative » est pour les grecs un non-sens, on ne peut dire que les Pères du IIe concile de Nicée ont voulu, en parlant de latrie véritable, la distinguer d’une latrie relative dont ils n’avaient pas l’idée. La « latrie véritable » dont ils parlent est celle qui procède de la foi : τὴν κατὰ πίστιν ἀληθινὴν λατρείαν, est-il dit dans l’ὅρος. Et de même qu’il n’y a pas de foi relative, de même, pour les Pères grecs, il n’y a pas de latrie relative. Ainsi donc, on ne saurait admettre ce premier essai de conciliation entre la doctrine de saint Thomas et la définition du IIe concile de Nicée.
Une autre explication est fournie par plusieurs commentateurs. Billuart remarque qu’il y a trois manières de considérer l’image : 1o materialiter ut res quædam auro, ligno, tela constans, figura, coloribus, lineamentis aliisque, artis ornamentis decorata : sic sumpta imago nulla veneratio est digna. 2o Potest considerari formalissime imago prout in actu exercito exercet officium imaginis, quod est acta exhibere exemplar cujus vices gerit et a quo sub ista formalissima ratione non distinguitur nisi penes diversum essendi modum, eo fere modo quo species intelligibilis est ipsum objecium in esse intelligibili ; imago enim formaliter et reduplicative qua imago, idem est quod exemplar in esse repræsentativo, licet ut est res addat materiam, figuram, colores, etc., et hic modus considerandi imaginem est illi proprius, nec ita proprie convenit aliis rebus sacris aut signis respecta Dei vel sanctorum. 3o Quodam modo medio quidam ilerum considérant imaginem, nempe prout est res sacra cultui divino deputata et in honorem Dei et sanctorum instituta, habens vim eos significandi seu repræsentandi ; et sic, inquiunt, consideratur etiam ut imago formaliter, non in actu exercito, sed in actu signato, non ut actu repræsesentans, sed ut representativa et ut habens relationem ad exemplar a quo mutuat quamdam significationem et quasi consecrationem, eo fere modo quo codex Evangeliorum, signum crucis, exterius expressum, vasa altaris, reliquiæ sanctorum, propter relationem quam habent ad res sacras, dicuntur sacra. De incarnatione, dissert, XXIII, a. 3, Paris, 1886, t. iii, p. 144. Ainsi distinguent aussi Suarez, Sylvius, les Salmanticenses, Gotti, Pesch, Lottini. On pense tout concilier en disant que l’opinion de saint Thomas et celle de Bellarmin sont toutes les deux vraies, selon la considération respective qu’ils font de l’image, saint Thomas la considérant de la deuxième manière, Bellarmin, à la suite du concile de Nicée, de la troisième. — Cette explication concilie bien, en effet, les deux théories. Saint Thomas aurait ainsi dépassé la conception formelle que les Orientaux se faisaient de l’image et regardé celle-ci comme tenant tellement lieu de l’original, qu’elle reçoit vraiment tous les hommages, qui passant par elle, s’adressent à lui. Il reste que cette hypothèse se concilie avec l’expérience et l’histoire. Sans doute, la distinction est philosophiquement bonne et juste entre l’image considérée in actu exercito et l’image considérée in actu signato ; mais vaut-elle aussi dans la pratique ? Ne paraît-il pas, au contraire, qu’au moment où nous honorons l’image, nous ne l’honorons pas parce qu’elle peut nous représenter le prototype, mais bien parce qu’elle nous le représente, en effet, in actu exercito, et que c’est le prototype que nous honorons en elle ? On peut sans doute par la pensée faire retour sur l’image, en tant que distincte de l’original, mais ce n’est pas le mouvement premier et ordinaire, mais un mouvement secondaire et accidentel, l’honneur qu’on lui donne dans cette considération restant toujours relatif. Quant à l’histoire, il n’est pas nécessaire d’examiner si vraiment chez les Orientaux et saint Thomas il y a eu, au sujet de l’image, cette diversité de conception. C’est une hypothèse dont on peut douter tout au moins ; car, qui mieux que les Pères grecs a insisté sur l’identité de la personne entre le prototype et l’image, et sur l’unité de l’hommage qui les atteint tous les deux ? Notons seulement, et cela suffira à juger cette tentative de conciliation, que, si les Pères grecs avaient eu cette conception plus formelle de l’image que l’on réserve à saint Thomas, ils n’auraient nullement modifié leur manière de parler. Ils auraient continué à refuser à l’image le culte de latrie, car le culte de latrie pour eux est essentiellement absolu, tandis que le culte de l’image est essentiellement relatif. On ne peut donc expliquer par une conception diverse de l’image la diversité du langage théologique de saint Thomas et du IIe concile de Nicée. Le sens qu’ont en grec les mots qui expriment le culte y suffit.
c) Examen de l’opinion de Bellarmin.
Si Bellarmin entend par son cultus imagini per se et proprie debitus un culte qui s’arrête à l’image et ne se réfère pas à l’original, autrement dit absolu et non relatif, il est impossible d’admettre sa théorie, étant bien évident que toute la raison d’être du culte qu’on rend à l’image est l’honneur qu’on veut rendre par là au prototype. Si fortes que soient les expressions par lesquelles il s’applique à distinguer et même à séparer le culte de l’image de celui de l’original, on hésite à croire qu’il ait pensé à lui ôter toute relativité. Il reste cependant qu’il ne les unit pas assez et que les expressions de proskynèse unique et même identique qu’emploie saint Théodore Studite ne trouveraient pas chez lui une explication aisée. Il s’en est peut-être trop tenu à la lettre de l’ὅρος de Nicée.
Il faut noter de plus, avec le cardinal Billot, que la bénédiction de l’image par l’Église ne la rend pas digne d’un culte distinct. L’image, pouvant être considérée comme une œuvre d’ouvrier ou objet d’art, et par suite, mise en vente ou placée dans un musée, la bénédiction de l’Église fait que la formalité d’image prime tout autre aspect, qu’on n’a plus le droit de la vendre ou d’en faire un objet de musée, et qu’elle est, de jure, au nombre des images auxquelles on doit un culte, mais ne lui confère pas un culte distinct. Cf. De Verbo incarnato, Rome, 1904, p. 357, note 1. En conséquence ce théologien rejette cette explication et s’en tient à celle qui a été exposée plus haut et dont on a dit l’insuffisance.
d) Le fondement de l’opinion thomiste.
Il s’exprime dans le Sed contra par la célèbre parole de saint Basile : Imaginis honor ad prototypum pervenit, et dans le corpus articuli par cette parole d’Aristote : Motus in imaginem est motus in imaginatum. Il est à remarquer que les Pères grecs n’ont pas cru que la parole de saint Basile, qu’ils connaissaient bien, certes, les autorisât à dire que la latrie atteint l’image, même relativement. Bien au contraire, précisément parce que le culte de l’image est relatif, ils lui refusent la latrie, la latrie, qui est le culte dû à la sainte Trinité, ne pouvant être qu’absolue. Quant au principe d’Aristote, dont saint Thomas, qui l’applique aux images artificielles, se sert pour expliquer et commenter la parole de saint Basile, on peut en donner une double interprétation. Ou bien il veut dire simplement que, l’image n’étant honorée qu’à cause de l’original, l’honneur qu’on lui donne atteint aussi l’original, et ainsi entendu, il est évident et ne peut prêter à discussion. Sans doute, l’honneur qui est ainsi donné à l’image se rattache à celui qui est dû directement au prototype, et pour ainsi dire est absorbé et surélevé par lui. Employé pour signifier, s’il s’agit d’une image de Jésus-Christ, le sentiment de latrie que nous avons pour l’original, il peut être considéré avec ce sentiment per modum unius, et alors en recevra le nom, parce que c’est ce sentiment qui l’inspire, qui l’informe en quelque sorte et en est toute la raison d’être. C’est ce qui explique que saint Thomas ait pu se faire une conception de latrie relative qui n’existait pas chez les Pères grecs. Ou bien encore, le principe énoncé plus haut veut dire que l’honneur que l’on donne au prototype en dehors de l’image doit être aussi donné à l’image en vue du prototype. Et cela ne peut être admis. Les diverses sortes de culte, avons-nous vu sont marquées par les divers degrés d’excellence. À l’excellence suprême de la divinité, indépendante de tout et de qui tout dépend, excellence absolue au plein sens du mot, est dû le culte parfaitement absolu, ne se rattachant à aucun autre et auquel tout autre se rattache. Son nom est latrie. À l’excellence surnaturelle participée qui se trouve intrinsèquement dans la créature raisonnable est dû un culte inférieur, mi-absolu, mi-relatif. À l’excellence purement extrinsèque qui appartient à l’image et aux autres objets sacrés est dû un culte purement relatif. Puisque ce sont ces divers degrés d’excellence qui causent les divers genres de culte, on ne peut, sans se contredire, les confondre et établir que les images, la croix, les reliques, les vases sacres, toutes choses qui n’ont qu’une excellence extrinsèque, à savoir un simple rapport à une sainteté qui est en dehors d’elles, doivent recevoir le même culte spécifique que Dieu, qui est la sainteté même, ou que les êtres privilégiés qu’il a daigné faire participer à sa divinité. Que si l’on précise en ajoutant relatif, alors on détruit ce que dit le mot spécifique. Car, comment saisir qu’un culte relatif soit le même spécifiquement qu’un culte absolu ? L’absolu et le relatif sont dans un genre différent. Et de même que le prototype et l’image, qui a relation au prototype, ne sont pas la même personne spécifiquement, mais seulement par analogie, de même le culte du prototype et le culte de l’image, qui a relation à celui du prototype, ne peuvent être le même spécifiquement, mais seulement par analogie. Certains commentateurs de saint Thomas paraissent avoir tenu à défendre la lettre de leur maître plutôt qu’à expliquer sa doctrine, et en sont arrivés ainsi à ces conséquences choquantes que l’on a dites plus haut. Quant à l’argumentation empruntée aux Salmanticenses, elle ne prouve rien d’autre sinon que dans le culte relatif il y a des degrés, selon que le rapport à Dieu ou au saint est plus ou moins direct, ou s’il s’agit des images, selon qu’elles représentent tel ou tel prototype.
e) Conclusion.
Voici en quelques points ce que la théologie positive autorise à dire sur la nature du culte à rendre aux images.
a. Le mot de latrie désigne un sentiment intérieur de dépendance absolue, servitus. Il est évident que ce sentiment intérieur ne va qu’à Dieu seul et ne peut aller à aucune image. La proskynèse, adoratio, n’est à proprement parler qu’un mouvement du corps, qui désigne en général le respect et qui reçoit sa signification précise du sentiment intérieur qui le dicte. D’où la προσκύνησις κατὰ λατρείαν λατρευτική, c’est-à-dire le prosternement qui se fait selon la latrie, dans un sentiment de latrie, ne peut s’adresser qu’à celui à qui s’adresse la latrie, c’est-à-dire à Dieu seul. On peut le faire à l’occasion de l’image, devant l’image, mais on ne peut l’adresser à l’image elle-même. Cela se fait surtout quand, sous la véhémence du sentiment, on s’adresse à l’image, par une fiction de l’esprit, comme si l’on était devant l’original lui-même. Dans ce cas, c’est l’original seul qu’on vise, l’image n’étant atteinte que matériellement et seulement par l’acte extérieur. Ainsi fait l’Église, quand elle chante : O crux, ave, spes unica. C’est la part de vérité qu’il y a dans l’opinion de Durand. D’où il suit encore que les actes qui ne signifient que la latrie, comme le sacrifice, le vœu, ne pourront se donner à aucune image, mais à Dieu seul.
b. Le sentiment qui concerne et atteint directement les images de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints, est traduit dans le IIe concile de Nicée par le terme de τιμή. Et l’hommage extérieur qui leur est rendu est la προσκύνησις τιμητική. On n’a pour elles ce sentiment et on ne leur en donne la marque qu’à cause du prototype dont elles sont la similitude. Et parce qu’elles n’ont que cette raison d’être honorées, il s’ensuit que cette προσκύνησις τιμητική s’appelle aussi σχετική, relative, et que c’est au prototype qu’elle aboutit. On n’introduit point une nouvelle proskynèse en dehors de celle du prototype. Car, comme c’est la même personne que l’on honore dans l’Image et dans le prototype, il n’y a aussi qu’une proskynèse pour les deux, avec cette différence que, en tant qu’elle atteint l’image, elle n’est que relative. et qu’elle est absolue en tant qu’elle se termine à l’original. L’identité morale de personne entre le prototype et l’image fait qu’il n’y a qu’un hommage, la diversité de nature entre le prototype et l’image en cause la diversité d’« attingence » et, par suite, d’appellation. Le principe : Motus in imaginem est motus in imaginatum n’autorise pas à dire que l’hommage donné à l’image de Jésus-Christ en vue de l’original est une latrie vis-à-vis de l’image. Car, autre chose est de dire que le même hommage traverse l’image et atteint l’original, autre chose est de dire que le mouvement qui se porte directement au prototype est le même qui doit atteindre l’image. Jamais les Pères ne disent que ce qu’on doit au prototype, on le doit à l’image, mais ils disent, ce qui est bien différent, que l’honneur que l’on rend à l’image est un honneur rendu au prototype. Du reste, c’est bien la pratique de l’Église et le langage des théologiens. Si l’Église donne aux images la προσκύνησις, qui est une expression commune à divers sentiments, jamais elle ne leur donne les témoignages propres à la latrie, comme le vœu et le sacrifice. Aussi, bien que des théologiens thomistes comme les Salmanticenses, ne craignent pas de dire qu’on pourrait offrir des sacrifices aux images, d’autres, comme Billuart, croient devoir adoucir leur langage et disent coram imagine, ce qui n’est pas la même chose qu’imagini. L’Église, du reste, n’a point adopté l’expression de latrie relative, et l’on sait cependant en quelle estime et honneur saint Thomas était tenu au concile de Trente. Elle a pensé sans doute que cette restriction ajoutée au mot latrie ne suffisait pas à empêcher les protestants de répandre leurs calomnies sur la religion catholique et qu’à cause de la difficulté de faire comprendre ces distinctions assez subtiles à l’ensemble des fidèles, il valait mieux s’en abstenir.
c. C’est le même genre de culte qui s’adresse à toutes les images, les différences de culte n’étant qu’entre les divers prototypes. C’est ce qui ressort d’un passage de la lettre de saint Germain à Jean de Synade : « Si nous saluons les images de Notre-Seigneur et Sauveur, de sa mère immaculée, qui est vraiment mère de Dieu, et des saints, nous n’avons cependant pas envers eux une égale affection et une même foi à leur sujet, » ce qu’il développe en détail. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 104. Donc, vis-à-vis de toutes les images, même genre de culte, et différence de culte seulement quand il s’agit des prototypes eux-mêmes.
d. Il est évident que l’honneur rendu aux images est proportionnel à la dignité du prototype qu’elles représentent. On aura en plus grand honneur l’image de Notre-Seigneur que celle de la sainte Vierge, celle de la sainte Vierge que celle des saints. C’est ce qu’indique Photius en disant que le IIe concile de Nicée a ordonné d’honorer toutes les images du Christ proportionnellement à l’excellence et à la dignité des prototypes, κατʼ ἀναλογίαν τῆς τῶν πρωοτοτύπων ὑπεροχῆς καὶ σεβασμίοτητος τιμᾶσθαι καὶ προσκυνεῖσθαι. Epist., l. II, epist. viii, 20, P. G., t. cii, col. 653. On pourra, si l’on veut exprimer ces degrés, employer le nom de culte adressé au prototype, mais il.sera bien entendu que ces termes doivent être pris dans un sens impropre, purement analogique et non spécifique, comme est analogique et non spécifique l’identité de personne de l’image et du prototype. Et même, comme c’est là détourner les mots de leur sens originel, sera-t-il sage, au moins pour celui de latrie, de réserver ces expressions au langage de l’école. Plus sage encore sera-t-il de les abandonner tout à fait et d’imiter la réserve de la sainte Église, qui ne veut point par des querelles de mots mettre un obstacle au retour à l’unité de nos frères séparés. N’oublions pas surtout que les grecs, auxquels le mot de latrie appartient en propre, ne sauraient aucunement comprendre qu’on l’emploie pour désigner le culte de la croix et des images du Christ. Parmi les griefs adressés aux latins par le synode tenu à Sainte-Sophie (1450), peu après l’union de Florence, se trouve celui-ci : Cultum lalriæ exhibere imagini Christi et cruci, quæ soli tradi Verbo Deo et homini debetur. Mansi, op. cit., t. xxxii, col. 103. Bellarmin exprime assez bien le genre de culte qui convient à l’image : Cultus qui per se, proprie, debetur imaginibus, est cultus quidam imperfectus, qui analogice et reductive pertinet ad speciem ejus cultus qui debetur exemplari… Imaginibus non convenit proprie nec latria, nec hyperdulia, nec dulia, nec ullus alius eorum qui tribuuntur naturæ intelligenti, sed cultus quidam inferior, et varius pro varietate imaginum… sicut se habet imago ad suum exemplar, ita se habet cultus imaginis ad cultum exemplaris ; sed imago est ipsum exemplar analogice et secundum quid ; ergo etiam imagini debetur cultus ipsi exemplari debitus, imperfectus et analogicus. De imaginibus sacris, c. xxv ; J. de La Servière, op. cit., p. 318, note 1. Bellarmin n’a qu’un tort, c’est de laisser dans l’ombre le caractère essentiellement relatif de ce culte.
e. La vraie formule du culte des images nous semble être contenue dans la lettre de saint Théodore Studite à Anastase au sujet de l’image du Christ. Elle est citée plus haut. Voici le passage important : « En adorant l’image, je n’ai pas coadoré, mais j’ai adoré le Christ, qui n’en est pas différent selon la personne, mais selon la nature : ce qui est l’adoration relative et non latreutique. C’est cependant la même, recevant un concept et un nom différent selon qu’elle s’adresse à la Trinité et concerne la nature, et selon qu’elle est relative et se fait en vue de la personne. » Epist., l. II, epist. lxxxv, P. G., t. xcix, col. 1329. Le culte de l’image a pour objet principal le prototype : donc en tant qu’il se termine au prototype, il sera et s’appellera latrie ou dulie. Mais il a aussi pour objet secondaire, et en vue du premier, l’image elle-même. Toutefois, comme elle n’est pas le prototype lui-même, mais lui est inférieure, le culte qui l’atteint ne l’atteint pas de la même manière qu’il atteint le prototype, mais d’une manière inférieure : et c’est ce qu’on exprime en donnant au culte de l’image le nom de προσκύνησις τιμητική ou προσκύνησις σχετική κατὰ σχέσιν. Et cela ne fait pas deux hommages, mais un seul hommage, à double étape, pour ainsi dire, l’hommage et l’honneur adressés à l’image n’étant que le signe, la protestation du sentiment intérieur qui concerne le prototype.
f) Saint Thomas et le IIe concile de Nicée.
Le tort de saint Thomas, et il est minime, est d’avoir ignoré le texte du concile de Nicée (peut-être, de son temps, le concile n’était-il pas encore considéré comme œcuménique, tout en étant reconnu comme légitime) et d’avoir ignoré la signification précise du mot de « latrie », ayant cru qu’on pouvait par ce mot désigner les honneurs plus grands que l’on rend à la croix, à l’image du Christ comparativement aux autres images. Peut-être aussi a-t-il induit ses commentateurs à interpréter à rebours le principe d’Aristote : motus in imaginem est motus in imaginatum. En tout cas, il est bien certain que le fond de sa doctrine est identique à celle du IIe concile de Nicée et des Pères défenseurs des images. Sa latrie absolue n’est autre que leur latrie tout court ; sa latrie relative est comprise dans leur προσκύνησις τιμητική et σχετική : car de part et d’autre, on refuse aux images le culte absolu et parfait dû à Dieu seul. Le docteur angélique, comme le docteur du Stoudion, a fort bien vu qu’il n’y avait qu’une adoratio atteignant l’image du Christ et le Christ lui-même et que la différence était marquée par les caractères d’absolu et de relatif ; seulement, par ignorance du sens des mots, il donne à cette adoratio, en tant qu’elle atteint l’image, le nom que la langue grecque réserve au culte absolu que l’on rend à Dieu. Il a pensé pouvoir le faire, sans doute parce que c’est le sentiment de latrie envers le prototype qui inspire, dicte, informe en quelque sorte le respect, l’honneur, l’hommage rendus à l’image. Thomassin a marqué heureusement les points de vue qui expliquent cette divergence de langage entre les docteurs scolastiques et le IIe concile de Nicée : Cum longe aliud reapse sit, imaginem osculari, amplecti, salutare corporis inclinatione, animi etiam effectu congruo : aliud autem infinitam Dei magnitudinem fide complecti, eique honores omnes alios ut omnium fonti refundere : quia hæc duo simul perficiuntur, fas jusque erat septimæ synodo hæc discrimininare, ne imagines pro Deo colere infamaremur : fas fuit doctoribus scholasticis hæc cogitando cogere in unum et conflare, ut imagini Christi uberiores quam cæteris, et Christo dignos honores infunderent, sed potissimum ut septimæ ; synodo, quem ita decrevisse falsis rumoribus delusi opinabantur, acquiescerent. De incarnatione Verbi, l. XII, c.xiii, n. 16, Venise, 1730, p. 825. Il ne manque pas d’exemple, ajoute-t-il, de cet accord fondamental de la pensée dans le désaccord des mots ; et il rappelle particulièrement les expressions ὁμοούσιος, mère de Dieu, un de la Trinité a souffert, qui ont été prises en sens hétérodoxe comme en sens orthodoxe. Certes, si saint Thomas et les docteurs du moyen âge avaient connu le texte du IIe concile de Nicée, c’est de toutes leurs forces qu’ils eussent défendu les expressions mêmes de la définition, ipsa quoque verba mordicus tenuissent, constantius defendissent, atque firmius asseruissent, dit Baronius, Annales, an. 787, n. 44. Puisque la vérité historique qui leur était cachée nous est connue maintenant, pourquoi nous obstiner à des manières de parler qu’ils eussent été les premiers à rejeter, si elle leur était apparue ?
g) Le concile de Trente.
Le texte du concile de Trente sur les images confirme les diverses conclusions de la théologie positive, Voir plus haut col. 883 sq. Imagines porro Christi… similitudinem gerunt, veneremur. Ce décret est certainement moins l’écho de l’enseignement scolastique que de la tradition patristique et de la doctrine de Nicée. On ne peut rien trouver, en si peu de mots, de plus concis, de plus abondant et de plus sage. Thomassin fait ressortir admirablement tout ce qui y est contenu : Primum enim latria secundum fidem et in spiritu imaginibus omnino denegatur, cum vetatur ab eis aliquid peti, vetatur spes in eis defigi, vetatur divinitas earum ulla credi. Secundo honos imaginum non alius tangitur, quam ut eas retineamus, eas in templis honorifice collocemus, eas osculemur, eis advolvamur, caput aperiamus, etc., quæ ad externum et honorarium cultum omnia pertinent. Tertio non imagines propter Christum adorare dicimur, sed imagines osculari, iis adgeniculari, at Christum adorare, sanctos ipsos venerari. Quarto is ipse honorarius cultus non propter se imaginibus, sed ad prototypa refertur, quæ per illas repræsententur. Quinto indiscriminatim de omnibus agitur imaginibus seu Christi seu sanctorum, quia nullis penitus latria, omnibus honoraria adoratio adhibetur, quanquum in multos ista gradus dispensetur. De incarnatione Verbi, l. XII, c. xiii, n. 19, p. 857. Ainsi donc, le concile de Trente a soin de ne pas employer le mot d’adoration (qui dans le texte du décret indique la latrie puisqu’il est réservé au Christ) pour désigner le culte des images du Christ. À travers l’image, que nous baisons, que nous saluons, devant laquelle nous nous prosternons, c’est le Christ que nous adorons, le saint que nous honorons. Le sentiment qui dicte ces actes envers l’image du Christ est un sentiment de latrie envers le Christ lui-même, Christum adoremus, mais ce sentiment, en traversant l’image, ne se répand aucunement sur elle, ne l’investit point, de telle sorte que l’image peut être dite adorée, même relativement. Seul, le Christ est dit adoré.
5o Les images de Dieu et des anges.
Nous avons déjà dit, dans les notions sur l’image, qu’il y a trois manières de représenter les êtres spirituels. Il faut rejeter, comme impie et sacrilège, la prétention qu’avaient les païens de reproduire leur nature, mais les deux autres modes sont acceptables. L’image ne fait alors que représenter une apparition divine ou angélique, en la forme même que Dieu a choisie pour nous faire connaître à l’aide des figures sensibles les réalités intelligibles, et de soi, n’induit pas plus en erreur que ne fit l’apparition elle-même ; ou bien, à l’imitation du langage de la sainte Écriture, elle prête soit aux anges un corps jeune et des ailes pour indiquer leur pureté et leur prompte obéissance aux ordres divins, soit à Dieu des membres ou des passions pour exprimer l’un ou l’autre de ses attributs, la véhémence de son amour ou la force de sa volonté irrésistible. Quos Scriptura facit verbis, dit Thomas de Vaux, cur artifex non faciet signis ? An magis peccatum circa hanc rem incurrit penicillus, quam penna ? imago quam littera ? Il est donc clair que ces sortes d’images ne sauraient être, per se et a priori, défendues. C’est à l’Église qu’il appartient de les autoriser ou de les prohiber, selon la sagesse. Étudions là-dessus son enseignement.
1. Les images de Dieu et de la sainte Trinité.
L’ὅρος proclamé dans la VIIe session du IIe concile de Nicée ne dit pas un mot de ces images. Mais, dans la VIIIe session, session de clôture, après qu’on eût relu l’ὅρος, les Pères firent entendre un certain nombre d’acclamations, parmi lesquelles on remarque celle-ci : « Croyant en un seul Dieu, loué dans la Trinité, nous saluons ses précieuses images ». Mansi, op. cit., t. xiii, col. 416. Certains théologiens, comme Pesch, Præleclioncs dogmaticæ, Fribourg-en-Brisgau, 1900, t. iv, p. 334, ont pensé que le concile, par cette acclamation, authentiquait l’usage et le culte des images de Dieu et de la Trinité. Le sens qu’ils ont donné à ce texte est bien celui qui se présente à première vue, et à qui ne lit pas autre chose, il est difficile d’en soupçonner un différent. Mais la lecture des actes du concile et des écrits des Pères empêche de l’accepter.
Une remarque tout d’abord sur le texte susdit. Ce texte ne se voit pas seulement dans le passage des actes que nous avons indiqué. Dans la VU" session, après lu lecture de l’ὅρος, avaient eu lieu, à fort peu de chose près, les mêmes acclamations. On y remarque aussi celle que nous avons citée plus haut : πιστεύοντες εἰς ἔνα Θεὸν ἐν Τριάδι ὐμνούμενον, τὰς τιμίας εἰκόνας ἁσπαζόμεθα, sans αὐτοῦ. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 397. On les retrouve à la fin de la Ve session, où l’on lit : πιστεύοντες εἰς ἔνα Θεὸν ἐν Τριάδι ἀνυμνόυμενον, τὰς τιμίας εἰκόνας ἀσπαζόμεθα, pareillement sans αὐτοῦ. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 201. C’est exactement la même formule qui est contenue dans les acclamations de la IVe session. Mansi, op. cit., {{t.|xiii, col. 128. C’est encore elle que répètent presque dans les mêmes termes plusieurs textes des Pères. Ainsi, à la fin de la lettre à l’empereur Théophile, n. 31, inter opera S. Joan. Damasceni : πιστεύοντες εἰς τὴν ἁγιάν καὶ ὁμούσιον καὶ ζωοποιὸν Τριάδα, τὰς τιμίας εἰκόνας ἀσπαζόμεθα encore sans αὐτοῦ, et le contexte montre évidemment qu’il n’y a là qu’une réminiscence du concile. P. G., t. xcv, col. 385. Saint Nicéphore, citant les anathèmes des Pères de Nicée, commence ainsi : πιστεύοντες εἰς ἔνα Θεὸν ἐν Τριάδι ὑμνόυμενον, τὰς ἁγίας εἰκόνας ἀσπαζόμεθα Apologeticus minor pro sacris imaginibus, 6, P. G., t. c, col. 841. Ainsi, partout ailleurs que dans la VIIIe session, c’est toujours sans αὐτοῦ que notre formule revient. Cette remarque peut nous amener à une interprétation particulière du texte que nous examinons.
Voyons auparavant quels sentiments avaient les Pères et le concile de Nicée sur les images de Dieu. Sans doute, on ne trouvera point chez eux la défense des images symboliques de la Divinité ou de la Trinité, mais on y constatera que ces images ne devaient guère être en usage. Peindre, pour eux, c’est représenter quelque chose de réel, qui se voit, ou qui s’est vu, et c’est pourquoi ils trouvent dans les images de Jésus-Christ un moyen efficace pour affirmer la réalité de sa chair. Les images purement symboliques de Dieu ou sont inconnues, ou, ce qui revient au même, ne sont pas comptées parmi les images saintes qui ont un culte, et au sujet desquelles se divisent iconomaques et iconophiles et se tient le concile.
« Nous faisons des images de Dieu, dit Jean de Thessalonique, cité dans le concile, c’est-à-dire de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, en le peignant comme il a été vu sur la terre et a conversé avec les hommes et non en tant qu’on le sait Dieu. Car quelle similitude, quelle figure peut-il y avoir du Verbe de Dieu, qui est incorporel et sans figure ? car Dieu, c’est-à-dire la nature de la Trinité sainte et consubstantielle, est esprit, comme il est écrit. Mais, parce que, par la miséricorde de Dieu le Père, son Fils unique. Dieu le Verbe, s’est incarné pour notre salut, par l’action du Saint-Esprit, de Marie, Vierge immaculée et mère de Dieu, nous peignons son humanité, non sa divinité incorporelle. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 164. En un mot, si l’on fait des images de Dieu, ce n’est que de Jésus-Christ, et parce qu’il est homme. « Nous ne faisons, dit plus explicitement saint Germain, aucune image ou similitude ou figure de la Divinité invisible, que les ordres sublimes des anges ne peuvent eux-mêmes considérer et comprendre ; mais, parce que le Fils unique, qui est dans le sein du Père, a daigné se faire homme, par la volonté miséricordieuse (εὐδοκίᾳ) du Père et du Saint-Esprit, participant à la chair et au sang comme nous-mêmes, selon le mot du grand apôtre, et devenu semblable à nous en tout hormis le péché ; (à cause de cela) nous retraçons sa figure d’homme et l’image de sa forme humaine selon la chair et non de sa divinité incompréhensible et invisible : nous nous efforçons de rendre présentes par là des vérités de la foi, en montrant qu’il ne s’est pas uni notre nature en apparence seulement et en ombre, comme certains hérétiques l’ont autrefois pensé, mais que, en fait et en vérité, il est devenu homme parfait en toutes choses, excepte le péché que l’ennemi a semé en nous. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 101. C’est la même pensée sous la plume de saint Jean Damascène : « Qui peut faire une imitation de Dieu, invisible, incorporel, sans terme et sans figure ? C’est donc le comble de la folie et de l’impiété que de vouloir donner une forme à la divinité. C’est pourquoi dans l’Ancien Testament n’était pas répandu l’usage des images. Mais après que Dieu, par ses entrailles de miséricorde, s’est fait vraiment homme pour notre salut et ne s’est pas seulement montré comme à Abraham et aux prophètes sous une apparence humaine, mais s’est fait homme en toute vérité et réalité, a vécu sur la terre, est demeuré avec les hommes, a fait des miracles, a souffert, est ressuscité, est monté au ciel, et tout cela véritablement : ces choses ont été écrites pour le souvenir et l’instruction de ceux qui n’étaient pas là, afin qu’en entendant ce que nous n’avons pas vu, nous recevions la béatitude du Seigneur. Mais parce que tous ne connaissent pas les lettres et ne s’adonnent pas à la lecture, les Pères ont jugé bon que ces événements fussent retracés dans des images, ainsi que des exploits, en vue d’un souvenir prompt. » De fide orthodoxa, l. IV, c. xvi, P. G., t. xciv. col. 1169-1172. Cité par Euthyme Zigabène, Panopl, lit. xxii, P. G., t. cxxx, col. 1172. Autrefois, dit-il ailleurs, Dieu, parce qu’il est sans corps et sans figure, n’était aucunement reproduit dans l’image. Mais maintenant que Dieu a été vu dans la chair et a conversé avec les hommes, je retrace l’image de Dieu, comme il a été vu. » De imaginibus, orat. I, 16, P. G., t. xciv, col. 1245. Et encore : « Nous serions vraiment dans l’erreur si nous faisions une image de Dieu invisible. Car il est impossible de mettre en image ce qui est incorporel et invisible, sans terme et sans figure… Mais après que Dieu, dans sa bonté ineffable, s’est incarné et a été vu ici-bas dans la chair et a conversé avec les hommes, ayant pris la nature, la densité, la figure et la couleur de la chair, nous ne nous trompons pas en faisant son image. » De imaginibus, orat. ii, 5, P. G., t. xciv, col. 1288. Cf. orat. ii, 8, 11 ; iii, 2, 4, 8, 9, col. 1289, 1293, 1320, 1321-1324, 1328-1329, 1332. Le concile de Nicée, dans la VIe session, dit ceci qui est remarquable : « Les chrétiens n’ont jamais donné l’adoration en esprit et en vérité ni aux images, ni à la divine figure de la croix ; ils n’ont même jamais fait d’image de la nature invisible et incompréhensible, mais c’est selon que le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous que l’on peint les mystères de la rédemption de l’homme. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 284. Il est clair que tous ces textes ne sauraient condamner l’usage des images symboliques de la divinité et de la sainte Trinité. C’est la nature divine elle-même que l’on déclare ne pouvoir être l’objet d’une imitation artificielle, et si une personne divine, Jésus-Christ, est déclarée pouvoir être peinte, ce n’est pas selon sa nature divine, mais selon sa nature humaine. Mais il est non moins clair que cet usage est comme ignoré : on ne connaît, en fait d’images, que celles qui reproduisent un objet visible. De même que peindre Jésus-Christ comme homme, c’est affirmer la réalité de sa nature humaine, de même représenter Dieu sous des formes sensibles, serait signifier qu’il a une nature sensible. Dans un tel état d’esprit, des images symboliques de la Divinité ne sont point possibles. C’est du reste la même conception qu’avaient les premiers Pères, à cause de la mentalité créée par le paganisme et, à leurs yeux, faire une image de Dieu eût été imiter la pratique des idolâtres. Plus tard on la rencontre encore chez Nicéphore Calliste, qui, parmi les erreurs qu’il reproche aux jacobites, range celle-ci, qu’ils font des images de Dieu et du Saint-Esprit, car, dit-il, « il n’y a d’images que des corps, qui sont visibles et circonscriptibles, et non des choses incompréhensibles et invisibles. » H. E., l. XVIII, e. liii, P. G., t. cxlviii, col. 441. Mieux encore que les écrits des Pères, le silence des iconoclastes nous renseigne sur l’absence, en leur temps, d’images de la divinité. Leurs ouvrages ont été détruits, mais il en reste quelque chose dans les réfutations des iconophiles ; il reste la définition du concile de Hieria reproduite dans la VIe session du concile de Nicée. On y voit qu’ils s’élevaient contre les images du Christ, parce que, Jésus-Christ étant Dieu, c’était, disaient-ils, circonscrire la divinité que de le peindre. Qu’eussent-ils dit, ou que n’eussent-ils pas dit, si outre les images du Christ, les chrétiens orthodoxes avaient eu aussi des images de Dieu le Père ou de la sainte Trinité ? Or, nulle part, on ne rencontre d’objection ou d’accusation à ce sujet. Il est donc bien évident qu’il ne saurait s’agir, dans le texte cité de la VIIIe session, des images de la sainte Trinité. Une dernière remarque confirme cette conclusion. Si le rapprochement que nous avons fait plus haut de ce texte avec les passages parallèles ne nous permet pas de le corriger, audace à laquelle il faut rarement recourir et pour des raisons qui s’imposent, toujours est-il qu’il nous montre en quel sens il faut l’interpréter. Or, ce sens, en dehors des adjuncta historica, nous est fourni par le contexte lui-même, dans la VIIe et la VIIIe session. Les acclamations s’y font après la lecture de l’ὅρος. Or, l’ὅρος parle expressément et seulement des images de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge, des anges et des saints et ne souffle mot des images de la sainte Trinité. Est-il possible que le concile, proclamant son adhésion à l’ὅρος, mentionne expressément et seulement les images dont ni dans l’ὅρος, ni nulle part ailleurs il n’est question et se taise sur celles précisément qui font l’objet de sa définition ? N’est-il pas plus simple de penser que τὰς τιμίας αὐτοῦ εἰκόνας est une expression qui résume toutes les images que l’ὅρος a énumérées, quitte à expliquer αὐτοῦ dans un autre sens que celui qu’il présente à première vue ? — Puisqu’il faut écarter les images de la Trinité, comment donc expliquer notre texte ? On peut en donner une double interprétation, avec un égal fondement dans divers passages du concile. L’une est celle-ci : Ne croyant qu’à la Trinité, ne donnant notre foi qu’à elle, nous saluons les précieuses images (αὐτοῦ, destinées à sa glorification, comme nous verrons plus loin). Cette explication s’accorde avec la préoccupation dominante du concile de repousser l’accusation d’idolâtrie. Elle s’appuie particulièrement sur les divers passages du concile où l’on réserve à Dieu la foi et la latrie pour n’accorder aux images que le salut et la proskynèse d’honneur. Elle se trouve de plus, en termes exprès, dans la lettre de Taraise à Jean, prêtre et higoumène : « Nous saluons les images comme étant des reproductions des prototypes, et pas autre chose, en réservant manifestement notre foi et notre latrie à Dieu seul, loué dans la Trinité. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 474. Dans la pièce anonyme qui clôt les actes du concile on lit une expression semblable : « Les chrétiens honorent un seul Dieu, loué dans la Trinité, et n’offrent de latrie qu’à lui seul. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 482. Cf. aussi, t. xiii, col. 284. La seconde interprétation, qui a l’avantage de s’accorder mieux avec le mot αὐτοῦ, est celle-ci : Croyant à la Trinité, nous voulons la louer par la vénération que nous accordons aux images, qui toutes lui sont dédiées et servent à sa gloire et par suite lui appartiennent. Plusieurs textes autorisent cette explication. Ὁ Θεὸν φοβούμενος, dit Léonce de Néapolis, cité par le concile, τιμᾷ πάντως καὶ σέβει καὶ προσκυνεῖ ὡς ὑιὸν Θεοῦ Χριστὸν τὸν Θεὸν ἡμῶν, καὶ τὸν τύπον τοῦ στραυροῦ αῦτοῦ, καὶ τοὺς χαρακτῆρας τῶν ἁγίων, celui qui craint Dieu rend honneur, culte et proskynèse au Christ notre Dieu comme au Fils de Dieu, à la figure de sa croix et aux traits de ses saints. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 53. Comme s’il disait que notre culte des images est une suite du culte que nous avons pour Dieu. Dans la VIe session, il est porté expressément que nous honorons les images et les autres objets sacrés, parce qu’ils sont faits au nom de Dieu et lui sont dédiés : ταύτα ἀσπαζόμεθα διὰ τὸ ἐπὶ τῷ ὀνόματι σοῦ γενέσθαι καὶ ἀνατεθῆναι. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 310. Et plus loin : « Offrant à Dieu la latrie en esprit et en vérité, nous saluons et embrassons toutes les choses qui lui sont dédiées et consacrées » et, parmi elles, les images. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 310. C’est de la même manière que saint Théodore Studite, dans un texte que nous avons cité plus haut, après avoir réserve la latrie à Dieu seul, relie toutes les proskynèses à la proskynèse latreutique due à la seule Trinité. Epist., l. II, epist. clxvii, P. G., t. xcix, col. 1532.
Les images symboliques de Dieu n’étaient donc pas en usage en Orient aux temps de l’iconoclasme et le concile n’a pas eu à se prononcer à leur sujet. En Occident, on trouve des images de la sainte Trinité dès le ive siècle, des images de Dieu le Père seul avant le xe siècle. Molanus, De historia sanctarum imaginum, l. II, c. iii, dans Theologiæ cursus de Migne, t. xxviii, col. 41, note 1. Mais ces sortes d’images (de la Trinité et de Dieu le Père), parce qu’elles peuvent facilement induire en erreur, ne sont pas authentiquement proposées par l’Église à l’usage et à la vénération des fidèles. Leur légitimité était autrefois regardée comme une simple opinion, contredite par plusieurs théologiens. Non est tam cerium, dit Bellarmin, in Ecclesia an sint faciendæ imagines Dei, sive Trinitatis, quam Christi et sanctorum. Controv., l. II, De imaginibus sacris, c. viii. On ne peut plus s’y opposer maintenant depuis la condamnation par Alexandre VIII (1690), et Pie VI (1794) de propositions s’attaquant à cet usage. Ce n’est pas à dire que l’Église en fasse par là une institution publique ; elle les permet seulement, et si elle condamne les propositions susdites, c’est parce que leurs auteurs font un crime à l’Église de cette tolérance. Le concile de Trente permet aussi ces images, mais c’est avec une certaine réserve, dans l’intention visible qu’elles soient rares : quod si aliquando, et en ordonnant que le vrai sens en soit expliqué au peuple. Du reste, l’Église n’a pour elles aucun culte public, et bien qu’on ne trouve pas de défense de leur rendre des hommages privés, il semble bien que cela soit contraire à son esprit. Il faut dire la même chose des images symboliques sous lesquelles on peut représenter Notre-Seigneur, comme le pélican, l’agneau, etc., et c’est sans doute pour éviter ou pour supprimer un pareil culte que le concile in Trullo défendit de peindre à l’avenir Jésus-Christ sous la figure d’un agneau. Cela, en effet, ressemble trop aux formes extérieures du paganisme.
En Orient, il y avait aussi des colombes au-dessus des baptistères et des autels pour rappeler le Saint-Esprit, par la vertu duquel s’opèrent les mystères du baptême et de l’eucharistie. Mais ces objets n’étaient pas des peintures et n’étaient pas comptés au nombre des images. « Une lettre écrite en 518 par le clergé d’Antioche au patriarche Jean II de Constantinople, et insérée dans les actes du concile de Constantinople de 536, action cinquième, accuse Sévère d’avoir enlevé et de s’être approprié les colombes d’or et d’argent représentant le Saint-Esprit, suspendues au-dessus des baptistères et des autels, sous prétexte que l’on ne devait point représenter ainsi l’Esprit-Saint. » Mansi, op. cit., t. viii, col. 1039 ; Tixeront, op. cit., t. iii, p. 453, note 1. La position même de ces objets empêchait qu’on leur rendît la proskynèse. C’est ainsi que certains iconomaques, qui admettaient les images, mais sans le culte, voulaient qu’on les plaçât hors de portée, afin de les soustraire aux saluts et aux baisers des fidèles. Voir S. Théodore Studite, latin, II, prol., P. G., t. xcix, col. 352-353.
2. Images des anges.
La doctrine de l’Église est claire sur ce point. Dans l’ὅρος de la VIIe session du concile de Nicée, les anges sont nommés parmi ceux dont il faut rétablir et vénérer les images. Et de fait, leur culte remonte à l’origine historique du culte des images, comme en témoignent des epigrammata de Marin (fin du ve et vie siècle), de Nil le Scolastique (vie siècle) et d’Agathias le Scolastique (vie siècle). Epigmmmatum anthologia palalina, édit. Didot, 1864, t. i, p. 5, 6. Une question se pose cependant. Pourquoi les Pères iconophiles ne veulent-ils point d’images de Dieu et acceptent-ils celles des anges ? Si l’immatérialité de Dieu s’oppose à ce qu’on le représente, comment l’immatérialité des anges se concilie-t-elle avec l’usage de leurs images ? Cette immatérialité est attestée par le décret qui termine la IVe session. Parmi les images saintes, un y mentionne celles des anges incorporels, et aussitôt on ajoute : « Car ils ont apparu aux justes sous la forme humaine. » Mansi, op. cit., t. xiii, col. 132. Dans la session suivante, on lit un discours de Jean de Thessalonique, ou il est dit qu’on ne peut peindre Dieu, parce qu’il n’a pas de corps, mais qu’on peut peindre les anges, parce qu’ils ne sont pas tout à fait incorporels, ayant des corps plus subtils que les nôtres. Saint Taraise mitigé cette affirmation en disant simplement que les anges peuvent être peints parce qu’ils sont circonscrits, περίγραπτα, et ont apparu comme des hommes. Mansi, op. cit., t. xiii, col. 164-165. Théodote avait dit : « Les anges ont des corps, mais, comparés aux corps terrestres, ils sont sans corps et sans figure. » Fragm., ii, 14, dans Clément d’Alexandrie, P. G., t. ix, col. 663. Et saint Grégoire le Grand : Ipsi (les anges) comparatione quidem nostrorum corporum spiritus sunt, sed comparatione summi et incircumscripti Spiritus, corpus. Moral., l. II, 3, P. L., t. lxxv, col. 557. Ainsi l’on peint les anges parce qu’ils ont apparu sous forme humaine, et parce que, étant finis et bornés, περίγραπρτοι, on ne risque point, en les peignant, d’imiter l’erreur des païens qui était de renfermer la divinité sous une forme créée ; on signifie seulement par là leur qualité de créatures. Il reste bien entendu qu’on ne leur attribue pas la nature humaine, mais qu’on la leur prête par analogie. « Dieu, dit saint Jean Damascène, après avoir déjà affirmé que les anges sont spirituels et sont dans des lieux spirituels. Dieu est incorporel par nature et d’une manière absolue ; l’ange, l’âme et le démon, comparés à Dieu qui est seul incomparable, sont corporels ; comparés aux corps matériels, ils sont incorporels. Dieu, ne voulant pas que nous ignorions les choses incorporelles, les a environnées de corps, de figures et d’images en analogie avec notre nature… C’est ce que nous figurons et mettons en image. Autrement, comment les chérubins auraient-ils pu être figurés et mis en image ? Bien plus, l’Écriture contient des figures et des images de Dieu même. » De imaginibus, orat. iii, 25, P. G., t. xciv, col. 1345. On voit par là que ce docteur n’aurait pas été éloigné d’accepter les images symboliques de la divinité, celles du moins qui sont contenues dans l’Écriture. Saint Nicéphore, distinguant avec une précision digne des scolastiques les diverses sortes de circonscriptions, περιγραφή, indique celles qui conviennent ou non aux anges. « La circonscription, dit-il, se fait ainsi, ou par le lieu, ou par le temps, ou par la compréhension. La circonscription du lieu appartient aux corps, car ils sont entourés par le lieu, puisque le lieu est la limite du contenu, en tant que le contenant le contient. Celle du temps et du commencement appartient à ce qui, n’étant pas d’abord, a commencé d’exister à partir d’un temps : elle appartient aussi aux anges et aux âmes ; les anges ne sont pas contenus corporellement dans un lieu, puisqu’ils manquent de forme et de figure, τῷ μῆ τυποῦσθαι καὶ σχηματίζεσθαι, ils agissent cependant dans un lieu selon leur propre nature, parce qu’ils sont là spirituellement, νοητῶς, étant spirituels, νοεροί. et ne sont pas ailleurs, étant circonscrits là d’une manière spirituelle… Ce qui est circonscrit selon la compréhension est ce qui est compris par la pensée et la connaissance, car la compréhension est une espèce de circonscription. Ainsi les anges comprennent mutuellement leurs natures. » Anthirrheticus, II, 12, P. G., t. c, col. 356-357. Dieu seul est absolument incirconscriptible.
6° Précepte du culte des images.
Y a-t-il un précepte d’honorer les images ? À cette question on peut répondre brièvement ce qui suit :
1. Il y a un précepte naturel négatif de ne pas mépriser et traiter avec irrévérence les saintes images, car comme l’honneur de l’image rejaillit sur l’original, ainsi en est-il du mépris et de l’irrévérence.
2. C’est l’opinion commune, qu’il n’y a pas de précepte affirmatif absolu d’honorer positivement les images : ni naturel, puisqu’on peut honorer les prototypes sans le moyen des images, ni positif, puisque cela n’est ni dans l’Écriture ni dans la tradition.
3. Cependant il y a un précepte naturel affirmatif d’honorer les images occasionoliter, quand l’abstention ou le refus de le faire peut scandaliser le prochain, et surtout quand, dans l’estimation commune, ils équivalent soit à une injure, soit à la négation de la légitimité de ce culte. C’était le cas chez les grecs, au temps de l’iconoclasme.
Il faut rappeler à ce sujet que les expressions d’honneur ont pu avoir dans divers pays des significations diverses, comme cela se voit encore maintenant ; d’où il suit qu’il pourra y avoir entre les diverses Églises des différences et des degrés dans la manière de témoigner son respect aux images. Honorem habere imaginibus, dit Thomassin, fidei authoritas sanxit : quod genus honoris et quousque, an ad oscala, an ad amplexus usque, an ad geniculationes, cuique Ecclesiæ permissiim est statuere. De incarnatione, t. XIII, c. xii n. 17, t. i, p. 848. Les grecs donnaient aux images des témoignages d’honneur que les Francs avaient coutume de réserver soit à Dieu, soit aux saints, soit exceptionnellement à la croix, instrument de salut. Les Francs, trompés par la mauvaise traduction des actes de Nicée, crurent que les grecs étaient tombés dans l’idolâtrie et eurent la préoccupation d’empêcher qu’un si grand mal s’introduisît chez eux. C’est pourquoi ils tempérèrent le culte des images, mais sans l’ôter tout à fait. D’abord, ils ne voulaient pas qu’on les détruisît ; cet honneur négatif ne peut être sans un certain honneur positif. On ne défend pas de détruire ce qu’on regarde avec indifférence. De plus, ils admettaient ces images dans les églises, comme de pieux souvenirs, exposés ainsi à la contemplation des fidèles au moment de la prière pour exciter leur dévotion ; on n’en fait pas autant pour les scènes de chasse et de pèche, ni pour les personnages de l’histoire profane. Et c’est bien un certain honneur positif. Malgré les oppositions verbales et les différences de mentalité, ce n’était donc pas en réalité au sujet de la foi, mais sur des coutumes que les Francs différaient des grecs. C’est pourquoi ni les Francs ne se sont séparés du siège apostolique qui avait approuvé les décisions de Nicée, ni celui-ci ne les a condamnes pour avoir critique les pratiques des grecs. Il a laissé, dans sa sagesse, le temps faire son œuvre, et le temps a si bien fait son œuvre que les Occidentaux, ainsi que nous avons vu, ont introduit dans le culte des images du Christ une latrie relative, dont les Orientaux n’avaient pas l’idée. Abstergamus ergo, conclut Thomassin, hanc non a Majoribus nostris maculam, cujus puri et expertes semper lucre, sed ab animis nostris ineptam suspicionem et populurem hallucinationem. Majoribus nostris contumeliosam'. Ibid., n. 20, p. 850.
I. Sources.
Voir Iconoclasme. On y trouvera également un certain nombre de travaux anciens et modernes, non indiqués ici. Voir aussi les documents du magistère ecclésiastique, publiés dans l’article.
II. Ouvrages généraux. — Ferraris, Prompta bibliotheca, édit. Migne, Paris, 1865, t. iv, col. 299-318 ; Bergier, Dictionnaire de théologie, Paris, 1852, t. iii, p. 112-117 ; Goschler, Dictionnaire encyclopédique de la théologie catholique, Paris, 1870, t. xi, p. 280-288 ; Wetzer et Welte, Kirchenlexikon, Fribourg-en-Brisgau, 1883, t. ii, col, 812-833 ; Realencyldopädie für protestantische Theologie und Kirche, 3e édit., Leipzig, 1897, t. iii, p. 211-226 ; The catholic encyclopedia, New York, 1910, t. vii, p. 864-872 ; Pluquet, Dictionnaire des hérésies, 2 vol., Paris (Migne), 1847-1853 ; H. Klee, Manuel de l’histoire des dogmes chrétiens, trad. Mabire, Louvain, 1851, t. ii, p. 334-338 ; Hergenrœther, Histoire de l’Eglise, trad. Belet, Paris, 1886, t. iii ; Rohrbacher, Histoire universelle de l’Église catholique, Paris, 1887, t. vi ; Macaire, Histoire de l’Église russe (en russe), 12 vol., Saint-Pétersbourg, 1883, passim.
III. Travaux spéciaux.
1° Histoire.
De Rossi, Roma sotterranea, Rome, 1864 ; Paul Allard, Rome souterraine, Paris, 1872 ; Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, Paris, 1877 ; H. Marucchi, Éléments d’archéologie chrétienne, Rome, Paris, 1900-1902 ; Guide des catacombes romaines. Rome, Paris, 1900 ; 'Sixte Scaglia, Notiones archeologicæ disciplinis Theologicis coordinatæ, Rome, 1908-1910, t. iii, Symbola et picturæ cœmeteriales ; dom Leclercq, Manuel d’archéologie chrétienne, 2 vol., Paris, 1907 ; L. Baurain. Le culte des images dans l’Église russe, dans La Revue augustinienne, t. ix, p. 641-664.
2° Doctrine.
S. Thomas, In IV Sent., l. III, dist. IX, q. i, a. 2, sol. 2 ; Sum. theol., IIIa, q. xxv, a. 3 ; nombreux commentateurs, parmi lesquels : Salmanticenses, Cursus theologicus, tr. XVIII, De incarnatione, disp. XXVII, De adorationæ sacrarum imaginum, Salamanque, 1630-1701 ; Paris, 1870-1883, t. xvi, p. 659-717 ; Contenson, Theologia mentis et cordis, l. X, De Deo conversante, c. ii, specul. ii Lyon, 1673-1676 ; Paris, 1875, t. iii, p. 152-162 ; Gotti, Theologia scholastico-dogmatica', In iiium partem, tr. XIV, q. VII, dub. v, Bologne, 1727-1735 ; Venise, 1763, t. iii, p. 354-359 ; Billuart, Cursus theologiæ universalis, De incarnatione, dissert. XXIII, a. 3, Wurzbourg, 1758, t. iii, p. 167-179 ; Paris, 1886, t. iii, p. 128-148. Autres théologiens : M. Buchinger, De imaginibus, jejuniis et eucharistia, Mayence, 1543 ; Conrad Braun, De imaginibus, Mayence, 1548 ; René Benoit, Traité catholique des images et du vrai usage d’icelles, Paris, 1564 ; Schenk, De vetustissimo sacrarum imaginum usu, Anvers, 1567 ; N. Sander, De typica et honoraria sacrarum imaginum adoratione, Louvain, 1569 ; Castellani, De imaginibus et miraculis sanctorum, Bologne, 1509 ; Bolognetti, De sacris et profanis imaginibus, Ingolstadt, 1594 ; d’abord en italien, Bologne, 1582 ; F. Hamilton. De legitimo sanctoruni cultu per sacras imagines, Wurzbourg, 1586 ; Layman, Theologia moralis, l. IV, tr. VII, c. V, n. 2-10, Munich, 1625 ; Mayence, 1709, t. ii p. 139-142 ; Veronius, Règle générale de la foi catholique, séparée de toutes autres croyances, c. ii, § 8, Des images, Paris, 1646 ; édit. latine dans le Cursus theologiæ completus de Migne, t. i, col. 1081-1084 ; Petau, Opus de theologicis dogmatibus, De incarnatione, t. XV, c. v-xviii, Paris, 1644-1650 ; Anvers, 1700, t. vi, p. 297-340 ; Thomassin, Dogmata theologica, De incarnatione, l. XII, c. viii-xiii, Paris, 1680-1689 ; Venise, 1730, t. i, p. 823-857 ; Bossuet, Fragment sur le culte dû aux images, Œuvres complètes, Bloud et Barrai, t. iii, p. 70-78 ; L. G. de Cordemoy, Traité des saintes images, Paris, 1715 ; Frova, De sacris imaginibus, Venise, 1759 ; Guevara, Dissertatio historico-dogmatica de sacrarum imaginum cultu religioso, Foligno, 1789 ; Christian Pesch, Prælectiones dogmaticæ, Fribourg-en-Brisgau, 1900, t. iv, De Verbo incarnato, p. 328-335 ; Hurter, Theologiæ dogmaticæ compendium, Inspruck, 1900, t. iii, p. 668-674 ; J. Lottini, Institutiones theologiæ dogmaticæ specialis, Ratisbonne, Rome, New York, 1906, t. ii, p. 335-342