Dictionnaire de théologie catholique/IMMACULÉE CONCEPTION IV. Dans l'Eglise latine après le concile d'Ephèse. IV.Définition par Pie IX ; bulle Ineffabilis Deus

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.1 : HOBBES - IMMUNITÉSp. 602-612).

IV. La DÉnNiTiON. —

Nous arrivons à la dernière période, caractérisée par le triomphe définitif de l’immaculée conception sous le pontificat de Pie IX ; mais il y eut, dès la première moitié du xixe siècle, surtout à partir de 1830, une série d’actes qui furent un acheminement vers le terme.

I. DE L’AVÈNEUENT DE PIE Yll, A LA UORT DE ORÊaOIRE XVI (1800-1846) : VERS LA DÉFINITION. — Les bouleversements qui survinrent en Europe au début du siècle et l’état de trouble général qui en résulta, amenèrent naturellement un temps d’arrêt dans les démarches en vue d’obtenir la solution du grand problème. L’arrêt ne fut que transitoire ; quand la paix eut été rétablie, le mouvement reprit, plus vigoureux et plus étendu.

1* Pie VII et Léon XII (1800-1830). ^ Rares à cette époque, les actes en faveur du glorieux privilège ne font cependant pas défaut. En France, la mention de la fête de l’immaculée conception, supprimée dans les deux catéchismes qui furent en usage après la Révolution, réapparaît en 1804 dans le Catéchisme à r usage de taules les Églises de l’Empire français, leçon xi, p. 172. L’immaculée conception y est donnée pour l’une des choses « que l’Église honore principalement dans la très sainte Vierge. » En 1822, doin Gaspar Rivarola, abbé bénédictin en Sicile, publia une dissertation, insérée dans les Parcri, t. v, p. 6, pour prouver « que, par une conséquence nécessaire du dogme infaillible de la maternité divine, Marie a dû être immaculée dans sa conception. - On y trouve

des considérations utiles, mais jointes à d’autres plus que contestables, tendant à établir par des données physiologiques une thèse réfutée déjà par saint Anselme, à savoir que la mère de Dieu a dû nécessairement échapper à la contagion commune pour que son fils en pût être exempt. Fait plus pratique et plus symptomatique, en 1816, un chanoine de Cordoue, dom Bernard de Alderete, avait adressé au Saint-Siège, au nom de l’évêque et du chapitre, une supphque où il renouvelait les anciennes instances en faveur d’une définition solennelle, que se dignase declarar definitivamente la conception inmaculada de Maria santisima. Exemple suivi ensuite, est-il ajouté, par d’autres prélats, des chapitres, des villes et des universités d’Espagne, Pareri, t. ii, p. 97.

De leur côté, les papes n’oubliaient pas la cause de la Vierge. Outre la permission plusieurs fois accordée de célébrer la messe propre de l’immaculée conception, Pie VII confirma, en 1802, les statuts d’une congrégation fondée sous ce vocable à Barcelone ; statuts où le glorieux privilège était presque continuellement affirmé. L’année suivante, il approuva la pieuse association espagnole des Filles de l’immaculée conception de la bienheureuse Vierge. Acte plus significatif, sur la demande des franciscains du royaume de Naples, il leur permit, le 17 mai 1806, d’ajouter dans la préface de la messe l’épithète d’immaculée au terme de conception, en disant : Et te in conceptione immaculata.

En 1824, Léon XII fit une déclaration qui touchait encore de plus près la croyance. Des docteurs en théologie qui avaient fait le serment de suivre la doctrine de saint Thomas d’Aquin, se demandaient avec une certaine perplexité s’ils pouvaient, sans crainte de parjure, tenir la pieuse croyance ; la réponse les rassura complètement : eos qui iureiurando se obstrinxerint ad tuendam sancti Thomæ doctrinam, posse sine periurii timoré immaculalam beatæ Marise virginis conceptioncm dejendere. Pareri, t. vii, p. lxvti, en note.

2° Grégoire XV I (1831-1846) : mouvement prononcé en fareur de la définition. — Le cardinal Maur Capellari, religieux camaldule, promu au souverain pontificat le 2 février 1831, donna dès le début des preuves de sa vive sympathie pour la cause de la Vierge. La première année de son règne, sur la demande des frères mineurs de Santa-Fé-de-Bogota, il concéda des indulgences aux fidèles qui, en assistant à la messe propre de l’immaculée conception dans l’église de ces religieux, honoreraient la mère de Dieu conçue sans péché. » En 1834, il confirma la fondation d’une Société de la Miséricorde sous le vocable de la bienheureuse Marie immaculée en sa conception. Les partisans de la définition se sentirent naturellement portés à profiter de l’occasion pour renouveler leurs instances. Un événement merveilleux était d’ailleurs survenu, qui les avait encouragés et excités à marcher dans cette voie.

1. La médaille miraculeuse.

Le 17 novembre 1830, une Fille de la Charité, de Paris, Sœur Catherine Labouré, étant en oraison, eut une vision de Notre-Dame sous une forme rappelant celle où, d’ordinaire, on la représente comme l’Immaculée : les pieds de la Vierge reposaient sur le globe terrestre ; de ses mains abaissées dans la même direction, des faisceaux de rayons jaillissaient. Il se forma alors autour de la sainte Vierge un tableau un peu ovale, sur lequel on lisait en lettres d’or ces paroles : O Marie conçue sans f>éché, priez pour nous qui avons recours à vous. Puis une voix se fit entendre qui me dit : « P’aites frapper une médaille sur ce modèle ; les personnes qui la porteront indulgenciéc recevront de grandes grâces, surtout en la portant au cou ; les grâces seront abomlanlesijourk’s personnes qui auront confiance..1. M. Aladel, La Médaille miraculeuse, Paris, 1878, p. 76. Informé du fait et de toutes

les circonstances qui l’avaient précédé, accompagné et suivi, l’archevêque, Mgr de Quélen, permit de faire Trapper la médaille ; elle se répandit très rapidement et devint populaire. Il y eut, il est vrai, de l’opposition de la part de quelques évêques, principalement en Allemagne où la pieuse croyance était en butte aux attaques des hermésiens ou catholiques libéraux ; mais ce fut l’exception, car le nombre et l’éclat des faveurs reçues assurèrent à la médaille une singulière diffusion, non seulement en France, mais dans les pays voisins, Belgique, Suisse, Italie, Espagne, Angleterre et jusqu’au delà des mers. L’invocation : Marie conçue sans péché, était d’elle-même une affirmation du glorieux privilège, et les grâces obtenues excitaient dans les fidèles un sentiment de piété et de reconnaissance qui les portait à en souhaiter la consécration définitive.

Il est incontestable que cet état des esprits eut son influence sur les démarches faites alors auprès du saint-siège par beaucoup d’évêques, surtout en France. Rappelons-nous toutefois une remarque déjà faite à propos de la vision de l’abbé Helsin, col. 1004 : Autre chose est l’occasion, autre chose est Vobjel d’une dévotion ; bien plus, autre chose est la réahté de l’apparition dans le cas de Catherine Labouré comme dans celui de l’abbé Helsin, autre chose est la valeur de la médaille miraculeuse comme signe symbolique de l’immaculée conception. Ainsi, dans une lettre adressée, le 14 février 1835, à Mgr de Quélen pour l’engager à solliciter de Rome la permission d’insérer dans les litanies de Lorette l’invocation : Regina sine labe concepia, le cardinal François-Xavier de Cienfuegos, archevêque de Séville, écrivait : « Je ne prétends point prononcer sur la révélation qui a été l’origine de cette pieuse pratique, non plus que sur les miracles ou prodiges rapportés comme étant les effets de l’usage qu’on a fait de cette médaille. » Ce qui n’empêchait pas ce prélat de présenter la démarche qu’il suggérait comme très conforme « aux desseins qu’a eus la divine Providence dans la manifestation de la médaille miraculeuse si célèbre maintenant dans le monde chrétien. » Lesêtre, op. cit., p. 178.

2. Instances dés év’ques.

Les premières suppliques eurent pour objet, non la définition du privilège, mais l’autorisation de dire dans la préface de la fête : El te in conceptione i M ai aculat a. Le cardinal de Séville avait donné l’exemple dès 1834 ; exemple si bien suivi que, pendant les dix années d’après, on ne trouve pas moins de 2Il demandes consignées dans les registres de la Sacrée Congrégation des Rites. Pareri, t. vi, p. 480. Puis ce fut une autre supplique, dont le même cardinal explique la raison d’être dans sa lettre à Mgr de Quéle"n : « Considérant que les concessions pontificales accordées jusqu’ici regardent le culte rendu à Marie à l’autel ou dans l’office du chœur, que d’ailleurs ces refigieux hommages ne sont pas journaliers, et que tous les fidèles ne peuvent y prendre part, il me parut que l’honneur dû à la très sainte Vierge et l’utilité du peuple chrétien demandaient également, avec justice, qu’on procurât aux simples fidèles le moyen de pouvoir exercer ce culte si pieux, et ce moyen, je le trouvai, tel qu’on peut le désirer, dans l’addition à faire aux litanies de Notre-Damede-Lorette, de cet éloge et de cette invocation : Regina sine labe concepta, ora pro nobis. » L’archevêque de Paris s’empressa d’accéder au conseil qui lui était donné, et le mouvement sepropagea : de septembre 1839 à mars 1844, la même faveur fut sollicitée et obtenue par 133 évêques, chefs d’ordres ou recteurs d’églises particulières. Ensuite, les deux permissions furent accordées en même temps et, sous cette forme, obtenues par 88 évêques, d’avril 1844 à mai 1847. Pareri, t. vi, p. 574, 588. Mais ces chiffres sont au-dessous de la

réalité, car la Sacrée Congrégation du Concile jouissait aussi et usa du pouvoir d’accorder les mêmes faveurs.

Parmi les généraux d’ordres qui demandèrent l’autorisation de dire dans la préface de la fête : Et te in conceptione immaculata, celui des frères prêcheurs mérite d’être signalé. Le giand obstacle, pour ces religieux, était dans la doctrine de saint Thomas d’Aquln. Un certain nombre le faisaient disparaître en soutenant, de diverses manières, que l’ange de l’école, bien compris, n’était réellement pas opposé à l’immaculée conception : cette position, qui nous est déjà connue, fut très nettement adoptée et soutenue en 1839 par le P. Mariano Spada dans son Esame critico. D’autres, mettant de côté ou à l’arrière-plan la question de fait, affirmaient surtout que les principes posés par le saint docteur n’étaient pas inconciliables avec le glorieux privilège et que, s’il vivait de nos jours, m’admettrait : tel un peu plus tard, à l’époque même de la définition, le R. P François Gaude, futur cardinal. De immaculato Deiparse conceptu eiusque dogmatica deflnitione in ordine pœrsertim ad scholam thomisticam et instituium fratrum prsedicalorum, Rome, 1854. Quoi qu’il en soit du mode d’accession, le nombre des théologiens dominicains qui, depuis plusieurs siècles, s’étaient ralliés à la pieuse croyance, était allé toujours en augmentant. En décembre 1843, le T. R. P. Ange Ancarini, général de l’ordre, soUicita de Grégoire XVI l’autorisation de célébrer la fête de la Conception avec octave, en se servant de la messe propre et, dans la préface, de la formule : Et te in conceptione immaculata. Cette mesure fut confirmée, le 17 juillet 1847, par la Sacrée Congrégation des Rites répondant à plusieurs doutes qui lui avaient été soumis, celui-ci, en particulier : L’ordonnance atteint-elle ceux qui regardent la bienheureuse Vierge comme conçue dans le péché originel et ceux qui sont liés par serment à suivre la doctrine de saint Thomas d’Aquin, dans l’hypothèse où d’après son enseignement, la bienheureuse Vierge aurait encouru dans son âme la tache héréditaire ? La réponse fut affirmative, avec renvoi à Sa Sainteté pour dispense du serment, s’il y avait lieu : Ad 5 « >n affirmative, et, quatenits opus sit, consulendum Sanctissimo pro absolutione. Pareri, t. vi, p. 592 sq., 595 sq. Ainsi cessa, honorablement, la principale opposition que la pieuse croyance avait rencontrée au sein de l’Église catholique.

Enfre temps, des démarches d’une plus grande importance avaient commencé. En 1840, dix archevêques français, ceux de Cambrai, Albi, Besançon, Bordeaux, Sens, Avignon, Auch, Reims, Bourges et Lyon, avec 41 évêques suffragants, signèrent et adressèrent à Grégoire XVI une lettre collective où ils exprimaient le vœu, « que la doctrine de l’immaculée conception, devenue croyance de presque toute l’Église dispersée, quam fere Iota dispersa crédit Ecclesia, fût définie comme de foi par le siège suprême, n Pareri. t. tx, p. 16. Une quarantaine de suppliques semblables parvinrent à Rome de 1843 à 1845 ; elles venaient, la plupart, d’évêques de Sardaigne et des Deux-Siciles, quelques-unes d’évêques résidant hors d’Europe ou de vicaires apostoliques. Roskovâny, op. cit., t. iv, p. 67-104. Les pétitionnaires insistaient presque tous sur le consentement commun et le vœu des fidèles, et ces suppliques formaient comme autant d’apologies en faveur du glorieux privilège. De nombreux mandements sur le même sujet parurent en même temps, particulièrement en France ; tels ceux de Mgr de Quélen, archevêque de Paris, en 1830, de Mgr Mathieu, archevêque de Besançon, en 1840, de Mgr Donnet, archevêque de Bordeaux, en 1841, du cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, en 1842. Roskovâny, op. cit., t. iv, p, 28-40.

L’année suivante, le cardinal Lambruschini, secrétaire d’État de Grégoire XVI, faisait paraître une

dissertation polémique sur l’immaculée conception. Pareri, t. v, p. 123. Il y résumait les preuves du privilège : convenance, Écriture sainte, actes pontificaux, témoignages des Pères et doctrine des théologiens (y compris saint Bernard, Albert-lc-Grand et saint Thomas d’Aquin), surtout consentement commun des fidèles, présenté comme garantie de certitude et préparation à la définition formelle, n. 63-64. L’éminent auteur déclarait cette définition possible et l’appelait de tous ses vœux. Ce qu’il disait, n. 66, de la merveilleuse diffusion de la médaille miraculeuse et des prodiges opérés par son entremise, en particulier la conversion toute récente de l’Israélite Alphonse Ratisbonne. témoigne de la vive impression que ces faits exercèrent alors sur les esprits. La dissertation fut traduite en plusieurs langues et eut un grand retentissement dans les milieux catholiques.

Grégoire XVI suivait avec beaucoup d’intérêt tout le mouvement. Dans une réponse faite le 24 février 1844 à l’évêque d’Asti, qui avait sollicité l’autorisation de dire dans la préface de la messe : Et te in conceptione immacvlata, le pape rappelait que, l’année d’avant, il avait lui-même permis très volontiers l’usage de cette formule en sa présence dans la chapelle pontificale, et il ajoutait : « Nous ne sommes pas moins heureux d’accéder habituellement aux pieuses demandes de ceux qui, dans les cérémonies et prières publiques, désirent honorer la très sainte vierge Marie conçue sans péché. » Roskovâny, op. cit., t. iv, p. 13. Il avait même déclaré, en 1843, à Mgr Clément "Villecourt, évêque de La Rochelle, que " rien ne lui serait plus apréable que de proclamer par un jugement solennel l’immaculée conception de la très sainte mère de Dieu, » mais il était retenu, ajouta-t-il, par des raisons de haute prudence qui tenaient aux circonstances actuelles : « Sauf les évcqucs de France et un certain nompre de Vénétie, de Lombardie et d’Espagne, ceux des autres pays, comme l’Allemagne, l’Angleterre, r Irlande, avaient gardé le silence ; il craignait de rendre la chaire apostolique odieuse à ces nations, en donnant maintenant d’une façon solennelle la sentence sollicitée. Déjà des plaintes et des paroles presque menaçantes s’étaient fait entendre de divers côtés à l’occasion de quelques canonisations qui avaient eu lieu sous Pie VII. Même non définie, la vérité de l’immaculée conception était tenue pour tellement indubitable que dans YOrdo et les autres livres liturgiques la fête était désignée sous ce litre ; cette doctrine irait toujours en s’affermissant de plus en plus, elle deviendrait ainsi dogme catholique le jour où l’Église tout entière vénérerait et invoquerait l’immaculée conception. Du reste, il se déclarait prêt à répandre son sang jusqu’à la dernière goutte pour attester et sceller ce glorieux privilège de la très sainte Vierge. » Roskovâny, op.cit., t. IV, p. 706 sq. Déclaration intéressante à un double titre, parce qu’elle nous renseigne et sur l’attachement profond de Grégoire XVI à la doctrine môme, et sur les raisons qui l’empêchèrent d’aller jusqu’à la définition.

3. Oppositions et erreurs — La crainte de froissements et de réclamations possibles, dans le cas d’une sanction solennelle du privilège, n’était pas sans fondement, du côté de l’Allemagne en particulier. Les hcrmésiens ou t catholiques libéraux avaient pris, sur ce point, une attitude défavorable, sinon hostile. Leur chef, Georges Hermès, était mort en 1831 ; mais sa Christliche Dogmatik fut publiée trois ans plus tard à Munster, par son disciple, J. H. Achlcrfcld. Ce qu’était sa position par rapport à l’immaculée conception, nous pouvons en juger par un article du P. Perrone, traduit dans les Démonstnilions éuangéliques de Migne, t. xiv, col. 1059-1066. Hermès n’attaquait pas directement la croyance, mais il en sapait sourdement

les fondements, à la manière de Jean de Launoy et de Muratori. A l’argument de convenance, proposé par Scot et tant d’autres, il répondait : « Nous ne savons pas précisément ce qui est convenable aux yeux de Dieu. y> Il interprétait la constitution de Sixte IV et la déclaration du concile de Trente, en ce sens qu’ « aucun particulier ne doit prendre à ce sujet une décision quelconque. » Il ajoutait qu’ « il ne faut pas regarder comme une décision de l’Église l’introduction de la fête de l’immaculée conception de Marie. » Il posait enfin cette question : « D’ailleurs, comment la conception sans péché, ainsi que la naissance de Marie, seraient-elles l’objet de notre vénération ? » Question grosse de conséquences, suivant la juste remarque du P. Perrone, par le doute qu’elle projetait sur la sainteté de la naissance non moins que sur celle de la conception. Loin d’atténuer la doctrine du maître, les hermésiens l’exagérèrent plutôt, ils allèrent même si loin que l’archevêque de Cologne, Clément-Auguste Droste-Vischering, se crut obligé d’intervenir ; en 1837, il fit rédiger un certain nombre de thèses que devraient souscrire les prêtres de son diocèse, en particulier ceux qui voudraient obtenir l’approbation canonique. La huitième concernait, dans sa première partie, l’immaculée conception ; elle exigeait la promesse d’obtempérer aux décisions portées par Grégoire XV en 1622 et par Alexandre VII dans la bulle Sollicitudo. Cet acte provoqua de nouvelles polémiques. Roskovâny, op. cit., t. IV, p. 107, 417, 458.

En France également, une opposition sourde existait à l’égard soit de la croyance, dans les milieux jansénistes ou jansénisants, soit de la définition, chez un certain nombre de gallicans ; mais cette opposition ne devait se manifester nettement qu’un peu plus tard, sous le pontificat de Pie IX. Ce qui apparaît alors, mais au pôle opposé, c’est une erreur si singulière qu’elle mérite à peine d’être relevée. Un ouvrier de Tilly-sur-Seulles, au diocèse de Bayeux, Eugène Vintras, qui se faisait appeler, d’après ses autres prénoms, Pierre Michel, prétendit avoir reçu, du 6 août 1839 au 10 juin 1840, de l’archange saint Michel des révélations sur divers sujets, spécialement sur la très sainteVicrgc. D’après lui, c’était la Sagesse créée, dont il prétendait prouver la préexistence par l’immaculée conception, donnée pour article de foi et expliquée de cette façon : « La Sagesse créée descendue sur la terre aura été incarnée non d’elle-même, mais par la puissance du Père, dans le sein de sainte Anne sa mère, sans que saint Joachim y ait autrement concouru que par sa parole, en annonçant à son épouse affligée de sa longue stérilité, qu’elle enfanterait la Fille du ciel, tige auguste d’où devra sortir le rejeton de Jessé… Or, je soutiens que cette révélation inouïe sur Marie est non seulement admissible, mais même la seule que l’on puisse raisonnablement admettre pour expliquer le fait de son immaculée conception. » Le Hure d’or, publié par M. Alexandre Ch. Charvoz, Paris, 1849, p. 385 sq. Il suivait de là. entre autres choses, que Marie n’avait eu nul liesoin de rédemption ; ce que l’auteur admettait de fait un peu plus loin. Ainsi, le nouveau Montan ne se contentait pas de renouveler l’erreur d’une conception virginale de Marie par sainte Anne, erreur déjà réprouvée au i ve siècle, voir col. 876 ; il ajoutait deux autres erreurs non moins graves, en affirmant la préexistence de la Vierge, « la Sagesse créée, » et en la soustrayant complètement à la loi de l’universelle rédemption des fils d’Adam par Jésus-Christ. Les partisans de l’Œuvre affectaient une dévotion spéciale à l’immaculée conception, telle qu’ils l’entendaient, et portaient en son honneur le Ruban de Marie. Vintras avait d’abord consigné ses prétendues visions dans un Opuscule sur des communications annonçant l’Œuvre de la miséricorde, Paris,

1841. L’écrit fut condamné par Mgr Robin, évêque de Bayeux, dans une circulaire adressée au clergé de son diocèse le 8 novembre de la même année. Rome approuva la condamnation. Les conciles provinciaux de Paris, de Rennes et d’Avignon, en 1849, et ceux d’Albi et de Rouen, en 1850, condamnèrent les erreurs de VŒuure de la Miséricorde. Toutefois, la nouvelle explication de l’immaculée conception n’était pas.spécialement visée dans ces condamnations en bloc des erreurs de Vintras.

Pareridell’Episcopalocatlolico, dicapitoli, dicongr’ega3loni, di uniuersUà, di personnaggi ragguardevoU, etc., etc., sulla deflnizione dogmatica delV immacolato concepimento délia B. V. Maria, Rome, 1851-1854 ; Aug. de Roskovàny, op. cit., t. IV, p. 1-109 ; Mgr Malou, op. cit., t. ii, p. 335 sq., 496 ; H. Lesêtre, op. cit., c. iv.

Dom Gaspar Rlvarola, abbate Casinese, Dissertazione, in cul si prova che Maria Vergine sia stata necessariamentc concepita immacolata, per necessaria conseguenza delV infaUiblle dogma delta divina sua maternità. Palerme, 1822, réimp. dans Pareri, t. v, p. 7-97 ; Mariano Spada, Esame critlco sulla dottrina delV Angclico Dottore s. Tommaso di Aqufno circa il peccato originale rclatiuamente alla B. V. Maria, Naples, 1839, réimp. dans Pareri, t. v, p. 581-660 ; Lulgi card. Lambruschini, Suit’immacolato concepimento di Maria. Dtssertaztone potemica, Rome, 1843, réimprimée dans Pareri, t. v, p. 123-179.

Sur Vintras et ses erreurs, voir L’ami de la religion, Paris,

1842, t. CXI, p. 406, 470 ; t. cxii, p. 241, 257 ; t. cxiii, p. 39 ; résumé de sa doctrine, dans E. Mangenot, Sion, son sanctuaire et son pèlerinage, Nancy, 1919, p. 424-426.

II. AVÈNEMENT SB PIE IX : PRÉLIMINAIRES DE

LA DÉFINITION. — Le cardinalJean-Marie Mastaï-Ferretti, élu pape le 16 juin 1846, était personnellement très attaché à la pieuse croyance. Ce fut un bonheur pour lui de ratifier une preuve signalée de dévotion envers la Vierge immaculée, que les évêques de l’Amérique septentrionale avaient donnée au mois de mai précédent ; réunis à Baltimore en concile provincial, Ils avaient avec autant d’enthousiasme que d’unanimité, ardentibus votis, plausu consensuque unanimi, acclamé la bienheureuse vierge Marie conçue sans péché comme patronne des États-Unis d’Amérique. Pareri, t. VI, p. 597. D’autres actes allaient renforcer encore les bonnes dispositions du souverain Pontife.

1’Nouvelles instances. — Les évêques, du 10 juillet 1846 au 7 mai 1847, continuaient à solliciter la double faveur d’insérer dans la préface de la messe l’épithète d’immaculée et dans les litanies de Lorette l’invocation de Reine conçue sans péché. Roskovàny, op. cit., t. IV, p. 109. Beaucoup plus nombreuses furent les demandes de définition qui, de 1846 à 1848, s’ajoutèrent à celles qui avaient précédé sous Grégoire XVI. Le nouveau pape fut particulièrement consolé de ce que, parmi une centaine de suppliques reçues et venant d’évêques de contrées diverses, de vicaires apostoliques et de chefs d’ordres, 70 étaient de prélats italiens, Il des États pontificaux et les autres du royaume des Deux-Siciles, avec une demande faite personnellement par le roi Ferdinand II. Roskovàny, op. cit., t. IV, p. 119-219.

Avant même que toutes ces pièces fussent arrivées à Rome, Pie IX avait donné un témoignage manifeste de ses sentiments, en signant de sa propre main un décret de la Sacrée Congrégation des Rites, du 30 septembre 1847, qui autorisait un office entièrement propre de l’immaculée conception de Marie, avec messe pour le jour de la fête et durant l’octave. On y retrouvait les expressions les plus notables de l’ofïlce de Léonard de Nogarole, celle-ci, par exemple : I nvnaculalam conceptionem virginis Mariée celebremus. Et ces antiennes : Sicut Ulium inter spinas, sic arnica mea inter fttias ; Tota pulchra es, arnica mea, et macula non est in te ; Nihil inquinatum in eam incurrit, condor est lucis selernæ, spéculum sine macula. La collecte

était à l’avenant : Deus, q-ji per immaculatum Virginis conceptionem dignum Filio tua habilac.ulum præparasti, ejus nobis intercessione concède, ut cor et corpus nostrum immaculatum tibi, qui eam ab omni labe prseservasti, fideliter custodiamus.

En cette même année 1847, le P. Jean Perrone, préfet des études au Collège Romain, publia sous le titre deDisquisitio theologica un écrit où il examinait « si l’immaculée conception de la bienheureuse Vierge Marie pouvait être l’objet d’une définition dogmatique. »  » Après avoir, dans une première partie, historicocritique, » résumé l’histoire de la controverse en ses phases multiples, il discutait la valeur réelle des arguments apportés contre le privilège ou en sa faveur. Il arrivait à ces conclusions : On ne trouve rien de réellement contraire, soit dans la sainte Écriture, soit dans les Pères et les écrivains ecclésiastiques anciens, soit dans les documents liturgiques et les actes des conciles ou des pontifes romains, soit dans les vérités révélées qu’il faut sauvegarder et qu’on a coutume d’objecter sous forme de raisons théologiques ; les témoignages nettement opposés appartiennent à la période de controverse. En revanche, la sainte Écriture fournit un argument assez solide, satis ftrmum, Gen., iri, 15, et, dès les premiers siècles, des témoignages positifs attestent l’existence constante de la croyance. Dans la seconde partie, « théologicocritique », après avoir déterminé les conditions requises pour qu’une doctrine puisse être l’objet d’une définition dogmatique et expliqué de quelles manières diverses ces conditions pouvaient être réalisées, le P. Perrone recherchait s’il y avait dans la révélation, écrite ou transmise, des données suffisantes pour qu’un décret pontifical pût adjoindre l’immaculée conception aux dogmes de foi. Il concluait à une révélation du mystère « prochaine et immédiate quoique d’une façon enveloppée, resserrée et un peu obscure, licet implexe, contracte ac sub obscure ; révélation contenue dans la parole de Dieu écrite et, ce qui est le point capital, confiée à la parole de Dieu non écrite de telle façon que, par l’entremise des divers véhicules d’une tradition ininterrompue et suivant un mouvement de progrès continu, elle se développât et se présentât sous une notion toujours de plus en plus précise, jusqu’à ce que vînt la pleine lumière. » Pareri, t. vi, p. 535. Chemin faisant, le docte théologien réfutait un avis présenté au pape Alexandre VII par le cardinal Jésuite Sforza Pallavicini, d’après lequel le glorieux privilège n’aurait pas été définissable comme vérité révélée. Cette dissertation renforça beaucoup l’impression produite par celle du cardinal Lambruschini et eut sa part d’influence dans la suite de l’affaire.

2 » Institution d’une Consulte théologique et d’une Congrégation pontificale (1" juin 184$1-$2 mai 1852). — Décidé à marcher de l’avant. Pie IX commença la série des actes qui devaient aboutir à la définition du 8 décembre 1854. Il institua, le 1° juin 1848, une Consulte de théologiens, chargés d’examiner cette question : Y-a-t-il lieu d’accéder aux vives instances d’un très grand nombre d’évêques, spécialement en ce qui concerne une décision pontificale ? La Consulte se composa d’abord de vingt membres : prélats faisant partie de Congrégations romaines, généraux ou reUgieux de divers ordres, quelques maîtres de renom. Quatorze de leurs réponses sont reproduites dans les Atti publiés par Mgr Sardi ; quelques-unes sont très développées, en particulier celle du supérieur des prêtres de la Mission de Tivoli, Pierre Biancheri, t. i, p. 272-554 ; Pareri, t. v, p. 181-575. Somme toute, trois consulteurs seulement se montrèrent défavorables à la définition ; les dix-sept autres furent d’avis qu’on pouvait la prononcer, en s’appuyant sur l’Écri

ture, la tradition, la doctrine de l’Église et la liturgie ; un très petit nombre exprima cependant des doutes sur la question d’opportunité. Alti, t. ii, p. 95. Un peu plus tard, neuf autres théologiens furent appelés à donner leur avis, trois en septembre 1850 et six en juillet et août 1851 ; tous se déclarèrent en faveur de la définition, sauf un seul, Mgr Tizzani, ancien évêque de Terni, dont les objections seront indiquées plus loin.

Pie IX ne s’était pas borné à l’institution d’une Consulte théologique ; pendant son séjour à Gaëte il avait, le 6 décembre 1848, désigné huit cardinaux et cinqconsulteurs (en dehors du secrétaire) pour tenir à Napics, sous la présidence du cardinal Lambruschini, une congrégation antépréparatoire. Elle se tint le 22 décembre. Les délibérations portèrent sur ces deux questions : Étant données les demandes faites par la majeure partie des évêques du monde catholique et par le sérénissime roi des Deux-Siciles, Ferdinand II, y a-t-il lieu de conseiller au Saint-Père de déclarer que la bienheureuse vierge Marie a joui du privilège singulier d’être conçue sans la tache originelle ? Et si oui, de quelle manière Sa Sainteté pourrait-elle, dans les circonstances actuelles, procéder à la déclaration dont il s’agit ? Discussion faite, tous les membres présents répondirent oui à la première question. Il n’y eut pas sur l’autre point la même unanimité, et la résolution fut : Dilata, et ad mentem. L’explication ajoutée portait qu’on conseillerait au Saint-Père d’adresser aux évêques une encyclique, pour demander surtout des prières en vue de la définition, mais aussi pour les inviter tous à donner leur avis sur la question d’opportunité, an expédiât deftnitio.

En outre, les consulteurs devaient répondre par écrit aux cinq points suivants : Est-il bien constaté que, de nos jours, l’Église ait pris les devants et qu’elle demande une définition dogmatique de l’immaculée conception de Marie ? L’Église dispersée à travers le monde a-t-elle, depuis les temps apostoliques, admis le privilège dans un sens exclusif de toute ombre de tache originelle, suivant la doctrine exphcitement soutenue par les derniers et très doctes apologistes qui ont parlé du sujet ex pro/esso ? Qu’est-ce que l’Ancien Testament fournit pour ou contre l’immaculée conception, dans le sens où nous la prenons ? De même, en ce qui concerne le Nouveau Testament. L’examen des euchologes, grecs, orientaux et latins, qui datent du nie siècle ou peu après, et dos autres qui ont suivi jusqu’à nos jours, permet-il d’affirmer la pieuse croyance de l’Église à l’immaculée conception de la vierge Marie ? Les réponses aux deux premiers points et au dernier, rapportées par Mgr Sardi, furent affirmatives. Nous verrons bientôt, par un autre document, qu’il en fut de même pour les 3° et 4 « points. Enfin, un autre consulteur, chargé d’étudier quel mode de définition il serait à propos de choisir, conclut à une définition sous forme positive et avec anathème, qui serait comprise dans une bulle dogmatique revêtue des formalités habituelles et qui serait publiée en temps et lieu jugés opportuns. Atti, t. i, p. 555-C18.

3* Le concile par écrit. — Pie IX agréa les meures suggérées par les membres de la congrégation antépréparatoire. De Gæte, il fit expédier l’encyclique Ubi primum, 2 février 1849. Il faisait connaître aux évêques sa résolution de soumettre à un examen définitif le problème de l’immaculée conception ; à cet effet, il avait nommé une consulte de théologiens et institué une congrégation cardinalice. Après avoir demandé l’injonction de prières pour l’heureux succès de l’aHaire. il ajoutait : « Nous désirons vivement qu’il vous plaise de nous faire savoir le plus promplement possible quels sont, dans votre diocèse, les sentiments du clergé et du peuple à l’égard de la concep tion de la Vierge immaculée et dans quelle mesure on souhaite que la question soit tranchée par le siège apostolique ; nous désirons surtout connaître ce que, dans votre insigne sagesse, vous pensez vous-même et souhaitez en ce point. » Suivait une autorisation générale d’adopter, s’il leur semblait bon, l’office propre de l’immaculée conception qui avait été récemment composé et imprimé à Rome. Atti, t. i, p. 573 ; Pareri, t. i. p. fi.

Ce recours aux évêques catholiques du monde entier réalisait en substance le plan conçu au siècle précédent par le cardinal Impériali, et poursuivi par saint Léonard de Port-Maurice ; ce fut ce qu’on a nommé un concile « par écrit. » Les réponses furent insérées dans les trois premiers volumes des Pareri deW episcopato, publiés en 1851 ; des suppléments parurent dans plusieurs des volumes suivants. Quel fut le résultat ? D’après une pièce publiée en 1854, Narratio Actorum SS. Domini nostri PU Papse IX, et insérée dans les Atti, t. II, p. 173, sur 603 évoques environ qui répondirent, il n’y en eut que 56 ou 57 à ne pas se prononcer pour la définition dogmatique, et leurs avis furent très divergents, comme on le voit par une autre pièce. Brève relazione : une dizaine s’abstinrent de formuler un jugement ; à peu près autant ne goûtaient pas une définition directe, avec proscription de l’opinion contraire comme hérétique, et proposaient d’autres formes de définition ; un plus grand nombre, vingt-quatre, étaient arrêtés par la question d’opportunité ; quatre ou cinq seulement se déclarèrent franchement opposés à une définition dogmatique. Atti, t. ii, p. 93. On regrette de trouver parmi ces derniers l’archevêque de Paris, Mgr Sibour. Dans une lettre adressée à Pie IX le 26 juillet 1850, il énonçait ces deux conclusions, résumé d’un examen fait par ceux qu’il avait chargés d’étudier la question : « 1° Que d’après les principes de la théologie, l’immaculée conception de la très sainte Vierge n’est pas définissable, comme vérité de foi catholique, et, dans aucun cas, ne peut être imposée comme croyance obligatoire sous peine de damnation éternelle. 2° Qu’une définition quelconque, alors même que l’Église ou le saint-siège croiraient pouvoir la porter, ne serait point opportune ; car elle n’ajouterait rien à la gloire de la Vierge immaculée, et elle pourrait être nuisible à la paix de l’Église et an bien des âmes, surtout dans mon diocèse. » Pareri, t. III, p. 310. Considérationsdéveloppées dans une autre lettre de l’archevêque, 25 août 1849, et dans la consultation de ses théologiens. Ibid., t. ii, p. 26 sq. ; t. vii, p. 326 sq.

En face de cette infime minorité se dressait la masse imposante de 546 évêques, plus des neuf dixièmes, qui avaient accepté purement et simplement la définition projetée, témoignant ainsi qu’ils regardaient le privilège comme contenu au moins implicitement dans le dépôt de la révélation. Beaucoup s’étaient même formellement expliqués sur ce point, soit dans leurs lettres au pape, soit dans des mandements on des discours sur l’immaculée conception faits à la môme occasion. Tels, en France, Mgr Parisis, évêque de Langres ; en Italie, l’archevêque de Chieti ; en Espagne, le cardinal de Romo, archevêque de Séville, et beaucoup d’autres. Pareri, i.vii, p. 253 ; appendice, p. vi ; t. VIII, p. 131 ; Roskovàiiy, op. r ; 7., t. VI, p.494 sq.Tous ces évêques croyaient à l’opportunité d’une définition ; souvent ils en exposent les convenances, Jei avantages et même la nécessité morale, au point où les choses en étaient arrivées. Ceux qui vivaient dans des milieux composés de catholiques et d’hérétiques ou d’incroyants se rendaient bien compte des attaques et des récriminations que l’acte pontifical pourrait susciter, mais ils estimaient qu’il n’y avait pas lieu de reculer devant ces inconvénients, accidentels et

secondaires ; il suffirait de tenir compte de la disposition des esprits dans la manière de présenter le dogme ; c’est en ce sens que le cardinal Sterckx, arclievêquc de Malincs, ajoutait à son acte d’acquiescement cette remarque, Pareri, t. ii, p. 447 : Peut-être sera-t-il à propos d’exposer clairement et nettement, dans le décret apo< ; tolique, la tradition divine, pour bien montrer qu’on ne veut rien étalilir de nouveau, mais qu’on ne fait que déclarer et confirmer l’antique croyance de l’Église. De cette façon, on pourrait avoir l’espoir de fermer la bouche aux gens mil intentionnés, ou du moins de rendre plus facile aux défenseurs de la foi la réfutation de leurs calomnies. »

Les réponses des évëques jointes aux travaux des théologiens de la Consulte et de la congrégation antépréparatoire formaient un vaste dossier que devaient utiliser ceux qui seraient charges de rédiger la bulle de définition. Beaucoup d’autres documents s’ajoutaient, insérés dans la continuation des Pareri : demandes de définition provenant de chapitres, d’ordres religieux ou de particuliers ; extraits de conciles provinciaux tenus en divers endroits, en France spécialement ; instructions pastorales ou mandements ; opuscules sur l’immaculée conception, soit antérieurs à l’encyclique Ubi primum, comme ceux de dom Rivarola, du cardinal Lambruschini, des PP. Biancheri, Spada et Perrone, soit postérieurs, comme le Mémoire de dom Guéranger, une dissertation du franciscain espagnol Pierre Gual sur la définibililé, la première partie du Sylloge momimeniorum du P. Antoine Ballerini. En tête du ive volume, on remarquait une étude sur les Convenances sociales de la définition, parue d’abord dans la Civiltà cattolica, Rome, 1851, 1° série, t. VIII, p. 377 ; l’auteur, le P. Calvetti, montrait dans l’acte pontifical dont il s’agissait, non seulement un moyen efficace d’exciter la piété des fidèles et le zèle des pasteurs, mais encore, en face des erreurs du rationalisme et du semi-rationalisme contemporains, un rappel et une affirmation solennelle des dogmes fondamentaux opposés : chute originelle, besoin de rédemption, caractère divin de Jésus-Christ, de sa personne, de sa mission et de son œuvre, prix de la grâce sanctifiante et des dons surnaturels qui s’y rattachent, nécessité de la lutte contre les passions, dépendance à l’égard de Dieu, etc.

4° Congrégation spéciale pour la rédaction de la bulle de définition {10 mai JS5$1-$2 aofil 1853). — Les réponses des évêques ne pouvaient qu’encourager Pie IX à marcher résolument dans la voie où il s’était engagé. Conformément à l’avis de ceux qui jugeaient expédient de joindre à la définition dogmatique un exposé des fondements et du développement de la croyance dans l’Église, il s’occupa, dès le mois de mars 1851, de la préparation d’une bufie pontificale. Atti, t. i, p. 671. Un schème, Beus omnipoiens et clemens, fut rédigé par le P. Perrone et discuté par cinq théologiens, dont deux seulement l’approuvèrent. Un autre suivit, Quemadmodum Ecclesiu, qui fut probaoïement l’œuvre de Passaglia ; il avait ceci de particuhcr que la définition de l’immaculée conception y était accompagnée d’une condamnation explicite des erreurs modernes. Ibid., t. II, p. 22-40, 60-76. Ce second schème, comme le premier, ne fut pas utiUsé. Pie IX résolut de donner plus d’ampleur à la discussion ; à cet efVet, il institua, le 10 mai 1852, une congrégation spéciale de vingt théologiens, sous la présidence du cardinal Fornari. Ibid., p. 780 sq. Une commission fut nommée et commença immédiatement ses travaux ; le résumé s’en trouve dans la jiièce Brève exposizione degli Atti délia Commissione spéciale, p. 791-838 ; en latin dans Roskovâny, t. VI, p. 13-68.

Une question de principe fut d’abord traitée : t Quels sont les caractères ou les indices, d’après lesquels on

peut ju^er si une proposition constitue une matière digne d’être soumise à un jugment solennel du magistère catholique ? » Afin d’écarter préalablement certaines prétentions injustifiables des adversaires, les consulteurs posèrent d’abord plusieurs conclusions de forme négative. Pour qu’une proposition puisse devenir vérité de foi catholique, il n’est point nécessaire que, dans le passé, il n’y ait pas eu diversité d’opinion dans l’Église catholique, et que tous aient été constamment d’accord sur le point dont il s’agit. Il n’est point nécessaire qu’on ne puisse pas alléguer des écrivains, même d’autorité, à rencontre de la doctrine qu’on songe à définir. Il n’est point nécessaire qu’il y ait en sa faveur des témoignages explicites ou même implicites de la sainte Écriture, celle-ci n’étant pas l’unique source de la révélation. Il n’est point nécessaire, en ce qui concerne la tradition, qu’on possède une série de Pères et de témoignages remontant jusqu’à l’âge apostolique. La prétention contraire s’appuie sur des hypothèses ou des assertions de ce genre : les Pères ont mis par écrit toute la doctrine prêchée depuis l’origine du christianisme ; tous les monuments de l’antiquité nous sont parvenus ; l’objet total de la foi a toujours été conçu distinctement et exprimé formellement ; la tradition ( dogmatique) d’une époque postérieure peut être en désaccord avec celle d’une époque antérieure ; de la doctrine professée, à n’importe quel siècle, on ne peut pas conclure légitimement que cette doctrine n’a jamais été niée par le plus grand nombre et qu’elle a toujours été professée, au moins d’une façon implicite, par le plus grand nombre. Or, ce sont là des hypothèses ou des assertions dont la fausseté se prouve soit par la nature de la révélation chrétienne, et du magistère ecclésiastique, soit par l’histoire des dogmes définis au cours des siècles. Dès lors, que d’objections ressassées par les adversaires d’une définition tombaient d’ellesmêmes I Telle, notamment, l’objection tirée de cette phrase célèl)re de Vincent de Lérins, Commonitorium, t. I, c. II, P. L., t. L, col. 640 : Id teneamus, quod ubique, quod semper, quodab omnibus creditum est. Adage vrai dans le sens où le prend l’auteur, c’est-à-dire dans un sens positif ; mais faux, d’après le contexte même, dans le sens négatif ou exclusif, que rien ne puisse être défini comme vérité de foi sans avoir été préalablement cru toujours, en tous lieux et par tous.

Aux canons d’ordre négatif succédèrent ceux d’ordre positif. Pour reconnaître si une proposition est définissable de foi divine, on peut considérer comme suffisants ces divers caractères ou indices : un certain nombre de témoignages solennels qui contiennent la proposition discutée ; le fait de pouvoir assigner un ou plusieurs principes révélés qui renferment cette proposition ; la connexion mutuelle des dogmes, ou, ce qui revient au même, la nécessité d’admettre comme révélée une proposition dont le rejet entraînerait nécessairement et immédiatement la fausseté d’un ou plusieurs articles révélés ; l’enseignement concordant de l’épiscopat actuel ; dans de certaines conditions, la pratique de l’Église, en entendant par là un acte externe de culte et de religion, posé universellement et solennellement en vertu d’un précepte strict. Une pratique de ce genre suppose une vérité spéculative qui la dirige et la détermine. Cette vérité théorique peut dépendre d’un fait non révélé, comme la persévérance finale dans le culte des saints, une apparition, une vision ou quelque autre circonstance dans certaines fêtes. Il faudra donc, pour que la pratique de l’Église puisse être présentée comme un critère de définibilité, établir qu’elle se rattache à une vérité spéculative révélée, ce qu’on peut faire, soit en considérant la nature de cette vérité, soit en recourant à des témoignages extérieurs convenables.

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Ces principes posés, les membres de la Commission passèrent à la question de fait ou d’application. Us ne s’arrêtèrent pas aux critères dont la réalisation était manifeste, par exemple, la doctrine concordante de l’épiscopat actuel et la croyance commune des fidèles, attestées qu’elles étaient par les réponses à l’encyclique pontificale. Ils se bornèrent à montrer comment l’immaculée conception de la Vierge était contenue dans les deux sources fondamentales de la révélation chrétienne. Nous avons vii, col. 859, 862, ce que furent leurs conclusions au sujet de la sainte Écriture : ils jugèrent que le glorieux privilège apparaissait comme enveloppé dans le Protévangile et la salutation angélique, quand on les étudie sous la lumière de l’interprétation patrislique. En ce qui concerne la tradition, ils invoquèrent et citèrent un grand nombre d’autorités affirmant la sainteté de la mère de Dieu et écartant d’elle toute tache d’une façon générale et indéfinie, parfois même dans son origine première ou sa conception. Empruntés pour la plupart à l’Église d’Orient, ces témoignages patristiques et liturgiques trahissent l’influence du grand ouvrage. De immaculato Deiparse semper Virginis conceptu, que le P. Passaglia, memlire de la Commission, composiat alors et qu’il allait publier en 1854. Enfin des considérations sur l’opportunité et les convenances d’une définition furent ajoutées en guise de conclusion.

A la suite de ces travaux, un canevas fut dressé, indiquant, comme preuves à utiliser dans la bulle, la convenance, l’Écriture sainte, Gen., ni, 15, la tradition patristique, la fête de la Conception et le sentiment de l’Église universelle. Sillage degll argomenti da servire air estensore delta Bnlla dogmatica. On adjoignit à cette pièce quelques notes explicatives, Dicliiaraiioni, tendant à éclaircir davantage les arguments proposés et à résoudre des oljjections faites du point de vue scripturaire ou patristique. Alti, t. ii, p. 46, 55. Le résultat fut un nouveau schème, dont il nous reste à parler.

5’Discussion du texte de la bulle (22 mars - 4 décembre 1854). — Le nouveau schème, 3^ dans les Atti, t. II, p. 76, contenait substantiellement ce qui est resté dans la rédaction définitive, mais sous une forme et dans un ordre qui donnèrent lieu à de nombreuses modifications ; six fois le texte fut retouché et perfectionné. Multiples furent les reviseurs : théologiens consulteurs ; cardinaux, au nombre de 21 constitués le 22 mars 1854 en congrégation consultative ; archevêques et évêques présents ou mandés à Rome et formant séance du 20 au 24 novembre sous la présidence des cardinaux Brunelli, Caterini et Santucci. Diverses remarques faites en ces circonstances méritent d’être relevées, pour la lumière qu’elles projettent, soit en général sur la rédaction de la bulle Incllabilis, soit en particulier sur le sens et la portée de la définition dogmatique du 8 décembre.

Dans les trois premiers schèmes, celui du P. Perrone et les deux suivants, les noms des Pères ou des écrivains ecclésiastiques dont on donnait les témoignages étaient exprimés ; supprimés dans le quatrième, ils reparurent dans les autres, mais mis en note, au bas des pages, avec les titres des ouvrages, comme on peut le voir dans les Atti, p. 125, 151, 177, 259. Sur l’observation faite en dernier lieu par un certain nombre de cardinaux, que, sous cette forme, la bulle ressemblait trop à une dissertation d’allure polémique ou scolastique, les références furent supprimées. Les témoignages furent simplement utilisés et groupés d’après un ordre logique ou systématique, répondant aux idées qu’ils expriment ou à la façon dont ils les expriment.

Mention fut faite des adversaires de la pieuse croyance qui avaient prétendu rejeter la sanctification de Marie au second instant de son existence, ou sub stituer, comme objet du culte, la sanctification à la conception ; mais rien ne fut dit de l’opposition de saint Bernard et des grands docteurs du xiii’siècle, malgré quelques remarques, une notamment du cardinal Robert ! . Alti, p. 282. En réalité, alors comme maintenant, on ne s’accordait pas sur la question préalable, à savoir si ces docteurs furent réellement opposés à la pieuse croyance, entendue de la conception passive ef consommée, dans le sens de la définition projetée. En outre, on voulait éviter tout ce qui pourrait être cause de froissements entre catholiques.

Un seul texte scripturaire, Gen., iii, 15, avait été indiqué dans la Sylloge degli argomenti, ei il y figurait comme argument distinct, sans référence à l’exégèse patristique ou ecclésiastique. Nous avons vu que les théologiens de la Commission spéciale ajoutèrent au Protévangile la salutation angélique, mais en considérant la preuve tirée de l’un et de l’autre comme dépendant, dans son efficacité, des données traditionnelles. Cette manière de voir, partagée par les évêques et les cardinaux, ne fut pas sans influence sur la rédaction dernière, suivant cette remarque de Mgr Malou. op. cit., t. i, p. 246 : « Dans la bulle qui contient la définition du mystère. (Pie IX) n’insiste pas sur les témoignages de l’Écriture comme s’ils formaient un argument à part ; mais il les lie, si je puis parler ainsi, aux témoignages des Pères qui en ont déterminé le sens. »

Des évêques objectèrent que beaucoup des textes empruntés aux Pères ou aux écrivains ecclésiastiques ne s’appliquaient pas à la conception de Marie. Mgr Malou, de Bruges, répondit que la sainteté affirmée d’une façon indéfinie entraînait la conception immaculée ; il suffisait donc, pour tout accorder, de distinguer entre les preuves directes et les indirectes. Alti, t. II, p. 207. Réponse importante dans la pratique. En face des témoignages indirects, la question n’est pas : Ces témoignages expriment-ils l’exemption du péché originel ou la conception immaculée ? mais seulement : La notion plus générale, que ces témoignages expriment, contient-elle cette exemption ou cette conception, soit implicitement, soit virtuellement (abstraction faite de ce qui peut être une pure querelle de mots), comme le tout contient la partie, comme l’universel contient le particulier, comme les prémisses contiennent la conclusion, comme une vérité en appelle une autre, ou par contraste, quand l’une exclut l’autre ou par connexion, quand les deux ont un rapport mutuel ?

L’argument fondé sur l’autorité de l’Église romaine sanctionnant la fête et la croyance, avec énuméralion des interventions répétées et toujours de plus en plus expressives des souverains pontifes, ne venait d’abord dans les projets de bulle qu’en second lieu, après l’exposé des monuments relatifs à l’ancienne tradition. Des évêques proposèrent d’intervertir l’ordre, afin de mieux relever l’importance de la preuve tirée du fait de l’Église, » comme ayant pour les catholiques une valeur péremptoire. Ainsi fut fait, Pie IX lui-même s’étant prononcé pour l’interversion. Atti, p. 207, 235, 291, 300.

En 1849, un prêtre de la Congrégation de l’Oratoire de Venise avait publié une dissertation insérée dans le » Pareri, t. v, p. 663, où il s’efforçait de montrer que la mère de Dieu a été préservée non seulement de la faute originelle, mais encore de toute obligation de la contracter, da ogni débita iFinconlrarla. Un membre de la Consulte Ihéologique, Pierre Biancheri. proposa, dans le même sens, d’attribuer à la bienheureuse X’ierge le privilège de l’exemption par rapport à la nécessité de contracter la tache héréditaire non moins que par rapport à la tache elle-même. Atti, t. i, p. 528, 532. La proposition resta sans écho.

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Une autre question fut soulevée dans la réunion des évêques. Celui d’Ugento, Mgr François Bruni, demanda qu’on ne se contentât pas d’écarter de Marie la tache du péché proprement dit, qui affecte l’âme, mais qu’on la déclarât aussi préservée et exempte de la concupiscence ou foyer du péché, sed etiam a fomite et concupiscentia prseservedam et immunem fuisse. Atti, t. II, p. 243 sq. La motion ne fut pas agréée ; mais cet évêque fut plus heureux dans l’avis qu’il avait suggéré de faire porter l’exemption de la faute originelle sur la personne de Marie, et non sur l’âme seule : de persona, non de sola anima, asserenda sit, contrairement à la formule, empruntée à la bulle Sollicitudo, d’Alexandre VIT, qui se lisait jusqu’alors dans les schèmes : animam beatissimæ Virginis, cum primum fuit creata et in suum corpus injusa… Le cardinal Joseph Pecci, évêque de Gubbio, soutint cet avis : il fallait, dit-il, éviter toutes les expressions qui pourraient ramener l’opposition, mise jadis par les théologiens scolastiques entre le corps et l’âme au sujet de la conception de la bienheureuse Vierge et, dans ce but. faire tomber la définition sur la personne, ita ut definitio respiceret personau. Conformément à ce vœu, on remplaça le mot an/mam par ces autres : beatissimam virginem Mariam. Atti, t. ii, p. 38, 87, 243, 292, 312.

Comment l’immaculée conception a-t-elle été révélée : d’une façon explicite ou implicite ? Cette question fut discutée, sans être résolue. Divergents avaient été les avis des membres de la Consulte théologique : quelques-uns s’étaient contentés de conclure d’une façon indéterminée à l’existence d’une révélation, soit explicite, soit impUcite ; d’autres, très peu nombreux, s’étalent prononcés pour une révélation explicite ; la plupart avaient soutenu ou supposé une révélation implicite. La même divergence se manifesta dans les délibérations des évêques. Mgr Kenrick, archevêque de Baltimore, observa que le plus grand nombre parmi les catholiques ne croyaient pas à une révélation explicite, quam tamen PLESIQUE catholici non agnoscuni. Atti, t. II, p. 231.

Au même ordre d’idées se rattache une autre controverse. Dans le premier schème, comme dans sa Disquisilio tlieologica, le P. Perrone parlait comme s’il y avait eu croyance explicite à l’immaculée conception dès l’âge anténicéen ; il s’appuyait sur divers arguments : lettre des prêtres d’Achaïe sur le martyre de saint André, textes de saint Hippolyte et de saint Denys d’Alexandrie, passages où saint Justin, saint Irénée et autres Pères établissent une antithèse entre l’ancienne et la nouvelle Eve. Aussi la formule de définition, telle qu’elle était exprimée dans ce schème, contenait-elle l’affirmation d’une doctrine constante de l’Église relativement au privilège mariai : CONSTAN-TEM FvrssE et esse catholicee Ecclesias doctrinam. Atti, t. II, p. 38. Trois sur cinq des théologiens chargés de reviser la pièce critiquèrent l’assertion. Mgr Tizzani et un autre s’en prirent aux textes allégués, comme n’étant pas des premiers siècles ou comme n’affirmant rien de plus que l’intérgité virginale. Le P. Paul de Saint-Joseph, religieux carme, rappela les objections vives et persévérantes que la doctrine de la conception sans tache avait rencontrées, la réserve prolongée des souverains pontifes, etc. Il fut tenu compte de ces observations, mais incomplètement, car les termes constantem fuisse, restèrent dans les schèmes suivants jusqu’au septième ou avant-dernier. Ibid., p. 88, 116, 140, 164, 192. Dans les réunions des évêques et des cardinaux, les protestations recommencèrent. On renouvela les critiques contre l’authenticité ou la force probante des textes allégués. Mgr Kenrick contesta nettement l’existence d’une tradition primitive formelle : pendant plusieurs siècles, il ne fut pas question

de la conception de Marie. Mgr Athanase Bonaventure, évoque de Lipari, parla d’une croyance d’abord implicite, et plus tard seulement explicite. Des prélats allemands, en particulier les archevêques de Munich, de Vienne et de Prague, Mgr de Reizach, Mgr de Rauscher et le cardinal de Schwartzeuberg, accentuèrent la difficulté dans des observations motivées : Je ne comprends pas, dit le dernier, comment on peut affirmer et réaffirmer que la pieuse croyance s’est manifestée des les premiers temps de l’Église par des témoignages clairs et indubitables, que la tradition a toujours existé. » Finalement, les termes contestés disparurent dans le huitième schème et dans le texte définitif. Atti, t. II, p. 208 sq., 215, 217, 274, 295.

La conclusion des travaux préparatoires eut lieu le l*’décembre. Ce jour-là, Pie IX tint un consistoire secret ; après une courte allocution adressée aux cardinaux, il leur demanda s’ils étaient d’avis qu’il procédât à la définition dogmatique : Placetne igitur Vobis, ut dogmaticum de immaculata beatissimæ virginis Mariée conccptione proferamus decretum ? Les cardinaux ayant acquiescé, les débats furent clos, et le pape assigna le huit décembre, jour de la fête, pour la promulgation solennelle du dogme : Itaque iam nunc diem octavum huius mensis decembris, quo de gloriosissims Virginis conceptione festum ab universa Ecclesia concelebratur, indicimus pro emittendo ac vulgando hoc décréta. Atti, p. 275.

La collection déjà citée des Pareri delV Episcopalo, Mgr Vincenzo Sardi, La solenne definizione del dogma delV immacolato concepimento di Maria santissima. Attie documenti pubblicali nel cinquanlesinw anniversario délia slesta definizione, Rome, 1905 ; Roskovâny, op. cit., t. iv, vi ; J. Perrone, S. J., De immaculalo beatissimie virginis Maria conceptu, an dogmatico décréta definiri possit, Rome, 1847 ; éd. altéra emendata. Munster, 1848, dans Pareri, t. vi, p. 309 ; PierreBiancheri, prêtre de la Congrégation de laMission, Voto in forma di dissertazione sulla definizione dogmatica delV immacolato concepimenlo délia beatissima Virgine Maria, Tivoli, 1848, dans AUi, t. i, p. 272, et Pareri, t. V, p. 181 ; dom Guéranger, Mémoire sur la question de l’immaculée conception de la très sainte Vierge, Paris, 1850, dans Parerift. vii, p. 1 ; Pierre Gual, O. M., Délia definibilità délia concezione immacolala di Maria, Rome, 1852, dans Pareri, t. viii, p. 1 ; Antoine Ballerini, S. J., Sylloge monumentorum ad mysterium conceptionis immaculatæ virginis Deiparæ illustrandum, Rome, 1854, dans Pareri, t. x ; C. Passaglia., De immaculalo Deiparœsemper virginis conceptu commentarius, Rome, 1854 ; card. Gousset, La croyance générale et constante de l’Église touchant l’immaculée conception de la bienheureuse vierge Marie, prouvée principalement par les constitutions et les actes des papes, par les lettres et les actes des évêques, par l’enseignement des Pères et des docteurs de tous les temps, Paris, 1855 ; Mgr Malou, op. cit., 1. 1, c. vii, p. 217 sq. ; t. ii, c. xii, § 5.

IV. LA BULLE INEFFABIUS DEUS : STNTBÈSB DES

PREDVES. — L’acte décisif fut accompli le 8 décembre 1854, par la lecture officielle du document pontifical qui contenait, dans sa dernière partie, la formule de définition dogmatique. Le texte a été donné et expliqué au début de cet article, col. 845. Reste à parler du préambule ou partie d’exposition, sorte de résumé, du long travail d’élaboration qui s’était fait dans l’Église depuis des siècles et qui était devenu plus intense à l’approche du terme. On se rappellera la remarque faite, col. 848, que seule la définition est garantie par l’infaillibilité pontificale et exige un acte de foi.

1 » L’exposé historico-dottrinal. — Pie IX commence par énoncer la raison dernière des insignes privilèges accordés à Marie : c’est l’union étroite qui, dans le plan divin, existe entre elle et le Verbe incarné. De toute éternité Dieu le Père décréta le rachat du genre humain par son Fils unique, et il lui choisit une mère, aimée dès lors d’un amour de prédilection. De là ces trésors incomparables de grâce qui, dans une mère de

Dieu, étaient de toute convenance, et quidem decebai omnlno, en particulier, une parfaite exemption du péché et une pleine victoire sur l’antique serpent.

Vient ensuite le fondement principal de la définition. Il est emprunté à la tradition de l’Église, considérée au sens actif ou subjectif de règle vivante de la croyance, à laquelle il appartient d’interpréter et de sanctionner les vérités transmises de siècle en siècle. Cette tradition nous est présentée d’abord dans sa dernière période, celle où la croyance à la conception sans tache s’accentue, se fixe et s’impose. Divers facteurs concourent au résultat : ordres religieux, universités, docteurs les mieux versés dans la science des choses divines, évêques agissant à titre individuel ou collectif. Mais le facteur décisif, auquel tout le reste est subordonné, c’est l’attitude du magistère suprême, manifestée par les actes multiples et de plus en plus expressifs des pontifes romains en faveur de l’exemption, et aboutissant enfinàl’institutionet àl’imposition d’une fête ayant pour objet la conception même de Marie, avec cette circonstance notable, que, dans les monuments liturgiques qui s’y rapportent, les termes dont la sainte Écriture se sert en parlant de la Sagesse incréée et de son éternelle génération, sont adaptés à l’origine de la mère de Dieu.

Tous ces facteurs supposent, comme fondement ultérieur, une tradition qui avait précédé, celle des saints Pères et des écrivains ecclésiastiques anciens, dont l’enseignement, de moins en moins explicite à mesure qu’on remonte davantage le cours des siècles, e » t comparable à une esquisse et à des semailles : si qua antiquilus injormata sunt, et Palrum fides sévit. Multiples sont les manifestations de ce genre. Ces anciens témoins. Pères et écrivains ecclésiastiques, ont vu dans le Protévangile, Gen., iii, 15, Notre-Seigneur Jésus-Christ, rédempteur du genre humain, et sa très sainte mère, unis dans une commune inimitié contre l’antique serpent. Pour signifier la victoire singulière de la Vierge mère, son innocence, sa pureté, son Insigne sainteté, son exemption de toute tache du péché, l’abondance ineffable des grâces, des vertus et des privilèges dont elle a été complée, ils lui ont appliqué diverses figures de l’Ancien Testament, saluant en elle : l’arche de Noé sortie indemne de l’universel naufrage ; l’échelle de Jacob qui s’étend de la terre au ciel et dont le Seigneur lui-même occupe le sommet ; le buisson ardent qui, au milieu des flammes pétillantes, ne se consume pas ni ne souffre de perte ou de diminution, mais verdit et fleurit d’une façon merveilleuse ; la tour inexpugnable placée en face de l’ennemi ; le jardin fermé dont l’accès ne peut être forcé ; la lumineuse cité de Dieu, dont les fondements reposent sur les saintes montagnes ; le très auguste temple de Dieu qui, brillant des splendeurs célestes, est rempli de la gloire du Seigneur.

Aux (igures succèdent les expressions symboliques, empruntées aux prophètes, pour désigner la somme des grâces reçues par Marie et son intégrité originelle : pure colombe, sainte Jérusalem, sublime trône de Dieu, maison et arche de sanctification que l’éternelle Sagesse s’est construite, reine appuyée sur son bienaiméet sortie de la bouche du Très-Haut toute parfaite, toute belle, tout agréable aux yeux de Dieu.

Dans les paroles adressées à la Vierge par l’archange Gabriel et par sainte Elisabeth, les Pères ne voient pas seulement une salutation extraordinaire, unique en son genre, ils y trouvent l’indice d’une bénédiction qui exclut toute idée de malédiction et d’une plénitude de grâce qui appelle une sainteté, une innocence supérieure à celle de toute autre créature et dont la sublime dignité qui en est le fondement, la dignité de mère de Dieu, peut seule faire entrevoir l’étendue.

Comparant Marie avec Eve jouissant encore de

l’innocence originelle, ils ne se contentent pas de les mettre sur un pied d’égalité ; dans une antithèse frappante, ils élèvent la seconde Eve bien au-dessus de la première et mettent particulièrement en relief ce trait significatif : l’une perdit l’innocence et l’amitié divine pour avoir prêté l’oreille aux insinuations perfides du serpent ; l’autre, au contraire, fit toujours progresser le don primitif et, loin de prêter l’oreille aux insinuations de l’ennemi, ébranla jusqu’aux fondements sa puissance et son empire par la force dont Dieu la revêtit.

De là tant d’appellations où l’idée d’innocence et de pureté apparaît, appliquée à la Vierge dans un sens comparatif ou alisolu : lis parmi les épines ; terre absolument intacte, sans tache, sans souillure, toujours libre et exempte de toute contagion du péché ; terre dont le nouvel Adam a été formé ; paradis d’innocence, d’immortalité et de délices, irréprochaljle, tout lumineux et tout agréable, planté par Dieu lui-même et protégé contre toutes les embûches du serpent venimeux ; bois incorruptible, que le ver du péché n’a jamais pu atteindre ; fontaine toujours limpide et scellée par la vertu de l’Esprit Saint ; temple tout divin ; unique et seule fille, non de la mort, mais de la vie ; rejeton non de colère, mais de grâce, qui, par une providence spéciale de Dieu, en dehors des lois établies et communes, est sorti d’une racine corrompue et infectée, sans jamais être privée de sa verdure.

Les affirmations en termes propres et précis s’ajoutent au langage métaphorique. Les Pères ne veulent pas que, là où il s’agit de péché, la mère de Dieu soit mise en cause ; ils la déclarent exempte, par privilège, de toute tache ou souillure du corps, de l’âme et de l’esprit, toujours vivante en Dieu, toujours unie à lui, toujours dans la lumière et jamais dans les ténèbres, demeure digne du Christ par la grâce originelle. Particulièrement expressifs sont les termes dont ils font usage en parlant de la Vierge considérée dans sa conception : fruit de grâce ; première-née, comme future mère du premier-né, apparaissant dès le début comme une aurore d’une éblouissante pureté ; tabernacle créé par Dieu lui-même ou formé par le Saint-Esprit ; vase d’élection qui ne devait avoir de commun avec les autres enfants d’Adam que la nature, et non les fautes ni les taches.

La même croyance se manifeste dans les formules d’éminence ou de transcendance si fréquentes chez les écrivains ecclésiastiques, quand ils appellent Marie non seulement immaculée, innocente, exempte de tache, sainte et pure, mais tout immaculée, tout innocente, toute sans tache, étrangère aux moindres souillures du péché, toute pure et intacte, le type et le modèle môme de l’innocence et de la pureté, plus belle que la beauté, plus gracieuse que la grâce, plus sainte que la sainteté, seule sainte, au-dessus de toute intégrité et de toute virginité, seule devenue tout entière le domicile et le sanctuaire des grâces de l’Esprit Saint, en sorte qu’en dehors de Dieu, rien n’égale sa mère, plus belle, plus noble, plus sainte par sa grâce native que les chérubins, les séraphins et toute l’armée céleste.

Enfin, c’est la voix des liturgies qui se mêle à celle des Pères et des autres écrivains pour saluer la mère de Dieu ou l’invoquer dans des termes non moins louangeurs : colombe toute belle et sans tache ; rose toujours fleurie, absolument pure, toujours innocente et sainte ; innocence qui n’a jamais été blessée ; nouvelle Eve qui a enfanté l’Emmanuel.

En somme, pour résumer tout cet exposé avec la bulle elle-même, § Nil igitur minim, l’immaculée conception de la bienheureuse Vierge nous est présentée comme « une doctrine qui. au jugement des Pères, est consignée dans les saintes Lettres, qu’ils ont eux

mêmes transmise en des témoignages graves et nombreux, que la vénérable antiquité professe souvent dans d’insignes monuments et que, finalement, l’Église a revêtue, en la proposant elle-même, de sa haute et souveraine autorité. »

2° Synthèse des preuves et connexion du dogme avec la révélation divine. — Nous retrouvons dans la bulle de définition les chefs de preuves indiqués dans le Sylloge degli argomenti, col. 1201 : convenance, Écriture sainte, tradition patristique, fête de la Conception, sentiment de l’Église universelle. Mais les trois dernières preuves rentrent, comme parties intégrantes, dans l’argument de tradition pris dans son ensemble.

1. Convenance.

Dans la bulle comme dans le Sylloge, cette preuve est rattachée au titre de mère de Dieu et au rôle unique qui en résulte pour Marie dans l’œuvre de la rédemption. Il ne s’agit pas de la simple convenance qui s’attache à tout ce que Dieu opère effectivement, convenientia rei factæ ; il s’agit d’une convenance spéciale, fondée sur un titre qui appelle positivement le privilège, convenientia rei faciendee, et dès lors s’imposant moralement à l’être parfait qu’est Dieu. Que cet argument ait des racines profondes dans l’ancienne tradition, toute l’étude présente le démontre. Nous l’avons rencontré de bonne heure chez les Pères grecs et latins. Au xii » siècle, les champions de l’immaculée conception, Eadmer et ses associés, en firent particulièrement usage. Scot et ses disciples le développèrent : Potuit, decuit, fecit. Nous avons vu quel parti en ont tiré des orateurs, comme Gerson, Bossuet et autres. Les simples fidèles allaient comme d’instinct à la même conclusion ; de là ce que nous avons constaté plus d’une fois, des sentiments d’étonnement, de malaise, et parfois d’irritation, quand un prédicateur osait attaquer publiquement la sainte conception de la mère de Dieu. Cet argument mène-t-il jusqu’au dogme, tel qu’il a été défini par Pie IX ? S’il permet d’affirmer la réalité du privilège, il ne semble pas que, pris en soi, et d’une façon abstraite, il suffise à l’établir comme vérité divinement révélée. N’avons-nous pas rencontré, au cours de cette étude, des théologiens graves qui admettaient cet argument et sa valeur probante, et qui, pourtant, ne considéraient pas le privilège comme définissable de foi divine ? Mais rares ont dû être ceux qui se sont cantonnés dans ce point de vue partiel et étroit.

2. Écriture sainte.

Les deux textes cités dans la bulle, Gen., iii, 15 et Luc, i, 28, 42, ont été utilisés par les Pères et les écrivains ecclésiastiques. Voir col. 853 sq., 862 sq. Des explications données il résulte que, d’après un grand nombre de théologiens, ces textes, pris sous la lumière de l’interprétation patristique et ecclésiastique, contiennent un témoignage implicite en faveur du privilège. Dom Guéranger écrivait dans son Mémoire, § 6 : » Nous conviendrons volontiers que ces divers textes ne forment pas une démonstration évidente ; mais il faut bien reconnaître aussi que, si une définition favorable Intervenait, le sens de ces textes serait définitivement fixé, et ils acquerraient une valeur de preuve positive qui leur manque jusqu’à présent. » La définition du 8 décembre 1854 n’a pas porté sur ces textes ; il reste seulement qu’ils ont été jugés assez solides pour figurer dans l’exposé doctrinal qui précède la définition et tend à la justifier.

3. Tradition, — C’est comme organe actif, manifestant, transmettant ou sanctionnant la croyance à la conception sans tache de Marie, que la tradition est invoquée dans la bulle : témoignages des Pères, implicites ou explicites, généraux ou particuliers ; célébration de la fête dans le sens immaculiste, en Orient et en Occident ; dans l’Église catholique, à un moment donné, croyance commune des fidèles et des pasteurs,

sanctionnée finalement par l’adhésion du magistère suprême. A ce dernier stage, la preuve est achevée ; preuve indirecte et de pure autorité, il est vrai, mats décisive, puisqu’elle s’appuie sur la promesse d’inerrance faite à l’Église par son fondateur. Là est le dernier mot pour les catholiques ; s’ils croient que l’immaculée conception de Marie est une vérité divinement révélée, c’est surtout à cause de l’autorité infaillible de l’Église qui l’a solennellement affirmée.

Un problème grave n’en subsiste pas moins : Comment la tradition patristique, qui se trouve à la base du reste, se rattache-t-elle à la révélation ? Problème dont la solution est d’autant plus délicate que, suivant l’explication donnée, col. 847, la définition a porté sur le seul fait de la révélation, esse a Deo revelatam, sans que le mode ait été spécifié ni, par conséquent, la façon dont le privilège est contenu dans le dépôt primitif. Parmi les membres de la Consulte théologique établie par Pie IX, quelques-uns soutinrent l’hypothèse d’une tradition orale et formelle, datant des apôtres et suffisant à elle seule pour légitimer une définition. Les autres, en beaucoup plus grand nombre, n’allèrent pas si loin ; ils jugèrent seulement que la tradition active se présentait dans des conditions qui garantissaient une connexion objective entre l’immaculée conception comme vérité transmise et le dépôt primitif. Ce qui peut se vérifier indépendamment d’une tradition orale et formelle d’origine apostolique ; il suffit, en effet, que la tradition active exprime une vérité implicitement contenue soit dans une vérité révélée d’une portée plus générale, soit dans les saintes Lettres, interprétées à la lumière de la foi et de la doctrine catholique.

La théorie d’une tradition orale et formelle d’origine apostolique apparaît, chez beaucoup de ceux qui l’ont soutenue, comme dépendante de documents apocrj’phes ou de témoignages sans valeur probante. A ceux-là on a le droit de rappeler l’aveu fait dans le Sylloge degli argomenti : « Il n’y a pas lieu de disconvenir que, parmi les Pères et les autres écrivains qui ont vécu dans les premiers siècles de l’Église, on n’en a pas encore trouvé qui aient affirmé clairement, apertis verbis, l’immaculée conception de la bienheureuseVierge. « Voir col. 873. Même dégagée de cette fausse monnaie et appuyée seulement sur les témoignages plus sérieux de saint Éphrem, de saint Augustin et autres du même genre, donnés comme indices d’une croyance commune qui aurait précédé, cette hypothèse reste sujette à de réelles difficultés. On ne s’explique alors ni l’absence de témoignages formels pendant plusieurs siècles, ni les controverses si vives et si prolongées qui ont existé plus tard. Partir du fait que la croyance au privilège se manifeste nettement à telle époque, pour inférer qu’elle existait aussi dans une période antérieure, c’est s’exposer, dans l’occurrence, à commettre une pétition de principe : il faudrait d’abord prouver que, par sa nature, l’immaculée conception fait partie de ces vérités fondamentales qui, dès le début, ont dû être crues d’une façon explicite.

Beaucoup plus vraisemblable est l’opinion de ceux qui se contentent d’une révélation implicite du glorieux privilège ; révélation dont ils cherchent le fondement, soit dans les deux principaux textes scripturaires, Gen., iii, 15 et Luc, I, 28, 42, mis en parallèle et éclairés l’un par l’autre sous la lumière de l’interprétation patristique et ecclésiastique, soit dans une vérité révélée d’une portée assez générale pour englober l’immaculée conception, comme paraît être la notion de mère de Dieu. Non pas la notion simple ou abstraite qui s’arrêterait au rapport de génération physique ; mais la notion historique et concrète, telle qu’elle a été insinuée dans la sainte Écritiu-e et com

prise par la tradition : celle d’une mère dont Jésus-Christ, le nouvel Adam, a daigné faire son associée dans l’œuvre de la rédemption, qu’il a voulu traiter en fils aimant et qu’il a ornée d’une sainteté proportionnée à sa dignité et à son rôle. C’est cette notion historique et concrète de Marie, mère de Dieu, qui est devenue pour les Pères et les anciens auteurs ecclésiastiques comme une va. eur première dont ils ont exploité l’inépuisable contenu.

Sous cet aspect, le privilège de l’immaculée conception rentre, comme un détail, dans les perfections propres à la mère du Verbe incarné, telle qu’elle a été voulue, et décemment voulue par Dieu. C’est Marie sainte et pure, quand son âme sort des mains du créateur et s’unit au corps qui devait porter l’Homme-Dieu ; Marie sainte et pure alors comme en sa naissance, comme au jour de l’Annonciation, comme dans rinefïable nuit de l’enfantement divin, comme dans toutes les circonstances de sa vie unique. Rien de plus juste que cette réflexion de Scheeben, art. Empjàngnis dans K.irchenlexikon, 2’(à.W.., t. iv, col. 462 : « Pourbien apprécier la place de cette doctrine dans la tradition, il ne faut pas la considérer comme une vérité isolée, mais comme faisant partie de l’idée générale que l’ÉgUse a toujours eue de la sainteté de Marie et de son rôle dans l’économie de la rédemption. »

La synthèse des preuves de l’immaculée conception, commencée longtemps avant la définition par les principaux défenseurs du privilège, se trouve, perlectionnée et complétée, surtout au point de vue scripturaire et patristique, dans les cours de théologie plus récents. La plupart des auteurs touchent la question dans le De Verbo incarnato : Scheeben, Handbiich der katholisclien Dogmatik, t. iii, p. 279, Fribourg-en-Brisgau, lH82 ;.J.foMe, LehrbuchderDogmalik, 4e édit., Paderborn., 1909, t. n-, q. 257 ; trad. angl. sous le titre de Mariology, par A. Preuss, Saint-Louis (Mo.), 1914 ; L. Janssens, De Deo hnmine, t. ii, p. 30 ; G. Van Noort, De Deo redemptnrc, sect. iii, 2e édit., Amsterdam, 1910. D’autres rattachent la question au péché originel : Palmieri, Traclatus de peccato originali et de immaculalo B. V. Deiparæ conccplu, 2e édit, Home, 1904 ; Ch. Pesch, De Deo créante et élevante, sect. iv, a. 4. D’autres, formant de la.Mariologic un traité distinct, y font naturellement rentrer l’immaculée conception : A. M. Lépicicr, Traclatus de B. virgine Maria mulrc Dei, part. U, c. 1.3, 3e édit., Paris, 1906 ; C, Van Crombrugghe, Traclatus de B. virgine Maria, c. iii, Gand, 191.’J.