Dictionnaire de théologie catholique/JÉSUS-CHRIST II. Jésus-Christ et les documents de l'âge apostolique 1. Considérations préliminaires

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.1 : ISAAC - JEUNEp. 575-579).

II. JÉSUS-CHRIST ET LES DOCUMENTS DE L’AGE apostolique.


I. Considérations préliminaires.
II..Manifestation humaine de.lesusChrist (col. 1140).
III. Manifestation messianique et divine de Jésus-Christ (col. 1172).

I. Considérations préliminaihl.s. — 1° Les sources. — C’est à dessein que nous —, oulons restreindre, dans cette étude théologique, nos sources aux écrits inspirés du Nouveau Testament. Outre que le caractère même de l’étude nous y invite, le peu d’utilité des autres sources nous dispenserait d’y recourir. 1. Sans doute, les documents d’origine non chrétienne, les témoignages de Josèphe, Ant. jud., XVIII, m, 3 ; XX. ix, 1 (le second seul est certainement authentique) ; de Pline le jeune, Epist., t. X, xcvn ; de Tacite, Annal., xv, 44 ; de Suétone. Vita Claudii, xxv ; les traits satiriques de l’épicurien Lucien à l’adresse du « sophiste crucifié i, dans son ouvrage, La mort de Pérégrin ; le pamphlet de Celsc, dont Origène nous a conservé de nombreux extraits, ont une valeur incontestable pour attester ou confirmer le fait de l’existence de Jésus-Christ ; mais ils ne nous apportent aucun fait nouveau digne de retenir notre attention. Voir ces textes dans Kireh, Enehiridion fontium historiée ecclesiastica antiques, n. 5-7 ; 22-24 ; 28 ; 31 : 33-34. Sur l’ensemble de ces lestes, Kurt Llnck, De anliquisstmis veterum quæ ml Jesum Nazarenum spectant testtmontis, dans Religtonsgeschichtliche Versuche mut Vorarbetten, (iiessen, in :  ;, t. i. rase. 1. Sur les témoignages de Josèphe : Bohle, Flavius Josephus ûber Christus und <lic Cliristen, Brlxen, 1896 ; et spécialement sur l’authenticité du preti i ici. M. I’.ni kitt, JoSepltUS and Christ, mémoire publie dans les Actes du l F’congrès international <f Histoire des rehgions tenu à Leide fTheologisch Tljdschrlft, 1913), p. Fiant ; a. Eiarnack, ihr jiidtsche Geschichlschretber Josephus und Jésus christus, dans Internationale Monatschrifi fiir wissenscha/t. Kunsi und Teknik, 1913, t. vu. p. 1037 sq. ; el F. liâmes, The contemporaru Revtew, janvier mil, contre l’authenticité, Mur Battffol, i-e silence (hJosèphe ; dans Orpheus ei V Évangile, Paris, 1910, p. 1-24. fÉSUS-CHRIST ET LES DOCUMENTS DE L’AGE APOSTOLIQUE Il M Le Talmud, surtout dans la Ghemara, tait également mention de Jésus. Mais, autour de traits historiques empruntés à nos évangiles, il groupe tant de fables odieuses, empreintes de la haine du nom chrétien, qu’on ne peut le considérer comme une source à laquelle le théologien puisse recourir. Tout au plus peut-il nous aider à mieux connaître le milieu dans lequel a vécu le Sauveur. 2. Plus intéressants seraient les documents d’origine chrétienne, mais non canoniques. On peut les rattacher à trois groupes. — a) Les Agrapha, (ïypaça, non écrits, non recueillis par les évangélistes, consistent en un certain nombre de paroles attribuées à Jésus, mais qui n’ont trouvé plæe dans aucun des évangiles inspires. Il est bien difficile de préciser quelles paroles pourraient être considérées raisonnablement comme authentiques. Voir Ae, hacha, t. t, col. 626-027. A la bibliographie, col, 627, ajoutez, en ce qui concerne la liste des principaux Dicta, Preuschen, Antilegomena, die Reste dcr ausserkanonischen Eoangelien und ur christtichen L’cberliejerungen, 2e édit.. Giesscn, 1905, p. 21-31 ; en ce qui concerne les nouveaux Agraphu découverts sur des papyrus égyptiens, O.Bardenhewer, Geschichte der altkirchlichen Litteratur, 2e édit., 1902 t. i. p. 389-391 ; Grenfell et Hunt, A6yux’lt)aoï>, Sai/ings o( Our Lord from an early Greek Papyrus, Londr.s. 1907 ; Th. Zalin, Die jiingsl gefundenen Ausprùche Jcsu. dans Theologisches Lilleralurblalt, 1897, p. 417-420, 425-431 ; A. Harnack, Ueber die jûngst entdeckten Sprilche Jesu, 1897 ; P. Batilïol, Les Logia du papyrus de Behnesa, dans Revue biblique, 1897, p. 501-515 ; et Nouveaux Fragments éuangéliques de Behnesa, ibid.. 1904, p. 481-490 ; Ch. Taylor, The Oxyrrhyncus Logia and the apocryphal Gospels, Oxford. 1899 : V. Bauer, Das Lcben Jesu im Zcitaller der neutestament. Apocryphen, Tubingue, 1909, p. 377415 ; Evelyn White, The Sayings of Jésus from Oxyrrhyncus. Cambridge, 1920. — b) Les plus anciens Pères .nous apportent, grâce à la tradition relativement courte qui les relie à Jésus, différents détails qui, s’ils n’enrichissent que faiblement notre documentation méritent cependant d’être accueillis avec reconnaissance. S. Justin, Dial. cam Tryphone, c. xliii, xlv, c, P. G., t. vi, col. 568, 572, 71 >9 ; S. Irénée, Cont. huer., I. III, c. x.xi, n. 3. P. G., t. vii, col. 950, affirment que la sainte Vierge appartenait à la race de David. Jules l’Africain décrit l’arbre généalogique de la sainte Famille et mentionne ses différentes résidences. Eusèbe, II. E., 1. I. c. vii, P. G., t. xx, col. 89. Hégésippe emmure les plus proches parents de NotrcSeigneur. /<L, ibid., t. II, c. xxiii, n. 1-1 ; t. III, c. xx, n. 1-2, P. G., t. xx, col. 197 : 252. Clément d’Alexandrie signale les noms de plusieurs des soixante-douze disciples, Strom., t. II, c. xx, n. 116, P. G., t. viii, col. 1062 ; et les Homélies clémentines citent ceux de la Cananéenne et de sa fille, Justine et Bérénice, Nom clément., ii, n. 19 ; iii, n. 73, P. G., t. ii, col. 88 ; 157. D’après Eusèbe, H. E., t. I, c. xiii, P. G., t. xx, col. 120, l’hémorrhoïsse était de Panéas ou Césarée de Philippe, et avait élevé dans sa ville natale un monument commémoratif de sa guérison. Clément d’Alexandrie, Strom., t. VI, c v, P. G., t. ix, col. 264, nous fait connaître les dernières recommandations intimées par Jésus a ses disciples et l’ordre qu’il leur aurait donné de ne quitter Jérusalem que douze ans après son ascension. Papias enfin complète par quelques détails d’une extraordinaire invraisemblani que saint Matthieu et les actes des Apôtres nous apprennent de la mort de Judas. Voir F. X. Punk, Die aposlolischen Vûler, Tubingue, 1906, p. 129. c) Le> évangile » apocryphes, voir ce mot, t. v, col. 1’121-1610, se présentent à nous avec la prétention de compléter ce que les évangiles canoniques avaient laissé dans l’ombre, notamment la période de l’enfance du Christ, certaines circonstances de sa passion, sa descente aux enfers, sa résurrection. Les uns, composés avec des intentions honnêtes, se lancent dans des développements de pure fantaisie, où nous trouvons surtout des raisons de nous mettre en défiance et de nous lier exclusivement aux écrits canoniques. Les autres, rédigés dans le but nuisible de propager des doctrines subversives, gnosticisme ou docétisme, doivent délibérément être écartés, d’une façon générale tout au moins. Toutefois, dans les écrits de la première catégorie surtout, ou rencontre quelques grains d’or à travers beaucoup de boue, auriun in lato, dit saint Jérôme, Epist., cvii, ad Ltetam, n. 12, P. L., t. xxii, coi. S77. Mais ces grains d’or ne touchent qu’à des points très secondaires, et n’empêchent pas que les sources non canoniques de la vie de Notrc-Seigueur Jésus-Christ ne soient d’une très médiocre utilité. C’est pourquoi nos meilleurs, nos seuls auxiliaires véritables, sont les livres inspirés du Nouveau Testament, évangiles, actes des apôtres, épîtres et apocalypse. 3. Les écrits canoniques.

Toutes les questions préalables relatives à l’authenticité, l’intégrité, la crédibilité des évangiles, au caractère spirituel et cependant historique de l’évangile "de saint Jean, sont d’avance dogmatiquement tranchées par le théologien qui doit s’appuyer sur les livres saints, considérés comme inspirés. Néanmoins, très spécialement en ce qui concerne l’étude théologique de Jésus-Christ, ces questions préalables résolues indépendamment du dogme de l’inspiration évitent au théologien lui-même plus d’une difficulté et plus d’une contradiction de détail. Files seront d’ailleurs résolues au cours des articles consacrés à chacun des livres inspirés. Les évangiles ne sont pas les seuls écrits où le théologien doive aller puiser les traits du personnage divin de Jésus. Les épîtres de saint Paul, en particulier, lui sont d’une utilité incontestable. Saint Paul était le contemporain de Jésus, dans le sens strict du mot. Converti à la religion du Christ après la mort et l’ascension du Sauveur, il formule à l’endroit du Maître une doctrine d’autant plus précieuse qu’il l’a reçue directement de lui par voie de révélation intérieure, Gal., i, 12 ; cf. Eph., iii, 3, et que cette doctrine tout en continuant celle des évangiles et de L’Église naissante telle qu’elle se trouve dans les Actes des Apôtres ou les épîtres canoniques autres que celles de Jean, atteste cependant un véritable progrès dans la connaissance de la vie intime et divine du Verbe incarné. Nous venons de parler de « progrès. L’expression ne doit étonner ni scandaliser personne. La révélation n’a été close qu’avec le dernier des apôtres, et c’est dans l’évangile de saint Jean que nous trouverons le couronnement et le perfectionnement dernier de la révélation touchant le Christ. Nous admettons donc que les sources inspirées du Nouveau Testament se superposent les unes aux autres, les écrits de saint Paul nous faisant pénétrer plus avant dans la science surnaturelle de celui qui, « étant dans la forme de Dieu > ne s’est point attaché, comme n une proie jalousement défendue, a cette égalité île droits avec Dieu, i niais s’est dépouillé en prenant une forme d’esclave en devenant semblable aux hommes. (Phil., n. 5-7) : l’évangile de saint Jean nous elevan jusqu’à des hauteurs inconnues dans la vie même du Verbe de Dieu, de ce Verbe de la Vie éternelle, de cette vie éternelle qui est apparue sur la terre en la une de Jésus Christ. Cf. Joa., r, 1 i ; l Joa., i, 2-3. Mais ce Verbe s’humiliant jusqu’à notre humanité, ce Verbe de la vie, éternelle lumière di s hommes, n’est pas autre chez Paul et chez Jean que chez les synoptiques : c’est toujours le « Fils de l’homme annonçant 113£

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dans vi prédication, manifestant par ses miracles, la divinité qui l’anime. La vérité qui déjà s’affirme chez saint Matthieu, sali t.Mai cet saint Luc, se retrouve, plus approfondie sans doute et plus nettement proposée, mais substantiellement Identique, chez saint Paul et saint Jean. Les formules nouvelles de l’épttre aux Colossiens ou de l’épttre aux Hébreux et surtout du prologue de saint Jean ne cachent pas une nouvelle orientation doctrinale, niais dévoilent Simplement un aspect mieux entrevu de la même vérité éternelle.

Cette position a le mérite de tenir compte du sens véritable des textes inspirés et. par conséquent, du progrès que ce sens accuse dans la révélation ; mais, d’autre part, elle permet au théologien catholique de repousser la thèse moderniste des (’pointions successives de la pensée chrétienne, origine du dogme. Cf. Décret Lamentabili, prop. (i<>, Denzinger-Bannwart, Enchirid., n. 2060. Ainsi notre Christ, entrevu dans les lumières de la foi n’apparaît pas supérieur au Christ de l’histoire : c’est le même Christ, le Christ des synoptiques, s’étant déjà révélé aux hommes comme le Fils de Dieu. Malt h., xxvi. 63-64 ; Marc, xrv, 61-62. Mais cette position n’est possible qu’à la condition d’étudier Jésus-Christ dans les documents inspirés, suivant la loi même du progrès qui s’y affirme et de tenir compte de la place chronologique qu’occupent les textes dans la série des écrits du Nouveau Testament. Ce souci, qui s’impose au théologien consciencieux lorsqu’il s’agit de préciser les nuances doctrinales, qu’on remarque chez les synoptiques, chez saint Paul ou chez saint Jean, perd presque toute son utilité lorsqu’il s’agit de comparer les synoptiques entre eux. Ici, en effet, si parfois d’importantes nuances séparent les différents auteurs des évangiles, il est facile de démontrer qu’elles sont dues à des influences purement rédactionnelles, bien plutôt qu’à des divergences doctrinales.

L’ordre que nous entendons suivre dans l’étude des sources inspirées est celui-là même qui s’impose, sinon chronologiquement, du moins logiquement, et, pour ainsi dire, par la force même « les choses.

a t Bien que les synoptiques soient postérieurs en date à la plupart des épîtres de saint Paul, logiquement ils doivent se placer au point de départ de toute théologie de Jésus-Christ. Ils reproduisent, en effet, la substance même de l’enseignement du Maître, tel que cet enseignement est tombé des lèvres du Sauveur, tel que l’ont recueilli ses premiers disciples. Nous y retrouvons cet enseignement, avec les réticences, les

précautions, les réserves, les atténuations, en un mot. selon l’expression des Pères grecs. I’ « économie voulue par Noire-Seigneur pour ne pas compromettre l’œuvre de sa manifestation divine au monde ; mais aussi avec des indications suffisantes pour permettre a celui qui ne résiste pas a la lumière de s’élever jusqu’à la connaissance vraie de l’Homme-Dieu. Et c’est encore cette doctrine i économique i qui se manifeste dans la prédication de l’Église naissante, surtout dans la prédication apologétique (les discours des

Acies. Ne fallait il pas atteindre ton ; d’abord ceux

qu’on voulait persuader et ne les pas rebuter par des

affirmations trop nettes qui eussent éié mal coin prises ?

b) Les épi I res de saint Paul, écrits de circonstances,

ne se présentent pas comme un expose systématique de la pensée’h' l’apôtre. Les textes dogmatiques les

plus révélateurs surgissent pour ainsi dire a l’improviste. Cette remarque est plus vraie encore, s’il est possible, de la doctrine pauliiiienne louchant Jésus-Christ. E1 cependant, i le portrait moral du Sauveur, tel que | Paul] le Iræe dans ses (’pitres,, .s( d’une exac

litude remarquable et il suppose une connaissance

peu ordinaire de la vie du divin modèle. Paul ne le nulle part dans son ensemble et d’un seul jet ;

mais, en groupant les divins traits qui s’y rapportent ca et là, on obtient un tableau d’une ressemblance frappante, billion, op. cit., p. 3-L Ce portrait accuse un progrès réel sur celui des synoptiques. Pierre ne parlera-t-il pas lui-même de la sagesse qui a été accordée très spécialement à saint Paul, et des leçons difficiles à entendre que cet apôtre donne dans ses lettres ? Il Pet., m. 15-16. Encore une fois, la révélalion n’est pas close, et saint Paul est avant tout l’apôtre du Christ, transmettant le message qu’il a reçu, le dépôt qui lui a été cou lié. Choisi par Jésus lui-même pour devenir l’apôtre des Gentils, il est tout naturel que sa doctrine polie un cachet distinctif. Ce qu’on a appelé le paulinisme est vrai dans une certaine mesure. Cl. Prat. La théologie de saint l’uni. Paris. 1912, t. il, c. ii. Le problème du salut de tous préoccupe Paul, avant toute autre chose : c’est là le centre de sa théologie et les autres dogmes sont éclairés chez lui parla lumière que projette ce centre. Le Christ, pour saint Paul, est avant tout le Sauveur, le vivificateur de nos âmes, et cette pensée sotériologique nous fait pénétrer avec l’apôtre des nations plus avant dans la connaissance de Celui qui, étant dans la forme de Dieu, s’est humilié el anéanti jusqu’à la forme d’esclave, devenu homme comme nous. Mais les révélations spéciales dont fut favorisé saint Paul n’ont pas constitué un nouvel Évangile : < Il n’y a pas deux Évangiles, deux messages de salut. L’Évangile véritable, le seul, est celui que Paul enseigne d’accord avec tous les apôtres. » Prat.. op. cit.. p. 34. Cf. I Cor., xv, IL Il y a identité substantielle entre l’enseignement de Paul et celui des synoptiques. En définissant le rôle, la nature, la personnalité du Christ, et ses relations avec le Père et l’Esprit saint, saint Paul « se sentait en pleine communion d’idées avec tous les chrétiens de son temps ; il pouvait donner à la foi commune une forme qui lui était propre, il pouvait même l’enrichir et la développer, il ne la créait pas. et il était assuré cpie son enseignement provoquaitdans l’Église entière un écho profond. » Lchreton. Les origines du dogme de la Trinité. Paris, 4e édit.. 1919, p. 352.

c) Saint Jean représente un nouveau progrès sur saint Paul et sur les synoptiques. Son œuvre n’est pas seulement une combinaison de la tradition évangélique avec la doctrine pauliiiienne : elle est le résultat d’une révélation toute particulière de l’Esprit de Dieu. C’est sous l’influence de cette révélation que le disciple bien-aimé nous dévoile, dès le prologue de son évangile, le mystère du Verbe de Dieu, préexistant au monde, el qui s’est fait chair dans le temps. Ht. tout n demeurant un document historique, le quatrième évangile ne raconte pas les faits pour eux-mêmes il est écrit l pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le fils de Dieu, el alin que, croyant. VOUS ayez la ie en son nom. » xx. 31. H n’est donc pas étonnant que Jean ait cherché tout d’abord a compléter les synoptiques ; que, parmi la collection Immense des miracles de Jésus-Christ, il ait choisi les plus significatifs ci les plus révélateurs ; qu’il les ail même encadrés de réflexions et d’interprétations théologiques qui les éclairent. Ainsi Jean peu ! rapporter parfois les mêmes laits que les synoptiques ; mais il interprète ces faits d’une façon plus profonde. Et ce n’est pas seulement la réllexion personnelle qui est Ici la source

de cette interprétation, c’est l’action de l’Esprit qui éclaire les souvenirs et en révèle l’aspect le plus intime ; cf. Joa., xiv. 26.

Les discours de Jésus, dont les synoptiques n’avaient BOUVent que retenu la substance et précisé la portée morale, sont recueillis par saint Jean dans ce qu’ils ont de plus profond et de plus expressif pour la

manifestation du fils de Dieu. Les différences qu’on

remarque entre les discours des synoptiques et ceux du quatrième évangile ne doivent pas nous [aire conclure que les premiers sont inauthentiques ou que les seconds sont le produit de la pensée personnelle de l’apôtre Jean. Voir Lepin, La valeur historique du l évangile, II* partie. Paris. 1910, c. n. Il n’est pas impossible que le Christ ail eu deux manières de parler, l’une plus simple, plus populaire, l’autre plus difficile, plus relevée : la nature des vérités enseignées par lui dans saint Jean n’exige-t-elle pas cette différence de méthode. D’ailleurs l’opposition du genre des discours n’est pas absolue : le langage transcendant n’est pas absolument inconnu aux synoptiques ; ils ont bien, eux aussi, leurs passages mystérieux, et saint Jean rapporte parfois des paroles du Christ, simples et populaires, comme celle-- des synoptiques. Cf. E. Lé vesque, Nos quatre évangiles, Paris. 1917, p. 261 sq. Toutefois, si authentiques que soient tous les discours de Jé--us rapportés en saint Jean, il faut bien avouer que le choix fait par l’auteur inspiré des plus significatifs d’entre eux et le soin apporté par lui à y découvrir, à y mettre en relief le sens favorable à la gloire du Fils de Dieu, supposent une influence rédactionnelle véritable que le critique consciencieux ne saurait méconnaître. Il y a comme une fusion de l’auteur et du modèle, et peut-être est-il i impossible de distinguer, dans l’analyse théologique du livre, les discours de Jean et les réflexions de l’évangéliste. Assurément ledeux sources sont distinctes, mais elles ont tellement mêlé leurs eaux, qu’il faudrait un œil bien exercé pour les discerner ; la révélation vient authentiquement de Jésus, mais ce n’est qu’à travers l’âme de saint Jean qu’on la peut aujourd’hui percevoir et c’est l’apôtre qui, en vue du but qu’il s’était fixé. a choisi les paroles de son Maître, c’est lui qui les développe, les interprète et qui, dès le seuil de l’évangile, nous donne, dans son prologue la clef du mystère. L’évangile de saint Jean est la tunique du Christ, tunique sans couture : on ne la peut saisir que tout entière, à moins d’en déchirer la trame. » Lebreton, op. cit.. p. 444.

Telles sont les raisons générales pour lesquelles, dans notre exposé de la révélation concernant l’Homme-Dieu, nous observerons l’ordre suivant : synoptiques ; Actes des apôtres et épîtres catholiques autres que celles de saint Jean : épîtres de saint Paul et épîlre aux Hébreux ; écrits johanniques, apocalypse, évangile et épîtres.

_ Les conditions extérieures de la révélation du Christ. L’historien de Jésus-Christ doit s’y arrêter longuement. Voif la récente Vie île S.- S..Icsus-Christ, par L.-CI. Iïllion, Paris. 1922, t. i, c. u. m. Le théologien n’en retiendra que ce qui est indispensable pour comprendre la réserve et la prudence de Jésus dans l’affirmation même de sa mission et de sa personnalité divine. Ces conditions extérieures peuvent se ramener à deux principales : conditions politiques et sociales du milieu juif : attente messianique. Nous les indiquerons brièvement, dans la mesure que comporte l’objet de cet article.

1. Conditions politiques et sociales du milieu juif. — On peut les résumer ainsi : n) le peuple juif était, pour ainsi dire, divisé en deux grandes catégories, celle des Juifs habitant la terre d’Israël : celle des Juifs dispersés chez les Gentils en de nombreuses colonies. Sur les

colonies juives, voir Scbûrêr, GeschichU des fQdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, t. iii, p. 1-70. L’union des dispersés avec Jérusalem était fortement maintenue par l’absence de temple en dehors (te celui de Jérusalem, qu’au moment de la Pâque de nombreux pèlerins venaient visiter. Cf. Ad., n. 0-12. I> j Le

peuple de Palestine, tout en étant sous la domination de Rome, gardait encore une certaine autonomie, avec.

pour le gouverner immédiatement, soit des tétrarques ou administrateurs, sotl en Judée proprement dite, le gouverneur romain lui-même, résidant à César ée. Cf. Luc, m. l. 2. Pour plus de détails, voir Schûrer, ></>. cit.. t. i. p. 210-290 ;.1. Felten, Neutestamentliche Zeitgeschichte, oder Judenthutn und Heidenthum ; ur Zeit Christi und der Aposlel, Ratisbonne, 1910 ; l’illion. Vie de.V.-.S. Jésus-Christ, t. i. p. 122 sq.

— et Parmi les classes dirigeantes i qui s’opposeront. non seulement à la personne, mais encore à la doctrine du Christ, et dont l’opposition mettra en relief la transcendance de cette doctrine, on dislingue les Hérodiens, gens prudents, ralliés à la dynastie de l’iduméen Eiérode, et oui deviendront les ennemis de la popularité de Jésus, par crainte d’une réaction violente des Romains, Joa., xi, 48 ; les Zélotes, fanatiques, jaloux observateurs de la Loi et, comme tels, pharisiens, nationalistes par-dessus tout et adversaires de toute domination étrangère ; les Sadducéens, parmi lesquels se rangent les « princes des prêtres », aristocratie peu nombreuse de riches appartenant surtout à la haute caste sacerdotale ; les Pharisiens, interprètes, champions et, au besoin, vengeurs de la Loi, à qui se rattachent les t scribes » et les « docteurs » et dont X.-S. recommande même, en ce qui concerne la Loi, l’enseignement. Cf. Matth., xxiii, 2, 3. Jaloux de garder avant tout leurs privilèges, les sadducéens concilient volontiers la Loi et l’élément étranger ; les pharisiens, sur ce point, sont leurs adversaires déterminés ; mais lorsqu’un intérêt commun réunit les uns et les autres, ils sont facilement d’accord, ainsi qu’il advint pour ruiner l’influence du Christ, destructive de la leur. Voir Fillion, op. cit., Introduction, c. u.

2. L’attente messianique.

L’espérance messianique, à l’époque où parut Notre-Seigneur, semblait toucher à son but. L’annonce de l’ange aux bergers, Luc, ii, 11, est comprise par eux sans difficulté. La question posée par les mages, demandant « où est le Roi des Juifs qui vient de naître, » Matth., ii, 2, est très intelligible à Hérode, qui s’enquiert près des princes des prêtres et des scribes du peuple, « où le Christ devait naître ». La prophétesse Anne ne parlait-elle pas du Messie à tous ceux qui attendaient la prochaine rédemption de Jérusalem ? Luc, ii, 38. La même intensité d’espérance messianique remplit les récits de la vie publique du Sauveur. I.e Messie est i celui cpii doit venir » ou encore « celui qui vient », Matth., xi, 3 ; Luc, vii, 20 ; Joa., vi, 1 I. i A peine Jean-Baptiste a-t-il fait entendre, sur les bords du Jourdain, la parole sensationnelle : « Voici, le royaume de Dieu est proche », que l’austère anachorète est pris pour ce Messie attendu. Luc, iii, 15 ; Joa.. i, 19, 25. Lui-même dissipe l’illusion de la foule ; l’attente du Messie n’en est que plus vive au cœur de ses disciples. Lorsque paraît Jésus de Nazareth, étonnant la foule par ses miracles, l’émerveillant par ses discours, aussitôt se pose pour tous la question du Messie : on rappelle les données messianiques traditionnelles, on consulte renseignement christologique des docteurs de la Loi. Matth.. mi, 23 ; xvii, 10 ; Marc, i. Kl : Joa.. vii, 26, 31 ; x. 21 : xii, 34. Plus tard, l’ovation messianique, si enthousiaste, qui marque l’entrée

triomphale de Jésus à Jérusalem, ovation spontanée, ou peut le dire, (le la part de la foule et contrastant avec la réserve mise jusque-là par le Sauveur a afficher ses prétentions à la messiauité, témoigne éloquemment de la force qu’avait acquise dans l’espril populaire l’espérance au Messie promis. Marc, xi, 7-10, et parall. cf. Matth., ix. 27 : Marc.. 17. et parall. L’intensité de cette préoccupation se mon ire Jusque dans l’interrogatoire que le sanhédrin fait subir a Jésus sur sa qualité prétendue de Christ », Marc. m. 61 ; Matth.,

xxvi. 63, et dans les apostrophes que la foule railleuse adresse au « Roi d’Israël » crucifié, Marc, xv, 32 ; Mat th., xxyii. 39 ; Luc, xxiii, 35. Enfin, l’histoire même de l’Église primitive, telle qu’elle apparaît dans

les Actes des apôtres, les épîtres et les autres écrits du Nouveau Testament, atteste à chaque pas, extrêmement vivante dans l’esprit des Juifs, la croyance au Christ-Sauveur. Constamment, les apôtres [ont appel à l’idée messianique : leur premier souci est de prouver que ce que les prophètes ont prédit du Christ. Jésus l’a réalisé, et qu’il est bien le Messie attendu et si ardemment désiré, i Act. iii, 18 ; v, 42 ; vin, 37 ; i, 22 ; xvii. 3 ; xviii, 5, 28, etc. I.epin, Jésus, Messie et Fils de Dieu, p.

Cette attente du Messie, la théologie juive immédiatement antérieure à Jésus-Christ, la laisse elle-même percevoir comme très vive dans les esprits, voir col. 1127 ; les événements semblaient indiquer que l’heure de Dieu avait sonné. On avait toujours cru que l’oracle de Jacob, voir col. 1116, regardait non seulement le Messie, mais encore l’époque où il devrait paraître. Or, à la fin de l’an 38 avant Jésus-Christ, le dernier représentant de l’autorité souveraine promise à la descendance de Juda, Antigone, avait été mis à mort et remplacé par L’iduméen Hérodc. C’était donc l’usurpateur étranger qui régnait à Jérusalem, sous le protectorat de la puissance romaine. Ces temps semblaient donc arrivés et la nation juive tout entière frémissait d’impatience.

L’attente messianique débordait même les limites du peuple de Dieu. La captivité avait disséminé les.lu fs dans les grandes monarchies de l’Orient ; malgré I édit de Cyrus, permettant aux exilés de retourner dans leur [latrie, beaucoup de familles avaient préféré s’établir définitivement au milieu des nations ; il y avait des Juifs à Rome même l-’aut-il rattacher aux espérances répandues dans le monde par les Juifs de la dispersion ce que Platon disait aux Grecs : « [ Il faut] différer les sacrifices et attendre que Dieu lui-même vienne dans sa piété, ou du moins un envoyé du ciel’.' * Apologie de Socrule. Est ce à L’attente messianique que se rattachent les poétiques prédictions de Virgile, dans la IVe églogue’?Le moyen âge l’a cru, mais c’est loin d’être démontré ; du moins Suétone. Vie de Vespasien, c. iv, et Tacite, Histoires, t. V, c. xiii, rappellent expressément la croyance populaire en un roi victorieux qui viendrait de l’Orient. Ces deux auteurs sont d’ailleurs en dépendance, directe ou indirecte, de Flavius Josèphe, au témoignage duquel l’espérance messianique qui régnait chez les Juifs lut un des plus puissants leviers de la grande insurrection contre Rome, qui aboutit à la ruine de Jérusalem. De bello judaico, I. VI, C. v, n. 4. L’historien juif, courtisan des (.(sais, ne craint pas d’ailleurs d’appliquer à Vespasien les prophéties relatives au roi messianique. Textes de Suétone et de Tacite, dans Kirch, n. 3(> et 29.

Beurlier, L. monde juif au temps de Jésus-Christ et des apôtres (Coll. Science et religion, 2 vol., Paris, 1900 ; Hackspill, Étude sur le milieu religieux et intellectuel contemporain du V. T., dans la Revue biblique, 1900, p. 564-577 ; 1901, ». 200-215 ; 377-384 ; 1902, p. 53-73 ; Lagrange, Le messianisme chez les Juifs, Paris, 1909 ; et les auteurs cités au coins du paragraphe, SchUrer, Lepin, Felten, Fillion, etc.

3° Vie de Jésus-Christ et théologie de Jésus Christ,

— Les mêmes documents sont utilisés par l’historien cl par le théologien. Toutefois une t vie de

JésUS-Christ n’est pas une « I héologie » de Jésus Cluisl.

il appartient en propre à l’historien de Jésus de reconstituer dans l’ordre chronologique où Us se sont succédé, la trame des événements, qui composent l’exis du Sauveur. Il 1 i faut, tout d’abord.

replacer Jésus-Christ dans le milieu où il est né, où il a vécu, afin « le présenter sa physionomie et celle de

son entourage sous une forme plus vivante et plus concrète. Il lui faut aussi, relatant les actes et les paroles de Jésus, faire œuvre de critique, en établissant sous leur forme la plus pure, les textes des saints évangiles ; en démontrant l’authenticité, la crédibilité de ces précieux documents, en expliquant de son mieux, selon toutes les ressources de l’exégèse actuelle, le sens précis des textes. Enfin, c’est encore a l’historien qu’il appartient de signaler et de réfuter les objections soulevées par la critique rationaliste contre l’authenticité, la crédibilité, le sens traditionnellement reçu des récits inspirés. On voit par là que le rôle précis de l’historien, en regard du Christ de la foi, consiste a présenter les motifs de crédibilité, tirés de la vie même du Christ, et qui sont les préambules de notre acte de foi en Jésus, Dieu et homme. Et de plus, tout ce qui appartient à la vie terrestre du Christ et manifeste la perfection de son humanité, est du ressort de l’histoire.

A la rigueur, le théologien peut se dispenser de relever les détails de la vie terrestre du Sauveur. L’Évangile même, à proprement parler, n’est pas le point de départ de son étude du Christ : le principe des spéculations théologiques se trouve, en effet, dans les articles de foi. tels que L’Église les propose. S. Thomas, Sum, theoL, la. q. i. a. 8. Mais il importe de remarquer que la révélation est la source des articles de la foi et de toutes les vérités qui y sont virtuellement contenues. Si donc le théologien veut embrasser son sujet dans toute sa compréhension, il devra, lui aussi, reprendre, du moins dans sa substance, l’œuvre critique et préparatoire de l’historien, et disposer ainsi les esprits à la foi au Christ, en fixant les préambules de cette foi. Mais il ne peut s’en tenir la : après avoir démontré la crédibilité du dogme, il lui faut étudier le dogme en lui-même et dans toutes ses conclusions, soi ! strictement dogmatiques, soit théologiques. Son œuvre dépasse donc celle de l’historien : elle la complète et la couronne.

Faisant œuvre à la fois de critique et de théologien, nous nous efforcerons de trouver dans l’étude directe du texte sacré tout ce qui peut justifier les affirmations dogmatiques relatives à la transcendance divine « lu Christ. Dès les premières lignes du Nouveau Testament, il semble, en effet, qu’une révélation nouvelle apparaisse clairement touchant Le concept de la per sonualité du Sauveur. Ce concept ne s’élabore pas sans doute eu des dissertations systématiques, telles qu’en donnaient les scribes juifs : mais il ressort nettement de la manifestation même de Jésus en ce inonde. La personnalité du Verbe incarné nous apparaît, même sous son aspect humain, avec une transcendance telle, que nous ne pouvons songer à j voir une simple personnalité humaine ; el souvent le divin j resplendit tellement « pie nous y lisons la transposition réelle et sincère de L’article de la foi chrétienne, que nous avons a commenter : Credo… in unum Dominum Jesum Christian, Filium Dei unigenitum, ex Paire niitum ante ssecula…, consubstantialem Patri… ; qui propter n<>s et propter nostram saluiem, descendit de cœlis et incarnatus est de Spirilu sancto ex Marii oirgine, et hotno f act us est.