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Dictionnaire de théologie catholique/JUDE (ÉPITRE DE)

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 129-136).

JUDE (Épitre de).
I. Place, titre, texte et versions.
II. Canonicité.
III. Sujet et caractère.
IV. origine,
V. Enseignements théologiques.

I. Place, titre, texte bt versions. —

1° Place <luns le Nouveau Testament. — L’épttre qui porte le

nom de « Jude serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques », 1, appartient au groupe des i épîtres catholiques ». Dans la liste des livres saints du concile de Trente et dans l’édition sixto-clémentine de la Vulgate, elle est placée la dernière des épîtres, immédiatement avant l’Apocalypse. Sa place a varie dans les témoins du texte et les anciens canons. C’est pourquoi les éditions du Nouveau Testament n’ont pas toutes adopté l’ordre du Concile de Trente. Celles de Nestlé, Bodin, Vogels, ont conservé cet ordre, qui était celui du concile d’Hippone et des conciles de Carthage ; celles de Westcott-Hort, Tischendorf-Gebhart, B.Weiss, von Soden placent l’épître de Jude à la fin des épîtres catholiques, immédiatement avant celles de saint Paul.

Titre.

La plupart des mss onciaux et plusieurs

cursifs portent le titre IouSa, ou IouSa eirierroXY) : d’autres cursifs, zr.. IouSa tou cxtcocttoXou, ou tou ayiou a7ToaxoXou IouSa stuo-toXt) : d’autres ajoutent le mot xaOoXiH-/]. Les témoins de la Vulgate offrent également des titres variés : Incipit ep. Judw, inc. epist. Judæ apostoli, incipit liber J udæ.Ci.Tischenûorf, Novum Testamentum greece, editio octava critica major, Leipzig, 1872, t. ii, p. 353.

Texte et versions.

Les plus anciens mss onciaux

donnant le texte de l’épître sont s, B, du ive siècle,

A, C, du V. Les principaux cursifs sont 13, 40, 44, 137. Pour l’étude des mss cf. Gregory, Texlkritik des Neuen Testaments, Leipzig, 1900, t. i, p. 96 sq. et 2(53 sq. ;

B. Weiss, Die Katholisehen Brieje, dans Texte und Untersuchungen, t. viii, fasc. 3, 1892.

L’épître a été de bonne heure traduite en latin. Terlullien s’y réfère implicitement. De eult. jem., i, 3. Enoch apud Judam apostolum tesiimonium possidet, P. L., t. i, col. 1308. Il faut en conclure que l’épître était connue de ses lecteurs et qu’elle était, sans doute, traduite en latin. Lucifer de Cagliari, De non conveniendo cum hæreticis, P. L., t. xiii, col. 792-793, en donne d’importantes citations, ꝟ. 1-3 ; 5-8 ; 11-13 ; 17-19. Priscillien en cite plusieurs passages : Tract, i, édition Schepps, Corpus de Vienne, t. xviii, p. 29, cf. Jud., 23 ; p. 32, cf. Jud. 14-15 ; Tract, iii, p. 44, cf. Jud. 14-15 ; Tract, v, p. 64, cf. Jud. 12-13. Il en est de même dans le Spéculum de Scriptura sacra de saint Augustin, P.L., t. xxxiv, col. 1039-1040 ; cf. Jud. 6, 7, 12. On peut regarder tous ces fragments comme des restes d’une version latine antérieure à saint Jérôme. Si la revision de saint Jérôme a porté sur toutes les épîtres catholiques, ce qui n’est pas démontré, le travail du grand exégète ne semble pas avoir été très profond pour l’épître de Jude, pas plus que pour la deuxième épître de Pierre. Cf. Jacquier, Le Nouveau Testament dans l’Église chrétienne, Paris, 1913, t. ii, p. 177 sq.

L’épître n’est point donnée dans les plus anciennes versions syriaques, elle n’est contenue que dans la Philoxénienne et l’Harcléenne, du vie et du vii c siècles. Il est très difficile d’établir le rapport qui existe entre ces deux versions et de déterminer les manuscrits qui appartiennent à chacune d’elle. Cf. Gregory, op. cit., t. ii, p. 504 et 525 sq. ; Gwin, The Older Syriac Versions of the four Minor Catholic Epistles, dans Hermathena, Londres, 1890, t. xv, p. 281 ; du même, Remuants of the later Syriac Versions of the Bible, i, The four minor catholic Epistles in the original Philoxenian Version, Londres, 1909 ; Lebon, La version Philoxénienne de la Bible, dans la Revue d’histoire ecclésiasligue, Louvain, 1911, t. xii, p. 435 ; Jacquier, op. cit., t. ii, p. 238 : q. Le texte en a été publié par J. White, dans Acluui.i apostolorum et epistolarum tam catholicarum quam Paulinarum, versio Syriaca Philoxeniana, Oxford, 17991803.

L’épître se trouve dans les versions coptes. Le texte de la bohaïrique est donné dans l’édition critique de

C. Horner, The coptic version of the New Testament in the northern dialect, Oxford, 1905, t. iv, p. 134 sq. Le texte de la sahidique est donné dans l’édition C. G. Woide, Appendix ml editionem Novi Testament ! græci, in qua continentur fnigmenta Novi Testamenti thebaica et sahidica, cum dissertatione de versione bibliorum segyptiaca, Oxford, 1799. Cette édition ne donne que les t. l-20u, on trouvera la fin de l’épître dans la collection Rainer (Vienne), dans Wesselv, Studien zurPaMo graphie uni Papyrus Kunde, t.xii. K ! >146 bis, n. in : > Leipzig, 1912. Cf. A. Vaschalde, Ce qui a été publié des versions coptes de la Bible, dans Revue biblique. 1922, p. 256.

II. Canonicité.

L’épître de Jude fait partie des livres deutérocanoniques. Sa canonicité s’affirme dans l’usage qu’en ont fait les écrivains ecclésiastiques des deux premiers siècles, ri dans l’attitude prise à son égard par ceux du IIIe ci du tve siècle.

L’Épître de Jude aux deux premiers siècles.

Il

y a certainement une dépendance littéraire entre l’épître de Jude et la deuxième épître de saint Pierre ; mais on ne peut dire avec certitude à laquelle des deux il faut donner la priorité. Les raisons que l’on fait valoir pour placer celle de Jude la première sont les plus satisfaisantes et elles ont rallié un grand nombre de critiques. On trouvera les raisons en faveur de la priorité de l’épître de Jude dans J.-B. Mayor, The Epistle of St. Jude and the second Epistle of St. Peler, Introduction, p. 1 sq. ; la thèse contraire est exposée dans Bigg, Epistles of St. Peter and St. Jude, p. 216 sq.

On peut donc dire avec beaucoup de probabilité, que la deuxième épître de saint Pierre, par l’usage qu’elle fait de l’épître de Jude, est un témoignage implicite de sa canonicité. Ce témoignage, pour tous ceux qui admettent l’authenticité de la II" Pétri, est antérieur à l’an 67 ; pour ceux qui la rejettent, il devrait se reculer jusque dans la deuxième moitié dvn e siècle.

L T n passage de VÉpître de Barnabe, ii, 10, semble dépendre de Jude, 3, 4. On y trouve des termes communs, 7T> : p£Î’jSjaiç, rcapeiaSûvM, qui n’appartiennent pas au vocabulaire des autres livres du Nouveau Testament. — Les doxologies que nous lisons dans saint Clément de Rome, / Cor., xx, 12 ; lxv, 2, et dans le Martyrium Polycarpi, xxi, ont pu être suggérées par Jud., 25. — Hermas, Sim., V, vii, 2, offre une expression qui rappelle Jud., 8. — - La deuxième lettre aux Corinthiens attribuée à saint Clément, xvi, 2, se rapproche de Jud., 8. — On peut voir également dans saint Polycarpe plusieurs passages qui semblent dépendre de l’épître de Jude : cf. Phil., adresse, et Jud., 2 ; Phil., iii, 2, et Jud., 3, 20 ; Phil., xi, 4, et Jud., 20, 23. — Athénagore paraît s’inspirer de la doctrine de Jude sur la chute des anges, Supplicatio pro rhristianis, xxiv, édit. Otto, Iéna, 1857, t. vii, p. 129, 130, 136 ; P. G., t. vi, col. 945-948.

La première référence implicite claire à l’épître de Jude se rencontre dans Théophile d’Antioche, vers 181-182. Ad Autolycum, ii, 15, P. G., t. vi, col. 1077. Dans ce passage, les planètes qui « errent » perpétuellement, cpeûyoVTeç T07rov zv. tôttou, sont le type des hommes déchus qui se sont éloignés de Dieu. C’est un commentaire du iaTzpzc, TrXavîJTai de Jud., 13. — Le canon de Muratori atteste que l’épître était reçue dans l’Église de Rome vers la fin du second siècle : Epislula sune Judve et superscripti Johannis dux in calholica habentur, 1. (38-69.

D’après le passage de Tertullien, De cuit, fem., i, 3, nous pouvons conclure que l’épître était regardée comme une autorité dans l’Église d’Afrique à la fin du iie siècle. Cassiodore, De inst. div. litt., xiv, P. L., t. lxx, col. 1120, mentionne une traduction faite par 11, 71

    1. JUDE (ÉPITRE DE)##


JUDE (ÉPITRE DE), CANONICITÉ

1672

Épiphane, du commentaire de Didyme sur les sept épîtres canoniques. Si l’épître n’est pas mentionnée dans le canon africain de Mommsen, vers 350, elle se trouve dans la liste du IIIe concile de Cartilage, 397.

Clément d’Alexandrie avait commenté brièvement l’épître de Jude dans les Hypotyposes, comme nous l’apprend Eusèbe, H. E., t. VI, c. xiv.n.l, P. G., t. xx, col. 549. La substance de son commentaire se retrouve dans les Adumbrationes de Cassiodore ; cf. P. G., t. ix, col. 72 ! i-734 : P. L., t. lxx, col. 1375-1378. En outre, il cite l’épître dans Pœd., iii, 8, P. G., t. viii, col. 616, cf. Jud., 5, 6, 11 ; Strom., iii, 2, ibid., col. 1112-1113, cf. Jud., 8-16 ; lbid., vi, 8, t. ix, col. 288, cf. Jud., 22, 23. Ainsi, à la fin du n c siècle l’épître de Jude était reçue dans les Églises d’Antioche, de Rome, d’Afrique et d’Alexandrie.

2. L’É pitre de Jude aux IIIe et IVe siècles. — Origène, In Matth., xvii, 30, P. G., t. xra, col. 1569, annonce en ces termes une citation de Jud., 6 : « eî Se y.a.1 tt ( v’IoûSa 71p6aoiT6 tiç ! 7uaToXy)v » ; lbid., x,

17, col. 877, il fait l’éloge de l’épître et rappelle l’auteur en citant le vers. 1 : « Jude a écrit une courte épître, mais remplie des fortes paroles de la grâce céleste ; c’est lui qui a dit dans l’exorde : Jude, serviteur de Jésus-Christ, frère de Jacques. » Origène la cite encore In Matth., xv, 27 col. 1333 ; In Joan., xiii, 37, t. xiv, col. 464, cf. Jud., 6.

Dans la traduction latine de ses œuvres, Jud., 6 est cité comme « écriture sacrée », In Ep. ad Rom., iii, 6 ; t. xiv, col. 939 ; dans le même commentaire, v, 1, l’épître est attribuée à l’apôtre Jude, t. xiv, col. 1016 ; cf. In Ezech., Hom. iv, 1, P. G., t. xiii, col. 697. Jud. 8-9 est cité dans la Lettre aux Alexandrins dont saint Jérôme a conservé un fragment dans Apol. cont. Rufinum, ii,

18, P. L., t. xxxiii, col. 461. Dans le De principiis III, ii, 1, on lit : De quo in Adscensione Mosis, cujus libelli meminil in epistola sua apostolus Judas, P. G., t. xi, col. 303.

Ainsi Origène n’a aucun doute sur l’authenticité et la canonicité de l’épître. Le passage In Matth., xvii, 30 indique seulement qu’il connaissait des gens qui en avaient ; mais, ces doutes, il ne les partage pas lui-même. Eusèbe, il est vrai, ne mentionne pas l’épître dans le canon d’Origène qu’il nous a conservé, H. E., VI, xxv, P. G., t. xx, col. 582-584, mais c’est probablement une négligence de sa part, car il mentionne des livres qui étaient fortement discutés, comme II Petr. et II et III Joa. Origène était attiré vers l’épître par des raisons qui pouvaient en écarter d’autres, c’est-à-dire la doctrine concernant les anges.

D’après Didyme d’Alexandrie, l’épître était rejetée parce qu’elle faisait usage d’écrits apocryphes. Didyme la commente et défend son autorité. P. G., t. xxxix, col. 1811-1818.

Eusèbe, II. E., II, xxiii, 25, P. G., t. xx, col. 205, dit au sujet de l’épître de Jacques. « Il faut savoir que, comme elle est illégitime, voÔeûeTai.peu d’anciens la mentionnent, comme celle qui porte le nom de Jude, celle-ci élant également une des sept appelées catholiques. Cependant nous savons qu’elles sont lues publiquement avec les autres dans la plupart des Églises. » En assimilant l’épître de Jude à celle de Jacques, qu’il qualifie d’ « illégitime », Eusèbe semble donner son opinion personnelle. Le fait que « peu d’anciens les mentionnent » le porte à les regarder l’une et l’autre comme illégitimes ; mais il avoue que la plupart des Églises les reconnaissent comme des autorités. Aussi, dans un autre passage, II. E., III, xxv, .’i, col. 269, au risque de se mettre en contradiction avec lui-même, il les place au nombre des 7.vn}.eyô|j<.£va, qu’il dislingue expressément des vôOc, illégitimes.

Saint Jérôme, De viris ill., 1, P. L., t. xxiii, col. 613, attribue l’épître à « Jude, frère de Jacques > et la range parmi les sept épîtres catholiques. Mais il ajoute qu’elle est rejetée par la « plupart » a plerisque, parce que l’auteur apporte le témoignage du livre d’Hénoch qui est apocryphe. Cependant il dit que grâce à son antiquité et par suite ds l’usage elle a acquis de l’autorité, et qu’elle est comptée parmi les livres saints. Saint Jérôme, dans cette notice, ne donne point à l’auteur la qualité d’apôtre ; il s’en tient au renseignement fourni par l’épître elle-même : Judas frater Jacobi. D’ailleurs ce qu’il dit relativement à l’acceptation de l’épître dans les Églises ne s’accorde point avec la notice d’Eusèbe. Celui-ci, en effet, dit qu’elle est reçue dans la plupart des églises, tandis que d’après saint Jérôme, elle est rejetée par la plupart. Si l’auteur du De viris n’a pas exagéré, il faut admettre que de son temps on éprouvait plus de répugnance à accepter l’épître qu’au temps d’Eusèbe. D’ailleurs il en donne la raison : l’épître cite le livre apocryphe d’Hénoch. A mesure que ce livre tomba en discrédit, on fut porté à rejeter aussi l’épître de Jude qui paraissait l’invoquer comme une autorité. Il convient d’ailleurs de remarquer que toute l’argumentation précédente suppose que plerisque a toujours dans S. Jérôme le sens de « la plupart ». Or il n’est pas impossible que dès cette époque le sens de plerisque ne se soit atténué, comme il le fera certainement plus tard, au point de signifier simplement « plusieurs ».

L’épître ne fut pas acceptée d’une façon générale dans l’Église de Syrie. Théophile d’Antioche, que nous avons déjà cité, y fait une allusion qui nous paraît indiscutable ; mais elle n’est pas dans la Peschitto. Elle est tout entière dans le Sermo contra impudicos de saint Ephrem, mais non dans le texte syriaque. Cf. Studia biblica, Oxford, 1891, t. iii, p. 105-138. Elle n’est ni dans la Doctrine d’Addaï, ni dans les Homélies d’Aphraate. Elle n’est pas donnée non plus dans les ïambes à Séleucus, P. G., t. xxxvii, col. 1597, attribués à saint Amphiloque, évêque d’Iconium, vers 374. Un passage de la lettre des évêques condamnant Paul de Samosate, Eusèbe, H. E., VII, xxx, 4, édit. Schwartz, Leipzig, 1908, t. ii, p. 706, semble faire allusion au ꝟ. 3 ; mais le texte en est difficile à établir, cf. P. G., t. xx, col. 712.

Elle ne paraît pas citée dans l’œuvre de saint Jean Chrysostome et de Théodoret. Un passage de la Synopsis sacrarum Scriplurarum attribuée à saint Jean Chrysostome, mentionne ex catholicis très epistolse. Il s’agit des trois grandes épîtres catholiques, Jac., I Petr., I Joa. Le passage laisse entendre qu’il y en avait d’autres qui étaient délibérément omises, P. G., t. lvi, col. 317, etc.

Théodore de Mopsueste rejetait l’épître de Jude avec Jac, II Petr., II et III Joa., cf. Léonce de Byzance, P. G., t. lxxxvi, col. 1365. Mais il n’avait souvent d’autre critérium de canonicité que son sens propre. Junilius, qui était de l’école de Théodore de Mopsueste regarde l’épître de Jude comme mediie auelorilalis. Cf. H. Kihn, Theodor von Mopsuestia und Junilius Africanus, Fribourg-cn-Brisgau, 1880, et Junilius, col. 1971. Nous trouvons l’épître dans la version syriaque Philoxénienne-Harcléenne, double recension d’une version du vi° siècle. Elle est dans la liste des écritures du concile de Cartilage en 397, et dans la lettre d’Innocent I er à Kxupère évêque de Toulouse en 405. A partir de ce moment le canon est officiellement fixé dans l’Église latine.

En somme, si nous exceptons l’Église syrienne. l’épître était reconnue partout à la fin du iv° siècle. Si l’on tient compte de son peu d’étendue, de son sujet particulier, qui ne se prêtait pas beaucoup aux citations, il faut estimer qu’elle est attestée (l’une façon

remarquable dans l’antiquité chrétienne. Cf. F. Maier, Der Judasbrief, dans Biblische Sludien, t. xi, p. 61 sq. La lutte de saint Michel contre le diable, ꝟ. 9, et la prophétie d’Hénoch, 1. 14 sq., pouvaient favoriser les spéculations sur les anges auxquelles se livraient trop volontiers les Syriens. Il faut probablement voir là la principale raison de l’admission tardive de l’épître dans l’Église de Syrie. En outre, sa référence implicite à V Assomption de Moïse et explicite à la prophétie d’Hénoch, semblaient, aux yeux de plusieurs, de nature à ruiner son autorité. Eusèbe se fait déjà l’écho des doutes qui s’élèvent à son sujet ; un peu plus tard Didyme d’Alexandrie est obligé de la défendre contre ceux qui l’attaquent à cause de l’usage des apocryphes. Enfin saint Jérôme avoue que les citations du livre d’Hénoch sont aux yeux d’un grand nombre, un obstacle à l’acceptation de l’épître. Son autorité paraissait liée à celle du livre d’Hénoch. Tertullien, au contraire, puisait dans l’autorité de l’épître un argument en faveur de celle du livre d’Hénoch. Mais lorsque ce livre, après avoir joui d’un certain crédit au iie et iiie siècles, fut rejeté à cause de l’interprétation qu’il donnait de la chute des anges, son rejet parut ébranler aux yeux d’un certain nombre, l’autorité de Jude et exclure sa lettre du canon. Si elle y fut mise c’est que l’Église, à la fin du ive siècle et au commencement du ve, reconnut en elle un livre d’origine apostolique et représentant la règle de foi. Il fallait laisser croître et mûrir la moisson, afin d’arracher l’ivraie sans nuire au bon grain.

III. Sujet et analyse.

L’épître de Jude est une des plus courtes du Nouveau Testament ; elle ne compte que vingt-cinq versets. Elle se compose d’une série d’exhortations à combattre pour la foi, mêlées de menaces à l’adresse des faux docteurs qui se sont glissés dans la communauté.

Elle est adressée par « Jude, serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques, aux élus qui ont été aimés en Dieu le Père et gardés pour Jésus-Christ », 1.

Il y a parmi les fidèles des impies « qui changent la grâce de Dieu en licence, et qui renient notre seul maître et Seigneur, Jésus-Christ », 4. Ces hérétiques recevront leur châtiment ; ils seront frappés comme le furent leurs ancêtres, d’après l’histoire de l’Ancien Testament et les traditions juives. En effet, après avoir sauvé son peuple de l’Egypte, le Seigneur, ou Jésus, fit périr les incrédules, 5 ; les anges qui ont abandonné leur « principauté » et quitté leur demeure, Dieu les garde liés de chaînes éternelles, au sein des ténèbres, pour le jugement du grand jour, 6 ; Sodome et Gomorrhe, avec les villes voisines, qui se livrèrent à l’impudicité de la même manière qu’eux en abusant d’une chair étrangère, sont données en exemple, en subissant la peine d’un feu éternel. 7. Malgré ces châtiments, les faux docteurs, eux aussi, dans leur délire, souillent leur chair, méprisent « l’autorité », injurient « les gloires », c’est-à-dire se rendent coupables de crimes qui méritent des peines analogues à celles qui viennent d’être mentionnées, 8.

L’archange Michel lui-même, dans sa lutte avec le diable au sujet du corps de Moïse, n’osa point porter une sentence d’exécration, il se contenta de dire : « Que le Seigneur te punisse ». Tandis qu’eux, ils blasphèment ce qu’ils ne connaissent pas ; et ce qu’ils connaissent naturellement, comme les animaux stupides, est pour eux une cause de ruine. Ils sont maudits, car ils ont imité Caïn, le type de ceux qui s’élèvent contre Dieu ; ils ont imité Balaam, le chef, d’après les traditions juives, de tous les maîtres d’erreurs, de tous les libertins et de ceux qui résistent aux anges. C’est pour de l’argent que ces faux docteurs répandent leurs erreurs. Ils sont comme Coré, qui se révolta contre Moïse, 9-11.

Us sont une souillure dans les agapes ; ils ressemblent à des nuages sans eau, à des arbres sans fruits, arbres morts et déracinés ; à des vagues cjui rejettent leur écume ; à des astres errants réservés pour le châtiment éternel, 12-13.

C’est aussi à leur sujet qu’Hénoch a prophétisé, en annonçant la venue du Seigneur pour juger tous les pécheurs, et leur demander compte des paroles criminelles. Les impies en question tombent sous le coup de la justice divine ; car ils murmurent, ils ont la bouche pleine de propos orgueilleux, et par intérêt ils prodiguent les louanges, 14-16.

Les fidèles doivent se rappeler ce qui a été annoncé par les « apôtres de notre Seigneur Jésus-Christ » : au dernier temps, il viendra des « moqueurs », vivant au gré de leurs convoitises et provoquant des divisions, hommes charnels, tyr/w.oi, n’ayant pas 1’ « esprit », ttvsû^oc [i.7] exovtsç. Les fidèles doivent rester fermes dans la foi et prier dans le Saint-Esprit en attendant la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour la vie éternelle, 17-21. La communauté est invitée à exercer la justice et la charité envers certains de ses membres, engagés à divers degrés dans l’erreur ou le vice, 22-23.

L’épître se termine, non par une salutation, mais par une doxologie à « D’eu seul notre Sauveur, par Jésus-Christ Notre-Seigneur », doxologie qui rappelle celles des épîtres de saint Paul. Cf. Rom., xvi, 27, Phil., iv, 20 ; I Petr., iv, 11.

IV. Origine de l’Épitre. — 1° Données de la tradition. — Les témoignages de la tradition mentionnés plus haut (voir Canonicité) attribuent l’épître à « Jude », ou « Jude serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques ». Ils dépendent, dans leur ensemble, de la notice même qui est dans l’adresse, ꝟ. 1. Cependant Tertullien, De cuit, fem., i, 3, P. L., 1. 1, col. 1308, et la traduction latine des œuvres d’Origène, cf. In ep. ad. Rom., v, 1 ; De princip., III, ii, 1 (voir les références dans Canonicité), l’attribuent à 1’ « apôtre Jude ». Il est difficile de dire si cette mention d’ « apôtre » provient d’une interprétation exégétique, ou si elle dépend d’une tradition spéciale. En tout cas la tradition est très ferme sur un point : l’épître est du personnage des temps apostoliques, qui se dit « Jude, frère de Jacques ». Les doutes signalés par Eusèbe et saint Jérôme portent directement sur l’autorité de l’épître plutôt que sur son authenticité. Ils proviennent de ce qu’elle dépend, dans plusieurs passages, de traditions juives ou d’écrits non canoniques ; ci.ꝟ. 9, 14. Ils proviennent peut-être aussi de ce que l’auteur ne se dit point explicitement apôtre, f. l, mais semble plutôt se distinguer du groupe apostolique, ꝟ. 17 (voir plus loin, dans Données de l’épître, l’explication de ce verset). La question se réduit donc à rechercher quel est le personnage des temps apostoliques qui se nomme « Jude, serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques ». La donnée la plus sûre dont il faut partir est la désignation « frère de Jacques », car la mention « serviteur de Jésus-Christ » n’ajoute aucune précision nouvelle.

L’Église primitive a connu plusieurs personnages du nom de Jude ou Judas : 1. Judas l’Iscariote. — - 2. L’apôtre désigné dans Luc., vi, 16, sous le nom de’IoûSaç’Iaxcoêou ; cf. Act., i, 13 ; Joa., xiv, 22. Les commentateurs modernes traduisent généralement cette expression « Jude fils de Jacques », comme au verset précédent « Jacques fils d’Alphée ». Mais la traduction « Jude frère de Jacques », adoptée par les anciens commentateurs peut se justifier au point de vue grammatical, car on peut sous-entendre àSsXçôç ; cf. Kûhner, Ausfuhrliche Grammalik der griechischen Sprache Leipzig, 1898, t. ii, p. 265 ; Lagrange, Évangile selon saint Luc, Paris, 1921, p. 181. — 3. Judas « frère » du

Seigneur et frère de Jacques, Matth., xiii, 55 ; Marc, vi, 3. — 4° Judas Barsabbas, Act., xv, 22, 34. — 5. Judas, le dernier évêque juif de Jérusalem, au temps d’Hadrien. Eusèbe, 11. E., IV, v. 5. P. G., t. xx, col. 309.

La tradition identifie l’auteur de l’épître avec Jude (3) i frère » du Seigneur et frère de Jacques évêque de Jérusalem. S’adressant à des juifs convertis, il se désigne par sa parenté avec le personnage le plus populaire dans les communautés judéo-chrétiennes, le Jacques xax’èl.oyrp. Cf. Act., xv. 13 ; Gal., I, 19 ; Matth., xiii. 55 ; Marc, vi, 3. Or ce Jude est-il du groupe des « douze » en d’autres termes, est-il le’IoùSaç’Iaxaiêoo de Luc, vi, 16 ? Si l’on traduit cette expressione Jude frère de Jacques », Jacques désigne le fils d’Alphée mentionné au verset précédent. Si on traduit au contraire « fils de Jacques », comme le veulent beaucoup de critiques modernes, Jacques ne saurait désigner le fils d’Alphée, car les apôtres appartenaient à la même génération. La première traduction est la seule conforme à l’exégèse traditionnelle du passage. En outre, si Jacques fils d’Alphée est le même que Jacques de Jérusalem, Act., xv, 13, ce qui est assez probable, l’auteur de l’épître d’après la tradition est apôtre ainsi que son frère. (Sur l’identité du fils d’Alphée avec l’éyêque de Jérusalem, voir Jacques (ÉpUre de), col. 272). Dans ce cas il faut admettre que deux des « frères » du Seigneur avaient déjà accepté sa doctrine pendant sa vie ; ce qui peut à la rigueur, se concilier avec la notice de Joa., vii, 5 et Act., i, 14. Cette solution est communément admise parmi les anciens commentateurs et les auteurs catholiques.

Les commentateurs non catholiques traduisent généralement Judus Jacobi « Jude fils de Jacques » et ils en font un personnage distinct de < Jude frère de Jacques », auquel ils attribuent l’épître. Jùlicher, dans les premières éditions de son Einleitung in das Neue Testament, Tubingue, 1894, renouvelant la conjecture de Grotius, avait cru que l’expression « frère de Jacques » voulait dire « évêque ». Il a abandonné cette opinion à partir de l’édition de 1901, mais il a prétendu que l’épître avait été écrite au iie siècle, par un auteur inconnu (Voir plus loin Données de l’Épttre). 1 larnack, Die Chronologie, t. I, p. 408, admet que l’auteur s’appelait réellement Jude, mais que les mots « frère de Jacques » ont été ajoutés à l’adresse entre 150 el 180, pour reporter à l’âge apostolique la lettre ue ce Jude inconnu et en faire une arme contre les gnostiques. En examinant les données de l’épître nous allons voir que cette hypothèse ne s’appuie sur aucun argument solide et ne saurait prévaloir contre la tradition.

Données de l’Épître.

Nous devons examiner si

les écrits ou les doctrines auxquelles l’épître fait allusion nous obligent à la placer au ae siècle.

On admet assez communément qu’il y a une dépendance littéraire entre Jud., 1 1-15 et le Livre d’Hénoch, i, 9. Cf. Hastings, Dictionary of the Bible, i. ii, p. sol, 802 ; l. Martin, Le Une d’Hénoch, Paris, 1906, |>. 4. Beaucoup de ci prétendent que le livre d’Hé noch n’a existé dans sa loi nie actuelle qu’au commencement du n 1’siècle..Mais les éléments dont ils se Compose ne sont point postérieurs à l’ère chrétienne.

Cf. Charles, The P.ook of Enoch, Oxford, 1893 ;.Martin, op. cil. Or l’épître de Jude ne tait point appel â un livre, niais à une prophétie ; elle ne suppose donc point que

l’auteur ail connu le livre dans sa forme définitive ; lia pu n’en connaître que certains éléments. On ne peut

donc s’appuyer sur le livre d’] 1 cime h pour retarder la composition de l’épître jusqu’au iie siècle. L’ép du. 9 si trouve dans [’Assomption de Moïse. Mi n’est pa-. certain que l’épître dépende, au point de vue littéraire, du texte de cet apocryphe, elle peut faire

allusion à une tradition juive utilisée par l’auteur de l’Assomption de Moïse. D’ailleurs la date de cet écrit n’est point fixée et ne nous oblige pas à placer l’épître de Jude au iie siècle. Cf. Charles, The Assumplion of Moses, Londres, 1897. p. lv sq.

Les doctrines de l’épître et les erreurs qu’elle combat supposent-elles une situation historique postérieure au I er siècle ? Jude met les chrétiens en garde contre de faux docteurs qui se sont glissés dans la communauté, qui se sont rendus coupables de toutes sortes d’infamies et méritent les pires châtiments : ils changent la grâce de Dieu en licence, ils ne veulent point du Seigneur Jésus pour maître ; à l’exemple de Spdome et de Gomorrhe ils souillent leur chair. Ils méprisent l’autorité et outragent « les gloires. Ils parlent d’une manière injurieuse des choses qu’ils ignorent, et ce qu’ils connaissent naturellement, comme les brutes, est pour eux un sujet de corruption. Leur crime est celui de Cain, de Balaam, de Coré. Ils font impudemment bonne chère ; ils murmurent, se plaignent de leur sort, marchent selon leurs convoitises. Ils sont hautains ; ils provoquent des divisions ; hommes sensuels. ils n’ont pas l’esprit, >] ?>yti-Loi, Trv£ÏJu.a u.’/) s/_ovt£Ç

A ces traits plusieurs critiques ont cru reconnaître des hérétiques du ir’siècle. Pfleiderer, Das Urchristentum, Berlin, 1903, t. ii, p. 510 y voit des carpocratiens, Jùlicher, Einleitung in das Neue Testament, Tubingue, 1901, p. 180, des antinomiens gnostiques non encore sortis de l’Église : ils provoquent des divisions ; eux, les « pneumatiques », ils regardent avec mépris les « psychiques », et pourtant ce sont eux les psychiques, les sensuels. Ainsi d’après Jùlicher l’épître ne serait pas antérieure au Pasteur d’Hermas et elle aurait pour auteur un chrétien d’Egypte.

Ces hypothèses sont très discutables, elles supposent une interprétation de l’épître qui est loin d’être suggérée par les textes.

D’après les carpocratiens, il y a un Dieu éternel. Les anges et les vertus qui font le monde, sont des tyrans qui font peser sur les hommes un joug intolérable, contrairement aux vues de Dieu. Jésus-Christ est intervenu pour secouer ce joug. Il y a réussi parce qu’il a méprisé la Loi et les mœurs juives. L’homme doit allicher le plus profond mépris pour la loi mosaïque. La justice est fondée sur l’axiome xotvcovCa P-et’iaÔT7]TOç. Les lois humaines violent l’égalité naturelle du droit qui existe pour tous à participer aux mêmes biens. Pour se sauver l’homme doit donc violer toutes les lois, œuvre des anges mauvais ; il doit satisfaire toutes ses liassions et commettre tous les crimes. Cf. S. Irénée, Cont. Hseres., I, xxv, 1, P. G., t. vii, col. 680 ; llippolyle, Refutatio, vii, 32, Corp. de Berlin, t. iii, p. 218, P. G., t. xvi e, col. 3338 ; Clément d’Alexandrie, Strom., -n, 2, P. G., t. viii, col. 1105-1108. Cf. article Carpocr. te, t. ii, col. 1800-lsoi. On voit que les traits de l’épître ne répondent point au earpocratianisme du ue siècle. On n’y retrouve point les tendances dualistes et les doctrines philosophiques ou morales qui caractérisent celle secte. Tout au plus peut-on voir des tendances antinomiennes dans les ꝟ. 8, 12, 23 ; mais on ne peut y reconnaître l’antlnomianisme farouche des carpocratiens. En outre, ces hérétiques regardent Jésus-Christ connue un libérateur, tandis que les hérétiques combattus par l’épître, le renient comme maître et Seigneur, tôv u.6vov Szanô-zr^ xal xupiov V)(i.wv’I/jaoùv Xpiarov àpvouu.£voi… I.

<in s’appuie parfois sur le ꝟ. 17 pour placer l’épître après l’âge apostolique. Mais les paroles : « rappelez-vous ce qui a été dit par les apôtres » peuvent s’entendre en ce sens, que les apôtres ont prêché l’Évangile aux à un nionieiil donne, mais elles ne laissent point entendre qu’ils soient ions déjà morts ; quelques-uns peuvent Être morts et les autres disperses au moment

où l’auteur écrit. On pourrait dire, il est vrai que Jude semble se distinguer du groupe des apôtres. Mais le mot apôtre n’est peut-être pas à prendre ici au sens strict, pour désigner les « douze », par opposition aux simples disciples. Il peut désigner simplement les premiers prédicateurs de la foi chrétienne chez les destinataires de l’épître.

Il n’est pas certain que le ꝟ. 18 fasse allusion à

I Tim., iv, 1-3 et II Tim., iii, 1-4. Il est reproduit textuellement dans II Petr., iii, 2-4, mais nous regardons comme plus probable que l’épître de Jude est antérieure à la seconde de saint Pierre. Tous ces passages, qui renferment des admonitions courantes, dépendent peut-être, à l’origine d’une prophétie (cf. I Cor., xii, 7, 10) transmise oralement et reproduite lorsque les besoins de l’Église le demandaient. Tel peut être la portée de I Tim., iv, 1 : to 8s Ttveùjxa pvj-rwç Xéyei.

Enfin la distinction des psychiques et des pneumatiques n’est pas plus accentuée dans l’épître que dans la théologie de saint Paul ; 4°->X lK °Ç opposé à Tiveu^arixôç se trouve déjà I Cor., ii, 14 ; xv, 44. Jude ne fait qu’opposer les gens sensuels à ceux qui se laissent conduire par l’esprit.

Jacques également emploie déjà la mot iJwxiiœÇ au sens paulinien, Jac, ii, 10. Il faut solliciter les textes pour y trouver que l’Épîtrc de Jude fait allusion aux gnostiques du n c siècle.

Il n’y a donc pas de raison décisive pour retarder l’épître après l’âge apostolique. Peut-on fixer une date plus précise ? La lettre est adressée à des judéochrétiens, comme le contenu l’indique. Elle ne laisse rien soupçonner de la ruine de Jérusalem, qui aurait pourtant fourni l’exemple d’un châtiment exemplaire.

II est donc vraisemblable qu’elle a été écrite avant 70. En outre on doit la placer plus probablement avant la seconde épître de saint Pierre. Si celle-ci date, au plus tard, de l’an 66, nous devons placer l’épître de Jude avant 66. Cependant la mention de « Jacques » dans l’adresse a fait penser que l’épître était adressée aux judéo-chrétiens de Palestine. Dans ce cas Jude n’aurait guère pu être chargé de veiller sur la foi des chrétiens de Palestine qu’après la mort du grand évêque de Jérusalem, c’est-à-dire après l’an 66, ce qui est contraire à l’hypothèse précédente. Si l’on regarde l’épître comme antérieure à la II 1 Pétri, il faudra donc chercher ailleurs ses destinataires..

D’après Bigg, Epistles of St. Peler and SI. Jude, p. 316 sq., les erreurs dénoncées dans l’épître de Jude, comme dans la seconde de Pierre, avaient leur foyer à Corinthe, d’où elles se, répandaient dans la chrétienté. Pierre en fut alarmé, écrivit sa seconde épître et en envoya une copie à Jude, en l’avertissant de la gravité du péril. Alors Jude écrivit une lettre semblable aux Églises qui relevaient de lui ou auxquelles il s’intéressait spécialement. Les deux lettres seraient des spécimens de circulaires adressées en même temps à plusieurs Églises. Dans ce cas leꝟ. 3 de Jude s’expliquerait facilement : l’auteur a reçu l’alarme ; il se proposait bien d’écrire, mais ce motif nouveau lui dicta sa lettre, alors qu’il avait peut-être en vue un autre sujet.

Il faut faire très large la part de l’hypothèse dans toutes ces combinaisons. Sans doute, l’erreur en question se répand très vite ; elle est dissolvante. L’auteur se décide soudainement à écrire, pressé par un danger imminent ; mais toutes les autres suppositions sont assez gratuites. En particulier, il est difficile de placer la seconde épître de Pierre avant celle de Jude ; à moins de suivre l’opinion de Zahii, Einleitung in dus Neue Testament, Leipzig. 1007, t. ii, p. 19 et 66, qui met la seconde de Pierre avant la première.

En somme on ne peut faire sur la date précise et les destinataires de l’épître que de simples hypothèses, on

n’a pas les éléments nécessaires à la solution de ce problème, un des plus obscurs de l’histoire du Nouveau Testament. Cf. Maier, Der Judasbrief, p. 80 sq.

V. Enseignements théologiques.

1° Doctrines fondamentales. — L’auteur veut mettre les fidèles en garde contre les doctrines impies et corruptrices. Juif, parlant à des Juifs, il tire les leçons qui se dégagent de l’histoire de l’Ancien Testament et de certaines traditions du judaïsme. Sa courte lettre est tout entière dans le ton de l’exhortation morale, non dans celui de l’exposé doctrinal. Toutefois elle suppose les idées fondamentales de la foi chrétienne. Le fidèle doit viser à la réalisation du salut, 3, afin de paraître un jour irrépréhensible et plein d’allégresse devant le trône de la gloire de Dieu, 24 ; les impies seront condamnés pour leur impiété, 15. Pour atteindre le salut, il faut rester attaché à la foi transmise aux saints, c’est-à-dire à l’Évangile, et ne pas suivre les doctrines des hommes débauchés et pervers. Dieu est notre sauveur par Jésus-Christ qui est maître et Seigneur, 4, 25. Pour émouvoir ses lecteurs, Jude leur rappelle les châtiments des impies d’après l’Ancien Testament et les traditions juives ; il apporte des exemples typiques des vérités qu’il allirme.

Exemples typiques.

1. Jésus, ou le Seigneur,

après avoir sauvé son peuple, fit cependant périr ceux qui manquèrent de foi, 5. Les fidèles ne doivent donc pas rester dans une fausse sécurité ; Dieu les a sauvés, mais il les condamnera s’ils abandonnent la foi. On est étonné de voir Jésus mentionné à propos d’un fait tiré de l’Ancien Testament. Certains mss donnent « le Seigneur », mais le sens est le même : il s’agit du Verbe, Seigneur et juge de l’ancienne alliance, du Verbe se révélant, mais non du Verbe incarné, Seigneur et juge de la nouvelle alliance. Cf. Ex., xiv, 1 sq. ; Num., xiv, Il sq. ; xx, 16 ; Ex., xxiii, 20 sq. ; Deut., i, 32. Dans ce passage de l’épître, il ne saurait être question de Josué : Jesum non filium Nave, sed Dominum nostrum dicit, Bède le Vénérable, In hune loc., P. L., t. xeni, col. 125.

2. Les anges déchus, qui n’ont point conservé leur « principauté », qui ont abandonné leur demeure, sont réservés pour le jour du jugement, liés de chaînes éternelles, au sein des ténèbres, 6. D’après une tradition juive, (en relation avec Deut., xxxii, 8, d’après la version des Septante) Dieu a préposé des anges à la garde des nations. Cf. Dan., x, 13, 20 ; Is., xxiv, 2 ; xliv, 8 ; Baruch., iv, 7. Plusieurs d’entre eux ont abandonné leur office ou leur principauté. D’après certaines indications de l’Ancien Testament, les dieux des nations étaient regardés comme des anges déchus. Cf. Ps. xcv, 5, d’après les Septante ; I Cor., x, 20. « D’après une autre tradition, les « sept planètes » étaient gouvernées par des anges. C’est pourquoi les « astres errants », àerrépsç TtÀavrjxou, p. 13, étaient regardés comme des astres mauvais, parce qu’ils ne se mouvaient point dans les limites qui leur étaient assignées, et cela à titre de châtiment infligé aux anges chargés de les diriger. Cette tradition se trouve dans z Livre d’Hénoch, x.xiii, 13 sq., édit. Martin, p. T>2 ; Cf. xxi, 2 sq. ; Is., xiv, 12. Jude est beaucoup plus sobre qu’Hénoch dans sa description ; il voit la surtout un exemple frappant du châtiment qu’entraîne la désobéissance et l’orgueil. Tel fut, en effet d’après ces traditions, le péché des mauvais anges. Cette vue est adoptée par Origène, In Ezech., Homil., ix, 2, P. G., t. xiii, col. 734. Inflalio, superbia, arrogantia, peccalum diaboli est ; et ob hsec delicii ad terras migravit de cœlo.

Selon un autre courant de traditions, qui se retrouve également dans le Livre d’Hénoch, xii, 4, p. 30, et que beaucoup d’anciens auteurs chrétiens rattachent à Gen., vi, 1-2, le péché des anges, les « fils de Dieu » de 1679 JUDE (ÉPITRE DE), ENSEIGNEMENTS THÉOLOGIQUES

1680

Gen., vi, 1-2. fut un péché de concupiscence. Cette manière de voir et cette interprétation du passage de la Genèse, a été rejetée par les commentateurs plus récents. Pour eux, les < fils de Dieu » de Gen., vi, 1-2 sont les pieux descendants de Seth, et le péché des anges fut un péché d’orgueil et de révolte. Cf. Charles, The Book of Jubiles, Londres, 1902, p. 33 sq. D’après saint Irénée les anges déchus péchèrent avant de tomber sur terre. Ils y tombèrent en punition de leur faute, Cont. hæres., IV, xvi, 2, P. G., t. vii, col. 1016. La raison de leur déchéance est connu de Dieu seul. lbid., II, xxviii, 7, col. 809. Les interprétations où nous pouvons reconnaître l’influence du Livre d’Hénoch, finiront par n’être plus que des exceptions. Saint Jean Chrysostome traitera de blasphème le récit de la chute des anges et l’interprétation de Gen., vi, 1-2 donnés dans le Livre d’Hénoch. In Gen., vi, 1, P. G., t. lui, col. 187. Saint Augustin condamnera sévèrement cet apocryphe, à cause de ses doctrines sur les anges, De civ. Dei ; XV, xxui, 4, P. L., t. xiii, col 470-471, et Photius blâmera Clément d’Alexandrie d’avoir adopté ces doctrines. Cotl. cix, P. G., t. ciii, col. 384.

Beaucoup de commentateurs modernes, en dehors de la tradition catholique, estiment que l’épître de Jude adopte sur ce point la doctrine du Livre d’Hénoch. Mais le texte 0-7 est loin d’exiger une telle interprétation. Il ne dit point que l’impudicité reprochée aux habitants de Sodome et de Gomorrhe soit analogue à la faute des anges. Les mots tov ofxoiov TpÔ7rov toôtoiç peuvent se rapporter aux impies qui changent la grâce de Dieu en licence, àcéXYetav.ꝟ. 4. L’auteur apporte en effet trois exemples distincts, celui des Hébreux incrédules dans le désert, celui des anges déchus, et celui de la destruction de Sodome et de Gomorrhe. Ainsi leꝟ. 7 n’offre point un lien logique avec le t. 6. Auꝟ. 7 l’auteur pense aux impies dont il est question auꝟ. 4, et qu’il désigne constamment dans la lettre par le même pronom outoi, ꝟ. 8, 11, 12, 14, 10, 19. Les impies en question imitent l’orgueil des anges déchus et la corruption des habitants de Sodome. Cf. Bède le Vénérable. In episl. Judse, P. L.. t. xciii, col. 125.

3. En rappelant la lutte de l’archange Michel avec le i able au sujet du corps de Moïse, l’auteur fait allusion à une tradition juive bien connue des lecteurs, 1 1 qui est consignée dans l’Assomption de Moïse. Cf. Clément d’Alex., Adumb. in Ep. Judæ, P. G., t. ix, col. 733 ; Origène, De Princip., III, ii, 1, P. G., t. xi, col. 303, Didyme d’Alex., P. G., t. xxxix, col. 1815. Bède le Vénérable, InEp. Judæ, P. L., t. xciii, col. 126, se réfère à Zach., ni, comme à un épisode analogue et tire la leçon du récit : Si Michæl archangelus diabolo sibi adversanli blasphemiam dicere noluit, sed modeslo illum : ermone coercuil, quanlo magis hominibus omnis blasphemia cavenda est et maxime ne majestatem Creatoris verbo indisciplinalo of/endant. lui effet la scène se passe en présence du Seigneur ; cf. II Petr., ii, 1 1, Trqepà x>jptco ; elle est analogue à celle qui est décrite Job, i, G sq. Ce cjue dit saint Thomas de cette dernière peut >.ious aider à interpréter le passage de l’épître : Hoc st/mbolice et sub œnigmate proponittir, seciindum consueludinem sacra" Scripturæ, quæ res spiriluales sub figuris rerum corporalium describil. Exposil. in Job., i, 6. D’après Bède le Vénérable, la leçon porte malgré l’incertitude qui règne sur le lieu et l’époque où doit se placer cet épisode ; ibid., col. 120. Cf. Délit., xxxiv, .) sq,

4. Enfin, l’auteur invoque la prophétie d’Hénoch « le septième depuis Adam », pour rappeler à ses lecteurs que tous les pécheurs seront punis de leurs crimes au jour du jugement. Le texte de l’épître se lit â peu près dans les mômes termes dans la version éthiopienne du Livre d’Hénoch, lx, 8, édit. Martin, p. 121 ;

xcm, 3. p. 213 ; i, 9, p. 4 ; cf. Lods, Le Livre d’Hénoch, Paris. 1892, p. 98-100. Ainsi l’auteur invoque une prophétie qui est connue de ses lecteurs et dont les termes sont fixés. Il ne parle point explicitement d’un écrit ou d’un livre dont il veut garantir la provenance et l’autorité. Il enseigne, en se servant des termes de la prophétie, une vérité commune à la foi juive et â la foi chrétienne : le jugement de Dieu et la condamnation des pécheurs.

L’attribution de la prophétie à Hénoch a embarrassé les anciens commentateurs. D’après Clément d’Alexandrie, l’épître de Jude garantit l’autorité de cette prophétie : his verbis propheliam comprobat. Adumb. in ep. Judæ, P. G., t.ix, col. 731. D’après Tertullien, elle rend témoignage en faveur d’Hénoch. De cult.fem., i, 3, P.L., t. i, col. 1308. Au temps de saint Jérôme, au contraire, la prophétie fit douter de l’inspiration de l’épître : voir Canonicilé. Toutefois les vues de saint Augustin sont analogues à celles de Clément d’Alexandrie et de Tertullien, scr/ps/sseguiV/em/iom alla divina Enoch illum septimum ab Adam negare non possumus, cum hoc in epislola canonica Judas aposlolus dirai. De civ. Dei, XV, xxiii, 4, P. L., t. xi.i, col. 170 Cependant l’épître ne dit pas qu’Hénoch ait écrit, mais qu’il a prophétisé, èTrpocpiQTe’jæv… Asyaiv. Actuellement la prophétie d’Hénoch est expliquée de diverses manières par les commentateurs catholiques. Les uns estiment que Jude se sert d’un argument ad hominem, qu’il combat ses adversaires avec leurs propres armes en faisant appel à d ;-s traditions qu’ils admettent. Cf.

A. Camerlynck, Article Epistle of Saint Jude, dans The Catholic Encgclopedi i, NewYork ; Ermoni, art. Épîlre de Saint Jude, dan ; le Dictionnaire de la Bible de Vigouroux.

D’autres pensent qu’il a cité une prophétie d’Hénoch conservée dan ; la tradition : Porro Henoch fuit prSoheta, et eu quæ citât hic Judas, prophetavil viva voce, quæ^vel traditione mijorum accepit Judas, vel ex libro sine aHenoch, sive a Noe, sive a quo alio qui prophetias Henoch-collegit, conscripto. Cornélius a Lapide, In h. I. Ils voient’des vestiges de cette tradition dans Deut., xxxiii, 2 ; ^>ach., xiv, 5 ; cf. Drach, É pitres catholiques, p. 230 ; cf. p..^28. En tout cas on ne peut dire que l’auteur donne coiXme inspiré le Livre d’Hénoch tel que nous le connaissins. Il ne fait pas appel à un livre, mais proprement ; > une prophétie admise de ses lecteurs, et où il trouve l’expression de la foi juive et de la foi chrétienne. On ne saurait donc invoquer ce passage contre l’inspirat.’on de l’épître.

Nous ne mentionnons que les commentaires et les travaux spéciaux.

I. Commentaires anciens. - t Clément d’Alexandrie, Adumbratio in Epistolam Judée, P. G., t. ix, col. 731-734 ; Didyme d’Alexandrie, In Epistolas catholicas enarratio, P. G., t. xxxix, col. 1811-1818 ; Casiiodore, Complexiones in Epistolas Catholicas, P. L., t. lxx, col. 1375-1378 ; Bède le Vénérable, P. L., t. xciii, col. 123-130, "xcellent commentaire doctrinal et moral ; Œcumenius, P. G., t. exix, col. 703-722 ; Théophylacte, P. G., t. c.xxvi, col. 85-104 ; Denys Bar Salibi, In Apocal., Actus Apostoi. et Epistulas catholicas, dans Corpus Scriptorum christianoi’tin orientalium, Paris, 1909, t. ci ; Catharin, In omnes dioi l’auli apostoli et in septem catholicas epistolas commentariirs, Paris, 1566 ; Estius, In omnes S. Pauli et septem catliolicorum apostolorum epistolas commentarius, Douai, 1601 ; Corneille de La Pierre, Commentarins in epistolas canonicas, Anvers, , ’613 ;

B. Justiniani, Explanaiiones in omnes epistolas catholicas, Lyon, 1021.

IL Commentaires et TRAVAUX modernes. — 1o Calholiques : M. F. Rampf, Der Brief Judæ des Apestels und lirutlers des Herrn, Soulzbach, 1854, excellent exposé des arguments en faveur de l’authenticité ; Drach, Les Êptlres catholiques, Paris, 1899, contient des remarques très judicieuses sur l’interprétation de plusieurs passages ; F. Maier, Der Judasbriefi seine Echtheit, Abfassungsteli und Léser dans Biblische Studien, i. xi, fasc. 1-2, Fribourg, 1906,

excellente introduction historique ; Calmes, Épitres catholiques et Apocalypse, Paris, 1907 : Épître de Jude, p. 101111, ne donne pas d’introduction, mais seulement une traduction avec notes, est porté a faire de l’auteur et de Judas Jacobi deux personnages distincts ; Camerlynck, Commentarins in Epistolas Catholicas, Bruges, 1909 ; Fillion, Les Epitres Catholiques, dans Sainte Bible commentée, Paris, 1915, t. viii, p. 769 ; V. Vrede, Judas, Pe’trus, und Johannesbrie /e, dans, Die heiliqe Scliri/t des S. T., Bonn, 1921, bon commentaire doctrinal.

2° Xon catholiques : H. Kùhl, Die Briefe Pétri und Judæ, dans Kommentar iiber das N. T. de Meyer, 6e édit., Gœttingue, 1897, 7e édit., revue par Knopꝟ. 1912 ; Ch. Bigg, Epistles of St. Peter and St. Jude, dans International Critical Conunentarii, Edimbourg, 1902 ; J.-B. Mayor, The Epistle o/ St. Jude and the second Epistle of St. Peler, Londres, 1907, étude critique très approfondie de toutes les questions relatives aux deux épîtres et à leur dépendance mutuelle ; H. Windisch, Die Katholischen Briefe erkldrt, dans Lietzmann, Ilandbuch zum S. T., Tubingue, 1911 ; G. Wohlenberg, Der erste und -weite Petrusbric/ und der Judasbrief, dans Kommentar zum Neuen Testament, Leipzig, 1915 ; les commentaires de Bigg, Windisch et Wohlenberg sont très documentés, le dernier donne une abondante bibliographie relative aux épîtres de saint Pierre et à celle de saint Jude.

J.-B. Colon.