Dictionnaire de théologie catholique/JUSTICE (Vertu de) IV. La justice vertu cardinale

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 303-304).

a contribue à ébranler la sécurité. Aussi la loi mosaïque prescrit-elle à juste titre : « Si un homme dérobe un bœuf ou une brebis… il restituera cinq bœufs pour le bœuf, et quatre brebis pour la brebis. » Ex., xx, 1.

Enfin dans nombre d’échanges volontaires, la passion ne serait pas toujours égale, si quelqu’un donnait sa ebose à lui en échange de celle d’un autre, parce qu’il pourrait arriver que celle-ci fût plus précieuse que la sienne propre. Le troc est en définitive une forme d’échangi s souvent injuste. Et voilà pourquoi il faut, suivant une mesure justement proportionnée, égaler la passion à l’action dans les échanges. C’est précisément à cette tin qu’ont été inventées les monnaies, qu’on substitue aux choses elles-mêmes dont elles payent le prix. A. 4.

Enfin quand il s’agit non plus de justice conunutative, mais de justice distributive, cette doctrine du contrapassum ne trouve même plus à s’appliquer. Ici, en effet, l’égalité ne se fait pas de chose à chose, mais de chose à personne. A la différence de ce qui se passe en justice d’échange, ce sont les personnes et non les choses qui interviennent à litre direct dans la justice de répartition. Ila-II », q. i.xi.

IV. La justice vertu cardinale.

Vertus théologales, morales, cardinales.

- Dans la justification, avec la rémission des péchés et la collation de la grâce sanctifiante, des principes d’action surnaturelle, des énergies d’ordre divin nous sont donnés ; ce sont les vertus infuses. Les unes sont dites théologales, non seulement parce qu’elles ont Dieu pour cause et que c’est à Dieu que nous en devons la connaissance, mais surtout parce que, nous ordonnant vers Dieu, elles ont Dieu lui-même pour objet et pour motif. Ce sont : la foi, l’espérance et la charité.

Les autres vertus sont dites morales, parce qu’elles ont pour objet les devoirs moraux de l’homme et que, par elles, l’homme devient moralement bon. A la différence des vertus théologales qui disposent l’homme, comme il convient, vis-à-vis de la fin dernière de la vie humaine, les vertus morales le disposent à prendre les moyens d’atteindre cette fin.

Les vertus morales sont naturelles ou acquises, surnaturelles ou infuses. Les premières disposent l’homme au bien simplement honnête : les secondes le disposent au bien surnaturel et divin. La fin de l’homme étant surnaturelle, les moyens pour l’atteindre doivent être de même nature, et les vertus qui y disposent auront le même caractère. Elles ne sauraient donc être acquises par les efforts de l’homme ; elles viennent de Dieu seul et sont infusées par lui, dans la justification, en même temps que la grâce sanctifiante et les vertus théologales.

Quatre de ces vertus portent le nom de cardinales, parce qu’elles forment l’axe de toute la vie morale. Cardinalis a cardine dicitur, in quo ostium vertitur dit saint Thomas. Kl ideo proprie virtuies cardinales dicuntur in quibus quodammodo vertitur et fiindutur vita moralis, sicut in quibusdam principiis lidis vitse ; proplrr quod et hujusmodi virtuies principales dicuntur. — Qusestiones dispulaiæ, de virtutibus cardinalibus. Q. unie, a. 1.

Ce sont :
la prudence, qui éclaire et dirige la conduite par le discernement ce ce qui est à faire ou à éviter ;
la justice, qui porte à rendre à chacun ce qui lui est dû ;
la force, qui écarte les obstacles et triomphe des difficultés dans l’accomplissement du devoir ;
la tempérance, qui modère la concupiscence et la maintient dans de justes limites.

Ces quatre vertus cardinales servent de centre autour duquel se groupent beaucoup d’autres vertus secondaires et subordonnées. Parmi toutes ces vertus, les unes se rapportent à l’intelligence et sont d’ordre intellectuel ; les autres se rapportent à la volonté. C’est dans cette dernière faculté que réside la vertu de justice.

La justice vertu cardinale.

C’est avec, raison que la justice est comptée au nombre des vertus cardinales. Cette vertu règle les rapports d’un individu à un autre, des membres de la société comme parties d’un tout, et enfin de l’homme à Dieu, en tant que certaines obligations le lient à Dieu, bien qu’il n’y ait pas de place ici pour une justice rigoureuse, à cause du défaut d’égalité. Elle se définit : une vertu infuse qui nous porte à rendre et à garder à chacun le bien qui lui est dû : définition qui s’applique également à la justice conunutative, à la justice légale et à la justice distributive. Virlus cardinalis justitiæ generice sumptu, dit Pesch, deflniri potest : habitus infusus ad reddendum et servandum unicuique bonum ipsi debitum. Justifia commutativa est virtus infusa ad reddendum et servandum omni individuo (plujsico vel morali, semper tamen rationali, ut patel) secundum perfeetam œqualitatem quidquid ipsi ex stricto jure debetur. Juslitia legalis est virtus infusa ad reddendum et servandum rcipubliciv, quidquid ipsi a partibus suis (capile et membris) debetur. Justifia distributiva est virtus, qua illi, qui habent auctoritalem publicam, bona et onera communia singulis subditis distribuunt pro eorum conditionibus, facultatibus, meritis. C. Pesch, Prælecliones dogmaticæ, Fribourg-en-B., 1911, t. ix, p. 107.

1. La sainte Écriture, en maints passages, enseigne que la justice est une vertu, et la place avec les autres vertus cardinales. Témoin ce texte du Livre de la Sagesse : « La divine Sagesse enseigne la tempérance et la prudence, la justice et la force, qui sont, ajoute l’écrivain sacré, les choses les plus utiles à l’homme dans cette vie. » Sap., viii, 7.

Nombreux sont les textes où elle recommande et prescrit les devoirs imposés par la justice conunutative, la justice légale tant à l’égard du pouvoir civil que vis-à-vis des pouvoirs spirituels, et la justice distributive. Qu’on nous permette d’en citer quelques-uns.

a) Le décalogue énonce en termes brefs l’interdiction du vol : Non furtum faciès. Ex., xx, 15 ; les divers libres bibliques, qu’il s’agisse du Deutéronoine, des prophètes, des hagiographes insistent sur les modalités diverses par lesquelles on peut violer ce précepte fondamental : SU lera dolosa abominatio est apud Dominum, et pondus œquum voluntas ejus, disent les Proverbes xx, 1, et ce texte pourrait être commenté par une multitude d’autres.

b) Pour ce qui est de la justice légale, le Sauveur en a posé le principe avec une netteté qui exclut toute discussion : « Rendez à César ce qui appartient à César. » Matth., xxii, 21. Les apôtres, avec, une insistance, qui a bien son prix au moment où ils écrivent, font la théorie de cette justice légale : qu’il sullise de rappeler deux textes classiques de saint Paul : « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures : car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu, el celles qui existent ont été instituées par Dieu… Rendez donc à tous ce qui leur est dû : le tribut à qui vous devez le tribut, l’impôt à qui vous devez. l’impôt, la crainte à qui vous « levez, la crainte, l’honneur à qui vous devez l’honneur. » Rom., xiii, 1, 7. « Nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit juifs, soit païens, soit esclaves, soit libres Mais maintenant il y a beau coup de membres, et un seul corps. L’œil ne peut pas dire à la main : je n’ai pas besoin de ton aide : ni la tête dire aux pieds : vous ne m’êtes pas nécessaires.

Mais, au contraire, les membres du corps qui paraissent h 6 plus faibli s sont les plus nécessaires. Et si unmei ibre soutire, i « mis les membres souffrent avec lui ; ou si un membre est honoré, tous les autres s’en réjouissent avec lui. » 1 Cor., xii, 13, 20, 23, 20.

c) Quant à ce que nous avons appelé la justice distributive, c’est encore aux avertissements des prophètes qu’il faudrait se reporter pour en trouver une minutieuse description. Le texte suivant, tiré de la Sagesse exprime au mieux les devoirs des détenteurs de la puissance publique : « Écoutez donc, ô rois, et comprenez ; apprenez juges des confins de la terre. Car la puissance vous a été donnée par le Seigneur, et la force par le Très-Haut, qui interrogera vos œuvres et sondera vos pensées ; parce qu’étant les ministres de son royaume, vous n’avez pas jugé équitablement, ni gardé la loi de la justice, ni marché selon la volonté de Dieu. » Sap., vi, 2, 3, 4.

2. Les Saints Pères sont unanimes à faire de la justice une vertu cardinale.

De tous les Pères, saint Ambroise est peut-être celui qui en a le mieux exprimé la théorie générale. Après avoir énuméré les quatre vertus cardinales, il s’étend sur la notion et les caractères de la justice dont il fait ressortir la splendeur : Et quidem s< imus virtutes esse quatuor cardinales : temperantiam, justiliam, prudentiam, fortiludinem. In Luc, t. V, n. 62. P. L., t. xv, col. 1758. Il définit la justice, la vertu, quie suum cuique tribuit, alienum non vindicat, utilitatem propriam negligit, ut communem xquilalem custodi, t. De officiis, I. I, c. xxiv, n. 115. P. L., t. xvi, col. 62. — Justiliæ autem pietas est prima in Deum, seeunda in palriam, lerlia in parentes, item in omnes. Ibid., c. xxvii, n. 127, col. 65 ; voir aussi c. xxviii, n. 130, 135, 136.

Saint Augustin enseigne que la justice est une des quatre vertus cardinales et il en décrit, d’après Cicéron, les fonctions variées, rcligionem, pictalem, gratiam, vindicationem, observationem, verilatem, paclum, par, legem, judicatum. De diversis quæslionibus LXXXIll, q. 31, P. L., t. xl, col. 20, 21.

Dans son traité du libre arbitre, il définit la justice une vertu qui fait rendre à chacun ce qui lui est dû. Jam justiliam quod dicamus esse, nisi virtutem qu sua cuique tribuuntur ? Et il ajoute qu’il ne connaît pas d’autre notion de la justice. Nulla mihi alia justitiæ notio est. De libero arbitrio, t. I, c. xiii, n. 27, P. L., t. xxxii, col. 1235.

D’après saint Grégoire le Grand, l’édifice spirituel de notre âme est soutenu avec vigueur par les quatre vertus de prudence, de tempérance, de force et de justice. C’est sur ces quatre angles que cet édifice subsiste, parce que la structure de toute bonne œuvre, s’élève sur ces quatre vertus. Solidum mentis nostrse œd.ficium, prudentia, tempcranlia, lorliludo, justitia suslinet. In quatuor vero angulis domus ista subsislit, quia in his quatuor rirtutibus tota boni operis structura consurgit. Moral., t. II, c. xlix, n. 76, P. L., t. lxxv, col. 592.

Prééminence de la justice.

La vertu de justice a la prééminence parmi toutes les vertus morales… C’est dans la justice, dit Cicéron, que la vertu brille de son plus vif éclat ; c’est par elle que les hommes sont appelés bons ou honnêtes. In justitia virtutis splendor est maximus, ex qua boni viri nominantur. De officiis, t. I, c. vii, n. 20. Cela est vrai qu’il s’agisse de la justice légale ou de la justice particulière. Si nous parlons, en effet, de la justice légale, il est manifeste, dit saint Thomas, qu’elle est la plus belle de toutes les vertus morales, pour autant que le bien commun l’emporte sur le bien particulier de l’individu. Et, en ce sens, Aristote déclare que la plus belle des vertus paraît être la justice ; ni l’étoile du soir, ni l’étoile du malin ne sont aussi dignes d’admiration. Kal ?ià toôto tcoX-Xcr-tç y.potTÎaTï) tejv àpe-rwv slvzi Soxs’i Sixato ûv/j, y.xï oû0 "è ; T.e oçoilO’éâ>oç outco Oxùji.aaToç. Ethic. Nie, t. V, c. iii, édit. Berlin, p. 1 129 b.

Dans l’ordre humain, en effet, et en deçà des vertus théologales épanouies dans la charité, il n’est rien qui approche de la beauté et de l’excellence de cette vertu.

La justice particulière elle-même est supérieure, en excellence, aux autres vertus morales. Celles-ci, en effet, sont louées uniquement d’après le bien du sujet vertueux qu’elles assurent ; la justice, au contraire, est louée selon que l’homme vertueux est ce qu’il doit être par rapport aux autres ; de telle sorte que la justice, dit saint Thomas, est, d’une certaine manière, le bien d’autrui : Et sic justitia quodammodo est bonum allerius. Sum. theol., Ha [Iæ, q. lviii, a. 12.

Il est nécessaire, enseigne Aristote, que les vertus les plus utiles aux autres comptent parmi les plus grandes, car la vertu est une puissance bienfaisante. Aussi bien voyons-nous que les forts et les justes sont le plus honorés ; parce que la force est utile aux autres dans la guerre, et la justice leur est utile dans la guerre et dans la paix Rhet., t. I, c. ix, p. 1366 b.