Dictionnaire de théologie catholique/JUSTIFICATION : Doctrine à l'époque de la Réforme. III. Définitions de l'Eglise :Constitution du concile de Trente

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 377-391).

III. DÉFINITIONS DE L'ÉGLISE : CONSTITUTION du concile de Trente (13 janvier 1547). —

Parmi les 41 erreurs de Luther condamnées par Léon X, dans sa bulle Exsurge Domine du 15 juin 1520, aucune ne porte sur le point précis de la justification. Tout au plus les principes directeurs du système protestant y sont-ils implicitement visés dans les propositions relatives au caractère coupable de la concupiscence, n. 2-3, Denzlnger-Baruvwart, n. 742-713, et Cavallera, Thésaurus, n. 1019 et 1460, à l’extinction du libre arbitre et à la malice de tous nos actes même bons, n. 31-32 et 35-36, ibid., n. 771-776 et 869, au rôle nécessaire et suffisant de la foi dans la rémission du péché par l’absolution sacramentelle, n. 10-12 et 15, ibid., n. 750-755 et 1209, 1236.

Loin de se soumettre, Luther accentua sa révolte et la controverse ne tarda pas à taire apparaître au grand jour que la justification formait la clef de voûte du nouvel évangile. Aussi cette question allait-elle former le centre et le bloc principal des définitions que le concile de Trente opposerait à l’hérésie,

I. histoire du DÉCRET.

Il est peu de textes conciliaires qui aient été aussi longuement et aussi soigneusement élaborés que le décret du concile de Trente sur la justification. Tous les* documents en sont aujourd’hui à la portée de l’historien, depuis la publication intégrale des actes de la vie session, Conc. Trid., t. v, Act., pars 2 a, édit. Elises, Fribourg-en-B., 1911, p. 257-833, auxquels il faut ajouter de nombreuses pièces contenues dans les volumes consacrés aux diaires, spécialement t. ii, 1901, p. 428-432, et aux épîtres relatives à cette période, t. x, 1916, p. 531-789. Bien qu’il ait paru avant cette publication, le volume de J. Hefner, Die Enlslehung gseschichte des Trienter Rechtferligungsdekretes, Paderborn, 1909, écrit d’après les papiers du cardinal Cervino, reste indispensable et toujours très précieux pour débrouiller cette vaste matière. Il annulé en tout cas les vieilles esquisses de B. Seeberg, dans Zeitschrift fur kirchliche Wissenschafl und kirchliclies Leben, 1889, p. 546-559, 604-616, 643-700, et de W. Maurenbrecher, dans Hislorisches Tasclienbuch, 1890, p. 237-330.

Préparation du décret.

Dès le 30 janvier 1546,

le légat Marcel Cervino, cardinal de Sainte-Croix, qui devait être « l'âme du concile en cette matière, » Hefner, p. 33, écrivait à Borne qu’il lui paraissait opportun de mettre au programme de l’assemblée d’abord la question du péché originel, puis celle de la justification. Conc. Trid., t. x, p. 352 ; cf. p. 459 et 470. Le 13 mai, le cardinal Farnèse faisait, de son côté, savoir aux légats que le pape était impatient qu’on arrivât sans retard aile cose sustanliali corne è l’articolo délia giustificazione, p. 487. A quoi ceux-ci répondaient, le 19, que, per andare ordinatamente, il leur paraissait logique de commencer tout d’abord par le péché originel, p. 492 ; cf. p. 496 et 526.

Il en fut ainsi fait et ce décret préalable fut mis à l'étude, puis promulgué à la ve session (17 juin 1546). Dès le 21, les légats proposaient à l’assemblée d’aborder le point de la justification. Articulas… salis difficilis, observait le cardinal Cervino, cum alias decisus non fuerit in conciliis. Conc. Trid., t. v, p. 257. Quelques évêques inclinaient à attendre l’arrivée d’un plus grand nombre de prélats, per essere (queslo punlo) il più importante che si possa traltare in queslo concilio, t. x, p. 532. Ils se rendirent pourtant aux raisons des légats et adoptèrent, tutti ad unum, le plan proposé, t. v, p. 357-360.

1. Préparation éloignée.

Très sagement, l'évêque de Belcastro avait demandé que, pour ne pas se perdre en disputes inutiles, la question fût d’abord soumise à des spécialistes. Cervino décida, en effet, qu’on commencerait par entendre les théologiens : ante omnia theologi minores audientur quibus aliqui articuli proponentur hanc materiam comprehendentes. Ibid., p. 260. Ces « articles » furent au nombre de six, qui portaient sur la notion de la justification, ses causes du côté de Dieu et de l’homme, le sens de l’expression justificari per fidem, la valeur des œuvres ante et post, les circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes de la justification elle-même, les autorités scripturaires et traditionnelles relatives à ces divers points. Ibid., p. 261. « Et parce que l’importance de ce concile en matière dogmatique, dépend principalement de cet article, » les légats suppliaient le pape de le faire étudier également à Borne par ses propres théologiens, t. x, p. 532.

Les consulteurs conciliaires ne tinrent pas moins de six longues séances du 22 au 28 juin, t. v, p. 262-281, per essere la maieria importante et di lunga discussione, comme en rendaient compte les légats, t. x, p. 536. Trente-trois docteurs de tous les ordres y prirent part : seuls les mémoires du jésuite Alphonse Salmeron et du franciscain Antoine de Pignerol, celui-ci naturelle ment d’inspiration scotiste, se sont intégralement conservés, t. v, p. 265-272 et 275-277.

Dans l’ensemble, les réponses furent concordantes ; mais deux augustiniens, Grégoire Perfecto de Padoue et Aurélius de Boccacontrata, soutenus par le dominicain Grégoire de Sienne et le servite Laurent Mazzochi, se distinguèrent des autres en soutenant que le libre arbitre ne concourt à la justification que mère passive et semblèrent diminuer en conséquence le mérite des œuvres. Qui non satis videntur catholice loculi, note le secrétaire Massarelli. Le dominicain Jean d’Udine se joignit à eux pour dire que « la -foi nous justifie, parce que nous sommas justifiés quand nous croyons fermement recevoir la rémission de nos péchés par les mérites du Christ. » Ibid., p. 280. Doctrines qui paraissent offrir « une certaine parenté avec les conceptions protestantes, » Hefner, p. 91, et que les légats jugèrent, en tout cas, défavorablement. Mais l’ensemble de la discussion, à laquelle beaucoup d'évêques avaient assisté, leur paraissait propre à jeter « une grande lumière » dans l’esprit des prélats appelés à trancher la question. Lettre du 1 er juillet, t. x, p. 516. 2. Préparation prochaine.

Aussi, dès le 30 juin,

les légats proposaient-ils au concile un programma en trois points : première justification ou passage de l’infidélité à la foi, deuxième justification ou conservation et développement de la première, troisième justification ou recouvrement de la grâce perdue par le péché. Chacun était accompagné de brèves formules où étaient condensées les erreurs, en tout vingt-deux, soumises à l’examen des Pères, t. v, p. 281-282.

Approuvé à la réunion générale du 30 juin, ibid., p. 282-285, ce programme fut aussitôt mis en discussion. Tous les prélats devaient donner individuellement leur avis : beaucoup lurent des déclarations écrites, plus ou moins étendues ; mais d’autres se contentèrent de se rattacher en quelques mots à l’un ou l’autre des préopinants.

Les délibérations sur le premier point remplirent huit assemblées du 5 au 13 juillet, ibid., p. 286-336, coupées, le 8, par la réception des ambassadeurs de France et le discours de Pierre Danès, p. 309-316. D’importantes communications doctrinales y furent faites : le 5, par l’archevêque de Matera, p. 287-291 ; le 6, par l'évêque de Feltre, p. 296-298 ; le 7, par les évêques de Vaison, p. 299-302, et de Motula, p. 302308 ; le 10, par les évêques de Badajoz, p. 322-324, et de Bellune, p. 325-327 ; le 13, par le général des augustins, Jérôme Séripando. p. 332-336. Ce dernier fut particulièrement remarqué, bien qu’il manifestât déjà sa tendance à réduire la part de l’homme au profit de la grâce. Hefner, p. 93. Ces divers avis furent résumés à la séance du 14, t. v, p. 337-340.

Pour aller plus vite en besogne et rédiger le décret ainsi préparé, le concile désigna, le 15, une commission de quatre membres. Bobert Vauchop, archevêque d’Armagh, et Benoît de' Nobili, évêque d’Accia, obtinrent chacun 19 voix ; Jacques Jacomelli, évêque de Belcastro, fut élu par 23 suffrages et Cornelio Musso, évêque de Bitonto, par 40. Ibid., p. 310. Entre temps, les délibérations se poursuivaient sur la deuxième et la troisième justification, qui occupèrent encore huit séances, du 15 au 23 juillet. Ibid., p. 340378. Ce furent le plus souvent les mêmes orateurs qui eurent l’occasion de s’y distinguer.

Un incident tragi-comique interrompit la gravité de ces échanges de vues. L'évêque de La Cava, Jean Thomas Sanfelice, qui avait soutenu, le 6 juillet, que nous sommes justifiés per solam fidem, p. 295, reprit la parole, le 17, pour maintenir son opinion, p. 317, et remit un mémoire écrit dans ce sens, p. 352-351. Indigné de ces propos, qu’il avait déjà blâmés en parI ticulier, l'évêque de Chiron, Denys Zannettino, sur

nommé le Greccheto, se mit à l’accuser à haute voix d’ignorance ou d’insolence. Sur quoi Sanfelice lui porta vivement les deux mains au visage et lui secoua si rudement la barbe qu’il lui en arracha plusieurs poils, t. v, p. 357-359. Le scandale étant public, une sanction était inévitable. Il y eut enquête d’urgence, t. v, p. 354-359, et le bouillant Sanfelice dut subir par ordre des légats quelques jours de prison préventive au couvent de Saint-Bernardin, t. x, p. 565. Mais, le 28, sur les instances de Zannetino, qui avait bien conscience d’avoir un peu provoqué l’incident, l’assemblée décréta sa délivrance, sous la double condition qu’il quitterait le concile et irait se faire absoudre par le pape, t. v, p. 359, 396-397, et t. x, p. 576. L’incident est également relaté dans le journal de Massarelli, 1. 1, p. 561 et 563.

En dehors de cette « rixe », les consultations théologiques suivirent paisiblement leur cours. Un prélat désireux d’avancement, l’évêque Staphileus de Sebenico, prenait même le soin d’envoyer les siennes au pape, afin de se recommander par là en vue d’un poste plus avantageux, t. x, p. 561-563. Les séances se terminèrent le 23 juillet par une longue exposition de Séripando, t. v, p. 371-375, et du général des Carmes, p. 375-378. Il ne restait plus qu’à résumer l’ensemble, p. 378-384, pour aborder ensuite la rédaction même du décret.

Dans l’intervalle, les avis des théologiens romains, si souvent sollicités, étaient expédiés de Rome le 17, t. -x, p. 566-567, et arrivaient à Trente le 22, p. 569570. Mais à ce moment-là le travail des commissaires du concile était déjà prêt.

Élaboration du décret.

Avant d’arriver à sa

forme actuelle, le décret sur la justification est passé par trois rédactions successives, et plus ou moins différentes, qui furent tour à tour abandonnées.

1. Premier projet.

Sans perdre de temps, la commission désignée le 15 juillet s’était mise à la tâche, avec le concours des théologiens choisis par elle « parmi les meilleurs », t. x, p. 565 et 569. Le plus important fut le franciscain André Véga, qui, d’après des sources encore inédites, serait le primus et principulis auctor de ce premier projet. Elises, t. v, p. 384, et Hefner, p. 103.

Le texte en fut distribué aux membres du concile le 24 juillet, t. v, p. 384-391. Il comprenait vingt et un petits chapitres, dont les trois premiers seuls avaient une forme affirmative, tandis que les autres commençaient par une formule d’anathème contre l’erreur visée. Chacun était suivi d’arguments théologiques et scripturaires propres à l’établir. On a n mai que avec raison, Hefner, p. 107, que ce projet primitif suit de très près la liste des vingt-deux propositions dressée par les légats en date du 30 juin.

En raison des difficultés intérieures qui entravaient alors la marche du concile, la discussion de ce texte fut retardée jusqu’au mois d’août. De Rome on suggérait d’ « expédier l’article de la justification », t. x, p. 612, afin de procéder ensuite à la translation de 1’asseiublée. Cette suggestion ne fut pas suivie et la discussion occupa les congrégations des 13, 17 et 28 août, t. v, p. 402-419.

Le piojct des commissaires fut assez maltraité. Quelques théologiens avaient déjà fait à son endroit des remarques de détail, p. 392-394, Presque tous les J’en s en critiquèrent la forme, qu’ils trouvaient longue et obscure. D’autres y signalaient des superlluités ; beaucoup se plaignaient de n’avoir pas sous les yeux

les notes des théologiens. 1.’architecture même en

déplaisait à plusieurs, parce qu’ils y voyaient trop de raisonnements et pas assez de décisions. Ainsi l’évêque de Sinigaglia souhaite que les canons soient rédigés

in tnodum dedivuiis non persuasionis, p. 403. Non

placent tôt rationes, appuie l’évêque de Bertinoro, p. 404, quia Spiritus Sanctus déterminât dogmata, non rationes. Moins mystique, l’évêque d’Agde en appelle à la suprême autorité du concile : Non reddantur rationes in canonibus, cum conciliorum suprema sit auctoritas, p. 409.

Profitant de ces hésitations, les prélats du parti impérial cherchaient à faire durer les débats par des chicanes de procédure. Ainsi l’évêque de Saint-Marc désirait revenir sur la liste des erreurs proposée le 30 juin, p. 408, et le cardinal de Jaën voulait connaître au préalable les raisons des commissaires, p. 410. Pour des scrupules théologiques, motivés par l’importance et la gravité de la question, le cardinal Pôle demandait de son côté qu’on prît du temps. Lettre du 28 juillet, t. x, p. 630-632.

Sur quoi le cardinal del Monte conclut le débat en promettant un nouveau texte, amendé juxla censuras Patrum, p. 410, auquel on trouverait bien moyen d’ajouter, sur la certitude de la grâce, p. 419, une formule propre à donner satisfaction aux desiderata de l’assemblée.

2. Deuxième projet.

Pour aboutir d’une manière

plus rapide et plus sûre, le cardinal de Sainte-Croix, Marcel Cervino, résolut de renoncer aux services de la commission et de prendre l’affaire en mains propres. Il recourut à cette fin aux lumières de Jérôme Séripando, dont le rôle déjà considérable allait ainsi devenir prépondérant.

Le général des augustins a lui-même raconté les vicissitudes de cette collaboration, t. ii, p. 428-432. Dès le 24 juillet, il était mandé par Cervino, qui le priait de rédiger un decrelum de justifteatione et lui faisait part de ses vues à cet effet. Ce texte fut prêt le Il août et le cardinal sembla fort le goûter : il est publié au t. v, p. 821-828. Quelques jours après, le 19, Séripando lui en présentait, sur ses désirs sans doute, une seconde rédaction, légèrement remaniée sur certains points. Ibid., p. 828-833.

Car, entre temps, Cervino consultait aussi d’autres théologiens. A l’aide de ces divers éléments, il rédigea un travail personnel, que Massarelli commençait à transcrire dès le 20 et qu’il reprenait les jours suivants, après des conférences privées avec l’auteur qui durèrent souvent de longues heures, t. i, p. 568-570. On voit que le cardinal, comme il s’en rend témoignage, ne recula pas devant la fatigue, t. x, p. 623 et 629. Ce texte fut soumis, dans les premiers jours de septembre, à divers évêques ou théologiens importants. Massarelli, t. i, p. 571. Le 10, les légats pouvaient rendre compte à Rome qu’ils y avaient travaillé sans interruption et qu’il n’était pas un seul mot qui n’eût été pesé en particulier avec tous les membres du concile che son qui di qualche repulatione, t. x, p. 642 ; cf. p. 647 et les notes de Massarelli, t. i, p. 573-575.

Le projet si soigneusement élaboré fut envoyé à Rome le 22, t. x, p. 660, et soumis au concile le 23, t. v, p. 420-430. Il paraît que « personne n’ouvrit la bouche si ce n’est pour le louer, » t. x, p. 06 1 Seul Séripando n’y reconnut pas son œuvre sous les multiples remaniements qui l’avaient modifiée et en présenta ses observations au cardinal, t. ii, p. 430. Les langues allaient d’ailleurs se délier au cours de la discussion.

A la différence du premier, ce nouveau projet séparait nettement l’exposition positive, en onze petits chapitres, et la condamnation des erreurs en vingt et un canons qui suivaient. Il fut d’abord discuté en congrégation par les théologiens, les 27, 28 et 29 septembre, t. v, p. 431-1 12, puis en assemblées générales par les Pères du concile, les 1. 2,.">, 6. 7, 8, 9, Il et 12 octobre, p. 442-197. Les diverses observations qui furent faites sont résumées p. 498 509, tilles portaient sur maints détails de fond ou de forme et faisaient,

dans l’ensemble, sentir le besoin d’une rédaction encore plus courte et plus claire. Dans l’intervalle, on avait aussi reçu les avis des théologiens romains, t. x, p. 692693, tandis que les théologiens du concile discutaient, au cours de dix séances, les deux points de la justice imputée et de la certitude de la grâce, p. 523-633. Cf. t. x, p. 684.

Il fallut donc se mettre à un nouveau remaniement, mais il n’en est pas moins vrai de dire, avec Hefner, p. 113, que « le projet de septembre restera la base du décret futur. »

3. Troisième projet.

Dès le 25 octobre, Cervino demandait à Séripando de se remettre à l’œuvre pour tenir compte de toutes les suggestions qui lui en paraîtraient dignes et écarter d’un mot les autres.

Celui-ci se livra soigneusement à cette révision, avec le concours de Massarelli, qui venait chez lui de grand matin, t. ii, p. 430, et 1. 1, p. 581-582. Le travail fut terminé le 31 octobre. Ibid., p. 583. Voir le texte t. v, p. 510-523. Puis il fut remis à Cervino, qui lui fit subir de nouvelles et sensibles retouches, t. i, p. 583. Aussi, lorsqu’il fut soumis au concile le 5 novembre, Séripando eut encore la surprise de le voir tellement modifié, deformatum et quoad materiam et quoad formam, qu’il ne le reconnaissait plus. Cervino crut devoir s’en excuser auprès de lui, en alléguant qu’il avait dû sacrifier ses préférences personnelles pour donner satisfaction au cardinal del Monte, t. ii, p. 430.

Le nouveau texte se présentait avec seize chapitres, quelques-uns du précédent projet ayant été dédoublés, précédés chacun d’un titre qui en marquait l’objet. De vingt et un le nombre des canons était également passé à trente et un, t. v, p. 634-641. La discussion générale s’ouvrit le 9 novembre et occupa quatorze séances jusqu’au 1 er décembre, p. 642-685. Elle fut surtout marquée, les 26 et 27, par une longue intervention de Séripando en faveur de la double justice, p. 666-675.

A l’aide de ces monologues successifs, un travail de précision finissait par s’accomplir. Pour le mener à bonne fin, la commission de quatre membres, qui chômait depuis le mois de juillet, reprit ses travaux, p. 678, et classa les critiques formulées par les Pères en trois catégories, suivant leur gravité, p. 685. C’est de là qu’allait sortir rapidement le texte définitif.

Quelques observations parurent assez légères pour que la commission prît sur elle de les régler. Neuf seulement furent jugées assez sérieuses pour être soumises à l’assemblée, qui en délibéra du 3 au 6 décembre, p. 685-691. Puis, du 7 au 16, elle aborda l’examen des chapitres et canons réformés suivant ses désirs, p. 691723. Trois ou quatre points plus délicats furent remis à de nouvelles assemblées ou laissés au jugement des prélats théologiens, qui s’en occupèrent dans les dernières semaines de décembre et les premiers jours de janvier, p. 724-778.

Ce travail minutieux donna lieu à de nombreuses modifications de détail et à l’addition de deux canons nouveaux, dont le nombre total s’éleva de la sorte à trente-trois. Deux suprêmes séances eurent encore lieu les Il et 12 janvier, p. 780-786, et la proclamation solennelle du texte fut décidée pour le lendemain.

77. PROMULGATION DU DÉCRET. — Au milieu de cette élaboration théologique, la diplomatie avait dû également s’exercer.

Si la justification était, en effet, une de ces questions doctrinales qui intéressent au premier chef la foi de l’Église, elle avait aussi, ou risquait d’avoir, des répercussions sur la politique de l’empereur. Celui-ci, qui gardait toujours l’espoir de réduire les protestants par la force, ne pouvait voir de bon œil que l’Église accusât trop vite ou trop fort les divergences dogma tiques qui la séparaient d’eux et mît par là un obstacle infranchissable sur le chemin de l’union rêvée. Voilà pourquoi, en dehors de ses ambassadeurs officiels, l’empereur eut au concile des représentants attitrés et connus comme tels — dont le principal était Pierre Pachecco, cardinal de Jaën, Hefner, p. 36 — qui s’employèrent de leur mieux à retarder l’élaboration, puis, en tout cas, la promulgation, du décret jugé compromettant. Hefner, p. 73-79.

1° Manœuvres dilatoires. — Tant que durèrent les débats, les impériaux s’appliquèrent à les prolonger par des méthodes qui ressemblaient fort à l’obstruction.

Dès que l’article de la justification fut proposé pour l’ordre du jour conciliaire, le cardinal de Jaën commença par demander qu’on fît soigneusement collection des erreurs adverses, de manière à ne pas procéder contre elles avant d’avoir établi la contumace, t. v, p. 257. Au cours de la discussion, il lui arriva souvent de se dérober sous prétexte qu’il n’était pas prêt, p. 340 et 403, d’insister pour faire remettre la session sine die, p. 394, d’en appeler à l’assemblée contre l’arbitraire des légats, p. 399-401. Il était soutenu par les évêques espagnols, qui ergotaient à l’envi sur les textes et les procédures en vue de gagner du temps.

Aussi avait-on l’impression dans le concile que, pour les impériaux, la discussion doctrinale avait moins pour but de chercher la vérité que de traîner les choses en longueur, t. x, p. 582. Les légats s’en plaignaient à plusieurs reprises, p. 593, 616, 660 et 708 ; non sans quelque exagération, l’évêque de Chiron, Zannettino, assurait qu’avec toutes ces entraves on était en train de faire durer, non pas seulement huit mois mais huit ans, une affaire qui pouvait se liquider en huit jours, p. 585.

Le conflit.

 Comme malgré tout l’élaboration du

décret suivait son chemin, les opposants cherchèrent une position de repli en essayant d’en faire ajourner la promulgation.

La manœuvre se dessina clairement à la session du 2 octobre, où le vieil évêque de Siriigaglia, Marc délia Rovere, après avoir approuvé le texte du décret, fit valoir que la question était trop grave et le concile momentanément trop déconsidéré, vu le petit nombre de ses membres, pour qu’il ne fût pas opportun de surseoir. Il avouait avoir eu et souvent exprimé une autre manière de voir ; mais les événements l’avaient contraint à changer d’avis. Voir son votum au t. v, p. 460, à compléter par le résumé plus étendu qu’en donne Severoli, t. i, p. 104. Les évêques de Castellamare et de Lanciano adoptèrent aussitôt son sentiment, t. v, p. 461.

Au cours des sessions suivantes, les évêques espagnols firent chorus et plusieurs demandèrent qu’on abordât plutôt les questions relatives à la réforme ; car les mauvaises mœurs faisaient plus de tort à l’Église que les hérésies, t. v, p. 467 et 470-471, tandis que d’autres prélats prenaient une position inverse, p. 456 et 467-468. Les légats, qui rendaient fidèlement compte au Saint-Siège de ces incidents, se tirèrent d’affaire en déclarant que la question de promulgation ne se posait pas encore et qu’il fallait tout d’abord achever la rédaction du décret : après quoi on aviserait à lui faire un sort, t. x, p. 668-669 et 670-673.

Pour déjouer cette manifesta et aperta conspiralio, le meilleur moyen leur paraissait être la translation du concile à Rome, p. 674 et 679-680. Mais de Rome on suggérait, le 22 octobre, de rester à Trente et, pour donner satisfaction à l’empereur, d’ajourner à six mois le décret de la justification, qui serait publié eu même temps que le décret disciplinaire relatif à la résidence, p. 697. Les légats, au contraire, voulaient brusquer la situation en mettant les impériaux en demeure de se

proiîorcer sur le décret et par là de provoquer euxiiu’mes la suspension du concile, p. 702 et 708. De toutes façons, ils ne pouvaient consentir à une remise du décret, p. 713 et 717-718.

Entre temps un nouvel expédient dilatoire était imaginé par l’empereur, qui faisait demander qu’on consultât au préalable les universités sur la question, spécialement celles de Louvain et de Paris, p. 721.

La solution.

Sur ces entrefaites, le cardinal

Farnèse, qui arrivait d’Allemagne, ménagea, le 16 novembre, une entrevue aux deux partis en présence et l’on tomba d’accord que la publication ne semblait pas opportune dans l’état actuel de l’opinion. On décida donc de surseoir à la promulgation du décret, mais à condition que l’empereur consentirait, de son côté, à une suspension du concile que le Saint-Siège trouvait désirable à tous égards, p. 726-728

La réponse de l’empereur à cet appuntamento se fit attendre plus d’un mois. Pendant ce temps les Pires du concile travaillaient au décret senza alcuna intermissione o perdita di tempo, p. 730 et 741, et la répugnance des opposants à la promulgation semblait faiblir, p. 732, tandis que croissait l’impatience des autres. Le dominicain Thomas Stella se plaignait, le 28 novembre, qu’on embarrassât une doctrine aussi claire de questions scolastiques sans intérêt, p. 742743. Malgré les entraves, qui ne manquaient toujours pas, les légats pouvaient témoigner, le 7 décembre, que, con la nostra palientia et assiduité, per non dire arte, en finissait par aboutir, article par article, à des solutions définitives, p. 752.

Cependant la réponse impériale n’arrivait pas et les légats avaient bien l’impression que ce retard promettait un refus, p. 734, 736, 741 et 746. Aussi se préparaient-ils dès le 15 à fixer la session qui promulguerait le décret, croyant d’ailleurs sentir un fléchissement dans la résistance des impériaux, p. 758-759. Le 20, les cardinaux de Jaën et de Trente communiquaient enfin la réponse désirée, qui était négative sur toute la ligne : l’empereur ne voulait ni de la promulgation du décret ni de la suspension de l’assemblée, p. 762-763. De ce chef, le compromis conditionnel du 16 novembre devenait caduc et les légats avaient les mains libres pour hâter l’œuvre doctrinale du concile.

A la séance du 29, le cardinal del Monte attirait l’attention sur les raisons pour lesquelles on ne pouvait plus retarder sans scandale la promulgation d’un décret depuis si longtemps attendu, t. v, p. 741-742, et une majorité des deux tiers, non solo col consenso, ma con plauso ancora de più. che dui terzi del concilia, t. x, p. 772, adoptait pour la session définitive la date du 13 janvier.

De Rome Paul III approuvait la conduite de ses légats, p. 771 et 779. Il fallait cependant tout prévoir et, bien que le pape tînt en principe à l’alternative : ou publication du décret ou suspension du concile, on devait envisager l’hypothèse où les impériaux opposeraient au dernier moment un non placet. Alors même que cette opposition s’expliquerait uniquement par des scrupules politiques sur une promulgation jugée inopportune, elle ne manquerait pas d’être interprétée dans le sens d’une répugnance doctrinale, ce qui aurait pour conséquence d’affaiblir l’autorité morale du décret. Pour cette raison, sans limiter l’initiative des légats qui jugeaient mieux sur place de la situation, le pape les autorisait et les engageait même à contremander à la dernière minute la promulgation litigieuse

et à choisir comme un moindre mal la suspension

Immédiate du concile. Lettre du 7 janvier, p. 782-734.

Séance de promulgation.

Il ne fut pas besoin

de recourir à cet expédient désespéré.

La session du 13 janvier fut célébrée avec toute la pompe liturgique d’usage. André Cornaro, archevêque

de Spalato, célébra la messe solennelle du Saint-Esprit, suivie d’un grand sermon par Thomas Stella, évêque de Salpe. Texte au t. v, p. 811-817. Puis ce fut le cardinal del Monte qui prit la présidence de la cérémonie et souligna la gravité de l’heure devant l’assemblée, en évoquant les fameux textes messianiques où Isaïe, lx, 1 chante la lumière qui jaillit de Jérusalem sur le monde enténébré. « Nous siégeons, ajoutait-il, comme les censeurs de l’univers chrétien… Vous avez entendu lire à l’évangile : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. » Jamais parole ne fut d’application plus actuelle qu’aujourd’hui, quand nous avons à assaisonner la terre du sel de la sainte doctrine et de la véritable sagesse… » Puis lecture fut donnée par l’archevêque de Spalato, * à haute et intelligible voix », du décret sur la justification, et chacun des Pères fut invité à donner son placet. Il n’y eut pas une seule voix discordante et le cardinal del Monte en exprima sa joie par ces paroles consignées au procès-verbal : Gratias immensas agimus omnipotenti Deo ; sanctum hoc decretum de justificatione approbalum est universaliter ab omnibus uno consensu, p. 790-802. Un Te Deum solennel clôtura cette mémorable séance, 1. 1, p. 121-122 et 601-602.

Rendant compte de ce résultat obtenu nemine discrepante, les légats ne purent dissimuler que leur bonheur égalait leur surprise. « Le fait (de cette unanimité) a paru un miracle, non seulement aux autres, mais aux prélats eux-mêmes. » Et ils notaient que les Espagnols avaient été li primie li più pronli. D’autres témoins, tels que l’archevêque d’Armagh, dans une lettre à Paul III, eurent aussi l’impression d’un « évident miracle » et, plus tard encore, le franciscain Véga, en écrivant son traité de la justification, n’en cachait pas son étonnement. Hefner, p. 78. « Notre Saint-Père et tout le Sacré Collège, continuaient les légats, en peuvent rendre grâces à Dieu ; car, depuis des centaines et des centaines d’années, il n’y a peut-être pas eu de concile qui ait produit un exposé doctrinal de cette importance. » Lettre du 13 janvier, t. x, p. 786-788.

En termes semblables et d’une parfaite justesse historique, Jean-Baptiste Cicada, évêque d’Albenga, pouvait se féliciter le lendemain auprès du cardinal Farnèse, p. 790-791, que l’Église eût reçu de cette sixième session une bellissima doltrina et tanto examinata quanlo sia possibile. Le jugement de la postérité n’a pas démenti ces impressions du premier jour.

/II. analyse DU DÉCRET. — Extérieurement, après un petit prologue en guise d’introduction, le décret si laborieusement mis sur pied se présente avec seize chapitres, suivis de trente-trois canons. Mais ceux-ci, comme il ressort de la formule de transition, ne font que reprendre et compléter sous une forme négative le contenu de ceux-là. Post liane de justificatione doctrinam. .., placuil sanctæ Synodo hos canones subjungere, ut omnes sciant, non solum quid lenere et sequi, sed etiam quid vitare et fugere debeant. Cette distinction fut adoptée dès le projet de septembre, et toujours conservée dans la suite, comme plus favorable à la clarté. Mais elle n’empêche pas l’unité réelle de ces deux parties. D’autant que l’ordre des canons est à peu près parallèle à celui des chapitres. Il faut donc, pour restituer sa logique interne à ce diptyque doctrinal, rapprocher l’un de l’autre ces fragments symétriques d’un même tout.

Prologue.

 Sans contribuer d’une manière précise

à la doctrine de la justification, le prologue indique l’esprit dans lequel fut conçu le décret. Il n’est pas reproduit dans Denzlnger Bannwart, mais bien dans Cayallera, Thésaurus, n. 872.

Cum hoc tempore non Attendu qu’en ce temps, sine luiillarum aiiinmrum pour la perte île beaucoup jætura et gravi ecclesiasd’Aines et nu grave détriment

ticae unitatis detrimento, erronea quædam disseminata sit de justificatione doctrina, — ad laudem et gloriam omnipotentis Dei, Ecclesiae tranquillitatem et animarum salutem, sacrosancta oecumenica et generalis Tridentina synodus, in Spiritu Sancto légitime congregata — præsidentibus in ea, nomine sanctissimi in Christo patris et domini nostri domini Pauli, divina providentia papas tertii, reverendissimis dominis Io. Maria episcopo Prænestino, de Monte, et Marcello, tit. S. Crucis in Jérusalem presbytero, sancta ? Romanae Ecclesise cardinalibus et apostolicis de latere legatis — exponere intendit omnibus Christi fidelibus veram sanamque doctrinam ipsius justificationis, quam sol justitiae Christus Jésus, fidei nostrae auctor et consummator, docuit, apostoli tradiderunt et catholica Ecclesia, Spiritu Sancto suggerente, perpetuo retinuit, districtius inhibendo ne deinceps audeat quisquam aliter credere, prædicare aut docere quam præsenti décret o statuitur ac declaratur.

de l’unité ecclésiastique, une doctrine erronée de la justification a été répandue, — pour l’honneur et la gloire du Dieu tout-puissant, pour la paix de l’Église et le salut des âmes, le saint concile œcuménique et général de Trente légitimement réuni dans le Saint-Esprit, présidé, au nom de notre très saint père et seigneur dans le Christ Paul par la divine Providence troisième pape du nom, par les très révérends seigneurs Jean Marie del Monte, évêque de Palestrina, et Marcel, prêtre du titre de Sainte-Croix à Jérusalem, cardinaux de la sainte Église romaine et légats apostoliques, — se propose d’exposer à tous les fidèles du Christ la vraie et saine doctrine de cette justification même que le Christ Jésus, soleil de justice, auteur et consommateur de notre foi, a enseignée, que les apôtres ont transmise et que l’Église catholique, sous l’action du Saint-Esprit, a toujours conservée, en interdisant sévèrement que personne désormais ose croire, prêcher ou enseigner autrement qu’il est décidé et déclaré dans le présent décret.

Où l’on voit, en dehors des formules de chancellerie, que le concile prend soin de préciser l’occasion, le but et l’objet du document qui va suivre. L’occasion en est fournie par l’erreur protestante et ses ravages ; le but en est, comme toujours, la gloire de Dieu et le bien des âmes ; l’objet en sera la proclamation de la doctrine traditionnelle que l’Église tient de son divin fondateur. Déjà s’afïîrme l’autorité doctrinale et le caractère définitif du décret, puisque le concile, non content d’ « exposer la vraie doctrine », y ajoute l’interdiction de manifester ou seulement de professer une autre conception. Langage impératif qui annonce une définition de foi.

2° Corps du décret : Première justification (c. i-ix). — Suivant le plan primitif proposé le 30 juin 1546, l’architecture du décret reste dominée par la distinction d’un triple état possible de l’homme et du triple aspect sous lequel on peut, en conséquence, envisager la justification. Il est d’ailleurs entendu que la première est de beaucoup la plus importante et commande « tout le processus » de cet acte divin, t. v, p. 281. Aussi tient-elle à elle seule plus de la moitié du décret.

1. Bases dogmatiques de la justification (c. i-iv). — Pour suivre sur leur terrain les protestants, qui aimaient déjà grouper autour du concept de justification toute l’économie du surnaturel, et aussi pour marquer la place centrale qui revient à ce dogme dans l’ensemble de la foi, le concile a voulu rappeler en quelques mots les prémisses dont il dépend. Les titres officiels qui précèdent les chapitres permettent, ici et ailleurs, de suivre aisément la liaison des idées. On les trouve reproduits par Denzinger-Bannwart dans la table initiale des matières, tandis que le corps du volume ne les donne qu’en abrégé.

Un premier chapitre expose les conditions négatives de la justification, en traitant, sur les pas de saint Paul, de naturse et legis ad juslificandos homines imbecillitate, c. i, impuissance à laquelle remédie la

rédemption qui nous vient du Christ. Cette condition positive, à la fois seule nécessaire et seule suffisante, de notre justification fait l’objet des deux chapitres qui suivent, soit d’abord le principe ou la mission du Rédempteur : De dispensalionc et mysierio adventus Christi, c. ii, puis l’application ou l’union de l’homme à l’œuvre rédemptrice : Qui per Christum jusdficantur, c. m. A la suite de ces considérations préliminaires arrive logiquement la notion générale de la justification, dont un texte de saint Paul, Col., i, 12-14, fournit les éléments : Insinuatur descriptio juslificationis impii et modus ejus in statu gratise, c. iv.

Les trois premiers canons affirment, à rencontre des erreurs pélagiennes ou semipélagiennes, l’insuffisance de la nature et la nécessité de la grâce, can. 1-3.

2. Genèse de la justification (c. v-vi). — Quoique la justification soit un fruit de la grâce, il y a place pour un effort de l’homme en vue de s’y préparer. De cette préparation le concile affirme d’abord le fait : De necessilate preeparationis ad justificationem in adultis et unde sit, c. v ; puis il en décrit le mode, en esquissant le schéma psychologique de la conversion : Modus preeparalionis, c. vi.

A cette section correspondent six canons, qui condamnent les erreurs protestantes sur le libre arbitre et la valeur des œuvres qu’il produit, ainsi que sur la justification par la seule foi, can. 4-9.

3. Nature de la justification (c. vii-vm). — - Au terme de cette préparation survient la justification elle-même.

Sa nature est exposée en un long chapitre, où, après quelques mots de définition plus précise, le concile en marque d’abord les causes, puis l’essence et les effets : Quid sit justificatio impii et quæ ejus causse, c. vu. Un chapitre complémentaire, sorte d’appendice apologétique au précédent, explique, à rencontre des protestants, comment il faut entendre ces mots de saint Paul dont ceux-ci abusaient tant au profit de leur thèse : savoir que nous sommes justifiés « par la foi » et « gratuitement », c. viii.

Cinq canons réprouvent, en regard, le système des novateurs sur la foi justifiante et la justice imputée, can. 10-14.

4. Conséquences psychologiques de la justification (c. ix). — De leur système les protestants déduisaient la possibilité, voire même la nécessité, pour le chrétien, de se tenir pour absolument assuré de sa justification. Le concile tient à écarter spécialement cette « vaine assurance », en marquant les limites dans lesquelles notre confiance peut et doit se. tenir. D’où le c. ix : Contra inanem heereticorum fiduciam, et les canons correspondants, qui joignent à ce thème celui de la prédestination, can. 15-17.

3° Corps du décret : Deuxième et troisième justifications (c. x-xv). — Après avoir ainsi amplement traité de la première justification, le concile aborde ensuite les deux autres : c’est-à-dire le développement de la grâce reçue et la récupération de la grâce perdue.

1. Développement de la justification (c. x-xm). — Assimilation de notre âme au Christ, la vie surnaturelle n’est jamais tellement parfaite qu’elle ne puisse encore grandir. De même qu’il appartient à l’homme, avec le secours de la grâce, de se préparer à la justification, ainsi est-il en mesure et en devoir de la développer. Le fait et ses conditions générales sont exposés au c. x : De acceptée juslificationis incremento.

Il ne saurait y avoir d’autre moyen pour cela que la pratique de la loi divine. Ce qui fournit au concile l’occasion de s’expliquer ex professo sur les commandements de Dieu, que les protestants donnaient volontiers, soit comme impossibles, soit comme superflus : De observatione mandatorum deque illius necessitate et possibilitate, c. xi. Cette vie morale soulève naturellement les deux problèmes connexes de la prédesti

nation et de la persévérance finale. Le concile tient à protéger contre toute « présomption téméraire » le mystère de l’une et de l’autre : Prædestinationis temerariam prxsumplionem cavendam esse, c. xii : De perseverantiæ munere, c. xiii.

Par analogie, les erreurs protestantes sur ces deux derniers points avaient été rapprochées, can. 15-17, de celles qui visent la certitude initiale de la justification, can. 14. Il ne restait plus au concile qu'à rejeter ici celles qui portent sur l’observation des commandements divins, can. 18-21, puis sur la valeur des œuvres morales qui sont le moyen d’obtenir le don de la persévérance et de réaliser notre accroissement spirituel, can. 22-26.

2. Récupération de la justification (c. xiv-xv). — Au lieu de ce perpétuel progrès que tout rend possible et nécessaire, c’est trop souvent la défaillance qui se produit. Voilà pourquoi le concile ajoute aussitôt le moyen de retrouver la grâce perdue par le péché : De lapsis et eorum reparatione, c. xiv. Simple esquisse de cette doctrine de la pénitence qui devait faire, cinq ans plus tard, l’objet de la session xiv (25 novembre 1551). Après l’avoir ici touchée en quelques mots, le concile écarte la conception protestante, qui solidarise tellement la justification et la foi qu’on ne perdrait jamais l’une sans l’autre. Ce qui lui fournit l’occasion de distinguer les deux plans de la foi et de la charité dans l'édifice surnaturel : Quolibet mortali peccato amitti gratiam, sed non fidem, c. xv.

Deux canons reprennent la condamnation de cette erreur, can. 27-28, tandis que les deux suivants visent celles qui portent atteinte au principe même de la récupération, can. 29-30.

4° Conclusion du décret : Fruits de la justification (c. xvi). — « Aux hommes ainsi justifiés, soit qu’ils aient toujours conservé la grâce une fois reçue, soit qu’ils l’aient perdue et recouvrée, » il reste à faire fructifier le don de Dieu par des œuvres saintes, dont la vie éternelle sera la récompense.

Par cette transition qui ouvre le c. xvi : De fruclu justificationis, hoc est de merito bonorum operum deque ipsius meriti ratione, le concile marque bien que cette doctrine du mérite est le couronnement de toute la foi catholique en matière de justification. Une fois de plus s’y affirme, dans la perspective du terme final, cette collaboration de Dieu et de l’homme qui est la loi de la vie spirituelle pour l’humanité régénérée par le Christ.

Les deux canons 31 et 32 vengent la notion du mérite contre les objections et préjugés des protestants.

Telle est « la doctrine catholique en matière de justification, » dont le concile de Trente, dans une antithèse expressive calquée sur la finale du symbole de saint Athanase, déclare en terminant qu’il est indispensable de la croire pour être justifié : …calholicam de juslificatione doclrinam, quam nisi quisque fidclilcr firmilerque reccperit justificari non poterit. A tous les canons qui ont condamné dans le détail les erreurs opposées le décret en ajoute encore un dernier, can. 33, qui tend à la couvrir contre un grief d’ensemble.

Si quis dixerit per hanc doctrlnam catholicam de justiflcatione, a sancta synodo hoc præsenti decreto expressam, aliqua ex parte gloria : Dei vel meritis Jesu Chri.stl Domlnl nostri derogari, et non potius verltatem fidei nostra :, Dei denique ac Christl Jesu gloriam illustrari, anathema

Ml.

Si quelqu’un dit que cette doctrine catlioliquede la justification, exprimée par le saint concile dans ce présent décret, déroge en quelque mesure à la gloire de Dieu ou aux mérites de Jésus-Christ Notre -Seigneur, et non pas plutôt qu’elle met en lumière la vérité de notre toi, la gloire do Dieu en lin et celle du Christ Jésus, qu’il soit anathème.

Le décret se clôt sur ces paroles solennelles, où le concile, en même temps qu’il énonce la suprême protestation de l'Église contre les calomnies passionnées de ses adversaires, dégage l’inspiration fondamentale et le but dernier de sa définition.

IV. PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DU DÉCRET. —

Relever et commenter toutes les doctrines contenues dans un document d’une telle envergure équivaudrait à écrire un vaste traité De ente supernaturali. Plusieurs parties en ont été étudiées en leur temps aux art. Attrition, 1. 1, col. 2239 ; Foi, t. vi, col. 82, 280, 395 ; et surtout Grâce, ibid., col. 1569, 1608-1609, 1618-1619, 1626-1629, 1631-1635, 1640, 1654-1655, 1659, 1678, 1684-1685 ; Indifèles, t. vii, col. 1772-1779. D’autres le seront aux art. Libre arbitre, Mérite, Péché originel, Persévérance, Prédestination, Rédemption. Il nous suffit de noter ici les points qui précisent la tradition catholique sur la question proprement dite de la justification, à rencontre des innovations introduites par les premiers réformateurs.

Préparation de la justification.

 Un des points

fondamentaux de la Réforme était que la justification est absolument gratuite, sans autre concours de notre part que la foi, et que le libre arbitre y joue un rôle purement passif sous l’action de la grâce. Ce qui amène le concile à définir l'égale nécessité de la grâce et de notre libre coopération.

1. Question de principe.

Elle est tranchée auc. v, Denzinger-Bannwart, n. 797, et Cavallera, Thésaurus, n. 877.

Déclarât præterea (sancta synodus) ipsius justificationis exordium in adultis a Dei per Jesum Christum præveniente gratia sumendum esse, hoc est ab ejus vocatione qua nullis eorum exsistentibus meritis vocantur, ut qui per peccata a Deo aversi erant per ejus excitantem atque adjuvantem gratiam ad convertendum se ad suam ipsorum justificationem eidem gratiae libère assentiendo et cooperando disponantur.ita ut, tangente Deo cor hominis per Spiritus Sancti illuminationem, neque homo ipse nihil omnino agat inspirationem illam recipiens, quippe qui illam et abjicere potest, neque tamen sine gratia Dei movere se ad justitiam coram illo libéra sua voluntate possit.

En outre, le saint concile déclare que le commencement de la justification chez les adultes doit être cherché dans la grâce prévenante de Dieu par Jésus-Christ, c’est-à-dire dans cet appel qu’ils reçoivent sans aucun mérite de leur part, de telle sorte que, détournés de Dieu par leurs péchés, au moyen de sa grâce excitante et adjuvante ils se disposent à se tourner vers leur propre justification en consentant et coopérant librement à cette même grâce. Ainsi Dieu touche le coeur de l’homme par l’illumination du Saint-Esprit de telle façon que l’homme lui-même ne reste pas absolument inerte sous le coup de cette inspiration, car il peut aussi bien la repousser, et que cependant sans la grâce de Dieu il ne peut se mouvoir vers la justice devant lui par le libre effort de sa volonté.

L’objet de ce chapitre est visiblement double : c’est, d’une part, d’opposer à toutes les formes de seinipélagianisme l’initiative de la grâce divine ; mais, en même temps, d’affirmer contre les protestants la possibilité et la nécessité de notre libre coopération. Suivant son habitude, le concile indique à l’appui de cette doctrine deux catégories de textes scripturaires : les uns, tels que Lament., v, 21, qui soulignent la part de la grâce ; les autres, tels que Zach., i, : t, qui marquent celle de la liberté.

De ces deux points le premier ne souffrit pas de difficultés : V exordium jusliflcationis, comme au concile d’Orange l’inttlum fldei, ne pouvait qu'être reporté à Dieu. Pour bien préciser, le concile Introduit ici les termes de grâce prévenante ou excitante depuis longtemps adoptés par l'École.

Le concours de l’homme souleva plus de discussions ; car, en vertu d’un « augustinisme mal compris », Hefner, p, 140, d’aucuns crurent pouvoir réduire cette part de notre libre arbitre. Dans les consultations préalables, quatre théologiens soutinrent, d’après le résumé de Massarelli, t. v, p. 280, quod liberum arbilrium se habet mère passive et nullo pacto active ad justificationem. Voir p. 263-264 le détail de leurs vues, qui semblent avoir été plus nuancées, puisqu’ils admettent les œuvres de l’homme, sinon comme « nécessaires », du moins comme dispositiva ou disponentia, encore qu’on ne puisse parler proprement de dispositiones effectives. Au cours des débats, l’archevêque de Sienne, François Piccolomini, s’exprima dans le même sens — omnes justificationis partes ad Christum tribuit, au rapport de Severoli — et fut, de ce chef, mal noté apud plerosque, t. i, p. 86 ; cf. t. v, p. 286. C’est assez dire qu’en dépit des augustiniens la majorité n’eut pas d’hésitation à reconnaître le rôle effectif de notre liberté.

Une fois l’accord sur le fond réalisé, la rédaction fut assez rapide. Ébauché dans le projet de juillet, c. x-xi, t. v, p. 387, le texte actuel est à peu près acquis dans celui du 23 septembre, c. vi, p. 422, qui suit en le modifiant d’une manière assez heureuse le brouillon de Séripando, p. 829. Les principaux changements qu’il reçut dans la suite n’intéressent guère que la forme : troisième personne du pluriel au lieu de la première ; suppression de quelques pléonasmes tels que præveniente (misericordia seu) gratia, per (impietaies et) peccata ; adoption pour écarter l’erreur protestante, au lieu de l’image un peu forte tamquam exanime quoddam organum, d’une formule à la fois plus philosophique et plus atténuée : ita ut… neque homo nihil omnino agat. Un seul détail touche un peu le fond : c’est l’addition à la dernière ligne, après movere se ad justitiam, des deux mots coram Deo ou plus tard coram illo. Proposée par Claude Le Jay, procureur du cardinal d’Augsbourg, à la séance du 23 novembre, p. 658 et 681, elle était encore discutée le 7 décembre, parce qu’elle paraissait exclure opéra moralia et mérita de congruo, p. 693 ; mais, le 9, l’ensemble de l’assemblée s’y montrait acquise, p. 695.

Comme ailleurs, le concile a eu soin de se maintenir ici dans la ligne des principes certains. Il affirme la nécessité de la grâce, mais sans dire le mode de son efficacité ; la possibilité et l’obligation de notre libre concours, donc la valeur de nos œuvres préparatoires à la justification, mais en évitant de prononcer, malgré l’avis favorable de la majorité des théologiens, p. 280, qu’elles constituent un mérite de congruo. Un canon primitivement prévu pour condamner la doctrine d’après laquelle nos œuvres antérieures « pourraient mériter vraiment et proprement la justification devant Dieu, » t. v, p. 426, fut définitivement écarté pour ne point heurter de front la thèse scotiste sur ce dernier point.

Des mêmes principes s’inspire le can. 4, spécialement dirigé contre les erreurs protestantes.

Si quis dixerit liberum hominis arbitrium a Deo motum et excitatum nihil cooperari assentiendo Deo excitanti atque vocanti, quo ad obtinendam justifleationis gratiam se disponat ac præparet, neque posse dissentire si velit, sed velut inanimé quoddam nihil omnino agere mereque passive se habere, anathema sit.

Denzinger-Bannwart, n. 814, et Cavallera, n. 892.

Si quelqu’un dit que le libre arbitre de l’homme mû et excité par Dieu ne coopère aucunement en donnant son assentiment à Dieu qui l’excite et l’appelle, par où il se prépare et dispose à obtenir la grâce de la justification, et qu’il ne peut pas refuser son consentement s’il le veut, mais que, à la façon d’un être inanimé, il est absolument inerte et joue un rôle purement passif, qu’il soit anathème.

Le dogme catholique de notre coopération à la grâce est fixé ; mais les divers problèmes théologiques qui s’y rattachent sont laissés à la libre discussion des écoles. Hefner, p. 146-147.

2. Question d’application.

Après avoir ainsi posé le principe de notre préparation, le concile en décrit aussitôt le mode, c. vi, Denzinger-Bannwart, n. 798, et Cavallera, n. 878.

Disponuntur autem ad ipsam justitiam dum, excitati divina gratia et adjuti, fidem ex auditu concipientes, libère moventur in Deum, credentes vera esse quæ divinitus revelata et promissa sunt atque illud imprimis a Deo justificari impium per gratiam ejus per redemptionem quae est in Christo Jesu ; et dum, peccatores se esse intelligentes, a divinse justitise timoré quo utiliter concutiuntur ad considerandam Dei misericordiam se convertendo in spem eriguntur, fidentes Deum sibi propter Christum propitium fore illumque tamquam omnis justitiae fontem diligere incipiunt ; ac propterea moventur adversus peccata per odium aliquod et detestationem, hoc est per eam pænitentiam quam ante baptismum agi oportet ; denique dum proponunt suscipere baptismum, inchoare novam vitam et servare divina mandata.

Or ils se disposent à la justice dans ce sens que, excités et aidés par la divine grâce, ils conçoivent la foi par l’ouïe et se tournent librement vers Dieu ; qu’ils croient aux vérités et aux promesses révélées par Dieu, à celle-ci surtout que l’impie est justifié par la grâce de Dieu au moyen de la rédemption qui est dans le Christ Jésus ; que, se reconnaissant pécheurs, de la crainte de la divine justice qui les frappe utilement ils en viennent à considérer la miséricorde de Dieu et s’élèvent à l’espérance, ont confiance que Dieu leur sera propice à cause du Christ et commencent à l’aimer comme source de toute justice ; que, par conséquent, ils se retournent contre leurs péchés dans un sentiment de haine et de détestation, c’est-à-dire par cette pénitence qu’il faut faire avant le baptême ; qu’ils se proposent enfin de recevoir le baptême, de commencer une vie nouvelle et d’observer les commandements divins.

Logiquement cette doctrine est précédée par celle du canon 9, dirigé contre le point central de la conception protestante. Denzinger-Bannwart, n. 819, et Cavallera, n. 892.

Si quis dixerit sola fide impium justificari, ita ut intelligat nihil requiri quo ad justificationis gratiam consequendam cooperetur, et nulla ex parte necesse esse eum su » voluntatis motu præparari atque disponi, anathema sit.

Si quelqu’un dit que l’impie est justifié par la foi seule, de telle sorte qu’il entende que rien d’autre n’est requis pour coopérer à la grâce en vue d’obtenir la justification, et qu’il n’est aucunement nécessaire qu’il se prépare et dispose par un mouvement de sa propre volonté, qu’il soit anathème.

Contre les scrupules de quelques Pères, t. v, p. 453 et 508, il fut entendu, p. 522, que ce canon ne visait aucunement le cas de ces baptêmes hâtifs, tantum christianæ credulitatis confessione clariftcata, autorisés par une fausse décrétale attribuée au pape Victor. Hinschius, Décrétâtes pseudo-Isidorianæ, p. 128. -Il ne pouvait être question ici que de condamner le dogme capital de la Béforme. Aussi, sans rien dire des spéculatifs qui tenaient à la vertu justifiante de la foi, le concile se place-t-il dans l’ordre des réalités morales, en réprouvant ceux qui donneraient la foi comme la seule condition nécessaire et suffisante de notre part. Il demande en outre « un mouvement de volonté », qui reste indéterminé ici, mais dont le chapitre vi a précisément pour but d’analyser le détail.

Une marche psychologique y est tracée, où, sous l’action antécédente et concomitante de la grâce, on voit l’âme du pécheur franchir progressivement les étapes suivantes : foi en Dieu et en ses promesses,

spécialement en sa grâce rédemptrice ; sentiment du péché et crainte salutaire de la justice divine ; espérance en la miséricorde de Dieu et commencement d’amour ; détestation du péché par une sincère pénitence ; bon propos de recevoir le baptême et de mener une vie nouvelle conforme aux commandements divins.

a) Insuffisance de la foi. — De ce double texte l’intention ressort en premier lieu de marquer à la foi son rôle et de fixer en même temps qu’il s’agit de la foi théologique ou croyance, et non pas de la confiance mystique, fides fiducialis, dont parlaient les protestants. Voir Foi, t. vi, p. 56-84. C’est là que, « par suite d’une connaissance superficielle de saint Paul, quelques Pères s’approchèrent fâcheusement des conceptions luthériennes, » Hefner, p. 147-148, en croyant pouvoir se contenter de cette foi pour la justification. « Après que Dieu a éclairé notre intelligence, expliquait, à la session du 6 juillet, Thomas Sanfelice, évêque de La Cava, qu’il a rectifié notre volonté et nous a donné cette foi vivante qui entraîne avec elle l’espérance et la charité, il n’attend pas pour nous justifier que nous fassions un acte d’espoir ou d’amour. Mais, dès que l’intelligence s’est ouverte par la foi au mystère de la Rédemption et que la volonté s’est persuadée par la foi de la miséricorde divine au point de n’en pouvoir plus douter, aussitôt les péchés sont remis et l'âme rétablie dans la grâce de Dieu… D’un mot, l’homme est aussitôt justifié ; et cela se fait en dernier lieu par la foi, soit parce qu’il n’appartient pas à l’espérance ni à la charité qui accompagnent toujours cette foi de percevoir la miséricorde et la justice de Dieu…, soit parce qu’il a plu au Dieu tout-puissant de nous prévenir de ses dons… L’impie est donc justifié par la foi seule ; puis, ainsi transformé, il aime Dieu et espère en lui. » T. v, p. 295.

A la séance du 10, l'évéque de Bellune, Jules Contarini, neveu du cardinal, se fit le défenseur de vues toutes semblables qu’il tenait sans nul doute de son oncle, p. 325. Opéra nostra facla extra justificationem nullius esse ponderis, assurait-il. Tout ce qui regarde notre disposition au salut doit être laissé à la bonté et à la miséricorde divines. Il suffit à l’homme d’avoir cette foi vivante dont la charité est l’annexe : jam enim factus est fidelis et juslus ex eo quia Dei fldem accepil, per quam fidem applicantur ei mérita Christi. R. Seeberg a pris la défense de cette doctrine, qu’il trouve d’inspiration thomiste. Zeitschrift fur kirch. Wissenscha/t und kirch. Leben, 1889, p. 656-662. Au témoignage de Severoli, t. i, p. 88, elle choqua pourtant les membres du concile, dont quelques-uns allèrent jusqu'à parler d’hérésie, et l’auteur jugea bon de s’en défendre à la séance du 20 juillet, t. v, p. 364. On a vu plus haut, col. 2166, les incidents soulevés par Sanfelice, et R. Seeberg reconnaît, bien qu’on puisse l’expliquer, que cet auteur se rapproche davantage du point de vue protestant. Loc. cit., p. 663-666.

b) Bôle des œuvres. — C’est pourquoi l’assemblée décida d’affirmer le rôle des œuvres préparatoires à la justification et, pour le mieux marquer, d'énumérer au moins les principales.

Préparée par Séripando, dont le texte était cette fois plus bref, p. 829, la matrice du texte actuel est déjà constituée dans le projet du 23 septembre, p. 422423. Il fut successivement retouché dans les séances des 10, 13 et M décembre, p. 695 698 et 704-708, des 8 et 9 janvier, p. 763 et 776. Dans l’intervalle, on avait remplacé les substantifs per fidem, per spem, prévus tout d’abord, par les participes enduites, etc., qui

avaient l’avantage de ne pas préjuger l’existence <l<s

vertus infuses, on avait primitivement écrit que le

pécheur est justifié a Deo SOLO ; cet adjectif fut supprimé comme équivoque. En revanche, à per odium

on ajouta aliquod, p. 713, pour sauvegarder l’attrition ; mais un passage contesté sur la crainte de l’enfer et son rôle dans la vie morale fut remplacé par la formule plus atténuée : quo (timoré) utiliter concutiuntur. Voir Attrition, t. i, col. 2254-2255. On discuta fort pour savoir si la crainte précède l’espérance ou vice versa, p. 704-705 : le 14 décembre, l’archevêque d’Armagh soutenait encore que l’espérance doit précéder ; mais les prélats théologiens convinrent de donner le premier pas à la crainte, p. 708.

Thomistes et scotistes s’affrontèrent plus sérieusement sur la question de l’amour naturel de Dieu, de telle sorte que le commencement d’amour mentionné dans le projet du 23 septembre, p. 423, avait disparu dans celui du 31 octobre, p. 511, et du 5 novembre, p. 636. Il fut rétabli le 10 décembre, p. 695, et définitivement conservé : mais il n’y est question que d’un amour ébauché, diligere incipiunt, et l’on évite d’y parler d’un amour super omnia. Ainsi le concile se tenait, ici encore, au-dessus des controverses d'école. Voir Charité, t. ii, col. 2236-2251.

Les canons correspondants ne condamnent, eux aussi, que les erreurs protestantes sur l’extinction du libre arbitre, can. 5-6 ; sur la malice radicale de toutes les œuvres faites avant la justification, quacumque ralione facta sint, can. 7 ; sur le caractère coupable de la crainte de l’enfer, can. 8. Denzinger-Bannwart, n. 815-818 et Cavallera, n. 892.

De cette psychologie de la conversion prise dans son ensemble il est d’ailleurs entendu qu’elle représente une sorte de type abstrait, dont le concile n’a pas prétendu dire qu’il soit indispensable ni toujours réalisé. Ainsi en témoigne formellement Véga, Trid. decreti de juslificatione exposilio, Venise, 1548, p. 89 : Non ila patres harum sex dispositionum hoc loco meminerunt ut asserere voluerint eas omnes necessarias esse et neminem vel una earum déficiente justifleari. Neque eo animo eas ordine slatim expresso numerarunt ut eum ordinem semper servari a Deo aut a nobis crediderinl in prœparando nos ad gratiam. Noverant mine ordinem hune, nunc illum a Deo servari et mine pluribus, nunc paucioribus dispositionibus trahi peccalores et venire ad gratiam Dei.

Nature de la justification.

Plus encore que la

préparation de la justification, c’est sa nature même qui était mise en cause par la Réforme. Aussi le concile est-il particulièrement étendu sur cet article. Il fait l’objet du c. vu tout entier, Denzinger-Bannwart, n. 799-800, et Cavallera, n. 879-880, qui devient ainsi « le point culminant de tout le décret ». Hefner, p. 2 17.

1. Notion générale de la justification.

Tout d’abord le concile y pose une définition de la justification, qui anticipe sous une forme générale ce qui sera dit plus loin de son essence.

liane dispositionem seu præparationem justificatio ipsa consequitur, quac non est sola peccatorum remissio, sed et sanctificatio et renovatio interioris huminis per voluntariam susceptionem gratias et donorum, unde homo ex injusto fit jusi us. et ex inimico amicus.

Cette disposition ou préparation est suivie de la justification elle-même, qui ne consiste pas seulement dans la rémission des péchés, mais encore dans la sanctification et le renouvellement de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons, par quoi l’homme d’injuste devient juste, et d’ennemi ami.

On ne trouve cette définition sommaire de la justification que dans le projet du 5 novembre, p. 636, et encore en quelques mots seulement qui furent un peu plus développés dans la suite, à la demande surtout de l’archevêque de Torrès, p. 64 i et 681. Elle est évidemment conçue pour exprimer en gros le concept catholique et l’opposer au système protestant. Il en

ressort que la justification n’est pas un acte purement négatif, sola peccatorum remissio, cf. can. 11, Denzinger-Bannwart, n. 821, et Cavallera, n. 892, mais une rénovation positive de notre état spirituel. Formule qu’on rapprochera du c. iv, Denz., n. 796, et Cav., n. 876, où la justification est définie, d’après saint Thomas, comme une trunslatio de l’état de péché à l’état de grâce.

Dans ce sens tout à fait général, le texte proposé ne pouvait soulever que des difficultés de rédaction, qui furent aisément résolues dans la séance du Il décembre, p. 700-701. La formule définitive est construite de manière à ne préjuger aucune opinion d’école, par exemple sur le rapport de la grâce et des dons, sur la relation logique entre la rémission des péchés et l’infusion de la grâce..Hefner, p. 258. Au rapport de Véga, op. cit., p. 52, les mots per vohmlariam susceptionem furent expressément introduits adversus dogma Lutheri asserentis etiam nolentes et reluctantes adullos justificari.

2. Causes de la justification.

Pour mieux situer

dans l’ensemble du champ dogmatique le concept ainsi défini, le concile continue par un petit développement sur les « causes de la justification », c’est-à-dire, en style d’école, les divers agents qui, à divers points de vue, interviennent pour la réaliser.

Hujus justificationis causse sunt, finalis quidem : gloria Dei et Christi ac vita seterna ; efficiens vero : misericors Deus, qui gratuito abluit et sanctificat… ; meritoria autem : dilectissimus Unigenitus suus Dominus noster Jésus Christus, qui… sua sanctissiraa passione in ligno crucis nobis justificationem meruit et pro nobis Deo Patri satisfecit ; instrumentais autem : sacramentum baptismi, quod est sacramentum fidei sine qua nulli unquam contigit justificatio. Demum unica causa formalis est justitia Dei, non qua ipse justus est, sed qua nos justos facit.

De cette justification voici les causes. Cause finale : la gloire de Dieu et du Christ et la vie éternelle ; cause efficiente : le Dieu de miséricorde qui nous purifie et sanctifie gratuitement… ; cause méritoire : son très cher fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui…, par sa passion très sainte sur le bois de la croix, nous a mérité la justification et a satisfait pour nous à Dieu son Père ; cause instrumentale : le sacrement de baptême, qui est le sacrement de la foi sans laquelle personne n’a jamais obtenu la justification. Enfin l’unique cause formelle est la justice de Dieu, non pas celle par laquelle il est juste en lui-même, mais celle par laquelle il nous rend justes.

Dès le 29 juin, les légats avaient interrogé les théologiens mineurs sur les « causes de la justification », t. v, p. 261. Et les réponses n’avaient pas manqué ; mais elles n’entrèrent pas dans les premières rédactions du décret, pas même dans le projet du 23 septembre, p. 423. C’est seulement celui de Séripando, en date du 31 octobre, qui commence à leur faire une place, p. 512. D’où ce paragraphe est passé dans le texte officiel du 5 novembre, p. 536. Il ne reçut dans la suite que des retouches insignifiantes. D’aucuns voulaient y faire entrer la foi, qui, plus qu’une simple disposition, leur paraissait être au moins un commencement de cause formelle. L’évêque d’Oporto y tenait avec beaucoup d’autres, et Séripando n’en était pas éloigné, p. 743. A un autre point de vue on discuta pour savoir si la « gloire du Christ » devait y figurer au titre de cause finale. Toutes ces questions furent réglées dans le sens actuel aux séances du 23 et du 28 décembre, p. 737-743.

Cette partie du décret fournit ce qu’on pourrait appeler le cadre général de la justiiication. Son principal intérêt est d’amorcer par symétrie l’exposé de la cause formelle ou essence de la justification qui suit immédiatement.

3. Essence de la justification — Il n’était guère de point plus discuté, soit par les protestants, soit même par certains théologiens catholiques. Après une longue élaboration, le concile aboutit au texte suivant :

L’unique cause formelle de la justification est la justice de Dieu, non pas celle par laquelle il est juste en lui-même, mais celle par laquelle il nous rend justes, c’est-à-dire celle qu’il nous donne et qui renouvelle l’esprit de notre âme, de manière à ce que non seulement nous soyons réputés justes, mais vraiment appelés et constitués tels par le fait que nous recevons en nous la justice… Quoique, en effet, personne ne puisse être juste que par la communication des mérites de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ceci se produit, dans cette justification du pécheur, de telle façon que, par le mérite de cette très sainte passion, grâce à l’Esprit Saint, la charité de Dieu se répand dans le coeur de ceux qui sont justifiés et leur devient inhérente. D’où il suit que, dans la jus, tification même, avec la rémission des péchés, l’homme reçoit en même temps, par Jésus-Christ auquel il est inséré, tous ces dons infus : la foi, l’espérance et la charité.

A ce chapitre se rattachent étroitement les can. 10 et 11, Denzinger-Bannwart, n. 820-821, et Cavallera, n. 792, qui indiquent à quelles conceptions le concile entend opposer sa doctrine.

Unica causa formalis est justitia Dei, non qua ipse justus est sed qua nos justos facit, qua videlicet ab eo donati renovamur spiritu mentis nostrae et non modo reputamur sed vere justi nominamur et sumus, justitiam in nobis recipientes. .. Quamquam enim nemo possit esse justus nisi cui mérita passionis Domini nostri Jesu Christi communicantur, id tamen in hac impii justificatione fit dum, ejusdem sanctissimae passionis merito, per Spiritum Sanctum caritas Dei diffunditur in cordibus eorum qui justificantur atque ipsis inhæret. Unde in ipsa justificatione cum remissione peccatorum hæc omnia simul infusa accipit homo per Jesum Christum cui inseritur : fidem, spem et caritatem.

Can. 10. Si quis dixerit hommes sine Christi justiati per quam nobis meruit justificari, aut per eam ipsam formaliter justos esse, anathema sit.

Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés sans fa justice du Christ par iaquelle if a mérité pour nous, ou que c’est par elle-même qu’ils sont formellement justes, qu’il soit anathème.

Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés à l’exclusion de toute grâce et charité qui serait répandue dans leurs cœurs par l’Esprit Saint et leur deviendrait inhérente, ou encore que la grâce qui nous justifie est seulement la faveur de Dieu, qu’if soit anathème.

a) Première rédaction : Le problème de la double justice. — Ce n’est qu’après beaucoup de temps et de peine que fut arrêté le texte ci-dessus.

En effet, tout le monde voulait enseigner contre les protestants une justification effective du pécheur. Quoad nomen justi ficatio idem est quod justifactio, justificari idem quod juslum fieri coram Deo ; quoad rem autem justi ficatio est remissio peccatorum per graliam. Tels sont les termes dans lesquels Massarelli résume, t. v, p. 279, les dépositions, unanimement concordantes au fond, des théologiens dans les séances d’études tenues du 22 au 28 juillet. Et parmi les

. Can. 11. Si quis dixerit homines justificari vel sola imputatione justitiae Christi vel sola peccatorum remissione, exclusa gratia et cantate quæ in cordibus eorum per Spiritum Sanctum difundatur atque illis inhæreat, aut etiam gratiam qua justificamur esse tantum favorem Dei, anathema sit. « erreurs » soumises le 30 au concile par les légats, figure, sous le n. 7, la suivante : …dimissa peccala per justitiam Christi nobis, licet injustis, imputatam et justitiam aliam inhserentem non habentibus, p. 282.

De fait, les Pères furent d’accord, d’après le résumé de Massarelli, pour dire : Gratis (homo) justifteatur a Deo non per imputatam sibi justitiam Christi solum, sed per gratiam inhwrentem, qinr sibi donatur, in)unditur et fit propria, ila ut illa justus efficiatur, p. 337. Les canons 4-7 du premier projet, déposé le 24 juillet, parlent, eux aussi, de donalio justilia ; et repoussent l’idée d’une justification comprise comme une dénomination tout extrinsèque : … tantum justum reputari et non justum fieri, ut ipsa justificatio sit sola imputatio justilia’… ; gratiam… nihil esse nobis inhærens vel nos informons, p. 386.

Mais, dans ces premières ébauches, on peut déjà remarquer la nuance très étudiée de cette formule restrictive : … non per imputatam justitiam Christi solum. N’est-ce pas dire équivalemment que, dans un certain sens, notre justice consiste en une imputation ? C’est bien de cette façon que l’entendaient quelques Pères, dont Massarelli exprime ainsi la pensée : Justificatio est justitis 1 Dei imputatio per Christum, p. 339. On retrouve très nettement cette conception jusque dans le projet du 23 septembre, rédigé sous l’inspiration de Séripando qui en fut toujours un des plus déteiminés partisans : Ejus enim (Dei) juslitia proinde nobis, quando juslificamur, communicatur et imputatur ac si nostra essel, p. 423.

Dans ces formules caractéristiques on saisit l’influence de ce système de la double justice qui avait été construit, dans les années qui précédèrent le concile, par l’école de Cologne et adopté par le cardinal Contarini.

b) Discussions sur la double justice. — Ainsi esquissée, la théorie de la double justice ne tarda pas à passer au premier plan, et ce fut le gros débat du concile.

Car les discussions qui s’étaient produites à son endroit parmi les théologiens allaient reprendre au sein de l’auguste assemblée. Hefner, p. 209-244. Il est remarquable cependant que les deux évêques de La Cava et de Bellune, qui se signalèrent en défendant un autre élément du système, savoir la justification par la seule foi, col. 2179, ne se prononcèrent pas nettement sur la justice imputée. Hefner, p. 211. Mais cette conception trouva un zélé défenseur en la personne du général des augustins, Jérôme Séripando.

Ses dépositions du 13 et du 23 juillet trahissent déjà, bien que discrètement exprimée, une appréciation minimiste de la justice propre à l’homme, p. 335 et 371-375. Plus nette est sa pensée dans son brouillon du 19 août, p. 829, où, tout en reconnaissant que nous sommes vraiment justes et non pas seulement réputés tels, il tient à préciser, d’après les Pères, quod est juslitia et gratia Dei per Jesum Christum quodque ea vere justus est quicumque justus est. Aussi n’y est-il nullement question de justice inhérente, et pas davantage dans le projet du 23 septembre dont il fut le principal inspirateur. Cependant le texte en était encore trop formel à son gré et il intervint expressément, à la séance du 8 octobre, pour exposer le système de la double justice. Il ne faisait, eu cela que rapporter les vues (le ces piissimi et criidilissiini viri doclores quoque celeberrimi et catholici, qui les axaient exposées dans leurs écrits ; un peu plus loin il cite nommément Contarini, Cajétan, Pighius, Pflug et Gropper. Mais il tient a les défendre contre toute accointance avec l’hérésie. C’est pourquoi il supplie les membres du concile de prendre garde à l’importance « le la question et de songer, avant de condamner cette doctrine, au Jugement divin qu’ils devront subir un jour, p. 181) ISS.

Il semble bien que cette énergique intervention dut exciter quelque surprise, puisque les légats crurent bon de faire observer, à la séance du 12, que cette opinion n’avait rien de commun avec l’erreur des hérétiques. En tout cas, il fut décidé qu’elle ferait l’objet d’une discussion spéciale, p. 496-497, et Séripando lui-même fut chargé de poser les termes de la question qui devait être soumise aux théologiens, t. ii, p. 431. Son texte un peu modifié devint finalement celui-ci : Utrum justificalus qui operatus est opéra bona ex gratia… ila ut retinuerit inhærentem justitiam… censendus sit salisfecisse divinie juslitiæ ad meritum et acquisitionem ville seternse, an vero cum hac inhærenle justifia opus insuper habeat misericordia et justilia Christi… quo suppleantur defectus suæ justifia ?, t. v, p. 523.

Ces consultations commencèrent le 15 octobre pour se terminer le 26. Au rapport de Massarelli, 1. 1, p. 449, trente-sept théologiens prirent la parole au cours de ces dix séances. Sur ce nombre, cinq seulement se montrèrent favorables à la justice imputée : savoir les trois augustins Aurélius de Roccacontrata, t. v, p. 561-564, Marianus de Feltre, p. 599, Etienne de Sestino, p. 607-611 ; le séculier espagnol Antoine Solisius, p. 576, et le servite Laurent Mazocchi, p. 581586, qui dixerunt, résume Massarelli, p. 632, inhærentem justitiam non sufficere sed esse opus impulatione justitiee Christi. Tous les autres se prononcèrent contre, spécialement, à la séance du 26, le jésuite Jacques Lainez, p. 612-626, qui opposa douze raisons à la justice imputée et discuta un à un onze arguments de la thèse adverse.

Éclairés par ces débats, les Pères du concile ne firent guère qu’en reprendre les conclusions, du 9 novembre au 1 er décembre. Seul le franciscain Antoine de la Cruz, évêque des Canaries, tout en admettant unica… juslitia qua nos juslificamur, soutint, au sens scotiste le plus avancé, que cette justice ne nous est pas véritablement inhérente : Quæ juslitia non est ipsa caritas, sed est ipsa acceplalio et ipsa justificatio qua formaliter justi sumus… Non sumus justi caritale nobis inhærente, sed quia Deus acceptât nos in gratiam propler Christum, p. 654.

Aux deux séances du 26 et du 27 novembre, Séripando, qui n’avait pas caché son mécontentement du texte déposé le 5, où il croyait voir la « très pure justice du Christ… noyée dans le gouffre des inventions humaines, » t. ii, p. 430, intervint encore une fois pour préciser et défendre sa doctrine des deux justices. Il n’entendait pas parler des grands saints, mais des justes médiocres qui mêlent tant d’imperfections à leurs œuvres les meilleures, et il expliquait comment ils doivent compter, devant le tribunal divin, sur la justice du Christ qui leur est imputée plus que sur la leur propre. Cette justice d’ailleurs produit en nous un effet qui nous rend formellement justes ; mais ces deux principes restent différents, bien que très étroitement unis, de telle façon que nous devons toujours nous appuyer sur les deux, t. v, p. 666-675.

De ces discussions le concile retint qu’il y avait lieu de condamner la justice Imputée, comme l’indiquait le cardinal dei Monte, secundum assertioncm lurrclicorum, p. 633. Le projet du 5 novembre fut conçu dans ce sens, p. 636 : il est à peu près littéralement Identique au texte définitif, sauf l’incise augustinienne : … justilia Dei, non qua ipse justus est sed qua (corant ipso) justos facit, qui fut ajoutée le Il décembre.

p. 700, et soulagée le 23 du complément circonstanciel

coram ipso, p. 737. Quant à la condamnation plus nette de la justice imputée que demandaient plusieurs Pères,

p. 087 et 691, elle fut renvoyée aux canons 10 et 11. présentés à la séance du 15, p. 711, et. adoptés le

16 après quelques légères modifications, p. 722.

c) Doctrine conciliaire. — Au terme de cette minu

tieuse élaboration, le décret conciliaire se contente d’écarter discrètement le système de la double justice, en précisant que, la « cause formelle » de notre justification est « unique ».

Du reste, la suite marque, à plusieurs reprises, que notre justice est dans un rapport d’étroite dépendance avec la justice de Dieu, et l’imperfection de la nôtre est soulignée par ce qui est dit plus loin de son essentielle incertitude. Où l’on peut voir, avec Hefner, p. 244-247, un gain providentiel dû au système de Contarini. Les vaillants efforts de Séripando eurent au moins pour résultat que toute forme directe de condamnation lui fut épargnée. Elises, dans Rômische Quartalschrift, 1906, t. xx, p. 187-188.

Tout le décret tend par ailleurs à affirmer que nous sommes véritablement renouvelés et justifiés, que nous recevons en nous la justice et que celle-ci nous devient inhérente avec son cortège de dons surnaturels. C’est la tradition catholique opposée à la justitia forensis des protestants. A quoi les canons ajoutent la réprobation formelle de leurs principales erreurs. D’où il appert que, si nous ne sommes pas justifiés indépendamment de la justice du Christ, celle-ci n’est pourtant pas la cause formelle de notre justification ; que la grâce que nous y recevons n’est pas une pure imputation, ni la seule rémission des péchés ou toute autre forme de dénomination extrinsèque qui la ramènerait à une simple « faveur de Dieu », mais bien une réalité interne que l’Esprit Saint répand dans l’âme juste et qui lui demeure attachée.

Dans un enseignement tout entier dirigé contre les erreurs protestantes, il n’y a évidemment pas lieu de chercher une solution aux controverses d’école sur l’essence ou le siège de la grâce sanctifiante, son rapport avec la charité ou avec les dons, que le concile s’est soigneusement abstenu de toucher. Hefner, p. 264. Voir sur toute cette question la monographie de A. Prumbs, Die Stellung des Trident. Konzils zu der Frage… der heiligmachenden Gnade, Paderborn, 1909.

Propriétés de la justification.

 De l’essence de la

justification découlent logiquement ses propriétés. Il suffira de relever ici les principales d’après les derniers chapitres du décret.

1. Gratuité de la justification.

Bien que la gratuité

de la justification ressortit déjà suffisamment du rôle attribué à la grâce dans son origine, les protestants accumulaient tellement de préjugés sur ce point que le concile a voulu s’en expliquer ex professo. C’est l’objet du court c. viii, où sont interprétées les deux formules connexes de saint Paul que nous sommes justifiés « gratuitement » et « par la foi », Rom., iii, 24 et 28. Denzinger-Bannwart, n. 801, et Cavallera, n. 881.

Cum vero Apostolus dicit Lorsque l’Apôtre dit que

justificari hominem per fil’homme est justifié par la

dem et gratis, ea verba in foi et gratuitement, ces pa eo sensu intelligenda sunt rôles doivent être comprises

quem perpetuus Ecclesiae dans le sens que le consente catholicae consensus tenuit ment perpétuel de l’Église

et expressif, ut scilicet per catholique a tenu et exprimé,

fidem ideo justificari dicac’est-à-dire quenous sommes

mur quia fides est humanae dits justifiés par la foi parce

salutis initium, fundamenque la foi est le commence tum et radix omnis justifiment du salut, le fondement

cationis… ; gratis autem juset la racine de la justifica tifleari ideo dicamur quia tion…, et justifiés gratuite nihil eorum quae justificament parce que rien de ce

tionempra’cedunt, si ve fides qui précède la justification,

sive opéra, ipsam justificani la foi ni les œuvres, ne

tionis gratiam promeretur. mérite la grâce même de la justification.

Parmi les textes de saint Paul que les réformateurs aimaient exploiter au profit de leurs doctrines, ces deux étaient les principaux. Aussi tiennent-ils naturellement beaucoup de place dans les délibérations

conciliaires. Les théologiens furent expressément consultés le 22 juillet sur le rôle de la foi, p. 261, et les Pères s’en expliquèrent abondamment, p. 339-340. Aussi le besoin se fit-il sentir d’une interprétation officielle, qui est déjà esquissée dans le projet du 23 septembre, p. 423, et devient l’objet d’un chapitre spécial, c. vii, dans celui du 5 décembre, p. 636.

Cependant les opinions étaient loin d’être unanimes. Deux tendances se firent jour, dont l’une entendait qu’il s’agit de l’acte de foi comme première disposition dans la voie du salut ; l’autre, de la vertu de foi, qui concourait à l’acte même de la justification. Hefner, p. 278-279. Ce point fut spécialement discuté les 6, 17 et 21 décembre, t. v, p. 696-700 et 724-735, pour être définitivement tranché le 8 janvier, p. 763-764.

Dans l’intervalle, sur les instances réitérées du cardinal Cervino, on avait décidé de s’en tenir au sens des Pères anciens, p. 725, et d’interpréter les textes de saint Paul de manière à comprendre, non seulement la première justification, mais aussi les autres, p. 731. Pour le cardinal, il étudiait de près saint Augustin et l’on a retrouvé dans ses papiers, Hefner, appendice, p. 126-127, une collection de textes sur ce point. Dj fait le concile s’en tint à des formules augustiniennes, Hefner, p. 290-291, sur la foi comme « commencement » et « fondement » du salut, sans autrement spécifier son rôle. Le chapitre précédent avait déjà précisé qu’il s’agit de la foi vivante et active, c’est-à-dire de celle qui s’accompagne de la charité.

Puisque la justification dépend ainsi de la foi, elle ne peut être que radicalement gratuite. Cette conséquence fut spécialement examinée le 22 décembre, p. 735-737. On convint qu’il n’était pas nécessaire de relever l’expression paulinienne sine operibus, mais qu’il était bon de souligner la gratuité de la justification. D’où la formule actuelle, d’après laquelle rien de ce qui précède la justification n’a de valeur proprement méritoire pour l’obtenir. Elle fut proposée par le cardinal Cervino comme un moyen de conciliation et acceptée comme telle, sous réserve qu’on ne toucherait pas au mérite de congruo.

2. Incertitude de la justification.

Non sans beaucoup de tergiversations, la Réforme en était venue à dire que le chrétien peut et doit se tenir pour assuré de sa propre justification. Le concile ne pouvait éviter un point de cette importance. Il est tranché au c. ix, Denzinger-Bannwart, n. 802, et Cavallera, n. 882.

Quamvis autem necessarium sit credere neque remitti neque remissa unquam fuisse peccata nisi gratis divina gratia propter Christum, nemini tamen fiduciam et certitudinem remissionis peccatorum suorum jactanti et in ea sola quiescenti peccata dimitti vel dimissa esse dicendum est…

Sed neque illud asserendum est oportere eos qui vere justificati sunt absque ulla omnino dubitatione apud semetipsos statuere se esse justificatos neminemque a peccatis absolvi ac justificari nisi eum qui certo credat se absolutum et justificatum esse atque hac sola fide absolutionem et justificationem perfici, quasi qui hoc non crédit de Dei promissis deque mortis etresurrectionis Christi efficacia dubitet.

Bien qu’il soit nécessaire de croire que les péchés ne sont remis et ne le furent jamais que gratuitement par la grâce divine à cause du Christ, il ne faut pas dire cependant qu’il en soit ou fut ainsi fait pour aucun de ceux qui affectent l’assurance et la certitude de cette rémission et se reposent en elle seule…

On n’affirmera pas non plus qu’il faut que ceux qui sont vraiment justifiés s’établissent eux-mêmes dans ce sentiment sans l’ombre d’aucun doute, et que personne n’est absous de ses péchés ou justifié s’il ne croit avec certitude qu’il est absous et justifié, et que seule cette confiance réalise notre absolution ou notre justification, comme si ne pas le croire revenait à mettre en doute les promesses de Dieu, l’efficacité de la mort et de la résurrection du Christ.

Nam, sicut nerao pius de

Dei misericordia, de Christi

nierito deque sacramento runi virtute et elficacia

dubitare débet, sic quilibet,

dum seipsum suamque pro priam infirmitatemet indis positionem respicit, de sua

gratia forraidare et timere

potest, cum nullus scire

valeat certitudine fidei, cui

non potest subesse falsum,

se gratiam Dei esse conse cutum.

Car, de même qu’aucun

chrétien pieux ne doit mettre

en doute la miséricorde de

Dieu, le mérite du Christ, la

vertu et l’efficacité des sacrements, ainsi chacun, quand

il se regarde soi-même avec

sa faiblesse et ses mauvaises

dispositions, peut craindre

au sujet de son état de grâce, puisque personne ne peut

savoir d’une certitude de

foi, de cette foi qui est

incompatible avec l’erreur,

qu’il a obtenu la grâce de

Dieu.

Les trois canons 12, 13 et 14, Denzingcr-Bannwart, n. 822-824, et Cavallera, n. 892, reprennent la même doctrine sous la forme d’anathèmes portés contre les divers aspects de l’erreur protestante. A la « vaine confiance des hérétiques » l’Église entend évidemment opposer l’incertitude de notre justification.

a) Position et discussion du problème. — Mais cette question était une de celles où les théologiens catholiques avaient déjà pris position. Saint Thomas, suivi par Biel, se montrait contraire, tandis que Scot était ou passait pour être favorable à la certitude subjective de la justification. Après le concile, sans doute, les franciscains Alphonse de Castro et André de Véga ont essayé de laver le docteur subtil sur ce point ; mais, au moment du concile, l’exposé de Biel faisait foi, qui lui attribue la possibilité pour le chrétien de connaître son propre état de grâce certitudinaliter…, licet non evidenter. Hefner, p. 301-303.

Or ces deux écoles avaient leurs représentants au sein de l’assemblée, dont plusieurs membres, au rapport de Séripando, t. ii, p. 432, et notamment le cardinal légat dei Monte, étaient acquis à la thèse scotiste. Aussi les discussions furent-elles très longues et très vives sur ce point. Résumé dans Hefner, p. 304-323. Elles commencèrent avec le projet du 24 juillet, c. xviii, p. 390, à propos duquel le général des conventuels défendit l’opinion de Scot, p. 404. Plusieurs Pères exprimèrent un semblable sentiment, tandis que d’autres demandaient que la question fût étudiée de près, p. 408-410. La séance du 28 août y fut consacrée tout entière et l’on résolut de laisser la question indécise pour condamner seulement l’erreur luthérienne, p. 418-419.

De fait, le projet du 23 septembre, c. vii, p. 424, s’exprime d’une manière plus circonspecte et se contente d’une formule à peu près identique au premier paragraphe du texte actuel. Il y eut de fortes objections en faveur de la certitude de la grâce, qui furent surtout présentées, le 6 octobre, par le dominicain Ambroise Catharin, évêque de Minori, p. 471. Aussi la question fut-elle de nouveau soumise, conjointement avec celle de la justice imputée, aux délibérations des théologiens, p. 523 : Utrum aliquis possit esse cerlus de sua adepta gratia secundum prsesentem jusliliam et quo génère certitudinis. D’après la statistique de Massarelli, t. i, p. 449, vingt et un furent d’avis qu’une certitude est possible en certains cas, quatorze absolument déterminés contre et deux restèrent neutres.

Le texte du 5 novembre, c. ix, t. v, p. 037, conserva celui du 23 septembre sans parvenir à rallier tous les suffrages, thomistes et scotistes le trouvant, chacun dans leur sens, trop peu allirmalif, p. 082. Il s’agissait, en tout cas, de savoir si l’erreur protestante était suffisamment condamnée, ("est une des questions qui lurent soumises au concile le 3 décembre, p. 687, et une douzaine de Pères furent d’avis que la condamnation devait être plus nette, p. 691. Devant ces et i Il i culte

  • , la discussion fut renvoyée à la fin et, le 17 dé

cembre, la majorité décidait enfin de condamner seulement le mysticisme protestant sans trancher le problème de fond, p. 727-728.

b) Solution du problème. — Entre temps les légats avaient consulté Rome et, le 14 janvier, le maître du sacré palais adressait à Cervino une lettre assez enflammée contre la thèse de la certitude. Hefner, app., p. 128134. Le concile cependant s’en était tenu à sa décision du 17 décembre et le chapitre définitif fut adopté le 9 janvier, p. 772-773 et 777. Au texte primitif un second paragraphe était ajouté pour condamner les protestants, qui réclamaient l’assurance du salut comme absolument indispensable pour être justifié. Il se terminait par une formule transactionnelle, où il était précisé que la confiance légitime du chrétien ne peut jamais être une « certitude de foi ». El ita, note Massarelli, p. 773, cum magno gaudio omnes recesserunt.

De cette histoire, comme aussi du texte lui-même, il ressort que ce chapitre est tout entier conçu en fonction du système protestant. Il enseigne que l’assurance du salut ne saurait jamais être suffisante, « puisqu’elle peut aussi bien exister chez des hérétiques et des schismatiques, et que, de nos jours encore, on prêche à grand bruit contre l’Église cette doctrine aussi vaine qu’impie. » Cette assurance n’est pas davantage nécessaire comme condition absolue de la justification, et la raison en est qu’elle n’est, à vrai dire, pas possible. Non pas que nous devions douter de Dieu, mais nous avons toujours dans notre misère persistante de graves raisons pour douter de nous. Tandis que la doctrine luthérienne est anthropocentrique et réclame la certitude personnelle de la grâce, la doctrine de l’Église est théocentrique et, tout en admettant les motifs qui fondent la confiance légitime du chrétien, rappelle ceux qui lui imposent le devoir d’une crainte salutaire. Hefner, p. 326-327. Dans ces limites, il y a place pour la liberté des systèmes suivant les préférences de chacun. Voir Grâce, t. vi, col. 1620-1626.

Les deux problèmes de la prédestination et de la persévérance finale sont résolus d’après les mêmes principes, c. xii-xin et can. 15-16. Denzinger-Bannwart, n. 805-806, 825-826, et Cavallera, n. 885-886 et 892. Au regard de la logique aussi bien que de l’histoire ces textes sont étroitement connexes à celui-ci.

3. Inégalité et perfectibilité de la justification.

Étant une réalité intérieure et conditionnée par notre préparation personnelle, la grâce de la justification ne saurait être la même pour tous. Aussi est-il marqué dès le c. vii que « nous recevons en nous la justice chacun selon sa mesure, que le Saint-Esprit répartit à chacun comme il le veut, I Cor., xii, 11, et selon sa propre disposition et coopération. » Denzinger-Bannwart, n. 799, et Cavallera, n. 879. D’où il suit qu’elle est susceptible de progrès et appelée normalement à se développer. Cette conséquence est déduite au c. x, à propos de ce qu’on appelait, en style d’école, la seconde justification. Denz., n. 803, et Cav., n. 883.

Sic ergo justificati…, per

observationcm mandatorum

Dei et Ecclesiæ, in ipsa jus titia per Christi gratiam ac cepta, coopérante fide bonis

operibus, crescunt atque

magis justiflcantur.

Ainsi justifiés…, par l’ob servation des commande ments de Dieu et de l’Église

(les hommes) croissent dans

la justice reçue par la grâce

du Christ, la foi coopérant

aux bonnes œuvres, et de viennent de plus en plus

justes.

Ce chapitre est complété par le can. 2 1 dirigé contre l’erreur protestante. Denz., n. 834 et Cav., n. 892.

Si quis dixerit justitiam Si quelqu’un dit que la

acceptant non conservarl justice reçue, n’est pas cou atque etlam augeri coram serves et encore augmentée

Deo per bona opéra, sod devant Dieu par les bonnes

opéra ipsa fructus solummodo et signa esse justificationis adeptæ non autem ipsius augenda ; causam, anathema sit.

œuvres, mais que les œuvres sont seulement les fruits et les signes de la justification obtenue et non pas la cause de son accroissement, qu’il soit anathème.

Dès le 30 juin, la question du progrès de la justification était posée au concile, p. 281 ; mais le projet du 23 septembre n’y touchait encore qu’en quelques phrases dispersées au cours des c. vu et vrn, p. 423424. Celui du 5 novembre lui consacre un petit chapitre spécial, p. 637, qui s’est conservé à peu près tel quel dans la suite. On y ajouta seulement le complément coopérante fide bonis operibus et, dans le dossier scripturaire particulièrement étoffé qui comprenait déjà Ps. lxxxiii, 8 ; II Cor., iv, 16 ; Apoc, xxii, 11, et Eccli., xviii, 22, on introduisit encore Jac, ii, 24, plus le début de la collecte pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte. Toutes modifications qui lurent adoptées sans grandes difficultés dans la séance du 13 décembre, p. 705-708.

Ainsi était affirmé contre les protestants le caractère vivant et progressif de notre justification, Hefner, p. 329-335, et, par voie de conséquence, la valeur surnaturelle de nos œuvres morales, qui, sous l’action de la grâce, sont les agents de ce progrès.

Diverses dans leur détail, ces œuvres rentrent toutes dans une catégorie générale, savoir « l’observation des commandements de Dieu et de l’Église. « Luther professait l’impossibilité, l’inutilité, voire même la nocivité de la loi, y compris la loi chrétienne. Cette doctrine est écartée par le c. xi, Denzinger-Bannwart, n. 804, et Cavallera, n. 884, qui affirme que la pratique de la loi chrétienne est possible, nécessaire et fructueuse. Cf. can. 18-21, Denzinger-Bannwart, n. 828834, et Cavallera, n. 892.

En portant cette définition, « les Pères du concile savaient bien qu’il y a dans saint Paul, saint Augustin et saint Bernard plusieurs expressions qui semblent favoriser la théorie du réformateur. » Mais le tout est de ne pas exagérer les conséquences du péché originel. Sans se prononcer entre les théories d’école, le concile se contente d’enseigner qu’avec le secours de la grâce il n’est pas de commandement qui soit impossible au chrétien. « Dans la formule de définition plusieurs expressions de saint Augustin furent littéralement reproduites, pour montrer en cet endroit qu’il y a la plus complète harmonie entre la doctrine bien comprise du grand théologien et celle de l’Église. » Hefner, p. 335-336.

D’une manière plus générale encore, cette synthèse tend à sauver l’harmonie entre le sens chrétien et le sens moral.

4. Amissibilité de la justification.

Professer

l’accroissement de la justification, c’est en reconnaître la caducité toujours possible. Les protestants admettaient qu’elle dure autant que la foi qui en est l’unique condition. Cette erreur est spécialement visée au c. xv. Denz., n. 808, et Cav., n. 888.

Adversus etiam hominum quorumdam callida ingénia asserendum est, non

modo infidelitate per quam et ipsa fides amittitur, sed etiam quocumque alio mortali peccato, quamvis non amittatur fides, acceptam justilicationis gratiam amitti. ..

Contre la perfidie de certains hommes… il faut affirmer que, non seulement l’infidélité qui nous fait perdre la foi elle-même, mais encore tout autre péché mortel, bien qu’il ne porte pas atteinte à la foi, nous fait perdre la grâce reçue de la justification…

De ce chapitre il faut rapprocher les canons 27 et 28. Denz., n. 837-838, Cav., n. 892.

Can. 27. Si quis dixerit Si quelqu’un dit qu’il n’y nullum esse mortalepe ccaa de péché mortel que celui

tum nisi infidelitatis, aut nulloalio.quantumvis gravi et enormi.proeter quam infidelitatis, peccato semel acceptam gratiam amitti, anathema sit.

Can. 28. Si quis dixerit amissa per peccatum gratia simul et fidem semper amitti ; aut fidem quæ remanet non esse veram fidem, licet non sit viva ; aut eum qui fidem sine cantate habet non esse christianum, anathema sit.

d’infidélité, ou bien qu’aucun autre péché, quelque grave et énorme qu’il puisse être, ne fait perdre la grâce une fois reçue, qu’il soit anathème.

Si quelqu’un dit qu’en perdant la grâce par le péché on perd en même temps toujours la foi ; ou que la foi qui survit n’est pas une vraie foi, bien qu’elle ne soit pas vivante ; ou bien que celui qui a la foi sans la charité n’est pas chrétien, qu’il soit anathème.

En accord avec les principes préalablement posés sur le rôle de la foi et des œuvres, le décret marque ici que le maintien de la justification, tout comme son origine, ne dépend pas seulement de celle-là, mais encore de celles-ci. Il en ressort qu’il y a deux manières de perdre la grâce de Dieu : l’une totale (sur laquelle le concile n’insiste pas), quand on perd le foi qui en est la base ; l’autre moins complète, quand la foi survit à la ruine de la charité détruite par un péché mortel. Par où le concile manifeste l’intention de « défendre la doctrine de la loi divine, qui exclut du royaume de Dieu, non seulement les infidèles, mais aussi bien les fidèles quand ils sont fornicateurs, adultères, efféminés, impudiques, voleurs, ivrognes, médisants, rapaces, I Cor., vi, 9-10, et tous autres qui commettent des péchés mortels dont ils pourraient s’abstenir avec l’aide de la grâce divine et par suite desquels ils sont séparés de la grâce du Christ. » C. xv.

D’où il résulte que la foi et la charité sont séparables. Ce point, touché dès le premier projet, c. xix, p. 390, et repris dans le second, c. x, p. 425, fut contesté, le 7 octobre, par l’abbé Lucien de Sainte-Marie près Ferrare, qui, au nom des autre-s abbés, soutint que tout péché entame la foi : Peccata omnia ex fidei imperfectione prodire et unumquemque nostrum tantum peccare quantum a fide deficimus, p. 476. Il proposait donc, ou de supprimer l’article, ou d’ajouter à la mention du péché mortel cette précision tendancieuse : quami’is non sine quadam infidelitate.

Le texte ayant été maintenu quand même dans le troisième projet, c. xv, p. 639, l’abbé Lucien revint à la charge le 23 novembre. Per peccata fides amittitur, disait-il, et fides non potest slare cum peccato. Ce qu’il soutenait per argumenta lulheranorum. Sur une question du cardinal del Monte, il précisa qu’il entendait parler de la fides christiana. Doctrine qui suscita de vives rumeurs et fut taxée d’hérésie. Lucien reprit la parole le lendemain pour se soumettre au concile et expliquer qu’il ne pensait qu’à la vera fides ou fides formata, p. 659-660. Sur quoi il reçut l’assurance publique du cardinal légat que « le concile lui pardonnait et, prenant en bonne part toutes ses paroles, l’admettait comme fils. » Ce qui ne l’empêcha pas d’être contredit plusieurs fois dans la suite, notamment, le 29 novembre, par l’évêque d’Oporto, p. 677.

Aussi, non seulement la teneur du texte projeté fut-elle intégralement conservée le 14 décembre, p. 709712, mais le dernier canon, qui, dans le projet du 5 novembre, ne contenait encore que la première phrase, p. 641, fut successivement complété par les deux autres, p. 716, à l’effet de bien préciser que la foi du pécheur, pour n’être pas une fides viva, n’en est pas moins une « vraie foi ». Une dernière fois cependant, le 1 er janvier, la question fut posée aux prélats théologiens de savoir s’il fallait spécifier dans le chapitre quelle est la foi qui subsiste dans un pécheur après son péché, p. 752. Ils furent tous d’avis que les termes du décret fussent maintenus sans autre explication.

r. CONCLUSION. — Tels sont les principaux enseignements du célèbre décret sur la justification. Il manifeste partout l’intention d’opposer aux nouveautés de la Réforme les principes de la tradition catholique. On y trouve clairement et indubitablement exprimée la conception commune à l’ensemble de la scolastique, qui l’avait héritée de saint Augustin, sur l’essence de la justification. Loofs, Dogmengeschichle, p. (367. Voir également F. Biehler, Die Rechtferligungslehre des Thomas von Aquino mit Hinblick auf die tridentinischen Beschlùsse, dans Zeitschrift fur die kirchliche Wissenschafl und kirchliches Leben, 188C, t. vii, p. 417-434. « Mais, continue F. Loofs, le décret conciliaire est équivoque et prudemment obscur dans le détail, quand il s’agit de toucher aux difféiences qui existent entre la notion augustino-thomiste de la grâce et le néo-semipélagianisme des anciens franciscains, comme aussi de Scot et des nominalistes. » Ce qui revient à reconnaître, de mauvaise grâce, que le concile, comme il s’en était fait une loi, t. i, p. 108, n’a pas voulu trancher les questions librement discutées entre catholiques. Sur presque tous les points on a pu voir le concile s’arrêter à des formules qui planent au-dessus des controverses dont l’écho s’était fait entendre jusque dans son sein. Il faut y chercher la définition du doî-iiucatholique, non l’élaboration d’une théologie systématisée.

Ses tendances sont d’ailleurs tellement nettes que, suivant son mythe familier, F. Loofs, p. 668-669, y trouve aussitôt des traces de « néo-semipélagianisme ». C’est-à-dire que, sous l’action de la grâce divine à qui revient toujours le premier rang en matière de surnaturel, l’homme garde sa part de libre concours, soit, aux origines, soit dans tout le processus ultérieur de la justification. Pour arriver à la grâce, une préparation de notre paît est possible et nécessaire, qui met en œuvre toutes nos énergies morales ; il ne s’agit pas de croire seulement, mais d’agir en conséquence. La justification elle-même se traduit en une grâce de régénération qui vient renouveler notre être spirituel et lui donner la possibilité, en même temps que lui imposer l’obligation, de fructifier en œuvres méritoires de salut. Moyennant cette coopération, la grâce initiale se développe ; mais elle diminue si notre volonté défaut et I eut arriver à se perdre si nos actes sont gravement contraires, quitte à pouvoir se rétablir d’ailleurs par une nouvelle conversion.

Cette mutuelle interaction, dans l’œuvre du salut, de Dieu ( anse première et de l’homme régénéré par sa grâce caractérise la doctrine catholique, qui par là se place à égale distance entre le rationalisme pélagien qui supprime l’action divine et le mysticisme protestant où disparaît la collaboration humaine. De cette doctrine fondamentale on retrouve la trace à toutes les lignes du décret. Sous la pression irrésistible de leur exclusivisme confessionnel, les historiens de la Réforme prononcent volontiers à ce propos le mot de <’compromis ». Loofs, op. cit., p. 671, et Harnack, Dogmengeschichte, 4e édit., t. iii, p. 714. C’est, en réalité, d’équilibre qu’il faudrait parler, en présence d’une doctrine assez large et synthétique pour dominer tous les extrêmes et absorber les vérités partielles qu’ils contiennent jusqu’en leurs excès.

Au regard de l’histoire comme de la théologie, le mérite du concile <ie Trente est d’avoir officiellement fixé les iiK ||( s maîtresses de cette synthèse. Son œuvre

i ce point de vue est assez, heureuse pour que, malgré

tous ses préjugés, Ad. 1 larnack lui-même, » Pcit., p. 711, ne puisse lui refuser un hommage significatif. » Bien qu’il soit un produit artificiel, le décret sur la justification est, à plusieurs égards, parfaitement travaillé. On peut même douter que la Réforme se lût

développée, si ce décret avait été publié par le concile du Latran au commencement du siècle et était effectivement passé dans la chair et le sang de l’Église. »

Ce qui importe, c’est que, pour atteindre ce résultat, le concile n’eut qu’à puiser dans le trésor de l’ancienne tradition catholique. Qu’il y ait apporté les précisions rendues nécessaires par les besoins nouveaux, ce n’est pas douteux. Mais, si l’on peut noter avec Ad. Harnack, p. 693, après F. Loofs, p. 663, que la Réforme a contribué à cette « régénération du catholicisme », c’est à condition d’ajouter, pour ramener ce paradoxe historique à ses véritables proportions, que ce fut à la manière dont le mal engendre le bien, dont l’erreur sert à la manifestation plus éclatante du vrai.