Dictionnaire de théologie catholique/JUSTIFICATION : Doctrine chez les Pères

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 334-348).

II. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION CHEZ les PÈRES.

Quelle que soit l’abondance et la variété des matériaux fournis par l’Écriture au sujet de la justification, non seulement cette doctrine ne reçut pas, dans l’ancienne Églis ?, une élaboration systématique, mais on peut dire qu’elle n’y fut même pas directement étudiée.

Les Pères avaient une idée trop haute de l’inspiration dts Livres saints pour risquer de ressentir les susceptibilités historiques de cette critique moderne où l’on s’efforce de transformer en divergences les nuances qui peuvent exister entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre l’enseignement de saint Jacques et celui de saint Paul. D’autre part, aucune controverse dogmatique n’attirait spécialement leur attention sur ce point. Il faut arriver au début du ve siècle pour que les erreurs pélagiennes amènent saint Augustin à envisager ex professo le rapport des œuvres humaines avec le don divin de la grâce, en particulier avec Vinitium fidei. A l’exception de ce détail, la justification, dans son ensemble, ne s’est jamais posée comme un problème devant la pensée des Pères, bien que nécessairement la prédication et l’exégèse leur fournissent l’occasion d’en toucher très souvent l’un ou l’autre aspect.

Cependant, aussitôt que la Réforme eut mis cet article au premier plan des réflexions religieuses et des discussions théologiques, comment n’eût-on pas éprouvé le besoin de consulter à cet égard le témoignage et, pour ainsi dire, le contrôle du passé ? Malgré leur dédain pour la tradition, il ne déplaisait pas aux protestants de se chercher des précurseurs. Quamvis adversarii, observait déjà Bellarmin, testimonia sanctorum Palrum non magni pendant cum ipsorum erroribus manifeste répugnant, tamen cupide Ma eadem colligunl, si quando in specie sallem nobis contraria esse judicant. Controv. de justif., i, 25, Opéra omnia, Paris, 1873, t. vi, p. 204. De son côté, le concile de Trente exprime formellement son intention de définir en cette matière veram sanamque doctrinam ipsius justifleationis, quam Christus Jésus… docuil, Apostoli tradiderunt et catholica Ecclesia, Spiritu Sancto suggerente, perpeluo retinuit. Sess. vi, prolog. Ce qui n’empêchait pas, vingt ans plus tard, le luthérien H. Hamelmann d’invoquer « le consentement unanime des Pères » au profit de la justification par la seule foi. Unanimis… consensus de vera justiftcatione hominis, Ursel, 1562, p. 33-44 et 59-72.

Le temps a fait son œuvre depuis le xvie siècle. Il ne manque pas de protestants aujourd’hui qui, plus dociles à l’impartiale histoire qu’aux suggestions de la controverse, reconnaissent, de bonne ou de mauvaise grâce, que l’antiquité ecclésiastique leur est défavorable. « La doctrine catholique commença de bonne heure, » gémissait A. Matter, art. Justification, dans Lichtenberger, Encyclopédie des sciences religieuses, t. vii, p. 566. « Si nous franchissons la limite des Écritures canoniques, avoue de son côté le D r Ihmels, en vain chercherons-nous une pleine intelligence de la doctrine paulinienne de la justification. » Art. Rechtfertigung, dans Realencyclopadie, t. xvi, p. 492. Et plus nettement le D r R. S. Franks : « La doctrine de saint Paul demeura pratiquement lettre morte… jusqu’au jour où la Réforme la fit revivre, » art. Justification, dans Hastings, Dict. of Christ and the Gospels, t. i, p. 920. Il s’agit, bien entendu, du paulinisme au sens exclusif et tendancieux sur lequel s’établirent les réformateurs. Mais proclamer que cette interprétation est de fraîche date n’est-ce pas indirectement rendre justice à la « perpétuité de la foi » catholique sur ce point ?

Si ces aveux ne nous dispensent pas de vérifier pour notre compte le témoignage de la tradition patristique, ils nous montrent du moins combien l’enquête est facile et sûr le résultat. Après quelques remarques de méthode, nous étudierons la doctrine de la justification à ces deux moments principaux : avant la controverse pélagienne (col. 2081) et depuis (col. 2096).

I. Remarques préliminaires. —

Peu de sujets ont été plus obscurcis par les passions de la polémique. Nam adversarii, cum neque quid remissio peccalorum, 2079 JUSTIFICATION CHEZ LES PÈRES : REMARQUES PRÉLIMINAIRES

2080

neque quid fides, neque quid gratia, neque quid justitia sit intelligant, misère contaminant hune locum. Cette constatation agressive de Mélanchthon, Apologia Confess. Aug., iv, 1, est tout au moins la preuve des lourdes équivoques qui ont longtemps pesé sur le débat et qui sont encore loin d’avoir entièrement disparu. On ne les trouve pas moins dans l’intelligence historique des textes que dans la solution doctrinale du problème. D’où la nécessité de claires explications pour k-s prévenir ou les dissiper. Ce qui revient à définir les traits essentiels de la méthode qui doit présidt r à ce cas.

Principes d’ordre logique.

Il n’est pas inutile

de rappeler d’abord en cette matière les règles qui tiennent aux lois générales de la pensée.

1. La question de fond.

Dès lors que notoirement la doctrine de la justification n’est pas encore systématisée chez les Pères, il n’y a pas lieu d'être surpris s’il lui manque parfois ces suprêmes précisions que feront surgir plus tard les progrès de l’analyse ou les exigences de la controverse. C’est ainsi que le pélagianisme eut certainement pour effet de faire mieux marquer les droits de la grâce divine dans la genèse de la foi, tandis que les soucis tout pratiques de la morale et de l’apostolat avaient fait jusqu’alors envisager de préférence ce qui, dans cet acte, relève de notre bonne volonté. Sans oublier que, des éléments divers qui entrent dans ce problème, la synthèse doit forcément être inégalement parfaite suivant les auteurs.

Il est élémentaire pour l’historien, sans perdre de vue l'état actuel du problème, de faire entrer en ligne de compte, quand il lit les anciens, la différence des temps et des milieux.

2. La question de forme. — A ces contingences du fond s’ajoutent celles de l’exposition qui les viennent aggraver.

La justification n'étant pas encore l’objet d’une étude ex professo, c’est au cours d’autres développements, spécialement de leurs commentaires bibliques, que les Pères y touchent par occasion. Dans ces conditions, il faut s’attendre à rencontrer des formules excessives ou incomplètes, et qui demandent, en tout cas, à être équilibrées par celles que d’autres circonstances leur suggèrent ailleurs. Par exemple, lorsqu’un même auteur attribue successivement la justification à la foi et aux œuvres, n’est-il pas tout indiqué, pour qui veut juger sans parti pris, d’entendre qu’il réclame également les deux ?

A ce propos, quand ils ne sont pas entièrement fermés aux données de l’histoire, les théologiens protestants parlent volontiers de flottement dans la doctrine des Pères. En quoi ils traduisent plutôt cette impuissance souvent constatée, et qu’on peut dire congénitale à tous les sectaires, de prendre un autre critérium que celui de leur propre dogmatisme. Le devoir de l’historien est, au contraire, de réaliser l’harmonie intime d’une pensée dont l’unité fondamentale se laisse entrevoir jusqu'à travers le morcellement de ses disjecta membra.

Principes d’ordre ecclésiastique.

Rien n’est plus

contraire aux faits que d’attribuer à tous les témoignages le même poids.

1. Application aux auteurs.

On fausserait du tout au tout la position des Pères en les regardant comme des penseurs isolés. Il importe, au contraire, de ne point perdre de vue qu’ils sont les membres d’une Église, les témoins d’une tradition, et que toute leur Importance pour nous tient à la mesure dans laquelle ils nous en apparaissent les représentants. Avec la physionomie intégrale de leur pensée, l’histoire doit en restituer la portée relative dans le milieu dont elle procède et où elle revient. Tout autre est évi demmeiit l’autorité d’un évêque qui enseigne son

peuple et celle d’un spéculatif qui disserte dans son cabinet.

2. Application aux ouvrages.

De là découlent

quelques règles d’exégèse fécondes en conséquences. Plus significatives que les textes rares où s’atnrment des vues personnelles sont les déclarations banales, qui ont chance de mieux correspondre à la foi de tous. Ce principe est particulièrement opportun quand il s’agit de matières qui intéressent la pratique de la vie. Il s’ensuit, à la différence d’autres problèmes où la spéculation tient plus de place, que, parmi les ouvrages des Pères, les plus précieux ici ne sont pas les plus savants, mais, si l’on peut dire, les plus représentatifs, c’est-à-dire ceux qui atteignirent un plus large public. Voilà pourquoi l’observation a été justement faite que si, dans leurs commentaires de l'Écriture, tels ou tels exégètes, à la suite de saint Paul, arrivent parfois à parler d’une justification par la foi sans les œuvres, ce n’est pas une preuve que l'Église, ni sans doute ces auteurs eux-mêmes, aient parlé aux fidèles un semblable langage sans y apporter les correctifs ou les compléments nécessaires. En rétablissant ces compensations, l’historien se remet tout simplement sur le chemin de la vérité.

Par application du même principe, on peut et doit recourir au témoignage collectif des institutions et des rites. Des faits aussi importants que la préparation baptismale ou la discipline pénitentielle montrent mieux que toutes les paroles la manière dont l'Église concevait la justification, soit des infidèles, soit des pécheurs.

Principes d’ordre théologique.

Enfin, puisqu’il

s’agit d’un problème doctrinal, il importe d’en avoir simultanément présentes à l’esprit toutes les données. 1. Complexité de la justification. — S’il est vrai que, dans la pensée de l'Église, la justification requiert diverses conditions et se compose d'éléments complexes, accumuler des témoignages qui soulignent l’un d’entre eux est peine perdue ou manœuvre tendancieuse, tant qu’on n'établit pas qu’ils vont jusqu'à supprimer l’autre. Il n’y a donc, par exemple, rien à conclure des passages patristiquas où il est dit que nous sommes justifiés par la foi, puisque catholiques et protestants sont d’accord sur la nécessité de cette disposition. Le problème ne commence qu’avec les textes qui parleraient de justification par la foi seule. Mais cette expression en apparence restrictive est elle-même loin d'être univoque. Elle a certainement une portée exclusive ; mais il s’agit de savoir si elle exclut proprement les œuvres de l’homme ou si elle n’oppose pas à l’infidélité des païens la profession de la foi chrétienne, suivant l’adage commun à tous les croyants : « Hors du Christ et de l'Église point de salut. »

De même rien n’est tranché si l’on dit que notre justice est celle du Christ, quand il s’agit de savoir si cette justice devient nôtre ou si elle nous reste étrangère.

2. Diverses acceptions de la foi.

Il y a lieu de préciser également la notion même de foi. Dans le protestantisme, elle traduit un état psychologique et devient synonyme de confiance. Pour l'Église, au contraire, elle est d’ordre dogmatique et signifie l’adhésion au contenu de la révélation divine. Dans les deux cas on peut dire que nous sommes justifiés par la foi ou même par la foi seule ; mais c’est évidemment dans un tout autre sens. Il ne sullit pas de s’arrêter au son matériel des formules quand planent de tels doutes sur l’identité formelle de leur signification.

3. Aspect objectif et subjectif de la justification. — I.e rôle du Christ rédempteur n’est pas moins fertile en malentendus. C’est un article élémentaire de la foi que toute grâce vient de lui, que, par conséquent, les

mérites de sa passion sont la seule source de notre justice. Mais il ne s’ensuit pas nécessairement que cette oeuvre divine doive s’entendre comme si elle rendait inutile les nôtres. Après avoir affirmé que nous sommes sauvés par le Christ, et seulement par lui, il faut encore savoir de quelle manière et dans quelles conditions nous est communiquée cette grâce de salut. En termes d'école, l’aspect objectif de la Rédemption ne doit pas en faire perdre de vue l’aspect subjectif et il y aurait un paralogisme évident à entendre de celuici ce qui est vrai de celui-là.

4. Moments de la justification.

On doit aussi faire

entrer en ligne de compte la diversité du concept même de justification, qui désigne, soit l’entrée en grâce, soit l’utilisation de ce premier don divin. Bien que ces deux moments de la vie surnaturelle aient quelque chose de commun, ils offrent aussi d’incontestables différences. Dans le premier s’affirme davantage l’initiative de Dieu, tandis que le second appelle plus clairement et plus largement la coopération de l’homme. On conçoit qu’il puisse y avoir des nuances dans le langage des Pères suivant qu’ils envisagent l’un ou l’autre. Mais le problème n’est-il pas de dégager le principe général latent sous ces divers cas particuliers ?

Sur tous ces points le théologien moderne est doublement servi par les habitudes et les formules d'école, qui lui fournissent, avec la notion précise des questions qui se posent, les réponses exactes qu’elles comportent. Parce qu’elles sont imposées par la nature même des choses, ces questions surgissaient aussi devant l’esprit des Pères, mais le plus souvent d’une manière fragmentaire et successive, et surtout ils n’avaient encore à leur service, pour y répondre, qu’un langage imparfait. L’esprit de finesse qui doit caractériser l’histoire consiste précisément à retrouver leur pensée réelle sous des expressions toujours dispersées et facilement inadéquates. A cette condition, il n’est pas difficile de relever chez eux, comme les protestants en conviennent de plus en plus, les traits constitutifs de la doctrine que l'Église devait plus tard consacrer en définitions solennelles de foi.

Le caractère même du sujet nous oblige à présenter cette tradition patristique plutôt sous forme de synthèse doctrinale, sans autre distinction chronologique que la controverse pélagienne, seul point de repère certainement vérifiable sur le mouvement continu des siècles primitifs.


II. Avant la controverse pélagienne. —

Fixés par les développements postérieurs de cette doctrine et par les enseignements du concile de Trente, nous sommes en droit d’interroger les Pères des quatre premiers siècles sur les conditions, la nature et les effets de la justification.

I. CONDITIONS DE LA JUSTIFICATION.

Tout

se ramène ici au rapport de la foi et des œuvres dans l’affaire de notre salut.

1° Nécessité de la foi et des œuvres. — Sans distinctions ni analyses, mais aussi sans la moindre hésitation, les Pères anciens s’accordent à réclamer l’union des deux.

G. Thomasius s’efforce encore de lire chez eux le dogme luthérien de la justification par la foi, Christi Person und Werk, 3e édit., Erlangen, 1888, t. ii, p. 418430. Mais on a vu plus haut les aveux par lesquels les protestants reconnaissent avec dépit que l'Église fut de bonne heure entachée de catholicisme. Persuadé cependant que le « paulinisme » n’a pas pu rester sans écho, A. Harnack a consacré jadis un long mémoire à rechercher les traces du sola fide chez les Pères antérieurs à saint Augustin, Zeilschri/t fur Théologie und Kirche, 1891, t. i, p. 82-179. Sa conclusion est qu'à l’exception de quelques textes de portée purement

exégétique on ne trouve cette doctrine que dans des cercles restreints où l’on s’en faisait une arme au profit du relâchement moral. De sorte qu’avec la pensée incontestable de la grande Église, on touche du doigt, dans cette histoire, la préoccupation qui la guida de maintenir le sérieux de la vie chrétienne et l’importance de. l’effort spirituel.

1. Foi de la primitive Église.

a) Chez les Pères apostoliques, un texte de saint Clément de Rome a été souvent cité par les protestants comme favorable à leur thèse. « Tous (les saints de l’Ancien Testament) obtinrent gloire et grandeur, non par eux-mêmes ou par les actions justes qu’ils accomplirent, mais par la volonté de Dieu. Nous aussi, qui sommes appelés par cette même volonté dans le Christ Jésus, nous ne sommes pas justifiés par nous-mêmes, ni par notre sagesse, notre prudence, notre piété ou autres œuvres faites d’un cœur saint, mais par la foi, au moyen de laquelle le Tout-Puissant a justifié tous les siens depuis le commencement. » / Cor., xxxii, 3-4, dans Funk, Patres Apostolici, Tubingue, 1901, t. i, p. 138-140. Mais il faut se rappeler qu’au préalable l’auteur avait marqué très nettement que la foi des patriarches s’accompagnait d’obéissance et de charité, ix, 3-4 ; x, 1-2, 7 ; xi, 1 ; xii, 1 ; ibid., p. 110-114 ; qu'à leur exemple il invitait les fidèles à se justifier en œuvres et non en paroles, Ipyoïç Sixaioûfievot, xal fir) Xoyoiç. xxx, 30, p. 136. C’est la preuve que, dans le passage cité, Clément ne veut pas exclure nos bonnes œuvres, mais la tentation d’en tirer vanité comme si elles étaient dues à nos seuls mérites. Aussi continue-t-il immédiatement : « Que ferons-nous donc, frères ? Cesserons-nous de faire le bien et abandonnerons-nous la charité ? Puisse le Seigneur ne jamais permettre pareille chose parmi nous ! Hâtons-nous, au contraire, avec ardeur et application d’accomplir toute œuvre bonne. » xxxiii, 1, p. 142. Et plus loin : « Heureux sommes-nous, bien-aimés, si nous accomplissons les préceptes du Seigneur dans l’accord de la charité, afin que par la charité nos péchés nous soient remis. » l, 5, p. 164. On voit qu’il n’est pas question pour lui de salut par la seule foi.

< « Servons Dieu avec un cœur pur, dit pareillement l’auteur inconnu de la seconde aux Corinthiens, et nous serons justes. Si nous faisons la justice devant Dieu, nous entrerons dans son royaume. » // Cor., xi, 1 et 7, ibid., p. 196. « Clément, conclut très justement A. Harnack, loc. cit., p. 101, veut rappeler à la communauté une vérité qui lui est familière, savoir que sans l’accomplissement de la justice il n’y a pas de justification. »

Un autre écrit pseudo-clémentin, mais qui remonte à la plus haute antiquité, fait entendre la même note : Nomen autem (fldelis) solum sine operibus non inlro' ducel in regnum cœlorum ; si guis autem fueril fldelis in veritate, is salvari poterit. Ps. Clem., De virgin., i, 3, Funk, t. ii, p. 2.

De même le pseudo-Barnabe, s’il dit qu’Abraham fut justifié comme [i.6voç TuaTeûaxç, Epist., xiii, 7, dans Funk, 1. 1, p. 80, sait que notre justification n’est acquise qu’au dernier jour, xv, 7, p. 84, et que chacun y recevra suivant ses œuvres, iv, 12, p. 48. Saint Ignace ne veut pas séparer la foi de la charité, celle-là étant le principe, celle-ci le terme de la vie. Eph., xiv, 1, Funk, p. 224 ; cf. Smi/rn., vi, 1, p. 280. Lorsque saint Polycarpe écrit aux Philippiens, d’après saint Paul, Eph., ii, 8-9 : « Vous avez été sauvés par la grâce, non d’après vos œuvres, mais par la volonté de Dieu en Jésus-Christ, » Philipp., i, 3, Funk, p. 296, il pense à o la grâce » de la rédemption. Mais l’application ne nous en est pas faite sans notre part d’activité personnelle : la preuve, c’est que le saint évêque de Smyrne invite

tout aussitôt ses lecteurs « à se ceindre les reins pour servir Dieu dans la crainte et la vérité. » Ibid., ii, 1, p. 298.

On sait assez que tout le but du Pasteur d’Hermas est d’inviter les chrétiens déjà relâchés de son temps à mettre leur vie en harmonie avec leur foi et à réparer leurs fautes par la pénitence. Les branches plus ou moins desséchées du saule, Sim., viii, Funk.p. 554 sq., les pierres plus ou moins raboteuses qui doivent entrer dans la construction de la tour, Sim., ix, p. 576 sq., figurent les dispositions diverses des chrétiens et commandent leur sort en conséquence

b) Parce qu’ils s’adressaient à « ceux du dehors », les Apologistes devaient insister davantage encore sur le < : ôté moral du christianisme. Saint Justin se souvient suffisamment de saint Paul pour opposer à Tryphon qu’Abraham obtint la justice par la foi et non par la circoncision, Dial., 92, P. G., t. vi, col. 696 ; mais il enseigne également qu’il n’y a pas d’autre voie de salut que « de reconnaître le Christ, de recevoir le baptême… et de vivre désormais sans péché, » ibid., 44, col. 572, que le Christ couronne ceux qui font pénitence et observent ses commandements. Ibid., 95 et 134, col. 701 et 789. Et quand on voit que David est donné comme modèle dz cette pénitence, ibid., 141, col. 797-800, il est clair qu’elle doit se traduire en actes effectifs.

Telle est, au demeurant, l'évidence de ces textes que Thomasius lui-même, op. cit., p. 422, est obligé de reconnaître que, chez les anciens Pères, contrairement au postulat du luthéranisme, l’amour et les œuvres qui en découlent restent toujours coordonnés à la foi.

2' Débuts de la théologie catholique. — A travers les rares documents qui nous en restent, on a l’impression que la gnose menaçait de troubler cet équilibre au profit d’un mysticisme inquiétant. D’après saint Irénée, les valentiniens abandonnaient les psychiques à l’humble pédagogie de la foi et des œuvres : ce qui est un hommage indirect rendu à la tradition catholique. Quant à eux, ils s’estimaient sauvés [iq Stà KpâEswç àXXà Stà tÔ « pûasi 7rv£Uji.aTixoùç eïvoa, et ce caractère « pneumatique » était à tel point inhérent à leur nature qu’ils ne pouvaient le perdre, quelles que fussent leurs actions. Cont. hær., I, vi, 2, P. G., t. vii, col. 505-508. Semblable était la conviction des disciples de Simon le Magicien, ibid., I, xxiii, 3, col. 672 : ipsius gralia salvari homines, sed non secundum opéras juslas. Voir Tixeront, Hist. des dogmes, 7e édit., t. i, p. 201-202, et, pour Marcion, A. Harnack, Marcion, Leipzig, 1921, p. 17.'i-175.

a) Cette dangereuse tendance explique la position de saint Irénée. Sans doute l'évêque de Lyon ne méconnaît pas le rôle de la foi : Abraham en reste pour lui le type parfait et « ceux-là qui croient en Dieu comme il y crut commencent à être sauvés… ; car, ajoute-t-il, c’est la foi au Dieu très-haut qui justifie l’homme. » Cont. hær., IV, v, 5, col. 986 ; cf. IV, xxi, 1, col. 10431041. Quand il se rapporte au fait de la rédemption, il affirme que les pécheurs justificantur non a semelipsis sed a Domini advenlu ; mais, tout à côté, il dit de la prédication du Christ aux enfers qu’elle convertit omnes gui sperabant in eum… et dispositionibus ejus servierunt. IV, xxvii, 2, col. 1058. La même loi vaut aussi pour son ministère terrestre : Quolquol limebant Deum et sollicili erant clrca legem ejus, qui accucurrerunt Christo et saluati sunt omnes. IV, ii, 7, col. 979. A plus forte raison celui qui croit est-il tenu à l’observation de la loi divine pour être sauvé : Dominas naturalia legis per qu.se. homo justiftcatur, qua : etiam ante legtsdationem cuslodicbant qui fide justifirabantur et placebant Deo, non dissolvit sed extendit. IV, xiii, 1, col. 1006-1007 ; cf. IV, viii, 3, col. 994-990. Voir d’autres références a l’art, [renée, t. vi, col. 2493-2494, et la note érudite « le Peuardent dans P. G., t. vi, col. 1599-1601. Théolo gien tendancieux mais exégète fidèle. A. Harnack, loc. cit., p. 107, a raison d'écrire, après Werner, Der Paulinismus des Ireneeus, Leipzig, 1889, p. 205 : « Sous des paroles pauliniennes se cachent des pensées qui n’ont rien de paulinien. » Ce qui veut dire que l'évêque de Lyon canalise tout naturellement saint Paul dans le grand courant catholique.

Un disciple de Marcion, Apelles, convenait de son côté que, pour être sauvé, il suffit d’espérer dans le Christ crucifié, mais à condition de rester fidèle aux bonnes œuvres. Rhodon. dans Eusèbe, H. E., V, xiii, P. G., t. xx, col. 461. Preuve que le marcionisme luimême conservait ou retrouvait sur ce point l'équilibre doctrinal qui distingue la grande Église.

b) La pensée des fondateurs de la théologie latine est si peu douteuse qu’on leur impute communément d’avoir introduit dans le christianisme occidental les catégories juridiques de satisfaction et de mérite, qui demeureront caractéristique ;, de sa piété. Voir A. Harnack, Dogmengeschichle, 4e édit., 1910, t. iii, p. 14-15, et H. Schultz, Der sittliche Begrifj des Verdienstes, dans Studien und Kritiken, 1894, p. 24-34, dont les vues dominent toutes les histoires protestantes du dogme. Cf. Tixeront, 1. 1, p. 409-410.

Tertullien a des expressions vigoureuses sur le rôle prépondérant de la foi : A fide etiam ipsa vila nostra censetur. De monog., 11, P. L., t. i, col. 995. Cf.Adc. Marc, t. V, c. iii, t. ii, col. 506 : Ut jam ex fidei libertate justificetur homo, non ex legis servitule, quia justus ex fide vivit. Mais il entend que la foi soit féconde en œuvres. Il ne craint même pas de faire une place aux vertus humaines dans la genèse de celle-ci et suggère sans hésiter cette hypothèse aux adversaires qui s'étonnent de voir de braves gens devenir chrétiens : Nonne… ideo christianus quia prudens et bonus ? Apolog., 3, t. i, col. 329. Voir Revue des sciences religieuses, 1922, t. ii, p. 46-47. Une fois converti au Christ, le fidèle doit évidemment conquérir sa récompense en s’appliquant à la pratique du bien : promereri nolle delinquere est, De exhort. cast., 3, t. ii, col. 966, et le pécheur se soumettre à une rude pénitence pour satisfaire à Dieu qu’il a offensé. Voir De pœnitent., 1. 1, col. 1335-1360. On sait que Tertullien est passé au montanisme pour protester contre ce qui lui paraissait le relâchement des catholiques. Au rigorisme près, on trouve dans saint Cyprien la même attitude à l'égard des conditions morales du salut. Voir Cyprien, t. iii, col. 2466.

En analysant les écrits polémiques de Tertullien et les réponses qu’il oppose aux arguments de ses adversaires, A. Harnack croit découvrir chez ceux-ci les traces d’une conception « évangélique ». Pour autoriser le pardon des fautes de la chair, ils en appelaient à la bonté de Dieu, à la valeur de la mort rédemptrice du Christ : double motif d’assurance propre aux croyants, à la différence des juifs et des infidèles. D’où il suivrait que, sinon Calliste lui-même, du moins ses partisans, auraient professé, pour les besoins de leur thèse indulgente, une sorte de justification par la foi. Zcilschri/l fur Théologie und Kirche, 1891, p. 113-122. Mais n’esl-il pas bien téméraire de vouloir reconstituer la doctrine du pape et de ses défenseurs à travers les déformations que lui inflige l’intransigeance du sectaire qui la combat ? Surtout quand il faut reconnaître, p. 123-126, qu' i elle disparaît aussitôt et que saint Cyprien ne la connaissait déjà plus. » Au demeurant, A. I larnack est bien obligé de convenir, loc. cit.. p. 123. qu’il ne s’agissait, pour les catholiques, que

d’adoucissements à introduire dans la discipline péni lentielle. Ce que Callisle en laisse subsister, ce que l'évêque de Cartilage, d' accord avec, Rome, allait bientôt appliquer à la réconciliation des lapsi est assez dur pour ne pas mériter le reproche « le laxisme « t montre que l’Eglise, si elle ne voulait pas fermer toute

espérance au pécheur repentant, mesurait toujours à ses œuvres de pénitence la valeur de son repentir.

c) Pour être enclins au mysticisme, les initiateurs de la théologie grecque n’ont pas une autre conception de la justification chrétienne. « Nous sommes bien sauvés par grâce, d’après Clément d’Alexandrie, mais non pourtant sans bonnes œuvres ; car, nés pour le bien, nous devons.de quelque manière y consacrer nos soins. » Strom. V, i, P. G., t. ix, col. 16. Et plus loin, après avoir exposé que les degrés de la gloire céleste nous seront répartis en proportion de nos vertus, l’auteur poursuit : « Lors donc que nous entendons cette parole : « Ta foi t’a sauvé, » ne pensons pas qu’elle veuille dire absolument que l’on est sauvé par une foi quelconque, si elle ne s’accompagne d’œuvres en conséquence. » Ibid., VI, xiv, col. 329.

Origène est amené par son étude de l’Épître aux Romains à s’expliquer abondamment sur la justification. Évidemment il demande comme première condition la foi au rédempteur, ut per ejus fidem juslificarentur qui per opéra propria justificari non poteranl, In Rom., iii, 8, P. G., t. xiv, col. 946, et précise formellement que les meilleures œuvres sans la foi sont de valeur nulle : Si guis habeat intégra omnia quæ lex edocet naturalis et in nullo eum peccati conscientia reprehendat, non lamen habeat etiam fidei gratiam, non posse eum justificari. Ibid., iv, 5, col. 977 ; cf. iii, 9, col. 953. Ce qui enlève à tout homme la tentation de se glorifier contre Dieu.

Il arrive même à Origène de suivre l’Apôtre jusqu’à parler de justification par la foi seule : dicit sufficere solius fidei justiftedionem, ita ut credens guis tantummodo justificetur, etiamsi nihil ab eo operis fuerit expletum. Comme exemple il cite le bon larron et la pécheressede l’Évangile, puis celui de Paul lui-même. Et prenant à part les diverses œuvres dont l’homme peut se préval > r, il montre qu’elles sont impossibles ou sans valeur dans l’économie chrétienne du surnaturel. Sola igttur, conclut-il, justa gloriatio est in fide CTucis Christi, quæ excludit omnem illam gloriationem guse descendit ex operibus legis. Ibid., ni, 9, col. 952954. D’autant que ces œuvres, parce qu’extérieures, peuvent toujours offrir quelque défaut caché, tandis qu’il s’agit d’être juste au regard non des nommes mais de Dieu. Ibid., iv, 1, col. 960-961.

Naturellement les protestants se prévalent de ces passages, Thomasius, op. cit., p. 423-424 ; mais à tort. Il est facile, en effet, de remarquer tout d’abord qu’Origène n’hésite pas à dire des vertus morales ce qu’il a dit de la foi : Sicut de fide dictum est guia repulala est ei ad justitiam, ita et de aliis virtutibus dici potest. Car il se souvient d’ « un autre endroit de l’Écriture » où il est dit qu’Abraham fut justifié par les œuvres de la foi. Ibid., iv, 1, col. 961 et 963. Ainsi la justification par la foi n’est qu’un cas particulier, celui d’une volonté généreuse qui n’a pas encore eu le temps de se traduire en actes ; mais normalement la foi comporte les œuvres. Indicium verse fidei est ubi non delinguitur, sicut contra ubi delinguitur infidelitalis indicium est. C’est pourquoi Origène fait observer que la foi d’Abraham fut, en réalité, la synthèse de toute une vie et que la nôtre, à son exemple, doit être une foi intégrale et parfaite : non ei gui ex parte, sed gui ex integro et gui perfecte crédit fidem posse ad justitiam repulari. Ibid., col. 961-964. En effet, entre la foi et les œuvres, il y a le même lien organique qu’entre la racine et les branches de l’arbre. Initium namque justificari a Deo fides est guse crédit in justificanicm. Et hsec fides… tamguam radix imbre suscepto hæret in animée solo, ut, eum per legem Dei excoli cœperit, surgant in ea rami gui fruclus operum ferant. Ibid., col. 465. Cf. iv, 6, col. 981 : Prima salutis initia et ipsa fundamenta fides est ; profectus vero et augmenta sedificii spes

est ; perfectio autem et culmen totius operis charitas. En conséquence, on aurait beau croire : on ne saurait être justifié si, à l’exemple du Christ, on ne ressuscite de la mort à la vie. Negue enim possibile est ut habenti in se aliquid injustitiæ possit justilia repulari, etiamsi credat in eum gui suscitavil Dominum Jesum a mortuis. Injuslitia namgue eum justitia nihil potest habere commune… Justificat ergo eos Christus tantummodo gui novam vilam excmplo resurrectionis ipsius susceperunt. Ibid., iv, 7, col. 985-986. Et s’il en est ainsi pour obtenir la justification, à plus forte raison cela est-il nécessaire pour y persévérer : Post justificationem si injuste guis agat, sine dubio justificationis gratiam sprevit. Ibid., ni, 9, col. 953. Aussi Origène a-t-il dit plus haut, après l’Apôtre, que chacun recevra suivant ses œuvres. Ibid., ii, 4, col. 875-879. De toutes façons, la foi sans les œuvres est une foi morte, comme l’a dit saint Jacques. In Joan., xix, 6, ibid., col. 569. Le pécheur surtout est tenu à des œuvres de pénitence et de charité, qui peuvent seules lui procurer le pardon de ses fautes. In Levit., ii, 4, P. G., t. xii, col. 417-418 ; cf. xii, 3, col. 538-539.

A ces vérités communes de la foi, Origène mêle une de ces vues personnelles où se complaisait son génie. Cherchant à expliquer pourquoi saint Paul a dit, Rom., ii, 30, que Dieu justifie les juifs e.r fide et les gentils per fidem, il établit sur cette différence de langage l’hypothèse suivante : Qui ex fide justificantur, initio ex fide sumpto, per adimpletionem bonorum operum consummantur, et qui per fidem justificantur, a bonis operibus exorsi, per fidem summam perfectionis accipiunt. Où apparaissent deux économies de la justification : l’une qui conduit les juifs de la foi aux œuvres, l’autre qui couronne par la foi les œuvres des païens. Ce qui importe, c’est que ces deux conditions sont complémentaires et, par conséquent, ne doivent pas être séparées : Ita utrumque sibi adhserens alterum ex altero consummatur. In Rom., ni, 10, col. 957.

Un de ses disciples, Hiéracas, devait plus tard attacher tellement d’importance aux œuvres qu’il excluait du ciel les enfants morts aussitôt après leur baptême, parce qu’ils n’avaient pas pu en accomplir. Renseignement fourni par saint Épiphane, Hser., lxvii, 2 ; P. G., t. xlii, col. 176. Parce qu’il s’est gardé de cet excès, Origène est un témoin de la manière dont l’Église harmonisait dans l’unité de sa vie les données de saint Jacques et de saint Paul, cependant que son effort de spéculation frayait la voie aux théologiens qui devaient s’appliquer à montrer la connexion intime de ces deux conditions également indispensables du salut. Le catholicisme des premiers siècles n’a reçu nulle part de meilleure et de plus complète expression.

3. Exégètes et docteurs du n’e siècle. — En vain chercherait-on chez eux un essai de synthèse comparable à celui d’Origène ; mais multiples sont dans leurs écrits les échos de la doctrine traditionnelle.

a) Textes invoqués par les protestants. — Cependant les polémistes protestants ont pu y trouver une moisson assez abondante de textes où la justification est attribuée à la foi seule et qu’il faut d’abord discuter.

A y regarder de près, quelques-uns sont purement exégétiques, tel que celui de saint Hilaire résumant la guérison du paralytique dans l’Évangile : Fides enim sola justificat. In Matlh., viii, 6, P. L., t. ix, col. 961. Ce qui rappelle simplement que, pour déclarer ses péchés remis, Jésus n’a considéré que sa foi et celle de ses porteurs. A plus forte raison l’Épître aux Romains était-elle faite pour inspirer à ses commentateurs un semblable langage. Pour YAmbrosiaster, non seulement on n’est justifié que par la foi : non justificari hominem apud Deum nisi per fidem,

In Rom., iii, 27, P. L., t. xvii (édition de 1866), col. 84 ; mais, à l’exemple d’Abraham, on l’est par la foi seule, ibid., iv, 5, col. 87 : …. cum videant Abraham non per opéra legis scd sola fide justification. Non ergo opus est lex quando impius per solam fidem justificatur apud Deum. Marius Victorinus, spécialement exploité par Harnack, loc. cit., p. 158-160, et Dogmengeschichte, t. iii, p. 35, après Gore, dans Dict. of Christian biographg, t. iv, p. 1137, écrit de même sur Gal., ii, 15 : Scimus non justificari hominem ex operibus legis, sed justificari per fidem… Ipsa enim fides sola juslificationem dut et sanctificationem. P. L., t. viii, col. 1164. Cf. In Phil, iii, 9, col. 1219 et In Eph., ii, 7-11, col. 1255-1256. Où l’on voit que ces exégètes, à la suite de saint Paul, opposent la foi chrétienne aux œuvres de la Loi, celles-ci étant absolument insuffisantes et inutiles sans celles-là. Ce qui est une manière d’affirmer que le salut nous vient, non de nos propres mérites, mais uniquement de notre rédemption par le Christ. Il s’ensuit que croire au mystère de cette économie rédemptrice est la première et la plus indispensable condition pour être sauvé, sans qu’il faille nécessairement conclure que cette disposition est la seule requise de notre part.

Cette même doctrine se retrouve ailleurs, en dehors de toute exégèse, comme une vérité dogmatique. Ainsi saint Basile disait à ses fidèles pour les exhorter à l’humilité : « Il n’y a pour vous de glorification parfaite et complète que dans le Seigneur, lorsque, au lieu de se prévaloir de sa propre justice, on se reconnaît dénué de la justice véritable et justifié par la seule foi au Christ. » Hom., xx, 3, P. G., t. xxxi, col. 529. Saint Jean Chrysostome ajoute, contre les tenants attardés du judéo-christianisme, que cette foi au Christ exclut formellement tout autre moyen de salut : « Les observances judaïques sont doublement des fables, et parce que simulées, et parce que superflues… Si, en effet, tu crois à la foi, pourquoi introduire autre chose, comme si la foi ne suffisait pas à justifier ? » In TH., hom. iii, 2, P. G., t. lxii, col. 679. Cf. In Matth., hom. xxvi, 4, P. G., t. i.vn, col. 338. Chez les latins, saint Ambroise souligne pareillement. l’insuffisance de la loi et de ses œuvres pour faire éclater le bienfait de la rédemption : Venit Dominus Jésus… in cuius morte juslificali sumus. De Jacob et vita beala, I, v, 17, P. L., t. xiv (édit. de 1866), col. 636. D’où il s'élève à ces effusions : Non habco igitur unde gloriari in operibus meis possim, non habeo unde me jactem, et ideo gloriabor in Christo. Non gloriabor quia juslus sum, sed gloriabor quia redemptus sum. Ibid., vi, 21, col. 637. Cf. Epist., lxxiii, 10-11, t. xvi, col. 1307-1308 : Nemo glorietur in operibus, quia nemo factis suis justificatur : sed qui juslus est donalum habet, quia per lavacrum juslificalus est. Fides ergo est qux libéral per sanguinem Clirisli.

A la suite de Mélanchthon, Apolog., iv, 103-105, les protestants s’emparent volontiers de ces déclarations et A. Harnack lui-même y trouve un accent « évangélico-paulinien » très marqué. Loc. cit., p. 156. En réalité, ces textes ne sont pas ad rem. Ils opposent la foi aux œuvres légales du judaïsme ou, d’une manière plus générale, au fruit de nos activités naturelles. C’est dire qu’ils affirment la nécessité de la rédemption et de la grâce, mais sans préciser pour autant la manière dont la rédemption nous est appliquée, Un aspect de l'économie du salut est indiqué là, qui appartient à la plus authentique essence du chris tianisme, mais qui n’en exprime pas la totalité. La preuve en est que les mêmes auteurs, lorsqu’ils en viennent à envisager sous son aspect pratique l’appropriation de cette grâce rédemptrice, font appel avec la même énergie à la coopération de l’homme par les bonnes œuvres.

b) Doctrine spéciale des œuvres. — Elle s’affirme pareillement dans les diverses parties de l'Église. Il est entendu que la tradition de Tertullien domine la théologie latine. Ainsi saint Hilaire veut que la récompense éternelle nous soit accordée ex merito. In Ps. ii, 16, P. L., t. ix, col. 270. En conséquence, il s'élève contre ceux qui voudraient se contenter de la simple foi, In Ps. cxviii, ProL, 4, col. 502, et exige l’effort de notre bonne conduite : Operandum et promerendum est et per solliciludinem operum anleriorum œternilalis est requies præparanda. In Ps. *C/, 10, col. 500. Cf. In Ps. L.iꝟ. 6, col. 416 : Ornandum ergo hoc Dei templum…, ut sequitatis ac fidei operibus mirabile sil. Autres références à l’art. Hilaip.e, t. vi. col. 2450. Saint Ambroise rapproche la foi et les œuvres pour en montrer l'étroite corrélation : Ante omnia fides nos commendare Deo débet. Cum fidem habuerimus, claboremus ut opéra nostra perfecta sint. De Caïn et Abel, II, ii, 8, t. xiv, col. 362. Cf. In Luc, vii, 104, t. xv, col. 1814 : Et fide et operibus (fidelis vir) approbetur ; In Luc, viii, 47, col. 1869 : Pro actibus hominis remunerationis est qualitas, et Epist., ii, 16, t. xvi. col. 921. L’Ambrosiaster ne connaît pas non plus d’autre norme au jugement divin que la valeur de nos actes : Unusquisque operibus suis aut justificabitur eut condemnabitur. In Rom., xiii, 2, P. L., t. xvii, col. 171. Cf. ibid., ii, 5, col. 68. Aussi ne veut-il pas séparer la connaissance de Dieu de la fidélité à ses commandements : Prima ergo hsec justitia est agnoscere creatorem, deinde custodire quæ prxccpit. Ibid., ix, 30, col. 147.)

Les meilleurs témoins du christianisme oriental ne tiennent d’ailleurs pas un autre langage. Dans l'Église syrienne, Aphraate enseigne évidemment que tout l'édifice spirituel a comme fondement la foi au Christ : mais par-dessus doivent se placer le jeûne, la prière, la charité, l’aumône. « La foi, conclut-il, réclame tous ces ornements établis sur la base de la pierre ferme qui est le Christ. » Demonst., i, 4, Palrol. syriaca, t. i, p. 11-14. « Fais donc, ô homme, les œuvres qui réjouissent Dieu et tu n’auras pas besoin de dire (à Dieu) : Pardonne-moi. » Ibid., iv, 14, p. 170. Thomasius, op. cit., p. 427-430, s’est longuement réclamé de saint Éphrem, alors peu connu. Mais, dans les textes mîmes qu’il invoque, on voit que le docteur d'Édesse, s’il prêchait une foi ardente au Christ Rédempteur, entendait que cette foi doit se traduire par la pénitence. Voir en particulier Opéra, édition Assémani, t. i, p. 29 sq., 254 sq. ; t. iii, p. 514 ; t. vi, p. 367 sq. Ce qui comprend pour lui, avec le repentir du cœur, les œuvres qui en sont la manifestation, 1. 1, p. 249-254. i |W>

Identique est la doctrine des Pères grecs. Témoin Eusèbe de Césarée, qui reproche aux ébionites leur attachement aux pratiques juives, « comme, ajoutet-il, s’ils ne seraient pas sauvés par la seule foi au Christ et une vie conduite en conséquence. » II. E., U 1, xxvii, P. G., t. XX, col. 273. Saint Basile réclame lui aussi, pourvoir Dieu, l’union d’une foi saine et d’une vie droite. Epist., viii, 12, P. G., t. xxxii, col. 265. « Celui-là, en effet, qui par ses bonnes œuvres rend ici-bas honneur et gloire au Seigneur s’amasse à luimême un trésor d’honneur et de gloire selon la juste rémunération du juge. » Hom. in Ps. XXVlll, 1, P. G., t. xxix, col. 281. Voir Eug. Scholl, Die I.chrc des hl. Basilius pan der Gnade, Fribourg, 1881, p. 212-222, ( t.1. Bi vieil, Saint Basile, dans la collection des Moralistes chrétiens, Paris, 1925, p. 92-95. Saint Grégoire de Na/ianze associe sans effort les données de saint Jacques el. de saint Paul : « De même que sans la foi l’action n’est pas agréable à Dieu…, ainsi la loi est morte sans les œuvres….Montrez donc votre foi par vos œuvres comme le fruit de votre sol. » Oral., XXVI, 5, P. G., t. xxxv, col. 1233. Cf. Oral., xiv, 37, col. 908 et xxxvi, 10, col. 277.

Ainsi également saint Grégoire de Nysse : « Ni la foi sans les œuvres de la justice ne suffît à nous sauver, ni à son tour la justice de la vie n’est par elle-même une assurance de salut si on l’isole de la foi. » In Ecclesiast., hom. viii, P. G., t. xuv, col. 748. Et à plus forte raison le grand moraliste saint Jean Chrysostome, qui appelle la foi stérile une ombre sans force, ayjnii son [xévov XM/lç Suvdefxea) ; maziç, xoiplc, epywv, In II Tim., hom. vm, 2, P. G., t. lxii, col. 643. et met à plusieurs reprises ses auditeurs en garde contre l’illusion d’être sauvés par la seule foi si la conduite n’y correspond. « Si quelqu’un a une foi droite sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit sans avoir une vie droite, sa foi ne lui sera d’aucun profit pour le salut. » In Joan., hom. xxxi, 1, t. lix, col. 176. Doctrine appuyée sur la parole du Maître : Non omnis qui dicit : Domine, Domine, Matth., vii. 21, dont il donne ailleurs le commentaire in extenso. In Matth., hom. xxiv, 1, t. Lvn, col. 321322. Cf. hom. v, 4, ibid., col. 59-61 ; hom., xxvi, 6, col. 340-341, et hom. lxix, 2, t. i.vm, col. 650. Voir de mêmî saint Cyrille de Jérusalem, Catech., iv, 2, t. xxxiii, col. 456.

c) Doctrine qénérale de la vie chrétienne. — En dehors des textes scripturaires et des exhortations morales occasionnelles, deux sujets, l’un et l’autre familiers à la prédication aussi bien qu’à l’ascèse chrétiennes, amenaient régulièrement les Pères à développer ls thème de la nécessité des œuvres.

C’était, d’une part, l’exposition de la liturgie baptismale, si souvent faite aux fidèles, et qui leur apprenait ou leur rappelait avec énergie les obligations contractées lors de leur enrôlement au service du Christ. Voir, par exemple, saint Pacien, Serm. de bapt., 7, P. L., t. xiii, col. 1004 : Ulud homini proprium… vita perpétua, sed si jam non peccamus amplius ; saint Arabroise, De myst, vii, 41 ; P. L., t. xvi, (édit. de 1866), col. 419 : Fides tua pleno fulgeat sacramento. Opéra quoque tua luceant et imaginem Dei præjerant ; anonyme, De Sacram., I, ii, 4-8, - ibid., col. 437-438, et III, il, 8-10, col. 453 ; saint Cyrille de Jérusalem., Catech., xx, 3, P. G., t. xxxiii, col. 1077, et xxi, 7, col. 1093 ; saint Basile, Hom., xiii, 7, t. xxxi, col. 440 ; saint Grégoire de Nazianze, Orat., xl, 45, t. xxxvi, col. 424. « Élève-le bien sur ce fondement de tes croyances ; car la foi sans les œuvres est morte, comme les œuvres sans la foi ; » saint Grégoire de Nysse, Orat. cal. mag., 35 et 40, P. G., t. xlv, col. 88 et 101-104.

Il y faudrait ajouter les exhortations à la pénitence adressées à ceux qui sont retombés dans le péché après le baptême, v. g. saint Cyprien, De lapsis, 7-33, P. L., t. iv, col. 494-506 ; saint Pacien, Par. ad pœnit., t. xiii, col. 1031-1090 ; saint Ambroise, De pœnit., ii, 6-10, t. xvi, col. 528-542 : saint Basile, Hom., i, 4 et 11-12, P. G., t. xxxi, col. 168 et 181-184, qui toutes ont pour but d’inviter les pécheurs à racheter leurs fautes par un surcroît de bonnes œuvres et de sacrifices. Enfin la prédication des fins dernières et, en particulier, du jugement divin était tout naturellement l’occasion de rappeler ce principe de justice et d’espérance que Dieu y rendra à chacun selon ses œuvres. Références à l’art. Jugement, ci-dessus, col. 1765 sq.

Et l’on voit suffisamment que la nécessité pour l’homme d’être l’ouvrier effectif de son propre salut en faisant fructifier la grâce de la rédemption, loin d’apparaître comme une sorte d’épiphénomène accidentel, s’incorpore chez les Pères des quatre premiers siècles aux principes les plus essentiels du dogme chrétien.

2 U Ncdure de la foi justifiante. — Il n’y a pas lieu d’insister beaucoup sur la manière dont est conçue, dans la même période, la foi requise pour la justification.

Que ce mot, alors aussi bien qu’aujourd’hui, expri mât une somme de réalités diverses et complexes, la chose n’est pas douteuse ; mais nulle part il n’est restreint à ce sentiment mystique de confiance, base de la Réforme, par lequel le pécheur abriterait sa misère derrière les mérites du Rédempteur. D’une manière générale, les anciens Pères, tout comme les théologiens modernes, entendaient par foi l’assentiment aux vérités contenues dans la révélation divine. Voir Foi, t. vi, col. 78-82. C’est à cette lumière qu’il faut lire leurs exposés relatifs au problème de la justification. Il suffît de rappeler que le baptême, rite initiateur de la justification, était préparé par le catéchuménat et que l’élément capital de cette institution était cette explication méthodique du symbole dont la littérature de l’époque nous a conservé de si précieux spécimens. Voir Catéchuménat, t. ii, col. 19791983.

Sous le bénéfice de cette première observation, on peut distinguer, dans l’application de la notion de foi aux conditions du salut, deux aspects complémentaires, qui expliquent la teneur en apparence divergente des textes relevés ci-dessus.

1. Aspect dogmatique de la joi.

Tantôt la foi est prise dans un sens dogmatique et objectif, pour désigner l’économie chrétienne de la rédemption, seule source de la grâce. Dans ce cas, à la suite de saint Paul, elle est mise en rapport, et en contraste, soit avec le judaïsme, soit avec le paganisme. Outre la fidélité aux Écritures dont se nourrissait leur pensée, on conçoit que la considération du milieu mélangé dans lequel écrivaient et vivaient les Pères les ait amenés plus d’une fois à dégager formellement cette base profonde du surnaturel. Voir W. Liese, Der heilsnolwendige Glaube, Fribourg-en-B., 1902, p. 67-140.

A ce point de vue il est élémentaire de dire que la foi au Christ — ou la foi tout court : ce qui est synonyme

— est nécessaire pour être sauvé. Et il est non moins normal d’ajouter, soit, au sens positif, que nous sommes sauvés par la foi, soit, au sens exclusif, que nous ne sommes sauvés que par elle. Ce qui est une façon de répéter, avec les croyants du premier jour, Act., iv, 12, qu’il n’y a pour l’humanité de salut que dans et par le Christ. Dans ce sens, il est évident que la foi s’oppose aux œuvres, soit qu’il s’agisse de l’assiduité aux pratiques de la Loi, soit, d’une manière plus générale, de la valeur inhérente aux produits de notre seule activité morale. Il n’y a pas autre chose, dans la plupart des déclarations citées plus haut, col. 2083 sq., de saint Justin, de saint Irénée et d’Origène, de saint Ambroise et de YAmbrosiaster, de saint Basile et de saint Jean Chrysostome, que ce rappel du mystère de la rédemption. Encore faut-il prendre garde que, dans les plus accusées, l’expression sola fide ou ses équivalents reste assez indéterminée pour autoriser la double traduction « par la seule foi », c’est-à-dire uniquement par la foi, ou « par la foi seule », c’est-à-dire abstraction faite de toute autre vertu.

C’est dire que le problème précis de la justification ne se posait pas encore aux yeux de ces Pères et qu’en tout cas on fausse leur pensée en appliquant à cet acte de notre vie spirituelle ce qu’ils ont dit de ses conditions objectives selon le plan divin.

2. Aspect pratique de la foi.

D’autres fois cependant,

à n’en pas douter, la foi est envisagée par eux dans l’ordre psychologique et subjectif, comme prise de possession personnelle de la grâce obtenue à tous par la rédempteur. Appropriation qui se fait selon ks lois de la nature humaine, c’est-à-dire tout d’abord et essentiellement par un acte de l’intelligence qui prend contact avec la révélation divine et en accepte loyalement le contenu.

a) Son caraclè~e intellectuel. — Cet aspect intellectuel de la foi justifiante ressort du caractère des symboles,

qui énoncent tous dos croyances et les expriment en termes de plus en plus précis, ainsi que du commentaire détaillé qu’en donnaient les catéchèses baptismales. « Précieuse, comme s’exprime saint Cyrille de Jérusalem dès le début de son œuvre, est la connaissance des dogmes. Il est besoin pour cela d’une âme attentive ; car plusieurs font des victimes par la philosophie et ses vains prestiges. » De ces faux docteurs il signale aussitôt trois catégories : les gentils avec leur beau langage, les juifs avec leur attachement servile à la lettre d’une Loi dont ils méconnaissent l’esprit, les hérétiques habiles à dissimuler sous le nom du Christ leurs doctrines impies. « C’est pourquoi, concluait-il, il y a un enseignement et une explication de la foi, » tcÎcttscûç StSocaxaXta xal eîç aù-rijv h^txh ae KEt pour rendre cette tâche plus facile à ses auditeurs, il consacre cette conférence introductoire à un résumé succinct du Credo catholique, dont les suivantes reprendront ensuite point par point le détail. Catech., iv, 2-3, P. G., t. xxxiir, col. 455-457.

On a dans ces lignes de l'évêque de Jérusalem comme une miniature de toute l’action pastorale de l’ancienne Église, également soucieuse depuis saint Clément et saint Ignace, saint Justin et saint Irénée, Origène et Tertullien, d’assurer à ses fidèles le bienfait de la vérité et de la garantir contre les altérations ou les oppositions diverses de l’erreur. Croire signifiait donc admettre et garder les doctrines constitutives du christianisme traditionnel. Voir par exemple S. Justin, Dial., 44, P. G., t. vi, col. 509-572 ; S. Irénée, Demonslr., Prolog., 1-2, dans Patrol. Orient., t. xii, p. 756-757, et autres références à l’art. Irénée, t. vii, col. 2492-2493 ; Origène, De princ, Prsef., P. G., t. xi, col. 115-121 ; S. Basile, De fide, P. G., t. xxxi, col. 676684 ; Pseudo-Basile, De baptismo, , 1-2, ibid., col. 15131517 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat, xl, 45, t. xxvi, col. 424.

Parce qu’elle a pour objet une révélation, cette foi a pour note distinctive l’acceptation du témoignage divin. En quoi elle s’oppose aux conceptions et recherches de la raison : au lieu de spéculer sans fin et sans règle, le propre du chrétien est de croire. Celse n’avait pas tort quand il recueillait comme caractéristiques des propos de ce genre : « Ne recherche pas, ne critique pas, mais contente-toi de croire. Ta foi te sauvera. » Origène, Cont. Cels, i, 9, P. G., t. xi, col. (572. Voir de même Tertullien, De presser hier., 9-14, P. L., t. ii, col. 22-28, dont on retrouve encore de lointains échos jusque dans saint Jean Chrysostome, In I Tim., hom., i, 2-3, P. G., t. lxii, col. 506-507. Être sauvé par la foi, et la foi seule, ne signifie pas autre chose, dans ce contexte, que la profession fidèle des dogmes chrétiens et la soumission qu’elle implique à l’autorité de Dieu.

b) Sa valeur monde. — Ainsi comprise, la foi suppose un acte de volonté, fait de confiance à l’origine et stabilisé par la persévérance, c’est-à-dire une vertu de l’ordre moral et qui, de ce chef, a sa valeur méritoire.

On peut voir cet aspect s’avérer déj ; 'i formellement dans saint Irénée. Werner, op. cit.. p. 206-207. Ainsi par exemple, Cont. hær., IV, xxxix, 2, P. G., t. vii, col, 1110 : Si Iriulideris ei quod limm est, id est (idem cl subjectionem, recipies ejus artem et eris perjectum opus Dei. De la sorte la foi devient, par elle-même, une œuvre agréable à Dieu et peut entrer à un nouveau titre parmi les conditions préalables de la justification. Elle sera toujours nécessaire, parce que la grâce divine ne peut être accordée qu’a l'âme qui la sollicite avec une humble déférence ; mais il peut aussi arriver des cas ou elle s’affirme avec une telle plénitude qu’on puisse la dire suffisante.

Car, à vrai dire, elle n’est plus seule alors et le philosophe peut légitimement voir en elle les vertus dont elle est la synthèse ou dont tout au moins elle contient virtuellement la promesse. On a vu plus haut, col. 2085, qu’Origène entendait dans ce sens la justification par la foi seule qu’il lisait dans saint Paul. C’est tout de même en moraliste que saint Jean Chrysostome envisage la foi d’Abraham, plus méritoire, à son sens, que toutes les œuvres parce qu’elle suppose un plus grand abandon à Dieu, In Rom., hom. viii, 1, P. G., t. lx, col. 455, et saint Maxime de Turin la foi du bon larron en croix qu’il oppose à l’infidélité des apôtres au même moment. Hom., lii, P. L., t. Lvn. col. 349. Ici la foi est si peu exclusive des œuvres qu’elle leur est équiparée.

Mais l’expérience oblige à constater que cette fides viva, pour normale et nécessaire qu’elle soit, risque aisément de faire défaut. Comme les pharisiens, et avec la même superficielle sincérité, beaucoup de chrétiens imparfaits n’ont-ils pas tendance à réduire leur foi à une profession tout extérieure et verbale des symboles ecclésiastiques ? Attentifs à ce danger, qui fut de tous les temps, on a vu que les Pères ont éprouvé le besoin de rappeler aux croyants cette vérité primordiale que la foi doit inspirer la conduite, sous peine d'être dénuée de toute valeur pour le salut.

La distinction entre les divers aspects sous lesquels la foi se présente à l’esprit des premiers Pères fournit la clé des divergences constatées dans leur langage et supprime la tentation de transformer en flottement de leur pensée les hésitations d’une terminologie encore imprécise. Tentation particulièrement paradoxale, quand elle aboutit à mettre à peu près chacun des Pères en contradiction avec lui-même. En réalité, la foi correspond chez eux à l'élément surnaturel qu’implique la justification ; mais, loin de s’opposer jamais à l'œuvre morale de l’homme qui doit en retirer le profit, elle en est le principe et le germe. C’est pourquoi ils peuvent revendiquer l’une et l’autre comme une égale nécessité.

3° Nature des œuvres justifiantes. — Chaque fois qu’il est question de bonnes œuvres antérieures et préparatoires à la justification, les protestants affectent de croire à un empiétement sur les droits de Dieu. Aussi l'Église a-t-elle eu grand soin de préciser qu’il s’agit d'œuvr ?s faites avec le concours de la grâce. La position des Pères anciens n’est pas douteuse sur ce point.

1. Nécessité générale de la grâ e. — Déjà le fait de réclamer expressément et avant tout la foi au Rédempteur indique suffisamment que l'économie entière de la justification est suspendue à une première grâce. Mais, en plus de cette action lointaine, on voit s’affirmer son rôle immédiat à l’origine des actes qui relèvent de l’homme.

Il suffira de quelques témoignages. Saint Justin, admet que la grâce de Dieu est nécessaire pour donner l’intelligence des prophéties à l'âme de bonne foi qui cherche la vérité. Dial., 76, 90, 118-119, et tout autant pour en réaliser les exigences. * Nous prions ensemble avec ferveur et pour nous-mêmes et pour le nouveau baptisé…, afin d’obtenir, après la connaissance de la vérité, la grâce d’en bien pratiquer aussi les œuvres. » Apol., i, 65. Cf. Dial., 30. Voir.1. Rivière, Suint Justin cl les apologistes du second siècle, Paris, 1907, p. 1 19153 et 301-302. Non enim ex nobis, précise saint Irénée, neque ex nostra natura vita est, sed secundum gratiam J)ci datur. Cont. luvr., II, xxxiv, 3, P. G., t. vii, col. 836. Voir Werner, op. cit., p. 208-210, et art. [renée, t. vii, col. 2487-2188. Origène, s’il demande la foi comme première œuvre de l’homme, ne manque pas d’ajouter, pour répondre à une objection possible, qu’elle est elle-même un don de Dieu : Inter cetera doua ^

etiam donum fidei asserit (Apostolus) per Spiritum Sanction tribui. In Rom., iv, 5, P. G., t. xiv, col. 974. Voir pour des références postérieures l’art. Grâce, t. vi, col. 1574, et Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 144-148 pour les Pères grecs, p. 280-281 pour les latins. La controverse pélagienne pourra provoquer plus d’insistance et de clarté ; mais elle ne mettra pas en jeu d’autres principes que ceux dont vécurent paisiblement les siècles primitifs.

2. Cas particulier de la première grâce.

- Faut-il étendre cette nécessité de la grâce à la toute première direction de l’âme vers Dieu ? C’est la question délicate de l’initium fidei.

Les meilleurs historiens catholiques du dogme admettent qu’elle était encore mal éclaircie avant le ve siècle et donc imparfaitement résolue. « Saint Hilaire, saint Optât et même saint Jérôme ont émis des propositions que nous qualifierions actuellement de semi-pélagiennes. » Tixeront, op. cit., p. 282. Il en est de même pour saint Grégoire de Nazianze et saint Jean Chrysostome, dont se prévalaient les adversaires de saint Augustin. Ibid., p. 146-147. Cf. Schwane, Hist. des dogmes, traduction Degert, t. iii, p. 85-86, 91-94, 102-101, 113-116, 127-129, qui s’applique à réduire la portée de ces textes, tout en y reconnaissant « des formules très inexactes », p. 127.

Ce problème d’histoire sera traité à l’article Semipélagianisme. Voir déjà Grégoire de Nazianze, t. vi, col. 1843 ; Hilaire, ibid., col. 2450-2451, et, pour saint Basile, Scholl, op. cit., p. 74-97. Il suffît de noter ici que ces imperfections indéniables sont compensées par les déclarations de principe formelles et illimitées que l’on trouve chez les mêmes Pères sur la nécessité générale de la grâce et qu’on ne saurait, en bonne méthode, juger l’Église sur une époque où sa doctrine n’avait pas encore atteint son plein développement. L’essentiel est que soit bien posé le dogme de la grâce comme principe nécessaire de salut — et il n’y eut jamais de doute sur ce point — en attendant que les progrès de l’analyse en fassent mieux ressortir toute l’ampleur.

II. NATURE ET EFFETS DE LA JUSTIFICATION.

Du

moment que le problème do la justification n’était pas encore traité d’une manière distincte, il ne faut pas demander aux Pères des premiers siècles des éclaircissements précis sur l’essence de cet acte divin et ses effets en nous. Cependant les lignes générales de leur sotériologie, dans lesquelles s’encadrent quelques touches concrètes sur la grâce impartie au chrétien, font apparaître avec toute la clarté désirable la direction de leur pensée. Quelques rapides indications suffiront à montrer, non seulement qu’ils n’ont rien su de cette imputation tout extérieure que devait imaginer la Réforme, mais que toute leur théologie postule le concept d’une véritable régénération de l’âme dans et par le Christ.

1° Principe de la justification : Sens et portée de l’économie rédemptrice. — Sans entrer dans des détails qui appartiennent à l’art. Rédemption, on se contente de rappeler ici comme un fait notoire que la théologie patristique aimait envisager ce mystère sous l’aspect d’une restauration spirituelle. L’harmonie providentielle de notre nature ayant été rompue par le péché, le Fils de Dieu est venu la refaire en se l’unissant. Économie de salut qui comporte un aspect négatif, savoir la destruction de la mort qui était devenue la sanction de notre déchéance, et un aspect positif, c’est-à-dire le don de la vie et de l’incorruptibilité qui rétablit en nous l’image divine dans sa primitive splendeur.

Cette conception, dont on trouverait le germe dès saint Paul et saint Jean, est à la base des premières synthèses construites par l.s Pères grecs, depuis saint

Irénée, Cont. hær., III, xvin-xix et V, i-ii, jusqu’à saint Athanase, De Incarn. Verbi, 3-10, et saint Grégoire de Nysse, Orat. catech. magn., 5-16. Moins exclusive, elle n’est pourtant pas négligée par les théologiens postérieurs. Voir, par exemple, saint Basile, Epist., viii, 5, et cclxi, 2 ; saint Grégoire de Nazianze, Orat., xx, 19 ; xl, 45, et xlv, 8-9 ; saint Épiphane, Ancorat., 93 ; saint Jean Chrysostome, In Joan., hom. xi, 1-2. Elle n’est même pas entièrement absente des Pères occidentaux. On la trouve, par exemple, chez saint Hippolyte, De Christo et antichr., 26 ; Contr. hær. Noeli, 17 ; Philosophoumena, x, 33-34 ; saint Hilaire, In Ps. sir, 3-4 et De Trin., ii, 25. Voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d’étude historique, Paris, 1905, p. 117-126 et 142-159 ; J. Chaîne, Le Christ Rédempteur dans saint Irénée, Le Puy, 1919, p. 64-84 ; J. Kôrber, S. Irenseus de gratia sanctifteante, Wurzbourg, 1865, p. 7-88 ; J.-B. Aufhauscr, Die Heilslehre des hl. Gregor von Nyssa, Munich, 1910, p 105-120 ; H. Strâter, Die Erlbsungslehre des hl. Athanasius, Fribourg-en-B., 1894, p. 140-162 ; et ici même, Irénée. t. vii, col. 24692472 ; Athanase, 1. 1, col. 2169-2174. ï,

Il est aisé d’apercevoir la portée de cette doctrine par rapport au problème, de la justification. Elle a tout entière comme axe le renouvellement effectif de notre nature et il est bien évident que le but providentiel de l’incarnation ne serait pas atteint si le péché continuait, après comme avant, à régner sur notre nature ou si notre sanctification se ramenait à l’imputation juridique d’une grâce qui nous demeurât étrangère. Cette théorie de la divinisation — et il n’en fut pas de plus classique — suffirait à faire voir combien sont profondes les attaches du dogme défini au concile de Trente avec la pensée des Pères les plus anciens.

2° Application : La régénération baptismale. — Acquise à l’humanité par l’avènement du Rédempteur, la grâce divine se transmet à chacun des hommes par le baptême. Il est inutile d’insister sur l’importance de ce sacrement dans la synthèse théorique du dogme chrétien et dans la vie pratique de l’Église.

Or, déjà par elle-même, la liturgie baptismale contenait tout un enseignement. L’ablution corporelle signifiait à tous les yeux la purification de l’âme ; l’onction visible du saint chrême, le don invisible de l’Esprit : double rite de régénération que l’Église traduisait à l’extérieur par l’habit blanc qu’elle imposait au nouveau baptisé. Est-il besoin de dire que ce symbolisme est largement exploité dans les innombrables traités ou homélies que les Pères ont consacrés au baptême ? Partout s’affirme la croyance ardente à la rémission du péché et à la transformation du vieil homme en un homme nouveau par son incorporation au Christ. Voir pour la preuve les art. Baptême, t. ii, col. 200-204, et Chrême, ibid., col. 2411. On peut y ajouter Clément d’Alexandrie, Strom., ii, 13, P. G., t. viii, col. 993-997 ; Origène, In Joan., vi, 17, P. G., t. xiv, col. 257, et 26-30, col. 276-285 ; cf. In Rom., v, 8, ibid., col. 1037-1043 ; S. Basile. In Ps. xxviii, 7, P. G., t. xxx, col. 81, et Hom., xiii, 3, P. G., t. xxxi, col. 429 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xl, 8, t. xxxvi, col. 368, et 32, col. 404-405 ; S. Grégoire de Nysse, Orat. cat. magn., 35, t. xlv, col. 85-92, et De bapt., t. xlvi, col. 416-417 ; S. Jean Chrysostome, Ad illum., i, 3, t. xlix, col. 226-227 ; S. Pacien, De bapt., 5-6, P. L.. t. xiii, col. 1092-1093 ; S. Ambroise, De mysL, vii, 34-35, P. L., t. xvi (édit. de 1866), col. 417 ; anonyme De sacram., II, vi, 16-19, ibid., col. 447-448. Cf. III, ii, 12, col. 454 : Qui venit ad baplismum hoc ipso imple.t con/essionem omnium peccalorum guod baplizari petit ut juslificetur, hoc est ut a culpa ad gratiam transeat. Et l’onprécise.aubesoin, quelagrâce baptismale ne comporte pas seulement l’effacement des péchés, mais une véritable régénération. Voir saint Jean Chrysostome, 2095

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DEPUIS LE PÉLAGIANISME

jii’m ;

In Joan., hom. xiv, 2, P. G., t. ux, col. 94, et In Rom., | hom., x, 4, t. lx, col. 478.

S’il n’est pas de source plus abondante pour avoir la pensée de l’Eglise en matière de justification, est-il besoin d’ajouter qu’il n’en est pas non plus de plus sûre, parce qu’aucune n’tst mieux faite pour refléter la commune foi ?

Agents de la justification.

 Cette foi s’exprime

aussi par ce que les Pères nous disent ou nous laissent entendre sur la manière dont l’homme est justifié. Sans développer encore ce que, l’école appellera plus tard les « causes » de la justification, ils en ont posé çà et là les principes fondamentaux.

Les théologiens modernes ont discuté pour savoir si la grâce, dans la théologie patristique, est rapportée simplement à une opération de Dieu ad extra ou si elle doit être formellement identifiée avec la présence du Saint-Esprit, et l’on a cru remarquer une nuance entre les Pères latins qui se tiendraient à la première conception et les Pères grecs qui professeraient la seconde. Voir Adoption, 1. 1, col. 426 et 434-135. On peut estimer que ces subtiles précisions sont encore étrangères au génie d’une époque où le souci de la technique s’efface devant l’affirmation des réalités. Ce qui expliquerait que les diverses écoles aient cru trouver chez les Pères des témoignages favorables à leur thèse. Il n’est pas nécessaire, en tout cas, de trancher cette controverse pour recueillir de cette doctrine mystique les données substantielles qui seules intéressent le présent sujet.

Il est certain, en effet, que, d’une manière générale, la grâce est regardée comme une participation de l’âme à la vie même de Dieu. C’est ce que réclame la théorie de la divinisation rappelée plus haut et c’est pourquoi saint Ignace d’Antioche appelle déjà le chrétien 6eoçopoç. En ce sens la justification aboutit à une présence spéciale de Dieu en nous. Voir pour les références l’art. Grâce, t. vi, col. 1614. Quand on veut préciser la caractéristique de cette grâce, les souvenirs de l’Ecriture ouvrent des voies différentes devant le mysticisme des Pères. Tantôt, avec saint Paul on aime y voir la justice même du Christ transmise à sa postérité spirituelle, par exemple saint Pacien, De bapt., 5-6, P. L., t. xiii, col. 1092-1093 : tantôt et plus souvent encore, à la suite de saint. Jean, on y montre l’œuvre du Saint-Esprit. Cette doctrine, qui s’énonce comme un fait chez les Pères des trois premiers siècles, voir Esprit Saint, t. v, col. 693-691, 703 et 708, devait plus tard, quand surgirent les controverses, servir de plateforme pour établir la nature divine de la troisième personne de la Trinité. Comment ne serait-il pas Dieu celui qui nous fait enfants de Dieu ? Tel est l’argument capital que les Pères du iv° siècle opposent aux ariens. Ibid., col. 720, 724, 726, 733-734, 737 et 712 pour les Pères grecs : col. 748-749 pour saint Ambroise, leur principal disciple en Occident. Voir Scholl, op. cit., p. 125-212, et Aufhauser, op. cit., p. 178-200.

Quelle que soit la forme prise par cette doctrine, elle signifie toujours une effusion dans l’âme de la vie divine. N’est-ce pas dire qu’elle implique nécessairement que la grâce soit un don effectif de sainteté ? Plus tard quelques spéculatifs ont entrepris d isoler la justifie ition, au moins comme premier moment théorique, de la sanctification qui en serait seulement une conséquence. La tradition patristique n’a pas connu ers raffinements. Seul l’Ambrosiaster distingue deux périodes dans l’économie surnaturelle : avant la passion, le baptême n’aurait procuré que la rémission des péchés ; la Justification aurait été accordée seulement après la résurrection, grâce à la profession de foi trinitaire et à la communication du Saint-Esprit que le Clirist avait réservées jusque-là. In Hom., iv, 25, P. /-., t. xvii, (édit. de 1866), col, 92. Cette exégèse compliquée, imaginée pour éclaircir un passage difficile de

saint Paul, outre qu’elle n’a rien de commun avec la théologie de la Réforme, ne saurait prévaloir contre l’impression de réalisme salutaire que laisse avec un parfait ensemble la théologie de cette époque, pour laquelle justification fut toujours synonyme de grâce et la grâce comprise comme une régénération de notre âme par le retour à son principe surnaturel.


III. Depuis la controverse pélagienne. —

Il fallait insister sur cette période primitive pour y saisir, jusque dans l’éparpillement de ses énoncés, l’expression de la foi catholique en matière de justification et les premières amorces de la théologie qui se dessine en vue de l’expliquer. Ce qui nous permettra de glisser plus rapidement sur les siècles qui suivent, en nous contentant de relever ce que la controverse pélagienne devait ajouter de neuf sur un fond désormais acquis.

I. conditions de la JUSTIFICATION.

A la différence

de la période qui précède, le ve siècle naissant s’est trouvé ici en présence d’un problème. Car des tendances extrêmes, où l’on peut soupçonner l’aboutissement d’une longue incubation, commencèrent à se faire jour, qui menaçaient en sens inverse l’équilibre de la tradition catholique, dont saint Augustin allait se faire l’infatigable et glorieux défenseur.

1° Le milieu : erreurs inverses. — Étant donné que la justification intéresse essentiellement deux facteurs, l’homme et Dieu, la nature et la grâce, le danger est toujours possible de méconnaître l’un ou l’autre. Cette éventualité s’affirme, vers la fin du ive siècle et le début du ve, comme une double réalité.

1. Rationalisme pclagien.

D’une part, en vertu de son rationalisme anthropologique, le pélagianisme était amené à faire dépendre le salut des seuls efforts du libre arbitre.

Si Pelage consentait à parler de grâce, dans un sens d’ailleurs équivoque, c’était pour la faire dépendre tout entière de nos mérites : Apertissime dicit gratiam secundum mérita nostra dari, rapporte saint Augustin, De gratia Christi, I, xxii, 23, cf. xxxi, 34, P. L., t. xliv, col. 371, 376 ; Contra duas epist. pelag.. II. vm, 17, ibid., col. 583, et Contra JuL, IV, iii, 15, ibid., col. 744. Ce principe s’applique même à la première grâce, puisque Pelage disait des infidèles : llli ideo judicandi atquc damnandi sunt quia, cum habeant liberum arbilrium per quod ad fulem venire passent et Dci gratiam promereri, maie utuntur libertate concessa. Hi vero remuncrandi sunt qui, benc libero ulentes arbitrio, merentur Domini gratiam. S. Augustin, De gratia Christi, I, xxxi, 34, coi. 376-377.

Célestius allait jusqu’à dire que la rémission des péchés était due aux mérites du pénitent : Quoniam pœnitentibus venin non datur secundum gratiam et misericordiam Dei, sed secundum mérita et laboremeorum qui per psmitentiam digni juerint misericordia. S. Augustin, De geslis Pelagii, xviii, 42, ibid., col. 345. Mais il était en cela désavoué par Pelage et par le gros des pélagiens. Ibid., 13. Cf. De gratia et lil>. arbitrio, vi, 15, ibid., col. 890. Pour plus de détails voir Pelage et déjà Augustin, 1. 1, col. 2380-2382.

I >és lors on peut se demander quelle est la valeur des nonibn-ux passages où il est question de notre justification « par la seule foi » dans ce commentaire pseiicln hiéronymien de saint Paul où l’on s’accorde à voir une œuvre de Pelage. Ces textes ont été soigneusement collines par F. Loofs, art, Pelagius, dans Realencyclop &die, t. xv, p. 753-754, pour aboutir à cette conclusion : « Il n’y a pas eu avant Luther de défenseur aussi énergique du sola fuie. » Cf. Dogmengeschichie, P édit., Hall-, 19(Ki, p. 387 et 119-120. Voir en particulier Ps. llicronyni., In Rom., IV, 5, P. L., t. xxx, col. 688 : Convertentem impium per solam fldem justificat Deus… Proposuit gratis per solam /idem peecata 209^

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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DEPUIS LE PÉLÀGIANISME

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rvmiltere. Il est vrai que, plus loin, l’auteur précise son point de vue en disant que la foi ne suffit pas sans les œuvres, In I Tim., ii, 15, col. 021 : Sola fldes ad salutem ei qui post baptismum superoixerit non suffi-iat nisi sanctitatem mentis et corporis habeat. Cf. In Gal., m, 10, col. 848 : Fides ad hoc proftcit ut in primitiis credulilatis accedentes ad Deum justificet si deinceps in fustificatione permaneant. Ceternm sine opcribus fldei, non legis, moiiua est /ides.

Seules ces dernières déclarations correspondent au système pélagien. Il faut donc croire que les autres, où s’affirme le rôle de la grâce rédemptrice, n’ont qu’une porté.- cxégétique, à moins qu’elles ne puissent passer pour le rappel des formules catholiques dont l’auteur évacuait par ailleurs le contenu. L’hypothèse n’est du reste pas exclue de remaniements postérieurs qui auraient permis de conserver à cette œuvre d’origine hérétique son crédit dans l’Eglise. De toutes façons, il n’y a pas lieu d’amender de ce chef l’impression vivante que les premiers témoins ont eue du pélagianisniu, originel.

2. Laxisme moral.

A l’opposé de ce moralisme, où tout le salut dépend de l’homme, on rencontre, sous des formes diverses, certain laxisme qui proclamait systématiquement l’indifférence ou l’inutilité des œuvres.

Les controversistes catholiques ont reproché cette erreur à l’évêque arien de Cyzique, Eunomios. « De la fréquentation des plaisirs l’âme ne retirerait aucun dommage ; la seule foi hérétique suffit à l’homme pour sa perfection. » S. Grégoire de Nysse, Conl. Eunom., i, P. G., t. xlv, col. 281. Renseignement recueilli presque en termes identiques par saint Augustin, De hær., 54, P. L., t. XLn, col. 40 : Nihil cuique obessel quorumlibet perpetratio ac perseueranlia peccatorum, si hujus quæ ab Mo docebatur fidei particeps esset.

En Occident, on devine la même tendance dans l’opposition faite par Jovinien aux pratiques de l’ascétisme. Non content d’enseigner que la virginité n’a pas plus de valeur que le mariagr, il arrivait à dire, au rapport de saint Jérôme, que l’abstinence n’importe pas plus qu’une honnête jouissance des dons de Dieu, que ceux qui ont reçu le baptême plena fuie ne peuvent plus être séduits par le démon et que tous ceux qui en gardent la grâce recevront au ciel la même récompense. S. Jérôme, Adv. Jovin., i, 3. P. L., t. xxiii, col. 224 ; cf. ii, 35, col. 347-348. « Ce que Jovinien prêchait au fond — et ce qui lui a valu toujours depuis les sympathies protestantes — c’est le salut par la foi seule et l’inutilité des bonnes œuvres pour le salut, c’est le salut universel de tous les chrétiens. » Taxeront, Histoire des dogmes, t. ii, p. 24(5. Voir Jovinien, ci-de ; sis, col. 1577. De ces « sympathies protestantes » témoigne en particulier le long et favorable exposé que lui consacre A. Harnack, Zeitschrijt, loc. cit., p. 13815 1. Il reste qu’on doit à Jovinien un premier essai d’appuyer.e relâchement de la vie chrétienne sur une doctrine tendancieuse de la justification.

Plus importante et plus significative à tous égards que cette tentative isolée est l’erreur combattue par saint Augustin dans son traité De fide et operibus. Cf. Relract., ii, 38, P. L., t. xxxii, col. 646. Voir Harnack, ibid., p. 163-172.

L’évêque d’Hippone la résume lui-même en ces termes : Opinio… in qua promitlitur scelestissime turpissimeque viuentibus, etiamsi eo modo vivere persévèrent et lantummodo credant in Christum ejusque sacramenta percipiant, eos ad salutem vitamque œternam esse l’cnluros. De fuie et op., xxvii, 49, P. L., t. XL, col. 229 D’une manière plus nerveuse, souvente fois au cours de son exposé, il condense la conception de ces chrétiens en des formules comme celles-ci : Fidem sine opcribus valere ad salutem… Ad eam obtinendam suf/icere fidem..

DTCT. DE THÉO !.. CATIIOL.

Ad vitam veniriper solam fidem. xiv, 21-xv, 25, col.211214. Et l’on voit, par la discussion qu’en fait Augustin, que les tenants de cette idée invoquaient, non seulement les textes classiques de saint Paul, tels que Rom., iii, 8 ; iv, 5, et. v, 20, mais les paroles de l’Évangile où est soulignée l’importance de la foi, comme Matth., xv, 26-28, et Joan., xvii, 3, l’invitation pressante que le père de famille adresse aux bons et aux mauvais pour les 1 noces de son fils, Matth., xxii, 2-10, la souveraineliberté que vaut aux croyants d’après l’apôtre le mystère de la rédemption, Gal., iv, 31, ou la sécurité que leur procure l’intercession du Rédempteur. I Joa., n, 1-2. On ne fait pas tort à ces laxistes du ve siècle en les donnant comme d’obscurs ancêtres du système de la justification par la seule foi.

Doctrine de saint Augustin.

Ces errreurs inverses

dont il a nettement senti la menace expliquent la position moyenne prise par saint Augustin.

1. Nécessité de la grâe.

Son premier et principal effort fut de maintenir contre les pélagiens l’action de Dieu à la base de notre justification.

En effet, la nécessité de la grâce, qui jusque-là ne s’affirmait guère qu’en passant, est mise par lui au premier plan de la foi catholique. Voir Augustin, 1. 1, col. 2384-2387. Et ceci doit s’entendre d’un don divin absolument gratuit, que ne précède aucun mérite de notre part. Quomodo est gratia si non gratis datur ? Quomodo est gratia si ex debito redditur ? De gratia Christi, I, xxiii, P. L., t. xliv, col. 372. Cf. ibid., xxxi, 34 : Nisi gratuila non est gratia, col. 377. Tel est, sous mille formes variées, le leil-motiv de sa controverse contre les pélagiens. On sait que ce principe est étendu par l’évêque d’Hippone jusqu’au tout premier commencement de la foi. De div. quæst. ad Simplic., I, q. ii, P. L., t. xl, col. 1Il sq. En quoi il corrigeait consciemment l’erreur contenue sur ce point dans divers écrits antérieurs à son épiscopat.De præd.sanct., ni, 7, P. L., t. xliv, col. 964. Voir Tixeront. Hist. des dogmes, t. ii, p. 489-490.

2 Paît de l’homme. — Cependant l’action de Dieu ne va pas, chez Augustin, sans le concours de l’homme.

Il suffit, pour en avoir l’assurance, de rappeler l’adage célèbre : Qui fecil te sine te non te justi/icat sine te… Fecit ncscienlem, justificat volentem. Serm., clix, c. xi, n. 13, t. xxxviii, col. 923. Voir Augustin, t. i, col. 2387-2392. La première forme de cette coopération humaine, c’est la foi : Initium bonee vitse, cui vita eliam œlerna debetur, recta fides est. Est autem fides credere quod nondum vides. Serm., xliii, c. i, ibid., col. 254. Où l’on voit sans conteste que la foi signifie essentiellement une adhésion de l’intelligence aux dogmes chrétiens. Voir Augustin, 1. 1, col. 2337-2338. Parce qu’elle est un acte de soumission à l’autorité, divine, cette foi a déjà par elle-même une valeur morale — saint Augustin ne craint pas de dire : un « mérite » — mais à condition de ne pas oublier qu’elle est tout d’abord un don de Dieu : Fidei meritum etiam ipsumesse donumDei. Relract., I, xxiii, 3, P. L.. t. xxxii, col.G22. Cf. Epist., cxciv, c. iii, n. 9, t. xxxiii, col. 877.

Une fois implantée dans l’âme parla grâce, cette foi y doit fructifier en bonnes œuvres. Souvent affirmée en passant, voir Augustin, 1. 1, col. 2435, cette nécessité des œuvres fait l’objet spécial de l’opuscule De fuie et operibus. L’évêque d’Hippone l’établit en exégète et* se charge d’énumérer en faveur de sa thèse innumerabilia per omnes Scripturas sine ambiguitale dicta ou encore evidenlissima leslimonia Scriplurarum. xv, 26, t. xl, col. 214. Non seulement il se réclame des épîtres apostoliques, qu’il estime destinées à réagir contre certaines fausses interprétations de saint Paul ; non seulement il remonte aux passages de l’Évangile où le Maître réclame l’observation des commandements et promet de juger chacun suivant ses œuvres :

VIII. — 67 20HM

JUSTIFICATION. LA DOCTRINE DEPUIS LE PÉLAGIANISME

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mais il s’applique à restituer la pensée intégrale de l’Apôtre lui-même, en complétant, Rom., iv, 2-5, par

I Coi.. m : i. l et surtout Gal., v, 6 : Ipse Paulin non quamlibel /idem qua in Deum creditur, sedeam salubrem planequt evangelicam definioit eu jus opéra ex dilectione procedunl, xiv, 21, col. 21 1. El s’il "st dit que la vie éternelle consiste à connaître Dieu, Joa., xvii, .’5, c’est pareque la connaissance « le Dieu permet seule de le servir : Hoc itaque prodest in Deum recta fi.de credere, Deum colère, Deum nasse, ut et bene uuiendi ab ilh sil no bis auxilium et, si peccaverimus, ab ilio indulgenliam mereamur, xxji. 11, col. 223.

3. Conséquence : La justification. — De ces principes découle l’idée de la justification. Saint Augustin, d’une pari, accepte volontiers qu’on parle de justification par la toi, soit que la toi signifie, d’un point de vue dogmatique, le bienfait de Ja rédemption qui est le principe indispensable de notre salut, Cont.duas episl. Pelag., 1, xxi. 39, t. xltv, col. 569 ; De præd. sanct., vu. 12, ibid., col. 969, et Epist., clxxxvi, C. m. n. N-’l. t. xxxiii, col. 818-819, voir Liese, "Pcit., p. l 10-162, soit que, d’un point de vue moral, elle s’entende de la loi vivante qui fructifie dans la charité. De gralia et lib. arb., vu. IX, t. xi.iv, col. 892. Mais la loi sans les œuvres ne saurait être qu’une loi morte, sans aucune valeur pour le salut. Quousque faUuntur, s’écrie-t-il en une énergique antithèse, ’/ni île fide mortua sibi oitam perpétuant pollicentur ? De. /ide et op., xiv, 23, col. 212. Cf. Contra duas episl. pelag., III, v, 11. t. xi.iv. col. 598 ; De Trin., XV, xviii, 32, t. xui.col. 1083.

Devant la netteté de ces principes e.t la fermeté de leur application, les protestante sont bien obligés d’abandonner saint Augustin et de reconnaître que sur ce point il a payé son tribut au < catholicisme vulgaire i. Voir Ilarnack, Dogmengeschichle, t. ta, p. 86Xi). A défaut de sa doctrine, tout au moins veulent-ils parfois se prévaloir de sa piété, qui annoncerait celle de Lut lier. Ilarnack, ibid., p. <S(i et NI 2, après Thomasius, op. ci !., p. 13$1-$232. Subtil méthode ou l’on quitte le terrain solide des (ails pour le sable mouvant des appréciations subjectives, et qui, de ce chef, favorise tous les procès de tendances. Car, si saint Augustin a senti mieux que personne la misère de l’homme et chanté en accents émus la grâce de la rédemption, ce mysticisme s’accorde toujours pour lui avec la néces site et la valeur de noire effort personnel..lui quoi il reste le parfait témoin, non seulement de l’Église de son temps, mais du catholicisra i bien compris.

3° Tradition catholique postérieure à saint Augustin.

— Il s’en faut d’ailleurs que l’évêque d’Hippone soit un isolé. Quoi qu’il en soit de ses théories particulières qui n’entrent pas ici en caus, sur les points fondamentaux il ne fut pas autre chose que t’interprète de la loi traditionnelle. Le rôle des bonnes œuvres dans l’économie du salut est un de ceux-là. Si la controverse I pélagienne et ses suites l’ont désormais insister davantage sur la nécessité de la grâce qui en est le principe. c’est sans aucun détriment pour la part qui revient à notre coopération.

1. En Occident. - Déjà saint Jérôme, en dénonçant le laxi.sin de Jovinien, avait eu l’occasion d’in sist >r sur le mérite des œuvres et de rappeler les paraboles é va u gel iq uc s ou le Mail iv fait appel a nol re effort

moral : Nostri laboris est pro diversitate viriulum dioema nobis prxparare..dn..tanin., a, 32, P. /… t. xui, col. 3 11.Il va jusqu’à dire que la grâce divine se mesure à notre capacité : Tantam gratis* ejus injnndilnr quantum valemus haurire. Ibid., ii, 23, col. 331. Cf. In Gal., II, m. il 12, i. xxvi. col. 384, Aussi n’admet il

qu’une loi Ici -onde en navres : Qui rreilidei tut necesse ttt curant li ibeanl bimurnni opcruin per’/" lucrcditns QcJ-etfpm rit.e pr ; vp iratur a Irma lu l’p.atl’/'i’.ji.S,

ibid., col. 629. Comme saint Augustin, il synthétise les conditions du salut dans la loi qui opère par la

charité : Mani/csliim est operationem fidei per clmritatem plenitudinem mandatorum omnium continere. Quomodo autem iuxta aposlolum Jæobum /ides absque operibus mortua est, sic absque fide, quamvis bona opéra sint, mortua computantur. In GoL, t. II, v. (i. col. 426. Où l’on oit que la loi signifie pour lui une participation, mais effective et agissante, à l’économie de. la rédemption. Liese, "/>. cit., p. 163-166.

Les disciples immédiats de saint Augustin s’appliquent à maintenir et à défendre ses principes sur la nécessité de la grâce, même pour le moindre commencement di bien, contre les erreurs scniipélagieniii s. Voir Semïpélagianisme et Orange (Concile d’). Mais celle grâce, loin d’exclure noire bonne volonté, en appelle le concours.

Celui-ci se réalise d’abord par la foi. Hoc eniin est, « lisait s ; iint Léon, quod justifient impios, hoc est quod ex peccatoribus facit sanctos, si in uno eodemque Domino noslro Jesu Christo et vëra deiias et vera credatur humanitns. Serm., xxxiv. 1, P. L., t. i iv. col 245. Voir de même saint Kulgence. De fide, Prolog., 1. P. L., t. i.xv, col. 1 1~ l : Fiées est bonorûm omnium fundamentum, …humaine salutis initium. Sine hac nema ad filialum Dei numerum potest pertinere… Sine fide omnis labor hominis vacuus est. En quoi l’un et l’autre entendent visiblement la fidèle adhésion à la vérité catholique intégrale. Cf. Liese, op. cit., p. 169-174. Augustinien rigide, ce dernier insiste volontiers sur l’inutilité « les œuvres sans la loi. Epist.. xvii. 25-26, 48-51, ibid., col. 181-484. Voir Fulgence, t. vi, col. 970-972.

lue fois le dogme de la grâce ainsi mis in tuto, ils s’accordent ions à réclamer la pratique des mixw. Saint Léon les résume dans la charité, qui a pour effet de Vivifier Imites les vertus, y compris la foi : Ihic villas onmes /</< it utiles esse vi vîntes, qus ipsam qui nue /idem ex qua jusliis vinit et qux sine operibus mortua nominatur sui admixtione vioificat, quia sicui in fide est operum ratio Ha in operibus fidei lorlitudo. Serm.. x, 2, P. /… t. n. col. 166. Cf. Serm., xxxii. I. col. 240 ; xxxv, 3, col. 252 et Epht., « ixix. 2. col. 1213. la paresse spirituelle n’est pas moins stigmatisée par saint Lulgence. et non seulement dans ses prédications aux fidèles, Serm., i. t-9, P. L., L i.xv. col.’22-721. mais dans ses exposés théologiques, connue De remiss. peccat., ii, 14-15, col. 565-567.

Celte préoccupation « le l’ordre moral s’accuse de plus en plus chez, les compilateurs ou pasteurs dîmes « pii devaient monnayer au profit du.Moyen Age l’héritage doctrinal « le saint Augustin. « Plus « pie jamais, aux néophytes barbares qui entrent « lans l’Église, les moralistes et les prédicateurs ineuliiuent « pie la foi sans les œuvres est inutile et morte. » Tixcront, llisl. îles dogmes, I. m. p. 3 17. Ainsi saint Césaire d’Arles, voir t. n. col. 2132-2163, et plus encore saint Grégoire le Grand : Unum enim sine altéra nil prodesse valet, quia nec piles sine operibus nec opéra adjuvant sine /ide. lit Ezech., 1. L nom. îx. (i. P. /… L i.xxvi, col. 872. Cf. Moral, XXXIII, vi, 12, ibid.. col. 07>s : In Evang., hom. xxxix. 9, ibid., col. 1300 : Quid prodest ipiotl Uetlemptori noslro per /idem junijimur si ab eo moribus disjungamur ? et hom. xxvi. 9, col. 1202 : Nos siqituti sumus. se<t si /idem nostr, m operibus sequiinnr. lut etenim vert crédit qui exerce ! operaiulo quod crédit. Citons enfin pour terminer ces belles antithèses (le saint Lidore de Scville : l’er /idem possit’ilitas boni operis inehnutur ; ex opère ipsa /ides per/icitur. Opu-i

enim /ide prævenitur, lûtes ex operibus eonsummaùw.

Opéra unit in ante /ultra iictpiuipiuin protlesse… Item /ides sine operibus netiuaqaam prodest. quia non potes ! per /idem Dca plucerc qui Dcuni coutemnit in opère. Ob hoc etiam /ides sine operibus riwiluu e$t, juvla.lacobuin ; <>(

opus extra fulem vacuum est, juxta Paulum… Quid ergo ? Utrique se destruunt ? Absit. Sed utrique nos instruunl. Di/fcr., ii, 35, F. L., t. lxxxiii, col. 91-92. Cf. De nat. rerum, xxvi, 4 : Fide et operibus homo justificatur. Ibid., col. 998.

On trouverait difficilement un résumé plus complet et plus heureux de la doctrine de l’Église sur le Tapport de la foi et des œuvres, en même temps qu’une meilleure harmonisation des textes scripturaires qui en énoncent le rôle respectif.

2. En Orient.

Indépendante de l’augustinisme, la théologie orientale n’eut qu’à puiser dans sa propre tradition pour y trouver les mêmes principes.

Sans avoir été touchés par la controverse pélagienne, ni peut-être en avoir adéquatement saisi l’importance, les Pères grecs du v° siècle s’accordent à mettre la grâce à la base de notre vie surnaturelle. Voir fixeront, Hist. des dogmes, t. iii, p. 212-214. Du côté de l’homme, son premier devoir est la foi, que saint Cyrille d’Alexandrie appelle « la racine de toute vertu et le fondement de la piété, » In Joa., IV, vii, 24, P. G., t. lxxiii, col. 676, parce que seule elle nous donne le moyen de participer à la grâce du Christ. Liese, op. cit., p. 166-169. Mais il y doit ajouter les œuvres, sous peine d’être une branche inutile et bonne à jeter au feu. Si la foi nous donne la connaissance de Dieu, la charité nous inspire, d’obéir à ses commandements. « Ainsi donc nous avons beau lui être unis par la foi, si nous la faisons consister en une profession pure et simple (du symbole) et ne serrons pas ce lien par les bonnes actions de la charité, nous serons bien des sarments sans doute, mais morts et stériles… Que par conséquent à la rectitude de notre foi s’ajoute la splendeur de nos œuvres et que nos actes correspondent, à nos paroles au sujet de Dieu. Alors nous serons avec le Christ, i Ibid., X, xv, 2, t. lxxiv, col. 348-353. Voir d’autres références à l’art. Cyrille d’Alexandrie, t. iii, col. 2521, et Ed. Weigl, Die Heilslehre des ht. Ci/rill von Xlexandrien, Mayence, 1905, p. 128-1 10.

Le célèbre ascète saint Nil proclame, d’une part, que « seule la foi au Christ Sauveur est notre justice. » Epist., i, 8, P. G., t. lxxix, col. 85. Mais il reproduit par ailleurs cette maxime, empruntée à saint Cyrille de Jérusalem, Cntech., iv, 2 : < La piéié véritable se ompose de ces deux éléments : dogmes pieux et bonnes actions. Il ne faut pas séparer l’un de l’autre. » Epist., ii, 165, col. 280.

Un autre moine du ve siècle, l’ermite Marc, a laissé un petit écrit « au sujet de ceux qui pensent être justifiés par leurs œuvres, » P. G., t. i.xv, col. 929-966, qui a retenu, au moins par son Litre et soi : objet, l’attention des protestants. Thomasius. op. cit., p. 427. Plusieurs des maximes qui le composent affirment, en effet, la gratuité du salut, la nécessité de la rédemption et de la grâce et condamnent, en conséquence, les œuvres faites dans un esprit pharisaïque de suffisance ou de marchandage. Cependant l’auteur veut aussi que la foi se traduise par l’obéissance aux préceptes du Christ ; il écarte du royaume aussi bien ceux qui s’estiment orthodoxes sans pratiquer les commandements et ceux qui, en les pratiquant, attendent la récompense céleste comme un salaire qui leur serait dû, » n. 5 et 17, col. 932 ; il tient que « la grâce opère dans la mesure où nous pratiquons les commandements, » n. 56, col. 937 ; cf. n. 85, col. 944 et n. 210, col. 964. On y lit même que < la justification vient des œuvres, des paroles et des pensées <, tout autant que i de la foi, de la grâce et du repentir procèdent des trésors de salut. » n. 1(11, col. 945. C’est dire que le mysticisme de l’auteur se meut dans les voies bien connues du catholicisme normal.

Il en est de même de théologiens comme Théodoret. Si, quand il pense à la rédemption, il déclare que,

dans l’œuvre du salut, « nous n’avons apporté que la foi » — et encore « la grâce en fut-elle l’auxiliaire, » In Eph. il, 8, P. G., 1. i.xxxii, col. 521, et In Rom., m, 25, col. 84 — il remarque ailleurs que « la foi a besoin des œuvres, » In I Tim., ii, 2, col. 797, et qu’elle ne suffit pas à ceux qui en sont dépourvus. In TH., ni, 8, col. 869. Voir encore S. Isidore de Péluse, Epist., iv, 20, 65, 213 et 226, P. G., t. lxxviii, col. 1069, 1121, 1305 et 1321 ; Ps.-Chrysostome, De fide et ley. nat., 1, P. G., t. xlviii, col. 1081-1083.

Cette tradition de l’Église grecque est bien résumée dans saint Jean Damascèm. qui écrit à propos du baptême : < La foi sans les œuvres est morte, et tout de même les œuvres sans la foi. Car la vraie foi se prouve par les actes. » De fide orthod., iv, 9, P. G., t. xciv, col. 1121. Cf. In Rom., iv. 2-3, t. xcv, col. 468 ; In Philip., iv, 8-9, col. 880. Voir Liese. op. cit., p. 174175, et Jean Damascène. ci-dessus, col. 711-742. Il existe même sous son nom, à l’appui de cette thèse, un de ces petits dossiers de sentences patristiques auxquels devait se complaire le Moyen Age byzantin. Sacra Parallela., iitt.il, tit. xxv, t. xevi, col. 533-536. Plus tard Théophylacte commente avec la même énergie le rôle de la foi proclamé par saint Paul, In Gal., m, 5-12, P. G., t. cxxiv, col. 985-988, et le rôle des œuvres revendiqué par saint Jacques, In Jac, ii, 14-25, t. cxxv, col. 1156-1161, en montrant comment les deux apôtres ne se contredisent pas parce que l’un parle de la foi considérée comme simple assentiment et l’autre de la foi envisagée comme principe de conduite.

En un mot, toute l’ancienne Église est d’accord, sans exception ni progrès appréciable, pour affirmer que la justification, si elle est un don de la grâce divine, requiert aussi le concours de notre bonne volonté et que celle-ci doit se manifester par les œuvres aussi bien que par la foi.

3. Textes liturgiques.

D’où le caractère très complexe de la piété catholique, où ces diverses sources de doctrine se réunissent comme en leur confluent. Elle n’est nulle part mieux caractérisée que dans la liturgie, où l’Église exprime, pour les inculquer à tous, les sentiments qui l’animent et qui, dès lors, prend le caractère d’un vaste témoignage collectif.

Or on y peut voir en maints endroits comment le chrétien est, non seulement exhorté au repentir de ses fautes, mais invité à les réparer par les bonnes œuvres, qui seules peuvent lui obtenir le salut. Qu’il suffise de citer cette collecte typique du Sacramentaire grégorien pour le premier dimanche de carême : Deus.., prsesta jamiliæ iuæ ut quod a te obtinere abstinendo nititur hoc bonis operibus exsequatur. P. I… t. lxxviij, col. 57. Ou encore cette autre du dimanche dans l’octave de Xoël, ibid., col 37 : Omnipotens sempiterne Deus, dirige actus noslros in beneplacito luo ut in nomine dilecti Filii lui mercamur bonis operibus abundare. Mais, en même temps, on y affirme à maintes reprises que nous ne pouvons rien sans la grâce et que toute notre confiance repose, en définitive, sur la miséricorde de Dieu et les mérites du Christ. Témoin cette oraison du V* dimanche après l’Epiphanie, ibid., col. 18 : Familiam tuam… continua pietaie custodi, ut quæ in sola spe gratin’cselestis innitilur… Ou bien celleci : Deus, qui conspicis qui ex nulla nostra actione confidirnus. … dimanche de la Sexagésime, ibid., col. 53, cl. cette autre du second dimanche de carême, ibid. : Deus, qui conspicis omni nos virtute destitui…, et enfin cette dernière formule encore plus explicite : … ut qui proprise justifias fiduetom non habemus…, postcommunion pour le commun d’un confesseur, ibid., col. 168

Les textes de celle dernière catégorie ont été réunis soigneusement contre Luther par Deniflc. Luther et le. luthéranisme, trad. J. Paquier, t. ii, p. 327-363. Il y

aurait intérêt à grouper également ceux de la première, non moins abondants ni moins explicites. Ce rapprochement suffirait à montrer comment l’Église n’a

jamais séparé ce que 1 >ieu voul t unir.

II. SATURE ET f.FFETS DE LA JUSTIFICATION. — Pasplusqu’à l’époque précédente, la justification n’est encore l’objet d’analyses approfondies que rien ne provoquait ; mais la théologie du surnaturel continue à s’affirmer et à se développer suivant la ligne que déjà nous lui connaissons.

1° l’.n Occident, la controverse pélagienne allait amener un supplément d’insistance, sinon de précision, sur les elïets de la grâce sanctifiante.

1. Erreurs pélagiennes.

Parce qu’il niait la réalité de la grâce et attribuait aux seules forces de la nature la possession du surnaturel chrétien, le système pélagien ne comportait pas de place pour une régénération intérieure de l’âme. Tout au plus les pélagiens consentaient-ils à appeler grâce la rémission des péchés. A vestro doymale non recedis, disait saint Augustin à Julien d’Kclane, i/uo putatis gratiam Dei… sic in sola peccalorum remissione versari ut non adjuvet ad vitanda peccata et desideria vineenda carnalia, diffundendo charitatem in cordibus noslris per Spiritum Sanclum. Cont. .lui.. VI, xxiii, 72, P. L., t. xuv, col. 866-867. Conclusion extrême, où se révèle suivant l’observation de Schwane, Hist. des dogmes, trad. Degert, t. iii, p. 148, une parenté inattendue entre « le système rationaliste du pélagianisme et le surnaturalisme extrême de Culher.

Mais en même temps cette rémission des péchés devait être complète, puisque, d’après les pélagiens, la nature humaine n’avait rien perdu de son intégrité. Aussi reprochaient-ils aux catholiques d’avoir une conception insuffisante du baptême. Du moment que ce sacrement laissait subsister la concupiscence, le péché ne serait pas vraiment effacé, mais seulement rasé, et donc toujours prêt à renaître. Dicunt, opposait Julien à ses adversaires catholiques, baptisma non dure omnrm indulgentiam peccatorum, nec au/erre crimina, sed radere, ut omnium peccatorum radiers in mala carne teneantur quasi rusorum in capite capillorum. Rapporté par S. Augustin. Contra duus epist. Pelag., I, xiii, 26, ibid., col. 562. Cf. III. m. 1. col. 589.

Cette erreur et cette calomnie des pélagiens allaient commander la conduite de saint Augustin et celle de toute la théologie catholique après lui.

2. Doctrine catholique : Effets de la justification. — a) Tout d’abord, pour enlever aux pélagiens leur arme calomnieuse, l’évêque d’Hippone affirme que le baptême nous assure la rémission effective de nos péchés. Dicimus ergo baptisma dure omnium indulgent iam peccatorum et au/erre élimina, non radere. I.a concupiscence qui survit en nous n’a pas, à parler proprement, le caractère de péché. Etiamsi vocatur peccatum, non utique quia peccatum est. sed quia peccalo facta est sic vocatur. Op. cit., 26-27, col. 562-563. Cf. III, iii, 5, col. 590 : Baptismus igitur abluit quidem peccata omnia, prorsus omnia. factorum, dictorum, cogilatorum, sive originalia, sine addita, sire quæ ignoranter sii<e que scienter admissa sunt ; sed non aufert inftrmitatem. Voir Augustin, t. i, col. 2395-2396. De même il refuse d’admettre que nos péchés soient « couverts », comme s’ils continuaient à exister encore. In Ps. I w. ii, ’.), 1’. L., t. XXXVI, COl, 261. Celle in/irmitas elle-même est appelée à disparaître progressivement ; mais la rémission de la faute est immédiate : In quo (Christo) l)-u régénérât Imminent generatum sanatque viliatum a re du statim, ab inflrmitate paulatim. Cont. Julian. 1 1, i, 8, t. xi iv, col. 679.

Il ce n’élail pas seulement là pour Augustin une

ogétique de circonstance. Car, en dehors de toute

controverse, son mysticisme doctrinal se plaît à assi miler le baptême au mystère du Christ Rédempteur, dont il est l’adéquate reproduction : Nihilaliud esse in

Christo baplismum nisi mortis Christi similitudinem

ut quemadmodum in illo vera mors facta est sic in nobis vera remissio peccalorum, et quemadmodum in illo vera resurreclio ita in nobis vera justificatio. Enchir., 52, P. /… t. xl, col. 256. CI. ibid., 64, col. 262 : hominis renovalio in qua solvitur omnis reatus.

b) Mais ces derniers textes montrent déjà que cet aspect négatif de notre justification ne va pas sans un aspect positif qui en est inséparable. Augustin insiste ailleurs expressément, à rencontre des pélagiens, sur cette sanctification réelle de notre âme : Non per solam peccatorum dimissionem juslificatio ista confertur nisi auctoribus robis. Justifical quippe impium Deus non solum dimitlendo qux mala facil, sed etiam donando charitalem. Opus imperf. contr. Julian., ii, 165. P. I., t. xlv, col. 1212. Quid est enim aliad justificali quum justi facti, ab eo scilicel qui juslifical impium ut ex impio fiât juslus ? De spir. et lill., xxvi, 45, t. xliv, col. 228. Cf. In Psalm. Vil, 5, t. xxxvi, col. 100. La théologie du baptême l’amène à traiter souvent de la régénération spirituelle qui en est l’effet et dont bénéficient même les enfants, sauf à bien marquer qu’elle ne sera complète que dans la vie future par la résurrrection du corps. Voir en particulier. Confess., 1, xiii, 5, l. xxxii, col. 004 ; Serm., ccxxiv, 1. t. xxxviii, col. 1093-1094 ; In Ps. cxrm, iii, 2, t. xxxvii, col. 1507 ; De nuptiis et conc, i. 33-34, t. xliv. col. 434-435 ; Opus imp. cont..lui., ii, ’.17-112, t. xlv, col. 1179-1188.

Les protestants eux-mêmes ont dû rendre hommage sur ce point à la doctrine augustinienne : < Car. l’ail observer Calvin, combien qu’il despouille très bien l’homme de toute louange de justice et l’attribue toute à Dieu, neantmoins il réfère la grâce à la sanctification dont nous sommes regtnerez en nouveauté de vie. > Insl. chrel.. III, xi, 15. dans Opcra omnia. édition Baum, Cunitz et Reuss, t îv. col. 2 18. Luther également n’en était qu’à demi satisfait ; Quamquam imperfeete hoc adhuc sit dielum ac de impututionc non clare omnia explicet, placuil lamen juslitiam Dei doeeri. Préface générale de 1515, dans Opéra lai. var. arg., édition d’Erlangen, t. i.p. 23. Et de même Mélanclilhon, Lettre à Brenz, mai 1531, Corpus Reform., t. ii, n. 935, col. 502. Plus maussade. A. Harnack lui impute une conception toute matérielle — c’est-à-dire pour nous réelle — de la grâce. Dogmengeschichte, 1’édition., t. m. p. 83. Cf. p. 88. Ces aveux nous dispensent d’insister ; et l’on ne saurait en exagérer l’importance, quand on se rappelle l’influence capitale que l’évêque d’Hippone devait exercer sur les siècles suivants.

Avec les gîtes, saint Augustin envisageait volonliers la grâce sous les espèces d’une adoption divine. Cont. Faust. Munich., iii, 3, t. xui, col. 215-216 ; De serm Dom, in monte, I. xxiii, 78, t. xxxiv. col. 1268 ; Serin., cxxvi, 9. I. xxxviii, col. 720 ; mieux encore, comme une divinisation de notre âme, Serm., cix, 5, ibid., col. 675 : cccxiii, 5, t. xxxix. col. 1504 : In l’s. XLIX, 2. t. xxxvi, col. 565. Cette idée tonne le thème

fondamental de la théologie de l’Incarnation que saint Léon oppose à la fois aux nestoriens et aux monophysiies. Voir.). Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d’étude historique, p. 266-269. Aussi a-t-elle pour fruit noire complète régénération. Redit in innocenliam iniquitas et in novitatem vetustas… De tmpits fusti, de aoaris bénigni, de incontinentibus castt, de ierrenis incipiunt esse cselestes. Sam., xxvii.2. I. uv, col. 217218. Cf. Serm., xxi, 3, el xxiv, .i. col. ! 92-193et205-206. C’esl ainsi que les diveisescontrovcrscs dogmatiques

de l’époque aboutissaient à donner un nouveau relief

a cette t l’ausl’ormal ion spirituelle OÙ la foi Catholique

a toujours vu le fruit suprême de la Rédemption. . Doctrine catholique : Essence de la justification. — Sans aborder encore précisément ce problème d’école, saint Augustin ici encore a posé tous les principes qui devaient aiguiller la spéculation postérieure.

D’une part, sa philosophie platonicienne ne lui permet pas de comprendre que, même dans l’ordre naturel, les êtres puissent être bons si ce n’est dans la mesure où ils participent au souverain Bien. A plus forte raison dans l’ordre surnaturel, que nous sommes incapables d’atteindre par nous-mêmes, notre sainteté ne peut être qu’un écoulement en nous de la sainteté substantielle de Dieu. L’exégèse vient confirmer cette métaphysique et l’évêque d’Hipponc aime ramener, après saint Paul, toute l’économie rédemptrice à une manifestation de la « justice » divine. Non qua Deus juslus est, précise-t-il, sed qua induit hominem cum justifleat impium. De spir. et lift., ix, 15, t. xliv, col. 209. Cf. ibid., xi, 18, col. 211 : Ideo justitia Dei dicitur quod imperliendo eam justos jacit. La justice ainsi comprise a pour synonyme ou tout au moins pour équivalent la charité. Charitas quippe Dei dicta est difjundi in cordibus noslris, non qua nos ipse diligit sed qua nos jacit dilectores suos, sicut justitia Dei qua justi ejus munerc c/ficimur. Ibid., xxxii, 56, col. 237.

Sous ces diverses expressions s’accuse une même conception de la grâce, qu’il faut considérer comme une réalité dont la source est en Dieu, mais dont nous sommes appelés à devenir participants. Parfois ce don divin semble identifié avec le Saint-Esprit : Eum (Spiritum Sanclum) donum Dei esse, ut Deum credamus non seipso in/erius donum dure. De fuie et sijmbolo, ix, 19, t. xl, col. 191. Cf. Ps.-Augustin, Serm., clxxxii, 2, t. xxxix, col. 2088. De toutes façons, ce qui importe, c’est que, pour être une justice d’emprunt, notre justice n’en est pas moins réelle : Nos sua(Deus)non nostra justitia justos jacit, ut ea sit vera nostra justitia quæ nobis ab illo est. De gratia Christi et de pecc. orig., I, xlvii, 52, t. xuv, col. 384.

On voit si nous sommes loin de l’imputation protestante. Le P. Dcnifle a rudement relevé les falsifications de textes au prix desquelles Luther a pu se réclamer de saint Augustin. Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, t. iii, p. 6-36. Et il est bon de noter que, chez l’évêque d’Hippone, cette doctrine de la grâce s’appuie sur les textes mêmes de saint Paul. De cette théologie et de cette exégèse, le Moyen Age ne manquera pas de recueillir le. bienfait.

2° En Orient s’affirme le même réalisme surnaturel.

1. Erreur des euchites.

On y trouve la trace persistante,

à partir du ve siècle, d’obscurs hérétiques, désignés sous les divers noms de messaliens, d’enthousiastes ou d’euchites, qui, entre autres erreurs, réduisaient au profit de la prière l’eflicacité sanctifiante du baptême. Au rapport de Théodoret, « ils disent que le baptême ne sert de rien à ceux qui s’en approchent ; car, à la manière d’un rasoir, il enlève bien les péchés précédents, mais il n’en extirpe pas la racine. » Hæret. fab., iv, 11, P. G., t. lxxxiii, col. 429. Cf. Hist. Eccl., iv. 10, t. lxxxii, col. 1144-1145, et Nicéphore Calliste, Eccl. hist., xi, 14, P. G., t. cxlvi, col. 615. Le même historien rapporte comment ils furent démasqués par l’évêque Flavien d’Antioche. Ce qui ne les empêcha pas de se survivre assez tard en certains milieux populaires. Voir Euchites, t. v, col. 1454-1465.

Il ne semble pas que cette minimisation de la grâce baptismale ait eu de grandes répercussions théologiques. Pareille théorie heurtait trop directement la tradition pour constituer un danger et appeler des ripostes, ("est sans doute pourquoi les héréséologues successifs se contentent de la signaler, en l’englobant dans la réprobation générale dont ils couvrent les impiétés de la secte. Voir Timolhéc, De recepl. hæret, |

P. G., t. lxxxvi, col. 48, et saint Jean Damascène, De hser., 80, P. G., t. xciv, col. 729.

Peut-être cependant était-elle à l’origine de la consultation qu’adressait à saint Grégoire le Grand la princesse Théoclista, et qui provoqua une réponse très nette de celui-ci : Si qui vero sunt qui dicunt peccata in baptismale super fteietenus dimitli. quid est hac prædicatione infidelius in qua ipsum fulci sacramentum destinant solvere ? Dx quo principalitcr ad cœleslis munditias mi/slerium anima ligatur, ni absoluia radicitus a peccatîs omnibus soli illi(Deo) inhuereat. Et le pape de rappeler à ce propos les figures du baptême dans l’Ancien Testament, qui en signifient la souveraine, efficacité, surtout les promesses du Christ et la scène symbolique du lavement des pieds, pour conclure : Nihil ergo ci (qui lotus est) de peccati sui coniagio remanet quem lotum jatetur mundum ipse qui redemit. Episl., xi, 45, P. L., t. lxxvii, col. 1162. Théodoret avait affirmé de même que nos péchés nous sont remis de telle façon qu’il n’en reste plus de traces. In Ps..YXA7, 2, P. G., t. lxxx.coI. 1088.

2. Doct’ine catholique — Loin de cette chétive controverse, la grande théologie orientale continuait à développer en paix le thème classique de la divinisation. Si l’on a pu dire que cette doctrine « semble plutôt perdre du terrain, » Tixeront, Hist. des dogmes, t. iii, p. 217, c’est comme explication de la rédemption et dans ce sens que s’y ajoutent de plus en plus des vues plus concrètes sur le sacrifice du Christ ; mais elle garde toute sa valeur comme vue théorique de l’état surnaturel.

A cet égard, le maître est saint Cyrille d’Alexandrie, qui utilise cette doctrine, soit pour expliquer l’incarnation, soit pour établir la divinité du Saint-Esprit. Abondantes références au t. iii, col. 2516-2517 et du même auteur dans Revue d’hist. eccl., 1909, p. 30-40. Quand on veut préciser la pensée de Cyrille, il est peut-être difficile de savoir si la grâce est, en définitive, pour lui un don créé ou si elle ne serait pas plutôt la présence mystique du Saint-Esprit dans l’âme. Toujours est-il qu’après Pi tau les modernes partisans de cette dernière thèse se sont surtout réclamés de son nom. Voir Adoption, t. i, col. 426, et Grâce, t. vi, col. 1614. Plus éclectique. Ed. Weigl, op. cit., p. 174-203, reconnaît en lui la double notion connexe d’une grâce créée et d’une grâce incréée, qui sont l’une par rapport à l’autre dans le rapport de la cause à l’effet. Cf. p. 239-244. Dans le même sens, m aïs avec un plus grand souci des nuances, voir J. Mahé, Revue d’hist. eccl., 190, p. 469 sq. Quoi qu’il en soit de ces ultimes précisions, il est clair, en toute hypothèse, qu’Userait difficile de trouver un plus ferme témoin du réalisme surnaturel que le grand alexandrin.

Il fut suivi dans cette voie par toute la théologie postérieure. Voir en particulier le Ps.-Denys, De eccl. hier., i, 3, P. G., t. iii, col. 376 ; S. Maxime, Opusc. theol., t. xci, col. 33 et Epist., xlhi, col. 640 ; Léonce de Byzance, Cont. Nest. et Eutych., ii, t. lxxxvi a, col. 1324, 1348-1352, et surtout S. Jean Damascène, en qui se résume toute la tradition orientale. De fide orth., iv, 4, cf. iii, 5, iii, 18, iv, 9, t. xciv, col. 1108, 1 05, 1072, 1117-1121, et Hom., ix, 2, t. xevi, col. 725.

C’est ainsi que l’Orient est pleinement d’accord avec l’Occident pour concevoir la grâce de la justification comme un don divin que l’homme prépare sans le mériter, mais qui sanctifie réellement notre âme et que celle-ci doit faire fructifier de manière à accroître en elle la vie qu’elle tient de Dieu.