Dictionnaire de théologie catholique/LIBERTÉ
LIBERTÉ. — Le mot de liberté est susceptible d’acceptions très diverses, dont la multiplicité est génératrice de confusions. Il y aura donc lieu d'établir le sens général du mot et l’idée fondamentale qui groupe ces différentes acceptions. On étudiera ensuite la liberté physique, autrement dit le libre arbitre, avec les problèmes théologiques que soulève son exis tence, et le problème moral de la responsabilité qui lui est connexe. Pour terminer, on s’occupera de la liberté en tant qu’elle est le droit d’agir ou de ne pas agir, en d’autres termes de la liberté morale. Laissant de côté la question des libertés civiles et politiques, on discutera seulement le problème que soulèvent la liberté de conscience et la liberté des cultes.
D’où cette division de l’article :
I. Notion, division
et essence de la liberté. —
II. Liberté physique ou naturelle : libre arbitre (col. 663).—
III. Problèmes théologiques que soulève l’existence de la liberté (col. 669).
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IV. Liberté et responsabilité (col. 681). —
V. Liberté
morale, liberté de conscience, liberté des cultes
(col. 684).
I. Notion, division et essence de la liberté. —
1° Notion générale.
S’il est dans la langue française un nom à tort ou à raison béni, chanté, acclamé dans les circonstances les plus diverses et parfois même les plus contradictoires, c’est assurément celui de liberté : mot magique qui électrise, soulève, transporte, enthousiasme jusqu’au délire, alors même que souvent on ne le comprend pas. — Qu’est-ce donc que la liberté? Être libre, c’est être dégagé de tout lien.
2° Divisions. —
Or, un lien peut se rencontrer dans deux ordres différents, dans l’ordre moral et dans l’ordre physique ; il ne peut enchaîner que de deux manières correspondant à ces deux ordres. Il enchaîne dans l’ordre moral, lorsqu’il impose une obligation à qui peut et doit la recevoir, et se traduit par une loi. Il assujetti ! dans l’ordre physique, quand il est le principe d’une nécessité qui enlève à la créature la possibilité de se déterminer à son choix. L’immunité du premier lien constitue ce que nous appelons la liberté morale ; de l’absence du second résulte la liberté physique. Cette dernière se subdivise en liberté de coaction et en liberté de nécessité.
La liberté de coaction repousse toute violence venanl de l’extérieur et infligée, contre son gré, à celui qui a^it. Le malfaiteur arrêté, solidement garrotté et conduit sous bonne escorte en prison ne jouit pas, et avec raison, de la liberté de coaction.
La liberté de nécessité repose tout entière sur l’immunité de tout principe intrinsèque à l’agent et le déterminant, par une sorte de fatalité, à agir toujours en dehors de son choix. Cette liberté, qui n’est qu’une propriété de la volonté, peut être considérée à un triple point de vue : au point de vue de Vacle même de la volonté, au point de vue de son objet, enfin au point de vue de la fin dernière. Il est. en effet, loisible à la volonté de poser un acte ou de s’en distraire ; c’est la liberté de contradiction qui permet de vouloir ou de ne pas vouloir. Entre les différents objets qui lui sont proposés, la olonté peut fixer son choix et marquer ses préférences ; c’est la liberté de spécification. Enfin, relativement à la fin dernière, la volonté créée a le pouvoir de se porter a ce qui l’y conduit, comme aussi de se déterminer a ce qui l’en éloigne ; c’est la liberté de nmtrariété. Libéria » voluntatis, dit saint Thomas, m tribus constderabitur ; scilicei quantum ad actum, in quantum potest Vellt vrt non rcllr ; rt iju<mtuu ml Objet tuni. in quantum jxiti < ! pcIIc hoc vel illud. et cius opposilum : rt quantum ad nrdmem fini », in quantum potest bonum vel malum, lie veritate, q. xxii. a. fi. cf. P. de Mandata, Instltutlonet phlloBophtcte, Rome, 1892, t. IV, p, tl 59. Triple manifestation d’une seule et même propriété dont l’essence tout enlière se rencontre éminemment dans la première, a savoir, la liberté de contradiction qui. comme nous l’avons dit, laisse a la olonté le choix entre le vouloir et le non vouloir. i h effet, quelqu’un est vraiment libre lorsqu’il est le maître et la 'anse de son acte. Or, celui qui peut r entn deux contradictoires, quel que soit l’objet m choix, demeure le maître < t la cause de son
Mais c’est précisément en cela que consiste la liberté de contradiction. Donc elle seule est essentielle à la liberté de nécessité, car la liberté de spécification n’est le plus souvent qu’une de ses variétés.
Dans son sens philosophique, la liberté se confond avec le libre arbitre qui, d’après saint Thomas, consiste dans le pouvoir de choisir, c’est-à-dire de préférer une chose à une autre. Le libre arbitre ne se distingue pas réellement, comme puissance ou faculté, de la volonté, pas plus, du reste, que la raison ne se distingue réellement de l’intelligence ; car la faculté qui entend ou connaît dans l’homme est la même faculté que celle qui raisonne. En d’autres termes, vouloir et choisir appartiennent à une seule et même puissance, comme connaître et raisonner sont deux actes d’une seule et même faculté. Ainsi, de même que l’intelligence perçoit les premiers principes et que la raison en déduit les conséquences, ainsi la volonté se dirige nécessairement vers sa dernière fin, qui est le bonheur, tandis que le libre arbitre, s’appliquant aux moyens, peut choisir tel ou tel de ces moyens, tel ou tel bien non nécessaire, et c’est en cela qu’il est maître de ses actes.
3° Essence de la liberté.
Ce choix que fait l’homme ne doit pas être l’effet d’un caprice ; c’est un acte de la volonté raisonnable, acte qui, par conséquent, doit être conforme à la saine raison. S’il s’en écarte, il ne saurait être un acte parfait de la volonté libre, pas plus que le sophisme n’est un acte parfait de la faculté de raisonner. La nature tend au vrai et au bien, et de même que le jugement erroné n’est pas une qualité mais un défaut de la nature raisonnable, ainsi l'élection vicieuse n’est pas une qualité, mais un défaut de la nature libre. Ce serait donc se tromper que de faire consister la nature de la liberté ou du libre arbitre dans le pouvoir de choisir entre le bien et le mal. Le libre arbitre est une propriété de la volonté faite pour le bien ; donc il répugne que le mal, comme mal, soit l’objet de son inclination. Si donc la volonté embrasse le mal, c’est par suite de l’imperfection du sujet dans lequel elle réside, sujet faillible par son esprit, et dont le corps suscite des tendances qui ne sont pas conformes aux tendances de la raison. Vouloir le mal, d’après saint Thomas, n’est pas plus la liberté ou une partie de la liberté, que l’action de boiter ne vient de la puissance motrice, encore que cette puissance soit requise pour que l’on boite en fait. Donc la liberté de contrariété n’appartient pas à l’essence de la liberté de nécessite. Le pouvoir de faire le mal est un indice de la liberté : il n’entre nullement dans la constitution de son essence, pas plus que la maladie ne fait partie de l’essence de la santé. H sec potestas, dit saint Thomas, est illius tantum solius in quo natura deficere potest. Nam ubi non est dejectus in apprehendendo et conjerendo, non potest esse VOluntas midi in lus qu : v snnt ad finem, sirut palet in bcatis. Et pro tanto dicitur. quod vclle malum nec est Ubertas, nec pars libertatis, quamvis sit quoddam libertalis signum. De veritate, q. xxii, a. fi.
Il en résulte cette affirmation, qui n’est paradoxale qu’en apparence, qu’empêcher quelqu’un de mal faire. ce n’est point lui enlever sa liberté, c’est au contraire le sauver de l’esclavage, selon cet te parole du Sauveur : i Quiconque commet le péché est esclave du péché. Joa., viii, .'il. C’est l’impuissance de mal faire qui assure le triomphe de la vraie liberté.
I.a liberté est réglée ou non réglée, suivant qu’on agit ou qu’on D’agil pas d’après la droite raison. Dr. ce qui est réi_'lé est hou. ce qui est lion est rai. Donc. la liberté Vraie est celle qui choisit une chose cou tonne a la raison, et la liberté fausse celle qui choisit une chose contraire à la raison. Kl comme le rai et l'être se confondent, solvant cet exlome Verutn et tnt cow » ertuntur, la libellé vraie est la liberté même, dont la liberté fausse n’est que la fiction et le masque. De la vient que l’homme est d’autant plus libre qu’il suit davantage sa raison, parce qu’il agit d’après son principe spécifique, comme il est d’autant plus esclave qu’il se laisse dominer davantage par ses sens. La vraie liberté ne peut exister qu’avec la raison et la vérité ; ce qui est contre la raison et la vérité est contre la liberté et engendre la servitude. « C’est la vraie liberté, et la plus parfaite, dit Leibniz, de pouvoir user le mieux de son franc arbitre et d’exercer toujours ce pouvoir sans en êU’e détourné par la force externe ni par les passions internes, dont l’une fait l’esclavage des corps et les autres font celui des âmes. Il n’y a rien de moins servile que d’être toujours mené au bien, et toujours par sa propre inclination, sans aucune contrainte et sans aucun déplaisir. » Essais de théodicée. « Lors donc que nous faisons le mal, dit le P. Monsabré, commentant ce philosophe, ce n’est point en vertu d’un perfectionnement de notre liberté, mais bien plutôt par sa défection. Il n’est pas plus parfait dans l’ordre moral de pouvoir renverser l’harmonie des fins, qu’il n’est parfait dans l’ordre intellectuel de pouvoir renverser l’harmonie des principes. Si nous voyions clairement le bien dans sa ravissante splendeur, le mal dans sa hideuse difformité, soyez bien persuadés que nous ne balancerions pas un instant ; sans lutte, sans efforts, nous nous déciderions pour le bien. Mais Dieu a permis, pour notre épreuve, que l’ignorance et les passions jetassent un voile sur notre esprit et que de coupables erreurs déshonorassent notre liberté. Sans doute, nous ne voulons pas le mal pour le mal ; cependant, victimes des ténèbres que nous n’avons pas su dissiper, des appétits que nous n’avons pas eu le courage de dompter, nous mettons le bien là où il n’est pas, ou plutôt nous le détournons de sa véritable et éternelle destination. » Exposition du Dogme catholique, carême de 1874, Paris, 1883, p. 107-109.
II. Liberté physique ou naturelle : Libre arbitre. —
1° Le problème.
La liberté physique, avons-nous dit, trouve sa plus parfaite expression dans la liberté de nécessité qui repose tout entière sur l’immunité de tout principe intrinsèque à l’agent et le déterminant, par une sorte de fatalité, à agir toujours en dehors de son choix. Cette dernière réside à son tour dans la liberté de contradiction, qui fait de l’être intelligent l’arbitre de ses actes de telle sorte qu’il puisse, de son plein gré, agir ou ne pas agir, vouloir une chose ou ne la vouloir pas. Elle n’est autre que ce que nous appelons le libre arbitre.
On agit fatalement ou librement. Tous les êtres inférieurs à l’homme agissent fatalement, en ce sens qu’il leur serait impossible d’agir autrement qu’ils ne font dans des circonstances données. L’homme est soumis à cette détermination nécessitante dans un grand nombre de ses actions ; d’abord, dans toutes celles qui relèvent de la vie végétative ; puis, dans celles qui appartiennent à la vie de relation mais qui échappent, soit au regard de la conscience, soit au pouvoir de la volonté. L’action humaine est donc très souvent nécessitée ; l’est-elle toujours ? L’est-elle même quand la conscience crie au dedans qu’elle ne l’est pas ? En d’autres termes, avons-nous la liberté physique ou naturelle, appelée le libre arbitre ? Nous verrons plus tard dans quelle mesure nous jouissons de la liberté morale. Ici nous entendons parler seulement de la première.
A la question posée nous répondons parVa/firmalivc, sauf à l’endroit du bonheur que nous poursuivons nécessairement, souvent à notre insu, dans tous et chacun de nos actes.
2° Détermination de la volonté par rapport au bien en général. —
Il n’y a. à bien prendre, que le corps qui puisse être esclave de la violence ; l’Ame s’y soustrait par sa nature propre et ses courageux efforts. Il n’en est pas de même de la nécessité. Issue de lois sur lesquelles repose l’ordre universel, elle commande, elle s’impose, elle imprime un mouvement qu’il faut suivre, sous peine de ne plus être dans sa propre nature. C’est la nécessité qui préside à la gravitation des corps vers les corps, des instincts vers les biens sensibles, des volontés vers la béatitude. « Raidissez-vous contre l’attrait magique de la félicité, dit le P. Monsabré, essayez de protester contre la voix impérieuse qui ébranle tout votre être et chante nuit et jour l’hymne de vos destinées en ces trois mots : il faut être heureux, vous ne le pourrez pas ; votre esprit, votre cœur, votre corps lui-même se laissent prendre et ravir ; vous voulez être heureux. A chacun des objets qui se rencontrent sur le passage de votre vie anxieuse et tourmentée vous demandez : N’es-tu pas le bonheur que je cherche ? Souvent arrêtés, presque toujours déçus, vous ne quittez une étape inhospitalière que dans l’espoir d’en trouver une autre où vos fiévreux désirs pourront se reposer. Tout va bien si, désabusés des mensonges de ce monde, vous savez espérer en paix les jours meilleurs d’une meilleure patrie. Mais enfin, désabusés ou non, il est certain que vous subissez l’empire de la nécessité. La loi qui régit l’irrésistible tendance de votre volonté ne vous fait pas violence ; mais vous lui répondez spontanément et inévitablement par des désirs en attendant la jouissance et le repos. »
Nul de nous ne songe à s’en plaindre, ni ne se croit amoindri ou déshonoré par cette nécessité. Pourquoi cela ? « C’est, répond l’illustre orateur, qu’elle nous vient de Dieu, qui la subit lui-même sans que sa perfection en souffre. Soleil sans déclin, océan de vie, nature pleine et parfaite, douée de tous les charmes, bonté infinie, Dieu ne peut pas ne pas se vouloir et s’aimer tel qu’il est ; se vouloir et s’aimer, c’est son bonheur. Rien de violent, rien d’aveugle, rien de déraisonnable* dans l’attrait qui le tourne vers lui-même et le retient en son essence. Tout y est douceur, lumière, raison infinie, et cet attrait, loin de nuire à l’universelle puissance de sa volonté, lui donne la plénitude même de l’être divin. » P. Monsabré, op. cit., p. 97-99.
Suivant la doctrine de saint Thomas, tous les êtres, quels qu’ils soient, procèdent de la volonté même de Dieu, comme de leur première cause. Il faudra donc trouver en tous son empreinte, ce qui en constitue comme le caractère distinctif. Or, le caractère distinctif de la volonté de Dieu, c’est de ne tendre qu’au bien, lequel bien, d’ailleurs, n’est, pour elle, que la bonté divine elle-même. C’est donc à cette bonté qu’elle ordonne tous les êtres. Il s’ensuit qu’en vertu de la volonté même de Dieu, tous les êtres doivent tendre au bien, c’est-à-dire àlaparticipation en eux. suivant leurs moyens, de la bonté même de Dieu. Cette tendance, en tous, sera proportionnée à leur nature propre. Ceux qui n’ont aucune connaissance tendront au bien, en vertu même de leur nature ; ils ne le feront que dans la mesure où cette nature le réclame. D’autres, qui ont la connaissance sensible, y tendront selon tout l’étendue comprise dans le’rayon de leur connaissance. D’autres enfin y tendront sans qu’aucune limite puisse leur être assignée : parce que, doués d’intelligence, ils perçoivent la raison même du bien universel. Cette dernière tendance au bien, de toutes la plus parfaite, s’appelle la volonté : Qua’dam vero inclinantur ad bonum cum cognitione qua cognoscunt ipsam boni rationem, quod est proprium intellectus. Et hœc perfeedssime inclinantur in bonum : non quidem quasi ab alio solummodo directa in bonum, sicut ea quæ cognitione carent : neque in bonum particulare tantum. sicut ea in quibus est sola sensitiva cognitio. sed quasi inclinata in ipsum universale bonum ; et hœc inclinatio dicitur voluntas. Sum. theol., I », q. lix, a. 1.
Donc nous ne pouvons pas ne pas vouloir un bien. Nous constatons en nous la présence de cette tendance au bien et au bonheur, tendance volontaire, puisque c’est de mon gré et avec connaissance que je lui obéis, tendance nécessaire pourtant et qui n’est pas mon choix libre, mais une loi de ma nature, puisqu’il m’est impossible de ne pas lui obéir.
3° Indétermination de la volonté par rapport aux biens particuliers. —
Cette loi est donc une limite à mon libre arbitre, limite posée par Dieu lui-même et qui demeure à jamais infranchissable. Mais, dans la sphère de cette limite qui circonscrit l’action de ma volonté, suis-je libre ? Le fait du libre arbitre, s’il est réel, ne peut l’être qu’à la condition d’être aperçu par voie d’introspection, c’est-à-dire, par le procédé nécessaire de l’information psychologique ou le témoignage de la conscience. Ai-je conscience d’être libre ?
1. Témoignage de la conscience. —
A cette question, une réponse affirmative ne saurait faire l’objet d’un doute sérieux. J’ai conscience d’être libre. J’ai conscience de produire par un choix libre ces actes internes qui s’appellent des résolutions, et qui se traduisent en efforts pour exécuter ce qui a été résolu. J’ai conscience, au moment où je prends une résolution, que je pourrais ne pas la prendre ou en prendre une autre, différente ou opposée. Pendant tout le temps qu’elle persiste, j’ai conscience que je puis la modifier diversement, la suspendre ou la faire définitivement cesser. On ne peut pas me dire que je n’ai pas cette conscience, pas plus que l’on ne peut me soutenir que je n’ai pas conscience de souffrir quand je sens bien que je souffre.
Mais on peut me dire, et l’on me dit, que cette conscience me trompe et n’est qu’une illusion. Eh bien alors qu’on le prouve : Quod gratis asseritur, gratis negatur. Melior est condilio possidentis. Mais on ne le prouvera jamais, car cette récusation du témoignage intérieur mène droit au scepticisme le plus absolu, à me dire que je ne puis pas même être certain du fait de ma pensée et du fait de mon existence, " car je ne suis pas plus certain de ces deux faits, dit M. de Margerie, que je ne le suis du fait de mon libre choix. Et même il est rigoureusement vrai que les actes intérieurs, dont j’ai conscience comme libres, se détachent de tous les autres par une conscience plus distincte, plus réfléchie et plus vive. Car c’est dans ceux-là que je me possède et nie dirige moi-même, et, si je dis moi a propos de tous les faits intérieurs, parce que j’en suis le sujet, Je le dis de mes actes libres avec un accent privilégié parce que j’en suis la cause. C’est donc lorsqu’il s’agit d’eux que le témoignage de la conscience atteint son maximum de force et d’éclat, si on le rejet te ici. ; > meilleur droit le rejettera-t-on ailleurs. « Congrès wlenttf. internat, des catholiques, Paris, 1891, Sciences philos., p. 73.
D’autre part, ce témoignage de ma conscience, témoignage si net et si formel, est universel. C’est, en effet, le témoignage de toute conscience humaine : il n’y a pas un individu normalement développé qui n’ait de son libre arbitre la même conscience que moi du mien. L’expérience du présent et l’histoire fin passé nous montrent sans doute des philosophes fatalistes acceptés par individus, et des religions fatalistes suivies par nations tout entières. Ce sont là des croyances spéculatives dont les origines ne sont pas impossible à découvrir. Mais leur domination met en une lumière d’autant plus vive la conscience pratique que tous les hommes, même au sein de ces religions et de ces philosophies, gardent leur libre arbitre qu’ils manifestent par des actes de leur vie individuelle et de leur vie sociale. Le sentiment intime de leur liberté résiste chez eux à des doctrines qui la contredisent et qui devraient la détruire, donnant ainsi la preuve de sa vitalité indestructible.
2. Réponse à une difficulté.
« Mais, objecte Stuart Mill, avoir conscience du libre arbitre signifie avoir conscience, avant d’avoir choisi, d’avoir pu choisir autrement. Mais la conscience me dit ce que je fais ou ce que je sens : ce que je suis capable de faire ne tombe pas sous son regard. La conscience n’est pas prophétique ; nous avons conscience de ce qui est, non de ce qui sera ou de ce qui peut être. Nous ne savons jamais que nous sommes capables de faire une chose qu’après l’avoir faite ou avoir fait quelque chose d’égal ou de semblable. » Examen de la philosophie d’Hamilton, trad. Cazelles, 1869, p. 551. En d’autres termes, une puissance ne peut pas être un objet d’expérience ou de conscience. Or, la volonté libre est une puissance. Donc elle ne saurait être un objet d’expérience ou de conscience. — Une puissance en inaction et en sommeil ne peut pas être un objet d’expérience ou de conscience, cela est bien vrai. Mais qu’une puissance en action et en éveil ne puisse l’être, voilà ce que l’on ne saurait prouver. Or la volonté, avant la résolution prise et le choix fait, n’est pas à l’état de puissance en inaction et en sommeil. Elle est éveillée et en action, car elle est en préparation active de l’acte final ; elle est à l’état de tension en présence de chacun des motifs ou mobiles qui prétendent la détermineret, danscettepréparatinn et cette tension, elle prend expérimentalement de son libre arbitre la conscience qu’il lui faut avoir pour que cet acte final soit libre. En effet, lorsque, avant le choix, nous nous tournons vers un des partis à prendre, nous sentons que nous ne sommes pas déterminés à le prendre. Il exerce sur nous une force d’attraction, nous exerçons sur lui une force de résistance, et, dans ce conflit, nous prenons expérimentalement conscience de la supériorité de notre force sur la sienne, en d’autres termes, de notre indépendance relativement à lui. Les autres partis se présentent tour à tour ; la même expérience se renouvelle à l’égard de chacun, et nous prenons ainsi conscience de notre indépendance vis-à-vis de tous. Cette conscience totale, qui est la somme de ces consciences partielles, est proprement la conscience du libre arbitre.
4° Solution fataliste et déterministe.
Contre l’existence du libre arbitre s’élèvent deux principales erreurs à savoir, le fatalisme et le déterminisme. Voir Déterminisme, t. iv, col. 041 sq., et Fatalisme, t. v. col. 2095.
Des deux, le déterminisme est, incontestablement, la plus subtile, la plus dangereuse et, malheureusement aussi, la plus en vogue. D’une manière générale, la liberté de l’homme, d’après les fatalistes, est constamment liée par une nécessité venant de l’extérieur. Selon les déterministes, le lien qui enchaîne cette liberté n’est pas quelque chose d’externe, mais une nécessité intrinsèque. Les actes que nous appelons libres peuvent être volontairement posés, mais ils sont soumis à une nécessité d’ordre physique, moral ou intellectuel, et excluent seulement toute violence extérieure.
La liberté entendue au sens que nous avons expliqué n’existe pas. assurent les déterministes parce qu’elle est Impossible, et elle est Impossible parce que tout acte est déterminé : l’acte sensitif est déterminé par l’instinct, l’acte raisonnable par la raison. Motif ou mobile, il v a toujours quelque chose qui méfait vouloir. Si j’étais libre, je serais à la fois déterminé et
Indéterminé dans mon acte, déterminé par le motif. Indéterminé A cause de ma liberté, c’est une contra did ion.
Non, répond M| r D’Hulst, Conférence » dr Notre-Dame, Carême de 1891, S* conf.. c’est un mystère peut être, ce n’est pas une contradiction, Jamais les partisans du libre arbitre n’ont prétendu qu’en f ; iis : mt un acte l’homme pourrait eu faire un autre ; là serait la contradiction. Ils disent qu’au lieu de l’acte qu’il fait, l’homme aurait pu en faire un autre sans que les influences qu’il subit fussent changées. — Mais le motif du moins serait changé ? — A coup sûr. — Donc une des influences, et précisément celle qui décide de tout, serait différente. — C’est ici l’erreur. On se représente la volonté comme purement réceptive ; on dirait que les motifs sont des forces et que la volonté n’est qu’une masse inerte à laquelle ils communiquent le mouvement. On abuse de la comparaison de la balance : les poids, ce sont les motifs ; la balance, dit-on, c’est la volonté. — Mais non, la volonté n’est pas passive ; elle ne réagit pas seulement, elle agit. C’est une balance qui meut elle-même ses plateaux. Quand les motifs changent, elle est pour quelque chose dans le changement. Les motifs se présentaient avec la variété de leurs attraits : la volonté en choisit un, elle le préfère, elle tire d’elle-même cette préférence. » Conf. de Noire-Dame, Carême de 1891, 3e conf.
Il n’est donc pas vrai de dire que tout désir, s’il est violent, emporte fatalement l’action ; ce n’est pas le désir qui décide, c’est le vouloir : là se place la liberté. Et si, au lieu de refouler le désir, je l’accueille et lui livre ma conduite, c’est encore parce que je l’ai voulu ; quelque chose crie en moi que je pouvais et devais vouloir en sens contraire, vouloir contre moi-même, sacrifier tout mon être sensible à l’austère exigence du devoir.
Au reste, qu’entend-t-on au juste par motif le plus fort ? »… Ceux qui présentent cette objection, fait judicieusement remarquer M. de Margerie, op. cit., p. 98, ne s’entendent pas eux-mêmes, et, à la lettre, ce qu’ils disent ne veut rien dire. De quoi s’agit-il, en effet, dans la vie morale ? Du conflit de la passion et du devoir. S’il en est ainsi, l’expression motif le plus fort n’a pas de sens et n’en peut avoir. Je comprends ce que c’est qu’un devoir plus fort qu’un devoir, une passion plus forte qu’une passion. Voici, par exemple, deux préceptes moraux dont chacun, pris à part, oblige la volonté, mais entre lesquels il faut choisir parce qu’on ne peut pas les accomplir tous les deux. La conscience dira lequel impose l’obligation la plus étroite, la plus haute, la plus urgente. Celui-là pourra être dit le plus fort des deux, et nous nous déciderions certainement d’après lui s’il n’y avait en nous d’autres principes d’action que le principe moral. Voici deux passions dont l’une nous sollicite avec véhémence et dont l’autre ne nous incline que plus faiblement dans le sens opposé. La première est assurément plus forte que la seconde et nous entraînerait nécessairement s’il n’y avait en nous que des impulsions passionnées. Mais voici un devoir qui me commande une action, et une passion qui m’en détourne. Où prendrez-vous la commune mesure, l’unité de poids qui, multipliée un certain nombre de fois par elle-même, changera les deux plateaux de votre balance ? Pèserez-vous au poids du devoir ? La plus mince obligation morale pèsera plus que le plus violent attrait, et l’empire du monde, comparé au devoir de la sincérité, ne vaudra pas le plus petit mensonge. Au poids de l’intérêt vérirable, c’est-à-dire du bonheur ? Si vous connaissez l’intérêt véritable qui est d’assurer le bonheur par la vertu, le plaisir le plus enivrant sera un motif d’une faiblesse ridicule au prix des biens éternels promis au renoncement. Au poids de la passion ? La plus fugitive jouissance comparée au plus grave et évident devoir emportera la balance. Il me faudrait donc un poids qui fût tout à la fois mesure du devoir et mesure de la passion opposée au devoir. Mais ce poids, vous ne pouvez pas l’avoir parce qu’il est une contradiction. Sur cette contradiction repose l’objection tout entière. »
Enfin, insistent les déterministes, avant que d’agir l’homme délibère, et il délibère parce que des motifs hétérogènes le sollicitent. Or vous reconnaissez vous-même que c’est une appréciation qui détermine finalement sa volonté hésitante. Donc elle n’est pas libre.
Cela prouve simplement que la volonté n’est pas aveugle. Si la volonté suit toujours le dernier jugement pratique, ce jugement est tel que je le tire de moi-même ; il ne m’est pas donné d’avance. Ni mon état physique, ni mon état mental ne me l’imposent. Il sort de moi à l’instant décisif, conférant au plaisir, à l’intérêt ou au devoir telle priorité qui lui plaît. Cela est possible, parce que je suis à la fois sensible et raisonnable. Cela est réel, puisque je l’expérimente. « Le règne de la nécessité est aboli, dit Mgr d’HuIst, loc. cit. L’être, en gravissant les échelons qui s’étagent depuis l’atome jusqu’à moi, a successivement élargi le cercle de son action ; en entrant dans le domaine de l’intelligence, il a conquis la liberté. «
5° Le dogme ecclésiastique et le problème du libre arbitre. —
Bien qu’elles ne visent pas directement le déterminisme philosophique moderne, certaines définitions ecclésiastiques, relatives au déterminisme théologique doivent être rappelées ici ; elles précisent la position que l’Église a prise de tout temps en regard du problème de la liberté, et elles indiquent les directives suivant lesquelles doit évoluer le philosophe chrétien quand il discute cette question.
Tout d’abord les expressions employées par l’Église lors des controverses semi-pélagiennes marquent la croyance au libre arbitre. On déclare sans doute que le libre arbitre a été diminué par le péché originel, mais qui dit diminué ne veut pas dire supprimé. Cf. surtout Concil. Araus. II : Debemus credere quod per peccatum primi hominis ita inclinatum et attenuatum fuerit liberum arbitrium ut nullus poslea aut diligere Deum sicuti oportuit, aut credere in Deum, aut operari propler Deum quod bonum est, possit, nisi eum gratia misericordiee divinse prævenerit. Denzinger-Bannwart, n. 199. A l’époque des controverses prédestinatiennes de la renaissance carolingienne, on retrouve le même son dans les décisions du concile de Quierzꝟ. 853, contre Gotescale, voir, t. vi, col. 1500 : Libertatem arbitrii in primo homine perdidimus, quam per Christum Dominum nostrum recepimus, et habemus liberum arbitrium ad bonum, præventum et adjulum gratia et habemus liberum arbitrum ad malum, desertum gratia. Liberum autem habemus arbitrium, quia gratia liberatum et gratia de corrupto sanatum. Denz., n. 317. Même indication encore dans la condamnation par le concile de Sens en 1141 de cette proposition d’Abélard : Quod liberum arbitrium per se sufficit ad aliquod bonum. Denz., n.373
Ces diverses affirmations témoignent surtout du désir de mettre en sûreté le dogme de l’absolue nécessité de la grâce ; mais du jour ou l’hérésie protestante menacera directement le libre arbitre, l’Église affirmera avec non moins de force sa croyance au dogme de la liberté humaine.
Déjà Léon X, en 1520, dans la bulle Exsurge Domine, condamne cette proposition de Luther, n. 36 : Liberum arbitrium posl peccatumest res de solo titulo. et dumfacit quod in se est peccat mortaliler. Denz., n. 776. Le concile de Trente, après avoir dans la v « session maintenu avec fermeté le dogme du péché originel et de la déchéance qui en est la suite, ne laisse pas d’affirmer avec une égale énergie, dans la sess. vie, can. 5. l’existence du libre arbitre : Si quis liberum hominis arbitrium post Adæ peccatum amissum et exstinctum esse dixerit. aut rem esse de solo titulo, imo titulum sine re, figmentum denique a Salana invectum in Ecclesia, a. s. Denz.. n. 815.
Les difficultés soulevées autour de l’insoluble question des rapports entre liberté et grâce amèneront de nouvelles précisions. C’est d’abord le rejet de certaines explications fournies par Baïus. Prop. 39 : Quod voluntarie fit, etiamsi necessario fiât, libère tamen fit ; et prop. 66 : Sola violentia répugnât libertati hominis naturali. Denz., n. 1039 et 1066. C’est enfin la condamnation explicite comme hérétique de la 3° proposition de Jansénius : Ad merendum et demerendum in statu naturæ lapsse non requiritur in homine libertas a necessitatesedsu/ficit libertas aeoaclione. Denz., n. 1094
III. Problèmes théologiques que soulève l’existence du libre arbitre. —
L’existence du
libre arbitre étant considérée comme hors de discussion,
comment est-il possible de concilier cette prérogative
de la volonté :
1° Avec la science de Dieu.
2° Avec les décrets de la volonté divine.
3° Avec la
prédestination.
4° Avec l’efficacité de la grâce.
5° Avec
le concours divin ?
1° Le libre arbitre et la science divine.
Dieu sait ce que je ferai demain, et ce qu’il a prévu devoir arriver s’accomplira certainement, infailliblement ; il m’est absolument impossible de m’y soustraire, autrement la science de Dieu serait en défaut, ce qui répugne. Or, si je suis placé dans cette nécessité, et il en est de même pour tous mes actes, je ne suis pas libre, car l’indifférence et l’indétermination sont de l’essence même du libre arbitre. Donc, avec la science de Dieu, le libre arbitre ne saurait subsister.
Pour répondre à cette difficulté, il importe de rappeler la nature et l’objet de la science de Dieu, et de déterminer le mode dont Dieu connaît les choses placées en dehors de lui. Cette simple exposition suffit à résoudre la difficulté. On ne dira d’ailleurs ici que le strict nécessaire, la science divine devant faire l’objet d’un article spécial.
1. Le mode de la connaissance divine. —
Il y a en Dieu une science éminente qui s’identifie pleinement avec son essence et par laquelle, sans avoir besoin d’aucun secours étranger, il se connaît et se comprend lui-même, autant qu’il est susceptible d’être connu et compris. La science de Dieu est parfaite et infinie. Sa perfection suprême l’exige. Voir S. Thomas, .S’iim. theol., 1°. ([. xiv, a. 1-5. L’objet primaire de la science de Dieu, c’est lui-même ; l’objet secondaire, ce sont les créatures. Dieu se connaît lui-même nécessairement, et dans toute la mesure où il peut être connu. Mais comment connaît-il les créatures ? Il les connaît parfaitement comme elles existent, et il a de toutes une connaissance propre et distincte. S. Thomas, loc. cit., a « .. toutefois, sa connaissance n’a pas pour terme les choses elles-mêmes, comme il en arrive pour nous. Pour connaître une chose, il ne nous suffit pas de nous considérer nous-mêmes, il faut que notre regard se IKirie en dehors de nous, vise cette chose et la dégage .iract ères individuels qui I en vironnent’pour qu’elle puisse s’assimiler a notre intelligence. Que cette notion Mil abstraite des choses visibles par la vertu de l’intelligence ou qu’elle soil infuse par Dieu, cela importe peu ; dans les deux cal, le sujet connaissant a pour terme de sa connaissance autre chose que lui-même, et ce terme, dont il dépend dans une certaine mesure, n’est pas sans lui apporter quelque perfection.
Or il est évident qu’en Dieu on ne saurait rien concevoir de semblable. Dieu ne peut ni dépendre d’une causé créée, ni en recevoir la moindre perfection. Mien en dehors fie lui ne. peut donc servir de terme à sa connaissance, par conséquent, tout ce qui exisle en dehors de lui. il le connaît en soi-même, dans son DeiU omnta alla a se, non prr specirm pro prinm, %tà prr uuntlam iuori tnlelligti, Sum. theol.,
Inr. ni., a.", .
Dieu -ail tout ; il sait tout parce qu’il VOil tout ; d sait tout en son essence, en tant qu’elle est la cause première et universelle de toutes choses C’est la seule lumière qui soit digne de l’éclairer, route eonnaii qui viendrait du dehors le ferait déchoir, parce qu’elle mêlerait quelque chose de fini à son infinie perfection. « Il est sacrilège, dit saint Augustin, de penser que Dieu sort de lui-même pour voir ce qui est hors de lui. » Sacrilegum est opinait Deum extra se exire ut res extra se positas inlueatur. De diversis quæstionibus LXX.Xllf liber unus, q. xlvi, P. L., t. xi., col. 30.
Mais comment expliquer cette connaissance de Dieu ? Dieu ne connait pas les choses dans son essence, ou à. travers son essence, comme un myope se sert de lunettes appropriées pour considérer les objets qui échappent à ses yeux débiles. Il ne faudrait pas voir dans l’essence divine une sorte de glace transparente ou de loupe grossissante qui permettrait à Dieu de se mettre en rapport avec les choses et d’en acquérir la connaissance. C’est en se considérant lui-même que Dieu se connaît et connaît parfaitement les objets placés hors de lui dans le passé, dans le présent et dans l’avenir.
En effet, tout ce qui existe ou a existé est l’œuvre de Dieu seul, car seul il est Créateur. Quand il se sert des créatures, ce n’est pas dans son opération créatrice mais dans d’autres opérations secondaires, et encore n’est-ce qu’à titre d’instruments qui exécutent un plan conçu et voulu par lui. Or, toute œuvre accomplie par un habile ouvrier est la réalisation d’un plan formé d’avance et dont le dessin vivant se trouve dans l’intelligence de cet ouvrier. Avant de le mettre à exécution, l’ouvrier l’a présenbà l’esprit avec tous ses détails et les modifications même qu’il est en mesure d’y apporter. Avant de la réaliser au dehors de lui, il connaît son œuvre, il pourrait la décrire, et son exécution même, à parler rigoureusement, ne saurait lui apporter aucune connaissance nouvelle à cet égard. Dans une œuvre, quelle qu’elle soit, c’est le plan qui est la chose essentielle ; le reste est plus ou moins accessoire.
De même, toutes les créatures passées, présentes et futures ne sont que la réalisation dans le temps du plan de l’intelligence divine relatif à leur existence réelle ; et c’est en contemplant son essence qu’il y considère en même temps toutes les créatures, avec toutes les modifications dont elles sont susceptibles, comme l’architecte voit en esprit tous les détails de l’édifice qu’il se propose de construire. C’est ainsi que tout est présent pour Dieu, et que, pour lui, il ne saurait y avoir ni » assé ni futur, bien qu’il soit dans l’essence de la création d’être mesurée par le temps.
2. Les divers objets de la connaissance divine. Outre les choses qui existent actuellement ou qui ont déjà existé, il y en a d’autres qui sont purement possi blés, d’autres qui arriveraient à un moment quelconque si telle condition était vérifiée, d’autres qui arriveront certainement et nécessairement, d’autres enfin qui arriveront infailliblement. mais d’une manière aussi libre que certaine. Comment Dieu connait il ces différentes catégories de choses ? Il les connaît toutes de la même manière, ces ! à dire de la manière que nous venons d’exposer.
a) Les possibles. —
Est possible tout ce qui, dans son concept) n’implique aucune contradiction. Or. outre les choses existantes, il y en a d’autres qui, dans leur concept, n’impliquent aucune contradiction. Et, de lait. Dieu aurait pu. sans la moindre contradiction. ne rien créer de ce qu’il a bien voulu tirer du néant : il eut pu de même produire d’autres èlres bien différents par leur nombre et leur perfection, Donc, en dehors des choses existantes, on est en droit de compter les choses purenient possibles. Mais d’OO les possi files tirent ils leur possibilité ? I".n d’autres termes, pourquoi les choses sont elles possibles Il impolie de distinguer entre la possibilité interne et la possibilité externe. Toutes les deux dépendent de Dieu. Saint
Thomas établit le fondement de la possibilité interne des choses en Dieu seul, mais considéré dans son intelligence et finalement dans son essence. La possibilité interne des choses dépend donc formellement de l’intelligence de Dieu, mais elle a sa source dans son essence. S’il est question de la possibilité externe ries choses, nous affirmons avec saint Thomas qu’elle relève également de Dieu, mais de Dieu considéré dans sa toute-puissance, car tout ce qui ne répugne pas à l’existence peut exister, s’il y a une cause active qui ait la faculté d’étendre sa vertu à tout ce qui est susceptible de participer à l’existence de quelque manière. Or, une telle cause ne saurait être que l’Être dont l’existence s’identifie avec l’essence, l’Être subsistant en Dieu. Donc, les choses ont en Dieu seul leur possibilité tant interne qu’externe. Avant d’être réalisés, s’ils doivent l’être, les possibles n’ont d’existence que dans l’essence divine. C’est là que Dieu les voit et les connaît.
b) Les futuribles. —
On entend par futuribles ou futurs conditionnels des choses qui n’ont jamais été, qui n’existent pas et qui n’arriveront jamais, mais qui auraient pu se trouver dans le passé, qui pourraient exister actuellement ou qui pourraient arriver un jour, si telle condition était posée. Que cette connaissance des futuribles se rencontre en Dieu, c’est une vérité qui ne saurait être contestée et qui est, du reste, affirmée, dans la sainte Écriture. Pour l’établir, les théologiens, depuis fort longtemps, ont fait état de deux passages empruntés l’un à l’Ancien, l’autre au Nouveau Testament.
On lit, I Reg, xxiii, 9-13, que David, retiré dans la ville de Ceila et ayant appris que Saùl se préparait à venir l’y assiéger, interrogea le Seigneur : « Seigneur Dieu d’Israël, votre serviteur a entendu dire que Saïd se prépare à venir à Ceila pour détruire cette ville à cause de moi. Les habitants de Ceila me livreront-ils entre ses mains ? Et Saùl y viendra-t-il comme votre serviteur l’a entendu dire ? Seigneur Dieu d’Israël, faites-le connaître à votre serviteur. » Le Seigneur répondit : Saùl viendra. David dit encore : « Les habitants de Ceila me livreront-ils avec mes hommes entre les mains de Saùl ? » Le Seigneur répondit : Ils te livreront. David s’en alla donc avec ses hommes, qui étaient environ six cents ; et, étant partis de Ceila, ils erraient çà et là sans savoir où s’arrêter. Or Saùl, ayant appris que David s’était retiré de Ceila, ne parla plus d’y aller.
D’autre part, d’après Matth.. xi, 21, Notre-Seigneur maudit Corozaïn et Bethsaïda, deux bourgades situées non loin de Capharnaùm, sur la rive occidentale du lac de Tibériade. Les rapprochant de Tyr et de Sidon. il déclare que ces deux grandes cités païennes, profondément corrompues, se seraient converties, si elles avaient été aussi favorisées qu’elles sous le rapport spirituel. « Malheur à toi, Corozaïn ; malheur à toi, Bethsaïda ; car. si les miracles qui ont été faits au milieu de vous avaient été faits dans Tyr et dans Sidon, il y a longtemps qu’elles auraient fait pénitence dans le sac et la cendre. »
Sans vouloir entrer ici dans la fameuse querelle engagée entre thomistes et molinistes au sujet de la manière dont Dieu connaît ces futuribles, disons seulement qu’il les connaît comme il connaît tous les possibles, c’est-à-dire en lui-même, d’une façon immédiate et suivant l’être dont ils jouiraient, si la condition dont dépend leur existence était vérifiée. L’intelligence divine, en contemplant et en pénétrant jusque dans ses plus intimes profondeurs la divine essence, embrasse du même regard tous les modes possibles de sa ressemblance infinie. Par où il arrive que le regard de Dieu se porte d’abord sur son essence et, dans cette essence même, il atteint d’une façon aussi directe qu’immédiate les possibles avec toutes leurs variétés.
c) Les futurs libres. —
Si nous parlons maintenant des futurs libres absolus, Dieu les connaît comme il connaît toutes choses, et, en particulier, les futuribles. Le futur libre absolu n’est, en effet, que le futurible transféré à l’ordre d’existence avec le caractère de contingence et de liberté prévu dans cet état. Par conséquent, la science du futur libre absolu n’est autre que la science du futur conditionnel a laquelle est joint un décret de Dieu relativement à son existence. Cela même qui était connu par Dieu comme pouvant exister, il le connaît comme devant réellement exister à un moment donné. Mais ici une remarque essentielle s’impose. Dieu connaît les futurs libres absolus non pas comme futurs, mais comme présents. En effet, s’il les connaissait comme futurs, il ne les connaîtrait que comme devant arriver un jour. Donc, en ce moment, il ne les aurait pas présents devant lui, il les connaîtrait seulement dans leurs causes. Mais s’il les connaît dans leurs causes et si sa connaissance est certaine et non pas simplement conjecturale, c’est que ces événements y sont déjà contenus et en sortiront nécessairement. Les savants qui annoncent plusieurs années à l’avance une éclipse de lune, par exemple, déterminent d’une façon mathématique l’époque précise où la terre se trouvant entre le soleil et la lune, celle-ci, traversant l’ombre projetée par la terre et ne recevant pas la lumière du soleil, cesse, pendant quelques instants, d’être visible soit partiellement, soit même totalement. Mais ce phénomène dépend de causes fixes et invariables qui le produisent d’une manière aussi infaillible que nécessaire, et il suffît d’étudier ces causes pourvoir que le phénomène y est réellement contenu et qu’il ne saurait manquer d’en sortir. C’est l’exemple du futur absolu mais nécessaire.
Les actes libres ou futurs contingents n’étant et ne pouvant pas être ainsi contenus dans leurs causes, Dieu les connaît non pas comme futurs, mais comme présents. Du moment que Dieu les connaît ainsi, ils ne peuvent certes pas ne pas exister, mais cette nécessité ne nuit en rien à leur liberté, car c’est une nécessité purement concomitante. C’est, en effet, le propre de la nécessité concomitante, de ne jamais entraver la contingence de l’acte, car une chose, du moment qu’elle est, ne peut pas ne pas être : Omne quod est. dum est, necesse est esse ! Exemple : Un professeur enseigne à des élèves qui l’écoutent assis. S’il ouvre les yeux et qu’il les regarde, il les voit assis et il ne peut pas ne pas les voir assis. Il y a évidemment là une véritable nécessité, mais c’est une nécessité purement concomitante, c’est-à-dire une nécessité qui accompagne la position même de l’acte contingent. Cette nécessité où se trouve le professeur de voir ses élèves tels qu’ilsse présententdevantlui entrave-t-elle. à quelque degré, la liberté de leur posture ? Il serait ridicule de le prétendre. Eh bien ! la connaissance certaine et infaillible que Dieu possède de nos actes libres ne porte pas plus d’atteinte à leur contingence.
Notons, pour terminer, que, à raison de son objet secondaire, on a justement divisé la science de Dieu en science de vision et en science de simple intelligence. La science de vision a pour objet tout ce qui a été. tout ce qui existe et tout ce qui doit arriver un jour. Les possibles sont l’objet de la science de simple intelligence ; on sait que Molina réserve le nom de science moyenne à la connaissance des futuribles. Ce n’est pas ici le lieu de discuter la justesse de cette distinction.
2° Le libre arbitre et les décrets de la volonté divine.
Ici encore un simple rappel des doctrines théologiques suffira, sinon pour résoudre, du moins pour mettre au point ce problème délicat.
La volonté suit l’intelligence, et en Dieu elle a le même degré de perfection absolue. Elle a pour objet nécessaire et premier le bien divin : elle se porte librement sur le bien des créatures, mais toujours d’une façon dépendante de celui du Créateur. C’est là son objet secondaire. Deus, principaliter vult se, et, volendo se vult omnia alla… Sicul uno actu intelligit se et alia, in quantum essentia sua est exemplar omnium, ita uno actu vult se et alia in quantum sua bonilas est ratio omnis bonilalis. S. Thomas, Sum. contra Genl., t. I, c. LXXV-LXXVl.
A raison de son objet, la volonté de Dieu se divise en volonté antécédente ou conditionnelle et en volonté conséquente ou absolue. La première a pour objet une chose en tant qu’elle est considérée en soi, antérieurement aux circonstances qui peuvent en empêcher la réalisation parfaite, exemple : le salut de tous les hommes. La seconde se porte sur la même chose, mais considérée, cette fois, avec toutes les circonstances et particularités qui en assureront la complète exécution, exemple : le salut à raison des mérites.
Tout ce que Dieu veut d’une façon absolue doit nécessairement s’accomplir ; autrement sa toute-puissance se trouverait en défaut, ce qu’il répugne évidemment d’admettre. Or, parmi les objets de la volonté divine, il en est qui ne sont pas atteints ; ainsi, Dieu veut le salut de tous les hommes, et, en fait, plusieurs hommes sont damnés. Donc, entre la volonté absolue et conséquente, il faut reconnaître en Dieu une volonté conditionnelle et antécédente. C’est ce que saint Jean Damascène enseignait déjà avec une remarquable précision : « Il faut bien se pénétrer de ceci : Dieu, d’une volonté première et antécédente, veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à son royaume. Car il ne nous a pas créés pour nous punir, mais, étant bon lui-même, pour que nous participions à sa bonté. Pourtant il veut punir les pécheurs parce qu’il est juste. Dès lors, cette première volonté est dite antécédente, ou volonté de bon plaisir ; et la cause en est en lui-même. La seconde est appelée conséquente, ou de permission, et finalement c’est nous qui lui donnons naissance et cela doublement : en tant que cette volonté divineest pour nous un avertissement, en tant aussi qu’elle part de la réprobation pour aboutir au châtiment absolu. » De ftd. orth., . II, c. xxix, P. G., t.xciv, col. 968-969. Cette doctrine du Damascène a fourni le point de départ des développements ultérieurs de la scolastique latine.
Cette distinction étant posée, voici comme l’on peut mettre en forme le problème de l’accord de la liberté humaine et des décrets divins.
Tout ce que Dieu veut d’une façon absolue doit nécessairement arriver : c’est-à-dire, doit nécessairement arriver de la manière connue par la science de simple intelligence qui est la règle des décrets divins, nous raccordons ; d’une autre manière, nous le nions. En effet, la volonté divine, quand par son décret elle t ransfère les choses de iyi al de pure possibilité à celui d’existence réelle, veut ces choses comme elles sont connues par la science de simple intelligence qui est la rèe-le des décrets divins. Or, dans la science de simple Intell ertalns effets sont représentés comme nécessaires parce qu’ils procèdent de causes nécessaires I parfaitement déterminées ; d’autres, an contraire. considérés comme libres, en tant qu’ils procèdent de causes jouissant du domaine sur leurs actes. Par conséquent, la volonté divine se porte sur les uns et les autres, d’une manière correspondant à celle science. qui eut i’réalisation nécessaire des premiers et l’exécution libl des seconds.
Saint Thomas expose magistralement celle distinc tion dans ses Qutesttonet quodlibetales, quodl. xi. Que la volonté divine aie certitude et n’impose point cependant de nécessité, voici comme on peut illquer. La volonté de Dieu est la cause parfaite 1 1 efficace de toutes i hoses, cai tout ie que Dieu veut. r>i< r. m nu oi ( Mien. il le fait. Cette perfection et cette souveraine efficace apparaît en ceci, que non seulement il meut et cause les choses, mais encore leur donne tel ou tel mode d’être cause à leur tour, en ce sens qu’il a assigné à chaque être le mode déterminé dont il produirait ses effets. Dès lors, puisqu’il a lui-même voulu que certains faits fussent absolument nécessaires et d’autres contingents, il a aussi établi certaines causes capables d’être des causes contingentes, d’autres au contraire qui produisent nécessairement leurs effets. Ainsi a-t-il voulu que tel ou tel effet non seulement fût, mais fût de telle ou telle manière, contingente ou nécessaire. Par exemple, il a voulu que Pierre courût, mais qu’il courût de manière contingente ; semblablement, il a voulu sauver tel homme, mais de manière que celui-ci ne perdît pas son libre arbitre. »
- 5° Le libre arbitre et la prédestination. — Cette question
sera reprise a’ec toute son ampleur à l’art. Phkdestination ; qu’il suffise de rappeler ici les points de doctrine relatifs à cette importante question.
1. Providence et Prédestination. —
Saint Thomas définit la Providence divine : Ratio ordinis rerum in finem, in mente divina præexislens. Sum. theol., I", q. xxii, a. 1. Ce monde n’est pas un amas incohérent de substances sans relations les unes avec les autres, sans direction vers une fin déterminée ; c’est un ensemble où chaque chose a sa place et concourt, en gravitant vers sa perfection propre, à la perfection du tout. Voir la place de chaque chose, lui assigner ses fins particulières, ordonner toutes les fins particulières, vers une fin générale, disposer, décréter, appliquer les moyens par lesquels toutes les fins sont atteintes, c’est faire acte de providence, c’est gouverner. Que cet acte providentiel soit nécessaire à une œuvre de Dieu, quelle qu’elle soit, c’est ce qu’il est impossible de nier, sans nier l’œuvre et Dieu lui-même. L’œuvre, en effet, ne subsistera pas sans ordre, l’ordre ne subsistera pas sans qu’il ait été conçu et mis en acte par le créateur même de l’œuvre. Si nous regardons le monde, si nous suivons ses mouvements et écoutons ses voix, nous serons bientôt convaincus que le plan de l’ordre qui se manifeste en toutes choses préexiste dans une intelligence supérieure, qu’une raison divine trône au sommet des existences et les dispose harmonieusement, qu’un art éternel règle tout ici-bas, qu’une volonté maîtresse administre sagement le vaste, ensemble des êtres. Bref, l’existence de la Providence divine est une vérité hors de conteste.
Or, la prédestination n’est qu’une partie, qu’un office de la Providence divine. Celle-ci embrasse dans son empire tous les êtres sans exception ; la prédestination n’a pour objet que les hommes. Encore ne comprendt -elle que ceux qui doivent arriver au (ici. car il est une autre partie de la Providence pour ceux qui s’ecaitent volontairement de leur fin dernière, et c’est la réprobation. <>n peut le dire, ce sont là deux extrêmes absolument opposés : la prédestination conduit la créature raisonnable a sa fin dernière, à celle qu’elle doit al teindre : la réprobation constate sa défection malheureuse, mais volontaire. Dieu veut la première et y travaille : voilà pourquoi elle est justement appel) e une prescience et une préparation. raison de la faute dont elle est le chàliment inévitable, Dieu ne saurait vouloir ni opérer la réprobation, il la permet seulement : et c’est pourquoi on la nomme une prescience ei une permission, c’est a dire, la permission de la défection finale de la créature raisonnable. Voir S. Thomas. De vrril.. q. m. a. 1.
2. Existence <lr lu prédestination. l a prédestination existe, à savoir, cp dessein que Dieu a formé de toute éternité de conduire certaines créatures raison nables au salut éternel. En effet, Dieu procure à un certain nombre de créatures raisonnables lei éternelles du ciel. Or, la raison de ce que Dieu accomplit dans le temps existe éternellement en lui. Donc éternellement existe en Dieu le dessein de conduire un certain nombre de créatures raisonnables à la vie éternelle, et ce dessein de sa divine bonté n’est autre que la prédestination des saints.
Cette vérité appartient à la foi catholique et est expressément attestée par de nombreux témoignages de la sainte Écriture, en particulier, par celui de l’apôtre saint Paul, Rom., viii, 29-30 : Quos uulem prædestinavit, hos et vocavit ; et quos vocavil, hos et justificauit ; quos uutem juslificavil, illos et glorificavil.
A côté de la prédestination il y a la réprobation, à savoir, la prescience et la permission qui sont en Dieu de la détection d’un certain nombre dans l’œuvre de leur salut éternel. Cum ad divinam providenliam, dit saint Thomas, pertinent aliquos permittere a vita œterna deficere, ad eam pertinet etiam aliquos consequenter reprobare. Sum. theol., I a, q. xxiii, a. 3. En elïet, nous devons rencontrer de toute éternité en Dieu la prescience et la volonté permissive de tout ce qu’il permet d’arriver dans le temps. Or, Dieu permet que quelques-uns s’excluent de la vie éternelle par suite de leur permanence finale dans l’état du péché. Donc, éternellement, nous devons trouver en Dieu la prescience et la permission de cette défection suprême, et c’est la réprobation. Mais ce serait tomber dans une erreur monstrueuse que de supposer en Dieu une réprobation quelconque positive et antécédente : ce serait faire de Dieu un être cruel qui, par pur caprice, contraindrait quelques-uns à commettre le péché afin de pouvoir ensuite les tourmenter éternellement.
3. Nature de la prédestination. —
Dans la prédestinalion, enseigne saint Thomas, il faut considérer trois choses dont les deux premières sont présupposées à la prédestination elle-même, à savoir la prescience de Dieu et sa dilection, c’est-à-dire la volonté qu’il a de sauver celui qui est prédestiné. Vient, en troisième lieu, la prédestination qui n’est autre chose que la direction vers la fin voulue par Dieu à l’être aimé. Qusest. quodlibet, quodl. xi, a. 3.
Entendue au sens rigoureux du mol, la prédestination présuppose la science de Dieu et sa volonté salvifique. Il suit de là que, de la part de Dieu, nous pou-vous concevoir comme trois actes dans ce mystère dont l’intelligence parfaite nous échappera toujours. Le premier acte est celui de la simple intelligence (qui dans le système moliniste inclut la science moyenne elle-même). Dans cet acte, tous les mondes possibles sont présents à l’intelligence divine avec leurs merveilleuses organisations, leurs splendeurs, leurs harmonies, avec la fin qui correspond à chacun d’entre eux. Suit le second acte, dans lequel la volonté divine se porte sur la fin qu’elle sait devoir obtenir dans un de ces inondes éternellement présents devant elle, et cette fin, elle la veut d’une manière absolue. Cette fin vers laquelle tout devra converger, soit directement, soit indirectement, sera, par exemple, le salut d’un nombre déterminé d’hommes qui, dans d’autres hypothèses, eussent été damnés. Cet acte, qui relève de la volonté de Dieu, est, par excellence, un acte d’amour et constitue à proprement parler l’élection. Enfin, conséquemment à ce choix ou à la solution de cette fin. Dieu décrète l’existence de ce monde auquel répond la fin qu’il veut obtenir. Et c’est l’acte de la prédestination auquel correspond celui de la réprobation. En effet, parce que dans ce monde dont il a décrété l’existence à raison du but plein de grandeur et de miséricorde qu’il se propose d’atteindre, il se trouve que des créatures raisonnables parviendront aux joies éternelles du ciel tandis que d’autres, par leur seule faute, en demeureront exclues, il se résout à favoriser en tout le salut éternel des premières et à permettre le malheureux sort des secondes. De l’adjonction de ce décret, il résulte qu’il y a en Dieu, pour un certain nombre, prescience et préparation de la vocation, de la justification et, conséquemment, de la glorification, — et c’est là la prédestination ; pour d’autres, prescience et permission de la défection finale, — et c’est là la réprobation.
De cette doctrine découlent deux corollaires importants, qu’il suffira de rappeler ici, réservant pour l’art. Prédestination de les appuyer de preuves :
a) La prédestination présuppose l’élection gratuite à la gloire.
b) Le décret par lequel Dieu prédestine les élus est nécessairement certain et absolument immuable. Il est nécessairement certain, car Dieu ne peut ignorer ce qui arrivera, ni être trompé dans les prévisions de sa sagesse, ni être frustré du but qu’il a déterminé dans sa toute-puissante volonté. Si non esset infallibilis prœdestinationis effectus, dit le cardinal Billot, falleretur divina præscientia et frustraretur absoluta Dei voluntas ; quorum utrumque est omnino impossibile. De Deo uno et trino, th. xxxiii, p. 293. Ce même décret est immuable comme tous les décrets de la volonté divine. Pour que le décret de la prédestination fût changé, il faudrait que Dieu cessât de vouloir ce qu’il aurait une fois décrété. Or il ne le pourrait sans que sa volonté, de favorable qu’elle était, ne devînt contraire à l’objet de son décret, ou sans que sa science ne découvrît dans cet objet ce qu’elle n’avait pas aperçu de prime abord. Les deux suppositions sont impossibles en Dieu dont les affections ne sont pas changeantes comme les nôtres, et dont la science ne saurait rien acquérir.
4. Prédestination et libre arbitre. —
Nécessairement certain et absolument immuable, le décret par lequel Dieu prédestine les élus ne viole en rien l’intégrité du libre arbitre. En effet, la nécessité qui affecte le résultat de ce décret est une nécessité qui suit l’infaillibilité de la science divine, de cette science qui pénètre et embrasse tous les futurs contingents, non pas comme futurs mais comme présents. Or, nous l’avons établi, une nécessité de cette sorte ne saurait jamais enlever la contingence de l’acte ni en diminuer la liberté, car elle est purement concomitante.
Il est donc établi que Dieu a, par un décret porté avant la création du monde, c’est-à-dire de toute éternité, prévu et préparé les moyens par lesquels il conduirait les hommes (nous ne parlons que des créatures humaines en ce moment) et selon lequel eux-mêmes arriveraient à l’éternelle félicité, sans que. d’une part, la certitude et l’immutabilité du décret, , l’efficacité infaillible des moyens préparés aux futurs élus nuisent en rien à leur liberté qui demeure entière sous l’action de Dieu ; et sans que, d’autre part, les faiblesses humaines, les défaillances toujours possibles, et, en fait, trop fréquentes de la liberté humaine puissent faire manquer les prévisions de Dieu qui sait tirer le bien du mal et faire concourir au salut des élus tout, même leurs péchés, dit saint Augustin.
Mais le décret de la prédestination est un livre fermé pour nous. De là cette conséquence toute naturelle que nous ne devons pas, pour agir, nous fonder sur cette connaissance qui nous échappe absolument : nous ne devons concevoir à ce sujet ni inquiétudes vaines, ni assurances chimériques, mais user des moyens de salut que Dieu a mis à la disposition de tous, et par lesquels seront infailliblement sauvés tous ceux qui les emploient.
Mais, dit-on. de deux choses l’une : ou je suis prédestiné, ou je ne le suis pas. Si je suis prédestiné, quoi que je fasse je serai sauvé ; donc je puis en toute sécurité me livrer à toutes les douceurs de la vie. Si je ne suis pas prédestiné quoi que je fasse je serai damné..
jepuis donc sans inconvénient lâcher la bride à toutes mes passions. Par conséquent, je n’ai nul souci à concevoir au sujet de mon salut. Comedamus et bibamus, cras enim moriemur ! — Ce raisonnement ressassé ad nau.’cam, n’est spécieux qu’en apparence. Il ressemble à celui d’un malade qui dirait à son médecin : « De deux choses l’une : ou cette maladie me conduira au tombeau, ou elle me laissera en vie. Si elle doit me conduire au tombeau, quoi que vous fassiez, vous ne pourrez jamais m’empêcher d’y arriver. Si elle doit, au conl raire, me laisser en vie, elle disparaîtra comme elle est venue, sans avoir besoin du secours de la science. Donc, dans les deux cas, vos soins me seraient parfaitement inutiles. » Il rappelle encore le discours que tiendrait, devant sa maison en flammes un philosophe qui dirait :
Ou cet incendie détruira ma maison, ou il ne le fera pas. S’il doit la détruire, quoi que je fasse, je ne saurais l’en empêcher. S’il ne le doit pas, tous les efforts entrepris pour l’éteindre sont, à tout le moins, inutiles. Par conséquent, demeurons en paix et advienne que pourra ! >
Mais, rétorquer n’est pas répondre : au dilemme où l’objection veut nous prendre, voici ce qu’il faut répondre : « Ou je suis prédestiné ou je ne le suis pas, » dit l’objectant. On le lui concédera, s’il accepte en même temps de dire que le décret qui décide de son salut éternel porte également sur sa libre coopération comme condition indispensable pour y parvenir. On le niera, s’il entend dire parla que ce décret ne suppose nullement cette libre coopération.
Dieu ayant décrété que, dans un ordre de choses donné, tel homme serait sauvé, cet homme le sera infailliblement ; mais Dieu a également décrété que ce sera par la libre coopération de cet homme, aucun adulte ne devant autrement obtenir le salut.
L’élu ne sera pas sauvé, quoi qu’il fasse, il ne le sera que pour avoir fait le bien : et réciproquement, quiconque aura fait le bien et y aura persévéré jusqu’à la lin de sa vie, sera infailliblement sauvé. Faire le bien, coopérer à la grâce : voilà le signe auquel nous pourrons raisonnablement croire que nous sommes du nombre des élus. Vivons donc en saints, et nous mourrons en prédestinés.
On insiste et l’on dit : » Si Dieu sait d’avance ce que je ferai durant tout le cours de ma vie (et cette connaissance est nécessairement contenue dans le décret de prédestination), il m’est bien difficile de me croire libre. En effet, ma liberté consiste essentiellement en que je puis a^ir ou ne pas agir, faire une chose ou ontradictoire. Or, pour chacune de mes actions, si Dieu sait que j’agirai, il n’est pas possible que je n’agisse pas ; s’il sait que Je n’agirai pas, il est impossible que j’agisse, car sa science ne saurait être en défaut. Donc Je ne suis pas libre d’agir ou de ne pas mon choix. »
La majeure de cet argument est incontestable. La mineure contient une équivoque « pi il importe de dissiper : l’impossibilité, Ici, se réfère a la certitude infaillible de la science divine, nous l’accordons : l’impossibilité se réfère & la nécessité où Je serais de mes actes sans pouvoir les omettre, noua le nlont
La science de Dieu ne change point la naturc des
objets qu’elle connaît Ce qui est nécessaire et résulte’lis inéluctables de la nature physique, elle le
connaît comme née qui résulte du libre jeu
du Facultés humaines, elle le connait comme arrivant
librement C’esl donc librement que je ferai ou ne
pas ce que Dieu prévoit que je ferai ou ne
ferai pas et, de mon côté, il n’j h aucune Impossibilité
que Jr fasse ce que Dieu a prévu. Seulement il est Certain pour Dieu, qui sait tout, que je le ferai. Lu
point de départ du raisonnement, quand on dit qu’il est impossible que ce que Dieu a prévu n’arrive pas, l’impossible se réfère à la certitude infaillible de la science divine. Mais à la fin du raisonnement, quand on veut conclure que je ne suis pas libre parce qu’il est impossible que je ne fasse pas ce que Dieu a prévu, l’impossible se réfère à la nécessité où je suis de le faire sans pouvoir l’omettre. Or, donner deux sens au mot important du même raisonnement, c’est tout simplement faire un sophisme. Voici comment saint Thomas enseigne que la prédestination n’impose aucune nécessité : « Que la prédestination emporte certitude et pourtant n’impose pas de nécessité, cela est clair. En effet, la manière de diriger un être à sa fin, y compris le dessein lui-même (et c’est cela la prédestination) rentre dans l’agencement et l’ordre des causes constituées par Dieu. Or il est certain que, si deux causes sont agencées l’une par rapport à l’autre, dont l’une est nécessaire, l’autre contingente, l’effet est toujours contingent. Or, dans la prédestination interviennent deux causes : l’une est nécessaire, c’est Dieu lui-même : l’autre est contingente, c’est le libre arbitre, il faut donc que l’effet de la prédestination soit contingent. Dès lors, puisque Dieu sait et veut qu’un tel aboutisse à telle fin, il a la certitude de la prédestination ; mais parce que Dieu veut que cet homme soit dirigé vers cette fin selon le libre arbitre, la certitude en question n’impose au prédestiné aucune nécessité. » Quæst. quodlib., quodl. xr, a. 3.
4 U Le libre arbitre et la grâce efficace. — Cette question est déjà touchée, à l’art. Grâce, t. vi, col. 1662 sq., où l’on indique l’attitude prise devant le problème de l’efficacité de la grâce par les diverses écoles théologiques. On indiquera seulement ici les principes généraux de solution.
Dieu, objecte-t-on, ne connaît pas seulement, il fait encore avec nous les actes qu’il prévoit. En admettant que la liberté humaine demeure intacte quoi qu’il en soit de la science divine, comment la concevoir saine et sauve avec une science qui opère ce qu’elle prévoit ou, du moins, est jointe à une action dont l’effet est certain. Ce qui peut se ramener au syllogisme suivant : L’homme ne saurait être libre quand il est soumis à une influence toute-puissante à laquelle il lui est impossible de résister. Or, l’homme ne peut pas arriver au ciel sans le secours de la grâce efficace, et celle-ci est de telle nature qu’elle obtient toujours son effet. Donc, avec cette grâce, la liberté de l’homme ne saurait subsister.
Nous laissons passer la majeure de cet argument : concédons la première partie de la mineure, mais distinguons soigneusement la seconde : la grâce efficace obtient son effet indépendamment du consentement de la volonté, nous le nions. Elle l’obtient avec sa libre coopération : qu’on nous permette une sousdistinction : cette libre coopération est requise comme cause de son efficacité, nous le nions : elle est requise comme condition sine qua tlOtl, nous l’accordons
Et voici comme l’on peut restituer l’ensemble des grands principes qui dominent la question. Dieu a fait l’homme par pure bonté. Ce ne pouvait pas être pour que l’homme périt. Ceux qui sont saines ne seront donc pas les seuls que Dieu veut sauver Dieu veut.
d’une volonté antécédente, sérieuse, sincère, et active.
le salut de tous les hommes I fini., n. I < es hommi s que Dieu veut sauver, il ne les abandonne pas a eux
mêmes ; il faut qu’il h-s gouverne. Mais le peut-il s’il
ignore ce qu’ils doivent faire et ce qu’ils feront
Les actions libres de l’homme sont donc éternellement
présentes à la science infinie de Dieu. Cf. I lebr.. îv. 13.
Savoir ne su Mil pas. Celui qui gouverne parfaitement
doit posséder la raison totale de son gouvernement.
dire voir la lin.i laquelle aboutiront ceu qu’il G79
- LIBERTÉ##
LIBERTÉ. PROBLÈMES T II ÉOLOGIQUES
080
conduit, les moyens par lesquels cette fin sera infailliblement atteinte, ordonner les moyens à la fin. II y a donc une Providence Mais la fin de l’homme étant proprement et absolument surnaturelle, les moyens proportionnés à cette fin n’appartenant pas à l’ordre de la nature, l’acte par lequel Dieu ordonne et conduit à leur fin ceux qui seront sauvés est un acte de providence spéciale. Nous devons donc croire qu’il y a une prédestination. Cette prédestination ayant pour principe ce qui n’est point dû à notre nature, ce qui ne peut être obtenu par nos mérites, nous devons croire que, considérée dans son ensemble, elle est purement gratuite. Rom., xi, 35. Et parce qu’elle est fondée sur la science infaillible et la volonté toute-puissante de Dieu, cette prédestination est certaine et immuable.
Dieu est la justice même, il ne récompense que le mérite, il ne châtie que le démérite ; nous devons donc croire que l’homme, par la coopération de son libre arbitre à la grâce, peut mériter de Dieu la vie éternelle, que, parlerefus de sa coopération, il se rend digne de la réprobation ; cf. Conc. Trident., sess. vi, can. 26, Dsnzinger, n. 836. Nous disons : la coopération du libre arbitre à la grâce de Dieu, car notre nature est incapable de commencer toute seule le grand ouvrage de notre sanctification. Aucune œuvre naturelle ne peut mériter, à aucun titre, - le don ineffable par lequel Dieu nous prévient et nous attire à lui. Par conséquent la grâce, comme son nom l’indique, est un don entièrement gratuit de la bonté divine. Cf. Conc. Arausicanum II, can. 18, Denzinger, n. 191.
La grâce dont il est ici question est la grâce actuelle. Par cette grâce, Dieu meut intrinsèquement l’intelligence et la volonté de l’homme à cette fin de le déterminer à connaître, vouloir et faire quelque chose. On peut la considérer sous deux aspects : d’abord en elle-même, puis dans son effet nécessaire et le plus proche. A ce second point de vue, elle n’est autre chose que l’acte surnaturel indélibéré d’une puissance mue par Dieu, acte qui, en un sens très vrai, est dit être en nous sans nous. Mais, prise en elle-même, la grâce actuelle est une motion reçue dans la faculté et servant de principe à son acte. L’entité foncière de cette grâce ne varie pas, qu’elle soit ou non suivie de son dernier effet, à savoir un acte salutaire délibéré qui, conséquemment, reste toujours au pouvoir de la volonté. Cf. Billot, De gratia Christi, Rome, 1912, p. 142.’C’est un dogme de foi que, sous l’action de la grâce actuelle, le libre arbitre subsiste tout entier. Si quis dixerit liberum hominis arbitrium a Deo motum et excitation nihil cooperari assentiendo Deo excitanli atgue vocanti guo ad obtinendam justificationis gratiam se disponat ac præparet, neque posse dissentire si velit, amthema sit. Conc. Trid., sess. vi, can. 4, Denzinger, n. 814.
La grâce actuelle à laquelle l’homme coopère est appelée efficace parce qu’elle obtient son effet ; elle retient le nom de suffisante lorsqu’elle est rendue inutile par la résistance de notre volonté. Mais d’où vient à cette grâce le caractère d’efficacité ?
Dans trois sens seulement la grâce peut être dite efficace. Ou bien elle est efficace par la vertu que, dans son ordre, elle possède de causer le consentement salutaire. Ou bien elle l’est par l’obtention éventuelle de cet effet ; ou bien, enfin, par la connexion infaillible qu’elle soutient avec lui. Dans le premier sens, l’efficacité est intrinsèque à l’entité même du secours divin. De plus, elle est commune à toute grâce que Dieu nous accorde pour toute œuvre de salut. De cettemanière, la grâce qui est reçue en vain doit être tenue pour efficace et en prendre la qualification, car rien ne lui manque pour obtenir l’effet qu’elle est appelée à produire. Ce n’est pas dans ce sens que nous prenons ici l’efficacité de la grâce ; il s’agit là, en effet, d’un
caractère absolument commun à tous les secours divins, sans rien de distinctif et de nettement tranché
— Avec le second, la signification du mot efficace est plus restreinte et mieux délinie, mais elle se limite à un simple fait contingent et ne présente pas une base assez solide pour asseoir une dénomination spécifique et vraiment caractéristique. — Cette base se rencontre dans le troisième sens qui s’élève au-dessus du fait contingent et considère l’efficacité d’après une connexion antécédente et infaillible du secours de la grâce avec le consentement du libre arbitre. Ici, il s’agit évidemment d’un don spécial de Dieu, et nous sommes en présence d’un bienfait divin de tout premier ordre. Cette grâce efficace ainsi entendue n’est autre, dans la sainte Écriture, que Yappel suivant le décret divin dont il est question dans Rom., viii, 28 ; Scimus autem quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, iis qui secundum propositum vocati sunt sancti, et II Tint., i, 9 : Qui nos liberavit, et vocavit vocatione sua sancta, non secundum opéra noslra, sed secundum propositum suum, et gratiam quæ data est nobis in Christo Jesu ante temporalia sœcularia. La vocation dont il est ici question n’est pas une vocation quelconque, mais une vocation selon un dessein de Dieu qui ne saurait être frustré, car Dieu, par des moyens qui infailliblement atteignent leur fin, opère tout ce qui se trouve dans le décret absolu de sa volonté.
Maintenant d’où vient à la grâce actuelle cette connexion infaillible avec le consentement salutaire, connexion qui est propre à l’appel suivant un décret divin ? De l’une ou de l’autre de ces deux sources : ou bien de quelque chose d’intrinsèque à cette grâce, c’est la position des augustiniens et des thomistes de stricte observance ; ou bien de quelque chose qui lui est extérieur, c’est la position qu’adopte l’école moliniste dans son ensemble. On a déjà indiqué (et l’on y reviendra à l’art. Thomisme), de quelle manière les partisans de la grâce efficace ab intrinseco sauvegardent l’existence de la liberté humaine sous l’influx de la grâce. Pour qui raisonne d’une manière anthropomorphique, il peut sembler difficile de concevoir comment une grâce qui, par sa nature même, emporte le consentement de la volonté, laisse subsister la liberté. Mais les thomistes ne manquent pas de faire observer que la grande aversion que professe l’école adverse pour la prémotion physique est due en majeure partie à la piperie des mots. Pour combattre plus aisément la prémotion physique, on assimile, ou l’on feint d’assimiler, l’action de la cause première sur la volonté à celle d’une cause seconde sur une autre cause seconde, et l’on oublie que la cause première, source de tout être, de toute activité, de toute détermination, fait agir la cause libre librement, comme elle fait agir nécessairement la cause dépourvue de liberté. De l’une comme de l’autre elle respecte le mode d’activité. Que l’explication soit lumineuse, les vrais thomistes possèdent trop le sens du mystère pour l’affirmer. A qui les serrerait de trop près, ils finiraient par dire que leur affirmation n’est pas autre chose qu’une manière de mettre en relief le souverain domaine de Dieu. Ils ne permettent pas, en tout cas, qu’on mette en doute leur croyance foncière à l’existence du libre arbitre. — Pour concevoir d’une autre manière le mécanisme suivant, lequel agit la grâce efficace, les augustiniens adoptent néanmoins la même attitude et prétendent eux aussi conserver les deux termes du problème, efficacité de la grâce et liberté de la volonté humaine.
C’est dans une autre direction, où l’imagination semble davantage trouver son compte, que les molinistes de toutes nuances cherchent la solution du problème. La racine dernière de l’infaillible connexion entre l’appel divin et la démarche de la volonté se
trouve dans la prescience et Vélection de Dieu. Entre toutes les grâces dont il dispose pour mettre en mouvement le vouloir créé, même le plus rebelle, Dieu choisit celle qu’il sait devoir, eu égard à toutes les circonstances, emporter le consentement libre de la volonté. Dans le cas de la grâce efficace, l’appel divin est si complètement adapté aux conditions présentes de l’homme auquel il s’adresse, qu’infailliblement cet homme répondra : « Présent. » Mais (et c’est ici que le molinisme semble oublier que le gouvernement divin touche à tous les ressorts de toutes les activités), c’est finalement la libre détermination de l’homme qui confère à la grâce divine son efficacité : Dieu attend, si l’on nous passe cet anthropomorphisme, ne serait-ce que pendant une fraction inappréciable de temps, le libre consentement de la volonté humaine. La liberté est sauvegardée, mais ne serait-ce pas au prix de la souveraine indépendance divine ?
En définitive, le problème de l’accord du libre arbitre et de la grâce efficace est insoluble. Nous sommes ici dans le mystère qui enveloppera toujours les relations du fini et de l’infini. L’essentiel est d’affirmer d’une part la souveraine indépendance divine dans le gouvernement du monde, de l’autre la liberté laissée à l’homme dans l’affaire de son salut. Ces deux affirmations se développent en somme sur deux plans parallèles. Vouloir découvrir leur point de rencontre est une entreprise chimérique. Pour exciter en nous une curiosité plus grande que d’autres dogmes de notre foi, ce mystère n’est ni plus ni moins difficile à accepter
5° Le libre arbitre et le concours divin.
"Voir Conhiiiis
divin, t. iii, col. 781-796, et spécialement, col. 787 : La coopération divine et le péché.
IV. Liberté et responsabilité.
D’une manière générale, la responsabilité consiste en ce que l’on doit Imputer certains actes, avec leurs conséquences, à celui qui les exerce, parce qu’il en est la cause véritable, c’est-à-dire intelligente et libre. Sans liberté, pas de responsabilité morale ; car c’est par le libre arbitre que l’on est vraiment le maître de ses actes. D’où l’on voit le lien étroit qui existe entre la question de la liberté et celle de la responsabilité : au point de vue moral, elles sont indissolublement unies.
1° Notion de la responsabilité.
La responsabilité
est le caractère d’un être qui doit rendre compte de ses actes et en recevoir le prix. Littré en donne cette définition : Responsabilité, obligation de répondre, d’être garant de certains actes. » On peut encore la définir : La nécessité morale de subir les conséquences de ses actions libres, si elles sont mauvaises, on d’en bénéficier, si elles sont bonnes.
Au mot ruponsablt correspond le mot imputable. I es deux ternies ont le même sens, mais ils s’appliquent différemment. La personne est responsable, es’t imputable. D’après Littré. est dit imputable ce qui peut être mis au compte moral de l’homme.
Pour que l’acte soit imputable, il faut qu’il soit fait
connaissance et liberté. L’acte qui présente ce
douille caractère s’appelle acte Immain, par opposition
ictei de In vie organique, comme la respiration,
BUS actes de la vie animale, tels que les réflexes et les
purement Instinctifs, et aux actes de l’homme
raisonnable, mais non libre, par exemple, l’amour
-lire du bonheur. Ions les actes qui SOnl privés
de l’un ou fie l’autre de ces deux éléments, el à pins
forte raison des deux, à savoir, de connaissance et de
liberté, ne sont pis des actes humaine ; ils « ml puie Bient dr l’homme. Voir ACTE HUMAIN t l
dit i i< i I’- probli me ni’me de i IPONSAHUTÉ, et <le, e qni
I tant non. Il impoiie teulemenl
de signaler les causes qui, en influant sur la liberté, influent aussi sur la responsabilité.
2° Conditions de la responsabilité.
Les conditions
de la responsabilité sont l’intelligence et la liberté, Un acte n’est imputable, on n’en est responsable, on n’en a le mérite ou le démérite que si on a compris ce qu’on a fait, et si on l’a posé librement. — Comprendre ce qu’on fait, c’est apprécier la valeur morale de l’acte, sa qualité bonne ou mauvaise, sa conformité ou sa nonconformité avec la loi, ce qui suppose un certain degré ou développement d’intelligence et d’éducation. Plus un homme est éclairé moralement, plus il est responsable ; voilà pourquoi l’indulgence est de mise pour un homme qui n’a qu’une intelligence bornée, qui n’a reçu aucune éducation. — Agir librement, c’est avoir la possibilité d’agir ou de s’abstenir. Nous l’avons établi plus haut, le pouvoir de choisir entre deux contradictoires appartient à l’essence du libre arbitre. L’on est plus ou moins responsable selon que l’on est plus ou moins maître de sa volonté, que l’on se possède plus ou moins soi-même. La liberté implique l’intelligence. La liberté de la volonté ne vient pas de la possibilité-d’agir sans raison, - mais de la puissance indéfinie de la raison à concevoir presque toujours de nouvelles raisons contraires ou différentes, de façon à pouvoir presque toujours agir autrement. La liberté a donc sa racine dans la raison même, c’est-à-dire dans la puissance de l’esprit à trouver toujours des raisons d’agir comme il lui plaît. Par conséquent, là où l’intelligence fait défaut, la liberté n’existe pas. L’être qui ne sait pas ce qu’il fait ne fait pas ce qu’il veut ; il ne s’appartient pas. Le jour où l’homme perd la raison, il cesse d’être libre, c’est-à-dire qu’il ne se possède plus lui-même. Il est, pour ainsi dire, enlevé à lui-même, comme l’exprime fort bien le nom d’aliénation mentale (aliéné, de aliénas sui, étranger à soi-même). L’n fou, cédant à une impulsion irrésistible, commet un crime : il est irresponsable ; on ne peut pas lui imputer l’acte que son bras a commis, car sa volonté y est restée étrangère. On ne le traite pas en criminel, mais en malade ; on le met dans l’impossibilité de nuire, et on cherche à le guérir. Revient-il à la santé, le mal qu’il a fait lui cause des regrets, mais non des remords. Il en est ainsi de tout homme qui a été la cause involontaire d’un mal quelconque ou qui, malgré toute sa bonne volonté, n’a pas pu accomplir un bien auquel il était tenu.
3° Conséquences.
De ce que l’intelligence et la
liberté sont les conditions nécessaires de la responsabilité, il s’ensuit que tout ce qui détruit ou diminue l’intelligence et la liberté supprime ou diminue la responsabilité. De là, quand il s’agit du mal, la distinction des circonstances atténuantes, qui diminuent la responsabilité : par exemple, l’ignorance. l’Inadvertance, la concupiscence, la crainte, la violence, l’habitude, et des circonstances aggravantes, qui l’augmentent : par exemple, la préméditation, la pleine possession de soi-même.
Aussi admettons-nous diverses mesures de responsabilité suivant que l’on juge un enfant, un homme mûr ou un vieillard, un homme qui agit par lui-même ou celui qui ne le fait que par suite de conseils on d’ordres donnés, un homme instruit ou un rustre sans éducation, un homme sain d’esprit et en pleine posses lion il’- ses facultés Intellectuelles et morales, ou bien
un halluciné, un maniaque, un homme en proie à une émotion violente ou sous l’influence de l’ivresse : dans . deux derniers cas. il peut même échapper à toute Dnsabillté an moins directe.
On voit par là combien il est difficile d’apprécier d’une manière exacte le degl’de responsabilité moi air
fie chaque homme. C’eal pourquoi l’histoire, la Justice
humaine et l’opinion doivent souvent se tromper et 683
- LIBERTÉ MORALE##
LIBERTÉ MORALE. DE CONSCIENCE, DES CULTES
G84
errerdans les jugements qu’elles portent surles hommes et sur leurs actes..Maintes fois nous essayons nous-mêmes de diminuer notre responsabilité aux yeux des autres et à nos propres yeux, en invoquant les circonstances atténuantes pour les tromper et nous tromper nous-mêmes. Il convient de ne pas se laisser duper par ces sophismes : Je n’étais plus maître de moi, je n’étais plus libre, et autres semblables qui allèguent l’inconscience et l’irresponsabilité, et derrière lesquels veulent se dérober d’ordinaire les criminels, au tribunal, dans le roman et les drames : ce ne sont trop souvent que de mauvaises excuses pour de mauvaises actions, commises parfois avec des circonstances aggravantes.
Il importe aussi de se tenir en garde contre la disposition de certains philosophes et romanciers, comme Jean-Jacques Rousseau et George Sand, à attribuer exclusivement à la société ou à sa mauvaise organisation la plupart de nos fautes et de nos vices ; à rapporter le crime non à des causes morales tirées de l’âme, mais à des causes d’ordre matériel et d’origine extérieure : tempérament, climat, race, hérédité, âge, éducation, etc. Cette tendance à extérioriser le crime, à en rechercher les mobiles ou les excuses non dans le criminel, mais exclusivement en dehors et autour de lui, est assez générale. Sans nier les influences que le milieu intérieur et extérieur peut exercer, il convient pourtant de ne jamais oublier que l’homme, quelle que soit sa constitution physique, reste libre ; la vertu se rencontre avec tous les tempéraments ; elle dépend de l’âme avant tout, et non du corps.
On ne saurait assurément nier que l’hérédité joue ici un grand rôle ; elle peut transmettre un organisme dans lequel certaines fonctions tendent à prédominer, et par là favoriser le développement exagéré de certaines inclinations. L’hérédité est incontestablement une influence, mais elle n’est pas une fatalité ; entre la tendance criminelle et l’acte, il y a place théoriquement pour la délibération volontaire. Ce qui rend d’ordiriaire une inclination dominante, c’est moins l’influence héréditaire ou extérieure, laquelle n’est jamais irrésistible, que la faiblesse de la volonté, laquelle a pris l’habitude de se laisser entraîner.
On l’a dit avec raison. Il est plus aisé de réprimer le premier désir que de contenter tous ceux qui suivent. On succombe, on se relève puis de nouveau on se laisse aller insensiblement à son inclination, jusqu’aumoment où il faudrait un acte héroïque pour triompher.
L’éducation, quand elle est mauvaise, exerce une influence corruptrice puissante, parce que c’est dans l’enfance surtout que se gravent les exemples pernicieux et que, devant i’imperfection de la force de résistance, l’instinct d’imitation agit avec toute son énergie. Alors les mauvais conseils, et surtout les exemples vicieux, ont une toute-puissance qu’ils ne retrouvent plus jamais au même degré. Quand l’éducation et l’hérédité agissent dans le même sens, par exemple dans le sens du mal, on conçoit ce qu’un pareil concours peut produire et quelle atteinte il peut porter à la liberté morale de celui qui a été soumis à cette double action. Toutefois, l’influence del’éducation est prépondérante. Opposée à l’influence de l’hérédité, elle est si grande que c’est à elle seule qu’appartient, dans la plupart des cas, le pouvoir de réaliser la ressemblance morale et psychologique des enfants et des parents. Si l’hérédité déterminait irrésistiblement et sûrement, chez les descendants, la reproduction de tous les caractères constitutifs de la personnalité des ascendants, l’éducation serait inutile. Du moment que l’éducation, et une éducation prolongée, vigilante, laborieuse, est indispensable pour provoquer l’apparition et réaliser le développement des aptitudes et des qualités de l’esprit chez l’enfant, il faut bien conclure que
L’hérédité ne joue qu’un rôle secondaire dans cette admirable genèse de l’individu moral.
Quant à la prétendue anomalie morale du criminel. elle se réduit, en dernière analyse, à ce simple fait : par son tempérament et par l’affaiblissement du sentiment moral, le criminel est porté à commettre plus facilement le crime, mais il reste libre : ce n’est pas un fou, mais un faible. D’autre part, toutes les causes sociales mauvaises peuvent bien diminuer la responsabilité, elles ne sauraient la supprimer complètement. Le criminel, quel qu’il soit, reste libre et responsable : car, jusqu’au fond de la dernière des dégradations, il reste toujours une créature humaine, un être moral, un être doué de conscience, de raison et de liberté. Certains criminalistes semblent trop oublier que, si la volonté est soumise à l’influence de causes multiples, elle est elle-même une cause d’ellets multiples ; ils mettent fort bien en relief l’action des choses sur les personnes, mais ne voient pas la réaction des personnes sur les choses. Méconnaissant la nature de la liberté, ils prennent pour causes les conditions dans lesquelles elle s’exerce ; la volonté libre est une cause qui se détermine elle-même, et non une soumission qui s’ignore.
A ces considérations, il importe d’ajouter celles qui viennent de la solidarité existant entre les membres de la société humaine, soit dans la famille, soit dans la patrie, soit dans l’humanité tout entière, solidarité qui amène, dans une mesure plus ou moins large, un partage de la responsabilité. Cette loi de la solidarité s’applique d’abord à l’individu : nous sommes, par l’habitude, solidaires de nous-mêmes. Le présent naît dupasse, et prépare l’avenir ; c’est seulement en remontant aux causes de certaines habitudes que nous pouvons nous rendre compte du degré de responsabilité qu’entraînent certains actes, où l’on semble vaincu par une force irrésistible. Mais il s’agit principalement ici de la part soit directe, soit indirecte, que nous avons à la moralité de nos semblables, et de celle qu’ils ont à la nôtre.
D’une part, l’influence exercée sur nous par les actionsd’autruipeut diminuernotre responsabilité, et. inversement, l’influence exercée sur autrui par nos propres actions peut l’augmenter. On connaît la force de l’exemple. Il ne faut cependant pas exagérer, surtout à titre de circonstance atténuante, les effets de cette loi de la solidarité ; pas plus que celle de l’hérédité, elle n’a rien de fatal, et l’homme n’a pas le droit de rejeter sur le compte d’autrui des fautes qu’il pouvait et devait éviter.
V. Liberté morale.
Liberté de conscience. — Liberté des cultes. — Le mot liberté ne s’entend pas seulement de la liberté physique (ou naturelle), appelée le libre arbitre, dont nous venons de parler ; il s’entend encore, comme nous l’avons vii, de la liberté morale, à savoir, de la faculté morale (ou droit) d’agir ou de ne pas agir.
1° La liberté morale en général.
1. Nature de la
liberté morale. — Elle consiste dans l’immunité de toute obligation légitimement imposée. Est moralement libre, dans toute la vérité du mot, celui qui n’est soumis à aucune loi. Cette seconde liberté se distingue du libre arbitre en ce que celui-ci. dans l’état présent de l’humanité, peut choisir ou le bien ou le mal, tandis que la liberté morale ne peut s’appliquer à un objet moralement mauvais, attendu que le droit ou la faculté morale de mal faire répugne dans les termes. Le mal, en effet, est un désordre, et nul ne peut avoir le droit ou la faculté morale de poser un acte contraire à la loi morale, régulatrice de l’ordre. D’autant que le libre arbitre, il importe de ne pas l’oublier, nous a été donné par la divine Providence pour que nous puissions réaliser le bien auquel nous sommes obligés de
tendre, et non pour que nous commettions le mal. « La liberté considérée comme un droit n’est pas, dit le cardinal Gerdil, le pouvoir physique de faire tout ce qui plaît, mais elle est un pouvoir moral restreint dans son origine par la loi de nature et susceptible des restrictions que les lois peuvent y apporter pour le bon ordre et l’avantage de la société. » Cité par Mgr H. Sauvé, Questions religieuses et sociales, Paris, 1888, p. 5. Le cardinal Dechamps dit à son tour : « L’homme a reçu de Dieu la liberté naturelle de choisir entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal ; mais a-t-il reçu, de Dieu, le droit de choisir le faux, le droit de choisir le mal ? Non, car la loi divine lui impose l’obligation de choisir le vrai bien, de rejeter le faux et le mal. De là vient que, dans la société domestique, dans la société civile, dans la société religieuse, le pouvoir qui exerce partout l’autorité de Dieu doit veiller à l’accomplissement de sa loi et à la répression des abus de notre liberté naturelle. Il n’est donc pas vrai que l’homme ait le droit de penser mal, et, à plus forte raison, de professer, de publier, de glorifier tout ce qui lui passe par la tête. Ce droit-là est un droit chimérique, et s’il était pleinement pratiqué de la manière que les insensés le proclament, la société n’y résisterait pas longtemps. Il est clair, en effet, que ce qu’on a le droit de professer ou de glorifier, on a le droit de le faire, ou la logique n’est qu’un vain mot. » Ibid.
L’homme n’a donc pas le droit de faire tout ce qu’il a le pouvoir de faire ; en d’autres termes, le pouvoir d’agir ne constitue pas le droit d’agir. Il y a des choses (lue l’homme peut faire en vertu de son libre arbitre, et qu’il n’est pas autorisé à faire ou qu’il lui est défendu de faire ; et, d’un autre côté, le libre arbitre est moralement obligé de faire des actes qu’il a la puissance naturelle d’omettre. Il importe donc essentiellement de distinguer entre le libre arbitre ou la liberté envisagée comme pouvoir physique (ou naturel), et la liberté considérée comme droit (ou pouvoir moral). C’est de leur confusion que sont nées plusieurs erreurs modernes. En résumé, la liberté physique ou le libre arbitre, qui consiste essentiellement à pouvoir agir ou ne pas agir, ne saurait se confondre avec la liberté morale, entendue dans le sens de droit d’agir ou de ne pas agir. Le libre arbitre, ou la puissance physique d’agir, peut être un droit, mais seulement dans le cas ou aucune loi ne restreint la liberté native de l’homme. D’où cette conséquence que le pouvoir de mal faire ne constitue pas le droit de mal faire.
2. Rapports de la liberté moral ? et du libre arbitre : Enseignement de Lion XIII. — Le pape Léon XII i a traité magistralement ce sujet si important et si délicat dans la célèbre encyclique Libertas prirstantissimum, parue le 20 juin 1888 ; n0US en extrayons (f pascapital dont nous présentons une traduction qui serre le texte de trè « près. Cf. Lettres apostolique » de Léon XIII, édition de la Maison de la Bonne Presse. t. n. p. 172-213.
Ce que nous avons directement en vue, dit Léon XIII. c’est la liberté morale considérée soit dans les individus, soit dans ] a société. Il est bon cependant de dire tout d’abord quelque ! mots de la liberté naturelle, laquelle, bien que tout à fait distincte de la liberté morale, est pourtant la source et le principe d’où toute 1 1- <le liberté découle d’elle-même et spontanément e liberté, le |ugemeni et le sens commun de tous les hommes, qui certainement est pour nous la voix
de la nature, ne la reconnalssent qu’aux elres qui ont i’usngr de l’Intelligence ou de la raison., | e’etl en elle que ((insiste manifestement la cause qui nous fait
considérer l’homme comme responsable de sis actes. l’.t il n’en saurait être autrement ; car. tandis que les animaux n’obéissent qu’aux sens et ne sont poussés que par l’instinct naturel a rechercher ce qui leur est
utile ou à éviter ce qui leur serait nuisible, l’homme, dans chacune des actions de sa vie, a la raison pour guide. Or la raison, à l’égard des biens de ce monde, nous dit de tous et de chacun qu’ils peuvent indifléremment être ou ne pas être ; et par le fait même qu’aucun d’entre eux ne lui apparaît comme absolument nécessaire, elle donne à la volonté le pouvoir d’option pour choisir ce qui lui plaît. Mais si l’homme peut juger de la contingence, comme l’on dit, des biens dont nous avons parlé, c’est qu’il a une âme simple, spirituelle et capable de penser ; une âme qui, étant telle, ne tire point son origine des choses corporelles, pas plus qu’elle n’en dépend pour sa conservation, mais qui, créée immédiatement par Dieu et dépassant d’une distance immense la condition commune des corps, a son mode propre et particulier de vie et d’action ; d’où il résulte que, comprenant par son jugement les raisons immuables et nécessaires du vrai et du bien, elle voit que ces biens particuliers ne sont nullement des biens nécessaires. Ainsi prouver pour l’âme humaine qu’elle est dégagée de tout élément mortel et qu’elle est douée de la faculté de penser, c’est établir en même temps la liberté naturelle sur son plus solide fondement. « Ainsi, la liberté est, comme nous l’avons dit, le propre de ceux qui ont reçu la raison ou l’intelligence en partage ; et cette liberté, à en examiner la nature, n’est pas autre chose que la faculté de choisir entre les moyens qui conduisent à un but déterminé ; en ce sens que celui qui a la faculté de choisir une chose entre plusieurs autres, celui-là est maître de ses actes. Or, toute chose acceptée en vue d’en obtenir une autre appartient au genre de bien qu’on nomme l’utile : et le bien ayant pour caractère d’agir proprement sur l’appétit, il faut en conclure que le libre arbitre est le propre de la volonté, ou plutôt est la volonté elle-même en tant que, dans ses actes, elle a la faculté de choisir. Mais il est impossible à la volonté de se mouvoir, si la connaissance de l’esprit, comme un flambeau, ne l’éclairé d’abord : c’est-à-direquele bien désiré par la volonté est nécessairement le bien en tant que connu par la raison. Et cela d’autant plus que, dans toute solution, le choix est toujours précédé d’un jugement sur la vérité des biens et sur la préférence que nous devons accorder à l’un d’eux sur les autres. Or, juger est le propre de la raison, non de la volonté : on n’en saurait raisonnablement douter. Étant donc admis que la liberté réside dans la x r olonté, laquelle est. de sa nature, un appétit obéissant à la raison, il s’ensuit qu’elle-même, comme la volonté, a pour objet un bien conforme à la raison. Néanmoins, chacune de ces deux facultés ne possédant point la perfection absolue, il peut arriver et il arrive souvent que l’intelligence propose à la volonté un objet qui, au lieu d’une bonté réelle, n’en a que l’apparence, une ombre de bien, et que la volonté pourtant s’y applique. Mais, de même que pouvoir se tromper et se tromper réellement est un défaut qui accuse l’absence de la perfection intégrale dans l’intelligence, ainsi s’attacher à un bien faux et trompeur, tout en étant l’indice du libre arbitre, comme la maladie l’est de la vie. constitue néanmoins un défaut de la liberté. Pareillement la volonté, pal le seul lait qu’elle dépend de la raison. dès qu’elle désire un objet qui s’écarte de la droite raison, tombe dans un vice radical qui n’est que la corruption et l’abus de la liberté. Voilà pourquoi Dieu. la perfection infinie, qui, étant souverainement intelligent et la boute par essence, est aussi souverainement libre, ne peut en aucune façon vouloir le mal moral : et il en est de même des bienheureux du ciel, grâce a la vision intuitive qu’ils possèdent du souverain bien. C’est la remarque pleine de justesse que saint Au
tin et d’autres faisaient aux pélagiens. SI la possibilité G87
- LIBERTE MORALE##
LIBERTE MORALE, DE CONSCIENCE, DES CULTES
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de faillir au bien était de l’essence et de la perfection de la liberté, Jésus-Christ, les anges et les bienheureux, chez qui ce pouvoir n’existe pas, ou ne seraient pas libres, ou du moins ne le seraient pas aussi parfaitement que l’homme dans son état d’épreuve et d’imperfection. Le Docteur angélique s’est occupé souvent et longuement de cette question ; et de sa doctrine il résulte que la faculté de pécher n’est pas une liberté, mais une servitude. » C’est ce qu’avait vu assez nettement la philosophie antique, celle notamment dont la doctrine était que nul n’est libre que le sage, et qui réservait, comme on sait, le nom de sage à celui qui s’était formé à vivre constamment selon la nature, c’est-à-dire dans l’honnêteté et la vertu. « La condition de l’humanité étant telle, il lui fallait une protection, il lui fallait des aides et des secours, capables de diriger tous ses mouvements vers le bien et de les détourner du mal : sans cela, la liberté eût été pour l’homme une chose très nuisible. Et d’abord une Loi, c’est-à-dire une règle de ce qu’il faut faire ou ne pas faire, lui était nécessaire. A proprement parler, il ne peut pas y en avoir chez les animaux, qui agissent par nécessité, puisque tous leurs actes, ils les accomplissent sous l’impulsion de la nature et qu’il leur serait impossible d’adopter par eux-mêmes un autre mode d’action. Mais les êtres qui jouissent de la liberté ont par eux-mêmes le pouvoir d’agir, d’agir de telle façon ou de telle autre, attendu que l’objet de leur volonté ils ne le choisissent que lorsque est intervenu ce jugement de la raison dont nous avons parlé. Ce jugement nous dit, non seulement ce qui est bien en soi ou ce qui est mal, mais aussi ce qui est bon et, par conséquent, à réaliser, ou ce qui est mal et, conséquemment, à éviter. C’est, en effet, la maison qui prescrit à la volonté ce qu’elle doit chercher ou ce qu’elle doit fuir, pour que l’homme puisse un jour atteindre cette fin suprême en vue de laquelle il doit accomplir tous ses actes. Or, cette ordonnance de la raison, voilà ce qu’on appelle la loi. Si donc la loi est nécessaire à l’homme, c’est dans son libre arbitre lui-même, c’est-à-dire dans le besoin qu’il a de ne pas se mettre en désaccord avec la droite raison, qu’il faut en chercher, comme dans sa racine, la cause première. Et rien ne saurait être dit ou imaginé de plus absurde et de plus contraire au bon sens que cette assertion : L’homme, étant libre par nature, doit être affranchi de toute loi ; car, s’il en était ainsi, il s’ensuivrait qu’il est nécessaire pour la liberté de ne pas s’accorder avec la raison, quand c’est tout le contraire qui est vrai, à savoir, que l’homme doit être soumis à la loi, parce qu’il est libre par nature. Ainsi donc, c’est la loi qui guide l’homme dans ses actions et c’est elle aussi qui, par la sanction des récompenses et des peines, l’attire à bien faire et le détourne du péché. « Telle est, à la tête de toutes, la loi naturelle qui est écrite et gravée dans le cœur de chaque homme, car elle est la raison même de l’homme, lui ordonnant de bien faire et lui interdisant de pécher… Elle n’est autre chose que la loi éternelle, gravée chez les êtres doués de raison et les inclinant vers l’acte et la fin qui leur conviennent ; et celle-ci, n’est elle-même que la raison éternelle du Dieu créateur et modérateur du monde. A cette règle de nos actes, à ces freins du péché, la bonté de Dieu a voulu joindre certains secours singulièrement propres à affermir, à guider la volonté de l’homme. Au premier rang de ces secours, brille la puissance de la grâce divine, laquelle, en éclairant l’intelligence et en inclinant sans cesse vers le bien moral la volonté singulièrement raffermie et fortifiée, rend plus facile à la fois et plus sûr l’exercice de notre liberté naturelle. Et ce serait s’écarter tout à fait de la vérité que de s’imaginer que, par cette intervention de
Dieu, les mouvements de la volonté perdent de leur liberté, car l’influence de la grâce divine atteint l’intime de l’homme et s’harmonise avec sa propension naturelle, puisqu’elle a sa source en celui qui est l’auteur de notre âme et de notre volonté, et qui meut tous les êtres d’une manière conforme à leur nature.
Ce qui vient d’être dit de la liberté des individus, il est facile de l’appliquer aux hommes qu’unit entre eux la société civile, car ce que la raison et la loi naturelle font pour les individus, la loi humaine promulguée pour le bien commun des citoyens l’accomplit pour les hommes vivant en société. Mais, parmi les lois humaines, il en est qui ont pour objet ce qui est bon ou mauvais naturellement, ajoutant à la prescription de pratiquer l’un et d’éviter l’autre une sanction convenable. De tels commandements ne tirent aucunement leur origine de la société des hommes…. Ces préceptes de droit naturel compris dans les lois des hommes n’ont pas seulement la valeur de la loi humaine, mais ils supposent avant tout cette autorité bien plus élevée et bien plus auguste qui découle de la loi naturelle elle-même et de la loi éternelle. Dans ce genre de lois, l’office du législateur civil se borne à obtenir, au moyen d’une discipline commune, l’obéissance des citoyens, en punissant les méchants et les vicieux, dans le but de les détourner du mal et de les ramener au bien, ou du moins de les empêcher de blesser la société et de lui être nuisible. « Quant aux autres prescriptions de la puissance civile, elles ne procèdent pas immédiatement et de plain-pied du droit naturel ; elles en sont des conséquences plus éloignées et indirectes, et ont pour but de préciser les points divers sur lesquels la nature ne s’était prononcée que d’une manière vague et générale. .. Ces règles particulières de conduite, créées par une raison prudente et intimées par un pouvoir légitime, constituent ce que l’on appelle proprement une loi humaine. Visant la fin propre de la communauté, cette loi ordonne à tous les citoyens d’y concourir, leur interdit de s’en écarter et, en tant qu’elle suit la nature et s’accorde avec ses prescriptions, elle nous conduit à ce qui est bien et nous détourne du contraire. Par où l’on voit que c’est absolument dans la loi éternelle de Dieu qu’il faut chercher la règle et la loi de la liberté, non seulement pour les individus, mais aussi pour les sociétés humaines. Donc, dans une société d’hommes, la liberté digne de ce nom ne consiste pas à faire tout ce qui nous plaît : ce serait dans l’État une confusion extrême, un trouble qui aboutirait à l’oppression ; la liberté consiste en ce que, par le secours des lois civiles, nous puissions plus aisément vivre selon les prescriptions de la loi éternelle. Et pour ceux qui gouvernent, la liberté n’est pas le pouvoir de commander au hasard et suivant leur bon plaisir : ce serait un désordre non moins grave et souverainement pernicieux pour l’État ; mais la force des lois humaines consiste en ce qu’on les regarde comme une dérivation de la loi éternelle et qu’il n’est aucune de leurs prescriptions qui n’y soit contenue, comme dans le principe de tout droit…. Supposons donc une prescription d’un pouvoir quelconque qui serait en désaccord avec les principes de la droite raison et avec les intérêts du bien public ; elle n’aurait aucune force de loi, parce que ce ne serait pas une règle de justice et qu’elle écarterait les hommes du bien pour lequel la société a été formée. « Par sa nature donc et sous quelque aspect qu’on la considère, soit dans les individus, soit dans les sociétés, et chez les supérieurs non moins que chez les subordonnés, la liberté humaine suppose la nécessité d’obéir à une règle suprême et éternelle ; et cette règle n’est autre que l’autorité de Dieu nous imposant ses commandements ou ses défenses ; autorité souveraine
ment juste, qui, loin de détruire ou de diminuer en aucune sorte la liberté des hommes, ne fait que la protéger et l’amener à sa perfection, car la vraie perfection de tout être, c’est de poursuivre et d’atteindre sa fin ; or la fin suprême vers laquelle doit aspirer la liberté humaine, c’est Dieu. »
2° La liberté de conscience.
1. Rappel des notions
relatives à la conscience. — Le mot de conscience s’applique à deux réalités distinctes. Il désigne d’abord la conscience psychologique, c’est-à-dire l’aperception par laquelle l’homme se connaît lui-même dans une vue intérieure. La conscience morale implique la psychologique, mais y ajoute un rapport avec la règle des actions humaines. Elle cherche et contrôle leur conformité avec la loi morale. Se trouve-t-elle en face d’un avenir à orienter ? La conscience prononce un double jugement : un jugement de conformité entre l’ordre à observer et L’action qu’il s’agit de faire ou d’omettre ; un jugement d’obligation qui est une excitation ou un lien, suivant que l’acte en question est conseillé ou commandé, déconseillé ou proscrit. S’agit-il d’un passé à juger ? La conscience intervient sous une autre forme, elle excuse ou accuse, elle réprimande, elle remplit de remords. Voir Sum. theol., I », q. lxxix, a. 13. La conscience morale implique une double connaissance, celle de la volonté supérieure manifestée, et celle des actions personnelles dans leur rapport avec cette volonté.
2. Dépendance foncière de la conscience morale. — (".’est de la conscience morale qu’il est ici question. Cette conscience ne saurait être libre ou indépendante des lois ontologiques de la vérité. L’adhésion au vrai connu est un droit ; l’adhésion à l’erreur ne peut pas constituer un droit véritable, car cette adhésion répugne à la tendance naturelle de l’intelligence, destinée à connaître la vérité. On ne saurait donc raisonnablement prétendre que l’homme ait le droit ou la faculté morale de penser ou de juger, comme il lui plaît, sans égard aux lois obligatoires pour sa conscience, conscience certainement liée par des règles auxquelles, sans doute, l’homme peut physiquement se soustraire en vertu de son libre arbitre, mais qu’il ne peut moralement transgresser, sans manquer à son devoir, sans aller contre l’ordre établi de Dieu. Donc la liberté ou l’indépendance de la conscience à l’égard de toute loi est une chimère, qui ne saurait être réclamer par aucun homme ou proclamée par aucun législateur.
Les lois qui lient la conscience humaine sont de diverse* sortes ; H suffit de rappeler ici que toute loi juste, émanant d’une autorité qui a droit de nous commander, lie notre conscience suivant l’intention expresse ou Implicite du législateur.
.’(. Sens acceptable du mot liberté de conscience. — a) Si l’on entend par liberté de conscience le droit de ne rendre compte qu’à Dieu seul de ce que nous pensons Intérieurement, il est bien certain qu’aucune autorité n’a le droit de demander compte à ses sujets de leurs actes purement internes. Aclus mère interni potestati cii’ih nullalenus subfacent, utpote quai nonnisi bono eommuni ertrmn prsutt, I.ehmkuhl, Theologia morallt, t. i, n. 128. Quant : i V Église, c’est en vertu de su mission divine et spirituelle qu’elle I le droit, au tribunal de l.i pénitence, de demander compte à ses enfants de leurs actes intérieurs on tout ce qui regarde
le salut et la perfection chrétienne. Santi, Prtelecti
canonlcl, Ratisbonne, 1898, t. i. tit. a, a. 15,
Ilque de façon ludlcieuie : Habet uttque Ecdesta forum pœnltentiale, m qno flldtcat de internis nninu rogilationtbui M litre fudlcta rtëplclunt directe et pro/rir tndtvldua rt non chrtatlanam toclelatem. in bot
foro minttter i entât Ipsum Deum,
qui in eo CUSU rtirnm sinripil non de Uîtiveno COtU
Christianorum, sed de bono individuali particularis fidelis. In hoc foro agitur judicium potius coram Deo quam coram Ecclesia. Igitur hoc tribunal non est proprie diclum tribuncd et forum Ecclesise, sed tribunal et forum conscienlise coram Deo. Il est également incontestable que l’Église peut, par ses lois, directement prescrire ou prohiber des actes externes même occultes, et indirectement des actes internes qui ont, avec les externes, une connexion nécessaire. Nulla est controversia. enseigne le P. Wernz, Jus Decretalium, Rome, 1905 1. 1, p. 114, Ecclesiam suis legibus posse directe præscribere vel prohibere actus externos eliam occultas, et indirecte actus inlernos, qui cum actibus externis necessario coheerent. C’est ainsi qu’il faut reconnaître le droit, qu’elle exerce au besoin, de commander en son for extérieur une adhésion interne à ses enseignements ou à ses décisions. On en trouve un exemple remarquable dans la bulle Inefjabilis Deus, qui proclame le dogme de l’Immaculée Conception. La définition est suivie de la plus sévère des sanctions à l’adresse de ceux qui auraient la présomption de professer intérieurement une doctrine contraire. Quapropler si qui secus ac a Nobis defmitum est, quod Deus avertat, præsumpserint corde sentire, ii noverint ac porro sciant, se proprio judicio condemnalos, naufragium circa fidem passos esse et ab unitale Ecclesiee defecisse. Denzinger, n. 1641. Quant aux actes purement internes, d’après le sentiment commun des théologiens et des canonistes ils ne sauraient être, en vertu de la juridiction ecclésiastique seule, directement commandés ou prohibés, au for externe, par des lois humaines. Ai actus merc interni, continue le P. Wernz, ibid., vi sclius jurisdictionis ecclesiasticæ directe in foro externo legibus humanis præcipi vel prohiberi juxta communcm sententiam theologorum et canonistarum non possunt. Cf. Suarez. De legibus, lib. IV, cap. xiii.
b) Si, par liberté de conscience, on entend le droit d’adhérer à telle ou telle opinion suffisamment probable. licite ou libre, ce droit n’est pas contesté : ce qui revient à dire que la conscience humaine est libre dans ses jugements pratiques, quand aucune loi ne restreint sa liberté native de penser ; mais quand une loi véritable lui prescrit tel ou tel jugement pratique, elle doit obéir à cette loi.
Et, comme la loi n’est manifestée à l’homme, comme règle immédiate de ses actes, que par la conscience, il est tenu de suivre ce que lui dit sa conscience, quand elle est vraie et droite, et même quand elle est invinciblement erronée, parce qu’alors il agit prudemment par suite de sa persuasion invincible. Invincibiliter erronea conscientia rêvera régula agendi evadit : hanc tenemur sequi præcipientem, permittenlem sequimur sine cutpa. I.ehmkuhl, op. cit., n. 43. Si donc, par suite d’une conscience invinciblement erronée, un homme croit que t< I acte bon est mauvais ou réciproquement, i ! n’a pas le droit de poser l’acte bon qu’il juge mauvais ; et il peut ou doit poser l’acte mauvais qu’il juge bon, sans avoir toutefois objectivement le droit ou la faculté morale de le poser, puisque la morale réprouve cet acte. Il suit dl là que, si la conscience invinciblement erronée peut imposer le devoir de mal faire, quand l’homme croit bien.mil’, elle ne saurait lui donner le droit de mal faire, parce que le droit ; m mal répugne dans les termes, et que le droit a pour fondement nécessaire la vérité Objective, tandis que le devoir peut naître d’une erreur Subjective, et qu’il ne répugne pas qu’un homme ail
h devoir de faire une action mauvaise qu’il croil un i"
Ctblement être bonne et obligatoire pour lui. d’autant que, s’il s’abstient de la faire, il croirait agi] mal, <’par là même il iolerait la loi divine qui lui commande de ne jamais rien faire contre le dtetamen de sa conscient I
i nt’mon peut entendre, par liberté de conscience,
le droit que possède l’homme de ne pas ittt oiitrnint pal la force OU la violence ù embrasser la vérité ou à donner assentiment au bien à rencontre de sa conviction intime et a sa volonté. Le savant cardinal Giuseppe l’risco, Principi di jilosofia del diritlo, c. viii, Libéria di coscienza, établit ce droit dans une page magistrale que nous citons intégralement : < L’intelligence de l’homme, dit-il, est appelée par son essence intime à la connaissance du vrai, comme la volonté à la possession du bien ; mais la première ne peut adhérer au vrai sans le connaître, comme la seconde ne peut embrasser le bien sans son libre consentement. Or, aucune force ou autorité créée ne saurait contraindre l’intelligence et la volonté d’autrui à adhérer à une doctrine, fût-elle vraie ; et l’usage qu’on ferait de la force pour obtenir ce résultat serait une véritable absurdité. Et, en effet, l’intelligence se convainc à l’aide de preuves, et la volonté s’incline vers la vérité qui subjugue l’esprit… ; la force est toujours un moyen incompétent et disproportionné pour l’obtention de ces deux effets…. Ledroit de la vraie liberté de conscience est le droit de la supériorité des forces morales de l’esprit sur la force brutale, et par suite ce droit est naturel et inviolable, comme est naturelle et inviolable la dignité de ces mêmes forces. Non seulement l’État, mais l’Église catholique elle-même ne peut violer ce droit en contraignant par la force d’adhérer à une doctrine vraie. Dans la foi catholique, c’est vraiment l’infaillible témoignage de Dieu qui est le principe objectif de l’obligation de notre assentiment ; mais notre raison individuelle, sous l’influence de la lumière de la grâce, doit connaître ce témoignage infaillible, et c’est nous-mêmes qui devons donner notre assentiment, c’est nous-mêmes qui devons être certains de ce témoignage. Croire, dit saint Thomas, est un acte de la volonté, Sum. theol., II » -II æ, q. x, a. 8, et la volonté ne consent que lorsque l’intelligence est éclairée. De même qu’une vérité ne peut être objet de notre science proprement dite, si elle n’est évidente à notre raison, ainsi il ne suffit pas pour croire une vérité qu’elle soit affirmée par une autorité infaillible ; il faut que nous connaissions cette autorité infaillible. La différence consiste seulement en ce que, dans la science, le motif objectif de notre assentiment est l’évidence même de la vérité, et le motif subjectif est la raison individuelle qui perçoit cette évidence, tandis que, dans la foi, le motif objectif de notre assentiment est la révélation ou l’autorité de Dieu, et le motif subjectif est notre raison elle-même, qui, par l’évidence des preuves, connaît ce même témoignage infaillible et la règle de la foi dont cette règle détermine l’objet. Et c’est pourquoi, si l’homme n’a pas cette connaissance, ou s’il en a une opposée, il est contraire à la nature même de la foi de le contraindre par la force à croire. Aussi l’apostolat par l’épée, qui a été l’apostolat du Coran, n’a jamais été celui de l’Évangile. »
d) La liberté légitime de conscience consiste enfin et surtout dans le droit à accomplir, sans aucun empêchement ni entrave, nos devoirs d’esprit et de cœur envers Dieu. « On peut, dit l’encyclique, Libertas præslaniissinuim, entendre la liberté de conscience en ce sens que l’homme a dans l’État le droit de suivre, d’après la conscience de son devoir, la volonté de Dieu, et d’accomplir ses préceptes sans que rien ne puisse l’en empêcher. Cette liberté, la vraie liberté, la liberté digne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine, est au-dessus de toute violence et de toute oppression, elle a toujours été l’objet des vœux de l’Église et de sa particulière affection. C’est cette liberté que les apôtres ont revendiquée avec tant de constance, que les apologistes ont défendue dans leurs écrits, qu’une foule innombrable de martyrs ont consacrée de leur sang. Et ils ont eu raison, car la grande et très juste puissance de Dieu sur les
hommes el, d’autre part, le grand et le suprême devoir des hommes envers Dieu trouvent l’un et l’autre dans cette liberté chrétienne un éclatant témoignage.
Elle n’a rien de commun avec des dispositions
factieuses et révoltées, et, d’aucune façon, il ne faudrait se la figurer comme réfractaire à l’obéissance due à la puissance publique ; car ordonner et exiger l’obéissance aux commandements n’est un droit de la puissance humaine qu’autant qu’elle n’est pas en désaccord avec la puissance divine et qu’elle se renferme dans les limites que Dieu lui a marquées. Or, quand elle donne un ordre ouvertement en désaccord avec la volonté divine, elle s’écarte alors loin de ces limites et se met du même coup en conflit avec l’autorité divine : il est donc juste alors de ne pas obéir, i
4. Liberté de conscience synonyme de libre pensée. — La liberté de conscience, telle que la proclament les incrédules, n’est point la liberté dont nous venons de parler. Ce qu’ils entendent par liberté de conscience, c’est le droit de penser et de juger, non pas conformément à la vérité objective, mais comme il leur plaît, en sorte que, à leurs yeux, la liberté de conscience n’est autre chose que l’indépendance ou l’autonomie de la pensée humaine. L’homme, disent-ils, ne relève que de lui-même dans ses actes et, par conséquent, dans ses pensées comme dans ses paroles.
a) Libre pensée absolue. — Les partisans de la liberté de conscience absolue, illimitée, veulent que la pensée et la conscience soient libres, sous prétexte que la raison humaine est sa propre loi ù elle-même : erreur fondamentale qui est condamnée dans ces deux propositions du Syllabus :
3. Humana ratio, nullo La raison humaine, sans prorsus Dei respectu habito, avoir à tenir de Dieu aucun unicus est veri et falsi, boni compte, est la règle unique du et niali arbiter, sibi ipsi est vrai et du faux, du bien et du lex et naturalibus suis virimal ; elles est à elle-même sa bus ad hominem ac populoloi, elle suffit par ses propres rum bonum curandum suffiforces à procurer le bien des cit. individus et des peuples.
4. Omnes religionis veriToutes les vérités relitates ex nativa humant gieuses dérivent d’une force rationis vi dérivant ; bine innée de la raison humaine ; ratio est princeps norma qua aussi la raison est-elle la homo cognitionem omnium norme première par quoi cujuscumque generis verital’homme peut et doit acquétum assequi possit ac débet, rir la connaissance des vérités Denzinger-Ban., n. 1703, de tous ordres.
1704.
Le droit à cette liberté ne saurait exister. En effet, si la liberté de pensée ou de conscience était absolue ou illimitée, il s’ensuivrait que la raison humaine serait indépendante dans sa pensée et dans ses jugements et, conséquemment, dans son existence aussi bien que dans son essence. Or cela répugne absolument, car la raison humaine est la faculté d’un esprit créé qui. précisément parce qu’il est créé, ne peut pas être sa propre loi. De deux choses l’une : ou il faut nier que la raison humaine soit créée, limitée, ou il faut dire qu’elle ne saurait être la règle radicale et première de ses opérations. — Le vrai est réellement distinct de la raison humaine ; car le vrai étant tout ce qui peut être connu, l’être, en tant qu’il est l’objet de l’intelligence ne peut être renfermé dans une raison finie. Donc la règle de la raison est réellement distincte de cette faculté. Voilà pourquoi la pensée de l’homme est vraie, si elle est conforme à la vérité des choses qu’il pense. Seule, la raison divine est sa règle à elle-même, parce qu’elle est la vérité absolue et la loi suprême de tout êtreetde toute vraie connaissance. Si la raison humaine était essentiellement sa propre loi, si la vérité et le bien moral appartenaient à son essence, cette raison serait évidemment infaillible. Or, l’expérience de chaque jour nous apprend que telle n’est point notre ra’son ; bien au contraire, elle est sujette essentiellement à l’erreur, par là même qu’elle est finie. Donc la raison humaine ne peut être la règle suprême de ses opérations. S’il était permis à chacun de penser ce qu’il veut, il devrait lui être également permis de penser qu’il peut légitimement conformer ses actes à ses pensées, c’est-à-dire faire tout ce qu’il veut. La liberté d’agir à sa guise est la conséquence logique de la liberté de penser à sa guise. Or, il est facile de s’en rendre compte, cette conséquence entraînerait toute espèce de désordres. Donc il est faux que la pensée soit libre dans ce sens absolu et illimité. L’homme est tenu de bien penser afin de bien dire et de bien agir : tel est l’ordre voulu par la raison, la justice et la vérité, par Dieu lui-même.
b) Libre pensée relative. — D’autres vont moins loin e( refusent d’être les partisans d’une liberté de conscience indépendante des règles du vrai et du juste ; ils prétendent seulement que c’est uniquement à la raison humaine qu’il appartient de reconnaître ces règles et de les apprécier. D’après eux, tout homme a le droit d’être respecté dans ses convictions. Repoussant la liberté absolue de conscience, ils admettent seulement la liberté relative de conscience, c’est-à-dire le droit de n’avoir que notre raison pour règle de nos jugements pratiques en matière morale et religieuse, sans que nous ayons à tenir compte de l’autorité du Christ et de l’Église. C’est la thèse brillamment soutenue par Jules Simon dans son ouvrage, La liberté de conscience, Paris, 1859.
Bile est de tous points erronée. En elïet, s’il est une vérité pratique qui s’impose à l’esprit, c’est que Dieu étant le créateur de l’homme et par conséquent son maître, l’homme est, selon toute l’étendue de son être, dans une entière dépendance envers lui. Et ce que la raison nous crie non moins fortement, c’est qu’étant elle-même une créature, puisqu’elle n’est autre chose que la faculté divinement donnée à notre âme de connaître la vérité, elle est, par sa nature même, la sujette de cette vérité : de telle sorte que, s’il plaît à la vérité incréée, qui est Dieu, de se révéler à l’homme d’une manière plus excellente, et dans des proportions plus considérables qu’elle ne l’a fait en le créant, l’homme, sous peine de trahir et sa raison et sa conscience, doit soumettre à Dieu qui lui parle son intelligence et sa volonté, c’est-à-dire, il lui doit pleine croyance et pleine obéissance. Aussi le concile du Vatican dit-il anathème à qui prétendrait que la raison est tellement indépendante que la foi ne puisse lui être commandée de Dieu. Si quis dixerit, rationcm humaii’im iln independentem esse, ut /ides ei </ Dm imperari non possit, anathemasit. Canonesde fl.de cathol., 3. De flde. can. l. Denzinger-Ban., m 18lo.
Le moyen qui doit permettre à tous de juger où est la vraie foi, d’y soumettre leur esprit et leur errur, ci d’persévérer jusqu’à la liii, c’est l’Église, Dieu, par son unique et bien-aime tils Jésus, a fondé l’Église ici bas, et il l’a enrichie de tels dons, gratifiée de tels privilèges, illustrée de tels caractères, que tout le monde (| vi. lit la oir et la reconnaître pour la dienne et la maîtresse unique du dépôt de la révélation. la seule Église catholique, en effet, appartient
le trésor Immense et merveilleux des faits divins, des miracles surtout et des prophéties, qui portent jusqu’à l’évidence la crédibilité des mystères qu’elle propose, des dogmes qu’elle enseigne, des grâces qu’elle dispense. des promesses qu’elle fait. Munie d’arguments divins iKmr prouver tout ce qu’elle avance. l’Église est encore sa preuve a elle même ; el quiconque la voudra étudier de bonne foi, el dans son origine, ei dans son re.el dans cette Immutabilité qu’elle conserve en
traversant tout ce qui change, sera forcé de convenir
qu’elle est elle-même un grand motif de crédibilité, i i
qu’elle porte avec elle l’irréfragable témoignage de sa divine légation.
Dès là qu’il existe deux ordres distincts de connaissances, et que ces deux ordres se rencontrent en fait dans le même sujet, c’est-à-dire dans l’homme croyant et raisonnable, il s’ensuit qu’il y a des rapports mutuels entre l’un et l’autre de ces ordres. Les deux ordres dont il s’agit sont distincts non seulement par leur principe, mais par leur objet : leur principe, puisque le principe de la connaissance naturelle est la raison humaine, et que la foi divine est celui de la connaissance surnaturelle ; leur objet, puisque dans l’un nous atteignons seulement les vérités de l’ordre qui nous est propre, et que dans l’autre nous commençons de saisir des secrets naturellement cachés à toutes les créatures, des secrets que, par conséquent, Dieu seul peut nous apprendre. Voir concile du Vatican, Constitutio de flde catholica, c. i, De fide et ratione, Denzinger-Ban., n. 1795. Les vérités de la foi ont un caractère essentiellement transcendant. Non seulement elles ont cette transcendance en elles-mêmes, en ce sens que, si Dieu ne les révélait à la raison créée, elles lui demeureraient tout à fait inconnues et seraient pour elles comme n’existant pas. Mais, même après que Dieu nous lésa dites, et qu’étant entrées en nous par la foi, elles font réellement partie du trésor de nos connaissances, elles n’y sont jamais cependant qu’à l’état de vérités reçues par témoignage. Le christianisme est si essentiellement la religion du mystère qu’il renie comme siens ceux qui voudraient les contester. Concil. Vatic, Can. de flde calhol., 4. De flde et ratione, can. 1, Denz., n. 1816.
Mais en même temps que la foi surpasse la raison si nécessairement et de si haut, il va de soi qu’elle ne peut jamais lui être contraire, et qu’entre ces deux lumières venues du même foyer, qui est Dieu, il ne saurait y avoir de dissension véritable. Dieu ne se nie pas lui-même, et la vérité ne se donne point de démenti. 11 s’ensuit que, si entre les vérités révélées, c’est-à-dire les dogmes de la foi ou les enseignements de l’Eglise, et les données de la raison ou de la science, il semble y avoir contradiction, ce n’est et ce ne peut être jamais qu’une apparence. Et la cause principale de cette apparente contradiction est, ou bien que l’on prend pour vérité de foi et doctrine de l’Église ce que l’Église n’enseigne pas réellement, ou qu’on l’entend et qu’on l’expose autrement qu’elle ; ou bien, c’est qu’on prend pour une vérité de raison ce qui n’est qu’une opinion particulière et une fausse vue de l’esprit. Aussi l’Église définit-elle que toute assertion contraire à la vérité révélée est absolument fausse : Omnan igitur assertionem verilati illuminatæ fldei contrariant omnino falsam esse deflnimus. Denzinger, n. 1797, cf. n. 738.
En effet, la foi étant d’une nature plus élevée que la raison, la grande règle de la subordination des ordres exige que, dans le cas de conflit, le dernier mot appai tienne à la première, Par cela seul que Dieu a institué’une autorité divine sur la terre, et qu’il lui a donné le mandat de garder Intégralement le dépôt de la foi, il lui a conféré « le droit et impose le devoir de déclarer fausse et de proscrire toute doctrine qui, usurpant le nom de science ou de philosophie, s’élève contre les dires de Dieu, contredit les vérités de fol et Infirme : i un point de vue quelconque les dogmes catholiques. " Tout chrétien donc placé en face d’opinions vraiment contraires a une doctrine de foi. et surtout en face d’opinions réprouvées de l’Église, ne peut, sans pn., rication, soutenir que Ces opinions soient des conclu sions légitimes de la seiencc : niais il est tenu île n’Voit que’I' I opinions fardées d’une fausse apparence rité.i Ibid..n. I
Enfin, ce n’est pas assez de dire « pie la foi et la rai son ne peuvent jamais se trouver in désaccord et ni
sont pas naturellement hostiles La vérité est qu’elles sont faites pour s’aider et se prêter un mutuel secours. D’un coté, la raison démontre les fondements de la foi, et, munie des lumières de celle-ci, elle cultive la science des choses divines. De l’autre la foi délivre et défend la raison d’une foule d’erreurs, et elle l’enrichit de connaissances nombreuses.
Une grave illusion de certains partisans de la liberté relatiue de conscience, entendue dans le sens illégitime dont nous venons de parler, consiste à se persuader qu’il leur est loisible de se replacer intellectuellement, tant est grande l’opinion qu’ils se font des droits de leur raison, dans un état de doute absolu, à l’effet de former de nouveau leur conviction sur la vérité ou la fausseté du christianisme et de ses enseignements. — Or, c’est là une erreur profonde, fertile en conséquences désastreuses, comme il est facile de s’en rendre compte. On oublie que, à cet égard, tout autre est la condition de ceux qui, ayant reçu le don céleste de la foi, adhèrent à la vérité catholique, et la condition des infortunés qui, par le malheur de leur naissance ou par d’autres causes, se trouvent engagés dans une religion fausse. Ceux-ci, en effet, peuvent et doivent douter de la vérité de leur croyance et de la sûreté de leur voie. Les arguments extérieurs d’une part, la lumière et les mouvements intimes de la grâce de l’autre, les excitent à ce doute qui est pour eux un commencement de délivrance et un premier pas vers la pure clarté du salut. Dès que le doute devient sérieux, il les oblige à un examen plus sérieux encore ; et ils doivent à Dieu, ils se doivent à eux-mêmes de chercher et de prier jusqu’à ce qu’ils aient trouvé, et, dès qu’ils ont trouvé, ils sont tenus de changer leur croyance. — Le’catholique, au contraire, né de Dieu et de l’Église, assisté par la grâce intérieure de l’un et par le magistère extérieur de l’autre, n’a jamais et ne saurait avoir aucune raison valable de changer sa croyance, ou même de suspendre son adhésion totale soit à l’ensemble des vérités révélées, soit à quelqu’une d’entre elles, sous prétexte qu’il veut en obtenir d’abord la démonstration rationnelle et la conviction scientifique. Dans le domaine de la foi, les investigations de l’esprit permises, conseillées, parfois même commandées au chrétien, ne peuvent jamais prendre pour point de départ un doute réel. Concil. Vat., De fide, c. iii, Denzinger, n. 179-1. Et le concile appuie par un anathème cet important point de doctrine : « Si quelqu’un dit que la condition des fidèles ne diffère pas de la condition de ceux qui ne sont pas encore parvenus à l’unique véritable religion : de telle sorte que les catholiques, après avoir embrassé la foi sous la conduite de l’Église, puissent suspendre leur assentiment et remettre cette foi en doute jusqu’à ce qu’ils aient acquis la démonstration scientifique de la crédibilité et de la vérité, de la foi, qu’il soit anathème… » Can.de fide cath., 3. De fide, can. 6, Denz., n. 1815.
Mais n’y a-t-il pas là, chez les fidèles, une sorte de dépression et un véritable servage de la raison ? Nullement. Dans l’acte de foi, en effet, indépendamment de la certitude des motifs de crédibilité, la cause qui détermine l’adhésion de la volonté et de l’intelligence n’est autre que la vérité première elle-même, c’est-à-dire Dieu, souverainement véridique. Or, la véracité divine offre plus de garantie que la lumière de l’intellect humain : c’est pourquoi, quant à la fermeté de l’adhésion, la foi s’appuie sur une plus grande certitude que n’est la certitude de la science et de la compréhension intellectuelle. Donc revenir au doute, en vue de parvenir scientifiquement à la vérité, ne serait pas un mouvement de progrès, mais de recul.
c) Liberté de pensée par rapport à l’ordre surnaturel.
— D’autres, enfin, poussant la liberté relative de conscience jusqu’à ses extrêmes limites, vont jusqu’à nier l’obligation d’entrer dans l’ordre surnaturel. Ils
rougiraient de tout ce qui les abaisserait au-dessous de leur nature, mais ils déclarent, en même temps, n’avoir aucun attrait pour ce qui tend à les élever au-dessus ; ils veulent rester hommes. Il est de l’essence de tout privilège de pouvoir être refusé. Et puisque tout cet ordre surnaturel, tout cet ensemble de la révélation est un don de Dieu, gratuitement surajouté par sa libéralité et sa bonté aux lois et aux destinées de leur nature, ils s’en tiendront à leur condition première ; après une vie honnête, vertueuse, le seul bonheur éternel auquel ils aspirent est la récompense naturelle des vertus naturelles. Dans une page d’une rare éloquence, le cardinal Pie critique vivement cette prétention orgueilleuse d’une liberté follement éprise d’elle-même, prétention qui ne va à rien moins qu’à méconnaître le souverain domaine de Dieu sur sa créature. « En effet, dit l’illustre évêque de Poitiers, on ne prouvera jamais que Dieu, après avoir tiré l’homme du néant, après l’avoir doué d’une nature excellente, n’ait pas conservé le droit de perfectionner son ouvrage, de l’élever à une destinée plus excellente encore et plus noble que celle qui était inhérente à sa condition native. Au contraire, les mêmes faits qui établissent d’une façon irréfragable que Dieu s’est mis en rapport direct et immédiat avec l’homme par la révélation, les mêmes faits qui nous obligent d’admettre la divinité des saintes Écritures et l’existence de l’ordre surnaturel, nous forcent aussi de reconnaître l’obligation où nous sommes d’entrer dans cet ordre de grâce et de gloire, sous pe % ine des châtiments les plus justes et les plus sévères. En nous assignant une vocation surnaturelle, Dieu a fait acte d’amour, mais il a fait acte aussi d’autorité. Il a donné, mais en donnant il veut qu’on accepte. Son bienfait nous devient un devoir. Le souverain Maître n’entend pas être refusé. Si l’argile n’a pas le droit de dire au potier : « Pourquoi fais-tu de moi un vase d’ignominie ? » Rom., ix, 20, elle est infiniment moins autorisée encore à lui dire : « Pourquoi fais-tu de moi un vase d’honneur ? » Quoi donc ! ouvrage rebelle, vous vous plaignez de ce que celui qui vous a pétri de ses mains, qui a tout droit sur vous, use de son droit suprême pour assigner à votre obscurité une place brillante au delà des astres ? Humble esclave de celui qui vous a donné l’être, vous vous plaignez de ce qu’il vous tire de la poussière pour vous ranger parmi les princes des cieux ! Le souverain domaine que Dieu peut exercer sur vous à son gré, vous trouvez mauvais qu’il l’exerce par la bonté ! Phénomène monstrueux de l’ordre moral, vous êtes indocile au bienfait, révolté contre l’amour ! Eh bien, le domair.é imprescriptible de Dieu s’exercera sur vous par la justice. Malheureux mendiant du chemin, le roi vous avait invité aux noces de son Fils", au banquet éternel de la gloire : c’était à vous de vous y acheminer et de vous revêtir de la robe nuptiale de la grâce pour être admis ; vous vous êtes présenté sans cet ornement prescrit : il n’y aura point de place pour vous, même dans un coin de la salle, même à la seconde table ; vous serez chassé dehors, jeté dans les ténèbres extérieures, là où il y aura des pleurs et des désespoirs. Matth., xxii, 12, 13. Le même Dieu qui, dans l’ordre de la nature, par une suite de transformations physiques. fait passer incessamment les êtres inférieurs d’un règne plus infime à un règne plus élevé, avait voulu, par une transformation surnaturelle, vous faire monter jusqu’à la participation, jusqu’à l’assimilation de votre être créé à sa nature infinie. Substance ingrate, vous vous êtes refusé à cette affinité glorieuse, vous serez relégué parmi les rebuts et les déjections du monde de la gloire : portion résistante du métal placé dans le creuset, vous ne vous êtes pas laissé convertir en l’or pur des élus, vous serez jeté parmi les scories et les résidus impars. Noblesse oblige : c’est un axiome parmi les hommes. Ainsi en est-il de la noblesse surnaturelle que Dieu a daigné conférer à la créature. La qualité d’enfant de Dieu, le don de la grâce, la vocation à la gloire, c’est là une noblesse qui oblige ; quiconque y forfait est coupable, coupable envers le souverain domaine de la paternité divine, qui punira en esclave celui qui n’aura pis voulu être traité en fils. » Cardinal Pie, Discours et instructions pastorales, t. ii, Poitiers, 1858, p. 425-427.
3° La liberté des cultes.
1. Principes généraux. —
La liberté des cultes, ou la liberté de religion, se distingue de la liberté de pensée ou de conscience, en ce que celleci se borne à l’intérieur, tandis que celle-là se produit à l’extérieur.
Dans l’encyclique Libertas præslantissimum, que nous avons citée plus haut, Léon XIII en arrive à examiner cette liberté « si contraire, dit-il, à la vertu de religion, la liberté des cultes, comme on l’appelle, liberté qui repose sur ce principe qu’il est loisible à chacun de professer telle religion qu’il lui plaît, ou même de n’en professer aucune ».Édit. citée, t. ii, p. 193. — Mais, tout au contraire, enseigne le pape, c’est bien là, sans nul doute, parmi tous les devoirs de l’homme, le plus grand et U’plus saint, celui qui ordonne à l’homme de rendre à Dieu un culte de piété et de religion. Et ce devoir n’est qu’une conséquence de ce fait que nous sommes perpétuellement sous la dépendance de Dieu, gouvernes par la volonté et la Providence de Dieu, et que, sortis de lui, nous devons retourner à lui. »
Dès là qu’une créature douée d’intelligence et de facultés morales est mise en présence de Celui qui l’a faite, elle est saisie par ce devoir : reconnaître les titres du Créateur à l’estime transcendante et au fidèle service de l’être qu’il a jeté dans l’existence. La manifestation extérieure de la vertu de religion s’app -Ile culte extérieur. « Le sentiment religieux est un devoir rigoureux : il faut donc que nous employions les signes extérieurs du culte, soit pour réveiller le sentiment religieux, soit pour le rendre plus ardent ; d’autant plus que la dissipation des affaires nous fait oublier facilement nos devoirs les plus simples, nos relations les plus intimes. Que d’hommes perdraient complètement Dieu de vue sans l’usage du culte extérieur ! Ce culte est donc dans l’ordre et son absence est un désordre. Dieu, qui veut l’ordre et défend le désordre, veut donc le culte extérieur, non qu’il en retire quelque avantage, pas plus que de nos autres vertus ; mais il ne peut pas plus approuver un désordre dans les actes religieux que dans les autres actes humains. » Taparelli, Essai théorique de droit naturel, 1. 1, t. I, c.ix. Ce culte lui-même est réglé et bien déterminé ; il n’est pas loisible à chacun de le modifier à son gré ou d’en choisir un autre. « Si l’on demande, dit Léon XIII, parmi toutes ces religions opposées qui ont cours, laquelle il faut suivre à l’exclusion des autres, la raison et la nature s’unissent pour nous répondre : celle que Dieu a prescrite et qu’il est aisé de distinguer, à certains siimes extérieurs par lesquels la divine Providence a voulu la rendre reeonnaissable. car. dans une chose de cette importance, l’erreur entraînerait des conséquences trop désastreuses. C’est pourquoi offrir à l’homme la liberté dont nous parlons, c’est lui donner le pouvoir de dénaturer Impunément le plus saint des lier, abandonnant le bien immuable
pour se tourner vers le mal : ce qui, nous l’avons dit. 1 plus la liberté, mais une dépravation de la liberté
et une’servitude de l’Ame dans l’abjection du péché.
L’est Dieu qui a f ; « it l’homme pour la société’I qui l’a Uni a ses semblables, afin que les besoins de sa nature, que ses illorts solitaires ne pourraient jamais
hier, pussent trouver satisfaction dans l’associa lion.’.es| pourquoi la Société civile, en tant que
société, doit nécessairement reconnaître Dieu comme son principe et son auteur et, par conséquent, rendre à sa puissance et à son autorité l’hommage de son culte. Non, de par la justice ; non, de par la raison, l’État ne peut être athée, ou, ce qui reviendrait à l’athéisme, être animé à l’égard de toutes les religions, comme l’on dit, des mêmes dispositions, et leur accorder indistinctement les mêmes droits. Puisqu’il est donc nécessaire de professer une religion dans la société, il faut professer celle qui est la seule vraie et que l’on reconnaît sans peine, au moins dans les pays catholiques, aux signes de vérité dont elle porte en elle l’éclatant caractère. Cette religion, les chefs de l’État doivent donc la conserver et la protéger, s’ils veulent, comme ils en ont l’obligation, pourvoir prudemment et utilement aux intérêts de la communauté. Car la puissance publique a été établie pour l’utilité de ceux qui sont gouvernés, et quoiqu’elle n’ait pour fin prochaine que de conduire les citoyens à la prospérité de cette vie terrestre, c’est pourtant un devoir pour elle de ne point diminuer, mais d’accroître, au contraire, pour l’homme, la faculté d’atteindre à ce bien suprême et souverain dans lequel consiste l’éternelle félicité des hommes, ce qui devient impossible sans la religion. « Une liberté de ce genre, dit le pape en terminant, est ce qui porte le plus de préjudice à la liberté véritable, soit des gouvernants, soit des gouvernés. La religion, au contraire, lui est merveilleusement utile, parce qu’elle fait remonter jusqu’à Dieu même l’origine première du pouvoir ; qu’elle impose avec une très grave autorité aux princes l’obligation de ne point oublier leurs devoirs ; de ne point commander avec injustice ou dureté, de conduire les peuples avec bonté et presque avec un amour paternel. D’autre part, elle recommande aux citoyens, à l’égard de la puissance légitime, ! a soumission comme aux représentants de Dieu ; elle les unit aux chefs de l’État par les liens, non seulement de l’obéissance, mais du respect et de l’amour, leur interdisant la révolte et toutes les entreprises qui peuvent troubler l’ordre et la tranquillité de l’État, et qui, en définitive, donnent occasion de comprimer, par des restrictions plus grandes, la liberté des citoyens. Nous ne disons rien des services rendus par la religion aux bonnes mœurs, et par les bonnes mœurs à la liberté même. Un fait prouvé par la raison et que l’histoire confirme, c’est que la liberté, la prospérité et la puissance d’une nation grandissent en proportion de sa moralité. »
2. Application de ces principes.
De cet enseignement magistral découlent les points de doctrine qui suivent :
a) Nous devons à Dieu un culte intérieur et extérieur, un culte privé et un culte public. Pris en lui-même. Dieu est l’être infiniment parfait et transcendant. Nous sommes au-dessous de lui, nous lui sommes soumis. Il est dès lors juste, nécessaire, indispensable que nous lui rendions un hommage absolu à cause des t it res qui lui sont personnels, un hommage supérieur à cause de titres qui sont hors de pair.
b) Dieu ayant établi, dans le but de faire arriver les hommes à leur fin dernière, un culte obligatoire et une Société également obligatoire qui n’est autre que l’Église catholique, il s’ensuit que tout homme a le droit et le devoir d’embrasser ce culte, et d’adhérer a rit le société. Il en résulte également que nul n’a le droit de rejeter le culte prescrit par Dieu et de se sous traire à l’autorité de l’Église. I.a liberté doctrinale des cultes ne saurait être admise, même au simple point rie vue de la raison Celle Cl, en effet, prescrit de rendre
i Dieu le culte qui, seul, est agréé par lui. Il est aussi
contraire b la loi morale de rendre a Dieu un culte
opposé à celui qu’il a prescrit que de ne lui rendre
aucun culte
c) Revendiquer le droit ou la faculté morale d’exercer le culte qui plaît, c’est nier qu’il existe une seule religion véritable établie par Dieu, et dont Dieu impose la pratique. Or, on le démontre surabondamment ailleurs, des preuves péremptoires militent en faveur de la religion catholique, comme de la seule religion voulue par Dieu ; et ainsi les hommes qui doivent l’embrasser ne peuvent avoir le droit d’en professer une autre. C’est donc à juste titre que Pie IX a condamné dans le Syllabus les deux propositions suivantes :
Il est loisible à chaque
homme d’embrasser et de
professer la religion qu’il
aura tenue pour vraie en sui vant les lumières de sa rai son.
Les hommes peuvent trou ver dans l’exercice de n’im porte quelle religion la voie
du salut éternel et y parve nir.
15. Liberum cuique homi ni est eam amplecti ac pro (iteri religionem quam ratio nis lumine quis ductus veram
putaverit.
16. Homines in cujusvis
religioni cultu viam alterna 1
salutis reperire seternamque
salutem assequi possunt.
Denzinger, n. 1715, 1710.
Déjà, dans l’allocution consistoriale du 9 juin 1862, Pie IX s’élevait contre ceux qui « osent malicieusement faire dériver toutes les vérités de la religion de la force native de la raison humaine, et attribuent à chaque, homme une sorte de droit primordial en vertu duquel il peut librement penser et parler de la religion, et rendre à Dieu l’honneur et le culte qu’il estime le meilleur, suivant son caprice. » Voir Les Actes pontificaux cités dans l’Encyclique et le Syllabus du 8 décembre 1864, suivis de divers autres documents, Paris, 1865, p. 400.
d) Aucun homme, nous l’avons vii, n’a devant Dieu le droit ou la faculté morale d’adhérer intérieurement à une religion fausse ; en conséquence il ne saurait avoir le droit d’exercer extérieurement les pratiques de cette religion. D’autre part, tout homme, ayant le devoir d’adhérer intérieurement et extérieurement au catholicisme, a le droit d’exercer librement son culte conformément aux règles de l’Église.
Toutefois, faisons observer ici que l’acte de foi catholique doit être un acte libre qui ne peut être extorqué par la violence. Il en résulte que le devoir d’être catholique, imposé par Dieu, ne crée au profit de personne le droit de forcer un adulte non baptisé à devenir membre de la société chrétienne. En d’autres termes, tout homme usant de sa raison a le droit de n’être contraint, ni par l’Église, ni par l’État, ni par un particulier ou une société, quelconque, à recevoir le baptême. Les enfants que l’on baptise avant l’âge de raison, suivant une discipline qui fut toujours en usage à quelque Segré dans l’Église, deviennent, il est vrai, membres de l’Église sans leur consentement formel ; il en est d’eux comme des enfants qui, par leur naissance dans un pays, deviennent citoyens de ce pays. Une fois honorés du baptême et devenus fils adoptifs de Dieu, les chrétiens ne peuvent se soustraire plus tard aux obligations que leur impose l’état surnaturt’l auquel ils ont été élevés par un bienfait spécial de la Providence, état d’ailleurs obligatoire pour tous les hommes. Et de même que l’enfant, né dans telle contrée, ne peut plus tard se prétendre exempt des lois qui régissent cette contrée et sous l’empire desquelles il a pu vivre en sécurité, de même l’enfant incorporé par son baptême à Jésus-Christ et à son Église, ne saurait s’affranchir, devenu grand, des lois divines et ecclésiastiques, qui ont pour but de maintenir et de conserver la vie surnaturelle, dont il a reçu l’incomparable don.
e) Aucun souverain ne peut, dans aucun cas, et sous aucun prétexte, établir ou sanctionner la liberté des cultes en tant qu’elle serait un droit propre à chaque homme, qui doive être proclamé et affirmé dans toute
société bien constitua-. Grégoire XVI qualifie de délire cette opinion erronée, que Pie IX condamne, à son tour, dans l’encyclique Quanta cura, du 8 décembre 1861. Ex qua omnino fulsa social is reyiminis idea liaud timent erroneum illam opinionem, catholicæ Ecclesiaanimarumque saluti maxime exitialem, a rec. mem. Gregorio XVI prædecessore Nostro deliramentum appellatam (encycl. Mirari), nimirum… libertutem conscientia et cultuum esse proprium cujuscumque hominis jus, quod lege proclamari et asseri débet in omni recte constituta societatc. Denzinger, n. 1690. Car la liberté des cultes, entendue en ce sens, est contraire à la foi et réprouvée par la raison elle-même. Celle-ci, en eilet, ne saurait admettre que l’homme ait le droit naturel, c’est-à-dire la faculté morale, d’exercer toute espèce de culte, même le culte des idoles, avec ses abominations, ou le culte qui prescrirait des sacrifices humains.
/) Tout souverain est tenu, en théorie, de protéger la vraie religion, dans la mesure de son pouvoir, suivant les exigences des temps et des lieux, de faire en sorte que les adhérents à cette religion ne soient pas troublés dans l’exercice de leur culte ni induits en erreur.
Dès là qu’on admet en effet que le but de l’État n’est pas seulement d’assurer la défense commune et de garantir les intérêts temporels de la société, on devra reconnaître aussi qu’il est tenu d’embrasser et de professer une religion déterminée, aux prescriptions de laquelle il doit conformer ses actes sociaux. Dieu, en effet, étant la fin de la société comme de l’individu, finis autem humanse vitæ et societalis est Deus, S. Thomas, Sum. Theol., P-II 86, q. c, a. 6., tous les chefs et membres d’une société ont des obligations envers Dieu, non seulement comme personnes privées, mais encore comme personnes publiques, et sont, par conséquent, tenus de rendre socialement à Dieu le culte qui lui est dû. La fin dernière de la société se confond.jusqu’à un certain point, avec la fin dernière de l’individu. Dès lors que le dépositaire du pouvoir (un ou collectif) est chargé de procurer la paix temporelle et de permettre aux citoyens de bien vivre, comme l’enseigne saint Thomas, De regimine principum, t. I, c. i, il est par là même obligé de s’inspirer de la religion pour obtenir ce double résultat. Or, la religion dont il doit s’inspirer est la religion véritable, révélée par Dieu, voulue de Dieu, à savoir, la religion catholique. De même, en effet, que chaque individu est tenu d’atteindre sa fin dernière en se conformant aux prescriptions du catholicisme, de même les détenteurs du pouvoir civil, chargés de diriger les citoyens de façon à ce qu’ils ne soient pas détournés de leur fin et même qu’ils puissent plus facilement l’atteindre, doivent aussi tenir compte de ces mêmes prescriptions dans leurs actes sociaux.
Dans l’encyclique Immortale Dei, Léon XIII expose cette doctrine avec une clarté et une précision qui ne laissent rien à désirer : « Si la nature et la raison, dit-il. imposent à chacun l’obligation d’honorer Dieu d’un culte saint et sacré, parce que nous dépendons de sa puissance et que, issus de lui, nous devons retourner à lui, elles astreignent à la même loi la société civile. Les hommes, en effet, unis par les liens d’une société commun
- , ne dépendent pas moins de Dieu que pris isolément :
autant au moins que l’individu, la société doit rendre grâce à Dieu, dont elle tient l’existence, la conservation et la multitude innombrable de ses biens. C’est pourquoi, de même qu’il n’est permis à personne de négliger ses devoirs epvers Dieu, et que le plus grand de tous les devoirs est d’embrasser d’esprit et de cœur la religion, non pas celle que chacun préfère, mais celle que Dieu a prescrite et que des preuves certaines et indubitables établissent comme la seule vraie entre toutes, ainsi les sociétés politiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune manière, ou se passer de la religion comme étrangère et inutile, ou en admettre une indifféremment, selon leur bon plaisir. En honorant la divinité, elles doivent suivre strictement les règles et le mode suivant lesquels Dieu lui-même a déclaré vouloir être honoré. Les chefs d’État doivent donc tenir pour saint le nom de Dieu et mettre au nombre de leurs principaux devoirs celui de favoriser la religion, de la protéger de leur bienveillance, de la couvrir de l’autorité tutélaire des lois, et ne rien statuer ou décider qui soit contraire à son intégrité. Et cela, ils le doivent aux citoyens dont ils sont les chefs. Tous, tant que nous sommes, en effet, nous sommes nés et élevés en vue d’un bien suprême et final auquel il faut tout rapporter, placé qu’il est aux cieux, au delà de cette fragile et courte existence. Puisque c’est de cela que dépend la complète et parfaite félicité des hommes, il est de l’intérêt suprême de chacun d’atteindre cette fin. Comme donc la société civile a été établie pour l’utilité de tous, elle doit, en favorisant la prospérité publique, pourvoir au bien des citoyens de façon non seulement à ne mettre aucun obstacle, mais à assurer toutes les faciités possibles à la poursuite et à l’acquisition de ce bien suprême et immuable auquel ils aspirent eux-mêmes. La première de toutes consiste à faire respecter la sainte et inviolable observance de la religion, dont les devoirs unissent l’homme à Dieu. Quant à décider quelle religion est la vraie, cela n’est pas difficile à quiconque voudra en juger avec prudence et sincérité. En effet, des preuves très nombreuses et éclatantes, la vérité des prophéties, la multitude des miracles, la prodigieuse célérité de la propagation de la foi, même parmi ses ennemis et en dépit des plus grands obstacles, le témoignage des martyrs et d’autres arguments semblables prouvent clairement que la seule vraie religion est celle que Jésus-Christ a instituée lui-même et qu’il a donné mission à son Église de garder et de propager. » Édit. citée, t. ii, p. 21-23.
'/> Tout en reconnaissant que la religion catholique, seule religion imposée par Dieu, a seule théoriquement un droit naturel absolu au libre exercice, et tout en la proclamant religion de l’État, le législateur civil peut licitement, sous l’empire de motifs suffisants, ne pas empêcher le libre exercice de cultes autres que le culte catholique. Il ne s’agit évidemment pas ici de toutes sortes de cultes, y compris ceux qui prescriraient des sacrifices humains ou des actes directement contraires aux premiers principes de la morale, mais de certains cultes qui ne heurtent pas de front l’honnêteté et la moralité la plus vulgaire. Cette espèce de liberté ou tolérance civile de certains cultes ne leur est pas due en justice, à titre de cultes, puisque ces cultes sont fondés sur l’erreur, et que tout droit est fondé sur la vérité ; niais cette liberté ou tolérance leur est octroyée soit pour un plus grand bien, soit pour empêcher un plus "i mal. En décrétant cette tolérance, le législateur est censé ne pas vouloir créer au profit des dissidents le droit ou la faculté morale d’exercer leur culte. mais seulement le droit île n’être pas troublés dans l’exercice de ce culte. Sans avoir jamais le droit de mal ayir. on peut avoir le droit de n’être pas empêché de mal ; iL_’ir. si une loi juste prohibe cet empêchement pour mlifs suffisants. Les rites des infidèles, dit saint Thomas, peuvent être tolérés ou pour quelque bien >pii en découle, ou pour quelque mal ainsi évité, i Infidelium ritus tolerari possunt, vel propter allquod bonum ifiiod i, et* provenit, vel proptei allquod malum quod ritiitm Sttni Theol., || » H », <| x, a. 11.
te tolérance, dans certains cas, pourra n’être qu’une tolérance de fall, tandis que, dans d’autres cas.
e plus graves mol ifs l’exigent, elle pourra èlre lie même p : ir une loi et devenir ainsi légale
i i pli e, déclare Léon MIL juge qu’il n’est pas permis de mettre les divers cultes sur le même pied
légal que la vraie religion, elle ne condamne pas pour cela les chefs d’État qui, en vue d’un bien à atteindre ou d’un mal à empêcher, tolèrent dans la pratique que ces divers cultes aient chacun leur place dans l’État. C’est d’ailleurs la coutume de l’Église de veiller avec le plus grand soin à ce que personne ne soit forcé d’embrasser la foi catholique contre son gré, car, ainsi que l’observe sagement saint Augustin, l’homme ne peut croire que de plein gré. » Encycl. Immortale Dci, ibid.. t. il, p. 43. « Laisser la liberté aux autres cultes ou la tolérer, dit le cardinal Dechamps, ce n’est pas approuver l’usage qu’on en fait. La loi qui garantit la tolérance ou la liberté civile des autres cultes, ne confère donc nullement le droit de professer et de répandre le faux, de pratiquer et de propager le mal. Ce prétendu droit est donc un non-sens, une impossibilité. Les hommes sont libres de mal penser ou de mal faire, c’est-à-dire qu’ils en ont la faculté (ou le pouvoir physique), mais ils n’en ont pas le droit (ou le pouvoir moral), et ils rendront compte à Dieu d’avoir mal usé de leur libre arbitre. » Le libéralisme, lettre à un publiciste catholique.
Autre chose, en effet, est le droit civil à la tolérance, quand celle-ci est garantie par la loi ; autre chose le droit prétendu naturel et inviolable à la tolérance. Nul homme n’a le droit d’errer ou de mal faire, nul homme n’a le droit naturel, absolu, inviolable, d’être toléré légalement dans l’exercice d’un culte qui serait faux en soi ; mais si une loi, juste d’ailleurs, accorde la tolérance d’un tel culte, le partisan de ce culte a droit à la tolérance de ce culte, sans avoir pour cela la faculté morale de l’exercer. De même, autre chose pour l’État est de protéger un culte en lui-même, autre chose est d’en protéger seulement le libre exercice, en se bornant à empêcher légalement les atteintes à ce libre exercice. En droit, le premier genre de protection ne peut appartenir qu’au culte de la vraie religion, le second est réservé aux autres cultes, dans la mesure où ils sont susceptibles d’être tolérés.
Faisons toutefois ici, à propos de trois propositions condamnées par Pie IX, les remarques suivantes :
a. — Le Syllabus, parmi les erreurs qui se rattachent au libéralisme moderne, signale celle-ci, propos. 77 ; « A notre époque, il n’est plus expédient de tenir la religion catholique comme unique religion d’État, à l’exclusion de tous les autres cultes. jEtate hac noslra non amplius expedit, rrtiyionem catholieam haberi tanquam unirani Status reliqionem, céleris quibuscumqur rultibus exclusis. Le nonobstant, il n’est pas défendu de penser qu’il peut se trouver, à notre époque, des contrées où les croyances sont tellement affaiblies et divisées, qu’il ne soit plus possible d’y proclamer la religion catholique comme religion d’État, à l’exclusion de tous les autres cultes.
b. — D’après le Syllabiis encore, propos. 78. il n’est pas permis de dire qu’on a agi d’une façon louable en certains pays catholiques (désignés par les allocutions qui s’y rapportent). en pourvoyant par la loi à ce que les et rangers qui s’y rendent puissent y jouir de l’exercice public de leurs cultes particuliers. Ilinr liiudabili ter in quibusdam catholici nnniitiis regionibus le<ie rautum est. ut hominibus illne immigranttbus liceat publicutn proprii cujuique cullus exerciiium habere. Poui tant, il n’esi pas interdit par la même de penser que dans certains pa s divises de croyances, non seulement des étrangers, mais encore des indigènes, puissent èlre admis au libre exercice de leurs cultes, quand la
nécessité l’exige.
r Le Syllabus unie également comme Inexacte la proposition suivante, n. 79 : La liberté civile d<
chaque culte et le plein pouvoir attribué à Ions dr
manifester ouvertement et publiquement ions pensé)
cl opinions, quelles qu’elles soient, ne contribuent pi à corrompre plus facilement les mœurs et les esprits des peuples et h propager la peste de l’indillérentisme. Enimuero falsuin est, civilem cujusque cultus Ubertatem itemque plénum potestutem omnibus uttributum quaslibet opinion.es pulum publiceque manifestandi conducere a t populorum mores animosque jacilius corrumpendos ac indifjerenlismi pestem propagandam. » Et pourtant, il n’est pas défendu par là même de penser que, dans certaines circonstances, le libre exercice des divers cultes, de ceux, bien entendu, qui ne heurtent pas de front l’honnêteté et la moralité la plus vulgaire, peut être licitement accordé par un législateur catholique.
En exerçant une neutralité de ce genre, le législateur, loin de violer aucun précepte de la religion catholique, en observe en réalité un autre non moins important celui qui lui défend de poser des actes propres à troubler la tranquillité publique, sans profit pour la religion, et peut-être au risque de la compromettre. Sans doute, un gouvernement ne peut pas poser un acte légal quelconque qui favorise directement une religion fausse en tant que fausse ; mais il ne lui est pas défendu de poser, sous l’empire de graves motifs, des actes légaux qui assurent à de faux cultes existants le libre exercice, au même degré (nous ne disons pas au même titre ni de la même façon) qu’au culte catholique, et qui, donnant aux partisans des faux cultes les mêmes droits civils et politiques qu’aux catholiques, les mettent sur le même pied légal au point de vue de l’exercice de leur culte. La doctrine commune doit reconnaître qu’un souverain est tenu, comme personne privée, et comme personne publique, de ne pas confondre l’erreur avecla vérité et de ne pas assimiler un faux culte au vrai culte ; mais, accorder, sous l’empire de nécessités suffisantes, à divers cultes la permission légale de s’exercer avec les mêmes garanties civiles, ce n’est point poser là un acte contraire aux principes chrétiens. Cet acte peut même, nous osons le dire, être inspiré par un sentiment catholique, si le souverain le pose pour remplir son devoir et servir la religion, autant qu’il est possible, dans les circonstances difficiles où il se trouve. Lorsque la parité déclarée entre le vrai et les faux cultes ne revêt aucun caractère dogmatique, s’abstenant de donner une approbation explicite ou implicite aux maximes professées par les cultes dissidents mais qu’elle se borne à protéger la personne de ceux qui pratiquent ces cultes, à leur garantir le libre exercice de leur religion et la jouissance des droits politiques, elle peut, dans certains cas, être légitimement et utilement établie. Sur l’histoire de la controverse, voir l’art. Libéralisme.
J. Baucher.
LIBERTÉ DE CONSCIENCE. Voir Liberté, col. 684.
LIBERTINS. — Le nom de Libertins a été donné aux membres de diverses sectes et aux adeptes de différents mouvements religieux. — I. Les libertins du xvie siècle en France. — C’est une secte qui unit aux principes de la Réforme les théories panthéistes qui subsistaient depuis le Moyen Age dans la vallée inférieure du Rhin (Frères du libre Esprit). Nous la connaissons par Calvin qui dut lutter contre elle. Ce lui fut une affliction sensible de voir sortir de sa Réforme des opinions si monstrueuses. Il va jusqu’à avouer que le pape lui-même faisait beaucoup moins de déshonneur à Dieu, car « le pape conserve une forme de religion, il ne retranche pas l’espérance de la vie future, il enseigne qu’il faut craindre Dieu, il reconnaît des différences entre le bien et le mal. il confesse que Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme, et il respecte encore l’autorité de l’Ecriture. » Œuvres, édit. d’Amsterdam, 1667, t. viii, p. 377. Cf. Lettre d ? Calvin à la reine de Navarre, t. ix b, p. 32 et 138.
La secte prend naissance à Lille vers 1525, elle est propagée par un tailleur d’habits, nommé Quentin, picard d’origine, par Chopin, puis par un prêtre fran çais, Ant. Pocques. Elle se répandit à Paris et en plusieurs provinces..Marguerite de Valois lui ouvrit un asile à Nérac. Les libertins partaient de ce principe stoïcien qu’il n’y a qu’un seul Esprit, immortel, infini et répandu partout, qui est l’Esprit de Dieu, en sorte que c’est Dieu même qui anime les hommes et qui opère tout en eux, étant intimement et formellement uni à leurs corps. Ils aboutissaient aux conséquence ! les plus absurdes et les plus impies : il n’y a pas d’autre substance spirituelle que Dieu, tout le mal et tout le bien est de Dieu comme unique agent, sans qu’on puisse en rendre l’homme responsable ; ainsi l’on ne peut rien condamner, ni punir, ni régler, ni prévoir, et toute notre fonction ici-bas est de vivre tranquilles au gré de nos désirs, sans crainte et sans espérance. La Rédemption opérée par Jésus-Christ a pour but de nous rétablir dans l’état d’innocence ou se trouvait Adam avant son péché, état qui consistait dans l’ignorance absolue de la distinction entre le bien et le mal.
Ils tournaient l’Écriture dans le sens de leurs conclusions et n’attendaient ni résurrection des corps ni jugement général. Ils vivaient d’ailleurs en épicuriens et méritaient^e nom de libertins pour leur conduite aussi bien que pour leurs croyances.
Vers 1547, un cordelier de Rouen fut mis en prison parce qu’il répandait ces doctrines, quoiqu’en un langage fort dévot. Il prétendait prouver tout son système par l’Ecriture. Il avait rassemblé des passages pour nier le péché originel, pour attribuer à Dieu seul la réprobation des méchants, pour détruire la liberté, pour établir l’homme dans une sorte de paix, de joie même, après avoir fait le mal, sous prétexte que telle est la volonté de Dieu. Il ajoutait à cela qu’il n’y a qu’un péché à craindre : la bonne opinion de notre mérite, et qu’une vertu à pratiquer : l’aveu de notre impuissance, de notre incapacité totale, aveu qui comprend, disait-il, toute la mortification, toute la pénitence, toute la perfection du christianisme.
Un pareil système si clair, si logique, aux perspectives si faciles, était goûté de beaucoup de personnes, toutes, paraît-il, de la petite Église de Calvin. On allait voir et entendre le cordelier dans sa prison ; on lisait ses écrits avec empressement ; les femmes surtout étaient charmées de sa doctrine et adoucissaient par des présents les rigueurs de sa captivité. Calvin ne put apprendre ces nouvelles sans en être indigné. Il écrivit aussitôt à Rouen pour démasquer le faux apôtre à qui l’on faisait pareil accueil (20 août 1547) et c’est de sa lettre que nous tenons ces détails.
La Lettre du réformateur est dans le style dogmatique. Il prétend y réfuter-par l’Écriture seule toutes les assertions de son adversaire. Néanmoins, on sent que sur les articles de la prédestination et de la réprobation, de l’état des hommes depuis le péché, de l’obligation d’éviter le mal et de faire le bien, Calvin fournissait des armes contre lui-même, en n’admettant aucune liberté dans l’homme pécheur, aucune volonté en Dieu de sauver ceux qui ne sont pas du nombre des élus, aucune possibilité en nous de garder les commandements, si Dieu ne nous donne pas une grâce nécessitante. Calvin accablait de reproches le cordelier hérétique, mais il disait encore plus d’injures à ces prétendues dévotes qui s’étaient laissé séduire par ce nouveau système.
Nous ignorons quelle fut la suite de cette querelle Il est certain que la secte à laquelle le cordelier de Rouen avait emprunté la plus grande partie de ses erreurs continua à faire des progrès en France parmi ceux qui étaient gagnés aux doctrines du libre e~xamen. Bientôt, le terme de libertin va s’élargir pour signifier S