Dictionnaire de théologie catholique/MAL
MAL (Le).
I. Notions préliminaires.
II. Période philosophique (col. 1680).
III. Période patristique (col. 1686).
IV. Période scolastique
(col. 1696).
V. Décisions canoniques qui ont fixé la doctrine, avant et après saint Thomas (col. 1703).
VI. Conclusion.
I. Notions préliminaires.
L’étude du mal est très étroitement liée à celle du bien. La mal, en effet apparaît immédiatement comme l’opposé du bien. Or, comme l’enseigne saint Thomas : unum oppositorum cognoscitur per alterum, sicut per lucem tenebræ. Unde et quid sit malum oportet exratione boni accipere. Sum. theol., Ia, q. xlvii, a. 1. Nous supposons donc la doctrine du bien préalablement établie Cf. art. Bien, t. ii, col. 825-843.
Le langage philosophique reconnaît trois acceptions au mot mal : il distingue : le mal métaphysique, la mal physique et le mal moral.
La mal métaphysique, imaginé par Leibniz (du moins en tant qu’espèce distincte du mal), et admis depuis par de nombreux philosophes, n’est que la limite pure et simple c’est-à-dire la négation d’une perfection ultérieure. Mais ce n’est pas là un mal proprement dit. Toute créature, en tant que telle, est limitée dans sa perfection, est essentiellement imparfaite. Admettre que cette imperfection est mal, c’est admettre que toutes les créatures, doivent être dites essentiellement mauvaises ; ce qui est faux. « Si l’absence pure et simple d’un bien était un mal, ce qui n’est pas serait un mal, et aussi toutes choses seraient mauvaises, par le fait que chacune ne possède point ce qui fait la bonté d’une autre. » Ia, q. xlviii, a. 3. Nous écartons donc cette première acception.
Le mal, c’est la negatio perfectionis débitée de l’École. Il est une privation, la privation de quelque bien convenable à la nature d’un être, et plus ou moins exigé par elle. C’est ce mal qui a, dans la langue philosophique et théologique, les deux acceptions de mal physique et de mal moral.
La mal physique, le malum naturæ de saint Thomas, désigne, en général, tout ce qui manque à une nature de ce à quoi elle a droit, de ce qu’elle devrait avoir.
Le mal moral, c’est la mal considéré dans la nature raisonnable, c’est-à-dire, dans l’action humaine. Il désigne la privation de rectitude de cette action, son manque d’ordre aux lois morales qui la régissent. Cf. Sum. theol., Ia, q. xlviii, a. 5.
Ce que nous avons à dire du mal aura trait au deux grandes questions de sa nature et de son origine ; et nous renvoyons aux articles Optimisme, Pessimisme, Prédestination, Providence tout ce qui regarde les rapports de Dieu et du mal.
Ainsi limitée, l’étude du mal peut être envisagée au point de vue doctrinal et au point de vue historique. La synthèse thomiste nous fournira la doctrine. Quant à l’histoire du problème, trois périodes sont à distinguer, la période philosophique, la période patristique, et la période scolastique.
La période philosophique est assez confuse. II ne semble pas que le problème se soit posé dans toute son ampleur aux anciens philosophes, et leurs réponses sont si vagues, parfois si contradictoires qu’on a peine à démêler leur pensée exacte. Le même flottement, la même confusion se remarquent chez les premiers Pères ; mais les erreurs gnostiques, puis le dualisme manichéen les obligeront peu à peu à prendre position. Il nous faudra cependant attendre saint Augustin pour rencontrer un corps de doctrine net et solidement établi, doctrine que précisent, plus tard, les premiers scolastiques. Enfin, avec saint Thomas, nous aurons une synthèse complète et définitive, passée, depuis lors, dans l’enseignement catholique.
II. Période philosophique.
1° Nous trouvons peu de choses, dans la philosophie ancienne, sur la nature du mal ; à peine quelques textes épars qui montrent que la grande préoccupation n’était pas là.
Dans le Sophiste, c. xv, 227, édit. Didot, t. i, p. 171, Platon, place dans l’âme deux sortes de maux. L’un est la méchanceté ou discorde, maladie de l’âme ; l’autre est l’ignorance ou laideur, qui n’est pas autre chose que l’extravagance d’une pensée égarée dans ses recherches, qui rend l’âme déraisonnable, et donc difforme et dépourvue de mesure. Or, « maladie, discorde, difformité, manque démesure, ce sont là autant de noms désignant privation. » Cf. Petau, Dogm. theol., De Deo, t. VI, c. iv, édit. Vivès, t. i, p. 517.
Aristote, dans l'Éthique, ramène aussi le mal à la privation. Le mal consiste dans un excès ou dans un défaut, c’est-à-dire dans un écart de la mesure ; donc dans une privation. Ethic., t. II, c. v.
Pour Plotin « le mal est l’opposé de la forme, contrarium formæ », partant privation. Or, une privation réside toujours in alio, elle ne subsiste pas en elle-même. Si donc le mal consiste dans une privation, il y aura mal quand il y aura privation de forme. « Le mal, dit-il encore, est boni absentia. » I. Enn., l. VIII, c. ii et dans l'Enn. III., l. III, c. v, il développe une doctrine analogue.
Le philosophe Salluste, un des correspondants de Julien l’Apostat, se demande, dans un petit opuscule intitulé : Περὶ θεῶν καὶ κόσμου : Puisque les dieux sont bons et qu’il font toutes choses, comment se fait-il qu’il y ait du mal dans le monde ? Mais, ne convient-il pas de dire d’abord que, puisque les dieux sont bons, et qu’il font toutes choses, c’est qu’il n’y a pas de nature mauvaise, mais que le mal provient de l’absence du bien ; comme les ténèbres ne sont pas d’elles-mêmes, mais ont pour origine l’absence de lumière. » Op. cit., c. xii.
2° L’origine du mal retient plus longuement les recherches des philosophes. Constatant la dualité tout au moins apparente du monde, le fait, auprès du bien, de l’existence du mal, qui pèse sur l’homme comme une fatalité, comme une puissance souveraine, dynamique, à l’étreinte de laquelle on ne peut échapper, la pensée venait d’elle-même d’en rechercher l’origine. D’où vient-il ? — La doctrine de la création ex nihilo aurait rendu la réponse facile, mais dans l’antiquité, aucun philosphe, pas même Aristote, ne s’élève jusque-là. Dès lors, il ne restait que deux solutions possibles : le panthéisme émanatiste et le dualisme. L’une et l’autre a ses représentants. La première ne nous intéresse guère ici ; d’autant moins que l’on peut dire que la réponse presque générale de l’antiquité à la question de l’origine du mal est un dualisme plus ou moins prononcé.
« Il est une opinion qui remonte à la plus haute
antiquité, écrit Plutarque. Elle nous enseigne que l’univers ne flotte pas au hasard, sans être gouverné par une puissance intelligente ; que ce n’est pas une raison unique qui le conserve et le dirige… Mais il faut admettre deux principes contraires, deux puissances rivales… De là ce mélange de bien et de mal dans le vie humaine comme dans le monde physique, sinon dans l’univers entier, au moins dans ce monde sublunaire, qui, plein d’irrégularités et de vicissitudes, éprouve des changements continuels. Car si rien ne se fait sans cause et qu’un être bon ne puisse produire rien de mauvais, il faut qu’il y ait dans la nature un principe particulier qui soit l’auteur du mal, comme il y en a un pour le bien… Presque unis les peuples, et surtout les plus sages, ont fait profession de cette doctrine, Plutarque, De Iside et Osiride, c. xlv, édit. Didot, t. i, p. 151.
Cette dernière assertion est assez exacte, si l’on ajoute que le dualisme de tous ces peuples, ou mieux de leurs philosophes, est loin d’atteindre aux formules retranchées de Plutarque.
1. Chez les peuple orientaux.
Signalons en Chine, (surtout Lao-Tseu), une timide tentative de dualisme, avec les deux principes féminin (yin) et masculin (yang). L'Un produit Deux, en se partageant en yin et yang. Deux produit trois… L’ordre, révolution et relations de l’univers et de ses parties répondent a l’ordre, au développement et aux relations des nombres. Comme ceux-ci se divisent en impairs et en pairs, ainsi les substances cosmiques se divisent en célestes et en terrestres : le nombre impair, comme plus parfait, répond aux premières ; le nombre pair, moins parfait, répond aux secondes.
Les Perses nous donnent un dualisme radical d’où sortira plus tard le dualisme théologique des manichéens, Zoroastre en est le père ; sa doctrine est exposée dans les livres sacres de l’Avesta. Qu’est-ce que le monde ? Un mélange de bien et de mal, de pensée et de matière, de vérité et de fausseté, de lumière et de ténèbres. Ce mélange suppose l’existence de deux principes, en lutte dans l’univers : l’un bon, principe de vérité et de lumière, Ormudz ; l’autre mauvais, principe de mensonge et de ténèbres, Ahriman. « Il existe deux génies, le bon et le mauvais ; ils sont également libres, et ils règnent sur la pensée, sur la parole et sur l’action. Par suite de leur opposition, ces deux génies produisent toutes les actions humaines : l’être et le non-être, le premier et le dernier sont les effets qui répondent a ces génies ou dieux. »
« Les Chaldéens supposaient que les planètes étaient autant de dieux, dont deux opéraient le bien, deux étaient malfaisants, et les trois autres participaient des qualités opposées de ces quatre premiers. » Plutarque. De Iside et Osiride, c. xlvi et xlviii, ibid., p. 452.
2. Chez les Grecs.
Bien que Plutarque prétende que « la doctrine des Grecs et connue de tout le monde », ibid., p. 453. l’on doit avancer ici avec précaution et prendre garde aux nuances.
Pour le peuple, le dualisme est une explication facile et satisfaisante. « Ils regardent Jupiter Olympien comme l’auteur de tout le bien qui se fait, et Pluton comme la cause du mal. Ils disent que l’harmonie est née de Mars et de Vénus. La première de ces divinités est cruelle et farouche, l’autre est douce et sensible. Plutarque, loc. cit.
Quant aux philosophes voici ce qu’en dit Plutarque. « Les systèmes des philosophes sont conformes à cette doctrine. Pour Heraclite, le combat est le père et roi de tout ; tous les êtres ne naissent que de l’opposition et de la contrariété. Empidocte donne au principe du bien le nom d’amour, d’amitié, souvent celui d’harmonie : le principe du mal, il le nomme la discorde et la rixe. Les Pythagoriciens appellent le principe du bien : unité, défini, stable, droit, impair, lumineux… ; le principe du mal : dyade. Indéfini, mû, courbe, pair, ténébreux… Toutes ces qualités, disent-ils, sont les principes des êtres. Anaxagore appelle le principe bon intelligence, le principe mauvais infini… » De Is., ibid., p. 153.
Il paraît en effet certain, qu’à quelques exceptions près, tous les philosophes antérieurs a Platon aboutissent au dualisme dans leurs essais d’explication du monde. Ils admettent auprès de l’Intelligence ou de Dieu, une Matière éternelle et chaotique à laquelle Dieu communique le mouvement, l’ordre et la vie, « Comme on vit qu’il y avait, dans la nature, des choses contraires aux choses bonnes, qu’il n’y avait pas seulement de l’ordre et du beau, mais aussi du désordre et du laid, que même les choses mauvaises étaient plus nombreuses que les bonnes, et les laides plus nombreuses que les belles, il se lit que quelqu’un introduisit l’amitié et la discorde comme causes respectives de ces deux classes d’étres. Car, si l’on veut suivre ce que dit Empédocle et le comprendre selon sa pensée, non selon les bégaiements de ses discours. on découvrira que l’amitié est la cause des choses bonnes, et la discorde la cause des choses mauvaises. si donc l’on disait qu’en un certain sens Empédocle a dit, et même a dit le premier, que le mal et le bien sont des principes, on parlerait peut-être assez, justement, s’il est vrai que la cause de toutes les choses bonnes soit le bien en soi. [et que la cause des choses mauvaises soit le mal]» (l’authenticité de ces derniers mots est douteuse). Aristide., Metaph., l. I. c. iv.
Aristide constate encore que Parménide aboutit aussi au dualisme, « Parménide admet comme causes, non seulement un, mais en outre, dans un certain sens, deux principes » . Metaph., t. i, c. iii. « Forcé de se mettre d’accord avec les faits, et, en admet tant l’unité par la raison, d’admettre aussi la pluralité par les sens, Parménide en revint à faire deux les causes, et deux les principes, chaud et froid, savoir feu et terre : le chaud qu’il rapporte à l’être, et le froid qu’il rapporte au non-être. » Metaph., t. I, c. v.
En est-il de même de Platon ? — A en croire Plutarque, il serait nettement dualiste. « Platon qui ordinairement aime à voiler, a envelopper sa doctrine, donne souvent au principe du bien le nom de l’Être toujours le même, et à celui du mal le nom de l’Être changeant. Mais dans son livre des Lois, qu’il composa dans un âge plus avancé, il dit en termes formels, sans énigme et sans allégorie, que le monde n’est pas dirigé par une seule âme, qu’il en a peut-être un grand nombre, mais au moins deux, dont l’une produit le bien, et l’autre, qui est opposée à celle-ci, est la cause du mal. » De Is., ibid., p. 453. Cf. Symposiaques, l. VIII, q. ii, t. ii, p. 877. Beaucoup d’auteurs, même modernes, souscrivent à ce jugement. Cf. Petau, Dogm. theol., t. i p. 519. D’autres marquent quelque hésitation. « Pour Platon, Dieu est l’Étre et le sempiternel présent, parce que seul il est ἀγέννητος et immuable, Timée, 27 sq. ; 37 sq., édit., Didot, t ii, p. 204, 209, et l’on discute cependant, non sans de graves raisons, sur le dualisme de ce philosophe. » Art. Création, t. iii, col. 2046.
Si l’authenticité des Lettres était moins douteuse, l’on pourrait s’appuyer sur la lettre ii, pour insinuer que Platon n’a pas voulu résoudre la question du mal. « Comment répondre, ô fils de Denys et de Doris, à ta question, quelle est la cause du mal en général?… Pour toi, tu m’as dit dans tes jardins, sous les lauriers, qu’après y avoir réfléchi, tu avais seul la solution de ce problème. Et moi Je t’ai répondu que, si tu avais réussi a te satisfaire, c’étaient bien des discours que tu m’épargnerais. Jamais je n’avais rencontré personne qui eût fait cette découverte, ai-je dit encore, et elle m’avait coûté force recherches. » Epist., ii, à Denys, édit. Didot, t. ii, p. 519.
Les résultats de ces recherches sont épars dans l’œuvre platonicienne, on peut les résumer ainsi. Pour Platon, Dieu est l’Être absolu, le Bien suprême, l’Idée créatrice des choses ; il est l’origine et la raison suffisante du monde intelligible des idées et du monde sensible. Néanmoins, il y a deux choses qui échappent a la causalité de Dieu : la matière et le mal.
Le mal car « Dieu est essentiellement bon, et rien de ce qui est bon n’est porté à nuire. Ce qui n’est pas porté à nuire ne saurait nuire en effet, ni faire du mal, ni être la cause d’aucun mal. Ce qui est bon n’est donc pas cause de toutes choses : il est cause du bien, mais il n’est pas cause du mal. Ainsi, Dieu étant essentiellement bon, il n’est pas cause de toutes choses, comme on le dit communément. Et si les biens et les maux sont tellement partagés entre les hommes, que le mal y domine, Dieu n’est cause que d’une petite partie de ce qui arrive aux hommes, et il ne l’est point de tout le reste. On doit n’attribuer les biens qu'à lui ; quant aux maux, il en faut chercher une autre cause que Dieu. » République, t. ii, 379, édit. Didot, t. ii, p. 37.
Cette cause, c’est la matière, éternelle, indépendante de Dieu. « La cause de cela (du trouble de l’agitation du monde) c'était l’élément matériel de sa constitution, lequel a son origine dans l’antique nature, livrée longtemps à la confusion avant de parvenir à l’ordre actuel. C’est, en effet, de celui qui l’a composé que le monde tient tout ce qu’il a de beau ; et c’est de son état antérieur qu’il reçoit, pour le transmettre aux animaux, tout ce qui arrive de mauvais et d’injuste dans l'étendue du ciel. » Politique, c. xvi, 276, édit. Didot, t. i, p. 586.
Dans le dialogue des Lois auquel fait allusion le texte cité de Plutarque, la même doctrine s’affirme sans détours : « N’est-ce pas une nécessité d’avouer que l'âme est le principe du bien et du mal… et de tous les contraires, si nous la reconnaissons comme la cause de tout ce qui existe ? Cette âme est-elle unique, ou y en a-t-il plusieurs ? Je réponds qu’il y en a plus d’une ; n’en mettons pas moins de deux, l’une bienfaisante, l’autre qui a le pouvoir défaire le mal. » Les Lois, l. X, 896. édit. Didot, t. ii, p. 450. Et dans l’Epinomis ou le Philosophe, 988 : « Dans notre sentiment, l'âme étant la cause première de cet univers, et tous les biens étant d’une certaine nature, et tous les maux d’une nature différente, il n’y a rien de surprenant que l'âme soit le principe de toute tendance, de tout mouvement ; que la tendance et le mouvement vers le bien viennent de la bonne âme, et le mouvement vers le mal de la mauvaise. » Ibid., t. ii, p. 513.
Cette âme mauvaise, principe du mal, est-ce autre chose que la matière primitive, éternelle, nécessaire, dont le monde a été fait, qui façonnée par Dieu, et sous ses ordres, par l’âme universelle qui anime toute la nature, a servi ensuite à composer les différents êtres ?
Il semble donc bien difficile d’innocenter Platon de dualisme ou, tout au moins, de tendance caractérisée au dualisme. C’est l’avis d’Aristote qui ne craint pas de rapprocher son maître d’Empédocle et d’Anaxagore. « Platon, dit-il, admet deux éléments… Il assigne à l’un la cause du bien, et à l’autre celle du mal. Ce qu’avaient déjà en vue quelques-uns des philosophes antérieurs, par exemple, Empédocle et Anaxagore. » Métaph., l. I, c. vi, in fin. Cf. art. Bien, t. il, col. 827.
Aristote, qui met ainsi en relief l’erreur de ses prédécesseurs, n'échappe pas lui-même à toute critique. Plutarque le range parmi les dualistes : « Aristote nomme le premier principe (principe bon) la forme, et l’autre (le mauvais) la privation. » De Is., c. xlvii, édit. Didot, t. i, p. 453.
D’après Fouillée, sa doctrine sur le mal se ramène à ceci : « Le mal n’existe pas par lui-même, et il n’existe pas non plus par Dieu. Dieu est la raison unique de tout ce qu’il y a de bien en tout être. Chaque être reçoit de Dieu selon son pouvoir « l'être avec la vie : τὸ εἷναι τε καὶ ζῆν, De cælo, I, ix, et par conséquent le bien. Mais cette participation au bien est inégale. « plus faible chez les uns, plus complète chez les autres », Phys., VIII, vii ; De gener. et corrupt., II, x ; et la raison en est dans la nécessité invincible ou fatalité de la matière, c’est-à-dire de la puissance qui enveloppe l’imperfection et l’impuissance. Hist. de la philosophie, p. 127.
Mais qu’est exactement cette matière ou puissance d’où dérive le mal ? — Remarquons d’abord qu’elle occupe dans la nature un domaine immense. Il y en a dans les choses sensibles, elle pénètre jusque dans l’intelligible… Seul l’Acte pur — s’il en est un — y échappe entièrement. En outre, la matière est spécifiquement multiple ou numériquement une, suivant l’aspect sous lequel on la considère. Au sens le plus obvie du mot, elle est le principe d’où sort immédiatement une forme donnée. Or, prise à ce point de vue, elle a une certaine plasticité qui la rend susceptible de plusieurs formes. Mais cette plasticité a des limites : Si bien qu’en un sens, il y a diverses sortes de matières, et chacune d’elles peut être considérée comme un genre à l'égard des formes qui lui reviennent. Mais l’on doit remonter de cette pluralité des matières à un principe plus profond, principe unique, et qui perd tout vestige de spécification. Quel est ce principe ? — Pas l’un des quatre éléments, pas davantage les atomes de Démocrite, ou les lignes et les plans de l'école de Platon, ni même l’infini d’Anaximandre. Le principe que nous cherchons, d’où sort l’inépuisable multiplicité des êtres n’a qu’une caractéristique, qui est de n’en pas avoir Ce n’est qu'à cette condition qu’il peut être la mère du monde, la nourrice de l’univers. C’est la matière première « qui n’a plus ni essence ni quantité, ni aucun des autres caractères qui différencient l'être ». Or, cette matière première doit être éternelle, elle n’a ni commencement, ni fin ; car, en tant que puissance, elle est la condition préalable de toute génération.
À la matière répond la forme : la matière est puissance, la forme est acte, l’acte de la matière ; partant, elle ne fait avec elle qu’un seul et même tout, une seule et même réalité, elle lui est immanente.
De ces concepts de matière et de forme dérivent les rapports que soutiennent entre eux ces deux principes de la substance. — La forme, sous la poussée du désir qui anime la nature, devient un principe d’action, elle s’imprime dans la matière, la pétrit du dedans, la façonne à la manière d’un architecte intérieur. Si son œuvre organisatrice n’y rencontrait aucun obstacle, elle en épuiserait la puissance et arriverait à la plénitude de son acte. Dès lors toute imperfection, tout désordre aurait à jamais disparu ; « le monde serait immobilisé dans une extase éternelle ». Mais la matière est là, dont l’influence a quelque chose d’essentiellement limitatif. Elle entraîne à sa suite, un cortège de nécessités qui sont autant d’imperfections plus ou moins graves… Toute forme exige, pour se réaliser, un ensemble de conditions à la fois difficile et complexe qui tient à la passivité de la matière. Et l'être une fois constitué, ce principe est loin d’abdiquer tous ses droits : la matière conserve, sous l’empire de la forme, des superfluités où la finalité ne trouve pas son compte. De plus, elle s’y révèle comme une source permanente de véritables anomalies, de déviations qui proviennent en dernière analyse, de la résistance que fait la matière au développement de la forme. Voilà pour le mal physique.
L’existence du mal moral s’explique de même. Rien n’est fort comme la raison ; là où elle s’implante, elle finit toujours à la longue par avoir le dessus. Par conséquent, si l’homme glisse si facilement vers le désordre, si parfois même il arrive à s’y fixer, il n’en faut pas chercher d’autres motifs que les bornes de son esprit. C’est la claire vue, c’est la science intime et adéquate des choses qui lui fait défaut ; la forme, en lui, n’a pas encore entièrement pénétré de sa lumière purificatrice l’aveugle et indocile matière. Cf. Cl. Piat. Aristote, Paris, 1903, p. 35 sq. Ainsi, en définitive, la métaphysique d’Aristote aboutit à une sorte de dualisme. Tout s’y ramène à deux principes : la matière et la forme, la puissance et l’acte. Plutarque a raison : Aristote nomme bien le premier principe la forme, et l’autre la privation, c’est à dire, la matière principe et cause de la privation ou du mal. Sous le premier moteur immobile, fin vers laquelle tout le reste gravita, l’âme ou la forme du monde et la matière à qui elle est immanente sont en lutte constante, l’âme étant animée d’un désir éternel de vaincre la matière et de diminuer son empire, pour promouvoir sous des modes divers le règne de la bonté et de la beauté.
Pour qualifier ce dualisme il resterait a déterminer si, dans la pensée d’Aristote, la causalité de la première cause efficiente (ou du premier moteur immobile, première cause efficiente par rapport au monde) s'étend à la matière première, on si elle est limitée aux transformations substantielles. c’est-à-dire, é l’éduction de la forme substantielle de la potentialité de la matière. Mais il y a la un problème obscur, qu’il est impossible de résoudre avec certitude. Dans le premier cas, Stagyrite se serait élevé à l’idée de la création, tout au moins l’aurait entrevue ; dans le second cas, au contraire, sa théorie de monde — et du mal — était peu différente du dualime platonicien. M. E. Lasbax, Le problème du mal. p. 11. adopte eette seconde hypothèse. Pour lui, le principe du mal se réduit, chez Aristote, à n'être que la matière qui résistera à l’Idée, comme la puissance en quelque sorte virtuelle à l’effective actualisation. Cf. Gonzalez, Hist. de la philos., trad. de Pascal, t. i, p. 310.
Avec les stoïciens, nous retrouvons le monisme à peine perfectionné des Éléates. Dans ce système, le mal est nécessaire et inévitable dans la monde. Non seulement les maux physiques, mais encore le mal moral sont des manifestations ou, si l’on veut des évolutions nécessaires et fatales de la Divinité. Sans doute. Dieu ne veut pas le mal, mais celui-ci est inévitable : il est même nécessaire pour que le bien existe, soit dans l’ordre physique, soit dans l’ordre moral. Qu’importent les souffrances et les fautes individuelles, si le monde est plus heureux et plus parfait ! Dès lors, le problème du mal se résout de lui-même : tout désordre disparaît de la grande harmonie du monde ; tout conspire a sa perfection. Cléanthe, Hym., vers 19 sq. : Chrysippe dans Plutarque, De comm. not., c. xiv. édit. Ditot, t. ii. p. 1303.
Quant au néo-platonisme, il est nettement dualiste à ses débuts ; il le restera presque jusqu'à la fin. Xénocrate accentue le dualisme de Platon ; aux premiers siècles de notre ère, néo-pythagoriciens et néo-platoniciens (Plutarque, Maxime de Tyr, Apulée…) se rencontrent sur un terrain commun dont le dualisme plus ou moins platonisant constitue l’une des thèses essentielles. Plotin s’efforce d’y échapper, puisqu’il rattache le mal au bien. Plotin, après avoir fait quelques concessions au dualisme, dirige bientôt contre les gnostiques tous les traits de sa dialectique. M. E. Lasbax, Le problème du mal, p. 11. Tout aspire au Bien, et par cette aspiration l'âme reçoit de l’intelligence les raisons séminales ou formel auxquelles sous son influence démiurgique, la matière participe, constituant ainsi le monde. Ve Ennéad., l. IX, c. viii. La matière par elle-même est le non-être, l’informe, 11e Ennéad., l. IV, c, x. le mal, ibid., c. xvi, dont l’existence procède cependant du bien par l’intermédiaire de l’âme : elle marque le dernier degré possible de l'éloignement du bien. 1re Ennéad., l. VIII, c. viii. Quant au monde, il est bon, suspendu au bien. IIIe Ennéad., l. II, c. iii. Voir art. Bien. col. 830-831, pour le rattachement du point particulier qui nous occupe a la théorie générait du Bien, chez Plotin. Déjà chez Plotin, nous trouvons cette doctrine que les Pères opposeront plus tard aux hérétiques et qui voit dans la limite, dans le caractère fini des êtres, la raison première de l’imperfection et du mal. Elle est plus précise encore chez Proclus, à qui l’empruntera le pseudo Denys, puisque, comme l’a établie P. J. Stiglmayr, sur cette question si importante, Denys n’a fait qu’introduire dans son texte De divin. nomin., c. iv. n. 18-34, un extrait du De maolorum subsistentia de Proclus. Cf. art. Création, t. iii, col. 2075. En se reportant a l’art Bien, t. ii, col. 832, on verra comment Proclus, au traité des Causes, établit que Dieu commumique sa bonté par la création, et comment la production des choses par ou par un agent inférieur n’empêche pas la réalisation directe de ces choses selon un mode supérieur « par la cause première ». Le premier Bien identique à l'Être et créateur de l'Être en toutes choses, telle est la notion que la philosophie néoplatonicienne livre dans son dernier effort, le traite des causes, à la théologie traditionnelle. Celle-ci saura en tirer parti.
Pour être complet, il resterait à dire un mot de la position de Philon sur la question présente. Elle a été suffisamment déterminée dans l’article Création, t. iii. col. 2053.
Cette étude des doctrines de la philosophie ancienne est évidemment très rapide et par là incomplète. Telle quelle, elle nous permet de constater la quasi-unanimité de l’antiquité sur le problème qui nous occupe. Dieu, essentiellement bon, ne peut être auteur ou cause du mal. Cette cause doit être recherchée en dehors de lui. Qu’elle soit discorde, dualité, matière éternelle… elle échappe, en tant que principe du mal, a la causalité de l’Un, du Bien, de Dieu. Et cela devait être, dès lors que l’on excluait la création ex nihilo de l’explication de l’origine du monde.
Ici, comme sur beaucoup d’autres terrains de la philosophie, l’influence de Platon est tenace et pénétrante, si pénétrante que les stoïciens eux mêmes n’y échapperont pas complètement.
III. Période Patristique.
De ce qui précède on a pu conclure que, dans l’ensemble, la solution dualiste avait dominé la philosophie antique, il était inévitable que, du jour où le christianisme commencerait à philosopher, le dualisme ne pénétrât chez les chrétiens ; ce sera un des plus graves devoirs de l'Église de répondre à cette erreur.
1° L’erreur.
1. Le gnosticisme.
L’hérésie gnostique date du temps même des Apôtres. Or, l’idée essentielle de cette erreur, le problème fondamental qu’elle cherche à résoudre, c’est le problème de l’origine du mal, auquel se trouve intimement lié le problème de l’origine du monde, c’est-à-dire, du passage de l’infini au fini. « A négliger les différences de détail qui distinguent les systèmes gnostiques les uns des autres, et à ne tenir compte que de leur fond commun, une théorie générale se dégage, qui a pour point de départ la conciliation de l’existence de Dieu avec l’existence de la matière. Dieu ne peut être que parfait ; et la matière passait aux yeux des gnostiques comme d’essence mauvaise et comme le siège du mal ; elle ne pouvait donc pas être l'œuvre immédiate de Dieu. » Art. Gnostiscime, t. vi, col. 1459.
Telle est la position du gnosticisme. L’existence de Dieu ne fait plus de doute ; et même, pour la plupart des gnostiques, Dieu est unique en principe. Mais ce Dieu suprême n’a pu créer la matière : il y a incompatibilité absolue entre Lui, qui est bon, et elle qui est mauvaise. D’où entre ce Dieu et la matière, se place un créateur : ce créateur c’est le démiurge son inférieur, dont la nature a été viciée par la faute (qui l’a fait chasser du plérôme), et dont l’œuvre, par conséquent, ne peut être que viciée. Ainsi s’explique
l’imperfection de ce monde et la présence du mal icibas.
On le voit, les gnostiques empruntent largement à Platon, mais c’est pour déformer l’enseignement de l'Écriture et tomber dans le dualisme, ou, pour quelques-uns, dans l'émanatisme panthéiste. En effet, une fois qu’on a rejeté la solution chrétienne fondée sur la création exiiihilo, on ne peut aboutir qu’a la solution panthéiste ou à la solution dualiste. Les gnostiques subissaient le même sort que les philosophes.
Bien des systèmes se greffent sur ce thème général. Nous nous contenterons de signaler à grands traits les parties qui se rapportent à notre sujet.
Valentin emprunte les éléments principaux de son système au platonisme et au judaïsme. Sa doctrine trahit une idée essentiellement panthéiste. Pour expliquer, sans avoir recours à la création ex nihilo, la production du monde, le passage de l’infini au fini, il imagine toute une série d'évolutions par lesquelles le Père, c’est-à-dire le Dieu Principe, l’Un, donne naissance, avec ou sans l’aide de Eiy/j, au plérôme de 28 éons. Le mal sort de la curiosité du dernier éon, l'éon femelle aoepia, qui produit un être informe, £xTp<x>[za, fruit de son péché d’orgueil et d’ignorance.
Saturnin est nettement dualiste. Deux royaumes existent : celui de la Lumière et celui des Ténèbres. Au sommet du royaume de la Lumière, et comme origine première des êtres qu’il contient, se trouve le Dieu suprême, caché en lui-même, incompréhensible dans son essence, et d’où procèdent les êtres qui composent le monde des esprits. Ce processus se réalise a perfectiori ad minus perfectum, et le dernier degré correspond aux sept anges ou esprits inférieurs chargés de former et d’organiser le monde visible. Mais ils se heurtent à la matière, essentiellement opposée à l’esprit, et particulièrement au principe et à l’auteur du monde des esprits et de la lumière. Ainsi la matière est l’origine, ou mieux, l’essence du mal dont Satan est la personnification. De là vient la prédominance du mal dans le monde visible où abonde la matière, et l’antagonisme perpétuel et permanent entre Dieu et Satan, entre la matière et l’esprit, les hommes bons ou pneumatiques et les hommes mauvais ou hyliques et charnels. Le dualisme de Saturnin est déjà théologique. Le manichéisme n’aura plus qu'à dramatiser l’antagonisme que nous trouvons ici entre les deux royaumes du bien et du mal.
Le système de Basilide, essentiellement dualiste comme celui de Saturnin (tous deux se rattacheraient à Simon le magicien par leur maître Ménandre), ne s’en distingue que par quelques points de plus ou moins d’importance. Ici le royaume de la Lumière et le royaume des Ténèbres et du mal sont deux royaumes également éternels, existant par eux-mêmes, et indépendants l’un de l’autre. Le désordre est dû à l’union de certains principes mauvais à des principes bons. De là est sorti le monde visible, œuvre immédiate des anges inférieurs. Leur impuissance, jointe aux efforts des esprits mauvais du monde ténébreux pour s’unir à eux, voilà la raison du mélange en ce monde du bien et du mal. Aussi le mal suit le bien, comme l’ombre la lumière, et le principe divin qui entre dans l'âme humaine est entouré et comme opprimé par les vices et les passions qui sont les esprits procédant du royaume des ténèbres.
Chez Marcion qui se débarrasse résolument de tout le fatras où se perdaient les gnostiques, le dualisme est encore, s’il est possible, plus prononcé. La conception dualiste lui sert de base philosophique pour arriver à l’antithèse théologique et un double antagonisme caractérise son système. Voir l’art. Marcion. Le Dieu de l'Évangile est opposé au Dieu des Juifs. Le premier
est le Dieu suprême, ineffable, absolument pur, qui exclut toute communication avec la nature : Dieu de bonté, de paix et d’amour. Le second est un Dieu imparfait et inférieur, organisateur de la matière et du monde ; il n’est pas Dieu véritable, mais démiurge. — De là vient la seconde opposition. La matière est éternelle et elle est l’origine du mal. L’impuissance relative du démiurge, jointe à l’imperfection essentielle de la matière est la double cause de l’imperfection du monde visible, particulièrement de l’imperfection de l’homme. En sortant des mains du démiurge, l’homme est soumis à l’empire du mal et des esprits mauvais sans pouvoir leur résister. Son impuissance à cet égard est telle qu’il ne peut s'élever à la connaissance du Dieu suprême et véritable, ni même soupçonner son existence. Si aujourd’hui il peut opérer le bien et s'élever à la connaissance de la vérité, en entrant dans l’ordre divin, il le doit à la révélation et à l’action de Jésus-Christ en qui s’est manifesté le Dieu bon.
2. Le dualisme théologique de Manès.
Sur Manès et les origines historiques du manichéisme, voir l’art. Manichéisme. Le fondement du système est le dualisme.
De toute éternité, enseigne Manès, il y a deux choses essentielles, deux principes ou plutôt deux royaumes essentiellement opposés : celui de la Lumière et celui des Ténèbres. La Lumière est le bien à la fois physique et moral ; les Ténèbres sont le mal. Dans le premier royaume règne le Roi du Paradis de Lumière, le Dieu suprême ; le royaume des Tén-bres n’a pas d’abord de chef, il est sans ciel, mais avec une terre et de ses éléments sort bientôt Satan, le diable primitif. Ces deux royaumes simplement juxtaposés par leurs parties supérieure et inférieure ne se mêlent pas.
La guerre entre eux vient de Satan qui, un jour, attaque et parvient à envahir le royaume de la Lumière. Dieu alors produit un éon, la Mère de vie et, avec elle, l’Homme primitif qu’il lance contre Satan. L’Homme primitif vaincu est fait prisonnier ; il est délivré par Dieu lui-même. Mais, dans les étreintes de Satan, il a perdu des parcelles lumineuses. De là un mélange des éléments lumineux et ténébreux qui commence à se propager par la génération. Ainsi entre la Lumière et les Ténèbres est apparue une matière mixte.
C’est avec cette matière mixte, c’est-à-dire avec les éléments complexes formés de la sorte, que Dieu fait le monde actuel, mélange de bien et de mal, dont il s’efforce peu à peu de dégager les éléments lumineux pour les ramener finalement dans le royaume de la Lumière. L’homme doit préparer cette délivrance. En effet, tandis que le monde est l'œuvre de Dieu opérant, il est vrai, sur des éléments imparfaits, l’homme, lui, est une créature de Satan et de ses anges qui ont concentré et comme emprLonné dans son corps tout ce qu’ils on pu dérober d'éléments lumineux. Auprès de lui, ils ont placé la femme, composée comme l’homme, mais avec beaucoup moins de parcelles lumineuses ; c’est la tentatrice, la séduction sensuelle incarnée, l’instrument de perdition qui perpétuera, par - la génération, l’emprisonnement des éléments lumineux. Comme le monde, l’homme est donc composé de bien et de mal et de sa conduite dépend la délivrance plus ou moins prompte, plus ou moins complète de ce qu’il y a en lui, et même dans le monde, de pur et de saint.
Aussi l’homme, c’est- : i-dire l’humanité, est-il continuellement en proie à la lutte des deux éléments, inégalement combinés dans les deux sexes. La lumière captive tend à se dégager ; les démons cherchent à la retenir par les passions, l’erreur, les fausses religions, tandis que les esprits lumineux ou les anges favorisent son émancipation par l’envoi des prophètes, Noé, IG89
M l DOI ri ; i NE DES PÈRES
L690
Aiiraiiain, Zoroastre, Bouddha, Jésus, surtout Mani le Guide, l’Ambassadeur il » ' la Lumière, le Paraclet. A mesure que les éléments lumineux se dégagent de l’humanité, ils se rendent par le sodiaque et la lune Jusque dans le soleil, ilila, après une dernière puriBeatlon, ils atteignent enfin le royaume lumineux lui-même Quant aux corps et avec eux les.'mus des non-élus, ils demeurent dans le royaume des Dénèbres. Le monde t’mir. i quand toute la lumière dégageable sera revenue.1 s. source. On trouvera dans Ducbeene, Hist. une. de V Église, t. 1, p. 559 ; nouais, I Augustin contre le manichéisme de son temps : surtout rixeront, Hist. des dogmes, 7° édlt., t. 1, l>. -io7. l’indication dos souries, voir aussi, Petau, Dogm. theol., 1. 1, p. 518, 519.
TeŒssont lis grandes lignes de ce que l’on pourrait appeler la métaphysique du manichéisme si nous en dégageons les idées centrales, il reste ceci. Le manichéisme est essentiellement dualiste. D nie l’unité de 1 être divin ; pour lui, deux principes, coéternela
et Infinis, éternellement en lutte, se disputent l’empire souverain : ils sont ennemis. Et ce ne sont pas là deux abstractions, deux principes de raison, mais bien deux êtres, indépendants l’un de l’autre, qui n’existent pas l’un par l’autre. Chacun d’eux a sa sphère, comme son royaume. Dans la sphère de la Lumière règne le principe bon, qui la remplit ; dans la sphère des Ténèbres domine le principe mauvais du mal, qui n’est que matière, division et perversité.
Le manichéisme reste doue lidèle au dualisme le plus pur ; nous a von. ici le dualisme proprement théologique.
- Lu doctrine catholique. Telle est l’erreur. 11
nous reste, à voir les ellorts de l'Église et de ses docteurs surtout, contre ces survivances et ces renforcements du dualisme primitif. Ce sera là l’une des taches, non la moins importante, des Pères, dont les enseignements d’abord timides, incertains, acquerront bientôt netteté et précision, préparant la forte et lumineuse doctrine de saint Augustin dont saint Thomas, plus tard, établira la définitive synthèse.
1. Avant saint Augustin. - En face des sectes îques l'Église ne resta ni muette ni indifférente « On s’efforça d'établir la vérité et l’autorité de la doctrine catholique à l’exclusion de toute autre. Il s’agissait, avant tout, de défendre les dogmes les plus menacés ou les plus contestés par l’hérésie, contre les gnostiques, par conséquent la foi au Dieu unique. » Bardenhewer, Les Pères de l'Église, trad. Godet et VerschalTel, 2e édit., 1905, t. i, p. 225.
Effectivement, avant saint Augustin, les efforts des Pères, surtout grecs, visent particulièrement le gnosticisme. t U y eut toute une littérature antignostique. Il est certain, par exemple, que saint Justin dans son ouvrage perdu contre les hérétiques, réfutait la distinction gnostique, Apol.. I, xxvi, P. G., t. vi, col. 369 ; Irénée, Cor, t. nacres., IV. vi, 2, P. G., t. vii, col. 987. Les écrits de Miltiade, de Méliton et de Théophile d’Antioche ont également péri, et la grande masse de la littérature antignostique n’a pas eu un meilleur sort. Glanons quelques restes.
a) Chez les Grecs. — Tatien affirme que t Dieu n’a rien fait de mal ; c’est nous qui avons produit toute improbité », par le dérèglement de notre volonté libre. Oratio ad Grseo. P. G., t. vt, col. 829.
Dans ce qui nous est resté de Théophile d’Antioche et de Méliton de Sardes, nous trouvons encore quelques affirmations semblables. < Les bêtes sont dites féroces et sauvages, écrit Théophile, non qu’elles aient été dès le commencement venimeuses, car rien de mal n’a été au commencement fait par Dieu ; au contraire, toutes choses étaient bonnes et très bonnes ; c’est le péché de l’homme qui les a tournées au mal. > Ail Auto I Igeum, l. III. n. 17, P. Q„ t. m. col. 1080. Pseudo
Méliton met cette question dans la bouche d’un Contradicteur : Pourquoi Dieu ne m’a I il pas lait de telle sorte que je l’honore lui et non les idoles ? — Il répond : On volt bien, a ta manière de parler, que tu aimais mieux être une pure machine qu’un homme Vivant ; car. Dieu t’a fait bon autant que cela lui a plu. et l’a donné le libre arbitre. Il a mis devant loi les choses les plus hautes, pour que tu choisisses ie qui est bon. » Ex apol. Melit. ad Anton., P. IL,
t. v, coi. 1229 p.
Ces quelques extraits, remarque Mgr Douais, 0/1. cit., contiennent toute la doctrine des apologistes unes sur le mal. Dieu n’est pas l’auteur du mal soit physique, soit moral, qui n’a d’autre origine que l’abus du libre arbitre : le mal n’est que la dépravation du
bien. Cette doctrine est énoncée simplement ; les apo
logistes ne se préoccupent pas de la preuve : elle leur
paraît évidente Ils ne disent même pas contre qui ils l’affirment ; mais Us ne pouvaient avoir en vue que le gnosticisme alors dan. toute sa jeunsesc.
Au iv siècle, deux docteurs grecs nous donnent quelque chose de plus précis et de plus important. Le manichéisme s’est étendu, fait des ravages ; ils l’attaquent.
Titus de liostra écrit près de cent ans après Mani s. Son ouvrage : Adversus manichaos libri très, comprend un exposé du manichéisme. t. I, exposé qui est suivi d’une réfutation. Toutefois il ne consacre guère à la doctrine du mal que quelques lignes au début du livre II ; mais elles sont significatives « Les manichéens demandent : d’où viennent les maux ? Nous, nous répondons avec une entière confiance : comme il n’y a qu’un seul Dieu qui a tout fait, il n’y a rien qui soit mauvais quant à la substance. Toutes choses sont bonnes quoique diversement bonnes, car elles sont faites pour des usages divers. Rien de ce qui a été fait n’a été fait sans motif. Tous les êtres ont en eux-mêmes la raison de leur essence, et c’est la sagesse ineffable de Dieu qui a établi cet univers, comme un corps entier, dans l’unité de son tout et la diversité des parties et des membres ; de telle sorte que, si vous retranchez, comme étant superflue et inutile, une part quelconque de la raison de ces êtres, le corps est mutilé…. Dans les êtres donc rien n’est mauvais quant à la substance ; bien plus, tous ceux que Dieu a établis et qu’il gouverne dans le monde, il les a établis d’après les conseils de sa sagesse, et il les gouverne pour l’utilité de ceux pour qui il les a faits. » L. II, c. 1, ii, P. L, t. xviii, col. 1132, 1133.
Ces idées reviennent en plusieurs autres endroits ; mais nous avons ici la doctrine et le procédé de Titus. A une affirmation, il oppose une affirmation. Les manichéens enseignent la dualité des principes et l’existence du mal dans la substance même des êtres ; il répond par le double principe de l’unité de Dieu et de l’intégrité des êtres.
Saint Basile, contemporain de Titus de Bostra, a encore mieux parlé sur la délicate question du mal. Il n’est pas permis de dire que le mal a été engendré par Dieu, par la raison que le contraire ne peut être engendré par le contraire. La vie n’engendre pas la mort, ni la lumière, les ténèbres ; la maladie n’est pas l’ouvrière de la santé. « Nous disons, (il combat les manichéens et les gnostiques) que le mal n’est pas une substance vivante ou animée, c’est un état d'âme contraire à la vertu. - In Hexum., boni. 11. I. /'. <i., t. xxix, col. 37. Dans l’homélie intitulée Quod Deus non est auctor malorum, nous trouvons encoi 1 passage caractéristique, qui résume toute la pensée de Basile : » Gardez-vous de voir en Dieu l’auteur de la substance du mal ! car n’allez pas VOUS figurer que le mal a une subsistance propre. La difformité
De subsiste pas, connue subsiste un animal quelconque- ; et on ne mettra jamais sous les yeux son existence existant vraiment. c.nr le mal est in privation du bien. » ibid., col..'ilO sq.
Le progrès est sensible en netteté et en précision. Au point de départ un essai de preuve, par le simple énoncé de ce principe évident en lui-même, que le contraire ne peut engendrer le contraire. Il s’ensuit que Dieu, étant bon, le mal ne vient pas de lui ; comme rien ne tient que de lui seul la subsistance, il s’ensuit encore que le mal n’a pas de subsistance. Il n’est pas une essence. Simple accident des substances, il est la privation du bien.
Il semble que ce soit là le dernier mot de la théologie grecque sur la nature du mal. Chez saint Jean Chrysoslome nous ne retrouvons que l’afîirmation pure et simple, l’appel à l’autorité. « D’où vient le mal ? me direz-vous. Et moi, je vous réponds que vous ne devez pas, pour en expliquer l’existence, admettre un principe mauvais. Vous blasphémez en soutenant que le mal existe par lui-même. C’est un blasphème que d’affirmer l'éternité d’un principe mauvais, de lui attribuer le pouvoir divin et de le mettre sur le même rang que la vertu. Le mal, dites-vous, existe par luimême ; mais vous avez oublié cette parole de l’apôtre : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait. » Rom., v, 20. In Aci. Apost., hom. ii, n. 4, P. G., t. lx, col. 31.
C’est vraisemblablement à la même date qu’il faut placer divers traités faussement attribués à Justin. On y relève des sentences comme celles-ci : « Tout ce qui est sur la terre est bon, comme ayant pour auteur le Souverain Bien ; le souverain mal, quant à la substance, n’atteint pas les créatures, ni par l’opération de ce qui est le mal par la substance. » Quæst. Christian, ad gentiles, n. 5, P. G., t. vi, col. 1412. « Le souverain mal n’existe pas ; le supposer, c’est poser un principe contraire à Dieu. » Ibid., n. 1, 2, col. 1405. « Rien d’essentiellement mauvais n’est adjoint à notre vie. » Quæst. et respons. ad orlhodoxos, 46, id., col. 1292. « Le mal n’est que la perversion », « la dépravation du bien ». Ibid., 73, col. 1313.
La liste des auteurs et des citations pourrait s’allonger ; nous en avons rapporté assez pour pouvoir conclure que partout, en Orient, au ive siècle, les docteurs chrétiens avaient le sentiment très vif que Dieu ne saurait être regardé comme l’auteur du mal.
b) Chez les Latins. — En Occident, le seul auteur qui mérite une mention spéciale est Tertullien. Il a dit sa pensée sur la question du mal tout spécialement dans son traité contre Hermogène, mais aussi, à l’occasion, dans le volumineux traité contre Marcion.
L’africain Hermogène, philosophe stoïcien passé au christianisme, troublé par la question de la création, s'était mis à enseigner que la création ex nihilo ne se comprend pas, que Dieu ne peut créer une chose de rien. Un tel principe conduisait nécessairement à l’une ou à l’autre des deux doctrines que nous avons signalées : le monde émanation de Dieu, ou bien la matière existant éternellement. Hermogène s'était arrêté à cette seconde conséquence, et prétendait que Dieu avait tout fait avec une matière incréée qui lui était coéternelle. C’est à cette matière première, incréée, coéternelle à Dieu qu’il attribuait le mal. Hermogène aboutissait donc, comme le gnosticisme, à un véritable dualisme. « Admettre une Matière éternelle, répond Tertullien, c’est introduire deux dieux, puisque c’est faire la Matière l'égale de Dieu. Prétendre que Dieu a tout créé avec cette Matière incréée qui lui était coéternelle, c’est faire la Matière supérieure à Dieu, puisqu’elle lui
fournit les éléments de son œuvre, et que Dieu est soumis a la Matière, dont il a eu besoin. » Adv. Hermog., c. iv, viii, P. L., t. ii, col. 200. Mais passons. Dieu a donc tout fait avec la matière. Par conséquent le bien et le mal qui provient de la matière, doivent êtrenécessairement attribués à Dieu, ou le bien seul à Dieu et le mal à la matière, ou l’un et l’autre simultanément à Dieu et à la matière. Mais Dieu qui est bon ne peut être l’auteur du mal ! d’autre part, une matière totalement mauvaise ne peut engendrer le bien. Si donc Dieu ne peut être l’auteur du mal, on doit, ou admettre, l’existence de deux principes coéterncls, ce qui est absurde (iv, vin), ou revenir à la notion chrétienne de la création ex nihilo : superest uti Deum omnia ex nihilo fecisse constel. Op. cit., c. xvi, col. 211, 212.
Le principe est excellent, et Tertullien en tire ici un bon parti : mais il n’y est plus revenu, ce qui prouve qu’il n’avait pas approfondi la question de l’origine du mal.
Après Tertullien, les auteurs latins gardent le silence, ou à peu près. Saint Ambroise a bien combattu les manichéens (sermons sur la Genèse), mais en se plaçant au point de vue de leurs attaques contre l’Ancien Testament. Il n’y a guère que Lactance, qui, dans son De ira Dei, traitant au t. I, de la Providence de Dieu et de la création, indique d’un mot que le mal ne lui est pas imputable : Est enim disconveniens Deo, ut ejusmodi potestate sit præditus, qua noceal et obsit, prodesse vero, ac benefacere nequeat. Qum igitur ratio, quæ spes salutis hominibus proposila est si malorum tantummodo auctor est Deus ? C. iii, P. L.. t. vii, col. 84. Sur le dualisme réel ou apparent de Lactance, voir Lactance, t. viii, col. 2440.
2. Intervention de saint Augustin.
Il faut arriver à saint Augustin pour trouver, en Occident,
une doctrine du mal. Le premier, il a abordé le problème par son côté métaphysique.
Le grand docteur a élaboré cette doctrine au cours de sa lutte contre les manichéns. Ancien manichéen lui-même, nul plus que lui n'était apte à mettre en relief les erreurs de la secte. Il employa à les réfuter toutes les ressources de son génie philosophique et théologique. Sur les conditions historiques de sa lutte, cf. Douais, Saint Augustin contre le manichéisme de son temps.
La polémique commence avec le traité De moribus Ecclesiæ catholiav et de moribus manichœorum, (an. 388 d’après Portalié, Martin ; fin de 387, d’après Douais) et se termine avec le chap. xlvi du traité De hæresibus (428). Entre ces ouvrages, sans parler des sermons et de la correspondance de saint Augustin, s’en placent quinze autres. Cf. Douais, op. cit.
De cette polémique et de ces ouvrages, nous ne retiendrons que ce qui a trait aux deux questions qui nous occupent : nature et origine du mal. Du reste, ces questions dominent tout le débat ouvert entre Augustin et les manichéens. « Pour saint Augustin, là était le véritable débat entre lui et les manichéens. Aussi il est trois points auxquels il revient sans cesse, au sujet desquels il argumente et qu’il veut prouver : la nature du mal, son origine, la nature des êtres. » (Douais) Seuls, les deux premiers nous intéressent.
a) Nature du mal. — Les manichéens commencent toujours par demander : D’où vient le mal ? Mais comment répondre si l’on ne sait pas d’abord ce qu’il est ? De mor. manich., t. II, 2, P. L., t. xxxii, col. 1345. Or, d’après les manichéens, le mal pour une chose est ce qui est contraire à sa nature : cuique generimalum esse, quod contra ejus naturam est. Ibid. C’est encore ce qui nuit : quod nocet, 5, enfin, disaient-ils, le mal c’est la corruption, 7.
Mais ces définitions ne sont pas recevables : ou elles manquent d’exactitude ou elles n’atteignent MAL. DOCTRINE DE SAINT VUG1 STIN
1694
pas le fond du sujet. Il faut donc.itli-r plus loin pour déterminer la nature du mal.
El d’abord, question préalable : le mal est-Il une substance.' Les manichéens l’affirment : Dicui.tma nichiti nuilani curais naturam. Op. imp. t. Juluin..
1. [11, 189, t. i. COl. 1330. i.iiiii est faux : - le mal
n’est pas une substance. l’ont ce qui est, est bon.
l’i ce mal dont je cherchais partout l’origine, n’osl pas une substance ; s’il étaltsubstance, il serait bon. » Con/es., l. VII, 18, t. xxxii, col 743. Cf. De marib.
manieh.. I. 11. 10, ibid.. col. 1349 ; /)< cto. lu-i.Xll. , t. tj, col. 352. Sic '-.'. discite, non substantiatn malum esse. Contra epist. manieh. quam vacant l’undamenti. xwii. 2 1. ». t. mu, col. 193 Le mal n’esl qu’un accident d’une substance placée dans un milieu qui ne lui convient plus, ou qui ne lui convient pas. (".'est un état d’inconvenance ou de désordre,
lequel produit la souffrance, la corruption et les autres clïets nuisibles.
I a possibilité pour une substance d'être précipitée
dans cet état icnt. en principe, de ce qu’elle n’est l'être suprême, souverain et absolu : c’est sa condition nécessaire d’infériorité par rapport à I être incrée. Infini. Quant au fait même du desordre, du mal. il provient de ce que cette substance est placée dans des conditions qui, non seulement ne lui permettent pas de se maintenir dans tonte son Intégrité, mais encore l’atteignent et l’affaiblissent : elle a perdu une part de son être propre, Le mal n’est donc pas toute absence, toute négation de bien, mais une privation, la privation d’un bien que l’on devrait avoir et qui convient à la substance ou nature qui en est privée : Je ne savais pas.pie le mal n’est que la privation du bien, privation dont le dernier terme est le néant. CouL, }. III. 12. t. xxxii, coi. 688 : cf. De natura boni, 3. 16, 23, t. xi.u. col. 553, 550, 558 ; EnchirhL, 11. t. xi., col. 236.
Cette privation peut avoir pour objet un bien physique ou un bien moral. Dans le premier cas, nous savons qu’elle est la conséquence du caractère Imparfait de la créature qui vient du néant et qui tend à v retourner. De natura boni, le. t. xi.u, col. 554 ; Contra Secui dinum. 8. ibid., col. 584 ; Er.chirid, 12, t. xi., col. 836. Dans le second cas. la privation n’a pas sa source dans une malice essentielle de la créature, mais dans la volonté libre : elle provient d’une déviation de la liberté. Or. la liberté est une faculté de l’homme. Le mal moral - ou le pécbé — n’est donc pas non plus une substance : c’est un accident dans l'être libre ; et il ne faut y voir qu’un désordre, qu’un défaut de convenance entre l’exercice légitime de cette faculté et l’homme lui-même. Hetract.. I. I,
2. t. xxxii, col. 595 ; De libero arbilrin. t. I, c. I, ibid, , col. 1223 ; De civil Dei, MI. m. t. xii. col. 353.
De là découlent les relations du mal et du bien. Corruption d’un bien, le’mal le suppose ; il ne peut i ister que dans une nature qui. en tant que libre, est bonne, donc un bien. Nulla enim natura, in quantum natura est. malum est ; ted prorsus bonum. sine quo bono ullum esse non potest malum : quia nisi in aliqua natura ullum esse non jiole^t vitium ; quamris sine vitio potest esse natura. Op. imp. contra.liilian.. I. III - xi.v. col. 1334.CL Enchirid., 12, t. XL,
De civil. De :. II. vi. t. xi.i. col. 353, surtout. XIV, xi, col. 418, H. En ce dernier endroit saint Augustin nous donne un superbe résumé de cette doctrine, que les scolastiques n’auront garde de laisser tomber : La bonne volonté est l'œuvre de Dieu : < ar l’homme l’a reçue avec la vie. El la première mauvaise volonté, celle qui. dans l’homme, a précédé toutes les mauvaises œuvres, est moins une œuvre qu’un éloignement des œuvres de Dieu pour celles de l’homme. Or. ces œuvres sont mauvaises en tant
qu’elles n’ont pas Dieu pour lin. mais la volonté propre ; et ne peut on pas dire que l’aibie niauxais de ces uiauxais fruits, c’est la volonté, ou l’homme même, l’homme de mauvaise xolonte'.' Toitclois bien que la mauvaise volonté ne suit paj selon la
nature, mais contre la nature, puisqu’elle est un
icc. elle est de même nature que le vice, (pu ne peut être que dans une nature que le Créateur tire du
néant. Aussi le bien peut exister sans le mal. tandis
que le mal ne peut exister sans le bien, caries natures BU qui il réside sont bonnes en tant que
natun
b) Origine </// mal. - Le mal défini, il est aisé d’en détej miner l’origine.
El d’abord, puisque, de l’aveu des manichéens,
le mal est. pour une chose.ee qui est contraire à sa nature, aucune nature n’est le mal. c’est-à-dire mau valse, car. (lès lois qu’elle subsiste, elle est le cou traire du non-être. Or. Dieu est l’auteur de toute nature, de toute substance. On doit donc conclure, avec raison, (puDieu n’est pas l’auteur du mal ; ce qui est la cause créatrice de l'être pour tout ce qui existe ne peut, en même temps, être la cause du non-étre. — Quant à Imaginer, hors de 1 lieu, et opposé à Dieu, un principe positif mauvais, un summum malum, cela est contradictoire : être et mal se contredisent autant que être et ne fias être. On ne peut donc pas dire que ce qui est une substance soit le souverain mal. De morib. manieh., II, 2-5, t. xxxii, col. 1315 : De diversis quæst. i.a.xxi/i, q. vi, t. xi., col. 13. I.a prétendue lutte entre les deux principes, telle que l’ont imaginée les manichéens, aboutit à d’innombrables absurdités. De natura boni, 41-43, t. xi.n. col. 563 sq.
.Mais le mal moral, le péché ? — L’homme a la liberté de pécher : ne faut-il pas en conclure que Dieu est l’auteur du péché ? — Le ft libero arbitrio donne la réponse.
Dieu existe, et tous les biens viennent de lui. Or, la volonté doit être regardée comme un bien, car le libre arbitre appartient à l'âme, qui, elle, est certainement un bien. Le libre arbitre vient donc de Dieu. Mais Dieu ne l’a donné que pour le bien ; il l’a orienté vers lui. Il n’est donc pas l’auteur, l’origine du mal moral. — Ce mal vient uniquement du libre arbitre. Le péché n’est ni nécessaire, ni voulu de Dieu. Il n’est que volunlas retinendi vel consequendi quod justitia vetat et unde liberum est abstinere. De duabus animis, 22. t. xi.ii, col. 109. Seule, donc, la volonté commet le péché, ibid., qui n’est pas appelitio naturarum malarum, sed desertio meliorum, qui consiste à préférer un bien inférieur à un bien supérieur, De natura boni, 31. t. xlii. col. 562, et n’a pas de cause proprement efficiente mais déficiente.
Saint Augustin a repris — et longuement — cette question au livre MI de la Cité de Dieu, particulièrement aux cm. vi, vii, vin. ix, t. xii, col. 349 sq., où l’on trouve un exposé aussi clair qu’afïirmatif. i Le vice — donc le mal moral — qu’une longue habitude a pour ainsi dire greffe sur la nature, a sa source primitive dans la volonté, ni.- — « Recherchez la cause efficiente de la mauvaise volonté, vous ne la trouverez pas. Cette cause n’est pas efficiente, mais déficiente ; elle n’est pas effectivement, mais defeet i< nient. Car déchoir de ce cpii est souverainement à moins d'être (c’est ce que le péché est en définitive), c’est commencer d’avoir une volonté mauvaise. C’est quand elle descend d’un objet supérieur a un Objet inférieur que la volonté devient mauvaise, non que l’objet dont elle se détourne soil un mal, mais le mal est ce détournement même. Ce n’esl donc pas l’objet inférieur qui a fait la volonté mauvaise, mais elle même qui s’est corrompue par la recherche C96
déréglée et coupable de l’objet inférieur. » vi et vu. — Môme doctrine au c. vin : « Je sais que la volonté mauvaise n’est en celui où elle réside que parce qu’il veut ainsi : et qu’il en serait autrement s’il voulait autrement. Il n’y a pas déchéance vers le mal, vers une nature mauvaise ; le mal est dans la déchéance. » Et ce dernier passage qui résume tout le c. ix : « La mauvaise volonté n’ayant pas de cause efficiente, ou, en d’autres termes, de cause essentielle, elle est donc la source du mal des esprits muables, ce mal qui diminue et déprave le bien de la nature. Et la volonté ne devient telle que par défaillance, défaillance qui abandonne Dieu, et dont la cause est également défaillante. »
Telle est, dans ses grandes lignes, la doctrine augustinienne : le mal s’explique sans recours à une dualité de principes, et sans qu’on ait besoin d’en faire retomber la responsabilité sur Dieu. A la vérité, Dieu a tout créé, les natures spirituelles aussi bien que les natures corporelles, sans que d’ailleurs son immutabilité ait subi la moindre atteinte. Mais ce Dieu est Souverain Bien, Summum Bomim. Toute espèce de bien ne peut être que par lui, c’est-à-dire par le bien suprême. Dénatura boni, c. h. Et si l’on admet que Dieu, Souverain Bien, a tout créé, toute nature est bonne en tant que nature. — Et par là même, le système manichéen s'écroulait par la base.
Ce qui frappe ici, c’est le progrès considérable que saint Augustin fait faire à l’exposé de la doctrine philosophique et théologique du mal. Avant lui, la doctrine traditionnelle n’existe qu’en deux points : 1) Dieu n’est pas l’auteur du mal, et le mal provient d’un mésusage du libre arbitre. — 2) De plus, il a trouvé dans la circulation des idées cette donnée que le mal n’est pas une substance. Mais il a fait singulièrement avancer la pensée philosophique en établissant : a. que le mal n’est que la privation du bien ; b. que cette privation résulte d’un éloignement de Dieu qui est le Souverain Bien. Saint Basile, il est vrai, avait dit que le mal est la privation du bien ; mais saint Augustin ne connut ses ouvrages que tard. Il est d’ailleurs allé plus avant que lui, en montrant que cette privatio boni, ou perte de l'être, est, dans la créature raisonnable, un effet de l’acte libre peccamineux et, dans la créature brute, un effet de la dissociation de ses éléments constitutifs. Il est allé plus loin aussi que les apologistes du iie siècle, qui se bornaient à dire que le souverain mal n’existe pas, que Dieu ne peut être l’auteur du mal. Il a eu la vue très nette de cette vérité philosophique, réponse directe et de fond au manichéisme, que, étant posé le Souverain Bien ou Être, le mal existe nécessairement. Il s’est bien rencontré ici avec Plotin : necessario malum consequi posito bono. I re Ennead., t. VII, c. vii, mais cet axiome n'était pas sorti de l'École. Saint Augustin le fit entrer dans la masse des esprits. Nous pouvons donc conclure, avec Mgr. Douais, que la doctrine de saint Augustin sur la nature du mal est vraiment la sienne, lui appartient en propre.
3. Après saint Augustin.
-Ceux qui viendront après lui. ajouteront peu à son enseignement. Cassien († 433), son contemporain, intitule le c. vi de sa VIIIe conférence : « Que Dieu n’a rien créé de mauvais. » — « Dieu nous garde de professer jamais qu’il ait rien créé de substantiellement mauvais lorsque l'Écriture nous dit : « Tout ce que Dieu avait fait était très bon. » Gen., i, 3. C’est la pure tradition théologique. P. L., t. xlix, col. 730.
Saint Léon le Grand († 461) qui a fréquemment combattu les manichéens est cependant resté muet sur la question de la nature du mal. — Dans les Moralia de saint Grégoire te Grand († 604) nous pouvons relever ce passage : Neque enim mata, quæ nulla sua
natura subsistunt, a Domino creantur. L. III, c. ix. I'. L., t. lxxv, col. 607.
Saint Isidore de Séville (+ 636) consacre le chap. îx du liv. I de ses Sentences à la question du mal : l’ndc malum '.' Onze points, plutôt exposés que traités. P. L., t. lxxxiii, col. 552 sq. Voir le résumé dans Douais, op. cit. Il est permis de voir là un enseignement d'école ; mais ce n’est encore qu’une entréetimide. Pour toute cette période, on consultera avecfruit : Pelau, Dogm. theol., De Deo, t. VI, c. iv, v, vi, édit. Vives, t. i, p.510 sq. ; 'fixeront, Hisl. des dogmes, 1e édit., t. ii, p. 368 ;
IV. Période scolastique.
La renaissance du manichéisme au xie siècle, coïncidant avec l’organisation de l’enseignement théologique, va attirer plus sérieusement l’attention des philosophes et des théologiens sur la nature du mal.
1° Avant saint Thomas.
Seuls deux auteurs
valent la peine d'être signalés : saint Anselme et Bupert.
Saint Anselme († 1109) a parlé de la nature du ma ! en deux endroits de ses écrits : Dialog. de casu diuboli, c. xi, P.L., t. CLvm, col. 341, et Liber de conceptu virginuii, c. v, col. 439 : Le mal n’existe pas comme être. De plus — et c’est ici que saint Anselme introduit une précision dans la doctrine et la langue de saint Augustin — lemal doit se définir non pas seulement privatio boni, mais plus exactement : privatio boni debiti. Il ne peut y avoir de mal que là où manque le bien qui est dû. Quant au bien ou être qui n’est pas dû, son absence ne peut en rien déprimer ou affaiblir la nature. Dans ce cas, le mal n’existe pas. Lib. de conc. virgin., c. v. Cette précision pouvait avoir une importance pratique et était appelée à rester dans l’enseignement.
Rupert (mort abbé de Deutsch en 1155), touche également à la question du mal, dans son court traité De voluntate Dei. P. L., t. clxx, col. 437-454. Si le mal est la privation du bien qui est dû, il est clair que Dieu qui créa chaque nature intègre ne peut être regardé comme l’auteur du mal. Quant au péché, il a sa source et sa racine dans les choses créées, par cela seul qu’elles sont faites de rien. Cité par Petau, t. i. p. 528. Ce qui veut dire : Dès lors que le Souverain Bien est, le mal se, produit nécessairement ; la privation de l'être est attachée à l’infirmité de la nature.
On le voit, la doctrine de saint Augustin tendait à se fixer dans les écoles et dans l’enseignement. Ce fut l'œuvre de saint Thomas de l’y établir à demeure. Il nous reste à voir comment il condensa, synthétisa et ordonna la doctrine que lui avaient léguée les docteurs qui l’avaient précédé. Nous aurons là le mot définitif de la philosophie et de la théologie catholiques sur la question, si obscure et si angoissante par certains côtés, de la nature et de l’origine du mal.
2°. Saint Thomas. La synthèse thomiste. — Saint Thomas a traité la question du mal ex professo dans les commentaires sur les Sentences, ]. II, dist. XXXIV et XXXV ; dans la Somme théologique, I », q. xlviii et xlix ; dans les premiers chapitres du livre III de la Somme contre les Gentils, et dans la question De malo, surtout q. i. Mais il y touche encore en de multiples endroits de son œuvre philosophique, et nous ne pouvons prétendre les mentionner tous.
Pour permettre de se faire une idée d’ensemble nous donnerons, en tête de chaque titre, les principaux textes se référant à la question particulière examinée. Quant aux documents, utilisés par le saint docteur, il est facile de les retrouver en consultant les textes, surtout ceux de la Somme. Nous ne les indiquerons pas. Les solutions seront données en suivant d’aussi près que possible les expressions mêmes du Maître. M M. DOCTR [NE S( OL ^STIQl I
1698
Mans l’aperçu historique qui précède, noua avons od is.njtlueeeaslveinent les deux questions de la nature et de l’origine du mal. Nous les retrouverons ni. nala tondues en quelque sorte en un expose nique que nous pouvons appeler la doctrine générale du mal. Pour saint Thomas, comme pour saint Augus tin. la question île l’origine est dominée entièrement
|>ar COUS île la nature, et s’en ileiluit logiquement :
elle n’est qu’un des aspects du problème non
le plus Important qui se présente en sont emps.
a s.i piæe. et dont la solution découle des principes
N us avons vii, tout au début, que le mal ne pouvait être que physique OU moral ; physique, c’est le
malum notant, que nous appellerons encore malum
in génère : moral, c’est le mal considéré dans la créature raisonnable, ou dans l’action humaine. Nous ramènerons toute la doctrine de saint Thomas a ces deux chefs.
1. Le mal in génère. a) sa nature. — Textes : Il Sent., dist. XXXIV, a. 1 el 2 ; Siun. theol., I*. q. xi. viii. a. 1 et S ; C. (.Y/)L. 1. III. C m et vu : lie main. q. i. a. 1.
S tu/ion.— a. Le mal. opposé du bien qui est être, n’a ni perfection, ni être : il n’est pas une redite naturelle, une positivite. eus quoddam positioum ; il ne peut donc être objet d’aucun désir, et doit se rejeter dans l’ordre du non-être.
b. Il n’est cependant pas une simple négation, un simple non-être, lie divin, nom., c. iv, mais une privation, c’est-à-dire, a prendre ce mot strictement et dans son sens propre, l’absence ou le défaut de Ce qu’un être ou un sujet devrait naturellement 1er. Il est donc une négation au sein d’une substance. I », q. xi.viu. a..">, ai I "m :
b Son existence. — Textes : il s, i : t.. dist XXXIV, a. 1 : Sum. tient.. [, q. xi.mii, a. 2. ad 2° ni.
Solution. — a. De ce que le mal n’est à aucun degré une essence, ni une réalité, on ne peut conclure qu’il n’est pas, ou à sa non-existence. I.e tout est de s’entendre sur le sens du mot être.
b. Ce mot (tre peut recevoir une double acception : il peut designer la réalité positive, l’entité d’une chose, ou la vérité d’une proposition. Cf. De ente et essentia, ci.
c. Le mal n’est pas au premier sens, mais /'/ est au second sens ; il peut être sujet d’une proposition vraie et recevoir une attribution quelconque. Cf. Scrtillanges, Saint Thomas, t. i. p. 311.
e) Relations du bien et du mal. — Le mal est une privation, c’est-à-dire, une négation au sein d’une substance. Il n’y aurait donc pas de privation, partant pas de mal, sans l’existence de substances au sein desquelles puisse s'établir la privation, el tes .substances, sont être, donc bien. De là la nécessité de déterminer les relations qui existent entre le bien <*t le mal. Nous le ferons en étudiant le sujet, l’extension et la cause du mal.
a. Sujetdu mal.— Textes : II Sent., dist. XXXIV,
- Sum. theol., I », q. xi viii, a. 1 et 3 ; C. dent., ]. III,
e. vi in princip. et c. xi : De malo, q. 1, a. 2 et a. I rirca princip.
Solution. — a) Le non être, au sens purement négatif, n’exige pas un sujet réel et positif ; la négation particulière qu’est la privation se définit, au contraire, negatio in subjecto, et c’est cette négation qui est le mal. I*. q. xi.viu. a. 3, ad 2uni ; /V Metaph., c. 11, n. 8.
n sujet est nécessairement un être en puissance ou en acte, donc un bien. I », q. xi.vm, a. 3.
I.e sujet du mal, c’est-à-dire, son véritable et unique support est donc, dans sa généralité, le bien :
S) Non le bien opposé au mal - un contraire ne
peut être sujet de son contraire mais un autre
bien, le sujet de la cécité n’est pas la ne dont elle est la privation, mais l’animal. I", q. xi.vin, .. ad Sa » ; <' lient.. I. 111. c. xi : t) i.e sujet du mal, dans sa spécialité, peut être
ou la substance ou l’opération de cette substance la SUbltance, quand elle est privée d’un bien qu’elle est apte à avoir et qu’elle devrait posséder : l’action, si elle manque de la mesure et de l’ordre requis. (.'. tient.. 1. III. c. m ; De malo, q. 1. a. I.
h. Extension du mal. Textes : Sum., theol., I*. q. xi.vm, a. I ; (.'. (ient.. 1. 111, c. xii.
Solution. — a) Dans le sujet qu’affecte le mal, on
peut considérer un triple bien : le bien par mode de forme, qui est le bien directement opposé au mal : le bien par mode de puissance ou de matière, qui est le sujet du mal en tant que sujet, l’aptitude ou les dispositions du sujet relativement à la forme ou a l’acte.
P) Le bien par mode de forme est totalement sup primé par le niai ; le bien par mode de matière n’est ni détruit ni même diminue : quant à l’aptitude, elle est toujours diminuée sans pouvoir être jamais toi a lement enlevée.
y) Cette diminution de l’aptitude n’est pas quanli
tative ou par voie de soustraction, mais elle se fait
par mode de rémission comme il arrive dans la
qualité, c’est-à-dire qu’elle est une diminution
d’intensité ou une atténuation.
8) Cette décroissance : ou bien a une limite fixée par la nature des choses, limite qu’elle ne peut dépasser : ou bien peut s’accenluer Indéfiniment. Mena alors l’aptitude ne peut finalement disparaître : le sujet demeurant, les dispositions de la matière persistent tout au moins dans la substance du sujet >. C. Cent.. t. III, c. xii : cf. De malo, q. 1, a. 2.
si Donc, le rapport qui s'établit entre le mal it le sujet qui le supporte n’est jamais tel, que le mal puisse consumer et comme épuiser totalement le bien, Malum non consumit omne bonum ; autrement le mal se consumerait et s'épuiserait totalement soimême.
c. Cause du mal. — Textes : II Sent., dist. XXXIV, a. 3. in fine : Sum. theol., L, q. xux ; C. lient.t. III, c. x, in fine ; De malo, q. 1, a. 3.
Solution. — a) 1 II est nécessaire d’affirmer que tout mal a, dans une certaine mesure, une cause. » I*, q. xux, a. 1. Tout ce qui subsiste en quelque autre chose comme en son sujet doit, en effet, avoir une cause, que cette cause se ramène aux principes du sujet lui-même ou à quelque cause extrinsèque. Or, le mal subsiste dans le bien comme dans son sujet naturel ; il a donc nécessairement une cause.
(3) La cause du mal ne peut être que le bien 1 Le fait d'être cause ne peut convenir qu’au bien ; car rien ne peut être cause que dans la mesure où il est ; et tout ce qui est, en tant que tel est un bien. » la, q. xi.ix, a. 1.
y) Tout d’abord le bien est cause du mal, en tant que cause matérielle. Ceci ressort des principes précédemment posés. En ce qui concerne la cause formelle, on doit reconnaître que le mal n’en a pas, car il se ramène plutôt à une simple privation déforme. II en est de même en ce qui concerne la cause finale, car le mal est une simple privation d’ordre dans la disposition des moyens en vue de leur lin.
S) Au contraire on peut affirmer que le mal comporte fréquemment une cause efficiente ou par mode d’agent.
z) Mais cette causalité esi accidentelle : Par mode de cause efficiente, le bien n’est pas cause du mal directement ou de soi, il ne l’est qu’indirectement ou accidentellement ; car bien et mal sont opposés,
et un contraire ne peut être cause de son contraire que par accident. » (.'. dent., t. III, c. x ; I », q. xlix, a. 1.
Ç) Le bien cause accidentellement le mal en causant un bien auquel adhère un mal, quelle que soit par ailleurs, la raison prochaine de cette adhérence : qu’elle soit la déficience du bien cause principale, ou le défaut de l’instrument par lequel cette cause opère, ou l’indisposition de la matière sur laquelle elle agit, ou le particularisme exclusiviste de la forme qu’elle opère ;
t]) Autre cependant est la manière dont le mal est causé dans l’action et autre la manière dont il est causé dans l’effet. Dans l’action, « le mal est causé par le défaut de l’un quelconque des principes qui sont l’originede cette action, soit du côté de l’agent principal, soit du côté de la cause instrumentale » ; dans l’effet, « le mal peut provenir ou de la vertu active elle-même (de la cause efficiente), s’il ne s’agit pas de l’effet propre de cette cause (c’est le particularisme exclusiviste de la forme opérée), ou du défaut de la matière.
Ces principes établis, nous sommes naturellement amenés à nous poser la question de l’origine en quelque sorte « historique » du mal. Vient-il du souverain Bien ou du souverain Mal ?
9) Le mal et le souverain Bien. — La réponse appartient aux articles Providence, Prédestination… Énonçons simplement le principe : La cause du mal réside toujours dans un bien, et cependant, Dieu qui est la cause première de tout bien, n’est pas la cause du mal. Le mal, effet de la cause seconde déficiente peut-être imputé à Dieu, cause première quant à ce que cet effet contient d'être et de perfection mais non quant à ce qu’il contient de mauvais et de défectueux ;
i) Le souverain Mal : Y a-t-il un souverain Mal cause de tout mal ?
Textes : Il Sent., dist. I, q. i, a. 1, ad lum ; dist. XXXIV, a. 1, ad 4um ; a. 2 ; Sum.theol., U, q. xlix, a. 3 ; Ila-ILe, q. clxxii, a. 6 ; C. Gent., t. III, c. xiii, al. 15.
Solution. — Le souverain Mal n’existe pas : il n’y a pas un premier principe pour le mal, comme il y a un premier principe, pour le bien. — Les trois raisons qu’apporte saint Thomas à l’appui, découlent de la doctrine déjà exposée : Le souverain Bien, il est vrai, est bien par essence, la, q. vi, a. 2 ; mais il n’est pas possible que quelque chose soit mal par essence, car tout ce qui est, en tant que tel, est bien, et le mal ne peut exister que dans le bien comme dans un sujet ; le mal ne. peut jamais détruire totalement le bien, par suite il ne se peut pas qu’il y ait un mal qui soit totalement et intégralement mal ; tout mal ayant pour cause le bien, la raison de mal répugne à la raison de premier principe.
d) Finalité du mal. — Textes : Sum. theol., la, q. xix, a. 9 ; q. xlviii, a. 2 ; C. Cent., c. iv et vi ; De malo, q. i, a. 3.
Solution.- — a. Le mal ne peut jamais être objet direct d’intention : « Le mal, en tant que tel, ne peut être objet d’intention, ni voulu ni désiré de quelque façon ; car tout ce qui est appétible a raison de bien, auquel s’oppose le mal en tant que tel. » De malo, q. i, a. 3. Cette doctrine repose sur les deux axiomes connus : Bonum est quod omnia appelunt (Aristote, Ethic, I, i) ; Omnia bonum et optimum concupiscunt (Pseudo-Den., De div. nom., c. vi).
b. Mais il peut être objet indirect d’intention.
Il se pourra qu’un mal termine accidentellement l’appétit, en tant qu’il sera joint à un bien (que l’appétit désire ou peut désirer). Et ceci se remarque en chacun des trois appétits. » la, q. xix, a. 9. Le
lion qui tue un cerf, cherche sa nourriture (donc un bien pour lui) qu’il ne peut se procurer qu’en égorgeant cet animal.
c. Partant le mal peut être volontaire, voulu, non per se, mais per accidens. C’est le cas du capitaine qui jette à l’eau les marchandises pour sauver le navire. Son intention porte sur la fin, un bien, le salut du navire ; mais il veut se débarrasser des marchandises, non simpliciter, mais causa salutis. Cf. C. Cent., t. III, c. vi, n. 2.
d. Le mal ne concourt pas per se au bien de l’univers, mais seulement per accidens. Principaux textes : I Sent., dist. XLVI, q. 1, a. 2 et 3 ;.Sum. theol., la, q. xxii, a. 2, ad 2°" » ; q. xlviii, a. 2, ad 2< » n ; C. Gent., t. III, c. xxi et xciv. — Voir article Providence.
2. Le mal dans la créature raisonnable.
La créature raisonnable étant, seule parmi toutes les créatures, faite pour le bonheur proprement dit, son mal, parmi tous les autres maux, mérite une considération toute spéciale. Ce sera le mal moral. Cf. I, q. xlviii, a. 5.
Le mal de la créature raisonnable est double : le mal de la coulpe et le mal de la peine. « La peine et la coulpe ne divisent pas le mal pris d’une façon pure et simple ; il s’agit du mal dans les choses volontaires. » la, q. xlviii, a. 5, ad 2°m.
a) Le mal de lu coulpe. — Textes : En plus des textes qui seront signalés pour chacun des points particuliers, Sum. theol., Ia-IIa ?, q. lxxii et suivantes.
a. Son sujet. — Textes : Sum. theol., la, q. xlviii, a. 5 ; P-IIæ, q. lxxii, a. 6 ; De Malo, q. i, a. 4 ; q. ii, a. 7 ; II Sent., dist. XXXV, a. 1.
Solution. — Le mal de la coulpe, c’est le mal de l’action de la créature raisonnable, c’est-à-dire la faute ou le péché « qui n’est pas autre chose qu’un acte humain mauvais. Or, le fait d'être, en tant qu’acte humain, lui vient de ce qu’il est volontaire >, I a -IIa3, q. lxxi, a. 6. Le sujet de la coulpe c’est donc l’opération volontaire.
a) A parler en général, toute action est bonne comme, à parler en général, tout être est bon : l'être et le bien coïncident, et l’action est être. Mais la nature même du bien requiert la plénitude de l'être, et toute nature créée prête à déficience : l’action créée peut donc déchoir.
P) De même qu’on appelle mauvaise la chose qui manque de ce qu’elle devrait avoir, de même on appelle mauvaise l’action déchue de sa rectitude. Cf. I » -IIæ, q. xviii, a. 1.
y) Cette déchéance ne peut être que le fait de la volonté (voir infra : cause de la coulpe) ; d’où, culpa non potest esse nisi in his quæ per voluntatem sunt. II Sent., dist. XXXV, a. 1.
b. Sa nature. — Textes : les mêmes que plus haut, ajouter C. Gent., . III, c.ix ; Sum.theol., P-IIæ.q.Lxxi, a. 6 ; q. lxxii, a. 1.
Solution : a) C’est l’insubordination de l’opération à la fin à laquelle elle aurait dû être subordonnée. Peccatum est in his quæ nata sunt fînem consequi cum non consequuntur. II Sent., dist. XXXV, a. 1.
(3) Cette insubordination prive l’acte de la mesure qu’il devrait avoir, privation qui constitue l'élément « acte mauvais ». I a -Il£e, q. lxxi, a. 6. « D’autre part, la mesure, pour toute chose, se prend en raison d’une certaine règle qui, si elle n’est pas appliquée, fait que la chose n’a pas de mesure. » Ibid.
y) Or, il y a pour la volonté une double règle, l’une immédiate et homogène, qui est la raison humaine ; l’autre qui est la première règle, et qui est la Loi éternelle, ou la raison même de Dieu. Ibid.
S) En définitive, l’insubordination atteint donc à travers la raison, le principe dernier lui-même qui impose la fin dernière.
1701
M AI. DOCTRINE SCOL STK.U I
Cette Insubordination provient de ta subordlna t i<>n « til’acte eoapaMe I ose Un exclusive de la Bu
ne.
Sa raaat* mtfeti île qui toit décisive.
7Vx/c-.< : // Se/if., dist. l. m. : ;. ad i : Sum. theol.. l » -ll->. q. lxxt, a. 1, /n fine. et a. 2 ; />< malt, i|. i..1 : < ; (T. dent.. 1 III. c..
Solution. C’est la volonté <lif.nll.iNio de celui qui opère.
ii Le mal de la coulpe est dans l’acte désordonné. Considéré >ln côté de l’acte, il pont avoir une cause l>ar soi. comme tout autre acte ; considéré du coté du désordre, il a une cause efficiente accidentelle, il n’est pas simple négation, mais privation) route cause accidentelle se ramène à une cause par soi. Le désordre de la coulpe sort donc de la cause même de l’acte
) La cause de l’acte est la volonté. La cause du désordre ou le défaut de l’acte provient donc aussi
de la volonté ; mais de la volonté défaillant actuellement, en ce sens qu’actuellement elle ne se soumet vi rècle. La coulpe résulte de ce que l’on pose l’acte avec un tel défaut. Cf. I », q. ii. a. 1. ad
8) La cause du mal moral qu’est la coulpe ne doit doue pas se rechercher ailleurs que dans l’agent, i-dire. en dehors de la volonté insoumise à sa régie, la raison
- i Partant, Dieu n’est pas cause du mal moral
la volonté toute seule, préalablement mise en acte par Dieu, relativement a la volitlon du bien en général ou de tel vrai bien particulier, qui se détermine à ne pas suivre sa règle, détermination en laquelle consiste la coulpe (sur la causalité divine. I -II.ci. i xi. a. 1 et’J ; cf. De malo, q. i. a. 8). saint Thomas étudie les causes objectives du péché, dont nous n’avons pas a nous occuper ici, dans la I - 1 1. q. ! xxv et suivantes.
b) Le mal de la peine. - - Texte » : Sum. theol.. [*-l I. q. lxxxmi. On peut consulter aussi les deux questions xii et xiii du Suppl. consacrées à la Satis/actio.
I a raison de peine consiste en une sorte de revanche juste et nécessaire prise par l’ordre que la faute avait troublé contre le désordre qui est l’essence même de la coulpe. Il suit que toute coulpe entraîne nécessairement et fatalement l’obligation à la peine. « Tout ce qui est contenu sous un certain ordre forme une sorte de tout par rapport au principe de cet ordre. Il suit de là que tout ce qui s’élève contre un certain ordre, doit être déprimé par cet ordre même. ou par le principe de cet ordre. Le péché étant un acte désordonné, il est manifeste que quiconque pèche agit contre un certain ordre. Par suite, il faudra qu’il soit déprimé par cet ordre (contre lequel il agit). Cette dépression est cela même qui constitue la peine. » [a-Ifa, q. lxxxvii, a. 1.
a. Sujet de la peine. — Textes : Sum. theol.. I. q. XLvin, a. 5 ; De main. q. i, a. I :
Solution. — Le mal de la coulpe consistant dans l’opération, le sujet de la peine ne sera pas cette .ition mauvaise elle-même, mais le sujet de l’opération, celui qui agit. Calpa rsf malum ipsius actionis. parmi aulrm est malum agentis. De malo, q i, a. 4.
b. Sa nature. — Textt I : Les mêmes que précédemment ; y ajouter De malo. q. i, a. 5.
Solution. — Bien que l’opération ne soit pas le sujet de la peine, la dépression qu’est la peine devra cependant l’atteindre. Aussi consiste-t-elle dans la raction des biens nécessaires a l’opération : biens de l’âme, biens du corps, biens extérieurs : Malum paner est privalio tfus que voluntas potest uti quoeumque modo ad bonam operationem… Mulli
posnaa non eomprehendunt nisi earporatM, sel oust
tifjhctionrm sensui uuierunt… sed rtium privalio ijratia et ijloruv panai eputdam tunt… Ipso aulrm sub slructio boni inrreali. Del luiuscumque allerius ab ro qui indiquas est. rattonem peenm hubrt. De malo, q, i. a. 5
e. Sa couse. Textes.. Ajouter aux textes précédents : Sum. thol.. I - 1 1 <, q, lxxxvii. a. 1.
Solution : t) La cause de la peine est le principe de l’ordre viole (celui qui impose la fin et l’ordre de l’opération à la lin). Or. « il est trois ordres sous lesquels la volonté humaine se trouve contenue :
l’ordre de la raison, l’ordre de ceux qui gouvernent extérieurement, enfin l’ordre universel du gouvernement divin. Chacun de ces ordres est troublé par le pèche, car celui qui pèche agit et contre la raison, et contre la loi humaine, et contre la loi divine. Il encourt donc une triple peine : lune de la part de lui-même, c’est le remords de la conscience, l’autre des hommes, la troisième de Dieu ». I » - 1 1->-. q. i xxxvii, a. 1. Mais de même que la coulpe est
en définitive, l’Insubordination de l’opération au
principe suprême qui impose la tin dernière, de même la cause de la peine est en définitive, Dieu, principe dernier de l’ordre violé. Deus est auctar pan >, Dr malo, q. i, a. 5, sans préjudice d’ailleurs du droit de l’homme, car la peine juste peut être infligée et par Dieu et par l’homme ». D-ID, ibid, ’A Le pêche n’est donc pas directement la cause de la peine, il l’est cependant au sens de disposition. Il est une chose que le péché cause directement, c’est de constituer l’homme digne de peine. » Ibid.
d. Son efjet. - — Textes : les mêmes que plus haut. Solution. — a) la cause subjective du péché est la
volonté défaillante ; la peine devra donc atteindre là. Effectivement, il est de l’essence de la peine qu’elle soit contraire à la volonté ; elle a pour elTet de contrarier la volonté de l’opérateur. Est de rationc panée quod voluntati repugnet, De malo, q. i, a. 1 ; ut sit contraria voluntati. [ « -Il », q. xlvi, a. 6 ; q. lxxxvii, a. 6. Difjcrt pœna a culpa per hoc quod est secundum voluntatem et contra voluntatem esse. De. malo, q. i, a. 4.
B) Tous les maux qui atteignent l’opérateur, lors même qu’ils ne siégeraient pas dans la volonté, ne l’atteignent qu’en fonction de la volonté.
y) Cette opposition ou contrariété peut être ou à la volonté actuelle, ou à la volonté simplement habituelle, ou enfin à l’inclination naturelle de la volonté. De malo, q. i, a. 4. — D’où : Dxcommoda vel damna quæ quis nesciens patitur, licet non sint contra voluntatem actualem sunt lamen contra voluntatem naturalem vcl habitualem, ut dictum est. Ibid., ad 11"’°.
e. Son but. — Textes : Sum. theol., 1o -11 « , q. lxxxvii, a. 1 et (> ; II » - II*, q. lxi, a. 4.
a) L’a te du péché rend l’homme obligé à la peine, en tant qu’il constitue une transgressioon de l’ordre de la justice divine, ordre auquel l’homme ne revient que par la réparation de la peine qui ramène l’égalité de la justice ; en ce sens que celui qui a plus accorde a sa volonté qu’il ne le devait, doit, selon l’ordre de la justice divine, souffrir, de gré ou de force, quelque chose qui soit contre ce qu’il voudrait. P-II’, q. lxxxmi, a. 6. Le but de la peine est donc essentiellement de compenser par celle contrariété la contrariété dont la volonté de l’agent s’est rendue coupable à l’égard du Principe ordonnateur, en se révoltant contre lui et contre la fin légitime Imposée par lui.
8) Il existe dis buis accessoires de la peine, que signale saint Thomas, ibid., ad 3’" » : le rétablissement de l’ordre de la justice violé parle péché, la guérison des puissances de l’âme, volonté et aut les lacultés que la coulpe précédente avait désordonnées ; l’éloignement et la réparation du scandale causé, « les peines sont encore requises pour rétablir l’égalité de la justice et pour éloigner le scandale des autres, afin qu’ils soient édifiés par la peine comme ils avaient été scandalisés par la faute ».
Pour une exposition plus complète, voir articles :
PÉCHÉ, PÉNITENCE, SATISFACTION.
V. DÉCISIONS CANONIQUES QUI ONT FIXÉ LA DOC-TRINE, avant et après saint Thomas. —
1° Signalons d’abord les symboles et les professions de foi qui affirment expressément la foi en Dieu, Créateur de toutes choses, des visibles et des invisibles : symboles de Nicée, de Constantinople, de Léon IX, Denzinger-Bannwart, n. 343 ; la profession de Michel Paléologue au concile de Lyon en 1274, n. 461 ; la profession de foi du concile de Trente, n. 994 ; la constitution De fide catholica du Concile du Vatican, ci : De Deo rerum omnium creatore, n. 1782, 1783, et le canon 1 correspondant, n. 1801.
2° Toutes les formules de symboles et les condamnations relatives au dualisme des deux principes. Le 9e des anathèmes annexés au Libcllus in modum symboli, Denziger-B., n. 29 ; les anathèmes 7e, 8e, 12e et 13° du concile de Braga contre les erreurs des priscillianistes, n. 237, 238, 242, 243 ; la profession de foi prescrite par Innocent III aux vaudois repentants, n. 421 ; le premier chapitre du IVe concile du Latran (1215), contre les albigeois et les vaudois, n. 428. « Ces diverses décisions établissent l’unité et la bonté de la cause créatrice de la nature spirituelle et corporelle, la création sans intermédiaire de l’une et de l’autre, la bonté naturelle originelle des anges, des âmes humaines, des choses corporelles et du démon lui-même, qui s’est rendu mauvais par sa faute. » Art. Bien, t. ii, col. 835, 836.
3° La bulle Cantate Domino (4 février 1441) pour les jacobites, où Eugène IV condamne les manichéens et leur doctrine des deux principes. Denziger-B. , n. 707. — Elle définit comme profession de foi de l’Église catholique : 1) que Dieu a créé toutes les créatures, spirituelles et corporelles, par pure bonté : qui quando voluit, bonitate sua, universas tam spirituales quam corporales condidit creaturas ; — - 2) que les créatures sont bonnes, étant l’œuvre du souverain Bien, bonus quidem, quia de nihilo factæ sunt ; mais déficientes, parce que tirées du néant, sed muta biles quia de nihilo factæ sunt ; — 3) que le mal n’a pas de nature, vu que toute nature, en tant que nature, est bonne, nullamque mali asserit esse naturam, quia omnis natura, in quantum natura est, bona est ; — 4) que le Dieu de l’Ancien Testament et celui du Nouveau sont un seul et même Dieu, auteur de la Loi et de l’Évangile, Unum atque eumdem Deum Veteris et Novi Testamenti, hoc est Legis et Prophetarum atque Evangelii projiteturauctorem. — Denziger1- annwart, n. 706.
VI. Conclusion. —
En arrêtant cette étude à saint Thomas, nous ne voulons pas signifier que la pensée humaine soit restée, depuis lors, indifférente à la question du mal. Le problème qu’elle pose est trop angoissant pour qu’il soit possible de s’en désintéresser. La philosophie scolastique cependant, et la théologie catholique avec elle, ont cru trouver dans la synthèse thomiste un corps de doctrine suffisamment solide et complet et n’ont pas voulu s’en écarter. Les siècles qui ont suivi n’ont rien apporté qui mérite une mention particulière. Signalons simplement, en ces dernières années, quelques études d’ensemble sur le mal : J. de Bonniot, S. J., Le problème du mal, Paris 1888 ; Xavier Moisant, Le problème du mal, Paris, 1907 ; et, chez les protestants, E. N’avilie, Le problème du mal, Paris, 2e édit., 1869. — Ces auteurs se placent à un point de vue quelque peu différent du nôtre.
Quant aux philosophes étrangers à l’influence de l’École, il serait trop long d’indiquer tous ceux qui se sont essayés à la solution de l’énigme posée par la coexistence, dans le monde, du bien et du mal. L’étude de M. E. Lasbax, Le problème du mal, Paris, Alcan, 1919, donnera une vue d’ensemble des grands systèmes modernes et contemporains. L’on remarquera la conclusion à laquelle aboutit l’auteur ; l’origine qu’elle assigne au mal n’est pas très éloignée de celle que nous lui avons assignée nous-même à la suite de saint Augustin et de saint Thomas : « Ce n’est pas, écrit M. Lasbax, à une sorte de manichéisme déguisé que nous aboutissons, c’est-à-dire à une interprétation plus ou moins grossière du dualisme radical où les deux Principes, placés sur le même plan, auraient même degré de réalité. Des deux principes, un seul possède à proprement parler l’existence, puisqu’il est l’expression intégrale de la Vie, et que dès lors tout ce qui au monde possède de réalité ou d’être ne saurait procéder que de lui : l’autre consiste simplement en une volonté de haine et de mort, infini négatif si l’on veut, dans le sens où négatif implique un néant de vie, et par suite d’existence. Mais il ne saurait, par cela même, constituer en dehors des êtres créés, un Principe réel, effectivement réalisé en soi. » Qu’on ramène cette » volonté de haine et de mort » aux limites de la simple privation, et nous pourrons souscrire aux conclusions de M. E. Lasbax.
E. Masson.
MALABARES (Rites). — On désigne sous ce
nom un ensemble de pratiques qui se sont introduites
au cours du xviie siècle dans les missions catholiques
du sud de l’Hindoustan. Propagées par de zélés
missionnaires, ou tolérées par eux dans le très louable
dessein d’ « accommoder » la vie chrétienne aux mœurs
d’un pays tout différent des nôtres, ces pratiques
n’ont pas tardé à éveiller des scrupules chez d’autres
ouvriers évangéliques, et parmi ceux-là mêmes qui
en usaient. Plusieurs d’entre elles n’étaient-elles pas
entachées de superstition ? Dans les missions des
débats s’élevèrent, où Rome dut bientôt intervenir.
Une série de décisions pontificales parurent. Elles
précisaient quels étaient parmi les rites malabares
ceux qu’il fallait incontinent supprimer, ceux que
l’on pouvait tolérer provisoirement, quitte à prendre
des moyens efficaces pour les faire peu à peu disparaître,
quitte surtout à lutter contre l’esprit qui les
avait fait naître. La bulle de Benoît XIV, Omnium
sollicitudinum, le dernier en date de ces actes pontificaux
solennels, règle aujourd’hui encore la vie
religieuse des missions de l’Inde, et son application
n’a pas laissé de soulever, jusque dans la seconde
moitié du xixe siècle, un certain nombre de controverses.
— Par ce que l’on vient de dire, il est aisé
de voir la parenté qui unit ces disputes, théoriques
et pratiques, à celles qui furent soulevées autour des
rites chinois. Voir t. ii, col. 2364 sq. Elles intéressent
le théologien moraliste tout autant que l’historien ;
on les exposera ici en suivant l’ordre chronologique
et en marquant avec précision, au besoin à l’aide
d’un bref commentaire, les décisions pontificales qui
ont entendu les dirimer. Systématiquement, on évitera
tout ce qui pourrait être polémique ; il n’y a
aucun intérêt à enveminer à nouveau des querelles
désormais éteintes. De l’histoire même on ne donnera
que l’essentiel, ce qui est indispensable pour comprendre
les documents pontificaux.
I. Le Père de Nobili et l’accommodation. Première
intervention pontificale.
II. La querelle des