Dictionnaire de théologie catholique/MAURISTES I. Aperçu historique sur la Congrégation de Saint-Maur

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 10.1 : MARONITE - MESSEp. 210-213).

MAURISTES. — De l’avis de tous les érudits, la Congrégation de Saint-Maur, de l’ordre de saint Benoît a, pendant plus de cent cinquante ans, rendu des services signalés dans le domaine des sciences sacrées et profanes. Étendue, variée et féconde, suivant les expressions de Ch. Langlois, l’activité des Mauristes mérite d’être relevée dans ce Dictionnaire, où les plus marquants d’entre eux ont eu déjà ou auront dans la suite, une notice spéciale. Ce qu’il importe de faire ressortir ici, au risque de quelques répétitions, ce sont les résultats d’ensemble, obtenus par un travail intellectuel dont l’organisation fut de tous points excellente, qu’il s’agît d’aller explorer les archives des bibliothèques en France ou à l’étranger, de mettre ensuite en œuvre les copies et les notes recueillies, de publier enfin des traités d’érudition ou des collections de textes précieux. L’œuvre pourtant ne se réalisa pas sans des difficultés qui en rehaussent le mérite : les obstacles vinrent des querelles religieuses de l’époque auxquelles bon nombre de mauristes furent mêlés, et parfois aussi du défaut d’entente parfaite pour l’exécution des travaux. Il est curieux d’entendre un dom de Sainte-Marthe se plaindre du déclin des études au moment même où un Mabillon, un Montfaucon et tant d’autres avec eux étaient dans toute l’ardeur du travail. Il n’en reste pas moins établi qu’aucune compagnie religieuse, aucun groupement de savants n’a égalé la Congrégation de Saint-Maur, ne peut même se vanter de l’avoir suivie à une longue distance. A l’heure actuelle, beaucoup d’érudits trouvent à s’instruire et se documenter dans les manuscrits des mauristes, sauvés du pillage de la Révolution, et conservés dans les bibliothèques de Paris ou de la province.

Avant de dire ce que furent les travaux des mauristes nous donnerons : I. Un aperçu historique sur la Congrégation de Saint-Maur ; II. L’exposé du jansénisme au sein de la Congrégation (col. 411) ; III. Une description de la formation des religieux et de l’organisation du travail intellectuel (col. 417) ; IV. Les travaux des mauristes (col. 423).

I. Aperçu historique sur la Congrégation de Saint-Maur. — La Congrégation bénédictine de Saint-Maur tire son origine de celle de Saint-Vanne à Verdun, où dom Didier de la Cour, profès de 1575, avait opéré une réforme en 1600 ; unie à la communauté de Moyen moutier en 1601, celle de Verdun forma une congrégation à laquelle une bulle de Clément VIII, en 1604, donna l’existence canonique sous le nom des Saints Vanne-et-Hydulphe. En peu d’années la nouvelle congrégation groupa plus de quarante monastères. Plusieurs maisons de France voulurent s’y agréger, entre autres Saint-Augustin de Limoges, Saint-Junien de Noaillé, Saint-Faron de Meaux ; mais comme la Lorraine n’appartenait pas à la France, il y eut des difficultés et l’on résolut d’ériger en France une autre congrégation. L’instrument dont se servit la Providence pour l’exécution de ce dessein fut un jeune religieux de l’ordre de Cluny, dom Laurent Renard (ou Besnard) alors prieur du Collège de Cluny à Paris, et docteur en Sorbonne. Ayant trouvé son prieuré dans un état déplorable, il demanda et obtint des religieux lorrains pour son collège. Parmi ceux-ci se distinguaient dom Athanase de Mongin et dom Colomban Régnier. Au chapitre général de Saint-Mansuy à Toul, en 1618, la demande des Français fut agréée par les Lorrains, dom Laurent Renard fut désigné pour faire les démarches nécessaires, et, dès le mois d’août, il obtenait de Louis XIII des lettres patentes ; les bénédictins réformés français purent tenir leur premier chapitre au couvent des Blancs-Manteaux : on nomma dom Martin Tesnière président de la Congrégation de Saint-Maur. Dom Laurent Benard, un de ses assistants, ne tarda pas à mourir (1620). Peu de temps après, arrivait du Languedoc à Paris dom Tarrisse, désireux d’établir la réforme bénédictine dans les couvents de sa région : né à Cessenon dans l’Hérault, en 1575, il avait d’abord appartenu à la Congrégation des Exempts ; il venait aux Blancs-Manteaux réclamer les conseils des religieux. À force d’instances, il obtint que deux Pères, dom Colomban Régnier et dom Placide le Simon l’accompagneraient à Toulouse et rapporteraient au chapitre général de Jumièges, ce qu’ils auraient vu. Grâce à la générosité du cardinal de La Valette, archevêque, un séminaire bénédictin fut établi à Toulouse Dom Tarrisse y entra en juin 1623, se soumit de nouveau aux épreuves du noviciat, obtint que son prieuré de Cessenon serait uni à Saint-Maur et fit profession le 29 juin 1624 ; il prit alors le nom de Grégoire. Successivement prieur de la Daurade à Toulouse, en 1627, de Saint-Junien de Noaillé près de Poitiers en 1629, il fut envoyé l’année suivante au chapitre général tenu à Vendôme, où on le nomma définiteur.

La Congrégation de Saint-Maur, jusqu’à cette date, avait été gouvernée par des supérieurs qui avaient le titre de président du régime, ils étaient renouvelés tous les trois ans : tel fut le cas de dom Martin Tesnière, de 1618 à 1621 et de 1624 à 1027, de dom Colomban Regnier, de 1621 à 1624, de dom Maur Dupont, de 1627 à 1630. Ces présidents du régime résidaient au couvent des Blancs-Manteaux dont ils étaient prieurs. Élu au chapitre général de Vendôme pour succéder à dom Maur Dupont, dom Grégoire Tarrisse eut le titre de supérieur général et établit sa résidence à Saint-Germain-des-Prés en 1631, quand les moines de Chezal-Benoît se furent retirés.

En 1618, la Congrégation naissante de Saint-Maur n’avait pu, faute de ressources, obtenir une bulle d’érection. Grégoire XV, en 1021, accorda la remise des droits à payer. Urbain VIII, en 1628, donna une bulle de confirmation ; au cours de ces dix années, les chapitres généraux procédèrent régulièrement à l’élection du Président du régime qui pouvait être maintenu dans sa charge pendant trois ans. On ne tarda pas à constater que ces changements trop fréquents avaient bien des inconvénients. En vue d’y remédier, dom Grégoire Tarrisse, avec une discrète lenteur, élabora un nouveau’corps de Constitutions qui fut d’abord mis à l’essai, et ne fut définitivement arrêté qu’après avoir reçu les suffrages presque unanimes des intéressés, au chapitre général de 1645.

Les Constitutions de Saint-Maur comprennent deux parties : 1. les Déclarations ayant pour objet la discipline régulière : elles exposent la règle de saint Benoît ; 2. les constitutions proprement dites ou lois du gouvernement. Pour toute la congrégation il y a au sommet un Supérieur général avec deux assistants ; la France ayant été partagée en six provinces, chacune de ces provinces eut un visiteur ; il y eut dans chaque monastère un prieur. Tous les trois ans devait se tenir le chapitre général, dont le pouvoir était souverain : nomination à toutes les dignités, pouvoir législatif, pouvoir exécutif. Un représentant choisi par chaque communauté et nommé conventuel, allait siéger au chef-lieu de la province avec les prieurs, et cette assemblée nommait quatre délégués. Ces vingt-quatre membres joints aux six visiteurs, aux deux assistants et au supérieur général formaient un total de trente-trois membres qui constituaient le chapitre général. Pendant la tenue de l’assemblée, toutes les charges demeuraient suspendues : on nommait un président et huit capitulants qui composaient avec lui le définitoire. Le général était rééligible à perpétuité, les visiteurs et prieurs ne pouvaient pas rester plus de six ans dans leur emploi ; transférés ailleurs, ils reprenaient leur rang de profession. Les changements de province à province n’étaient pas ordinaires, ceux d’une maison à une autre étaient plus fréquents, on considérait, avant tout, l’intérêt général. Dans chaque maison, il y avait un prieur investi par le chapitre général. Son conseil ou séniorat était formé de quatre de ses confrères, deux à son choix dont le premier devenait le sous-prieur, les deux autres nommés par la communauté, dont le premier prenait le titre de doyen. Ce petit sénat préparait et discutait les projets dont l’adoption revenait au seul prieur et ces projets étaient soumis à l’assemblée capitulaire. Les autres charges dépendaient du prieur. Notons enfin dans les constitutions, le soin d’assurer la pratique de la pauvreté : pour chaque moine, une cellule dont l’unique mobilier se composait d’un lit dur et grossier, d’une table de bois et de deux chaises de paille ;. l’obligation du silence rigoureux en dehors des récréations ; la célébration de l’office dont personne n’était dispensé, sauf le cas de maladie ou de raisons graves ; l’application au travail intellectuel qui devait procurer à l’ordre bénédictin une gloire unique durant les deux siècles que vécurent les mauristes.

À la mort de dom Tarrisse, on lui donna pour successeur dom Jean Harel, lequel, originaire de Jumièges, avait fait profession en 1620 aux Blancs-Manteaux. Il fut élu au chapitre général de Vendôme en 1648 et gouverna douze ans ; il obtint d’être déchargé en 1660 et fut remplacé par dom Bernard Audebert. Limousin d’origine, profès à Saint-Junien de Noaillé en 1620, celui-ci gouverna la congrégation de 1660 à 1672.

Homme d’action et aussi homme d’étude, il prit un vif intérêt au développement des travaux scientifiques au sein de la congrégation de Saint-Maur. Il a laissé des instructions concernant l’organisation du travail, a écrit des mémoires qui renseignent sur l’histoire de la congrégation de 1642 à 1654. Archives de la France monastique, t. xi, avant-propos, p. v-ix. Sous son généralat parurent les cinq volumes des Acta sanctorum comprenant les trois premiers siècles bénédictins ; par son ordre on commença à travailler à l’édition des œuvres de saint-Augustin. À sa mort (en 1675), on comptait 3&nbsp ; 000 religieux en 178 monastères gagnés à la réforme.

Dom Vincent Marsolle, qui lui succéda, fut supérieur général de 1672 à 1681. Originaire de l’Anjou, il avait été quelque temps religieux de Fontevrault, avait fait profession comme bénédictin de Saint-Maur à Saint-Melaine de Rennes en 1643. Au moment de son élection en 1672, il reçut les félicitations du cardinal Bona, puis du roi de Pologne, alors abbé de Saint-Germain-des-Prés. En dépit des inquiétudes et des difficultés qui ne lui manquèrent pas, il mit tous ses soins à ce que les religieux fussent appliqués à d’utiles travaux, comme la révision des ouvrages des Pères ; il poussa activement l’édition de saint Augustin, bien qu’il eût été auparavant opposé à cette entreprise ; il en confia la direction d’abord à dom Delfau, et ensuite à dom Blampin ; quand cette édition eut obtenu du succès, il appela dom Coustant pour en dresser les tables ; il prit l’initiative de faire travailler à l’édition des œuvres de saint Ambroise, en confia la direction à dom Du Frische, et chargea dom Gerberon de travailler aux œuvres de saint Anselme. Il conçut la première idée du Monasticon gallican de dom Michel Germain, puis le projet de la Bibliotheca maxima Patrum ou commentaire de l’Écriture sainte avec des extraits des Pères et des Conciles. Il rédigea tout un programme qu’il remit aux six autres visiteurs pour que la besogne fut partagée entre les provinces. Il veilla néanmoins à ce qu’une telle activité au travail ne fût nuisible ni à l’observance régulière, ni à l’assistance aux offices divins. Il se montra soucieux de vivre en bonne confraternité avec les autres ordres religieux, particulièrement avec les jésuites qui avaient déjà manifesté leur hostilité contre lès mauristes. Dom G. Mommole, Relation des actions mémorables des quatre premiers supérieurs généraux de la congrégation de Saint-Maur et de quelques autres supérieurs de la même congrégation, restée manuscrite, Bibl. Nat., fonds franc. 19&nbsp ; 622.

Les supérieurs généraux qui suivirent avaient été formés par ses soins ; ils rencontrèrent bien des obstacles, dont leur prudente fermeté et leur austérité de vie leur permirent de triompher. Dom Michel Brachet, natif d’Orléans, profès en 1627 à Saint-Faron de Meaux, prieur de Saint-Germain à trente ans, demeura constamment à Paris sous les quatre premiers supérieurs généraux. Malgré son grand âge, il fut élu en 1681 pour succéder à dom Vincent Marsolle et mourut en 1687. Dom Claude Boitard, originaire de l’Anjou, profès à Saint-Augustin de Limoges, était l’un des assistants de dom Brachet ; il lui succéda comme supérieur général en 1687. Il fut maintenu dans cette charge jusqu’en 1702, d’autres disent en 1705, où il devint assistant de dom Simon Bougis, son successeur. Ce dernier originaire de Séez en Normandie, avait fait profession à Vendôme sous dom Marsolle, alors prieur ; il fut élu supérieur général en 1702 (ou 1705), gouverna avec sagesse, jusqu’en 1711, où il fut déchargé, et mourut simple moine à Saint-Germain en 1714. Dom Arnoul de Loo, originaire de Rouen, avait fait profession à Jumièges en 1663 ; les années 1690 à 1708 où il fut prieur à Saint-Germain furent la période la plus brillante de l’histoire de l’abbaye et aussi la plus féconde. Devenu supérieur général, il n’eut pas le temps d’appliquer les règlements qu’il avait proposés contre le jansénisme ; son généralat ne dura que deux ans, de 1711 à 1714.

Charles de l’Hostallerie, originaire du diocèse de Chartres, avait fait ses études chez les jésuites et les oratoriens ; il fit profession à Vendôme en 1659. Comme prieur et comme visiteur, il encouragea de tout son pouvoir les études littéraires ; en 1712, il se préoccupait du projet d’un Dictionnaire historique de l’Ordre bénédictin. Durant son généralat qui fut de sept années, de 1714 à 1720, il demeura fidèle à son rôle de protecteur des études, faisant agrandir la bibliothèque de Saint-Germain, voulant qu’on rassemblât des matériaux pour une histoire monastique, dont la direction confiée à dom Guillaume Roussel passa ensuite à dom Rivet. Mais de graves difficultés surgissant après la publication de la bulle Unigenitus, vinrent entraver son action durant tout le cours de son généralat ; d’une orthodoxie au-dessus de tout soupçon, il eût voulu faire accepter la bulle par tous ses religieux ; mais cette tâche fut rendue impossible par l’attitude du cardinal de Noailles, archevêque de Paris ; d’autre part, la congrégation de Saint-Maur, menacée de suppression par des ennemis acharnés, était fort desservie à Rome par le procureur général, dom Philippe Raffier, qui s’était donné tout entier aux jésuites. Tous les efforts du supérieur général durent se borner à réparer les fâcheuses démarches, à protéger la congrégation contre les jalousies et les défiances du dehors, contre les imprudences du dedans. Cependant, en 1717, on projetait une nouvelle édition des Historiens de France ; confiée à dom Martène, elle fut interrompue et ne put être reprise que plus tard par dom Bouquet. Un voyage d’exploration accompli par Martène et Durand dans les bibliothèques d’Allemagne et des Pays-Bas en 1718, procurait une ample moisson de documents. Un acte d’appel, lancé par le cardinal de Noailles en cette même année 1718 amena une recrudescence dans l’opposition à la bulle ; la majeure partie des bénédictins de France renouvela l’appel : dom de l’Hostallerie n’y pouvait rien. Déchargé de ses fonctions en 1720, il mourut l’année suivante.

Il eut pour successeur dom Denis de Sainte-Marthe, né à Paris en 1650, profès à Saint-Melaine de Rennes en 1668 ; il rendit des services signalés comme prieur de Bonne-Nouvelle de Rouen, s’occupa de l’édition de saint Grégoire, intervint pour défendre ses confrères attaqués dans l’édition des œuvres de saint Augustin. Il fut supérieur général de 1720 à 1725. Il eut pour successeur dom Pierre Thibault qui, de 1725 à 1729, s’appliqua avec zèle à faire accepter par les religieux de son ordre la bulle Unigenitus. C’est aussi l’attitude que prit son successeur Jean-Baptiste Alaydon. Celui-ci, avant son élection comme supérieur général en 1729, avait fait opposition à la bulle. Au retour du chapitre qui l’avait élu, il trouva à Orléans l’ordre de s’arrêter dans cette ville et de n’en point sortir. Dom Vincent Thuillier fit des efforts pour obtenir que la cour rappelât à Paris, dom Alaydon et celui-ci, après des tergiversations, finit par accepter la bulle, ce qui rendit plus difficile l’exercice de sa charge ; les chagrins occasionnèrent sa mort survenue en 1733. Son exemple fut un acheminement vers la soumission officielle de la congrégation. Cf. Le cardinal de Fleury, dom Alaydon et dom Thuillier, dans Rev. bénédictine, 1909, t. xxvi, p. 325.

Sous dom Hervé Ménard, qui fut supérieur général de 1733 à 1736, l’abbaye de Saint-Germain eut des démêlés avec la cour de Rome ; dom Ménard y fit preuve d’une grande fermeté. Il faut placer ici le supériorat éphémère de dom Claude Dupré qui, proclamé d’une voix unanime en mai 1736, mourut le 30 décembre suivant. Voir Revue Mabillon, 1908, t. iv. De 1737 à 1754, dom René Laneau fut supérieur général ; au moment de la mort de dom Bernard de Montfaucon (✝ 1741), il reçut une lettre de condoléance du cardinal Quirini. De 1754 à 1756, le supérieur général fut dom Jacques (alias Nicolas Maumousseau). Dom Marie Joseph Delrue fut supérieur général de 1756 à, 1766 ; on a de lui une fort belle lettre datée du

27 juillet 1762, et dans laquelle il offre les services des religieux de sa congrégation pour les recherches historiques exposées dans le plan des travaux littéraires ordonnés par Sa Majesté. Voir Revue bénédictine, 1898, t. xv, p. 347. Mais son généralat fut marqué par un acte d’une haute gravité : le 15 juin 1765,

28 religieux de l’abbaye de Saint-Germain adressaient au roi, par l’entremise de M. de Jarente, évêque d’Orléans, une requête dans laquelle ils se plaignaient des pratiques introduites dans l’ordre bénédictin, d’un habillement singulier et avili aux yeux du public, d’austérités étrangères, disaient-ils, à la lettre de la règle. Cet acte de religieux rougissant de leur habit, de leur nom et de leurs observances fit scandale : il renouvelait l’agitation au sein de la congrégation’de Saint-Maur. Dès le 23 juillet suivant, dom Delrue et le régime de la congrégation présentaient au roi une autre requête dans laquelle la démarche des 28 était blâmée très fortement. Le chapitre général tenu à Saint-Germain le 28 septembre 1766 fut orageux. On élut comme supérieur général dom Pierre François Boudier, prieur du Bec, qui avait protesté contre la requête des 28. Il fut décidé que les Constitutions seraient révisées, et la nouvelle rédaction fut unanimement approuvée par le chapitre général de 1769. Porée, Histoire de l’abbaye du Bec, t. ii, p. 507-513. Le supérieur général adressait cette rédaction à toutes les maisons des mauristes exprimant l’espoir qu’elle mettrait fin aux dissensions intérieures. Mais le mal avait déjà jeté de profondes racines. Pour faire refleurir les études dans la congrégation de Saint-Maur, le chapitre général de 1767 avait établi un Bureau de littérature, en vue d’exécuter et perfectionner un plan d’études. Dom Boudier en était le président de droit ; en 1769, ce bureau fut supprimé par ordre du roi.

De 1772 à 1778, le supérieur général fut dom René Gillot, né à Bar-le-Duc, profès à Saint-Faron de Meaux en 1735 ; il avait collaboré avec dom Hervin et dom Bourotte à la collection des Conciles de France ; il mourut à Saint-Germain en 1787. De 1778 à 1781, le supérieur général fut dom Charles Lacroix. Des scissions continuaient à se produire. Au chapitre général de Marmoutier, en 1781, il y eut des réclamations contre l’admission des députés de Normandie ; dom Mousso fut élu supérieur général le 17 mai 1781 sans qu’il fût tenu compte du dissentiment. L’Assemblée du clergé de 1782 voulut prendre les moyens de ramener la paix. Un arrêt du Conseil d’État du roi, du 21 juin 1783, convoqua un chapitre extraordinaire à Saint-Denis pour le 9 septembre ; dom Mousso refusa de s’y rendre et fut destitué. Son appel à Rome fut frappé de nullité. Bien des irrégularités furent commises dans le chapitre de Saint-Denis. On crut remédier au mal en élisant, le 5 octobre 1783, dom Ambroise Chevreux, comme supérieur général. Celui-ci devait être le dernier ; après avoir rétabli l’ordre et la paix, il faisait reprendre le travail intellectuel, quand la Révolution le chassa de son monastère. Il se réfugia momentanément chez une parente, fut pris, enfermé dans l’Église des Carmes et massacré le 2 septembre 1792 avec deux autres bénédictins, dom Barreau de la Touche et dom Massey. Tous trois ont été béatifiés avec les Martyrs de Septembre, le 16 octobre 1926.

Pour bien connaître l’histoire de la congrégation de Saint-Maur, il faut savoir encore que, de 1623 à 1733, elle eut à Rome des procureurs généraux dont plusieurs jouèrent un rôle important. Le procureur était assisté d’un socius qui lui servait de secrétaire et parfois aussi le suppléait. Ces procureurs généraux furent : dom Placide Le Simon de 1623 à 1661 ; puis après une interruption de quatre années : dom Gabriel Flambart, de 1665 à 1672 ; dom Antoine Durban de 1672 à 1681 ; dom Gabriel Flambart, pour la seconde fois, de 1681 à 1684 ; dom Claude Estionnot, de 1684 à 1699 ; dom Bernard de Montfaucon, de 1699 à 1701 ; dom Guillaume Laparre, de 1701 à 1711 ; dom Philippe Rainer, de 1711 à 1716 ; dom Charles Conrade de 1716 à 1725 ; dom Pierre Maloet, de 1725 à 1733. Dom Claude de Vie, qui avait été socius de 1701 à 1715, fut désigné par le chapitre de 1733 pour remplir les fonctions de procureur général ; il mourut en janvier 1734 et, de fait, la procure fut supprimée. L. Lecomte, Les deux derniers procureurs généraux, dans Revue Mabillon, année 1920-1921, t. x-xi, p. 291.