Dictionnaire de théologie catholique/MESSE VI. La messe en Orient du IVè au IXè siècle 2. La messe chez les nestoriens et les monophysites
II. La messe chez les nestoriens et les monophysites. —
Les controverses christologiques du v° siècle, qui amenèrent la création des Églises nestorienne et monophysite, ne furent pas sans avoir une certaine répercussion sur la théologie eucharistique, spécialement à propos de la transsubstantiation (voir article Kuciiamstie, t. v, col. 1166 sq.) ; mais elles laissèrent intacte la croyance au sacrifice de la messe. Aussi trouve-t-on sur cette question chez les théologiens nestoriens et monophysites une doctrine équivalente à celle des Pères orthodoxes. Quelques citations suffiront à le prouver.
Dans une de ses homélies, Nestorius met bien en relief l’idée du sacrifice eucharistique, reproduction symbolique du sacrifice de la croix : ^ Aux fidèles comme à des soldats est offerte la solde royale que sont les saints mystères ; mais l’armée des fidèles, on ne la voit nulle part ; comme une paille légère, le vent de la négligence les a emportés avec les catéchumènes. Le Christ est symboliquement crucifié, immolé par le glaive de la prière sacerdotale ; mais, comme aux jours de la passion, ses disciples ont pris la fuite, xal CTTa’jpo’jTa'. (Asv xxrà tov t’jttov XpiaTOç, t ?) ttjç ispaTix^ç e’J/rjç jjiaxaîpqe ocpaTT6 ; j.evoç. » Loofs, Nestoriana, Halle, 1905, p. 241. On trouve dans ces paroles un écho de celles de saint Grégoire de Nazianze rapportées plus haut ; elles^montrent en la consécration l’acte central du sacrifice, par lequel la victime, qui est Jésus-Christ, est immolée. On peut seulement se demander si, en parlant de la prière sacerdotale, Nestorius fait allusion aux paroles du Seigneur ou à celles de l'épiclèse.
En fait, il semble que la doctrine sur la forme de l’eucharistie se soit obscurcie très vite chez les nestoriens. Déjà sur la fin du v° siècle, Narsaï, un de leurs docteurs, paraît bien faire du Saint-Esprit le prêtre principal du sacrifice et lui attribue le rôle que saint Jean Chrysostome reconnaît à Jésus. Expliquant dans une de ses homélies les prières et les rites de la messe, il dit en propres termes : « Le Saint-Esprit descend à la demande du prêtre et il célèbre les mystères par la médiation du prêtre, qu’il a consacré. Ce n’est pas la puissance du prêtre qui célèbre les adorables mystères, mais c’est le Saint-Esprit qui les célèbre par sa mystérieuse présence. » Il ajoute qu’après les trois signes de croix faits au moment de l'épiclèse, le sacrifice est accompli. Homil., xvii, Expositio myster., publiée par Connolly, Theliturgical homilies of Narsaï, dans Texts and Studies, t. viii, 1909, p. 21, 22. Voir aussi Hom., xxi, De baptismo, p. 58, Hom., xxxii, De sacerdotio, p. 66-67. C’est peut-être sous l’influence de cette doctrine sur l'épiclèse que l'Église nestorienne, déjà depuis plusieurs siècles, a supprimé le récit de la cène avec les paroles du Seigneur dans la messe dite des Apôtres, qui est la plus usitée.
On peut cependant recueillir chez d’autres théologiens nestoriens des textes favorables à la doctrine catholique. C’est ainsi qu’Ebed Jésu, au xive siècle, dans le court chapitre qu’il a consacré à la messe, dans son ouvrage : De la vérité de la religion chrétienne, traduit en latin et édité par Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. x b, p. 358-359, après avoir rapporté les paroles dominicales ajoute : Hoc itaque præcepto dominico mulatur panis in sanctum ejus corpus, et vinum in pretiosum ejus sanguinem, et fiunt in remissioncm peccatorum, et in emundationem et illuminationem et propitiationem. Il faut ajouter que, dans les deux autres messes nestoriennes, dites de Théodore de Mopsueste et de Nestorius, l'épiclèse est séparée des paroles du Seigneur par de longues prières, et paraît de ce fait perdre de son importance, la présence réelle étant déjà supposée par ces prières.
Chez les docteurs monophysites, la doctrine traditionnelle est bien conservée. Le pseudo-Dcnys (qui est peut-être Sévère d’Antioche) enseigne clairement non seulement que l’eucharistie est un sacrifice, mais que la consécration en constitue l’essence : Après la préface, le pontife « procède à la célébration mystique du sacrifice en la manière que Dieu a instituée… Il s'écrie au Seigneur : « Vous l’avez dit : Faites ceci en mémoire de moi. » Puis il demande la grâce de n'être pas indigne de ce ministère par lequel l’homme imite un Dieu, et de retracer Jésus-Christ dans la célébration
et la distribution des choses sacrées. » Hier, eccles., c. iii, § iii, 12, P. G., t. iii, col. 441-444.
Sévère d’Antioche n’est pas moins explicite que saint Jean Chrysostome à affirmer le rôle principal du Christ pontife dans la célébration de la messe : « Le prêtre qui se tient à l’autel ne joue le rôle que d’un simple ministre. Prononçant les paroles comme en la personne du Christ et reportant l’action qu’il accomplit au temps où le Sauveur institua le sacrifice en présence de ses disciples, il dit sur le pain : Ceci est mon corps, qui est livré pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. Sur le calice il prononce ces mots : Ce calice est le Nouveau Testament en mon sang, qui est répandu pour vous. Ainsi donc, c’est le Christ qui continue à offrir le sacrifice, et la puissance de ses divines paroles sanctifie les éléments, qui sont apportés pour être transformés eu son corps et en son sang. » E. Brooks, The sixth book of the sélect letters of Severus, patriarch of Antioch, t. ri, Londres, 1904, p. 237-238.
Dans sa Lettre au prêtre Thomas, Jacques d'Édesse résume brièvement les prières et les rites de la liturgie syriaque. Il parle du sacrifice mystique et non sanglant du corps etdu sang du Fils unique offert à Dieu comme hostie, de propitiation pour les âmes fidèles. Il dit fort bien que toute la messe « a pour but de commémorer ce que Jésus-Christ a fait pour nous ». Il considère l’oblation comme terminée après les commémoraisons qui suivent l'épiclèse : Sed et precatur illapsum Spiritus Sancti : mox peragit commemorationes, in quibus oblatio absolvitur. Th. J. Lamy, Dissertatio de Syrorum fide et disciplina in re eucharistica, Louvain, 1859, p. 230-232. Jean de Dara, au viiie siècle, répète la doctrine de Sévère sur les paroles dominicales. Lamy, ibid., p. 36. Au xii 9 siècle, Denys Bar Salibi, dans son Commentaire de la messe, résumera ses prédécesseurs. Dioysius Bar Salibi : Expositio liturgise, édit. J. Labourt, dans le Corpus script, christ, orient., Script, syr., t. xciii, Paris, 1903.
La doctrine des Coptes nous est suffisamment manifestée par les trois liturgies dont ils se servent, et qui remontent sûrement à la période patristique. La liturgie dite de saint Grégoire présente cette particularité que l'épiclèse qui suit les paroles du Seigneur est adressée directement à Jésus-Christ. C’est à lui que la consécration est expressément attribuée : Quisanctiflcasti has oblationes propositas, et fecisti illas invisibiles ex visibilibus. Cf. Renaudot, Liturgiarum ortentalium collectio, éd. de 1847, Francfort-sur-le-Mein, t. r, p. 3134.
La liturgie arménienne, dérivée des liturgies grecques de saint Jacques et de saint Jean Chrysostome, abonde, comme toutes les liturgies, en affirmations dogmatiques sur l’eucharistie, sacrifice de la Nouvelle Alliance, offert pour les vivants et pour les morts. Chosrov le Grand, qui la commente, au xe siècle, insiste sur le rôle de Jésus prêtre principal, à la manière de saint Jean Chrysostome et de Sévère d’Antioche. Cf. P. Vetter, Chosrose Magni, episcopi monophijsitici, explicatio precum misssee lingua armeniaca in latinam versa, Fribourg-en-Brisgau, 1880 ; S. Salaville, Consécration et épiclèse d’après Chosrov le Grand, dans les Échos d’Orient, 1911, t. xiv, p. 1016.