Dictionnaire de théologie catholique/MESSE VIII. La messe dans la liturgie 10. La liturgie romaine

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 46-55).

X. La liturgie romaine. —

Généralités.


La liturgie romaine mérite à tous les titres une place à part dans cette étude sur la messe, car son influence sur les autres liturgies latines a été de premier ordre, et finalement on peut dire qu’elle les a toutes supplantées. La messe romaine forme aujourd’hui un tout assez homogène, mais elle s’est formée d’alluvions de toute nature au cours des siècles. Quoique nous n’ayons pas à l'étudier ici au point de vue historique, il faut cependant indiquer brièvement les étapes de sa formation.

On doit dire que, jusqu'à la fin du ive siècle, on ne peut constater que la messe romaine se distingue par des traits spéciaux. Du reste c’est la loi générale pour cette époque. Si différentes que soient les formules qui nous sont connues, la distinction des familles liturgiques n’existe pas encore. On peut signaler certains caractères selon que l’on est à Antioche, à Alexandrie ou à Rome, mais ce n’est qu’après la fin du iv 8 siècle que l’on constate la formation de familles ou de groupes liturgiques. La grande division liturgique entre l’Orient et l’Occident ne semble même pas exister. Les textes de saint Justin, de Tertullien, d’Origène, de saint Cyrille, de saint Jean Chrysostome, de saint Augustin, ne s’appliquent pas plus spécialement à la messe de Rome qu'à celle des autres Églises. L’anaphore de saint Hippolyte, malgré un certain goût de terroir, n’est pas non plus spécifiquement romaine. Elle présente à peu près les mêmes traits que celle des Constitutions apostoliques, et le travail de comparaison de cette anaphore avec les plus anciennes anaphores orientales auquel s’est livré dom Cagin, serait une nouvelle preuve à l’appui de cette thèse.

La substitution de la langue latine à la langue grecque dans l'Église romaine vers le milieu du me siècle, dut avoir sa répercussion dans la liturgie, mais nous n’avons pas de témoin pour nous dire ce qu’elle fut.

C’est au ve, au vie et surtout au vu 8 siècle que nous pouvons nous représenter à l’aide de documents, ce que fut la messe romaine. Ajoutons qu’elle s’y présente sous l’aspect le plus intéressant et le plus original. C’est l'âge d’or de la liturgie romaine ; c’est celui où les grands papes Damase, Innocent, Célestin, Léon, Félix, Gélase, Anastase, Symmaque, Grégoire surtout, prenaient à la liturgie le plus vif intérêt ; ils en surveillainent les cérémonies, recueillant et parfois rédigeant eux-même le texte des oraisons, des préfaces, le choix des antiennes d’où sortiront les sacramentaires et les antiphonaires les plus anciens ; ils s’inquiétaient même du chant liturgique, et réglaient parfois les détails du mobilier liturgique, de l’architecture et de la décoration des basiliques. Le Liber pontificalis pourrait à lui seul nous édifier sur cette activité des papes. Le Léonien, le Gélasien, le Grégorien peuvent aussi nous aider dans cette œuvre de reconstitution, à condition que l’on n’oublie pas que ces deux derniers, se présentent à nous sous une forme interpolée, après avoir subi de nombreuses altérations en Gaule au vin 8 et au ix 8 siècle. Mais grâce aux travaux de Probst et surtout à ceux de Bishop et de dom Wilmart, on arrive à peu près

à reconstituer le Gélasien et le Grégorien primitif. Les Ordines romani sont aussi du plus grand secours dans cette tâche.

Cette liturgie du ve -vi° siècle, débarrassée des interpolations étrangères, nous représente le « génie romain ». C’est une liturgie simple, bien ordonnée, logique. Saint Grégoire et ses prédécesseurs possédaient un ordo missx, un canon sans incohérence, où se reconnaît une pensée sûre d’elle-même. Mais ce n’est pas à dire que, sous cette forme, on ne puisse distinguer des substructions d’une époque plus ancienne qui nous ramèneraient en deçà du iv> siècle. Ed. Bishop a protesté plus d’une fois contre les liturgistes, notamment ceux d’Allemagne, qui ne voyaient dans le canon romain du vi « au vu 8 siècle, qu’une dislocation, un réarrangement maladroit de celui du iv° siècle. Ce n’est pas à dire non plus qu’elle n’ait à cette époque subi aucune iniluence étrangère. Tout récemment encore l’abbé Ch. de Corswarem relevait dans cette liturgie les traces de l’influence de Byzance. La liturgie byzantine et l’union des Églises, Avignon, 1926.

Malgré tout la liturgie de cette époque est spécifiquement romaine ; c’est une liturgie locale, la liturgie de la ville de Rome, la liturgie des papes, des basiliques romaines, des cimetières, des tombeaux sur les voies romaines, auxquels il est fait de nombreuses allusions.

Du ix° au xie siècle les choses changèrent ; il va s’exercer sur la liturgie romaine des réactions assez profondes, des influences étrangères qui en modifieront le caractère. Il faut donc dans tout exposé sur la messe romaine tenir compte de ces perspectives, et distinguer dans le missel actuel ce qui est ancien, c’est-à-dire antérieur au moins au ixe siècle et ce qui est de date postérieure. Et ceci est d’autant plus important que ces additions d’ordinaire ne sont pas d’origine romaine, mais d’origine gallicane. Les éléments purement romains de la messe, en négligeant quelques détails secondaires, sont d’après Bishop, la collecte, l'épître, la bénédiction avant la lecture de l'évangile, l'évangile, Vorate fratres et la secrète, la préface, le canon, l’oraison dominicale, la postcommunion et l’Ile missa est. A cela il faut ajouter les quatre pièces de chant : introït, graduel, offertoire et communion, qui, s’ils ne sont pas d’origine romaine, furent adoptés à Rome dès leur apparition. Le génie du rit romain, p. 32.

Nous nous efforcerons donc, dans l’exposé que nous allons faire, de distinguer l'âge et l’origine de chacun des éléments de la messe romaine. On peut dire que ce n’est pas aujourd’hui une besogne bien difficile après les travaux des liturgistes qui nous ont précédé, et dont on trouvera la liste dans une note bibliographique finale.

Prélude.

Pendant que le pape, les prêtres et les

clercs se rendent de la sacristie à l'église, on chante un psaume qui s’appelle introït, ou psaume d’entrée ou de début, anliphona ad inlroïtum ; le terme d’Ingressa est employé avec le même sens dans les livres ambrosiens.

Cette procession, on l’a remarqué, devait être imposante, surtout aux jours de fête. Le cortège du pontife comprenait sept acolytes porteurs de flambeaux, sept diacres, sept sous-diacres, l’un de ceux-ci tenait un encensoir fumant. Tous, du pape aux acolytes, étaient revêtus de planetm ou pœnulæ de forme ronde et sans manches, que nous appelons chasubles. C’est le chœur des chantres qui, dans le presbgterium, chantait l’introït. Acolytes et sous-diacres se rangent à leur place, tandis que le célébrant arrive au pied de l’autel, prie en silence, donne le baiser de paix à ses assistants, et les diacres vont baiser deux par deux les extrémités de l’autel, puis le célébrant monte à l’autel,

baise le livre des évangiles qui y est déposé et l’autel lui-même. Le pontife se rend ensuite à son siège. C’est un rite analogue qui s’accomplit encore au vendredi saint.

L’usage de chanter le psaume d’introït remonte au iv 8 siècle et avait pour but de donner à ce défilé plus de solennité. D’après ce que nous voyons au missel actuel qui représente un ancien usage, ces psaumes ne devaient pas être pris à la suite, comme ceux des matines ou des vêpres, mais choisis selon les circonstances. De bonne heure aussi, et plus facilement encore que pour l’offertoire ou la communion, on puisa, en dehors des psaumes, dans les autres livres de la Bible, et même dans les livres qui ne sont pas au canon, comme pour le Requiem œlernam des messes des morts. Aujourd’hui l’introït ne se compose plus que d’un verset ; le reste du psaume est supprimé, mais on dit toujours la doxologie. Un peu plus tard à Rome et en certaines circonstances, le début de la messe fut entouré d’une solennité plus grande encore. Le pape, le clergé et le peuple se réunissaient à un certain lieu désigné, d’ordinaire l'église de Sainte-Sabine sur l’Aventin, et se rendait à l’une des églises de la ville où se tenait la station et qui est, sauf de rares exceptions, celle encore désignée dans nos missels.

Aujourd’hui le début de la messe romaine comprend en plus le ps. xlii avec antienne, le C.onftteor, des versets, VAufer a nobis, et VOramuste. Le psaume a été choisi à cause du verset Introibo ad altare Dei qui lui sert d’antienne ; la confession, dont la formule a varié selon les temps et les lieux, est une des pratiques les plus anciennes de la synaxe chrétienne, comme nous le voyons par la Didachè, mais dont la place n’est pas nécessairement à la messe ; la formule actuelle remonte au haut Moyen Age. L’Aufer a nobis est emprunté au Léonien (v siècle), et, comme la plupart des collectes de ce sacramentaire, elle est d’une inspiration élevée et d’un rythme élégant. L’Oramus te, d’une époque beaucoup moins ancienne et d’un style moins pur, rappelle cependant que, d’après une coutume qui remonte au ive siècle et au delà, l’autel qui sert de table est élevé sur une tombe de martyr ou doit au moins renfermer des reliques de martyrs ou de saints. Remarquons aussi dès maintenant que, dans la première, comme dans toutes les oraisons anciennes de la messe, le prêtre parle au pluriel pour marquer la place que tiennent les fidèles dans la célébration du sacrement, tandis que dans la seconde il ne parle que de ses péchés. En même temps qu’il dit cette dernière oraison, le prêtre baise l’autel.

Les gestes fréquents à la messe ont leur signification mystique. Le prêtre a commencé par un signe de croix ; il s’est incliné à la confession, il a frappé, sa poitrine au mea culpa, il a fait de nouveau un signe de croix pour l’absolution après la confession. A d’autres moments il étendra les mains en forme de croix, comme faisaient les orantes. C'était une attitude fréquente dans la prière, comme nous le dit Tertullien. D’autres gestes ou attitudes seront commandés par le diacre : Fleclamus genua, leoate, inclinate capita vestra Dco. Nous verrons qu'à l'élévation, à la fraction et ailleurs ces gestes ont une portée dogmatique qu’il ne faut pas négliger si l’on veut comprendre tout le sens des cérémonies de la messe. Les ouvrages qui nous renseignent sur ce point sont les Ordines romani dont nous avons déjà dit un mot.

L’encensement, qui a lieu après l’oramus le aux messes solennelles, n’est pas d’une origine très ancienne et ne fut adopté à Rome qu’assez tard, comme du reste celui de l’offertoire et celui de l'élévation. Cependant, nous l’avons vii, l’encens était employé à la procession d’introït et à celle de l'évangile. Il va sans dire que même cet usage de l’encens

n’est pas primitif ; les païens en faisaient un tel abus dans le culte des idoles qu’il fut prohibé dans les premiers siècles. C’est à peine si l’on en faisait usage pour les funérailles. Mais, à partir du ive et du ve siècle, quand le paganisme eut perdu à Borne et dans tout l’empire une partie de ses fidèles, le même inconvénient n’existait plus, et du reste la pratique en était justifiée par l’Ancien Testament.

Le Kyrie est d’origine byzantine et a été importé à Rome probablement dès le v siècle. C’est à tort qu’on y a "vu quelquefois un reste de la langue grecque qui fut en usage à Rome jusqu’au milieu du nie siècle. C’est du reste une prière adventice qui, comme le Gloria, le Credo et l’Agnus Dei, ne se rattache ni à ce qui précède, ni à ce qui suit et pourrait se lire à d’autres offices qu'à la messe, comme ce fut du reste le cas. La forme actuelle, trois Kyrie, trois Christe, trois Kyrie, auxquels on a naturellement cherché un sens mystique, ne remonte guère au de la du xie siècle. Au temps de saint Grégoire il formait une sorte de litanie qui rappelle la litanie diaconale de la messe grecque. Cette acclamation a son histoire qui a fortement intrigué les liturgistes, les théologiens et les archéologues. On a voulu lui trouver une origine païenne, et il est certain en effet qu’il est fait allusion dans Arrien et même dans Virgile à un Kyrie eleison. Mais cette acclamation se trouve aussi plusieurs fois dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament, et son origine païenne n’est rien moins que démontrée. Nous avons aussi le Kyrie sous une autre forme dans les litanies du samedi saint, dans celles des rogations et en général dans toutes les prières de ce genre. Ed. Bishop en a étudié savamment l’histoire et nous avons résumé ses conclusions dans les articles Kyrie eleison et Litanies du Diction, d’archéol.

Le Gloria in exeelsis Deo est une hymne d’origine ancienne que l’on chantait dans les synaxes en l’honneur du Christ. Les plus anciens textes que l’on connaisse sont celui des Constitutions apostoliques, t. VII, c. xlvii, et celui du Codex alexandrinus, v siècle, comme appendice à la Bible grecque. On l’appelle la grande doxologie pour la distinguer de la petite doxologie, Gloria Patri et Filio, et des autres doxologies. On le chantait à l’office du matin. A Borne on l’admit à la messe le jour de Noël, et cette place était justifiée par les premiers mots qui sont le salut des anges au jour de la nativité. Le pape Symmaque (498-514) en étendit l’usage à tous les dimanches et aux fêtes des martyrs, Liber pontif., éd. Duchesne, 1. 1, p. 129 et 263, mais seulement aux messes célébrées par l'évêque. Les simples prêtres ne devaient le chanter que le jour de Pâques, quand ils remplaçaient le pape empêché, ou le jour de leur installation. Duchesne, Origines, p. 176. Le texte des Const. apost. n’est probablement pas le texte primitif ; tel qu’il est cependant, on peut conjecturer que c'était une doxologie à deux termes, le Père et le Fils ; le Saint-Esprit n’intervient qu'à la fin, et cette insertion, qui n’est pas dans le texte des Const. apost., semble une addition dont le résultat fut d’en faire une doxologie trinitaire, comme la plupart des doxologies à partir du milieu du ive siècle. Le texte d’allure subordinatienne des Const. apost. a été corrigé ; on y affirme la divinité du Fils, son égalité avec le Père dans le Saint-Esprit ; le Gloria est ainsi devenu, comme le Credo, une profession de foi en même temps qu’un chant de louange. Dans les liturgies latines anciennes, le cantique Benediclus, Luc, i, 68 sq., rivalisa avec le Gloria in exeelsis, mais celui-ci finit par l’emporter.

Dans la messe primitive romaine, avant ces diverses additions, le célébrant, après avoir baisé l’autel, a pris place à son siège où il restera jusqu’après l'évangile, et il salue le peuple par ces mots Pax vobis,

et, s’il est simple prêtre, par le Dominus vobiscum. Après la réponse et cum spiritu tuo, il dit Oremus et la collecte, titre qui rappelle que le prêtre prie au nom de toute l’assemblée, ou qui fait allusion à la réunion des fidèles pour la messe.

La collecte, comme la secrète et la postcommunion, est une prière essentiellement romaine. Toutes ces oraisons ont un caractère de sobriété, d'élégance, en même temps qu’une richesse et une sûreté de doctrine qui met la liturgie romaine si au-dessus des autres liturgies latines et même des liturgies orientales. On trouve souvent à la vérité dans celles-ci plus d'élan, une piété plus affective, des exposés dogmatiques plus étendus, mais combien souvent aussi ces qualités sont gâtées par la prolixité, par le mauvais goût, par un verbiage inutile ! Les anciennes collectes romaines, en même temps qu’elles sont la première prière de la messe dite par le pontife au nom des fidèles, ont d’ordinaire pour objet de définir le caractère de la réunion. Par exemple Deus qui Ecclesiam tuam annua quadragesimali observatione purificas, prsesta familiæ tuse ut quod a te obtinere abstinendo nititur, hoc bonis operibus exequatur. (1 er dim. de carême.)

Lectures et chants des psaumes.

A partir du

vi° siècle il n’y a plus à Borne, à l’avant-messe, que deux lectures : l'épître et l'évangile ; à l’origine elles furent plus nombreuses et d’ordinaire trois ; aujourd’hui encore aux quatre-temps et à certaines vigiles, il y a trois, six ou même douze lectures. La suppression de la leçon prophétique a dû se faire à Borne au v » siècle selon Duchesne. Loc. cit., p. 178. Les lectures sont d’ordinaire suivies du chant d’un psaume, comme on le voit encore au vendredi et au samedi saint, aux quatre-temps et même à l’office de matines. Le chant qui suit la lecture est en général un psaume appelé répons, parce qu’il est chanté par un chantre, avec reprise par le chœur ; celui qui suit l'épître s’appelle graduel ; d’autre fois le psaume est chanté en trait, tractim, c’est-à-dire sans reprise. Le chant de Yalleluia qui suit aujourd’hui directement celui du graduel, se présente dans des conditions spéciales qui n’ont pas encore été bien nettement définies. On sait toutefois que Yalleluia est une acclamation qui se rencontre dans l’Ancien Testament et que les chrétiens ont hérité des juifs, comme l’Amen, YHosanna et autres. Il était d’abord chanté à Pâques et au temps pascal, puis à tous les jours de fête. Il est aujourd’hui accompagné d’un psaume. Les diverses théories sur l’origine et l’introduction du chant responsorial, par un seul chantre, avec reprise du chœur, ont été longuement discutées par les liturgistes, mais n’ont pas à être étudiées ici. Il nous suffira de rappeler que les psaumes d’introït, d’offertoire et de communion sont antiphonés, tandis que le graduel et les répons de la psalmodie sont responsoriaux. Le chant des psaumes et des répons est un emprunt fait à la Synagogue, comme la lecture des livres saints, tandis que les chants de l’introït, de l’offertoire et de la communion, ont été institués au rve siècle et motivés par les besoins particuliers du culte. Le graduel dont l’importance paraît avoir été plus grande, fut réservé d’abord aux seuls diacres, puis aux sous-diacres, puis à des chantres très spécialement formés ou aux lecteurs. Le caractère du trait est d'être chanté sans reprise ; quant à la séquence qui se rattache à Yalleluia, d’origine très postérieure, elle eut une grande fortune au Moyen Age ; l'Église romaine, toujours sévère pour la poésie, n’en a retenu que cinq qui sont des chefs-d'œuvre.

Quant aux lectures, l'Église de Borne se montra toujours sévère dans leur choix ; les seuls livres de l’Ancien et du Nouveau Testament y furent admis selon un canon établi dès les premiers siècles, et pro

bablement par l'Église de Rome elle-même. Si certains fragments de livres extra-canoniques, comme ceux du IVe livre d’Esdras, purent se glisser dans les chants, je ne crois pas qu’il y ait d’exemple qu’ils furent lus à la messe. On ne toléra pas non plus, comme en Afrique et en Gaule, la lecture des passions des martyrs, ni certaines combinaisons ou interpolations des textes sacrés, comme on en trouve par exemple dans le Missel de Bobbio. Mais on fut moins rigoureux dans les prières chantées, et il n’est pas impossible d’y relever des morceaux paraphrasés ou fourrés (par exemple l’introït du jeudi saint). Le décret de Gélase a pour but, on le sait, de proscrire un certain nombre de livres trop facilement admis ailleurs.

l’ne grande solennité entoure à Rome la lecture de l'évangile. C’est une vraie procession, qui se rend de l’autel à la chaire où il doit se lire, le diacre portant le livre, entouré des acolytes avec des cierges, et un thuriféraire avec l’encens pour encenser le livre sacré. Comme on l’a justement fait remarquer, avec la procession solennelle de l’introït, c’est la seule fois que le rit romain se départit à la messe de la simplicité et de la sobriété qui fait le caractère principal de cette antique liturgie. Toutes ces cérémonies se sont conservées jusqu’aujourd’hui à la messe solennelle. On y a ajouté les deux prières Munda cor meum et Dominus sit in corde meo. Le salut du diacre Dominas vobiscum, le Gloria tibi Domine, le Laus tibi Christe, et le Per evangelicu dicta sont des acclamations qui soulignent, avec le baiser du livre saint, l’importance de cette lecture.

La lecture de l'évangile est suivie logiquement de son commentaire par l'évêque qui, en principe, avait seul le droit de prêcher. Mais il se faisait assez souvent suppléer par un prêtre. Dans d’autres Églises, à Jérusalem, par exemple, au ive siècle, plusieurs prêtres successivement sont invités à prêcher, l'évêque prenant la parole en dernier lieu.

Le Credo. C’est un fait curieux que l'Église doctrinale par excellence n’introduisit à la messe la formule du Credo qu’au xi » siècle. Nous avons vii, dans le chapitre sur l’anaphore de Balizeh, qu’elle avait été devancée dans cette voie par d’autres Églises depuis plusieurs siècles. A ceux qui s’en étonnaient un Romain du xie siècle répondit que Rome, n'étant jamais tombée dans l’hérésie, ne sentait pas le besoin d’affirmer sa foi de cette façon. C'était une réponse ad hominem. Il aurait pu ajouter avec dom Cagin que l’anaphore dans sa forme primitive est théologique et qu’elle contient, comme celle d’Hippolyte, un exposé de la foi. Toutefois Rome se laissa enfin gagner par l’exemple, et le Credo y est chanté, non pas quotidiennement, mais dans certaines circonstances. C’est la formule de Nicée-Constantinople dont il sera parlé avec les développements nécessaires à l’article Nicée. Nous ferons simplement remarquer que le texte qui est aujourd’hui au missel romain présente avec le texte original quelques légères variantes.

Après l'évangile et l’homélie, on renvoyait autrefois les catéchumènes et les pénitents, et tous ceux qui ne communiaient pas. Cette discipline date du ive et du v siècle. La formule de renvoi variait, nous en avons vu des exemples pour l’Orient et même en Gaule. Nous avons dit aussi, col. 1373, les allusions qui y sont faites dans saint Grégoire et même encore dans le pontifical (ordination des exorcistes).

Tout ceci nous révèle bien l’esprit de l’ancienne discipline ; la pari que prenaient les fidèles dans la célébration du culte et en particulier à la messe, était incomparablement plus importante qu’aujourd’hui. Même dans l'Église romaine, où, comme l’a finement observé Ed. Bishop, l’autorité de la hiérarchie dans l’exercice du culte ne perdait jamais ses droits, et se

manifestait beaucoup plus que, par exemple, dans les liturgies d’Orient, les fidèles étaient bien plus étroitement associés qu’aujourd’hui à l’action du sacrifice. Toutes les anciennes oraisons, nous l’avons remarqué, sont au pluriel ; le prêtre prie au nom des fidèles ; ceux-ci répondent Amen ; le canon lui-même contient des expressions comme celles-ci : hœc munera quæ tibi ofjerimus pro Ecclesia tua, Hanc igitur oblationem servitutis nostree sed et cunclx familiæ tuæ, etc. Nous allons voir cette intervention des fidèles se manifester encore à l’offertoire et à l’oraison des fidèles.

4° La messe des fidèles. — Nous avons dit plus haut en quoi consistait cette division de la messe des catéchumènes et de celle des fidèles ; nous n’avons pas à y revenir. On voit qu’elle existe à Rome comme partout dans la chrétienté. La messe des fidèles est comme un deuxième acte, plus encore, un rite nouveau qui commence. Quelque soin qu’on ait mis plus tard à relier ces deux épisodes, chacun garde son caractère et le sacrifice de la messe proprement dit ne commence qu'à ce moment. Voici comment on y procède dans l'Église romaine au ve -vie siècle. On déploie le corporal sur l’autel ; il était alors assez vaste pour le couvrir tout entier ; c’est à deux diacres que ce soin était confié. La même cérémonie s’accomplit encore au vendredi saint, et même aux messes solennelles où le diacre avant l’offertoire étend le corporal sur l’autel.

L’autel étant prêt, le célébrant va recevoir le pain et le vin que présentent les fidèles et qui serviront au sacrifice. Le surplus des dons en nature, bénit aussi dans le courant de la messe, est mis à part et sera distribué plus tard aux pauvres et au clergé. Comme cette opération dans les grandes églises demandait un certain temps, on chantait un psaume, le psaume d’offertoire, puis le célébrant retourne à son siège et se lave les mains, tandis que les diacres disposent le pain et le vin sur l’autel. Quand tout est prêt, il se rend à l’autel, le baise et dit l’oraison appelée « secrète ».

Le psaume d’offertoire se chantait comme celui de l’introït et de la communion, pour occuper les fidèles pendant une cérémonie qui pouvait se prolonger un certain temps. Il fut institué, comme l’introït, au ive siècle. Rien ne paraît mieux justifié qu’une innovation de ce genre. Mais il y eut des protestations contre cette nouveauté, et elles furent telles que saint Augustin dut écrire un traité, du reste perdu, pour la justifier. Preuve en tout cas que les fidèles s’intéressaient à la liturgie, et que les innovations ne devaient être ni trop fréquentes ni trop graves.

Ici se présente dans la messe actuelle une anomalie qui a été relevée depuis longtemps et que l’on a expliquée de diverses façons. Celle qui a rallié le plus de suffrages a été présentée par Duchesne sous cette forme : après l'évangile ou après le Credo, suivant les circonstances, l’officiant dit Dominus vobiscum. Orcmus. Cet oremus, au lieu d'être suivi d’une prière comme il serait normal, est laissé en l’air en quelque sorte. Selon le savant critique « ce trou béant » s’est creusé par la suppression de la prière des fidèles qui se disait alors, et qui est à cette place dans les liturgies orientales. C’est une prière litanique dont nos oraisons du vendredi saint peuvent donner une idée assez exacte. L’explication est ingénieuse, mais c’est une hypothèse qui n’est pas suffisamment appuyé? ; nous préférons de beaucoup celle qui est insinuée par Bishop et que dom Wilmart, par des rapprochements habiles, a rendue des plus vraisemblables. Cet oremus était suivi de l’oraison super sindonem qu’a conservée le rit milanais et même le Sacramentaire gélasien qui présente presque partout deux collectes, là où le grégorien n’en a gardé qu’une. La collecte supprimé

par le grégorien était l’oraison super sindonem dont le grégorien n’a gardé que le Dominas vobiscum et Yoremus. Quant à la prière des fidèles, il faut convenir qu’elle a purement et simplement disparu dans la messe romaine, sans laisser d’autres traces que les prières du vendredi saint et peut-être quelques autres formules litaniques égarées dans certains recueils.

D’une façon générale, on reconnaîtra cependant que nous avons gardé assez fidèlement le cérémonial de l’offertoire, tel que nous venons de le décrire, avec quelques additions qui n’en altèrent pas le caractère. Le Suscipe sancte Pater, VOfjerimus tibi, Vin spiritu humilitatis, le Veni sanctificator omnipotens, le Suscipe sancta Trinitas, même l’orate fratres et la réponse ont été ajoutés plus tard et trahissent par leur style même l'époque de leur composition ; ces prières accompagnent chacun des gestes que fait le prêtre pour recevoir l’hostie sur la patène, offrir le calice, bénir les oblats. Parmi toutes ces prières une seule fait exception, le Deus qui humanse substantise pour le mélange de l’eau et du viii, qui est tirée du léonien.et qui est d’un sens théologique très, profond. Elle fait allusion à la distinction des deux natures dans le Christ et à la participation du fidèle à la vie divine. Ce n’est pas à dire que les autres prières soient négligeables, mais ce sont plutôt des prières de piété privée « des prières de messe basse », comme dit heureusement Mgr Batiffol, ainsi le Suscipe, sancte Pater, où le prêtre semble oublier pour un moment les fidèles pour parler de cette Hostie, quam ego indignas famulus tuus, etc. Le Veni, sanctificator omnipotens, a aussi une importance spéciale du fait qu’il a été considéré, sans fondement suffisant du reste, comme une épiclèse ; mais son origine tardive suffirait à faire écarter cette hypothèse. Le Suscipe, sancta Trinitas, a aussi son histoire, et l’on en trouve de nombreuses variantes dans les manuscrits du Moyen Age.

L’encensement de l’autel avec les prières qui l’accompagnent est une importation gallicane.

Tout ce qui précède justifie la remarque d’Ed. Bishop qui nous paraît essentielle et qui explique bien le caractère de la liturgie romaine ancienne. C’est une liturgie rationnelle, logique, pratique, qui élimine le superflu ou l’ornement, et n’abuse pas du symbolisme. « Le symbolisme, dit-il, il faut bien en convenir, n’est pas né sur le sol romain et ne procède pas directement de l’esprit romain. » La liturgie romaine ancienne est d’un esprit sobre, pleine de dignité et de grandeur dans sa simplicité ; elle est classique si l’on peut dire. L'élément dramatique, émotionnel, poétique, romantique enfin, pour user d’un terme à la mode, mais bien expressif, il faut le chercher ailleurs dans les liturgies orientales ou dans les liturgies mozarabe, gallicane ou celtique ; on peut dire que la plupart des rites qui présentent ce caractère dans la liturgie romaine sont d’importation étrangère, surtout gallicane, et d’un âge postérieur à la période du ve au viie siècle.

La secrète qui suit VOrate fratres, correspond à la collecte ; elle est, comme cette dernière et comme la postcommunion, élégante dans sa brièveté, d’une précision et d’une profondeur théologique souvent remarquable, bien loin de la prolixité des oraisons orientales, mozarabes ou gallicanes, en un mot pleinement romaine. En règle générale elle fait allusion aux dons qui, on se le rappelle, ont été apportés sur l’autel par les fidèles, et au mystère qui va s’opérer par la consécration. Ces munera et dona étaient en même temps qu’une contribution aux frais du culte qu’il était équitable de faire supporter par toute la communauté chrétienne, une manifestation publique de la part que les fidèles étaient invités à prendre dans l’action même du sacrifice. Des théologiens récents

n’ont pas eu tort de mettre ce fait en relief pour rappeler que l’offrande et le sacrifice de la messe sont tout d’abord le sacrifice de toute l'Église. Il suffit de relire quelques-unes de ces secrètes pour se convaincre qu’elles sont la prière du prêtre dite au nom de tous, pour offrir à Dieu ces offrandes que Dieu retournera en bénédictions spirituelles sur ceux qui les ont présentées. La liturgie romaine si vraie, et je dirai si réaliste dans son style, risque même plus d’une fois le mot de sacriftcii veneranda commercia, l’homme apportant ses dons terrestres, et Dieu lui donnant en échange ses dons spirituels. Il n’est pas non plus téméraire de chercher dans ces faits anciens l’origine et la justification des honoraires de messe. Voir la thèse du P. de la Taille dans son Mysterium fulei, et dans une dissertation spéciale, Esquisse du mystère de la foi, Paris, 1924 ; voir aussi Batiffol, Leçons sur la messe, p. 146 sq.

On a traité en son lieu la question des Azymes, cf. art. Azymes, qui a soulevé bien inutilement, semblet-il, tant de disputes entre l’Orient et l’Occident. Rappelons simplement que, si Rome elle-même a usé pendant un temps de pain levé, on trouve aussi en Orient des Églises qui ont usé du pain azyme.

Le nom de secrète donné à l’oraison d’offertoire parce qu’elle est en effet, et depuis de longs siècles, dite à voix basse, rappelle une controverse célèbre sur le secret des mystères, la question étant de savoir si à l’origine cette prière et les autres parties de canon se disaient à voix basse, ou à haute voix. Elle a perdu aujourd’hui beaucoup de son importance, et nous nous contenterons de renvoyer ceux qui voudraient être renseignés plus en détail sur ce point, à notre article Amen du Dictionn, d’archéol.

Anaphore. — La préface est reliée aujourd’hui à la secrète ou aux secrètes. Nous ne reviendrons pas sur ce qui a été dit dans les paragraphes précédents sur l’anaphore primitive qui dut être d’une seule venue, à en juger par les témoignages de saint Justin, par la tradilio apostolica d’Hippolyte et par quelques autres vestiges. L’anaphore romaine est coupée aujourd’hui en plusieurs tronçons ; une première division est opérée par le Sanctus qui est devenu dans les messes romaines l’aboutissement naturel de la préface ; après quoi commence le canon missse, titre qui autrefois était rejeté avant la préface. Dans le canon missæ lui-même, le mémento des vivants et celui des morts forment deux autres enclaves. Si l’on admet l’hypothèse bien séduisante, et du reste appuyée sur les rapprochements liturgiques des plus vraisemblables, que le mémento des vivants et celui des morts étaient primitivement dans la liturgie romaine, comme dans la plupart des autres, à l’offertoire et qu’ils ont été transportés postérieurement dans le canon, comme le sanctus, on retrouve dans notre canon une anaphore conforme au dessin primitif, qui consiste en une seule prière sans interruption du dialogue de la préface à la doxologie finale per ipsum… est tibi Deo Palri… omnis honor et gloria per omnia ssecula sœculorum. Amen. Nous avons aussi la preuve que les termes sanctum sacrificium, immaculatam hostiam furent ajoutés par saint Léon, probablement comme une protestation contre les manichéens, et le diesque nostros par saint Grégoire, comme une prière en faveur de la paix. Le Liber pontificalis a enregistré ces retouches et quelques autres faites par les papes au canon romain ancien. Cf. P. Lejay, Le Liber pontificalis et la messe romaine, dans Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1897, t. ii, p. 182-185. Malgré toutes ces altérations et additions, le canon romain se présente à nous avec une respectable antiquité, et notre formule actuelle est à peu près ce qu’elle était au commencement du vi° siècle, et même au ve siècle.

L’auteur du Liber pontificalis, au commencement du vie siècle, en parle comme d’un document déjà ancien. Dans un traité contemporain de saint Damase, il est fait allusion à un passage du canon, le sacrifice de Melchisédech ; enfin dans le Dé sacramentis, qui n’est pas postérieur à l’an 400, cf. col. 1367, on retrouve la partie essentielle de cette prière.

Quant à son autorité, plusieurs papes dans la suite des siècles se sont chargés de s’en faire les garants, et on ne saurait négliger ce fait d’une importance capitale, c’est qu’il s’est substitué à toutes les autres prières de même genre dans les liturgies latines, et qu’il a fini par devenir pour tout l’Occident la seule forme de la consécration eucharistique.

Ceci posé nous revenons à la préface. Nous avons aujourd’hui au missel romain onze préfaces auxquelles se sont ajoutées récemment les préfaces pour les morts, pour saint Joseph et pour la royauté du Christ ; Les préfaces sont suivies, pour les grandes fêtes, de communicantes particuliers, cette disposition que nous trouvons dans le grégorien, est le fait de saint Grégoire dont la tâche fut souvent de résumer, d’abréger, de simplifier l'œuvre de ses devanciers. Les Sacramentaires gélasien et léonien, comme les autres sacramentaires latins en contenaient un nombre bien plus considérable qu’il faudrait étudier soigneusement, pour se rendre compte de l'état de la théologie liturgique du v » au vu » siècle. Pour s’en tenir au missel d’aujourd’hui, on retrouvera dans ces préfaces le génie de l'Église romaine, d’une théologie si sûre et d’une expression si précise. Unus es Dominas : non in unius singularilate personæ, sedin unius Trinitute subslantiæ, il y a là en une seule phrase un résumé de tout le Credo de saint Athanase et même du traité de la Trinité.

D’après le texte de ces préfaces le sacrifice de la messe est un sacrifice eucharistique, offert par le prêtre au nom de l'Église à Dieu le Père tout puissant pour tous ses bienfaits. L’anaphore des Constitutions apostoliques, conforme aux données juives, réunit tous les titres de Dieu à notre reconnaissance, pour terminer, par son plus grand bienfait, l’incarnation de son divin fils. Les préfaces du missel romain varient ce thème selon les fêtes. C’est Dieu qui a fait briller par son Verbe une lumière nouvelle dans nos âmes ; Lui qui a voulu que le salut du genre humain fut opéré par le bois de la croix ; Lui que nous devons sans cesse louer, mais surtout au jour où le Christ notre Pàque a été immolé, etc. Mais c’est toujours par le Christ que nous rendons grâce au Père.

Le Sanclus par ses trois répétitions est une hymne à la Trinité ; l’addition si caractéristique du Benedictus au texte d’Isaïe s’adresse au Christ salué comme Messie à Jérusalem au jour des Rameaux ; elle est propre aux liturgies latines.

Si l’on met de côté pour un instant le Mémento des vivants, les prières du canon jusqu'à la consécration (Te igitur, Communicantes, Banc igitur, Quam oblalionem) forment un tout homogène, et font suite à la préface. On supplie Dieu le Père par le Christ d’agréer ces dons offerts pour la sainte Église répandue dans tout l’univers, en union avec le pape et les évêques en communion avec lui. Puis l’invocation devenant de plus en plus précise et pressante, on demande à Dieu le Père de faire de cette offrande une oblation bénie entre toutes, le corps et le sang de son Fils bien-aimé. Cette dernière prière, le Quam oblalionem, est encore une de celles auxquelles les liturgistes, désireux de retrouver L'épiclèse dans la messe romaine, ont attribué cette fonction. Nous reviendrons tout à l’heure sur cette question ; contenions-nous de dire pour le moment que cette prière est adressée, comme les deux précédentes, à Dieu le Père, et qu’elle ne ressemble en rien à l'épiclèse proprement dite.

La partie qui suit le Sanclus est intitulée Canon missæ, c’est-à-dire règle et, dans l’espèce, prière fixée, déterminée, officielle pour la consécration de l’eucharistie. Le terme n’est pas le plus ancien pour désigner cette prière et n’est guère employé que depuis le ve siècle. Le terme actio (agere missas) était en usage antérieurement, et il est resté comme titre aux Communicantes de rechange : infra aclionem.

Quant au mémento des vivants, il interrompt à peine cette prière de préparation à la consécration, pour rappeler le souvenir des fidèles qui sont présents, de ceux qui ont offert, en union avec la sainte "Vierge, les apôtres, les martyrs et les saints. Cette prière est marquée comme les autres prières de la messe romaine d’un caractère de discrétion. Le nom des vivants n’est même pas prononcé. Dans d’autres Églises on lisait à haute voix une liste des noms de ceux qui offraient ; on allait parfois jusqu'à souligner l’importance des dons offerts. Ces noms étaient souvent inscrits sur des tablettes, qui étaient comme un Liber vitse.

Consciente sans doute des abus que cette pratique pouvait entraîner, l'Église de Rome la réduisit aux proportions que nous venons d’indiquer. MgrBatiffol, dans ses Leçons sur la messe, est arrivée à en déterminer la date et l’origine avec la plus grande vraisemblance.

Récit de l’institution et consécration. — Dans l’anaphore d’Hippolyte, comme dans la plupart des liturgies, la prière de la préface aboutit à la consécration, à travers des digressions plus ou moins nombreuses. L'Église romaine suit le récit des synoptiques et adopte la rédaction : Qui pridie quam pateretur, au lieu que les liturgies orientales suivent le texte de saint Paul, I Cor., xi, 23 : in qua nocte tradebatur. Nous avons dit à propos de la messe gallicane l’importance de cette variante. Nous nous contenterons de remarquer que tout nous avertit que nous touchons ici au moment décisif de la messe. Tandis que le texte des formules qui ont précédé varie selon les fêtes dans les liturgies latines et même dans la liturgie romaine, on s’interdit de toucher à celle-ci (l’exception du jeudi saint est insignifiante). Chacun des termes est pesé et détaillé avec soin ; on suit pas à pas le récit évangélique avec l’exception bien remarquable des sanctas ac vencrabiles manus suas, et de l’elevatis oculis in cœlum ad te Deum Patrem suum omnipotentem. Chacune de ces actions ainsi déterminée est marquée dans le cérémonial actuel par un geste correspondant du prêtre. Dom Cagin a rendu le grand service de donner un tableau qui permet de comparer cette formule sacro-sainte dans toutes les liturgies. Eucharistia, p. 228-244. On remarquera que, si le récit de l’institution ne suit pas exactement les paroles des synoptiques, les deux variantes que nous avons relevées se retrouvent à peu près partout. Ce qui prouve que, comme pour la forme du baptême, il y eut pour l’eucharistie dans les premiers siècles une rédaction qui fut partout la même, et que l’on peut considérer, sans témérité, comme la forme apostolique.

On sait les discussions qui se sont élevées entre théologiens sur le moment de la consécration. Cette question a été traitée dans l’article Épiclkse. Nous renverrons aussi au traité du P. Pesch, t. vi, p. 352, et surtout à Ed. Bishop, The moment of the consécration, dans Connolly, The liturgical homilies of Narsai, Cambridge, 1909, p. 126-163. Si l’on admet avec dom Cagin et plusieurs autres, et comme on le voit si bien dans l’anaphore d’Hippolyte, que la prière de consécration depuis la préface jusqu'à la doxologie finale ne fait qu’un tout indivisible, les difficultés tombent d’elles-mêmes ; c’est pour avoir oublié le sens du dessin primitif de l’anaphore que certaines liturgies ont changé en quelque sorte l’axe de la

messe, en transportant à l'épiclèse le moment de la transsubstantiation. Dom Cagin, Eucharistia, p. 70-71.

Les cérémonies dont est entouré aujourd’hui le récit de l’institution, élévation de l’hostie montrée au peuple, prostration, encensement, sonnerie des cloches, luminaire, et qui ne sont pas antérieures au xiie siècle, ne font donc que souligner la croyance séculaire de l'Église romaine en l’efflcacité des paroles de l’institution. Ces démonstrations, à l'époque où elles furent instituées en France, avaient pour but de trancher une controverse théologique et de prouver que la consécration du pain s’opérait immédiatement après la formule Hoc est corpus meum, contrairement à l’opinion qui reculait ses effets jusqu’après la consécration du calice ; aussi n’y eut-il longtemps qu’une élévation, celle du corps sacré ; l'élévation du calice ne vint que plus tard et, si l’on peut dire, par esprit de symétrie. Ce point a été fort bien mis en lumière par les recherches du P. Thurston. Voir notre article Élévation dans le Diction, d’archéol.

Prières après la consécration. — Elles se décomposent en une anamnèse, Unde et memores, ou rappel des mystères de la vie du Christ, en un autre Mémento et en la doxologie finale. Dans la première prière on se contente de rappeler que notre offrande, ce pain et ce viii, devenus le pain sacré de la vie éternelle et le calice du salut, ne sont eux-mêmes qu’un don de Dieu aux hommes, de luis donis ac datis, et nous demandons à Dieu de les accepter comme il a fait des sacrifices des patriarches Abel, Abraham appelé dans la circonstance notre patriarche, et Melchisédech, grand prêtre de Dieu. Nous avons dit à propos du De sacramentis, à quelles discussions ont donné lieu la mention du saint ange chargé de présenter notre offrande devant le trône de la divine majesté. Le rôle de l’ange de Dieu, Angélus Dei, qui intervient si souvent dans l’Ancien Testament, a soulevé les mêmes difficultés que les exégètes s’efforcent d’expliquer. Cf. Lagrange, Revue biblique, 1903, p. 212 et 1908, p. 498.

Nous nous contenterons de renvoyer sur ce point à Lebrun, dom Cagin, Batiffol. Si l’on accepte pour le Mémento des morts l’hypothèse que nous avons présentée pour celui des vivants, Y Unde et memores, le Supra qua et le Supplices forment une prière unique qui se termine par la doxologie Per quem. Le Mémento des morts donne lieu aux mêmes remarques que celui des vivants. Le petit catalogue des saints rappelle les principales dévotions de l'Église de Rome, et a permis à Mgr Batiffol d’en fixer aussi à peu près la date. Le Supplices te, quoi qu’on en ait pensé, n’est pas plus une épiclèse, au sens vrai, que le Quam oblationem.

Le Per quem hsec omnia a soulevé aussi quelques difficultés. Il est trop clair qu’il ne se rattache pas logiquement au Per Christum et à la prière qui précède. La suppression du Mémento des morts permettrait de le raccorder plus facilement au Supplices te. Dom Cagin, Paléographie musicale, t. vi, p. 83, et Eucharistia, p. 57 ; P. Batiffol, Leçons sur la messe, p. 272. Le Hsec omnia pour désigner le corps et le sang du Christ crée aussi une difficulté que l’on a résolue de diverse façon. Si l’on accepte la variante du sacramentaire d’Autun, Per quem omnia créas (en supprimant hœc), la difficulté disparaîtrait. On ne voit pas pourquoi non plus il ne désignerait pas les autres dons offerts par les fidèles pour être bénits à la messe. Les signes de croix multipliés dans cette doxologie, comme ceux de l’anamnèse et du Supplices, ont aussi soulevé des objections. Il va de soi qu’ils ne représentent pas ici une bénédiction du prêtre sur le corps et le sang du Christ. Ces gestes sont simplement figuratifs, comme ceux du récit de l’institution ; sans tomber dans les exagérations de dom Claude de Vert, on peut admettre que dans bien des cas, en liturgie, c’est la

formule qui a suggéré un geste ; dans tous ces cas, ils ont pour but de souligner un terme et de rappeler le mystère de la Trinité et de la rédemption unis dans le signe de la croix. Cette doxologie, avec ces signes de croix multipliés, avec l'élévation du corps et du sang du Christ, qui fut longtemps la seule élévation, enfin avec ces termes empruntés à saint Paul, est la plus solennelle de toutes les doxologies ; elle l’emporte par sa majesté et sa sublimité sur toutes celles que nous connaissons et conclut dignement le canon romain. Sa présence à cette place est conforme à la tradition la plus ancienne que l’on peut considérer comme apostolique. Y.' Amen de fidèles après le per omnia est aussi d’un usage universel, dont saint Justin est déjà le témoin. Il est une nouvelle preuve de cette part que les fidèles prenaient au sacrifice et constitue un acte de foi, et comme une ratification des paroles prononcées par l’officiant durant tout le canon.

La prière eucharistique terminée, le pontife n’avait plus qu'à procéder à la fraction et aux rites qui entourent la communion. C’est le dessin de la messe primitive tel qu’il nous est révélé par saint Justin, par Hippolyte, et par plusieurs liturgies anciennes. Dans la liturgie romaine nous trouvons ici le Pater. Sa présence à la messe ne saurait nous étonner. Dans la plupart des liturgies le Pater est devenu partie intégrante de la messe. C’est le cas pour la liturgie romaine » Saint Grégoire lui-même a pris soin de nous le dire dans un texte souvent cité, mais qu’il est nécessaire de donner ici et d’expliquer, car sa vraie portée a été rarement comprise. Epist., ix, 12 de l'édit. bénédictine, reproduite dans P. L., t. lxxvii ; ix, 26 de l'éd. EwaldHartmann. Nous le présentons ici sous une forme et avec des parenthèses et une ponctuation qui permettront mieux de se rendre compte du sens, autrement équivoque :

Orationem vero dominicam idcirco mox post precem (la prière eucharistique par excellence, ici le canon, terminé, nous l’avons dit, après l’Amen de la doxologie finale) dicimus, quia mos apostolorum fuit ut ad ipsam solummodo orationem (, )

oblationis hostiam consecrarent.

Et valde mihi inconveniens visum est ut precem quam scholaslicus composuerat (, ) super oblationem diceremus (, )

et ipsam traditionem quam Redemptor noster composuit (, )

super ejus corpus et sanguinem non diceremus.

Sed et dominica oratio apud Grsecos ab omni populo dicitur apud nos vero a solo sacerdote.

Ainsi nous écartons le sens donné d’ordinaire à cetexte, bien qu’il ait été accepté par la plupart des lecteurs de Grégoire, à savoir que, suivant ce pape, les apôtres auraient célébré l’eucharistie avec la seule prière du Pater, auquel l'Église romaine aurait substitué une formule quelconque, œuvre d’un humaniste anonyme. L’interprétation suggérée par les virgules et la disposition du texte que nous avons donnée et qui revient à celle de Bishop et de dom Wilmart, nous paraîtrait plus naturelle et s’adapterait aux faits connus.

Saint Grégoire pense que la formule romaine n’est pas celle des apôtres, ce qui est certain, mais qu’elle a pour auteur un écrivain inconnu, ce qui est également certain. Il pense encore que les apôtres consacraient (évidemment après avoir suivi et reproduit les paroles de l’institution) en récitant la seule prière du Pater. Sur ce point saint Grégoire est en pleine hypothèse, car il ne savait pas plus que nous ce que fut en réalité l’usage des apôtres et quelles formules ils employèrent.

Saint Grégoire ne veut pas dire non plus que c’est lui qui introduisit dans la messe romaine le Pater qui

en était absent. Nous l’avons dit, avec les rares exceptions indiquées, toutes les liturgies d’Orient et d’Occident, et plusieurs dès le ive siècle, récitent le Pater à la messe. C'était le cas spécialement pour la liturgie d’Afrique, si conforme sur la plupart des points à la liturgie romaine, et saint Augustin qui justement nous parle de cette pratique, n’eût pas manqué de nous signaler ce grave écart. On peut même croire que c’est de Rome que les liturgies latines empruntèrent cette coutume. La remarque de saint Grégoire porte sur le moment où l’on récitait le Pater. Et ici certaines divergences se produisaient, les uns le récitant avant la fraction, les autres après ; pour les uns, le Pater se rattache à la communion, pour les autres à la prière de consécration. Mêmes divergences sur le mode de récitation, ici par le prêtre, là par les fidèles, ailleurs par une sorte de dialogue, modo responsorio. Saint Grégoire a préféré, comme il l’avait vu faire à Constantinople, que le Pater fût rattaché au canon, saper ejus (redemptoris) corpus et sanguincm diceremus. Et ceci s'éclaire par l'étude du cérémonial romain de cette époque. Après la prière du canon, le pontife commençait la fraction ; puis il se rendait à son siège dans l’abside, tandis que les ministres à l’autel achevaient de partager les pains consacrés, et de les confier aux acolytes pour la distribution de la communion ; le calice était confié à un sous-diacre. Tout ceci demandait un certain temps, et le Pater n'était récité qu’après. La réforme de saint Grégoire a consisté à transporter le Pater avant la fraction, et donc à le réciter à l’autel, comme un complément du canon, sur le corps et le sang du Sauveur, et ceci est parfaitement conforme à notre texte. Naturellement aujourd’hui avec les rites actuels et sans nous éclairer de l’ancienne liturgie, nous ne comprendrions pas la portée de ce changement qui ne se justifierait guère. Sur tout ceci, en dehors des articles cités de BishopWilmart, voir aussi de ce dernier la dissertation dans la Vie et les Arts liturgiques, 1919, p. 833.

En tout cas la réforme de saint Grégoire nous fait mieux apprécier encore l’importance du Pater à ce moment de la messe. Le protocole liturgique qui précède le Pater et l’embolisme qui le suit, concourent à fortifier cette impression et à nous faire considérer le Pater comme un des éléments principaux de la messe.

La fraction. — La conséquence était donc de faire rétrograder, comme nous le voyons aujourd’hui, la fraction après le Pater. Cette translation a sans doute aussi donné lieu dans la suite à certaines autres modifications des rites anciens. Au lieu d’une formule spéciale pour la fraction et d’un chant de fraction, comme c’est le cas dans la plupart des liturgies, le prêtre aujourd’hui avec les derniers mots de l’embolisme du Pater, divise l’hostie en deux parties. Il pose celle qu’il tient de la main droite sur la patène ; de la partie qu’il tient à la main gauche il détache un fragment, et dépose le reste sur la patène ; et, tenant toujours ce fragment de la main droite, il fait trois signes de croix sur le calice. Les formules prononcées ne répondent plus ici à l’action, comme on aurait pu l’attendre. En rompant l’hostie avec les cérémonies que nous avons dites, il prononce la doxologie finale de l’embolisme du Pater ; avec les trois derniers signes de croix sur le calice, il dit la formule Pax domini sit semper vobiscum. Mais l’accord entre gestes et paroles se retrouve quand, laissant tomber dans le calice qui contient le précieux sang le fragment détaché de la deuxième partie de l’hostie, il dit : Ihrc commixtio cl consecratio corporis et sanguinis D. N. J. C. fiai acetpienlibus nobis in vilain seternam. Tout ce rite de la fraction pourrait sembler, au premier aspect, manquer de suite et de logique, mais il s'éclaire, comme le reste, à la lumière du passé.

La fraction de l’hostie peut être considérée, nous l’avons dit, comme le premier acte de la communion. Elle en était la préparation nécessaire quand le pontife avait à rompre pour le clergé qui communiait à sa messe, et pour les assistants, le pain ou les pains consacrés. Il reproduisait le geste si soigneusement marqué par les synoptiques et par la formule de consécration, fregit dedilque discipulis suis. Les anciennes liturgies et les Ordines romani nous décrivent ce rite avec tous ses détails, mais ici encore rien qui soit purement cérémoniel ; chacun de ces actes est pratique et répond à une réalité. Cependant, comme le remarque Bishop qui n’est pas porté à exagérer ce caractère de la liturgie romaine, « la communion générale des ministres de l’autel dans le sanctuaire, puis des fidèles, chacun à leur rang, devait être solennelle et impressionnante au suprême degré. » Pendant ce temps on chantait le psaume de communion. Souvent, et dès la plus haute antiquité, le ps. xxxiii était choisi comme convenant mieux qu’aucun autre à ce moment. L’acte de tremper un fragment de l’hostie dans le précieux sang était accompagné, nous l’avons dit, dans les anciennes liturgies, par exemple dans la liturgie gallicane, par des formules qui tendaient à exprimer la foi de l'Église dans l’unité et l’indivisibilité du pain et du vin consacrés, du corps et du sang du Christ. La commixtio ou immixlio a encore une autre signification. Dans l’ancienne liturgie romaine une parcelle du pain consacré, trempée dans le précieux sang, était gardée pour la communion du lendemain ; le pape la laissait tomber dans le calice pour figurer l’unité et la continuité dans l'Église d’un même sacrifice. Enfin il arrivait souvent que le pain consacré ou même du pain ordinaire fut trempé dans le précieux sang pour la communion des malades. Cette question importante pour l’histoire du dogme eucharistique a été étudiée avec tous ses développements par M. Andrieu, Immixtio et consecratio, dans Revue des sciences religieuses, 1922, 1923, 1924, réunis sous ce titre : Immixtio et consecratio. La consécration par contact, Paris, 1925 : cf. aussi art. Immixtio, Fermentum, du Diction, d’archéol.

L’Agnus Dei est une addition due au pape Sergius et devait se chanter pendant la fraction. Il met l’accent sur la doctrine du sacrifice. Le Christ, à la fois prêtre et victime, est l’agneau qui efface les péchés du monde. Les trois prières qui suivent ne sont pas, à cette place du moins, d’une époque très ancienne. C'étaient des prières de dévotion privée, préparation à la communion dont le texte variait suivant les pays ; dans les missels anciens on en trouve des types assez nombreux. La première dans notre missel paraphrase le Pax Domini, et rappelle la prière du canon sur l'Église (quam) pacifleare et coadunare digneris. Le baiser de paix vient aujourd’hui après cette oraison. Nous avons dit ailleurs l’importance de ce geste, si usité parmi les premiers chrétiens et qui prend à la messe, au moment de la communion, une signification particulière. Dans les liturgies orientales et gallicanes, il est avant l’offertoire, et l’on a peut-être donné trop d’importance à cette variété qui nous paraît d’intérêt secondaire.

La seconde est une prière de dévotion privée sur la communion au corps et au sang. La troisième exprime une pensée qui se rencontre dans les plus anciennes liturgies, notamment dans les Constitutions apostoliques ; on remarquera qu'à la différence de la précédente elle ne fait allusion qu’au corps du Christ reçu dans la communion.

La communion. — Nous avons dit ce qu'était la communion dans la messe romaine au temps de saint Grégoire. Elle est aujourd’hui entourée d’un ensemble de formules attachées à chacun des actes du célébrant. Peu de remarques à faire sur ces prières : Panem cseles

tem accipiam, Domine non sum dignus, Corpus Domini, Quid retribuam, Sanguis Domini, qui sont des textes de l'Écriture, notamment des psaumes, arrangés pour la circonstance, et qui ont été peut-être des antiennes de communion. L’une d’elles, le Quod ore sumpsimus est une postcommunion du Sacramentaire léonien dont le style admirablement précis, trahit l’origine. Au contraire le Corpus luum, Domine, est d’origine et de style gallican.

Dans les premiers siècles les fidèles recevaient dans leurs mains le pain consacré et buvaient au même calice. Au temps de saint Grégoire la coutume subsistait encore de donner le pain consacré au communiant qui le prend dans ses mains pour le porter dans sa bouche. On suit dans les Ordines romani les variations que subit la réception de l’eucharistie. Aujourd’hui on récite le Conftleor suivi de l’Indulgentiam ou absolution du prêtre avec ï'Ecce Agnus Dei, et le Domine non sum dignus. L’Amen après avoir reçu la communion a été supprimé, sauf quand la communion est donnée par l'évêque. Ge petit rituel qui ne paraît pas antérieur au xiie siècle, et qui n’est qu’une répétition de prières déjà dites, a dû constituer d’abord, pense-t-on, le rituel de la communion distribué en dehors de la messe.

La coutume de communier sous une seule espèce ne s’est introduite que peu à peu en Occident et pour des raisons de convenance et de facilité pratique. Au temps de saint Thomas elle n’est pas générale encore, et celui-ci se demande si l’on peut communier sous une seule espèce. C’est à l'époque du mouvement hussite et au concile de Trente que cette discipline a été sanctionnée. Nous renvoyons pour cette question à l’article Communion sous les deux espèces, t. iii, col. 552 sq.

L’usage de chanter un psaume pendant la communion est parallèle à celui de l’introït et de l’oflertoire et à peu près du même temps. Saint Augustin y fait allusion. Le psaume se terminait par la doxologie d’après le premier Ordo romanus. La coutume subsiste, mais sous la forme d’une seule antienne, qui est tirée parfois d’un autre livre de l'Écriture.

L’antienne de communion est suivie d’une oraison qui, sous le nom de postcommunion (anciennement Oratio ad eomplendum) correspond à la collecte et à la secrète. La collection de tputes ces oraisons est essentiellement et, à peu près sans exception, romaine ; elles portent elles aussi le cachet du génie romain. On y trouve souvent, en termes éclatants, la preuve de la foi de cette Église en la transsubstantiation, ses conceptions sur le sacrifice de la messe et sur l’eucharistie en général. Bossuet s’y réfère souvent dans ses controverses avec les protestants.

Les messes de carême ont en plus une oraison super populum qui est une relique du passé. On a beaucoup discuté sur son origine et sa portée. On la trouve dans le Sacramentaire grégorien et même dans le léonien et dans le gélasien. On l’a assez naturellement rapprochée des bénédictions épiscopales que l’on rencontre dans la liturgie gallicane et dans d’autres liturgies. Il existe dans certains livres liturgiques des collections assez importantes de ces prières sous le titre de Bénédiclional. Les oraisons romaines super populum ont en effet l’allure d’une bénédiction du peuple fidèle.

Le congé est donné par la formule, lie, missa est. Ce terme de missa sur lequel discutent encore les philologues, est resté le nom le plus populaire de la messe dans plusieurs langues. Equivalent de missio ou dimissio, c'était le terme courant au v » et au vie siècle pour désigner la finale d’un office aussi bien que de la messe. Après cela le pontife se retirait en bénissant le peuple. Le Placeat et l'évangile de saint Jean étaient des pratiques de dévotion privées qui,

peu à peu, se sont généralisées et ont été rattachées à la messe, comme ce fut le cas pour d’autres pratiques qui font corps maintenant avec la messe.

Note sur les sacramentaires et missels romains et les ordines.

Dans la liturgie romaine comme dans les autres liturgies latines, le système a prévalu de changer certaines formules des prières de la messe, suivant les circonstances et les époques de l’année liturgique. Cet usage qui ne s’est jamais établi en Orient, et qui constitue pour les liturgies latines une caractéristique si accentuée, a donné naissance à la composition d’un certain nombre de livres liturgiques dont la connaissance est nécessaire pour l'étude de la messe dans la liturgie. Les principaux sacramentaires romains sont le léonien, le gélasien et le grégorien. Les Ordines romani décrivent les cérémonies de la messe romaine du viiie au xve siècle. Nous renvoyons pour les notions sur ces livres a l’article Liturgie où on les trouvera décrits. Le missel romain actuel ne représente exactement ni le léonien, ni le gélasien, ni même le grégorien, encore qu’il en contienne des éléments nombreux. Sa rédaction actuelle est une sorte de compromis entre les anciens livres romains et les gallicans, si bien qu’il faudrait l’appeler rigoureusement gallicano-romain, si l’on voulait tenir compte des matériaux qui le composent.

Son histoire a du reste été reconstituée après des recherches très longues et très méritoires de certains liturgistes, notamment celles d’Edmond Bishop dont les travaux sur ce point révêlent un sens critique et une perspicacité de premier ordre. Comme nous l’avons résumée à l’article Liturgie, nous nous contentons d’y renvoyer le lecteur.

Nous avons dit aussi, col. 814, 815, comment au cours des âges ce missel a subi des changements de divers genre, et comment les évêques réunis à Trente demandèrent au Saint-Siège de reviser ce missel en même temps que les autres livres liturgiques. Ce fut l'œuvre de saint Pie V et de ses successeurs Clément VIII et Urbain VIII dont on trouve les bulles en tête de nos missels.

On trouvera à l’article Canon de la messe une bibliographie abondante à laquelle nous renvoyons. Nous ne citerons ici que quelques travaux plus récents et, parmi les anciens, ceux qui méritent une mention. Nous laissons de côté les ouvrages où la messe est étudiée au point de vue mystique et théologique, même ceux qui, comme les ouvrages du P. de La Taille ou de M. Lepin, ont une portée liistorique, mais que l’on trouvera cités ailleurs. Parmi les modernes, le livre de Mgr Duchesne sur les Origines du culte chrétien (5e édition) mérite toujours d'être étudié avec le plus grand soin, même si quelquesunes de ses hypothèses paraissent discutables. Les Leçons sur la messe de Mgr Batiffol, Paris, 1919, et son ouvrage L’eucharistie (5e édit., 1913) résument heureusement les derniers travaux sur le sujet. Edmond Bishop dans ses Lilurgica historica, Oxford, 1918, et dans les articles que nous avons cités, a étudié à fond quelques questions essentielles pour l’histoire de la messe. Une de ses dissertations principales sur la messe romaine a été présentée aux lecteurs français dans une édition enrichie de notes précieuses par dom Wilmart, Le génie du rit romain, Paris, 1920. Dom Cagin dans ses divers travaux, Paléographie musicale, t. v, avant-propos ; Te Deum ou Illatio ? Paris, 1906 ; Eucluu-istia, Paris, 1912 ; L’anaphore apostolique et ses témoins, Paris, 1919, a fait sur la question de la messe des recherches fort savantes.

Les travaux de Probst, trop dédaigneusement ignorés en France et dont il faut bien reconnaître l’Insuffisance sur quelques points, ont réuni de très nombreux textes sur la messe, et ses livres restent utiles ; notons en particulier sur notre sujet, Liturgie des IV. Jalirhunderts und deren Reform, Munster, 1893, et Die àltesten rômischen Sacramentarien und Ordines, ibid., 1892 ; A. Franz, Die Messe im deulschen Miltelaller, Fribourg-en-B., 1902 ; Thibaut, La messe romaine, Paris ; sous ce titre Liber sacramentorum, dom J. Schuster a publié en italien huit volumes de notes historiques et liturgiques sur le missel romain ; la traduction du premier volume a paru, Bruxelles, 1925.

Parmi les anciens, Lebrun, Explication littérale, historique et dogmatique de la messe, 1 vol., Paris, 1726, souvent réédité, garde toute sa valeur ; dom Claude de Vert, Explication simple, littérale et historique, 4 vol., Paris, 1720, avec quelques théories contestables, est toujours lu avec profit.

Nous nous permettons de renvoyer aux articles Anamnèse, Anaphore, Canon, Fraction, dans Diction, d’archéol. Eniin dans U. Chevalier, Topo-bibliographie, au mot messe, on trouvera de nombreux renseignements. F. Cabrol.