Dictionnaire de théologie catholique/MESSE VIII. La messe dans la liturgie 2. L'anaphore de Sérapion
II. L’anaphore de Sérapion. —
Un autre texte qui ne le cède guère en valeur au précédent est celui de Sérapion, évêque de Thmuis. Il fut publié en 1899 dans les Texte und Untersuchungen, par G. Wobermin, sous ce titre : Altchristliche liturgische Slûcke aus der Kirche Aegyptens nebst einem dogmatischen Brie/ des Bischofs Sérapion von Thmuis, Neue Folge, t. ii, fasc. 3, Leipzig, 1899. Cette édition passe d’ordinaire pour la première, mais en réalité le texte avait été édité, à l’insu de Wobermin, quelques années plus tôt, en 1894, dans Trudy, the journal of the ecclesiastical Academg of Kief.
Il a été réédité par F. E. Brightman, dans le Journal of theological Sludies, oct. 1899, et janv. 1900, avec l’érudition que l’on peut attendre de l’éditeur des Eastern and western Liturgies ; dans les Early Church Classics, J. Wordsworth en a donné la traduction anglaise avec les notes et une introduction, Bishop Sarapion’s Prayer Book, an Egyplian sacramentary dated probably about A. D. 350-356, Londres, 1910 ; F. X. Funk l’a aussi édité avec une traduction latine dans Didascalia et Constitutiones aposlolorum, Paderborn, 1905, t. ii, p. 158-195 ; P. Batifïol, L’eucharistie, 5e éd., 1913, a traduit en français une partie de l’anaphore ; cf. aussi du même un article dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 1899, p. 75 sq.
Comme on le voit par les titres qui précèdent, on connaît l’auteur qui fut le contemporain et l’ami de saint Antoine et de saint Athanase. Ce n’est pas le moindre mérite de ce document que l’on puisse ainsi le situer exactement quant à sa date et à son lieu d’origine. Le manuscrit d’où ce texte a été tiré est le n° 149 du monastère de Lavra au Mont-Athos. Il paraît du xie siècle et contient quelques autres ouvrages en grec dont nous n’avons pas à nous occuper ici. Le texte liturgique se présente sous la forme de trente et une prières, chacune avec son titre, celui de la première et celui de la quinzième contiennent le nom de Sérapion, ’Eux ?) 7rpoatp6pou aapatûojvoç ÈTTiaxÔTrou, et 7rpoasu/Y) aapamwvoç èmaxà7K>o O^oùeycoç. eùx’Ô elç to <5cXet.(i.|i.a tûv parc-riÇof /lvwv. L’histoire de cet évêque est assez connue ; il a laissé plusieurs ouvrages qui sont venus jusqu’à nous ; il lutta avec saint Athanase contre l’arianisme et son nom est au calendrier des saints au 21 mars. Voir les ouvrages de lui qui nous ont été conservés dans P. G., t. xl, col. 899 sq. ; le card. Pitra et Brinkmann ont publié quelques autres fragments de moindre importance.
1° L’ordre des prières du livre de Sérapion.
La première question qui se pose à l’occasion de ces prières
est de rechercher l’idée qui a présidé à cette collection et l’ordre que l’on doit y établir. A première vue, d’après l’inspection du ins., les divers groupes de prières ne paraissent pas présenter beaucoup de suite. Ainsi les prières de l’avant-messe ou pro-anaphoriques sous les n° 19-30, devraient de toute évidence précéder l’anaphore, qui comprend les n° 1-6. Mais il ne faudrait pas pour cela crier au désordre, et attribuer l’arrangement actuel à une erreur ou à une fantaisie d’un copiste d’âge postérieur. Il est possible, il est probable même que l’ordre actuel soit celui qu’avait choisi Sérapion, et il se justifie assez aisément. Le voici avec les titres du manuscrit :
I. Prière d’anaphore de l’évêque Sérapion ;
II. Fraction et prière de fraction ;
III. Imposition des mains sur le peuple après la communion des clercs ;
IV. Prière après la communion du peuple ;
V. Prière pour ceux qui offrent les huiles et les eaux ;
VI. Imposition des mains après la bénédiction de l’eau et de l’huile ;
VII. Bénédiction des eaux ;
VIII. Prière pour les candidats au baptême ;
IX. Prière après la renonciation (à Satan) ;
X. Prière après la réception (du baptême) ;
XI. Prière après le baptême ;
XII. Imposition des mains pour l’ordination des diacres ;
XIII. Imposition des mains pour l’ordination des prêtres ;
XIV. Imposition des mains pour la consécration de l’évêque ;
XV. Prière de Sérapion évêque de Thmuis pour l’onction de l’huile aux baptisés ;
XVI. Prière pour le chrême dont sont oints les baptisés ;
XVII. Prière pour l’huile des malades ou pour le pain et l’eau ;
XVIII. Prière pour l’enterrement d’un défunt ;
XIX. Première prière du dimanche ;
XX. Prière après l’homélie ;
XXI. Prière pour les catéchumènes ;
XXII. Prière pour les malades ;
XXIII. Prière pour l’abondance des fruits ;
XXIV. Prière pour l’Église ;
XXV. Prière pour l’évêque et pour l’Église ;
XXVI. Prière à dire à genoux ;
XXVII. Prière pour le peuple ;
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XXVIII. Imposition des mains aux catéchumènes ;
XXIX. Imposition des mains aux laïques ;
XXX. Imposition des mains aux malades.
D’après ces titres, on voit que ce livre contient, avec les prières de la messe, quelques autres prières et bénédictions à l’usage de l’évêque. Le titre d’euchologe de Sérapion, qui lui a été donné, répond assez bien à ce contenu.
Toutes ces prières peuvent se grouper sous six chefs principaux.
1. Anaphore eucharistique avec la bénédiction de l’huile et de l’eau, n. I, II, III, IV, V, VI.
2. Prières pour le baptême, n. VII, VIII, IX, X, XI.
3. Prières d’ordination, n. XII, XIII, XIV.
4. Bénédiction de l’huile pour le baptême, du chrême pour la confirmation, de l’huile pour les malades, du pain et de l’eau, n. XV, XVI, XVII.
5. Prière pour les morts, n. XVIII.
6. Prières avant l’anaphore, n. XIX, XX, XXI, XXII, XXIII, XXIV, XXV, XXVI, XXVII, XXVIII, XXIX, XXX.
Cette dernière partie doit si évidemment se placer avant le groupe I-VI, qu’elle se termine par cette rubrique : Hôtaai auxoa eù^ai èmTeXoûvxai nço ttjç eùx% toù 7rpoacp6pou.
Une première remarque c’est que toutes ces prières, quelle que soit leur vraie place, sont du même auteur. Je crois que sur ce point tout le monde est d’accord. Wordsworth qui était un excellent helléniste, a fait dans le petit ouvrage que nous avons cité, quelques remarques sur l’emploi de certains termes, u.ovoy£vr)( ;, quAâv0pco7TO ! ;, Çcor), Çûv (en un sens particulier), 1353 MESSE DANS LA LITURGIE, L’ANAPHORE DE SÉRAPION 1354
èvépYeia, èm81]y.ia., etc., qui s’opposeraient à toute hypothèse contraire.
Une seconde remarque c’est que l’ouvrage est à l’usage de l’évêque seul ; il ne contient, avec une seule exception, que les prières qu’il doit réciter durant le service, si bien même que par deux fois, ce qui est rare pour les prières liturgiques surtout à cette époque, il emploie la première personne du singulier èxTeivû ty]v X £ ^P a ( n - IH)>e t TtapaxocXôi æ (n. XIX). Il pouvait donc réunir ces prières selon l’ordre qui lui convenait. Mais cet ordre n’est du reste pas fantaisiste. L’anaphore étant la partie la plus importante de la liturgie prend naturellement la première place (n. I-VI) ; puis viennent les prières pour le baptême, pour l’ordination, pour diverses bénédictions et pour les morts (n. VIIXVIII). Les prières d’avant-messe sont reléguées à la fin, comme moins importantes. Du reste elles offrent d’assez grandes variations dans les recueils que nous connaissons. Rien n’empêche de supposer non plus que les bénédictions (n. XXVIII-XXX ) forment une collection séparée où l’évêque pouvait puiser ad libitum. Mais en somme le recueil suit un ordre logique.
2° Analyse.
1. Avant-messe. — C’est pour la
première fois que dans un document liturgique nous trouvons des prières d’avant-messe (n. XIX-XXVII).
Cet office consiste ici en une première prière au Père du Fils unique, Maître de l’univers, qui a tout créé, et à qui l’évêque demande son secours et sa grâce pour les fidèles ; qu’il envoie son Esprit-Saint dans nos intelligences pour comprendre les Écritures, « par ton Fils unique Jésus-Christ, dans l’Esprit-Saint, par qui est à toi gloire et puissance maintenant et dans les siècles des siècles. Amen. »
La seconde prière, prière après l’homélie (n. XX), qui a dû suivre les lectures non mentionnées ici, est adressée : au Dieu sauveur, Dieu de l’univers, Maître du monde, Père du Fils monogène, que tu as envoyé pour sauver les hommes… pour qu’il ouvre les cœurs (probablement des catéchumènes) et crée un peuple fidèle par le Christ « ton Fils unique dans le Saint-Esprit par qui est à toi, etc. » La prière suivante est aussi, et nommément, sur les catéchumènes pour que Dieu les prépare au baptême et les en rende dignes. Elle se termine par la même doxologie. La prière du n. XXVIII, bénédiction des catéchumènes, devait suivre celle-ci, puisque les catéchumènes quittaient l’église à ce moment. C’est aussi la fin de l’avant-messe. Les prières qui suivent (n. XXII, XXIII, XXIV, XXV) peuvent être considérées comme la prière des fidèles qui précédera l’offertoire.
2. Messe des fidèles.
a) Prière des fidèles. — Elle se compose d’une prière pour les malades (n. XXII) qui devait être suivie de la bénédiction des malades (n. XXX) ; d’une prière pour la bénédiction des fruits (n. XXIII) ; d’une prière sur l’Église (n. XXIV) ; d’une prière pour l’évêque, les prêtres, les diacres, les sousdiacres, les lecteurs, les interprètes, les solitaires, les vierges, les chrétiens mariés, les enfants. Il est possible que cette dernière fût dite par un des prêtres, car tous alors concélébraient avec l’évêque. Puis une prière dite à genoux (n. XXVI) et enfin une prière sur le peuple, vraie prière litanique qui, selon Wordsworth et Brightman, est la prière des diptyques, prière pour les fidèles, pour tout le peuple, pour les souverains, pour les hommes libres et les esclaves, les vieillards et les enfants, pour les voyageurs, les affligés, les malades. Chacune des prières est terminée par la doxologie. Le baiser de paix n’est pas mentionné ici, pas plus que l’offertoire qui certainement devait suivre ces prières.
b) L’anaphore. — L’anaphore qui suit l’offertoire comprend les prières I à VI inclusivement. Elle rentre
tout naturellement dans le cadre que nous avons donné pour celle d’Hippolyte.
a. Le prélude. — L’anaphore débute comme toutes les préfaces par le Vere dignum et justum est. Le Père est àyévr^Toç, le Dieu incréé, ineffable, incompréhensible, Père du Fils monogène… Ce Dieu Père invisible est la source de toute lumière, de toute vie, de toute grâce, de toute vérité… à lui est due toute louange, etc.
b. C’est lui qui nous a envoyé son Fils unique, le Logos par qui nous connaissons le Père, par lui et le Saint-Esprit nous louons le Père.
Mais déjà dans l’anaphore de Sérapion, à la différence de celle d’Hippolyte, la préface au lieu d’aboutir directement au récit de l’institution, revient à la louange du Père, entouré de myriades d’anges, d’archanges, de trônes, de dominations, de principautés, de pouvoirs ; auprès de lui se tiennent les deux séraphins avec leurs six ailes ; à eux tous nous nous unissons pour dire : Sanctus.
c.~ Institution. — Mais l’idée du sacrifice revient aussitôt et va amener le récit de l’institution :
Impie etiam hoc sacrificium virtute tua et communicatione tua. Tibi enim obtulimus hoc sacrificium vivum, oblationem incruentam. Tibi obtulimus hune panem, similitudinem corporis Unigeniti. Hic panis sancti corporis est similitudo, quoniam Dominus Jésus Christus, in qua nocte tradebatur, accepit panem ac fregit deditque discipulis suis dicens : accipite et manducate, hoc est corpus meum, quod pro vobis frangitur in remissionem peccatorum.
Propterea et nos similitudinem mortis célébrantes panem obtulimus, et deprecamur : per hoc sacrificium reconciliare nobis omnibus et propitiare, Deus veritatis ; et sicut hic panis dispersus erat supra montes et collectus factus est in unum, ita et Ecclesiam tuam sanctam collige ex omni gente et omni terra et omni urbe et vico et domo, et redde unam vivam catholicam Ecclesiam.
Obtulimus etiam calicem, similitudinem sanguinis, quoniam Dominus Jésus Christus accepit calicem, postquam cenavit, et dixit discipulis suis : accipite, bibite, hoc est novum testamentum, quod est sanguis meus, qui pro vobis effunditur in remissionem peccatorum.
Le récit de l’institution suit, comme les anaphores orientales, le texte de saint Paul, in qua nocte, au lieu du qui pridie du canon romain et. des autres canons latins, sans en excepter, on peut le dire, la liturgie mozarabe. Les mots similitudo corporis et similitudo sanguinis, to ôu.oî « u.a, ont ici un sens spécial qui a été souvent expliqué, et sur lequel nous reviendrons à l’occasion de l’anaphore du De sacramentis. Dès maintenant rappelons, l’èv ôu.oiôu. a-n aocpxôç âfjtapTÎaç qui ne signifie certes pas dans la pensée de saint Paul, Rom., viii, 3, que le corps du Christ n’était qu’une apparence, mais que, corps réel, il n’avait qu’une ressemblance avec la chair du péché qui est celle des autres hommes avant la régénération. La comparaison du pain dispersé sur la monragne déjà employée dans la Didachè, est très caractéristique.
d. et e. Anamnèse et épiclèse :
Propterea obtulimus etiam nos calicem, similitudinem sanguinis exhibentes. Adveniat, Deus veritatis, sanctum tuum verbum super hune panem, ut panis fiât corpus verbi, et super hune calicem, ut calix fiât sanguis veritatis. Et fac, ut omnes communicantes remedium vitse accipiant ad curandum omnem morbum et ad confortandum omnem profectum ac virtutem, non in condemnationem, Deus veritatis, neque in contumeliam et opprobrium. Te enim increatum invocavimus per unigenitum in Sancto Spiritu : misîricordiam consequatur hic populus, profectu dignus fiât, mittantur angeli adesse populo in destructionem mali et in confirmationem Ecclesise.
Ici prend place un élément qui n’est pas mentionné dans l’anaphore d’Hippolyte, la lecture des diptyques des morts avec une prière, et une prière pour les 1355 MESSE DANS LA LITURGIE, LES CONSTITUTIONS APOSTOLIQUES 1356
vivants, spécialement pour ceux qui ont offert :
Deprecamur etiam pro omnibus defunctis, quorum est et commémora tio.
Posl enuntiationem nominum : Sanctifica has animas ; tu enim omnes cognoscis ; sanctifica omnes in Domino defunctas et connumera omnibus tuis sanctis virtutibus, et da eis locum et mansionem in regno tuo.
Suscipe etiam gratiarum actionem populi et benedic eos, qui obtulerunt oblationes et gratiarum actiones, et largire sanitatem et integritatem, et lætitiam et omnem profectum animai et corporis cuncto huic populo.
I. Doxologie finale de l’anaphore :
Per unigenitum tuura Jesum Christum in Sancto Spiritu sicut erat et est et erit in generationes generationum, et in omnia sœcula sœculorum. Amen.
L’anaphore d’Hippolyte se terminait à la doxologie. Celle de Sérapion est suivie d’une prière de fraction et d’autres prières qui se rapportent à la communion (n. II, III, IV). La première mentionne la communion sous les deux espèces ; la bénédiction du peuple se fait par l’imposition des mains ; chacune de ces prières se termine par une doxologie. La dernière mérite d'être citée :
Benedic nos, benedic hune populum, fac nos partem habere cum corpore et sanguine per unigenitum tuum Filium, per quem tibi gloria et imperium in Sancto Spiritu et nunc et semper et in omnia soecula sœculorum. Amen.
Une observation doit être faite en terminant, qui nous intéresse davantage, sur le caractère et la forme de cette liturgie de la messe qui la ferait classer parmi les liturgies d’origine égyptienne, même si l’auteur ne nous en était pas connu. On a relevé les analogies avec la liturgie des jacobites coptes avec celle de saint Marc, et même avec le De virginitate attribué à tort ou à raison à saint Athanase. Ces analogies ont été relevées par les auteurs que nous avons cités, notamment par Funk.