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Dictionnaire de théologie catholique/MYSTIQUE

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 653-690).
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MYSTIQUE (THÉOLOGIE). — I. Psychologie ou phénoménologie de la mystique. II. Philosophie de la mystique (col. 2647). III. Théologie de la mvstique (col. 2660).

I. Psychologie ou phénoménologie de la mystique.

I. QU’ENTENDONS-NOUS ICI PAR MYSTIQUE ?

Sans nous attarder sur l’étymologie et sur les sens multiples, anciens ou modernes, du mot mystique, cf. Sophrone, Le mol « mystique », Revue pratique d’apologétique, t. xxviii, p. 547-556, L. de Grandmaison, Études, 5 mai 1913, p. 309-310, et J. de Guiberl, Revue d’ascétique et de mystique, janvier 1926, p. 3-16, essayons de délimiter exactement le domaine que nous entreprenons d’explorer. Nous ne nous dissimulons pas qu’un travail de ce genre suppose une notion préconçue du mystique ; mais nous ne pouvons pas procéder autrement. Nous pouvons redire de la mystique ce que l’on a dit de l’hystérie, ce que l’on pourrait dire de la religion : « Si l’on pose en principe que l’on doit définir l’hystérie d’après les symptômes habituellement groupés chez les hystériques, il faut alors savoir qui est hystérique… Mais comment, d’autre part, savoir qui est hystérique, sans avoir orienté sa recherche… d’après un type acquis ci abstrait d’hystérie auquel on compare l’échantillon concret qu’on observe ? Comme on le voit, ce cercle vicieux ne pourra être brisé que par la définition conventionnelle d’un point de départ. » Diel. apologétique, t. ii, col. 531. Qu’entendons-nous donc par fait mystique, phénomène mystique, « théologie » mystique ?

Qui dit théologie dit connaissance de Dieu. Théologie mystique signifie donc connaissance de Dieu obtenue par un procédé mystique. Mais en quoi consiste ce procédé ? II se définit plutôt négativement que positivement. La connaissance mystique s’oppose à la connaissance rationnelle, discursive, par raisonnement, quel que soit d’ailleurs le moyen, différent du raisonnement, par lequel on estime atteindre Dieu. « On appelle souvent mystique un ordre de pensées inaccessible à l’intelligence commune, un aperçu qui échappe à la raison claire, qui ne relève point des procédés discursifs de l’esprit, ni d’aucune démonstration, mais de la foi (dans l’acception laïque du mot), de l’intuition, de l’instinct, d’une sorte de divination. » Sophrone, loc. cit., p. 555.

Nombreux sont les procédés non rationnels qui permettraient de connaître Dieu : la foi, le sentiment, l’intuition, l’expérience ; mais ils peuvent, semble-t-il, se ranger en deux classes : ceux qui supposent et ceux qui ne supposent pas quelque < expérience > de Dieu. C’est aux premiers que nous réserverons le qualificatif de mystiques. Ne rentrent donc pas dans’e domaine du mvstique proprement dit : la foi « dans l’acception laïque du mot », c’est-à-dire la croyance volontaire et sans preuve à l’existence de Dieu, ni la vie religieuse dans la « nudité de la foi », si haute qu’elle soit, si intimes que puissent devenir les relations du croyant avec l’Invisible dont il admet l’omniprésence ; ni l’intuition, entendue au sens où la prend Bertrand Russell, Le mysticisme et la logique, de l’intuition d’une vérité et non d’une réalité, de la Réalité. En définitive, nous considérerons comme mystique tout fait psychologique dans lequel l’homme pense atteindre directement et immédiatement Dieu, en un mot « expérimenter » Dieu, que ce soit par un effort personnel d’intelligence ou d’amour, qui nous élèverait jusau’à lui, nous permettrait de le « trouver « , de l’étreindre de quelque manière, ou, au contraire, que ce soit par une condescendance de Dieu, qui s’abaisse vers nous, nous « touche », nous fait sentir sa présence ou son action, nous inonde de consolations ou de lumières.

Nous aboutissons ainsi à distinguer deux sortes de mysticismes, qu’on pourrait appeler le mysticisme actif et le mysticisme passif. Il n’y aurait aucun inconvénient à réserver le nom de mystiques proprement dits ou propriissirno modo, aux faits mystiques de la seconde catégorie.

Nous laissons donc en dehors de la mystique dont nous allons nous occuper ce que l’on peut appeler « la vie mystique » ordinaire, si bien décrite par le P. Léonce de Grandmaison, loc. cit., p. 311-319, qui consiste dans une assimilation, une « réalisation » des véiités de la foi par des a exercices mystiques » ; ce n’est pas à son propos que se pose < le problème de l’expérience mystique ».

Nous négligerons aussi délibérément « l’élément mystique » qui constituerait, selon les vues du baron de IliUel, la source même de la religion. Cf. Léonce de Grandmaison, Raherches de science religieuse, t. i, p. 180-208. Qu’il y ait ou non continuité entre cet élément mystique, présent en tout homme « à l’état latent et virtuel », cette « aptitude innée de récollection, d’intuition, d’émotion, due à la présence de l’Esprit de Dieu, et réduite en acte par son activité, p. 190, et les états mystiques supérieurs, toujours est-il qu’il existe au moins, entre cet « élément » et ces » états », « la différence qui exisle entre un acte complet, un étal fort, un plein midi, et un acte inchoatif, un état faible, une aurore. » P. 189.

Enfin il importe de distinguer, bien que ce ne soit pas toujours commode, l’expérience proprement mystique de l’expérience religieuse en général. La

vie religieuse, juive et chrétienne, décrite par XXX dans Qu’est-ce que la mystique ? (Cahiers de la nouvelle journée, 3, Paris, 1925) produit en ceux qui s’y livrent de toute leur âme des émotions parfois très intenses ; elle se traduit par des « élans d’amour et de confiance », comme en présentent certains psaumes, p. 90-91 ; l’âme religieuse entretient avec Dieu un commerce d’amitié, d’amour, qui lui procure des émotions enivrantes ; « c’est sous la forme d’un chant nuptial que l’âme juive exhale son désir de Dieu et l’ivresse de sa possession. Iao n’est pas seulement le Père ; il est l’époux sacré, le Bien-Aimé, celui qui prend le cœur et l’inonde de sa délicieuse présence… Quelle religion osa jamais instituer entre l’homme et Dieu une telle intimité ?… Cette nouvelle ivresse n’est plus la défaillance devant l’Infini, mais le ravissement dans l’amour et voilà résumée d’un mot la mystique judéo-chrétienne. > P. 91. La preuve qu’il y a ici une équivoque, c’est que l’auteur fait de cette mystique « l’essence de la religion % p. 106, et qu’il distingue dans la vie religieuse ou mystique des degrés, entre lesquels il n’y a pas vraiment de continuité : « dans tout cela rien encore n’est changé au cours normal de la pensée et de la vie organique ; mais l’esprit et le corps entreront en des états nouveaux, si l’ardeur s’accroît. » P. 104. Ce sont ces états nouveaux, mystiques au sens strict du mot, qui forment l’objet de notre étude. L’expérience religieuse ne devient mystique que si elle est ressentie comme venant de Dieu. Cf. Revue d’ascétique et de mystique, octobre 1 922, p. 445-448, à propos des ouvrages de dom Louismct, O. S. B.

A plus forte raison n’entre pas dans le cadre de cette étude ce que l’on nomme « le mysticisme spéculatif », c’est-à-dire des théosophies dans le genre de celles d’Eckart ou de Bœhme, bien que la connaissance en puisse être nécessaire pour comprendre les textes où certains mystiques ont raconté leurs expériences ou proposé leurs méthodes pour parvenir à l’union divine. Le mysticisme spéculatif émane d’ « intuitions » de vérités sur les choses, mais non de l’expérience, de l’intuition de la Réalité. Cf. H. Delacroix, Essai sur le mysticisme spéculatif en Allemagne au quatorzième siècle, Paris, 1900 ; V. Delbos, Le mysticisme allemand, dans Qu’est-ce que la mystique ? (Cahiers de la nouvelle journée, 3).

Sainte Thérèse paraît avoir de la « théologie mystique » une idée qui se rapproche de celle que nous venons d’exposer. « Pendant que je me tenais en esprit auprès de Jésus-Christ de la manière indiquée plus haut, ou bien au milieu d’une lecture, j’étais saisie soudain d’un vif sentiment de la présence de Dieu. Je ne pouvais alors aucunement douter qu’il ne fût en moi ou que je ne fusse moi-même tout abîmée en lui. Ce n’est pas là une vision ; c’est ce qu’on appelle, je crois, théologie mijf tique. » Vie écrite par elle-même, c. x. On trouvera dans La métaphysique des saints de M. H. Bremond, t. i, p. 275-278, un intéressant parallèle du P. Paul de Lagny entre la « théologie mystique » et la « vie mystique », celle-ci n’étant pas autre chose que la vie de Dieu en nous, la grâce sanctifiante ; pourquoi faut-il, qu’un même terme désigne des réalités si différentes ?

II. DE LA MÉTHODE A SUIVRE DANS L’ÉTUDE PSYCHOLO Gl Q UE DE LA MYSTIQ UE. — Le psychologue,

en tant que tel, observe, décrit les faits mystiques, sans en donner d’explication. Il est bien évident que l’étude philosophique, et même théologique, de la mystique doit débuter par l’étude psychologique.

La tâche est délicate, mais, conduite selon une bonne méthode, elle n’est pas impossible. Cf. Maréchal, Études sur la psychologie des mystiques, t. i, p. 34-38, 65-60. En psychologie expérimentale, comme en médecine, l’observation doit « aboutir à la rédaction

d’une fiche », Pinard de la Boullaye, L’étude comparée des religions, t. ii, p. 314. L’observateur devra noter soigneusement, pour chaque cas particulier, toutes les circonstances au milieu desquelles le fait s’est produit ; mais surtout il essaiera de se rendre compte exactement de ce qui s’est passé dans le sujet de l’ « expérience mystique ». Il en est du fait mystique comme du miracle : la difficulté principale réside bien moins dans l’appréciation du fait supposé connu que dans la connaissance du fait lui-même ; que s’est-il vraiment passé ? Qu’est-ce que le sujet a véritablement éprouvé ?

Insistons sur ce dernier point que les psychologues contemporains ont bien mis en lumière. Il faut atteindre dans le mystique « les données immédiates de la conscience » à travers les interprétations qui les traduisent, les métaphores qui les recouvrent, les inférences qui les expliquent. Cf. Maréchal, op. cit., p. 38 ; Delacroix, Éludes d’histoire et de psychologie du mysticisme, c. xi, Expérience, système et tradition ; Leuba, La psychologie des phénomènes religieux, c. xi, Théologie et psychologie, notamment n. La connaissance religieuse comme immédiatement donnée dans des expériences spécifiques, p. 280-291.

/II. DESCRIPTIONS DES PHÉNOMÈNES MYSTIQUES.

— Nous l’emprunterons, pour faire court, à quelques auteurs anciens particulièrement célèbres en cet ordre de choses : Clément d’Alexandrie, saint Augustin, Denys le Mystique, Richard de SaintVictor, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse et saint François de Sales.

Clément d’Alexandrie.

S’il faut en croire

Mœhler, De l’unité de V Église, trad. Bernard, Bruxelles, 1839, p. 120, Clément aurait considéré la foi elle-même comme une faculté mystique : « Avant tout, il éconduit ceux qui regardent la foi comme simplement vraie ; il la définit plutôt comme un saisissement de l’esprit, comme une contemplation par la grâce, comme une conscience immédiate, un assentiment de nos dispositions intérieures de piété à ce que nous est enseigné, une réunion avec les choses transcendantes, l’existence en nous de ce que nous avons espéré, une sagesse agissant par elle-même. » A l’appui de cette interprétation, Mœhler cite, p. 10-11, le Pédagogue, t. I, c. vi : « Nous autres qui sommes baptisés, après avoir, à l’aide de l’Esprit divin, écarté comme un nuage les péchés qui obscurcissent, nous possédons un œil divin, qui voit librement, clairement et sans obstacle. Avec cet œil seul nous contemplons la divinité, en ce que l’Esprit divin y pénétre d’en haut : c’est ainsi qu’est constitué éternellement l’œil qui peut voir la lumière divine. » P. G., t. viii, col. 284 :

OÛTCOÇ XOcl Ol f3a7TTlÇ6fjl£VOl,

tixç £7uaxoTOÛaocç à[i.ap Ttaç tô> 0eîa> 7rv£Ù[i.aTi

à/Àûoç 8îxr, v à7roTpitj>dqi.£voi, èXsû6epov xal àvEfiJtô Sicrrov xaî cpcoTSivôv ÔfXfva

TOÛ TCV£Û[i.aTOÇ ï<J)(0(i, £V" 5> §7) (X6VW TÔ 0EIOV ETCOTCTEU 0(i.£v, oùpavoGsv ÈTtEiapÉ ovtoç r)u.tv toû âyîou Tn/ei » u.octoç. Kpà[i.a toùto aùfîjç

àïSiov, tô aî’Siov cpwç ÎSeÏV

SovafAEvrjç.

ita etiam qui tingimur,

abstersis peccatis, qua ;

divino Spiritui quodam modo tenebras offunde bant, liberum, ab omni que impedimento vacuum

et lucidum habemus spi ritus oculum : quo qui dem solo quod divinum

est intuemur, cœlitus in fluente nobis Sancto Spi

ritu. Hœc est a ?terna aciei

temperatura, quæ videre

potest aiternam lucem.

Le baptême, en effet, n’est-il pas appelé l’illuminalio per quam sanctam illam et salularem lucem intuemur, hoc est per quam Deum perspicimus, cpoma(J.a Se, Si’o& t6 ayiov èxeïvo cptôç tô acoTTjpiov S7ro7rT£ÛETai, toutscttiv Si’ou tô 6eîov ÔÇucotcoûu.£v ? Ibid., col. 281.

2C03

    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, DESCRIPTION. CLÉMENT

2604’E7T07rTeoETai, est un terme emprunté à la langue des « mystères ». L’un des passages principaux où M. Pourrai, La spiritualité chrétienne, t. i, p. 109, voit esquissée de la contemplation mystique « une théorie digne d’être remarquée », Strom., V, xi, se réfère expressément aux mystères d’Eleusis. Le texte vaut la peine d’être étudié. Clément y mentionne d’abord la méthode de contemplation des pythagoriciens :

qui enim neque visum adducit in cogitando, neque aliquem trahit ex aliis sensibus, sed ipsa pura mente se rébus applicat, is veram persequitur philosophiam. Hoc sibi vult etiam Pythagoræ quinque annorum silentium, quod præcipit discipulis, ut scilicet, aversi a rébus sensibilibus, nuda mente Deum contemplarentur.

ô yàp (i.’T/Te tt)v Ô^iv Ttapati. Geu.evoc èv tû Siavosîa-Gai, (i.ï)Te Tivà twv aXXoav aiaGïjo-Ecov È9£Xx6u.evoç, àXX’aÙTÔi xaGapqS tû vw toîç Tcpàyjiaaiv ÈvTuyxâvcov, TTjv àXirjGY) cpiXoaocpîav |xÉT£Lo iv. Toùto apa (30jXe-Tai xai t£> LTuGayôpa y)

TTjÇ 7T£VTa£TtaÇ OICÙTTY), f ( V

toïç Y v<û P^- t0t Ç 7rapsyyuà, â)ç 8r t àTTOCTTpaçévTeç tgSv

aÎG07)TCûV, ’fylkoi TÔi VW TO

Gsïov ettottteùoiev. P. G., t. ix, col. 101-104.

A qui demanderait si cette méthode de contemplation permet d’atteindre Dieu, Clément répondrait qu’elle est infaillible :

è : re187] yuu.vY)v tîjç ùXixîjç quoniam gnosticam ani Sopâç yevouiv7)v tt]v yveoamam, cum nuda fuerit

Ttxï)v 9ux*) v > <*veu ttjç a pelle materiali, absque

owfxaTty.îjç (pXuapîaç xai nugis corporis et omnibus

tûv TCaGcôv 7ràvT(ov, ôaa vitiis, qute afîerunt vans

7r£ptTroioûaiv ai x£vai xai et laisse opiniones, car 9su8eïç Û7rpX^^siç, àrconalibus exutam cupidita SuaafiévTjV ràç aapxixàç tibus, luci consecrari ne ÈTuGuuîa !  ;, tco 90m xaGiscesse est. pcoGîjvai àvâyxY ;. Ibid., col. 104.

Clément compare ensuite la connaissance religieuse du chrétien à la contemplation de la mystique païenne :

oùx àTTEixÔTMç apa xai non abs re ergo, in mys TÔàv (i.uaT7)piwv Ttôv rcap’teriis quoque qua ; fiunt

"EXXrjCTiv âpy_£t [zèv Ta apud Gr ; ecos, primum lo xaOâpena, xaGaTiEp xai cum tenent lustrationes,

toîç papoapotç tô XouTpôv sicut etiam apud barba (XE-rà Taôra 8’èaxi Ta ros lavacrum. Post hæc

u.ixpà |jiuCTTT)pia … xà Se autem sunt parva mys (jLEyâXa, TiEpi tûv aou.7râvteria… In magnis autem

twv, où u.av6àv£i.v eti de universis non restât

Û7roXEt7t£Tai, È7roTrTEÛ£tv 8è amplius discere, sed con xai TrspivoEÏv tyjv te cpûaiv templari et mente com xai Ta 7rpâyu.aTa. Ibid., prehendere et naturam et

col. 108. res ipsas.

Négligeant les petits mystères, Clément retrouve l’analogue des purifications païennes dans la confession chrétienne, et l’analogue de la contemplation des grands mystères dans 1’ « analyse » ou théologie négative :

Xâ601(isv 8’av tôv (zèv accipiemus autem expianxaOapTtxov tpôtc’jv 6u.oXodi quidem moduin conyîa, tôv f)k etto7tt’.xôv àvafessione, contemplandi Àùcei. Ibid. autem resolutione.

Cette » analyse », il la décrit et en marque le terme :

d toJvuv, àq>eX6vreç 7râvTa si ergo, ablatis omnibus

5aa Trp’yaEaTi. toïç tr(.'>[iaai, quæ adsunt corporibus

xai ~.’, ~.c Xeyopivoiç àacoet iis quæ dicuntur incor jA.z’ac, à7T’jppî’|o)|j.£v Éauporea, nos ipsos projc tooç zic, tô j.èyeQ’jç toù cerimus in Christi magni XpiaToù, xàxEÏÛEv elç tô tudinem, et inde in ejus

àyavèç âyt.ÔT7)Ti 7rpotoiu, £v, immensitatem sanctitate

tji voYjasi. toù TOxvToxpâ- processerimus, ad intelli Topoç àji.7)y£7rr) 7rpoaâyotgentiam omnipotentis ut u.ev, oùx ° êornv, ô Se (xtj cumque perveniemus, non

£C7Ti yvwpiaavTEç. Ibid., ita tamen ut quod est,

col. 109. sed quod non est cognoscamus.

Il ne faut pas oublier, et Clément le rappelle ici, que la connaissance religieuse du chrétien est un fruit de la grâce :

xai ô McoOcttjç cpvjaiv Moyses quoque dicit : Os-’Eji.9av1.a6v [i.01 aaoTÔv, tende mini teipsum, evi ÈvapyÉaTaTa aiviaa6[/svoç, dentissime innuens Deum

(xr) Elvai StSaxTÔv 7Tpôç non posse doceri nec ver àvGpwTTwv, fjujSè prjTÔv tôv bis exprimi ab hominibus,

Œôv, àXX’v^ (iôvy) tt) rcap’sed sola ea quæ ab ipso

aÙTOù Suvàji.£t, yvwoTÔv yj profleiscitur posse potes [ièv yàp Z ; ’r i -rr l <v.c, à.zi^qq xai tate cognosci ; inquisitio

à&paToç, Tj x^P L ? $£ tïfe enim obscura et cæca, gra yvcôaEtoç 7rap’aÙToù 8tà tia autem cognitionis est

toù Yioô. Ibid. ab ipso per Filium.

L’homme peut tendre à la connaissance de Dieu par la vue des beautés créées, ou par le désir, mais il n’y parvient que si le maître lui ouvre les yeux :

ô voùç Ta Tcv£uu, aTi.xà 810- mens perspicit spiritalia, pôc, SioixôévTcov tûv TÎjç apertis ejus oculis a ma-Stavoiaç ô(Xji.aT(i)v irpôç gistro. toù … 818aaxâXou. Ibid., col. 112.

Notons ici que Clément, à la suite de Philon, caractérise la connaissance religieuse ou mystique du chrétien comme une entrée dans la Ténèbre divine, selon ce qui est dit de Moïse : Ingressus est autem Moi/ses in caliginem ubi erat Deus. Ex., xx, 21. C’est au c. xii du même livre des Slromatex. On sait la fortune qu’obtiendra cette expression par l’influence des écrits aréopagitiques.

Le second texte auquel renvoie M. Pourrat, Strom., t. II, c. xi, esquisse une théorie de la connaissance expérimentale de Dieu : ’O 8s aÙTÔç, [i.axpàv â>v, Ipse autem, cum procul eYYutoctcû péSirjxE, 0aûu.a sit, incedit quam proxime, oppY]Tov. 0êÔç Èyyi^wv miraculuincerteinefïabile. Èyæ, 97)cî Kùp’.oç’Deus appropinquans ego,

7rôppa> filv xaT’oùaiav … inquit Dominus. Procul èyyuTaTaj 8è 8uvâji.E !. … quidem essentia… pro-Kai 8rj TrâpsaTiv a£i tyj ts xime autem est potes-È 7T07TTixfi, t^ te EÙEpyT)- tate… Atqui et vidente, et Tixf ;, T7j te TraiSEUTix^ bene faciente, et docente à7TTO|i.évr) r)|jLwv 8uvàji.Ei potestate semper nobis Sùvapiiç toù 0EOÙ. Ibid., adest et plane tangit nos col. 936. Dei potestas.

Dieu, ne sentons-nous pas revient immédiatement à

Si nous ne voyons pas son action ? Mais Clément la théologie négative :

"OGEV Ô MuUOTÏÇ, OU 7TOTE

àv0pcû7riv7) ao91a yveoa-O-qazaQou. tov Geôv 7T£7r£i.ajjtivoç, ’E(i.9âvioôv jjtoi oea’jTov, 9ï)aL xai eiç tôv yvÔ90v, où 7)v y ; 9wvr) toû Œoû, zlceXÙelv (îiâsSTat,

TOUTÉaTLV, EÎÇ TaÇ àSÙTOUÇ

xai àEiSsti ; Ttspi toù ovtoç èvvoiaç. Ibid., col. 93(1937.

Ainsi, ce n’est pas au Pseudo-Denys qu’il faut faire honneur de la théorie de la connaissance mystique ; il faut remonter (mis haut, Jusqu’à Clément d’Alexandrie, jusqu’à Philon, et sans doute Jusqu’à Platon. Cf.

Unde Moyses, cum persuasum haberet Deum nunquam humana cognitum iri sapientia, Ostende le mini, inquit ; et in caliginem, ubi erat Dei vox, ingredi contendit, hoc est ad arcanas et informes de co quod est notiones.

2605

    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, DESCRIPTION, S. AUGUSTIN

2606

Louis, Doctrines religieuses des philosophes grecs, p. 114-116 ; et Raitz von Frentz, Revue d’ascétique et de mystique, 1925, p. 74-80, compte rendu du livre de Joseph Bernhart, Die philosophische Mystik des Miilelallers von ihren anliken Ursprùngen bis zur Renaissance.

Mais avons-nous bien affaire ici avec la connaissance mystique proprement dite, c’est-à-dire avec la connaissance expérimentale des choses divines ? Il ne le semble pas. Clément paraît n’envisager que la foi chrétienne : elle est considérée comme une sorte d’œil spirituel, créé en nous par le baptême, qui nous permet de « voir » Dieu ; elle est assimilée à la contemplation des disciples de Pythagore xa6apô> ou <|n.X£> x& v « ; Clément est persuadé que les choses se passent ainsi en ce monde intérieur qui échappe à la conscience ; mais comment le sait-il ? « Métaphysique ou expérience ? » R. Arnou, Le désir de Dieu dans la philosophie de Plotin, p. 259-271, la question se pose pour Clément comme pour Plotin et peut se résoudre de la même manière : c’est une tradition philosophico-théologique plutôt que l’expérience qui permet à Clément d’affirmer que tout chrétien « atteint » Dieu par la foi, et le fidèle qui admet cette doctrine, encore qu’il puisse vivre avec l’Invisible comme avec le visible (Hebr., xi, 27), n’en devient pas pour cela un mystique. Pour paradoxale que la chose puisse paraître, on pourrait dire que Clément et Origène, cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 298, Plotin et Denys, et tous ceux qui, après eux, s’efforcèrent d’atteindre Dieu par la pure intelligence ou par delà l’intelligence, et Dieu sait s’ils sont nombreux, ne furent pas par cela même des mystiques, ne furent pas nécessairement favorisés de 1’ « expérience mystique. 2° Saint Augustin.

« Au sujet de la vision intuitive

de l’essence divine sur terre, dom Butler fait observer que saint Grégoire et saint Bernard la rejettent expressément. Saint Augustin l’a certainement admise pour Moïse et saint Paul, peut-être encore pour d’autres ; peut-être aussi a-t-il cru qu’il en avait été favorisé lui-même. » La vie spirituelle, sept. 1923, p. [305J, à propos de l’ouvrage de dom Butler, Western Mysticism. The teaching oj SS. Augusline, Gregory and Rernard on contemplation and the contemplative lije. Notre intention n’est -pas d’exposer toute la doctrine de saint Augustin sur la contemplation ; voir à ce sujet le livre du P. F. Cayré, A. A., La contemplation augustinienne, Paris, 1927 ; nous voudrions seulement citer quelques textes concernant la connaissance mystique, telle que nous l’entendons ici.

Il en est un qui se présente spontanément à la pensée : c’est celui des Confessions, ix, 10, P. L., t. xxxii, col. 773-775, où saint Augustin raconte le ravissement dont sa mère et lui furent favorisés à Ostie ; cf. Pourrat, t. i, p. 342-344. Monique et Augustin s’entretiennent du ciel ; ils s’élèvent et s’élancent par bonds successifs des créatures corporelles aux spirituelles : « et nous arrivâmes à nos âmes, et. nous les dépassâmes (transcendimus) pour atteindre cette région d’inépuisable abondance où vous repaissez éternellement Israël de l’aliment de la vérité, où la vie est la Sagesse même… Et tandis que nous parlions et que nous désirions vivement atteindre (inhiamus) cette souveraine Sagesse, nous la touchâmes un peu de tout un battement de notre cœur, altigimus eam modice toto iclu cordis. Puis, ayant poussé un soupir, nous laissâmes au ciel ces prémices de notre esprit, et nous revînmes aux accents de notre bouche, à la parole qui commence et qui finit. » Monique et Augustin s’entretiennent ensuite de 1’ « expérience mystique » qu’ils viennent d’éprouver : ils l’analysent et, si l’on peut dire, en font la théorie, en décrivent la méthode : « Nous disions donc : Celui qui ferait taire en lui les

tumultes de la chair ; qui fermerait les yeux au spectacle de la terre, des eaux, de l’air et du firmament ; qui ferait taire sa propre âme sans lui permettre de s’arrêter à elle ni de penser à elle ; qui se dépouillerait des rêveries et des souvenirs de l’imagination ; qui oublierait tout langage, toute parole et tout ce qui est changeant ; celui donc qui n’entendrait plus ces créatures après qu’elles l’auraient invité à prêter l’oreille à leur créateur et à qui Dieu seul parlerait lui-même, non plus par les créatures, mais directement par lui-même, si bien qu’il entendît la parole divine… exprimée par celui-là même que nous aimons dans les créatures, et qui parlerait, sans employer l’organe d’aucune créature, d’une manière toute spirituelle comme le contact tout spirituel qui s’est produit à l’instant entre notre pensée ravie au ciel et l’éternelle Sagesse subsistant immuablement sur toutes choses, sicut nunc extendimus nos et rapida cogilatione attigimus œlernam Sapientiam super omnia manentem ; si donc cette extase se continuait… et si cette contemplation seule absorbait et abîmait dans les joies intimes celui qui en jouirait, de telle sorte que la vie éternelle ressemblât à ce court ravissement après lequel nous avons tant soupiré, quale fuit hoc momentum intelligenlias cui suspiravimus, ne serait-ce pas l’accomplissement de cette parole évangélique : « Entrez dans la joie de votre Seigneur ? > (Traduction, un peu paraphrasée, de Pourrat.)

L’inspiration plotinienne est ici très visible : il s’agit d’un effort de purification de l’esprit de toutes les données sensibles pour qu’il puisse s’élever dans la région des intelligibles purs ; c’est une ascension de l’esprit au-dessus, transcendimus, et même en dehors, extendimus nos, de l’âme, si l’on peut ainsi parler, qui aboutit à une rapide intuition de la Sagesse, momentum intelligentiæ. Plusieurs mortels y sont parvenus, saint Augustin le croit sur leur propre témoignage : Dixerunt hsec quantum dicenda esse judicaverunt, magnæ quædam et incomparabiles animée, quas eliam vidisse ac videre isla credimus. De quantitate animas, c. xxxiii, n. 76, P. L., t. xxxii, col. 1076. Quelles sont ces âmes incomparables ? saint Augustin ne le précise pas ; un texte d’Apulée, qu’il cite au 1. IX du De civitale Dei, c. xvi, P. L., t. xli, col. 270, attribue à Platon cette pensée que : sapientibus viris, cum se vigore animi, quantum licuil, a corpore removerinl, intelleclum hujus Dei, et id quoque inlerdum velut in altissimis tenebris rapidissimo coruscamine lumen candidum inlermicare ; ce que saint Augustin commente en ces termes : si ergo supra omnia vere summus Deus intelligibili et ineffabili quadam prsesentia, etsi inlerdum, etsi rapidissimo coruscamine lumen candidum intermicans, adesl tamen sapienlium menlibus, cum se, quantum licuit, a corpore removerinl…

Le livre XII du De Genesi ad lilleram, où saint Augustin parle longuement de la « vision intellectuelle », qui n’est pas autre chose que la connaissance mystique telle que nous l’entendons ici, nous aide à interpréter les textes précédents : porro autem, si quemadmodum raplus est a sensibus corporis, ut esset in istis similitudinibus corporum, quæ spiritu videniur, ita et ab ipsis rapiatur, ut in illam quasi regionem intellectualium vel intelligibilium subvehatur, ubi sine ulla corporis similitudine perspicua veritas cernitur… Una ibi et lola virlus est amare quod vide.as, et summa félicitas habere quod amas … Ibi videtur clarilas Domini non per visionem signiftcanlem, sive corporalem…, sive spirilualem…, sed per speciem, non per xiiigmala, quantum eam capere mens humana potest, secundum assumentis Dei gratiam, ut os ad os loquatur ei quem dignum lali Deus colloquio feceril, non os corporis, sed mentis. C. xxvi, n. 54, P. L., t. xxxiv, col. 476. Puis

qu’il s’agit d’une intuition intellectuelle, il va’de soi pour saint Augustin qu’elle ne peut s’accomplir, si l’âme n’est pas totalement dégagée et en’quelque sorte séparée du corps : in Ma specie qua Deus est, Longe inefjabiliter secretius et prsesentius loquitur loculione inefjabili, ubi eum nemo videns vivet (variante : vivens videt) vita ista, qua mortaliter vivitur in istis sensibus corporis : sed nisi ab hac vita quisque quodammodo moriatur, sive omnino exiens de corpore, sive ita aversus et alienatus a carnalibus sensibus, ut merito nescial, sicut Aposlolus ail, utrum in corpore an extra corpus sit, cum in illam rapitur et subvehitur visionem. G. xxvii, n. 55, col. 477-478. On ne voit pas quelle différence pourrait distinguer cette « vision intuitive » du ravissement de celle de l’autre vie, sinon une différence dans la durée, quand on lit cette conclu sion de saint Augustin : lertium vero (il s’agit du troisième ciel de II Cor., xii, 2-4), quod mente conspicitur ita sécréta et remola, et omnino abreplae sensibus carnis atque mundata, ut ea quæ in Mo cselo sunt, et ipsam Dei substantiam, Verbumque Deum per quod facla sunt omnia, in charitate Spiritus sancti inefjabiliter valet videre et audire. C. xxxiv, n. 67, col. 483.

Dans l’intuition mystique, saint Augustin admettrait-il des degrés, des variétés ? On pourrait le penser d’après ce qu’il rapporte lui-même à Nébridius de ses propres intuitions : cum Deo in auxilium deprecalo, et in ipsum, et in ea qux verissime vera sunt attolli ccepero, lanla nonnunquam rerum manentium prsesumptione complcor, ut mirer interdum Ma mihi opus esse raliocinalione, ut hsec esse credam, quæ lanla insunt prsesentia, quanta sibi quisque sit pressens. Epist. iv, P. L., t. xxxiii, col. 66. Que sont ces res manentes ? des vérités ou des substances ? Saint Augustin n’ose pas trancher la question très difficile de savoir utrum sit aliquid quod lantum intelligatur nec intelligat, s’il y a des intelligibles qui ne soient pas des intelligences. De Gen. ad litt., t. XII, c. x, n. 21, P. L., t. xxxiv, col. 461.

Concluons : saint Augustin fait bien appel à l’expérience, à son expérience personnelle et à celle de quelques âmes d’élite, du nombre desquelles il n’exclut pas des païens, comme Platon et Plotin ; quand l’homme se dégage complètement de la vie des sens, son intelligence, en de courts instants, reçoit un rayon de pure lumière, et voit les réalités supra-sensibles : summus Deus intelligibili et inefjabili quadam prxsentia, etsi interdum, etsi rapidissimo coruscamine lumen candidum inlermicans, adest lamen sapicnlium menlibus, cum se, quantum licuit, a corpore removerint. Il nous est évidemment impossible de faire le départ exact de l’expérience pure et de l’interprétation métaphysique dans de semblables « relations. » Sur l’interprétation de l’intuitionnisme augustinien au Moyen Age, voir R. Carton, L’expérience mystique de l’illumination intérieure chez Roger Bacon, p. 177-187.

Denijs le Mystique.

Le premier traité qui

porte dans l’histoire le nom de « théologie mystique » est un tout petit écrit d’une dizaine de pages, qui contiennent même beaucoup de blanc dans la traduction de Mgr Darboy, Œuvres de saint Denys l’Aréopagile traduites du grec, Paris, 1845, p. 466-477. C’est de lui pourtant que procède presque toute la mystique chrétienne, orthodoxe ^ou hétérodoxe. Il convient donc de l’examiner de près. Quelle idée Denys se fait-il de la théologie mystique ?

L’invocation à la Trinité, par où débute le traité, lui demande de nous conduire

ènï r/jv twv jzuoTiKwv ad mysticorum oraculo-Xoyîwv Û7repâyvo)aTOV, xal rum plusquam indemonsû : rep<paï ;, xal àxpoTânrjv trabile, et plusquam lu-Kopuqi ^v, ëvOa xà à7rXà, cens, et summum fasli xal àTroXuToe, xal àrpe^Ta -rîjç OsoXoyîaç [i.uaTy)pia, xaTa tÔv ÔTtépepcoTov èyxsxâXuTcrai TÎJÇ xp’jepioji.ûatou CT’.y^ç yvôcpov, èv râ axoTsivo-â-rû) tô ÔTrepçavéaraTOv UTCSpXâjjjrovTa, xal èv tu 7tâ[17rav àvaçcî xal àopdcTW Ttôv Û7repxâXa>v àyXaïôiv Ô71£p71 : Xr)poijVTa toùç àvo[i.[xdcTouç vôaç. P. G., t. iii, col. 997.

gium, ubi simplicia, et absoluta, et immutabilia theologiæ mysteria aperiuntur in caligine plusquam lucente silentii arcana docentis, quæ in obscuritate tenebricosissima plusquam clarissime superlucet, et in omnimoda intangibilitate atque invisibilitate præpulchris splendoribus mentes oculis captas superadimplet.

La théologie "mystique apparaît donc comme une connaissance mystérieuse des choses divines : nos facultés de connaissance sont plongées dans la nuit la plus complète, et pourtant nous sommes remplis des plus vives lumières. Et tout de suite, Denys indique à son cher Timothée le moyen de parvenir à ces contemplations mystiques, rcepl Ta (xuarixà 0eâjj.aTa :

xàç aîaOrjCTeiç àTr6Xe171E, xal Ttxç voepàç èvspydaç, xal îràvTa alaôirjTà xal voYjxà, xal nràvTa oùx ôvTa xal ôvxa, xal i : pàç ttjv evcoaiv, wç èçixtov, àyWiaxwç àvaràÔ^Ti toù ûrcèp 7rào"av oùaîav xal yvwaiv T7] yàp sauxou xal ttocvtcov àa/ÉTW xal à7roXÔTW xa-Gapwç èxcrrâaei 7tpà< ; tov ÛTrepoôai.ov toù Osîou axotouç àxTÎva, 7Tâvra àçsXôv xal ex 7tovtov ànroXuGelç, àva)(6Y)cr/). Ibid., col. 997. 1000.

sensus relinque, et intellectuales operationes, et sensibilia et intelligibilia omnia, et ea quæ sunt et quæ non sunt universa, ut ad unionem ejus qui supra essentiam et scientiam est, quantum fas est, indemonstrabiliter assurgas ; siquidem per liberam et absolutam et puram tui ipsius a rébus omnibus avocationem ad supernaturalem illum caliginis divinre radium, detractis omnibus et a cunctis expeditus, eveheris.

Le moyen de parvenir à ce « rayon suressentiel de la divine ténèbre » est donc le dénuement total de toutes choses et de soi-même, 1’ « extase », et l’union à Dieu dans l’inconnaissance. En définitive, la théologie mystique sera une connaissance de Dieu par négation et par union, c’est-à-dire par amour.

Le traité Des noms divins va nous servir à préciser ce que Denys entend par la connaissance par union. Elle s’oppose autant à la connaissance intellectuelle que celle-ci à la connaissance sensible :

WÇ OTaV Y)fJ.WV Y)’^U’/j) TtXlÇ

voepaïç èvepyelaiç êrcl xà vo7]Ta xwettai., TCp lirai [XETà xcôv alaOriTÛv al aïaOyjæiç’toarcep xal al voepal 80vâfjisi.ç, ôrav Y) t^uX ?) OsoetSrjç yivojjiévr), Si’évcôaecûç àyvo’iaTou zoùq

TOÛ à7TpO(ïlTOU 9COTOÇ àxTt aiv è7u6àXX7), xatç à.vou.[iot.toiç È7n.60Xaïi ;. De div. nom., c. iv, 11, col. 708.

adeo ut, cum anima nostra intelligendi facultatibus fertur in ea qime intellectu percipiuntur, tum frustra sensus una cum sensibilibus adhibeantur ; sicut etiam vires intelligendi, quando anima jam deiformis effecta, per ignotam unionem, lucis inaccessaî radiis, exoculatis quasi jactibus, se ingerit.

L’intelligence n’intervient donc pas dans cette connaissance :

Séov eïSsvai t6v xaO’^(xâç voûv ëx etv T’) v ^^ 8ûvau, iv elç tô voetv, 8C 7Jç xà vo7)Ta pXÉ71£t, t - J)v Se ëvcoaiv ÔTTEpaEpouaav tt ; v toû vou ç’jtiv, Si’rf, auva7rTCTai Ttpôç Ta è7réxeiva éauTOÙ. M., vu. 1, col. 865.

cum scire debeamus mentem quidem nostram pol 1ère vi intelligendi, qua res intellectiles contueatur ; tamen istam unionem, qua rébus se superioribus conjungitur, naturain ipsius longe superarc.

Un peu plus loin, Denys décrit encore plutôt qu’il n’explique cette connaissance par union :

Koct ëaTiv auOiç 7j GeooTaEst item divinissima

T7) toù Geoû yvcôa’.ç, r) Dei notitia, quæ per nes 81 àyvwalaç yivwaxojiivr], cientiam accipitur, secun xaxà tt)v ûrcèp voùv eviùaiv, dum illam quæ super intel ôxav ô voûç, tùv Ôvtwv lectum est unionem, quan tcocvtcov àitoaTaç, erteiTa do mens a rébus omnibus

xal éauTÔv àcpelç, évmGtj recedens, ac demum seme toùç Û7rep(paéaiv àxTicuv, tipsam deserens, desuper

èxeTGev xal èxeî tcô àve£efulgentibus radiis unitur,

peuvr]T<p pàôci ty)ç aocpiaç quibus in illo inscrutabili

xaTaXafZTc6jji.£voç. vii, 3, sapientiæ profondo collus col. 872. tratur.

Mais, puisque connaissance il y a, il faut bien, qu’outre les sens et l’intelligence, nous ayons quelque autre faculté de connaissance qui reçoive le rayon de la divine ténèbre ; Denys nous parle, en effet, d’yeux spirituels que la lumière vient purifier et ouvrir :

xai touç voepouç auiâiv 6cp6aXji.oùç àvaxaGaîpeivT% Ttepixeiuivyjç àuxoïç èx zrç àyvolaç à^Xioç, xal àvaxLveïv, xal àva7mjaa£Lv tu tcoXXco (3àpei toù axotouç aru[X(i.e[i.uxÔTa( ;. iv, 5, col. 700.

oculos mentales a caligine ex ignorantia circumfusa repurgat et libérât, et excitât, atque aperit multa gravitate tenebrarum compressos et clausos.

Denys prélude ainsi à la théorie des « sens spirituels » ; cf. R. Carton, op. cit., p. 242 et sq.

La lumière divine possède un pouvoir unificateur : elle fait l’unité dans l’esprit, et entre tous les esprits qu’elle atteint, et entre tous les esprits qui la reçoivent et Dieu qui la déverse sur eux :

Kal yàp coaTtep yj ayvoia Etenim sicut ignorantia SoatpsTixY) tûv 7TE7rXav7)- errantes dirimit, sic advenuivcùv ècmv, outwç ï) toû tus luminis congregat et votjtoû cpwToç icapouaîa copulat illuminatos, perauvaywyoç xal évcotlxt) ficitque eos, et ad id quod tcôv cpomÇojxivcov ecm, xal vere est convertit, a multis teXeiwtixy ;, xal eti êmopinationibus eos revoaTpETTTixT ) rcpôç xô ôvTwç cans, ac varios aspectus, Ôv, àno tcôv ttoXXojv SoÇaavel, ut magis proprie di(jLârwv ÈTCiCTTpÉçouCTa, xal cam, varia phantasmata, Taç 7rotxtXaç ô^siç, -^ xuin unam veram et puram

ac simplicem cognitionem contrahit, et uno lumine unifico implet.

puoTspov EtTTE’.VjÇavTaai.aç, eîç |ilav àXYjGî), xal xaôapàv, xal fj.ovoe1.87j CTuvàyouaa yvaJaiv, xal évàç xal evamxoù çcotÔç èfX7C !.-TcXcôaa. iv ; 6, col. 701.

L’ « exercice mystique » consiste dans une concentration et une unification de l’âme ; c’est ce que Denys appelle son mouvement circulaire :

^r/_r]ç ^ Se xtv7)aîç ectti, Animi autem motus orbi xuxXixy) [i.èv T) eîç éauTïjv cularis est ejus ab extra eïaoSoç àirô tôSv è’£co, xal neis in semetipsum introi tûv voepûv aÙTTJç Suvà- tus, spiritualiumque ipsius

[xewv 7) évoeiSt, ç auvéXiÇiç, facultatum unimoda in toaTrep êv tivi xûxXgj to flexio, quæ quasi in cir àrcXaveç aÙTfl SwpoufisvY), culo fixum et ab omni

xal àicô tùv 7roXXwv tûv errore liberum motum ei

è^wGev aùrrjv £7uaTpéçoutribuit, et a multis rébus

aa, xal aovàyooaa Tcpôrov extraneis ipsum conver elç sauTy)v, slxa ùç évoeiSy) tit, ac colligit primum ad

ysvo|jivY]v, évoùo-a Taïç se, deinde, quasi jam

évialcoç Tjvco^Évaiç Suvâfxeuniusmodi effectum, con oi, xal oûtcoç èttI to xaX6v junctis unomodo virtuti xal àyaGôv x^paywyoùaa, bus conjungit, atque ita

tô ûrcèp Tcâv-a xà ôvTa, demum ad pulchrum ac

xal êv xal xaÙTÔv, xal bonum manuducit, quod

àvapxov xal (xteXsijtyjtov. supra omnia quæ sunt, et

iv, 9, col. 705. unum et idem, et sine

principio et sine fine est.

Mais, si Dieu est lumière et exerce déjà en cette qualité une action unificatrice, il est aussi amour et l’on sait que l’amour est essentiellement unitif :

Kal eoti toûto (il s’agit

d’è'pox ;) SuvâfjlEtOÇ ÉVOTtOlOÛ

xal auvSsTtxYjç, xal SiatpepovTtoç auvxpaTixyjç, sv TW xaXw xal àyaôw Sià tô xaXôv xal àya06v Trpo U<p£CTTO)CTY]Ç, Xal £X TOU

xaXoû xal àyaOoîJ Sià to xaXôv xal àyaGov èxSiSo [jtÉVYJÇ, Xal CTUV£)(0ÛCT7)Ç [XÈV

Ta by.oza.yri xaTa tyjv xoivwvtxYjv àXXy)Xou}(lav,

XIV0Û(7Y)Ç SE Ta 7TpôJ)Ta 7TpOÇ T7JV TWV Ûcp£l(jl£VWV TTpÔ voiav, xal èviSpuo’jarjç Ta xaTaSfiéaTEpa r/j ÈTTiaTpo çf) TOÏÇ Û7T£pT£pOlÇ. IV, 12,

col. 709.

Estque hoc virtutis cujusdam unificre ac collectivse excellent erque contemperantis, quæ in pulchro et bono per pulchrum et bonum prseexistit, et ex pulchro et bono propter pulchrum et bonum émanât, continetque quidem œqualia per mutuam connexionem, superiora vero ad inferiorum movet providentiam, inferiora porro per conversionem quamdam superioribus inserit.

Cf. Revue d’ascétique et de mystique, juillet 1925, p. 278-289 : Amour et extase d’après Denys d’Aréopagite, par G. Horn. Unitif, l’ëpcoç divin est encore essentiellement « extatique » et donc souverainement apte à réaliser cette indispensable condition de la théologie mystique, l’extase, c’est-à-dire le don de soi, l’abandon :

"Ectti 8è xal èxaTaTixôç ô Est prseterea divinus amor

Geïoç è’ptoç, oùx èwv éauTÔiv exstaticus, qui non sinit

Elvat toùç ÊpaaTaç, àXXà esse suos eos qui sunt

tûv êpMjiivcov. iv, 13, amatores, sed eorum quos

col. 712. amant.

Denys ne craint pas d’appliquer à Dieu lui-même ce caractère essentiel de l’amour. Enfin, et c’est ce qui explique encore son pouvoir unitif. l’amour décrit un cercle éternel ; c’est ce que chantait en ses « hymnes d’amour » le bienheureux fHiérothée :

ei.Ttwji.ev oti. [xia T’.ç eotiv àTrXYj Sûva|j.iç Y] aÙTOXtvï]-Tixr ) Ttpoç ÉvcoTtxrjv Tiva xpàatv éx TàyaOoû (xe/pi. toù tùv ôvtcov êa^âTOu, xal àni -’xeivou rcàXiv êÇyjç Stà KavToiv e’.ç TayaGôv èE, éauTÎ)ç, xal Si’éauTTJç, xal Iç’lauT^ç éauTTjv àvaxuxXoùaa, xal elç éauTYjv àel TaÙTciç àveXiTTO^éw). iv, 17, col. 713.

dicamus unam esse simplicem virtutem per se moventem ad unitivam quamdam mistionem ex bono usque ad extremum eorum qua ; exsistunt, et ab illo rursus consequenter per omnia ad bonum ex seipsa, per seipsain et in seipsa seipsain revolventem, et ad seipsam semper eodem modo revertentem.

Revenons maintenant à notre petit traité. Relevons au passage une ligne où s’amorce la théorie de Nicolas de Cuse sur « la coïncidence des contradictoires » en Dieu :

xal (i.7) oïeaôai Taç àTcoçocæiç àvTt.xexe !.fjt.éva< ; elvai Taïç xaTatpâaecfiv, àXXà tcoXù TtpoTepov aÙT7)V ÛTCÈp Tàç CTTeprjæiç eïvai tv]v ÛTcèp icôcaav xal àçaîpeaiv xal Géatv. De myst. llieol., c. i, § 2, col. 1000.

nec existimare (oportet) negationes affirmationibus esse contrarias, sed ipsam (il s’agit de la cause première ) multo priorem et superiorem privationibus esse supra omnem et ablationem et positionem.

Voici de nouveau une description du dénuement que doit réaliser l’âme pour entrer dans la ténèbre où habite Dieu :

2611

    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, DESCRIPTION, PSEUDO-DENYS

2612

xal àXrjGciç èx9aivo|i.évir)v vere ostenditur solis iis

(la cause première) Toîçxal qui cuncta quæ impura,

Ta èvay9) TcàvTa xal Ta quæque pura sunt, per xaGapà SiaêaEvooo-i, xai transeunt, omnemque ora TTÔffav rcaacôv àylcov ixponium sanctorum fastigio t^tcov àvâSaoïv ûrc£p6aî- rum ascensum transcen vouai, xal Trâvxa 0eïa dunt, et oninia divina

cpciTa, xal rf/puc, , xal ^°~ lumina et sonos et sermo youç oùpavlouç à7ToXi.(XTrâ- nés cœlestes rehnquunt,

vouai, xal elç tôv yvôtpov et in caliginem absorben £Îa800(i.évoiç, ou ovtcoç tur, ubi vere est, sicut ait

èo-dv, wç Ta Xéyià çtjo-iv, Scriptura, qui est ultra

ô TCavTcov £— éxsiva. I, 3, omnia. col. 1000.

F En d’autres termes, pour connaître Dieu, il faut renoncer à toute connaissance intellectuelle de Dieu, même révélée :

xal t6te xal aÙTÔJv àmoac tune ab iis ipsis quæ

ÀûeTai t£>v ôpwfiévcov xal videntur et ab iis quæ

twv ôpwvTtov, xal elç tôv vident absolutus et expe yv6<pov -njç àyvwalaç eladitus, in caliginem vere

Sûvei tôv Ôvtwç jzuo-tixôv, niysticam incognoscibili xaO’ôv à7ro(i.usï Ttâaaç t<xç tatis ingreditur, in qua

yvcoo-Tixàç àvTi.Xr)4’£iÇ x<*î omnes scientificas appre èv tû TcâjXTcav àvatpsï xal hensiones excluait, et in

àopaTW yîyvETai, tcôlç wv omnimodeintactiliet invi xoù 7râvTwv eTOxeiva, xal sibilihæret, totusexsistens

oùSsvôç oûts éauTOÙ oute ipsius qui est ultra omnia,

ÉTÉpou, tw TcavTeXtoç Se neque ullius, neque suus,

àyva>o-T « -rïjç Ttàaïjç yva>- neque alterius, cum eo

ctsoç àvsvepy/jaîa xaTa tô autem qui est penitus in xpeÏTTOv évoù(i.£vo( ;, xal tw cognoscibilis, per vacatio fzrSèv yivwo-xsiv, ûîrèp voûv nem omnis cognitionis

Ytvc’jCTxcjv. Ibid., col. 1001. secundum meliorem partem copulatus, et eo ipso

    1. QUOD NIHIL COGNOSCIT##


QUOD NIHIL COGNOSCIT, SUPRA MENTEM COGNOS-CENS.

En définitive, voici que toute la connaissance mystique se ri’; îe pour Denys à la théologie négative et à la contemplation obscure et silencieuse. Nous voici en’plein paradoxe : on connaît et l’on voit par le fait même que l’on ne connaît plus et qu’on ne voit plus :

KaTa toùtov 7)u.eù ; ysvsNos in hac supraquam aOai tov Û7rép<po)Tov sù^ô- lucente caligine versari (i.eOa yvôcpov, xal Si’à6Xsexoptamus, et per visionis ylaç xal àyvcoaîaç ISetv cognitionisque negatioxal yvwvai to Û7cèp 6éav nem, videre et cognoscere xal yvcoaiv, aÙTco rà jj.y) id quod supra visionem loeîv (xrjSè yvcôvar toûto cognitionemque exsistit yâp èctti tô Ôvtwç ISeïv xal hoc ipso quod non videmus yvôJvat. c. ii, col. 1025. neque cognoscimus : hoc

enim est vere videre et

cognoscere.

Tout le reste du petit traité ne concerne plus que la théologie négative. La Lettre à Caius, le thérapeute, laquelle vient à la suite, insiste sur le paradoxe de la connaissance par inconnaissance, et sur le caractère inconscient de cette connaissance doublement mystérieuse :

£7t6<p7)aov Û7repaXr ; 0wç ôti Plusquam vere enuntia XavOdvet toôç ë/ovTaç Ôv quod possidentes verum (pwç xal ovtcoç yvwaw yj lumen et veram cognitioxaOà Œov àyvwata - xal tô nem latet [gnoratio illa Û7repxôûj.~vov aÙTOÛ axÔToç quæ est secundum Deum ; xal xaXÛTTTETat rcavTÏ 90JT1 el tenebrse ejus superemixal àiroxpu7TTeTai, 7tôcaav nentes onmi quoque luyvtôaiv, Kal e’i tiç ISwv mini occuluntur, omnem 8eôv, o-’^/TjXev ô eTSsv, oùx abscondunt cognitionem. aÛTOV éo’jpaxev, àXXà ti Et si quis, viso Deo, cotcôv aÙToù tôv Ôvtwv xal gnovit id quod vidit,

yivwaxojjiÉvœv aÙTÔç Ss ÛTtèp voùv xal Û7rèp oùaîav ÛTCpiSpufiivoç, aÙTCû Ttô xaOôXou y.7] yivwaxsaQai, ji.7jSè elvai, xal ëaTtv Ûîtouaîcoç xal ÛTTÈp voûv yivwaxsTai. Kal t xarà tô xpELTTOv 7TavTEXr ; ç àyvcoaia yvcôalç èaTi toû ûrtèp 71âvTa Ta ytva)CTxô|i.Eva. P. G., t. iii, col. 1065

nequaquam ipsum vidit, sed aliquide rébus ejus qua ; exsistunt et cognoscuntur ; ipse autem supra mentem et substantiam constant er manens, per hanc ipsam cognitionis et essentiæ negationem et supra substantiam exsistit et supra mentem cognoscitur. Et illa perfectissima in bonam partem ignoratio, notitia est eju qui est supra omnia quae in cognitionem cadunt.

Il nous apparaît ainsi bien nettement que Denys, et par suite tous ceux qui restent fidèles à sa conception de la théologie mystique, ne nous parlent pas d’une véritable connaissance expérimentale de Dieu : leur connaissance mystique, inconsciente pour le sujet lui-même qui en est favorisé, que peut-elle être ? nous n’avons pas à le rechercher, mais le psychologue ne peut que s’en désintéresser, puisqu’elle se présente elle-même comme « métapsychologique ». Signalons, en terminant, l’appréciation sévère que donne de notre Denys le Mystique le D r H. F. Mûller, dans son Dionysios. Proklos. Plotinos. Cf. Revue d’ascétique el de mystique, 1922, p. 201-206.

En dépendance du Pseudo-Denys.

1. Parmi les

écrits mystiques qui s’inspirent de Denys jusque dans leur titre même, mentionnons Le nuage de l’inconnaissance, petit livre composé au xiv siècle par un auteur resté inconnu, et qui fut commenté en 1629 par dom Augustin Baker, cf. La vie spir., juillet-1925, p. [233] ; et La docte ignorance de Nicolas de Cuse, qui suscita au xv> siècle une controverse dont toutes les péripéties ont été racontées par M. Vansteenberghe dans sa thèse de doctorat, Autour de la docte ignorance, Munster, 1920 ; nous ne pouvons malheureusement nous y attarder ici et devons renvoyer le lecteur aux publications de M. Vansteenberghe sur Nicolas de Cuse, et particulièrement, à son édition de La vision de Dieu, dans le Muséum lessianum, 1925. Cf. Rev. d’ascet. el de myst., 1925, p. 78, résumé du jugement porté par J.Bernhart sur « la mystique philosophique » de Nicolas de Cuse.

2. La mystique de Hadewijch, cf. J. van Mierlo jun., Rev. d’ascél. et de myst., 1924, p. 269-289, et 380-404, rend un tout autre son que celle de « la docte ignorance », et pourtant nous croyons pouvoir la rapprocher aussi de la mystique dionysienne, non’plus, il est vrai, de la théorie paradoxale du De mystica theologia, mais de la curieuse théorie du « cycle mystique » de l’Amour, contenue au c. iv, § 11-17, du De divinis nominibus, si bien mise en lumière par G. Horn, Rev. d’ascét. el de myst., 1925, p. 278-289, et 378-389. Je. songe tout particulièrement à cette lettre qu’une glose marginale appelle Scrmo de XII horis, où le P. Van Mierlo voit « un petit traité, un essai de systématisation de la montée de l’âme dans l’Amour ». Loc. cit., p. 388. « Dans une courte introduction, l’Amour est présenté comme un mouvement circulaire : se possédant pleinement en Dieu, il se communique à l’âme, où il est dans une nature étrangère. Les douze heures viennent l’en faire sortir, pour le ramener dans sa nature propre et le précipiter dans l’abîme de la forte nature d’où est né Amour et dont il se nourrit. Et alors l’Amour se possède pleinement et jouit de sa nature sous lui, au-dessus de lui et tout autour de lui. » Ibid. Nous ne pouvons pas songer évidemment à donner, ici, même un court résumé de la mystique d’IIadewijch, qu’il serait pourtant intéressant de con2613

    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, DESCRIPTION, RICHARD DE SAINT-VICTOR 2614

naître, puisqu’on y découvrirait « les bases de la mystique néerlandaise, de la mystique germanique même ». Loc. cit.. p. 277.

Il nous faut signaler pourtant sous la plume d’Hadewijch la description d’un état mystique qui peut paraître singulier : c’est une sorte de possession de l’âme par l’Amour, par l’amour universel, par l’amour absolu. « La dixième heure sans nom : est que l’Amour n’est justiciable de personne, mais tout est justiciable de lui… Il a dompté la divinité dans sa nature. Il crie dans le cœur de ceux qui aiment d’une voix haute sans trêve ni relâche : Aimez l’Amour !.. Cette parole est la chaîne dans laquelle il garrotte ses prisonniers, c’est l’épée dont il blesse ceux qu’il touche, c’est la verge avec laquelle il châtie ses enfants ; cette parole c’est la maîtrise par laquelle il enseigne ses disciples. » Loc. cit., p. 389 ; voir p. 278-279, les différents sens que donne Hadewijch à ce mot Amour, et « qu’il est parfois difficile de distinguer ». « La onzième heure sans nom : l’Amour possède puissamment celui qu’il aime… L’Amour rend sa mémoire si simple qu’elle ne peut plus songer ni aux saints ni aux hommes, ni au ciel ni à la terre, ni aux anges ni à elle-même, ni à Dieu, mais seulement à l’Amour, qui l’a possédée dans une présence toujours nouvelle. » Enfin, si le nom auquel Hadewijch attribue tant de pouvoir dans la douzième heure est le mot même d’Amour, elle y traduirait encore un autre aspect du même état : « Dût personne n’aimer l’Amour, son nom lui donnerait suffisamment d’amabilité dans lasplendide nature de lui-même. Son nom, c’est son être en lui ; son nom, ce sont ses œuvres en dehors de lui ; son nom, c’est sa couronne au-dessus de lui ; son nom, c’est son fond au-dessous de lui. » Loc. cit., p. 390.

Ce poème n’évoque-t-il pas la parole de Dante : « Quand je voyais paraître Béatrice, et qu’elle me saluait, je n’avais plus d’ennemi ; je sentais au contraire une ardeur charitable qui me portait à pardonner à tous ceux dont j’avais reçu des offenses, et si, par occasion, on m’eût demandé quoi que ce soit, ma seule réponse eût été : Amour. » E. Baumann, L’anneau d’or des grands mystiques, p. 58. Et voilà peut-être de quoi illustrer la théorie de Récéjac ; cf. Maréchal, op. cit., p. 168.

Richard de Saint-Victor.

Bossuet, préparant

son second traité sur les états d’oraison, écrivait à son neveu, le 7 décembre 1698 : « Saint Augustin ira partout à la tête, et saint Thomas sera le premier à sa suite. Je n’oublierai pas les autres saints, sans mépriser les mystiques que je mettrai à leur rang, qui sera bien bas, non par mes paroles, mais par lui-même, comme il convient à des auteurs sans exactitude. » Cité par M. Levesque, p. xxxiv de V Introduction de son édition de ce traité.

Richard serait-il donc un de ces « auteurs sans exactitude » ? Hélas ! oui. Sa terminologie est flottante, cf. Kulesza, La doctrine mystique de Richard de Saint-Victor, p. 15 ; son style « alambiqué », Pourrat, p. 192 ; et nous aurons l’occasion de constater qu’il n’est pas toujours d’accord avec lui-même. Mais on peut trouver chez lui, bien que noyées dans la surabondance de son verbe diffus, des notations précieuses d’expériences mystiques proprement dites.

Lisons son petit traité De quatuor gradibus violentas charilalis, P. L., t. cxcvi, col. 1207-1224, où l’on a voulu découvrir une première ébauche et la source même des quatre dernières « demeures » du Château intérieur de sainte Thérèse ; cf. Kulesza, p. 104-106.

Le premier degré des états mystiques se caractériserait par ce que l’on est convenu d’appeler maintenant < le sentiment de présence » de Dieu : sub hoc statu animam esurientem et sitientem sœpe Dominus

visitai, ssepe interna suavitate saliat, spiritusque sui dulcedine inebriat… Sic lamen prsesentiam suam exhibet ut faciem suam minime oslendal. Dulcorem suum infundil, sed dccorem suum non ostendit. lnjundit suavitatem, sed nos ostendit clarilatem. Suavitas ejus sentitur, sed species non cernitur… Nondum apparet in lumine. El quamvis appareal in igné, magis tamen in igné accendenle quam illuminante. Accendil namque afjectione, sed nondum illuminât intelleclum… In hoc ilaque statu anima dilectum suum sentire potest, sed, sicut diclum est, videre non potest. El si videt, quidem videl quasi in nocte, videt velul sub nube, videt denique per spéculum in a-nigmate, nondum autem facie ad faciem. Col. 1218. Les « visites » de Dieu ont ce caractère particulier d’être subites, d’arriver à l’improviste ; sans doute l’âme s’y est préparée, elle les désire, les appelle, les attend, mais elle ne saurait dire ni si, ni quand elles se produiront : in hac exspeclalione incipit anima hue illucque fréquenter circumspicere, ’et cum summa diligentia attendere qua parte occurrat qui exspectatur ut veniat… cum ecce subito ab austro veniens. Adnolationes myslicse in psalmos, P. L., t. exevi, col. 274. Cf. Benjamin major, t. IV, c. i, col. 147.

Mais si déjà le premier degré des états mystiques comporte le sentiment de la présence et de l’action^de Dieu, combien plus les degrés supérieurs : sponsi igitur inventio præsentias ipsius est experienlia et revelalio. Explicatio in Cantica Confie., c. v, col. 420. Sur ce sentiment de la présence de Dieu, voir encore ibidem, c. i, col. 411 ; De gradibus charitatis, c. ii, col. 1198-1199 ; et Benjamin minor, c. xi, col. 8.

La second degré des états mystiques est la contemplation : quando ergo mens cum magno studio ardentique desiderio ad divinæ coniemplationis graliam proficit, jam quasi ad secundum amoris gradum proficit, quando meretur per revelationem inspicere quoi oculus non vidit, nec auris aulivit, nec… De quatuor gradibus, col. 1219. Richard a longuement disserté sur la contemplation ; il lui a consacré deux traités : De prœparatione animi ad contemplationem liber diclus Benjamin minor, P. L., t. cxcvi, col. 1-62, et De gralia contemplationis libri quinque, appelé Benjamin major, col. 63-202. N’en voulant point faire ici une étude exhaustive, nous n’en relèverons que les traits les plus saillants.

Qu’est-ce d’abord que la contemplation mystique ? Possumus illam qux in hac vila haberi potest, Dei cognitionem, tribus gradibus dislinguere, et secundum triplicem graduum difjcreniiam per 1res celos dividere. Aliter siquidem Deus videtur per fidem, aliler cognoscitur per ralionem, alque aliler cernitur per contemplationem. .. Ad primum ilaque et secundum contemplationis cselum, homines sane ascendere possunt, sedî r ad illud quod est supra ralionem, nisi per mentis excessum supra seipsos rapli nunquam perlingunt. Benj. min., c. lxxiv, col. 53. Ces trois degrés de la connaissance de Dieu paraissent correspondre aux six degrés de la contemplation du Benj. maj., c. iii, col. 66-67, et c. vi, col. 70-72, qui marchent deux par deux, et qui s’appellent successivement cogitatio, meditatio et conlemplalio ; lesquelles procèdent de trois facultés différentes, l’imagination, la raison, l’intelligence : simplicem inlclligenliam dico qiuv ext sine officio rationis, puram vero quæ est sine oecursione imaginalionis, col. 74 ; lesquelles enfin nous permettent d’atteindre trois objets de connaissance différents, les corps, les esprits, Dieu, ce qui au moins de Dieu ne peut être connu par la raison.

En quoi consiste donc cette contemplation qui nous permet d’atteindre les choses divines inaccessibles à la raison ? Pour le dire d’un mot, c’est une intuition intellectuelle, qui no-us assimile aux purs esprits : 2615 MYSTIQUE, DESCRIPTION, RICHARD DE SAINT-VICTOR

2616

pendant de courts instants, notre intelligence, dégagée et même, à la lettre, séparée du sensible, et d’autre part envahie par la lumière divine, exerce son acte de pur esprit et perçoit les intellectibilia (que Richard oppose aux inlclligibilia, objet de la raison, Benjamin major, I. I, c. vii, col. 72). L’extase, c’est-à-dire la séparation momentanée de l’âme et de l’esprit, en est donc la condition nécessaire : in hac itaquc division ? (animse et spiritus, Hebr., iv, 12) anima et quod animale est in imo remanet ; spiritus autem et quod spirituale est ad summae volai. De exlerminalione mali, tract, iii, c. xviii, col. 1114. Nous retrouvons saint Augustin. Ainsi la contemplation ou connaissance mystique nous assimile aux anges : absque dubio et sine omni contradictione non est levé vel facile humanum animum angelicam formam induerc, et in supermundanum quemdam et vere plusquam humanum habitum transire, spiritales pennas accipere, et se ad summa levare. Béni, maj., t. IV, c. vi, col. 140.

Mais, objectera-t-on, nous est-il possible d’arriver à semblable intuition ? Par nos propres moyens, non évidemment : in illis quidem primis quatuor contemplationum generibus ex propria induslria eum divino tamen adjulorio quofidie cnseimus, et ex uno ad aliud proficimus. Fe<l in ultimis islis duobus lotum pendel ex qralia, et omnino longinqua sunt, et valde remola ab omni humana induslria, nisi in quantum unusquisque ca-lilus accipit, et angelica ? sibi similitudinis habitum divinitus superducil. Ibid., t. I, c.xii, col. 78. Mais si la grâce intervient, comment cette intuition intellectuelle ne serait-elle pas possible ? Notre âme n’est-elle pas spirituelle ? Une opération purement spirituelle doit donc moins nous étonner d’elle que des opérations d’ordre sensible. Cf. Adnotationes mysticas in psalmos, col. 338-339 : miraris quod spiritualis creatura in spir’lualibus se suspendere potest, et non potius miraris quod spiritus a non spiritualibus scparari non potest ?

Richard ne distingue pas la contemplation mystique de la révélation prophétique : ista (les choses divines qui dépassent la raison) autem modo miraculis, modo auctoritatibus pcrsuadentur, modo revclationibus discuntur. Infidelibus elenim sœpe persuasa sunt multitudine miraculorum, (idelibus autem quotidie persuadentur auctoritatibus Scripturarum, proplielicis vero viris sœpe ostensa sunt multiplici varietate divinarum revelationum. Benj. maj., t. IV, c. iii, col. 137. Pour désigner l’action divine qui nous élève à la contemplation, il emploie indifféremment les termes de révélation, d’inspiration, de grâce : cf. le très beau texte du c. x de ce même livre, col. 145.

On peut même se demander s’il distingue la contemplation de la vision intuitive du ciel. Sans doute par endroits il les oppose formellement : Sciendum tamen est quod aliter videiur (Deus) per /idem, alilcr autem per conlemplationcm, alilcr vero cerniiw per speciem… Unie tamen cselo (le premier ciel auquel nous introduit la foi) supereminet aliud cselum, dignitas scilicet spiriluaiium virorum, cui tamen superfertur terlium, sublimilas videlicet angelorum. Adnot. mgst. in psalmos, col. 270-271. Mais précisément n’est-il pas constant, selon Richard, que la contemplation nous hausse jusqu’au troisième ciel et nous égale aux anges ? Sans don le encore il met parfois un correcl il devant l’expression jacie ad jacicm pour atténuer [’assimilation de la contemplation terrestre à la vision béatiflque : sed ille quasi de tabernaculo in advenientis Domini occursum egreditur (allusion à Abraham, Gen., xviii, 2), egressus autem QUASI facie ail jacicm intuctur. qui per mentis excessum extra scipsum duclus, sunuive sapictttiiv. lumen sine aliquo involucro, fig.rarumve adumbratione, denique non per spéculum et in œnigmalc, sed in simplici, ut sic dicam, veritate contemplatur. Benj. maj., i IV, c. xi, col. 1 17. Cf. Admit, in psalmos, col. 341 342. Mais que manque-t-il donc à cette description de l’intuition du contemplatif pour l’égaler à la vision béatiflque ?

Aussi comprend-on qu’en maint autre passage, Richard la qualifie de vision face à face : per contemplativos debemus illos intelligere, quibus datum est jacie ad faciem videre, qui gloriam Domini revelata jacie contemplando veritalem sine involucro vident in sua simplicitate sine speculo et absque œnigmate. Ibid., col. 337. Cf. Explie, in cant., c. v, col. 420. La contemplation est une « théophanie ». Adnot., col. 311. Ce qui la distingue pourtant de la vision béatiflque, c’est sa durée, celle de l’éclair : quis, quæso, digne dicere, quis explicare sujjlciat quid per/ectionis in excessus sui glorificatione spiritus acquirat, quamvis peregrinationis suse (la sortie de l’esprit hors du corps) prolelalionem usque in diem terlium non exlendat (allusion à la séparation de l’âme et du corps du Christ), eliamsi silentii moram w, que ad dimidiam horam non producat (allusion au silence de l’Apocalypse, viii, 1), licel eal et redeat in similitudinem fulguris coruscantis ? De exlerm. mali, tract, iii, c. xviii, col. 1115-1116. Cf. Benj. maj., t. IV, c.xii, col. 148 : theophaniam raptim pereeplam. Nous retrouvons donc toujours saint Augustin.

Faut-il nous étonner que de telles visions ne laissent pas en nous des souvenirs très précis ? Cum ab illo sublimitatis statu ad nosmelipsos redimus, illa quæ prius supra nosmetipsos vidimus, in ea veritate vel claritale qua prius perspeximus ad nostram memoriam revocare omnino non possumus. Et quamvis inde aliquid in memoria ieneamus…, nec modum quidem videndi, nec qualitalem visionis comprehendere, vel recordari sujjicimus. Ibid., t. IV, c. xxiii, col. 167. Les visions mystiques sont ineffables.

A maintes reprises, Richard affirme que la contemplation mystique n’est possible que dans l’extase : Benj. min., c. lxxiii-lxxiv, col. 52-53 ; c. lxxxii, col. 58 : ad tonitruum itaque divinæ vocis auditor cadit (allusion à la prostration des apôtres sur le Thabor), quia ad id quod divinitus inspiratur, humanus sensus suceumbil, et nisi ratiocinationis anguslias deserat, ad capiendum divinee inspirationis areanum intelligenlise sinum non dilatai. Ibi itaque auditor cadit, ubi humana ratio déficit. Ibi Rachel (symbole de la raison) moritur, ut Benjamin (symbole de la contemplation) oriatur. Idem itaque, nisi fallor, per mortem Rachel, et casum discipulorum figuratur, nisi quod in tribus discipulis, sensus videlicet, mémorise et rationis dejectus oslenditur. Cf. Benj. maj., t. IV, c. xxii, col. 165 : uno eodemque tempore humana intelligentia et ad diDina illuminatur, et ad humana obnubilatur. L’extase est même la caractéristique des deux derniers degrés de la contemplation, c’est-à-dire de la contemplation mystique proprement dite. Ibid., col. 164 et 166.

Et pourtant, au livre suivant, Richard nous présente trois degrés, trois modes de contemplation, dont un seul comporte l’extase : tribus autem modis, ut mihi videiur, contemplationis qualitas variatur. Modo enim agitur mentis dilatationc, modo mentis sublevatione, aliquando autem mentis alienatione… Primus surgit ex induslria humana, tertius ex sola gralia divina, médius autem ex utriusque permistione, humants videlicet industries et gratta divime. C. ii, col. 109-170. Mais qu’on y regarde de près, on constatera le caractère artificiel de cette classification ; car ce qui est présenté comme le premier mode ou degré de contemplation, ce n’est pas une contemplation, mais l’élude spéculative de la contemplation : in primo gradu quasi arcam noslro laborc jabrieamus, quando conlemplandi artem nostro studio et industriel comparamus. Col. 170 (allusion à la construction de l’arche d’alliance par Beseleel, auquel Richard se compare lui-même, lui qui se déclare simple

théoricien de la contemplation, c. i, col. 169). Et par l’objet qu’il assigne au second degré de la contemplation (c. iv, col. 173), qui n’est rien de moins que l’ensemble des révélations prophétiques, on ne voit pas bien comment elles seraient le résultat d’une collaboration de l’effort humain et de la grâce divine. Il reste pourtant — mais ne serait-ce pas une contradiction introduite dans son système ? — qu’il a reconnu une contemplation vraiment divine qui se produirait sans extase.

Et de même il signale une contemplation non extatique, mais aussi non divine, celle-là, non mystique, celle que l’on a nommée la contemplation active ou acquise ; t. IV, c. xxii, col. 164, 166.

Enfin, il semble bien qu’il faille encore rapporter à la contemplation active celle qui s’obtient par une sorte d’extase volontaire, par ce que l’on nommera plus tard la nuit active des sens et de l’esprit : eorum autem qui in suis contemplalionibus supra semetipsos ducuntur et usque ad mentis excessum rapiuntur, alii hoc exspeclanl et accipiunt usque adhuc ex sola vacante gratia, alii vero ut hoc possunt sibi comparant (cum gralise tamen cooperatione) ex magna animi industria. Et illi quidem hoc donum quasi forluilum habent, isti vero jam velut ex virtute possident. Ibid., c. xxiii, col. 166. N’y a-t-il pas d’ailleurs une nouvelle contradiction entre ce que Richard affirme ici d’une extase en grande partie naturelle et ce qu’il dit ailleurs (t. V, c. xv-xvi, col. 187-189) de l’origine purement divine de toute extase, surtout du troisième degré de l’extase ?

Car l’extase comporte trois degrés : ascendit autem (mens) aliquando supra sensum corporalem, aliquando ttiam supra imaginalionem, aliquando vero supra rationem. Ibid., c. xix, col. 192. Richard lui reconnaît trois causes : nam modo præ magnitudine devolionis, modo præ magnitudine admira ionis, modo vero præ magnitudine exsultationis fit, ut semetipsam mens omnino non capiat, et supra semetipsam elevala in abalienationem transeat. C. v, col. 174. Il les décrit longuement, et indique à l’âme qui en a été favorisée mais à qui elle a été retirée, le moyen de retrouver l’extase : psallendo ilaque alque laudando iler Domino paratur, per quod ad nos venire, et miris quibusdam mysteriorum suorum revelationibus revelare dignetur. C. xviii, col. 190.

Il n’est pas aussi facile de caractériser le troisième degré des états mystiques selon Richard de Saint-Victor que les deux premiers : in primo itaque gradu dilecta fréquenter visilatur ; in secundo ducitur ; in tertio dilecto copulatur ; in quarto fecundatur, col. 1216 ; in primo inlral meditatione, in secundo ascendit contemplatione, in tertio retroducitur in jubilatione, in quarto egreditur ex compassione, col. 1217. On a donné depuis au troisième degré le nom d’union transformante ou d’état théopathique. Cf. col. 1221 : nonne et illi ex circumfusa divinilatis flamma et velut ex inspecta gloria incandescunt, et divinæ luei configurati jam quasi in aliam gloriam transeunl, qui revelala facie gloriam Domini spéculantes, in eamdem imaginem transformantur a clarilale in clarilalem lanquam a Domini Spiritu ?… In hoc statu qui adheerel Domino unus spirilus est. In hoc statu, ut diclum est, anima in illum qucm diligit Iota liquescit. La conséquence de cette « union », c’est que l’âme ainsi transformée n’a plus de volonté propre : sic qui ad hune lerlium amoris gradum profecerunt, nil jam propria voluntate agunt, nihil omnino suo arbitrio relinquunl, sed divinæ dispositioni omnia committunt. Col. 1222.

Enfin le quatrième degré de Richard s’identifierait assez bien avec ce que l’on a appelé 1’ « état apostolique », où le mystique se dépense tout entier pour la gloire de Dieu.

Il y a certes beaucoup à glaner pour la psychologie de la mystique dans l’œuvre de Richard. S’il faut en

croire son aveu rapporté plus haut, il n’aurait pas cependant expérimenté lui-même tous les états qu’il décrit. Il y a beaucoup de « littérature » dans ses traités. Somme toute, il ne nous livre rien, sur la connaissance expérimentale de Dieu, que nous n’ayons déjà rencontré en saint Augustin.

6° Saint Jean de la Croix (sera cité d’après la traduction Hoornært ; M. = La montée du Carmel, répartie en deux volumes ; N. et F. = La Nuit obscure et La vive flamme d’amour, réunies en un volume ; C. = Le Cantique spirituel.) — On doit peut-être à saint Jean de la Croix la distinction, devenue classique, des phénomènes dits mystiques, tels que visions surnaturelles, révélations, etc., et de la contemplation ou connaissance mystique proprement dite.

Ce qui les différencie essentiellement, c’est que celle-ci nous achemine à l’union transformante, tandis que les autres, s’ils peuvent en être des préparations providentielles, cf. M., t. II, c. xv, t. i, p. 126 sq., n’en sont aucunement le « moyen proportionné ». Et la raison en est bien simple, saint Jean la répète à satiété : ces phénomènes surnaturels ne peuvent nous communiquer de Dieu que des connaissances distinctes, or aucune connaissance distincte ne peut être un moyen d’atteindre Dieu ; « toutes ces formes, par le fait qu’elles sont perçues, sont enserrées en des modes et manières d’être limités, tandis que la sagesse divine à laquelle tend l’union n’en a d’aucune espèce… Comme l’essence de Dieu ne connaît ni forme, ni image, et n’est saisissable par aucune connaissance distincte, l’âme, pour s’introduire en Dieu, ne peut s’enfermer dans aucune forme ou intelligence particulière. » M., t. II, c. xiv, 1. 1, p. 121. Et dès lors, sans même entreprendre ce qu’on pourrait appeler une critique des phénomènes surnaturels — critique dont il entrevit la nécessité, cf. N., t. II, c. xvi, p. 107 — saint Jean demande que l’on n’en tienne aucun compte, à peine de ne parvenir jamais au but désiré.

Pourtant si la critique des phénomènes mystiques n’est pas donnée ex professo dans la Montée, elle y est parfois esquissée d’un trait rapide. Ainsi toutes les « connaissances et perceptions surnaturelles qui viennent à l’entendement par la seule voie des sens externes, » « par cela même que ces communications sont surtout extérieures et physiques, la préemption est toujours que leur origine n’est pas divine, » mais plutôt diabolique. M., t. II, c. x, t. i, p. 91-92. « Le sens de l’imagination et de la fantaisie constitue le domaine préféré du démon. » M., t. II, c. xiv, t. i, p. 120 ; défiance par conséquent à l’endroit de toutes les visions imaginaires. Les visions même spirituelles des « substances corporelles » peuvent être aussi produites en nous par le démon, M., t. II, c. xxii, t. i, p. 178 ; il en faut dire autant des révélations qui concernent les créatures, M., t. II, c. xxiv, t. i, p. 189 ; ou des révélations « qui découvrent des secrets et mystères », M., t. II, c. xxv, t. i, p. 192 ; sans compter que « les personnes dont l’esprit est purifié, ont une grande facilité, l’une plus que l’autre, à pénétrer naturellement le cœur de l’esprit intérieur, à saisir les inclinations et talents d’autrui, et cela par les moindres indices extérieurs, parfois à peine perceptibles, comme sont les propos, gestes, mouvements et autres manières d’être. » M., t. II, c. xxiv, 1. 1, p. 188. Les paroles intérieures « successives » peuvent aussi provenir de l’imagination, M., t. II, c. xxvii, t. i, p. 196-197 ; ou du démon, ibid., p. 200-201. Le démon encore peut être l’auteur des paroles « formelles », c’est-à-dire de celles que nous discernons formellement provenir d’une tierce personne, M., t. II, c. xxviii, t. i, p. 202-203. Seuls, parmi tous les phénomènes surnaturels, les visions spirituelles de substances immatérielles, les « notions intellectuelles » concernant Dieu, les paroles

intérieures « substantielles », c’est-à-dire qui « opèrent substantiellement dans l’âme ce qu’elles énoncent, » et les « sentiments spirituels qui agissent sur l’entendement, » ne reconnaissent qu’une origine divine, M., t. II, c. xxii, xxiv, xxix, xxx, 1. 1, p. 174-177, 182, 185, 205-206, 208-209.

Mais précisément tous ces phénomènes certainement divins se distinguent-ils de la contemplation mystique ? Il ne le semble pas. Regardons-y de près. Les « visions de substances immatérielles, telles que l’Être divin, les anges et les âmes, ne sont pas propres à la vie d’ici-bas, et ne peuvent favoriser un mortel… si ce n’est par exception. » M., t. II, c. xxii, 1. 1, p. 175176. « Ces manifestations de la substance divine, dont furent favorisés saint Paul, Moïse et Élie… toujours fugitives, sont extrêmement rares, au point qu’on les constate à peine dans l’histoire… D’après la loi ordinaire, ces visions de substances spirituelles ne peuvent être reçues en cette vie de façon claire et nette par l’entendement ; leur perception est d’une autre nature, elle se fait sentir dans la substance de l’âme par une connaissance d’amour, par des louches et rapprochements très suaves, et cela les fait entrer dans la catégorie des sentiments spirituels. » Ibid., p. 177. Saint Jean de la Croix déclare formellement qu’il s’agit là de la « connaissance mystique obscure et confuse ».

De ce texte on peut conclure encore que les « sentiments spirituels » ressortissent aussi à la connaisance mystique : ils en sont la source ; cf. M., t. II, c. xxx, t. i, p. 208-209. Enfin les « vérités pures données à l’entendement » par « révélation », quand elles se rapportent à Dieu, ne sont pas autre chose que la connaissance mystique : « ces notions divines, au sujet de Dieu, ignorent les particularités… Ces hautes notions d’amour ne sont du reste accessibles qu’à l’âme en état d’union avec Dieu ; elles sont cette union même, car elles proviennent précisément de certaine touche de l’âme dans la divinité. Ainsi c’est Dieu même qui est senti et goûté. » M., t. II, c. xxiv, t. i, p. 183. D’autre part, l’auteur déclare que cette i connaissance des vérités pures » cette « façon de comprendre et de voir par l’intelligence des vérités concernant Dieu et les créatures, et cela au-dessus de ce qui est, a été et sera… est en connexion avec l’esprit de prophétie. » Ibid., p. 182.

Pour analyser et définir exactement la contemplation mystique selon saint Jean de la Croix, nous envisagerons successivement ses conditions, la manière dont elle se produit, et ce qu’elle nous apporte.

1. Les conditions de la contemplation mystique. — a) La nudité des sens et de l’esprit. — C’est la condition sine qua non.

Notre théoricien de la connaissance mystique, fidèle disciple de l’Aréopagite, l’aflirme en cent endroits avec une vigueur et une rigueur absolue. « L’âme doit se vider, complètement et volontairement, de tout ce qu’elle peut s’assimiler, que cela vienne d’en haut ou d’en bas… C’est là son action à elle… Il faut qu’elle reste dans l’obscurité comme un aveugle…, sans chercher un appui en aucune des choses qu’elle comprend, goûte, sent ou imagine… Pour s’unir à Dieu dès cette vie, selon la grâce et l’amour parfait, il faut l’obscurité complète vis-à-vis de tout ce qui peut entier par l’œil, ou être perçu par l’oreille, ou enfanté par l’imagination, ou compris par le cœur qui figure ici l’âme. » M., t. II, c. iii, t. i, p. 64-65 Au chapitre de la « purification de la mémoire », saint Jean fait pourtant une restriction, mais elle est plus apparente que réelle : « je veux bien qu’on retienne ce qui se rapporte uniquement à Dieu, ce qui peut favoriser sa connaissance cenfuse, universelle, pure, simple. » M., t. III, c. ii, t. ii, ]). 13. Nous avons déjà indiqué la raison qui motive, qui exige pareille destruction de

toute connaissance distincte, pareil « anéantissement », c’est la disproportion qui existe entre notre entendement et l’immensité divine ; aucune conception finie ne peut renfermer l’Infini. Supprimez au contraire tout ce qui détermine, donc limite, votre connaissance, de manière à ce qu’elle deviennent connaissance pure, connaissance absolue, la disproportion n’existe plus. « Délaisser ces divers modes de savoir et passer au non-savoir, voilà ce qu’il faut pratiquer… C’est passer au terme et laisser le moyen, c’est entrer en ce qui n’est point moyen et qui est Dieu. En effet, en y arrivant, l’âme n’a plus ni mode, ni façons d’agir, et ne saurait s’y attacher… Après avoir eu le courage de franchir sa limite naturelle, à l’intérieur et à l’extérieur, elle entre dans le surnaturel illimité, qui n’a aucun mode, en possédant en substance tous les modes. » M., t. II, c. iv, t. i, p. 66.

Saint Jean de la Croix emprunte à diverses philosophies l’explication de cette capacité de saisir l’Infini, que nous confère le dénuement parfait de toute connaissance distincte. Tantôt il parlera d’ « intelligence pure qui est libre du temps », M., t. II, c. xii, t. i, p. 112 ; ou « du pur esprit qui ignore l’enchaînement discursif », N., t. I, c. ix, p. 33 ; tantôt, suivant les traces de Tauler, il fera appel à « l’intellect possible ou passif qui se passe de formes, qui reçoit passivement la connaissance substantielle et nue, sans que l’âme y fasse concourir quelque chose de son activité. » C, str. xxxix, p. 236. Cf. Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, p. 474, 550 ; Hugueny, La doctrine mystique de Tauler, dans Revue des sciences phil. et théol., 1921, p. 199.

L’efficacité du parfait dénuement de l’esprit paraît infaillible : plus l’âme se vide, plus Dieu la remplit : « Aussitôt que l’âme parvient à se purifier soigneusement des formes et images saisissables, elle baignera dans cette pure et simple lumière, et en s’y transformant atteindra l’état de perfection. En effet cette lumière n’est jamais absente de l’âme ; ce qui fait obstacle à son infusion, ce sont les formes, les voiles des créatures, qui enveloppent et embarrassent l’âme. Enlevez ces formes, déchirez entièrement ces voiles, faites en sorte que l’âme soit établie dans la pure nudité et pauvreté de l’esprit, aussitôt celle-ci, devenue pure et simple, se transformera dans la simple et pure Sagesse divine, qui est le Fils de Dieu. Car alors le naturel étant exclu de l’âme déjà pleine d’amour, le Divin est infusé sur-le-champ naturellement et surnaturellement, pour qu’il n’y ait pas de vide dans la nature. » M., t. II, c. xiii, 1. 1, p. 116-117. Cf. c. iv, p. 68-71. « Cette action divine s’accomplit aussi sûrement que celle du soleil qui envoie ses rayons sur un espace ouvert, quand rien n’y fait obstacle. Et de même que le soleil, dès l’aurore, est prêt à entrer dans votre chambre, si vous voulez bien lui ouvrir les volets, ainsi Dieu… entrera dans l’âme vide et la remplira de biens divins. » F., 3 « str., vers 3, p. 218. Cf. Baruzi, op. cit., p. 467, 401.

b) La foi. — Pourtant la nudité de l’esprit n’est encore que la condition négative de la contemplation mystique ; c’est la foi qui en est le véritable « moyen ». Non pas la foi qui meuble notre entendement de connaissances distinctes ; non pas a fortiori la théologie, qui applique « la force de l’intelligence à ce qui est révélé surnaturellement », ilL, t. II, c. xxvii, t. i, p. 199 ; mais la foi pure, obscure, abyssale, par laquelle, à travers les vérités révélées, nous atteignons, nous possédons Dieu lui-même, qui est la substance de la foi. « Cette foi seule est le moyen prochain et proportionné qui peut unir l’âme à Dieu… C’est bien ce que saint Paul exprime… quand il dit : que celui qui veut s’unir à Dieu commence par croire. Cela veut dire : qu’il aille par le chemin de la

Foi vers Lui, ce qui suppose l’entendement aveugle dans l’obscurité de la seule Foi, car sous ses ténèbres l’entendement s’unit à Dieu et sous elles Dieu se trouve caché. » M., 1. IL c. viii, t. i, p. 87 ; cf. c. iii, p. 65. Qu’on veuille bien se reporter au Cantique spirituel, str. xii : O fontaine cristalline, et déjà str. i, p. 26-27, pour comprendre comment, pour saint Jean de la Croix, c’est Dieu même qui est « la substance et l’objet de la Foi ». Cf. Baruzi, op. cit., p. 457-459.

c) La contemplation active. — Nous n’hésitons pas à donner ce nom à une troisième disposition ou condition qui amènera la contemplation mystique : l’abandon de la méditation discursive. « Qu’ils apprennent (ceux qui désirent parvenir à l’état mystique) à se tenir attentivement et consciemment en Dieu par amour dans cette quiétude.. Si elles agissent (les puissances), que ce ne ^oit pas avec force et discursivement, mais en suavité d’amour. » M., t. II, c. xi. t. i, p. 102 ; cf. p. 104.

2. La manière dont se produit la contemplation mystique. — a) avec ou sans conscience ? — La doctrinede saint Jean de la Croix sur ce sujet paraît peu nette. Essayons de la préciser.

Au premier abord, il semblerait que toute contemplation mystique devrait être inconsciente par définition : « l’on nomme la contemplation par laquelle l’entendement est éclairé de lumière divine, Théologie mystique, c’est-à-dire sagesse secrète de Dieu, puisqu’elle est cachée à l’entendement même qui la reçoit. » M., t. II, c. vii, 1. 1, p. 85 ; cf. N., t. II, c. xvii, p. 112. Et de fait, saint Jean affirme qu’en trois circonstances au moins il en est ainsi. D’abord à ses débuts ; cf. M., t. II, c. xi, t. i, p. 105, et N., t. II, c. v, p. 63. Puis « quand cette connaissance est en soi particulièrement claire, pure, simple et parfaite ; quand cette connaissance pénètre dans une âme toute pure, étrangère aux connaissances et notions particulières, … l’âme se trouvant vide de tout ce qui jadis donnait prise aux facultés…, elle n’éprouve pas son action, sa sensibilité d’autrefois ayant disparu. » M., t. II, c. xii, t. i p. 109. Enfin, au moins selon l’interprétation que saint Jean donne du phénomène, « quand la connaissance (c’est-à-dire la contemplation mystique) s’applique et se communique à l’entendement seul. » Ibid., p. 113. Ce qui n’arrive que rarement, dit-il. Il faut retenir précieusement la description de ce « grand oubli », où l’âme peut tomber et rester « pendant des heures », et que notre théologien considère comme un état mystique, « Elle ignore d’où cela lui est venu, ce qui s’est passé en elle, et pendant combien de temps ; … en revenant à soi, l’âme se figure que cela n’a duré qu’un moment, un rien de temps… parce qu’elle a été unie en intelligence pure qui est libre du temps. C’est de cette oraison brève qu’il a été dit qu’elle pénètre les cieux, parce qu’elle ne se fait pas dans le temps. Elle pénètre les cieux parce que cette âme se trouve unie à l’intelligence céleste. » Ibid., p. 111-112.

Mais comment peut-on affirmer que 1’ « intelligence pure » est alors « unie à 1’irrt.elligence céleste », puisque l’on n’a conscience de rien ? C’est par les effets produits dans l’âme « à son insu » pendant cette contemplation, effets dont elle se rend compte quand cette connaissance l’abandonne, de même que « cette connaissance l’abandonne quand elle se rend compte de ses effets ». Mais semblable « oubli » est assez rare. « Si la communication atteint aussi la volonté — ce qui a lieu très régulièrement — l’âme s’en rend toujours plus ou moins compte, si elle le veut, parce qu’elle est occupée et active au sujet de cette connaissance (toujours synonyme de contemplation). Cela se manifeste en elle par une saveur d’amour sans qu’elle distingue en particulier ce qu’elle aime. C’est pourquoi on qualifie cette connaissance de générale et amoureuse ;

elle existe dans l’entendement à l’état confus, et aussi dans la volonté sous forme d’amour savoureux qui est, lui aussi, confus, sans objet précis. » Ibid., p. 113. Qu’on remarque, en passant, cet état singulier que saint Jean de la Croix, comme Hadewijch(cf. col. 2612), considère comme un état mystique !

b) impressions ressenties par l’âme qu’envahit la contemplation mystique. — Si la contemplation elle-même échappe par définition aux prises de la conscience, elle se révèle à tout le moins parce que l’âme éprouve lorsqu’elle se produit.

Et tout d’abord la soudaineté de son apparition attire l’attention : c’est subitement, « au moment où une âme y pense le moins », que la lumière ou que le feu nous touchent. Cf. M., t. II, c. xxiv, t. i, p. 184185 ; C, str. xv, p. 102 ; str. xxv, p. 156. — Puis « cet état se manifeste expérimentalement par une sensation de repos pacifique et de recueillement ou absorption intérieure. » F., 3e str., vers 3, p. 212. — La contemplation s’accompagne d’impressions pénibles. C’est une impression de mort : « le divin l’envahit. .., il la triture, dissout la substance spirituelle et l’absorbe en une profonde et absolue obscurité, au point que l’âme se sent fondre, se voit anéantie dans une cruelle mort de l’esprit, à la vue directe de ses misères. Elle a l’impression d’être engloutie vivante par une bête… » N., t. II, c. vi, p. 66 ; cf. C, str., vn, p. 54-55. C’est une impression de solitude : « d’après son impression, elle se voit alors transportée dans une profonde et vaste solitude à laquelle aucune créature ne peut avoir accès, et qui paraît un immense désert sans limites possibles. » N., t. II, c. xvii, p. 114. « L’âme y souffre, par l’absence de tout appui, de toute perception, l’impression de vide angoissant d’un pendu ou de quelqu’un qu’on détient dans un air irrespirable. » N., t. IL, c. vi, p. 68. — Mais aux impressions pénibles, d’autres succèdent : c’est une impression de nouveauté : l’âme « est dans la cas de quelqu’un qui découvre une chose toute nouvelle, sans équivalent connu de lui. » N., t. II, c. xvii, p. 113. Enfin l’âme éprouve une impression de plénitude et même une sensation de gloire. « Cette voix, représentée par les fleuves retentissants » dont parle l’âme, n’est autre chose en elle que la plénitude des biens reçus qui la saturent… Ce qui en émane, c’est la grandeur, la force, les délices, la gloire. Immense et intérieure à l’âme, elle lui donne force et puissance. » C, str. xiv, p. 94. Sur la « sensation de gloire suave et forte », cf. F., 1° str., vers 1, p. 148 ; 3e str., vers 2, p. 199-200.

c) Avec ou sans extase ? — Il semble qu’on peut distinguer deux sortes d’extases dans l’œuvre de saint Jean de la Croix : l’une qui est décrite au ch. i du livre III de la Montée, t. ii, p. 5-6, et qui s’appellerait plutôt « oubli de la mémoire et suspension de l’imagination », p. 6 ; l’autre, dont il est question dans la strophe xiii du Cantique, serait l’extase proprement dite, consécutive à la contemplation, plutôt que condition nécessaire de la contemplation comme la première.

Certains effets de l’une et de l’autre sont cependant identiques, en particulier l’insensibilité, l’anesthésie, pour parler le langage médical ; cf. AL, t. ii, p. 6 ; C, p. 85. Pour prouver « qu’en se trouvant unie à Dieu, l’âme demeure comme sans forme ni figure, l’imagination perdue et la mémoire souverainement imbibée du souverain bien en un profond oubli, sans se souvenir de rien », saint Jean en appelle à « l’expérience quotidienne ». Et il nous décrit alors ce qu’il appelle lui-même « un singulier phénomène », qui ne paraît autre que la « perte de connaissance » des médecins. Il a soin de < noter que ces suspensions ne se produisent plus de celle manière chez les parfaits ; l’union parfaite leur étant donnée, ils n’ont plus à passer par

l’initiation. » M., t. ii, p. 6. Ce qui laisse entendre que normalement la contemplation ne s’instaure dans une vie que par cette sorte d’extase.

Les parfaits eux-mêmes seraient gratifiés d’une autre sorte d’oubli : « plus la mémoire s’unit à Dieu, plus les connaissances distinctes diminuent, et elles finissent par s’éteindre quand la perfection atteint l’état qui est la vie d’union. » Ibid. De là les « nombreuses distractions » des contemplatifs dont « la mémoire est absorbée en Dieu ». Mais, « une fois que l’union est devenue habituelle, … les oublis ne se produisent plus de cette manière, en matière de conduite morale et naturelle ». P. 7. En deux pages d’une saveur quiétiste assez marquée, saint Jean de la Croix montre que les âmes parfaites n’ont pas à se préoccuper de retenir ou de se rappeler quoi que ce soit qui leur a été dit ou demandé ; l’Esprit de Dieu « leur fait connaître ce qu’elles doivent savoir, leur laisse ignorer ce qu’il convient qu’elles ignorent, leur rappelle ce dont elles ont à se souvenir avec ou sans formes. » P. 7.

L’autre sorte d’extase est rangée parmi les phénomènes qui sont des « répercussions sur le sens » de la contemplation à ses débuts. « Comme la partie sensitive de l’âme est faible, impropre aux fortes émotions de l’esprit, il en résulte que ces avancés… éprouvent en elle de nombreuses faiblesses, des dommages, des dérangements d’estomac, et par là des fatigues d’esprit. Alors se produisent les ravissements, les extases, les secousses du corps qui disloquent les os, ce qui se produit toujours quand les communications ne sont pas purement spirituelles. Lorsque l’esprit seul les reçoit, comme c’est le cas chez les parfaits qui ont passé par la purification de la seconde Nuit, il n’est plus question de ravissements ni de tourments physiques. » A r., t. II, c. i, p. 56.

Saint Jean de la Croix n’a pas jugé opportun a de spécifier les caractères des diverses espèces de ravissements, d’extases, d’élévations et de vols de l’esprit qu’on observe chez les contemplatifs » ; il se contente de renvoyer pour « ces états spirituels » aux « pages admirables » qu’y a consacrées sainte Thérèse. C, str. xiii, p. 85. Mais il a noté avec insistance les « souffrances corporelles » que produisent ces « visites d’extase », souffrances qui « dépassent sans comparaison toutes les souffrances imaginables », et « la terreur qui vient à l’âme en se voyant traitée surnaturellement. » Ibid., p. 82-84. Cf. Baruzi, op. cit., p. 640-648, 657-660.

d) Durée, fréquence de ta contemplation. — Il semble bien que, pour saint Jean de la Croix, comme pour saint Augustin et Richard de Saint-Victor, la contemplation se produise d’une manière fulgurante. La louche divine « n’est ni continue ni rude, parce que la vie physique n’y résisterait pas ; elle ne fait qu’efileurer l’âme. » C, str. vii, p. 54. Cela est vrai surtout de ce que l’on a appelé le sommet de la contemplation : « parmi les plus hautes faveurs qu’une âme obtient ici-bas de Dieu, sous forme d’impression passagère, il y a surtout celle-ci : avoir une connaissance et un sentiment de Dieu si supérieurs, que l’une et l’autre présentent comme évidente l’impossibilité d’entendre et de sentir le tout divin. » Ibid., p. 56 ; cf. str. xiv, p. 96. Ailleurs saint Jean parle des « jeux de l’amour » divin, qui « se font par flammes de touches délicates qui atteignent par moments l’âme, en jaillissant du feu de l’amour qui n’est jamais au repos. F., 1° str. vers 2, p. 151.

3. Fffets produits par la contemplation, ou éléments de la contemplation. — Ils sont au nombre de trois que saint Jean de la Croix rapporte aux trois puissances de l’âme, intelligence, volonté, mémoire, et qu’il range en des ordres divers : « suavité spirituelle,

amour très pur, lumières intellectuelles d’une grande délicatesse. » N., t. I, c. xiii, p. 48-49.

Voici l’ordre inverse, avec le rapport aux puissances : « Vous me donnez une intelligence divine selon toute l’habileté et la capacité de mon entendement ; vous me communiquez l’amour selon la plus grande force de ma volonté ; vous me donnez des délices dans la substance de l’âme par le torrent de votre jouissance, par votre contact divin et votre union substantielle, selon la plus grande pureté de ma propre substance, selon la capacité et l’amplitude de ma mémoire. » F., 1° str., vers 4, p. 156. Dans le Cantique une simple énumération reproduit d’abord l’ordre de la Nuit, mais l’explication plus détaillée qui la suit reprend celui de la Flamme, en dédoublant l’effet que ce dernier texte rapportait à la fois à la substance de l’âme et à la mémoire. De cette manière nous obtenons quatre effets ou quatre éléments de la contemplation, dont le premier est « la communication qui pénètre la substance de délices ». C, str. xxvi, p. 163-165. Nous allons voir qu’il n’est autre que le sentiment de la présence de Dieu dans l’âme.

En ce qui concerne la causalité réciproque des lumières et de l’amour, la pensée de saint Jean de la Croix ne paraît pas constante ; cf. M., t. II, c. xxx, t. i, p. 208. Finalement, il admet qu’ils ne sont pas solidaires, ni proportionnés : « la volonté peut parfaitement aimer sans que l’entendement comprenne ; de même l’entendement peut comprendre sans que la volonté aime. » N., t. II, c.xii, p. 95. « Il est donc possible de comprendre peu de chose et d’aimer beaucoup, comme il est possible aussi d’avoir de vastes connaissances et d’aimer peu. » C, str. xxvi, p. 164.

a) Le sentiment de présence. — A tous ses degrés, la contemplation apporte à l’âme « un certain sentiment, une conjecture sur la présence de Dieu ». N., t. II, c. xi, p. 89. « Au milieu de ces peines obscures d’amour, l’âme sent une présence amie, une force intérieure qui l’accompagne et l’anime. » Ibid., p. 92. Il arrive souvent que certaines personnes ne savent rien dire de ce qu’elles ont éprouvé : « elles ne peuvent parler alors que de la paix, la satisfaction ou le contentement de leur âme, ou dire qu’elles ont éprouvé le contact divin, et qu’à leur avis cela leur fait du bien. » N., t. II, c. xvii, p. 114. La Vive flamme décrit abondamment cette « expérience » de Dieu : l’âme « sent la vie de Dieu », « l’esprit et le sens goûtent profondément Dieu », l re str., vers 2, p. 150 ; lire surtout le commentaire du vers 3 de la 2e str., O douce main ! O touche délicate ! p. 179-182. « Donc, ô touche délicate, Verbe Fils de Dieu, par la délicatesse de votre être divin vous pénétrez subtilement dans la substance de mon âme, vous la touchez tout entière très délicatement et l’absorbez en vous selon des modes divins. » P. 180. « Il s’agit d’une touche de substance, c’est-à-dire de la substance de Dieu dans la substance de l’âme, ce qui a été expérimenté sur terre par beaucoup de saints. » P. 182. « La délicatesse de la jouissance ressentie » est absolument ineffable. » La fi’licité qui déborde de l’âme se communique parfois au corps ; toute la substance sensitive y participe ainsi que tous les membres, les os, les moelles, non légèrement, ainsi que cela a lieu d’habitude, mais avec un vif sentiment de jouissance et de gloire, jusque dans les articulations extrêmes des pieds et des mains. » Ibid. Cette expérience de Dieu est qualifiée de vision : c cette présence affective a été alors" si puissante, que l’âme a senti la présence mystérieuse d’un être immense d’où émanaient, par grâce insigne, de vagues rayons de la beauté divine. Or l’effet de cette dis l’on sur l’âme

i clé si profonde qu’elle ne cesse d’être tourmentée

par ce souvenir, et qu’elle défaille par désir de voir à

découvert ce qu’elle a deviné caché sous cette présence. » C, str. xi, p. 69. Enfin, saint Jean de la Croix connaît d’autres sentiments de la présence de Dieu moins vifs, soit chez les parfaits, soit même « en d’autres âmes qui n’ont pas atteint cette union », cf. F., 4’str., vers 2, p. 249-250.

b) La connaissance ou sagesse mystique. C’est « une très haute et très savoureuse connaissance de Dieu et de ses perfections ; elle éclaire l’entendement par suite du contact de ces perfections avec la substance de l’âme. » C, str. xiv, p. 96. Notons d’abord ses qualités, sa forme ; nous dirons ensuite son objet. « Cette très subtile et délicate connaissance entre dans le plus intime de la substance de l’âme, accompagnée d’une saveur et d’une délectation auxquelles rien ne peut être comparé. Et d’où cela vient-il ? De ce que la connaissance » entendue » est de la pure « substance dépouillée d’accidents et d’images. » Ibid., p. 97. « Elle reste obscure, parce qu’il s’agit de contemplation. » P. 98. Saint Jean de la Croix la nomme encore « abyssale », str. xv, p. 101. Pourtant « il s’agit d’une demi-obscurité déjà pénétrée des premières lueurs du matin. » P. 102. La connaissance mystique est aussi essentiellement générale. l’esprit parfait « ne se plaît plus à des opinions particulières sur les choses de la terre ou du ciel, ne fait plus de théories sur leurs manières d’être, il se trouve absorbé dans un abîme de connaissances divines ». P. 103. Et c’est pourquoi elle est absolument ineffable : l’âme « ne saurait trouver ni mode, ni manière, ni comparaison pour faire connaître une connaissance si élevée un sentiment spirituel si délicat. » M., t. II, c. xvii, p. 113. A vrai dire, c’est donc plutôt un sentiment qu’une connaissance, ou c’est une connaissance par sentiment.

Son objet premier, c’est l’immensité et l’incompréhensibilité de Dieu, ou plutôt c’est l’Être infini de Dieu ; c’est « un je ne sais quoi » que l’on sent, mais que l’on ne peut étreindre : « connaissance extrêmement élevée, à la fois intellectuelle et sensible, de la majesté et de la grandeur de l’être de Dieu. Ce sentiment de Dieu est si extraordinaire que l’âme ne perçoit clairement qu’une chose, c’est que tout reste à comprendre ; et cette façon de percevoir et de sentir l’immensité de Dieu dont on ne peut atteindre les limites, est en elle-même une connaissance extrêmement élevée… Cette perception a quelque similitude avec celle des élus… A mon avis, cette vérité pour être comprise doit avoir été expérimentée ; et c’est pourquoi l’âme, favorisée ici par une connaissance et un sentiment extrêmement profonds, perçoit en même temps l’infini incompréhensible et l’appelle un je ne sais quoi. » C, str. vii, p. 55-56.

A y regarder de près, ne semble-t-il pas que cette connaissance mystique se ramène à deux éléments : un sentiment et une idée, l’idée de l’incompréhensibilité divine, et qu’en définitive saint J.ean de la Croix rejoigne l’Aréopagite ? Théologie négative et paradoxe de la connaissance par inconnaissance se retrouvent ici. « Ces perfections (divines) étant inconnues à la science humaine, il faut marcher vers elles humainement par non-savoir, divinement en ignorant. » N., t. II, c. xvii, p. 115. « Du fait même que cette lumière spirituelle est si simple, pure, générale, détachée de tout intelligible particulier, naturel ou divin…. il résulte que sans limite et avec grande facilité, l’âme pénètre et connaît tout ce qui se présente, que ce soit du ciel ou de la terre… Ne goûtant rien, ne comprenant rien en particulier, se tenant dans le vide, l’obscurité et les ténèbres, il (l’esprit purifié et anéanti selon les affections et connaissances particulières ) se trouve disposé à tout pénétrer, réalisant ainsi mystiquement en lui la parole de saint Paul : nihil

habentes et omnia possidenles. Une telle béatitude, était due à une telle pauvreté d’esprit. » N., t. II, c. viii, p. 79.

Ainsi, ce n’est pas seulement Dieu en son infinité que la « très haute lumière divine » de la « théologie mystique » fait percevoir et sentir à l’âme dénudée ; elle « en arrive à posséder un sentiment et une connaissance de Dieu à la fois généraux et savoureux, s’étendant à toutes les choses divines et humaines ». Ibid., c. ix, p. 82. Elle acquiert aune façon nouvelle de considérer les choses », un « sens divin tellement différent de toute conception naturelle qu’elle se figure marcher hors de soi. D’autres fois elle se demandera si ce qui se passe en elle n’est pas le fait d’un enchantement ou d’une torpeur d’esprit, car ce qu’elle voit et entend l’émerveille ; tout lui paraît nouveau et inconnu, bien que ces choses soient les mêmes que celles dont elle s’occupait autrefois. » Ibid., p. 82-83. Elle possède maintenant « l’intelligence des choses d’après la lumière divine ». P. 81.

Le Cantique et la Vive flamme nous décrivent toutes les splendeurs qui se révèlent à l’âme au cours de la vie mystique : « elle participe à des secrets, à des connaissances divines merveilleuses, » C, str. xiv, p. 91 ; elle « voit en Dieu de grandes et admirables beautés, puisqu’elle reçoit des connaissances surprenantes et sans rapport avec le savoir ordinaire, » p. 92 ; « les voies de Dieu, ses desseins et ses œuvres sont, à notre point de vue (humain), d’admirables merveilles, » où les saints anges et les élus « ne cesseront de découvrir des beautés nouvelles, » p. 93 ; or elles sont aussi l’objet de la connaissance mystique. L’âme « se délecte à contempler la sagesse de Dieu manifestée par l’harmonie des créatures et par les effets de l’activité divine, » p. 91, mais surtout « elle’expérimente » que Dieu est tout et que tout est Dieu ; elle voit tout en Dieu et Dieu en tout. » P. 91-92. Cf. str. xv, p. 103104. Il lui est donné aussi de contempler « l’abîme de délices et de richesses qu’il a créé en elle. » Str. xx, p. 135.

La Vive flamme renchérit encore sur la richesse de la connaissance mystique : non seulement l’âme voit toutes choses en Dieu, 4e str., vers 1 et 2, p. 244 ; non seulement elle « aperçoit distinctement en Lui toutes ses vertus et grandeurs », 3e str., vers 1, p. 193 ; mais elle entrevoit « son être tel qu’il est » : -< voici comment je crois pouvoir expliquer ce réveil et cette vision de l’âme. Comme l’âme est substantiellement en Dieu, de même que toute créature, il enlève pour elle quelques-uns des nombreux voiles et rideaux qui le dérobent à l’âme, afin qu’elle puisse voir son être tel qu’il est. Alors, bien qu’obscurément et par transparence, l’âme voit quelque chose — car jamais tous lés voiles ne sont enlevés — de sa figure pleine de grâces, et, comme Dieu meut toutes choses par sa vertu, elle distingue en même temps que son Être, ce qu’il fait, et il paraît se mouvoir en elles et elles en Lui, en un mouvement ininterrompu. » 4e str., vers 1 et 2, p. 245. Cf. Baruzi, op. cit., p. 694-695.

c) L’amour mystique. — Il est plus ordinaire d’éprouver la touche d’amour dans la volonté, plutôt que la touche de l’intelligence dans l’entendement. N., t. II, c. xiii, p. 97.

L’amour sera donc l’élément le plus constant de l’état mystique. Ce qui le caractérise essentiellement c’est sa passivité. Il est à la lettre « passion d’amour ». Cet amour passif n’atteint pas directement la volonté ; cette faculté est libre, et l’embrasement d’amour est plus passion d’amour qu’acte libre de la volonté… La volonté devient ainsi ctptive et perd sa liberté ; la force et l’impétuosité de la passion l’emportent à leur suite. » Ibid., cf. c.xii, p. 90.

Saint Jean de la Croix distingue cette passion 262 :

    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, DESCRIPTION, S* THÉRÈSE

2628

d’amour de l’amour estimatif, qui produit dans l’âme la langueur d’amour, c’est-à-dire a une habituelle sollicitude, un souci de Dieu, mêlés de souffrance et de crainte, par l’idée qu’elle le sert mal », et qu’elle pourrait bien être abandonnée de Dieu. N., t. II, c. xiii, p. 98 ; t. I, c. xi, p. 38-39. « C’est par cette sollicitude et ce souci que la secrète contemplation entre dans l’âme, et avec le temps, lorsqu’elle a purifié partiellement le sens, … l’Amour divin commence à enflammer l’esprit. » Ibid., p. 39.

Nous avons déjà noté qu’à ses débuts cet amour passif reste inaperçu, ou qu’il se présente comme un état d’amour général, confus et sans objet ; cf. M., I. II, c. xi, t. i, p. 105 ; N., t. I, c. xi, p. 37. Mais, en se développant, cet amour envahira l’âme tout enlière et « le sens même y aura sa part ». N., t. II, c. xiii, p. 98 ; M., t. II, c. xxii, 1. 1, p. 180. C’est même l’amour mystique qui nous révèle le mieux notre entrée dans un # « état nouveau », dans une « vie nouvelle ». « L’âme ignore par où elle va ; elle se voit anéantie en tout le terrestre et le spirituel qui satisfaisait son goût, et s’aperçoit seulement qu’elle est éprise d’amour sans savoir comment. Et parce que cette flamme d’amour devient parfois très ardente dans l’esprit, l’âme se sent pour Dieu dans dételles angoisses, que cette soif lui semble, tellement elle est vive, dessécher les os, flétrir la nature en absorbant sa force et sa chaleur. Cette soif, elle le sent, est une nouvelle vie… Sauf exceptions, cette sensation véhémente n’est pas continue, mais, pour l’ordinaire, elle ne disparaît plus complètement. » N., t. I, c. xi, p. 38. Cf. C, str. i, p. 30-31, où la blessure d’amour est comparée et opposée aux autres « visites » de Dieu, et donne à l’âme l’impression de « commencer une existence nouvelle. » L’âme désormais ne saura plus qu’aimer.

Nous n’avons pas l’intention de décrire les diverses phases de cette vie d’amour, les formes ou les degrés de cette passion d’amour. Voici seulement l’indication des passages où l’on trouvera ces descriptions : Nuit, t. II, c. xix-xx, p. 119-126, « les dix degrés de l’escalier mystique de l’amour divin selon saint Bernard et saint Thomas », qu’il faudrait comparer aux quatre degrés de l’amour véhément selon Richard de Saint-Victor ; « l’angoisse d’amour » se retrouve dans C, str. i, p. 28-31 ; « la faim et la soif », dans N., t. II, c. xi, p. 91 ; « l’étincelle » et « l’ivresse » dans C, str. xxv, p. 156-158 ; « la flamme » dans F., 1° str., vers 2, p. 150 ; la « blessure », ibid., p. 151 et C, str. i, p. 2931 ; la « brûlure », F., 2° str., vers 1, p. 172-173 ; la « plaie », ibid., vers 2, p. 174-175 ; la « transverbération », ibid., p. 176 ; les stigmates, p. 177-178.

d) Les délices mystiques. — Elles sont artificiellement rapportées à la mémoire par saint Jean de la Croix.

La « communication divine s’épanche substantiellement dans l’âme entière, ou plutôt c’est l’âme qui se transforme en Dieu, et qui, selon cette transformation, s’abreuve de son Dieu par sa substance et par ses puissances spirituelles. En effet, selon l’entendement, elle boit la sagesse et la science ; selon la volonté, elle boit le très suave amour, et selon la mémoire, elle s’abreuve du réconfort et des délices que lui causent le souvenir et le sentiment de la gloire dont elle jouit. » C, str. xxvi, p. 163.

Déjà évidemment les trois premières formes de la « communication divine », les trois premiers éléments de la contemplation mystique, ont procuré à l’âme d’ineffables délices ; mais, comme il existe un suprême état mystique, l’état de transformation par union d’amour, qui est vraiment le commencement de la vie éternelle, de l’absorption en Dieu, de la possession de Dieu, de la fruition de Dieu, les suprêmes délices mystiques seront aussi un avant-goût de la béatitude

éternelle. C’est là ce « sentiment de la gloire » dont parle saint Jean de la Croix. « Elle se sent traversée, au plus intime de sa substance, d’un courant de gloire débordant de délices… Il lui paraît que, puisqu’elle est transformée avec tant de force en Dieu, si hautement en sa possession, comblée de richesse, ornée de dons et de vertus sans nombre, elle se trouve proche de la béatitude. Entre elle et cet état n’existe plus à ses yeux qu’un faible voile très délicat… Elle se figure ainsi absorbée et envahie, que l’heure de la gloire et de la vie éternelle est venue, et que la toile de la vie mortelle va se rompre. » F., l re str., vers 1, p. 148. Cf. _ « str., vers 6, p. 190-191 ; 3° str., vers 5-6, p. 240.

L’œuvre de saint Jean de la Croix nous paraît très riche en descriptions d’expériences mystiques ; pourtant l’expérience n’y est pour ainsi dire jamais notée à l’état pur ; presque toujours elle y est interprétée. Sur la relation de l’expérience à la doctrine » dans l’œuvre de saint Jean de la Croix, cf. Baruzi, op. cit., t. III, notamment p. 236-237, 334, 344, 361-362 : Jean de la Croix « n’a pas été un souverain analyste de ses états ; et, dans ce recul devant certaines possibilités de l’analyse psychologique, s’inscrit sans doute sa plus grande limite. » Et à combien d’autres mystiques s’appliquerait le reproche ! Bien des mystiques » n’ont point dépassé un schématisme élémentaire. Voici des phénomènes inconnus qu’ils ont, avec trop de hâte systématique, désignés comme « passifs ». Ils ne les ont pas explorés péniblement en leurs sinuosités ; ils n’ont pas attendu, pour leur découvrir une origine, d’avoir trouvé des notions neuves : ils ont posé que la grâce divine pouvait seule déterminer une totale et intime refonte de l’être… Ils n’ont pas assez travaillé à traduire par leurs analyses ce qu’il y avait de plus original en leur expérience. » P. 568-569.

Sainte Thérèse.

Nous nous bornerons à l’étude

du Château intérieur, parce qu’il représente l’expression la plus parfaite de la pensée de sainte Thérèse ; cf. R. Hoornært, Le progrès de la pensée de sainte Thérèse entre la « Vie » et le « Château », Revue des sciences phil. et théol., 1924, p. 20-43. Nos citations et références sont faites d’après le t. iv des Œuvres complètes… traduites par les carmélites du premier monastère de Paris, édition sans notes.

Ce qui nous frappe, après une lecture attentive de sainte Thérèse et de saint Jean de la Croix, c’est l’importance accordée par l’une aux phénomènes mystiques dont l’autre déclare nettement qu’il faut se désintéresser : les conseils donnés à ce sujet sont en opposition complète. « Quand bien même ces visions ne seraient pas de Dieu, pourvu que vous ayez de l’humilité et une bonne conscience, elles ne vous nuiront pas. Sa Majesté sait tirer le bien du mal, et, par où le démon voulait vous perdre, vous gagnerez. » VI D., c. ix, p. 293. Elle partage l’avis du P. Bafiez, qui « blâmait sévèrement le conseil donné par quelques-uns d’accueillir par un geste de mépris toute vision de cette nature… Si l’on vous donne semblable conseil, mes filles, je vous engage, moi, à ne pas le suivre.. » p. 294. Et tandis que saint Jean de la Croix veut qu’on ne perde pas son temps à examiner l’origine de ces phénomènes, sainte Thérèse, très préoccupée du « discernement des esprits », toujours anxieuse, cherche constamment à se rassurer par la considération minutieuse de tous les signes qui peuvent permettre de distinguer les uns des autres les faits mystiques divins, diaboliques ou naturels. Aussi l’étude psychologique de la grande mystique, dont l’expérience fut si riche et si diverse, dont l’observation et l’analyse furent si attentives et si pénétrantes, constitue-t-elle la meilleure préparation à l’étude philosophique du mysticisme.

1. Le recueillement surnaturel, » oraison qui précède

presque toujours » la quiétude. IVe D., c. ni, p. 156162. Sainte Thérèse mentionne, en passant, les « longues discussions » qui eurent lieu « entre plusieurs personnes spirituelles » pour savoir si l’on pouvait de soi-même, artificiellement, « enchaîner le mouvement de la pensée », p. 159. Elle n’a pu se ranger à cet avis. Le recueillement surnaturel est une absorption de l’entendement qu’il ne faut attendre que de Dieu : « quand Sa Majesté veut que l’entendement cesse d’agir, Elle l’occupe d’une autre manière, et cela en lui communiquant une lumière si fort au-dessus de celle qu’il pourrait acquérir par ses efforts, qu’il reste profondément absorbé. Alors, sans savoir comment, il se trouve bien mieux instruit qu’il ne l’eût été avec toutes ses industries pour suspendre son activité. » P. 161. Sainte Thérèse, on le voit, est aux antipodes du quiétisme sous toutes ses formes ; contrairement même à saint Jean de la Croix, elle ne conçoit pas qu’il puisse exister une « méthode » pour entrer dans l’état mystique. Tant que le Seigneur n’envoie pas « une suspension », ne restons pas inactifs ; discourons ou contemplons t par une simple vue », selon nos capacités ; cf. VIe D., c. vii, p. 269-277.

2. L’oraison de quiétude, ou des « goûts divins ». C’est une faveur divine, qui concerne la volonté, et même les sens, plus que l’intelligence. « L’on dirait que tout notre intérieur se dilate et s’élargit. Ce sont alors des biens spirituels qui ne se peuvent dire, et l’âme même est incapable de comprendre ce qu’elle reçoit en cet instant. Elle respire comme une excellente odeur… La chaleur et une fumée odoriférante pénètrent l’âme tout entière : souvent même le corps y participe… A mon avis, les puissances ici ne sont pas unies à Dieu, mais seulement comme enivrées, et elles se demandent avec étonnement ce que ce peut bien être. » IVe D., c. ii, p. 152-153. t L’entendement s’arrête, ou plutôt se trouve arrêté, parce qu’il comprend qu’il ne sait pas lui-même ce qu’il veut… Quant à la volonté, elle est fixée en son Dieu. » c. iii, p. 162. « Quand Dieu est vraiment l’auteur de ce qui se passe dans l’âme, il y a, il est vrai, défaillance intérieure et extérieure, mais l’âme reste forte, et elle goûte une joie très vive de se voir si près de Dieu. En outre, cet effet, loin de se prolonger, ne dure que très peu de temps ; à vrai dire, l’âme rentre ensuite dans la jouissance. Cette oraison, quand il n’y a point par ailleurs faiblesse corporelle, ne va pas jusqu’à abattre le corps, ni à causer de souffrance extérieure. » P. 166. Cette « défaillance » ne fait pas « perdre le sentiment ». Cf. V* D., c. i, p. 170. H Le doute est possible sur l’origine de cet état mystique, V°D., c. i, p. 171, parce qu’ici » le naturel y est joint au surnaturel ». IV D., c. iii, p. 176. « Le démon peut chercher, par le moyen de ses illusions, à contrefaire les grâces de cette nature. Vous le reconnaîtrez en ce que, bien loin de produire les effets que j’ai indiqués (p. 163), ce qui vient de lui en produira de diamétralement opposés. » Ibid., p. 165. Voici énoncé pour la première fois le critérium des effets ; sainte Thérèse y recourt constamment ; à vrai dire, pour elle, avec l’impuissance où nous sommes de nous procurer ces états, c’est lui, en dernier ressort, qui les juge souverainement : « c’est aux effets et aux œuvres produites que l’on reconnaît les véritables grâces d’oraison : il n’y a pas de meilleur creuset pour s’éprouver soi-même. » IVe D., c. ii, p. 153. La contrefaçon naturelle de la quiétude se remarquera à la longueur de la « défaillance », c. ni, p. 165-167.

3. L’union.

« Pendant la courte durée de l’union (cette union ne va jamais jusqu’à une demi-heure, Ve D., c. ii, p. 182), on est comme privé de sentiment : quand on le voudrait, on se trouve hors d’état de penser… Et si l’on aime, on ne sait pas comment on aime, ni ce qu’on aime, ni ce qu’on désire… C’est là

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

une mort délicieuse… Si l’on respire, on ne s’en aperçoit pas. L’entendement voudrait s’appliquer tout entier à comprendre quelque peu ce que l’âme éprouve ; mais s’en trouvant incapable, il demeure tout interdit. » Ve D., c. i, p. 170-171. Il n’y a donc pas ici, à proprement parler, inconscience : il y a jouissance, mais jouissance dont on ne peut rien dire : « Jusqu’ici qusqu’au mariage spirituel), quand le Seigneur unissait l’âme à lui, c’était en la rendant aveugle et muette. Il lui ôlail ainsi le moyen de savoir quelle était la faveur dont elle jouissait et comment elle en jouissait. Les immenses délices dont l’âme se sentait alors inondée venaient de ce qu’elle se voyait près de son Dieu ; mais au moment même où elle se trouvait unie à lui, elle n’avait plus aucune connaissance, les puissances étaient entièrement perdues. » VIIe D., c. i, p. 317.

Que, dans cet état, on soit « uni » à Dieu, on ne le sait pas, mais on en est convaincu : « Dieu s’établit alors de telle sorte au plus intime de cette âme, qu’en revenant à elle, il lui est impossible de douter qu’elle n’ait été en Dieu et que Dieu n’ait été en elle… Vous me direz : Comment a-t-elle vu et entendu qu’elle a été en Dieu, puisqu’en cet état elle ne voit ni n’entend ? Je ne dis pas qu’elle l’a vu alors, mais qu’elle le voit clairement ensuite, et cela, non au moyen d’une vision, mais par une conviction qui lui reste et que Dieu seul peut donner… Mais comment ce que nous n’avons pas vu peut-il nous donner pareille certitude ? Je l’ignore, c’est l’œuvre de Dieu. Tout ce que je sais, c’est que je dis vrai. » Ve D., c. i, p. 174-175. N’en demandons pas davantage. « Dans cette oraison l’on ne voit rien », VIe D., c. i, p. 206 ; pourtant sainte Thérèse affirme que c’est une « entrevue » qui précède les « divines fiançailles » : « l’âme voit seulement d’une manière mystérieuse qui est Celui qu’elle va prendre pour époux. La connaissance qu’elle reçoit ainsi en un court espace de temps, elle ne pourrait l’acquérir en mille ans par le moyen des sens et des puissances. » V D., c. iv° p. 200.

Mais le doute ne tarde pas à venir : pour l’exorciser, notre mystique recourra à son critère favori, les effets. Ils sont merveilleux : c’est particulièrement le désir de mourir pour posséder Dieu, et « la douleur profonde qu’elle éprouve en voyant combien Dieu est offensé et méprisé dans le monde » ; V D., c. ii, p. 184 ; cette dernière disposition est vraiment le « sceau » de Dieu. P. 186.

Quoique n’étant pas philosophe, ni théologienne, sainte Thérèse s’est rendue compte que ce terme d’ « union » peut s’entendre de bien des manières, comme celui de « présence ». « La véritable union », « la grâce de l’union », « l’état d’union », c’est tout autre chose que « l’oraison d’union » ; celle-ci n’est qu’un moyen non indispensable, un « sentier de traverse » pour parvenir à l’autre, qui n’a plus rien de mystique, et qui ne consiste qu’en la parfaite conformité de notre volonté à la volonté divine. « C’est là l’union que j’ai désirée toute ma vie, celle que je ne cesse de demander à Notre-Seigneur. C’est aussi et la plus facile à connaître et la plus sûre. » Ve D., ciii, p. 192. « Pour l’atteindre, il n’est pas nécessaire que le Seigneur nous accorde de grandes délices spirituelles : il suffit du don qu’il nous a fait de son Fils pour nous enseigner le chemin. » P. 193. Cf. Relation LXV, t. i des Œuvres complètes, p. 590. Et voilà tranché souverainement le problème tant discuté de la nécessité des grâces mystiques pour la perfection.

4. Les « peines » mystiques. — Sainte Thérèse est convaincue que Dieu envoie aux âmes déjà favorisées de l’oraison d’union, et pour leur faire mériter en quelque sorte les grâces mystiques ultérieures, toutes sortes de peines extérieures et intérieures ; cf. VIe D., c. i. Peines extérieures : les critiques ou même les

X. — 83

louanges dont on est l’objet ; « de très grandes maladies. » Pe.nes intérieures : doutes sur l’origine des faveurs reçues ; « sécheresses, où il semble qu’on n’ait jamais eu et qu’on n’aura jamais la moindre pensée de Dieu », p. 213 ; scrupules ; sorte d’hébétement qui rend l’esprit incapable de tout, même de comprendre ce qu’on lit ; « chagrin, mauvaise humeur visibles à tous les yeux », p. 215 ; « mais pourra-t-elle dire ce qu’elle a ? Non, c’est quelque chose d’inexprimable, ce sont des angoisses et des peines spirituelles auxquelles on ne sait quel nom donner. » P. 215-216. Pourtant il y a des accalmies « dans une pareille tempête ; Dieu, « lorsqu’on s’y attend le moins, par une seule parole qu’il adresse à l’âme ou par un événement qui se présente, la délivre soudain de tous ses maux. On dirait qu’il n’y a jamais eu de nuages dans cette âme, tant elle se trouve inondée de soleil et comblée de consolation. » P. 214. Que penserait le psychologue, le psychiatre, de cette sémiologie ? Sans doute que sainte Thérèse n’a pas été exempte de cette « mélancolie » qui « de nos jours, affirme-t-elle, remplit le monde », p. 212, et qu’elle souffrit de cette « psychose cyclothymique ». Cf. Maurice de Fleury, Les états dépressifs et la neurasthénie, Préface, p. x ; G. Truc, La grâce, c. ni, Les étals mystiques négatifs.

5. La « délicieuse blessure » et V « embrasement délicieux ». — « Souvent lorsqu’on y pense le moins et qu’on n’a pas l’esprit occupé de Dieu, Sa Majesté réveille l’âme tout à coup : on dirait une étoile filante ou un coup de tonnerre. On n’entend cependant aucun bruit, mais l’âme comprend parfaitement que Dieu l’a appelée… Elle sent qu’elle vient de recevoir une délicieuse blessure. Comment, de qui l’a-t-elle reçue ? Elle ne s’en rend pas compte… Elle se plaint à son Époux par des paroles d’amour, et cela même extérieurement. Elle ne peut s’en empêcher, parce qu’il lui fait sentir sa présence, sans pourtant se manifester de manière à l’en laisser jouir. La peine qu’elle en éprouve est très vive, mais suave et pleine de douceur… Cette peine la pénètre jusqu’aux entrailles, et il semble qu’on les lui arrache, quand le divin Archer retire la flèche dont il l’a percée, tant est vif le sentiment de l’amour qu’elle lui porte. » VIe D., c. ii, p. 219-220. Il n’y a ici « nulle illusion à redouter », « car il est visible que le mouvement imprimé à l’âme vient de l’immuable demeure où le Seigneur habite. Les effets, d’ailleurs… » P. 221. « Je sais une personne qui ne craignait rien tant que d’être trompée, et qui ne put jamais concevoir la moindre inquiétude sur l’oraison dont je parle. » P. 223.

L’ « embrasement délicieux » est une faveur « plus ordinaire à l’âme que la précédente » et non moins sûre. « A l’improviste, au milieu d’une prière vocale et quand on ne s’attend à aucun effet surnaturel, voici tout d’un coup un embrasement délicieux. On dirait qu’un parfum pénétrant s’est répandu par tous les sens… Comparaison, pour montrer que quelque chose fait connaître que l’Époux est là. » P. 223.

6. Les « paroles » surnaturelles. — « Ces paroles sont de bien des genres : les unes semblent venir du dehors ; les autres, de la partie la plus intérieure de l’âme ; d’autres de sa partie supérieure. D’autres, enfin, semblent si extérieures, qu’elles sont perçues par les oreilles : on dirait une voix articulée. » VI D., c. ni, p. 221 Suinte Thérèse, qui a reproduit dans ses « relations » beaucoup de ces paroles, y affirme n’avoir « jamais rien vu des yeux du corps », ni « jamais rien entendu des oreilles du corps, sauf deux fois seulement. Encore ne saisit-elle rien de ce qui lui était dit, et elle ne sut point qui lui parlait. » Relation LUI, t. i, p. 507.

Dans le chapitre qui nous occupe, elle insiste longuement sur les signes qui permettent de discerner

les paroles divines des illusions de l’imagination ou de celles qui proviennent du démon ; car avant la « vision intellectuelle » rapportée au chapitre viii, p. 279, elle déclare qu’ « elle ne savait pas qui lui pariait, elle entendait seulement les paroles », p. 279, et restait très « perplexe » à l’endroit de leur origine. VIe D., c.m, p. 233. Sainte Thérèse a remarqué aussi que « ces effets surnaturels n’étaient pas continuels ; ils se produisaient le plus souvent en présence de quelque nécessité. » Relation LUI, p. 567. Les paroles entendues répondaient donc le plus souvent à des questions d’ordre divers qui tourmentaient la sainte. Voir V Ie D., c. iii, p. 226-230, les signes distinctifs des paroles divines ; p. 225, 230-231, 232-233, ceux qui caractérisent les illusions de l’imagination ; enfin, p. 233-234, ceux qui permettent de dépister les ruses du démon.

Mais sainte Thérèse ne veut pas qu’on se mette l’esprit à la torture à ce sujet : Je voudrais que vous sachiez, mes sœurs, que s’il n’y a pas de mal à n’y point croire, il n’y en a pas non plus à y ajouter foi… Quel qu’en soit l’auteur, ne fussent-elles même qu’un produit de l’imagination, il n’y a pas grand inconvénient. .. La question est de savoir si on tire profil de ces paroles. » P. 226. En pareille matière, on n’arrive jamais à une certitude absolue : « il est bon de garder toujours une certaine crainte. » P. 234. Aussi « jamais elle ne s’est conduite, déclare-t-elle, d’après ce qu’elle entendait dans l’oraison… Bien qu’on lui afïirmât que c’était Dieu qui agissait dans son âme, jamais elle ne l’a cru d’une manière assez absolue pour pouvoir en jurer, quoique d’ailleurs, à en juger par les effets…, elle inclinât à croire que quelques-unes de ces choses venaient du bon esprit. » Relation LUI, p. 565.

7. Les « ravissements », VIe D., c. iv. — Processus psychologique : « L’âme, sans être en oraison, est tout à coup frappée d’une parole de Dieu qui lui revient à la mémoire ou qu’elle entend. Alors Notre-Seigneur… -avive dans son fond le plus intime l’étincelle dont nous avons parlé (à propos de la blessure d’amour, p. 220), en sorte qu’entièrement embrasée cette fois, elle se renouvelle comme le phénix dans les flammes… Lorsqu’elle est ainsi purifiée, Notre-Seigneur l’unit à lui, d’une façon qui n’est connue que de tous les deux ; encore l’âme elle-même ne l’entend-elle pas de manière à pouvoir ensuite en rendre compte. Et cependant elle conserve alors la connaissance, car, en cet état, l’on n’est pas privé de toute sensation intérieure et extérieure. » P. 238.

L’état physique est décrit plus loin, p. 244-245 : il semble bien, contrairement à ce que vient de dire sainte Thérèse, qu’il y ait, pendant le ravissement, sinon perte de connaissance, du moins anesthésie complète, au moins par moments. Mais « ceci est de courte durée, au moins comme état fixe, car cette grande suspension venant à diminuer, le corps semble se ranimer un peu. Mais s’il reprend quelque vie, c’est pour mourir de nouveau et laisser l’âme plus vivante. Néanmoins, l’extase à ce très haut degré dure peu. » P. 245.

Sainte Thérèse est très affirmative sur la conservation de la conscience et sur ce qu’on peut appeler le côté positif de l’extase : il y a toujours au moins une grande jouissance intérieure : « quand l’âme est ainsi en extase, le Seigneur ne veut pas toujours qu’elle ail la vue de ces secrets (il s’agit des « choses de Dieu », cf. p. 238-239) : elle est souvent tellement plongée dans la jouissance de son Dieu, que ce seul Bien lui suffît. Mais quelquefois aussi, il plaît à Dieu de la tirer de la jouissance qui l’absorbe tout entière, et de lui montrer soudain ce que renferme l’appartement où elle se trouve. » P. 242. « Ma conviction est que si, dans les ravissements qu’elle éprouve, l’âme n’entend pas f34

quelquefois de ces secrets [ n’y a-t-il pas une contradiction avec ce qui précède ?), ce ne sont pas des ravissements, mais plutôt une défaillance physique… » P. 242. Sainte Thérèse a discerné les « ravissements véritables… de ces faiblesses de femmes, que l’on voit maintenant se produire, et qui si facilement nous font crier au ravissement et à l’extase. » P. 237. « Elle a toujours eu en horreur les rêveries de femmes. » Relation LUI, p. 566. « L’extase finie, la volonté peut demeurer quelque temps comme enivrée, et l’entendement si hors de lui, que pendant des jours et des jours il semble hors d’état de s’occuper d’autre chose que des objets propres à enflammer la volonté. » P. 245.

Fréquence : « l’amour l’a rendue, cette âme, d’une sensibilité telle qu’à la moindre chose qui vient enflammer son feu, la voilà qui prend son vol. Aussi les ravissements sont-ils continuels dans cette Demeure, sans qu’on puisse les éviter même en public. » VI 8 D., c. vi, p. 256-257. En public cependant, le chagrin et l’inquiétude qu’éprouvent ces âmes « en se demandant ce que pourront penser ceux qui les ont vues en cet état, les tirent en quelque sorte de leur transport. » G. 4, p. 246. Mais, dans les septièmes Demeures, « l’âme n’a plus de ravissements, ou, si elle en a, ce qui est très rare, ce ne sont plus de ces enlèvements et de ces vols d’esprit, comme ceux dont j’ai parlé. En oulre cela ne lui arrive presque jamais en public, chose qui lui était fort ordinaire. » VIIe D., c. iii, p. 337. « Elle perd cette grande faiblesse qui lui était si pénible, et dont rien n’avait pu la délivrer. » P. 338.

8. Le « vol de l’esprit ». — « Parfois, l’âme se sent emportée par un mouvement si soudain, et l’esprit semble enlevé avec une telle vélocité, qu’on éprouve, dans les commencements surtout, un véritable effroi… Croyez-vous donc qu’une personne en pleine possession d’elle-même n’éprouve qu’un léger trouble lorsqu’elle sent ainsi enlever son âme — et quelquefois son corps, comme nous le lisons de quelques personnes — sans savoir où elle va, ni qui l’enlève, ni ceque cela veut dire ? » VIe D., c. v, p. 248-249. Impossible de résister. « Durant quelques instants, elle est incapable de dire si son âme habite ou n’habite pas son corps. Elle se croit transportée tout entière dans une autre région, fort différente de celle où nous vivons ; elle y voit une lumière nouvelle et bien d’autres choses, si dissemblables de celles d’ici-bas, qu’elle n’eût jamais réussi à se les figurer… Parfois, elle se trouve instruite en un instant de tant de choses à la fois… » P. 252. Ici sainte Thérèse indique quelques-unes des choses que l’on voit alors, soit par « vision imaginaire », soit par « vision intellectuelle » : ce sont des saints, ou « une multitude d’anges qui accompagnent leur Seigneur », « beaucoup d’autres (choses) qu’il ne convient pas de rapporter ».

L’influence de saint Paul paraît visible dans cette description. Celle de saint Augustin se montre dans l’interprétation, dans l’explication que risque la sainte : « l’âme… ne pourrait-elle, sans quitter le lieu qu’elle occupe… s’élever au-dessus d’elle-même par quelque partie supérieure de son être ? » P. 253. Thérèse imagine donc que « l’esprit », le voOç, qu’elle distingue de l’âme, mais sans l’en séparer, comme le rayon se distingue du soleil, s’élève littéralement jusqu’au ciel, le Seigneur, lui semble-t-il, voulant « montrer à cette âme quelque chose du pays qu’elle doit habiter un jour ». P. 254. « Ce qu’elle a vu (làhaut ) demeure tellement gravé dans sa mémoire, qu’à mon sens, il lui sera impossible d’en perdre le souvenir jusqu’au jour où elle en aura la possession pour jamais. » P. 255. Les effets de ce vol de l’esprit sont si admirables qu’il n’y a pas à redouter une supercherie du démon. P. 254.

9. Les’Hransporls, VI » D., c. vi, p. 262-264. — C’est

ce que sainte Thérèse appelle ailleurs le « sommeil des puissances », cf. Vie, c. xvi, p. 155-158. « Notre-Seigneur accorde quelquefois à l’âme certaines jubilations et une sorte d’oraison étrange, dont je ne m’explique pas la nature. A mon sens, c’est une union très étroite des puissances avec Dieu… Mais de quoi jouissent-elles, et comment en jouissent-elles ? C’est ce qu’elles ignorent… L’âme éprouve une joie si excessive, qu’elle voudrait n’être pas seule à la ressentir, mais la publier partout… » P. 262. « Cela dure parfois une journée entière… Cette jubilation plonge l’âme dans un tel oubli d’elle-même et de toutes choses, qu’elle est incapable de penser ni de parler, si ce n’est pour donner à Dieu des louanges. » P. 264. Enfin elle est contagieuse : « il suffit que l’une ( des sœurs) commence (à faire éclater sa jubilation intérieure ) pour que les autres la suivent. » Ibid. Evidemment cela « ne peut nullement venir du démon ». P. 263.

10. Le sentiment de présence. — « C’est ce qu’on appelle vision intellectuelle, je ne sais pourquoi. Alors qu’on ne songe nullement à recevoir semblable grâce, … on sent auprès de soi Jésus-Christ Notre-Seigneur, sans pourtant le voir ni des yeux du corps ni * des yeux de l’âme. » VIe D., c. viii, p. 279. « Elle sentait qu’il se tenait à son côté droit, non par une de ces marques sensibles qui nous font connaître qu’une personne est près de vous, mais d’une autre manière bien plus délicate et qu’on ne peut expliquer. Néanmoins, la certitude est la même, ou plutôt, de beaucoup supérieure. » P. 280. « Quelquefois la présence est d’un saint, et l’on en retire également un grand fruit. Vous me direz : Mais si l’on ne voit rien, comment sait-on que c’est Jésus-Christ, ou sa glorieuse mère, ou un saint ? C’est ce que l’âme est incapable d’expliquer ; elle ne sait pas comment elle le sait, et cependant elle en a une certitude absolue.. P. 282. « Ces sortes

de visions, au lieu de passer promptement comme les visions imaginaires, durent longtemps et parfois plus d’un an. » P. 279. Les effets produits par cette présence permanente « ne permettent pas de l’attribuer à la mélancolie », p. 280, ni au démon ; surtout quand des « paroles » viennent rassurer l’âme inquiète.

11. Vision imaginaire de Noire-Seigneur. — « Notre-Seigneur veut-il favoriser tout particulièrement une âme, il lui découvre clairement sa sainte Humanité sous la forme qu’il juge à propos… Quoique la vision ait la rapidité de l’éclair, cette glorieuse image demeure tellement empreinte dans l’imagination, qu’à mon avis elle ne pourra s’en effacer… Cette image ne fait nullement l’effet d’un tableau. A celui qui la voit, elle paraît véritablement vivante. Quelquefois, elle parle à l’âme et lui découvre même de grands secrets. » VIe D., c. ix, p. 288. L’image apparaît dans une « lumière » ; le vêtement de Notre-Seigneur « ressemble à de la batiste », p. 289 ; son visage est « doux » et « beau », p. 294. L’apparition survient à l’improviste, « bouleversant les puissances et les sens, les remplissant de frayeur et de trouble, pour les faire jouir aussitôt après d’une paix délicieuse ». P. 291. Les illusions ici sont possibles : si l’apparition dure longtemps, « je ne crois pas que ce soit une vision ; c’est plutôt une représentation produite par un grand effort d’imagination, et la figure sera comme morte, en comparaison de celle dont je parle », p. 290-291 ; quant au démon, « il pourra bien offrir certaines représentations, mais ce ne sera jamais avec cette vérité, cette majesté, ces admirables effets ». P. 292. « On doit se tenir sur la réserve, attendre que le temps permette de juger de ces apparitions par leurs fruits. » Ibid. Mais, « quand bien même ces visions ne seraient pas de Dieu, pourvu que vous ayez de l’humilité et une bonne conscience, elles ne vous nuiront pas. Sa Majesté sait tirer le bien. 2g ;

    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, DESCRIPTION, S 1 * THERÈSI

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du mal, et, par où le démon voulait vous perdre, vous gagnerez. » P. 293.

12. Vision intellectuelle ou connaissance infuse de vérités. — « Lorsqu’il plaît au Seigneur, il arrive que l’âme, étant en oraison et entièrement à elle, entre soudain dans une suspension des puissances, durant laquelle Dieu lui découvre de grands secrets, qu’elle croit voir en Dieu même. » VIe D., c. x, p. 300. Sainte Thérèse déclare avoir connu de cette manière « comment toutes choses se voient en Dieu, et comment il les renferme toutes en lui-même », ibid., et aussi comment « lui seul est la Vérité qui ne peut mentir ». P. 302. « A mon sens, le démon et l’imagination trouvent ici peu d’entrée et l’àme reste remplie de consolation. » P. 303.

13. Le martyre d’amour. — « Cette purification doit introduire l’àme dans la septième Demeure, comme la purification du purgatoire introduit dans le ciel. » VIe D., c. xi, p. 308. « Tandis que l’âme se consume ainsi au-dedans d’elle-même (par le désir d’être réunie à Dieu), voici qu’à l’occasion d’une pensée rapide qui lui traverse l’esprit, d’une parole qu’elle entend et qui lui rappelle que la mort tarde encore à venir, elle reçoit par ailleurs — d’où ? comment ? elle l’ignore — un coup terrible, ou, si l’on veut, elle se sent comme transpercée par une flèche de feu… En un instant, ses puissances se trouvent si étroitement liées, qu’elles sont incapables de tout, sauf de ce qui peut accroître leur martyre… L’entendement conserve toute sa vivacité pour comprendre avec combien de raison l’âme s’alHige d’être séparée de Dieu ; et le Seigneur y ajoute encore, par une connaissance de lui-même très pénétrante, qui porte la douleur de l’âme à une intensité telle, qu’on en vient à jeter de grands cris. » P. 305-306. « Quelque bref que soit ce martyre (il dure peu : trois ou quatre heures tout au plus, ce me semble, p. 309), il laisse le corps comme disloqué : le pouls est aussi faible que si on allait rendre l’âme… La chaleur naturelle fait défaut, et l’âme s’embrase de telle sorte, qu’un peu plus elle verrait ses désirs accomplis. » P. 306-307. " Une fois cette personne ne l’endura qu’un quart d’heure seulement, et elle en demeura brisée. Il est vrai que cette peine fondit sur elle avec tant de violence qu’elle en perdit entièrement le sentiment. » P. 309. « Rien ne peut la délivrer du martyre qu’elle endure, jusqu’à ce que le Seigneur lui-même y mette un terme. D’ordinaire, il le fait au moyen d’une grande extase ou de quelque vision, par laquelle le vrai Consolateur console et fortifie l’âme, afin qu’elle se résigne à vivre aussi longtemps qu’il le voudra. » P. 310. Ce martyre « laisse dans l’âme des effets admirables. » Ibid.

14. Vision de la Trinité. — « Une fois qu’elle est introduite dans cette ( septième) Demeure, les trois Personnes de la très sainte Trinité, dans une vision intellectuelle, se découvrent à elle par une certaine représentation de la vérité et au milieu d’un embrasement qui, semblable à une nuée resplendissante, vient droit à son esprit. Les trois divines Personnes se montrent distinctes, et, par une notion admirable qui lui est communiquée, l’âme connaît d’une certitude absolue que toutes trois ne sont qu’une même substance. .. Alors les Personnes divines se communiquent toutes trois à l’àme, elles lui pailenl. » VII" D., ci, p. 317-.il H. Sainte Thérèse a beau affirmer « que ce n’est pas ici une vision imaginaire », nous ne l’en croyons p.is ; ce qui pourtant n’est pas « imaginaire », c’est la « notion » qui lui fait connaître l’unité de substance des trois Personnes. Mais ce qui fait l’originalité de cette vision, ce n’est pas tant la vue du mystère, la vue des trois Personnes, que la perception de leur présence permanente dans l’âme aimante : « elle voit Clairement… qu’elles résident dans son intérieur. C’est

dans lu partie la plus intime d’elle-même qu’elle sent cette divine compagnie, et comme dans un abîme très profond, qu’elle ne saurait définir, faute de science. » P. 318.

Ce sentiment de présence est à rapprocher de celui que nous avons rencontré au chapitre vin des Sixièmes Demeures (v. supra, n. 10) et que sainte Thérèse qualifiait aussi de vision intellectuelle. Il lui ressemble pour la continuité ; sainte Thérèse espère même qu’il ne lui sera jamais enlevé : « elle a une grande confiance que Dieu, lui ayant accordé une telle grâce, ne permettra pas qu’elle la perde. » P. 319. Ce sentiment n’a pas cependant toujours la même intensité, « mais, si le degré de clarté n’est pas le même, l’àme, cependant, chaque fois qu’elle est attentive, se trouve en cette divine compagnie. » Ibid. — - Quand on en est là, peut-on se croire assurée de son salut, peut-on se croire « confirmée en grâce » et incapable de retomber dans le péché ? Sainte Thérèse ne le pense pas ; voir c. ii, p. 322, 328 : c. iv, p. 342.

15. Le mariage spirituel. — « La première fois que cette grâce est accordée, Notre-Seigneur, dans une vision imaginaire, veut bien se montrer à elle en sa très sainte Humanité… Il lui dit qu’il était temps qu’elle fît de ses intérêts à lui ses intérêts propres, et qu il prendrait soin de ce.qui la concernait… » VII » D., en, p. 322. Cf. Relation XXV, p. 536 : Notre-Seigneur lui denne sa main droite ; et, Relation XXVIII, p. 538, Notre-Seigneur lui met au doigt un bel anneau.

Alors « le Seigneur apparaît dans le centre de l’âme sans vision imaginaire, mais par une vision intellectuelle, plus délicate encore que celles d^nt j’ai parlé… Ce que Dieu communique alors à l’âme, en un moment, est un si grand secret, une faveur si sublime, et inonde l’àme de si excessives délices, que je ne sais à quoi les comparer. Je dirai seulement qu’en cet instant le Seigneur daigne lui manifester la béatitude du ciel, par un mode dont la sublimité dépasse celle de toutes les visions et de tous les goûts spirituels. Tout ce qu’on en peut dire, c’est que l’âme, ou plutôt l’esprit de l’âme, devient, selon qu’on peut en juger, une même chose avec Dieu. » P. 324. « Cette vérité est rendue plus claire, avec le temps, par les effets ; car on reconnaît d’une manière évidente, par certaines aspirations secrèt°s, que c’est Dieu qui donne vie à notre âme. » P. 325. « L’âme perçoit les divines opérations dont je parle. Une eau ne peut jaillir à flots sans avoir sa source quelque part : ainsi l’âme comprend clairement qu’il y a en elle quelqu’un qui lance les flèches qui la transpercent, et qui donne vie à sa nouvelle vie ; qu’il y a un soleil d’où procède cette brillante lumière qui, de son intérieur, va illuminer ses puissances. » P. 326. Ce texte, dont on peut rapprocher celui de la Vie, c. xxvii, p. 283 : « aux effets que Dieu produit dans l’âme, on comprend qu’il est là », peut être invoqué par ceux qui ne voient dans le « sentiment de présence » qu’une inférence, par laquelle des effets ressentis on remonte à une cause capable de les expliquer ; cf. Expfrience religieuse, t. v, col. 1812-1813. La sainte décrit, au c. ni, la « nouvelle vie », que mène désormais l’âme favorisée du « mariage spirituel » ; cf. Delacroix, op. cit., p. 67-72 ; Etchegoyen, L’Amour divin, V° partie, La synthèse de l’Amour divin dans les états d’oraison, particulièrement Conclusion : la critique de la synthèse de l’Amour divin, p. 350 sq.

L’importance de sainte Thérèse pour la solution du problème de la mystique est. mise en lumière par le P. de Guibcrt, Revue d’ascétique et de mystique, avril 1921, p. 185 : « Il faut, en effet, si l’on veut comprendre les discussions actuelles, en revenir à elle, et ce n’est point par hasard que ces discussions ont commencé, dans leur forme présente, précisément à

l’époque, où les écrits de la Doclora d’Avila se sont répandus parmi les théologiens catholiques. Ces écrits, en effet, tranchent sur ceux des mystiques plus anciens, et même de saint Jean de la Croix qui se rattache plutôt à eux, comme le remarquait très justement dom Mager : personne avant elle n’avait aussi bien fait toucher du doigt, par la netteté de ses descriptions, la différence entre les consolations goûtées par les débutants dans leurs méditations, et les douceurs de l’oraison « surnaturelle ». Ce sont précisément ces descriptions qui, en rendant impossible la confusion entre les deux, ont posé le problème dans toute son acuité… Sainte Thérèse reste au centre du débat et le domine : d’une façon plus ou moins consciente et plus ou moins claire, ce qu’on cherche c’est ceci : y a-t-il entre ces oraisons surnaturelles décrites par la sainte, et les oraisons plus ou moins discursives ou simplifiées de la vie spirituelle courante, une simple différence de degré, ou une vraie différence d’espèce ? » 8° Saint François de Sales.

C’est aux livres VI

et VII du Traité de l’amour de Dieu que saint François de Sales disserte de la « théologie mystique ».

Il l’identifie avec l’oraison : « l’oraison et la théologie mystique ne sont qu’une mesme chose » ; et la définit « une conversation par laquelle l’ame s’entretient amoureusement avec Dieu de sa tres-aimable bonté pour s’unir et joindre à icelle ». L. VI, c. i. C’est une conversation et non un monologue : « que si l’oraison est un colloque, un devis, ou une conversation de l’ame avec Dieu, par icelle donc nous parlons à Dieu, et Dieu réciproquement parle à nous ; nous aspirons à luy et respirons en luy, et mutuellement il inspire en nous et respire sur nous. » Ibid. « Or elle s’appelle mystique, parce que la conversation y est toute secrette, et ne se dit rien en icelle entre Dieu et l’ame que de cœur à cœur par une communication incommunicable à tout autre qu’à ceux qui la font. Le langage des amans est si particulier que nul ne l’entend qu’eux-mesmes… Où l’amour règne, on n’a pas besoin du bruit des paroles extérieures, ny de l’usage des sons pour s’entretenir et s’entr’ouyr l’un à l’autre. » Ibid. « En la théologie mystique, c’est le principal exercice de parler à Dieu et d’ouyer parler Dieu au fond du cœur : et parce que ce devis se fait par de très-secrettes aspirations et inspirations, nous l’appelons colloque de silence ; les yeux parlent aux yeux, et le cœur au cœur, et nul n’entend ce qui se dit que les amans sacrez qui parlent. » Ibid.

La méditation est le « premier degré de l’oraison ou théologie mystique », c. n. Les chapitres suivants sont consacrés à la contemplation, et à ses différences avec la méditation : « Nous méditons pour recueillir l’amour de Dieu, mais l’ayant recueilli nous contemplons Dieu et sommes attentifs à sa bonté pour la suavité que l’amour nous y fait trouver. Le désir d’obtenir l’amour divin nous fait méditer, mais l’amour obtenu nous fait contempler ; car l’amour nous fait trouver une suavité si agréable en la chose aimée, que nous ne pouvons assouvir nos esprits de la voir et considérer. » C. m. Le but de la contemplation est la jouissance de Dieu : « l’amour ayant excité en nous l’attention contemplative, cette attention fait naistre réciproquement un plus grand et fervent amour, lequel enfin est couronné de perfections lorsqu’il jouyt de ce qu’il aime. » Ibid. C’est cette jouissance de Dieu qui constitue 1’ « expérience » mystique : « cette jouyssance produit un amour bien plus vif et animé que ne fait la simple cognoissance du discours : car l’expérience d’un bien nous le rend infiniment plus aimable que toutes les sciences qu’on en pourrait avoir. Nous commençons d’aimer par la cognoissance que la foy nous donne de la bonté de Dieu, laquelle par après nous savourons et goustons par l’amour…

Celuy-là (le théologien Ocham) le cogneut mieux par science, ce ! le-cy (sainte Catherine de Genne) par expérience. » C. iv C’est ce qu’on appelle « trouver Dieu » : « La contemplation a tousjours cette excellence, qu’elle se fait avec plaisir, d’autant qu’elle présuppose que l’on a trouvé Dieu et son sainct amour, qu’on en jouyt, et qu’on s’y délecte en disant : J’ay trouvé celuy que mon ame chérit ; je l’ay trouvé et ne le quitteray point. » C. vi. « On a trouvé Dieu et son sainct amour, on en jouyt et on s’y délecte » ; « nous savourons et. goustons (Dieu) par l’amour » ; et ainsi nous le connaissons « par expérience » : qu’y a-t-il là de mystique ? Cela est essentiellement mystique pour saint François de Sales, parce que cela est un don de Dieu ; il le montre dans les deux premiers chapitres du livre VIL II s’agit d’un amour passif, d’une « passion d’amour », pour employer le langage de saint Jean de la Croix. « Soit doneques que l’union de nostre ame avec Dieu se fasse imperceptiblement, soit qu’elle se fasse percepliblement. Dieu en est toujours l’auteur, et nul ne peut s’unir à luy. s’il ne va à luy : nul ne peut aller à luy, s’il n’est tiré par luy. » L. VII, c. ni. « L’ame, amorcée des délices de ses faveurs, … recognoist bien que son union et liaison à cette souveraine douceur dépend toute de l’opération divine, sans laquelle elle ne pourroit seulement pas faire le moindre essay du monde peur s’unir à icelle. » L. VII, c. i. Les comparaisons employées ici par saint François de Sales ne laissent aucun doute sur ce point. Et de même le progrès de notre amour et de notre union, s’il résulte parfois de notre coopération, ne se réalise jamais sans celle de Dieu : « Quand, suivant ses attraits imperceptibles, nous commençons à nous unir à luy (activement), il fait quelquefois le progrez de nostre union, secourant nostre imbécillité, et se serrant sensiblement luy-mesme à nous, si que nous le sentons qu’il entre et pénètre nostre cœur par une suavité incomparable. Et quelquefois aussi, comme il nous a attirez insensiblement à l’union, il continue insensiblement à nous aider et secourir. Et nous ne sçavons comme une si grande union se fait, mais nous sçavons que nos forces ne sont pas assez grandes pour la faire, si que nous jugeons bien par là que quelque secrette puissance fait son insensible action en nous. » C. n. On remarquera, au passage, que saint François de Sales regarde le « sentiment de la présence de Dieu » comme une inférence.

Ce point mis en lumière et l’origine divine du « sainct amour » nettement affirmée, saint François de Sales ne verra plus guère dans beaucoup de phénomènes mystiques que des conséquences « naturelles ». psychologiques ou physiologiques, de cet amour envahissant, si bien qu’il ne s’étonnera pas de leur trouver des analogues profanes.

1. « Du recueillement amoureux de l’ame en la contemplation », t. VI, c. vu. — Il s’agit bien du recueillement qualifié par « la bienheureuse mère Thérèse de Jésus », de « surnaturel », qui « ne gist pas en nostre volonté, ains nous advient quand il plaist à Dieu de nous faire cette grâce. » Or il s’explique naturellement, même sous sa forme la plus profonde, par cette loi psychologique : « rien n’est si naturel au bien que d’unir et attirer à soy les choses qui le peuvent sentir, comme font nos âmes, lesquelles tirent tousjours et se rendent à leur thresor, c’est-à-dire à ce qu’elles aiment. » C’est ce qui advient quand « Nostre-Seigneur respand imperceptiblement au fond du cœur une certaine douce suavité qui tesmoigne sa présence ; lors les puissances, voire mesme les sens extérieurs de l’ame, par un secret consentement, se retournent du costé de cette intime partie où est le tres-aimable et très-cher espoux. » « En somme tout ce tecueillement se fait

par l’amour, qui sentant la présence du bien-aiiné par les attraits qu’il respand au milieu du cœur, ramasse et rapporte toute l’ame vers iceluy… par un délicieux reply de toutes les facultez du costé du bienaimé, qui les attire à soy par la force de sa suavité » Pour comprendre bon nombre de phénomènes mystiques, il n’est que d’étudier la psychologie de l’amour. « Otez l’amour, dira Bossuet, il n’y a plus de passions ; et posez l’amour, vous les faites naître toutes. » De la connaissance de Dieu et de soi-même, c. i. On en pourrait dire autant, selon saint François de Sales, des rapports entre l’amour et les phénomènes mystiques. Cf. II. Tessier, Le sentiment de l’amour d’après saint François de Sales, particulièrement, 1. III. c. îv : Les effets de l’Amour.

2. La quiétude, t. VI, c. vin-xi. — « C’est cet aimable repos de l’ame que la bienheureuse vierge Thérèse de Jésus appelle oraison de quiétude ; non gueres différente de ce qu’elle-mesme nomme sommeil des puissances, si toutefois je l’entends bien. » C. vin. « Toute l’aine et toutes les puissances d’icelle demeurent comme endormies, sans faire aucun mouvement ny action quelconque, sinon la seule volonté, laquelle mesme ne fait aucune autre chose, sinon recevoir l’aise et la satisfaction que la présence du bien-aimé luy donne. Et ce qui est encore plus admirable, c’est que la volonté n’apperçoit point cet aise et contentement qu’elle reçoit, jouyssant insensiblement d’iceluy. » Ibid. Analogue profane : « les amans humains se contentent par fois d’estre auprès ou à la veuë de la personne qu’ils aiment, sans parler à elle, et sans discourir à part eux, ny d’elle, ny de ses perfections ; rassasiez, ce semble, et satisfaicts de savourer cette bien-aimée présence, non par aucune considération qu’ils fassent sur icelle, mais par un certain accoisement et repos que leur esprit prend en elle. » Ibid.

Saint François de Sales explique naturellement ce repos des puissances : « elle (l’ame) n’a plus besoin de s’amuser à discourir par l’entendement ; car elle voit d’une si douce veuë son espoux présent que les discours luy seroient inutiles et superflus. Que si mesme elle ne le voit pas par l’entendement, elle ne s’en soucie point, se contentant de le sentir près d’elle par l’aise et satisfaction que la volonté en reçoit… L’ame non plus n’a aucun besoin, en ce repos, de la mémoire ; car elle a présent son bien aimé. Elle n’a pas aussi besoin de Y imagination : car qu’est-il besoin de se représenter en image… celuy de la présence duquel on jouyt ? » C. ix. « O Dieu éternel ! quand par vostre douce présence vous jettez les odorans parfums dedans nos cœurs, … alors toutes les puissances de nos aines entrent en un agréable repos, avec un accoisement si parfaict qu’il n’y a plus aucun sentiment que celuy de la volonté, laquelle, comme l’odorat spirituel, demeure doucement engagée à sentir, sans s’en appercevoir, le bien incomparable d’avoir son Dieu présent. » Ibid. « Petit à petit toutes les facultez sont attirées par le plaisir que la volonté reçoit, et duquel elle leur donne certains ressentimens. comme des parfums qui les excitent à venir auprès d’elle pour participer au bien dont elle jouyt. » C. x. Cependant ce repos des puissances comporte divers degrés, c. xi

3. « De t’escoulement ou liquéfaction de l’ame en Dieu », t. VI, c. xii. - « L’escoulement d’une ame en son Dieu n’est autre chose qu’une véritable extase, par laquelle l’ame est toute hors des bornes de sou maintien naturel, toute meslée, absorbée et engloutie

on Dieu. « I, ’amour profane connaît aussi pareille e : « Une extresme complaisance de l’amant en la chose aimée produit une certaine Impuissance spirituelle qui fait que l’ame ne se seul plus aucun pouvoir’le demeurer en soy-mesme. (l’est pourquoy, … elle iller ei escouler en ce qu’elle aim<

4. De la blessure d’amour, c. xm-xiv. — - On ne résume pas les fines analyses psychologiques où saint François de Sales « explique » comment « le sainct amour blesse les cœurs ». L’amour profane lui fournit encore un terme de comparaison : « on a veu tel jeune homme… », c. xiii.

5. « De la langueur amoureuse du cœur blessé de d lection », c. xv. — « C’est chose assez cogneue que l’amour humain a la force non-seulement de blesser le cœur, mais de rendre malade le corps jusqu’à la mort, d’autant que comme la passion et tempérament du corps a beaucoup de pouvoir d’incliner l’ame et la tirer après soy, aussi les affections de l’ame ont une grande force pour remuer les humeurs et changer les qualitez du corps. Mais outre cela, l’amour, quand il est véhément, porte si impétueusement l’ame en la chose aimée, et l’occupe si fortement, qu’elle manque à toutes ses autres opérations, tant sensitives qu’intellectuelles. »

Et saint François de Sales cite un texte de Platon à l’appui de ces ravages de l’amour « véhément » dans l’âme et jusque dans le corps, a Certes, je sçay bien, Theotime, que Platon parlait ainsi de l’amour abject, vil et chetif des mondains ; mais neantmoins ces proprielez ne laissent pas de se trouver en l’amour céleste et divin. » <i Certes, Theotime, quand les blessures et playes de l’amour sont fréquentes et fortes, elles nous mettent en langueur et nous donnent la bien aimable maladie d’amour. Qui pourroit jamais descrire les langueurs amoureuses de sainte Catherine de Sienne ou de Gennes, ou de sainte Angèle de Foligny, ou de sainte Christine, ou de la bienheureuse mère Thérèse, ou de saint Bernard, ou de saint François ! » — Et voilà qu’à propos de ce dernier, notre psychologue s’essaye à montrer jusqu’à quel point les stigmates mêmes pourraient s’expliquer naturellement par l’influence de l’imagination, o L’amour est admirable pour aiguiser l’imagination, afin qu’elle pénètre jusqu’à l’extérieur. L’amour fit donc passer les tourments intérieurs de ce grand amant saint François jusqu’à l’extérieur, et blessa le corps du mesme dard de douleur duquel il avait blessé le cœur. » Cf. Tessier, op. cit., p. 215-219. L’amour « véhément » explique aussi la rupture des quatrième et cinquième côtes du « bienheureux Philippe Nerius », et les défaillances et pâmoisons du « bienheureux Stanislaùs Kosca ».

6. « Du souverain degré d’union par la suspension et ravissement. » L. VII, c. in-vm. — « La bienheureuse mère Thérèse dit excellemment que l’union estant parvenue jusqu’à cette perfection que de nous tenir pris et attachez avec Nostre-Seigneur, elle n’est point différente du ravissement, suspension ou pendement d’esprit ; mais qu’on l’appelle seulement union, ou suspension, ou pendement, quand elle est courte ; et quand elle est longue, on l’appelle extase ou ravissement, d’autant qu’en etïect l’ame attachée à son Dieu si fermement, et si serrée qu’elle n’en puisse pas aise ment estre desprise, elle n’est plus en soy-mesme, mais en Dieu. » C. m.

Saint François de Sales conçoit donc l’extase ou ravissement comme un phénomène psychologique, sans mentionner ses effets physiologiques. Il signale cependant, mais à propos d’une fausse extase, celle d’ « un certain prestre du temps de sainct Augustin », « que son extase passait si avant, qu’il ne sentoit mesme pas quand on luy appliquoit le feu, sinon après qu’il est oit revenu à soy : et neantmoins, si quelqu’un parloit un peu fort et à voix claire, il I entendoit comme de loin, et n’avolt aucune respirai ion. » (, ;. i.

Diverses « extases naturelles « l’aident à concevoir la ravissement produit par le « sainct amour » : » voyez, je vous prie, cet homme pris et serré par

attention à la suavité d’une harmonieuse musique, ou bien à la niaiserie d’un jeu de cartes… », c. m ; « et c’en est de mesme en la très-infame extase ou abominable ravissement qui arrive à l’ame… ; on dit qu’elle est en l’extase sensuelle… comme dit l’un des plus grands philosophes, l’homme estant en cet accident semble estre tombé en épilepsie, tant l’esprit demeure absorbé et comme perdu », c. 4 ; « les philosophes mesmes ont recogneu certaines espèces d’extases naturelles, faictes par la véhémente application de l’esprit à la considération des choses plus relevées. » C. vr. — Il peut donc y avoir de fausses extases : « on a veu en nostre âge plusieurs personnes qui croyoient elles-mesmes, et chacun avec elles, qu’elles fussent fort souvent ravies divinement en extase et enfin toutefois on descouvroit que ce n’estoient qu’illusions et amusement diaboliques », c. vi ; aussi saint François propose « deux marques de la bonne et saincte extase » ; l’une de ces deux marques est ce qu’il appelle « l’extase de l’œuvre et de la vie » ; c’est « une vie surhumaine, spirituelle, dévote, et extatique, c’est-à-dire, une vie qui est en toute façon hors et au-dessus de nostre condition naturelle. » Ibid. — « Bienheureux sont ceux qui vivent une vie sur-humaine, extatique, relevée au-dessus d’euxmesmes, quoy qu’ils ne soyent point ravis au-dessus d’eux-mesmes en l’oraison. Plusieurs saincls sont au ciel, qui jamais ne furent en extase ou ravissement de contemplation. Car combien de martyrs et de grands saincts et sainctes voyons-nous en l’histoire n’avoir jamais eu en l’oraison autre privilège que celuy de la dévotion et ferveur ? » C. vii, Saint François de Sales, comme sainte Thérèse, admet donc que les grâces mystiques ne sont point nécessaires pour parvenir à la sainteté.

7. « Du supresme effecl de l’amour affectif, qui est la mort des amans », c. ix-xiv. — - « L’amour est fort comme la mort. La mort sépare l’ame du mourant d’avec son corps…, l’amour sacré sépare l’ame de l’amant d’avec son corps… ; et il n’y a point d’autre différence, sinon en ce que la mort fait tousjours par efîect ce que l’amour ne fait ordinairement que par l’affection (désir). Or, je dis ordinairement, Theotime, parce que quelquefois l’amour sacré est bien si violent, que mesme par effect il cause la séparation du corps et de l’ame, faisant mourir les amans d’une mort tres-heureuse qui vaut mieux que cent vies. » C. ix. Et saint François distingue trois manières dont l’amour fait mourir les amans : la mort « en amour », la mort « par l’amour et pour l’amour » et la mort « d’amour ». Sur l’espèce de réduction des phénomènes mystiques aux conséquences « naturelles », psychologiques et même physiologiques, de l’amour divin, opérée par saint François de Sales, voir dom Mackey, Introduction au Traité de l’Amour de Dieu, p. xux, Œuvres de saint François de Sales, édition d’Annecy, t. iv ; et H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France…, t. ii, p. 578, note.

IV. CONCLUSION. DIVERSITÉ DES PHÉNOMÈNES

mystiques. — Dans l’enquête qui précède, nous n’avons pas eu la prétention d’épuiser l’étude psychologique des phénomènes mystiques. Pour ce faire, il ne suffirait pas de s’adresser à quelques mystiques catholiques orthodoxes ; il faudrait envisager tous les mystiques, à quelque religion qu’ils appartiennent ; on trouvera quelques indications sur les mystiques non chrétiennes (néoplatonicienne, hindoue, musulmane, profane, etc.) dans Maréchal, Éludes sur la psychologie des mystiques, t. i, p. 223-227 : (le t. h doit comprendre une étude sur Le problème de la grâce mystique en Islam, d’après les travaux récents de M. Louis Massignon, et deux études sur La mystique comparée, et sur le Yogismc). « On sait quel écho prolongé le néo platonisme eut au Moyen Age : à des titres divers et par des voies diverses, philosophes ou mystiques en furent tributaires, de Jean Scot Érigène à Tauler et Ruusbruec, en passant par… Eckart, brillants théoriciens qui n’étaient point d’ailleurs étrangers aux expériences transcendantes, et par toute une pléiade de dévotes personnes des deux sexes, adonnées à la pratique de la contemplation, mais ne dédaignant point de disserter à leurs heures sur la perte de l’âme dans l’Unité. » Maréchal, op. cit., p. 228-229. « Non seulement les philosophes ont défini et décrit la mystique d’après leur propre système, mais les mystiques eux-mêmes construisent sur des présupposés métaphysiques et psychologiques déterminés, la description de leurs événements intérieurs. On voit dès lors combien la connaissance de ces philosophoumena est importante pour la véritable intelligence de la mystique. » Revue d’ascétique et de mystique, 1925, p. 78, à propos du livre de Joseph Bernhart, Die philosophische Myslik des Miltelallers. A lire aussi le chapitre Mysticisme dans l’Expérience religieuse de W. James, et divers chapitres de la Psychologie du mysticisme religieux, de J.-H. Leuba. Le nom de soufi serait « réservé dans la terminologie islamique aux représentants de l’esprit ascétique qui ont subi dans leurs conceptions religieuses une influence déterminée, l’influence néoplatonicienne », Revue des sciences phil. et théol., 1921, p. 438, quoique des influences hindoues s’y fassent aussi sentir, p. 439 ; « la possibilité de l’influence du sufisme islamique sur la mystique chrétienne a été admise nouvellement par Carra de Vaux », ibid., p. 438 note.

On a noté aussi que la philosophie plotinienne s’infiltra jusqu’aux Indes, pour y atteindre les commentateurs médiévaux du Vêdànta. Sur la mystique de Plotin, lire l’étude de J. Souilhé, Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 179-195, à propos des thèses de René Arnou ; sur Proclus, l’une des sources de Tauler, voir Revue des sciences phil. et théol., 1921, p. 196, 210-212 ; sur le « silence mystique » dans les philosophes grecs, l’article de J. Souilhé, Revue d’ascétique et de mystique, 1923, p. 128-140. Enfin, si l’on veut se faire une idée sommaire de la mystique musulmane, que l’on se reporte au Bulletin de science des religions de la Revue des sciences phil. et théologiques, notamment 1921, p. 437-443 (à propos des ouvrages de Goldzieher et de Frick sur Al-Ghazàlî), 1922, p. 482488 (à propos des Études sur la mystique islamique de Nicholson), et 1923, p. 375-384 (à propos des thèses de M. Massignon sur La passion d’Al-Hosayn-ibn-Mansour, al-Hallâj, martyr mystique de l’Islam).

Mais à qui voudrait même n’étudier que les mystiques catholiques orthodoxes, une enquête chez les théoriciens de la mystique ne suffirait pas encore ; il resterait à scruter les biographies des mystiques ; on trouvera les éléments de cette étude descriptive dans des ouvrages comme ceux de Gôrres, de Ribet, de Poulain et de Bremond. La méthode à suivre dans cette vaste enquête est formulée par le R. P. Pinard, dans l’Élude comparée des religions, t. H, c. vii ; il est bien évident que, pour procéder d’une manière scientifique, il faut partir de l’examen minutieux de chaque phénomène mystique rapporté par le sujet qui l’a éprouvé (fiches documentaires) ; de là on s’élèvera à la monographie ; on notera l’apparition successive des divers phénomènes dans le cours d’une vie, en tenant compte de toutes les circonstances qui ont accompagné la production de ces phénomènes ; voir par exemple la série des états mystiques de sainte Thérèse de 1562 à 1572, dans R. Hoornært, Revue des sciences phil. et théol., 1924, p. 22-23 ; de Madeleine Semer dans F. Klein ; de Mlle Vé dans Th. Flournoy, Une mystique moderne, cité par J.-H. Leuba, Psychologie du

mysticisme religieux, p. 334-348. La statistique enfin permettrait de répondre à certaines questions concernant l’apparition des phénomènes mystiques suivant le sexe, l’âge, la profession, les régions, les époques.

Xous ne pouvons pas ici entrer dans toutes ces questions ; mais il nous semble que de notre enquête psychologique, si sommaire soit-elle, une conclusion se dégage : c’est qu’il existe divers phénomènes mystiques et qu’en psychologie du moins, il n’y a pas d’ « état mystique », dont il s’agirait de déterminer les caractéristiques essentielles, ni même, à proprement parler, de « phénomène essentiel », et de « phénomènes acidentels » ; le psychologue constate divers phénomènes mystiques, il ne connaît pas d’état mystique « en soi ». Énumérons-les sommairement.

1° L’intuition de Dieu ou des choses divines. — C’est le premier phénomène mystique que nous ayons rencontré. Il faut lire à ce sujet l’article du R. P. Maréchal. L’intuition de Dieu dans la mystique chrétienne, dans les Recherches de science religieuse, 1914, p. 145-162.

La conviction que certains mystiques sont favorisés d’une véritable intuition de Dieu est « formellement exprimée dans le courant mystique qui traverse le Moyen Age, à partir des Victorins jusqu’aux mystiques germano-néerlandais, en passant par la métaphysique et la théologie thomistes ; … ( elle se retrouve) dans l’expression naïve des contemplatifs étrangers aux subtilités des théologiens… », p. 158. Le R. P. Reypens s’est efforcé de montrer que l’intuition de Dieu constituait bien « le sommet de la contemplation mystique » chez le bienheureux Jean de Ruusbroec et chez ses continuateurs, Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 249-272 ; 1923, p. 256-271 ; 1924, p. 33-59 ; il nous promet une suite à ces articles : « en étudiant à leur tour les influences subies par Ruusbroec lui-même, nous constaterons de plus en plus clairement l’existence, chez les grands contemplatifs, d’une véritable tradition, d’après laquelle une intuition transitoire de l’essence divine est possible icibas, et est en fait accordée à quelques âmes d’élite ». Ibid., 1924, p. 59. C’était aussi la conclusion de Bemhart : « Le degré de l’union avec Dieu, accessible ici-bas, est, chez saint Augustin et les penseurs qui subissent son influence, si élevé qu’ils admettent un véritable videre Deum quoiqu’aucun comprehendeie, tandis que saint Thomas, sauf pour le cas du raplus, le réserve pour l’au-delà. « Revue d’ascétique et de mystique, 1925, p. 76. Walter Hilton semble aussi admettre une certaine intuition de Dieu dans la contemplation supérieure ; cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1924, p. 180.

Notons cependant que Denys le Chartreux, « quand il ne se dérobe pas aux explications, n’interprète jamais dans le sens de l’intuition mystique de l’essence divine (le sommet de la contemplation mystique de Ruusbroec). Dans les plus hautes élévations de Ruusbroec, il ne voit que la contemplation diony sienne… » Ibid., p. 48. Quant à cette contemplation dionysienne, saint Bonaventure n’y voit guère que ce que nous appelons l’oraison affective, qui ne rentre pas dans la mystique proprement dite : Hœc enim est, in qua mira bili ter inftammatur affeclio, sicut eis palet qui aliquoliens consueverunt ad anagogicos elevari excessus. Ilunc modum coqnoscendi arbilror cuilibet viro juslo in via isla esse queerendum ; quod si Deus aliquid ultra faciet, hoc privllegium est spéciale, non legis commuai*. In //"’" Sent., dist. XXII, a. 2, q. iii, ad 6°’". Kllc ferait partie « de ces états mystiques élémentaires, accessibles à toute bonne volonté moyenne », dont parle le P. de Grandmaison, Études, 5 mal 1913, i | 319

2° La connaissance dite expérimentale ou quasiexpérimentale de Dieu ou des choses divines. - C’est

le phénomène mystique par excellence, selon le fameux texte de l’Aréopagite : où(i.ôvov^.a6à>v, àXXà xat7rx6d>v -rà Osîa, De div. nom., c. ii, § 3, P. G., t. iii, col. 648. f Aristote caractérisait déjà par le i : aGeïv opposé au jj.a6etv la connaissance acquise par les initiés ; mais, à rencontre du Pseudo-Denys, il n’y voyait pas précisément une supériorité : toùç TeXoojjtévooç où u.oc0elv xi Seïv, àXXà roxôeïv xai 81aT£09)va(. r cité par Baruzi, Saint Jean de la Croix, p. 236). Saint Bonaventure estime lui aussi quod respeclu objecti increati nobilior est modus apprehendendi pei modum taclus et amplexus quam per modum visus et intuilus ; cité par le P. Éphrcm Longpré, La théologie mystique de saint Bonaventure, p. 13, tiré à part d’une étude parue dans V Archivum franciscanum historicum, t. xiv, 1921, fasc. i-n. « Touche et étreinte » ou de Dieu par l’homme ou plutôt de l’homme par Dieu, « contact » de Dieu, « union » à Dieu dans un sens tout spécial, sentimer.t de la présence de Dieu en soi, autour de soi, sentiment, voire même sensation de Dieu… telles sont quelques-unes des expressions par lesquelles les mystiques traduisent une expérience ineffable, une communication secrète, mystérieuse, de leur être avec Eieu.

Cette « expérience » de Dieu est longuement décrite par le P. Poulain, Des grâces d’oraison, 2e partie, c. v et vi ; elle est finement analysée et résumée par le P. de Grandmaison, Éludes, 5 mai 1913, p. 323-330, et, d’après lui, par Bremond, Hist. lillér du sentiment religieux en France, t. ii, p. 585-589. C’est elle aussi que Farges nomme « le phénomène essentiel de la vie mystique : l’oraison infuse de contemplation’», dont il étudie la nature et l’objet principal, Les phénomènes mystiques, t. i, p. 58-104. Si l’on en croit dom Butler, cette « contemplation », qui « consiste en une certaine vision et jouissance de la présence de Dieu, en une union directe avec Lui », serait l’élément mystique de la vie spirituelle en Occident de saint Augustin à saint Bernard ; cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1923, p. 382-385. Pour saint Bernard, en particulier, la contemplation proprement mystique consiste « en un contact expérimental avec Dieu. C’est Dieu lui-même, c’est le Verbe qui se rend présent à l’âme : l’âme, passive sous la main de Dieu et élevée au-dessus d’elle-même, aperçoit, ou plutôt entrevoit, soupçonne quelque chose de l’être de Dieu, sans intermédiaire, dans une expérience directe : Verbum adest. Tout se passe néanmoins dans l’obscurité. Ce n’est pas un cernere, mais un sentire. » Vie spirituelle janv. 1925, p. [93], compte rendu de l’étude du D r R. Linhardt, Die Mystik des hl. Bcrnhard von Clairvaux.

3° Le « sentiment de présence », tel que le décrit sainte Thérèse, Château, VI D., c. viii, voir col. 2634. Il ne faut pas le confondre avec l’expérience précédente, ni avec ce que nous nommons communément le sentiment de la présence de Dieu, qui n’est pas à vrai dire un sentiment, mais un souvenir permanent, une attention spontanée qui nous maintient « en la présence de Dieu ».

Il faut prendre garde à l’imprécision du langage des mystiques ; « sentir » ne signifie souvent chez eux (lue comprendre, croire, èlre convaincu ; voir, par exemple, le texte de sainte Catherine de Sienne cité par le I’. Garrigou-Lagrange, Perfection chrétienne et contemplai ion, I. i, p. 200. — Le sentiment de présence dont il s’agit maintenant se caractérise par une localisation précise de l’objet dont, on sent la présence. Cf. Y..lames. L’expérience religieuse, c. m ; Leuba, Psychologie du mysticisme religieux, c. xi ; Maréchal, Éludes sur la psychologie des mystiques, t. i, p. 67-179, .1 propos du sentiment de présence chez les profanes et chez les mystiques.

Les connaissances distinctes.

Les mystiques C46

nous déclarent à l’envi que Dieu éclaire leur intelligence de si vives lumières sur les vérités de la foi, même sur les plus profonds mystères, en particulier sur le mystère de la Sainte Trinité, qu’il semblerait que pour eux la foi a fait place à la vue. Tune agnoscemus quam vera nobis credenda imperala sint, quamque oplime ac saluberrime apud matrem Ecclesiam nutrili fuerimus. Saint Augustin, De quantitate animée, c.xxxiv, P. L., t. xxxii, col. 1077. Sur cette « connaissance mystique », qu’il distingue de 1’ « expérience mystique », cf. Bremond, op. cit., p. 592-595 ; Joret, La contemplation mystique, c. v, A l’école du maître intérieur.

Les paroles intérieures.

« On distingue avec

raison l’oraison mystique (c’est-à-dire 1’ « expérience mystique » ) des faits merveilleux tels que les visions ou les paroles intérieures. Je dois dire cependant que, des mystiques que j’ai rencontrés, la plupart avaient été favorisés soit de visions, soit de paroles intérieures, soit des unes et des autres. Je crois pouvoir dire aussi que l’affinité est plus intime entre l’oraison mystique et les paroles intérieures qu’entre la même oraison et les visions, Ainsi, d’abord, je ne pense pas avoir rencontré un seul cas de parole intérieure qui n’ait été le prodrome ou l’accompagnement d’une oraison mystique… Un autre fait qui m’incline à voir une affinité particulière entre les paroles intérieures et l’oraison mystique, c’est que les états mystiques supérieurs ressemblent parfois singulièrement à de véritables paroles… A entendre certaines confidences, on se demande si les états mystiques supérieurs ne seraient pas une sorte de parole intérieure diffuse et continue. » P. S., Revue d’ascétique et de mystique, 1921, p. 402. Une variété des paroles intérieures, dont sainte Thérèse ne les distingue pas, constitue les révélations ou prophéties.

Les visions intérieures.

 Nous avons fait remarquer,

à propos d’une vision de la Sainte Trinité que sainte Thérèse qualifie d’intellectuelle, qu’il semble bien qu’il s’agisse d’une vision « imaginaire ». Ne parlons donc plus devisions intellectuelles, ou donnons leur un autre nom. Cf. Farges, op. cit., t. ii, p. 26-34. Nous ne sommes pas obligés de maintenir toujours la terminologie des mystiques.

7° La « passion » de l’amour divin. — C’est un des phénomènes mystiques les plus constants, si bien que beaucoup de théoriciens de la mystique y veulent reconnaître « l’élément caractéristique » de l’état mystique, en particulier le P. de la Taille, cf. Revue des sciences phil. et théol., 1922, p. 713. Il se rencontre particulièrement, mais non exclusivement, chez les femmes, cf. supra, Hadewijch, sainte Thérèse ; et l’en sait qu’il a fait naître le problème de l’érotisme des mystiques, cf. M. de Montmorand, Psychologie des mystiques, c. iii, Êrotisme et mysticisme ; G. Etchegoyen, L’amour divin, p. 307-315 ; Maréchal, Revue d’ascétique et de mystique, 1926, p. 82-85.

8° Les goûts, délices, jouissances, consolations, quand ils apparaissent nettement comme « surnaturels ». On pourrait, à la rigueur, les considérer comme une des multiples formes de 1’ « expérience mystique ». Saint Thomas estime que ces « goûts spirituels » constituent une certaine expérience de la présence de Dieu en nous. Summa theol., I a -II a, q. cxii, a. 5 : cf. Gardeil, La structure de l’âme et l’expérience mystique, t. ii, p. 187-190.

9° L’union transformante, l’identification de l’homme avec Dieu, V « état théopathique. » — Quoi qu’on en pense, il faut bien reconnaître que les mystiques, même orthodoxes, ont professé que le sommet de l’état mystique consiste dans une certaine identification de l’homme avec Dieu.

Nous avons entendu sainte Thérèse nous dire « que l’âme, ou plutôt l’esprit de l’âme, devient, selon qu’on en peut juger, une même chose avec Dieu ». Château, VIIe D., c. ii, p. 324. Elle n’est que l’écho d’une longue tradition. Pour ne rien dire d’Eckhart, voir en Denzinger-Bannwart les n. 510-513, 520-522, cf. G. Théry, Contribution à l’histoire du procès d’Eckhart, dans la Vie spirituelle, janv. et mars 1924, mai 1925, janv. 1926 (à suivre) ; qu’on lise Ruusbroec ; « Quand nous avons une vie contemplative… moyennant l’information transformante de Dieu, nous nous sentons engloutis dans un abîme sans fond de notre béatitude éternelle, où nous ne pouvons trouver de distinction entre Dieu et nous. Car c’est là notre perception suprême, que nous ne pouvons posséder qu’en écoulement d’amour », cité par Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 264. « Tous les hommes qui sont élevés au-dessus de leur être créé dans une vie contemplative, sont un avec celle Clarté [le Verbe ] et ils sont celle Clarté même. Et ils se voient et se sentent et se trouvent eux-mêmes… être, selon leur essence non créée, ce même fond simple [l’essence divine] d’où la Clarté sans mesure luit selon le mode divin, et où elle reste éternellement sans mode selon la simplicité de l’essence. » Ibid., p. 258.

La métaphysique intervient évidemment dans la traduction de l’expérience et dans son interprétation ; il reste cependant que Ruusbroec se réfère à l’expérience : il parle d’une « perception suprême », d’un sentiment de notre identification avec Dieu. Cf. Waffelært, L’union de l’âme aimante avec Dieu… d’après la doctrine du bienh. Ruusbrouck. Voici W. Hilton : « à ce moment, du moins, son âme devient une seule chose avec Dieu, elle est transformée à l’image de la Trinité », cité Revue d’ascét. et de myst., 1924, p. 180. Enfin Hadewijch, nourrie de néo-platonisme, cf. ibid., p. 288, distingue trois degrés dans la vie d’amour : « le premier, c’est de servir l’Amour dans la pratique des vertus ; le second, c’est de sentir l’Amour au-dessus du tumulte des actes et des vertus, dans une concentration amoureuse de l’âme ; le troisième, c’est d’être Amour, ce qui dépasse tout », p. 287. Voir ci-dessus col. 2612.

10° Les épreuves mystiques ou les « purifications passives ». — Elles constituent ce qu’on peut appeler l’état mystique négatif. Elles donnent « le sentiment de l’absence de Dieu ». Théodore de Saint-Joseph, Essai sur l’oraison selon l’école carmélitaine, p. 97.

Les théoriciens qui caractérisent « l’état mystique » par le sentiment de la présence de Dieu et qui veulent cependant maintenir les « Nuits » de saint Jean de la Croix parmi les états mystiques, font observer que ce saint « nous dit lui-même que les âmes, dans la Nuit de l’esprit, sentent Dieu en elles-mêmes (Nuit, 1. II. c. xvii). Et, de fait, le vide que creuse dans l’âme cet état d’aridité et d’obscurité, est, si l’on peut dire, un vide attirant… Dieu est là et, sans se faire voir, il étreint l’âme et se l’unit plus étroitement que dans nombre de faveurs plus claires. » Rev. d’ascét. et de myst., 1923, p. 168. — Pour que ces « épreuves » puissent être retenues comme états mystiques, « ayant Dieu pour auteur », il faudra évidemment qu’elles ne puissent pas être attribuées à la mélancolie, à un abaissement du tonus vital. Cf. W. James, L’expérience religieuse, c. v, Les âmes douloureuses ; G. Truc, La grâce, c. iii, Les étals mystiques négatifs ; M. de Montmorand, op. cit., p. 32-47.

11° Les phénomènes mystiques corporels : extase ou ravissement, lévitation, stigmates, etc. Nous entendons ici par extase non un état mystique déterminé, ni a fortiori l’état mystique par excellence, mais certains phénomènes corporels qui affectent parfois les personnes favorisées de grâces mystiques. Cf. Farges, op. cit., t. ii, p. 162-178. J 2U47

    1. MYSTIQUE##


MYSTIQUE, EXPLICATION DES PHÉNOMÈNES

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II. Philosophie ou apologétique de la mystique. — Scire est scire per causas. C’est à la philosophie qu’il appartient de se prononcer sur les causes. Cf. Maréchal, Études sur la psychologie des mystiques, t. i, p. 53-G5 ; Pinard, L’étude comparée des religions, t. ii, p. 323-361. Le problème philosophique de la mystique porte sur l’objectivité ou la subjectivité des états mystiques : est-ce bien Dieu que nous atteignons ou qui nous étreint, et comment pouvons-nous le savoir ? Une critique de l’expérience mystique s’impose.

Pour la mener à bonne fin, il nous faut limiter le problème à ce que nous appellerons la mystique surnaturelle. Il existe, et peut-être même en avons-nous rencontré des traces dans notre enquête psychologique, notamment chez saint Augustin, disciple des néo-platoniciens et chez saint Jean de la Croix, cf. Baruzi, op. cit., p. 396, note, une mystique naturelle, c’est-à-dire la recherche d’une connaissance expérimentale, d’une intuition, de la Réalité divine cachée derrière les phénomènes extérieurs ou intérieurs. Il existe même une philosophie, ou mieux des philosophies mystiques, intuitionnistes, qui reconnaissent en nous, à côté de notre chétive raison discursive, de mystérieuses facultés d’intuition du Réel ; cf. Baudin, Revue des sciences religieuses, 1923, p. 520-537 ; V. Cousin, Du vrai, du beau et du bien, V 8 leçon.

Les phénomènes mystiques dont nous voulons nous occuper sont ceux qui revendiquent une origine divine, « surnaturelle », au sens où sainte Thérèse, qui n’était pas théologienne, entendait ce mot, c’est-à-dire miraculeuse. Cf. Clâteau, VIe D., c. vii, p. 271. Le phénomène mystique se présente comme une véritable c révélation », comme une réponse de Dieu au désir naturel de l’homme de « voir » Dieu, de ne plus traiter avec Lui seulement à travers le voile de la foi, mais « face à face », autant du moins que cela est possible en la vie présente. — Notons, à titre de simple curiosité, que saint Thomas a reconnu ce caractère « surnaturel » des phénomènes mystiques en les rangeant parmi les grâces dites gratis datas. Summa theol., IIa-IIæ, en tête de la q. clxxi.

I. QUESTIONS PRÉALABLES, OU QUESTIONS DE PRINCIPES ET DE MÉTHODE CONCERNANT LE CARAC-TÈRE « SURNATUREL » DES PHÉNOMÈNES.MYSTIQUES.

— 1° Spécificité des (ails mystiques surnaturels. — Sur cette question : existe-t-il, doit-il nécessairement exister, dans la phénoménologie même des faits mystiques surnaturels, des éléments qui les différencieraient des faits mystiques naturels ? il semble qu’on remarque quelque flottement dans la pensée des théoriciens catholiques de la mystique.

La question a été soulevée déjà et résolue, par l’affirmative à l’article Expérience religieuse, t. v, col. 1859-60, par le P. Pinard ; cf. du même auteur, L’étude comparée des religions, t. i, p. 421-425. Le P. Maréchal est nettement du même avis, au moins en ce qui concerne « l’intuition de Dieu dans la mystique chrétienne » ; cf. Rechercl es de science religieuse, 1 911, p. 161 : « I.a su niai ural i té, et donc aussi le caractère spécifiquement chrétien, de l’intuition directe de Dieu, résulte de la phénoménologie même de cet état, où l’expérience devient transcendante et atteint le sommet de l’Être, tandis que les états mystiques inférieurs, lois même qu’ils sont ontologiquement surnaturels, et de la sorte spécifiquement chrétiens, ne diffèrent pas radicalement, par leurs seuls caractères empiriques, d’états similaires qui se rencontrent en dehors du christianisme. » Cf. du même auteur, Eludes sur lu psychologie tira mystiques, passtm, cl notamment p. 52-53, 163, 253. Mais, tout en estimant que la haute contemplation implique un élément nouveau, qualitativement distinct des activités psy- |

chologiques normales et de la grâce ordinaire », il reconnaît qu’il « n’est pas interdit, même à des catholiques, de ramener les états mystiques supérieurs à un simple accroissement quantitatif de la puissance psychologique normale et de la grâce surnaturelle ordinaire ». Ibid., p. 253. « Pourtant, si la théologie ne se montre point ici très exigeante, il faut avouer que l’opinion commune de ses maîtres les plus écoutés est plutôt défavorable à l’hypothèse d’un état mvstique purement psychologique quoad se, ou, si l’on veut, dans la nature de son contenu. » P. 176.

Qualitativement ou quantitativement il n’importe ; dans l’un et l’autre cas, on reconnaîtrait encore aux phénomènes mystiques un caractère surnaturel, empiriquement constatable. Le P. de Munnynck, cité par Maréchal, p. 175, note, en convient : mullis in casibus hsec conlemplatio sanctorum, etsi, saltem parlim, naturalis quoad suum esse, supernaturalis tamen videtur pronuntianda quoad modum, quo ad illam perveniunt. Ne va-t-on pas plus loin ? Ne laisse-t-on pas entendre qu’en bien des cas, que dans la plupart des cas, aucun élément psychologique ou empirique ne permettrait de déceler l’origine divine des phénomènes mystiques « surnaturels » ? Surnaturels, ils le seraient encore, mais au sens théologique du mot, en tant qu’il s’oppose à préternaturel, non plus au sens vulgaire du mot, où il est synonyme de miraculeux.

Telle paraît être la tendance de la nouvelle école catholique en matière de théologie mystique, cf. Garrigou-Lagrange, Perfection chrétienne et contemplation, passim : « la question discutée dans le présent ouvrage peut se réduire à ceci : La vie mystique appartient-elle à la catégorie de la grâce sanctifiante des vertus et des dons ou à celle relativement inférieure du miracle et de la prophétie ? » P. 60.

Cette position demeurerait le dernier refuge inexpugnable où- pourrait s’enfermer le théologien, si le psychologue parvenait à démontrer qu’il n’est rien dans les phénomènes mystiques considérés jusque-là comme « surnaturels » qui ne puisse s’expliquer naturellement : « La psychologie expérimentale a-t-elle réussi à montrer l’exacte conformité des lois psychologiques dans l’ordre religieux et dans l’ordre profane ? Bien des critiques estiment le contraire. Admettons cependant qu’elle l’ait fait. Une double hypothèse resterait possible : l’activité humaine s’exerce seule, ou la force (supérieure ou surnaturelle) qui lui est unie (habituellement ou par à-coups) respecte son jeu normal. En ce dernier cas, l’action de cet agent supérieur serait empiriquement indiscernable. Puisque cette seconde hypothèse s’accorde aussi bien avec les faits, la porte demeure ouverte à une explication transcendante. » Pinard, op. cit., p. 430. En sommes-nous réduits là ? il ne le paraît pas encore.

2° Liberté relative laissée au psychologue catholique dans l’examen critique des phénomènes mystiques surnaturels. — Les auteurs catholiques reconnaissent au psychologue la plus grande liberté dans l’examen des faits mystiques, pourvu qu’il admette théoriquement la possibilité, de communications extraordinaires entre Dieu et l’âme humaine. « La théologie admet comme certaine, en ce sens qu’il y aurait témérité à professer une autre opinion, non seulement la possibilité, mais l’existence de communications extraordinaires entre Dieu et l’Ame humaine… Par contre, en dehors du bénéfice indirect de cette affirmation générale, aucune garantie absolue n’est offerte du caractère surnaturel des états et révélations de tel ou tel mystique en particulier. L’approbation donnée par l’Église à quelques écrits de contemplatifs n’entraîne, connue l’a déclaré formellement Benoit XIV, aucune assurance de ce genre… » Maréchal, op. cit., p. til. « On comprend le point de vue de

i’Église catholique dans l’appréciation des états de ce genre. Sans doute, elle en admet, d’une manière générale, la possibilité et même l’existence. Mais comment va-t-elle diagnostiquer les cas concrets ? Leur mécanisme ne l’intéresse pas… Les degrés mystiques furent-ils pour un pieux personnage une échelle de sainteté ? Sont-ils conformes à l’idéal évangélique ? L’Église approuvera, convaincue que tout effet bon et salutaire fut secondé par la grâce divine. » Ibid., p. 256. « Il pe s’agit donc pas tant pour l’Eglise de déclarer, par l’examen psychologique des phénomènes subis par le sujet, que Dieu est intervenu ici ou là, à coup sûr, et de statuer scientifiquement sur le mode mystérieux de ses communications. Non ! elle laisse là-dessus une grande latitude aux systèmes d’explication. Ce dont elle juge, c’est de l’effet produit, l’accroissement des vertus et la sainteté morale. » J. Pacheu, L’expérience mystique et l’activité subconscient*, p. 156.

Aussi les auteurs catholiques se montrent-ils fort réservés lorsqu’il s’agit de formuler des conclusions sur le caractère surnaturel, et donc sur la « vérité », de telles ou telles expériences mystiques. « Dans son Épilogue, do m Butler se demande si les prétentions des mystiques, à savoir qu’à certains moments… l’âme est en relation intime et immédiate avec Dieu, si ces prétentions sont fondées. Il avoue que les mystiques catholiques se trouvent en assez mauvaise compagnie et qu’il semble qu’au premier aspect, à la question ainsi posée, on devrait répondre videtur quod non. Mais (en mettant à part tous les faux mystiques), il nous reste un bon nombre de témoins dont le témoignage semble irrécusable… Ce qu’ils affirment avoir éprouvé, cette union de leur âme avec Dieu, n’est contraire ni à l’enseignement du Nouveau Testament, ni à celui de la théologie, ni même à celui de la philosophie naturelle. Les conséquences de cette doctrine, non seulement n’ont pas abouti au quiétisme, dans les vrais mystiques, mais elles les ont élevés, purifiés, sanctifiés. Tout cela ne semble pas illusion. » Revue d’ascétique et de mystique, 1923. p. 386. Conclusion bien modeste et qui laisse la porte ouverte à l’hypothèse qu’on exclut. M. Bremond n’en dit pas davantage : « Je n’ai pas à démontrer scientifiquement la valeur du témoignage des mystiques. Pour ma part, leur seule histoire m’assure que dans l’ensemble ils ne peuvent être ni des simulateurs ni des visionnaires. » Hist, lilt. du sentiment religieux, t. ii, p. 587.

Nous n’en pouvons rester à ce jugement sommaire, à ces présomptions du caractère surnaturel des expériences mystiques de nos saints même les mieux équilibrés. Le surnaturel ne se préjuge pas, il se prouve. « Affirmer que de tels effets, irréductibles aux lois psychologiques, existent, vu que Dieu existe, ou nier qu’il en existe, parce que Dieu n’existe pas ou parce qu’il ne peut modifier le cours des lois communes, ce sont là manifestement deux apriorismes philosophiques, à écarter également. Toute la question est une question de fait. En existe-t-il ? » Pinard, op. cit., t. ii, p. 339.

Et nous devrons nous montrer sévères dans la critique des expériences mystiques, pour ne point fournir occasion, ainsi que s’exprimait saint Thomas, Summi theoi, I 1, q. xi.vi, a. 2, au sourire des iniidèles, si nous nous contentions de preuves insuffisantes. Peut-être, sûrement même, devrons-nous en cette matière, réviser nos jugements à la lumière des progrès incontestables des sciences psychologiques, et renoncer à considérer comme surnaturels des faits que nous avions jusqu’ici tenus pour tels : « cette science (la psychologie) reste sur son propre terrain, en essayant d’évaluer dans les phénomènes religieux ce qui est explicable par des causes toutes naturelles. Cette recherche est particulièrement utile, en un domaine

où la prudence avertit que bien des illusions sont à redouter, chez les théoriciens comme chez les simples : il est trop flatteur et il n’est que trop aisé de s’imaginer en relation intime, constante ou du moins fréquente avec des êtres supérieurs ou divins. » Pinard, loc. cil., p. 336 ; les pages qui suivent donnent quelques exemples des réductions opérées par la psychologie contemporaine dans le domaine du mystique.

Ce qui nous met à l’aise c’est que, dussions-nous en fin de compte renoncer à discerner sûrement de vrais phénomènes mystiques, théoriquement ni pratiquement nous n’y perdrions rien. Nous pouvons donc entreprendre sans crainte l’examen des explications naturelles qui ont été données des phénomènes mystiques, et des critères qui ont été apportés pour le discernement de la mystique « divine » ou surnaturelle.

II. TOUS LES PHÉNOMÈNES MYSTIQUES S’EXPLI-QUENT-ILS PAR DES CAUSES S AT V PELLES ? — On

ne peut contester la justesse des exigences formulées au sujet de cette question par J.-II. Leuba, Psychologie des phénomènes religieux. La lâche de la psychologie dans l’élude de la vie religieuse, p. 318325 : « Si des facteurs suprahumains s’exercent dans l’expérience humaine, il n’y a d’autre moyen de les découvrir que les moyens de la science. » P. 289. « Il est naturellement possible d’affirmer théoriquement la présence dans l’expérience religieuse d’éléments psychologiques spéciaux et de formes de conscience spéciales », p. 318 ; « ce sont là des possibilités, mais, notons-le bien, c’est à la science qu’il appartient de démontrer que l’une quelconque de ces possibilités est devenue, à un moment particulier, une réalité… Qui donc est autorisé à faire la distinction entre ce qui est humain et ce qui est suprahumain ?… Si quelqu’un est autorisé à faire la distinction en question, c’est le psychologue. Si quelqu’un peut indiquer les points où des facteurs inconnus interviennent dans le système psycho-physiologique, c’est lui. » P. 320321.

Or Leuba ajoute : « dans les vies religieuses accessibles au psychologue, il ne s’est rien trouvé qui oblige à reconnaître des influences suprahumaines. Il n’y a rien, par exemple, dans la vie de la grande mystique espagnole — pas un désir, pas un sentiment, pas une pensée, pas une vision, pas une illumination — qui puisse faire songer sérieusement à des causes transcendantes. » P. 323. Voilà le problème nettement posé. La solution en est-elle aussi simple que l’affirme notre psychologue ?

Donnons-nous du large d’abord : nous ne sommes pas tenus de reconnaître le caractère surnaturel de tous les phénomènes mystiques que présentent les biographies des mystiques orthodoxes. « L’Église n’est pas suspecte de complaisance exagérée pour les visionnaires. .. et elle se montre d’une extrême prudence en ce qui touche l’appréciation des révélations privées, qui sont comme le contenu des visions et des paroles surnaturelles… Aussi bien les révélations privées fourmillent d’erreurs : beaucoup se contredisent entre elles ; la plupart sont, au témoignage de Benoît XIV, citant Lancicius, parsemées d’hallucinations, magnis hallurinutionibus respersse… » Montmorand, op. cit., p. 109110. « Pratiquement, pour les personnes qui ne sont pas arrivés à une haute sainteté, on peut, sans imprudence, admettre que les trois quarts au moins de leurs révélations sont des illusions. » Poulain, Des grâces d’oraison, 5° édition, 1906, p. 317. Cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1923, p. 388, une déclaration du Saint-Office du 31 mai au sujet de « phénomènes de bilocation, de cures réputées miraculeuses et de stigmatisation » présentés par le P. Pio da Petïalcina.

Certains théologiens vont très loin dans la voie des

concessions : distinguant « l’état mystique supérieur (qui) se présente partout comme une intuition du divin, ou du moins du transcendant » et les états ou phénomènes mystiques inférieurs, qui comprendraient donc tous les phénomènes mystiques qui ne seraient pas cette « intuition » ; ils ne craignent pas de déclarer que « ceux-ci, pour autant qu’on les peut connaître du dehors, semblent de même nature que les manifestations psychologiques normales, et ne se dérobent pas complètement au déterminisme expérimental » : et même, en ce qui concerne l’état mystique supérieur, ils avouent qu’ « à en juger seulement par les descriptions faites et les prétentions émises, cet état, très caractérisé chez les mystiques chrétiens, trouve son analogue, sinon son correspondant exact, en dehors du christianisme et même en dehors de toute foi religieuse ». Maréchal, op. cit., p. 144-145. Et voilà qui rend singulièrement délicat le discernement du « vrai » et du « faux » mysticisme, c’est-à-dire du mysticisme « surnaturel », et du mysticisme purement naturel.

1° Explications pathologiques des phénomènes mystiques. — 1. Exposé. — « La similitude apparente des consolations et des craintes produites par les convictions religieuses avec les joies et les tristesses nées de l’autosuggestion et des idées fixes, l’analogie des extases, visions, révélations, stigmatisations et guérisons subites, que les théologiens qualifient de « surnaturelles », avec certains faits observés chez les aliénés et les névropathes, semblaient autoriser des comparaisons entre ces phénomènes et appeler des expériences méthodiques. Ces expériences parurent décisives » à certains médecins ou psychologues. Pinard, op. cit., 1. 1, p. 412-413. On trouvera dans M. de Montmorand l’exposé et la critique des principaux systèmes d’explication pathologique des phénomènes mystiques. Les deux maladies auxquelles on se réfère surtout sont l’hystérie et la psychasthénie ; cf. Leuba, Psychologie du mysticisme religieux, c. viii, Les grands mystiques et l’hystérie et la neurasthénie. « Dire que les mystiques se recrutent en majorité parmi les femmes (c’est l’opinion soutenue ici par M. de Montmorand), c’est dire qu’ils appartiennent en majorité à la catégorie des nerveux. J’ajoute qu’ils sont, en général, de santé débile, et qu’ils présentent des symptômes pathologiques se rattachant, soit à des maladies connues, soit à des maladies mystérieuses et mal définies : le genre de vie qu’ils mènent, les mortifications de toute sorte qu’ils s’imposent ne sont pas, du reste, pour les guérir. » Montmorand, op. cit., p. 12. Pour Murisier et Lierre Janet, les mystiques seraient des abouliques incapables de s’unifier autrement que par une simplification pathologique, cf. Montmorand, p. 92-93 ; pour Max Nordau, des dégénérés, caractérisés par une « hyperexcitabilité maladive de quelques centres cérébraux ». Ibid., p. 50-51. Les visions et les paroles « surnaturelles » ne seraient que des hallucinations pathologiques, provenant « d’une déficience de l’attention volontaire, ou, plus exactement, de la substitution d’un mode particulier de l’attention automatique à l’attention volontaire devenue impossible ». Ibid., p. 125. « Qu’un grand nombre de mystiques aient accusé d’indéniables symptômes d’hystérie, le fait est hors de conteste. A telles enseignes que l’on observe chez eux les indices d’un dédoublement plus ou moins marqué de la personnalité… Les mêmes symptômes de dissociation se manifestent (lie/, nos sujets sous la forme graphique… Et, chez quelques-uns, les phénomènes d’automatisme graphique atteignent leurmaximum « le développement », ibid., p. 133, Montmorand cite Mme Guyon ; on pourrait mentionner saint Paul de la Croix, cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1925, p. 30.

L’extase, enfin, où l’on veut voir le phénomène mystique par excellence, reconnaîtrait aussi une origine pathologique, de quelque manière d’ailleurs qu’on essaie de l’expliquer, cf. Montmorand, p. 163-199. La théorie exposée par Leuba aux chapitres ix et x de sa Psychologie du mysticisme religieux, en faisant de l’extase l’essence même du mysticisme, et en ne voyant dans l’extase qu’une « tempête psychique » provoquée par une « décharge nerveuse », analogue à l’aura épileptique, se classe bien aussi parmi les explications pathologiques ; cf. particulièrement p. 318320 ; pour l’appréciation du livre de Leuba, voir Revue d’ascétique et de mystique, 1926, p. 74-91 (J. Maréchal) ; pour la question générale du mysticisme et de ses explications pathologiques : L. Roure, Études, 20 juillet 1906, p. 145-170 ; J. Pacheu, L’expérience mystique et l’activité subconscienle, c. vi, Morbides ou non ?

2. Discussion. — Il n’est pas très difficile de répondre à toutes ces théories. Pour qu’elles fussent vraies, il faudrait que tous les vrais mystiques eussent été des malades, et surtout que tous les phénomènes mystiques pussent être rattachés à leur maladie comme à leur cause nécessaire et suffisante.

Or, il s’en faut de beaucoup qu’on puisse dire que tous les mystiques ont été des malades. Un témoin bien placé pour en parler, qui nous livre ses « observations et remarques » dans la Revue d’ascétique et de mystique, sous la signature P. S., écrit : » Un préjugé fort répandu veut que les mystiques soient presque toujours des femmes, des religieuses, des religieuses contemplatives, certains diraient des névrosées. C’est inexact. Parmi les âmes qui m’ont paru nettement favorisées d’une oraison mystique, il y a deux hommes appartenant à un ordre actif, et j’ajoute : bien portants tous les deux. Deux autres personnes élevées, non seulement à la contemplation passive extraordinaire, mais à un haut degré d’union mystique avec Dieu, sont mères de famille. Et croyez bien que toutes ces âmes dont je viens de parler ne sont nullement des natures diminuées quant à l’intelligence eu quant à la volonté. Ce sont des vaillants et des apôtres, aussi dévoués au prochain qu’intérieurement unis à Dieu. » Loc. cit., 1920, p. 278-279.

Les psychologues, même incroyants, établissent une différence bien tranchée entre nos mystiques supérieurs et les sujets d’hôpital, en qui ils observent des états analogues sur quelques points avec certains phénomènes présentés par nos mystiques. A cela revient la distinction opérée entre les grands mystiques et les mystici minores. Tout le livre de M. Delacroix, Études d’histoire et de psychologie du mysticisme, « est fondé sur cette distinction ». Montmorand, p. 201. « Les mystiques inférieurs sont de purs névrosés, des hystériques à tournure d’esprit religieuse… Les grands mystiques, eux aussi, sont des névrosés ; mais leur état mental est indépendant de leur névrose, à peu près comme le génie est indépendant des étals nevropathiques qui le compliquent parfois. Montmorand, p. 203, citant Delacroix. Mêmes remarques dans le c. viii susmentionné de Leuba. Sur la maladie de sainte Thérèse, cf. Montmorand. Appendice IV, p. 232 21 l.

Admettrait-on même que les grands mystiques lurent tous plus ou moins malades, il faudrait encore prouver que les phénomènes mystiques qu’ils ont présentés s’expliquent, et ne s’expliquent que par leur maladie, sous peine de tomber dans le sophisme cum hoc ergo propter hoc

Or, même en faisant abstraction de l’intervention divine, tous les psychologues n’admettent pas l’origine

pathologique des phénomènes mystiques où. l’on serait le plus porté à la reconnaître. Ne voir, par exemple,

dans les visions et paroles « surnaturelles » que des hallucinations, n’équivaut pas nécessairement à les classer parmi les états pathologiques. « J’ai insisté ailleurs sur le caractère des visions mystiques, qui sont le plus souvent des hallucinations psychiques, au sens de Baillarger, Séglas, des pseudohallucinations, au sens de Kandinsky, des représentations aperceptives, au sens de Petit, bien plutôt que des hallucinations psycho-sensorielles. » Delacroix, La religion et la foi, p. 272 ; cf. Montmorand, p. 123-126 ; Maréchal, op. cit., p. 80-S5.

Il en est de même de l’extase. Distinguons d’abord, une fois pour toutes, ainsi que nous avons eu l’occasion de le faire en étudiant saint Jean de la Croix, l’extase consécutive à la contemplation et l’extase qui la précéderait et l’introduirait, ou qui serait même considérée comme constitutive de l’état mystique. Leuba ne veut connaître que celle-ci ; les mystiques insistent beaucoup plus sur celle-là. Pour nous borner à elle, 1’ « extase » consécutive à la contemplation est-elle morbide ? « Au sens propre du mot, non, semblet -il. C’est une opération très normale, qui peut survenir à un tempérament physiologiquement très sain, très bien équilibré. Il est vrai que c’est défectueux, c’est une certaine faiblesse, une imperfection de la nature humaine de ne pouvoir supporter ce choc, cet envahissement du divin. Mais cette imperfection propre à notre nature n’apparaît pas morbide. Il n’est pas morbide de fléchir les genoux et de plier sous le faix de cent kilos. Atteindre la limite de ses forces, ce n’est pas être malade. » Pacheu, op. cit., p. 177-178. Mais une telle « extase » serait-elle la rançon d’un état névropathique, que l’on n’en pourrait rien conclure pour l’origine pathologique des phénomènes mystiques, car cette sorte d’extase, cette défaillance de la nature inférieure, n’est pas pour nous un phénomène mystique.

Mais il nous faut regarder de plus haut toutes les théories médicales ou psychologiques, qui tentent d’expliquer par des causes naturelles les phénomènes mystiques qui paraissent « surnaturels » à ceux qui les éprouvent. Toutes sont entachées de quelques vices rédhibitoires qu’il importe de ne pas oublier. Toutes supposent résolu négativement a priori le problème qui nous occupe, celui de l’intervention divine extraordinaire dans la trame des phénomènes psychologiques. Toutes identifient par conséquent a priori les mysticismes les plus divers. C’est le cas notamment de Leuba, qui avoue ingénument qu’il appliquera à l’étude du mysticisme la méthode génétique et la méthode comparative ; la méthode génétique : « nous sommes partis des phénomènes mystiques tels qu’ils se révèlent dans les sociétés primitives, où ils apparaissent plus simples et, partant, plus aisés à comprendre, et nous les avons suivis à travers les phases principales de leurs transformations et de leurs complications » ; la méthode comparative : « attendu qu’il est radicalement impossible, en ce champ d’études, d’atteindre à des conclusions pleinement valables en restant strictement enfermé à l’intérieur des frontières de la vie religieuse ». Leuba, op. cit., p. viii. C’est avouer explicitement que l’on entend réduire, coûte que coûte, tous les phénomènes mystiques à certain processus psycho-physiologique auquel on décerne le nom de mystique, même s’il ne présente aucun aspect religieux. Il faut bien dénoncer ici le sophisme de Vignoratio elenchi.

Ce n’est pas ainsi qu’un vrai savant doit procéder. Il n’y a qu’une méthode valable pour étudier les phénomènes mystiques, comme il n’y en a qu’une pour étudier les miracles, c’est de les prendre un à un dans leur réalité concrète, et de se demander si tel phénomène particulier, dans telles circonstances parti culières, étant données toutes les causes naturelles qui ont pu concourir à sa production, s’explique naturellement, ou s’il ne requiert pas l’action d’une cause transcendante. Il se peut que le sujet lui-même, ou le théologien aidé du psychologue et du médecin, ne parvienne pas à discerner nettement les signes révélateurs de cette intervention divine : il n’est pas toujours facile de discerner le miracle ; mais il se peut aussi que l’action divine paraisse manifeste : alors on portera un jugement plus ou moins ferme sur le caractère surnaturel du phénomène mystique que l’on aura étudié.

2° Explications psychologiques des phénomènes mystiques. — Le P. Pinard constate, « même chez les écrivains les moins favorables aux hypothèses transcendantes, un recul marqué de l’explication pathologique », L’élude comparée des religions, t. i, p. 415 ; et indique brièvement les solutions nouvelles données au problème de l’expérience mystique, p. 415-427. 1. Exposé.

La théorie la plus en vogue est celle de James Delacroix, qui explique les phénomènes mystiques par l’activité subsconsciente. Cf. notamment Pacheu, op. cit., c. m. La subconscience invoquée n’est point « celle de la majorité des psychologues français, qui n’est faite que d’une désagrégation, d’un morcellement de la conscience claire », mais celle de l’école anglo-américaine ; cf. Montmorand, p. 127132. M. Delacroix repousse ce postulat « que l’automatisme n’est qu’une activité psychologique inférieure, un déchet d’activité, pourrait-on dire, et qui n’aboutit qu’à des produits de rebut, qu’il exprime dans ses manifestations la tare pathologique dont il est l’indice. Il est vrai que la subconscience a été d’abord étudiée dans des cas purement pathologiques ; mais on n’a pas le droit de la restreindre aussi arbitrairement ; elle intervient aussi bien aux degrés élevés de la hiérarchie psychologique, dans les inventions du génie que dans les constructions du rêve et du délire : elle est au principe des grandes œuvres de l’humanité, comme de ses aberrations. Il y a un génie religieux qui explique les faits mystiques et qui participe aux splendeurs comme aux tares du génie. » Études d’histoire et de psychologie du mysticisme, p. 407-408. « En recourant au subconscient, la psychologie met à profit un moyen d’explication qui a déjà fait ses preuves ; elle opère comme toute bonne science doit opérer, par réduction de l’inconnu au semblable déjà connu. » P. 62.

Retenons cet aveu : l’explication psychologique des phénomènes mystiques n’est que l’application au domaine religieux d’une hypothèse de portée plus générale ; le « génie religieux » n’est qu’un cas particulier du « génie » tout court, c’est-à-dire de l’invention, de l’imagination créatrice, que l’on croit pouvoir expliquer par cette merveilleuse subconscience, découverte en 1886, au dire deW. James, L’expérience religieuse p. 198. — « Le sentiment de passivité, qu’expriment si fortement les mystiques, et d’où ils concluent la transcendance de leurs états, et leur rapport à une activité supérieure, à l’action divine, est l’ignorance d’un travail intérieur de l’activité subconsciente… Or l’hypothèse d’une activité subconsciente, soutenue par certaines dispositions naturelles et réglée par un mécanisme directeur, remplit exactement le rôle de cette cause étrangère, et explique entièrement ce sentiment de passivité et d’extériorité. » P. 404-405. * La subconscience consiste ici en ce que des germes préparés par la conscience réfléchie et tombant sur une nature apte à les recevoir, mûrissent et s’épanouissent, sans que le sujet aperçoive rien du travail de maturation ; il ne voit que le commencement et la fin ; faute d’apercevoir les termes intermédiaires, il ne comprend pas sa propre fécondité. Mais il n’y a pas

besoin d’analyser très avant la nature humaine, pour y trouver chez les grandes âmes une générosité, pourrait-on dire, qui, sollicitée par le travail, donne infiniment plus que le travail ne pouvait produire, en mouvements subits et inattendus, et qui, bouleversant de ses apports et de ses ravages la conscience ordinaire, apparaît à l’homme comme une surnature et prend le nom qu’il donne à ses dieux. » P. 406. « Nous croyons que les états les plus sublimes du mysticisme n’excèdent point la puissance de la nature : le génie religieux suffit à expliquer ses grandeurs comme la maladie ses faiblesses. » P. xix.

Ainsi la théorie de M. Delacroix consiste à substituer à l’intervention de la grâce divine, à laquelle les mystiques rapportent leurs états sublimes, une nature généreuse, des < dons » gratuits, qui fructifient spontanément bien au delà de nos efforts conscients, pour tout dire d’un mot : un Dieu immanent : « Le psychologue accorde pleinement au mystique que cette force interne qui le dirige n’est point sa volonté consciente ; que cette intelligence qui ordonne sa vie n’est point son intelligence réfléchie ; ses états dès lors sont bien la manifestation d’une puissance étrangère à sa conscience et supérieure, la réalisation progressive en lui d’un Dieu intérieur qui s’empare de lui, le pénètre et le transforme : mais ce Dieu n’est qu’un Dieu intérieur, ce divin, c’est le 6etov èv t)jxîv, le divin en lui ; il est encore de la nature et de l’activité psychologique : ce qui dépasse la conscience ordinaire, ce sont les forces subconscientes, qui peuvent prendre figure divine, au sens religieux du mot, lorsqu’elles unissent et la fécondité créatrice et la richesse morale, et la conformité à une tradition religieuse extérieure. » P. 62.

Mais ces forces subconscientes, ce Dieu immanent, ne sont-ils pas eux-mêmes en rapport avec le Dieu transcendant ? Delacroix « n’y incline point », bien que la chose lui paraisse possible : « Que cette subconscience serve de véhicule à une action vraiment extétieure, à la grâce d’un Dieu transcendant — hypothèse que formulait déjà Maine de Biran et qu’ont reprise bien des apologistes au courant des travaux de la psychologie — c’est une autre affaire. » P. 62. Mais James et même Leuba l’admettent à leur manière. Pour James, « le subconscient qui émerge d’une part dans la conscience claire, se continue, d’autre part, avec un monde plus vaste, qui le déborde et constamment l’influence. Cette réalité transsubliminale recevra d’ailleurs des déterminations diverses dans les diverses métaphysiques. Pour un chiélien, cette Réalité sera Dieu, dont la grâce, source de lumière et levier d’action, prendrait point d’appui sur le subconscient humain pour ébranler par contre-coup les facultés supérieures d’intellection et de vouloir. » Maréchal, op. cit., p. 106. Leuba, c. xiii de sa Psychologie des phénomènes religieux, se demande quelle est « la base philosophique nécessaire à la religion » de l’avenir ; il paraît se rallier à une conception analogue à l’Évolution créatrice de Bergson : « L’homme trouverait-il ce dont il a besoin dans une force décrite comme un élan courant à travers la matière, et tirant d’elle ce qu’il peut, une force apparaissant dans l’homme sous forme d’une conscience qui se cherche ? Telle est au moins la doctrine d’un des plus remarquables philosophes contemporains… Il est incontestable que l’humanité idéalisée, et conçue comme une manifestation de l’Énergie créatrice, est qualifiée par-dessus tout pour constituer une source d’inspiration religieuse. P. 392-393. — Pour l’exposé et l’appréciation de la théorie de Récéjac, voir Maréchal, op. cit., p. 168, 178. « L’explication psychologique des phénomènes mystiques par l’activité subconscicnlc, dit Leuba, a gagné aussi la faveur de bon nombre de théologiens… »

Cette hypothèse séduit malheureusement jusqu’à des savants qu’elle conduit à délaisser leur tâche — l’investigation des phénomènes — et à penser que le subconscient explique tout. Ce que dit Kant au sujet des hypothèses transcendentales est vrai de l’hypothèse subliminale : « Ces hypothèses ne font pas faire de progrès à la raison mais plutôt l’arrêtent dans sa marche ; elles rendent stériles tous les efforts qu’elle fait dans sa propre sphère qui est celle de l’expérience. En effet, lorsque l’explication des phénomènes naturels se trouve être malaisée, nous avons toujours à notre disposition un fonds d’explications transcendentales qui nous élève au-dessus de la nécessité d’observer patiemment la nature. » Psychologie des phén. religieux, p. 287. Il s’en prend surtout à James, p. 323-325 ; et Psychologie du mysticisme religieux, p. 436-438. « Faire appel à une subconscience dont les opérations échappent à toute étude précise, serait aussi vain et aussi peu scientifique que d’expliquer un phénomène quelconque en recourant à « Dieu », p 329 ; c’est « au même titre un appel à l’inconnu ». P. 360.

2. Discussion.

Les auteurs catholiques qui se montrent le plus enclins à accepter l’hypothèse d’une activité subconsciente pour l’explication au moins partielle des phénomènes mystiques, ne le font pas sans formuler des réserves importantes qui laissent la porte ouverte à des interventions divines.

Ils remarquent d’abord que cette activité subconsciente, comme l’entend l’école anglo-américaine, n’a pas encore conquis droit de cité incontestable en psychologie. M. Pacheu renvoie à ce sujet au Congrès international de psychologie tenu à Genève en 1909 ; cf. op. cit., p. 59, 294 : « On y touchera du doigt ce qu’il y a de prématuré à étendre trop imperturbablement à tant de faits d’une mentalité supérieure cette question du subconscient, née surtout dans la clinique psychiatrique et qui n’est pas encore assez mûre pour en sortir, selon le mot de M. Janet. » Ou, comme ajouta M. B. Leroy, … : « on ne saurait trop restreindre le sens des expressions subconscient et subconscience ; on ne saurait trop ménager l’application de l’hypothèse qu’ils impliquent ; d abord parce qu’elle n’est pas très souvent utile, et ensuite parce qu’elle n’explique vraiment pas grand’chose ; … c’est moins une hypothèse à proprement parler qu’une formule commode, une étiquette à coller sur certains faits, une façon abrégée de dire : ces faits ont pour l’observateur qui les voit du dehors l’aspect de manifestations parfaitement intelligentes, et pour le malade chez qui elles se produisent l’aspect de manifestations étrangères auxquelles sa personnalité ne prendrait aucune part. » P. 294-295.

Il ne paraît pas exagéré de dire, avec M. Leuba, que cette merveilleuse subconscience, ce Dieu intérieur, n’est en vérité qu’un Deus ex machina, créé pour les besoins de la cause : « La subconsciencc, invoquée par M. Delacroix, jouit en cllel d’un automatisme « dynamique et constructeur », et cette « subconscience créatrice, largement entendue, admet précisément les caractères que sainte Thérèse fixe avec tant de finesse et de précision. » Elle les admet d’autant mieux que son existence, douée de qualités si précieuses, est calquée sur les descriptions de la sainte et des autres grands mystiques. Supposée d’après leurs dires qu’il s’agit d’expliquer, elle leur est appliquée ensuite comme une explication qui leur suffit. Il y a vraiment là une lacune et une apparente pétition de principe ; on suppose ce qui est précisément en question. » Pacheu, p. 290.

On peut aussi objecter à cette théorie ce que l’on répond, dans la question du miracle, à l’invocation d’une cause naturelle inconnue, dernière ressource de

ceux qui refusent d’admettre une intervention divine, cf. J. de Tonquédec, Introduction à l’élude du merveilleux et du miracle, 2° édition, p. 223. « S’il suffisait d’être doué de subconscience et d’avoir celle-ci dressée, prédisposée, comment expliquer que la subsconscience, après avoir agi et prouvé par là son existence, cesse soudain ses manifestations ; que souvent elles ne se reproduisent pas du tout pendant de longues années ; que peut-être elles seront, non seulement sporadiques, mais même uniques pendant une longue période de vingt ou trente ans ? Une cause purement naturelle qui a prouvé son existence, une prédisposition de la personne, qui est cultivée et dont les effets ne se reproduisent plus, n’est-ce pas singulier ? » Pacheu, op. cit., p. 286.

Plus grave encore est la critique de la théorie de M. Delacroix, instituée par le P. Maréchal ; au dire de ce dernier, elle ne respecte pas l’intégralité des faits à expliquer : « L’alternative se pose donc, ou de respecter intégralement les données d’observation immédiate fournies par les mystiques, et alors de dépasser le point de vue de M. Delacroix ; ou bien d’opter pour M. Delacroix, et de se résigner alors à récuser une partie des données susdites. » Éludes sur la psychologie des mystiques, p. 171 ; cf. p. 57, et Pinard, 1. 1, p. 421-425.

Il n’en est pas moins vrai que « bon nombre de théologiens », comme disait Leuba, et non seulement des protestants comme H. Bois, mais des catholiques, ont cru pouvoir utiliser la théorie de l’activité subconscient e pour l’explication des phénomènes mystiques, grâce à la concession faite par James, à propos de l’explication par le subconscient de certaines conversions réputées miraculeuses : « Je suppose qu’un croyant vienne me demander, à moi psychologue, si je n’exclus pas ainsi toute intervention directe de Dieu ; je lui répondrais franchement que la conséquence ne me paraît pas inévitable.. S’il existe, au-dessus du monde matériel, un monde spirituel qui le domine, on peut admettre que la conscience subliminale constitue un champ plus propice aux impressions spirituelles que la conscience ordinaire, tout absorbée, à l’état de veille, par les impressions matérielles vives et abondantes qui lui viennent des sens… Le sentiment qu’une puissance divine vous domine et vous fait agir, qui tient une si grande place dans l’expérience de la conversion, pourrait, dans cette hypothèse, être regardé comme légitime. Une force transcendante pourrait s’exercer directement sur l’individu, à condition qu’il possède un organe récepteur approprié, c’est-à-dire une conscience subliminale. » L’expérience religieuse, p. 205-206.

On conçoit que cette théorie ait pu séduire certains théologiens : de même que l’action ordinaire de la grâce échappe à la conscience, et ne se discerne pas des mécanismes psychologiques qui font naître en nous les bonnes pensées, les pieux sentiments, les salutaires résolutions, ainsi l’action extraordinaire de la grâce qui produit les phénomènes mystiques, emprunterait aussi l’intermédiaire d’un mécanisme psychologique spécial, cause instrumentale dont les effets peuvent être attribués à la cause principale. Cf. Pacheu, p. 277285 ; Maréchal, p. 52-53, 62-63 ; Leuba, Psychologie des phénomènes religieux, p. 286-288 : « De quelle manière Dieu agit dans l’âme. » Dans ce cas aussi, l’action de la grâce serait empiriquement indiscernable, et ne serait admise que par la foi, selon cette parole de Boutroux à propos de l’expérience religieuse : « Le phénomène essentiel est ici l’acte de foi par lequel, éprouvant certaines émotions, la conscience prononce que ces émotions lui viennent de Dieu. L’expérience religieuse n’est pas par elle-même objective. Mais le sujet lui donne une portée objective par la croyance qu’il y insère. » Cité par Leuba, op. cit., p. 312.

Qui ne voit que cette théorie aboutit à modifier totalement la notion que l’on s’était faite jusqu’ici, du caractère « surnaturel » des phénomènes mystiques ? C’est, transportée dans l’ordre psychologique, la conception protestante et moderniste du miracle ; cf. J. de Tonquédec, op. cit., p. 19-30 ; Hôfîding, Philosophie de la religion, p. 16-17. C’est le fait mystique ramené à un phénomène psychologique naturel en soi, que l’homme religieux considérera comme providentiel, en vertu de ce principe de foi : omne donum optimum desursum est, descendens a Pâtre luminum ; mais c’est aussi la ligne de démarcation effacée entre ce qui est mystique et ce qui ne l’est pas, au moins en ce qui concerne la modalité de 1 action divine, qui n’est plus regardée comme immédiate, extraordinaire, préter-naturelle.

/II. LE DISCERNEMENT DES PHÉNOMÈNES MYSTI-QUES « surnaturels ». — Il semble que les auteurs catholiques distinguent deux méthodes de discernement du mysticisme surnaturel, que nous pourrions nommer celle de l’examen de chaque phénomène particulier, et celle de l’appréciation d’une vie mystique envisagée dans sa totalité. « Il faut prouver, dit le P. Pinard, que les expériences dites religieuses, celles des » grands mystiques » par exemple, comportent des phénomènes irréductibles à l’activité subliminale (à l’activité psychologique naturelle, normale ou pathologique), ou montrer que le développement progressif de cette activité dans le sens de la moralité parfaite ou de la vérité absolue, rend certaine ou probable l’intervention d’un facteur divin qui la dirige. » L’étuæ comparée des religions, 1. 1, p. 418. Cf. Maréchal, p. 62, 252-253. Et l’on nous a rapporté que tel grand exorciste contemporain n’admettait guère que cette seconde méthode, pour juger du caractère surnaturel des phénomènes mystiques.

Cela équivaut pratiquement à recourir au critère des effets si souvent invoqué par sainte Thérèse. Est-ce une méthode vraiment scientifique ? Il ne le semble pas. Cf. M. de Montmorand, op. cit., p. 214-218 : « Ce pragmatisme instinctif (des mystiques, qui jugent par les effets de l’origine et de la qualité de leurs extases) ne s’accorde guère avec notre tempérament intellectuel. Nous n’admettons pas, qu’entre la notion d’utilité et celle de vérité, il y ait nécessairement corrélation ; et nous voudrions savoir — mais le pourrons-nous jamais ? — si, pour bienfaisante qu’on la suppose, l’expérience mystique n’est que pure illusion, ou si elle correspond, au moins dans certains cas, à quelque réalité objective. » P. 214. Nous ne le pourrons savoir qu’en examinant chaque cas particulier. La question du discernement des phénomènes mystiques « surnaturels » est connexe à celle du discernement du miracle ou de la révélation.

Essayant d’analyser les phénomènes de la vie spirituelle, le P. de Guibert distingue trois cas : « Premier cas : l’action, médiate ou immédiate, de Dieu dans l’âme se borne à lui faire plus vivement, plus intimement comprendre une vérité de la foi, à renforcer l’inclination qui la porte vers son Créateur ; c’est la consolation ordinaire… — Deuxième cas : comme dans le premier, le passage du discours, de l’oraison multiple, à la contemplation se fait sous l’influence de grâces, d’inspirations, d’actes indélibérés, produits par Dieu dans l’âme, mais qui n’introduisent pas en elle des éléments psychologiques entièrement nouveaux, qui ne la mettent pas en dehors de ses conditions naturelles d’activité, qui simplement viennent renforcer, approfondir, intensifier les lumières intellectuelles et les tendances effectives qu’elle avait déjà par l’exercice des vertus théologiques… — Troisième cas : Dieu, par son action immédiate dans l’âme, y produit la G 60

simplicité et le repos de la contemplation, non plus seulement par un simple renforcement des éléments psychologiques qu’il trouve en elle, mais par l’introduction d’éléments entièrement nouveaux… ; l’homme se trouve placé, du fait de cette intervention divine dans son âme, en dehors des lois ordinaires et normales de son activité psychologique. On pourra donc très légitimement appeler une telle contemplation infuse extraordinaire et même miraculeuse. Si on ne réserve pas le nom de miracle aux prodiges d’ordre sensible, on peut très bien parler en ce cas d’un vrai miracle psychologique, dans le sens de dérogation aux lois naturelles qui régissent cet ordre d’activité. » Revue d’ascétique et de mystique, 1924, p. 8-11 ; cf. p. 18.

A notre avis, c’est dans ce sens-là qu’il faut chercher les critères du phénomène mystique surnaturel. C’est de ce côté-là aussi que s’orientaient les mystiques pour opérer ce discernement, quand la certitude du début avait fait place au doute et à l’inquiétude : « Saint Jean de la Croix nous fournit les deux grandes raisons « psychologiques » qui peuvent porter les mystiques à attribuer à leur état une origine divine immédiate, savoir la réalité d’une présence essentielle, nullo interposito medio : c’est d’abord leur apparente passivité et insuffisance personnelle dans l’établissement de ces états ; c’est ensuite le mode même de la connaissance qui leur est alors communiquée, mode non seulement extraordinaire, mais en contradiction, semble-t-il, avec une loi psychologique fondamentale, c’est-à-dire avec la nécessité de l’intslleclio in phantasmale.. La question de la causalité, immédiate des états mystiques est donc déjà, en partie, pour les mystiques eux-mêmes, affaire d’interprétation et de raisonnement. » Maréchal, op. cit., p. 163. Cf. sainte Thérèse, Le château intérieur, VIe D., c. ni, p. 226-235, à propos des paroles surnaturelles ; c. ix, p. 290-293, à propos des visions imaginaires ; Leuba, Psychologie du mysticisme religieux, p. 266-267, » les traits caractéristiques du mysticisme surnaturel. »

Qu’il y ait des cas douteux, où, tout bien examiné, on n’osera pas se prononcer, les mystiques le reconnaissent ; et nous ne saurions nous montrer trop sévères aujourd’hui dans l’examen de ces « miracles psychologiques », comme nous le sommes dans l’étude des miracles physiques. Mais n’y aura-t-il pas des cas où un sujet sain, averti, clairvoyant, reconnaîtra à coup sûr une influence divine immédiate ? Qu’on relise par exemple les « expériences » de Madeleine Semer, et l’on aura de quoi répondre à cette observation de Leuba : « Que dit la psychologie au sujet de ces phénomènes qui, sans dépasser en eux-mêmes ce que nous savons être possible à l’homme, peuvent sembler, en raison des conditions anormales de leur apparition, exiger une explication transcendante ? C’est ici qu’il faut ranger la grande majorité des visions et des soidisant révélations ; certains sentiments impératifs et ce sens de passivité qui, dans maintes occasions, accompagne la pensée ou l’action et donne l’impression que quelqu’un d’autre que nous-même pense ou agit pour nous. Récemment encore la science était sérieusement embarrassée par ces automatismes, sensoriels et moteurs. Aujourd’hui les faits de ce genre sont rentrés dans le domaine du naturel. » Psychologie des phénomènes religieux, p. 321. Quelques-uns, beaucoup même de ces faits, oui assurément ; mais tous ? il faudrait voir. Nous pouvons tout de môme, en certains cas, savoir si nous donnons ou si nous sommes éveillés, si nous sommes malades ou en bonne santé, et par conséquent si certaines modifications psychologiques ne sont que des hallucinations ou sont le résultat de l’action d’une cause étrangère ; qu’il nous faille la foi pour la nommer Dieu, nous n’en disconvenons pas, de même qu’il faut déjà croire en Dieu

pour reconnaître son action dans le miracle physique, cf. J. de Tonquédec, op. cit., p. 218-236. — On lira avec intérêt sur cette question du discernement du fait mystique surnaturel, l’étude de Jacques Paliard, L’orientation religieuse de Maine de Biran et le problème de la passivité mystique, dans Qu’est-ce que la mystique ? Cahiers de la nouvelle journée, 3.

111. Théologie de la mystique. — Nous entrons ici dans le domaine des controverses. Il semble bien que la théologie de la mystique ne soit pas encore débrouillée. Nous nous contenterons donc d’indiquer sommairement les principaux problèmes qui s’y posent, d’énoncer les solutions qu’on en donne, sans prendre partie entre les opinions émises ; tout au plus, nous permettrons-nous de suggérer quelques vues conciliatrices.

1° La définition ou l’essence du phénomène mystique, de l’état mystique. — « Si l’on schématise beaucoup les innombrables réponses faites à cette première question, réponses trop souvent désespérantes par le vague de leurs termes et de leurs contours, et que par suite cette schématisation risque de déformer inévitablement, on peut, je crois, réduire ces réponses aux hypothèses suivantes :

1. Pour les uns, la caractéristique essentielle de la contemplation mystique est dans ce qu’elle comporte une connaissance spéciale, infuse, de Dieu et des choses divines ; l’amour n’est qu’une conséquence : c’est l’infusion de cette connaissance passive qui fait passer l’âme dans cet état nouveau. — Mais quel est l’objet immédiat de cette connaissance ? quelle est sa nature et en quoi se distingue-t-elle des actes de foi ordinaires qui sont le point de départ de la prière commune ? On peut la concevoir comme restant purement et simplement dans le même ordre que notre connaissance de foi ordinaire… : la seule différence est dans le degré de certitude, de « réalisation » de cette connaissance et surtout dans le mode ici tout passif suivant lequel est produit cet accroissement de certitude. .. On peut aller plus loin et dire : la connaissance mystique reste une connaissance de pure foi, mais, tandis que, dans la foi ordinaire, nous n’atteignons pas le caractère intrinsèquement surnaturel de l’acte que nous faisons…, ici l’âme expérimente directement… ce caractère surnaturel de son acte et constate ainsi immédiatement l’action de Dieu en elle : là est proprement cette expérience de Dieu ineffable et inexprimable. .. dont nous parlent les mystiques… D’autres préféreront dire : le caractère propre de la connaissance mystique est d’être une connaissance angélique, c’est-à-dire un acte dans lequel notre intelligence, recevant de Dieu des espèces purement intellectuelles, connaît sans aucune image qui vienne accompagner cet acte… On peut faire un dernier pas et ajouter : ce n’est pas seulement le terme de l’action divine en elle qu’atteint l’âme élevée à la contemplation mystique, c’est Dieu lui-même : dans cette contemplation (du moins dans les états élevés où elle se réalise pleinement ) il y a une connaissance expérimentale, intuitive, de l’être divin… On peut enfin conceveir la contemplation mystique comme un ensemble d’étals ayant des caractères communs de simplification affectueuse et de passivité, mais formant une échelle de degrés fort différents entre eux : plus l’âme s’élève, plus ces caractères fondamentaux s’accusent, à mesure qu’elle passe d’un degré à l’autre et qu’apparaissent successivement en elle les actes de connaissance et d’amour tout nouveaux dans lesquels d’autres opinions veulent voir la caractéristique de tout état mystique, tandis que, pour celle-ci, ils ne caractérisent que certains états mystiques plus élevés. »

2. Autre conception : l’élément caractéristique est un acte d’amour in/us produit par l’âme sous une action

plus immédiate et plus puissante de Dieu l’attirant à lui. La force de ce mouvement est sans proportion avec les lumières et les actes plus personnels qui ont précédé : et c’est en se sentant ainsi entraînée, « ravie », par l’Ami divin d’une façon toute nouvelle que l’âme a l’expérience, le sentiment de sa présence en elle : la connaissance mystique n’est pas le point de départ de cet état nouveau, elle n’est que la conséquence de l’amour infus qui le caractérise. »

3. On pourra encore chercher dans une autre direction et mettre en première ligne, comme caractère spécifique, « la passivité plus grande de l’âme dans la contemplation mystique, qu’on envisage cette passivité de préférence sous son aspect expérimental, comme exprimant le témoignage commun des mystiques qui se sentent mus par Dieu ; ou au contraire qu’on la prenne comme résumant la doctrine des théologiens qui rattachent la contemplation mystique aux dons de sagesse et d’intelligence dont le rôle’est’précisément de mettre plus complètement l’âme sous l’action de l’Esprit-Saint. » J. de Guibert, Revue d’ascétique et de mystique, 1920, p. 333-335.

On ne pouvait mieux résumer les opinions des théologiens catholiques concernant l’élément caractéristique de l’état mystique. Rien ne serait plus facile que de mettre des noms propres en Yegardjde chacune de ces opinions. Que peut-on penser^de cette question ? N’y aurait-il pas là un faux problème et ne faudrait-il pas, comme nous l’avons indiqué dans la conclusion de notre première partie, se contenter de constater la diversité des phénomènes mystiques ? |

2° La division ou la classification des phénomènes mystiques, des étals mystiques. — Quelque nom qu’ils leur donnent, tous les théologiens catholiques s’accordent à distinguer deux groupes de phénomènes mystiques : les premiers, que nous pouvons appeler des phénomènes d’union, voire même 4 de fusion ^avec la Divinité ; les seconds, des phénomènes/le communication plus extérieure avec Dieu, sentiment de présence, visions, paroles, révélations, etc.

1. La division classique des phénomènes d’union mystique est empruntée au Château de sainte Thérèse, et correspond aux quatre dernières « Demeures » ; ce sont, pour emprunter la terminologie du]P. Poulain : « l’union mystique incomplète, ou oraison de quiétude ; l’union pleine ou semi-extatique, appelée aussi par sainte Thérèse oraison d’union : l’union extatique ou extase ; l’union transformante ou déifiante, ou mariage spirituel de l’âme avec Dieu ». Des grâces d’oraison, c. iii, n. 5 ; pour l’étude détaillée, voir c. xvi-xix.

Le P. Picard, Revue d’ascétique et de mystique, 1923, p. 164-166, a esquissé une « vue synthétique sur l’ensemble de la vie mystique », en distinguant deux éléments principaux, le recueillement, « lorsque la saisie de l’âme par Dieu se fait sentir à l’âme plutôt selon ses facultés de connaissance », et la quiétude, « lorsque l’âme se sent prise par ses puissances volontaires et affectives », dont les variations donneraient naissance aux différents phénomènes d’union. « Toujours nous remarquerons que, sous l’empire d’une même communication divine, ce sont ces deux types élémentaires du recueillement et de la quiétude qui, soit ensemble, soit séparément, varient d’intensité et se modifient de mille manières… » p. 166. En ce qui concerne « le progrès de la pensée de sainte Thérèse » dans la distinction des différents phénomènes d’union, on lira avec intérêt l’article de R. Hoornært, Revue des sciences philosophiques et théologiques, 1924, p. 34-42.

Il y a bien quelque part de vérité dans la critique faite par Leuba de l’assimilation du « mariage spirituel » aux phénomènes d’union mystique qui le précèdent : « la description qu’elle (sainte Thérèse) nous

DICT. DE THÉOL. CA.TH0L.

donne suffit à montrer jusqu’à l’évidence que ce mariage spirituel n’est pas du nombre des états momentanés, spécifiques, mystiques qui ont été décrits (dans la Vie) sous les rubriques Méditation, Oraison de quiétude, Sommeil des puissances et Extase ». Psychologie du mysticisme religieux, p. 258. Le mariage spirituel, ou mieux l’état permanent d’union qui le suit ( car sainte Thérèse les distingue), se rapprocherait plutôt en effet de cette a véritable union », de cette « grâce de l’union », qui consiste dans la parfaite conformité de notre volonté à la volonté divine, que de 1’ « oraison d’union », cf. supra, col. 2630. L’union transformante, que saint Jean de la Croix appelle l’union tout court, est le but même auquel tous les hommes doivent tendre ; les grâces mystiques ne sont que des moyens, peut-être indispensables, pour y parvenir.

2. Il est une distinction qui commence à prendre consistance dans la théologie mystique et à laquelle il nous faut prêter une particulière attention ; car elle est peut-être appelée à réconcilier des adversaires qui paraissent encore irréductibles.

Sous des noms différents, on reconnaît comme deux sortes d’états ou de phénomènes mystiques : des états ou un état supérieur et des états inférieurs (j. Maréchal), des états forts et des états faiblesj( J. de Guibert), des états extraordinaires et une vie mystique ordinaireJ(Saudreau, Waffelært, etc.), le mystique au sens strict et le mystique au sens large (J. Mahieu), la contemplation « suréminente » et les grâces « éminentes » (Théodore de Saint-Joseph) etc. Voici quelques références où l’on trouvera des indications sur cette distinction : Revue d’ascétique et de mystique, 1920, p. 337 (J. de Guibert), p. 378 (J. Mahieu) ; 1923. p. 31-37 (G. J. Waffelært), reproduit par Hoornært, en épilogue à son édition des Œuvres de saint Jean de la Croix, t. iv, p. 250-256 ; 1924, p. 19 (J. de Guibert) ; 1926, p. 3-16 (J. de Guibert) ; 1923, p. 6375 (A. Saudreau, Grâces d’ordre proprement mystique et grâces d’ordre angélique).

Notons cependant que l’on est loin encore de s’accorder sur ce que l’on fera rentrer dans chacune de ces catégories : « Entièrement d’accord avec M. Saudreau et le P. Lamballe pour affirmer l’appel de toutes les âmes à la vie mystique (ordinaire), le P. Arintero se sépare d’eux quand il s’agit /de : définir cette vie mystique ordinaire, voie nécessaire de la sainteté : il y fait rentrer les formes de connaissance « angélique » i expérimentale », « immédiate » de Dieu, la « perception surnaturelle par les sens spirituels » que M. Saudreau en exclut comme constituant les « faits extraordinaires » de la vie spirituelle, sans liaison nécessaire avec la sainteté. Et, à l’autre extrémité de l’échelle, le P. Arintero appelle déjà mystiques nombre d’actes de la vie illuminative, ou même purgative que M. Saudreau, si je ne me trompe, hésiterait à faire rentrer dans cette catégorie. » Revue d’ascétique et de mystique, 1921, p. 184.

L’accord ne pourrait-il se faire dans l’identification de l’extraordinaire avec le préternaturel ou le miraculeux ? C’est bien ainsi que l’entend le sens commun des fidèles, pour qui le mystique au sens strict signifie communication extraordinaire de Dieu, intervention immédiate, empiriquement reconnaissable, de Dieu dans la trame des phénomènes psychologiques, en un mot « miracle psychologique », comme s’exprimait le P. de Guibert dans un texte que nous avons cité. Et cette définition nominale ne préjuge en rien la solution de la question concernant la nécessité des grâces mystiques pour la sainteté. Cf. les excellentes remarques du P. de Guibert sur la méthode à employer dans l’étude théologique de la mystique, et notamment sur la nécessité de préciser le vocabulaire, si l’on veut

X. — 84

parvenir à s’entendre, Revue d’ascétique et de mystique, 1920, p. 339-351.

3° Les phénomènes mystiques et les dons du Saint-Esprit, ou la place que doit occuper l’élude de la mystique dans une synthèse Géologique. — On sait que, selon les théologiens catholiques, l’âme en état de grâce est dotée de ce que l’on a pu appeler un organisme surnaturel, composé notamment des vertus infuses et des dons du Saint-Esprit, vertus et dons étudiés dans les cent soixante-dix premières questions de la IIa-IIæ de saint Thomas. On sait, d’autre part, que, sous le nom de grâces gratis datas, les théologiens, et notamment saint Thomas, ibid., q. clxxiclxxviii, étudient les « charismes » énumérés par saint Paul, dont la production ne dépend pas nécessairement de l’état de grâce. Faut-il rattacher les phénomènes mystiques aux dons du Saint-Esprit, ou aux charismes ? Tel est, grosso modo, le troisième problème théologique concernant la mystique.

L’école dominicaine, avec les RR. PP. Garrigou-Lagrange, Joret et Gardeil, notamment, se prononce pour la première partie de l’alternative ; et l’on ne peut qu’admirer l’ingéniosité avec laquelle le P. Gardeil, dans La structure de l’âme et l’expérience mystique, t. ii, p. 196-231, rattache à tel ou tel don du Saint-Esprit les différentes étapes de la vie mystique. D’autres théologiens, de diverses écoles, préfèrent la seconde hypothèse : « tel fut en particulier l’enseignement d’Antoine de l’Annonciation, C. D., Disceptatio myslica, t. ii, q. iv, a. 8, n. 34°, Garrigou-Lagrange Perfection chrétienne et contemplation, t. i, p. 277. Tel nous paraît aussi le sentiment du P. de Guibert, qui n’hésite pas à reconnaître dans certains phénomènes mystiques de vrais miracles psychologiques, « à une condition cependant, celle de ne pas oublier que ce miracle psychologique tend par lui-même, directement et premièrement, à la sanctification de celui qui en bénéficie, et ne doit donc pas être assimilé purement et simplement aux grâces gratis dates, dont le but premier est de faire rayonner la puissance de Dieu, pour le bien général de l’Église. » Revue d’ascétique et de mystique, 1924, p. 11.

Avant d’essayer une conciliation de ces deux points de vue, qu’il nous soit permis de signaler les très pénétrantes analyses de M. R. Carton sur les degrés des grâces illuminatrices dans la théologie de Roger Bacon, dans L’expérience mystique de l’illumination intérieure chez Roger Bacon, p. 214-282. C’est un ample et suggestif commentaire d’un court passage de YOpus majus, cité p. 214, note 1 : Et sunt septem gradus hujus seientiæ inlerioris ; unus pcr illuminaliones pure scienliales ; alius gradus consista in oirtutibus… Tertius gradus est in septem donis Spirilus Sancti quæ enumeral Isaias ; quarlus est in beatitudinibus quas Dominus in Evangeliis déterminât ; quintus est in sensibus spiritualibus ; sixtus est in fructibus… ; septimus consista in raptibus et modis eorum secundum quod diversi diversimode rapiuntur, ut videant multa quos non licet homini loqui. Et qui in his experientiis vel in pluribus eorum est diligenler exercilatus, ipse potest certificarc se et alios non solum de spiritualibus, sed omnibus scienliis humanis.

A la simple lecture de ce texte, on remarque d’abord qu’outre les vertus et les dons du Saint-Esprit, Roger Bacon reconnaît un troisième principe d’opérations infus avec et dans la grâce sanctificanle », les béatitudes, p. 225 ; puisqu’il distingue des unes et des autres les sens spirituels, qui nous introduisent bien dans le domaine mystique, cf. p. 242-256 ; enfin que le suprême degré de la connaissance mystique se trouve dans l’extase, p. 256-262.

Que faut-il donc penser de l’alternative où l’on paraît vouloir nous enfermer : ou les phénomènes mys tiques proviennent des dons du Saint-Esprit, ou ils proviennent de grâces gratis datas ? — En réalité l’alternative est ainsi mal posée ; avec la formule suivante, nous nous approchons davantage d’une meilleure position du problème : « la vie mystique appartient-elle à la catégorie de la grâce sanctifiante, des vertus et des dons ou à celle relativement inférieure du miracle et de la prophétie ? » Garrigou-Lagrange, op. cit., p. 60 ; ou mieux, comme l’explique l’auteur, les phénomènes mystiques sont-ils surnaturels au sens théologique, surnaturels quoad substantiam, ou seulement surnaturels au sens philosophique et vulgaire, c’est-à-dire surnaturels quoad modum, ou préternaturels ? Sont-ils des « fruits » de la grâce sanctifiante, ne pouvant se produire par conséquent que dans les âmes surnaturalisées, ou des « faveurs » divines, des grâces actuelles d’une forme et d’une force particulières, pouvant atteindre aussi bien des âmes encore infidèles ou pécheresses, pour les amener à la vie surnaturelle, que des âmes régénérées pour les pousser à la sainteté ?

Distinguons : rien n’empêche de reconnaître une vie mystique qui serait l’épanouissement normal de la grâce sanctifiante, sans être le résultat de ces faveurs divines plus proprement mystiques, c’est-à-dire miraculeuses ; celle-là serait surnaturelle quoad substantiam, sans l’être en même temps quoad modum ; ce serait la vie mystique i ordinaire ». Au-dessus d’elle, on reconnaîtrait une vie mystique « extraordinaire », surnaturelle dans les deux sens du mot ; « cette contemplation infuse, dit lui-même le P. Garrigou-Lagrange, est dite aussi surnaturelle, parce qu’elle l’est doublement : non seulement quant à la substance de l’acte, comme l’acte de foi infuse, mais quant au mode… », op. cit., p. 274. Enfin, à côté de ces vies mystiques, ordinaire et extraordinaire, on admettrait des phénomènes mystiques qui pourraient n’être surnaturels qu’au sens philosophique, qu’ils se produisissent d’ailleurs en faveur de fidèles ou d’infidèles, d’âmes pécheresses ou d’âmes en état de grâce. « Nous sommes’à même enfin, de comparer, dans l’ordre de la grâce, les illuminations intérieures respectives du fidèle et de l’infidèle, et de donner aux unes du moins leur nom dans le vocabulaire théologique de l’époque (xme siècle) : les illuminations spéciales dont se sont trouvés gratifiés les grands philosophes de la Gentilité, ne pourraient-elles pas s’appeler des grâces purement gratuites, ce qui ne veut pas dire des grâces gratis datas (en note : celles-ci sont données au profit des autres et non au bénéfice de celui qui les reçoit, d’après l’enseignement théologique), comparées à celles du fidèle qui demeurent bien chez lui des clartés de la grâce sanctifiant son âme, gratis gralum facientis ? » R. Carton, op. cit., p. 229-230, à propos de R. Bacon. Nous avons déjà fait remarquer que saint Thomas rapporte à la prophétie, c’est-à-dire aux grâces gratis datas, un certain nombre de phénomènes mystiques, et qu’il fait du raplus un degré de la prophétie ; cf. Summ. thèol., IIa-IIæ en tête de la q. cxxxi.

Quant à expliquer la vie mystique, ordinaire ou extraordinaire, par les dons du Saint-Esprit, c’est une tout autre question, dans le détail de laquelle nous ne voulons pas entrer. Il s’agit ici d’un système théologique, auquel on peut opposer d’autres [systèmes théologiques, celui de saint Bonaventure et de Roger Bacon par exemple ; cf. R. Carton, op. cit., p. 214-282. Voir Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 394-411, Dons du Saint-Esprit et mode d’agir « ultra humain » d’après saint Thomas (J. de Guibert) ; 1923, p. 321-344, Dons du Saint-Esprit et vie mystique (J. de Guibert) ; 1924, p. 3-32, Dons du Saint-Esprit et contemplation infuse (J. de Guibert).

4° Nécessité des grâces mystiques pour la sainteté proprement dite. — - Précisons bien le sens de la ques

tion. Il s’agit de la sainteté proprement dite, c’est-à-dire de la pratique au degré héroïque de toutes les vertus chrétiennes ; il s’agit de la « grande sainteté, de celle qui mène ouvertement à la canonisation », comme s’exprime le P. Poulain, op. cit., c. xxviii, p. 518. Et d’autre part, il s’agit des grâces mystiques proprement dites, c’est-à-dire extraordinaires, miraculeuses, et non pas seulement de grâces éminentes, d’une prise de possession de plus en plus complète de l’esprit de l’homme par l’Esprit de Dieu, qui peut bien constituer le mystique au sens large, mais qui se distingue du vrai mystique. « Tout le monde, } en effet, admet que la sainteté suppose nécessairement une vie habituelle d’union à Dieu, la docilité constante aux inspirations de l’Esprit-Saint, qui prend ainsi peu à peu la direction complète de l’âme dans toutes ses démarches, … autrement dit un développement constant de l’action des dons du Saint-Esprit. Tout le monde admet que l’âme vraiment généreuse et mortifiée arrivera, si elle persévère, à cet état… Si donc, avec le P. Arintero, ou comprend d’une façon générale tous ces faits et ces états sous le nom de faits et états mystiques, je ne crois pas que personne… conteste sa thèse : en ce sens toutes les âmes sont appelées à la vie mystique, et sans elle il n’y a pas de sainteté. » Revue d’ascétique et de mystique, 1921, p. 184185. Mais reconnaître la nécessité, pour la sainteté, de ces grâces éminentes, que l’on ne peut appeler mystiques que dans un sens large, c’est enfoncer une porte ouverte et passer à côté de la question.

C’.est aussi mal poser la question que de se demander si la contemplation infuse est nécessaire pour parvenir à la sainteté ; comme si toute la mystique se ramenait à une forme d’oraison, à un « état d’oraison ». M. Maritain a pris la peine de signaler cette méprise dans l’article, Question sur la vie mystique et la contemplation, dans La vie spirituelle, mars 1923, p. 636-650. Il s’agit donc de savoir si, pour devenir un saint, pour pratiquer jusqu’à l’héroïsme pendant un temps plus ou moins long — car le P. Poulain distingue à ce sujet les martyrs des autres saints, encore qu’on puisse se demander si les martyrs eux-mêmes n’ont pas eu besoin des grâces mystiques proprement dites — toutes les vertus chrétiennes, il est ou il n’est pas nécessaire d’être soutenu, encouragé, par ces « faveurs » divines, qui constituent les phénomènes mystiques à proprement parler.

En fait, « presque tous les saints canonisés ont eu l’union mystique ; et généralement avec abondance », Poulain, op. cit., p. 518. Tel est le résultat d’une « étude historique » à laquelle s’est livré le P. Poulain. Il n’ose pas cependant en conclure « qu’il existe un lien presque nécessaire entre ces grâces (extraordinaires) et la sainteté… Le faithistorique ne prouve pas que les grâces extraordinaires soient une condition presque nécessaire de la sainteté, mais simplement que, dans sa générosité, Dieu s’est plu à accorder aux saints canonisés bien au delà du nécessaire. En a-t-il fait autant pour d’autres saints qu’il voulait laisser inconnus ? Et continuera-t-il à le faire habituellement dans l’avenir pour ceux qu’il veut mettre en lumière ? Nous l’ignorons. » Op. cit., p. 519.

En restant sur le terrain des faits, on pourrait, semble-t-il, accentuer la restriction exprimée par le P. Poulain. Nous avons signalé, cf. supra, col. 2641, l’opinion de saint François de S’ales, que discute le P. Poulain, ibid., p. 518-519. On pourrait par conséquent admettre la célèbre théorie des deux voies, l’une ordinaire, l’autre extraordinaire, pour parvenir à la perfection, à la sainteté, et l’en ne manquerait pas de témoignages en sa faveur. C’est sainte Thérèse, passage cité. col. 2(30 ; saint François de Sales, cf. col. 2641 ; saint Alphense de Liguori : Tulior via est

desiderare et exspectare tantummodo unionem activam quæ, ut diximus, est unio voluntatis noslrse cum divina voluntate (Homo aposlolicus, Append. i, p. 23), cité Revue d’ascétique et de mystiques 1924, p. 297 ; voici Tauler : « Les vrais pauvres d’esprit, qui se sont reniés eux-mêmes et ont renié leur intérêt propre… suivent Dieu partout où il les veut, soit au repos, soit à l’action… Si maintenant quelqu’un de ces hommes ne sent pas Dieu, ne le goûte jamais, si jamais ses efforts n’ont eu de succès, qu’il souffre patiemment ^ette pauvreté, car il peut être élevé plus haut, dans la souffrance et le délaissement, que dans l’activité et l’abondance. Que l’homme s’en tienne alors à sa sainte foi. » Cité Revue des sciences phil. et théol., 1921, p. 220, note.

Le P. Antoine du Saint-Esprit, après saint Jean de la Croix, a remarqué que les grâces mystiques sont parfois refusées aux parfaits ; qu’ils ne s’en découragent pas : nam si perfectam habuerinl sum voluntatis unionem cum divina, magis Deo placebunt et plus acquirent merilorum, quam si contemplatione supernaturali fruerentur, cum in hac unione sit perfeclio charitalis, ad quam média contemplatione quilibet aspirare débet. Et hœc unio voluntatis et desiderii Deo placendi et flagrantia chariialis sunt perjecta contemplalio, ut ait Auguslinus. Cité Revue d’ascétique et de mystique ?

1921, p. 183.

Marie des Vallées, consultée sur ce sujet en 1653, répondait : « Cette voie (la voie mystique) est très bonne en soi…, mais elle est rare ; c’est pourquoi il est facile de s’y égarer… Cette voie est pleine de péril : il faut craindre la vanité, l’amour-propre, la propre excellence, l’oisiveté et la perte de temps. Il ne faut pas s’imaginer qu’il n’y ait que ce chemin qui conduise à l’anéantissement de nous-même et à la perfection. Les uns y vont par la contemplation, les autres par l’action, les autres par les croix, les autres par d’autres chemins. Chaque âme a sa voie particulière. Il ne faut pas penser que la voie de la contemplation soit plus excellente ; celle des croix est bien plus noble, parce que c’est celle par laquelle le roi des rois a marché. Il est vrai que celle-là est toute couverte de fleurs et celle-ci d’épines, mais celle-ci est bien plus courte que celle-là. » Cité Revue d’ascél. et de mysl.,

1922, p. 91.

Enfin, car il faut se borner, le cardinal Billot, parlant des différents modes d’exercice des dons’du Saint-Esprit, déclare : Alius est modus, isque plane extraordinarius, qui etsi ad sublimem etiam sanctitatem

    1. NEQUAQUAM NECESSABIUS DICENDUS EST##


NEQUAQUAM NECESSABIUS DICENDUS EST, Ut plurimum

tamen… invenitur… in oratione quieds, unionis simplicis, unionis exlalicæ et unionis consummatæ, quæ cmnes sub nemine generico conlemplaiionis in/uste veniunt. Cité Revue d’ascét. et de mysl., 1922, p. 280, note 1.

Le P. M. de la. Taille aborde cette question de la nécessité des grâces mystiques [pourquoi donc ajout et-il « ou contemplation » ? ] pour parvenir à la sainteté, dans L’oraison contemplative, Recherches de science religieusd, 1919, p. 273-292, et dans une lettre de réponse aux observations faites par le P. Bainvel sur cet article ; cf. Introduction à la 10e édition des Grâces d’oraison du R. P. Poulain, par J. V. Bainvel, p. lvlxiii et i.xxxi-lxxxvi. L’auteur < estime que les grâces mystiques deviennent, à un moment donné pratiquement nécessaires pour continuer à avancer dans la note de la sainteté : la grâce commune ne faisant que surnaturaliser les moyens et ressources de notre psj’chologie humaine, un moment viendra où ces moyens, même ainsi surnaturalisés, seront insuffisants pour avancer encore : il y faudra les éléments ultra-humains des états mystiques », Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 214. Les raisons du P. de la Taille n’ont pas semblé péremptoires à son contradicteur : « Il est bien vrai que la grâce est nécessaire, une grâce continuelle, abondante ; une grâce de choix, si l’on veut ; mais il faudrait prouver que cette grâce de choix doit être la grâce mystique. Pour toute preuve, l’auteur nous dit : Sur cet article, il suffit de lire les Dialogues de sainte Catherine de Gênes. C’est un peu sommaire, pour une question si importante. Quand même ce serait vrai pour sainte Cathetine ou pour toute autre âme mystique, il ne s’ensuit pas que ce soit une loi générale. De cette loi générale. ni les théologiens, ni les ascètes, ni les mystiques euxmêmes ne nous disent ou ne nous prouvent la nécessité. » P. LXI.

Ne trouverait-onpas dans les lignes qui précèdent un principe de conciliation ? Les grâces mystiques seraient nécessaires, à un moment donné, pour cerlanes âmes. Sainte Thérèse l’assure pour ellemême, i Étant donnée notre nature, il nous est impossible, je le crois, d’avoir le courage des grandes choses, si nous ne nous sentons pas en possession de la faveur de Dieu. Nous sommes si misérables, si inclinés vers les choses de la terre, qu’il nous sera bien difficile d’arriver à un mépris sincère de tous les biens d’icibas et à un détachement parfait, si nous n’avons reçu quelque gage des biens de l’autre vie… De même, à moins d’avoir reçu, avec une foi vive, un gage de l’amour que Dieu nous porte, on aura bien de la peine à ^concevoir le désir de devenir pour tous un objet de contradiction, à parvenir enfin aux autres vertus éminentes qu’on remarque chez les parfaits… Il peut se faire qu'étant misérable comme je le suis, je juge des autres par moi-même ; sans doute il est des âmes qui, à l’aide des seules vérités de la foi, produisent des œuvres très parfaites. Pour moi, vu mon peu de vertu, j’avais besoin de tous ces secours. "Vie, c. x, p. 92-93, du t. i desjŒuwes complètes, édition sans notes.

On conçoit facilement que les grâces mystiques soient un puissant moyen de sanctification : quand l’expérience de Dieu et des choses divines vient renforcer de sa certitude les^certitudes de la foi, quand les faveurs divines viennent certifier à l'âme étonnée qu’elle est l’objet d’un amour de prédilection, quand l'âme goûte par avance les biens éternels, quand elle se sent prise par la passion de l’amour de Dieu, que ne ferait-elle pas pour son Bien-Aimé? Aussi l’on n’est pas surpris des désirs véhéments, ressentis par les mystiques qui en ont été une 'première fois favorisés, de goûter à nouveau ces grâces ineffables. Le théologien n’a pas de peine non plus à légitimer le o désir de l’union mystique » ; cf. Poulain, c. xxv ; pourquoi serait-il défendu de désirer et de demander, posilis ponendis, ces miracles psychologiques, alors que rien n’interdit de désirer les autres ?

Conduite à tenir en présence de phénomènes mystiques.

De récentes interventions du Saint-Siège

ou de l'épiscopat nous rappellent opportunément que nous devons nous montrer extrêmement prudents, dans l’examen des phénomènes mystiques et dans l’admission de leur caractère surnaturel.

Nous faisons allusion tout particulièrement aux faits de Loublande et a la condamnation du livre intitulé : Une mystique de nos jours… Cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1922, p. 333-334. Malgré les nombreuses et hautes approbations qu’il avait reçues, on s’explique la condamnation de ce livre : « 1. par le danger d’illusion que crée l’habitude d’attribuer trop facilement à des communications immédiates de Dieu les bonnes pensées qui se présentent à l'âme… - 2. par le danger d’une familiarité excessive avec Dieu et Notre-Selgneur - familiarité qui, pour des ftmes moins pures et moins simples que celle de sœur

Gertrude-Marie, peut n'être pas sans graves inconvénients — et dont il est dès lors inopportun de jeter les confidences dans le grand public… » Ibid., p. 333. L’intervention épiscopale se lit dans l’Approbation donnée par Mgr Chollet à l’ouvrage de Farges, Les phénomènes mystiques, 1. 1, p. viii : « Je suis tout à fait de votre avis au sujet de l’attitude que les directeurs doivent prendre en face des voies passives ou de J oraison de quiétude. Les voies passives sont ouvertes par Dieu lui-même à qui il lui plaît. Il y introduit des imparfaits qu’il y sanctifie ; il n’y mène pas des saints. Laissons-lui le gouvernement de ces voies, et n’y poussons pas : contentons-nous de contrôler ce qui s’y passe… » Les dangers d’illuminisme et de quiétisme, aujourd’hui comme toujours et peut-être plus que jamais, ne sont pas des chimères ; cf. Revue d’ascétique et de mystique, 1921, p. 187 ; 1922, p. 448.

Le premier mouvement d’une âme qui pourra se croire l’objet d’une faveur mystique, d’un directeur consulté sur la nature de tel phénomène ressenti, devra être de croire plutôt à quelque cause naturelle qu'à une intervention immédiate de Dieu, et d’en différer l’examen, de n’en plus parler, de n’y plus penser. C’est la conduite tenue par Héli à l'égard du petit Samuel. Il sera toujours temps d’examiner si le phénomène se reproduit. — En agissant ainsi, dirait saint Jean de la Croix, « on ne fait pas à Dieu la moindre offense, et on n’en reçoit pas moins l’effet et le fruit que Dieu avait en vue en les suscitant (il î'agit de « perceptions surnaturelles » reconnues comme telles et auxquelles on n’attache aucune importance, que l’on « repousse » ). Cela est facile à comprendre. Vision corporelle, impressions reçues par les autres sens, et aussi communications, même les plus intérieures, si elles viennent de Dieu, au moment même qu’elles paraissent et sont ressenties, elles produisent leur effet dans l’esprit, sans attendre que l'âme délibère sur ses sentiments à leur égard. Car, comme Dieu donne ces communications surnaturelles sans le concours actif ni l’application de l'âme, de même il ne requiert pas sa participation pour produire l’effet qu’il a en vue. » La montée du Carmel, t. II, c. x, 1. 1, p. 93, édition Hoornært.

Si le phénomène se reproduit, il sera bon, pour éviter d'être le jouet d’une illusion, de s’assurer qu’il n’est pas dû à quelque cause naturelle, en faisant varier ce qu’on peut appeler les conditions de l’expérience, par exemple de supprimer jeûnes, veilles, mortifications de toutes sortes, qui peuvent avoir affaibli l’organisme et produit ou contribué à produire ce phénomène qu’on prend pour un phénomène mystique. Sainte Thérèse le recommande expressément, Château, IVe D., c. iii, p. 165-167. Si le phénomène ne se reproduit plus, il est fort à présumer qu’on avait affaire à une cause naturelle : Sublala causa, toUitur 'ffectus.

Mais en liii, si les manifestations d’apparence surnaturelle continuent malgré tout, on peut procéder soi-même à un examen méthodique des phénomènes en question, ou consulter à leur sujet des personnes compétentes. « . Il sera bon, dans les commencements, d’en parler, sous le secret de la confession, â un homme éminent en doctrine, ou bien à un homme très avancé dans la spiritualité, si l’on peut le rencontrer… Mais une fois ces consultations faites, il faut se tenir en repos et ne pas les multiplier, car parfois le démon inspire sans motif des craintes excessives, qui portent ['âme à ne pas se contenter d’une seule décision. Cela arrive surtout si le confesseur manque d’expérience, si on le voit craintif et si lui-même incline l’Ame a s’en ouvrir fréquemment… » Château, VIe D., c. viii, p. 281-285. Moins donc on parlera de ces faveurs divines, même à son confesseur, mieux cela vaudra.

Il faut lire, à ce propos, les graves reproches faits par saint Jean de la Croix aux confesseurs ou directeurs imprudents, qui provoquent ou supportent de longs entretiens sur ces sujets avec leurs dirigés ou dirigées. La Montée du Carmel, t. II, c. xvi, p. 132-136.

Et qu’on ne perde pas son temps, ni surtout son calme dans l’examen des phénomènes : il n’y va pas d’une question de salut. Que si le phénomène n’apparaît pas d’emblée comme surnaturel, si l’on a quelque raison de douter, qu’on le considère plutôt comme naturel : on n’a rien à y perdre et tout à y gagner. Que si, au contraire, tout porte à croire qu’il y ait là du mystique vraiment surnaturel, eh bient soit ! qus l’on croie pieusement que l’on a été l’objet d’une faveur surnaturelle, que l’on se tienne à cette croyance et que l’on agisse en conséquence. Il n’y a pas de mal à y croire, répète à plusieurs reprises sainte Thérèse, même si l’on n’en est pas tout à fait certain ; cf. Château, IVe D., ci, p. 143 ; Ve D., c. i, p. 174 : « Atout le moins suis-je persuadée qu’il ferme absolument la porte de son âme à ces faveurs, celui qui n’est pas convaincu que le pouvoir de Dieu s’étend bien au delà, et qu’il a daigné, qu’il daigne encore quelquefois se communiquer ainsi à ses créatures. Donc, mes sœurs, que cela ne vous arrive jamais. Croyez, au contraire, que le pouvoir de Dieu va bien plus loin encore. » VIe D., c. ni, p. 226 ; c. ix, p. 293. La chose est possible, en effet, et ne doit pas plus nous étonner que tant d’autres bienfaits que nous recevons continuellement de la libéralité divine ; c’est une grâce actuelle plus forte que les grâces ordinaires, un secours plus puissant, un appel plus pressant à nous sanctifier.

Toutefois, s’il n’y a pas de mal à y croire, il faut aussi se rendre compte des dangers que de pareilles faveurs peuvent faire courir aux âmes, des obligations nouvelles qu’elles leur imposent. Les dangers sont nombreux, cf. Farges, Les phénomènes mystiques, t. i, p. 263-265 : danger d’orgueil : « N’oubliez pas non plus que l’âme, quand elle voit ce qui lui arrive d’extraordinaire, laisse souvent se glisser en elle, quoique secrètement, une excellente opinion d’elle-même, et se plaît à se regarder comme étant déjà quelque chose devant Dieu, ce qui détruit l’humilité », La montée du Carmel, t. II, c. x, p. 92 ; on y obviera, en se rappelant que les faveurs mystiques ne sont pas tant des marques de sainteté que des appels à la sainteté. « Elles (les prieures) ne doivent pas non plus se figurer que pour être favorisées de grâces de ce genre, une sœur en soit meilleure que les autres. Le Seigneur conduit chacun suivant qu’il le juge nécessaire. Ces faveurs, si l’on y répond, peuvent aider à devenir vraie servante de Dieu, mais parfois ce sont les plus faibles que le Seigneur conduit par ce chemin. Il ne faut donc ni approuver, ni condamner, mais considérer la vertu. Celle-là sera la plus sainte qui servira Notre-Seigneur avec plus de mortification, d’humilité et de pureté de conscience. » Château, VI 8 D., c. viii, p. 285.

Danger de mésusage des faveurs mystiques, de recherche avide et stérile des jouissances, de relâchement dans l’effort personnel, de quiétisme, saint Jean de la Croix fait dériver toutes ces déviations du mysticisme de ce qu’il appelle l’esprit de propriété, l’appropriation des faveurs surnaturelles : « Les grâces et faveurs divines se perdent, car l’âme en se les appropriant ne les utilise pas comme elle devrait. Agir ainsi en négligeant ce qu’elles ont d’utile, c’est vouloir s’en emparer, et Dieu ne les accorde pas pour que l’âme en fasse sa propriété. » La montée du Carmel, t. II, c. x, 1. 1, p. 94. On y obviera en se rendant compte des responsabilités qui pèsent sur l’âme du fait d’avoir reçu des faveurs surnaturelles : « Pour recevoir beaucoup de faveurs de ce genre, une âme ne mérite pas plus de gloire, mais elle est obligée, tout au contraire,

à servir plus parfaitement Celui dont elle reçoit davantage. » Château, VI 8 D., c. ix, p. 296-297. « Plus elles se voient favorisées de Sa Majesté, plus elles s’effraient, plus elles se défient d’elles-mêmes ; et comme ses grandeurs leur ont fait mieux connaître leurs misères, mieux révélé aussi la gravité de leurs offenses, il leur arrive souvent de n’oser, comme le publicain, lever seulement les yeux. D’autres fois elles appellent la fin de leur vie, afin de se voir en sûreté ; mais aussitôt, l’amour qu’elles ont pour Dieu leur fait souhaiter de vivre encore afin de le servir, et elles s’en remettent à sa miséricorde de tout ce qui les concerne. » Ibid., VII 8 D., c. ni, p. 339. En un mot le vrai mystique sera celui qui unira les rôles de Marie et de Marthe, qui puisera dans les communications divines la force de se dévouer sans mesure à la gloire de Dieu et au bien de ses frères ; c’est la conclusion à laquelle aboutit sainte Thérèse, ibid., c. iv.

Nous ne pouvons mieux terminer qu’en reproduisant cet authentique portrait du vrai mystique qu’en a tracé quelqu’un qui fut à même de l’observer : « Les mystiques sont des âmes qui ont des ailes ; les autres en sont réduits à marcher sur le sol… Tout naturellement elle (l’âme que Dieu a favorisée de la grâce mystique) plane au-dessus des contingences de la vie ; avec aisance elle fait des sacrifices dont tout autre frémirait… Aussi l’on peut demander beaucoup à des mystiques : l’héroïsme leur est comme naturel. — Un autre trait commun aux mystiques, c’est leur parfaite droiture et lucidité d’esprit, dans tout ce qui concerne la perfection… Inhabile parfois dans les affaires de cette vie, il a le sens des choses de l’âme, car il porte en lui un esprit de lumière. — J’ai toujours été frappé aussi de la parfaite obéissance de ces âmes favorisées… Il n’est nullement nécessaire de stimuler ce genre d’âmes, ni de les consoler ; il suffit de les diriger : le Saint-Esprit se charge de leur donner du courage et de l’élan… — En général aussi… les mystiques, dès qu’ils sentent les premières touches de l’Esprit, sont saisis d’une pudeur spéciale qui les porte à tenir caché à tous « le secret du Roi »… Cette réserve m’a toujours paru un bon signe. Au contraire, les mystiques verbeux et avides de s’épancher m’ont toujours laissé sceptique et défiant. — Je ne dirai rien de la grande humilité des mystiques : c’est un trait que tout le monde a relevé… » P. S., Revue d’ascétique et de mystique, 1920, p. 275-276.

Nous n’avons pas l’intention de reproduire ici la Bibliographie annexée au Traité des Grâces d’oraison du P. Poulain, ni les Notes bibliographiques sur la contemplation infuse, qui lui servent de Supplément, par le P. Scheuer ; cf. Reoue d’ascétique et de mystique, 1923-1924. Les anciens auteurs ne seront donc pas mentionnés ici.

Parmi les modernes, nous ferons un choix : nous indiquerons ceux qui nous paraîtront les plus utiles ou les plus faciles à consulter, pour un lecteur français notamment, ou les plus représentatifs dans les deux principales écoles théologiques, entre lesquelles se partagent actuellement les théoriciens catholiques de la mystique. Pour les ouvrages mentionnés au cours de l’article, nous indiquerons ici l’édition que nous avons utilisée. Nous nous servirons des abréviations suivantes : R.A.M. = Revue d’ascétique et de mystique ; R.S.P. T. = Revue des sciences philosopliiques et théologiques ; V. S.— La vie spirituelle ascétique et mystique. Les ouvrages dont le lieu de l’édition ne sera pas signalé, ont été publiés à Paris. — N. B. Cette bibliographie, sauf deux exceptions, ne comprend que des ouvrages ou articles antérieurs a juillet 1926, date à laquelle cet article a été terminé.

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d’oraison du R. P. Poulain, 1923 ; contient un Index bibliographique, p. m-vn ; J. Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérienee mystique, 1924, voir p. 750-770, l’indication des « ouvrages cités » ; E. Baumann, L’anneau d’or des grands mystiques, 1924 ; J. Bernhart, Die philosophische Mystik des Millelallers von ihren anliken Ursprungen bis zur Renaissance, Munich, 1922 ; J. M. Besse, Les mystiques bénédictins des origines au XIIIe siècle, 1922 ; L. de Besse, Éclaircissements sur les œuvres mystiques de saint Jean de la Croix, 1893 ; La science de la prière, 1903 ; M. Blondel, Le problème de la mystique, dans Qu’est-ce que la mystique ? Cahiers de la nouvelle journée, 3, 1925 ; A. de Boissieu, Les fondements psychologiques des phénomènes et étals mystiques, V. S., mai 1922 ; E. Boutroux, La psychologie du mysticisme, Revue bleue, 15 mars 1902 ; H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, 1916-1928, 8 vol. parus ; Pour le romantisme, 1923 ; C. Butler, Western mysticism. The teaching o/ S. S. Augustine, Gregory and Bernard on contemplation, Londres, 1922.

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