Dictionnaire de théologie catholique/NESTORIENNE (Eglise) VI. L'expansion nestorienne vers l'Asie centrale et la Chine

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.1 : NAASSÉNIENS - ORDALIESp. 107-116).

VI. L’expansion nestorienne vers l’Asie centrale et la Chine. —

1° La chrétienté de Si-ngan-jou sous les T’ang. —

De la Perse à la Chine il y a deux routes, celle de mer et celle de terre ; chacune a ses difficultés, car, d’une part les tempêtes de l’Océan Indien sont terribles, de l’autre les caravanes sur les hauts plateaux du Turkestan sont infiniment lentes, monotones et pénibles. Mais lorsqu’un intérêt commercial est en jeu, il n’est pas d’efforts que l’homme ne fasse : tôt ou tard, il arrive à vaincre la nature et passe. Le seul obstacle au commerce, c’est l’homme ; la seule véritable entrave aux échanges, c’est l’insécurité, qui résulte de la guerre ou du brigandage. Ainsi, il se trouve qu’en Extrême-Orient la vie du christianisme n’a pas été soumise seulement aux vicissitudes dela politique intérieure, comme il arrive partout, elle a été conditionnée plus encore par les événements qui ont déterminé le choix des itinéraires, ou ont rendu le voyage d’Occident à la Chine momentanément impossible.

Lorsqu’Iso’yahb III (650-7) écrivait que le christianisme avait dépassé la limite de l’Inde au delà de Kalah, il s'était déjà implanté, grâce à un homme venu de la mer, dans la capitale des T’ang, et l’empereur régnant, Kao Tsoung, allait donner ordre qu’un monastère chrétien fût construit dans chacune des préfectures de l’empire du Milieu.

Au début de 1625, peut-être quelques mois plus tôt, fut découverte par hasard dans les environs de Singan-fou une stèle couverte d’une longue inscription chinoise, complétée par quelques mots et une longue liste de noms en syriaque estranghelô. Les missionnaires jésuites au Chen-si, avertis par leurs disciples du caractère chrétien de cette stèle, sur laquelle se voyait une croix, s’en procurèrent immédiatement des estampages, allèrent l’examiner personnellement, en publièrent le texte à l’usage des indigènes, en expédièrent en Europe traductions et reproductions. Ce fut pour les historiens un événement considérable que cette révélation d’une chrétienté en Chine aux vu 5 et vin » siècles. Le P. Havret a réuni, dans une exposition un peu diffuse, ce que les relations de ses confrères du XVIIe siècle contiennent de détails sur la trouvaille de la stèle et l’accueil fait en Europe à cette découverte, La stèle chrétienne de Si-ngan-fou, part. II, dans Variétés sinologiques, n. 12, Chang-Haï, 1897, p. 31-105. Athanase Kircher, dans son désir de donner plus d’importance à l'étude de la langue copte, consacra quarante pages de son Prodromus coplus sive œgyptiacus, Rome, 1636, à la nouvelle inscription, remplissant ainsi un chapitre intitulé : De colonis Ecclesiæ Copto-Aithiopicse in alias parles mundi trad.clis, p. 46-85. Il revint sur le sujet dans sa China

monum^ntis… illustrala, Amsterdam, 1667, donnant cette fois une reproduction totale des inscriptions chinoise et syriaque, sous le titre Eclypon verum et genuinum celeberrimi istius monumenli Sinico-Syriaci quod in regno Sinarum, prope urbem Sigan/u, ma g no christiamv religionis (ructu et emolumento anno 1625 deteclum fuil (en face de la p. 12). Mais le magno christianæ religionis fructu et emolumento de Kircher inquiéta les incroyants : on mit en doute l’authenticité de la stèle. Voltaire, bien entendu, se divertit fort dans la quatrième des Lettres chinoises et indiennes, Œuvres complètes, Paris. 1784, t. xlvii, p. 205-211 : « Sur l’ancien christianisme qui n’a pas manqué de fleurir à la Chine. » Polémique partiale, dont les arguments font sourire, remplie d’erreurs et d’anachronismes ; elle n’en dura pas moins jusqu’au milieu du dernier siècle ; cf. C. Pauthier, De la réalité et de l’authenticité de l’inscription nestorienne de Si-nganfou, relative à l’introduction de la religion chrétienne en Chine dès le VIP siècle de notre ère, Paris, 1857, extrait des Annales de philosophie chrétienne, sér. IV, t. xv, 1857, p. 43-60, 258-280, 450-465 ; t. xvi. 1857, p. 127153, 267-285. Les découvertes archéologiques des trente dernières années et l'étude des textes chinois ont donné au « monument chinois », autrefois isolé, un encadrement tel, qu’il n’y a plus lieu aujourd’hui de s’arrêter aux arguments de cette discussion.

La stèle de Si-ngan-fou, érigée en 781 dans l’enceinte du monastère fondé en 638 par ordre de l’empereur T’ai Tsoung au faubourg occidental de sa capitale, n’est pas une inscription funéraire, mais le monument commémoratif d’une réunion annuelle, tenue en 779 aux frais d’un notable chrétien, Yi-sseu, autrement Yazd-bôzêd. P. Pelliot, Chrétiens d’Asie Centrale et d’Extrême-Orient, dans T’oung Pao (Archives pour servir à l'étude… de l’Asie orientale), 1914, t. xv, p. 624 sq. Le monument, en calcaire oolithique gris, mesurant 2 m. 36 de hauteur, m. 86 de largeur et m. 25 d'épaisseur, a été transporté en 1907 au Peilin ou « forêt des stèles » de Si-ngan-fou, après que M. F. V. Holm en eut fait exécuter sur place une réplique, en pierre analogue. Cette copie, après avoir été exposée comme objet prêté au Metropolitan Muséum of art de NewYork, fut offerte en 1916 au pape Benoît XV, et se trouve aujourd’hui au Musée du Latran. F. V. Holm, The nestorian monument, Chicago, 1909, reproduit, avec additions, du journal The open court, janvier 1909. Son arrivée en Occident a donné un regain d’actualité à l'étude de la stèle, et a fourni l’occasion de diverses études, dont la meilleure est celle du pasteur japonais, P. Y. Sæki, The nestorian monument in China, Londres, 1916. Mais on n’oubliera pas que la réplique a été faite près de trois cents ans après que la pierre a été exposée à toutes les intempéries, elle ne rend pas inutile l’examen des estampages du xviie siècle, dont nous nous contenterons de signaler ceux qui sont conservés à la bibliothèque Vaticane sous les cotes Barberini Or. 151, 2 c. d., Borgia chinois 528 (provient de Montucci, qui le tenait de Klaproth), Raccolta générale, Oriente, III, 245 (aucun des trois n’ayant les faces latérales).

Au sommet de la stèle est sculptée une perle, tenue par deux dragons, formant un ensemble, où M. Sæki voit un symbole bouddhique, p. 12. Au-dessous, un cartouche, qui contient neuf grands caractères formant titre, est surmonté d’un fronton triangulaire, où se voit, finement dessinée au trait une croix érigée au-dessus d’un nuage, flanqué lui-même de deux fleurs de lotus. Le nuage étant le symbole du taoïsme ou de l’islamisme et les fleurs de lotus celui du bouddhisme, il semble qu’on ait voulu réunir en une les trois religions étrangères à la Chine, P. Y Sæki, op. cit., p. 14, en donnant toutefois indiscutablement

la prééminence à la religion chrétienne. Le texte a été composé par le prêtre Klng-Tslng, autrement Adam, qui est l’auteur d’une hymne baptismale à la Trinité retrouvée à Touen-Houang par M. Pelliot, et qui aurait traduit un certain nombre d’ouvrages chrétiens, dont les titres, au nombre de 35, sont enregistrés à la suite de l’hymne, P. Pelliot, Une bibliothèque médiévale au Kan-Sou, dans Bulletin de l'École française d’Extrême-Orient, 1908, t. viii, p. 518-519 ; tract, anglaise par Sæki, op. cit., p. 66-70, reproduction du texte chinois de l’hymne, p. 272. Nous savons par ailleurs que ce même prêtre, d’origine persane, collabora après 782 à la traduction d’un texte bouddhique, du ouïgour en chinois, à la demande d’un bouddhiste indien, nommé Prajna. J. Takakusu, The name o o Messiah » fonnd in a buddhisi book. (lie neslorian missionary Adam, presbyter, papas oj China, translating a buddhisi sùtra, dans T’oung Bao, 1896, t. vii, p. 589 sq., reproduit par Sæki, p. 71-74, texte chinois, p. 289. Ce que nous savons sur Adam-King Tsing s’accorde donc parfaitement avec le symbolisme des représentations signalées.

La teneur de l’inscription se divise en cinq parties : 1° exposé doctrinal ; 2° historique de la chrétienté de Chine, vu de la capitale, de 635 à 781 ; 3° éloge de Yi-sseu ; 4° éloge poétique des empereurs cités dans la partie historique ; 5° acte d'érection de la stèle. L’exposé doctrinal vaut d'être reproduit dans son entier, car il montre ce que des chrétiens habitant la Chine, dans un temps où plusieurs religions s’y coudoyaient, osaient écrire sur une pierre accessible à tous, et aussi ce qu’ils croyaient devoir omettre ou exprimer dans un langage voilé. Nous nous servirons de la traduction française du P. Havret, telle qu’elle se trouve, complétée, dans F. Nau, L’expansion ncslorienne en Asie, dans Annales du Musée Guimet, Bibliothèque de vulgarisation, t. xl, Paris, 1914, p. 347-383, de la traduction anglaise de Sæki, op. cit., p. 162-180, en tenant compte de ses notes explicatives, p. 181256, et des variantes à la traduction proposées par L. Giles, Noies on the nestorian monument at Sianfu, dans Bulletin o) Ihe school of Oriental studies, London Institution, t. i, part. 1, 1917, p. 93-96 ; part. II, 1918, p. 16-29 ; part, fil, 1920, p. 39-49 ; part. IV, p. 15-26,

Monument (commémorant) la propagation dans l’Empire du Milieu de l’illustre religion de Ta Ts’in.

Éloge (gravé) sur le monument (commémorant) la propagation de l’Illustre religion dans l’Empire du Milieu, avec préface, composé par King Tsing, prêtre du monastère de Ta Ts’in (en syriaque), Adam, prêtre et chorévêque, pafsi de Chine.

En vérité, Celui qui est pur et paisible, qui étant sans principe est l’origine des origines, incompréhensible et invisible, toujours mystérieusement existant jusqu'à toute fin, qui contrôlant l’axe caché de l’univers, a créé et développé toutes choses, donnant mystérieusement l’existence à de nombreux sages, étant le premier digne d’hommages n’est-ce pas notre Dieu (Allaha), Trinité une, substance mystérieuse, inengendré et vrai Seigneur ?

Séparant en forme de croix, pour les déterminer, les quatre quartiers de l’univers, il mit en mouvement l'éther primordial et produisit le double principe. Les ténèbres et le vide furent transformés : le ciel et la terre apparurent. Le soleil et la lune tournèrent : les jours et les nuits commencèrent. Ayant projeté et accompli toutes choses, il façonna et dressa le premier homme, lui donna l’intégrité et l’harmonie, puis lui conféra la domination sur l’immensité des créatures. La nature originelle de l’homme était pure, humble et sans enflure ; son esprit était libre d’aprétits et de concupiscence. Mais Satan se nia habilement des espérances de bonheur supérieures à celles de l'état de justice, et il introduisit une obscurité semblable à celle de son propre état de péché.

En conséquence, trois cent-soixante-cinq formes d’erreur se suivirent pressées et tracèrent leur sillon, tis sant à l’cnvi les filets de leurs fausses doctrines pour enserrer les innocents. L’une, désignant la matière comme premier principe de l’univers, l’autre supprimant la réalité de l'Être, et abolissant la dualité de nature ; d’autres appelaient le bonheur par des prières et des sacrifices ; d’autres enfin faisaient parade de vertu et méprisaient leurs semblables. Les pensées de la sagesse (humaine) tombèrent dans une navrante confusion ; les intentions (des hommes) et leurs affections furent dans un mouvement incessant ; mais leur travail était vain. L’ardeur de leurs soucis devint une flamme dévorante ; aveuglés, ils augmentaient encore leurs ténèbres ; égarés de leur voie, ils se perdaient et reculaient leur retour vers le droit chemin. Cependant la seconde personne de la Trinité, le Messie (Mi-chi-ho = Mêlha), qui est le brillant Seigneur de l’univers, voilant son authentique majesté, apparut sur terre comme homme. Les anges proclamèrent la bonne nouvelle : une vierge enfanta le Saint dans Ta Ts’in. Une étoile brillante annonça l'événement béni : la Perse, voyant cet éclat, vint faire hommage de ses présents. Accomplissant la Loi ancienne, qu’avait écrite les vingt-quatre sages, Il enseigna comment gouverner royaumes et familles suivant son grand plan. Fondant la nouvelle religion, ineffable, du Saint-Esprit, autre personne de la Trinité, Il donna à l’homme la capacité de bien faire par la vraie foi. Instituant la règle des huit préceptes, Il dégagea le monde de la sensualité et le rendit pur. Ouvrant largement les portes des trois vertus, Il introduisit la vie et supprima la mort. Suspendant un soleil lumineux, Il éclaira la demeure de ténèbres ; ainsi toutes les ruses du démon furent déjouées. Conduisant à la rame la barque de la miséricorde, Il transporta ses occupants dans le séjour de la lumière ; ainsi les âmes des défunts furent amenées au salut. Ayant ainsi accompli l’oeuvre de la Toute-puissance, Il retourna en plein midi au pays de la pureté. Il laissait les vingt-sept livres de son Écriture ; les grands moyens de transformation étaient largement étendus et la porte scellée de la vie bienheureuse était ouverte.

Il a ordonné le baptême dans l’eau et l’Esprit, qui dégage des vaines pompes (du monde) et purifie jusqu'à récupération d’une parfaite blancheur. (Ses ministres) portent la croix comme un sceau, qui répand Son influence dans les quatre régions du monde et réunit tout sans distinction. Frappant le bois, ils proclament les joyeuses paroles d’amour et de charité. Ils se tournent vers l’Est, pour leurs cérémonies, ils courent dans les voies de la vie et de la gloiie. Ils laissent croître la barbe pour montrer qu’ils ont des actions extérieures, mais il se rasent le sommet de la tête, pour se rappeler à eux-mêmes qu’ils n’ont point de désirs égoïstes. Ils n’ont pas d’esclaves, hommes ou femmes, mais ils tiennent tous les hommes, nobles et communs, en égale estime. Ils n’amassent ni trésors ni richesses, mais donnent en leurs personnes un exemple de pauvreté et de renoncement. Leur pureté de coeur est obtenue parla retraite et la méditation, leur ascétisme est fortifié, par le silence et la vigilance. Ils se réunissent sept fois par jour pour adorer et louer, ils offrent leurs prières pour les vivants et les morts. Une fois chaque sept jours ils ont un sacrifice non-sanglant. Ils purifient leurs cœurs, retrouvent la pureté. Cette Voie pure et immuable est mystérieuse, difficile à dénommer, mais ses mérites éclatent si brillamment dans sa pratique, que nous sommes contraints de la nommer l’Illustre religion.

Le P. YVieger a sévèrement jugé cet exposé : « L’inscription que cette stèle nous a conservée, parle du Dieu UJn et Trine en des termes très obscurs. L'énoncé de l’Incarnation est dogmatiquement et linguistiquement défectueux. La divinité du Fils de la Vierge n’est pas énoncée. Le dogme de la Rédemption est escamoté. Pas un mot de la Passion. « Après avoir expliqué les trois vertus, inauguré la vie et éteint la mort, en plein midi le Saint (c’est-à-dire Jésus) monta Immortel. » Voilà tout. C’est peu. Et, des termes employés pour exprimer ce peu, plusieurs sont taoïstes, et durent être mal compris j, ar les lecteurs. » Hibloiie des croyances religieuses et des opinions philosophiques en Chine depuis l’origine jusqu'à nos jours, Sienshien, 1917, p. 531. C’est là du persiflage. Le texte qu’on vient de lire ne provient pas d’un catéchisme, mais d’une inscription exposée aux yeux de tous.

M. Sæki a fait un relevé minutieux des expressions bouddhistes et taoïstes contenus dans la stèle, il y a reconnu également une citation d’un ouvrage chinois, op. cit., p. 187 ; cela prouve que le prêtre persan, Adam, s'était fort bien adapté au milieu où il vivait. On ne s’y prend pas de la même façon pour convertir des barbares, qui n’ont pas d’alphabet, et des peuples de vieille civilisation comme les Aryens de l’Inde et les Chinois ; aux premiers on impose ses termes, on cherche d’abord à comprendre les expressions et les habitudes des derniers. Le clergé nestorien des Indes n’a converti que les représentants d’une race refoulée et déchue ; en Chine, les moines qui vivaient dans la capitale ont suivi la tactique que suivra le P. de Nobili : ils sont entrés largement, trop largement peut être, dans la voie de l’adaptation et du syncrétisme. Le P. Wieger reconnaît d’ailleurs un peu plus loin, p. 543 sq., que la connaissance de la Trinité était parvenue aux taoïstes avec une précision assez remarquable, dans les mêmes années et par le moyen desdits nestoriens : c'était donc bien, à leur hérésie près, le vrai christianisme que ceux-ci prêchaient.

L’inscription donne ensuite les principales phases de l’extension chrétienne dans la Chine des T’ang : « T’ai Tsoung, l’empereur accompli, inaugurait avec gloire et splendeur son règne magnifique (627-649)… et voici qu’un homme de grande vertu, nommé O-lo-pen, du royaume de Ta Ts’in, consultant les signes du ciel bleu, décida d’apporter les Livres véritables ; observant le cours des vents, il fit son chemin à travers difficultés et périls. » Le récit continue de son arrivée dans la neuvième année du roi (635) à Tehangnan, qui est Si-ngan-fou, de la réception officielle qui lui fut faite, puis de la traduction des livres avant toute prédication, enfin de l’approbation donnée deux ou trois ans plus tara par le monarque. La stèle donne ensuite le texte d’un édit en faveur de la religion chrétienne, pierre d’achoppement pour les ennemis de l’authenticité, qui en est devenu un confirmatur. depuis que le même texte a été retrouvé dans un livre chinois, le T’ang Hui-yao, composé en 982 (voir cependant l’observation de Sæki sur ce que le livre a été révisé profondément au xvine siècle et pourrait avoir été retouché d’après l’inscription, op. cit., ꝟ. 211). A la suite de ce rescrit un monastère fut construit dans la capitale, où vingt et un moines devaient être maintenus aux frais æ la couronne.

L’empereur suivant, Kao Tsoung (650-083). développe les concessions faites, en donnant l’ordre de bâtir une église chrétienne dans chaque arrondissement (tchcoa), et en conférant à O-lo-pen le titre de gardien et chef de la Grande doctrine pour tout l’empire. L’auteur de l’inscription déclare qu’en fait la religion chrétienne se développa dans les dix provinces : des monastères fuient construits dans plusieurs villes et beaucoup de familles jouirent des bienfaits de la religion. Développement trop rapide peutêtre, où les néophytes ne purent recevoir une suffisante formation chrétienne, danger pour la période troublée qui allait suivre ; car en 699 au Honan, et en 713, près de Si-ngan-fou, les chrétiens eurent maille à partir avec les bouddhistes. « Mais arrivèrent alors le métropolite Abraham (Lo-han), l'évêque Cyriaque (Ki-lie) et d’autres, en même temps que, des hommes nobles æ la région de l’or (Bactriane ou Tokharestan), avec des prêtres éminents, qui avaient dédaigné les intérêts matériels. Ils coopérèrent tous dans la restauration des grands principes fondamentaux, et s’unirent pour relier les liens brisés. » Il y eut peut-être plusieurs arrivées différentes : Ki-lie, que M. Sæki a proposé de lire Cyriaque, parvint en Chine en octobre 732, comme membre d’une ambassade venue de Perse, citée par plusieurs textes chinois, op. cit., p. 225 sq.

L’empereur Hiouen Tsoung (712-754) montra vis-àvis des chrétiens une particulière bienveillance et restaura la situation ébranlée. Sous son règne on signale encore l’arrivée d’un nouveau missionnaire nommé Chi-ho (744), en qui M. Sæki reconnaîtrait un évêque Georges (Giwargis), p. 230.

Il semble cependant que la situation du christianisme ne s'était pas rétablie partout, car Sou Tsoung (756-762) reconstruisit les monastères de Ling-wou et de quatre autres endroits. Tai Tsoung (762-779) continue aux moines la plus grande faveur, étant également bienveillant d’ailleurs pour les musulmans, les bouddhistes, les manichéens. Il envoyait de l’encens aux moines au jour anniversaire de sa naissance et leur faisait porter des mets de sa table. Sæki, op. cit., p. 232-234. Cet auteur suggère même que la fête anniversaire de la naissance de l’empereur aurait été instituée en 729, à l’instar de la fête de la Nativité de N.-S., que les Chinois voyaient célébrer par les moines. L’empereur régnant, Te Tsoung (780-805) a conféré au persan Yazb-bôzëd, devenu Yi-sseu, le.ï plus importantes dignités : quoique prêtre, du clergé blanc ou marié d’ailleurs, il a obtenu le titre de mandarin du premier rang avec l’insigne d’or et la robe pourpre, il a été nommé commandant militaire en second pour la région septentrionale de l’empire, et inspecteur des examens de la salle impériale. C’est lui, principal bienfaiteur des quatre couvents nestoriens de la capitale, qui chaque année en réunit les habitants pour une de ces fêtes, dont la stèle de Si-ngan-fou est le splendide monument commémoratif.

Après la partie poétique, où n’apparaît aucun détail nouveau, le texte, entremêlé de syriaque et de chinois, raconte les circonstances de l'érection et la liste de ceux qui avaient pris part à la fête, probablement tout le clergé de la capitale. La date est exprimée suivant le comput chinois et dans l'ère des Séleucides, 1092 qui est 781 de notre ère, mais il est dit que le catholicos était alors Hênâniso' IL, lequel a’après Assémani, Bibliolheca orienlalis, t. m a, p. 616, serait mort à la fin du 777 ou au commencement de 778. Mais on a reconnu depuis que sa mort devait plutôt être placée en 780, et il est naturel qu’elle n’ait pas été connue de suite au milieu de la (mine. Il faut en tout cas renoncer à reporter l'érection de la stèle à l’année 779, comme l’a tenté M. Mingana, Early spread of christianity in Central Asia and the Fâr Easl : a new document, dans Bulletin oj the John Rylands librarꝟ. 1925, t. ix, p. 331-333, se basant sur l’hésitation à propos du début de l'ère des Séleucides constatée dans le colophon d’un manuscrit nestorien écrit en Chine à cette époque, car la date chinoise ne peut être corrigée.

Yazd-bôzëd est nommé en syriaque chorévêque de Kumdan qui est Si-ngan-fou ; il était, nous dit-on, fils de Miles, prêtre de Balkh, et avait un fils diacre, nommé Adam. Presque tous les personnages nommés ont un double nom, syriaque et chinois, mais les titulatures qui accompagnent ces noms ne sont pas identiques dans les deux langues, car on a écrit en syriaque les titres ecclésiastiques et en chinois ceux qui étaient à la collation de l’empereur. Des deux dignitaires chargés de vérifier l’exactitude de l’inscription, l’un Sabriso' ou Hsing t’oung, est examinateur, l’autre, examinateur en second, Gabriel ou Yeh-li, est protoprêtre du monastère, honoré de la robe pourpre, directeur du bureau impérial des cérémonies, de la musique et des sacrifices ; il est en même temps archidiacre, ayant autorité sur les Églises de Kumdan et Sarag, c’est-à-dire les deux capitales des T’ang, l’occidentale et l’orientale, Si-ngan-fou et Lo-yang. P. Pelliot, L'évêché nestorien de Khumdan et Sarag, dans T’oung pao, 1928, t. xxv, p. 91 sq.

L'évêque Jean, dont le nom ouvre la série des 70 membres du clergé inscrits sur les faces latérales du monument, n’a pas d’autre qualificatif. Le prêtre Georges, archidiacre de Kumdan, était maqrgânâ, c’est-à-dire chargé d’enseigner à bien lire la Bible. Il y avait encore, semble-t-il, deux chorévêques nommés tous deux Mar Serge, avec des noms chinois différents, dont le deuxième aurait été chargé de Chiang-tsoua (shiang-thsua), partie du Chen-si, d’après M. Sæki, op. ci !., p. 254-256, tandis que M. Pel liot préfère voir dans l'énigmatique Si’angisua du syriaque un titre bouddhique. T’oung pao, sér. II, t.xii, 1911, p. 6(59-690. Vingt-quatre prêtres sont désignés comme tels (qasisâ), dont quatre sont qualifiés de moines, ou plutôt solitaires (ihidâyâ), un autre « prêtre du tombeau » et un autre doyen. Il n’y a qu’un seul diacre, en plus du lils de Yazd-bôzëd, et un portier ou sacristain. Les autres noms, accompagnés en chinois d’un signe que M. Sæki rend abusivement par prêtre, devaient être des moines laïcs ; leurs noms ne sont accompagnés en syriaque d’aucune qualification.

Quelle chrétienté y avait-il derrière ce clergé? Sans doute, il y avait dans les ports et dans les centres commerciaux de l’intérieur, le long des fleuves, que remontaient alors les embarcations venues de Perse ; G.Ferrand, Relations de voyages et te.iles géographiques, t. i, p. 96, citant Masûdï, un certain nombre de nestoriens venus pour le négoce, mais il y avait aussi, probablement surtout dans les villes, un nombre important de chrétiens chinois : l’inscription le dit formellement. Pendant les vii « et viiie siècles, dans toute la Chine, mais surtout dans la capitale, car il était important d’obtenir l’oreille du souverain, se côtoyaient les missionnaires de plusieurs religions, faisant du prosélytisme à outrance, dans une concurrence pas toujours loyale. Les moines perses, introduits par leurs compatriotes marchands, sont accourus à cette mêlée dans le noble but de propager la religion chrétienne ; ils se sont trouvés à Si-ngan-fou, comme ils l'étaient à Ctésiphon, près de monarques, qui n'étaient pas de leur religion, mais dont plusieurs étaient bien disposés. De même que des diacres, comme l’un des BoUtiso', étaient à Bagdad médecins des califes, les prêtres nestoriens en Chine se prêtaient volontiers au gouvernement pour occuper des fonctions publiques ; on en connaît qui, au milieu du viip siècle, étaient interprètes auprès des mercenaires ouigours, et notre Yazd-bôzëd s'était vu confier une haute dignité militaire, sans doute parce que ses connaissances linguistiques lui permettaient de coordonner plus facilement l’action de troupes appartenant aux races les plus diverses. Mais le clergé nestorien n'était pas seulement un clergé de cour : les monastères rayonnaient, comme rayonnaient les grands centres monastiques d’où étaient partis les premiers missionnaires, comme d’ailleurs rayonnaient aussi les monastères bouddhiques, puisque ce fut ce rayonnement qui provoqua la suppression des uns et des autres en 845. Il n’est pas permis de mettre en doute l’esprit apostolique de ces moines, dont le patriarche Timothée I er disait quelques années plus tard : « beaucoup traversent les mers vers l’Inde et la Chine avec un bâton et une besace seulement. » Epistulæ, dans Corpus scriplorum christianorum orientalium, Scriplores sijri, ser. II, t. i.xvii. p. 107, trad., p. 70. M. Sæki pense que le nombre des chrétiens en Chine à la fin du viir siècle était très grandsi nous ne trouvons pas leur trace, n’est-ce pas parce que, dans la Chine surpeuplée, bâtiments et monuments disparaissent vite lorsqu’ils ont cessé d'être utiles, et aussi parce que les recherches archéologiques y ont « été très peu développées ? Tout espoir, ne doit pas

être perdu, témoin cette croix, avec quelques mots du ps. xxiv, 6, en syriaque, trouvée en 1920 a quelque distance de Pékin. F. C. Burkitt, A new nestorian monument in China, dans The Journal of theological sliulies, 1920-1921, t. XXII, p. 269.

Qu’y avait-il comme clergé indigène pour encadrer ces chrétiens ? C’est très difficile, à déterminer : les noms que les chrétiens reçoivent au baptême abolissent la marque de leur nationalité, ils reflètent tout au plus celle des missionnaires qui les ont baptisés. Les noms les plus spécifiquement syriens, IMsihâdâd ou Sabriso', peuvent avoir appartenu aux plus authentiques Chinois. Nous croirions volontiers que, dans l’importante liste de la stèle, tous ceux-là sont Chinois dont le nom chinois n’a aucune relation phonétique avec le nom syriaque. Nous aurions ainsi comme persans d’origine : Yazd-bôzëd = Yi-sseu, Gabriel = Yeh-li, évêque Jean = Yao-loun, Éphrem = Fou-lin, et d’autres, ceux en particulier dont le nom syriaque n’est pas accompagné d’un correspondant chinois, mais il faudrait retenir pour Chinois le chorévêque Mar Serge = Ling-pao, l’examinateur Sabriso' = Hsing-t’oung et beaucoup d’autres. C’est là pourtant que devait se trouver la faiblesse de l’organisation chrétienne en Chine : alors qu’il y avait 2 000 moines nestoriens et musulmans (?), Sæki, op. cit., p. 89 et note, lorsque les taoïstes obtinrent en 845 l'édit de fermeture des monastères et de proscription des religions étrangères, il n’y avait plus aucune chrétienté en Chine, lorsqu’en 980 environ le catholicos 'Abdiso' I" y envoya une mission de six moines chargés d’en reconnaître l'état. Kilâb alFihrist, édit. Fliigel, Leipzig, t. i, 1871, p. 349, trad. française dans G. Ferrand, Relations de voyages et textes géographiques…, p. 129. L’explication du P. Wieger est catégorique : « Branche morte de l’arbre de vie, (les nestoriens) ne furent pas une bouture chrétienne, ne poussèrent pas de racines, durèrent autant que la faveur impériale, et disparurent quand celle-ci cessa. » Histoire des croyances religieuses et des opinions philosophiques en Chine…, Sienhsien, 1917, p. 531. L’examen des circonstances historiques suggère quelques restrictions à apporter à ce jugement sommaire : l’afflux des chrétiens étrangers en Chine, et donc aussi des missionnaires, se ralentit au cours du ixe siècle, parce que, d’une part, le. commerce passa des Perses aux Arabes tous musulmans, tandis que d’autre part le voyage par mer devenait difficile, en raison de l’insécurité qui prévalait dans les mers d’Extrême-Orient. C’est alors que les bateaux partis des côtes d’Arabie cessèrent d’aller jusqu’en Chine, et commencèrent de s’arrêter à Kalah, dans le détroit de Malacca, pour y attendre les marchandises qui y arrivaient sur bateaux chinois. Sans doute, Timothée I er (780-823) ordonna encore un métropolite pour le Beit Sinâyë, voir Thomas de Marga, The book of governors, p. 238, trad., p. 448, mais ce fut peut-être le dernier évêque envoyé pour lors en Chine. Or on sait qu’une chrétienté ne peut subsister sans évêque au delà d’une génération. M. Sæki pense que beaucoup de chrétiens passèrent à l’islamisme ou à la société secrète des Tchin-tan chiao, ou « religion de la pillule d’immortalité », dont il identifie le fondateur. LuYen, avec le calligraphe de l’inscription de Singan-fou, qui était en tout cas son contemporain. Op. cit., p. 56-61. Quoi qu’il en soit, il est certain que la semence de christianisme avait été abondamment répandue sur le sol chinois ; elle a laissé de nombreuses traces dans les religions qui ont pu se suffire avec les ressources locales, et ont refleuri après la crise de 845, bouddhisme et sectes apparentées, voir A. E. Gordon, Asian christology and the Mahâyanâ, Tokyo, 1921, p. 98-271.

La stèle de Si-ngan-fou a donné lieu à de nombreuses traductions et études, dont on trouvera la liste dans H. Cordier, Bibliotheca sinica, dictionnaire bibliographique des ouvrages relatifs à l’empire chinois, Paris, 1904-1907, col. 772-781, 3121 ; Supplément, Paris, 1922-1921, col. 356235(34 ; ajouter H. Cordier, Histoire générale de la Chine et de ses relations avec les pays étrangers, Paris, 1920, t. i, p. 486-494. Parmi les anciens ouvrages sur le sujet, on peut noter spécialement J. S. Assémani, Bibliotheca orientalis, t. in b, p. Dxxxviii-DLii. On en trouve une reproduction dans le Dict. d’Archéologie chrétienne, , t. iii, au mot Chine.

2° La pénétration du christianisme en Asie centrale. — Tandis que la doctrine chrétienne, portée par la mousson d'été pouvait atteindre en quelques années les comptoirs perses de l’Inde et de l’Extrême-Orient, la conquête des hautes terres asiatiques par les hérauts de l'Évangile progressait nécessairement à une allure plus lente. Sur terre comme sur mer, d’ailleurs, ce sont les voies commerciales qui ont servi à l’expansion du christianisme et le rythme de celle-ci a subi largement l’influence des conditions politiques et des fluctuations dans l’intensité des échanges commerciaux. L’exploration récente, en étudiant les itinéraires des caravanes qui assuraient le transport de la soie à travers le Turkestan oriental, a retrouvé de nombreuses traces de la vie chrétienne, mêlées à celles du manichéisme.et du bouddhisme, qui ont suivi les mêmes routes pour gagner la Chine. Ces monuments ajoutent beaucoup aux données des textes.

Les chrétientés d’Asie centrale ne furent pas, en général, comme celles des côtes de l’Inde, de simples colonies de marchands, ni des communautés hybrides comme celle de Si-ngan-fou, qui unissait aux éléments chinois une forte proportion de prêtres ou de fidèles venus de Perse : mais elles furent des groupements homogènes constitués au sein des populations locales, surtout parmi les nomades ou semi-nomades appartenant à la race altaïque : Turcs, Tatars ou Mongols.

Dès que l'Église de Perse nous apparaît dans sa jeune organisation au synode de Dadiso', elle a porté ses avant-postes aux frontières septentrionale et orientale de l’empire sassanide : en 424, Ray, Nisapùr (Abrasar), Merv, Hérat, ont déjà des sièges épiscopaux. Peut-être même la prédication évangélique s'était-elle déjà étendue assez loin en dehors des limites de l’empire : la diffusion du manichéisme, dès le ine siècle, cf. Manichéisme, t. ix, col. 18(37-1872, montre avec quelle facilité les religions nouvelles pouvaient prendre pied dans des milieux dont les pratiques religieuses n'étaient pas réglées par un sacerdoce hiérarchisé. Philippe, disciple de Bardesane, dont on a vu plus haut le témoignage pour la Perse, col. 162, affirme qu’il y avait des chrétiens en Bactriane : le traducteur a écrit « apud Cuscianos » (Patrologia syriaca, part. I, t. ii, col. 608), mais le sens du mot syriaque Qaysanâyë n’est pas douteux ; cf. A. Mingana, Early spread of christianity in central Asia and the Far East, dans Bulletin of the John Rylands library, t. ix, 1925, p. 301 sq. Eusèbe, qui fait allusion à ce texte, l’a d’ailleurs correctement rendu, mxpà BâxTpoiç, Prœpar. evang., Vf, x, P. G., t. xxi, col. 476 B. Le texte de saint Jérôme : H uni discunt psalterium, Epist., xvii, P. L., t. xxii, col. 870 (éd. Hilberg dans Corp. script, eccles. lat., t. lv, p. 292), est moins probant pour démontrer la pénétration du christianisme en Asie centrale, parce que les Huns avaient dès lors commencé leur migration vers l’Ouest. Mais, en 498, il y avait des chrétiens parmi les Turcs, Huns des bords de l’Oxus ou Hephtalites, auprès desquels se réfugia Qawad. Chronique de Séert, dans P. O., t. vii, p. 128 [36 ]. Aux environs de 525, un évêque de Arran, Qardutsat, partit avec sept prêtres pour évan géliser une tribu de Huns, probablement aussi en Cisoxiane, et ils traduisirent en hunnique un certain nombre de livres religieux. Zacharie le Rhéteur, dans Land, Anecdota syriaca, t. iii, Leyde, 1870, p. 337-339, trad. anglaise par F. J. Hamilton et E.W. Brooks, The syriac chronicle known asthatof Zachariah of Mitylene, Londres, 1889, p. 329-331 ; texte réimprimé dans Corpus script, christ, orient., ser. III, t. vi, p. 215-217, trad., p. 145 sq. L’auteur, qui est monophysite.ne dit pas que Qardutsat fût nestorien, mais Arran, bien que située à l’ouest de la mer Caspienne et au nord de l’Araxe, était dès 420 le siège d’un évêché dépendant de Séleueie-Ctésiphon. Synod. orient., p. 37, trad., p. 276.

Peu après, en 549, les Hephtalites demandaient au catholicos Abâ I er de leur donner un évêque. Histoire de Mar A ba, éd. Bedjan, dans Histoire de Mar Jabalaha…, p. 266-269, cité dans Mingana, loc. cit., p. 304 sq. ; cf. J. Labourt, Le christianisme…, p. 189 sq. Cela suppose que le christianisme était dès lors solidement installé chez les Ripuaires, qui habitaient au sud-ouest de l’Oxus. En 590, Nersès le Persan captura par milliers des soldats de même race, qui avaient lutté contre Chosroès II en faveur de Bahram Tchoubin et portaient une croix tatouée sur le front, véritables chrétiens ou païens attirés par les mystères chrétiens et attribuant à la croix une valeur prophylactique. L. Cahun, Introduction à l’histoire de l’Asie. Turcs et Mongols des origines à 1405, Paris, 1896, p. 107.

Au milieu du viie siècle, Élie, métropolitain de Merv, travaillait en Transoxiane à la conversion des tribus turques. Th. Nôldeke, Die von Guidi herausgegebene syrische Chronik, p. 39 sq. ; cf. Corpus script, christ, orient., ser. III, t. iv, p. 34 sq., trad., p. 28 sq. Mais c’est surtout Timothée I er qui intensifia l'évangélisation de l’Asie centrale. J. Labourt, De Timotheo /…, p. 43-45. Il se servit surtout pour la réalisation de ses desseins apostoliques des moines de Beit 'Abë, dont l’activité missionnaire tient une place importante dans l’histoire que Thomas de Marga a consacré aux hommes célèbres de son monastère. E. W. Budge, The book of governors, t. i, p. 238, 259-261, 265-270, 278-281 ; trad., t. ii, p. 447 sq., 478-482, 488-494, 504-507.

Dès cette époque, peut-être même avant Timothée, il y eut en Asie centrale au moins un royaume chrétien. Au début du viiie siècle, si la chronologie du tezkéré de Muhammad Gazâli est exacte, le prince de Kachgar était un chrétien nommé Sergianos. E. Blochet, La conquête des États nestoriens de l’Asie centrale par les Shiïles, dans Revue de l’Orient chrétien, t. xxv, 1925-1926, p. 24. Le nom, de forme grecque, empêche de reconnaître à quelle race, indo-européenne ou turque, appartenait ce souverain. Le christianisme atteignait en ces contrées des populations d’origines diverses, puisque, dans les fouilles de la région de Tourfan, on a trouvé, à côté de fragments dans la langua liturgique des églises nestoriennes, le syriaque, d’autres débris de manuscrits chrétiens en sogdien et en turc. E. Sachau, Litleratur Bruchstûeke aus Chinesisch-Turkislan, dans Sitzungsberichle der kgl. preuss. Akad. der Wiss., 1905, p. 964-973 ; F. W. K. Mûller, Handschriften-Resle in Estrangelo-Schrifl aus Turfan. II Teil, dans Abhandlungen der kgl. preuss. Akad. der Wiss., 1904, p. 36 sq. Mais, comme les points fouillés sont sur la route qui passe de Kachgar en Chine par le nord du désert de Taklamakan, on pourrait penser qu’il se trouvait là des passagers d’origine persane, au milieu d’une population turque.

Quoi qu’il en soit, au milieu du xiie siècle, cette fois au sud du Taklamakan, les chiites se heurtaient dans leur conquête à des troupes, en grande partie chrétiennes, commandées par un gouverneur chrétien

d’Aksou, vassal d’un prince chrétien de Kliotan, Noudoum khan. E. Blochet, d’après le lezkéré de Mahmùd Karâm Kabîili, loc. cit., p. 25. Ces chrétientés du bassin du Tarim devaient sans doute leur origine à des missionnaires ayant suivi les marchands sur les deux routes, septentrionale et méridionale, des caravanes de la soie ; leur existence ne semble pas liée au progrès de l'évangélisation méthodique des Turcs, a laquelle s’appliquait le patriarche Timothée I er, probablement dans le Ferghana, peut-être déjà dans la Djoungarie, puisque, dès le premier quart du viiie siècle, il y avait un évoque à Samarkand, Ebedjesu… collectio canonum synodicorum, tr. VII, c. xv, dans A. Mai, Scriptorum veterum nova collectio, t. x, Rome, 1838, p. 304, trad., p. 142. Timothée, dit Mari, éd. Gismondi, p. 73, trad., p. 64, avait réussi à convertir le khâqân des Turcs et plusieurs rois ; ce témoignage tardif pourrait être suspecté, mais Timothée lui-même affirme que, dans la deuxième année de son pontificat (782-3), le « roi des Turcs » se convertit au christianisme avec presque tout son peuple, et ajoute qu’il leur consacra un métropolitain. Lettre inédite aux Maronites, citée par J. Labourt, De Timotheo /…, p. 43, et A. Mingana, Early spread…, p. 306.

C’est à cette époque, ou à une date quelque peu postérieure, que M. Mingana, loc. cit., p. 349-351, voudrait rattacher un document nouveau, qu’il a édité comme faisant partie d’une lettre supposée de Philoxène de Mabboug (t après 522) au gouverneur de Hirâ pour le compte des princes lahmides, Abu 'Afr| ibid., p. 368-371, trad., p. 360-367 sq. Le texte est assez étrange pour que le P. Peeters ait pensé à y reconnaître une supercherie récente. Byzanlion, t. iv, 1927-1928, p. 569-574. Il était d’autant mieux fondé à émettre cette hypothèse que la copie utilisée par M. Mingana avait été prise, en 1909, sur un original conservé en Orient, M. Mingana ne dit pas où ; mais ce dernier vient d’annoncer qu’il a trouvé le même texte dans un manuscrit en sa possession (Mingana 71, fol. 40-47), dont les caractères paléographiques correspondraient à la première moitié du xviie siècle. Bulletin of the John Rylands library, t. xiv, 1930, p. 124.

Les chrétientés turques se développèrent : dès le milieu du viii c siècle des Ouigours chrétiens servaient comme mercenaires dans les armées chinoises. P. Y. Sæki, The neslorian monument in China, p. 231 sq. En 1007, les Kéraïtes, qui habitaient en Mongolie septentrionale, devinrent chrétiens en masse, dans des circonstances qui rappellent la conversion des Francs de Clovis, après la bataille de Tolbiac ; 'Abdiso', métropolitain de Merv, évaluait leur nombre à 200000. Barhébrseus, Chronicon ecclesiasiicum, t. iii, p. 279 sq. C’est peut-être à la même époque, au plus tard dans le cours du xiie siècle, que se convertirent les Ongùt, installés sur la grande boucle du fleuve Jaune, gardiens des passages de la Chine vers la Mongolie. Textes relatifs à ces tribus chrétiennes dans P. Pelliot, Chrétiens d’Asie centrale…, p. 627-633. Les chefs de ces groupements étaient chrétiens ; c’est l’un d’eux qui donna naissance à cette fameuse légende du prêtre Jean, qui est attestée pour la première fois en 1145 par Otto de Freising, rapportant une lettre de l'évêque de Gabala au pape Eugène, III. H. Cordier, Histoire de Chine…, t. ii, p. 372. La puissance des dynasties kéraïtes et ôngùt fut brisée par Gengiskhan, lorsqu’il constitua par force la confédération mongole, mais plusieurs Gengiskhanides épousèrent de leurs princesses et furent initiées par elles à la connaissance de la religion chrétienne.

Nous manquons à peu près complètement d’informations pour reconstituer l’histoire intérieure

de ces chrétientés. Pourtant la découverte en 1885 de deux cimetières, voisins de Pichpek et de Tokmak, sur le Tchou, ancienne capitale du royaume de Djoutchi, G. Devéria, Notes d'épigraphie mongole-chinoise dans Journal asiatique, sér. IX, t. viii, p. 428, n. 1, jette sur elle quelque lumière. D. Chwolson, Syrische Grabinschriflen aus Semirjetschie, dans Mémoires de l’Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, sér. VIII, t. xxxiv, n. 4, 1886, et Syrisch-neslorianische Grabinschriften aus Semirjetschie, ibid., t. xxxvii, n. 8, 1890. Plus de 200 inscriptions ont été publiées dès 1890, et beaucoup d’autres ont été depuis lors éditées et traduites. Ces inscriptions, dont la plupart sont datées, généralement suivant l'ère des Séleucides et le cycle duodécimal turc, s'échelonnent entre 1249 et 1345. Elles sont en un syriaque assez souvent incorrect, mélangé de mots ou de courtes phrases turques ; elles appartiennent incontestablement à des chrétiens de race et langue turques ; la quantité assez considérable de noms chrétiens sous une forme syriaque ne peut donner le change, car les personnages qui les portent donnent aussi bien à leurs enfants des noms turcs, et il n’est pas rare de trouver des fidèles pourvus d’un double nom, syriaque et turc, comme on a vu des chrétiens de Si-ngan-fou joindre un prénom syriaque à un nom chinois. L’organisation ecclésiastique de ces communautés était très complète, les dignitaires sont nombreux : chorévêques, périodeutes, visiteurs, prêtres. Il y a des « chefs d'église », qui sont analogues aux starostes russes ou à nos marguilliers, des maîtres d'école, des exégètes et des scolastiques, qui appartiennent aussi au corps enseignant. Il y avait des monastères : l’exégète et prêcheur Sëlihâ s’y était acquis un grand renom de science. La qualité des défunts est souvents indiquée : enfants, jeunes filles, etc. Les hommes aiment à se qualifier de « croyants ». Les pierres portent toutes une croix gravée au milieu de l’inscription : ces nestoriens ne rougissaient pas de leur foi chrétienne.

Ces inscriptions funéraires ne sont pas toujours correctes ; le lapicide, médiocre artiste, était guidé par de médiocres clercs. Guillaume de Rubrouck (Rubruk ou de Rubruquis) avait noté que les prêtres nestoriens d’Asie centrale étaient embarrassés par la langue de leurs livres liturgiques : « …Ils disent leur olfice et ont des livres sacrés en syriaque, qu’ils ne comprennent pas ; ce qui fait qu’ils chantent comme, chez nous, les moines qui ne savent rien de la grammaire. » L. de Backer, Guillaume de Rubrouck, dans Bibliothèque orientale ekévirienne, Paris, 1877, p. 128 sq. Pourtant, la tradition liturgique était assez forte pour avoir fait préférer le syriaque au ouigour. C’est ainsi qu’on voit, en plein pays ouigour, un évangéliaire syriaque — encre d’or sur fond noir ! — copié en 1298 pour la reine Araou’oul, sœur du roi des Ongut (manuscrit vu par H. Pognon à l'évêché chaldéen de Diarbékir, Inscriptions sémitiques de la Syrie, de la Mésopotamie et de la région de Mossoul, Paris, 1907, p. 137 sq.).

Il n’est pas étonnant que le clergé nestorien se soit trouvé inférieur, surtout au point de vue moral, à l’idéal du zélé franciscain, qui avait quitté son pays pour porter aux Mongols la bonne nouvelle de l'Évangile, mais cela n’empêche pas qu’en face de leurs compatriotes païens ou bouddhistes les Mongols nestoriens ont été les représentants d’une civilisation, dont le caractère affiné transparaît, malgré leur brièveté, dans les formules de leuis inscriptions funéraires. Th. Nôldeke a reconnu le bien-fondé de cette observation de Chwolson, Zeitschrift der deutschen morgent andischen Gesellschafl, t. xliv, 1890, p. 522. Ainsi s’explique l’influence considérable que ces nestoriens acquirent à la cour des grands khans, et auprès des

princes de leur famille, dont ils étaient les ministres et les scribes. On comprend dès lors comment, conseillers et princesses unissant leur influence, les princes mongols furent, jusqu’au moment où ils se tournèrent vers l’Islam, à peu près toujours bienveillants poulies chrétiens et spécialement pour les nestoriens.

Guyuk était si favorable aux chrétiens que son camp, au dire de Barhébræus, était rempli d'évêques, de prêtres et de moines ; deux de ses ministres, Qadak et Cinqaï, étaient chrétiens. Mais la manière dont ce souverain parle du baptême, dans sa lettre du Il novembre 1246 au pape Innocent IV, ne peut être le langage d’un baptisé. P. Pelliot, Les Mongols et la papauté, dans Revue de l’Orient chrétien, t. xxiii, 19221923, p. 18. C’est qu’au début de son court règne Guyuk n'était pas chrétien ; il le devint seulement le 6 janvier 1248, par les mains de l'évêque nestorien Malachie, comme le rapportèrent les chrétiens mossouliotes, David et Marc, qui arrivèrent à Chypre en juin 1248 comme ambassadeurs des Mongols. Leur témoignage est corroboré par l’assertion de Barhébneus, qui donne Guyuk comme chrétien et par celui du musulman Rasid ad-din. Djami el-tévarikh, Histoire générale du monde…, éd. E. Blochet, t. ii, Leyde, 1911, -dans E. J. W. Gibb Mémorial, t. xviii, 2, p. 247-249.

Nous avons dit déjà, col. 195, que Houlagou épargna les chrétiens lors du sac de Badgad, et favorisa le catholicos nestorien, en lui donnant un palais nouveau. Houlagou fut inspiré sans doute en cela par sa femme chrétienne, Dokouz khatoun, qui le détermina peu après à lancer une armée en Syrie et Palestine, afin de libérer les Lieux saints de la domination musulmane. L. Cahun a qualifié justement de « croisade mongole » cette expédition commandée par un général chrétien, qui échoua près de Jérusalem le 3 septembre 1260, à la bataille de 'Aïn Djalout, tandis que Houlagou avait été rappelé en Asie centrale par la mort du chef de la famille. Introduction à l’histoire de l’Asie, p. 338.

Mangou-khan (al. Mongka), frère et suzerain de Houlagou, comme lui fils d’une chrétienne, ne se montra pas moins bienveillant pour les chrétiens, encouragé sans doute par son premier ministre, Bolgaï, qui était un ôngut nestorien. P. Pelliot, Chrétiens d’Asie centrale…, p. 629. Ce khan accorda au catholicos un sceau d’or, qui lui permettait de délivrer aux fidèles de son obédience des documents, faisant foi aux yeux des autorités mongoles et servant de passeport. Le fait est raconté dans l’histoire de Yahballâhâ III, à propos de la disparition de ce sceau dans une persécution que les chrétiens subirent à Maragha en 1297. Éd. Bedjan, p. 117 ; J.-B. Chabot, Histoire de Mar Jabalaha III, dans Revue de l’Orient latin, t. ii, 1894, p. 240 (tiré à part, p. 120). L’information du biographe est parfaitement exacte : le sceau donné par Mangou était resté en service à la chancellerie du catholicos. Les lettres envoyées par Yahballâhâ III au souverain pontife en 1302 et 1304, dont sur les indications du P. Korolevskij j’ai retrouvé les originaux aux Archives du Vatican, A(rchivum) A(rcis), i-xviii, n. 1800, portent quatre empreintes de ce sceau, ou plutôt de celui qui fut gravé pour le remplacer après l’aventure de 1297. L’inscription rédigée en mongol, mais écrite en caractères syriaques, comprenant vingt lignes de texte distribuées, cinq par cinq en forme de croix, sera publiée par M. Pelliot dans sa série d’articles : Les Mongols et la papauté, cf. Revue de l’Orient chrétien, t. xxiii, 1922-1923, p. 5. Reconnaissant envers Mangoukhan de la bienveillance qu’il avait manifestée aux chrétiens, le biographe de Yahballâhâ III fait suivre son nom du souhait habituellement réservé aux fidèles

défunts : « Que Notre-Seigneur accorde le repos à son âme et lui donne une part avec les saints ! » Histoire…, trad. Chabot, loc. cit.

Les ordres des souverains mongols valaient pour tout leur domaine : leur bienveillance vis-à-vis de l'Église nestorienne lui permit de se réorganiser en Chine. Nous avons dit, col. 206, que le christianisme disparut en Chine après la proclamation de l'édit rendu en 845 par l’empereur Wou Tsoung contre les religions étrangères. H. Cordier, Histoire générale de la Chine, 1. 1, Paris, 1920, p. 512. M. Le Coq, a reconnu dans les ruines de Karakhodja, près de Tourfan, les traces du massacre des moines bouddhistes qui eut lieu en exécution de cet édit, A. Le Coq, Buried treasures of chinese Turkestan, Londres, 1928, p. 62 ; ce qui montre que la proscription atteignit les limites occidentales de l’empire chinois. En dehors de la mention d’un monastère au Sseu-Tchou’an, un peu après 850, M. Pelliot déclare qu’il n’y a plus aucune trace du christianisme en Chine à l'époque des T’ang. Chrétiens d’Asie centrale…, p. 626.

Au xie siècle, quelques communautés avaient dû se reformer ; toutefois, nous ignorons dans quelle partie de l’empire chinois, car le témoignage de l’auteur auquel nous devons cette information est peu explicite. Il dit seulement que Georges de Kaskar, consacré par Sabriso' III (1064-1072) pour le Khorassan et le Ségestan, partit en Chine et y resta toute sa vie. Mari, éd. Gismondi, p. 125, trad.. p. 110. Mais, dès le milieu du xme siècle, avant même que la conquête de la Chine par les Mongols eût été terminée, les nestoriens, au dire de Guillaume de Rubrouck, étaient installés dans quinze villes du Cathay, avec un évêque à Segin, qui est Si-ngan-fou. Ed. de Backer, p. 128. Ils n’y étaient pas en cachette, puisque Mangou renvoyait de Karakoroum au Cathay un prêtre répréhensible, afin qu’il y fût jugé par son évêque. Ibid., p. 251. En 1264, Koubilaï-khan apporte une modification aux exemptions d’impôts, dont jouissait le clergé chrétien au même titre que les clergés bouddhiste et taoïste. G. Devéria, Notes d'épigraptie mongole-chinoise, p. 403. Quelques années plus tard, en 1282, les prêtres chrétiens étaient inscrits aux distributions de grains faites par ordre de l’empereur. Ibid., p. 408. En 1289, Koubilaï instituait un office spécial, le Tch’ong-/ou-sseu, chargé de diriger dans tout l’empire l’administration du culte chrétien, c’est-à-dire l’exécution des sacrifices que doivent offrir, dans les temples de la Croix, les mâr-hasiâ et les rabbân-erkegun, évêques et prêtres nestoriens. P. Pelliot, Chrétiens d’Asie centrale…, p. 637.

En Perse, l’ilkhan mongol avait repris les traditions sassanide et musulmane : Abagha, fils de Houlagou, approuva successivement l'élection du catholicos Denhâ et celle de son successeur Yahballâhâ III. Amr et Slibâ, éd. Gismondi, p. 121-124, trad., p. 70 sq. Dès la première année de son pontificat, ce dernier obtenait que son Église fût régulièrement subventionnée. Histoire…, trad. Chabot, dans Revue de l’Orient latin, t. i, 1893, p. 610, extrait, p. 44

J.-S. Assémani, Bibliotheca orienlalis, t. ni ii, p. cicxxxviu : Kestorianurum status sub Tarlaris seu Mogulis ; p. cccci.xviu-div : Christiani in Tartaria, p. nv-Dxxxvii : Christiani in Chataja et Sina. Toute l’information d’Assémani, d’après les chroniqueurs syriens et arabes, doit être sérieusement contrôlée : ses sources sont surtout Barhébræus, .Mari, Amr et Sliha, dont les textes ont été édités postérieurement à la Bibliotheca orientalis. Les sources persanes et turques sont incomplètement publiées et encore moins traduites ; leur utilisation a été entreprise surtout par W. Rarthold, dont il faut citer au moins l'étude parue en russe, dans le Zapiski vostOC"nago otdiéleniia imperatorskago russkago archeologiàeskago obséoestva, Saint-Pétersbourg, t. viii, 1893, p. 1-32, traduite

on allemand par X. Stuhe sous le titre : Zur Geschichte des Christentums in Millelasicn bis zur Mongolischen Eroberung, Tubinguc ; voir aussi Turkestan down lo Ihe mongol invasion, dans E. J. W. Gibb Mémorial, nouv. sér., t. v, Londres, 1928, remaniement des articles publiés en russe dans les Zai>iski.., t. xii-xx, sous le titre Turkestan v epochu Mongolskago nuseslniia.

Les sources chinoises ont fourni passablement depuis vingt ans, elles donneront probablement beaucoup plus, il faut se contenter pour le moment de renvoyer à l’article fondamental de P. Pelliot, Cliréliens d’Asie centrale et <l' Extrême-Orient, dans T’oung Pao, t. xv, 1914, p. 623-644, en attendant que l’auteur ait repris le sujet à fond, comme il a l’intention de le faire ; A. ('.. Moule et Lionel Giles, Christians at Chen-Chieng fit (chrétienté fondée en 1278), ibid., t. xvi, 1915, p. 627-686 ; IL Cordier, Le christianisme en Chine et en Asie centrale sous les Mongols, ibid., t. xviii, p. 19-113.

La publication de D. Chwolson, signalée ci-dessus a été complétée par la publication d’une autre série d’inscriptions, Syrich-nesiorianische Grabinschri/len ans Semirjetschie, Neue Folge, St-Pélersboiirg, 1897. De nombreux travaux ont paru à la suite de la découverte des inscriptions funéraires de Pichpek et Tokmak : S. S. Slutzkiy, Semirie-' censkiia nestorianskiia nadpisi, dans les Drevnosti Vostornyia, publiés par la société archéologique de Moscou, t. i, Moscou, 1889, p. 1-72 ; cf. ibid., p. 176-194 ; P. Kokovtsov, Christianski-siriiskiia nadgrobnyia nadpisi iz Aimalijka, dans Zapiski vosloinago otdieleniia imperalorskago russkago tircheologireskago obsccstva, t. xvi, 1906, p. 0190-0200 : publication de onze inscriptions, dont trois datées de 1367-1372, provenant d’Almaliq ; F. Nau, Les pierres tombales nestorienn.es du Musée Guimet, dans Revue de l’Orient chrétien, t. xii, 1913, p. 3-35 ; L’expansion nestorienne en Asie, dans Annales du Musée Guimet, Bibliothègue de vulgarisation, t. XL, 1913, p. 193-388 ; J. Ilalévy, De l’introduction du christianisme chez les tribus turques de la Haute Asie…, dans Revue de l’histoire des religions, t. xxii, 1890, p. 289-301 ; P. Kokovtzov, Nieskolko novych nadgrobngch kamnei s christiansko-siriiskimi nadpisami iz Srednei Azii, dans Bulletin de l’Académie impériale des Sciences de St. Pélersbourg, 1907, p. 427-458 : inscriptions nouvelles, index onomastique des noms contenus dans les publications de D. Chwolson. Un cimetière situé en Mongolie, prés de Tchagan-nor ou Tsagan Balgasoun, est signalé comme ayant été découvert en 1890, dans Missions de Chine et du Congo, n° 28, Bruxelles, 1891, cité par G. Dévéria dans Journal asiatique, sér. IX, t. viii, p. 428 sq., note.

Il y a passablement d’informations sur les nestoriens en Asie centrale et Chine, dans les récits des missionnaires et voyageurs européens ; les passages principaux ont été résumés par I. Hallberg, L’Extrême Orient dans la littérature et la cartographie, de l’Occident des XI il', XIV' et XV' siècles, s. v. Xesloriani, dans Gôleborgs kungl. Vetenskapsoch Vitlerhets-Samhàlles handlingar, t. IV, Gôteborg, 1904, p. 371-375.

Les textes franciscains, concernant l’Asie centrale et la Chine, ont été édités d’une façon critique, avec une bibliographie considérable et une bonne introduction historique, par A. van den Wyngært, Sinica franciscana, t. i, Itinera et relationes fralrum minorum sæculi XIII el XIV, Quaracchi, 1929.

3° Uncatholicos mongol ; Yahballâhâ 111 (1281-1317). — Les chrétiens de Perse avaient porté au loin leur religion ; un jour vint où ils furent heureux de se donner un chef en la personne d’un homme venu de ces régions lointaines évangélisées par leurs missionnaires, l’Ongiit Marc, sacré catholicos en la grande église de Séleucie, sous le nom de Yahballâhâ, le 2 novembre 1281. J.-S. Assémani ne lui a consacré que quelques lignes : Jaballaha ex génère Turcorum in regione Calajæ nalus… Bibl. orient., t. ni a, p. 620. L’information vint de Amr, dont Yahballâhâ est le dernier nom, éd. Gismondi, p. 122-127, trad., p. 71-73. Mais en 1888, le P. Bedjan publia une biographie qui ne tarda pas à éveiller l’attentmn des orientalistes : Histoire de Mar-Jabalaha, de trois autres patriarches, d’un prêtre et de deux laïques nestoriens, Paris, 1888, 2° éd., 1895, p. 1-205, C’est l’oeuvre d’un contemporain de Yahballâhâ, qui avait sous les yeux, ' pour le début

de son ouvrage, des mémoires rédigés par le moine Rabban Saumâ, dont le catholicos avait été le disciple et l’ami. L’ouvrage fut jugé tout de suite digne de créance, et il a trouvé de magnifiques confirmations, par exemple la présence du nom de Mangou sur le sceau employé par Yahballâhâ, comme il a été dit ci-dessus col. 211. Ce document, facilement accessible dans la traduction française de M. l’abbé J.-B. Chabot Hernie de l’Orient latin, t. i, 1893, p. 567-611° ; t. ii,

1894, p. 73-142, 235-300, 566-613, el tiré à pari, Paris,

1895, jette une vive lumière sur les conditions de l'Église nestorienne au moment de sa plus grande expansion.

Marc, fils d’un archevêque, était né à Kuoseng en 1245, et avait embrassé la vocation monastique en se plaçant sous la direction d’un moine isolé, le rabban Saumâ, lui-même fils d’un périodeute de Khanbaliq. Après plusieurs années passées dans les exercices ascétiques, Marc éprouva le désir de se rendre au centre de l'Église nestorienne pour y satisfaire sa dévotion, voulant ensuite compléter son pèlerinage par une visite aux Lieux saints. Ayant rempli avec son maître Saumâ la première partie de son programme, Marc se vit arrêté en Géorgie par l’insécurité des chemins et revint en 1280 auprès du catholicos Denhâ.qui ordonna Saumâ périodeute et Marc métropolite pour les villes de Cathay et de Wang (?). Nos deux Mongols, bloqués de nouveau par l’insécurité des routes, qui leur interdisait de rentrer en Chine, se retirèrent dans un monastère de l’Azerbeidjan. C’est de là que Yahballâhâ se rendit à Bagdad à la mort du catholicos. Il est facile de comprendre pourquoi les électeurs le choisirent. Depuis la prise de Bagdad, les Mongols étaient les maîtres : Houlagou avait fait de Maragha sa résidence préférée, et son fils Abagha partageait l’année entre le nord-ouest de la Perse et la partie voisine de la Mésopotamie, où les chrétiens étaient demeurés nombreux. Or, les musulmans, après avoir été matés par Houlagou, relevaient audacieusement la tête, cherchant à convertir à leur religion de moralité facile les princes et le peuple mongol. Il importait d’avoir un catholicos agréable au souverain. Le biographe le confesse ingénument : « Le motif de son élection fut que les rois qui tenaient les rênes du pouvoirs étaient Mongols, et il n’y avait personne en dehors de lui qui connût leurs mœurs, leurs procédés et leur langue. » Trad. Chabot, Revue de l’Orient latin, t. i, p. 605 : extrait, p. 39. Est-il vrai que le nouveau catholicos était inférieur en doctrine à ses électeurs, comme son humilité lui conseilla de le déclarer ? Il est certain qu’il connaissait médiocrement le syriaque et vraisemblable qu’il ne l’apprit jamais parfaitement, comme il est noté dans le Chronicon ecclesiasticum de Barhébra’us, t. iii, col. 45. Il en savait cependant, car nous possédons quelques lignes en syriaque, correctement écrites de sa main, comme début et conclusion de chacune des deux lettres arabes qu’il envoya au pape en 1302 et 130 1, ainsi qu’en témoignent les annotations du dominicain Jacques d Arles-surTech, traducteur et porteur de la lettre de 1301 : Heec supradicla scripta sunt de manu ladliqui ( - catholici) in Caldaico, et : Usée Jafylicus de manu sua in Caldaico. A. A., i-xviii, n. 1800 (3).

Yahballâhâ s'était déjà présenté à l’ilkhan Abagha, avant sa tentative de pèlerinage en Palestine, pour en obtenir des lettres en faveur du catholicos Denhâ ; après avoir pris conseil de son maître Saumâ. il alla trouver le monarque, accompagné de plusieurs évêques pour demander le placet. Abagha fut enchanté de voir le haut clergé nestorien choisir pour chef un homme de sa race : non seulement il confirma la nomination faite, mais il remit à l'élu un manteau

d’honneur, un petit trône, une ombrelle, signe de sa haute situation, une tablette d’or lui donnant un rang dans la hiérarchie mongole ; enfin, il lui confirma l’usage du sceau dont s'étaient servis ses prédécesseurs depuis la concession de Mangou. Loc. cit., p. 607 sq., extrait, p. Il sq. Yahballâhâ redescendit à Séleucie et y fut consacré dans la grande église le 2 novembre 1281, mais la résidence habituelle des catholicos n'était plus en Mésopotamie ; ils s'étaient transportés dans la région où vivaient de préférence les ilkhans, leur siège était établi à Maragha.

La faveur d’Abagha fut de courte durée ; il mourut en 1282 et la pension qu’il avait assignée au catholicos fut supprimée. Bien plus, au cour de la compétition qui eut lieu entre Arghoun, fils d’Abagha, et son oncle, Ahmed, Yahballâhâ fut accusé auprès d’Ahmed par deux évêques ambitieux, ce qui lui valut un emprisonnement de quarante jours. Arghoun l’emporta en 1284 ; le catholicos s’empressa d’aller le féliciter et fut bien reçu : les évêques accusateurs fuient excommuniés et déposés. L'Église nestorienne continuait à se mouvoir à l’ombre du trône. Yahballâhâ gagna peu à peu en influence ; lorsque Arghoun, reprenant le dessein d’Abagha, désira entrer en relations avec les princes d’Europe pour une action commune en Palestine, il demanda au catholicos de lui donner un homme de confiance, qui pourrait lui servir d’ambassadeur. Yahballâhâ désigna son maître, Saumâ, qui, dit le biographe, était le seul à posséder les connaissances linguistiques utiles. Trad. Chabot, Reime de l’Orient latin, t. ii, p. 81, extrait, p. 53. Il s’agit sans doute du persan, que Saumâ employait aisément, puisqu’il rédigea dans cette langue le récit de son voyage. Ibid., p. 121, extrait, p. 93. Peut-être aussi connaissait-il l’arabe, pour lequel il était encore plus facile de trouver des interprètes en Occident, tandis que personne n’y entendait le mongol. On se rappelait sans doute que l’ambassadeur d’Inno cent IV, Jean de Pian di Carpine, n’avait pas cru inutile d’emporter une lettre en persan, tandis qu’une lettre mongole envoyée par Abagha était demeurée incomprise, eo quod in curia Sanctitalis Vestræ litteras sciens mogalicas nullus reneritur, disait Abagha dans une lettre latine de l’année suivante au pape Clément IV. Rrg. Val. 62, fol. cxxxvin v".

Arghounne cessa pas de favoriser les chrétiens, son fils Kharbanda fut baptisé. Lorsque Arghoun mourut à la fin de 1290, son successeur, Kaïkhatou, conserva la même ligne de conduite : il comblait le catholicos de cadeaux à chacune de leurs rencontres, soit que l’ilkhan vint à Maragha, soit que le catholicos se rendît à Vordou, mais Kaïkhatou fut assassiné le 23 avril 1295, et une nouvelle ère de tribulations s’ouvrit pour les chrétiens de Perse. L’ilkhan Ghazan était avant tout mongol et disposé à continuer, malgré son adhésion à l’islam, la tolérance de tradition chez les Gengiskhanides. niais l’administration de ses Klats ayant été organisée suivant les usages des États musulmans, ses ministres persans se trouvèrent en mesure de faire payer aux chrétiens la faveur dont, ils avaient joui sous les précédents monarques. La biographie de Yahballâhâ n’est plus guère, à partir de cette date, que le récit d’une suite de persécutions, séparées par quelques accalmies, obtenues seulement lorsque le catholicos pouvait avoir audience de l’ilkhan et réussissait ensuite à faire respecter les intentions du souverain. De septembre 1295 à Pâques 1290, première période de terreur : les églises sont détruites, fidèles et clergé sont menacés de mort : tout est prétexte à extorsion d’argent et à pillage. Une visite du catholicos à l’ilkhan en juillet 1296 amène un peu de calme, mais la persécution reprend à Maragha au carême de 1297. Le christianisme a cependant

encore des partisans dans la famille régnante : c’est une princesse qui sauve le catholicos et les évêques. Trad. Chabot, loc. cit., p. 211, extrait, p. 121. Les chrétiens sont soumis à la capitation, obligés de porter un signe distinctif, (fui leur attire le mépris, les injures et les coups. Le catholicos n’y tient plus, il demande l’autorisation de rentrer dans son pays, où les Mongols, soumis a l’influence du bouddhisme sont demeurés tolérants ; i ! se contenterait même de pouvoir passer dans le pays des Francs, pour y terminer sa vie. Ibid., p. 248, extrait, p. 128. On voit par cette double proposition que la rupture de Ghazan avec le grand khan empêchait Yahballâhâ d’espérer une réponse favorable à la première alternative. Le catholicos ne partit pas, mais rentra en faveur auprès de Ghazan, troina le moyen de rebâtir la résidence de Maragha, voyagea pour le gouvernement de son Église et obtint même que le souverain lui fît faire un nouveau sceau, identique à celui de Mangou-khan, disparu dans le pillage de 1297. Le fait qu’il obtint cette réplique prouve qu’il continuait à être regardé comme le chef officiel de tous les chrétiens. Vers la fin de sa vie, Ghazan avait été complètement gagné par le catholicos : en 1303, il le combla d’honneurs, lui donna son propre manteau, lui envoya un cheval de prix, un vase de cristal, des émaux de valeur. Mais Ghazan mourut à la Pentecôte de 1304. Oldiaïfou, fils d’Arghoun, qui lui succéda était un fils d’une chrétienne devenu musulman. Retenu par son oncle maternel, il ne se lança pas tout de suite dans la persécution ; Yahballâhâ ne put obtenir en 1306 que cessât la perception de la capitation, dont les chrétiens étaient frappés, mais en mai 1308, les ecclésiastiques en furent dispensés, et en 1309, r.près que l’ilkhan eut apprécié l’hospitalité du monastère de Maragha, l’exemption de la capitation fut acquise à tous les chrétiens d’Arbèles C’en était trop pour les musulmans ; ils prirent prétexte d’une dispute entre les chrétiens de cette ville et les habitants de la montagne, pour monter une affaire qui se termina par un massacre général des chrétiens d’Arbèles, où le catholicos lui-même faillit périr.

Yahballâhâ ne devait mourir que le 13 novembre 1317. Ses dernières années furent tristes : l’affaire d’Arbèles l’avait rendu suspect à l’ilkhan, auprès de qui on l’avait représenté comme l’instigateur de l’attitude de révolte prise par les chrétiens, lorsque, prévoyant le massacre, ils s'étaient refusés à sortir de la citadelle où ils s'étaient enfermés. S'étant présenté à Vordou en 1310, Yahballâhâ ne put obtenir la conversation qu’il désirait, lui qui avait été choisi jadis comme le meilleur intermédiaire possible entre les princes régnants et l'Église nestorienne. Il était fondé à s'écrier dans son découragement : > Je suis las de servir les Mongols. » Loc. cit., p. 298, extrait, p. 187.

Yahballâhâ était doux et bienveillant : il entretint avec les représentants des autre Églises les meilleures relations. Barhébneus, mafrien des jacobites, fait son éloge en disant qu’il était un homme naturellement bon et craignant Dieu, et qu’il usa envers lui et les siens de la plus grande charité. Chronicon ecclesiasticunt, t. iii, col. 453. C’est ainsi qu'à la mort de Barhébræus, laquelle arriva en 1286, au cours d’un voyage du mafrien à Maragha, Yahballâhâ régla le deuil des diverses communautés chrétiennes de la ville à l’entière satisfaction des jacobites. Ibid., col. 173-470. Cette tolérance, naturelle chez un Mongol éduqué en Chine, que Yahballâhâ étendait aux missionnaires latins, comme on le verra au paragraphe suivant, ne devait pas plaire aux évêques nestoriens. Le dominicain Ricoldo de Montecroce, qui rencontra le catholicos à Bagdad en 1290, nous fait entrevoir quelle était la situation. Laurent, Peregrinationes Medii JEvi quatuor, Leipzig, 1864, 131. Le biographe ne signale, en vérité, aucun différend entre le catholicos et ses évoques, à part la calomnie dont il lut victime au début de son pontificat, mais les évêques ne jouent aucun rôle dans cette biographie, d’où l’on peut inférer que le catholicos les tenait à distance.

Ce n’est pas toutefois le manque de cohésion entre les prélats nestoriens, qui amena bu début du xive siècle le déclin de leur Église. Celle-ci fut surtout éprouvée par les vicissitudes de la politique. Dès 128(1, la rupture entre Ghazan et son suzerain, Toghon Timour, petit-fils de Koubilaï, eut pour effet de raréfier les relations entre l'Église mère et ses colonies d’Asie centrale et de Chine. Les missionnaires cessèrent d’y affluer, alors qu’ils y étaient encore nécessaires, comme le disaient à Saumà et à son disciple, partant pour l’ouest, les gouverneurs de Kuoseng : « Pourquoi abandonnez vous notre contrée et allez-vous en Occident ? Nous nous donnons beaucoup de peine pour attirer ici de l’Occident des moines et des évêques, comment pouvons-nous vous laisser partir ? » Revue de l’Orient latin, t. i, p. 585 sq., extrait, p. 19 sq. Pourtant la situation n’empira pas immédiatement en Chine, on le clergé continuait d'être exempt d’impôts et entretenu par l'État, où le bureau chargé de l’administration ecclésiastique fut même amplifié en 1315, pour être ramené il est vrai à son état primitif en 1320. G. Devéria, Notes d'épigraphie mongole chinoise, p. 395-399. 416 sq. En 1335, l’empereur s’oc cupe encore de fixer le rituel à suivre dans l'Église nestorienne où repose le corps de la mère des empereurs Mangou et Koubilaï, ibid., p. 419 sq. : mais en 1337, les révoltes contre la dynastie mongole s’organisent dans diverses provinces et aboutissent en 1309 à l’avènement d’une nouvelle dynastie, celle des Ming. Tout ce que les Mongols avaient introduit ou favorisés fut balayé : avant la fin du xive siècle, pour la deuxième fois. le christianisme était annihilé en Chine.

L’effritement des chrétientés d’Asie centrale se produisit dans le même temps : les inscriptions funéraires de la province de Sémiriétchié ne descendent pas au delà de 1315 : les chrétientés de Pichpek et Tokmak, éprouvées par la peste en 1338 et 1339, furent détruites par la persécution et les conversions plus ou moins forcées à l’Islam. Au cimetière d’Almaliq l’inscription la plus récente est de 1372 : un évangéliaire persan, pour le rit nestorien, fut encore copié à Samarkand, en 1374. E. Blochet, Bibliothèque nationale, Catalogue des manuscrits persans, t. i, p. 8, nonobstant l’observation rapportée par F. Nau, Les pierres tombales nestoriennes du Musée Guimet, dans Revue de l’Orient chrétien, t. xviii, 1913, p. 11. Toutefois, le zèle de Tamerlan en faveur de l’Islam dut accélérer la disparition des groupes nestoriens, même là où il ne porta pas la guerre et la destruction. En Perse et en Mésopotamie, où beaucoup de nestoriens périrent alors, l’anarchie qui prévalut sous les Djelaïrides et le fanatisme chiite avaient déjà causé dans les chrétientés des pertes irréparables.

L’histoire de l'Église nestorienne au xive siècle nous échappe à peu près complètement. Nous savons tout juste comment fut élu Timothée II, successeur de Yahballâhâ III, qui fut choisi en raison de sa connaissance des langues, comme le rapporte un de ses électeurs, Ébedjésus, métropolitain de Nisibe, dans sa collection canonique, Bibliotheca orientalis, t. iii, p. 569. Ébedjésus mourut en 1318 et la réunion du synode de Timothée est le dernier fait connu : après cette date s’ouvre une brèche de deux siècles, pour laquelle on ne peut proposer que sous réserves une série de catholicos, où les noms trouvés' dans les listes

sans garanties ne recouvrent pour nous aucune personnalité.

Et pourtant, au moment de sa plus grande expansion, sous Yahballâhâ III qui en trente-six ans de pontificat avait consacre 75 évoques ou métropolites, l'Église nestorienne avait compté près de trente provinces. Les noms en sont rapportés dans un ordre un peu différent par Ébedjésus, donnant l'état de l'Église à la mort de Yahballâhâ, A. Mai, Scriptorum veterum nova collectif), t. x a, p. 303 sq., trad., p. 141 sq., et par Amr, éd. Gismondi, p. 126. trad., p. 72 sq., qui donne une liste plus considérable. La première province, qu’on oublie souvent de mentionner, était celle de Séleucie, dont le catholicos était le titulaire, et qui s'étendait sur une bonne partie de la Babylonie. Après elle venaient les provinces d’ancienne création, contenues dans les limites de l’ancien empire sassanide : Gondisapor ou Élain, Nisibe, Bassorah, Mossoul, Arbèles, Beit Garmaï, Fars, Merv, Holwan, Hérat. Des provinces de la diaspora, Ébedjésus mentionne seulement : Indes, Chine, Samarqand, Arménie (Amr : Barda’a), Damas, ajoutant que quatre provinces créées par Timothée I er avaient disparu de son temps. Amr mentionne encore : Ursam (?), Édesse, Qutruba, qui est Socotra, Ray, Tabaristan (ou Ray et Tabaristan), Daylam (province au sud de la Caspienne), Turkestan ( - pays des Turcs, à ne pas prendre dans l’acception actuelle de Turkestan russe ou chinois), Khalikh (en Hyrcanie, ou Balkh en lisant Halah), Ségestan (dans l’Afghanistan actuel), Khanbaliq et Faliq, Tangout (au nord du Thibet), Kachgar (dans le Turkestan chinois) et Nouaket (Ferghana 9).

Voilà quelle a été l'Église que nous retrouverons au xvie siècle, à peu près entièrement concentrée à l’est du Tigre, entre les lacs de Van et d’Ourmiah, n’ayant conservé de son ancienne extension que la chrétienté du Malabar et quelques groupements dans des centres d'échange, Édesse, Damas ou Jérusalem.

Sur Yahballâhâ III, cf. U. Chevalier, Répertoire des sources historiques du Moyen Age, Bio-bibliographie, 2e éd., t. ii, Paris, 1905-1907, col. 2297, s. v. Jabalaha ; R. Hilgenfeld, Jabalahæ III catholici nestoriani vita ex Slivæ Mossulani libro, qui inscribitur Turris, desumpta, Leipzig, 1896 ;.1. A. Montgomery, History of Jaballaha III, NewYork, 1927 ; Sir E. A. W. Budge, The monks of Kublai khân emperor of China, Londres, 1928 ; J. Vosté, Memra en l’honneur de Iahballaha III, dans le Muséon, t. xi.ii, 1929, p. 168-176.

Il y a passablement à prendre pour cette période dans les relations des voyageurs occidentaux, surtout dans le récit de Marco Polo, très bon observateur, qui vécut en Chine de 1271 à 1288 et fut souvent le missus dominicus de Koubilaï, le « mouchard de confiance de Koubilaï », dit le P. Wieger, Textes historiques, t. iii, s. 1. et a., p. 1962. On trouvera tous les passages de Marco Polo sur les nestoriens s. v. Cristianesimo, dans la monumentale édition de L. F. Benedetto, Marco Polo, Il Milione, dans Comilato geografico nazionale italiano, pubblicazione n. 3, Florence, 1928, p. 265. Voir à la fin du paragraphe suivant l’indication des autres relations écrites par des missionnaires.

Sur les sièges métropolitains et épiscopaux : C, E. Bonin, Noie sur les anciennes chrétientés nestoriennes de l’Asie centrale, dans Journal asiatique, sér. IX', t. xv, 1900, p. 584592 ; A. Mingana, Early spread of christianity in central Asia and the Far East, dans Bulletin of the John Rylands library, t. ix, 1925, p. 318-330.