Dictionnaire de théologie catholique/NESTORIENNE (Eglise) VIII. L'Eglise chaldéenne catholique

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.1 : NAASSÉNIENS - ORDALIESp. 120-135).

VIII. L'Église chaldéenne catholique. —

L’union des nestoriens de Chypre.


Chypre a joué pendant tout le Moyen Age un rôle très spécial : isolée par la mer d’un continent où se battaient des peuples qui n'étaient pas marins, Arabes, Turcs et Mongols, elle resta de 1192 à 1489 sous le gouvernement d’une dynastie d’origine française, il est vrai, mais profondément levantinisée et même orientalisée par plusieurs alliances grecques et arméniennes. Chypre fut un asile pour beaucoup de chrétiens orientaux fuyant les zones de combat, en même temps qu’une place d’armes où les Francs pouvaient se regrouper en sûreté après un échec ou avant une attaque.

Les nestoriens formaient à Nicosie une colonie, groupée autour d’un évêque, suffragant du métropolite de Tarse. Dès 1222, l’attention de Rome avait été attirée sur les chrétiens dissidents, qui résidaient en Chypre. Une bulle d’Honorius III, en date du 12 février de cette année-là, prescrit au patriarche de Jérusalem, à l’archevêque de Césarée et à l'évêque de Bethléem, ses envoyés dans l'île, de ramener les dissidents à l’obédience de l’archevêque latin de Nicosie et de ses sufîragants, en les frappant au besoin de censures. P. Pressutti, Regesla Honorii papæ III, t. ii, Rome, 1895, p 35, n. 3750. L’entreprise n’eut guère de succès : les laïcs grecs et syriens firent une violente opposition aux membres du clergé, qui manifestaient une certaine propension à l’union, et les privèrent de la jouissance des revenus attachés à leurs charges. Urbain IV dut intervenir le 23 janvier 1263 par une lettre au baile de Chypre, J. Hackett A hislonj of Ihe orllwdox Churcli o/ Cyprus…, Londres, 1901, p. 531 sq. Soixante ans plus tard, comme il restait des nestoriens dans l'île, Jean XXII enjoignit au patriarche de Jérusalem, le 1° octobre 1326, d’extirper les hérésies nestorienne et jacobite, en laissant d’ailleurs à sa prudence le choix des moyens à employer. Ibid., p. 532. Nous ne savons pas ce qui fut fait, mais, en 1340, Élie, archevêque de Nicosie, ayant réuni avec les dignitaires latins de l'île les chefs des différentes Églises et des interprètes qualifiés, publia une profession de foi, dont voici les considérants et la conclusion :

Quoniam in regno Cypri, in singulis civitatibus et diœcesibus, permixti sunt populi diversarum linguarum, habentes sub una fide, sicut experimento didicimus, varios ritus et mores, qui a suis episcopis et præsulibus, juxta diversitates rituum et linguarum, verbo instituendi sunt pariter et exemplo ; … decrevimus fidei professionem explicite declarare… Præscriptam igitur purissimam… fidei veritatem… ab universis et singulis regni Cypri, cujuscumque nationis existant firmiter teneri… præcipimus et mandamus, si omnipotent is Dei et sacrosanctae romanæ Ecclesiæ neenon sanctissimi demini nostri domini Benedicti papæ XII, cupiunt efîugere ultionem. Per hoc autem non intendimus inhibere Græcis episcopis, et eorum subditis.quin ritus suos fidei catholiese non adversos sequantur, juxta compositionem a felicis reeordationis domino Alexandro romano pontifice in regno Cypri inter Latinos et Grascos editam et diutius observatam. ilansi, Concil., t. xxvi, col. 372-375.

L’acceptation était-elle vraiment aussi spontanée que le déclare Élie : Memorati… præmissarum aliarum nalionum majores, pro se et subditis suis, … clare et explicite recognoverunl, … et sponlanea voluntate, omni timoré semoto, et quacumque coactione cessante, humili professione confessi sunt…? Ibid., col. 375 sq.

Us devaient avoir fait jjrofession de la foi catholique, ces nestoriens qu’Etienne de Lusignan vit, encadrés par les Éthiopiens et les « jacobites » syriens, dans le cortège d’une procession du Saint -Sacrement. J. Hackett, op. cit., p. 530. Leur rite devait être reconnu, comme celui des Grecs, seul mentionné dans la constitution ci-dessus, sans toutefois que leur office ait jamais été célébré en grec, comme l’a cru le voyageur Jacques de Vérone, qui passait là en 1335. R. Rôhricht, Le pèlerinage du moine augustin Jacques de Vérone, dans Revue de l’Orient latin, t. iii, 1895, p. 178.

Toutefois, c’est seulement en 1445 que l’union définitive est enregistrée dans un document officiel de l'Église romaine, la bulle promulguée par Eugène IV, après que le métropolite des nestoriens, Timothée, eut professé la foi catholique, d’abord à Chypre devant le dominicain André, archevêque de Colosses (= Rhodes), puis au Latran, dans la session conciliaire du 7 août 1445. Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. vu b, p. 1106. Le pape déclare qu’on devra être dorénavant attentif à ne plus traiter d’hérétiques ces Syriens revenus du nestorianisme, auxquels sera réservé le nom de « Chaldéens » : quod nemo prædictos Chaldœorum metropolita met Maronilarum episcopum, eorumque clericos et populos, neque ex populo et clero quempiam de cetero audeal hereticos appellare, aut Chaldœos de cetero nestorianos nominare prœsumat. [Hardouin], Acta conciliorum et epistolse décrétâtes, t. ix, Paris, 1714, col. 1043.

L’histoire de la colonie chaldéenne de Chypre à partir de cette date est peu connue. En 1450, une partie des néo-convertis était retournée à l’hérésie,

comme il appert d’un bref de Nicolas V à l’archevêque de Nicosie. J. Hækett, A history…, p. 533. En 1472, la juridiction des évêques des Églises unies fut rognée, réduite à la seule ville de leur résidence, à la suite sans doute d’un de ces conflits qu’il faut toujours attendre, là ou deux juridictions se juxtaposent sur un même territoire. Bulle de Sixte IV publiée par L. de Mas-Latrie, Histoire de l'île de Chypre sous le règne des princes de la maison de Lusignan, t. iii, Paris, 1855, p. 325-330. Quelques années plus tard, le 16 février 1489, la république de Venise se substituait aux Lusignan dans le gouvernement de l'île : les Églises orientales unies disparurent bientôt par suite de la rigide politique de latinisation appliquée par la Sérénissime.

Missionnaires latins et nestoriens aux Indes.


Les religieux franciscains et dominicains, qui devaient travailler en Perse à l’union des nestoriens, les retrouvèrent aux Indes. Bien que la route de terre fût plus rapide pour communiquer avec l’Extrême-Orient, la voie de mer était parfois la seule ouverte. Ainsi en fut-il dans les années qui précèdent la mort de Koubilaï par suite de la guerre en Transoxiane. Les Polo rentrant de Chine, Jean de Mont ecorvino y allant, furent contraints de la suivre en 1292. Les nestoriens avaient sur plusieurs points de la côte des colonies assez prospères, où leurs marchands se rencontraient avec les Européens. C’est probablement l’importance de la colonie nestorienne à Meilapore, auprès du tombeau de l’apôtre saint Thomas, qui conduisit Jean de Mont ecorvino à y demeurer pendant treize mois, mais lors qu’il parle de cent personnes baptisées par lui, on doit penser qu’il s’agit de païens. A. van den Wyngært, Sinica franciscana, t. i, Quaracchi, 1929, p. 345.

Un autre point de l’Inde fréquenté par les missionnaires était la ville de Tana, site de Bombay-Salsette, qui était dès lors un grand centre de commerce. Les franciscains y eurent un couvent de 1320 (?) à 1390, selon les statistiques publiées par G. Golubovich, Biblioleca bio-bibliografica délia Terra sanla, t. ii, Quaracchi, 1913, p. 166. C’est chez des nestoriens qu'étaient descendus à Tana les quatre franciscains, qui y furent martvrisés par les musulmans le 9 avril 1321.

A Quilon, autre centre commercial sur la côte du Malabar, important pour le commerce du poivre, qui y était concentré, il y avait une nombreuse communauté de nestoriens. Lorsque le dominicain Jourdain de Séverac en eut été nommé évêque par bulle du 9 août 1329, Jean XXII adressa, le 8 avril 1330, Domino Nastarinorum et christianis nastarinis de Columbo un exemplaire de sa lettre, Votis zelamur, les engageant à bien recevoir les missionnaires :

Attendentes quod per tam longas maris terrseque distantias prnefatus episcopus et fratres, non absque magnis laboribus, pro sola coopcratione divinorum obsequiorum ad partes istas accedunt, quos bénigne recipientes et caritative tractantes sacris instructionibus, quas in doctrina catholica 1 lidei vos facient, vestrarum mentium aures prtrbcatis devotius, animosque vestios, quorumlibet schismatum pulsis erroribus, unitali catholicæ fidei et sanctorum patruni auctoritatibus in omnibus coaptetis. A. Mercati, Monumenta valicana veterem dicecesim Colutnbensem (Quilon) et eiusdem nrimum episcopum Iordanum Catalanï O. P. respicientia…, Rome, 1023, p. 28 sq.

Nous ignorons quel fut le succès de la mission dominicaine de Quilon, mais il y avait encore une Église latine dans celle ville, lorsque Jean de Marignolli y passa vers 1347. A. van den Wyngært, Sinica franciscana, t. i, p. 531.

Il est possible qu’il y ait eu jusqu'à la fin du xive siècle des arrivées de missionnaires latins dans l’Inde ;

la marche vers l’Ouest des armées de Tamerlan (1398-1405) semble avoir interrompu définitivement la circulation jusqu’alors assez intense entre la mer Noire et le golfe Persique. Lorsque les missionnaires latins se rendirent de nouveau aux Indes, ils y arrivèrent par la route des Portugais, celle qui passe au sud de l’Afrique. Mais, tandis que les relations devenaient régulières entre l’Europe et les Indes par le cap de Bonne-Espérance, elles devenaient de plus en plus rares et difficiles entre le catholicos nestorien, confiné au nord de la Mésopotamie et cette partie de sa chrétienté. C’est pourquoi l’histoire ultérieure des chrétiens de Saint-Thomas, leurs relations avec les missionnaires latins sous le régime portugais, leur passage brusque, au milieu du xviie siècle, du nestorianisme au monophysisme, la nouvelle organisation des Églises catholiques de rit oriental aux Indes, seront exposés dans un article spécial, sous le titre Syro-Malabare (Église).

En plus des ouvrages cités, voir W. Germann, Die Kirehe der Thomaschristen, Gutersloh, 1877, p. 168-225 ; G. M. Ræ The si/rian Church in India, Edimbourg et Londres, 1892, p. 187-197.

3° Première réunion des Chaldéens de Mésopotamie (1551-1662). — Contrairement à tous les usages et canons ecclésiastiques, le catholicosat nestorien était devenu héréditaire, d’oncle à neveu ou cousin, depuis 1450, par décret du catholicos Simon IV. A la mort de Simon VII Bar Mâmâ, en 1551, une partie de la « nation » nestorienne refusa d’accepter le neveu auquel revenait le siège, Simon VIII Denhâ. Une assemblée du clergé et des fidèles protestataires se réunit à Mossoul, sous la présidence de trois évêques, qui penchaient pour l’union avec Rome. Les votes se portèrent sur le supérieur du couvent de Rabban Hormizd, près Alkoche, Sulâqâ ou Su’ud (= « Ascension » ), fils de Daniel, alors âgé de quarante ans. Soixante-dix délégués de cette assemblée l’accompagnèrent jusqu'à Jérusalem, afin d’obtenir en sa faveur les lettres du custode de Terre sainte, qui était alors commissaire du Saint-Siège pour l’Orient. L. Lemmens, Relaliones nationem Chaldœorum inler et cuslodiam Terras sanctæ (1551-1629), dans Archivum jranscicanum historicum, t. xix, 1926, p. 18. Trois laïcs furent chargés d’accompagner Sulâqâ, devenu Simon-Sulàqâ, portant une lettre de l’assemblée de Mossoul et une des soixante-dix délégués venus à Jérusalem, mais il n’en restait qu’un lorsque Sulâqâ parvint à Rome, le 18 novembre 1552. L’affaire fut présentée en consistoire par le cardinal Maffeo le 18 février 1553, puis reprise dans le consistoire du 20 ; le même jour Sulâqâ émettait sa profession de foi, qui fut reconnue orthodoxe. Enfin le pallium lui fut assigné et remis au Vatican, le 28 avril de la même année. W. Van Gulik, Die Konsislorialakten ùber die Begriindung des uniert-chaldàischen Patriarchates von Mosul unter Papsl Julius III, dans Oriens christianus, t. iv, 1904, p. 261-277. Sulâqâ, avant de regagner l’Orient avec le titre de patriarche chaldéen, demanda au souverain pontife d’envoyer avec lui deux missionnaires qualifiés, qui l’aideraient à instruire ceux qui se rangeraient sous sa houlette dans la véritable foi romaine. Le pape fit choix de deux dominicains maltais, à qui leur langue maternelle facilitait le maniement de la langue arabe, Ambroise de Buttigieg, qui fut créé évêque titulaire d’Avara le 5 mai 1553, et un de ses parents, Antonin de Zahra. Le nouveau patriarche prit la route de terre par Venise, Constantinople, l’Asie Mineure. J. Vosté, Missio duorum fratrum Melilensium O. P. in Orientem ssec. XVI et relalio, nunc primum édita, eorum quæ in istis regionibus gesserunt, dans Analecta

Ordinis prædicalorum, t. xxxiii, 1925, p. 261-278. Sulâqâ fixa sa résidence en territoire turc, à Diarbékir, où il était arrivé le 12 novembre 1553. Mais le parti de Simon Denhâ agit par ruse pour se débarraser de lui ; il fut appelé auprès du pacha d’Amadiah et mis en prison. Quarante jours après, il finissait sa vie par le martvre, noyé en cachette, au début de 1555.

Le parti catholique ne perdit pas courage : un nouveau patriarche fut élu en la personne d"Abdiso', évêcfue de Djéziret Ibn Omar, un des cinq prélats que Sulâqâ avait eu le temps de consacrer. Il lui fut impossible de partir immédiatement pour Rome, et l’on ne voit pas qu’il ait envoyé quelqu’un pour présenter une demande de confirmation ; c’est seulement en 1561 qu’il se mit en route : le bref qui le délie du lien de l'Église de Djézireh et le confirme comme patriarche est du 17 avril 1562. S. Giam.il, op. cit., p. 31-44. On voit encore à la bibliothèque du Vatican la copie autographe d’une profession de foi qu’il lit en syriaque, traduction à ce qu’il semble, d’un original latin. Ibid., p. 41-58. Après avoir reçu le pallium le 4 mai 1562 et promis de recevoir les décisions du concile de Trente, auquel il ne pouvait pas assister, parce que son Église ne pouvait rester sans gardien, ibid., p. 63-67, il reprit le chemin de l’Orient. Il n'était pas accompagné d’un conseiller latin, comme il aurait aimé de l'être à l’exemple de Sulâqâ, parce que le pape n’avait pu trouver sur place quelqu’un qui fût qualifié pour la prédication en syriaque, mais Pie IV ne négligea pas pour autant les intérêts spirituels des Chaldéens : il écrivit à l'évêque dominicain de Nakhitchévan, Nicolas Freid, afin qu’il voulût bien choisir dans le personnel de sa mission et envoyer au patriarche le prédicateur désiré. Lettre du 23 juillet 1562, ibid., p. 68 sq.

On voit par ces détails combien l’union des Chaldéens était sincère ; ils y furent fidèles, nonobstant les persécutions dont ils furent l’objet de la part des nestoriens, qui avaient l’appui des chefs kurdes, et malgré aussi les difficultés que le patriarche éprouva aux Indes, où les Portugais latinisants entravèrent sa tentative d’organiser une hiérarchie chaldéenne unie. J. Vosté, loc. cit., p. 269. C’est sous le pontificat d’Abdiso' IV que fut envoyé en Orient comme visiteur apostolique l'Éthiopien Jean-Baptiste, ancien supérieur de l’hospice Santo-Stefano degli Abissini, à Rome, consacré ensuite évêque des Éthiopiens résidant en Chypre ; mais nous ne savons pas si le délégué pontifical arriva jusqu'à Mossoul, ayant seulement la lettre par laquelle le pape annonce au patriarche chaldéen son départ, 23 février 1565. S. Giamil, loc. cit., p. 69-71 ; réponse du patriarche (?) p. 490-492. Les lettres relatives à cette mission ont été publiées à nouveau, d’après une autre copie, par P. Dib, Une mission en Orient sous le pontificat de Pie IV, dans Revue de l’Orient chrétien, t. xix, 1914, p. 21-32, 266-277. Les termes de la lettre au patriarche chaldéen méritent d'être rapportées, elles montrent combien on se résignait difficilement à laisser aux Chaldéens unis l’usage de leur rit, au moment où l’on travaillait si fort pour l’unification des liturgies en Occident, peut-être aussi sous l’impression des difficultés que la différence des rits avait suscitées aux Indes.

Debebis… omnem operam dare… ut fides eorum, quibus præes, fidei sanctæ Romanæ Catholica ? et Apostolicæ Kcclesise plane congruat, nec ulla in re, quæ quidem ad salutem necessaria sit, discrepet. Nam quod ad ritus, et ceremonias attinet, et valde deceret, tametsi optandum esset ipsas quoque congruere, tamen passuri sumus consuetudines vos, et vestros ritus antiquos, qui quidem fuerint probabiles, retinere, dummodo in sacramentis, et aliis

rébus ad fidem pprtineiitilius, n<l salutem iiccoxsariis, Lcck’siam, ut diximus, romanam, omnium Christ i lideIium matrem, et magistral » st-quamini. Ibid., p. 270.

Abdiso" ayant vécu à Séert, dans le couvent de Saint-Jacques le reclus, y mourut en 1567. Le siège fut géré ensuite pendant onze ans par le plus ancien des évêques, Yahballâhâ (les sources latines donnent Aatalla ^ Aytallâhâ), évêque de Djézireh ; on ne put procéder à l'élection qu’en 1578, dans l’impossibilité où l’on était mis par les nestoriens et les autorités turques de réunir le collège électoral. Yahballâhâ IV, qui était déjà vieux au moment de son élection, mourut à la fin de 1580, sans avoir pu envoyer sa profession de foi à Rome. S. Giamil, op. cit., p. xxxiv. Il eut pour successeur l'évêque de Gélu, Séert et Salmas, Simon Denhâ, qui s'était converti depuis peu du nestorianisme avec tout son troupeau. Èlie, métropolite de Diarbékir, qui avait été l’auteur de cette conversion, fut choisi comme procureur par le synode électoral, pour aller à Rome demander en faveur du nouveau patriarche la confirmation de son élection et le pallium. Lettre du synode au pape, ibid., p. 88-90 ; exposé du procureur au cardinal Caraffa, p. 90-97. Toujours en butte aux contradictions des nestoriens, qui avaient l’oreille des autorités turques, le patriarche fixa sa résidence au monastère de SaintJean, près de Salmas, en Perse, où s'était tenu le synode électoral.

Le métropolite Élie étant mort au Liban, lorsqu’il revenait de Rome, en 1582, le patriarche ne put recevoir de suite la confirmation de son élection ; en janvier 1584, cependant, Léonard Abel, archevêque de Sidon, qui avait été envoyé en Orient par Grégoire XIII pour confirmer les chefs des Églises orientales unies, leur porter les décrets du concile de Trente et leur faire adopter le nouveau calendrier, entra en relations avec un envoyé du patriarche chaldéen, Jacques, prieur du monastère de Séert. Léonard Abel aurait bien voulu que le patriarche fît une partie du chemin pour le rencontrer, mais il y avait guerre entre la Turquie et la Perse ; en outre, le potentat kurde local, Zayn al-bak, ne permettait pas au patriarche de quitter son territoire. Il fallut donc envover à celui-ci la copie de la profession de foi que son procureur, le métropolite Élie, avait signée à Rome. L’exemplaire signé fut remis à Léonard Abel l’année suivante, janvier 1585, par le nouveau métropolite de Diarbékir, Joseph Élie. accompagné d’Isa, neveu du patriarche. Ceux-ci repartirent vers le patriarche, porteurs des bulles et du pallium, en avril 1585, ayant reçu pendant les mois de leur séjour à Alep, auprès du délégué pontifical, un supplément d’instruction théologique. Les habitants de Diarbékir, qui étaient foncièrement attachés à l'Église catholique, envoyèrent alors à Rome, pour bien s’y pénétrer de la doctrine catholique, un prêtre, un diacre et un clerc. Relation de Léonard Abel dans Baluze, Miscellanca…, éd. de Mansi, t. iv, Lucques, 1764, p. 154-156 ; réimprimée par S. Giamil, op. cit., p. 115122.

A la mort de Simon IX, on appliqua le système de la succession héréditaire. Simon X, élu en 1600, signa le 28 juillet 1619 une profession de foi, qu’il fit parvenir au souverain pontife, en annonçant qu’il allait se rendre à Rome en compagnie du franciscain Thomas Obicini, de Novare. Cette information, donnée sans référence par J. S. Assémani, Bibliotheca orientaUs…, t. m b, p. 622, a été répétée telle quelle par tous les historiens de l'Église chaldéenne. Mais aucun n’a remarqué que Simon X avait déjà envoyé à Rome, avant cette date, par l’intermédiaire du métropolite de Diarbékir, Timothée, un libelle de foi, qui n’avait pas donné satisfaction. C’est cepen

dant ce qui lui valut une lettre de Paul V, du 20 juin 1617, adressée Venerabili fratri Simoni patriarchæ Ass/riorum orientalium. S. Giamil, qui a reproduit ce document (p. 190 sq.), a supposé qu’il était adressé au catholicos Élie IX, qui avant son élection aurait été appelé Simon. Ibid., n. 1. Mais le catholicos précédent, Élie VIII, n'était mort que le 26 mai, et son décès ne pouvait être connu à Rome à la fin de juin. D’ailleurs, dans une lettre écrite le même jour au Frère Thomas de Novare, au sujet du synode tenu par Élie VIII, le pape parle de lui comme d’un personnage vivant : a venerabili fratre Elia Babilonis patriarcha habita. Ibid., p. 191. En outre, la curie employait alors des titres différents pour les deux prélats, qui se partageaient l’autorité sur les Chaldéens, nestoriens et catholiques, qualifiant le successeur de Sulâqâ « patriarche des Assyriens orientaux » et celui de Simon bar Mâmâ « patriarche de Babylone ».

Ces observations auraient dû préserver Giamil de l’erreur où il est tombé : il n’est pas douteux que la lettre Venerabili Simoni a été adressée à Simon X ; nous en avons la preuve dans un fragment d’un rapport écrit à la suite de sa mission en Chaldée par celui qui était chargé de la porter, Thomas de Novare. C’est une partie seulement de cette relation qui est parvenue entre nos mains dans deux feuillets, que nous avons trouvés plies en quatre dans le cartonnage du manuscrit Vatican turc 102, feuillets autographes probablement. Néanmoins, ce fragment nous apprend que Thomas, parti d’Alep le 29 avril 1619, arrivé auprès du catholicos Élie IX le 22 mai, se trouva chez le patriarche Simon, du 13 au 29 juillet 1619. Le bon franciscain ne sait comment exprimer l’enthousiasme avec lequel il fut reçu dans ce milieu, où était demeuré vivant l’esprit de l’héroïque martyr Sulâqâ, et où l’on considérait toujours le pape comme le Père de tous les chrétiens et le chef de ' 'Église universelle. Le patriarche, pour manifester s on dévouement envers le souverain pontife, voulait assurer de ses propres mains le service de son envoyé, préparer les couvertures de son lit, lui servir à boire, lui tenir rétrier, lorsqu’il montait à cheval. Simon X disait à Thomas qu’il ne s’estimerait pas véritable patriarche, tant qu’il n’aurait pas baisé les pieds du Saint-Père, et lui jura par trois fois qu’il le retrouverait sous peu à Diarbékir ou Alep, afin d’accomplir avec lui le passage de Rome, à moins d’en être empêché par la mort, les Turcs ou les Kurdes. C’est dans cette disposition, la veille du départ de l’envoyé pontifical, que Simon X signa sa profession de foi, le 28 juillet 1619.

Le voyage du patriarche n’eut pas lieu, mais la visite de l’envoyé pontifical, au delà de montagnes infestées de brigands, où il y avait de la neige même en juillet, montrait aux Chaldéens de Perse que Home s’intéressait à eux. Les difficultés matérielles étaient trop grandes pour qu’il y eût des rapports fréquents : il en exista cependant encore, mais nous sommes moins bien renseignés pour la période qui vient, parce que la S. Congrégation De Fropayanda Fide, dont l’activité a commencé en 1622, n’a fait encore qu’entr’ouvrir ses archives : S. Giamil n’y a pas eu accès, op. cit., p. xxxviii, xli, 538, et personne n’y a encore l’ait le relevé des pièces concernant les Chaldéens. Giamil dit cependant que des professions de foi furent envoyées en 1653 par Simon XI et en 1658 par Simon XII. Simon XIII écrivit encore en Î670 au pape Clément X, le suppliant de laisser intacts les rites anciens :

Jam petimus a Sanctitate vestra, ut nobis mittatis epistolas bonas et congruas super canonibus synodalibus et ordinationibus ac ritibus ecclesiasticis nostris, ut non

confundantur, neque mutentur ex illo, quod ordinarunt nobis patres sancti secundum laudabilem Orientis ritum, sed maneant, sicut fuerunt ab antiquo, sine additione, aut diminutione, ut non inducatur confusio in corpus christianorum. Giamil, p. 203.

Le maintien, à Ispahan, d’un évêque latin, qui devait, entre autres choses, aider les Chaldéens catholiques de Perse, comme il ressort des lettres d’Alexandre VII au chah Abbas II et au patriarche Simon XII en 1661, ne suffit pas à maintenir l’union. Ibid., p. 192, 19 1, 195. Simon XIII retourna au nestorianisme et transféra le siège des catholicos nestoriens à Kotchannés.

Pour ce paragraphe et les suivants, voir : J.-S. Assémani, Biblioiheca orientalis, t. in a, p. 621-623 ; J.A. Assémani, De catholicis seu patriarchis Chaldgeorum et Nestorianorum commentarius hislorieo-chronologicus, Rome, 1775, lequel répète souvent mot pour mot les notices de la Biblioiheca orientalis ; J.-B. Abbeloos et T. J. Lamy, Gregorii Barhehrœi chronieon ecclesiasticum, t. iii, Paris et Louvain, 1877, col. 568-576 ; S. Giamil, op. cit., p. xxxiixlviii ; J. Tfmkdji, L'Église chaldéenne catholique autrefois et aujourd’hui, dans A. Battandier, Annuaire pontifical catholique, t. xvii, 1914, p. 455-469, extrait, p. 7-21.

Les documents relatifs à Sulâqâ ont été publiés pour la deuxième fois par S. Giamil, Genuinæ relationes inter Sedem aposlolicam et Assyriorum orientalium seu Chaldœorum Ecclesiam…, Rome, 1902 (ouvrage publié d’abord dans Bessarione, 1898-1903, sous le titre Documenta relalionum inter Sedem apost. et Assi/r. Eccles.) : lettres des Chaldéens au pape, p. 12-14, 475 sq. ; profession de foi de Sulâqâ, p. 477 sq. ; relation du card. Maffeo sur l'état de l'Église chaldéenne, p. 479-482 ; bulle de provision du 1 er mars 1553, p. 15-23 ; lettre déterminant les pouvoirs du nouveau patriarche, 7 avril 1553, p. 24-27 ; histoire du retour de Sulaqa (texte syriaque et trad. latine), p. 482-489. Une profession de foi de Sulâqâ, inconnue à Giamil, se trouve en latin, copiée de deux mains différentes dans le Vatic.l at. 6168, fol. 239 v°-243, 250-253 v°. Sur l’histoire de Sulâqâ, voir aussi L. Lemmens, Notæ criticœad initia unionis Chaldseorum (1551-1629) dans Antonianum, 1926, t. i, p. 205-218.

1° Les successeurs de Bar-Mâmà et l'Église romaine (1607-1681). — La communauté chaldéenne de Diarbékir avait été, de 1555 à la mort de Yahballâhâ IV, la citadelle du parti favorable à l’union avec Rome. Lorsque l’ancien évêque de Gélu et Salmas, Simon IX, transféra en Perse la résidence patriarcale, les catholiques de Diarbékir firent le siètie du catholicos nestorien résidant à Rabban Hormizd, Élie VII Bar Mâmâ. L’invitation du visiteur apostolique, Léonard Abel, qui avait vu le métropolite de Diarbékir, en Alep, en 1585, fit effet sur le catholicos, qui envoya au pape une profession de foi, portée en 1586 par le prêtre 'Abd alMasih. Cette profession de foi, dont un exemplaire de petit format, muni du sceau patriarcal, existe encore, relié dans le ms. Vatican arabe 141, fol. 1 v°14 v°, fut rejetée par Sixte V, comme entachée de nestorianisme. S. Giamil, op. cit., p. xxxiv, n. 1.

Élie VIII, qui succéda en 1591 à son cousin Élie VII, reprit l’idée de l’union à Rome. Beaucoup de nestoriens se convertissaient, à ce qu’il semble, lorsqu’ils sortaient de leur milieu : le custode de Terresainte, F. Manerba, rapportait en lOOt que beaucoup de nestoriens avaient abjuré entre ses mains, pendant les trois années de son administration, ajoutant que plusieurs lui avaient promis de s’employer, afin que leur patriarche écrivît cette même année au souverain pontife, pour lui demandera être reçu dans le giron de l'Église. L. Lemmens, Acta S. Congregationis de Propaganda Fide pro Terra sancta, pars I (16221720), dans G. Golubovich, Biblioteca bio-bibliografica delta Terra santa c dell' Oriente [ranciscano, nuova série, documenta, t. i, p. 10.

En effet, au mois de mars 1606, arrivèrent à Rome

deux laïcs, Georges et Jean, qui se disaient les envoyés du catholicos, dépouillés en cours de route par des voleurs qui leur avaient pris les lettres destinées au pape. Très bien reçus par Paul V, pour qui ils firent une relation détaillée de l'état des chrétientés nestoriennes, S. Giamil, op. cit., p. 100-108, ils retournèrent en Orient chargés de cadeaux pour le catholicos, et porteurs d’une instruction, qui avait été rédigée par Marcello Vestri et mise en syriaque par un maronite de Rome.

Élie VIII, encouragé par le métropolite de Diarbékir, Élie, qui semble avoir été l’instigateur de l’union, ibid., p. 131, envoya donc son archidiacre, Rabban Adam, qui arriva à Rome au printemps de 1611, apportant huit documents en syriaque et arabe, qui sont conservés aux archives de la S. C. du Saint-Office. Liste et sommaire du contenu de ces documents dans G. Hofmann, II beato Bcllarminoe gli Orientait, dans Orientalia christiana, t. viii, p. 298303. Reconnaissant volontiers l’autorité suprême du souverain pontife dans l'Église entière, Élie et les prélats signataires se déclaraient disposés à lui prêter obéissance ; ils exposaient leur foi relativement à la Trinité et à l’incarnation, expliquant pourquoi ils appelaient Marie Mère du Christ plutôt que Mère de Dieu. Selon Adam, qui avait rédigé un mémoire pour le démontrer, il n’y avait aucune différence entre la foi de sa nation et celle de l'Église romaine. A Jérusalem, Adam avait été reçu à la communion par les franciscains qui, comme le notaient déjà les envoyés de 1606, recevaient régulièrement les Chaldéens à la confession et à la communion (Giamil, op. cit., p. 104) non cependant sans les interroger sur leur foi, comme le dit explicitement le P. Manerba.

A Rome la foi de Maître Adam allait être épluchée de plus près : ses documents furent confiés à l’assesseur du Saint-Office, qui chargea Pietro Strozzi, secrétaire des brefs aux princes de pourvoir à tous les besoins du voyageur, comme il avait fait en 1606 pour les pèlerins mentionnés ci-dessus. Strozzi demeura pendant trois ans le protecteur né d’Adam, et le considéra toujours avec bienveillance, bien qu’il connût par le menu toutes les discussions qui eurent lieu à son sujet. Il a rédigé sous le titre d' Acta legationis Babylonicæ un volumineux rapport sur la mission d’Adam, dont une copie calligraphiée avec luxe et présentée à Paul V est conservée à la bibliothèque Vaticane, ms. Barberini latin 2690. Le séjour prolongé d’Adam à Rome fut troublé par bien des vicissitudes. Des trois Chaldéens qui l’accompagnaient, un laïc et deux moines dont un prêtre, deux se tournèrent contre lui, affirmant qu’il n’avait reçu aucune mission du catholicos et avait fabriqué les lettres présentées par lui à son arrivée. Les dépositions de ces accusateurs se trouvent dans le manuscrit de la bibliothèque Vaticane, Barberini latin 893, fol. 220233, écrit de la main d’un Oriental, probablement un Maronite qui avait fait la traduction des documents syriaques. Cet inconnu fait montre d’une profonde antipathiepour Adam et d’une façon générale pour tous les nestoriens, que les autres chrétiens d’Orient, dit-il, méprisent et traitent à coups de pierre. On n'était pas tendre non plus au Saint-Office, où l’on voulut à un certain moment appliquer à Maître Adam le châtiment des relaps. Barberini latin 2690, fol. 58 v°. Quatre jours seulement avant la signature des lettres qu’Adam devait emporter, le 21 mars 1614, le commissaire du Saint-Office, d’accord avec Bellarmin, relevait dans un exposé du Chaldéen les erreurs suivantes : animas sanctorum anle resurrcctionem non recipi in cœlis nec Deum videre ; /idem et spem manere in bealis ; resurreclionem non esse futuram in vera carne et sanguine, sed in corpore aerco ; liber tatem sanctorum non permansuram post resurrectionem ; angelos sanctos non cognovisse mysterium Trinitatis nisi post incarnalionem Verbi ; mysterium

regni Dci, quod in fide posilum est, esse nobis impressum cum formatione naturæ. G. Hofmann, op. cit., p. 303.

Il serait vain de vouloir excuser Adam de toute tromperie, mais il n’est pas facile de discerner dans son attitude la part du vrai : ce qui se passa lors de son retour en Mésopotamie donne plutôt raison à ses détracteurs. Toujours est-il qu’après deux ans de séjour, qui s'étaient passés en examens théologiques, séances d’instruction, rédactions de mémoires sur des points de foi, Adam ne put partir comme il l’espérait, au passage de l'été 1613 : le déplaisir fut si vif qu’il en tomba malade d’août à octobre, Barberini latin 2690, fol. 41 v°. Puis ce furent des discussions sur l’itinéraire à suivre : les deux jésuites, qui avaient été désignés pour accompagner Adam jusqu’auprès du patriarche, le romain Giovanni Antonio Marietti et le maronite chypriote Pierre Metochita (al. Metoscita), voulaient s’embarquer à Messine, tandis que les Chaldéens préféraient voyager sur des bateaux vénitiens. Les deux compatriotes de Rabban Adam le quittèrent donc, tandis qu’il restait à Rome pour se soumettre aux exercices auxquels l’avait condamne le Suint-Office : Ideo Sanctissimum Dominum Nvstrum et S. Conyregationem decrevisse prœdictum Adam, qui jam mensibus præteritis in S. Ofpcio émiserai pro/essionem fidei, esse instruendum de supradictis arliculis et post instructionem pr&via abjuratione de formait ilerum absolvendum ab excommunicatione et recipiendum in gremio S. Matris Ecclesiæ catholicæ apostolicæ Bomanw cum clausula citra pœnam relapsi. G. Hofmann, loc. cit.,

Paul V, cependant, avait déjà commencé de donner satisfaction aux désirs du catholicos : par bref du 10 juin 1613, légèrement modifié le 15 mars 1614, le custode de Terre sainte avait reçu l’ordre de restituer aux Chaldéens l’autel qu’ils disaient avoir possédé auprès de la chapelle des franciscains, dans la partie nord du SaintSépulcre. B. Katterbacli, Brève Pauli V Chald&is catholicis allare in ecclesia Hierosoli/mitana concedens, dans Archivum franciscanum historicum, t. xix, 1026, p. 118 sq. Le 25 mars 1611, le bref au catholicos dont la minute avait été soumise, dès le 23 mai 1613, aux cardinaux Bellarmin et Francesco Bourbon del Monte, était expédié ainsi que les autres lettres.

Le départ de l’envoyé patriarcal, accompagné des deux missionnaires, eut lieu le 2 juin 1614. Le voyage ne nous est connu que par la relation de ces derniers, en copie dans le manuscrit de la bibliothèque Vaticane, Barberini latin 5157, fol. 127148, publiée d’après l’exemplaire des archives de la Compagnie de Jésus par le R. P. Tournebize, Brèvee compendioso ragguaglio delta missione jaila per ordinc di A. S. papa l-'aolo V…, dans A. Rabbath, Documents inédits pour servir à l’histoire du christianisme en Orient, t. ii, Beyrouth, 1921, p. 421-428. Adam était parti mal disposé envers les deux mentors qui lui avaient été imposés. Sa rancune s’accentua en raison des longueurs du voyage qui s'éternisa : arrêts à Messine, à Malte, à Chypre où l’on n'était arrivé que le 21 janvier 1615. Adam voulut alors partir pour le Liban et Jérusalem, suivant ce qui avait été arrangé avant le départ de Rome, Barberini latin 1690, fol. 101. Les deux jésuites refusèrent de l’accompagner, per certi giwiti impedimenti, de sorte qu’il fit seul le voyage de Jérusalem. Les trois voyageurs s'étant enfin retrouvés en Alep, ils partirent de cette ville le 8 juin liilô. A Diarbékir, les jésuites eurent le déplaisir de ne pas trouver l’archevêque Élie, pour lequel ils

avaient une lettre du pape et se trouvèrent chambrés par Adam, sans qu’il leur fût possible de trouver aucun appui contre ses manœuvres. Après les avoir internés tantôt en ville, tantôt dans une maison de campagne des environs, Adam finit par leur lire une lettre, soi-disant écrite par le catholicos, qui leur enjoignait de retourner en arrière. C’est seulement en sortant de Diarbékir pendant la nuit, à l’insu d’Adam, que les deux missionnaires arrivèrent à gagner Mossoul et à rencontrer Élie VIII. Celui-ci leur déclara qu’il ne voyait rien à changer dans sa foi et n’avait donné mission à son envoyé que pour traiter l’allaire de l’autel à Jérusalem. Les jésuites repartirent donc pour Diarbékir, ayant été traités avec égards, mais n’ayant rien conclu, porteurs d’une lettre pour le souverain pontife et de cadeaux, le 24 août 1615. Tandis qu’ils étaient en Alep, il apprirent que le catholicos s'était déplacé vers l’Occident et désirait les revoir. Un des Pères rebroussa chemin, car il leur en coûtait d’avoir manqué leur mission, et rencontra Élie VIII au monastère de Mar Péthion, entre Mardin et Diarbékir, le 17 novembre. Aucune concession dogmatique ne fut faite lors de ces conversations, rendues difficiles par la présence de Rabban Adam, qui prétendait n’avoir rien changé de sa foi à Rome, ni anathématisé inconditionnellement Nestorius. Les deux envoyés de Paul V étaient donc fondés à déclarer, lorsqu’ils rentrèrent à Rome le 8 novembre 1616, qu’il n’y avait chez Élie aucune des dispositions nécessaires pour une véritable réunion à l'Église romaine. Ils ajoutaient que personne parmi les Chaldéens de Diarbékir n'était véritablement catholique ; mais la réclusion à laquelle ils avaient été condamnés, le fait que la communauté locale se disait de l’obédience de Simon et refusa sous ce prétexte de s’occuper d’eux, loc. cil., p. 441 sq.. leur mécontentement enfin donnent à penser qu’ils n'étaient pas en très bonne posture pour juger sainement.

L'éditeur du Brève ragguaglio n’a pas compris, faute d’une chronologie exacte, que si les envoyés de Paul V furent médiocrement reçus à Mossoul, c’est que l’on y attendait des franciscains et ce dès l'été 1615, comme il appert de l'échange de lettres en cours entre le catholicos et le gardien du couvent franciscain d’Alep. Ibid., p. 453 sq. La caravane du rabban Adam avait employé plus d’une année pour arriver à Diarbékir et le catholicos avait écrit au souverain pontife, avant même d’avoir rencontré pour la première fois ses envoyés, puisque la lettre de Paul V enjoignant à Thomas Obinici de partir pour Diarbékir est du 20 janvier 1616. Il est donc tout à fait erroné d'écrire, comme l’a fait le P. Tournebize, que la substitution des franciscains aux jésuites fut demandée « dans des lettres écrites à Paul V au nom du patriarche, après le retour à Rome des deux jésuites ». Ibid., p. 425. Ils n’arrivèrent à Rome, comme on l’a dit, que le 8 novembre 1616 ! C’est à Alep, tête d'étapes des caravanes de Mésopotamie, et à Jérusalem, que les nestoriens étaient entrés en contact avec des religieux latins, et ces religieux étaient des franciscains ; ceci explique suffisamment la préférence du catholicos.

Les anciens compagnons d’Adam, qui de Chypre l’avaient laissé partir seul pour Jérusalem, se disposaient à y aller en pèlerinage, d’Alep où ils hivernaient, lorsque le gardien du couvent franciscain, Thomas de Novare, se mit en route pour Diarbékir. le catholicos, aussitôt après le départ du jésuite qui était venu le trouver à Mar Péthion, avait convoqué le synode des métropolites à Diarbékir pour le temps de Noël. Il insistait auprès de Thomas de Novare pour y avoir sa présence, mais celui-ci ne voulait pas entrer dans une affaire confiée à d’autres, et attendait de

connaître la volonté du pape. Cependant les prélats nestoriens s’impatientaient et menaçaient de regagner leurs diocèses. Thomas, ne voulant pas laisser échapper l’occasion, finit par se décider et le synode se tint du 1 er au 26 mars 1616. On lut les lettres du pape et les instructions apportées par les jésuites, ainsi qu’un traité théologique composé à Rome par Adam, qui, sur les entrefaites, avait été consacré métropolite de Diarbékir sous le nom de Timothée : détails sur la composition de ce traité dans P. Strozzi. De dogmettibus Chaldœorum disputalio ad Palrem admod(um) rever(endum) Adam, Cameræ patriarchalis Babylonis archidiaconum…, Rome, 1617, p. 203 (écrit 303)-239. On accepta tout ce qui avait été fait à Rome en matière de foi ; puis une lettre au pape lut rédigée, signée par tous, remise au frère Thomas pour acheminement. Strozzi, qui continuait d’avoir l’affaire des Chaldéens à cœur, publia tous ces documents, dès leur réception à Rome : Synodalia Chaldeeorum videlicet epistola synodica Elite… Sermo Timothei archiepiscopi Amed de recta fide, …in synodo recognilus et receptus…, Rome, 1617, p. 11-52 ; documents reproduits par S. Giamil, op. cit., p. 142-159, 536 sq. Les prélats protestaient avec insistance contre les vexations, auxquelles l’inquisition portugaises oumettait leurs compatriates des Indes, et demandaient au pape d’intervenir en leur faveur : quia in Ormos, et in Goa, et ultra valde tribulant nos scrutantes de fide ; et homines nostrarum regionum non sunt perili omnes ; et hac de causa tribulant eos valde, vel accipiunt ab eis pecunias, et deinde dimittunt eos ; et unus sacerdos ex Amed civiiate mortuus est propter angustias, in quas redactus ab eis fuerat. Strozzi, Synodalia, p. 15 ; Giamil, op. cit', p. 144. Les Chaldéens avaient été charmés de leur commerce avec Thomas de Novare. Strozzi, op. cit., p. 14 ; Giamil, loc. cit. Celui-ci déclare qu’ils ont accepté sans restriction tout ce qu’enseigne l'Église romaine. Strozzi, p. 9 sq. ; Giamil, p. 150.

Toutefois, lorsque les deux jésuites arrivèrent à Rome, ils rendirent suspecte la déclaration du synode chaldéen ; et la profession de foi fut jugée insuffisante. Le 29 juin 1617, Paul V envoyait une nouvelle lettre au patriarche Élie, avec une formule de foi, à retourner signée : texte latin seulement dans Strozzi, p. 69-81, textes latin et syriaque dans Giamil ; p. 160-185. C’est Thomas de Novare, qui fut chargé de porter les lettres pontificales par bref du même jour. Mais comme il était pour lors en Egypte, il dut repasser en Syrie et ne put quitter Alep que le 19 avril 1619 (cf. document cité ci-dessus col. 231).

Il avait des lettres pour Gabriel, métropolite de Hassan kef, pour Élie, ancien métropolite de Diarbékir transféré à Séert, et pour Timothée-Adam, métropolite de Diarbékir. Giamil, op. cit., p. 187-189. Ayant évité Diarbékir, probablement afin de ne pas rencontrer tout de suite Timothée, devenu suspect, lui et son synode de 1616, à de cause son attitude envers les deux jésuites, il arriva le 19 mai à Mossoul et le 22 à Rabban Hormizd. Mais le patriarche Élie VIII était mort depuis le 26 mai 1617, et son successeur Élie IX n’avait pas les mêmes dispositions. Il reçut bien l’envoyé pontifical, s'étonnant cependant qu’il ne fût pas venu par le chemin de Diarbékir, qui à la saison chaude était le plus agréable. La relation de Thomas de Novare, dans l'état fragmentaire où nous la possédons, ne contient rien sur les conversations tenues à Rabban Hormizd, mais la profession de foi qui avait été envoyée de Rome y est revenue signée : elle se trouve aux Archives du Vatican, sous la cote A A. Arm. i-xviii, 1805. Elle contient sur los pages opposées les deux textes, latin et syriaque, reproduits par Giamil, op. cit., p. 164-187, mais sans

une description suffisante, sous la cote ancienne Ami. vu. caps, iv 41 et 51 (erreur pour 14 seulement). Or, lorsque le document est revenu à Rome, on a pris soin d’ajouter un titre sur la première page ornée d’une croix et de fleurons.

Liber iste professionis fidei catholicir… per manus I’atris Thomæ Novaricnsis… Domino Elire Babilonis patriarchaf.lialdæoriimque primati missus est… ad ultimandam stabiliendamquc ejus cum sancta Romana Ecclesia diu desideratam reconciliationem et iinionem qurc, divino præstante auxilio, per eumdem Patrem compléta est anno Domini MDCXIX cujus roi testimonium in fine hujus cum propria ipsius patriarch.e manu, et archiepiscoporum ejus subscriptione munituni tum propriis sigillis roboratione subsignatum videre licet.

On voit en effet au bas de la dernière page deux empreintes en rouge du sceau du patriarcat, le sceau hexagonal d'Élie et un sceau syriaque latin de Timothée, portant au centre une croix surmontant les deux clefs, l’inscription latine JVf(ar) Timotheus, et en syriaque « Timothée, métropolite de Jérusalem ». Mais au-dessus des signatures il y a une note en syriaque, de la main du catholicos, dont la traduction latine a été écrite à Rome, sur la page opposée : Hwe autem nomina Theodori et Nestorii non est possibile auferre et abradere a libris nostrorum Orientalium. Deque omnibus operibus aliis, ecce subscripserim et acceplaverim, et sigillo muniverim… Dans Giamil, op. cit., p. 186. La réserve est d’importance : les prélats acceptaient tout, oui, mais pas de supprimer dans leurs livres liturgiques les noms, anathématisés par les conciles, de Théodore et de Nestorius. Ils étaient donc animés d’un autre esprit que ces convertis de Chypre, ou ces partisans de Sulâqâ, qui demandaient à ne pas être appelés nestoriens et pour lesquels la Curie avait décidé de réserver le nom de Chaldéens. Nestorius, qui n'était cependant pour rien dans l'évangélisation de leur pays, était si bien devenu l'éponyme de leur millet ou « nation », que ces chrétiens de la Mésopotamie et du Kurditan ne voulaient plus en démordre, encore qu’ils n’eussent aucune objection peut-être contre les dogmes romains. Leur obstination sur un nom rappelle la simplicité de ce qui constitue la foi de leurs compatriotes musulmans : « Allah est Dieu, et Mahomet est son prophète. »

Lorsque en juillet 1629, le même Élie IX fut visité par les deux franciscains Francesco Quaresmino (al. Quaresmius) et Thomas de Milan, il montra sans ambages combien il était éloigné de la vérité catholique, car, après avoir dit que sa foi était la même que celle des Romains et avait été plusieurs fois envoyée et approuvée à Rome, il ajouta qu’il tenait fermement que Marie n'était pas Mère de Dieu, mais la mère d’un pur homme (?), et que cette foi, tenue par les patriarches ses prédécesseurs, était et resterait celle de son peuple, car tout simples paysans qu’ils fussent, ils refuseraient de la sacrifier pour tout l’or du monde et se laisseraient plutôt tailler en mille morceaux. Élie IX ajouta que si quelques nestoriens avaient fait à Rome profession d’une autre foi, c'était uniquement de bouche et non de cœur, par considération de leurs intérêts temporels, et que, revenus dans leur pays, ils avaient vécu de nouveau dans la foi nestorienne et y étaient morts. Relation de cette mission par le P. Thomas de Milan dans le manuscrit de la Bibliothèque Vaticane, Ottoboni latin 2536, fol. 114-126. Comment affirmer après cela qu'Élie IX vécut et mourut dans l’orthodoxie romaine ? J. Tflnkdji, L'Église chaldéenne catholique…, dans A. Battandier, Annuaire pontifical catholique, 1914, p. 461, extrait, p. 13. J. Al. Assémani, qui connaissait l'échec de la mission de 1629, ajoute cependant

qu'Élie IX envoya plusieurs fois des lettres à Rome par l’intermédiaire des capucins de Diarbékir : De catholicis seu patriarchis Chaldworum et nestorianarum…, p. 239. Ces documents sont à trouver aux archives de la S. Congrégation de la Propagande.

A la mort d'Élie IX, son neveu Jean Marogliin devint patriarche sous le nom d'Élie X, n’ayant encore que quinze ans. Le 22 novembre 1669, il adn ssait au pape Clément IX une lettre signée par lui et par trois de ses métropolites, où il renouvelait des demandes antérieures, à savoir qu’un collège fût construit à Rome pour la formation des jeunes Chaldéens destinés au sacerdoce, et qu’une chapelle fût affectée à son rit dans les sanctuaires de Jérusalem. Ses premiers envoyés, deux prêtres, Pierre et Marc, avaient été pris par des corsaires barbaresques ; le patriarche demande aussi au pape de leur venir en aide. S. Giamil, op. cit., p. 538-540. De telles aventures n’aidaient pas à la fréquence de relations qui étaient nécessaires pour maintenir l’unité. Quelques années après cette lettre, lorsque le métropolite de Diarbékir, Joseph, eut en 1672 abjuré sérieusement le nestorianisme entre les mains des missionnaires capucins, Élie se mit à le persécuter et se détourna de Rome. Les catholicos de Rabban Hormizd retombèrent dans le nestorianisme et y restèrent jusqu’au début du xixe siècle.

J. A. Assémani, Bibliotheca orientalis…, t.i, sur Élie VIII, p. 543-549 ; sur Adam Timothée, p. 549-551 ; sur Gabriel de Hassan-Kef, p. 551 sq. ; P. Strozzi, De oriu, progressa ac incremento divino religionis catholicæ apud Chaldseos féliciter propagatæ. Item de conciliatione fidei Orientalium cum ftde sanctæ romanæ Ecclesiæ degue obedientia Sancta* Sedi apostolicæ et sanctissimo Domino Noslro pncslita liber. Ejusdem dispulatio de Chaldœorum dogmatibus ad patrem… Adam…, Cologne, 1619. Le manuscrit Barberini latin S93, en plus des dépositions citées contient plusieurs documents relatifs à la mission d’Adam, fol. 145-225. Sur la mission d’Adam, voir : L. von Pastor, Geschichte der Pàpste, t.xii, Fribourg, 1927, p. 264-266 ; L. Lemmens, Belationes nationem Chaldœorum inter et custodiam Terræ sanctæ (1551-1629), dans Archivum franciscanum historicum, t. xix, 1926, p. 17-28.

La lettre d'Élie VIII à Paul V, dont Bellarmin a reproduit un passage imprimé par X. Le Bachelet, Auctarium bellarminianum, Paris, 1913, p. 570, document n° 1, ne nous est pas connue par ailleurs ; ce doit être celle qui fut remise par le catholicos aux deux jésuites, afin de se débarrasser d’eux, et qu’Adam avait essayé de leur reprendre.

La relation du manuscrit Ottoboni latin 2536 a été publié* avec de nombreuses fautes par Marcellino da Civezza, Storia délie missioni francescane, t. viii-xi, Florence, p. 597-608. Un sommaire de cette mission a été donné par H. Læmmer, Analecia romana, Kirchengeschicbtliche Forsclnmgen…, Schaffausen, 1861, p. 43 sq.

5° Les patriarches chaldéens catholiques de Diarbékir ou Amida (1681-1828). — Les jésuites Marietti et Métochita niaient en 1615 que les Chaldéens de Diarbékir eussent été véritablement catholiques ; c'était cependant leur métropolite, Élie, qui avait alors créé un mouvement en faveur de l’union. Son successeur, le pèlerin de Rome et agent de l’union, Timothéevdam, qui prétendait avoir été appelé par la voix populaire, semble ne pas avoir tenu beaucoup à ce diocèse, puisque, en 1619 il ne s’intitulait plus que métropolite de Jérusalem. Archives Vaticanes, AA. Arm. i-xviii, 1805.

Le clergé de Diarbékir, qui se rattachait au début du xviie siècle aux patriarches de Perse, dépendait après 1650 du catholicos de Rabban Hormizd et ne se disait pas catholique. Pourtant les dispositions de la population restaient si favorables envers l'Église romaine, que le capucin Jean-Baptiste de Saintvignan, s’arrêtant à Diarbékir en 1667, tandis qu’il se rendait de Mossoul à Alep, jugea bon d’y demeurer

pour y fonder une mission, estimant qu’il y avait du fruit à recueillir surtout parmi les nestoriens. Lettre du 20 juillet 1667 à la S. Congrégation de Propaganda Fide, citée par Clémente da Terzorio, Le rttissioni dei minori cappucini, t. vi, Rome, 1920, p. 108. N’ayant pas d'église propre, les missionnaires d’alors officiaient et prêchaient comme les dominicains et franciscains des xme et xive siècles, dans les édifices religieux des dissidents. Beaucoup de nestoriens se convertirent et finalement leur évêque, Joseph.

Mais il n'était pas facile de créer en Turquie des communautés nouvelles de rit oriental, parce que, les diverses « nations » chrétiennes ayant pour chefs civils leurs prélats respectifs, ceux-ci conservaient l’autorité administrative et judiciaire sur ceux de leurs fidèles qui passaient au catholicisme, ayant ainsi la faculté de leur nuire par toutes sortes de vexations. Lorsque les catholicos parlaient de s’unir à Rome, l’administration ottomane n’avait pas à en connaître, mais si un de leurs sufîragants sortait de leur obédience, ils pouvaient requérir contre lui l’application des moyens de coercition dont disposaient les pachas*. Dès qu'Élie X eut appris l’adhésion de Joseph à la foi romaine, il lui enjoignit de se rendre à la résidence patriarcale de Tell Eskof près de Mossoul. Joseph craignit de trouver la mort au cours de ce voyage, et ce fut Élie qui vint à Mardin et Diarbékir pour réduire son suffragant. Joseph fut mis en prison, obligé de comparaître à plusieurs reprises au tribunal du moutesellim ; mais l’ascendant que lui donnaient son instruction et sa vertu l’emporta à la fin, et sa juridiction sur Diarbékir et Mardin fut reconnue par le moutesellim, qui le déclara indépendant du patriarche. Un changement de gouverneur permit cependant aux nestoriens de le faire enfermer à nouveau. Voir le détail de cette persécution dans la biographie arabe par 'Abd-al-Ahad, métropolite de Diarbékir (1714-1727), dont la traduction française a été publiée par M. J.-B. Chabot, Les origines du patriarcat chaldéen, Vie de Mar Youssef 7 er, dans Revue de l’Orient chrétien, t. i, 1896, fasc. 2, p. 66-90 (pagination erronée).

Lorsqu’il sortit de prison, ayant reçu du pape Clément X un bref de félicitations daté du 25 janvier 1673, il décida de faire, comme Sulâqâ, le pèlerinage de Rome. Il y arriva pendant le jubilé de 1675 et y demeura jusque dans le cours de 1677, mais sans obtenir les secours pécuniaires qu’il espérait. « On le considérait, dit son biographe, comme ces autres prélats, qui, prétendant aller supprimer le nom de Nestorius, avaient obtenu des secours et, de retour dans leurs contrées, n’avaient rien su en faire. » Ibid., p. 85. Le souvenir de Timothée-Adam et de l’expédition Marietti-Métochita restait vivant à Rome ! A son retour cependant, Joseph put disposer d’une somme importante que lui avait donnée le nouveau vicaire apostolique de Babylone, François Picquet (Mgr Bikho, dans J.-B. Chabot, loc. cit., p. 85), et rentra en possession de son église, La vie de messire François Picquet…, Paris, 1732, p. 261-273 ; cf. p. '356368. L’opposition d’un intrus nestorien fut réduite, grâce à un flrman obtenu par Joseph sur le conseil du P. Jean-Baptiste de Saint-Aignan, cf. Clémente da Terzorio, op. cit., p. 136, firman qui lui reconnaissait le titre de patriarche de Diarbékir, Mardin et autres lieux, indépendant du patriarche de Mossoul.

Joseph n’ignorait pas qu’un titre ecclésiastique ne pouvait être conféré par le sultan ; il fit donc une instance auprès de la S. Congrégation de Propaganda Fide pour obtenir la confirmation du titre et le pallium. Mais la S. Congrégation fit observer, au mois d’août 1678, qu’en l’absence d’une élection de Joseph

comme patriarche, le Saint-Siège ne pouvait approuver la création d’un nouveau patriarcat par le Grand Turc au préjudice du patriarche nestorien. En 1680, toutefois, la question fut reprise à la demande de François Picquet, d’accord avec les missionnaires. Bien qu’aucune mention n’ait été faite d’une élection comme patriarche, la S. Congrégation, se contentant peut-être de l’acclamation qui avait suivi la lecture du firman, prit le 17 décembre 1670 un décret, qui fut approuvé par le souverain pontife, le 8 janvier 1681. On eut bien soin de ne pas mentionner le nom de Babylone, ni le titre qu’on avait donné à Sulâqâ, pour ne blesser aucun des deux patriarches nestoriens ; les termes employés furent : patriarchatus nationis Chaldxorum patriarchæ regimine deslilulus. Manuscrit Vatic. M. 8063, fol. 226-227 v° et 229. Mais le bref du 25 octobre 1683, qui accuse réception de la profession de foi prescrite avant l’usage du pallium est intitulé : Venerabili fralri Josepho patriarchæ Chaldœorum, S. Giamil, op. cit., p. 206.

La santé de Joseph I er avait été sérieusement ébranlée par -les tribulations qu’il avait endurées ; ayant la vue compromise, il se choisit comme coadjuteur, en lui donnant la consécration patriarcale, Joseph Slibâ, qui lui avait succédé en 1691 sur le siège de Diarbékir ; puis il se retira à Rome. Mais lorsque le nouveau patriarche annonça son élection, la S. Congrégation De propaganda Fide estima que la procédure suivie avait été défectueuse : le vieux patriarche dut remettre sa démission entre les mains du pape, qui, sur la proposition de la S. Congrégation, pourvut en consistoire à l'Église patriarcale en la personne dudit Joseph IL Les bulles, qui sont du 18 juin 1696, portent l’expression Ecclesia patriarchalis Babiloniensis (sic) nationis Chaldœorum. Vatic. loi. 8063, fol. 227 sq., 229 V.

Joseph II fut, lui aussi, en butte à de nombreuses persécutions : dès le 9 décembre 1702, le souverain pontife avait eu occasion d’envoyer une lettre d’encouragement aux fidèles chaldéens. S. Giamil, op. cit., p. 212 sq. En 1708, le patriarche, isolé et découragé, était prêt à se réfugier au Liban lorsqu’il écrivit au pape pour lui demander la permission de se retirer à Rome, comme avait fait son prédécesseur : lettre du 5 juillet 1708, ibid., texte arabe, p. 214 sq., traduction italienne, p. 213. Le pape répondit en lui rappelant que les prélats demeurant in partibus infidclium, bien qu’ils dussent faire leur visite ad limina par le moyen d’un procureur, pouvaient aussi la faire par eux-mêmes, lettre du 21 mai 1712, ibid., p. 216 sq. Joseph II ne se rendit pas à Rome ; il mourut de la peste dans le cours de 1713, âgé de 47 ans.

Deux jours avant de mourir, Joseph II avait désigné au choix des électeurs son disciple préféré, Timothée Maroghin, évêque de Mardin depuis 1696. L'élection ayant été ensuite régulièrement faite, la Propagande prit un décret favorable à sa confirmation en congrégation générale du 13 novembre 1713 ; bulle du 18 mars 1714. Vatic. lat. 8063, fol. 230-232 v°. Joseph III fut, comme ses prédécesseurs, soumis aux persécutions des nestoriens, d’autant plus furieuses que, tous les membres de la « nation » à Diarbékir s'étant faits catholiques, la grande église était tombée aux mains de ceux-ci. Déjà en 1721 et 1725 les difficultés avaient été telles que le pape avait jugé bon de lui écrire pour le consoler. S. Giamil, op. cit., p. 339-341. En 1726, les capucins, dont la présence était pour les catholiques orientaux un réconfort et une protection, furent obligés de quitter Diarbékir. Néanmoins, le catholicisme faisait des progrès. A Mossoul, où les catholiques n'étaient plus visités depuis 1722 que par des prêtres cachés sous des déguisements, le mouvement d’union était devenu

tel en 1728 que le patriarche, s'étant procuré un firman s’y rendit en personne et de façon officielle. En six mois, il ramenait à la foi romaine 3.000 personnes, et 3.000 autres suivaient après son départ. Mais c’en était trop pour les nestoriens, attaqués ainsi dans leur citadelle, à quelques kilomètres de la résidence patriarcale. A peine rentré à Diarbékir, Joseph fut expulsé de son église par les nestoriens, pourvus eux aussi d’un firman, et qui y restèrent 45 jours. Puis il fut emprisonné, conduit vers Mossoul, ramené à Mardin, enfin interné à Mossoul pendant une longue période, au plus fort de l'été 1729. Finalement, le procureur des Chaldéens catholiques à Constantinople obtint de la Sublime Porte un firman, constituant une sorte, de concordat entre les deux autorités concurrentes. Les nestoriens conservaient Mossoul et Alep, les catholiques restaient les maîtres à Diarbékir et Mardin. Les communautés de ces deux villes avaient obtenu la paix, mais c'était une défaite pour le principe catholique : la situation était d’autant plus grave pour les convertis de la zone abandonnée, qu’ils n’osaient plus en conscience fréquenter les églises nestoriennes — les missionnaires latins se chargeaient de le leur rappeler — et ils ne pouvaient s’organiser entre eux sans être mis hors la loi ; cf. lettre d’un prêtre et de deux diacres de Bagdad « nestoriens de nom, catholiques en leur foi », qui demandent le Il février 1732 la permission de fréquenter les églises de leur rit. Vatic. lat. 7262, fol. 360.

Joseph III, sorti de prison, mais ruiné par tous les bakchiches qu’il avait fallu donner aux autorités pour obtenir l’exécution des firmans favorables, crut bien faire en se mettant en route pour Constantinople, où son procureur lui faisait espérer qu’il pourrait récupérer une partie au moins des sommes engagées. Peine perdue : après six mois, il partit pour la Pologne, espérant y trouver assez d’aumônes pour pouvoir payer ses dettes, mais ni à Lwôw, ni à Cracovie, ni à Vienne, il ne reçut un secours suffisant. Le 1 er janvier 1732, Joseph III arrivait à Rome où il avait demandé plusieurs fois à la S. Congrégation la permission de se retirer : lettres de refus en date des 3 juillet 1724 et 3 août 1726 dans S. Giamil, op. cit., p. 341-343. Le 15 mai 1732, Joseph III repartait, ayant reçu un peu d’argent, mais pourvu de brefs et de lettres de recommandation, sur lequels il fondait de grandes espérances. Le grand-duc de Toscane lui remit six sequins et la Sérénissime, après deux mois d’attente, le laissa partir avec une promesse de deux cents ducats, qui seraient versés pour lui à la Propagande dans les années à venir. Neuf mois à Vienne lui valurent 900 florins ; enfin il redescendit vers Constantinople par Buda, Belgrade, Timisoara. Mais on lui déclara qu’il était vain de vouloir s’engager plus avant, en raison de la guerre que la Turquie faisait à la Perse. Il attendit neuf mois à Orsova, puis retourna à Rome. On voit par cette aventure combien il était difficile de maintenir en Turquie des groupes de catholiques orientaux. Joseph III demeura dans la Ville éternelle de Pâques 1735 jusqu'à la fin de 1741, malgré les demandes qui lui arrivaient sans cesse de Mésopotamie, où son troupeau, tout agrandi qu’il fût par de continuelles conversions. soutirait amèrement de son absence. Voilà ce que nous apprend sur cette période une relation adressée par le patriarche à la Propagande, pendant les derniers mois de son séjour à Rome. S. Giamil, op. cit., p. 314-339, pièces à l’appui, p. 339-370.

La longueur de l’attente semble avoir refroidi les sentiments des ouailles pour leur pasteur ; le dissentiment devint aigu, lorsque le vieux patriarche voulut pourvoir à sa succession en se choisissant comme

coadjuteur un jeune prêtre de 23 ou 25 ans, que les documents italiens nomment Antonio GallOa Joseph III avait agi sans demander l’avis des fidèles et du clergé, et opéra par surprise en accomplissant à Mardin la consécration d’Antoine, le 20 novembre 1751 ; rectifier la liste des métropolites de Diarbékir par Thnkdji, où ce nom est omis, op. cit., p. 488, extrait, p. 40. Les catholiques protestèrent à Rome, et le 31 mai 1756 la Propagande décida que l'élection était nulle. Relation du cardinal Tamburini et autres papiers sur la même affaire dans le Vatic. lat. 8063, fol. 234-249.

Mais celui qui était destiné au patriarcat mourut le Il janvier 1757, et douze jours plus tard, à l’improviste et peut-être de mort violente, Joseph III. Vatic. lat. 8063, fol. 291. Il n’y avait plus qu’un seul évêque chaldéen catholique, le métropolite de Mardin, âgé de 95 ans. Il fallait agir en hâte : devant le danger, les catholiques firent taire un instant leurs divisions et, le 8 février 1757, Lazare Hindi, ancien élève du collège de la Propagande, était consacré sous le nom de Joseph IV, en même temps qu’un titulaire pour Séert. Bien que l’affaire eût été rapportée dès le 19 septembre 1757 à la Congrégation de la Propagande, ibid., fol. 294-300, les bulles de confirmation ne furent envoyées au nouveau patriarche que le 24 mars 1759. S. Giamil, op. cit., p. 383-385. Joseph IV fit en 1761 le voyage de Rome, où il fit imprimer pour ses églises un missel et un évangéliaire. Rentré en Orient, il se démit en 1781 et, après avoir confié l’administration du patriarcat à son neveu Augustin Hindi, qui était simple prêtre, il se retira à Rome, où il mourut en 1791.

Lorsque le métropolite de Diarbékir, Joseph, avait demandé au pape, en 1678, de lui reconnaître le titre de patriarche, les cardinaux composant la Propagande avaient fait observer justement qu’il ne convenait pas de créer un nouveau patriarcat, au détriment des deux patriarches, qui se partageaient l’autorité sur les nestoriens de Turquie et de Perse. Rome avait cédé en 1681, devant la nécessité de donner aux catholiques de rit chaldéen la possibilité de vivre. Mais, en un siècle d’expérience, on avait pu constater que les firmans si chèrement payés ne suffisaient pas à assurer la paix des communautés. D’autre part, l’existence d’un patriarche à Diarbékir diminuait les chances de voir rentrer, dans le giron de l'Église universelle, les patriarches de Kotchannès et surtout de Rabban Hormizd.

Or, on avait reçu à Rome, de l’un et de l’autre, en 1770 et 1771, des professions de foi satisfaisantes. S. Giamil, op. cit., p. 386-391. Il est vrai qu’appelé au trône patriarcal de son oncle Élie XII, Iso’yahb avait bientôt rétracté équivalemment l’acte d’union qu’il avait l’ait en même temps que le patriarche défunt, mais son cousin Jean Hormez qui se comportait en parfait catholique, avait dans la « nation » un grand nombre de partisans.

On comprend que dans ces conditions le SaintSiège ait voulu se réserver. Augustin Hindi administra le diocèse de Diarbékir, comme prêtre d’abord, puis comme évêque à partir du 8 septembre 1801. Mais il eut beau se décerner le titre de patriarche et se taire appeler Joseph V, la Propagande ne le traita jamais comme patriarche. Même lorsqu’en 1817, trompée sur les intentions réelles de Jean Hormez, elle députa Augustin Hindi comme délégué apostolique sur tout le patriarcat de Babylone, elle se garda bien de lui donner le titre auquel il prétendait. La division fut grande, pendant un demi-siècle, chez les Chaldéens catholiques entre les partisans des deux archevêques qui aspiraient au patriarcat, celui de Diarbékir et celui de Mossoul, mais c'était une lutte de personnes,

où aucune considération dogmatique n'était en jeu. Lorsque Augustin Hindi mourut le 6 avril 1828, son successeur sur le siège de Diarbékir n'émit aucune prétention au titre de patriarche, et le 5 juillet 1830 un nouveau statut était donné au patriarcat chaldéen catholique, avec résidence à Mossoul.

.1. S. Assémani, Bibliolheea orienlalis…, t. m a, p. 603608, sur Joseph II ;.1. Al. Assémani, De catholicis seu pairiarchis Clialdwurum…, p. 242-247 ; A. d’Avril, La Chaldée chrétienne, réimpression dans Revue des Églises d’Orient, t. iii, 1801-1893, p. 105-109, 113 sq. ; J. Tfînkdji, L'Église chaldéenne…, dans Annuaire pontifical catholique, 1914, p. 458-460, extrait, p. 101-121.

6° Le patriarcat de Babylone des Chaldéens de 1830 à nos jour' ;. — Le mouvement vers Rome, qui se développa dans la ville et la région de Mossoul de 1728 à 1730, ne fut pas stérile, nonobstant l’abandon momentané auquel Joseph II avait été ohligé de souscrire. Le patriarche Élie XII sentit que ses fidèles lui échappaient : en 1735, il écrivit une première fois au pape Clément XII pour lui manifester son désir d’union. Joseph III était à Rome lorsque la lettre de celui qui l’avait si durement malmené y arriva ; sur son conseil, sans doute, on préféra ne pas répondre. En 1749 cependant, Élie revint à la charge : à l’instigation du vicaire apostolique de Babylone, Emmanuel de Saint-Albert Balliet, il envoya une profession de foi, conservée en traduction latine dans le Vatic.lat. 8062, fol. 255-257 v°. Cette profession de foi ne pouvait donner satisfaction ; la Propagande répondit le 10 janvier 1750 par une lettre où les encouragements étaients suivis d’une déclaration très nette, sur les exigences de l'Église r « naine en matière de foi. Ibid., fol. 259-263. Le 29 mai 1750, enfin, le patriarche écrivit trois lettres, au pape, au cardinal-préfet et aux cardinaux composant la Congrégation de la Propagande, avec les formules attendues, confessant la maternité divine et la procession ab utroque. Ibid., p. 265-275. Il était en cela poussé par ses fidèles, presque contraint par l’un d’entre eux qui avait l’oreille du pacha, dit le P. Sorriano, O. P.. dans une lettre écrite le lendemain, 30 mai 1756. Ibid., p. 277-280. Aussi l’union ne dura guère ; mais, comme l’action des dominicains installés à Mossoul depuis 1750 continuait à se faire sentir parmi les fidèles, une nouvelle déclaration d’union fut encore faite en 1771 par Élie XII, conjointement ave ; celui de ses neveux qui était destiné à recueillir sa succession, l'évêque Iso’yahb, ci-dessus col. 242. Ainsi se préparait l’union définitive.

Cette union, que l’attitude d'Élie XIII empêcha de se faire dès la mort d'Élie XII, eut pour héraut Jean Hormez qu'ÉIie XII avait favorisé dans les dernières années des sa vie, en le consacrant évêque à l'âge de seize ans. Au lendemain de la mort de son oncle, tandis que son cousin Iso’yahb montait sur le trône patriarcal (1778), Jean Hormez abjurait le nestorianisme ; derrière lui, se trouvait un parti nombreux, mais le Saint-Siège ne jugea cependant pas que le grand nombre de ses partisans fût une raison suffisante pour lui reconnaître la dignité patriarcale, puisque l'élection d'Élie XIII avait été conforme aux usages. Jean Hormez fut donc traité par la S. Congrégation de Propaganda Fide comme simple métropolite de Mossoul. Il eut en outre à subir les persécutions des deux personnages que gênaient ses prétentions au patriarcat, son cousin Élie XIII qui gouvernait les nestoriens, et Augustin Hindi, qui, de Diarbékir, aurait voulu administrer tous les Chaldéens catholiques. Les attaques de ses ennemis furent si habilement menées que le Saint-Siège le suspendit même de l’exercice de son autorité ordinaire sur le diocèse de Mossoul, le 26 juin 1818. S. Giamil, op. cit., p. 391-394. Jean Hormez ne vacilla pas dans sa soumission

à Rome ; aussi la Propagande, en présence des rapports favorables qui arrivaient de l'évêque latin de Babylone, Pierre Alexandre Couperie, décida, le 21 avril 1826, de lui accorder l’absolution des censures encourues, espérant qu’en retour il renoncerait spontanément à toute administration. Mais ses ennemis veillaient, ayant à leur tête les moines de Rabban Hormizd, entraînés avec d’autant plus d’ardeur dans la lutte contre Jean Hormez que l’un d’entre eux, Joseph Audo, avait été consacré évêque de Mossoul par Augustin Hindi et s'était créé dans la ville un parti important. Le fondateur de la communauté catholique de Rabban Hormizd, Gabriel Dembo, se rendit à Rome, sous prétexte de solliciter l’approbation des constitutions dont il avait doté sa communauté, et y devint le représentant du parti opposé à Jean Hormez. Lorsque Augustin Hindi fut mort, la Propagande était d’avis de donner immédiatement à Jean Hormez le pallium et l’autorité patriarcale. Les machinations de Dembo firent tant et si bien que Léon XII mourut sans avoir pu confirmer Jean Hormez en consistoire, comme il avait décidé de le faire. C’est Pie VIII qui posa le 5 juillet 1830 l’acte définitif donnant naissance à la série actuelle des patriarches chaldéens catholiques. S. Giamil, op. cit., p. 394-399.

La division entre catholiques, qui avait son origine dans la compétition entre Augustin Hindi et Jean Hormez, rebondit sur le nom de Joseph Audo, que le soi-disant Joseph V avait consacré pour le diocèse de Mossoul en 1824, de façon tout à fait abusive, puisque Jean Hormez, bien que momentanément suspendu, en demeurait le titulaire légitime. Il avait été décidé à Rome que Joseph Audo recevrait du nouveau patriarche un diocèse, mais c’est seulement en 1833 qu’il fut pourvu de celui d’Amadiah. Les dissensions demeurèrent telles que le Saint-Siège décida de faire procéder à une visite apostolique, confiée le 25 septembre 1835 à Jean-Baptiste Auvergne, vicaire apostolique d’Alep, puis le 28 mai 1839 à François Villardell, délégué apostolique de la même ville. Butlarium poniificium S. Congregationis de Propaganda Fide, t. v, Rome, 1841, p. 127-129 et 174 sq.

Cependant, le patriarche vieillissait et devenait infirme : le 13 octobre 1837, il résolut de se retirer et se choisit un coadjuteur qu’il nomma « gardien du trône », en la personne de l’ancien élève de la Propagande, Grégoire Pierre, appelé di Natale « fils de Noël » dans les documents italiens, évêque de Djézireh depuis 1833. Jean Hormez prit sans doute cette mesure pour exclure du trône patriarcal un de ses neveux, Élie, qui s'était fait consacrer métropolite d’Amadiah par le catholicos nestorien, puis avait obtenu le pardon pour cette folle équipée. Mais Jean Hormez n’avait pas promis la succession à son coadjuteur. Le Saint-Siège, voulant peut-être prendre une garantie encore meilleure contre l’application du principe héréditaire, désigna comme coadjuteur avec future succession, par bulle du 25 septembre 1838, l’ancien élève du collège de la Propagande, Nicolas Zéia, de Jacobbe « fils de Jacques », évêque de Salmas. S. Giamil, op. cit., p. 400 sq. Jean Hormez était mort le 16 août 1838. Sa famille, qui depuis Simon IV Basidi avait fourni 15 patriarches consécutifs à l’antique siège de Babylone, renonça enfin à son privilège, inouï dans l’histoire de l'Église, retenant seulement comme nom de famille ce titre d’Abouna « notre Père », qui était devenu héréditaire parmi les siens. J. Tfinkdji, op. cit., p. 463, extrait, p. 15.

Nicolas Zéia, dont la désignation parRome déplut aux évêques, privés pour une fois de l’exercice de leur droit d'électeurs, fut confirmé comme patriarche le 27 avril 1840, S. Giamil, op. cit., p. 102-405, mais il

ne quitta pas tout de suite sa résidence de Khosrova, prétextant qu’il n’avait pas reçu le bérat d’investiture.

Il se rendit à Constantinople et l’obtint après un assez long séjour, mais, se trouvant à son retour en Mésopotamie en face de difficultés inattendues, il donna sa démission du siège patriarcal et se retira en Perse dans son ancien diocèse, où il mourut en 1855.

Joseph Audo, qui avait été jadis, abusivement consacré pour Mossoul contre Jean Hormez, fut désigné par la Propagande pour gérer le patriarcat pendant la vacance, puis fut élu par le synode à la fin de 1847. Jbid., p. 406, Il fut confirmé par bulles du Il septembre 1848, ibid., p. 407-413, et eut un long pontificat, pendant lequel de nombreux nestoriens adhérèrent à la foi romaine. Il eut cependant de graves différends avec Rome, à partir de 1860. L’occasion en fut d’abord la chrétienté chaldécnne du Malabar, dont la situation sera exposée à l’article Syro-maiæahe (Église). Les catholiques malabares de rit chaldéen désiraient un évêque de leur rit ; ils envoyèrent auprès du patriarche Audo des députés dont l’obstination eut raison de sa résistance. Le patriarche consacra Thomas Rokos avec le titre de Bassorah, en lui donnant comme mission de visiter les chrétientés du Malabar, sans y faire acte de juridiction. Celte consécration eut lieu, malgré les protestations du délégué apostolique de Mossoul, Henri Amanton, qui venait d'être nommé par bref du 25 mai 1860. Le délégué poita des censures contre les évêques chaldéens ; le patriarche répondit par deux encycliques aux prêtres et fidèles de son Église, en date des 21 décembre 1860 et 4 janvier 1861. Il partit peu après pour Rome, où il avait été invité à se rendre, tandis que l'évêque Rokos partait pour le Malabar. Arrivé à Rome le 31 juin 1861, Audo fut invité à rappeler l'évêque envoyé au Malabar, à écrire une lettre d’excuses à la Propagande et un acte de soumission au souverain pontife. Il se soumit, sans toutefois écrire à la S. Congrégation, et fut reçu par le pape le 14 septembre 1861. Le 23 septembre, il écrivait une encyclique à la nation chaldéenne, dans laquelle il reconnaissait ses erreurs et révoquait les mesures qu’il avait prises contre la délégation apostolique et les missionnaires dominicains. Il rentra à Mossoul le 2 décembre, et Rokos revint des Indes à Bagdad en juin 1862, après avoir été excommunié sur l’ordre de Rome par le vicaire apostolique de Vérapoly.

Mais l’affaire ne se termina pas pour autant : un des membres de la réunion qui avait donné mission à Rokos, Bar Tatar, métropolite de Séert, ne se fit pas relever] des censures portées par le délégué. Le patriarche se brouilla de nouveau avec les dominicains, et porta l’interdit sur tous les lieux où il leur arriverait de célébrer en présence des Chaldéens. Un autre incident se produisit le 5 juin 1864 : lorsque Jean Éllie Mellus fut consacré pour le siège d’Akra, le nouvel évêque omit dans la profession de foi d’Urbain VIII les passages relatifs aux conciles de Florence et de Trente. Il y eut rapport à Rome, et bien qu’Audo eût couvert son subordonné et que l’affaire se fût arrangée, l’amertume s’accrût de part et d’autre.

En 1867, Grégoire Pierre di Natale, évêque de Diarbékir mourut à Rome. La Propagande voulut appliquer la disposition de droit latin, suivant laquelle le Saint-Siège pourvoit directement aux bénéfices dont les titulaires décèdent à Rome, et demanda au patriarche de désigner trois noms après entente avec les évêques. On annonça en outre au patriarche qu’on entendait appliquer à toutes les Églises orientales les dispositions de la constitution Reversurus, du

12 juillet 1867, promulguée pour l'Église arménienne. De fait, le 31 août 1869, la bulle Cum ecclesiastica disciplina appliquait à l'Église chaldéenne

les mesures pour les élections d'évéques de la constitution Reversurus. H. de Martinis, Juria pontifleit de Propaganda Fide purs prima, l. vi, part. 2, Rome, 1806, p. 32-55. Audo se rendit au concile du Vatican sans avoir encore consacré les deux évêques désignés parla S. Congrégation de Propagqnda Fide pour Diarbékir et Mardin, bien qu’ils eussent été choisis parmi sept noms qu’il avait donnés lui-même ; il fui contraint de les consacrer à Rome en janvier 1870. Il se plaignait de ce que Rome diminuait les prérogatives des patriarches orientaux, avec d’autant plus d’amertume que les patriarcats maronite, syrien et melkite n’avaient pas encore été soumis aux dispositions de la bulle Reversuras. Ses plaintes trouvèrent immédiatement un écho parmi les évêques anti-iniaillibilistes, qui ramenèrent sans peine à leur parti ; il vota constamment avec la minorité, et s’opposa jusqu’au vout à la constitution De Ecclesia Clirisli, s’abstenant de paraître à la session où elle fut proclamée. Il n’yadhér même pas après la promulgation, prétextant qu’un acte aussi solennel devait être fait après son retour au milieu de ses fidèles. Passant à Constantinople, il protesta dans son discours au sultan, le 16 septembre 1870, qu’il n’avait pas accepté et n’accepterait jamais des dispositions qui lésaient les anciens usages orientaux et les intérêts du gouvernement ottoman. Dans le même temps, il communiquait in sacris avec les prêtres arméniens qui s'étaient séparés du patriarche Hassoun, et refusait de répondre aux lettres de la Propagande. De Rome, on essayait par tous les moyens de faire revenir le patriarche à résipiscence et d’empêcher le schisme de se propager. S. Giamil, op. cit., p. 415. Enfin, le 29 juillet 1872, après tous les autres patriarches orientaux, Audo écrivit une lettre d’acceptation des décisions du concile ; le pape l’en félicita et l’en remercia par bref du 16 novembre de la même année, Ibid., p. 420-424.

Alors que toutes les causes de désaccord avec Rome semblaient éliminées, l’affaire du Malabar rebondit. Audo avait demandé à Pie IX que l’ancienne juridiction des catholicos de Séleucie-Ctésiphon, sur les chrétiens de l’Inde, fût rétablie en sa faveur pour les catholiques du rit cbaldéen. Rome tarda à répondre ; le patriarche sans attendre envoya de nouveau une évêque pour faire la visite des chrétientés. Ce fui Jean Élie Mellus, évêque d’Akra, qui, payant d’audace, et malgré l’excommunication fulminée contre lui par le vicaire apostolique de Vérapoly, ordonna prêtres de nombreux sujets et constitua une Église dissidente. En même temps, le patriarche répudiait les dispositions de la bulle Cum ecclesiasiica disciplina, et procédait à la consécration de quatre évêques, sans en référer à Rome, les 24 mai 1874 et 25 juillet 1875. Il s’ensuivit deux brefs au patriarche et au délégué apostolique, en date des 15 septembre 1875 et 17 mars 1876. De Martinis, op. cit., p. 276-283 et 290-282. Il était interdit au patriarche de s’occuper encore du Malabar et il devait réduire au simple ministère sacerdotal les évêques indûment consacrés. Mais le patriarche s’enfonça dans sa résistance et annonça au souverain pontife son intention de réunir un synode. Le 1 er septembre 187( ;, Pie IX adressa au clergé et au peuple chaldéen une encyclique, où l’histoire des événements litigieux était reprise dans son entier. Le patriarche devait faire sa soumission dans les quarante jours, sous peine d’excommunication majeure. Audo, qui avait toujours été attaché à Rome dans le fond de son àme, avait été, à cause de son manque d’instruction, facilement entraîné par les Intrigants de toute sorte ; mais, au moment de franchir de Rubicon, il rentra en lui-même et se soumit entièrement, le 1 « mars 1877. Réponse du pape dans De Martinis, op. cit., p. 337 sq. 247 NESTORIENNE (L'ÉGLISE), STATISTIQUE DES CHALDÉENS 248

Cette fois, les difficultés vinrent au patriarche du parti qui l’avait appuyé dans sa révolte, nommément des deux évêques d’Amadiah et de Zakho, qui se soumirent en 1879 seulement. Au Malabar ce fut pis encore : Jean Élie Mellus ne quitta les Indes qu’en 1882, et tenta d’organiser son schisme à Mossoul, ne se soumettant qu’en 1889.

A la mort de Joseph Audo, le 14 mars 1878, les évêques élurent pour lui succéder Élie Pierre Abolyonan, évêque de Djézireh, qui fut confirmé par bulles du 28 février 1878. S. Giamil, op. cit., p. 135442. C’est sous son pontificat que fut ouvert en 1882, sous la direction des dominicains de Mossoul, le séminaire SaintJean pour les Syriens et les Chaldéens, d’où est sorti un clergé d'élite. La même année d’ailleurs, le patriarche rouvrit, on ne voit pas trop pourquoi, le séminaire patriarcal de Saint-Georges, qui avait duré de 1866 à 1873. Élie Abolyonan mourut le 27 juin 1894, de la fièvre typhoïde, âgé seulement de cinquante-quatre ans.

Georges Khayyath, homme instruit dans la littérature syriaque, lui succéda sous le nom d'ÉbedJésus V (AbdisV), élu le 28 octobre 1894 et confirmé le 28 mars 1895, S. Giamil, op. cit., p. 443-452. Comme son prédécesseur, il était ancien élève de la Propagande. Son pontificat fut très cx>urt, il mourut à Bagdad le 6 novembre 1899.

Le patriarche actuel. S. B. Mgr. Emmanuel II Thomas, qui était déjà vicaire patriarcal d'ÉbedJésus V, fut élu à l’unanimité par le synode des évêques le 9 juillet 1900, il fut confirmé par Léon XIII dans le consistoire du 17 décembre 1900. Ibid., p. 456465. Formé par les RB. PP. jésuites, dont il fut l'élève à Ghazir (Liban), Emmanuel II Thomas a fait beaucoup pour la conversion des nestoriens, dont plusieurs villages ont fait retour à l'Église catholique avec un nombreux clergé et deux évêques. Mais il a eu aussi la douleur de voir son Église affreusement éprouvée durant la grande guerre.

S. Giamil, Genuinæ relation.es…, Rome, 1902, p. xlvxlviii ; J. Tfmkfji, L'Église chaldéenne…, p. 462-469, extrait, p. 14-21 ; C. Korolevskij, art. Audo, dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques. La plupart des documents relatifs à cette période, habituellement cités d’après Giamil, existent dans R. de Martinis, Juris pontificii de Propagunda Fide, pars I, surtout t. vi b.

Sur la partie de cette période qui s'étend jusqu'à 1864, voir le travail du P. R. M. Goormachtigh, Histoire de la mission dominicaine en Mésopotamie et en Kurdistan…, dans Analecta sacri ordinis fratrum prædicalorum…, t. H, 18951896, p. 271-283, 405-419 ; t. iii, 1897-1898, p. 79-88, 141-158, 197-214, 533-545, où abondent les citations de documents contemporains. Sur la période de 1778 à 1845, il y a beaucoup à prendre dans G. P. Radger, The neslorians and their rituals, Londre, 1852, t. i, p. 150-173. L’auteur donne la traduction d’une autobiographie de Jean VIII Hormez pour la période allant de 1778 à 1795 qui est de premier intérêt. Pour la suite des événements, Radger a entendu le récit de témoins ; quoique protestant et mal informé des questions catholiques (E. Roré, alors laïc, devient le jésuite Roré », par exemple), il semble avoir rapporté impartialement ce qu’il a su.

Sur les moines de la congrégation de Saint Hormisdas, M. Rrière, Histoire du couvent de Babban Hormizd de 1808 à 1832, dans Revue de l’Orient chrétien, t. xv, 1910, p. 410424 ; t. xvi, 1911, p. 113-127, 249-254, 346-355, traduction d’une chronique écrite au couvent ; A. A. Vaschalde, The monks o/ Rabban Hormizd, dans The catholic university Bulletin, t. viii, 1902, p. 472-482 ; brève analyse d’un manuscrit conservé a Washington, qui contient l’histoire du couvent de 1808 à 1866 par S. Giamil.

7° Données statistiques sur l'Église chaldéenne catholique. — - 1. En 1757-1759. — -Les chiffres suivants sont extraits d’une relation envoyée à la S. Congrégation de Propagunda Fide par l’ancien élève du collège de la Propagande, Lazare-Timothée Hindi,

alors archevêque de Diarbékir, le futur patriarche Joseph IV, d’après le manuscrit Vatic. lai. 8063, fol. 315 v° sq.

Églises Fidèles

Bagdad 1 400

Mossoul 6 ou 7 6. 000

Diarbékir 3 5. 000

Mardin 1 3. 000

Séert '. 8 5. 000

Cette relation ne contient pas de renseignements sur les chrétientés de Perse, qui étaient trop distantes de Diarbékir. Il n’y a rien sur Djézireh, qui avait cependant un évêque, ainsi que Mardin et Salmas tandis que Diarbékir et Séert avaient un archevêque, Mossoul et Bagdad faisant partie du diocèse patriarcal.

2. En 1867. — Paulin Martin, dans La C.haldée, esquisse historique suivie de quelques réflexions sur l’Orient, Borne, 1867, a donné des statistiques détaillées des diocèses de Mossoul, Amadiah et Akra, un état des écoles et une liste des couvents, ainsi qu’une liste des évêques et une statistique récapitulative de toute l'Église chaldéenne, p. 205-212. Il y avait alors 10 évêques, en plus du patriarche.

Villages Prêtres Fidèles

Mossoul

Akra

Amadiah

Bassorah

Diarbékir

Djézireh

Kerkouk

Mardin

Séert

Salmas ou Khosrova…

Séna (Perse), .

Zakho

9 19 26

2 20 10

2 35 20

2 15

160

40

17 10

(i 15 10

2

20 10

1

131

23.030 2.718 6.020 1.500 2.000 7.000 4.000 1.000

11.000 8.000 1.000 3.000

70.268

3. En 1913. — Les meilleures statistiques, qui aient jamais été publiées sur l'Église chaldéenne catholique, sont celle de J. Tfinkdji, L'Église chaldéenne catholique autrefois et aujourd’hui, dans A. Battandier, Annuaire pontifical catholique, Paris, 1914. Les tableaux pour chaque diocèse sont donnés à la suite de la notice concernant le diocèse, p. 485-520, extrait, p. 37-72. Cette publication contient en outre, après les listes épiscopales de chaque diocèse, contenant une notice succincte pour chaque nom, une liste des évêques sacrés par les six derniers patriarches chaldéens, de 1830 à 1910, p. 520-522. extrait p. 72-74, un état de fépiscopat chaldécn en juin 1913, p. 524, extrait, p. 76, et un tableau synoptique d’ensemble, p. 525, extrait, p. 77.

Localités Prêtres Fidèles

Archidiocèse patriarcal

(Mossoul i d° Vicariats Archevêchés

Évêchés

Bagdad)

13

56

39.460

l'étranger.

13

15

3.430

Diarbékir

9

12

4.180

Kerkouk.

9

19

5.840

Séert ….

37

21

5.380

Ourmiah.

21

43

7.800

Akra

19

l(i

2.390

Amadiah.

17

19

4.970

Djézireh.

17

17

6.400

Mardin..

6

6

1.670

Salmas…

12

24

10.460

Séna ….

1

3

900

Van

10

32

3. 850

Zakho…

15

13

4.880

199

296

101.610 24 !)

NESTORIENNE (L'ÉGLISE), MISSIONS LATINES

250

50

18.350

3

500

18

4.800 »

1.600

10

2.500 »

1.000

22

3.765 »

1.600

2

400

1

400

5

894

18

8.000

129

43.809

4. En 1928. Depuis les hécatombes de la GrandeGuerre, le nombre des Chaldéens est très diminué ; voici les chiffres en possession de la S. Congrégation pro Ecclesia Orientait, incomplets pour plusieurs diocèses :

Localités Prêtres Fidèles

Arehidiocèse patriarcal. 10

Diarbékir 1

Kerkouk 7

Séert »

Ourmiah 10

Akra »

Amadiah 18

Djézireh »

Mardin 1

Salmas 1

Séna 3

Zakho 16

Ï37~

Il y aurait lieu toutefois d’ajouter à ces chiffres un assez grand nombre de réfugiés, en particulier ceux qui, après avoir essayé de s’installer en Cilicie sous le mandat français, se sont regroupés dans la République libanaise et en d’autres endroits de Syrie, avec un vicaire patriarcal chaldéen à Beyrouth.

Au clergé séculier il faudrait ajouter les membres de la congrégation de Saint-Hormisdas (Rabban Hormizd), dont les deux groupes les plus importants sont ceux de Rabban Hormizd et de Notre-Dame des Semences, à Alkoche ; ils sont environ unecinquantaine. Leur nombre a subi d’assez fortes variations : environ 50 en 1820, 39 en 1843, 16 en 1880, 10 en 1890. E. A. V. Budge, The historiés of Rabban Hôrmîzd the Persian…, vol. ii, part. 1, dans Luzac’s semitic text and transtalion séries, t. x, Londres, 1902, p. xxiii.

On trouvera des chiffres assez voisins de ceux donnés par P. Martin dans J.-B. Chabot, État religieux des diocèses formant le patriarcat chaldéen de Babylone au 1° janvier 1895, rédigé d’après les notes de S. B. Mgr Georges ÊbedJésus V…, dans Revue de l’Orient chrétien, t. i, 1896, p. 433453. Voir aussi les chiffres donnés ici par M. P. Pisani, Asie (État religieux d'), t. i, col. 2085 sq., d’après V. Cuinet, La Turquie d’Asie, 1895-1901 ; ces chiffres donnent le nombre des chrétiens de chaque rit, catholiques ou noncatholiques, par vilayet ; le total des Chaldéens y est de 46.785, celui des nestoriens de 92.000 dans le vilayet de Van seulement.

G. P. Badger, The nesiorians and their rituals, t. i, Londres, 1852, p. 174 sq., donne une statistique très soignée, pour la période 1840-1845, des Chaldéens catholiques, églises, prêtres et familles, selon les renseignements recueillis sur place.

Les missions latines en pays nestorien.

Après

les missions des dominicains et franciscains en Mésopotamie aux xiii « et xive siècles, aucune résidence de religieux latins ne fut installée en pays nestorien jusque vers le premier quart du xiie siècle. Cette abstention surprend d’autant plus, que les dominicains avaient réussi à se maintenir en Arménie, appuyés sur la congrégation indigène des Frères uniteurs. Il est vrai que les relations avec l’intérieur de la Perse étaient relativement rares, et que le territoire ottoman était à peu près fermé à toute innovation par l’arbitraire des gouverneurs locaux, lequel se faisait sentir surtout à distance des littoraux maritimes. Il était plus facile de s’introduire en pays persan : c’est là que commencèrent les fondations des augustins et des carmes.

1. Passage des augustins en Mésopotamie.

Les au gustins dont le premierdépart pour les Indes orientales eut lieu le 18 mars 1573, s’installèrent à Ormuz dès 1576 et à Mascate en 1594. De là, ils pénétrèrent en

Perse, où Abbas I" (1586-1628) se montrait bienveillant pour les ebrétiens et les Européens : ils y fondèrent en 1601 le couvent d’Ispahan..1. Lanlcri, dans Nicolai Crusenii… pars tertia monastici auyustiniani… a magna ordinis unione usque ad an. 1620 rum additamentis…, t. i, Valladolid, 1890, p. 765 sq. Ils suivirent de peu les carmes à Bassorah, essaimant d’Ispahan, le 3 juillet 1623. H. Gollancz, Chroniele o / events… relating to seulement oj carmélites in Meiopotanna…, Londres, 1917, p. 1. C’est de là que le zélé missionnaire et intrépide voyageur, Rodrigue de Arganduru Moriz, ou Rodrigue de Saint-Michel, partit pour visiter en 1624-1625 les chrétientés nestoriennes de Mésopotamie, rapportant au souverain pontife, en 1626, une lettre en arabe des chrétiens de Bassorah qui proclamaient, sans précisions dogmatiques d’ailleurs, leur attachement à l'Église romaine. Traduction latine dans T. Lopez Bardon, Monastici augustiniani R. P. Fr. Nicolai Crusenii conlinualio… sive Bibliotheca manualis augustiniana…, t. ii, Valladolid, 1903, p. 529, cf. p. 329 sq. sur le voyage du P. Rodrigue. Mais Bassorah fut abandonnée en même temps que Mascate quelques années plus tard, et l’activité des augustins de Perse semble s'être limitée à l’apostolat auprès des Arméniens, qui les avaient attirés à Ispahan. Voir la liste des couvents de la province de Perse dans N. Crussen, Monasticon auguslinianum, Munich, 1623, fol. Z 4 v ».

2. Les carmes en Mésopotamie et en Perse. - - Clément VIII envoya trois carmes déchaussés en Perse par la voie de terre, Allemagne, Russie et Caucase, en l’année 1604 ; la première mission des carmes en ces régions fut celle d’Ispahan, ouverte en 1609. Quatre ans auparavant, ils étaient arrivés aux Indes et leurs fondations se multiplièrent rapidement au Malabar. Ils se développèrent ensuite sur les bords du golfe Persique, comme pour assurer plus facilement la liaison entre ces points extrêmes, Ispahan et le sud de l’Inde. Ils arrivèrent à Bassorah le 30 avril 1623. H. Gollancz, op. cit., p. 1. D’un autre côté, ils s’installèrent en 1627 dans la forte place de commerce qu'était Alep. Entre Bassorah et Alep, ils eurent Bagdad à partir de 1731, puis pour un temps Mardin (1747-1800 et 1820-1822). Plusieurs carmes occupèrent le siège de Babylone avec le titre tantôt d'évêque, tantôt de vicaire apostolique : trois entre 1632 et 1642, dont le de.uier seul résida, trois de 1721 à 1773, cinq de 1794 à 18^0, enfin Jean Drure de 1902 à 1917. Emmanuel de Saint Albert Balliet (1728-1773) et Jean Drure sont ceux qui eurent le plus de contact avec les dirigeants de la « nation » chaldéenne, et ont fait le plus pour le rapprochement des nestoriens ou la persévérance des convertis.

Les carmes déchaussés de la province de France ont une maison à Bagdad, avec un collège florissant et une maison à Bassorah. Dans ces deux villes il y a de nombreux chaldéens, mélangés à des chrétiens des autres rits ; les maisons des carmes n’y ont donc pas le caractère spécifique de missions auprès des nestoriens.

La chronique de la maison de Bassorah pour les années 1623 à 1733 publiée par H. Gollancz, op. cit., ne contient aucune donnée sur l'Église nestorienne. Voir la liste des évêques de Babylone par L. Lemmens, Hierarchia laiina Orientis (1622-1922) mediante S. Congregatione de Progaganda Fide instituta pars II, dans Orienlalia christiana, t. ii, 1924, p. 274-292, extrait, p. 10-28. Bibliographie sur les missions carmes à l’article Carmes (Ordre des), t. iii, col. 1791 sq.

3. Missions des capucins.

C’est aussi en territoire persan que s’installèrent d’abord les capucins de la province de Touraine, lorsqu’ils entrèrent en Mésopotamie, car Bagdad, où ils ouvrirent une maison

le 15 août 1628, presque en même temps qu'à Ispahan, appartenait alors au chah. Clémente da Terzorio, Le missioni dei minori cappuccini, t. vi, Rome, 1920, p. 12, 23. Mais les Turcs reprirent Bagdad en 1638, et les chrétiens subirent toutes sortes d’avanies ; pendant quelque temps, l'église des capucins fut la seule église où la célébration des offices fût tolérée, de sorte que les dissidents s’y rendaient en grand nombre, lbid., p. 55. Un des Pères avait le titre de consul de France, ce qui lui donnait quelques facilités pour résister aux caprices des pachas. En 1639, le patriarche nestorien, Élie IX à ce qu’il semble, plutôt que Simon XI, autorisa les capucins à prêcher dans les églises de la « nation » nestorienne. Ibid., p. 89.

La mission de Mossoul, plus spéciakment destinée aux nestoriens, fut créée en 1632 : elle eut bientôt un important noyau de familles catholiques, et c’est sous l’influence des capucins de Mossoul qu'Élie IX envoya au souverain pontife sa lettre de 1657, qui fut portée à Rome par deux capucins. J. Al. Assémani, De catholicis… neslorianorum, Rome, 1775, p. 239. Mais ce succès même mit en danger la mission des capucins ; sous le pontificat suivant, en 1665 et 1667, les Pères furent persécutés et emprisonnés.

A Tauris où ils étaient depuis 1653, les capucins s’occupaient des nestoriens, Clémente da Terzorio, op. cit., p. 117 ; c’est de là qu’ils persuadèrent au catholicos Simon XIII d'écrire au pape la lettre qu’il lui adressa en 1664.

L’hospice de Diarbékir fut fondé en 1667 par le P. Jean-Baptiste de Saint-Aignan, qui était un missionnaire intrépide et connaissant bien les langues, ibid., p. 106 ; c’est grâce à son action et à celle de ses confrères que Diarbékir devint le centre du mouvement vers Rome parmi les nestoriens. La résidence de Mardin commença en 1685. Une période de difficultés s’ouvrit avec le xviiie siècle, correspondant peut-être à une diminution du prestige de la France à Constant inople : l’hospice de Bagdad fut abandonné en 1701, après un assaut des Turcs, ibid., p. 181 ; celui de Mossoul en 1722, après qu’il eut été mis au pillage par les nestoriens, qui y tuèrent le P. Pierre d’Issoudun, p. 184 ; celui de Diarbékir en 1726, p. 193. Revenus dans cette dernière place seulement, quelques années plus tard, p. 194, les capucins en sortent de nouveau en 1747, sur l’ordre d’un pseudononce apostolique, pour y rentrer en 1749, p. 207.

A cette époque, les maisons de Mésopotamie et de Perse passèrent de la province de Touraine (cession faite en chapitre provincial du 13 juillet 1753) à la province de Lille (acceptation du 6 septembre 1754). Op. cit., t. v, Rome, 1919, p. 157 sq. Interrompue un moment par la mort de tous les missionnaires pendant une épidémie de peste en 1759, la mission de Diarbékir dura jusqu’au 18 avril 1803.

La disparition des congrégations en France, pendant la période révolutionnaire eut pour effet de faire passer la mission de Mésopotamie entre les mains des capucins italiens : l’hospice de Diarbékir fut rouvert en 1808, abandonné en 1810, op. cit., t. vi, p. 212, de nouveau ouvert en 1828 pendant quelques, mois, t. v, p. 171-178. En 1841, par suite de la pénurie de sujets en Italie, la mission fut confiée aux Espagnols, p. 233. La mission d’Orfa fut fondée le 8 septembre de cette même année, dans une ville qui n'était pas à proprement parler en pays nestorien, mais où la colonie nestorienne était importante, et il s’y développa une communauté chaldéenne catholique, qui dura jusqu’après la Grande-Guerre, t. vi, p. 232. La mission de Mardin fut rouverte le 18 décembre 1841, p. 248, et une préfecture apostolique de Mésopotamie fut créée par décret de la S. Congrégation de

Propaganda Fide, en date du 30 août 1842, p. 260. Enfin la maison de* Diarbékir fut rouverte le 17 septembre 1843, p. 170. Les derniers développements de cette préfecture apostolique, à Malatiah, Kharpout et Ma’muret al-Aziz, ne concernent pas les Chaldéens, mais les Arméniens.

En 1851, il était devenu nécessaire d’envoyer aux Espagnols de Mésopotamie un renfort de Pères italiens ; en 1893, il fallut encore une fois changer de main : la mission fit retour aux religieux français et fut confiée à la province de Lyon, qui la tient encore. Mais les chrétientés ont beaucoup souffert, soit pendant la guerre, soit comme celle d’Orfa, dans la période troublée qui suivit.

4. Les dominicains à Mossoul et au Kurdistan. — La mission des dominicains auprès des Arméniens fut détruite au cours des troubles qui affligèrent la Perse dans le deuxième quart du xvin siècle ; mais un nouveau rameau se développa presque aussitôt sur le vieux tronc de cet ordre, qui avait tant fait pour les nestoriens aux xme et xive siècles. Le 19 juillet 1748, Benoît XIV demandait aux dominicains de ranimer les vocations pour les missions d’Orient et, le 17 janvier 1750, deux pères italiens partaient pour Mossoul en compagnie du carme déchaussé Léandre de Sainte-Cécile, qui devait être leur introduteur dans ce pays dont ils ignoraient la langue et les usages. S’aidant, comme les capucins, par l’exer cice de la médecine, ils réussirent à prendre pied, et, en 1770, le P. Lanza estimait à un millier les catholiques groupés autour d’eux dans la seule ville de Mossoul, venus pour la plupart du nestorianisme, quelques-uns cependant du monophysisme. B. M. Goormachtigh, Histoire de la mission dominicaine en Mésopotamie et en Kurdistan…, dans Analecta sacri ordinis fratrum prædicatorum…, t. ii, 1895-1896, p. 280-283.

L’invitation du prince kurde Bahram pacha, qui les avait pris en affection, amena les dominicains à fonder, en 1759, la maison d’Amadiah dans un ancien couvent nestorien que le prince leur abandonna, encourageant ses sujets à embrasser la foi des missionnaires. Ibid., p. 407 sq. Le catholicisme se développait en même temps dans toute la contrée. Il y avait en 1770 plus de 2.000 catholiques dans les villages de la région de Mossoul et du Kurdistan, p. 411, et pourtant il n’y eut jamais alors pour les deux maisons de Mossoul et d’Amadiah plus de quatre Pères, p. 413. Ce sont les efforts de ces dominicains qui amenèrent Élie XII à envoyer au pape une profession de foi catholique, et surtout qui provoquèrent la conversion de Jean Hormez, p. 416. Mais la mission du Kurdistan dut être abandonnée de 1770 à 1800, par manque de personnel : en 1786, il ne restait qu’un Père, et il en fut ainsi de 1790 à 1800 ; de 1800 à 1803, deux Pères desservirent à la fois Amadiah et Mossoul. Enfin, la mission fut complètement abandonnée en 1815, après que le dernier suivivant, Raffæle Campanile, fût resté seul pendant plusieurs années, étendant ses prédications jusqu'à Zakho et Djézireh. La retraite des missionnaires n’eut pas pour seule cause la pénurie de sujets ; elle fut aussi la conséquence de l’opposition d’Augustin Hindi aux dominicains, qui soutenaient leur converti, Jean Hormez. C’est ensuite l’absence des religieux latins, si nécessaires in auxilium orientalium, qui permit la prolongation des conflits qui durèrent ensuite, malgré leur retour, juqu'à la mort du patriarche Audo.

Le 16 mai 1840, la Propagande demandait au général des dominicains de reprendre la mission de Mésopotamie, en suggérant d’y employer des Pères espa gnols réfugiés en Italie à la suite de l’exclaustration de 1835. Au début de mars 1841, trois Pères et un

frère se mirent en route pour Mossoul, mais ce dernier mourut en débarquant à Beyrouth. Les trois Pères arrivèrent à Mossoul le 7 août ; l’un d’eux mourait quelques jours après, et un deuxième reprenait dès le mois de novembre le chemin de l’Europe, pour raison de santé. Op. cit., t. iii, 1897-1898, p. 141-143. Il ne resta donc qu’un seul Père jusqu’au 4 mai 1843, aidé cependant de l’ancien secrétaire de Mgr Villardell, Joseph Valerga, le futur patriarche de Jérusalem. Le zèle suppléait au nombre et les deux missionnaires se rendirent à Kotchannès pour essayer de convertir le catholicos nestorien, p. 143. En 1843, la mission du Kurdistan fut reprise sous forme de prédication itinérante : un peu plus tard (1847) fut fondée la maison de Mar Ya’koub, précieux pied-à-terre dans la montagne nestorienne et séjour d'été, où pouvaient se -rétablir les santés si éprouvées par l’horrible climat de Mossoul. En 1855, bien que la mission ne comptât toujours que quatre Pères, le P. Marchi étudiait la possibilité de développer la zone de prédication vers le Nord, en vue de reprendre l’ancienne mission d’Arménie, et il insista pour obtenir de nouveaux sujets. Devant le refus des provinces italiennes, le P. Jandel demanda des missionnaires à la jeune province de France.

Le premier missionnaire français arriva à Mossoul le 12 janvier 1856, en vrai disciple de Lacordaire, vêtu de l’habit religieux, tandis que les missionnaires avaient toujours porté en ces régions si éloignées de l’Europe, un costume à la turque. La province de France, au chapitre de 1856, accepta de reprendre complètement à son compte la mission de Mésopotamie, et déjà le général avait envoyé comme visiteur le P. Besson, qui arriva à Mossoul le 30 novembre. Mais les Italiens se retirèrent aussitôt et le P. Besson resta seul, ignorant tout de la langue et des usages, s’aidant d’un jeune interprète, qui était le futur patriarche Élie XIV Abolyonan. Le P. Besson ne se contenta pas d’organiser la mission, donnant aux écoles un soin particulier, il alla faire visite au catholicos Simon XVII dans l’automne 1857, voulant l’attirer à l’union. Un peu auparavant était arrivé à Mossoul le dominicain Henri Amanton, administrateur du diocèse de Bagdad et d’Ispahan, en remplacement de l'évêque retiré, Mgr Trioehe, tandis que Mgr Planchet, S. J., résidant à Mossoul, retenait le titre de délégué apostolique en Mésopotamie. Le travail des Pères, en liaison avec Mgr Amanton, fut rendu très pénible par la malheureuse affaire du Malabar, et l’attitude prise envers Rome par les évêques chaldéens à la suite du patriarche Audo, qui alla dans son irritation jusqu'à prendre des mesures canoniques contre les Pères, pour se venger des sanctions dont au nom du pape l’avait frappé Mgr Amanton. Or, si l’on va au fond de ces luttes qui mirent en péril toute l'Église chaldéenne et arrêtèrent pour un temps son développement, on constate qu’il y avait surtout l’opposition de deux familles, celle des Audo et celle des Abouna, pour la possession de quelques lopins de terre dans la plaine d’Alkoche. Les dominicains qui avaient converti Jean Hormez, avaient pour procureur un membre de la famille Abouna, inde iras. Les intrigues des Audo, qui pour un temps firent cause commune avec les moines de Rabban Hormizd, eurent pour conséquence le rappel de Mgr Amanton par la S. Congrégation de Propaganda Fide, comme plus tard d’autres intrigues amenèrent la démission de Mgr H. V. Altmayer, autre dominicain, qui occupa avec éclat le siège de Babylone des Latins, de 1885 à 1902.

Les dominicains eurent dans la suite une vie moins agitée, toujours très pénible par l’effet du climat et les difficultés de la circulation en pays kurde : avant

la guerre, en plus de deux maisons destinées surtout à la mission auprès des Arméniens, à Bit lis et Van, ils avaient des résidences à Séert, Mar Ya’koub, Acbita et Mossoul. La maison d’Amadiah et une autre, ouverte pour un temps à Djézirch, avaient été fermées ou restaient un simple pied-à-terre pour le passage des missionnaires. L’influence des dominicains sur l'Église chaldéenne de Turquie a été considérable, s’exerçant surtout par les écoles, tenues par des maîtres formés à l'école normale de Mar Ya’koub, ou par des sœurs d’un tiers ordre indigène, régulièrement constitué depuis peu en congrégation. Du séminaire de Mossoul fondé en 1882 sont sortis nombre d’excellents prêtres et plusieurs évêques. Les populations de ces régions ont été terriblement éprouvées par la guerre : les maisons de Mossoul et Mar Ya’koub seules ont été relevées.

Voici la liste des supérieurs français de la mission dominicaine de Mossoul : RR. PP. Besson (1859-1861), Lion (1861-1873), Duval (1873-1896), Delamette (2 mois en 1896), Galland (1896-1907), Berré (19071922), Galland (1922-1925), Hugueny (1925-1929), Boussel (1929-).

La relation écrite par le P. Goormachtigh, op. cit., n’a été publiée que jusqu'à l’annéel864. L’interruption de cette publication, qui reproduisait de larges fragments des documents originaux, est très regrettable : le mémoire du P. Goormachtigh devrait être consulté par quiconque voudra écrire d’une façon critique l’histoire de l'Église chaldéenne. De nombreuses informations se trouvent pour la période récente dans le Bulletin de l'Œuvre des Écoles d’Orient.

5. Les lazaristes en Perse.

L’année 1840, qui vit la résurrection de la mission dominicaine à Mossoul précédant de peu le réveil des œuvres capucines dans le nord de la Mésopotamie, vit aussi la création de la mission lazariste en Perse. Par un hasard providentiel, les prêtres de la Mission furent précédés en Perse par celui qui devait devenir un jour leur supérieur général, Eugène Bore. Celui-ci, né le 15 août 1809, arrivait à Tauris le 6 novembre 1838, chargé de mission par le Ministère de l’Instruction publique de France et l’Académie des Inscriptions et Belleslettres, après avoir été suppléant de Florival à la chaire d’arménien du Collège de France en 1834 et 1835. Ardemment catholique, et brûlant du désir de travailler pour l'Église, Bore ouvrit aussitôt une école à Tauris et obtint un firman, dans lequel la liberté des religions est déclarée et reconnu le droit des nestoriens à se faire catholiques. Bore arrive à Ispahan le 1° avril 1840 et fonde à Djoulfa d’Ispahan une école fréquentée surtout par les Arméniens. Mais il avait commencé dès son arrivée en Perse à s’occuper des Chaldéens, comme le montre son mémoire à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Correspondance et mémoires d’un voyageur en Orient, par Eugène Bore…, t. ii, Paris, 1840 : à la fin de 1841, quoique simple laïc, Bore est à Mossoul, cherchant à s’entendre avec les moines d’Alkoche pour développer l'œuvre des missions dans la région d’Ourmiah.

Or, à la fin de 1840, les prêtres de la Mission avaient ouvert une première maison à Khosrova, près de Salmas, au nord-ouest du lac d’Ourmiah, puis en 1841 une autre à Ourmiah. Les nestoriens, qui, avec les Arméniens, semblent avoir été les seuls occupants de la région d’Ourmiah jusque pendant le xviii » siècle, étaient en décroissance devant l’infiltration de la tribu des Afchars. D’autre part, la foi catholique s'était développée depuis 1730, apportée alors par un ouvrier teinturier, provenant du groupe catholique de Diarbékir. M. Darnis écrivait en juin 1842, Annales de la congrégation de la Mission, t. ix, p. 221239, qu’il y avait alors dans la région de Salmas, .après que de nombreux Arméniens s'étaient expatriés en Russie depuis 1828, 1.800 nestoriens, 6.000 Arméniens et 600 catholiques. Voilà quel était le champ d’action de la mission de Khosrova.

La Perse a été, pendant tout le xixe siècle et jusqu'à la Grande-Guerre, le champ clos des compétitions entre la Russie et la Grande-Bretagne en avant des Indes ; ces luttes politiques eurent leur contre-coup dans la vie ecclésiastique, les conversions de nestoriens à l’orthodoxie moscovite ou à l’anglicanisme étant l’enjeu de maintes passes d’armes. La mission lazariste dut à cette situation une grande partie des difficultés qu’elle rencontra, d’autres venant de la mission américaine, arrivée dès 1835 et disposant de ressources très supérieures. En 1870, cependant, grâce à l’action des lazaristes, les Chaldéens catholiques en Perse étaient estimés à 6.000 environ contre 19.000 nestoriens, et se trouvaient disséminés dans une soixantaine de villages.

Les lazaristes ont été chargés de la délégation en Perse, avec administration du diocèse d’Ispahan, de 1874 à 1910 ; Mgr J. E. Sontag fut archevêque d’Ispahan de 1910 à 1918. L. Lemmens, Hierarchia latina orientis ( 1622-1922)… dans Orientalia christiana, t. ii, p. 268, extrait, p. 4. En 1914, les lazaristes avaient six maisons en Perse, à Kl.osrova, Ourmiah, Téhéran (fondée en 1862), Tauris (1900), Djoulfa. Ispahan (1903). Les chrétientés du Kurdistan persan ont été très éprouvées pendant les luttes que les chrétiens soutinrent contre les Kurdes et les Turcs à la fin de la Grande-Guerre : l’archevêque d’Ispahan fut massacré avec un autre prêtre de la mission à Ourmiah et deux à Salmas.

La documentation sur les missions des lazaristes se trouve surtout dans les Annales de la congrégation de lu Mission et le Bulletin de l'Œuvre des Écoles d’Orient. — J. Babakhan, Protestantisme et catholicisme chez le peuple nestorien : une revue néo-syriaque à Ourmiah (Perse), dans Revue de l’Orient chrétien, t. iv, 1899, p. 428-413, contient des appréciations sur les méthodes suivies par tes missionnaires et quelques informations historiques.