Dictionnaire de théologie catholique/OLIER Jean-Jacques I. Vie

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.1 : NAASSÉNIENS - ORDALIESp. 491-494).

OLIER JeanJacques, ecclésiastique français, fondateur de la Compagnie de Saint-Sulpice (16081657). I. Vie. II. Œuvres. III. Doctrine.

I. Vie.

Il naquit le samedi 20 septembre 1608, à Paris, rue du roi de Sicile sur la paroisse Saint-Paul. Baptisé le même jour sous le nom de Jean, il fut vers sa dizième année, appelé JeanJacques dans la famille, en souvenir de son plus jeune frère, mort en bas âge ; usurpation de nom qu’il approuva lui-même en prenant à la confirmation le nom de Jacques. Sa famille était originaire de Chartres, mais, depuis le premier tiers du xvie siècle, plusieurs membres s’étaient fixés à Paris, en qualité de maîtres des requêtes et de conseillers au Parlement. Son père Jacques Qlier, seigneur de Verneuil, maître des requêtes, grand audiencier de France, s’était uni en 1599 à Marie Dolu, d’une famille noble du Berry.

L’enfant n’avait que 9 ans (1617) quand son père fut nommé intendant à Lyon. Ce fut au Collège de la Trinité, tenu par les jésuites, qu’il fit ses études classiques. En 1622, saint François de Sales, de passage à Lyon, le bénit et dissipa les craintes de la mère effrayée des saillies vives et impétueuses de son caractère qui lui semblaient s’allier difficilement avec l’état ecclésiastique, où on l’avait engagé par la tonsure et par des bénéfices : le prieuré de Saint-Georges de Bazainville, et le prieuré de la Trinité de Clisson. « Dieu prépare, lui dit-il, en ce bon enfant un grand serviteur à son Église. » De retour à Paris en 1624, il continua ses études au Collège d’Harcourt

où, durant les deux années réglementaires, il suivit les cours de philosophie sous deux célèbres professeurs, Pierre Padet et Jacques de Chevreuil. Il fut reçu maître ès-arts le 18 juillet 1627. Alors il s’inscrivit à la faculté de théologie, où, pendant trois années, il fut à l’école de maîtres éminents tels que André Duval, Pierre Leclerc, Nicolas Isambert, Jacques Hennequin, Jacques Lescot et Alphonse Lemoine. La « tentative » qu’il soutint dans les premiers jours de janvier 1630, terminait la série d’examens qui lui donnaient le titre de bachelier en théologie.

Ces trois années de sérieuses études théologiques lui préparèrent un solide fondement auquel il put rattacher plus tard les voies mystiques apprises dans les auteurs spirituels ou par ses propres expériences.

Durant ces études, s’il n’y eut pas dans sa vie d’écarts graves, il n’avait pas toutefois le souci de sa perfection. En février 1629, étant allé à la foire Saint-Germain avec deux de ses amis, étudiants ecclésiastiques, une sainte veuve inconnue de lui, Marie Rousseau, leur reprocha de se laisser entraîner aux divertissements et vanités du siècle. « Hélas 1 ajoutât-elle, que vous me donnez de peine ! il y a longtemps que je prie pour votre conversion. » Ce premier avertissement l’impressionna vivement, mais ne fut pas de nature à le jeter corps perdu dans la voie de la perfection. D’autres interventions semblables devaient bientôt suivre pour le livrer tout entier à la grâce.

Les règlements de la faculté imposant après le baccalauréat une relâche de deux ans avant d’être admis à suivre les cours de licence, il utilisa cette trêve scolaire pour un voyage et un séjour à Rome, avec la pensée d’y étudier la langue hébraïque. A peine arrivé, une maladie des yeux empêcha toute étude. Les remèdes humains s’étant montrés sans effet, il résolut de se rendre à Lorette pour demander sa guérison. Là, dans le sanctuaire de Notre-Dame, il reçut le coup décisif de la grâce qui le jeta désormais tout entier dans le chemin de la sainteté.

La mort de son père, qu’il apprit à son retour à Rome, le ramena à Paris. Les années 1631-1632 se passent dans les pratiques les plus audacieuses, souvent héroïques, du zèle et de la charité surtout envers les pauvres. Il reçoit le sacerdoce le 21 mai 1633. Saint Vincent de Paul, qui était alors son directeur, seconde les désirs d’apostolat qui le dévorent. Sa première mission fut, en Auvergne, la contrée aux environs de son abbaye de Pébrac. Il s’y prépare à Saint-Lazare par une fervente retraite, durant laquelle il fut favorisé de deux apparitions de la Mère Agnès, prieure des dominicaines de Langeac, qui avait reçu de la sainte Vierge la charge de prier pour l’abbé de Pébrac. A peine eut-il commencé sa mission à Pébrac (1634), que la réputation de sainteté de la prieure de Langeac lui fit désirer de la voir et de s’entretenir avec elle.

Dans la première entrevue il reconnut en elle la sainte visiteuse de sa retraite à Saint-Lazare et leurs deux âmes furent étroitement unies en Dieu, Les années 1636-1637 furent marquées par une seconde mission en Auvergne. En 1638-1639 le champ d’action fut la Bretagne, les environs de son prieuré de Clisson : tout près, se trouvait un monastère de l’ordre de Fontevrault, appelé la Régrippière, dont le relâchement était un scandale pour la contrée. Il le ramena à l’observance régulière et à la ferveur. Ces cinq années passées dans les missions lui avaient été ménagées par la Providence pour qu’il se rendît compte, avant la fondation des séminaires, du besoin que les peuples avaient de bons prêtres.

Mais pour devenir l’instrument de l’œuvre à laquelle

l>ieu le destinait, il fallait qu’il passât par l’épreuve. Il l’avait demandée pour épurer son amour. Elle fut très rude et dura deux années (décembre 16391641). Four purifier son âme de tout amour-propre, Lrieu lui lil expérimenter le besoin que nous avons de son concours dans l’ordre naturel comme dans l’ordre surnaturel. Il sentit Dieu lui retirant son concours dans les actions ordinaires de la vie, en en paralysant jusqu’à un certain point les effets sensibles. Il lui semblait ressentir les peines intérieures de la réprobation et du dédain de Dieu, avec « un continuel ressentiment de la superbe ». Il a décrit lui-même dans ses Mémoires les phases de cette douloureuse épreuve qui eut son contre-coup sur sa santé. Son tempérament n’avait rien cependant d’un névrosé, d’un neurasthénique. L’épreuve qui avait commencé sans que rien la fît pressentir, si ce n’est la demande faite à Dieu, prit fin à Chartres au début de 1641 et aussitôt tout rentra dans l’équilibre et jamais plus dans la suite il ne ressentit rien de semblable. Mais son âme était purifiée de toute recherche d’amour-propre et se livra tout entière à l’amour divin.

C’est alors, en 1641, qu’eut lieu un essai infructueux de séminaire à Chartres, après une retraite à Notre-Dame-des-Vertus où Notre-Seigneur lui promit sa protection pour une compagnie d’ecclésiastiques destinée à former des prêtres. M. Olier avec deux autres disciples du F. de Condren, MM. de Foix et du Ferrier, se fixèrent, le 29 décembre 1641, à Vaugirard dans l’intention d’y établir un séminaire, comptant que la Providence leur enverrait des disciples : ce qui ne tarda pas. Dès le mois de janvier eurent lieu les premières entrées. Mais, dans le cours de l’année 1642, le curé de Saint-Sulpice, Julien de Fresque, désespérant de convertir sa paroisse, vint leur offrir sa cure, demandant en échange un prieuré proche de son pays natal, le prieuré de la Trinité de Clisson que possédait M. Olier. Après des refus et des hésitations, sur l’avis de dom Tarrisse, supérieur des bénédictins de Saint-Maur, au monastère de Saint-Germain-des-Prés, duquel dépendait la paroisse Saint-Sulpice, l’offre fut acceptée et signée. M. Olier comprit alors le sens d’un songe mystérieux qu’il avait eu deux fois à une époque de sa jeunesse où il avait pensé se faire chartreux. Il vit saint Grégoire le Grand sur un trône, au-dessous de lui saint Ambroise, plus bas une place de curé vacante et plus bas encore quantité de chartreux. Dieu lui avait marqué par là sa place dans la hiérarchie et sa vocation.

La paroisse Saint-Sulpice était alors la plus vaste des paroisses de Paris. Elle comprenait tout le faubourg Saint-Germain d’alors, c’est-à-dire depuis les limites actuelles de la paroisse Saint-Sulpice, à l’Est, toute la rive gauche de la Seine jusqu’au Gros-Caillou Inclusivement, et à l’Ouest le terrain plus ou moins bâti allant jusqu’aux territoires des villages de Vaùgirard et de Vanves. Elle comptait plus de 150 000 habitants. Cette immense paroisse était la plus dépravée de Paris ; l’hérésie, l’impiété, le libertinage y régnaient sans opposition. En face d’une tâche qui avait découragé son prédécesseur, M. Olier se prépara par une retraite où il fit le vœu de servitude à Dieu et aux âmes, et Dieu lui fit connaître que cette paroisse la plus déréglée de Paris serait tellement renouvelée par sa miséricorde que les paroisses de la capitale se réformeraient sur elle et qu’elle pourrait servir de modèle à d’autres encore : prédiction qui pouvait alors passer pour invraisemblable et extravagante et qui s’est vérifiée d’une façon incontestable.

Le mal venant d’abord de l’ignorance religieuse, le nouveau curé se proposa de faire connaître Jésus-Christ et ses mystères. Il commença par réunir en

communauté les ecclésiastiques qui devaient le seconder, en leur donnant des règles d’une vie vraiment évangélique. Ne pouvant atteindre par lui-même toute cette immense paroisse, il la divisa en huit quartiers, préposant à chacun d’eux un prêtre chargé de veiller spécialement sur les âmes de cette circonscription, après en avoir dressé un état nominatif. Pour remédier au mal de l’ignorance, il commença par les enfants, établissant pour eux des catéchismes à l’église de Saint-Sulpice et douze autres en différents endroits de sa vaste paroisse. Avec ses collaborateurs il composa un catéchisme que des juges compétents regardent comme un des plus pratiques. Il eut des réunions pour instruire les gens de service, pages, laquais, très nombreux dans le faubourg, habité par des seigneurs de la cour ou du palais d’Orléans. Il atteignit les gens de métier enrôlés dans les confréries, très multipliées dans le faubourg, mais dégénérées de leur esprit primitif. A l’occasion de leur fête patronale il les instruisit, les réforma et les prépara à approcher des sacrements. Il ne négligea pas le salut des gentilshommes, les amenant d’abord à refuser les duels, auxquels les engageait alors si fréquemment la tyrannie du faux honneur et en conduisant même un bon nombre à la perfection, comme le maréchal Fabert, M. de Renty et d’autres.

Les dames de condition, les princesses eurent leurs réunions, où il les forma à la solide piété. On peut juger du degré de perfection où il les élevait par les lettres adressées à la princesse de Condé. En un mot toutes les classes de la société furent atteintes par son zèle. S’il eut une prédilection, ce fut pour les pauvres, surtout pour les pauvres honteux, pour lesquels sa charité n’eut pas de bornes, charité bien ordonnée comme on peut le voir par les règlements dressés pour leur venir en aide.

Son zèle ne négligea point les hérétiques. Les groupements de huguenots dans le faubourg lui avaient fait donner le nom de « petite Genève ». Jl chercha à les atteindre par des conférences publiques et particulières qu’il confia aux plus habiles controversistes comme le célèbre Père Véron. Dieu suscita des hommes simples, mais remplis de science divine, le coutelier Jean Clément et le mercier Baumais, qui ramenèrent à la foi un nombre incroyable d’hérétiques. Lorsque le jansénisme tenta de s’établir dans la paroisse, le vigilant curé s’opposa nettement et avec succès à cette hérésie naissante, et malgré les efforts en sens inverse établit et maintint la communion fréquente.

Avec l’instruction, le grand moyen de conversion c’est la prière. Aussi que de prières de jour et de nuit fit-il lui-même et demanda-t-il aux communautés de sa paroisse ! Il mit tout son zèle à restaurer le culte public. Le centre du culte est l’eucharistie : il instruisit soigneusement les fidèles sur la dévotion au Saint-Sacrement ; les pressant de venir fréquemment à la messe et, le dimanche, à la messe de paroisse à laquelle il donna toute la solennité possible ; les invitant aussi à venir aux quarante heures, v l’adoration perpétuelle. Il ranima la ferveur des membres de la confrérie du Saint-Sacrement très anciennement établie dans la paroisse. L’office canonial se chantait tous les jours ; des prêtres, les plus âgés, en étaient spécialement chargés, les autres membres de la communauté étant souvent absorbés par les œuvres du ministère. A côté des œuvres de piété, il développa les œuvres de charité pour toutes les nécessités ; pressant les fidèles d’y donner de leur personne aussi bien que de leurs biens, étant convaincu qu’elles sont aussi utiles à ceux qui les exercent qu’à ceux qui en sont l’objet.

Le tableau de cette activité pastorale a servi de modèle à beaucoup de curés, même de nos jours.

En face de ce zèle les oppositions ne manquèrent pas. Trois ans après son entrée dans la paroisse, en 1644, une persécution violente fut soulevée par des gens que gênaient ces réformes, sous prétexte de soutenir les droits de l’ancien curé. Le presbytère fut envahi, pillé, lui-même traîné par les rues, frappé de coups ; il ne dut son salut qu’au dévouement d’amis qui réussirent à le faire entrer au palais d’Orléans. L’ordre fut rétabli par l’autorité de la reine, et la persécution ne servit qu'à affermir le bien déjà commencé. En 164H-1652, les deux Frondes donnèrent un singulier exercice à son zèle : la paroisse était alors déjà si bien formée, que, dans l’ensemble, le faubourg resta fidèle au roi ; mais les misères profondes, dont ces luttes furent cause, lui donnèrent occasion de multiplier d’une façon incroyable son zèle et sa charité.

Grâce à ces œuvres diverses d’instruction, de piété, de charité, et à la sainteté du curé et de ses collaborateurs, au bout de dix années seulement la prédiction, qui lui avait été faite au début, se réalisa : la paroisse devint la plus fervente de la capitale et le bien produit alors a persévéré à travers le temps et les révolutions et dure encore.

Il avait été également prédit à M. Olier qu’il ne serait curé que pendant dix ans. En 1652, rien ne faisait prévoir qu’il dut bientôt être obligé d’interrompre son ministère, lorsque tout à coup, à la date indiquée, il fut atteint d’une fièvre si violente, qu’il ne restait plus d’espoir au médecin ; le 20 juin, il crut devoir donner sa démission et M. de Bretonvilliers, son disciple préféré, fut installé curé de Saint-Sulpice. L’année suivante il fut frappé de paralysie : sa vie se prolongea dans la souffrance, quatre années encore, durant lesquelles il perfectionna l'œuvre du séminaire.

Séminaire. — La mission principale de M. Olier était l'établissement du séminaire. Mais son acceptation à2 la cure de Saint-Sulpice avait été utile a la fondation de ce séminaire et la fondation achevée, la paroisse fut près de celui-ci comme une école d’application des principes qu’on y recevait. « Maintenant que Dieu va nous établir sur la paroisse de Saint-Sulpice, il nous montre qu’il veut former en cî lieu un séminaire ouvert à toutes les provinces. Voilà pourquoi Dieu veut l'établir dans u î lieu qui n’est ni borné, ni rétréci par aucune juridiction particulière, car cette paroisse n’est d’aucun diocè ; e : elle relève immédiatement du pape. Ce séminaire étant destiné pour le service de l'Église universelle, il était convenable qu’il fût fixé dans un lieu qui n’eut d’autres bornes ou d’autre dépendance que celle du Saint-Siège, à l’honneur duquel il se consacre entièrement. » Établi d’abord rue Guisarde dsrrière le presbytère, il fut transféré, en 1645, rue du Vieux-Colombier, dans une construction nouvelle élevéî par Le Mercier, l’architecte du Louvre.

M Olier donna à ce séminaire un règlement, non celui d’un collège, ni celui d’un noviciat, mais qui devait être accommodé à son double caractère de maison d'étude et de formation spirituelle. Il en traça un qu’il dit avoir pris dans les conciles, les Pères et le ; institutions de saint Charles : ce fut d’abord une ébauche : car il laissa au temps et à l’expérience la charge de préciser et de donner la forme que nous ont conservée les anciens règlements du xvir 3 siècle. Ce qu’il y a de particulier, c’est que la méthode pour obtenir l’accomplissement de la règle diffère du régime de surveillance continue et assez méfiante des séminaires de saint Charles. On compte davantage sur la conscience, sur des procédés de cordialité et

de confiance, sur une discipline paternelle qui assure une obéissance plus spontanée. Be plus, la communauté de vie entre maîtres et élèves est plus complète que dans les autres séminaires fondés en même temps à Paris. Dans ceux-ci, les directeurs, tout en demeurant dans la même maison, ont une certaine vie à part, vie de congrégation. Séparément de la communauté ils font une partie de leurs exercices, l’un d’eux durant ce temps, étant chargé de la surveillance. A Saint-Sulpice, maîtres et élèves suivent la même règle, participent aux mêmes exercices comme l’oraison, l’examen particulier, les offices de la chapelle, les récréations, etc. Tout se fait au nom de la règle à laquelle tous sont assujettis. Cette vie commune, ce contact assidu, cet exemple journalier ont une vertu particulière pour faire accepter la règle, et la faire pratiquer par conscience. Le règlement qui dirige maîtres et élèves n’est que l’armature extérieure. Le principe de vie, dans la pensée de M. Olier est l’esprit même de Jésus-Christ. La maxime fondamentale du séminaire est marquée en tête de l’opuscule Pietas seminarii rédigé par le fondateur : Primarius et ultimus finis hujus seminarii est vivere summe Deo in Christo Jesu.

Le séminaire n’est pas seulement un lieu de formation aux vertus et à la vie ecclésiastique, il est aussi une maison d'études. Dans un écrit sur la fin du séminaire Saint-Sulpice, M. Olier s’exprime ainsi au sujet des études : « On aura soin que rien ne manque de ce qui peut servir à l’instruction des élèves. On s’efforcera donc d’instruire chacun selon sa portée, dans la philosophie, la théologie scolastique, morale et positive, et aussi dans les controverses, afin qu’ils soient toujours prêts à rendre raison de leur foi. »

Ceux qui désiraient obtenir les grades théologiques allaient chaque jour en Sorbonne. Après y avoir écouté les leçons des professeurs, de retour au séminaire, ils avaient des répétitions ou conférences sur les mêmes matières. Pour ceux qui n’allaient pas en Sorbonne, il était plus difficile, surtout durant les quarante ou cinquante premières années, d'établir des cours adaptés à un auditoire aussi varié que celui de ce temps-là. A côté de jeunes gens qui venaient de terminer leurs études littéraires et philosophiques, on voyait un bon nombre de pensionnaires plus âgés, déjà prêtres, chanoines, curés, qui venaient chercher dans la maison autre chose que la science théologique, étant déjà licenciés ou docteurs. Cette composition du séminaire au début explique la part plus considérable donnée dans les règlements primitifs aux exercices de piété, oraison, récitation en commun de l’office, et aussi la nature des études qui occupaient le reste du temps : cas de conscience, cérémonies ecclésiastiques, administration des sacrements. Au profit des plus jeunes qui n’allaient pas en Sorbonne, se donnaient des conférences sur la théologie dogmatique, mais l’enseignement était avant tout pratique, visant à donner à chacun ce qui permettait d’exercer le saint ministère. Pour les uns et les autres on ajoutait des conférences sur l'Écriture sainte et l’histoire ecclésiastique.

Après un stage plus ou moins long, les élèves du séminaire passaient souvent deux ou trois ans à la communauté de la paroisse Saint-Sulpice, qui demeura ainsi jusque vers la fin du xviie siècle une école d’application. (Fénelon y passa trois années). C’est ce qui explique le nombre des ecclésiastiques vivant à la communauté de la paroisse, qui s'éleva jusqu'à 90 à l'époque de M. Tronson.

Plusieurs évêques demandèrent au fondateur de Saint-Sulpice des prêtres de sa compagnie pour diriger leurs séminaires. Il ne put accepter, et c'était son inclination, que la direction d’un petit nombre. Il

ne fonda que les séminaires de Nantes, Viviers, Le Puv, Clermont. Sous ses successeurs, animés du même esprit de prudence et de modestie, d’autres séminaires vinrent peu à peu se placer sous la direction de Salnt-Sulpice. A l'époque de la Révolution, la Compagnie de Saint-Sulpice ne dirigeait qu’une vingtaine d'établissements. Son influence ne s’explique donc pas par le nombre des séminaires dirigés. SaintLazare en comptait davantage sous sa dépendance et Saint-Nicolas-du-Chardonnet à peu près autant. Cependant Saint-Sulpice eut incontestablement alors une action supérieure sur l’ensemble des séminaires et sur le clergé de France. Cette influence est due surtout au séminaire de Paris, qui recevait des sujets de toutes les provinces et qui, écriait M. Olier, « une fois formés et instruits du respect et de l’amour qu’ils doivent à Jésus-Christ dans la personne des prélats, s’en vont après pour les servir dans l'établissement et les emplois des séminaires. » En parcourant les monographies des divers séminaires de France, imprimées ou manuscrites, on y constate fréquemment l’action d’anciens élèves de Saint-Sulpice, ou l’influence de ses règlements et de son esprit. D’autre part l'épiscopat sorti de Saint-Sulpice comptait une cinquantaine de sujets pour la fin du xyir 3 siècle et plus de 200 dans le cours du xvin. C’est ainsi, beaucoup plus que par la date de l'établissement, que se réalisa la parole de la Mère Agnès de Langeac à M. Olier dans sa retraite de Saint-Lazare. « Dieu vous a choisi pour jeter les fondements des séminaires de France. »

Le Canada, Montréal. — La réforme de la paroisse, la fondation du séminaire ne suffirent pas au zèle de l'âme apostolique de M. Olier. Il conçut le projet de bâtir, dans l'île de Montréal, encore inoccupée, une ville nouvelle, consacrée à la sainte Vierge, d’y établir des familles choisies qui, par l’intégrité de leur foi et la pureté de leurs mœurs, donneraient naissance à un peuple nouveau, celui de la Nouvelle France. La ville qui devait s’appeler Villemarie (et qui est devenue Montréal) devait servir de barrière aux incursions des sauvages, être un centre de commerce avec leurs tribus et le siège des missions appelées à rayonner dans tout cet immense pays.

On ne saurait écarter le côté mystique de cette entreprise sans fausser l’histoire. C’est à cent lieues de distance, sans se connaître, que M. Olier et M. Le Royer de la Dauversière, pieux gentilhomme de la Flèche, concourent à ce projet qu’ils regardent l’un et l’autre comme leur venant du ciel. Chacun d’eux y fut préparé par des manifestations d’en-haut. Le 2 février 1636, en entendant chanter le Lumen ad revelationem gentium de la cérémonie de la Chandeleur, M. Olier avait reçu de Notre-Seigneur l’assurance qu’un jour, il aurait lui aussi le bonheur de faire luire le flambeau de la foi aux yeux des Gentils.

Bientôt après, Dieu lui montra sa vocation sous l’image d’un pilier sur lequel venaient se joindre deux églises, dont l’une était ancienne et l’autre nouvelle. C'était le symbole des deux grandes œuvres qui devaient remplir sa vie : une action de renouvellement dans l'Église de France par la réforme de la paroisse Saint-Sulpice et la fondation du séminaire, et, d’autre part, l'établissement d’une nouvelle Église au Canada. En même temps, Jérôme de la Dauversière se sentait vivement pressé d’instituer une congrégrégation de religieuses hospitalières pour l'île de Montréal, où il n’y avait encore que quelques cabanes de sauvages. Venu à Paris, M. de la Dauversière rencontra M. Olier dans la galerie de l’ancien château de Meudon. Alors ces deux serviteurs de Dieu qui ne s'étaient jamais vus, et ne se connaissaient nullement, furent poussés l’un vers l’autre par une

inspiration intérieure qui leur révélait leur nom et leurs pensées sur Montréal. Le résultat de cette entrevue fut un projet d’association qui, sous le nom de Compagnie de Notre-Dame de Montréal, se proposerait pour unique fin la gloire de Dieu par l'établissement de la religion dans cette partie de la NouvelleFrance. La conception de ce projet et sa réalisation pleine de péripéties émouvantes forment une véritable épopée que M. G. Goyau, dans le récit, a très justement appelée une épopée mystique.

Le 17 mai 1642, les premiers colons, recrutés en France au nombre de 55 et envoyés par la Société de Notre-Dame de Montréal, débarquèrent dans l'île et le lendemain le P. Vimont, jésuite, venu avec eux de Québec, célébrait le saint sacrifice sur cette terre promise, où le Saint-Sacrement n’a jamais cessé depuis de résider. L’année de sa mort, M. Olier envoya les premiers missionnaires sulpiciens, MM. Souart, Galinier, d’Alet avec M. de Queylus à leur tête. Depuis, l'œuvre devait, au prix de durs sacrifices et de moment pénibles, prospérer au delà de toute prévision et la parole adressée aux premiers colons par le P. Vimont, le jour de la prise de possession de l'île, devait avoir une pleine réalisation : « Ce que vous voyez n’est qu’un grain de sénevé. Je ne doute pas que ce petit grain ne produise un grand arbre et ne fasse un jour des merveilles. »

En racontant cette vie nous avons signalé plusieurs manifestations surnaturelles ; cependant il esta remarquer qu’une âme si mystique ne s’est jamais résolue à agir d’après ces interventions surnaturelles, mais toujours elle s’est déterminée par les règles de la prudence chrétienne et sur le conseil des hommes les plus sages et les plus vertueux. Olier y voyait cependant une indication, pleine de consolation et d’encouragement, qu’il était bien dans la voie voulue de Dieu. Tout ce qu’elles lui avaient annoncé sur la paroisse, le séminaire et Montréal s’est réalisé à la lettre. Il avait mis M. de Bretonvilliers à la tête de la paroisse, placé M. Ragnier de Poussé à la direction du séminaire, envoyé un autre de ses disciples, M. de Queylus, à Montréal : pendant le temps qu’il survécut, il offrit ses prières et ses souffrances pour ces trois œuvres de son zèle. Sa mission achevée, il mourut le 2 avril 1657, âgé seulement de 49 ans.

Bossuet (Myslici in tuto, c. xxx) appelle M. Olier, virum præstantissimum ac sanctitalis odere florentem. En 1730, l’assemblée du clergé de France, dans sa lettre au pape Clément XI, fait de lui cet éloge : eximium sacerdotem, insigne cleri nostri decus et ornamentum.