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Dictionnaire de théologie catholique/ORDRE. ORDINATION V. Le décret d'Eugène IV et l'essence du sacrement de l'ordre

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.2 : ORDÉRIC VITAL - PAUL (Saint)p. 91-100).

V. Les enseignements du concile de Florence DANS LE DÉCRET PRO ARMENIS ET LA CONTROVERSE THÉOLOGIQUE SUR L’ESSENCE DU SACREMENT DE L*ORdre. —

La théologie du sacrement de l’ordre, telle que l’avaient conçue les maîtres de la seolastique et notamment saint Thomas, eut un couronnement assez inattendu au concile de Florence.

Invité à se rendre au concile par Eugène IV dès 1434, le patriarche arménien Constantin V avait envoyé à Florence, en 1438, quatre députés pour qu’ils y scellassent, en son nom, l’union telle qu’elle avait autrefois existé. Malheureusement, ils arrivèrent en Italie au moment où les Grecs allaient en partir. Ce ne fut que le 22 novembre 1439 que les Pères purent lire et solennellement adopter en séance publique le décret spécial qui consacrait l’union des Arméniens avec Rome. Ce décret forme un ensemble complexe, dont les parties peuvent être distribuées en trois groupes : 1° Des formules de foi antérieures, symboles de Nicée et de saint Athanase, définition de Chalcédoine sur les deux natures, définition de Constantinople sur les deux volontés ; 2° des décisions d’ordre disciplinaires : 3° un exposé sacramentaire. Or, cet exposé reproduit dans ses grandes lignes, arrangé à l’usage des Arméniens, un opuscule de saint Thomas, le De (idei articulis et septem sacramentis. Sur le sacrement de l’ordre, comme sur les autres sacrements, c’est donc la doctrine de saint Thomas qui se trouve ainsi, en quelque façon, canonisée.

On s’en rendra compte par la juxtaposition suivante :

Décret. Texte de saint Thomas.

Nova ? Legis septem sunt Sunt autem sacramenta

sacramenta : videlicet bapLegis Novæ septem, scilicet

tismus, confirmatio, euchabaptismus, confirmatio, eu ristia, pænitentia, extremacharistia, psenitentia, extre unctio, ordo et matrimoma-unctio, ordo et matri nium… monium…

Per ordinem vero EcclePer ordinem Ecclesia gu sia gubernatur et multiplibernatur et multiplicatur

catur spiritualiter… spiritualiter…

Inter hæc sacramenta tria Quædani horum impiï sunt : baptismus, conflrmunt characterem, id est,

matio et ordo qiue charactespirituale quoddam signum

rem, id est, spirituale quoddistinctivum a eeteris, sicut

dam signum a eeteris disin sacramento ordinis vel

tinctivum, iniprimunt in sacramento baptismi et in

anima indélébile. Unde in sacramento confirmationis :

eadem persona non reiteet talia sacramenta nun rantur… quam iterantur super eamdem personam…

Sextum sacramentum est Sextum est sacramentum

ordinis cujus materia est ilordinis… Materia autem hu lud, per cujus traditionemconjus sacramenti est illud ma fertur ordo ; sicut presbyterateriale, per cujus traditio tus traditur per ealicis cum nem confertur ordo ; sicut

vino et patente cum pane porpresbyteratus traditur per

rectionem. Diaconaius vero collationem ealicis, et qui per libri Eoangeliorum dalibet ordo per collationem

tionein. Subdiaconatus vero hujus rei quæ prsecipue per per ealicis vacui cum patena tinet ad ministerium illius

vacua superposita traditioordinis. nem ; et similiter de aliis per rerum ad ministeria sua pertinentium assignationem.

Forma sacerdolii talis est : Forma autem hujus sa « Accipe potestatem offecramenti est talis : « Accipe

rendi sacrificium in Ecclesia potestatem offerendi sacri pro vivis et mortuis, in nolicium in Ecclesia pro vivis

mine Patris et Filii et Spiet mortuis ; » et idem est di ritus sancti. » Et sic de aliocendum in consimilibus ordi rum ordinum formis, prout nibus. in Pontificali romano late continetur.

Ordinarius minister hujus Minister lui jus sacramenti

sacramenti est episcopus. Efest episeopus, qui confert

lectus augmentum gratiæ ut quis sit idoneus minister.

(Denz.-Bannw., 701.)

695 ;

ordines ; effectus autem hujus sacramenti est augmentum gratiæ ad hoc quod aliquis sit idoneus minister Christi.

(Opuscula, édit. P. Mandonnet, t. iii, Paris, 1927, p. 13 ; 17-18.)

On peut le constater : le texte de saint Thomas sert de base au concile qui, pour ainsi dire, le suit pas à pas. Toutefois, dans le texte du théologien, le concile supprime, ajoute, remanie. Ainsi, tout en utilisant l’opuscule de saint Thomas, il fait une œuvre propre, où son autorité est engagée. De telle sorte que l’exposé sacramentaire du décret Pro Armenis ne saurait, de prime abord, être assimilé complètement aux formules de foi précédemment rappelées. Ces formules de foi sont simplement reproduites de documents dogmatiques antérieurs ; l’exposé sacramentaire est un document original qui, par luimême, n’a que l’autorité qu’a voulu lui conférer le concile. Cette remarque est à retenir ; cf. Ami du clergé, 1925, p. 173.

Le décret pose la question, si ardemment controversée en théologie sacramentaire, de l’essence du sacrement de l’ordre. C’est pourquoi nous l’y rattachons.

Tandis que l’histoire du sacrement de l’ordre montre que, dans les neuf premiers siècles, la porrection des instruments fut totalement inconnue dans le rite de l’ordination (voir ci-dessus, col. 1235-1257), le Décret d’Eugène IV en fait le rite essentiel, sinon unique, de l’ordre. D’autre part, des actes pontificaux nous font connaître que Rome accepte comme valides les ordinations orientales, faites sans la porrection des instruments : Clément VIII, Instruction Presbgteri grseci, du 31 août 1595, exige qu’un évêque de rite grec soit présent à Rome, pour conférer aux étudiants de sa nation l’ordination selon le rite grec. Magnum bullarium romanum, t. iii, p. 53a, § 7. Cette décision fut confirmée par Urbain VIII, bref Universalis Ecclesi : v, 23 nov. 1624, id., t. iv, p. 172a sq. De plus, dans la bulle Etui pastoralis, 26 mai 1742, pour les Italo-Grecs, Benoît XIV déclare expressément : Episcopi grxci in ordinibus conferendis ritum proprium græcum in Euchologio descriptum servent. Et, dans la constitution Demandalam ctelitus, du 24 déc. 1743, il interdit qu’on fît le moindre changement aux rites des Grecs ; cf. Benedicti XIV bullarium, Malines, t. i, p. 342 sq ; t. ii, p. 148 sq. ; Magnum bullarium, t. xvi, p. 99a sq. ; 1666 sq. Enfin, Léon XIII, dans la bulle Orientalium dignitas Ecclesiarum, 30 nov. 1894, a confirmé cette constitution de Benoît XIV, Acia S. Sedis, t. xxvii, p. 257 ; Acla I.eonis XIII, Bruges-Lille, t. v, p. 303. En conséquence, il semble qu’on doive aboutir à ces deux « énormités dogmatiques > « : le sacrement de l’ordre est autre dans l'Église d’Orient que dans l'Église d’Occident ; dans l'Église d’Occident, le sacrement n’est pas resté identique à lui-même ; cf. A. d’Alès, Dict. apolog., art. Ordination, t. iii, col. 1154.

Pour résoudre ces difficultés, les théologiens envisagent d’abord l’autorité qu’il convient d’attribuer au décret dans sa partie sacramentaire ; ensuite l’application qu’il faut faire au sacrement de l’ordre de la doctrine proposée par le décret quant au rite essentiel de l’ordination.

Autorité du Décret guant à sa partie sacramentaire.

 Nous avons dit plus haut pourquoi l’autorité du décret dans la partie sacramentaire n'était

pas nécessairement de même nature que celle qui concerne les formules dogmatiques de la première partie.

1. Première opinion.

lue première opinion enseigne que le décret Pro Armenis, même dans sa partie sacramentaire, est une véritable définition conciliaire, infaillible, émanant du magistère solennel et extraordinaire de l'Église. C’est l’opinion de Ruard Tapper, De sacramento ordinis, a. 17, § de materia ; de Vasquez, In Sum. S. Thomw, III a, disp. CCXXXIX, n. 6 : de Suarez, De sacramentis, disp. XXXVI, sect. ii, n. 14, qui considèrent les déclarations d’Eugène IV comme une véritable définition. Ainsi l’entendent, soit expressément, soit équivalemment la plupart des auteurs du xvie siècle et une bonne partie de ceux du xviie. Voir également, en ce sens, Billot, De sacramentis, t. ii, thèse xxx. p. 294 sq. Pour trouver au décret une valeur doctrinale définitive, on s’appuie principalement sur sa teneur même ; il est, dit-on, un véritable décret conciliaire, rédigé du consentement des Grecs avant leur départ, bien que promulgué postérieurement : sacro approbante concilio, et ipsis etiam oratoribus consentienlibus, data Armenis instruclio qu.sed.am sub compendio orthodoxiv fldei. Et, en fin du décret : Datum Florentin, in publica sessione synodali, solemniter in Ecclesia majori celebrata. Pour le développement de cet argument et l’exposé d’arguments subsidiaires, voir Imposition des mains, t. vii, col. 14121413.

2. Deuxième opinion.

Vers le milieu du xviie siècle parurent les travaux de Morin, Martène, H. Ménard, qui firent connaître le rite de l’ordination grecque, laquelle ignore la porrection des instruments ou ne la considère que comme une cérémonie accessoire. On crut donc opportun d’expliquer différemment l’autorité du décret Pro Armenis. C’est alors que s’introduisit chez les théologiens une seconde opinion, peut-être aujourd’hui la plus répandue, selon laquelle le décret Pro Armenis est une simple instruction pratique, historique ou disciplinaire, en sorte qu’au lieu de « définir » la matière sacramentaire, il aurait eu simplement pour objet soit d’instruire les Arméniens des rites latins, soit de les leur imposer ; cf. d’Annibale, Summula theologiæ moralis, t. iii, n. 231 ; Gasparri, Le sacra ordinatione, t. ii, n. 1007. L’Enchiridion de Denzinger formule cet avis, en note du n. 695 : De hac instructione præmiltendum est eam non esse definitionem de ministro, materia et forma sacramentorum, ut multi putabant, sed instructionem tantum practicam, f/uic tanem ut talis plenam habet auctoritatem. Il s’agit ici d’une pleine autorité, non doctrinale, mais disciplinaire. Cette interprétation a été reprise récemment par M. Quera, El decreto de Eugenio IV para los Armenios, i) el sacramento del Orden, dans les Esludios eclesiasticos de 1925-1927, avec discussion des interprétations divergentes.

3. Opinion du cardinal van Hossum.

De nos jours le cardinal van Rossum a introduit dans la théologie du décret de Florence une interprétation assez nouvelle. Pour lui, le décret est doctrinal, uniquement et pleinement doctrinal. Mais il n’est pas définitif, infaillible, et par conséquent peut renfermer et renferme en effet une déclaration erronée.

Le cardinal déclare tout d’abord, op. cit., n. 385, qu’Eugène IV a voulu déclarer quelle était essentiellement et exclusivement la matière du sacrement de l’ordre. C’est faire violence au texte que de dire qu’il ne parle que d’une matière accessoire ou qu’il passe sous silence une autre matière essentielle. Cette interprétation est suggérée, voire imposée, par l’analyse attentive du texte (n. 400). L’ordre est ici mis sur le même plan que les autres sacrements : Eugène IV parle donc de sa matière et de sa forme intégrales, comme il en parle des autres sacrements

(n. 386). Il a pris la précaution de déclarer que trois éléments constituent le sacrement : la matière, la forme et le ministre avec son intention ; si l’un de ces éléments fait défaut, le sacrement n’existe pas. Si donc il déclare ici la matière et la forme de l’ordre, il entend énoncer tout ce qui est nécessaire à la confection du sacrement (n. 387). Ne dit-il pas, en effet : materia est illudper eu jus traditionem confeutur ordo, sicut presbijteratus traditur per calicis cum vino et patenæ cum pane porrectionem (n. 388)? Saint Thomas, d’ailleurs, à qui ces formules sont presque littéralement empruntées, n’a jamais envisagé d’autre matière que la porrection des instruments (n. 390) ; les quelques modifications apportées au texte du Docteur angélique, montrent bien que le pape a pesé le sens de ses déclarations et que, s’il avait entendu n’indiquer qu’une partie de la forme et de la matière, il l’aurait tout au moins laissé entendre (n. 391). Le fait de renvoyer au pontifical romain n’infirme pas ce raisonnement, car le pape renvoie au pontifical pour la matière et la forme des autres ordres (n. 392). Quant à dire qu’Eugène IV n’a pas parlé de l’imposition des mains parce qu’elle était connue des Arméniens et qu’il restreint ses déclarations à ce qu’ils ignoraient ou ne pratiquaient pas, c’est encore faire erreur : les Arméniens connaissaient fort bien la matière et la forme des autres sacrements ; ils connaissaient et pratiquaient la porrection des instruments depuis le milieu du xiie siècle (n. 394, 395, 397, 401), voir ci-dessus, col. 1259. Il répugne d’ailleurs que le pape ait passé sous silence la matière essentielle de l’ordination, dans un document tout exprès composé pour enseigner sur ce point la doctrine catholique (n. 396) ; aussi ne fera-t-on jamais admettre l’opinion de ceux qui prétendent que le pape Eugène IV ait voulu parler ici simplement d’un rite accessoire et secondaire (n. 399). Eugène IV a donc enseigné que l’unique matière constituant l’essence du rite de l’ordination était la porrection des instruments, et l’unique forme, la formule Accipe potestatem.

Mais, d’autre part, tout en affirmant que le décret comporte un enseignement doctrinal, van Rossum nie que cet enseignement soit définitif, ex cathedra, infaillible. Les formules sur lesquelles on appuie la thèse de l’infaillibilité ne sont pas, en réalité, des formules qui décèlent l’e.r cathedra. Tout au contraire, de pressants arguments démontrent qu’il ne saurait être question ici d’enseignement ex cathedra. En effet, quand il s’agit d’une doctrine définie ex cathedra, l'Église ne cesse de l’inculquer et de la défendre ; elle ne peut pactiser avec l’erreur. Si donc l’essence de l’ordination était dans la porrection des instruments et dans les formules qui l’accompagnent, l'Église n’aurait toléré aucune altération, aucune négation, aucune contradiction. Or, en réalité, les théologiens ont toujours eu, après le concile de Florence, la liberté d’opiner en des sens divers, allant même, pour certains d’entre eux, à enseigner que l’essence du sacrement de l’ordre résidait dans la seule imposition des mains avec la formule qui l’accompagne. C’est donc le cas d’appliquer la remarque de Palmieri : Si ea doctrina (supposée définie) viguit deinceps in Ecclesia, nec aliam repereris definitionem, a/firmare poteris illam fuisse definitionem fidei. Sie contrario alia quoque doctrina opposita perseveruverit, ipsa sciente et permittenle nuilto magis si probante romana Sedc, affirmare tibi licebit, illam non fuisse definitionem fidei. De romano Pontifice, thèse xxxi (n. 407-409). De plus, comme on l’a déjà rappelé, après la prétendue « définition » de Florence, les papes n’ont pas cessé de confirmer et d’approuver la pratique orientale de l’ordination

par la seule imposition des mains (voir col. 000). Il faut, de plus, citer les actes de Léon X, bref Accepimas nuper, 18 mai 1521 ; de Clément VIT, bref Provisionis, 26 mars 1526 ; de Paul V, bref Snlcl circumspecta, 10 décembre 1615 (n. 410). Bien plus, Clément VIII a rendu un décret, contredisant celui d’Eugène IV sur la matière du sacrement d’extrêmeonction. Il accepte, pour les Arméniens, que l’huile, matière du sacrement, soit bénite par un simple prêtre. Instruct. super ritus llalo-Grœcorum, 30 août 1595. Benoît XIV, tout en se défendant de porter un jugement, incline vers l’opinion que la seule matière essentielle de l’ordre est l’imposition des mains ; cf. Denz.-Bannw., n. 701, note. Enfin, Léon XIII a déclaré nulles les ordinations anglicanes, en raison du seul vice de forme de l’imposition îles mains, Aposlolicæ cura-, 30 septembre 1896 ; cf. Dicl. apol. de la foi cathol., t. iii, col. 1220-1221 (n. 411). Faut-il rappeler que le concile de Trente enseigne que le prêtre reçoit l’ordination par l’imposition des mains, sess. xiv, c. m ; que les vérités essentielles concernant la prêtrise et le diaconat sont enseignées par l'Écriture, sess. xxiii, c. ii, alors que l'Écriture se tait sur la tradition du calice et de la patène ainsi que du livre des évangiles ; qu’il démontre que le sacrement de l’ordre est un signe efficace de la grâce par le texte de II Tim., i, 6, où il n’est question que de l’imposition des mains, sess. xxiii, c. ni ? Ces assertions ne seraient pas concevables si les déclarations d’Eugène IV étaient un document ex cathedra (n. 412). De plus, le décret lui-même distingue « débilitions » et < traditions, préceptes, institutions, doctrines. ; ce qui suppose que les définitions ne concernent que les symboles et les définitions contenues dans la première partie du décret (n. 413). Enfin, il ne semble pas que le décret, rédigé pour les Arméniens, ait une portée qui atteigne l'Église universelle ; bien plus, il ne fut jamais porté officiellement à la connaissance de l'Église universelle. Le souvenir en était quelque peu oblitéré, quand Buard Tapper s’avisa d’en tirer argument, en 1559 (n. 419). Quand leur attention fut attirée sur ce document, les théologiens, loin d’y voir une définition de foi, le commentèrent en différents sens et s’en écartèrent (n. 420). D’après le P. d’Alès, Dict. apol. de la foi cathol., art. Ordination, t. iii, col. 1153, ces arguments se renforcent encore du fait qu’Eugène IV ne faisait que confirmer les décisions antérieures de Benoît XII (voir t. ii, col. 698), et que le concile de Trente, s’occupant de définir contre les protestants ce qui concernait le sacrement de l’ordre, ne crut pas devoir — ses Actes en font foi — prendre le décret d’Eugène IV comme base de ses travaux. Aussi, van Bossum, se rallie-t-il à la conclusion de saint Alphonse de Liguori ; Eugène IV traitant du sacrement de l’ordre n’a pas toujours voulu énoncer des dogmes ; sur plusieurs points il s’est conformé au langage courant qui donne aux objets employés dans la collation des sept ordres, à raison de leur valeur expressive, le nom de matière du sacrement. Theologia moralis, t. VI, n. 12, édit. Gaudé, t. iii, p. 12.

L'éminent auteur range le décret d’Eugène IV parmi les documents émanant du magistère ordinaire de l'Église, qui ne sont pas nécessairement garantis par l’infaillibilité. A ces documents, il faut appliquer la règle promulguée par Pie IX au sujet des enseignements doctrinaux non infaillibles des congrégations romaines : on leur doit une soumission non seulement extérieure, mais intérieure. Toutefois, il n’est pas interdit de s'écarter d’un enseignement de. ce genre, quand de graves raisons nous y invitent (n. 418-428). Or, dans le cas présent, ces graves rai sons existent. « Sa doctrine (nous citons) contredit évidemment la tradition des saints Pères, des Conciles, des Églises d’Occident et d’Orient. » (n. 429430). Bien ne sert d’affirmer que l'Église d’Orient, en omettant la tradition des instruments, est dans l’erreur : ce serait condamner tous les papes qui ont approuvé les rites orientaux d’ordination (n. 432). Bien n’autorise à dire, comme Capréolus et Hurtado, que les Églises orientales jouissent d’une dispense spéciale de Dieu : qui peut le prouver ? (n. 433). C’est également une « ingénieuse trouvaille », mais rien de plus, que d’assimiler, comme l’ont fait les Salmanticenses, Gravina et quelques autres, le geste oriental du baisement de l’autel (voir col. 1258 sq.), à la porrection des instruments (n. 437), ou de trouver (Arcudius, Sylv. Maurus) dans la porrection des instruments une sorte d’imposition des mains (n. 438).

Reste la solution qui concède à l'Église le pouvoir de déterminer spécifiquement la matière et la forme des sacrements, lorsque le Christ ne les a institués dans leurs éléments que d’une façon générale et sans détermination expresse. Voir plus loin. Van Bossum rejette cette affirmation « erronée », tout au moins historiquement, puisqu’il est constant que l'Église occidentale, pendant dix siècles, a conservé le rite de l’imposition des mains et n’a fait ensuite que lui donner plus de solennité en y ajoutant des cérémonies accessoires. Quant à savoir si l'Église a le pouvoir qu’on lui prête, on examinera cette question ailleurs.

Et précisément, reste encore à expliquer le changement qui se serait produit dans l'Église occidentale : c mment, pendant dix siècles, l'Église a uniquement employé l’imposition des mains, et seulement ensuite a adopté la porrection des instruments. Bien ne sert d’affirmer contre l'évidence, comme l’ont fait Dominique Soto, Grégoire de Valencia, Estius, etc., que la porrection des instruments remonte aux temps apostoliques, ou tout au moins qu’on en trouvait alors l'équivalent ; rien ne sert, avec Vasquez, Hurtado, Nuiiez, Fagnano, etc., d’imaginer une dispense du Christ, laquelle n’exista jamais ; ou d’affirmer, comme Gamacheet Jean Cabassut.que si l’imposition des mains est le rite institué par le Christ, il faut néanmoins concéder à l'Église le droit d’apposer, à la validité du sacrement (comme elle l’a fait pour le mariage), des conditions sine quibus non, dont serait la tradition des instruments. Le mariage, en effet, est un contrat en même temps qu’un sacrement, et le contrat est régi par des lois qui en règlent la légitimité. Dans l’ordre, rien de semblable (n. 444460).

La conclusion s’impose : trop de raisons militent contre la vérité de l’enseignement du décret : il faut s’en écarter. L’erreur s’est glissée dans l’enseignement d’Eugene IV, parce que le décret a été rédigé pour ainsi dire sans discussion préalable. Bien n'était prévu : le pape a dû se contenter de î éprendre renseignement courant des théologiens de l'époque.

4. Quelques essais de conciliation.

D’autres théologiens s’efforcent d'éviter une conclusion aussi radicale.

Dans trois articles du Bulletin de littérature ecclésiastique, 1919, p. 81-95 ; 150-162 ; 195-215, le P. de Guibert, tout en suivant une marche différente, a abouti à la même conclusion que le cardinal van Bossum, en ce qui concerne le caractère doctrinal et vraiment conciliaire du décret. Ce n’est pas un acte purement pontifical, émanant de la seule initiative du pape ; c’est un acte promulgué en session solennelle du concile œcuménique de Florence* sous la présidence d’Eugène IV. Ce n’est pas un simple exposé historique des rites de l'Église latine : les

Arméniens les connaissaient déjà. Voir ei-dessus, col. 1259. Ce n’est pas davantage, sauf le passage sur la matière de l’eucharistie, où le décret porte expressément le mot decernimus. à propos de l’obligation faite aux prêtres arméniens de mélanger eux aussi un peu d’eau au vin du calice, un document disciplinaire, prescrivant simplement aux Arméniens ce qu’ils doivent faire… Le texte entier, les circonstances de son élaboration et les documents contemporains disent le contraire. Le concile a donc voulu expliquer la vraie doctrine catholique sur les sacrements ; sans doute, cette doctrine a de nombreuses conséquences pratiques, mais l’exposé qui en est fait là constitue un document d’ordre essentiellement doctrinal. L’expression « qui paraît le mieux caractériser la nature de ce document est donc celle de déclaration ou exposé doctrinal du concile de Florence sur les sacrements », p. 214. Un seul point reste obscur : si le décret est un acte du magistère extraordinaire, comme semble le suggérer l’auteur, comment a-t-il pour objet une matière qui n’est pas de foi ?

Cette difficulté a suggéré à un rédacteur de L’Ami du Clergé, les réflexions suivantes : « Ne serait-il pas tout à la fois plus sage et plus simple de revenir à une position cohérente, en restituant le document tout entier, dans sa forme et dans sa matière, au magistère ordinaire ? On obtiendrait ainsi une unité singulièrement engageante. Tout le décret, en ce qu’il a de doctrinal, présenterait ainsi, en effet, un mode de composition uniforme. N !.. le part le concile ne définit : alors nous voyons ! erreur de la plena auctoriias. Nulle part le concile n’intervient avec l’autorité solennelle du magistère extraordinaire : sur les deux natures et sur les deux volontés du Christ, il apporte des conciles antérieurs, il ne fait rien de lui-même ; sur les sacrements, il est bien obligé de rédiger une formule, puisque cette matière n’a pas encore été fixée ; mais cette formule, à vrai dire, il ne la fait pas à proprement parler : c’est la formule même de l’enseignement courant, de l’enseignement reçu dans l'Église ; et la preuve en est qu’il va la chercher dans l’opuscule de saint Thomas ; de même qu’il consultait tout à l’heure Chalcédoine et Constantinople, il consulte maintenant le prince de la théologie, en qui il est sûr de retrouver la voix fidèle de toute l'Église. Que suit-il de là ? Il suit de là, si cette déduction est exacte, qu’aucun des' documents du décret pro Armenis n’a de valeur par le concile ; ce n’est pas le concile qui fait la valeur des documents ; le concile les prend ailleurs et il les enregistre ; mais justement, il les enregistre ; et si cet enregistrement n’ajoute rien à leur valeur propre, il la consacre pourtant d’une façon publique et officielle. Là est le véritable, là est l’immense intérêt du décret pro Armenis dans la matière sacramentaire. Quand on a alîaire à un enseignement défini, on s’y retrouve en général aisément ; des signes à peu près certains permettent presque toujours de s’y retrouver ; mais quand il s’agit de l’enseignement ordinaire de l'Église, de cet enseignement qui circule sans être toujours fixé dans des formules officielles, on est souvent bien plus embarrassé. A partir du concile de Florence et grâce au concile de Florence, on ne doit plus connaître un tel embarras. Le concile a dit : tel est l’enseignement ordinaire de l'Église ; nous n’avons plus à le chercher. C’est l'Église elle-même qui a déclaré que tel était l’enseignement de l'Église ; en sorte que le document est assez bien appelé une déclaration officielle de la doctrine catholique sur les sacrements, exemple rare, sinon unique, dans toute l’histoire des conciles, et qui fait que le décret est d’une essence bien plus fine que ne l’ont supposé

jusqu’ici bien des théologiens. » (1925, p. 175-176.) Il s’agirait donc d’un enseignement doctrinal : reste à en préciser la portée exacte. C’est ce qu’ont tenté, avec plus ou moins de discrétion et de bonheur, les théologiens postérieurs au concile de Florence.

2° Application de l’enseignement du décret au rite de l’ordination. — Cette application présuppose l’exposé des doctrines théologiques concernant ce rite. Tout en signalant les travaux d’ensemble aujourd’hui périmés de Gravina, O. P., Pro sacrosancto ordinis sacramento vindicim orthodoxie, Naples, 1634 ; et de J. Pons, S. J., Dissertatio hislorico-dogmatica de maleria et forma sacræ ordinationis, Bologne, 1775, nous suivrons, tout au moins dans ses lignes générales, pour cet exposé, le travail plus récent et tout à fait au point du cardinal van Rossum.

1. Exposé des divers systèmes relatifs à l’essence du rite de l’ordination. — Premier système : le rite essentiel consiste uniquement dans la tradition des instruments : la matière, pour le sacerdoce, réside dans la porrection du calice contenant le vin et de la patène supportant l’hostie ; la forme, dans les paroles du pontifical qui l’accompagnent. Pour le diaconat, la matière est la tradition du livre des évangiles, et la forme les paroles qui l’accompagnent. Cette opinion a pris racine dans l’introduction de la tradition des instruments dans le pontifical. Cette tradition, mieux que l’imposition des mains, paraît symboliser le pouvoir et la grâce de l’ordre et réaliser la conception hylémorphique du sacrement. Rien d'étonnant qu’elle ait été accueillie par des théologiens nombreux à partir du xme siècle.

Cette solution a été proposée dès le xme siècle, par le franciscain Gilbert de Tournai († 1270), Tractatus de officio episcopi, c. xxxiii, et Richard de Médiavilla († 1300), In lVum Sent., dist. XXIV, a. 4, q. ni ; par Albert le Grand, id., ibid., a. 38, qui néanmoins reconnaît le rite de l’imposition des mains comme le rite de la primitive Église, Comment, in tib. de eccles. hierarch., c. v. C’est incontestablement la solution de saint Thomas, à qui Eugène IV l’a empruntée. On notera cependant que saint Thomas n’ignore pas le rôle capital de l’imposition des mains, In IVum Sent., loc. cit., q. ii, a. 3 ; mais il n’assigne à l’imposition des mains qu’un rôle préparatoire et réserve à la tradition des instruments le rôle essentiel. Parmi les auteurs plus connus du xive siècle, citons : Fr. de Mayronis, O. M. († 1327), In IVum Sent., dist. XXV, q. n ; Durand de Saint-Pourçain, O. P. († 1334), id., dist. XXIV, a. m. Le xve siècle nous donne les noms de Capréolus, id., q. i, a. 3 ; d’Alphonse Tostat († 1455), In tib. Ruth, c. iv, q. lxx ; de saint Antonin, O. P. († 1459), Summa, part. III, tit. 14, c. xvi, § 4 ; de Gabriel Biel († 1495), Suppl., In IVum Sent., dist. XXIV, q. i, a. 1. Les premiers défenseurs de l’opinion, au xiii p siècle, se bornent à poser en principe que le sacrement est conféré par le rite le plus expressif du pouvoir qu’il communique. Plus tard, on s’appuie sur le concile de Florence, et l’autorité du décret d’Eugène IV lui donne, au xvie siècle, une grande vogue. Citons les principaux noms : Sylvestre Prierias, O. P. († 1523), Summa au mot Ordinis, ii, n. 4 ; Cajétan († 1534), Opusc, t. i, Lyon, 1575, tract, xxvi ; Jean Major († 1540), In IV am Sent., dist. XXIV, q. i ; François de Vitoria, O. P. († 1546), Summa sacramentorum, de sacr. ordinis, n. 229 ; Ruard Tapper († 1559), qui a le plus contribué à mettre en relief l’autorité du concile de Florence, De sacramento ordinis, a. 17, § De materia ; Dominique Soto, O. P. († 1560), In IVum Sent., dist. XXIV, q. i, a. 4 ; Martin Ledesma, O. P. († 1574), In IVum Sent., dist. XXIV, a. 4 ; Jo

seph Angles O. M. († 1587), De sacramento urdinis, a. 1, dub. I, iv ; Emmanuel Sa, S. J. († 1596), Aphorismi, au mot Ordo. — - Au xvii c siècle, d’autres solutions s’affirment, qui cependant laissent encore un nombre imposant d’auteurs favorables à la première solution. Citons les principaux : Grégoire de Valencia, S. J. († 1603), De sacramento ordinis, disp. IX, n. 4 ; Capponi de Poretta, O. P. († 1614), Eluoid… ad lll &m part. Sum. theol. S. Thomse, q. xxxiv, a. 4 et 5 ; Gonet, O. P. ꝟ. 1681), Clypeus, De ordine, c. vii, a. 3, § 1. Nous passons sous silence quantité d’autres noms aujourd’hui à peu près oubliés. Le xviiie siècle voit nécessairement cette opinion en forte décroissance. Aucun nom marquant. Au xixe siècle, enfin, c’est l’abandon total. On n’aura pas été peu surpris, en conséquence, de trouver, dans ce Dictionnaire même, une résurrection un peu hardie de l’opinion tombée dans un déclin complet au siècle précédent. C’est l’opinion exposée à l’art. Imposition des mains, col. 1407 sq. Nous ne ferons ici que la résumer.

Pour le P. Galtier, l’imposition des mains, rite d’ordination dans la primitive Église, n’est pas demeurée la matière propre du sacrement de l’ordre. En effet, la pensée clairement manifestée de l'Église admet ce changement. On en a la preuve dans le décret du concile de Florence, dont l’autorité doctrinale est amplement démontrée. Or, ce décret enseigne que le rite essentiel du sacrement de l’ordre est. et est uniquement, la porrection des instruments avec, comme forme, les paroles qui l’accompagnent. Tandis qu’il est d’accord avec le cardinal van Rossum sur ce premier point, le P. Galtier se sépare entièrement de lui dans l’application du décret au sacrement de l’ordre. Le cardinal déclare péremptoirement qu’il répugne à la vérité d’admettre la thèse du décret : en conséquence, ce décret qui n’a pas la marque de l’infaillibilité, renferme une erreur qu’il n’est plus possible d’accepter. Le P. Galtier accepte, au contraire, l’enseignement du concile et en tire cette conclusion qu’au cours des siècles, le rite essentiel du sacrement de l’ordre a été changé. Voir dans même sens E. Hugon, O. P., Celeberrima controversia de materia et forma sacramenti Ordinis juxta recentissima studia, dans Divus Thomas de Plaisance, 1926, p. 474-482. Et si l'Église venait un jour « à poser en faveur de l’opinion qui prévaut aujourd’hui (le rite constitué par la seule imposition des mains) un acte dont l’autorité égale ou supérieure à celle du décret de Florence permît de la considérer comme authentiquement adoptée par elle, plutôt que d’y voir la condamnation de la doctrine enseignée par le concile, il y aurait lieu de se demander si une modification si manifeste de sa pensée antérieure n’autoriserait pas à parler une fois encore d’un changement introduit par elle dans le rite essentiel du sacrement de l’ordre. » (Col. 1415.) Le P. Galtier et le cardinal aboutissent donc à des conclusions diamétralement opposées, parce que leurs points de départ respectifs sont contradictoires. Pour le cardinal, la fixité absolue et primitive de tous les rites sacramentels paraît être un principe absolu dont il ne faut pas se départir et, puisque les rites n’ont pu changer, il faut de toute nécessité que celui-là seul soit le rite essentiel qu’on retrouve partout et toujours jusqu'à l’origine même du sacrement ; et tel est le rite de l’imposition des mains. Toute autre considération doit céder devant cet axiome ; en conséquence, aucune application exacte du décret de Florence n’est possible ; Eugène IV s’est trompé. Pour le P. Galtier, il n’est pas possible qu’Eugène IV se soit trompé : donc, il faut admettre que le rite a été modifié au cours des siècles. « De soi, écrit-il, il est évident

que ! e fait historique de l’antiquité et de l’universalité de l’imposition des mains dans la collation des ordres ne saurait avoir de valeur démonstrative pour l'époque moderne qu’autant qu’on exclut a priori toute possibilité d’addition ou de modification dans les rites essentiels à la validité du sacrement, et que l’on rejette comme nécessairement erronée toute doctrine, quelle qu’en soit l’autorité, impliquant un changement quelconque de cette nature (col. 1409). Et précisément, cette possibilité de changement, grâce à une intervention de l'Église, est admise par de nombreux théologiens.

Sur les arguments apportés en faveur du rite de l’imposition des mains, nonobstant l’existence du rite de la porrection des instruments, voir Galtier, art. cit., col. 1417-1422.

Deuxième système. — Les auteurs de ce système considèrent que le sacerdoce chrétien comporte essentiellement deux pouvoirs, pouvoir sur le corps réel du Christ, qui s’exerce dans la consécration de l’eucharistie : pouvoir sur le corps mystique qui s’exerce par l’absolution sacramentelle. Et ils pensent trouver trace de cette distinction dans le rite de l’ordination. Au pouvoir sur le corps réel du Christ répond la tradition des instruments, avec la formule qui y est jointe ; au pouvoir sur le corps mystique répond l’imposition des mains de la fin de l’ordination, avec la formule : « Reçois le Saint-Esprit, à ceux à qui tu remettras les péchés, ils seront remis… » Le rite sacramentel est donc double, quant à la matière et quant à la forme.

L’initiateur de cette opinion paraît être au xiv c siècle Duns Scot († 1308), In IV am Sent., dist. XXIV, q. i, a. 3. Elle est enseignée par Pierre de La Palu,

0. P. († 1342), id., q. ii, a. 3 ; Thomas de Strasbourg († 1357), id., q. i, a. 2 et 3 ; dist. II, q. i, a. 3. — Au xv c siècle, citons Jean Gerson († 1429), Reg. mor. de sacr. ordinis, n. 159, Anvers, 1706 ; In Suppl. Sum. S. Thom ; r, q. xxxvii, a. 2, q. 4. — Au xvie siècle, voici Ambroise Catharin, O. P. († 1543), Quiestio utrum ratio ordinis an vero ratio jurisdictionis, etc. ; Elbel, O. P. († 1556), Theol. moralis sacr., part. I, confer. xxi, § 1, n. 15 ; Michel Médina, O. M. († 1578), De sacrorum hominum… (voir titre complet, t. x, col. 487),

t. I, c. xxi, xxii, xxxix ; Tolet, S. J. († 1596), Instruct. sacerdot. tract, de sacr. ord., c. n. — Au xviie siècle, il faut citer Vasquez, S. J. († 1604), In 7/i am part. Sum. theol. S. Thomie, disp. CCXXXIX, c. iii, iv, v ; Sanchez, S. J. († 1610), Consilia, t. VII, c. i, dub. 3 ; Eellarmin, S. J. († 1621), Le sacramento ordinis, t. I, c. ix ; Filiucci, S. J. († 1622), De sacramento ordinis, c. ii, n. 42 : Lessius, S. J. († 1623), De sacramento < rtlinis, c. i, dub. v et vi ; Gamache († 1624). In ///"" part. Sum. S. Thoma>, de sacram. ordinis, c. iv et v ; Bonacina († 1631), De sacr. ordinis, punct. 3 ; Tanner, S. J. († 1632), Dispulationum…, disp. VII, q. ii, dub. iv ; de Coninck, S. J. († 1633), disp. XX, dub. vu ; Castropalao, S. J. († 1633), Operis moralis…, pars IV, tract. XXVII, punct. 4 : I.ayman, S. J. († 1635), Theol. moralis. de sacr. ordinis, c. v ; Wiggers († 1639), In Suppl., q. xxxiv, a. 4 et 5 ; Ysambert († 1642), In 7// am part., De sacramento ordinis. disp. III, a. 3 ; Jean de SaintThomas, O. P. († 1644), Compendium totius doctrines christianse, part. 1, c. xi ; Hallier († 1659), De sacris electionibus…, part. II, sect. ii, c. ii, a. 1, § 10 et 14 ; J. Poncius, O. M. († 1660), De sacramento ordinis, disp. XLVIII, q. n ; les Salmanticenses, Theol. moralis, de sacramentis, tr. VIII, c. iii, punct. 5 ; Pallavicini, S. J. († 1667), De universa theologia, t. IX, n. 158 ; Busembaum, S. J. († 1668), Medulla theol. moral., t. VI, tract. V, c. ii, dub. 1 ; Escobar, S. J. († 1669), Universiv theol. moralis…, I. XXIII, sect. i, c. n ;

sect. ii, c. ix ; Mastrius, O. M. (| 1676), In lV* m Sent., disp. IV, q. iii, a. 2 ; Silvestre Maurus, S. J. († 1687), Opus theol., t. XIII, tract. XXIX, q. ccxxvi, n. 7 sq. ; et quantité d’autres. On peut même dire qu’au xviie siècle, les représentants de cette opinion sont les plus nombreux, absolument parlant (74 contre 34 de la première solution, selon la statistique établie d’après van Rossum, par A. d’Alès, art. cité, col. 1146). On peut dire qu’elle a des représentants dans tous les ordres, jésuites, frères mineurs, carmes, ermites de Saint-Augustin, barnabites, et même quelques dominicains. — Au xvin 1 e siècle, des quarante-huit noms relevés par van Rossum, il faut citer Reiffenstuel, O. M. († 1703), Theol. moralis, tract. XIV, dist. XII, q. n. n. 32 ; Viva, S. J. († 1710), Cursus theol., de sacrament., q. vii, a. 2, n. 5 ; Frassen, O. M. (+ 1711), Scotus academicus. De ordine, disp. I, a. 2, § 7 : La Croix, S. J. († 1714), Theol. moral, tract. V, de sacr. ordinis, c. ri, n. 2130 ; Schmalzgrueber, S. J. († 1735), In 7 am, part. III, tit. xi, n. 5 ; Antoine, S. J. († 1743), Theol. uniD. tract, de sacr. ordinis, q. VII, § 2 et 3 ; Billuart, O. P. († 1757), De sacramento ordinis, diss. I, a. 3 ; Ferraris, O. M., Prompta bibl., au mot Ordo, n. 48 ; les Wirceburgenses (Holzclau t 1783), De ordine, c. ii, a. 8, etc. - — Au xixe siècle, par un singulier retour, cette opinion est presque abandonnée ; c’est à peine si l’on peut citer quelques auteurs la défendant, parmi lesquels Haine, Tract, de ordine, Louvain, 1874, part. II, q. xxiv ; Theol. sacrant., c. iv, dub. iv.

On peut constater que cette opinion a pris un certain développement après le concile de Florence. Les auteurs qui la défendent lui donnent comme fondement : le double symbolisme sur le corps réel et le corps mystique de Jésus-Christ, le parallélisme évangélique du double pouvoir accordé séparément par le Christ aux apôtres, pouvoir de consacrer son corps réel par la tradition de ce même corps, accompagnée des paroles : a F’aites ceci en mémoire de moi » et pouvoir d’absoudre les péchés, conféré après la résurrection, Joa., xx, 23 ; cf. Conc. Trident., sess. xxii, c. i, et can. 2 ; sess. xiv, c. vi, can. 3 ; Denz.-Bannw., n. 938, 949, 902, 913. Bellarmin suppose même que le Christ a pu également user du rite de l’imposition des mains pour ordonner prêtres ses apôtres, De sacr. ordinis, t. I, c. n. Bien plus, il droit découvrir dans l’ancien Ordo romain la double cérémonie de la tradition des instruments et de l’imposition des mains : ceci n’est pas exact, d’ailleurs, en ce qui concerne l’imposition finale des mains, accompagnée de la formule : Accipe Spiritum sanctum… ; de plus, cet Ordo ne représente pas les rites de la haute antiquité ; cf. dom P. de Puniet, Le Pontifical romain, p. 39 sq. Bellarmin s’appuie également sur le canon 4 de la sess. xxiii du concile de Trente : Si quis dixerit, per sacram ordinationem non dari Spiritum sanctum, ac proinde frustra episcopos dicere : Accipe Spiritum sanctum… Denz.-Bannw., n. 963. Mais on verra plus loin (col. 1360) que le concile n’entend nullement parler ici du rite de l’ordination. Enfin, le principal argument des partisans de cette opinion est, d’une part, l’enseignement de l’histoire et de la tradition, qui montre que l’ordre a été de tout temps conféré par l’imposition des mains et, d’autre part, la déclaration d’Eugène IV dans le décret pro Armenis. L’argument tiré du concile de Florence vaut ce qu’il vaut. Quant à l’argument du rite traditionnel de l’imposition des mains, on doit s'étonner que des auteurs avertis comme Bellarmin, Vasquez et Billuart aient cru pouvoir le retrouver dans la dernière imposition des mains avec la forme impérative : Accipe Spiritum sanctum, quorum… Cette cérémonie est relativement récente

(voir ci-dessus, col. 1293). Et, de plus, nombre de théologiens font observer que, venant après la concélébration des nouveaux prêtres, elle implique que l’ordination est déjà faite, et qu’elle constitue simplement une cérémonie purement déclaratoire du pouvoir déjà reçu ; cf. Billot, De sacramentis, t. ii, th. xxx. Si les partisans de cette deuxième opinion avaient mieux connu les documents de l’antiquité, nul doute qu’ils ne l’eussent profondément modifiée : on en a quelque soupçon par ce qu'écrit Cajétan, loc. cil.

Troisième système. — Cette troisième opinion, comme la précédente, procède du souci d’accorder la doctrine du décret d’Eugène IV avec le sens attaché par l'Écriture et toute l’antiquité chrétienne au rite de l’imposition des mains. Seulement, au lieu de trouver l’imposition des mains dans le rite final de l’ordination, on s’arrête au commencement, où se rencontre une première imposition des mains, d’abord silencieuse, puis accompagnée de l’invocation au Saint-Esprit. Quant à la tradition des instruments, on l’accepte, comme dans l’opinion précédente.

Cette opinion, inconnue avant le xviiie siècle, a été défendue par l’auteur des Conférences d’Angers, t. vii, oct. 1709 ; le carme Libère de Jésus († 1719), Controuers., tract. VII, part. I, disp. I, controv. 2 ; Gazzaniga, O. P. († 1799), Prælect. theol., diss. VIII de sacramento ordinis, c. 2, n. 27 ; par Segna, Theol. moral, compendium, t. IV, tract, ii, a. 6, c. i ; Togni, dans son Manuel d’examen des clercs, part. I, c. vir ; Dieringer († 1876), Lehrbuch der kathol. Dogmatik (qui, de plus, affirme que l’onction et la tradition des vêtements appartiennent au rite essentiel). Mais ces autorités n’eussent pas suffi à donner du relief à ladite opinion si, de nos jours, elle n’avait pas été enseignée avec un certain succès par Billot, loc. cit., et nombre de théologiens formés à son école, comme Tanquerey, van Noort, Hervé, etc. Voir aussi Noldin, Theol. moralis, De ordine. n. 456.

Peu de remarques seraient à faire à cette opinion en dehors du point capital de la porrection des instruments. On conçoit assez difficilement toutefois que le rite de l’ordination puisse comporter double matière et double forme. Si la première imposition des mains confère déjà le sacerdoce, à quoi sert la porrection des instruments ? Ne serait-elle donc qu’une cérémonie déclaratoire d’un pouvoir déjà reçu '? C’est même à cause de cette raison que les théologiens de l’opinion précédente reculaient à l’imposition des mains finale le rite de l’ordination. Et, en ce cas, comment en faire un rite essentiel de l’ordination. Et puis, comment maintenir l’unité de symbolisme sacramentel dans cette dualité de forme et de matière ? Enfin, comment expliquer le pouvoir de l'Église relativement à l’introduction d’un rite essentiel nouveau dans la confection du sacrement ? Il faut, sur ce dernier point, en revenir à la théorie, d’ailleurs contestée, que nous avons trouvée plus haut sous la plume du P. Galtier. Et c’est bien là, en effet, l’explication de Billot, De sacramentis, t. i, th. n ; xv, § 3 ; xxxii ; t. ii, th. xxx.

Quatrième système. — Cette quatrième opinion est la synthèse des deux précédentes. Elle voit dans le rite sacramentel un ensemble complexe, renfermant trois éléments essentiels : la première imposition des mains, avec l’invocation du Saint-Esprit ; la tradition des instruments, avec la formule : Accipe potestatem… ; la dernière imposition des mains, avec la formule, Accipe Spiritum sanctum, quorum.

Trop compliquée pour avoir jamais eu de nombreux partisans, cette formule a recueilli cependant le suffrage de théologiens distingués : au xviie siècle,

de Lugo, S. J. († 1660), Disp. schol. de. sacramentis in génère, disp. II, sect. v, n. 90, 98 ; Martinon, S. J. († 1662), Disp. Iheol., disp. LXVI, sect. iv, n. 43 ; au xviiie siècle, Simonnet, S. J. († 1733), Institut. theol., tract. XVII, disp. III, a. 2, § 2 ; Gotti, O. P. († 1742), Theol. schol. clogm. de sacramento ordinis, q. vi, dub. ii, § 1 ; Amort, des ermites de Saint-Augustin Ct 1775), Theol. eclectica…, t. iii, De sacramento ordinis, § 19 ; Theol. moralis, tract. XIV, De ordine, § 4, q. n. Au xixe siècle, le seul nom quelque peu marquant est celui d’Egger, Enchiridion theol. dogmat., tract. XII, c. ii, n. 1016.

Les raisons qui ont inspiré les défenseurs de cette opinion sont celles-là même qu’on invoque en faveur du précédent système. L’argument traditionnel vaut pour les deux impositions des mains ; la tradition des instruments est requise en raison du décret d’Eugène IV. Voir Gotti, toc. cit., § 3, n. 22.

Cinquième système. — Tous ces systèmes ne semblent pas tenir compte suffisamment des rites orientaux. Quelques théologiens ont voulu corriger ce défaut et ont présenté le système suivant : le rite essentiel de l’ordination existe soit dans l’imposition des mains avec l’invocation au Saint-Esprit, soit dans la tradition des instruments. Ainsi donc, que le sacrement soit administré avec l’un ou avec l’autre rite, il demeure validement administré. Le corollaire d’un tel système est que le Christ a institué les deux rites, ou bien qu’il a laissé à l'Église le soin de déterminer spécifiquement le rite de l’ordination. L’initiateur de ce système paraît être le jésuite Fr. Amixo († 1651), Cursus theol., t. vii, De sacramentis in génère, disp. II, sect. iv ; t. viii, disp. XXII, sect. v. On cite également le théatin Diana († 1663), Résolut, morales, part. III, tract, iv, resol. 187 ; part. VIII, tract, i, resol. 42 ; Esparza, S. J. († 1689), Cursus theol., t. X, De sacrarn. ordinis, q. civ, a. 7, et, au xvine siècle, quelques autres auteurs moins connus encore.

Les observations à faire à ce système se réduisent à peu de chose : la principale remarque est que l'Église occidentale, tout en introduisant la porrection des instruments dans le rite de l’ordination, n’a pas pour autant abandonné l’imposition des mains, qui est le rite traditionnel. Il semble donc difficile d’opiner que, dans l'Église occidentale, tout l’essentiel du rite se trouve dans la porrection des instruments. Ici encore, on a tort de raisonner uniquement a priori, en s’appuyant d’ailleurs sur le décret d’Eugène IV. Quant à insinuer que le Christ a institué les deux rites, c’est là une affirmation gratuite, dont seule l’histoire pourrait donner une confirmation. Or, sur ce point, l’histoire est muette. Sixième système. — Cette dernière opinion s’inspire de l’antiquité chrétienne et de la liturgie ; elle n’admet qu’un seul rite essentiel de l’ordination sacerdotale : l’imposition des mains avec l’invocation du Saint-Esprit. Cette solution ne peut, en vérité, être dite nouvelle. Nous avons vu combien est récente, dans la liturgie romaine, l’introduction du rite de la porrection des instruments. Cette introduction ne s’est pas faite tout d’un coup, ni par mesure législative, mais petit à petit et par des initiatives privées. On ignore même qui en eut la première idée. On ne cite aucun acte conciliaire, aucun décret papal dans ce sens. Les évêques du Moyen Age, qui exerçaient sur les livres liturgiques de leurs Églises respectives un pouvoir très réel, apprécièrent la beauté expressive de ce rite et voulurent en faire bénéficier leurs fidèles. Ainsi gagna-t-il de proche en proche, jusqu’au jour où l’usage, devenu presque universel dans l'Église latine, produisit, aux yeux de certains observateurs, l’illusion d’une haute antiquité ; cf. A. d’Alès, Recherches de science

relig., 1919, p. 125. Au xe siècle, on ne trouve pas encore trace de la tradition des instruments chez les liturgistes latins, Réginon de Prùm, Atton de Verceil, Gerbert (Sylvestre II), pas plus que chez le Grec Siméon Métaphraste. Au xie siècle, c’est encore la seule imposition des mains qui constitue le rite de l’ordination.aux yeux de Gérard de Cambrai, de saint Pierre Damien, d’Alexandre II, du bienheureux Urbain II, du canoniste Burchard de Worms ; cf. ci-dessus. Au xiie siècle, si d’autres auteurs parlent déjà de la tradition des instruments, Honoré d’Autun, Richard, archevêque de Cantorbéry, Pierre le Chantre, Hugues, archevêque de Rouen, ne font encore allusion qu'à l’imposition des mains. Comme canoniste, saint Yves de Chartres s’attache au rite de l’imposition des mains ; et, comme prédicateur, il explique le symbolisme de la porrection des instruments.

On a vu (col. 1293) combien récente est l’introduction dans le pontifical de la seconde imposition des mains, avec la formule : Accipe Spiritum Sanctum ; quorum… Il ne peut donc être question dans cette sixième opinion que de la première imposition, par laquelle, l'évêque, après avoir touché d’abord en silence la tête de l’ordinand, tient la main droite étendue au-dessus de lui, en récitant la formule : Oremus, fratres carissimi… Au xme siècle, le cardinal van Rossum pense trouver déjà cette opinion enseignée par saint Bonaventure, et Pierre de Tarentaise, dans leurs commentaires sur les Sentences, t. IV, dist. XXIV. Il semblerait plutôt que l’un et l’autre dussent être rattachés à la première opinion. Saint Bonaventure rejette l’hypothèse d’une ordination faite par l’onction, mais il paraît assimiler complètement l’imposition des mains à la tradition des instruments, hoc. cit., part. II, a. 1, q. iv, conclusio. Van Rossum cite également, de la même époque : Guillaume d’Auxerre († 1232), In IV am Sent., tract. VIII, a. 1 ; Guillaume d’Auvergne, évêque de Paris († 1249), De sacramento ordinis, c. ii ; Hugues de Strasbourg, O. P. (vers 1280), Brève tolius theol. verit. compendium, t. VI, c. xxxvi. Aux xive et xve siècles, cette opinion subit une éclipse presque complète sous l’influence des causes qui préparèrent le décret de Florence pour les Arméniens. Mais, au xvie siècle, on commence à la retrouver dans les milieux les plus divers : Henri VIII la propose, dans sa défense des sacrements contre Luther (1521), Assertio septem sacram. adv. Mart. Lulhcrum, de sacramento ordinis ; Fisher, évêque de Rochester, la retient dans son livre, dont le titre exact est : Assertionum régis Angliæ de fide catholica adversus Lutheri babylonicam captivitatem de/ensio, c.xii, § 3-7. Parmi les théologiens et controversistes catholiques qui l’ont défendue, citons, parmi les nombreux auteurs dont van Rossum a dressé la liste : Jean Eck († 1543), Enchiridion locorum commnnium, c. vu ; Pierre Soto, O. P. († 1563), Tract, de institut, sacerdot. : de ordine, lecl. iv et v ; le card. Hosius († 1579). Confessio calh. fidei, t. i, c. lui ; S. Pierre Canisius, S. J. († 1597), Opus catech. de sacram. ordinis, q. i, iii, v ; François Suarez, S. J, (aillant qu’on peut le déduire de sa théorie générale des sacrements), De sacramentis, disp. II, sect. iii, disp. XXXIII, sect. iv ; Becanus, S. J. († 1624), De sacramentis, c. xxvi, q. iv ; Pierre Coton, S. J. († 1626), Instilutio catholica, t. III, de sacramento ordinis, c. lvii ; Arcudius († 1632), De concordia Ecclesiie orienlalis et occidenlalis in septem sacram., t. VI, c. vu (malgré des hésitations à cause du décret d’Eugène IV ; cf. c. iv, vi, vu) ; Hugues Ménard, O. S. B. († 1644), dans ses notes au sacramentaire grégorien, P. L., t. lxxviii, col. 491 ; Petau, S. J.

(† 1652), De ecclesiastica hierarchia, t. II, c. vi, n. 13 ; J. Goar, O. P. († 1053), dans ses notes à l’ordination du diacre, dans l'édition de VEuchologion sii’e riluale GrsECorum, Paris, 1647 ; Jean Morin, oratorien († 1659), De sacris ordinalionibus…, part. III, exerc. 7, c. i, n, v ; Contenson, O. P. († 1674), Theol. mentis et cordis, t. II, part. IV, diss. III, c. i, spec. 2 ; J.-B. Duhamel († 1706), Theol. speculativa et practica, tract. de ordine, diss. I, c. n ; Witasse († 1716), Tract, theol. de ordine, part. II, q. ii, a. 2 : L. Habert († 1718), Theol. dogm. et moral., part. I, c. vu. q. v ; Huet († 1721), Qimstiones Alnetanœ…, t. II, c. xx, § 6 ; Noël Alexandre, O. P. († 1724), Theol. dogm. et moral., t. II, tract, de ordine, c. i, a. 7 ; cf. a. 2, § 2 : Juenin, de l’Oratoire († 1727), Comment, hist. et dogm. de sacramentis, diss. IX, q. ni, c. n ; cf. q. iv, c. ii, n. 3 ; Martène, O. S. B. († 1739), De antiq. Ecclesix ritibus, t. I, c. viii, a. 9, n. 16, 17, 18 ; Drouin, O. P. († 1742), De rc sacramentaria…, t. VIII, q.m ; Concilia, O. P. († 1756), Théologiesdissert. ii, De sacramento ordinis, c. iii, n. 4 ; Thomas de Charmes († 1765), Theol. universa, de sacram. ordinis, c. iii, § 2 ; Berit <f 1766), De theol. disciplinis, t. XXXVI, c. xii ; Pierre Collet († 1770), Institut, theol., tract, de ordine, c. v, § 3, q. n : Chardon, O. S. B. († 1771), Histoire des sacrements…, de l’ordre, t. I, c. ix, dans le Cursus de Migne, t. xx ; S. Alphonse de Liguori (1787), Theol. moralis, t. VI, n. 749. Pour ne pas allonger cette liste déjà trop considérable, nous dirons qu’au xixe siècle, cette opinion règne dans toutes les écoles ; on la retrouve chez Bouvier, Gousset, Gury, Perrone, de Augustinis, Ballerini, Franzelin, Clément Marc, d’Annibale, Sasse, Palmieri, Gasparri, Vives, Lemhkuhl, Aertnys, Bucceroni, Genicot, Herrmann, Gihr, Wernz, Jus decrelalium, ii, n. 50, Christian Pesch, qui écrit fort exactement : Recentiorcs, vix non omnes hanc sententiam amplectuntur.

Les arguments sur lesquels s’appuie cette opinion sont connus : c’est, avant tout et presque uniquement, l’argument historique et traditionnel, les textes scripturaires, les assertions patristiques, l'étude du développement du rituel, que nous avons ici même exposé. On fait valoir notamment que, même en Occident, les conciles qui ont eu à parler de l’ordination, ont fait mention expresse de l’imposition des mains comme rite essentiel : conciles de Séville II (619), c. v ; de Tolède IV (633), c. xxvin ; de Metz (845), can. 44 ; de Cologne (1536), De minière episcopali, part. I, et ci ; de Mayence (1549), c. xxxv, et enfin de Trente, sess. xiv, c. ni, De extrema unctione ; cf. sess. xxiii, c. iii, l’allusion à II Tim., i, 6. Voir van Rossum, op. cit.. n. 212-219.

Les objections qu’on peut faire à cette opinion se résument en deux points. — Premièrement, il semblerait qu’Innocent III et Grégoire IX considèrent l’imposition des mains comme purement accidentelle, puisque, en cas d’omission, ils demandent simplement, non qu’on réitère l’ordination, mais qu’on supplée, à une nouvelle ordination, à l’imposition des mains omise. Decrelalium, t. I, tit. xvi, c. ni et c. i. Voir le texte de Grégoire IX dans Cavallera, Thésaurus, n. 1314. Mais il faut répondre que l’expression : suppléer marque ici qu’il ne s’agit pas de réitérer le sacrement ; la pensée pontificale pourrait même être facilement interprétée en faveur de l’opinion qu’on défend dans le sixième système, puisque Grégoire IX dit expressément : Quodsi omissum juerit, non est aliqualenus iterandum, sed statuto tempore ad hujusmodi ordines conferendos caute supplendum… Cf. Pesch, op. cit., n. 627. — En second lieu, l’objection tirée du concile de Florence. On a vu plus haut comment la résout le cardinal van Rossum. En général, les théologiens partisans de son

opinion sont plus accommodants. Benoît XIV s’exprime ainsi : Necesse est igitur falcri Eugenium locutum de materia et forma intégrante et accessoria, quam optavit ab Armenis superaddi manuum impositioni jam diu ab Mis adhibiliv, ut Ecclesiæ latinse moribus se. accommodarent ac rituum uniformilate firmius eidem adhérèrent. De sijn., t. VIII, c. x, n. 8 ; Denz.-Bannw., n. 701, note. Le P. Pesch trouve même dans le concile de Florence une confirmation de la thèse qu’il défend. Le fait que Grégoire X au concile de Lyon, qu’Eugène IV à Florence et, plus tard, Clément VIII, aient admis des évêques orientaux, consacrés par la seule imposition des mains, montre bien que ces papes considéraient ce rite comme le rite essentiel de l’ordination. Il est donc impossible que le décret d’Eugène IV ait la signification et la portée doctrinale que certains théologiens (y compris le cardinal van Rossum) veulent lui donner. Eugène IV n’a donc pas voulu définir que la porrection des instruments était un rite nécessaire à la va’idité du sacrement ; c’eût été déclarer invalide ce qui jusqu’alors avait été considéré comme valide ; c’eût été déclarer équivalemment que l'Église peut modifier la substance même des sacrements ; c’eût été, à l’occasion d’un décret rendu pour les seuls Arméniens, apporter une modification à la discipline de l'Église universelle, et aucune indication n’existe d’une telle volonté pontificale ; enfin ce serait logiquement admettre que l’imposition des mains n’est plus un rite essentiel, puisque le pape n’en parle pas. hoc. cit., n. 628. Et Pesch conclut en rapportant les paroles, de Benoît XIV, citées plus haut.

Nous avons vu le P. Galtier aller jusqu’au bout des conséquences que le P. Pesch se refuse à admettre. Tout cela prouve la grande confusion dans laquelle la théologie, surtout depuis le concile de Florence, se trouve par rapport à l’essence du sacrement de l’ordre.

2. Essai de solution. — Aucune conclusion ferme ne saurait être donnée. Cependant, s’il était permis d’exprimer ici une opinion, nous nous rallierons volontiers à la sixième opinion, qui a pour elle l’appui et la confirmation de l’histoire. Il convient cependant d’y apporter certaines explications, rendues nécessaires par le décret d’Eugène IV dont nous entendons, nonobstant la haute autorité du cardinal van Rossum, maintenir, avec la valeur doctrinale, la valeur objective au point de vue de la vérité catholique. Ces explications, personne ne les a mieux formulées et avec plus de nuances que le P. d’Alès dans son étude sur le livre du cardinal van Rossum, L’essence du sacrement de l’ordre, dans les Recherches de science religieuse, 1919, p. 132 sq.

On a vu comment le cardinal Van Rossum menait jusqu’au bout d’une logique pleine de rigueur les conclusions qu’on devait, selon lui, tirer de la déclaration dogmatique qu’il trouve dans le décret d’Eugène IV. Le P. d’Alès fait observer que de telles conclusions seraient exactes, « s’il était possible de parler de l’essence du sacrement comme d’une grandeur immuable et parfaitement définie, non seulement quant à l’intention du Christ, d’où elle procède, mais dans toutes les conditions concrètes de sa réalisation… Selon la tradition de l'Église, il faut maintenir que le Christ a déterminé, immédiatement et par lui-même, les éléments essentiels de chaque sacrement : à cette condition seulement, il peut en être dit, au sens strict, l’auteur. Une intention du Christ, complètement indistincte, abandonnant tout à l’initiative de l'Église, quant au nombre et à l’espèce, ne répond pas à l’idée du sacrement chrétien. L’essence de chaque sacrement est définie par l’intention expresse du Christ. Mais, d’autre part,

il ne faut pas perdre de vue que l’objet matériel de cette intention du Christ possède nécessairement une certaine amplitude. Cette amplitude ne peut-elle comprendre des rites aussi dissemblables matériellement que l’imposition des mains et la tradition des instruments ? A. priori, nous n’en savons rien ; a posteriori, certaines analogies suggèrent que ce n’est pas impossible. « Le nom d' « essence du sacrement » ne doit pas ici faire illusion ; car dès qu’on descend sur le terrain des réalisations concrètes, on se trouve en présence d’une véritable multiplicité. Donnons un exemple. Il a plu au Christ d’instituer le sacrement de baptême sous forme d’ablution faite avec de l’eau naturelle, en invoquant la Trinité. Absolument parlant, il aurait pu établir que le seul baptême valide serait le baptême conféré dans l’eau du Jourdain, comme le baptême que lui-même reçut des mains de Jean. De fait, l’amplitude de l’institution est plus grande : toute eau naturelle est propre au baptême : eau douce ou eau marine, eau de fleuve ou eau de pluie, eau froide ou eau tiède. Cela, nous le savons, nous ne pouvons le savoir que par la pratique et l’enseignement de l'Église, qualifiée pour nous dire que ces diversités secondaires ne touchent pas à l’essence du sacrement. On pourrait imaginer des raffinements semblables pour l’essence de tous les sacrements, sans en excepter l’eucharistie. L’institution requiert une certaine détermination de la matière et de la forme ; mais cette détermination a des bornes essentielles : elles ne descend pas nécessairement aux dernières distinctions imaginables, in ultima specie, èv àTÔfvw. Et c’est ici qu’intervient l'Église, interprète autorisée de la pensée du Christ. Je n’examine pas la question ultérieure de savoir si le ministère de l'Église est ici purement déclaratif, ou renferme l’exercice d’un pouvoir effectif de détermination. L’essentiel est qu’il convoie jusqu'à nous la pensée authentique du Christ. « La notion d’essence d’un sacrement, que ce soit l’ordre ou tout autre, comporte donc nécessairement une certaine relativité : il appartient à l'Église, gardienne des sacrements, d’en fixer officiellement les bornes, et ces bornes ne sont pas nécessairement partout et toujours les mêmes à travers la diversité des temps et des lieux. Sera valide le sacrement déclaré tel par l'Église, à laquelle appartient l’appréciation des conditions concrètes et. de leur conformité à l’institution du Christ. Cette appréciation peut, dans une certaine mesure, varier selon les temps et les lieux… f.e sacrement de l’ordre n’est pas le seul à propos duquel nous soyons amenés à la formuler. On a cité l’exemple du sacrement de mariage, et l’exemple peut ne pas paraître décisif, car, si l’appréciation de la validité du contrat matrimonial relève du jugement de l'Église, il reste vrai qu’il y a mariage là seulement où il y a contrat valide entre les époux. Néanmoins, on pourrait représenter que les mêmes actes matériellement, les mêmes consentements échangés, auront ou non la valeur d’un sacrement selon qu’ils réaliseront ou non les conditions de validité posées par l'Église. Et donc, il appartient à l'Église de déterminer, en dernière analyse, les conditions concrètes de l’existence du sacrement. On aurait pu citer l’exemple du sacrement d’extrème-onctibn, pour lequel se présente une diversité non dépourvue d’analogie avec celle du sacrement de l’ordre. Le décret aux Arméniens assigne, comme matière de l’extrêmeonction l’huile bénite par l'évêque : or, les prêtres grecs l’administrent couramment avec une huile dépourvue de bénédiction épiscopale. Le décret aux Arméniens assigne encore, comme matière du sacre ment de confirmation, le chrême bénit par l'évêque. L’onction, aujourd’hui tenue pour essentielle, l’a-t-elle toujours été ? C’est extrêmement douteux. Nous voyons, dans les Actes des Apôtres, saint Pierre et saint Jean confirmer les fidèles de Samarie par l’imposition des mains ; nous retrouvons la confirmation à Éphèse. Il n’est fait nulle mention d’une onction quelconque. Et cependant personne ne doute que le sacrement de confirmation ne fût dès lors dans l'Église ce qu’il est encore de nos jours. Il faut donc nécessairement admettre quelque amplitude laissée à l'Église dans la détermination de ce qui constitue l’essence du sacrement. « Je ne veux pas faire état d’une concession consentie par saint Thomas à l’argumentation qui prétendait trouver dans les Actes des Apôtres la trace d’un baptême conféré « au nom du Seigneur Jésus », sans la formule trinitaire prescrite au dernier chapitre de saint Matthieu. Cette argumentation partait, sans doute, d’un faux supposé… ; mais ce qu’if faut observer, c’est la réponse de saint Thomas. Devant cette difficulté pressante, il ne craint pas de faire appel à l’hypothèse d’une dispense temporaire accordée par le Seigneur, Sum. theol., III a, q. lxvi, a. 6, ad lum, et en vertu de laquelle les apôtres auraient baptisé d’abord sans l’invocation de la Trinité. En recourant à cette hypothèse, le docteur angélique ne croit pas faire brèche au principe de l’unité du baptême chrétien. C’est pourtant une brèche considérable à l’essence du baptême, non seulement selon la lettre du décret aux Arméniens, maisselon la définition dn concile de Trente. Saint Thomas était donc disposé, pour faire face à l’objection, à reconnaître à l’essence du sacrement plus d’amplitude que ne lui en accorde présentement l'Église. « Ces considérations nous paraissent frayer la voie à une conception de l’essence du sacrement un peu plus élastique que celle dont le cardinal van Hossum s’est fait l’avocat avec tant de science et d’autorité. Le concile de Trente, en affirmant le pouvoir de l'Église sur les sacrements, a pris soin de déclarer que ce pouvoir n’en saurait toucher la substance. Sess. xxi, c. ii. Déclaration fondamentale, qu’il ne faut pas perdre de vue, mais dont l’interprétation exige beaucoup de circonspection. La substance — ou l’essence — du sacrement n’est déterminée que par l’intention du Christ, et l’on vient de voir que sous ce mot « essence du sacrement », une équivoque peut se glisser si, au lieu de s’en tenir à l’intention du Christ, on descend sur le terrain des réalisations concrètes… Théoriquement au moins, il ne répugne pas que certains rites, homologués par l'Église, constituent, relativement à certains temps et à certains lieux, l’essence du sacrement, tandis que d’autres rites, également homologués par l'Église, constitueront cette essence relativement à d’autres temps et à d’autres lieux. Cette conclusion n’est point particulière à une école ; elle rallie la grande majorité des théologiens depuis le concile de Florence, et parmi eux, plusieurs de ceux qui ont le plus contribué à promouvoir la doctrine de l’imposition des mains, rite unique de l’ordination sacerdotale (par exemple, Jean Morin, Commentarius…, part. III, exerc. 7, c. vi. n. 2). Elle nous paraît renfermer la seule justification possible de l’indulgence témoignée par l'Église aux doctrines, autrement irréconciliables, qui se font concurrence quant au sacrement de l’ordre. Effectivement irréconciliables au point de vue de la matière et de la forme entendues au sens le plus matériel, ces doctrines pourraient se réconcilier dans l’unité supérieure de l’institution du Christ ». Cf. S. Harent, La part de l'Églisedans la détermination du rite sacramentel, dans les

Études, t. i. xxiii. p. 315-336. On se souviendra d’ailleurs de la glose d’Innocent IV : De ritu apostolico invenitur in epistola ad Timotheum, quod manus imponebant ordinandis, et quod orationes fundebant super eos. Aliam autem formam non invenimus ab eis servatam. Unde credimus quod nisi essent formiv postea inventa ?, sufficeret ordinatori dicere : « Sis sacerdos » vel alia wquipollentia verba. Sed, subsequentibus temporibus, formas quæ servantur Ecclesia ordinavit. In cap. Presbuter. Apparalus super Y libros Decretalium, Milan, 1505, ꝟ. 40 v°.

Sur l’essence du sacrement de l’ordre, on consultera Gravina, O. P., Pro sacrosancto ordinis sacramento vindieiæ orthodoxiu, Naples, 1634 ; J. Pons, S. J., Disscrtatio hisloricodogmatica de materia et forma sacres ordinationis, Bologne, 1775 ; dom Chardon, Histoire des sacrements… De l’ordre, dans Migne, Cursus theologicus, t. xx ; Merlin, S. J., Traitéhistorique et dogmatique sur les paroles ou les formes des sept sacrements de l'Église, dans Migne, id., t. xxi ; Arcudius, De amcordantia Ecclesiæ occidentalis et orientalis in seplem sacramentorum administratione, Paris, 1626 ;.1. Morin, Commentarius historicus et dogmaticus de sacris ordinationibus, Paris, 1655 ; van Rossum, De essentia sacramenti ordinis disquisitio historieo-theologica, Fribourg-en-B., 1914 ; A. d’Alês, art. Ordination, dans le Dict. apol., t. iii, col. 1143, et les articles cités au cours du paragraphe, relatifs au décret d’Eugène IV et au pouvoir de l'Église dans la détermination du rite sacramentel (Harent, de Guibert, Galtier, Ami du clergé, Quéra), ainsi que l’article du P. Hannssens concernant La forme sacramentelle dans les ordinations sacerdotales de rit grec, dans Gregorianum. 1924 (2) ; 1925 (1).