Dictionnaire de théologie catholique/PÉCHÉ ORIGINEL. I. Le péché originel dans l'écriture

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 12.1 : PAUL Ier - PHILOPALDp. 145-166).

se perdre en considérant attentivement les propriétés du fruit : « Et la femme vit que l’arbre était bon à manger, et qu’il était agréable à la vue et désirable pour l’intelligence ; et elle prit de son fruit et elle en donna aussi à son mari près d’elle, et il en mangea. » m, 6.

3. La chute et ses conséquences.

Ainsi, la désobéissance suggérée par le serpent, commencée par Eve, est consommée par Adam qui succombe à l’invitation de sa femme. Le péché du premier couple consiste dans la poursuite, malgré l’ordre de Dieu, de cette chose spirituelle qui est la connaissance du bien et du mal pour ressembler à Dieu.

Les fruits en sont amers : les yeux des coupables s’ouvrent non pour leur faire prendre connaissance d’un progrès vers lequel ils aspiraient, que leur promettait le serpent, mais pour leur faire douloureusement expérimenter ce qu’ils ont perdu : « Leurs yeux à tous deux s’ouvrirent, et ils reconnurent qu’ils étaient nus, et, ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures. » iii, 17.

Ainsi, le sentiment de la pudeur naît avec le péché : ils remarquent leur nudité, parce que la concupiscence s’est éveillée en eux ; ils en sentent désormais l’inconvenance ; voilà pourquoi ils se font des ceintures pour la couvrir et se cachent pour ne point se présenter en cet état devant le regard de Dieu. Ils en arrivent ainsi à confesser involontairement leur faute, tout en l’excusant : « Alors ils entendirent la voix de Dieu passant dans le jardin à la brise du jour, et l’homme et la femme se cachèrent de devant Jahweh au milieu des arbres du jardin. Mais Jahweh appela l’homme et lui dit : Où es-tu ? Il répondit : J’ai entendu ta voix dans le jardin et j’ai eu peur, car je suis nu ; et je me suis caché. Et Jahweh lui dit : Qui t’a appris que tu es nu ? Est-ce que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais défendu de manger ? L’homme répondit : La femme que vous avez mise avec moi m’a donné du fruit de l’arbre et j’en ai mangé. Jahweh dit à la femme : Pourquoi as-tu fais cela ? La femme répondit : Le serpent m’a trompée et j’en ai mangé. » iii, 8-13.

La cause ainsi instruite par l’aveu des coupable*.. Dieu, le juste juge, va répartir les punitions ; il prononce la sentence. C’est la morale de l’histoire du premier péché : elle est à longue portée et explique un état de chose durable.

Voici la punition du serpent tentateur : < Parce que l ii as fait cela, tu es maudit parmi les animaux dômes tiques et toutes les lièles (les champs ; tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras la poussière tous les jours de ta vie. Et je met I rai une inimit ié entre toi e( la femme, entre ta postérité et sa postérité ; celle-ci te meurtrira la tête et tu la meurtriras au talon, III, 14-15.

A s’en tenir au sens obvie du. 1 I. la punition I viser surtout le serpent, l’animal le plus rusé des champs. Elle le maudit entre tous les animaux domestiques ; elle l’atteint dans son corps qui paraît subir une transformation dans sa nature. Cependanl le t. 15 loi-même, envisagé dans le récit d’une haute portée morale auquel il appartient et dans la lumière rie la révélation postérieure, nous invite à penser que la punition s’adresse aussi au mystérieux tentateur qui se cache sous la forme du serpent. En punition de son altitude a l’égard de la femme, Jahweh va mettre une inimitié entre lui et Eve, entre sa postérité el Celle « le la fetnme ; mais celle lutte morale | minera par la défaite du séducteur et d Jahweh le laisse entendre en annonçant que la i rite de la femme aura le dessus dans cette lutte Inces santé, puisqu’elle écrasera la tête du serpent La femme sera punie dans i, qui hn, -sl I, plus intime. dans sa qualité d’épouse et de mèn U multiplierai tes souffrances et spécialement celles de ta grossesse ; tu enfanteras tes fils dans la douleur ; ton désir te portera vers ton mari et il dominera sur toi. ni, 13-16.

Enfin, c’est une vie de travail, de souffrances pénibles, avec, comme perspective finale, la mort, qui est annoncée à l’homme : « Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé du fruit dont je t’avais dit : tu n’en mangeras point, maudit soit le sol à cause de toi. Tu en mangeras dans la peine tous les jours de ta vie. Il germera pour toi des ronces et des épines, et tu mangeras les plantes des champs. Tu mangeras du pain à la sueur de ton front, jusqu’à ce que tu retournes au sol dont tu as été tiré, car tu es poussière et tu retourneras en poussière. » ni, 17-1’J.

La mort, remarque J.-M. Lagrange, est représentée ici à la fois comme naturelle à l’homme à cause de son corps, et comme une pénalité qui ne l’aurait pas atteint s’il était resté dans l’amitié de Dieu. Art. cit., p. 356. Il en est de même du travail qui était naturel à l’homme, et facile avant la chute, ii, 15, et qui devient pénible.

Dieu, malgré la malédiction qu’il fait peser sur Adam et Eve, ne les abandonne point cependant et les enveloppe de sa sollicitude paternelle ; il pourvoit à leurs premières nécessités : à celle du vêtement. « Et Jahweh fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et il les en revêtit. » iii, 23.

Mais le paradis n’était plus le séjour qui convenait à l’homme coupable ; il en est chassé, et avec lui tous les hommes sont écartés de l’arbre de vie qui fait les immortels. « Et Jahweh dit : « Voici que l’homme est « devenu comme l’un de nous par la connaissance du « bien et du mal. Maintenant, qu’il n’avance pas la « main ; qu’il ne prenne pas aussi de l’arbre dévie pour « en manger et vivre éternellement ! » Et Jahweh le lit sortir du paradis terrestre pour qu’il cultivât la terre d’où il avait été pris. Et il chassa l’homme, et il mit à l’orient du jardin de l’Éden les chérubins et la flamme de l’épée tournoyante, pour y garder le chemin de l’arbre de vie. » iii, 22-24.

Ces paroles font prendre à l’homme conscience de son aventure tragique. Loin d’être devenu semblable à Dieu par le péché, il a tout simplement senti sa nudité : loin de devenir immortel comme Dieu, il est chassé loin de l’arbre de vie. Passé le rêve d’orgueil que le serpent lui a fait faire, en lui disant : vous serez comme des dieux ! La réalité c’est la vie pénible loin de 1)ieu et la mort.

I.e bonheur de l’Éden est perdu définitivement pour le premier couple et ses descendants. Ceux-ci portent la peine de la faute d’Adam et d’Eve et naissent dans l’état inférieur qui a succédé à l’état d’innocence : privation de la familiarité divine, concupiscence, souffrance et mort. La parole juste et puissante de Jahweh est enga(

Caractère spécial du récit. Faut-il nous en tenir a la surface simple et populaire du récit, telle que nous venons de l’analyser, prendre tout à la lettre, jusqu’aux derniers détails, ou n’y VOir qu’une pure allégorie, ou bien y reconnaître un noyau de faits religieux bistoriques, présentés d’une manière populaire et parfois symboliqi dépend d’une part du caractère littéraire, d’autre pari de la portée do tique qu’il tant reconnaître au récit de la chute. Sur le caractère spécial de ce récit on discute depuis longtemps. Phllon déjà n’en n’acceptait point intégralement la valeur historique, il n’ignore pas l’opinion qui prend au pied de la lettre le récit siaque, mais, pour lui, il ne saurait y voli que dis sions figurées, qui in itent a cherche) la siynilication allégorique. Cf. Frey, L’état originel et la chute <ir l’homme <ï<n onceptions fuit i s <m ten tps de Jésus-Christ, dans Revue des sciences philos, et théoi, 1911, p. 527 et 515.

Les alexandrins, surtout Origène, le suivirent. Saint Augustin distingue trois modes d’interprétation courante, à son époque, de ce récit : Una eorum qui tantiimmodo corporaliter pàradiswn intelligi volunt ; alia eorum qui spirituatilcr tantvun ; lerlia eorum qui utroque modo paradisum accipiunl, alias corporaliter, alias autem spirilualiter. Rrcviter ego ut dicam, tertiam mihi fateor placcre sententiam. De Genesi ad litt., VIII, i, 1, P. L., t. xxxiv, col. 371.

Plus près de nous, dom Calmet, sur ce point, fait cette remarque : « La manière dont Moïse raconte cette histoire de la chute de nos premiers parents est tout à l’ait remarquable. Il se sert d’expressions figurées et énigmatiques, et il cache sous une espèce de parabole le récit d’une chose très réelle, et d’une histoire la plus sérieuse et la plus importante qui fût jamais. » Commentaire littéral, t. i, 2 9 édit., Paris, 1724, p. 34.

Ce sera un des mérites de l’histoire et de l’exégèse contemporaine d’avoir précisé le genre si spécial de ce récit. Voir J.-M. Lagrange, art. cité, et La méthode historique : L’histoire primitive, p. 182-220 ; J. Feldmann, Parodies und Sùndenfall : Der Sinn der biblischen Erzàhlung nach der Aufjassung der Exégèse und unter Berilcksichtigung der ausserbiblischen Ueberlieferungen, Munster, 1913, p. 575-605 ; Nikel, Die biblische Urgeschichte, Munster, 1909 ; Gôttesberger, Adam und Eva, Munster, 1910. Cf. H. Lesêtre, La Commission biblique : les trois premiers chapitres de la Genèse, dans Revue pratique d’apol., 1910, 1 er mars, p. 834-841 ; 1° avril, p. 7-13 ; 15 avril, p. 110-115 : Hugueny, Adam et le péché originel, dans Revue thomiste, janvier-février 1911, p. 64-88, etc.

1. C’est une histoire d’un genre tout spécial, qui n’est pas semblable à celle des Rois, par exemple, écrite d’après des archives.

On peut le déduire déjà de la façon dont s’exprime l’auteur, en particulier sur Dieu, sur le serpent, sur l’arbre de vie et sur l’arbre de la science du bien et du mal.

Point n’est besoin d’insister sur les anthropomorphismes ; ils ont été soulignés depuis longtemps. Tandis que, dans le premier récit de la création, Gen., i. 1-n 4 a, Dieu agit spirituellement par sa parole, ici il exerce physiquement son action à la façon d’un homme : il prend de la poussière pour modeler sa créature, comme un potier ; il souffle dans les narines de celle-ci le souffle de vie ; plante les arbres de l’Éden : prend une des côtes d’Adam, referme ensuite la plaie ainsi ouverte ; se promène à la brise du soir…, etc.

Non moins énigmatique est la façon étrange dont le serpent est mis en scène : c’est l’animal le plus rusé des champs, et cependant il se montre supérieur à l’homme ; il parle et cependant il est puni comme un animal, dans son corps, pour s’être fait tentateur.

Les deux arbres qui produisent, l’un la science du bien et du mal, l’autre l’immortalité, posent aussi des problèmes. « Il est difficile de penser que l’auteur, intelligence si profonde, nous donne comme des faits historiques réels, des circonstances enveloppées par lui-même de mystère et d’impossibilité. » Lagrange, art. cité, p. 368. En agissant ainsi, ne nous met-il pas lui-même, par certaines expressions, sur la voie d’une interprétation symbolique ?

L’immensité du temps, qui sépare du fait de la chute l’auteur inspiré qui nous en transmet le récit, ne milite-t-elle point dans le même sens ? Entre le fait et l’auteur qui nous le raconte, il y a l’âme de combien de générations pour nous en transmettre le souvenir ? L’humanité est très ancienne, le peuple hébreu relativement jeune. Le souvenir a dû vivre sous une forme très concrète, très populaire, très imagée, adaptée à la mesure de l’âme de ceux qui le recevaient avant d’arriver jusqu’à l’auteur qui, sous l’inspiration, devait le recueillir.

Sans doute l’auteur inspiré l’a-t-il épuré ; mais il ne lui a vraisemblablement laissé que le genre d’historicité spéciale que comportait une tradition populaire ainsi transmise.

C’est donc à une comparaison du récit de la Genèse avec des récits de forme similaire, transmis par des peuples de même degré de culture, qu’il faudra demander quelque lumière pour éclairer le caractère littéraire de ces pages difficiles. Ce genre, remarque Feldmann, op. cit., p. 574 sq., « comporte ordinairement un fond de vérités historiques, présentées d’une manière plus ou moins poétique et parabolique ».

Loin de nous de prétendre que le récit biblique de la chute a trouvé son explication adéquate dans des récits babyloniens : ce serait aussi erroné dogmatiquement que critiquement. « On ne peut conclure à une dépendance littéraire entre le récit de la Genèse et des récits de nous connus. Cependant, si nulle part on ne retrouve une trace de ce qui fait l’esprit du récit de la Genèse (la félicité perdue par la faute de l’homme), on se meut dans le monde sémitique, dans le même cercle de symboles : séjour délicieux des dieux, arbres sacrés de la vie ou de la science, pouvoir merveilleux du serpent. » Lagrange, art. cité, p. 377. Rien ne nous interdit, dans cette perspective, de penser que Dieu, dans le mode de révélation, a tenu compte du milieu auquel il s’adressait : « Nous ne trouvons pas indigne de Dieu de nous enseigner cette vérité d’une manière très simple, avec les traits que l’imagination populaire se transmet, et dont l’auteur inspiré s’est servi comme de symboles. » Ibid., p. 379.

2. Ce n’est point une allégorie pure, mais le récit d’un fait réel présenté sous une forme plus ou moins métaphorique. —

Déjà le ton de l’auteur nous inviterait à reconnaître au récit un sens historique : l’analogie de la foi, d’ailleurs, nous oblige à l’admettre aussi.

L’historicité du fond du récit est fondée non seulement sur ce fait que les traditions populaires recouvrent parfois, sous une forme poétique, imaginative, un noyau de vérité historique, mais sur le caractère même de la Genèse et la dignité de son auteur. Tout le livre se présente comme un ouvrage d’histoire religieuse. Rien ne nous permet de dire que, dans la pensée de l’auteur, il débute par un conte. La place que l’on y donne au récit de la chute, au début de l’histoire sainte, nous laisse entendre que l’on y voit un fait gros de conséquences pour nos premiers parents, et qui éclaire la suite de l’histoire humaine. « L’auteur raconte une histoire à laquelle il croit : histoire très sérieuse pour lui, arrivée à deux personnes qui sont la souche du genre humain et dont les conséquences furent très fâcheuses. » Lagrange, p. 360.

Mais l’histoire que le jahwiste croyait vraie est-elle vraie de fait, ofîre-t-elle des garanties ? Il s’agit sans doute ici d’un fait psychologique et moral perdu dans la nuit des temps et que l’on ne trouve inscrit ni dans les entrailles de la terre, ni dans des archives contemporaines. Humainement parlant, sa transmission orale depuis les commencements du monde, aux yeux de la raison, est difficile à prouver : mais le théologien en appelle aux lumières de la révélai ion, à l’analogie de la foi, à l’inspiration qui garantit la vérité de l’Ecriture. La Genèse fait partie de cet ensemble de documents inspirés qui nous fait connaître le développement divin de l’histoire du salut. Dès que l’on admet dans l’histoire du monde l’exécution d’un plan providentiel, dès que l’on reconnaît au centre de cette histoire la venue du Fils de Dieu pour racheter le monde du

)éché, dès que l’on accepte l’inspiration des Écritures

du Xouveau Testament pour nous révéler le sens de l’événement central du salut, on ne s’étonne point que le surnaturel, qui apparaît en pleine histoire dans le fait du Christ, se retrouve aux origines dans l’élévation de l’homme à l’état d’innocence et la sanction de la chute, et que Dieu ait voulu consigner ses desseins sur l’humanité dans les récits de la Genèse et de l’Ancien Testament. « Si on croit que Dieu nous a révélé ce qu’il a prétendu faire en envoyant son Fils pour racheter le monde du péché, il est tout simple de croire aussi qu’il nous a révélé ce qu’était ce péché et quelles en étaient les conséquences. Pourtant, nous ne savons pas comment sa révélation s’est transmise depuis l’origine du monde… A nous, catholiques, l’Église garantit l’exégèse dogmatique et l’autorité de l’enseignement. » Lagrange, p. 378 ; cf. A. d’Alès, art. Homme, dans Dict, apol., t. ii, col. 461.

Rien d’étonnant à ce que la révélation de la chute nous soit transmise en termes accommodés à la mentalité des Hébreux, pour lesquels elle fut écrite tout d’abord ; à ce que son germe soit enveloppé dans la gaine des métaphores et des anthropomorphismes. A la lumière de l’épanouissement postérieur de la doctrine. la théologie saura discerner ce qui est élément fondamental, trait substantiel, objet d’enseignement divin, et ce qui est accessoire, figure et véhicule de la vérité. Cf. Labauche, Leçons de théologie dogmatique, t. n. L’homme, p. 29 sq.

L’Église a d’ailleurs eu l’occasion de préciser ce qui. dans ce récit, tient aux fondements du salut. Ainsi, depuis le concile de Trente, un catholique ne peut plus considérer le récit de la chute comme une allégorie pure ; il compromettrait le dogme de la chute personnelle d’Adam, qui fut alors l’objet d’une définition formelle. Denzinger-Bannwart, n. 788.

La Commission biblique (30 juin 1909) a donné des directives doctrinales sur le caractère historique des trois premiers chapitres de la Genèse : on ne peut révoquer en doute le sens littéral historique du récit là où il s’agit de faits qui touchent aux fondements de la religion chrétienne, comme sont, entre autres, l’unité du genre humain, la félicité de nos premiers parents dans cet état de justice, d’intégrité, d’immortalité, le précepte donné par Dieu à l’homme pour éprouver son obéissance, la transgression de l’ordre divin, sous l’instigation du diable caché sous les apparences du serpent, la déchéance de nos premiers parents de cet état primitif d’innocence, la promesse d’un rédempteur futur. Mais, dans ces limites, elle autorise formellement à ne pas prendre au sens propre tous et chacun des mots et des phrases, lorsqu’il appert que ces locutions sont employées dans un sens manifestement impropre, métaphorique ou anthropomorphique, et que la raison défend de s’en tenir au sens propre, ou que la nécessité force de l’abandonner. Denzinger-Bannwart, n. 2123-2125.

Ainsi l’Église, écho et interprète de la tradition catholique, reconnaît-elle une certaine liberté à ses théologiens dans l’interprétation du récit de la chute A rqui admet le fait de la chute, il n’y a point lieu d’imposer la stricte acceptation des moindres détails de ce récit. Cf. J. Rivière, art. Péché originel, dans Dict prnl. des connaiss. relig., t. v, col. 409.

Interprétation du récit.

Elle se fait d’après des critères objectifs : les uns dogmatiques (interprétation par la révélation postérieure du récit de la Genèse, ions de rftf4li.se ci-dessus rappelées), les autre ! historiques. L’étude du développement de la révélation nous dira ce qu’est devenu, dans les Livres du Nouveau Testament, l’enseignement divin ébauché au c. ni de la Geni te Pour l’instant, précisons a quels résultats sont arrives, en Utilisant surtout les ics sources de l’exégèse > ! de l’histoire comparative, les’nts catholiques contemporains.

Le P, Lagrange, en faisant l’analyse dei élément) substantiels du récit (p. 361), est frappé de deux choses : la parfaite conformité de cet enseignement avec le dogme catholique, et l’absence de lien nécessaire entre cet enseignement et certaines particularités du récit, qui lui servent pourtant de véhicule.

En tenant surtout compte d’une longue étude comparative des traditions populaires anciennes sur l’âge d’or et le péché chez les Babyloniens, les Égyptiens et les peuples primitifs d’une part, et le récit biblique d’autre part, Feldmann, op. cit., p. 484-491, 603, détermine ainsi le contenu essentiel du récit biblique :

1. A l’origine, l’homme menait une vie heureuse et innocente dans la familiarité divine, à l’abri de tout souci, destiné qu’il était à une vie immortelle. —

2. Tenté par une puissance mauvaise, il transgresse un commandement divin. — 3. La suite du péché fut l’éveil du sentiment de la pudeur et de la honte de la faute, les souffrances, les misères de la vie et une mort certaine. — 4. La mauvaise puissance qui ne doit pas cesser d’intriguer contre l’homme sera cependant dominée par le rejeton de la femme.

Si l’on doit reconnaître que le dogme d’une culpabilité originelle transmise n’est pas exprimé plus clairement dans le texte de la Genèse que dans la tradition des autres peuples, il faut remarquer cependant, dans ce texte, l’idée générale d’un changement acquis pour la race dans ses rapports avec Dieu. L’expulsion du paradis pèse sur le genre humain tout entier ; c’en est fait de l’intimité première. Dieu n’abandonne point cependant sa créature ; mais ce ne sont plus les rapports ordinaires de l’état d’innocence : les interventions divines apparaissent comme quelque chose d’extraordinaire.

Il faut insister ici sur quelques points fondamentaux de l’interprétation traditionnelle, particulièrement discutés à notre époque :

1. Ce récit est bien l’histoire d’une chute et non point une simple explication psychologique d’un progrès soit individuel, soit social de l’homme. — Selon une certaine école, il ne faudrait pas chercher ici une page de doctrine ou de morale, mais bien la première page de l’histoire du développement humain, l’explication mythique du progrès intellectuel de l’homme, qui ne comporte ni transgression, ni faute. Nous y trouverions l’histoire de l’ascension de l’homme de l’état sauvage à une plus haute culture, de la naïveté et de l’inexpérience enfantine aux régions du savoir.

C. Clemen a raconté l’histoire de cette exégèse, Die christliche Lehre von der Sùnde, Gœttingue, 1897. p. 109 sq. Elle a sa source dans la philosophie évolutionnistc qui applique à priori ses postulats à une paj>e qui est absolument conçue en dehors de telles idées Kant, Œuvres, éd. de l’Acad. de Berlin, t. viii, 1912, p. 109 sq., et Schiller, Œuvres, t. ix. Stuttgart, 1871. p. 125 sq., qui l’ont mise en vogue, reconnaissent que ce qui fut une chute, du point de vue de l’individu, devenait, du point de vue de l’espèce, un pas de géant dans la voie du progrès. Des exégètes de profession ont voulu fournir à leur tour une base historique à ces théories philosophiques. Ainsi Éd. Rcuss, L’histoire sainte et la loi, t. i, Strasbourg, 1879, p. 293 sq.

Selon lui, l’homme d’après le jahwiste, « ne connail ni le bien, ni le mal ; il ne sait pas qu’il est nu : il n’a donc même pas le sentiment de la pudeur. L’homm< est un enfant, car il n’y a que l’enfant, l’Age insouciant et inconscient, qu’on puisse reconnaître à ce portrait. Polnl de conscience, point de responsabilité, mais aussi point de sainteté, rien, absolument rien de ce que II ! théologiens 5 "ni vu… L’homme est heureux tant qu’il est enfant… Il mange du fruit de l’arbre 1 connaissance, aussitôt ses yeux sont détaillés, il a conscience de lui même… Il a perdu ion bonheur, cet état d’inconscience morale qui est si bien comparé dans la parabole à une espèce de cécité. Il voit devant lui la vie réelle avec ses dures conditions… En revanche, il a gagné immensément : il a conscience de lui-même ; il est en pleine possession de ses facultés et, à ce titre, il est devenu semblable à Dieu. Or, ceci n’est pas une chute, mais un progrès. Il l’achète cher, mais, tout considéré, il a gagné plus qu’il n’a perdu : il est devenu homme… Il ne serait donc pas du tout question de péché ? Nous répondons explicitement non. Malgré cela, on peut y trouver l’idée du péché : car, avec la conscience de lui-même, l’homme arrive à la conscience du péché… L’innocence n’existe qu’aussi longtemps que le jugement moral sommeille. La plus grande conséquence du réveil, c’est qu’on se sait en désaccord avec Dieu : il y a eu transgression. La liberté en amènera d’autres, et le paradis est perdu pour toujours. L’homme ne peut être à la fois libre et heureux. >

Gunkel a repris une interprétation semblable dans son commentaire sur la Genèse, Handkommentar zum A. T., Gœttingue, 1910, et l’a rendue classique dans les milieux du protestantisme libéral. Le récit génésiaque serait un mythe populaire, où l’auteur veut expliquer le bien comme le mal dans l’homme actuel : comment celui-ci est-il arrivé à l’état raisonnable qui le sépare de l’animal ? comment expliquer son triste sort ? Par la connaissance du bien et du mal. Toute la clef de l’interprétation est dans la signification de cette connaissance dont il est question, Gen., ii, 25, m, 7. Par le premier texte, l’état de l’homme heureux est caractérisé par ce fait qu’il ne connaît point la pudeur ; par le second, l’état nouveau est marqué par le fait qu’il la connaît. Dès que nos premiers parents eurent mangé du fruit défendu, ils eurent honte et se couvrirent : c’est que la connaissance obtenue consiste bien dans la conscience de la distinction des sexes. Ainsi, de même que le jahwiste avait caractérisé l’état spirituel d’enfance de nos premiers parents, par un des traits les plus saillants de la mentalité enfantine, de même il veut marquer leur nouvel état après la faute, l’état adulte, la réflexion, l’esprit, par l’un des traits psychologiques qui distingue cet état, le sentiment de la pudeur. Pourquoi donc Dieu a-t-il défendu à l’homme d’arriver à cet état adulte ? La raison, il faut la chercher dans ce fait que Dieu ne veut pas que l’homme lui soit semblable. L’homme doit rester à son rang, craindre Dieu, le servir, ne point convoiter de s’approcher de lui en lui ravissant son privilège. m, 22. En quoi a consisté la faute ? c’est vraisemblablement une faute de la nuit, une faute de la chair. L’homme a ainsi ravi à Dieu la connaissance du bien et du mal. Et par là, qu’ont obtenu Adam et Eve ? Ils croyaient atteindre les hauteurs divines de la science ; ils savent simplement qu’ils sont nus. La femme est punie dans sa vie de femme ; l’homme voit les champs maudits, d’où il doit tirer sa nourriture. Pais viendra la mort : elle est d’ailleurs selon la nature de l’homme qui est poussière. Nous trouvons là, pense Gunkel, l’idée antique des Hébreux selon laquelle la mort est le lot de l’humanité ; ce n’est que plus tard que l’on mettra dans le récit l’idée qui ne s’y trouve pas : la perte de l’immortalité. Quant au serpent, qui n’est qu’un animal, il est puni dans sa propre nature et voilà pourquoi il rampe.

Aussi, ce qui est fondamental dans ce récit, c’est l’explication du passage de l’état d’enfance à l’état adulte de liberté morale : c’est l’explication de ce fait actuel que l’homme possède sans doute la connaissance du bien et du mal, mais ne peut être à la fois heureux et libre. L’idée de la faute est secondaire ici : elle n’est introduite que pour expliquer comment l’homme est arrivé à la raison, tout en perdant son innocence naïve. Gunkel, p. 12-35.

Une telle exégèse est criticable dans ses omissions, ses exagérations, ses additions par rapport au texte sacré. Sans doute le mot « péché » ne se trouve point dans le texte ; le récit ne nous offre point une leçon théorique sur ce point. Mais il contient mieux que cela : l’idée de la chute dans ses antécédents, son développement et ses conséquences durables y est décrite en termes irrécusables. Bien plus, Gunkel est obligé de le concéder : nous y trouvons l’histoire typique du péché. Théologiens et prédicateurs l’ont fait remarquer depuis longtemps : « On ne peut lire les premiers chapitres de la Genèse sans y voir comme une histoire en raccourci de l’humanité… C’est l’homme avec ses tendances fondamentales : Adam et Eve, c’est le groupe conjugal ; le péché d’Adam et d’Eve, c’est l’histoire typique du péché ; leur frayeur, leurs excuses, c’est la psychologie du pécheur. » J.-V. Bainvcl, Xature cl surnaturel, p. 196.

Ne point vouloir reconnaître cette vérité qui saute aux yeux, ne faire qu’une place secondaire à l’idée de chute dans ce récit, c’est en méconnaître le trait fondamental qui est d’expliquer l’état actuel de l’homme par un péché. C’est bien de péché, de déchéance, qu’il faut parler ici. Parler d’évolution et de progrès, c’est transposer une philosophie d’aujourd’hui dans un de ces récits d’autrefois qui mettent au contraire l’âge d’or à l’origine.

2. Il s’agit bien ici d’un péché, mais non d’un péché d’enfant.

L’homme, tel qu’il est décrit dans notre récit, n’est pas de tout point semblable aux enfants : loin de là. L’analyse du sens obvie l’a montré : Adam se sait distinct des animaux ; il sait l’origine, la nature et le but de la vie conjugale : il comprend la défense divine ; il sait ce qu’est l’épreuve morale : il n’apparaît de ce fait nullement semblable à un enfant. L’intelligence sûre d’elle-même, adulte par conséquent, voilà ce que l’exégèse de Gunkel méconnaît en nos premiers parents.

A côté de ces différences primordiales, reconnaissons certaines ressemblances entre l’état d’innocence du premier homme et l’état d’enfance spirituelle. Le premier couple, quelles que soient par ailleurs ses connaissances sur l’état du mariage, se révèle dans notre document comme inexpérimenté, avec des yeux fermés aux choses des sens, comme les enfants. En face de la première tentation, du premier péché, il est naïf, crédule, imprudent ; il s’excuse comme l’enfant. Mais cette simplicité naïve n’implique aucune diminution de valeur spirituelle : ne la voyons-nous pas s’allier très bien chez des génies avec des conceptions profondes, et chez les peuples primitifs avec une grande pureté de mœurs ?

Enfin, le premier péché apporte au premier couple, comme à l’enfant, une connaissance, ou plutôt une expérience nouvelle. « une connaissance morale que Dieu avait interdite à l’homme. Pourtant, l’homme savait distinguer le bien et le mal, puisqu’il était placé dans une épreuve morale. Son innocence n’était pas celle de l’enfant qui ne sait rien, mais celle qui n’a pas goûté au mal. Il s’agit donc de la connaissance expérimentale qui fait éprouver, par une pénible constatation personnelle, la différence qu’il y a entre le bien et le mal. Connaître le mal expérimentalement, c’est l’avoir de quelque façon en soi-même. Cette connaissance, l’homme n’en n’avait pas besoin pour faire le bien, et Dieu souhaitait, en père très indulgent, qu’il ne l’acquit pas. La défense était donc une épreuve dans l’intérêt de l’homme. » Lagrange, art. cité, p. 344.

Une exégèse exhaustive doit donc reconnaître dans le texte et la supériorité morale et spirituelle de nos premiers parents avant la faute et. cependant, une expérience nouvelle du bien et du mal après la faute, (’est une exagération de parler à cette occasion de « progrès » ; loin d’y voir une ascension, le jahwiste y voit une chute qui fait descendre l’homme de l’état heureux où il se trouvait à un état misérable. Si l’homm ? est poussé, après la faute, à se vêtir, ce n’est pas par souci de progrès, mais pour cacher sa nudité. Encore le fait-il avec l’aide de Dieu.

3. Le « fruit défendu » n’est pas « l’œuvre de chair ». — « C’est l’exégèse de I’Opéra-Gomique, écrit Lagrange, mais l’auteur qui a exalté le mariage peut il considérer l’union des époux comme un crime, et surtout la présenter comme une science prohibée ? » Art. cité, p. 359, noie. Rien n’est dit d’une faute de la chair : ce que le texte affirme, c’est que le sentiment de la pudeur naît avec le péché : l’exégèse catholique en conclut que i’innocence était le fruit de l’amitié de Dieu, une résultante de la grâce divine : c’est le sens obvie. On ne peut non plus rien conclure de la punition de la femme en faveur de l’idée d’un péché des sexes. Cette punition, pas plus que celle de l’homme et celle du serpent, n’éclaire sur la nature de la faute commise. L’auteur veut tout simplement montrer dans la malédiction de Dieu l’explication des faits malheureux qu’il a sous les veux.

4. La faute d’Adam est, d’après le sens obvie, un péché de l’esprit,

par lequel, sous l’instigation d’une puissance mauvaise, le premier couple humain a recherché et poursuivi contre la volonté divine un bien spirituel : la ressemblance avec Dieu.

C’est par l’appât d’un bien spirituel que le serpent exerce sa séduction : « Vos yeux s’ouvriront. » ; c’est par là que se laisse entraîner la femme : « elle vit que le fruit était désirable pour acquérir l’intelligence. » Et le résultat du péché est une connaissance : « Ils virent qu’ils étaient nus. » Jahweh leur reproche ironiquement d’avoir poursuivi cette connaissance. Mais par quel moyen l’ont-ils atteinte ? Est-ce par une manducation réelle d’un fruit qui aurait produit automatiquement la connaissance du bien et du mal, ou par le fait de la désobéissance ? Nous sommes ici en face d’un de ces détails où l’exégèse doit tenir compte spécialement du caractère général du récit. Il est évident que le péché du premier homme ne fut pas un péché de gourmandise : la vue du fruit n’entre pour rien dans ce qui est l’acte du péché originel commis avant la manducation, et qui fut un péché d’orgueil. L’arbre de la science est un symbole très convenable du bien spirituel qui a tenté l’homme : mais la déchéance ne dépend pas de la vertu intrinsèque du fruit. « I)ès lors, l’arbre de la science peut avoir été réel : il peut n’être qu’un symbole : cela dépendra du caractère général du récit. Lag’ange. art. cité, p. 364,

Le péché fut commis sous l’instigation d’une puis sance mauvaise : était-ce une puissance spirituelle ! La chose n’est qu’insinuée dans le texte : i ! est parlé ici clairement du serpent, d’un animal rusé : mais cet animal est enveloppé « le mystère ; s<>us les appari d’une bâte des champs, il se révèle supérieur ; ’» l’homme. Le texte, ainsi, en mettant en relief l’astuce du serpent et sa puissance séductrice sur la femme, nous mel en quelque sorte sur le chemin de l’interprétation authentique’[n’en donnera la révélation postérieure.

Voir Sap., n.’i.’i 2 !  : Ion., vin. Il : Apne, . 9 ; xx. 2. i i.a dogmatique juive et chrétienne a seulement e rnclu que ce personnage mystérieux ne pouvait être que le diable. Lagrange, « ri. cité, p. 350.

5.La faute originelle, loin d’être l’occasion d’une ascension, est une déchéance

en ce qu’elle entraîne, à côté de la concupiscence, pour l’homme et pour la femme, une vie pénible et surtout la mort. L’homme. d’après l’exégèse radicale, n’aurai ! tait, par le péché, que prend i onscience’te aa destinée mort elle, comme il avait pris conscience du bien et du mil En lui rappe i ni qu’il es( pou i i Fahweh ne ferai ! que rappeler à l’homme, qui voulait lui ressembler, sa vraie nature : il est mortel ; Dieu ne le destinait point à l’immortalité.

Sans doute l’immortalité n’est point affirmée aussi directement et aussi nettement que l’innocence du premier homme dans le récit de la Genèse ; mais l’exégèse la conclut très légitimement de ce récit : le contexte nous montre que l’auteur veut ici expliquer l’état malheureux non d’Adam seulement, mais de ses descendants. A s’en tenir à la menace : « Le jour où tu en mangeras, tu mourras certainement », ii, 17, on pourrait hésiter et penser qu’il s’agit ici d’une menace individuelle de mort prématurée. Mais tel n’est pas le point de vue de l’auteur inspiré ; il sait bien qu’Adam n’est point mort le jour où il a mangé du fruit défendu. Il veut dire que, le jour où il désobéirait, pèserait sur lui et sur sa race une condamnation à cette mort qu’il aurait pu éviter. Il s’agit d’expliquer le sort non seulement du premier couple, mais celui de l’humanité tout entière. L’expulsion du paradis a une portée durable : elle explique l’état malheureux et mortel de l’homme. Au paradis, le premier couple aurait trouvé, près de l’arbre de vie, le moyen de durer éternellement : loin de lui, il est sur le chemin de la mort. Le jahwiste annonce saint Paul : pour lui comme pour l’Apôtre, le péché, qui a définitivement écartél’homme de l’arbre de vie, a introduit la mort dans le monde.

Le postulat d’une interprétation cohérente de (lenèse, ii, 17 ; iii, 2-4, et 22-24, est dans l’affirmation de l’immortalité conditionnelle d’Adam et d’Eve au paradis terrestre, et dans la condamnation de l’humanité à la mort en la personne de nos premiers parents.

Cette condamnation ne laisse point l’homme sans espérance : il vient d’être défait par le serpent, mais Dieu ne l’abandonne point : dans la lutte incessante qu’il lui annonce entre le serpent et sa race, il lui fait entrevoir la victoire. Cf. J. Freundorfer, Erbsùnde und Hrbtod beim Aposlel Paulus, Munster-en-V., 1927. p. 20-38.

Conclusion.

On l’a dit justement. « la Genèse est un genre d’histoire si spécial qu’il restera longtemps des doutes sur la signification précise de certains des détails qu’elle nous conserve. Mais un certain flottement des limites n’empêche pas le noyau révélé de se dessiner avec certitude ; on peut affirmer sans hésitation de plusieurs vérités qu’elles nous sont garanties par la Bible. » P. Teilhard de Chardin, art. Homme, dans Dictionn. apol., t. ii, col. 504. Or, dans ce nombre, on peut dégager les suivantes :

1. Le récit de la Genèse n’est point un chant de jubilation au progrès : c’est l’explication de l’origine du mal par la chute de nos premiers parents.

2. Le premier couple avait été créé pour vivre dans l’innocence, la familiarité divine, le bonheur et l’immortalité du corps.

3. l’instigation d’un être mauvais mystérieux, en qui la révélation postérieure nous montrera clairement le démon, il a voulu, par une faute de l’esprit, atteindre jusqu’à la ressemblance divine.

4. Cette faute lui fera encourir, ainsi qu’à ses descendants, le Châtiment divin : perle de la familiarité divine, concupiscence, souffrance et mort. ">. Dieu n’abandonne point cependant l’homme complètement ; sa providence continue à le suivre : après la première faute, il l’encourage à de nouvelles luttes et lui fait entrevoir le triomphe sur le serpent postérité.

5. Ainsi ne s’agit il point encore dans ce récit, de la transmission de la culpabilité d’Adam a tous ses des cendants. Celui-ci n’j apparat) point comme source « le péché, mais comme source d’un étal malheureux, ’l’une ruine dans laquelle il entraîne toute sa famille. C’est que, avec le Jahwiste, nous avons seulement la première page de la réélavtion du plan divin, i clans la lumière <les pages suivantes que ce récit s’éclairera. C’est dans la lumière du Calvaire, en contemplant la solidarité de tous dans le Christ, source de grâce, que saint Paul révélera aux chrétiens la solidarité morale de tous en Adam, source de péché pour sa race.

II. TEXTES ACCESSOIRES (Genèse, vi, 5 ; viii, 21).

— Deux petits textes, l’un au commencement, l’autre à la fin du récit du déluge, font allusion à la corruption de l’homme et à son origine psychologique. « Jahweh vit que la méchanceté des hommes était grande sur la terre, et que toutes les pensées de leur coeur se portaient chaque jour uniquement vers le mal. » vi, 5. « Je ne maudirai plus désormais la terre à cause de l’homme, parce que les pensées du cœur de l’homme sont mauvaises dès sa jeunesse et je ne frapperai plus tout être vivant comme je l’ai fait. » viii, 21.

Les rabbins ont trouvé là l’idée du penchant mauvais qui pousse chaque homme au mal ; de modernes exégètes y découvrent un péché inné, J. Skinner, A crilical and exegetical commentary on Genesis, Edimbourg, 1910, p. 150 ; et même l’idée d’un péché originel. Procksch, Die Genesis ùberselzt und erklàrt, Leipzig, 1913, p. 67. Cette exégèse ne s’impose point.

Dans le premier texte, il y a seulement un jugement empirique sur le fait de la méchanceté des hommes et de leur tendance au mal au moment du déluge ; dans le second, il y a la même constatation qui pousse Jahweh à être miséricordieux à l’égard de ces êtres si faibles. Rien ne nous permet, de rattacher la faiblesse morale constatée ici au péché d’origine comme à son explication. Il faut reconnaître seulement que l’auteur de la Genèse révèle déjà la conscience de la corruption et du péché que l’on va retrouver chez les prophètes et les psalmistes.

II. Le silence relatif des documents révélés sur la chute, jusqu’au IIe siècle avant notre ére.

Entre l’époque de la Genèse et celle de l’Ecclésiastique, la conscience du péché se développe chez les prophètes, les psalmistes et les sages comme Job ; ces auteurs insistent sur les sources individuelles et sociales de la corruption humaine ; aucun cependant ne paraît se préoccuper de chercher en Adam la raison dernière de cet état moral misérable.

Job (xiv, 1-4). —

Le regard de Job souffrant sur l’humanité pécheresse est triste comme celui du jahwiste.

Le sort de l’homme né de la femme est pénible : celui-ci, en effet, est caduc et faible dans son corps comme dans son âme. Dieu le voit sans cesse coupable ; cf. c. ix et x. La raison, c’est sans doute que l’absolue perfection morale n’appartient qu’à Dieu. Le Très-Haut ne la trouve point dans ses saints, à fortiori, elle ne peut être l’apanage de l’humanité.

L’homme devant Dieu peut-il être juste, Devant son créateur peut-il être pur ? iv, 17.

Les cieux ne sont pas purs à ses yeux ; Que dire de l’abominable, du dégénéré, De l’homme qui boit l’iniquité comme l’eau ? xv, 15-16.

Comment l’homme serait-il juste devant Dieu, Gomment serait-il pur, l’être né de la femme, Quand la lune elle-même n’est pas claire Et que les astres ne sont pas purs à ses yeux… xx v, 4-5.

La raison de la corruption de l’homme est donc d’abord dans l’imperfection de toute créature devant Dieu. Elle est aussi dans son origine immédiate :

L’homme né d’une femme Vivant peu de jours et rassasié d’agitation, Comme une fleur germe et se fane… Et c’est vers lui que tu ouvres ton œil… Qui tirera le pur de l’impur ? Personne… xiv, 1-4.

L’exégèse chrétienne a vu dans ce texte une allusion au péché originel ; mais, si l’on tient compte du contexte, il semble difficile de reconnaître ici cette allusion : Job ne remonte nulle part à la cause première du mal en Adam. Il constate un fait : « L’homme n’arrive pas à la pureté, c’est-à-dire à la justice, il est souillé dans son origine. » P. Dhorme, Le livre de Job, Paris, 1926, p. 178.

Les Septante, en reliant le ꝟ. 4 au premier stique du suivant, insistent davantage sur l’innéité du mal dans l’homme. « Qui donc est pur ? Personne, même si la vie est d’un jour sur la terre.

Peut-être la Vulgate révèle-t-elle, dans sa traduction, une conception plus pessimiste de la génération : < Qui peut rendre pur ce qui a été conçu d’une semence impure ? N’est-ce pas toi seul ?

Même dans ces traductions il n’est question que d’une impureté native, sans que nulle part celle-ci soit rattachée explicitement à la faute d’Adam comme à sa cause.

L’auteur ne paraît pas non plus, dans ses méditations sur la triste condition physique de l’homme, remonter jusqu’à la faute originelle pour en expliquer le sens : sa pensée se meut dans un horizon plus immédiat : « Familles, nations sont dignes de la miséricorde de Jahweh ou passibles de sa colère, selon qu’elles obéissent ou désobéissent à ses prescriptions. » P. Dhorme, op. cit., p. en.

Quant à la mort, Dieu en est l’auteur, comme il est l’auteur de la vie :

S’il ramène à lui son souflle, Et retire à lui son esprit, Toute chair expire à la fois Et l’homme retourne en poussière, xxxiv, 14-15.

Bref, la pensée de Job reste en dehors de la perspective de l’idée de la chute ; son horizon ne s’étend pas si haut dans le passé ; il se contente d’interroger les faits immédiats pour y chercher l’explication du bonheur des bons et du malheur des méchants.

Psaume L (Vulg.), 6-7.

C’est contre toi seul que j’ai péché Et j’ai fait ce qui est mal à tes yeux, De sorte que tu seras juste dans ta sentence, Sans reproche dans ton jugement. Voici, je suis né dans l’iniquité (ou, d’après les LXX et la Vulgate : « j’ai été conçu… » ) Et ma mère m’a conçu dans le péché…

Dans ce passage, l’auteur s’accuse ; il déclare que non seulement il est pécheur, mais fils de pécheur ; il appartient à une race pécheresse ; il ne dit rien toutefois sur la cause lointaine de cet état de péché.

Le ꝟ. 7 est particulièrement difficile et a été interprété diversement. Les Pères grecs ont vu dans les mots : èv àvouiaiç une allusion à la souillure de la génération (Freundorfer, art. cité, p. 43). Saint Augustin et les augustiniens trouvaient dans in iniquitatr une allusion au péché originel transmis par la génération (cf. Freundorfer, ibid., p. 44-49).

Ce n’est qu’à la lumière du Nouveau Testament et de la tradition qu’on peut trouver cette précision dans le texte. Au stade de la révélation où se range le psaliniste, on ne connaît point encore l’idée de l’extension de la culpabilité originelle comme telle à l’humanité tout entière. En tenant compte du mode de penser de l’ancien Israël, on sera plus près de la vraisemblance en traduisant équivalemment : « Je viens d’hommes pécheurs ; de pécheurs, il ne peut naître que des pécheurs… » Ainsi Lagrange, L’épîlre aux Romains. p. 114 : « Le psalmiste a conscience d’appartenir à une génération de pécheurs. Pécheur, il descend de pécheurs. Mais son intention n’est pas de regarder comme coupable l’union de ses parents, et, si l’on ne presse pas sur ce point le sens littéral, il ne reste rien de clair sur l’origine de cette déchéance… »

Les prophètes. —

Il faut reconnaître ceci : « Le fait si important à tous égards de la désobéissance du premier homme n’a servi de thème à aucun commentaire prophétique. Ses conséquences, au point de vue de la déchéance collective de l’humanité, n’ont jamais été envisagées dans ce qui nous reste de la littérature sacrée de la langue hébraïque… » J. Labourt, Le péché originel dans la tradition juive, dans Revue du clergé français, t. xlviii, 1909, p. 32.

Les prophètes ont eu surtout comme mission de guider leurs peuples au milieu des difficultés religieuses du présent et de les orienter vers l’avenir. C’étaient des voyants, des hommes d’action, non des philosophes : ils n’éprouvaient pas le besoin de spéculer sur la foi dont ils vivaient et faisaient vivre les autres. Il leur suffisait de regarder la mort comme le sort commun de l’humanité, sans en chercher la cause lointaine, ou plutôt ils se contentaient de se représenter l’entrée du péché et de la mort dans le monde d’après le tableau qu’ils avaient lu aux premières pages de leur histoire religieuse. Le principe que la mort est entrée dans le monde par le péché d’un seul n’est point pour eux, comme il le sera plus tard pour les écrivains postérieurs, l’objet explicite d’une méditation et d’un thème à développer.

Les réflexions d’Ézéchiel, comme celles de Jérémie, tendent plutôt à faire prendre conscience à chaque âme de sa responsabilité individuelle et à présenter la mort comme un fruit amer des fautes personnelles.

En ces jours on ne dira plus : Les pères ont mangé des raisins verts lit les dents des fils en sont agacées. Mais chacun mourra pour son iniquité : Tout homme qui mangera des raisins verts, Ses dents en seront agacées. Jer., xxxi, 29-30.

Même idée dans Ézéehiel, xviii, 1-32 ; voir surtout ꝟ. 4 : « L’àme qui pèche sera celle qui mourra… »

III. L’origine du mal et de la mort dans les DERNIERS siècles du JUDAÏSME. Aux environs de l’ère chrétienne, le problème de l’origine du mal et de la mort sollicite particulièrement la pensée des juifs de Palestine et de la Diaspora. Ce qui intéresse surtout le théologien, c’est le témoignage des auteurs inspires sur ce point ; il ne peut négliger cependant l’étude des autres témoignages non inspirés qui (’éclairent sur le milieu, dans lequel la pensée de l’apôtre saint Paul s’est formée.

I. LES TÊMOIGNAGES INSPIRÉS.

Des indications intéressantes sont à relever dans l’Ecclésiastique et la Sagesse.

L’Ecclésiastique(xxv, 23-24)

est de grande importance pour nous révéler une pensée, traditionnelle depuis longtemps déjà dans le milieu palestinien vers le com mencement du ir siècle, n nous apporte un écho authentique <lu récit de la Genèse : C’esl par une femme que le péché a commencé. C’e8l à cause d’elle que non-, mourons Ions. Le passage dans son ensemble (*. 12-25) donne un enscignemen ! moral sur li causé par la méchanceté de la femme. Le rôle d’Eve est Ici amené toul naturellement comme une Illustra lion ; aussi ne faut il pas s’étonner qu’il ne soit pas question d’Adam. On voit clairement ici, comme dans la Genèse, que le péché a commencé dans le monde avec uns premiers parents et que la morl est la conséquence du premier péché if i B Frey, L’état originel ri lu (Unir de l’homme d’après la conceptions juive ?, au temps de J. C. dans Revue des sciences philos, et Ihéol., 191 1, p. : >17. Ailleurs (xtv, 17), l’auteui i la même vérité inscrite dans la Genèse, iii, 19, touchant l’origine de la mort :

Toute chair vieillit comme un vêtement [ment. Car c’est une loi portée dès l’origine : tu mourras certaine Dans d’autres passages (xv, 11-20, surtout ꝟ. 14), le fils de Sirach s’occupe à établir que Dieu n’est pas l’auteur du péché :

Au commencement il a créé l’homme Et il l’a laissé dans la main de son conseil…

(mieux : « de son penchant », si l’on admet que Stx60uXtou vient d’une mauvaise lecture de l’hébreu). Voir aussi :

Celui qui observe la loi maîtrise ses pensées Et le résultat final de la crainte du Seigneur est la sa-O pensée perverse, d’où es-tu sortie, [gesse, xxv, 11.

Pour couvrir la terre de tromperie ? xxxvii, 3.

En résumé :

1. L’Ecclésiastique enseigne que Dieu n’est point l’auteur du mal, que l’homme est libre de suivre son penchant ; il peut le maîtriser, grâce à la pratique de la Loi qui lui sert de remède.

2. Il ne met point en relation l’origine psychologique du mal avec le péché d’Adam ; il ébauche peut-être la doctrine du mauvais penchant que, plus tard, développera le IVe livre d’Esdras comme explication psychologique du péché.

3. Il enseigne nettement que le péché a commencé avec Eve, c’est-à-dire avec nos premiers parents et que ce premier péché a été la cause de la loi de mort portée contre le genre humain.

La Sagesse.

L’auteur grec du livre de la Sagesse (entre 150 et 80 avant J.-C.) est préoccupé particulièrement par le problème alors discuté de la corruption (<p00pâ) et de l’incorruptibilité, àcpOaptna.

Il le résout a la lumière de la Genèse :

…Car Dieu a créé l’homme pour l’incorruptibilité Et il l’a fait à l’image de sa propre nature [le monde ; C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans Ils en feront l’expérience ceux qui lui appartiennent. ii, 23.

Nous avons ici une allusion nette au rôle de tenta leur joué par le serpent de la Genèse. Cet être pervers, qui faisait preuve d’une intelligence et d’une nature supérieure dans le récit énigmatique de la tentation, est désormais explicitement identifié avec le diable. L’auteur inspiré de la Sagesse nous donne ici l’interprétation authentique du texte obscur de la Genèse concernant le tentateur.

La mort n’était pas dans le plan primitif du Créa tcur : [vie,

Ne courez pas après la mort par les égarements de votre Et n’attirez pas la perdition par l’œuvre de vos mains. Car Dieu n’a pas fait la mort

Et il n’éprouve pas de joie de la perte des vivants. Il a créé toutes choses pour l’être ; Ces créatures du monde sont salutaires Il n’y a en elles aucun principe de destruction, Et la mort n’a lias d’empire sur terre Car la justice est immortelle (àôàvocro ;). i, 12-15.

Primitivement, l’homme était donc fait, parce que créé à l’image de Dieu, pour l’incorruptibilité. C’esl par la jalousie <lu diable que la mort est entrée dans le monde,

Mais de quelle Incorruptibilité ou immortalité, de quelle mort est il question dans ce texte ? la question

vaut d’être posée : sans doute, pas de difficulté si « m Ut ces deux passages dans la lumière de la Genèse (m), que l’auteur a certainement présente à la pensé dam la perspective qui doit lui être commune avei le milieu judaïque de l’époque, d’une morl hérédl pai le péché d’Adam. On en com lura facilement que la mort corporelle est la suite du péché commis à l’instigation du démon. Cependant, il faut aussi tenir compte du contexte spécial et général de ces passages pour en donner une exégèse convenable. Il y a, d’abord, la phrase (n, 2 1 6) : « Ils en feront l’expérience ceux qui lui appartiennent. » Celle-ci ne restreint-elle point l’expérience de la mort aux seuls impies ? Dans ce cas, il serait surtout question ici de la mort de l’âme, de la mort véritable ; cf. Philon, Lcguni allegoriarum, t. I, n. 105-108, et non de la mort corporelle que connaissent les justes aussi bien que les impies.

N’est-ce pas aussi de la mort spirituelle qu’il est question au f. i, 11-12 ?

La bouche qui ment donne la mort à l’âme [vie… Ne courez pas après la mort par les égarements de votre C’est elle que les impies appellent du geste et de la voix, i, 16 ; c’est elle qui les met parmi les morts dans l’opprobre pour toujours, iv, 19 ; c’est elle qui, par la puissance divine, les dispersera comme un tourbillon, v, 23, et les retranchera de la véritable vie. v, 3-14.

Il s’agit bien dans ces passages, en première ligne, de ce que l’Apocalypse appelle « la seconde mort ». ii, 11 ; xxi, 8. D’autre part, l’incorruptibilité pour laquelle l’homme a été créé ne doit-elle pas, elle aussi, être entendue d’une façon surtout spirituelle ? N’est-elle pas la récompense des âmes pures, ii, 22, le fruit de la justice qui est immortelle, i, 15 ? Cette àçOapaîa pour laquelle l’homme était fait n’est-elle point assurée encore aujourd’hui par l’obéissance aux lois, ne donne-t-elle pas une place auprès de Dieu, vi, 19 ? Sans doute les justes doivent mourir dans leurs corps comme les impies, mais leur mort physique n’est qu’une apparence de mort par rapport à la mort véritable, un épisode, un passage à la vie. « Aux yeux des insensés ils paraissent être morts, et leur sortie de ce inonde semble un malheur, et leur départ du milieu de nous un anéantissement ; mais ils sont dans la paix. » iv, 16 sq.

L’àcp3apo-îa évoque donc certainement pour l’auteur l’idée de vie spirituelle auprès de Dieu au moment de la mort.

Cependant, telle qu’elle nous est présentée, i, 14 ; ii, 23-24, elle enveloppe dans l’homme primitif, non seulement l’immortalité de l’âme, mais l’incorruptibilité ou la persévérance dans l’être de l’homme tout entier. Dieu n’a mis en lui aucun principe de destruction. C’est par l’envie du démon que la mort est entrée dans le monde. Mais il y a mort et mort : l’expérience de la mort véritable (mort physique suivie de la perdition éternelle) est réservée à ceux qui smt du parti du diable. Les justes, eux, ne connaîtront qu’une apparence de mort, conséquence, elle aussi, du premier péché.

En effet, il paraît bien impossible que l’idée de mort corporelle ait été totalement absente de la pensée de l’auteur lorsqu’il a rédigé les passages ii, 23, et i, 13-14, alors qu’il avait dans la pensée le récit de la Genèse. Voir Frey, art. cité, p. 519.

Cependant, de ces textes aussi bien que de l’ensemble du livre, il résulte que les descendants d’Adam sont devenus sujets à la mort physique par le fait de leur ancêtre, rien n’indique clairement que la faute d’Adam elle-même ait passé à sa progéniture et que celle-ci soit également privée de rà<p9apcûa de ce fait. L’expérience de la seconde mort est ici réservée par l’auteur à ceux qui appartiennent au démon par îles fautes personnelles, ii, 24 b. On en conclurait cependant à tort qu’il nie la transmission du péché. Si, dans une énumération des bienfaits de la Sagesse à traversThistoire, il est dit que cette Sagesse tira le premier homme de sa propre chute, èx 71apaTtTcô ; j.XTOç iSiou, l’auteur ne pense nullement par là à limiter à Adam les conséquences de son péché : i comme si par t&ou l’auteur entendait un péché propre à Adam et non transmis. J. Drummond, Philos. Judwus, t. i, 20 1. Il faut sans doute entendre ISIom dans le sens propre : Adam fut tiré de sa propre chute, de sa faute personnelle, par la faveur de Dieu, mais les conséquences générales demeurèrent, comme on le voit aussitôt par le meurtre d’Abel. 4°outefois, si l’auteur ne nie pas la transmission du péché, il n’en parle pas non plus. > Lagrange, Éptïre aux Romains, p. 1 15.

En résumé, l’auteur de la Sagesse connaît et utilise la doctrine des premiers chapitres de la Genèse pour en dégager une leçon d’espérance pour les justes, de confusion pour les pécheurs. — 1. L’àçÔxpai’I. a laquelle l’homme était destiné, est surtout la vie bienheureuse auprès de Dieu, mais aussi l’exemption de la mort corporelle. — 2. Par l’envie du diable, Adam lit une chute : decette faute personnelle la sagesse le lit sortir ; mais il en resta des conséquences générales pour la race. — 3. Un principe de destruction, la mort, fut introduit dans le monde comme suite du péché. — 4. Ce principe trouve son plein effet dans les impies ; ils en feront l’expérience ceux qui sont du parti du diable. — 5. Il trouve aussi un certain effet dans les justes qui connaissent la mort corporelle, mais comme un passage à la véritable vie. Toutefois, 1’ « intention première de Dieu continue à subsister en faveur des justes », et c’est parce que « Dieu a créé l’homme pour l’immortalité » qu’il y a encore maintenant une « rémunération de justice » et « une récompense pour les âmes sans tache ». H, 22. La doctrine du péché originel n’est pas exclue, mais elle n’est pas non plus enseignée. Frey, ibid., p. 520.

Ainsi, de l’ensemble des témoignages inspirés de l’Ancien Testament il résulte que Dieu n’a pas créé l’homme dans l’état misérable où il se trouve actuellement. L’origine de cet état de déchéance est dans une faute de désobéissance d’Adam et d’Eve. Si Adam fut tiré de sa faute personnelle par la faveur de Dieu, Us conséquences générales demeurent. Le dommage sur lequel insiste le plus la révélation dans ce premier stade, c’est la mort. Mais cette mort corporelle est-elle en chacun la peine d’un péché transmis par le premier homme et qui s’attache à chacun de ses descendants ? Ceci n’apparaît pas encore. L’Ancien Testament connaît par rapport à Adam une mort héréditaire, mais non encore clairement un péché transmis.

II. LES TÉMOIGNAGES NON CANONIQUES.

Les apocryphes n’ont point pour nous la valeur doctrinale des sources inspirées étudiées jusqu’ici ; cependant, parus à une époque où le peuple d’Israël réfléchissait beaucoup sur le problème de la soulïrance, sur l’origine du mal et de la mort, ils gardent une valeur considérable en tant qu’ils nous apportent l’expression fidèle de certains aspects de la pensée juive nourrie de l’Ancien Testament, dans les temps qui ont immédiatement précédé ou suivi l’apparition du Sauveur. Leur étude ne contribue pas peu à mettre en relief ce qu’a de nouveau la doctrine chrétienne du péché originel dans saint Paul. Cf. Frey, art. cité ; Lagrange, toc. cit.. p. 113-118. La plupart des textes sont rassemblés dans E. Kautzsch, Dit Apokryphen und Pscudepigraphen des A. T., t. n. Tubingue. 1900 ; dans R.-H. Charles, The apocryphe and pseudepigrapha of the O. T., 2 vol.. Londres, 1913 ; éditions particulières de textes : R.-H. Charles, The Apocalypse of Baruch. Londres. 1896 ; C.-H. Box, The book oj iubilees or the Utile Genesis, Londres, 1917 : W.-O. Œsterley, The Testaments of the twelve patriarchs, Londres, 1917 : F. Martin, Le livre d’Hénoch. Paris. 1906.

L’origine du mal. du péché et de la mort dans les écrits juifs avant l’âge apostolique.

1. Le livre éthiopien d’Hénoch (voir édition F. Martin). —

Ce livre est un assemblage de morceaux disparates appartenant à différentes époques (170-70 av. J.-C). Dans cet apocryphe où l’on tente, à notre connaissance, pour la première lois, d’une façon suivie et spéculative, de rattacher explicitement la déchéance morale à une faute des origines, c’est au fait de la chute des anges, Gen., iv, 1-1, que l’on pense, plutôt qu’à la désobéissance d’Adam. Ainsi, dans la partie la plus ancienne du Livre d’Hénoch (i-xxxvi), écrite vers 170, c’est l’union des anges veilleurs avec les filles des hommes qui amène la corruption de l’humanité, vi et vu. Les veilleurs apprennent aux hommes une foule de connaissances qui entraînent l’impiété, viii : « Azazel a enseigné toute injustice sur la terre et dévoilé les secrets éternels », ix, 6, et ainsi il a découvert tout péché, ix, 8, Par sa science toute la terre a été corrompue ; il faut donc lui imputer tout péché. x, 8.

Cependant, l’auteur parle incidemment de l’arbre de la science et de l’arbre de vie. Hénoch voit près du trône de Dieu un arbre merveilleux, auquel « aucun être de chair n’a le pouvoir de toucher jusqu’au grand jugement : alors cet arbre sera donné aux justes et aux humbles. Par son fruit, la vie sera communiquée aux justes et ils vivront d’une longue vie sur la terre. » xxv, 4, 5. Transporté dans le paradis de justice, il voit 1’ « arbre de la sagesse » : « Ceux qui en mangent possèdent une grande sagesse. » Raphaël l’instruit sur cet arbre : « C’est l’arbre de la sagesse, dont mangèrent ton vieux père et ta vieille mère ; ils connurent la science ; leurs yeux s’ouvrirent : ils surent qu’ils étaient nus, et ils furent chassés du paradis. »

Sans doute l’auteur ne semble pas attribuer une grande importance à ces faits qui sont l’écho de Gen., ii et in. Cependant, on peut en déduire que, pour lui, il y avait au paradis terrestre un état de justice, qu’il y eut ensuite perte de cet état de justice ; qu’enfin, après le jugement, les justes seront de nouveau en possession de cette source de vie d’où ils ont été écartés. A noter aussi la façon dont il parle de la sagesse communiquée par les fruits de l’arbre : « On a l’impression que la science dont participèrent ainsi les premiers parents n’est autre que la connaissance de leur nudité, c’est-à-dire des instincts sexuels. Frey, p. 521.

Mais toutes ces choses ont moins de relief a ses yeux que l’union des anges coupables avec les filles des hommes. C’est de là que dérive pour lui la dépravation morale de l’humanité.

(I en est de même dans le Livre des songes, lxxxiiixi : (entre 166 el 16), où l’auteur insiste longuement sur la chute des anges, lxxxvi lxxxviii, de même aussi dans le Livre des paraboles, xxxvii i.xxi, plus récent (103 à’il av. J.-C), où l’origine du mal est attribuée aux veilleurs qui apprirent aux enfants des hommes à commettre le péché. lxiv, 2.

Le fragment noachique, lxv-lxix, interpole (huis le Livre des paraboles, expose aussi le rôle qu’ont Joué les principaux satans dans la chute de l’homme et la corruption de l’humanité. Sans doute. ; i enté du satan « qui séduisit tous les (ils des anges et les lit descendre sur la tene, lxix, t, l’auteur connaît celui > qui sédui sil Eve et qui monl ra les plaies de morl aux lils des hommes. ibid., 6 : mais c’est surtout aux funestes Connaissances répandues par les anges qu’il pense comme aux source, fin mal et de la morl : L’est lui qui apprit aux hommes a écrire avec l’eau de suie et le papyrus, el ils sont nombreux (eux qui ont erré à cause de ci la. Car les hommes n’ont pas été mis au monde pour aftirmer.imsi leur fidélité avec le calame. <. ; ir les hommes n’ont pas été créés autrement que les . mais pour demeurer justes et purs ; et la mort qui corrompt tout ne les aurait pas atteints ; ma cause de cette connaissance qui est la leur, ils périssent et à cause de cette puissance elle (la mort) me dévore. » lxix, 9-11.

L’homme apparaît ici comme dans la Sagesse, i, 13-14, et ii, 23-24, juste et immortel à l’origine ; mais il perd cette justice et son immortalité par le fait des connaissances mauvaises introduites dans le monde par les satans.

Enfin, dans la partie plus récente d’Hénoch, xc.iciv (an. 104-70 ?), nous retrouvons encore décrite la faute des veilleurs. Mais la responsabilité de l’homme est affirmée si fortement qu’on peut se demander si l’auteur ne veut pas écarter une doctrine opposée qui ferait peser la responsabilité sur les anges déchus, xcvm, 4 : « Je vous jure à vous, pécheurs, que de même qu’une montagne n’est jamais devenue et ne deviendra un serviteur…, ainsi le péché n’a pas été envoyé sur la terre ; mais les hommes l’ont fait d’euxmêmes et ils seront en grande malédiction ceux qui l’auront commis. »

En définitive, Hénoch ne connaît pas l’idée d’une culpabilité native, d’un péché d’origine imputable aux descendants d’Adam ; ce n’est que dans uneénumération du rôle des démons qu’est affirmée la séduction d’Eve. Le péché des premiers parents n’est pas inconnu, mais il disparaît presque complètement à côté de celui des anges. La dépravation morale et la déchéance physique de l’homme est attestée, mais rattachée à l’influence funeste de la transmission de connaissances secrètes par les anges. Il faut reconnaître toutefois que l’idée traditionnelle d’un paradis de justice, d’une déchéance de l’homme, qui l’écarlait de l’arbre de vie et introduisait la mort dans le monde, n’était pas inconnue au collecteur des sources d’Hénoch.

2. Le livre des Jubiles (n° siècle av. J.-C). —

Il nous ollre une interprétation de la Genèse dans l’esprit du judaïsme de l’époque. Il reproduit, au c. m (17 sq.), presque littéralement le récit de la chute (Gen., ii, 17 sq.). En particulier, la menace de mort y est formulée en ces termes : « Vous n’en mangerez point, vous n’y toucherez point, afin que vous ne mouriez point. » La condamnation à mort de Gen., iii, 19 sq., se retrouve dans Jub., ni. 25, sous cette forme : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, tu retourneras dans la poussière dont tu es pris, car tu es poussière. » Adam cependant n’est point mort immédiatement après son péché : il fallait expliquer la chose : l’auteur le fait ainsi, iv, 2 ! i s([. : A la fin du 19° jubilé, Adam mourut… et il lui manqua soixante-dix ans de mille ans, car mille ans sont comme un jour dans le témoignage des deux ; c’est pourquoi il était écrit, concernant l’arbre de la connaissance : Le jour où vous en mangerez vous mourrez ; c’est pourquoi il n’a pas terminé les années de ce jour, car il est mort dans le cours de ce jour. » L’auteur voit donc ici. dans la mort, un châtiment personnel d’Adam sans envisager la mort de ses descendants.

La faute originelle amène aussi un changement dans le monde animal, m. 28 : Et ce jour la ou il couvrit sa honte, fut fermée la bouche de tous les animaux… de BOrte qu’ils ne purent plus parler : car ils axaient Ions parlé l’un à l’autre avec un seul idiome. La faute d’dam a donc entraîné des conséquences pour tout le monde vivant. Si l’auteur ne parle pas de la mort héréditaire comme conséquence de la faute, on lupeut en conclure cependant que cette idée commu liement admise a sou époque lui ; iit ele étrangère, In loui cas. la corruption morale de l’humanité n’est point rattachée a la faute d’Adam. Celle-ci paraît avoir pour source unique le péché des veilleurs et la liberté laissée aux démons de leiilei les liomn i. 22 : v. i 13 ; x. l-9 ; d Frey, « rI. elle, p. 523..u-i l’auteur appelle-t-il de ses prières le jour où le monde sera délivré des démons, i, 20 : « Crée, Seigneur, dans ton peuple, un esprit de justice et ne laisse point l’esprit de Béliar dominer sur lui, afin de l’accuser devant toi et lui tendre des pièges dans le sentier de justice, a(in qu’il disparaisse de devant ta face.

3. Les testaments des douze patriarches ont un fond juif qui remonte au I er siècle avant J.-C, mais ont été interpolés dans le sens chrétien à partir du iie siècle de notre ère. Cf. Lagrange, Revue biblique, 1908, p. 445 ; et surtout J.-B. Frey, Apocalypses apocryphes, dans le Supplément au Diction, de la Bible, t. i, col. 380383 ; J.-B. Colon, La conception du salut d’après les évangiles synoptiques, dans Revue des sciences religieuses, t. x, 1930, p. 382 sq.

Le testament de Lévi, particulièrement, nous offre une allusion directe, très substantielle, à la chute d’Adam et à ses conséquences, qui seront effacées par la venue du Roi-Messie, xviii, 9-10 : « Pendant son sacerdoce (du Messie) le péché prendra fin : les pécheurs (àvofi.01) cesseront de faire le mal ; il ouvrira les portes du paradis, il écartera le glaive tiré contre Adam ; il donnera aux saints à manger de l’arbre de vie, et l’esprit de sainteté reposera sur eux. Il enchaînera Béliar, et le Seigneur se réjouira dans ses enfants. .. et prendra plaisir dans ses bien-aimés pour toujours. »

Il n’y a pas de doute : le rôle attribué ici au Messie est un rôle de réparateur par rapport aux conséquences funestes de la faute d’Adam. C’est l’esquisse de la conception chrétienne de la chute et de sa réparation : Adam avait fermé par son péché les portes du paradis : il avait dressé contre lui et ses descendants le glaive des chérubins, barré le chemin de l’arbre de vie, perdu pour lui et ses descendants l’innocence originelle et la familiarité de Dieu. Le Messie lui ouvrira le paradis, fera tomber le glaive menaçant de l’ange, rendra aux hommes l’usage de l’arbre de vie, et surtout l’esprit de sainteté et la familiarité avec Dieu. « Mais, n’est-ce pas une théologie trop développée par rapport au judaïsme ? On ne saurait l’affirmer après avoir constaté, comme nous l’avons fait jusqu’ici, le caractère judaïque du morceau dans son ensemble. » J.-B. Colon, p. 386. S’il en est ainsi, nous aurions en ce texte la pensée juive la plus proche de celle de saint Paul, Rom., v. L’auteur aurait entrevu dans le Messie le restaurateur de l’homme dans l’état d’où Adam l’avait fait déchoir.

Si l’on maintient, malgré l’allure cependant bien juive de ce passage, l’idée d’une interpolation chrétienne, on devra faire de l’interpolateur un témoin de la tradition chrétienne touchant la doctrine du péché originel à son époque.

Reconnaissons d’ailleurs que, dans d’autres testaments, Ruben, v, 6 ; iv, 7 ; vi, 3 ; Nepht., iii, 5 ; Benj., m, 3 ; Sim., v, 3 ; Jud., xxv, 3, la diffusion du mal moral est mise en relation avec le péché des veilleurs et avec l’action continuelle des esprits mauvais dont Béliar est le chef ; l’emprise du démon y est ainsi fortement accentuée. Dans les testaments nous apparaît l’idée rabbinique de la bonne inclination à côté du penchant mauvais déjà connu. Ainsi Aser, 1, 3 : « Dieu a donné aux fds des hommes deux voies et deux inclinations. » Si l’on suit la bonne inclination, tous les actes de l’homme sont justes ; si l’on prend plaisir à suivre l’inclination mauvaise, tous les actes sont mauvais. Dans Nepht., 11, 1-5, l’inclination bonne ou mauvaise n’est pas mise en relation avec la faute d’Adam, mais avec la création elle-même de l’âme. « Car, comme le potier connaît le vase, sait combien il contient, et apporte de l’argile en proportion, ainsi le Seigneur fait le corps selon la ressemblance de l’esprit et, selon la capacité du corps, il implante l’esprit (tï)v 8’jvau.iv)…, ainsi le Seigneur connaît le corps jusqu’où il peut aller pour le bien, et où il commence pour le mal. Car il n’y a pas d’inclination ni de pensée que le Seigneur ne connaisse, car il a créé tout homme d’après sa propre image. » L’auteur reconnaît en fait l’universalité du péché et le besoin universel du salut. Levi, 11, 3 sq.

Bref, les Testaments méritent une particulière attention de l’historien de la doctrine du péché originel, si le texte de Lévi n’est pas interpolé ; de toutes façons, ils témoignent de l’universalité du péché, de sa relation intime avec les satans et leur chef Béliar : enfin, de l’universel besoin du salut.

4. L’ « Apocalypse de Moïse » et la « Vie d’Adam et d’Eve ».

(Texte grec de la première dans Tischendorf, Apoc. apocryphx, Leipzig, 1866, p. 1-23 ; traduct. allemande de la seconde dans Kautzsch, op. cit., p. 512 sq. Les deux rédactions sont apparentées.) — Parmi les écrits légendaires qui se rapportent à Adam, ceux-ci se recommandent à notre étude par leur origine juive. « L’état des doctrines sur les anges, sur la tentation et la chute de nos premiers parents et sur d’autres points indiqueraient une époque plutôt tardive. D’autre part, l’acceptation de ces ouvrages dans l’Église chrétienne ferait penser que… le christianisme a dû les recevoir de la Synagogue dès son berceau. » J.-B. Frey, art. Adam (Livres apocryphes sous son nom), dans le Supplément au Dict. de la Bible, t. 1, col. 105.

D’après V Apocalypse de Moïse, la mort et le mal vannent du péché. C’est Eve qui porte la responsabilité de la souffrance et de la mort d’Adam, 7. Elle se lamente en pensant aux malédictions dont l’accableront les pécheurs au jour de la résurrection : » Malheur à moi quand viendra le jour de la résurrection ; tous les pécheurs me maudiront, en disant : Eve n’a pas gardé le commandement divin. » 10. Un peu plus loin, Adam la charge aussi : « Quelle colère n’as-tu pas attirée sur nous en amenant la mort qui règne sur le genre humain », 14, et dans le passage parallèle de la Vita : Quid fecisti ? induxisti nobis plagam magnam. delictum et peccatum in omnem generationem nostram… Omnia mala intulerunt nobis parentes noslri qui ab inilio fuerunt. 44.

On le remarquera, tandis que le triste héritage d’Eve est ramené à la mort dans l’Apocalypse, il s’étend aussi au péché dans la Vita. Mais le mot peccatum in omnem generationem ne se trouve pas dans un ms. latin de valeur. On peut en conclure qu’il est secondaire. Cf. Freundorfer, op. cit., p. 74-76.

C’est dans les paragraphes 15-30 de l’Apocalypse qu’est racontée la chute, cause de tous maux, avec un luxe de détails légendaires. Le démon utilise le serpent comme réceptacle et, pour séduire Eve, « met sur le fruit qu’il lui donna à manger, le venin de sa méchanceté, c’est-à-dire de sa concupiscence, car la concupiscence est le principe de tout péché. » Aussitôt qu’Eve eut mangé, ses yeux s’ouvrirent, et elle reconnut qu’elle « était dépouillée de la justice dont elle avait été revêtue ». Adam fit comme elle et reconnut qu’il avait été « dépouillé de la gloire de Dieu », 16-21 : cf. Frey, art. cité, p. 533-534. D’après le commentaire de cet auteur, la gloire dont il est ici question semble être une émanation de la gloire divine ; elle enveloppe les corps d’Adam et d’Eve et leur tient lieu de vêtements avant la chute. La gloire est aussi synonyme de justice, comme il ressort des paroles d’Eve : « Aussitôt mes yeux s’ouvrirent et je reconnus que j’avais été dénuée de la justice dont j’avais été revêtue et je pleurai en disant : Pourquoi m’as-tu fait cela ? Voici que je suis dépouillée de la gloire dont j’avais été revêtue. » 20.

Il faut noter enfin deux passages qui insistent ici sur les conséquences de la faute. Le premier implique l’idée de l’entrée de la mort dans le monde par le péché. Il se trouve dans V Apocalypse, 28. A la demande d’Adam, après son péché, de goûter encore à l’arbre de vie, Dieu répond par un refus : « Tu ne dois plus en goûter, afin que tu ne vives pas éternellement. » L’éloignement del’arbredevie signifie ici, comme dans Gen., iii, 22, la nécessité de mourir pour Adam et ses descendants.

L’autre passage, 32, nous rapporte la prière d’Eve à la mort d’Adam : « J’ai péché, et tous les péchés sont venus par moi dans la création. » (IlSo-a àjxapxîa Si è<ioû yéyovev èv 175 xtîcte’..) « Eve a donc une certaine part de responsabilité dans le fait de la perversité humaine. Comment et en quel sens ? Son exemple est-il devenu contagieux pour ses descendants qui se sont empressés de l’imiter ? Ne leur a-t-elle pas légué par transmission physique une tare héréditaire ? ou le canal par lequel Eve a influé sur les péchés des hommes a-t-il été le « cœur mauvais » ? (tj xapSîa 7) 7tov » ; pà) qui exercera ses ravages jusqu’à la fin des temps ? Le texte ne le précise pas », dit Frey, art. cité, p. 534. En tenant compte du fait que le texte est une version qui a pu être retouchée, de cette autre vérité aussi qu’il est plus conforme aux idées du temps de voir ici affirmé, comme dans Eccli., 1, 24-25, le commencement du péché dans le monde par Eve (àrcô yuvaixèç àp/rj à(i.apxîaç), enfin de cette constatation que la version arménienne favorise cette idée d’un péché commencé dans le monde par Eve, on peut ajouter que, vraisemblablement, il n’est pas ici question d’Eve comme cause active du péché dans ses descendants. Même si l’on admet que le texte implique une certaine part de responsabilité, pour Eve, dans le fait de la perversion humaine, il faudra reconnaître qu’il y a bien loin de cette vague affirmation, irâaa à^apTia Sièu.w, à la formule précise de saint Paul qui déclare tous les hommes constitués pécheurs par la désobéissance d’un seul, Sià t9)ç 7rapaxor, ç toù évôç àv0pw7toj à|i, apT « oXol ot jtoXXoi.

En résumé :
a) Les deux légendes d’Adam et d’Eve connaissent l’idée de mort héréditaire que nous avons rencontrée dans l’Ecclésiastique et la Sagesse,
b) C’est à Eve surtout qu’est rattachée l’origine de la mort et du mal dans le monde,
c) Si l’on accepte comme authentique le texte de l’Apocalypse, 32, et si on le traduit dans le sens causatif, on dira que l’auteur a reconnu un rapport de causalité entre le péché d’Eve et la perversité morale de ses descendants, mais sans atteindre aucunement la précision de pensée de saint Paul sur ce point.

L’origine du mal, du péché et de la mort dans 1rs écrits juifs contemporains de l’âge apostolique.

Ces écrits du I er siècle de notre ère et du commencement du ir méritent toute notre attention, soit par [es élé ment s plus anciens qu’ils contiennent, soit par l’orientation des problèmes et des solutions touchant la question de l’origine de la perversion humaine qu’ils révèlent à l’époque de Notre Seigneur. L’origine de la tendance mauvaise qui existe en l’homme est directement mise en relation ici ; 1 1 ion a ec la raute d’Adam dans trois livres importants de la théologie juive de l’époque : Hénoch slave (avant 70 de l’ère chrétienne) ; Apoca lypse de Baruch (après 70) ; M livi d’Esdras (vers 90). II D’en n’est pas de même avei Philon qui n’attache pas une grande importance à la faute <l Idara.

1. Hénoch slave, ou Livre des secrets d’Hénoch

((-< w R. Morfill. Oxford, 1896 ; trad allem. de Bon Wetsch, dans Abhandl. der Gesell dei w Issen. : u Gôttingen, 1896 1897). Des rapports de cet ou 1 avec VHinoch éthiopien, on ; i conclu à l’existence d’un livre qui -’< pail spécialement <l Hénoch, et qui aurait été le point de départ de deux rédactions : l’une slave et l’autre éthiopienne. Héncch slave nous est arrivé en deux recensions, A et B. Sur les rapports de ces deux recensions, cf. Frey, Apocryphes de. l’Ancien Testament, dans Suppl. au Diction, de la Bible, t. I, col. 450 ; Charles, dans The apocrypha, etc., t. 11, p. 423-469, donne la traduction de ces deux recensions sur colonnes distinctes. C’est dans le c. xxxi de A que se trouve le récit de la chute.

L’auteur attribue l’origine du mal à Satan et à ses agents, mais aussi à Eve et à Adam, vii, 3 ; xxix, 4 sq. ; xxxi, 1-3, 6 ; xviii, 3 sq. C’est par jalousie que le démon séduisit Eve, mais il ne toucha pas à Adam. A l’origine, Adam était placé sur terre comme « un second ange, comblé d’honneurs, grand et glorieux ; je (Jahweh) l’établis comme chef pour commander sur terre et pour posséder ma sagesse ; il n’y en avait point sur terre comme lui parmi mes créatures. » xxxi, 11, 13. Et je lui dis : « Ceci est bon, cela est mauvais, afin de savoir s’il avait de l’amour envers moi ou de la haine… » « Car j’ai vu sa nature, et *7 n’a pas connu sa propre nature ; c’est pourquoi, parce qu’il ne voyait pas, il devait pécher ; et je dis : après le péché, il n’y a plus que la mort. » Ibid., 16.

Ainsi Adam, tout en connaissant la distinction du bien et du mal, ne connaissait pas sa propre nature : c’est-à-dire la tendance bonne et la tendance mauvaise de son être. C’est de cette « mauvaise ignorance », de sa faiblesse exploitée par le démon qu’est venu le premier péché.

La transgression d’Adam et d’Eve a entraîné pour eux et pour leur race de graves conséquences : Dieu a maudit la mauvaise ignorance, « mais il ne maudit pas ce qu’il avait béni ; il ne maudit ni l’homme, ni la terre, ni d’autres créatures, mais le mauvais fruit de l’homme et ensuite ses travaux ». xxxi, 3-8. La suite de cette malédiction, c’est la mort et l’exclusion du paradis terrestre, v, 1-1 ti. >< Après le péché il n’y a plus que la mort. » « Dieu a créé la femme, afin que par elle vînt la mort. » Ibid.

Nulle part l’auteur ne dit explicitement que cette mort s’étende à toute la race : mais des expressions aussi générales que celles que nous venons de citer rendent le même son que celles d’Eccli., xxv. 24. La faute d’Adam est bien la cause de la mort physique de tous les hommes.

En dehors de la mort, la faute originelle entraîne de graves conséquences. Hénoch voit, en effet, les descendants d’Adam se lamenter sur ces conséquences dans le schéol : « Et je vis tous les ancêtres de tous les temps avec Adam et Eve, et je sanglotai et Je fondis en larmes, et je dis sur la ruine occasionnée pur leur déchéance : Malheur à moi a cause de ma faiblesse et de celle de mes pères. Et je pensai dans mon creur et je dis : Heureux l’homme qui n’est pas né, ou qui. après sa naissance, n’a pas juché, niin qu’il ne vienne pas Ici et qu’il ne polie pas le jOUg de ees lieux. xi 1. 1 sq. Tonnant, The sources of the doctrine of theFalland original Sin, Cambridge, 1903, prétend trouver dans ce texte la première attestation de la notion d’une infirmité innée, héritée i Vdam, et une doctrine juive du péché originel, plus explicite et plus ancienne que l’enseignement <ie saint Paul a ce sujet (p, 210). Son exégèse est tout a fait discutable. Ne rcconnaîl il pas lui même que le mol du texte primitif, que nous 1 1 : 1’luisons par ruine », ne dit pas du tout s’il s’agit d’une ruine physique ou d’une ruine morale. Le contraste appelle plutôt l’idée de ruine physique, il s’agit [cl de tous les descendants d’Adam qui, par suite de la mort causée par un péché, sont descendus en enfer

Il n’y a certes point Ici l’idée paulinlenne qui par Adam les hommes ont été constitues pécheurs Rom.v, . 19, loin d’être affirmée par Hénoch slave, cette vérité semble plutôi être virtuellement niée. » Frey, Revue des sciences phil. et théol., art. cilé, p. 526. Car, d’après lui, ceux qui n’imitent pas, par leurs péchés personnels, Adam et Eve, ne porteront point le joug du lieu infernal ; ce sont donc uniquement les péchés personnels qui, d’après Eiénoch, font partager le sort des premiers parents Nous sommes loin de la doctrine paulinienne de l’extension de la culpabilité d’Adam à tous ses descendants, indépendamment de toute faute personnelle.

Reconnaissons d’ailleurs que la lamentation : « malheur à moi à cause de ma faiblesse et de celle de mes frères », venant après l’affirmation de la < ruine », nous invite à établir une certaine relation entre la faiblesse innée de l’homme et la faute originelle. Dans cette perspective, le péché personnel de l’homme serait une conséquence de la faute d’Adam, en ce sens qu’Adam a transmis à ses descendants une faiblesse innée, cause de péchés. La ruine occasionnée par Adam impliquerait, à côté de la mort physique, la mort morale consé cutive à l’infirmité innée, héritée d’Adam, et la descente au lieu infernal. Ce qu’il faut surtout retenir comme certain, avec Frey, art. cité, p. 526, « c’est que ce livre attribue, au péché des premiers parents, une importance plus grande qu’à la chute des veilleurs et qu’il y voit la cause de la mort physique de tous les hommes. Hénoch slave fait écho à la doctrine de l’Ecclésiastique. » On peut ajouter qu’il rattache plus intimement qu’on ne l’avait fait avant lui les fautes des hommes à Adam et Eve comme à leur origine lointaine, dans la mesure où ces fautes sont le fruit d’une infirmité innée, héritée du premier père.

2. L’Apocalypse syriaque de Baruch

(Ch. Œsterley, 77* ; Apocalypse of Baruch, 1917 ; Kautzsch, op. cit., p. 402 sq.). — C’est un écrit juif mêlé sans doute d’interpolations chrétiennes, qui remonterait vers 70 après J.-C ; il renferme des éléments contemporains des écrits du Nouveau Testament ; on y saisit comme l’écho de traditions divergentes entre elles.

L’auteur ne croit pas à la corruption totale de la nature humaine : ainsi le cœur de Jérémie a été trouvé exempt de tout péché, ix, 1. Tandis qu’Adam a apporté la mort et retranché les années de ses descendants, Moïse a apporté la Loi aux descendants de Jacob et allumé un flambeau pour la nation d’Israël, xvii, 1 sq. « Celui qui a allumé a pris à la lumière, et il y en a peu qui l’ont imité. Mais beaucoup de ceux qu’il a éclairés ont pris aux ténèbres d’Adam et ne se sont point réjouis à la lumière du flambeau », xviii, 1 sq. Un grand nombre, mais non pas tous, sont pécheurs.

Sur les conséquences du péché d’Adam, en particulier sur ce qui concerne la mort, les vues de l’auteur ne sont pas uniformes ; le livre représente deux courants. Certains passages semblent bien indiquer que la mort n’aurait pas eu lieu sans la faute d’Adam : d’après xix, 8, et xxiii, 4, lorsqu’Adam pécha, la mort fut décrétée contre ceux qui devaient naître, « à ce moment, la multitude de ceux qui devaient naître fut comptée, et pour ce nombre un lieu fut préparé là où les vivants doivent habiter et les morts doivent être gardés ». C’est le péché d’Adam qui ouvre le schéol.

D’autres passages semblent indiquer seulement que le péché d’Adam a été cause d’une mort prématurée chez ses descendants. D’après liv, 15, Adam a péché et a apporté pour tous une mort prématurée, et suivant lvi, 6, « après son péché, la mort prématurée fit son entrée ». L’auteur se serait ainsi fait l’écho de traditions différentes sans penser à leur conciliation. Là ne se bornent point les suites du péché d’Adam : l’auteur compare le premier péché à un courant d’eau noire qui se répand sur la terre, et voici les tristes conséquences de cette inondation : après la transgression d’Adam, une morl prématurée vint, le deuil fut nommé et la tristesse fut préparée, et la douleur fut créée et le I il) sur accablant fut fait, et la jactance commença à s’établir et le schéol demanda à être renouvelé par le sang, et la procréation des enfants vint, et l’ardeur des parents fut créée, et la majesté de l’homme s’abaissa, et la bonté languit », lvi, 6-7… Ces eaux noires en produisirent d’autres, et le mal moral alla en augmentant. " Et de ces eaux noires le noir est dérivé, et les ténèbres des ténèbres ont été produites. L’homme est devenu un danger pour sa propre âme ; il est même devenu un danger pour les autres. » 10.

Ainsi des modifications pénibles résultèrent de la chute pour la nature humaine : non seulement elle connut dans son corps les souffrances, la tristesse, la fatigue et la mort, mais elle fut troublée et déséquilibrée moralement, dans son âme, par des infirmités qui devenaient un obstacle à sa vie spirituelle : la tendance à l’orgueil et la concupiscence devinrent des tares héréditaires, des dangers permanents pour la vie individuelle et sociale de l’humanité.

Cependant, s’il y a une faiblesse héréditaire dans l’homme, elle peut être vaincue : chacun a sa propre responsabilité. « Les hommes ne sont pécheurs que dans la mesure où ils imitent, par des actes personnels, le mauvais exemple d’Adam. » Frey, art. cilé, p. 539. Si Adam peut entraîner par son mauvais exemple, Moïse est là pour illuminer les âmes et les arracher aux suggestions d’Adam. « Car si Adam pécha le premier et amena une mort prématurée pour tous, il faut dire cependant aussi que chacun de ceux qui sont nés de lui s’est attiré la peine future et, d’autre part, chacun s’est choisi la gloire à venir. Adam n’est donc cause (de ruine) que pour lui seul, mais chacun de nous tous est devenu son propre Adam. » liv, 14-19. Il n’y a point place ici pour une culpabilité originelle contractée en Adam et transmise par lui à ses descendants.

C’est à la lumière de ce texte qu’il faut interpréter un autre passage, xlviii, 42-43. En voyant les impies s’exposer au feu dévorant, l’auteur s’écrie : « Oh ! qu’as-tu fait, Adam, à tous ceux qui sont nés de toi et que dira-t-on à la première Eve qui obéit au serpent ? Car toute cette multitude s’en va à la perdition et sans nombre sont ceux que le feu dévore. » Ici l’auteur n’affirme pas l’extension, par transmission, d’une culpabilité morale à toute la race humaine ; il rend sans doute responsable d’une certaine façon Adam et Eve de la perte des pécheurs ; mais dans ce sens seulement qu’ils ont induit dans leur race une nature exposée à l’orgueil et à la concupiscence. Les hommes peuvent résister au danger qu’ils portent en eux : chacun devient son propre Adam. Nous avons peut-être dans cette doctrine une réaction juive contre la doctrine paulinienne.

En résumé, « l’Apocalypse de Baruch admet donc que le premier péché introduit dans le monde : la mort — ou du moins une mort prématurée — et la concupiscence charnelle. Le mauvais exemple donné par Adam fut pernicieux aux hommes qui, pour la plupart, s’empressent d’obéir aux suggestions de leur nature corrompue. De cette manière, chaque pécheur devient Adam pour son propre compte, car la faute de celui-ci n’a entraîné que sa culpabilité personnelle. » Frey. art. cité, p. 540.

3. Le IVe livre d’Esdras (G. H. Box, The Ezravpocalypse, 1912). —

Ce livre est l’un des plus beaux monuments de la littérature juive apocryphe, au lendemain de la catastrophe qui a détruit le Temple et la nation israélite. Il cherche une réponse au problème angoissant de la perversion de l’humanité et des misères de la vie. Pourquoi Dieu a-t-il permis au péché d’envahir le monde, et pourquoi les méchants sont-ils si nombreux’? Écrit vraisemblablement vers 90, peut-être influencé indirectement par l’atmosphère ambiante des idées chrétiennes, il reflète certainement les idées qui vivaient en Palestine au temps de saint Paul. Ses afïinités avec les écrits de l’apôtre ont frappé les critiques : « Tous deux, l’auteur de l’Apocalypse et l’Apôtre, sont persuadés de la profonde corruption de la nature humaine et désespèrent de pouvoir mériter le salut par les œuvres de la Loi ; tous deux ont aussi des tendances universalistes. » Cf. Frey, Apocryphes de. l’Ancien Testament, toc. cit., col. 415.

Si l’anonyme d’Esdras se rapproche de saint Paul sur certains points, il s’en écarte sur d’autres, spécialement en ce qui concerne l’origine du péché d’Adam, et sur ses conséquences.

Le péché d’Adam n’est point expliqué par une suggestion venue du dehors (l’influence des veilleurs ou celle du serpent de la Genèse), mais par un germe mauvais inné à l’homme. Ce germe préexistait à la faute d’Adam ; loin d’en être la conséquence, il en est la cause ; il est naturel et congénital à Adam et à tous ses descendants. Adam portait en lui un cœur mauvais, aussi transgressa-t-il et fut-il vaincu : cor enim malignum bajulans primus Adam transgressus est et victus est. iii, 21-22. « Un grain de semence mauvaise avait été semé dès le commencement dans le cœur d’Adam. » iv, 30. Ce germe c’est la « pensée mauvaise », cogitamentum malum. vii, 92.

Le cœur mauvais explique non seulement le péché d’Adam, mais la corruption générale de l’humanité. Inné au premier homme, il montre la faiblesse de celui-ci dans la transgression et celle encore de ses descendants. « Ainsi, l’infirmité devint habituelle (permanente). La Loi, il est vrai, était dans le cœur du peuple, mais en conflit avec le mauvais germe. Ainsi ce qui était bon disparut et le mal demeura. » iii, 21-22.

Voilà le secret de la perversité humaine. Dans les descendants d’Adam comme dans le premier père, le mauvais germe triomphe de la Loi. La Loi qui était au cœur du peuple, iii, 22, aurait pu le conduire à la félicité éternelle, ix, 31, mais on ne garda pas ses préceptes, ix, 32. De même que le penchant au mal qui existait en Adam lui fit transgresser l’ordre divin, ainsi l’inclination mauvaise implantée dans les hommes, explique l’abandon quasi général de « la Loi de vie ». xiv, 30. En succombant à la sollicitation du mal, les hommes ne font qu’imiter leurs ancêtres : « Ils agissent comme Adam, car eux aussi ont un cœur mauvais », m. 2(> : c’est ce cœur mauvais » qui leur » fait connaître les sentiers de la perdition », qui « les éloigne de la vie, et c’est là le cas « non d’un petit nombre, mais de presque tous ceux qui ont été créés », vii, 48 ; cf. Frey, art. cité. p. 536.

Aussi faut-il concevoir la source du péché comme un germe mauvais qui est inné dès l’origine en Adam, qui fixe ses racines parmi les hommes, iii, 22, qui grandit Hi eux, ii, 18, qui ne cessera de produire de funestes conséquences jusqu’à la fin du monde. VIII, 53 ; IV, 30. Ce n’est pas là une nécessité, car l’homme peut en triompher en s’appuyant sur la Loi. En fait, presque toujours, il succombe.

Mail le cœur mauvais. le germe mauvais », tel qu’il préexistai ! à la faute d’Adam, explique t il à lui seul l’universalité « lu péché ? Quelles sont 1rs conséquences de la faute d’Adam, son influence sur le péi né de ses descendant’Il est certain que l’auteur d’Esdras, conformément A Gen. iii, attribue l’origine « lu mal physique et de la irn>rt dans le monde à la faute d’Adam. C’esl celle-ci qui attire sur Adam et ses descendants la mort. lu, <l. C’csl elle qui explique les misères actuelles insi en est il de la pari d’Israël. Car c’est ! en ta faveur que j’ai Fait le n’! « . mais, quand Adam tt gressa mes commandements, alors « qui avait été fait fut jugé ; et alors les voies du monde devinrent étroites, pleines de chagrins et de peines, remplies de dangers et de fatigues. » vii, 11-12. Ce monde n’est plus tel qu’il est sorti des mains de Dieu, cela par le fait d’Adam.

A côté de ces conséquences physiques, n’y a-t-il pas d’autres conséquences morales du péché d’Adam ? Les textes examinés jusqu’ici nous montrent qu’il ne peut être question, pour l’auteur, d’une extension de la culpabilité d’Adam à ses descendants. La diffusion du péché s’explique autrement : Adam avait le cœur mauvais, ses descendants aussi ; c’est pourquoi ceuxci ont péché comme celui-là. Puisque le cor malignum existait avant la faute d’Adam, tout ce qu’a fait le premier homme fut de transmettre le mauvais penchant, et celui-ci, fortifié par toutes les transgressions successives, a entraîné la plupart des hommes à la perdition. Ceux qui sont maîtres de ce mauvais penchant hériteront de la joie de l’âge à venir : « Et maintenant je vois que l’âge à venir apportera la joie à un petit nombre, mais le tourment à un grand nombre. Car le cœur mauvais s’est développé en nous, et il nous a éloignés de Dieu et conduits à la destruction ; il nous a fait connaîtreles voies de la mort et il nous a éloignés de la vie, et non seulement un petit nombre, mais presque tous ceux qui ont été créés. » vii, 47, cꝟ. 68.

Mais voici un texte qui semble établir une relation étroite de causalité entre la faute d’Adam et celle de ses descendants. Il faut le lire dans son contexte. L’auteur vient de dire qu’au jour du jugement, chacun portera seul en lui sa justice et son injustice (rendra seulement compte de ses péchés personnels), vii, 105 ; il éclate ensuite en lamentations devant le triste sort de l’humanité ; il ne s’inquiète pas d’être condamné pour le péché d’Adam ; mais il voit que ses propres péchés vont l’entraîner à la damnation et, en dernière analyse, c’est par la faute d’Adam qu’il se trouve réduit à cette fâcheuse extrémité : « O Adam, qu’as-tu fait ? Bien que ce soit toi qui ais péché, le mal n’est pas tombé sur toi seul, mais sur ceux qui viennent de toi. Si enim peccasli, non est factum solius luus casus, sed et nostrum qui ex te advenimus. » Car quel profit pour nous d’avoir eu la promesse d’une vie immortelle, puisque nous avons fait des œuvres qui appellent la mort ? v, 117-119.

Nous avons traduit casus par mal, car, d’après les versions orientales, casus doit signifier, non point chute, mais plutôt calamité, malheur. En admettant qu’il s’agisse de la chute d’Adam, elle n’est point commune à tous comme un péché transmis, mais comme Une situation déplorable ; ce n’est donc point encore le péché originel au sens strict. Lagrangc, É pitre aux Romains, p. 1 l(i. C’est bien le sens qui résulte à la fois du contexte et du texte où il est question des péchés personnels qui apportent la mort. La faute d’Adam a affaibli la nature et fait triompher d’une manière presque universelle le cor malignum.

En définitive, l’auteur du IV livre d’Esdras enseigne que le mauvais penchant est à l’origine de Iciut péché dans le monde. Il est naturel et congénital , i ions irs nommes, au premier « ’ « mime à ses descen dants En cédant A celui-ci, Adam le renforça et le transmit à sa postérité : sa chute fut le point de dépar ! du mal physique et de la mort dans le monde. Elle fut aussi le point « le départ « lu mai moral si répandu dans le monde, en ce sens q ne les mauvais penchants. I rans mis par Adame ! fortifiés par les transgressions suc cessives, sont une suggestion puissante au péché, On n’est constitué pécheur qu’en obéissant, A l’Imitation d’Adam, BUS inspirations « le son i mauvais cœur »

L’immense majorité des hommes succombe dans cette lutte ; il en est pourtant qui remportent la victoire, qui restent justes devant Dieu et auxquels le souverain luge n’aura point besoin de faire miséricorde, car « leurs propres œuvres » leur donnent droit à la récompense finale. » Frey, art. cité, p. 557. Nous avons là une doctrine de la mort héréditaire, d’une déchéance originelle, mais non celle d’une culpabilité transmise. Ce qu’affirme Esdras, c’est la transmission par Adam de la mort, d’un germe mauvais, d’un état malheureux, d’une situation déplorable, mais non celle d’un péché.

4. Philon est un écho de la pensée du judaïsme alexandrin dans la seconde moitié du I er siècle de notre ère. Il se révèle tout entier avec son platonisme et sa méthode allégorique dans l’interprétation qu’il donne aux premiers chapitres de la Genèse.

Il ne prend pas à la lettre le récit de la tentation et de la chute ; il ne saurait y voir que « des expressions figurées qui invitent à chercher la signification allégorique ». De opificio mundi, 156. Sous les symboles de ce récit, il croit découvrir la réalité d’une faute de volupté avec ses conséquences néfastes. Entre Adam et Eve « l’amour survint et leur donna à tous deux le désir de s’unir ; le désir engendra la volupté charnelle, qui est la source de toutes les iniquités et de toutes les prévarications, et qui leur fit changer une vie immortelle et bienheureuse contre une vie mortelle et malheureuse ». Ibid., 37, 151. Le serpent c’est la volupté, 157, qui s’adresse d’abord à Eve, c’est-à-dire aux sens, pour atteindre Adam, c’est-à-dire la raison, 165.

La faute originelle n’entraîne, ni la mort. iii, à plus forte raison, une culpabilité morale pour la race. Ici, l’anthropologie de Philon l’éloigné de toute idée de mort héréditaire et de péché transmis. Pour le disciple de Platon, la source de la propension au péché se trouve dans l’union de l’âme au corps et non dans la chute d’Adam. Cf. Zeller, Philosophie der Griechen, t. m b, 4e édit., p. 449. Tixeront fait remarquer justement : a Le corps, de même que la matière dont il est formé, est essentiellement mauvais ; c’est la prison qui enferme l’esprit, le cadavre que celui-ci traîne avec soi. Par le seul fait de son contact avec l’âme, le corps la souille et la porte au péché. Personne dans sa vie n’évite ce péché, du moins s’il marche sans autre appui que soi. » Histoire des dogmes, t. i, 5e éd., p. 57.

Avec de pareilles vues, Philon ne peut voir dans la mort un malheur et un châtiment. Si le corps est le « tombeau », Quod Deus sit immutab., 250, et la « prison » de l’âme, De ebrietate, 101, la mort est un bien, une délivrance. Déjà avant la chute, Adam est mortel ; cela résulte de ce qu’il a un corps : « Il est naturel pour l’âme d’être séparée du corps. » De opif. mundi, 134.

La Genèse, il est vrai, parle de la mort comme d’un châtiment ; mais pour l’allégoriste Philon, il s’agit ici de la mort au sens moral, de la mort à la vertu, la seule véritable mort. « Il y a une double mort : celle de l’homme, qui se fait par la séparation de l’âme et du corps, et celle de l’âme qui consiste dans la perte de la vertu… Il est naturel pour l’âme d’être séparée du corps, mais la mort, qui est un châtiment, consiste en ce que l’âme meurt à la vie de la vertu. » Legum alleg., i, 105-107. C’est de cette mort véritable dont furent menacés les premiers parents : voilà celle qui est un châtiment et non un fait naturel. Les seules conséquences que reconnaisse Philon au péché originel sont des conséquences physiques : peines de la vie, travail pénible, soucis multiples, douleurs de l’enfantement, sacrifices de l’éducation.

Philon dit bien : « A tout ce qui naît, si bon qu’il soit, par le fait même qu’il naît, il est naturel de pécher. » De vila Mosis, ii, 147 ; mais c’est simplement constater la propension au péché ; cf. Lagrange, Épître aux Romains, p. 115. Nulle part « cette tendance au mal n’est mise dans une dépendance quelconque vis-à-vis du premier péché ; loin d’en être une suite, elle en donne l’explication. Les théories de Philon sont en opposition formelle avec toute croyance au péché originel ». J.-B. Frey, art. cité, p. 530.

Aussi n’est-on point étonné de lire dans le Quis rerum div. hères sit, 294 : « L’enfant qui vient au monde a jusqu’à l’âge de sept ans une âme pure, semblable à une cire molle, qui n’a encore reçu l’empreinte, ni du bien, ni du mal, et tout ce qu’on croirait pouvoir y graver serait effacé sans laisser de traces. » Ce n’est que lorsque les sens s’éveillent que s’éveille avec eux la propension au mal. Malgré cette inclination au péché, certains hommes conservent leur âme dans la sainteté et la rendent comme « une sainte libation à celui qui la leur donna et la conserva à l’abri de tout mal ». Ibid., 184.

En définitive, Philon s’éloigne de la pensée juive, comme de la pensée de son contemporain, saint Paul. La désobéissance du premier homme, pour lui, est un péché charnel. Elle n’entraîne pas la mort qui est naturelle à l’homme ; elle produit seulement chez Adam la mort à la vertu ; elle a valu à l’homme les douleurs physiques. Encore le premier homme pourrait-il s’en délivrer par un retour à la vertu. Elle n’entraîne aucune conséquence morale pour l’humanité, puisque, loin de causer la propension au péché, elle en est le premier résultat.

Il nous est inutile d’interroger la Mischna (voir sur ce point J. Freundorfer, loc. cit., p. 93-104). Elle a pu spéculer sur la chute, enseigner avec les anciens que la mort nous vient d’Adam, que la corruption a sa source dans la mauvaise tendance qu’Adam possédait, disait-on, avant son péché ; jamais elle n’a dit que la culpabilité d’Adam ait été transmise à ses descendants. Paul a pu entendre aux pieds de Gamaliel enseigner l’idée de la mort héréditaire, sa doctrine d’une culpabilité transmise par Adam à ses descendants ne vient pas de là.

De plus en plus s’imposent ces conclusions proposées par les exégètes contemporains : « Il n’y a, dans toute la littérature apocalyptique, aucun enseignement précis sur Adam, source de péché pour tous les hommes, leur transmettant une nature qu’on pût dire contaminée par le péché. » Lagrange, op. cit., p. 117 ; et Frey : « Nous arrivons à la conclusion que les documents juifs du temps de Notre-Seigneur, et même les grandes apocalypses de la fin du ie siècle, ne connaissent pas le péché originel au sens propre du mot. » Cf. Freundorfer, op. cit., p. 93.

Conclusion générale : l’idée de la chute et de ses conséquences dans l’ensemble de la littérature juive jusqu’à Notre-Seigneur.

1. L’idée de la chute avec ses conséquences pénales (souffrances et mort) se trouve affirmée dès le début de la révélation dans les premiers chapitres de la Genèse. Mais cette idée reste comme isolée et sans écho pendant longtemps au cours de la révélation prophétique.

2. Ce n’est que dans les derniers siècles avant J.-C. que l’attention se reporte avec curiosité vers les origines. Sur la foi du récit de la Genèse, l’Ecclésiastique et la Sagesse enseignent que l’homme était fait d’abord pour l’immortalité et le bonheur. Par l’envie du diable, le péché est entré dans le monde. Nos premiers parents sont, par leur faute, cause des souffrances et de la mort pour leurs descendants. Ces idées transmises par la révélation sont alors le bien commun de la pensée juive presque tout entière. Nous les retrouvons en dehors des livres canoniques dans YHénoch slave, l’Apocalypse de Moïse, le 1 Ve livre d’Esdras, une partie de l’Apocalypse de Barucli, les Jubilés.

3. A cette époque on spécule aussi sur l’origine de la corruption humaine. On s’accorde généralement sur l’universalité de cette corruption ; on reconnaît toutefois, dans le monde, des justes et des pécheurs. Ceux qui sont condamnés le sont pour leurs fautes personnelles.

En face du problème de l’origine de la corruption générale, la pensée juive s’oriente en des sens divers. Les auteurs plus anciens (Livre d’Hénoch, Jubilés, Testament des douze patriarches) expliquent cette corruption par l’union des « fils de Dieu » avec les filles des hommes et par la révélation des secrets célestes. C’est dans les écrits juifs plus récents, contemporains de l’âge apostolique, que nous voyons le fait de la dépravation humaine mis en rapport, indirectement, avec la faute d’Adam. « Encore ne s’agit-il point de la propagation d’un péché, mais de la transmission héréditaire d’une faiblesse morale, consistant, soit dans l’inclination au mal (préexistante à la chute : 1 Ve livre d’Esdras), soit dans la concupiscence (Apoc. de Baruch), soit dans le « mauvais cœur », joint à un principe physique déposé en Eve par le diable (Apoc. de Moïse). » J.-B. Frey, art. cit., p. 542.

C’est bien par des fautes personnelles que l’on se damne et non par une culpabilité partagée avec le premier père. On admet bien une pénalité commune à Adam et à toute sa race ; mais on ne voit nullement que la solidarité dans la peine implique une certaine solidarité dans la faute. L’Apocalypse de Baruch accepte bien la première, mais rejette nettement la seconde.

Au moment où le Christ va paraître, la pensée juive ne sait point encore qu’Adam nous ait transmis, avec la mort et les peines du corps, le péché. Nulle part, ni dans l’Écriture de l’Ancien Testament, ni dans la théologie juive ancienne, ni dans la littérature juive qui commence à la Mischna, nous ne trouvons d’enseignement clair « sur Adam source de péché pour tous les hommes, leur transmettant une nature qu’on peut dire contaminée par le péché ». Lagrange, op. cit., p. 117. Tout au plus trouvons-nous dans le Testament des douze patriarches, le germe de cette idée féconde : le Messie doit nous rendre ce qu’Adam avait perdu par sa faute. C’est dans la lumière du Calvaire que va être révélée, par l’apôtre de la rédemption, la doctrine complète du péché originel.

IV. La révélation de l’origine du péché dans le Nouveau Testament.
1° Dans l’Évangile. —
2° Dans saint Paul.

I. DANS L’ÉVANGILE.

Sur le péché, comme sur les autres points de sa doctrine, Jésus n’a point présenté son enseignement comme une thèse spéculative qui devait répondre à toutes les questions posées par la curiosité humaine. Rien d’étonnant à ce que son enseignement portât d’abord sur le fait concret des péchés personnels de ses auditeurs, sur la nécessité de la pénitence, sur l’annonce de la rémission des péchés par son sang. De là le sermon sur la montagne et les exhortations du début pour dire les conditions morales du salut, de là les nombreuses annonces de la passion.

Jésus déclare qu’il est venu pour détruire l’empire du démon, le péché. « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. Marc, x, 45. Plus préci sèment, il annonce, a la veille de sa mort, que » son sang va être répandu pour beaucoup en rémission des péchés Matth., xxvi, 28.

Va t - il plus loin et apporte-t-il quelque enseigne ment nouveau sur l’origine du péché qu’il veut détruire par sa mort ? Il ne le semble pas. Nulle part dans l’Évangile il ne distingue entre péché originel et péché actuel. Comme les.luifs de son temps, il distingue entre justes et pécheurs. C’est pour les brebis perdue » de la maison d’Israël qu’il est envoyé. Matth., xv, J I : cf. Luc, mx, 10. Il est le bon Pasteur qui laisse au bercail ses quatre vingt dix neuf brebis lidrles pour courir après la centième qui s’était perdue Matth., xviii, 12-13. Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin, mais les malades ; voilà pourquoi il n’est pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. Marc, ii, 17. Il a des menaces terribles pour les pécheurs qui scandalisent les petits, dont l’humilité et la simplicité méritent d’être données en exemple à tous les candidats du royaume : « Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits ; car je vous dis que leurs anges, dans les cieux, voient constamment la face de mon père. » Matth., xviii, 10.

Sans aucun doute, la révélation de Jésus, telle qu’elle apparaît dans ces textes, laisse dans l’ombre la question du péché originel. Ce n’est point que le Maître n’ait point médité les premiers chapitres de la Genèse ; n’a-t-il point donné un admirable commentaire au récit de l’origine de la famille ? Gen., ii, 23-24, dans Matth., xix, 1-9. Certains esprits s’étonnent qu’il ne nous en ait pas laissé un semblable sur le sens profond du récit de la tentation et de la chute ; cf. la question posée et étudiée dans l’Ami du clergé, 21 mai 1931. C’est que, sans doute, au moment où Jésus parlait, les esprits de ses auditeurs n’étaient point encore prêts à porter le sens d’un tel mystère. « Peutêtre, en ce qui concerne le péché originel et ses rapports avec l’incarnation et la rédemption, l’avertissement suivant, relaté par saint Jean, avait-il sa raison d’être : « J’ai encore beaucoup de choses à vous dire ; mais vous ne pouvez les porter à présent. Quand cet Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité. » Joa., xvi, 12-13. Ami du clergé, art. cité, p. 346.

Il suffisait au Christ d’avoir montré le rôle salutaire de sa mort ; il lui suffisait d’avoir enseigné la nécessité de renaître spirituellement par le baptême pour entrer dans le royaume des cieux. Il avait dit à Nicodème : « Si quelqu’un ne renaît de nouveau, il ne peut voir le royaume des cieux… Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux… Ce qui est né de la chair est chair ; ce qui est né de l’esprit est esprit. Ne t’étonne pas que je t’aie dit : il faut que vous naissiez de nouveau. » Joa., iii, 1-10.

Il suffisait à l’Église primitive, avant saint Paul, de savoir que le Christ est mort pour nos péchés selon les Kcritures, I Cor., xv, 3, et « que celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ». Marc, xvi, 16.

Il était réservé à l’apôtre Paul d’amener à son achèvement la révélation de la doctrine sur le péché originel. « Était-elle (cette doctrine) commune dans l’Église primitive avant l’intervention de saint Paul ? On peut en douter. Et en tout cas, il n’y en a pas trace ailleurs que chez l’Apôtre. La révélation n’a été close qu’avec le Nouveau Testament : Paul a pu être charge d’éclairer sur ce point les fidèles. » Lagrange, op. cit.. p. ILS ; P. Batiffol, L’idée de. la rédemption dans /, Xouvcau Testament, dans Semaine internationale d’ethnologie religieuse, iv c session, Milan, 192.">, Paris. 1926.

II. DANS SAINT PAUL.

La doctrine complète du péché originel, telle que l’a comprise la tradition, est dans la révélation paulinienne comme dans son germe.

Saint Paul tient, acc ses cont emporailis, de latffl dition Juive) qu’Adam est l’auteur de la mort et du penchant au mal, et que, de ce fait, pèse sur le genre humain la malédiction divine, il a appris lui-même, d’autre part, <ie la communauté chrétienne à laquelle

Il appartient, que le christ est mort pour nos péchés, irmément aux Écritures ». I Cor., xv. 3. La justification de tous par la mort de.lésns cnicilié. voilà le’i fait nouveau qu’il a approfondir et prêcher d’une façon Incomparable toute sa vie. Du rappro i bernent (parallélisme et contraste) qu’il établit entre Vdam, source de corruption et de mort, poux l’humanité pécheresse, et Jésus, le nouvel Adam, source de vie et de sainteté, va se dégager pour lui une vue d’ensemble plus large, plus profonde, plus compréhensive, a la l’ois sur l’universalité du mal et sur l’universalité du remède. Cette vue est présentée surtout dans l’épître aux Romains, mais elle se retrouve, 1res précise, en d’autres textes pauliniens.

Adam source de péché et de mort (Rom., v. 12-21 1.

1. Le contexte.

Paul vient de rappeler le fait consolant de la justification, et de dire sa confiance illimitée dans la puissance du fleuve de vie qui émane du sanj ; de Jésus-Christ, Rom., v, 1-11. Pour mieux marquer cette puissance dans toute son efficacité, son extension et sa durée, il va la rapprocher de la puissance du péché d’Adam, avec toute sa virulence et son universalité. De là l’expression Sià toùto, ꝟ. 12, qui marque la liaison entre les Il premiers versets du chapitre et la péricope 12-21. Ainsi, l’intention de ce parallèle n’est pas tant d’expliquer la genèse du péché (lue d’expliquer l’œuvre de la grâce surabondante du Christ. Ce serait donc fausser les perspectives pauliniennes que d’envisager ce passage comme une démonstration de l’existence du péché originel, encore moins comme une thèse sur le mode de sa transmission, ou sur sa nature. On sera mieux dans ces perspectives, si l’on considère ce texte comme une illustration, par un fait déjà connu dans une certaine mesure, à savoir, l’universalité des conséquences de la chute d’Adam, d’un fait nouveau, la puissance universelle de la rédemption.

2. Analyse du texte

(cf. J.-M. Lagrange, Épître aux Romains, p. 104-113 ; F. Prat, La théologie de saint Paul, t. i, 7e éd., p. 253-264 ; J. Freundorfer, op. cit., p. 214-264). — Dans son parallélisme entre les deux chefs de l’humanité, l’Apôtre est amené à remonter jusqu’à la source des deux courants qui traversent l’histoire du genre humain : d’un côté, le péché et la mort ; de l’autre, la justification et la vie.

a) Il fixe d’abord les yeux sur le premier Adam, source de l’humanité déchue  :

(12) « C’est pourquoi, comme par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a passé par tous les hommes, parce que tous ont péché,

(13) car, jusqu’à la Loi, le péché était dans le monde ; or le péché n’est pas imputé quand il n’y a pas de loi,

(14) et cependant la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse, même sur ceux qui n’avaient pas péché par une transgression semblable à celle d’Adam, lequel est le type de celui qui devait venir… »

Ainsi, l’universalité du péché comme de la mort est ramenée à un seul homme comme à sa source. Il s’agit bien ici de l’Adam des premiers chapitres de la Genèse, qui a ouvert pour l’humanité une ère de déchéance et de mort. Saint Paul néglige Eve : ce n’est pas qu’il ignore < qu’elle fut séduite par l’astuce du serpent », II Cor., xi, 3, que, séduite, « elle est tombée dans la transgression », I Tim., ii, 14 ; c’est qu’il veut opposer l’unique source de déchéance, Adam pécheur, à l’unique source de salut, le Christ rédempteur.

Par cette phrase : « le péché est entré dans le monde », l’auteur n’entend pas le péché d’Adam ut sic. Pour désigner celui-ci, l’Apôtre a d’autres termes : napaxor}, « la désobéissance », 7rapdc6aatç (ꝟ. 14), « la transgression », -apâ77TM[i.oc (t. 15-20), « le faux-pas, la chute morale ».’H àjj.apTta désigne ici le péché personnifié qui, par le fait même de la transgression du premier homme, fait son entrée dans le monde, pour y régner en souverain tyrannique comme une puissance ennemie de Dieu.

Ce qui passe ainsi dans la race humaine par le fait du premier homme, ce n’est pas la faute personnelle d’Adam comme telle, mais le péché, sorte de puissance malfaisante qui exerce sa domination dans l’homme à la suite de la désobéissance d’Adam. L’Apôtre ne décrit point encore l’évolution de cette puissance mauvaise dans le monde : il se contente ici d’affirmer son entrée dans les consciences humaines, seules capables d’être envahies par elle, du fait d’un seul homme.

Autre conséquence malheureuse de la faute d’un seul, le péché induit par Adam dans l’humanité y a produit la mort, 81à ttjç à(jL7pTt.7.ç ô Ôâvaxoç. La mort, en effet, est le salaire du péché. Rom., m. 23 : celui-ci est l’aiguillon de la mort ». I Cor., xv, 56. Il s’agit évidemment ici de la mort physique comme dans la Genèse ; Là, en elTet, la défense de Dieu était sous peine de mort. C’est donc par le péché que la mort, elle aussi, a fait son entrée dans le monde. Elle s’explique et par une loi positive, et par sa transgression ; la mort se répand, SûjXOsv, comme l’héritage d’un père passe à ses enfants. » Lagrange, op. cit., p. lut, . Or celle mort a envahi tous les hommes, parce que tous ont péché, è<p’& 7tàvT£ç ^p.apTOv. Ici, l’Apôtre conclut de l’universalité de la mort comme châtiment du péché à l’universalité de la culpabilité humaine. C’est une conséquence naturelle de la relation causale qu’il reconnaît entre la mort et le péché ; puisque tous meurent, c’est donc que tous ont péché. Nous avons là une argumentation d’effet à cause qu’indique d’ailleurs et la particule consécutive xocl o’jtojç et la conjonction ècp' o>.

Il est vrai que le traducteur d’Origène et les commentateurs latins anciens, spécialement saint Ambroise et saint Augustin, ont fait de £9’u un relatif qui se rapporterait à Adam, in quo omnes peccaverunt. Mais les exégètes catholiques les plus autorisés pensent aujourd’hui que ècp’co ne peut signifier ^ dans lequel », mais seulement « parce que ». Lagrange, p. 106. — « Nous ne faisons pas dire à Paul que tous les hommes ont péché en Adam. La formule peut être très théologique, et il en fournit quelque part le modèle en disant que « tous meurent en Adam » ; mais enfin elle n’est pas de lui et il ne faut pas songer à traduire le texte grec… ni même le latin par < en qui tous ont péché ». Prat., op. cit., t. 1, p. 258.

D’ailleurs, l’idée d’un péché originel commun à Adam et à toute l’humanité est bien contenue sous la forme « parce que tous ont péché ». C’est bien le sens du raisonnement par lequel l’Apôtre prouve l’universalité du péché dans les ꝟ. 13 et 14. A s’arrêter aux mots ttcxvt£ç ^aapTOv, on serait tenté de penser que saint Paul explique ici l’universalité de la mort par l’universalité des fautes personnelles, d’autant plus que, dans iii, 23, la même expression désigne des fautes individuelles. Mais, à cette exégèse s’oppose la suite du raisonnement : l’Apôtre va prouver que tous les hommes ne meurent pas à cause des fautes actuelles, mais à cause de la faute d’Adam dont ils partagent assez la culpabilité pour en subir la peine. Du fait d’Adam, non seulement tous sont morts, mais tous ont péché.

En voici la preuve : il choisit pour la faire une époque où les péchés actuels ne sont pas imputés comme cause de mort, parce qu’il n’y avait pas de loi qui disait : « si tu pèches, tu mourras. » C’était l’époque d’avant Moïse : il y avait certes alors des péchés actuels dans le monde, mais le péché n’était pas imputé, puisqu’il n’y avait pas de Loi. v. 13. On ne pouvait donc mourir pour un péché actuel : or, qu’arrivait-il alors ? Tous moururent et la mort a régné depuis Adam jusqu’à Moïse. Cette mort ne pouvait s’expliquer alors pour personne par des péchés actuels, qui ne pouvaient, dans l’hypothèse, être cause de mort. Elle s’expliquait encore bien moins « pour ceux qui n’avaient pas péché, à l’imitation de la transgression d’Adam » par une faute actuelle. S’ils moururent tous. c’était pour une autre cause, pour un autre péché, en dehors du péché actuel. Ce ne pouvait être que pour le seul péché dont la violation avant la Loi était punie de mort par Dieu : le péché d’Adam. L’universalité de la mort s’explique bien alors par l’universalité du péché. Mais l’universalité du péché cause de mort ne peut exister qu’à condition que tous les hommes, même ceux qui n’ont aucun péché actuel imputable, participent à la culpabilité d’un seul. La peine commune de mort suppose une faute commune. Tous les hommes sont solidaires en Adam pécheur, par conséquent solidaires en sa condamnation à mort. « Quant à ceux qui n’avaient pas de péché, il est encore plus clair que, s’ils mouraient, c’était pour un autre péché, qui ne peut être que celui d’Adam dont ils étaient infectés. Paul ne dit pas comment eut lieu cette infection ; il ne développe pas l’idée d’un péché commis par le genre humain dans son chef, transmis par la génération, etc., il se contente de poser le principe. » Lagrange. p. 107.

Ainsi la preuve est faite dans les ꝟ. 12-14 : Adam est bien la source unique du péché et de la mort pour la race humaine tout entière ; mais Paul n’a évoqué l’image d’Adam, source de péché, que comme « figure » de celui qui doit venir, l’auteur de la justification et de la vie. Cette idée qu’Adam est le type du Christ n’est introduite qu’à la fin du ꝟ. 14 ; on s’attendrait à ce qu’elle amenât le second terme de la comparaison. Mais l’Apôtre est emporté par le cours impétueux de ses idées, et laisse attendre jusqu’au ꝟ. 18 le second terme de la comparaison. Facilement, à la lumière de cette idée qu’Adam est le type du Christ, on supplée au second terme et on devine la pensée de l’auteur : si, par le premier Adam, nous avons reçu le péché et, par le péché, la mort, par le second, la justification nous est venue et par elle la vie.

On peut tirer aussi une autre conséquence de la comparaison amorcée : puisqu’on reconnaît au Christ le fait d’être l’auteur d’une vie et d’une justification qui n’existaient pas avant lui, on induira qu’Adam a été la source véritable d’un état de péché et de mort qui n’existait pas avant lui. En Adam, avant son péché, se trouvaient l’innocence et l’immortalité.

b) En opposition, l’œuvre du second Adam.

Après les comparaisons, voici les oppositions du tableau : après un premier regard jeté sur Adam source de péché et de mort, voici que l’Apôtre va montrer, par contraste, l’œuvre du second Adam inaugurant par son obéissance sublime le règne de la justice et de la vie : « (15) Mais il n’en est pas de même de la faute et du don gratuit. Si, en effet, par la faute d’un seul, tous sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et le don de la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, se sont répandus sur tous en abondance. (16) Et il n’en B’est pas du don comme du fait d’un seul pécheur, car le jugement porté sur un seul aboutit à la condamnation, tandis que le don gratuit, après « le nombreuses fautes, aboutit à la justification. (I71 Si. en effet, par la faute d’un seul, la mort a régné par le fait d’un seul, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et de la justice régneront dans la vie par le seul Jésus-Christ. (18) Ainsi donc, comme par la fuite d’un seul, la condamnation a pesé sur tous les hommes, de même aussi la justice exercée par un seul (procure) a tous les hommes la justification qui donne la vie. (19) En effet, de même que, par la désobéis lance d’un seul homme, tous ont été constitués pécheurs ; de même, par l’obéissance d’un seul, tous seront justes. (20) La loi est intervenue afin que la fuite abonde, mais on fe péché a abondé, la grâ surabondé, afin que, comme le péché a régné dans la mort, ainsi la grâce régnai par la justice pour la vie éternelle par Jésus Christ notre Seigneur. »

Résumons ces contrastes qui vont tous a prouver la Supériorité de la puissance d’expansion du salut par rapport à la puissance d’extension du péché. —
1. Si par la faute d’un seul, tous sont morts, à plus forte raison par la grâce d’un seul homme (le médiateur Jésus), tous recevront en abondance la justification. —
2. Si le péché d’un seul fut le point de départ de la condamnation d’un grand nombre, il ne faut pas oublier que « le don de la grâce d’un seul porte sur plusieurs péchés, celui d’Adam et les péchés personnels des hommes, et aboutit à la justification » (cf. Lagrange, p. 109). —
3. Si, par la faute et le fait d’un seul, la mort a régné, à plus forte raison, par le fait du seul Jésus-Christ, ceux qui étaient esclaves de la mort régneront dans la vie éternelle. —
4. Tandis que la faute d’un seul a entraîné le châtiment commun, l’action d’un seul conduit à la justification qui est la vie.

Enfin, contrastes et parallélismes sont résumés dans le ꝟ. 19, si riche dogmatiquement : « De même que, par la désobéissance d’un seul homme, tous les autres ont été constitués pécheurs, de même, par l’obéissance d’un seul, tous seront constitués justes. »

Le péché du paradis terrestre, qui est à la source du mal, était donc la désobéissance à un précepte, la désobéissance d’un seul. Voir Phil., ii, 8. Nous traduisons oî tcoXXoî par « tous les autres », parce que, mise en regard du premier Adam, cette expression n’indique pas une portion dans l’universalité, mais tous les autres, c’est-à-dire l’universalité du genre humain.

Mais, comment doit-on comprendre : « tous ont été constitués pécheurs » ? Est-ce seulement que, par le fait d’Adam, tous reçoivent une nature qui a une disposition à pécher ; est-ce seulement en tant que, sous l’influence de cette disposition, tous les hommes sont entrés par leurs actes personnels en communion avecla désobéissance d’Adam ; ou bien est-ce parce que, du fait de cette désobéissance, ils ont encouru un péché héréditaire proprement dit ?

On s’est demandé si le parallélisme strict n’appellerait pas simplement, chez les descendants d’Adam, une puissance de pécher ? Tous les hommes ne sont pas justifiés en acte par le Christ ; il n’y a. pour ledevenir effectivement, que ceux qui sont reliés au Christ par un acte de foi subjective. A pari, tous les hommes ne seraient-ils pas constitués pécheurs simplement en puissance, quitte à le devenir en acte en imitant Adam par une faute personnelle ?

A ces questions que pose l’exégèse contemporaine, la meilleure réponse se trouve dans le sens littéral qui se dégage du texte et du contexte de ces deux mots : àjxapTwXoi xaTeCTTxôï-jaav. Kaôiaràvai, d’après le lexique, veut dire : « instituer, constituer, établir » ; cf. Lagrange. p. 112 ; Freundorfer, op. cit., p. 262.

Le mot àjvapTwXoî ne fait pas davantage de ditli culte. Ce mot, chez l’Apôtre, veut dire « pécheur », c’est-à-dire un homme qui se trouve en opposition très nette avec la volonté de Dieu. Cf. Kom.. lit, 7 8 : Gal., ii. 15-17 ; I Tim., i, 9-15 ; Heb., vu. 26 ; xii, 3.

Ainsi. Ions les hommes sont réellement constitués pécheurs. D’ailleurs, le contexte immédiat appelle ce sens ; ils ont été constitués pécheurs, ils seront constitués justes. La justice conférée par le Christ étant …une justification de vie. le péché légué par le premier Vdam ne saurait être ni moins véritable, ni moins réel. » Prat, i’fej7L. p. 201. — Qu’on n’objecte pas que tous les hommes sont seulement justifiés en puissance, et un certain nombre seulement en fait par la foi. Cela est vrai. Ici, l’antitype ne cadre.>cv le type que dans les lignes générales. D’un côté, les liens de la chair unis ut toujours a dam : <ie l’autre, ceux de la fol rat ta chent souvent au Christ Par les premiers on reçoil le péché et la mort, par les seconds la justice et la Vie

L’universalité du péché est absolue parce qu’elle dérive d’une condition inhérente a noire exist eioe : f fait qui nous constitue hommes et iils d’Adam nous constitue pécheurs. Au contraire, nous ne devenons pas membres du Christ sans notre participation. La foi qui nous engendre à la grâce et le baptême qui nous régénère sont quelque chose de surajouté à notre nature. Cette réserve faite, l’universalité du péché et celle de la justice sont dans le même rapport. » Prat, ibid. Le sens du ꝟ. 19 rejoint celui du ꝟ. 12. Par celui-ci nous apprenions que tous « péchèrent » avant la Loi par le fait d’Adam (non par un péché personnel imputable) ; ici l’on nous dit plus clairement que, par la désobéissance du premier homme, tous ont été constitués pécheurs, ceci par contraste avec le fait nouveau de la justification de tous en un seul. « C’est en opposition avecle Christ, source de grâce, qu’Adam fut mieux compris comme source de péché. » Lagrange, p. 118.

La Loi est intervenue pour mettre en relief le règne du péché ; mais, là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. Tout cela pour que, comme le péché d’origine, grandi par les péchés actuels qu’il produit, a régné dans la mort, ainsi la grâce par la justice, en produisant ses fruits, régnât pour la vie éternelle. Ici, au ꝟ. 21, comme d’ailleurs déjà au ꝟ. 17, le parallélisme entre Adam, source de mort, et le second Adam, source de vie éternelle, nous laisse entendre qu’Adam n’a pas été seulement, par son péché, source de mort corporelle, mais source de cette mort spirituelle qui exclut du royaume messianique et empêche de partager ses joies, c’est-à-dire la véritable vie.

Ainsi, le parallélisme établi entre le premier et le second Adam pour illustrer le dynamisme de la grâce, par rapport au dynamisme du péché, nous donne-t-il une conscience plus nette et plus claire des conséquences de la chute du premier homme. L’universalité du péché et de la mort vient d’Adam ; de lui et par lui mort et péché ont passé dans tous les hommes. Le péché d’origine est un véritable péché, une véritable séparation d’avec Dieu. C’est un péché héréditaire proprement dit, et non seulement une simple disposition au péché. Je dis « non seulement », car le péché d’origine, qui a sa source en Adam, est aussi pour l’Apôtre une entité puissante, un potentiel de mal qui a son siège dans la nature charnelle de l’homme, et qui est gros de tous les péchés actuels.

Évolution et conséquence du péché d’origine (Rom., vii-vni). —

Quel retentissement ce péché a-t-il eu dans la conscience humaine et dans le monde ?

1. Dans la conscience humaine.

Selon bon nombre d’exégètes du protestantisme libéral, il faudrait chercher la véritable théorie paulinienne de la genèse du péché dans le monde, non au c. v, 12-21, mais au c. vu de l’épître aux Romains. Ici, l’Apôtre affirmerait que la loi physique de la chair, c’est le péché. Celui-ci serait entré dans le monde au moment même de la création ; latent dans la chair même d’Adam, en vertu même de sa constitution, il se serait manifesté pour la première fois par la transgression du premier homme. Adam n’aurait aucune signification comme source de péché ; « il serait seulement le premier pécheur parce qu’il est le premier homme. » Prat, op. cit., t. ii, p. 83 ; Holsten, Das Evangelium des Paulus. II. Paulinische Théologie, Berlin, 1898, p. 81.

Cette exégèse est contraire à l’ensemble de la pensée de saint Paul. D’après v, 12-21, le péché est entré dans le monde, non pas au moment de la création, mais bien par la transgression du premier homme. Alors seulement, la chair n’a plus été seulement chair, mais elle est devenue instrument de péché en se révoltant contre l’esprit et la loi de Dieu.

De plus, Paul connaît une chair sans péché ; c’est donc que le péché n’est pas un attribut essentiel de la chair. D’après Rom., viii, 3, Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché. « Paul voulait dire que le I-’ils axait pris notre uliair ; mais notre chair était, depuis Adam, une chair dominée par le péché. C’est sur ce point que le Christ ne saurait nous ressembler. II Cor., v, 21. La ressemblance de la chair de péché est donc notre chair, mais sans le péché. » Lagrange, p. 193.

La chair, même en dehors du Christ, peut d’ailleurs devenir l’organe de la vie de l’esprit. Le corps du chrétien est « pour le Seigneur », I Cor., vi, 13 ; il est le « temple de l’Esprit-Saint », I Cor., vi, 19 ; il peut, sous l’influence de l’esprit du Christ, être ressuscité, Rom., vin, 11, « racheté », Rom., viii, 23. Les mêmes membres qui sont le siège du péché, Rom., vii, 23, sont capables de devenir des armes de justice au service de Dieu, vi, 23. C’est donc que, lorsque Paul parle de la chair comme de la source, du siège, de l’organe du péché, il entend la chair, non telle qu’elle est sortie des mains de Dieu, mais telle qu’elle a été corrompue par le péché d’Adam.

Non, saint Paul n’est point dualiste à la façon des manichéens, le c. vu de l’épître aux Romains ne contredit point le c. v ; celui-ci nous disait l’origine du règne du péché ; celui-là nous raconte l’évolution de ce règne dans la conscience humaine.

Le péché nous apparaît, dans cette nouvelle section, aussi bien que dans la précédente, comme la puissance tyrannique qui est entrée dans le monde avec le péché d’Adam et qui veut régner. Il a des ministres et des auxiliaires à son service : d’un côté, la chair, qui, depuis la faute d’Adam, est asservie au péché ; et de l’autre, la Loi qui donne vie au péché.

Le péché d’origine, dans son évolution, est tout d’abord comme une force latente, morte en un certain sens sans la Loi ; il ne devient réalité vivante que quand la Loi paraît pour lui donner force et lui faire prendre conscience de lui-même. « Je n’ai appris à connaître le péché que par la Loi… Or, le péché a pris occasion de ce commandement pour produire en moi toutes sortes de convoitises, car sans la Loi le péché est mort. Ainsi, le commandement qui devait conduire à la vie s’est trouvé être une cause de mort. » vii, 7-11. Bref, la Loi n’aboutit qu’à aider au développement des virtualités funestes du péché.

Le péché a son siège dans la chair ; il règne dans le « corps mortel pour obéir à ses convoitises », vi, 12-14, 17-20 ; c’est par lui que l’homme, laissé à lui-même, est « charnel, vendu au péché », en hostilité perpétuelle avec la loi de l’Esprit. L’Apôtre nous décrit l’homme aux prises avec ce principe étranger à sa nature et qui est le péché d’origine, d’une façon impressionnante, dans ce passage classique, vii, 14-25 : « (14) Nous savons que la Loi est spirituelle ; mais moi je suis charnel, vendu au service du péché. (15) Car ce que je fais je ne le sais pas ; car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais. (16) Si donc je fais ce que je ne veux pas, je reconnais que la Loi est bonne. (17) Mais alors ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi, (18) car je sais que ce n’est pas le bien qui habite en moi, c’est-à-dire dans ma chair ; en effet, le vouloir est à ma portée, mais non la pratique du bien, (19) car je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas. (20) Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n’est pas moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. (21) Moi qui voudrais faire le bien, je constate cette autre loi, que c’est le mal qui est à ma portée, (22) car je prends plaisir à la loi de Dieu selon l’homme intérieur, (23) mais j’aperçois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison et qui m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres ; (24) malheureux que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? (25) Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur. Ainsi donc je suis le même qui sers par la raison la loi de Dieu, mais par la chair la loi du péché. »

Il faut reconnaître le genre spécial de cette analyse profonde de psychologie religieuse. Il est prudent, dirons-nous avec le P. Lagrange, op. cit., p. 175, t< de ne pas serrer de trop près des termes qui ne sont pas exempts d’une certaine exagération littéraire. L’homme est pour Paul une énigme, car il y a en lui une puissance qu’il ne domine pas. » C’est ce que saint Thomas reconnaît : dicitur peccatum habilare in homine, non quasi peccatum sit res aliqua, cum sit privatio boni, sed designatur permanentia hujusmodi defeclus in homine. Néanmoins, ce mot de « péché » est ici très important. Paul se réfère incontestablement au péché personnifié qui est entré dans le monde avec Adam, s’attache à chacun de ses descendants et domine en lui, s’opposant à la loi de Dieu. La lutte n’est doncpoint seulement morale entre le péché et la raison ; elle a un caractère religieux.

Tandis qu’au c. v l’Apôtre nous avait montré le péché d’origine comme étranger à la nature humaine, telle qu’elle est sortie des mains de Dieu, et nous l’avait fait saisir comme un effet de la violation du précepte divin, donné au paradis terrestre, il nous le présente ici comme une source, comme un potentiel de mal ayant son siège dans la nature charnelle de l’homme.

L’homme déchu est divisé : d’un côté la chair, qui, loin d’être habitée par un principe de bien capable de lutter contre le péché, est l’alliée, l’esclave de cette loi du péché qui prend possession de ses membres ; de l’autre, la raison, l’homme intérieur, qui incline au bien, qui le veut, mais ne peut l’atteindre : car il n’a pas la force qui ferait contrepoids à la loi de la chair. Le péché, dans cette lutte, triomphe et asservit, aussi longtemps que l’Esprit-Saint ou la grâce ne vient point au secours de la partie supérieure de l’homme pour asservir la chair et libérer l’esprit. Après la juslilication au baptême, < il n’y a aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, car la loi de l’Esprit de vie m’a affranchi en.lésus-Christ de la loi du péché et de la mort. » viii, 1 sq.

Certains exégètes se sont demandés, en commentant le c. vii, si Paul a pensé au /ornespeccati, à la concupiscence qui demeure même après que le péché originel est remis, ou au péché comme privatio boni. Sans chercher des distinctions aussi explicites dans la pensée de l’Apôtre, on reconnaîtra que la distinction, par exemple, entre culpabilité transmise et suites pénales de cette culpabilité, découle légitimement des principes émis par lui.

N T’affirme-t-il point, dîme p..rt, la complète des) rue lion, par le baptême, de la culpabilité originelle, vin, 1, et, d’autre part, dans les convertis, la survivance des convoitises contre lesquelles il faut se tenir en garde et qui mettraient de nouveau « les membres au service du péché comme des armes d’injustice m, 12-13.

Il n’y a aucun doute : pour saint Paul la enneupis i i me. dans les liapt isés qui y résistent, n’a aucun cara< h i.- île péché. Le concile de Trente l’enseigne autheii tiquement. Ilnm concupiscentiam, quam altquando apostolus peccatum appellat (Rom., vi, 12), Banda Si/nodus déclarai, Ecclesiam catholicam numquam in tellexisst peccatum appellari, quod vere et proprie in renalis peccatum sit, sed quia ex peccatn est et ad pecca lum inclinât… Denz.-Bann., n. 702.

Nous n’avons point a nous demande ! non plus quel de responsabilité, d’après l’Apôtre, demeure sous la pression de ces violents mou eni’n I s qui nous entraînent au péché Paul ne veul poinl Ici li i théoriquement ; nous -axons par ailleurs que, sa doctrine, la volonté reste la cause prochaine el déterminante du péché. Il ne nie pas h vouloir, mais le pouvoir de l’homme déchu. Ce qu’il tend à établir, c’est que la faute jaillit du conflit de l’être moral avec les tendances de la chair, et que, dans cette lutte, l’homme veut le bien et ne peut l’accomplir, s’il n’obtient, en la demandant, la force qui fasse contrepoids à la loi de la chair, c’est-à-dire la grâce de l’Esprit-Saint.

2. Dans la nature (Rom., viii, 19-22). —

Le désordre causé par le péché d’Adam a de funestes retentissements jusque dans la création matérielle.

L’Apôtre prête une voix à la créature : il nous fait entendre les gémissements de cette esclave qui, dans l’état violent où le péché l’a mise, aspire à l’affranchissement de la corruption et à la participation à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. « Car l’attente impatiente de la créature aspire à la manifestation des fils de Dieu. Car la création a été assujettie à la vanité, non de son gré, mais par égard pour celui qui l’a soumise, avec un certain espoir, parce que la création elle-même sera délivrée de l’esclavage de la corruption pour participer à la gloire de la liberté des enfants de Dieu. Car nous savons que la création tout entière est unie dans les gémissements et les douleurs de l’enfantement jusqu’à maintenant… »

Ainsi, au regard de l’Apôtre, depuis la chute de l’homme, même dans l’ordre sensible, les choses ne vont pas comme elles devraient aller. « La création solidarisée avec l’homme, comme toutes les générations avec Adam, est sous le signe de la corruption. » Lagrange, p. 206. C’est un état de déchéance, de vanité, de violence que le sien ; aussi aspire-t-elle ardemment à l’état d’épanouissement, où elle sera délivrée de l’esclavage de la corruption et participera à la liberté, afférente à l’état de gloire où seront les enfants de Dieu. En quoi consistera cet état nouveau pour la créature inanimée ? Paul ne fixe aucune précision à ce sujet. Ce qu’il sait, avec les fidèles, c’est que l’état de la nature n’est pas ce qu’il devrait être ; c’est que les chrétiens sont fondés à attendre un état meilleur.

Contraste entre le premier Adam, « âme vivante », et le second Adam, « esprit vivifiant » (I Cor., xv, 21-22 ; 44-50). —

Déjà les ꝟ. 21-22 opposent Adam source de mort, au Christ source de vie, « car, puisque, par un homme, est venue la mort, c’est par un homme aussi que vient la résurrection des morts. Et, de même que tous meurent en Adam, de même aussi tous seront vivifiés dans le Christ. »

Plus loin, dans un développement sur la transformation du corps ressuscité ( « semé corps animal, il ressuscite corps spirituel », t- 44), pour montrer qu’un corps psychique » appelle à un stade plus parfait un corps spirituel, l’Apôtre revient au parallélisme qui lui esl cher : « S’il y a un corps psychique, il y a un corps spirituel. Aussi est-il écrit : Le premier homme Adam devint une âme vivante, le dernier Adam devint un esprit vivifiant. »

Mais re n’est pas le spirituel qui passe d’abord : (/est le psychique, ensuite le spirituel. Le premier homme tiré de la terre est terrestre… Tel le terrestre, tels aussi les terrestres ; Tel le Céleste Ol tels aussi les célestes. I I comme nous avons porté l’image du terrestre, Nous portons aussi l’image du céleste, - I I 19.

I’passage s’attache d’abord au récit de la Genèse dans ce récit que Paul a lu que le corps d’Adam lui pétri de terre ; qu’ayant reçu le souille de vie, Il devint Ame vivante ; qu’en fait Adam ne transmit a ses descendants que ce qu’il possédai ! par nature, un corps, tall de terre, donc psychique et mortel. Puis, en VeitU de la sagesse divine qui procède à moins il au plus parfait, il montre que ce n’csl pas., qui est spirituel qui vient d’abord, mais ce qui est psychique. Donc priorité d’abord du corps terrestre, de l’imparfait, puis apparition ensuite seulement du corps céleste. Il est conforme à l’ordre que nous recevions d’Adam d’abord le psychique », et du Christ ensuite le « spirituel

On ne s’étonnera point qu’on parle ici seulement de ce que le premier homme tenait du fait de sa création du limon de la terre, et non point de ses privilèges, d’ailleurs si vite perdus. C’est à juste titre, si l’on tient compte du but poursuivi, car Adam ne conserva pas, et ne transmit donc point à sa postérité les dons préternaturels dont Dieu l’avait orné. D’ailleurs ces dons n’empêchent pas son corps d’être « psychique », d’avoir besoin d’une antidote périodique contre la mort. » Prat, t. ii, p. 250. Ce passage, loin de contredire l’idée de Rom., v, 12-21, en est une nouvelle illustration ; il insiste de plus sur cette vérité déjà contenue dans la Genèse, que par nature nous sommes faits de terre, donc mortels.

Par nature nous sommes enfants de colère (Eph., il, 34). —

Beaucoup d’exégètes ont vu dans ce verset la doctrine du péché originel exposée en termes techniques. « Nous en faisions partie nous aussi (des hommes désobéissants), alors que nous vivions autrefois comme eux dans les convoitises de notre chair, accomplissant les volontés de la chair et de nos pensées, et nous étions (nous, Juifs), par nature enfants de colère comme les autres. » Il s’agit ici de l’universalité des péchés personnels : Juifs comme gentils péchaient. Nous sommes ici, comme A. Lemonnyer l’a remarqué, sur le plan de Rom., i, 18 ; iii, 20, nullement de Rom., v, 12-19, ni même de Rom., vii, 7. « Par nature », qui a comme contre-partie « par grâce », signifie « de nous-mêmes » et non pas « de naissance ». Tout au plus peut-on dire que ce texte d’Eph., ii, 3, évoque la situation décrite dans Rom., vii, 7 sq., laquelle s’explique par le péché originel, et souscrire à cette formule du P. Prat : « Si donc le péché originel n’est pas nommé ici, il est suffisamment indiqué comme la source commune des inclinations mauvaises dont notre nature est maintenant infectée. » Lemonnyer, Théologie du Nouveau Testament, Paris, 1928, p. 83.

Rôle du démon dans l’origine et l’évolution du règne du péché (Eph., ii, 1 ; I Cor., xii, 2 ; Joa., xii, 31 ; vin, 44 ; I Joa., iii, 8 ; Apoc, xii, 9 ; Eph., vi, 12). —

D’après saint Paul, comme d’après saint Jean, appuyés l’un et l’autre sur le récit de la Genèse et le livre de la Sagesse, le premier instigateur du péché fut le diable, le serpent infernal. « Eve fut séduite par l’astuce du serpent. » II Cor., xi, 3. Le diable n’agit sur Adam que par l’intermédiaire d’Eve. « Ce n’est pas Adam qui a été séduit, c’est la femme qui, séduite, est tombée dans la transgression. » I Tim., ii, 14. Le père dont sont issus les Juifs infidèles, dit Jésus, c’est le diable ; ils veulent accomplir ses désirs. « Il a été homicide dès le commencement et n’est point demeuré dans la vérité, parce qu’il n’y a point de vérité en lui. » Joa., viii, 44 sq. Il est, d’après Apoc, xii, 9, « le grand dragon, le serpent ancien, celui qui est appelé le diable et Satan, le séducteur de toute la terre ». Celui qui a ainsi présidé à l’entrée du péché dans le monde continue à être l’auxiliaire le plus actif pour le développement du règne de cette puissance tyrannique qu’est le péché d’origine. Il est le prince du royaume du péché, le prince de ce inonde. Joa., xii, 31. C’est lui qui agit présentement chez les fils de la désobéissance : « Vous êtes morts par vos offenses et vos péchés, dans lesquels vous marchiez autrefois, selon le prince de la puissance de l’air, de l’esprit qui agit moralement dans les fils de la désobéissance. » Eph., ii, 1.

Il a « la puissance de la mort », Heb., ii, 14 ; il est « le dieu de ce siècle ». C’est lui qui aveugle les esprits. Et si notre Évangile demeure voilé, c’est pour ceux qui se perdent qu’il le demeure, pour les incroyants dont le dieu de ce siècle a aveuglé l’esprit. II Cor., iv, 4. C’est contre sa domination qu’il faut lutter : « Revêtez l’armure de Dieu, afin de pouvoir résister aux machinations du diable : car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les dominations de ce monde des ténèbres, contre les esprits de malice qui sont dans les régions célestes. » Eph., vi, 1 1.

Ainsi, le péché issu d’Adam, qui domine le genre humain et qui a son siège dans la chair, a derrière lui, pour activer le développement de sa puissance tyrannique, un être personnel, chef d’un grand nombre d’esprits. Pour saint Paul comme pour Jésus, le règne du péché, c’est le règne du diable.

Conclusion.

Saint Paul, à la lumière de la rédemption, a découvert le sens profond du mystère du péché d’origine raconté dans les premiers chapitres de la Genèse. La solidarité de tous dans la rédemption du Christ l’a aidé à mieux comprendre la solidarité de tous dans la déchéance d’Adam.

1. Ce qu’enseigne explicitement saint Paul. —

a) Le règne du péché et de la mort remonte à une cause historique unique : la désobéissance d’Adam, notre premier père. C’est par la faute d’un seul, commise à l’instigation du démon, que le péché est entré dans le monde, et, par le péché, la mort. Ainsi, de l’universalité de la mort, l’Apôtre déduit-il l’universalité du péché. Et l’universalité du péché elle-même ne vient pas de ce que tous ont imité Adam, mais de ce que le péché d’Adam est, d’une façon mystérieuse, le péché de tous. Adam est source de péché et de mort, comme le Christ est source de sanctification et de vie. La puissance de rédemption en Jésus l’emporte encore sur la puissance de perdition en Adam.

b) Le péché qui envahit le genre humain, par le fait d’Adam, et qui veut régner sur toute la race, à la façon d’une puissance tyrannique, n’est point une pure domination extrinsèque, une faiblesse congénitale seulement ; non seulement il fait des mortels et des hommes enclins au péché ; il constitue tous les hommes coupables et pécheurs. C’est un péché héréditaire. L’homme issu d’Adam, abandonné à lui-même, est charnel, psychique, asservi au péché, non pas que la chair soit essentiellement mauvaise, puisqu’elle est susceptible d’être purifiée et en quelque sorte spiritualisée, mais parce que, « telle qu’elle est actuellement en nous, elle implique une double relation avec le péché : relation historique avec le chef coupable de notre race, relation psychologique avec l’acte coupable auquel elle incline. » Prat, t. ii, p. 89 sq.

Le péché, à côté de la chair, a comme agent le plus actif pour travailler avec lui, le démon : son règne est celui du démon. Celui-ci continue l’œuvre commencée à l’Éden ; il a la mort en son pouvoir.

Ainsi l’homme déchu, en face de cet ensemble de forces hostiles, est infailliblement vaincu et devient charnel. Mais, par la grâce du Christ, le règne du péché est détruit, il n’y a plus de condamnation pour ceux qui sont dans le ChristJésus. Sans doute, ils ne sont point impeccables : l’Apôtre invite les convertis à ne point laisser le péché régner dans leur corps mortel, à ne point livrer leurs membres pour être des instruments d’iniquité. Ils le peuvent avec le secours de l’Esprit-Saint. Le péché n’aura plus d’empire sur eux, car ils ne sont plus sous la Loi, mais sous la grâce. Rom., vi, 12-14.

2. Ce qui peut être légitimement déduit de cet enseignement.

Saint Paul affirme nettement que par Adam découle dans l’humanité entière la mort et la coulpe universelles, la servitude de la chair, le Ilot toujours croissant des pèches actuels. Il affirme ainsi le fait de la transmission du péché. Mais, répond-il à la question « comment se communique-t-il » ?

Paul n’emploie pas la formule augustinienne « tous ont péché en Adam » ; mais l’idée que cette formule exprime est dans la logique de sa pensée. L’auteur y achemine en disant que tous meurent en Adam comme tous ont été vivifiés dans le Christ, en affirmant que tous ont été crucifiés avec le Christ, Rom., vi, 6-8, que nous sommes tous morts avec le Christ, II Cor., v, 14, que nous sommes ressuscites avec lui. Col., ni, 1-3.

Toutes ces expressions nous invitent à mettre à la base de la corruption, de la déchéance d’Adam et de la restauration dans le Christ l’idée de solidarité déjà si ancienne dans les conceptions religieuses du peuple. En vertu de cette solidarité, nous faisons un avec Adam comme nous faisons un avec le Christ.

Pour constituer la solidarité en Adam, Paul ne parle d’aucun autre lien que de celui de la chair. Par le fait de ce lien, tous les individus se fondent en la personne d’Adam : ils ne sont, pour ainsi dire, que le prolongement du premier homme. Ainsi, la désobéissance d’Adam devient la désobéissance de sa race qui fait une unité avec lui.

Si les liens de la génération naturelle unissent à Adam, ceux de la foi, de la régénération surnaturelle, font l’unité des fidèles avec le Christ : par le premier lien, on reçoit le péché et la mort : par le second, la justice et la vie.

Peut-on aller plus loin et éclairer Rom., v, 12, par Heb., vii, 10 ? Il est dit, dans ce dernier texte, que Lévi même qui perçut la dîme l’a payée (avant de naître), pour ainsi dire, en la personne d’Abraham, èv T7) ôacpÙL lorsque Melchisédech alla a la rencontre de celui-ci. Paul, en faisant de la culpabilité de la désobéissance d’Adam la culpabilité de tous, a-t-il pensé à cette implication de tous en Adam au moment du péché ? Augustin et d’autres avant lui ont ainsi compris l’Apôtre. Il n’est pas invraisemblable que telle fut la pensée de celui-ci, mais il est difficile de le prouver.

Paul, sur la doctrine du péché originel, est certainement en progrès sur la Synagogue ; il n’a point encore cependant les précisions d’Augustin et des conciles sur cette question. La Synagogue connaissait la mort et la déchéance héréditaires ; tout en connaissant une peine universelle attachée à la déchéance du premier père, elle ne voyait pas bien comment cette peine commune entraînait une participation commune- à une faute unique. Dans la lumière de l’Esprit et du fait de la rédemption aussi, Paul a compris qu’à une peine commune correspondait une responsabilité commune. Puisque tous meurent en Adam, tous sont solidaires de la faute d’Adam.

Cependant, Paul ne dit pas explicitement ce que dit Augustin et ce que dit l’Église. Sur ces questions : en quoi consiste précisément ce péché d’origine ? coin nient se communique l il ? pourquoi nous est-il im pute ? en quel sens nous devient-il propre ? Jusque quel point a t il corrompu la nature ? La tradition réfléchira et précisera davantage la doctrine, mais elle le fera en développant le germe doctrinal contenu dans l’Ancien Testament et surtout dans suint Paul.