Dictionnaire de théologie catholique/PRIÈRE .IV. Nécessité et obligation de la prière

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.1 : PRÉEXISTENCE — PUY (ARCHANGE DU)p. 109-113).

IV. NÉCESSITÉ ET OBLIGATION DE LA PRIÈRE. De

quelle prière s’agit-il ? Quand on parle de la nécessité de la prière, il ne s’agit que de la prière proprement dite, de la prière de demande : pour obtenir de Dieu tout ce dont nous avons besoin, est-il nécessaire de le lui demander ? Mais, quand on parle de l’obligation de la prière, il pourrait s’agir aussi des autres sortes de prières, des prières d’adoration, d’action de grâces et de pénitence en particulier ; mais ces questions ressortissent à d’autres traités : à celui de la religion, où l’on établit le devoir qui s’impose à l’homme de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, spécialement le culte d’adoration et d’action de grâces ; à celui de la pénitence, où l’on se demande si l’homme doit témoigner à Dieu du regret de l’avoir offensé par le péché et quand s’impose à lui cette obligation. Nous nous bornerons donc ici, pour la question de l’obligation comme pour la question de la nécessité de la prière, à la prière de demande. I. la NÉCESSITÉ DR la PRIÈRE.

Que la prière soit nécessaire dans un sens large, à savoir que sans elle on ne pourrait qu’à peine et difficilement, vix et cum magna difficultate, obtenir de Dieu ce dont on a besoin, cela, dit Suarez, op. cit., t. I, c. xxviii, n. 1, ne fait pas de doute. Mais que la prière soit nécessaire au sens strict du mot, c’est-à-dire qu’elle constitue le moyen indispensable, irremplaçable, d’obtenir de Dieu les secours dont on a besoin pour faire son salut, c’est ce qu’il est plus difficile de prouver. Et, d’abord, elle ne l’est pas ex se et ex natura sua. puisqu’il est d’autres moyens d’obtenir les grâces de Dieu, en particulier les bonnes œuvres, qui possèdent aussi une valeur impetratoire ; cf. Vermeersch, op. cit., p. 26. Elle ne le pour

rait donc Ctre qu’en vertu d’une disposition, d’une loi divine, ex divina lege et quasi pacto, Suarez, ibit !., n. 2, Dieu avant décrété que l’homme ne pourrait obtenir les grâces nécessaires au salut que moyennant la prière. Mais cette loi exisle-t-elle ? Les théologiens le pensent et établissent cette thèse : Oralio est /minibus aduilis vialoribus necessaria nécessitait medii ad salutem, saltem fuxta legem Dei ordinariam. Tanquerey, Synopsis théologies moralis et pastoralis, 8° éd., t. ii, P127, p. 593. Vermeersch, op. cit., p. 10, qualifie cette nécessité de nécessité latius dicta ou deminuta, parce que, dit-il, non omnibus sed plerisquee lege ordinaria orare necesse si t.

Tanquerey déclare la thèse certaine : certum est. Vermeersch ne lui attribue que la valeur d’une opinion plus commune : communior opinio, p. 9. La première chose à enseigner aux fidèles, dit le Catéchisme romain, part. IV, c. i, n 2, c’est la nécessité de la prière. Il est vrai qu’on peut se demander s’il parle « le la nécessité de moyen OU de la nécessité de précepte, car il les mêle l’une à l’autre. On pourrait dire aussi qu’il conclut de l’une à l’autre, du devoir de la prière a sa nécessité. Vlais voici qui ne peut s’entendre que de la nécessité de moyen : « Nous avons besoin de tant de choses et pour l’Ame et pour le corps qu’il nous faut recourir à la prière : elle seule peut exposer fidèlement a Dieu notre misère et en obtenir ce qui nous manque, tanquam ml imam omnium optimum et indigerilitr nostrte interprètent et coneiliatricem eorum quibus egemus. Dieu.cn elTet, ne doit rien à personne ; et, par conséquent, c’est une nécessité pour nous de lui demander par la prière ce dont nous avons besoin : la prière est comme un instrument nécessaire qu’il a remit entre nos mains pour obtenir ce que nous désirons. Et même il est certain que, sans la prière, il est plusieurs choses que nous ne saurions obtenir de lui : il y a, en effet, des démons qu’on ne peut chasser que par le Jeûne et la pri » r< Ibid., n. 3-4.

S’il n’est aucun (exle de l’Écriture qui enseigne c lai rement et explicitement la nécessite de la prière, sans

quoi les théologiens ne la proclameraient pas seule ment une vérité certaine, mais une vérité de foi divine, du moins il en est beaucoup qui la supposent. Petite, et dabitur vobis : minus qui petit, aecipit, Mal th., vii, 7-8, pourrait passer pour une recommandai ion plutôt que pour un ordre, el cette recommandation suppose comme contre-partie que, si l’on ne de m ; m de pas, on ne

recevra pas, donc que la prière est un moyen nécessaire pour obtenir de I Heu quelque chose. V igtlate ri orale ut non inirctis in tentationem, LVfatth., xxvi, ti. présente évidemment la vigilance ei la prière comme « les moyens nécessaires pour ne pas entrer en tentation. i.’insistance avec laquelle l’Apôtre recommande

l’usage de la prière ne s’explique bien que si elle est un moyen de salut nécessaire : Orulmni instantes, Rom.,

xii, 12 ; per omnem orationem et obsecraltonem orantes omni tempore in s/iiritu, l’.ph., VI, 1<S ; sine inlermissionc orale, I Thess, V, 17. C’est l’avis de tous les théologiens : <. 1.’exhortation si fréquente et si multipliée.

que nous font le Christ, Paul et les autres apôtres, de prier fréquemment et Instamment, montre sans aucun

doute, non seulement l’utilité, niais la nécessité, et

valde urgentem, de la prière, i Suarez, op. cit.. n. I.

Les Pères de l’Église, surtout à partir de l’hérésie

pélagienne. énoncent magis perspicue, dit Vermeersch,

p. 17, la nécessité de la prière. Voici les principaux textes cites par les théologiens. Innocent l, r, dans sa lettre au concile de Cartilage : nisi magnis precibus gralia in nos implorata descendat, nequaquam terrente labis et mandant curporis vincerc ronemur rrrorcm, P. L., t. xx, col. 585 ; ce texte ne dit pas explicitement, mais il suppose que la grftcequl nous est mecs sairc doit être demandée par la prière. Si l’on prie dans

l’Église, c’est parce que l’on est persuadé que la g est nécessaire et que la grâce ne s’obtient que par la prière ; si bien que supprimer la nécessité de la grâ<e. c’est supprimer du même coup la prière, et c’est le reproche que les l’ères adressent aux pélagiens : Des Iruunt etiam orationes quas facit F.cclesia. déclare saint Augustin, / ; / tueresibu » ad Quodvuttdeum, 88, p. L., t. xlii, col. 17 ; le concile de Mileve leur reproche « de vouloir mettre sens dessus dessous tout le christianisme, en enseignant qu’il ne faut pas prier Dieu pou : qu’il nous aide dans notre lutte contre le péché et pour la pratique de la justice, omnino tolum quod clins liani sumus nituntur evrrtere (docentet I non esse rogandum Dcum ut contra peccati malum alque ad operandam juslitiam sit noster adjutor, P. 1… t xxxrn, col En somme, on pourrait dire que la nécessité de la prière est une vérité qui fait partie du sens catholique », de la conscience de l’Église, el qui s’exprime dans la vie. dans la pratique » de l’Église. SpontaiM ment, les théologiens connue les fidèles concluent di i nécessité de la grâce à la nécessité de la prière, encon « pie logiquement l’une ne se puisse pas déduire d. l’autre. C’est ce que fait saint Thomas, in l < Sent.

dist. XV, q. IV, a. 1. sol.’;  :.’l’ont nomme est tenu fjl prier par le fait même qu’il est tenu de se procurer d « 

biens spirituels qui ne lui peuvent venir « pic de Duo et qui, par conséquent, ne peuvent lui être donnés qui s’il les demande. « . Étant donné, dit saint Auuust il qu’il a des choses que Dieu accorde niènie SSJU la

pi ii n. comme le commencement de la foi, mais qu’il en

est d’autres qu’il n’accorde qu’à ceux cpii prient.

connue de persévérer Jusqu’au bout, assurément celui qui estime pouvoir par lui même- parvenir ne prier pas a cette Intention, » De donc perseverantia c wi. n. 39, P. /… t. xi, col. 1017. Enfin, car on ne peut tout citer, l’auteur du De eccleslasticis dogmatibt

déclare aussi sur de la nécessite de la prière que cl, I. nécessite de la grâce : ulliun CTtdimus ad salutem nisi lio invitante ventre ; nullum salutem suam nisi Ihn mutilante operari ; nullum nisi orardem auxiliuir promerert. P /…t xui.eol.1218. Le concile de Trente,

reprenant la célèbre formule de saint Augustin, sup pose aussi ( pie la prière est le MU) moyen que nOUS

ayons d’obtenir les forces nécessali i <>mpiiss,

ment de certains préceptes : Deus impossibilia non jubcl, sed /ubendo tnonet >i facere quod possit / /

quod non /m, .wv Se-ss., , , Nl. Denz.-Bannw., n. mu l’eut on démontrer rationnellement, a priori ou

posteriori, que la prière est nécessaire ? il ne le serabh pas. puisque cette nécessité résulte d’un décret, d’une

libre disposition de la Volonté divine, et iidii de i nature des choses : hmu TUCeSSitatem liindnri aliqUi

modo m ipsa ni natura, consunvnari t*

honr ri decreto divina pn videnliss… Absoluie vert

deereto et dispositions divina ion potuisset introdut

tanla nécessitas. SuarcI. op. cit., n >. <.us pouvons

donc chercher et t rouver des raisons de convenance qu légitiment en quelque sorte cite disposll ion providen

ticlle. celle exigence divine ; niais nOUS ii, - sailli. aïs.

proprement parler prouver rationnellement une vériti

de cet ordre. (.Hic cette disposition de la dixiiic Providence soit fondée d’une certaine manière sur la naluxi

des choses. c’est ce que montre saint Thomas en SOI

opuscule Compendium theologist, pari. Il. c n « Parce « pic. dit-il, selon l’ordre de la divine Provi

dence. est attribuée à chaque être une manière « le pai

venir â sa fin en rapport avec sa nature, aux hommes aussi il a été accordé un moyen d’obtenir ce qu’ils attendent de Dieu qui soit conforme à l’humaine condition, Par c’est la condition de l’homme d’iiiterposri la prière pour obtenir de quelqu’un, surtout d’un SUpé rieur, ce qu’il eu attend. Et voilà pourquoi la prii été prescrite /indicta) aux hommes pour que par elfc

ils obtiennent de Dieu ce qu’ils en attendent. » La prière est le geste naturel « le l’indigent ; en l’adoptant, en en faisant une condition nécessaire pour l’obtention de ses dons. Dieu s’est donc conformé à la nature humaine : Que fait le pauvre qui n’a rien ? Il s’en va frapper à la porte du riche, il ouvre une main suppliante, et reçoit l’aumône d’un cœur généreux. » Landriot, Instruction pastorale pour le saint temps de carême 1861, Œuvres, t. iii, p. 15. Suarez indique une autre « convenance » de cette disposition providentielle : elle se tire ex online et consuetudine divines providentiel. « Dieu, dit-il, agit, autant que faire se peut, par les causes secondes et, servata proportione, in operatione l’irtulis vult cooperalionem noslram. Donc, comme nous pouvons coopérer à notre salut au moins par la prière, après que nous avons été touchés par la grâce prévenante, c’est à bon droit que Dieu exige de nous cette coopération et qu’il a voulu que la prière fût quasi necessariam causalilalem secundæ causas ad talem efjectum. » Ibid., n. 5.

Malgré tout, cette exigence divine paraît dure à la nature humaine et c’est pourquoi les Pères, les théologiens, les prédicateurs se sont efforcés de la légitimer, d’en sonder les raisons mystérieuses, de répondre aux objections qu’elle soulève. Nous avons déjà vu saint Thomas aux prises avec ces difficultés, col. 204, et faisant valoir les utilités de la prière comme compensation à l’épreuve qu’elle impose à notre amour-propre. Le Catéchisme romain a repris cette tactique : « Si la prière est nécessaire, elle produit en même temps des fruits abondants qui doivent nous en rendre l’exercice infiniment agréable. » Loc. cit., c. ii, n. 1. Et tout le chapitre est consacré à rappeler celles des utilités de la prière « qui sont le plus en harmonie avec la pensée contemporaine ». Citons-en quelques-unes : 1° « Le premier fruit que nous tirons de la prière, c’est que par elle nous honorons Dieu… En priant, nous professons que nous sommes dépendants de Dieu, nous le reconnaissons pour l’auteur de tous biens, nous mettons en lui seul notre confiance, et nous le regardons comme l’unique soutien, l’unique refuge de qui nous puissions attendre notre conservation et notre salut. » Ibid., n. 1.

— 2° « Un second fruit de la prière, infiniment avantageux et consolant, est celui qu’on en retire lorsqu’elle est exaucée de Dieu… ; prier est une chose si utile et si efficace que par elle nous obtenons tous les biens spirituels. .. », n. 2. — 3° « Un troisième fruit de la prière, c’est qu’elle est un exercice de toutes les vertus, et qu’elle les augmente toutes ; ce qui est vrai surtout de la foi… ; la charité s’accroît aussi dans la prière… », n. G et 8. — 1° La joie est encore un fruit de la prière : omnino inest in precalinne singularis gaudii cumulus, n. 2. « Voir ses amis et converser avec eux augmente encore et enflamme l’amitié : ainsi plus les hommes pieux conversent avec Dieu par la prière, en invoquant les effets de sa bonté, plus aussi ils sentent croître en eux une sainte joie qui accompagne leurs prières et plus ils sont portés à l’aimer et à le servir avec ardeur », n. 8. Mgr Landriot a consacré toute VInstruction pastorale déjà citée à « l’utilité, la facilité, la douceur » de la prière ; cf. Œuvres, t. iii, p. 276-371.

Mais faire valoir l’utilité, la facilité, la douceur de la prière, c’est bien nous encourager à accepter de bon cœur cette condition que Dieu a mise à l’octroi de ses dons, ce n’est pas répondre directement à la question que nous ne pouvons manquer de nous poser : pourquoi Dieu a-t-il voulu qu’il en fût ainsi ? Pouvons-nous pénétrer ce mystère ? À plusieurs reprises, le Catéchisme romain paraît vouloir s’y aventurer. « Dieu pourrait, il est vrai, nous accorder toutes les choses nécessaires sans prières et même sans désirs de notre part, comme il fait par rapport aux animaux, à qui il donne tout ce qui est nécessaire à leur existence. Mais

c’est un père plein de bouté qui veut être Invoqué par ses enfants : il veut qu’en le priant tous les jours notre prière se fasse avec plus de confiance ; il veut, en nous accordant ce que nous demandons, nous montrer de plus en plus tous les jours sa libéralité et sa tendresse envers nous. » N. 7. « Si Dieu veut que nous ayons recours à l’exercice de la prière, c’est pour exciter dans nos coeurs des désirs plus ardents des choses que nous lui demandons, afin que nous puissions recevoir ensuite des biens et des grâces dont une âme froide et, pour ainsi dire, rétrécie par la tiédeur, ne saurait être digne. » N. 9. « // veut, en outre, nous faire comprendre et sentir à chaque instant que nous ne pouvons rien de nous-mêmes et sans le secours de la grâce. » Ibid. Saint Augustin s’est-il plus approché des insondables desseins de Dieu à ce sujet quand il dit : « Dieu veut que tu pries pour que tu désires ce qu’il t’accorde, afin que ses dons ne s’avilissent pas à tes yeux », ideo voluit ut ores, ut desideranti det, ne vilescat quod dederit’.' Serm., i.vj. n. 4, P. L., t. xxxviii, col. 379 ; cf. Landriot, op. cit., t iii, p. 31-34. Mais quand bien même les intentions divines nous demeureraient impénétrables, nous devrions nous incliner devant la loi : » Dieu est le maître. Il nous a dit : Petite et accipietis. La condition est précise et clairement exprimée : il faut l’accepter ou renoncer à la faveur promise. » Landriot, ibid., p. 31.

II. L’OBLIGATION DE LA PRIEUR. — 1° La question préalable : la prière peut-elle être matière d’uneobliyation, d’un précepte’.' — C’est la question que se pose saint Thomas, In I V im Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, qu. 3. Une prière obligatoire paraît être une contradiction dans les termes. Car qu’est-ce qu’une prière, sinon l’expression d’un désir, quædam volilorum petitio ; c’est-à-dire un acte qui procède essentiellement de la volonté. oratio maxime est voluntati.i. Mais ce qui procède de la volonté ne peut procéder en même temps de la nécessité, de la contrainte, de l’obligation : quod volnntatis est, non est necessitatis. Il n’est pas besoin, il semble contradictoire qu’on commande à l’indigent de mendier, à celui qui se noie de crier au secours. La même objection est reprise dans Sum. theol., II 1 - II*, q. lxxxiii, a. 3, 2e obj. Nous nous contenterons de renvoyer à saint Thomas pour la réponse à cette question purement théorique.

2° L’existence de l’obligation, du précepte de la prière.

— Il y aurait eu jadis, au rapport de Médina. Codex de oratinne, q. ix, De neccssitale orandi menlatiter, diversité d’opinions entre les théologiens sur ce point ; pour les mettre d’accord, un théologien aurait imaginé une distinction : in se et ratione sui et absolule, la prière ne serait pas de nécessité de précepte divin ; mais elle le serait ex supposilione, c’est-à-dire dans l’hypothèse où le salut ne pourrait être obtenu sans elle, dans l’hypothèse où, sans elle, nous ne pourrions éviter quelque péché ou surmonter quelque tentation. Médina, Suarez, rejettent cette distinction et soutiennent cette thèse, qu’ils déclarent « commune » : Simpliciter asserendum est orationem positam esse sub præcepto divine Suarez, op. cit., t. I, c. xxix, n. 2.

Le Catéchisme romain, part. IV, c. i, n. 2, est formel à cet égard : « La première chose à enseigner, c’est la nécessité de la prière, dont le commandement ne nous a pas seulement été donné à titre de conseil, mais possède encore la force d’un ordre inéluctable ; ce qui ressort de ces paroles du Seigneur : oportet semper orare. L’Église elle-même nous montre cette nécessité de la prière par cette espèce de préface qu’elle récite avant l’oraison dominicale : Pneceptis salutaribus mnnili… Ce devoir de la prière, les apôtres ne manquèrent pas de l’intimer à ceux qui embrassaient la religion chrétienne. »

Le fondement scripturaire de la thèse, les théologiens, comme le Catéchisme romain le voient surtout

dans les paroles du Christ, Suarez, ibid., et plus particulièrement dans Voportet semper (irare. Cf. saint Thomas, au Sed contra de la quastiuncula.. citée plus haut : « Sur cet oporlel semper orare, Chrysostome fait remarquer ceci : en disant oporlel, le Christ indique que la prière est nécessaire Ic’est-à-dire obligatoire]. Mais une telle nécessité ne peut provenir que d’un commandement. Donc, la prière cadit sub prsecepto. » Dans la Somme, II 8 -II æ, q. lxxxiii, a. 3, ad 2’"", il invoque le texte : Petite et accipietis, pour prouver que la prière est de précepte.

Même si nous n’en trouvions p ; is dans l’Écriture la mention expresse, la raison sullirait à nous démontrer l’obligation de la prière, lui effet, « tout homme est tenu de prier par cela seul qu’il est tenu de se procurer à lui-même des biens spirituels qui ne peuvent lui être donnés « pie par Dieu, et qu’il ne peut, par conséquent, se procurer autrement qu’en les lui demandant ». Saint Thomas, In IV 1 "" Seul., lue cit., sol.’.', . Remarquons, en passant, le motif allégué ici : l’obligation de prier est rattachée a la charité envers soi même. Sua rez, op. cit., s’appuie, pour démontrer cel te obligal ion, sur l’axiome communément reçu par les théologiens « Tout ce qui est nécessaire au salut de nécessité de moyen l’est aussi fie nécessite de précepte divin ; or, la prière est nécessaire au salut de nécessité de moyen ;

donc de oratione datvw preeceptum furis divin Les théologiens font remarquer qu’il s’agit ici d’une

obligation de droit divin naturel et non de droit divin positif. Elle a bien pu être rappelle par le Christ, elle

n’a pas été établie par lui ; de lout temps, elle s’est imposée à l’homme. l.e Christ, dit Suarez, <>/<. Cit., 1. 1, C XXVIII, 11. 4, n’a pas donné de préceptes positifs, si ce n’est au sujet de la foi et des sacrements, mais il ; i expliqué plus clairement CC qui était contenu dans le

droit divin naturel ; il b d mont ré que la prière étail

obligatoire précisément parce qu’elle est nécessaire.

Mais les I héologiens ne sont pas d’accord sur la ques

tion de savoir <id quant virtutem hoc preeceptum spectet,

a quelle vertu il faut rattacher ce précepte, a la charité ou à la religion. Nous avons u que saint Thomas, dans le Commentaire des Sentences, le fait dériver de la charité ; dans la Somme, au contraire, lue. rit., il le

rapporte a la vertu de religion : l.e désir tombe bien sous le précepte de la charité, mais la demande sous

celui de la religion. » l.a question peut paraître oiseuse ; elle ne l’est pas cependant, car, si la prière n’est oblige toile qu’en tant qu’elle est nécessaire pour l’accomplis sèment d’un devoir particulier et non pas ex ri st. lui*

religionis, celui qui la néglige et qui par la manque à ce

devoir, pèche bien contre telle du telle vcrlu. mais son péché ne se double pas d’un peche spécial contre la

veriu de religion provenant de son omission de la

prière. Cf. Suarez, I. I. c. i, n. (i-7. Il eu va autre nient s’il y a un précepte particulier qui nous oblige à plier dans nos besoins spirituels a ri solius rclit/imus. Ibid., n..S. Mais ce précepte particulier existe-t-U ? Suare/, n. 10. s’efforce de prouver que oui, en avouant d’ailleurs que ce n’esl pas commode. Jean de Saintriiomas. loc. cit., p. 773, paraît vouloir marcher sur ses traces, mais en réalité il s’en écarte : il y a bien, en vérité, une prière qui s’impose à nous ex ri solius religionis ; niais ce u’esl pas la prière de demande, c’est la prière d’adoration, de louange, d’act ion de grâces ; négll ger cette prière est bien en effet un péché spécial contre la vertu de religion.

3° L’étendue de l’obligation de prier. - 1. Est-on obligé de prier vocalement’.'-- Tous les théologiens, a la suite de saint Thomas, sont d’accord pour déclarer qu’il n’est pas nécessaire de prier vocalcineiit pour .i’compllr le précepte divin dont nous parlons, l.a prière privée, dit saint Thomas, « peut se faire et voce el sine voce, a la convenance de celui qui prie ». In I " i

Sent., dist. XV, q. iv, a. 2, sol. 1. La prière individuelle, dit-il encore, « ne requiert pas nécessairement une expression vocale, de hujusmodi orationis necessilate non est quod sit uoealis ». Sum. theol.. Il II q. lxxxiii, a. 12 ; cf. Suarez, op. cit., I. I. c. x.xix, n. "> : 1. III. c. vi, n. 2-5. La chose est trop évidente pour qu’il soit utile d’insister.

A cette occasion, Suarez se demande s’il n’y aurait lias un précepte ecclésiastique obligeant tous les fidèles ad aliquam privatam orationem voealem, ne serait-ce qu’à réciter de temps en temps l’oraison dominicale. Ibid.. n. 6. On voit immédiatement que, par suite de l’équivoque due au double sens de l’expression prière vocale. la question se déplace : il ne s’agit plus maintenant de savoir si l’Église nous oblige a prier vocalement, mais si elle nous fait un devoir de réciter, vocalement ou mentalement, une prière déterminée. Or. sur ce point encore, les théologiens ne s’entendent pas. Suarez, ibid., n. 7-9, opte pour la négative À fortiori, n’y a-t-il pas obligation de réciter l’Ane Maria ou le Salve Regina. N. 10. Il n’j a même pas obligation, pour les simples fidèles, de prier vocalement aux messes de

précepte, ni même de réeiter mentalement les prières

de la messe ; il suffit que, par la pensée et l’intention, ils s’unissent a la prière du prêtre : HT », per te toquendo, melius faciunt attendendo et mente orando. V 13. Iln’ya Hièrc que la pénitence imposte pai le confesseur qu’il faille réciter vocalement ; encore taul il qu’il constate suffisamment que le confesseur a prescrit cette récita tion vocale. N. 17.

2. Quand est on obligé de prier’.' — À ce sujet, les théologiens signalent d’abord l’erreur des mess..liens

ou inclûtes, qui, au dire de saint Augustin, prenant a la lettre le mol de l’Évangile : Oportci ire et

m. n defleere, Luc, xviii, i. et celui de saint Paul Sunintermissione orale, l Thess. x. 17. - prient telle nient que cela paraît Incroyable > « eux a qui ils par but de leur prière… ; ils cxaM lent tellement cette pra tique qu’ils méritent par là de figurer parmi les i. ques. De hæreaibu », lvii, P. L.. L xlii. col i" Selon Théodoret, leur erreur aurait plutôt conststi a opposer l’efficacité « le la prière perpétuelle.i l’Inefficacité du baptême pour l’extirpation « le la racine même du péché ; cf. de Guibert, Documenta…, n. 79, i.’. I ; Théodore ! leur reproche même, après avoir donné un certain temps a la prière, de pass ( r la plus grande parlie de la journée a dormir. Ibid., n 80, fi Quoi qu’il en soit de l’erreur des messallens, les textes jont Formels et semblent bien parler d’une obligation de prier sinon absolument toujours, du moins autant que possible, c’est-à-dire autant que l’obligation de pourvoir aux

nécessités de la Vie nous en laissera le loisir. h>ln illo

tempore qm d n conoenienli somno et nb aliis actionibus ml riiiun ncci’ssariit vacuum est. Suarez, op. cit., I. I, c. xxx. n 2. Pourtant, fait remarquer Suarez, l’usage ci la pratique de l’Église ne permettent pas d’interpréter aussi rigoureusement ces textes : consacrer i" ; loisirs à la prière, comme tout son supei tin à l’aumône,

peut bien elle mallele de conseil, ce n’esl p ; is matière

de précepte, licet illa frequentia orathnis eliam nossibi lis il et ir.nit du m consilîo sil. non Uimen rsl in r.i i (/ ! /</(/ salis constat ex usu et praxi Ecclesiee. Ibid.

Mais alors comment faut-il entendules textes script m ait es ? Saint Thomas en a donne plusieurs Interprétations, que Suarez s’est permis de critiquer assez, vertement Voir saint Thomas, In IV° Sent, dist. XV, q. iv, a. 2, qu. 3 ; Sum theol.. Il -IL, q. i xxxiii, a. Il ; In /, ’.. « >.. c. i, lecl "> ; In I Thess., c v, leet. 2 ; SuareI. op. cil, I. I. c. i. n. 1-5 ; c. xxx. n. 3-7. les prédicateurs et les auteurs.spirituels se sont aussi

beaucoup occupes de {’oporlel semf er orare et du sine intermissione orale. Landriot a consacre a cette question la plus grande partie de V Instruction pastorale 21 t

    1. PRIÉ HE##


PRIÉ HE. QUALITÉS

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citée, cf. Œuvres, t. iii, p. 89-119, sans compter l’appendice à cette Instruction, p. L32-1 16, où il a rassemblé un grand nombre de textes « sur la question (le la prière continuelle par les bonnes œuvres », pour répondre aux critiques de Suarez ; le P. Grou, L’école de Jésus-Christ, M’leçon. De la prière continuelle, l’entend de « la prière du cœur ». Cf. R. Plus, (’.uniment toujours prier ? Toulouse, 1932.

Si nous ne sommes pas obligés de toujours prier, c’est-à-dire de consacrer tous nos loisirs à la prière, il n’en reste pas moins vrai que les textes scripturaires paraissent bien nous obliger à prier souvent, fréquemment. Mais peut-on préciser davantage quelle doit être la fréquence de la prière ? Est il obligatoire de prier eliaque jour, ou même trois fois par jour, comme le voulait Origène ? Cf. son traité De la prière, trad. Bardy, t. xii, 2e part., p. 62. Pour répondre à cette question, n’oublions pas que nous ne parlons ici que de la prière de demande, qui n’est obligatoire que dans la mesure où elle est nécessaire, et non des prières d’adoration, d’action de grâces ou de repentir, qui sont obligatoires à d’autres titres. Tous les théologiens sont d’accord avec saint Thomas pour déclarer qu’il est impossible d’apporter des précisions rigoureuses en cette matière : Doctores catlwlici fatentur præceplum hoc, quatenus divinum et naturale est, non afjerre secum certam et claram temporis delerminationem. Suarez, op. cit., t. I, c. xxx, n. 8. Le texte de saint Thomas sur lequel on s’appuie est celui de Y In 1 V am Sent., dist. XV, q. iv, a. 1, sol. 3 : « La prière est obligatoire et determinate et indeterminate. Sont tenus à certaines prières determinate ceux qui sont établis intermédiaires d’office entre Dieu et le peuple… Est tenu de prier indeterminate quiconque est obligé de se procurer des biens spirituels qui ne peuvent lui venir que de Dieu et qu’il ne peut par conséquent se procurer qu’en les lui demandant. » Il semblerait que le motif de l’obligation suffirait à en déterminer l’étendue et les limites : nous serions obligés de prier toutes les fois que nous aurions besoin du secours de Dieu pour repousser une tentation grave ou pour accomplir un devoir grave, mais nous n’y serions obligés que dans ces cas de nécessité. C’est, en effet, l’opinion que Suarez déclare « commune » : Est tertia et communis sententia, quæ hoc tempus determinandum pulat ex necessitale diuini auxilii pro aliquo tempore occurrentis. Ibid., n. 13.

Suarez la trouve insuffisante, particulièrement parce que, selon lui, l’obligation de prier ne repose pas seulement sur le besoin que nous avons du secours de Dieu, mais s’impose, comme nous l’avons vii, col. 209, ex vi solius religionis ; et par conséquent non tantum nbligat quasi per accidens propler necessilatem contingentent et extrinsecam sed habet proprium tempus suæ obligationis, et hoc est quod inquirimus. N. 14. De plus, même en se plaçant au point de vue de l’opinion commune, ce n’est pas seulement en certaines circonstances particulièrement graves que nous avons besoin du secours de Dieu, c’est à tous les instants de la vie : « la vie humaine est une guerre continuelle, et par conséquent constitue un danger continuel, que nous savons ne pouvoir surmonter que par l’assistance et la protection continuelles de Dieu ». N. 15. Donc, ce n’est pas seulement en ces circonstances particulièrement graves que nous sommes obligés de prier, mais en d’autres temps encore. Il ne faut pas seulement demander du secours au moment de la tentation pour n’y pas succomber, il faut encore demander d’être préservé de la tentation. N. 17. On ne peut contester la justesse de ces observations ; il faut donc compléter la règle posée par l’opinion dite commune et dire : il ne suffit pas de prier au moment même où l’on a un besoin plus urgent du secours divin, il faut prier à intervalles réguliers et assez rapprochés pour qu’on puisse encore appeler cette prière une prière

fréquente : obligal ergo oratio swpius ac per se ralione pressentis status. N. 15.

Oui, mais peut-on déterminer d’une manière plus précise quelle doit être la fréquence de la prière ? On est un peu étonné quand, après qu’on les a entendus proclamer si fort la nécessité de la prière, on voit ensuite les théologiens réduire extrêmement les exigences du précepte divin à son sujet : « Je pense, dit Suarez, que la prière est si nécessaire pour mener une vie honnête, ad reditudincm vitse, qu’il ne faudrait pas manquer de prier tous les ans, ni même peut-être tous les mois, ut non sit permittenda ditalio unius anni. nec fartasse unius mensis. » N. l(i. Encore hésitent-ils à déclarer que cette obligation de prier une fois par mois, ou tous les deux mois, soit une obligation grave. Pour le détail des opinions, voir Ballerini-Palmieri, Optu theologicum morale, 3e éd., t. ii, Prati. 1899, p. 237.

Pratiquement, il n’y a pas à se demander si l’on est en règle avec le précepte divin de la prière quand on observe le précepte ecclésiastique de la messe dominicale. C’est ce que faisait déjà remarquer saint Thomas, loc. cit. : « Pour tous les fidèles, l’Église paraît avoir établi un temps déterminé où ils doivent prier, puisque, d’après les canons, ils sont obligés d’assister aux divins offices les jours de fête et de s’y unir d’intention aux ministres qui prient pour eux. » Suarez, ibid., n. 11-12, chipote un peu à ce sujet, mais Jean de Saint-Thomas, loc. cit., p. 77-1, montre bien qu’il n’y a pas lieu de s’arrêter à ses chicanes.