Dictionnaire de théologie catholique/PRIÈRE .VII. Que peut-on demander et pour qui ?
VII. Que peut-on demandes m pour qui ? —
I. LA QUKSTIOX PRÉALABLE : EST-IL PERMIS, EST-IL 1 VANTA QEUX D’ADRESSER.1 DIBO DE8DEMANDES PARTlCULifilŒS ? — Cf. saint Thomas, In IV"" Sent., dist. XV, q. iv, a. 1 ; ID-II ', q. lxxxiii, a. 5 ; Suarez, t. I, c. xvii, n. 1-2.
Au rapport de Valère Maxime, dit saint Thomas, « Socrate pensait qu’on devait se borner à demander aux dieux immortels de nous être bienfaisants : il estimait qu’ils savent ce qui est utile à chacun, tandis que la plupart du temps nous escomptons de nos vœux ce qu’il vaudrait mieux que nous n’obtenions pas. » Wiclef. dit Suarez, devait penser comme Socrate, puisqu’il prétendait qu’il ne fallait pas prier spécialement pour telle ou telle personne en particulier : logiquement cette interdiction entraîne l’autre, puisqu’elles s’appuient sur la même raison. Enfin, Suarez fait encore allusion à des « hérétiques appelés illuminés, qu’on dit avoir aussi partagé ce sentiment : ils déclaraient qu’il ne faut rien demander à Dieu, sinon que sa volonté s’accomplisse, parce que nous ne pouvons désirer que cela et que cela est préférable à tous les biens ».
La raison principale qui semblerait justifier cette interdiction se trouve dans la parole de saint Paul, qui paraît faire écho à celle de Socrate : Quid oremus sicut oportet, nescimus. Rom., viii, 2<>. Si nous ne savons pas ce qu’il nous faut demander, parce que nous ne savons pas si telle ou telle chose ne nous sera pas plus nuisible qu’utile, ne vaut-il pas mieux nous abstenir de formuler à Dieu des demandes particulières ? Si Dieu allait nous exaucer, cela tournerait à notre dam. Et puis. « adresser à quelqu’un une demande déterminée, c’est tenter d’incliner sa volonté à faire ce que nous voulons : or, nous ne devons point tendre à ce que Dieu veuille ce que nous voulons, mais bien à conformer notre volonté à la sienne ». Enfin, celui qui adresse à Dieu des demandes particulières ne paraît pas dans les dispositions de confiance et d’abandon à Dieu recommandées par le psalmiste : Jacla super Dnminum curam tuam. et ipse te cnutrict.
A rencontre : l’autorité décisive en cette matière, c’est la formule de prière que le Seigneur nous a donnée et qui contient des demandes particulières. Aussi, Suarez n’hésite pas à dire que la légitimité de demandes spécifiées est de foi : quod censeo esse de fide, su/Jicienlerque probari ex oratione dominica.
Le principe de solution de toutes les dillicultés soulevées contre cette thèse se trouve dans la distinction entre les choses dont nous pouvons bien ou mal user, comme « les richesses, qui, pour continuer la citation de Valère Maxime, ont été la ruine de bien des gens ; les honneurs, qui en ont perdu un grand nombre ; les règnes dont on voit l’issue souvent misérable ; les alliances splendides qui plus d’une fois bouleversent à fond les familles » ; et les biens dont on ne peut mal user et qui ne peuvent avoir d’issue fâcheuse : ce sont
ceux qui font notre béatitude OU qui nous permettent de la mériter ; ces biens-ci, les saints dans leurs prières les demandent sans condition, absolute. Il’II’, loc. cil. Et les autres, par conséquent, ne doivent être demandés que sous condition ; sous condition que, selon la prescience divine, ils ne nous seraient pas plus nuisibles qu’utiles en vint de notre salut.
Et, pour répondre aux objections particulières, spécialemenl à celle qui se tire de la parole de saint Paul, on peut dire que « bien que l’homme ne puisse de lui-même savoir ce qu’il doit demander, cependant l’Esprit, comme l’ajoute l’Apôtre, vieni en aide À notre faiblesse : nous inspirant de saints désirs, il rectifie nos demandes, recle postulare nos facil ». Ibid., ad l, im. Dans les Sentences, ad1 ii, ii, saint Thomas renvoie à l’interprétation de ce texte par saint Augustin : la parole de saint Paul ne concernerait que les prières par lesquelles nous demandons d’être délivrés des tribulations tem porelles, qui le plus souvent nous sont envoyées pour notre profit spirituel ; dans ces circonstances, on peut dire en vérité que nous ne savons pas ce que nous levons demander ; mais habit iiellenient nous savons
bien ce qu’il faut demander, comme nous savons ce qu’il faut désirer : de guibusdam bene scimus quod ea petere oportet, sicut et quod desiderare. D’autre pari, si l’on nous reproche de prétendre faire plier la volonté divine devant la nôtre, au lieu de conformer la nôl re à la sienne, répondons que « quand, dans la prière, nous
demandons ce qui concerne notre salut, nous conformons notre volonté à celle de I lieu, qui veul le salut de tous les hommes ». II » -Il æ, ad’." m.
Il LA DEMANDE DBS BIENS SPIRITUELS. l’.eprc
nanl les termes de saint Thomas, Suarez les définit d’abord : omnia honesta bonaquibus nemopotest maie uti, qu’il s’agisse de la grâce et des vertus surnaturelles et des œuvres qu’elles produisent, ou des vertus morales Requises et de leurs actes ». L. I, c. xvii, n.’' I n peu
plus loin, il ne s’agit plus que de la vie éternelle et de
tous les biens et moyens qui peuvent concourir a son Obtention >. C. XX, n. I. Ou’on puisse et qu’on doive les
demander à Dieu, de hue imita est controversia. Mais
quelques questions se posent pourtant à leur sujet.
i" Peut on les demander « indistincte ci absolute Tous les théologiens enseignent, après saint Thomas, qu’il y a précisément cette différence, entre les biens
spirituels et les temporels, que les premiers peuvent et doivent être demandes sans condition, et les seconds
seulement sous condition. Ibid., n.’_'. Pourtant, la
possession des biens spirituels n’est pas toujours
exempte de dangers : elle peut être l’occasion alieufus gravissimi malt, qnale est præsumptio, superl in. ingrali hulii in Deum vel quidpiamsimile. S..’!. Par conséquent,
il peut y avoir lieu de ne demander certains biens spn i
tuels, ceux qui ne sont pas strictement nécessaires au s.iiui, ceux qu’on peut appeler bona supererogationis et txcellentiæ cujusdam in vitæ sanctitate, n. I. quesous condition, que « si Dieu a prévu que ces biens ne sciaient pas pour nous une occasion de ruine. Encore faut il distinguer, en ce qui concerne ces biens spirituels surérogatoires, ceux qui constituent, pour ainsi « lire, l’essence de la sainteté, et c’est l’abondance de la grâce et de la charité, avec les vertus et les dons qui l’accompagnent ; et, d’autre part, certains biens spirii mis qu’on peut appeler accidentels, parce que la sainteté peut exister sans eux, comme ils peuvent se rencontrer sans elle : tels sont, par exemple, un certain degré de contemplai ion eminente. les v isions ou révéla lions, les douceurs ou suavités spirituelles, dont saint Bonaventure disail qu’elles sont communes aux bons 81 aux méchants ; pour les premiers, on peut les demander sans condition, même sous entendue, parce que, précisément, en demandant une sainteté parfaite, on demande une sainteté accompagnée d’humilité, quia
petendn perfeclam sanctilalem, petimus humilem sanctitatem (ut sic dicam) et solidam virtutem, qu ; v mm elatione esse non potest ; pour les autres, au contraire, on ne peut les demander qu’avec beaucoup de précaution, de prudence et d’humilité, donc pas d’une manière inconditionnelle N. 5.
2 Peut-on les demander absque alla limitatione » ? Ibid.. c. xxi, n. 2. Os biens spirituels, dont nous venons de dire qu’ils constituent l’essence de la sainteté et qu’on peut les demander sans condition, peut-on aussi les demander sans limite ? Si oui, on pourra donc demander d’atteindre a la sainteté des apôtres, et même de la très sainte Vierge, <, und dicere absurdum cv S, / Sinon, on ne peut plus dire qu’il soit permis de demander ces biens sans condition ; quel que soit le degré de sainteté que je demande, il faudra toujours que je SOUSentende : a condit ion qu’il soit conforme aux v lies de la
Providence que je parvienne a m degré de sainti ergo /K, // Ucet sanctilalem absolute petere, maxime in aliquo /le /in Un gradu, sed solum su h eonditione, si id /lient consentaneum divins : voluntati. l’eul -on répondre
a ce dilemme 7 Oui. mais en distinguant les biens spirituels, la sainteté, qui peuvent être obtenus de Dieu secundum legem ordinariam, par les voies ordinaires de
sa providence, et les biens spirituels, la sainteté, dont
l’obtention nécessite une intervention extraordinaire de I)icu : potest peti absolute tota illa perfectio qutt secundum legem ordinariam comparari potest per média prssstituta a Deo, quai sine miraculu conferri si lent i btd.,
n in lai somme, cela rev ient a duc qu’on peut demander a Dieu, d’une manière inconditionnelle. des biens spirituels, une perfection, une sainteté, sans limites lixes. mais mm vraiment illimités. On ne peut demander, d’une manière Inconditionnelle, d’atteindre a tel ou tel degré’de sainteté, d’obtenir ces faveurs particulières, ces miracles de la grâce, qui mènent a la haute sainteté : Dieu a ses privilégiés, qu’on pelll envier, mais qu’on ne peut demander, sans condition, d’égaler
imn oportet erga ad tuée parlicularia deseendere, mulio que minus ad /lelenda siiii/ularia privilégia, uut exIra/T dinaria dona />cr se non necessaria ad substantialem sanctilatem. Ibid.
III LA DEUA w / : l’i s’// i Est-il
permis de les demander’Cf. saint’rb.nu.is. In l
Sent, dlst. XV, q. iv, a. 4, qu. 2 ; Il II, q. lxxxiii, Suarez, I. I. c. viiii.
i i pourquoi ne le serait ce pas’Saint Thomas en donne plusieurs raisons : i. d’abord, parce que, sel. m
l’Evangile, nous ne devons pas les i..li.it h. i ; or. les
demander, c’est les rechercher ; ’_'. ensuite, parce que,
toujours d’après l’Évangile, nous ne devons pas mais en soucier, nous en mettre en peine ; or. les demander, c’est s’en soucier, s’en mettre en peine :. ; de plus, la
prière n’est elle pas, par définition, uni- élévation divers Dieu ? or. demander des biens temporels,
c’est au ci ni ra ire l’abaisser vers des choses qui sont au dessous d’elle, petendn tem/ OTalia dsi I ndil (mi Us tadea
quæ infra se sunt ; I. enfin, on ne doit demander que
ce qui : ’st bon et utile ; or. les biens terrestres sont parfois nuisibles, aussi bien temporellement que spirituellement .
oila les objections. Voici les autorités.pic saint Thomas apporte en sens contraire : 1. le l’nnen ;
trum quolidianum de l’oraison dominicale, qu’il faut
entendre de la nourriture du corps aussi bien que de celle de l’âme ; 2. le lexte des l’rovci I es. xxx.S : I ri bue tantum rie/ai mat meessana : À celui de saint Bernard : Petendn sunt temporalia quantum nécessitas petit.
I.a solution rationnelle de la question se trouve dans le principe énonce par saint Augustin : On peut demander tout ce que l’on peut désirer. Or. on peut désirer les biens temporels, » non pas sans doute princi/>aliter et à litre de tin dernière, mais comme des
secours, des instruments, qui nous aident à tendre à la béatitude : notre vie corporelle, en effet, trouve en eux
son soutien, et notre activité vertueuse les emploie à titre d’instruments ». II’-II 1, toc. cit. Dans les Sentences, toc. cit., saint Thomas avançait une double distinction à propos des biens qu’on peut désirer : certains sont désirés pour eux-mêmes, et d’autres seulement propter aliud ; d’autre part, certains peuvent être désirés sans mesure, non habent superflaitatem desiderii, comme les vertus, et d’autres seulement dans une certaine mesure, comme les plaisirs, les richesses et choses semblables. « Or. les biens temporels ne peuvent être désirés que propter aliud et que dans une certaine mesure, à savoir pour autant qu’ils sont nécessaires à l’entretien de la vie présente. Et c’est avec cette double restriction qu’on peut les demander à Dieu. » Ces principes, ces distinctions, vont servir à répondre aux objections : 1. L’Évangile, disait-on, nous défend de rechercher les biens temporels ; principalilcr, oui ; secundario, non ; c’est ce que dit saint Augustin, commentant le discours sur la montagne : « Lorsque le Seigneur déclare qu’il faut chercher d’abord le royaume des cieux, il veut dire que les biens temporels ne doivent être recherchés qu’ensuite, d’une postériorité non de temps, mais de valeur ; illud tanquam bonum nostrum, hoc tanquam necessarium nostrum » ; 2. "Tout souci des choses temporelles n’est pas interdit, mais seulement un souci exagéré et désordonné » ; 3. « Lorsque notre âme se porte aux choses temporelles pour s’y reposer, oui, elle s’y ravale ; mais quand elle s’y porte en vue de la béatitude, loin de se ravaler à leur niveau, ce sont elles au contraire qu’elle élève et rehausse » ; 4. enfin, « du moment que nous demandons les biens temporels non pas principaliter, mais in ordine ad aliud, par là même nous demandons à Dieu de ne nous les accorder que pour autant qu’ils sont utiles à notre salut. »
2° Ne peut on demander à Dieu les biens temporels qu’en vue de la béatitude ? Suarez, t. I, c. xvii, n. 4. — Telle paraît bien être la pensée de saint Thomas, au moins dans la Ila-II" 8 ; car, dans les Sentences, il ne le dit pas expressément ; on pourrait même croire qu’il dit le contraire quand il déclare que les biens temporels ne doivent être désirés, et par conséquent demandés, que secundum quod sunt necessaria ad vitam præsenlem agendam. Pour résoudre la question, Suarez, ibid., n. 3, distingue les biens terrestres en deux catégories : les uns, comme la vie, la santé, la science, sunt per se convenientia naturæ, ac proinde per se appetibilia secundum reclam rationem, propter bonum et convenientem statum naturæ ; les autres, comme les honneurs, la réputation, le pouvoir, les richesses, etc., sunt bona indifjerentia, quæ propter se appetibilia non sunt, sed tantum propter utilitatem ad alia bona per se et honeste appetibilia ; et, parmi ces biens indifférents, il faut encore distinguer ceux qui sont simpliciter vel moraliter necessaria pour acquérir ou conserver les premiers, par exemple la nourriture, les vêtements, la bonne réputation, et ceux qui ne sont pas nécessaires, comme de grandes richesses, de grands honneurs, etc. Or, dit Suarez, n. 7, les biens de la première catégorie, nous pouvons les demander à Dieu pour eux-mêmes et non pas seulement en vue de la béatitude éternelle ; non pas évidemment comme s’ils constituaient notre fin dernière, mais en tant qu’ils sont des fins prochaines qui peuvent être recherchées pour elles-mêmes : verum est taie bonum peti posse absque morali malilia sine tali rclalione ad beatitudinem ; quia hicc relalio operanlis non est intrinsece necessaria ad moralem bonitatem, ut palet de opère eleemosynæ facto ex naturali misericordia, sine ulla memoria bealitudinis, nec relalionc jormali aut virluali operanlis. En conséquence, ces biens primordiaux, on peut aussi les demander sans condition. Ibid., n. 8-10.
f Suarez va plus loin encore : non seulement les biens de la première catégorie, mais ceux de la seconde qui sont nécessaires pour vivre, nous pouvons encore les demander de la même manière que les premiers, à condition que nous ne les demandions pas pour eux-mêmes, ni en trop grande abondance, mais seulement dans la mesure où ils sont nécessaires ad hujus vita commoditatem. Ibid., n. 11. lui revanche, on ne peut demander l’abondance de ces biens que sous condition, même si l’on a la ferme intention de n’en faire qu’un bon usage. N. 12. La raison en est qu’il y a toujours danger à posséder ces biens en grande abondance. Pourrait-on dire, néanmoins, qu’il y aurait péché a demander sans condition de grandes richesses ou de grandes dignités, i’épiscopat par exemple, si l’on est fermement résolu à n’en faire qu’un bon usage ? Suarez, n. 14, n’oserait pas dire que ce soit un acte intrinsèquement et partant toujours mauvais ; on peut se sentir assez sûr de soi pour espérer qu’on échappera aux dangers que présente la possession de ces biens. IV. POUR QUI PEUT-OX DEM AyDER ? — 1° Question préalable : peut-on prier pour autrui’.' — À cette question saint Thomas fait les objections suivantes, Jn /V"" » Sent., dist. XV, q. iv, a. 4, qu. 3 : 1. « Nous devons suivre, quand nous prions, le modèle que Dieu nous a donné ; or, dans l’oraison dominicale, nous formulons des demandes pour nous, mais non pas pour autrui ; 2. « On prie pour être exaucé ; or, l’une des conditions requises pour qu’une prière puisse être exaucée, c’est précisément qu’on prie pour soi-même », du moins au dire de saint Augustin ; 3. de deux choses, l’une : ou bien l’on prierait pour les méchants, et cela est défendu, d’après Jer.. vii, 16 ; ou bien l’on prierait pour les bons, et cela est inutile, car « les prières qu’ils font pour eux-mêmes sont exaucées » ; 1. enfin, prier pour les autres n’est-ce pas usurper un rôle qui n’appartient qu’au Christ ? Redundanlia gratiæ ex uno ad alium perlinel ad excellentiam plenitudinis quæ fuit in Christo secundum quod est capul nostrum.
A l’encontre, saint Thomas fait observer que la prière pour autrui est commandée par le Christ : Orale pro persequentibus et calumniantibus vos. Matth., v, 44, et recommandée par saint Jacques : Orate pro invicem, ut salvemini, Jac, v, 1C.
Qu’on puisse et même qu’on doive prier pour autrui, il est facile d’en rendre raison, « Ce que nous devons demander dans nos prières, c’est ce qu’il nous faut désirer. Or, il ne suffit pas de désirer notre bien personnel, nous devons aussi vouloir du bien aux autres : cela fait partie de la dilection que nous devons avoir pour le prochain. Donc, la charité requiert que nous priions pour les autres. D’où la parole de saint Jean Chrysostome : « Le besoin nous contraint de prier pour nous-mêmes, mais c’est la charité fraternelle qui nous engage à prier pour autrui ; et plus douce est la prière qui monte vers Dieu, non point portée par la nécessité, mais confiée par un cœur fraternel. » II » -II æ, ibid., corp. Et voici ce que l’on peut répondre aux objections : 1. L’oraison dominicale, loin d’être opposée à la prière faite pour autrui, paraîtrait plutôt défavorable à la prière qu’on ferait uniquement pour soi, s’il faut en croire saint Cyprien : « Si nous ne disons pas : Mon Père, mais.Xotre Père, ni donne-moi, mais donne-nous. c’est que le Maître de l’unité n’a point voulu que la prière fût affaire privée, et que chacun priât pour soi seulement ; il a voulu que chacun priât pour tous, lui qui nous a tous portés en son unité. » 2. Sans doute. « prier pour soi est une des condit ions requises pour que l’on obtienne sans faute ce que l’on demande, ad indeficientiam impelrandi ; il arrive quelquefois, en effet, que la prière faite pour autrui n’obtient pas ce qu’elle demande, bien qu’elle possède toutes les autres conditions requises à cet efi’et. par suite d’un obstacle tenant
i la personne pour qui l’on prie » ; cette prière ne sera pas néanmoins dépourvue fie toute efficacité : si elle procède de la charité, clic augmentera les mérites de la personne qui prie, meriloria erit uranli..’î. Non, il n’est pas défendu de prier pour les pécheurs, ni inutile de prier pour les justes : « // faut prier pour les premiers, « fin qu’ils se convertissent, et pour les seconds, afin qu’ils persévèrent et progressent. Sans doute, en ce qui couenne les pécheurs, ne sont exaucées que les prières faites pro » r : rdrs(inatis et non celles qui sont faites pro prœscilis ml mortem ; mais, comme nous sommes dans impossibilité de discerner les prédestinés des réprouvés, il s’ensuit que nous ne devons refuser à personne le suffrage de nos prières. Quant aux justes, on a trois motifs de prier pour eux : d’abord, pane que les prières d’un grand nombre sont plus facilement exaucées ; ensuite, afin que de nombreuses personnes rendent grâces à Dieu pour les bienfaits qu’il accorde aux [estes, bienfaits qui tournent aussi à leur profit, comme le dit l’Apôtre, II Cor., 1, 11 ; en dernier lieu, afin que les Ames plus avancées évitent l’orgueil, en considérant qu’elles ont besoin des suffrages de celles qui le sont moins. » 1 Enfin, prier pour autrui n’est pas usurper le rôle du Christ, pane que celui qui prie n’entend pas
obtenir ce qu’il demande propria virtute, sed virtute ejus quem oral ; el par conséquent, celui qui prie pour autrui ne s’attribue pas la grâce pléniere. gratiam pienitudinis, mais il la reconnaît en celui qu’il prie et de qui il sollicite la grâce à donner au prochain Les trois premières réponses, comme les objections correspondantes, se trouvent dans la II’II 1, la quatrième dans les Sentences.
t -ne question subsidiaire : peut-on prier pour quelqu’un en particulier, ou doit-on se contenter de prier pour tout le monde en général 1 Wiclef aurai ! soutenu
cette idée qu’il n’esl pas permis de prier i i une per lonne en particulier, pas plus pour soi même que pour
n’importe qui. cf. Suarez, I. I, C xiii, n. 1. SOUS prétexte qu’il ne faut priver personne d’un bienfait qui par lui-même appartient à toul le momie et que d’ailleurs la prière n’est pas plus utile à telle personne déterminée si elle est faite exclusivement pour elle que
si elle est faite pour tOUt le monde. Le concile de Constance, en sa VIII" session, a condamne cette criciir
de Wiclef : Spéciales oraliones applicala uni pertona per prmlalos vel religiosos, non plus prosunt eidem quam générales, céleris paribus, Denz.-Bannw., n. L’Ecriture mentionne un certain nombre de prières
failes pour telle OU telle personne en particulier : le
Christ a prié pour Pierre, Luc, xxii. 32 ; ainsi que l’Eglise de Jérusalem, <ct„ xii, 5 ; saint Paul demande qu’on prie pour lui. Eph., vi, 19 ; Col., i. 3, etc Suarez, n. : t. prouve que les deux raisons invoquées
pin Wiclef sont sans valeur. Cf., I. I, C. XXVII, n.. r >-7. 2° Pour qui doue peut on et doit "’î prier : ’poUT qui ne Ir peut-on pas ? Le Catéchisme romain part. IV. c. v, abordant celle question, commence par déclarer que personne au monde ne doit être exclu de nos prières. ni nos ennemis particuliers, ni ceux qui n’appartiennent pas à noire pays ou à noire religion : orandum est pro omnibus sine ulla exceptione vel inimicitiarum, vel genlis, vel religionis ; el que noire prière doit viser à procurer à tous les hommes d’abord le salul de leur ame, ensuite la conservai ion de leur vie : qua m ora-Hone primum petenda suni quæ salutem anima complectuniur, deinde quæ corporis ; el ceci n’esl pas un simple conseil, c’est un devoir impose par la charité. Puis le
Catéchisme énumère wnc série de personnes OU de catégories de personnes pour qui nous devons particulièrement prier : les pasteurs des âmes, les princes, les justes, nos ennemis personnels, tous ceux qui n’appartiennent pas à l’Église, les morts qui sont en purgatoire, les pécheurs. Enfin, on peut se demander si le
Catéchisme ne reconnaîtrait pas une sorte de prière pour les saints, sanctorum omnium causa : ce ne serait plus, il est vrai, une prière de demande, mais une prière d’action de grâces, par laquelle nous louons et bénissons Dieu « des victoires et du triomphe qu’ils ont remportés par un effet de sa bonté sur tous leurs ennemis, tant intérieurs qu’extérieurs ».
Mais ne pouvons-nous pas demander aussi pour les saints, cf. Suarez, I. I, c. xiv, et non seulement cette gloire extrinsèque, qui consiste dans le fait d’être connus, aimés et honorés de ceux qui vivent encore sur la terre, ce que l’Église paraît vper dans le Suscipr sancta Trinilas de l’offertoire : ut illis proficiat ad honorent, nobis nulem ml salutem, mais un accroissement de leur gloire essentielle, du degré de béatitude qu’ils ont mérité pendant leur vie terrestre ? Le pape Innocent III, cap. Cum Marthse, De celebratimie missarum, rapporte, sans la faire sienne, mais non plus, scmblet-il. sans la réprouver expressément, l’opinion assez
répandue de son temps, d’âpres laquelle la gloire des saints [pourrait recevoir des accroissements Jusqu’à la lin du monde et il ajoute que c’est pour cela que l’Église de temps en temps pense pouvoir souhaiter l’augmentation « le leur gloire, lieel plerique repuieni non indignum sanctorum glortam vaque ad fudieium augTnentari, et ideo Ecclesia intérim rep augmentum gloriftcaiionis et, mm optari. Le pape ne partage pas cette opinion, mais il reconnaît qu’ell
sous jac enle à I criailles prières de l’Église Les théolO giens postérieurs se sont rangea à l’opinion <lu : qui ne VeUi voir dans toutes les formules on II
demande que talit oblalio prosit vel proficiat haie nando vel’il’"il gloriam et honorent, que la demande de l’augmentation de la gloire extrinsèque, tta débet inii ut ml hoc prosit quod magit æ mag Ubus. CI. saint Thomas. In l Sent., dlst. XLV, ,, . ii, a 2, qu. I ; Suarez, op. clt :.ban de Saint-Thomas, In II II. q. I KXXIII, : I Har
min, Sexta i ontrooersia gênerait », l>< purgalorio, I. II,
c. xiii.