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Dictionnaire de théologie catholique/PROVIDENCE .II. La Providence selon les Pères Grecs

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.1 : PRÉEXISTENCE — PUY (ARCHANGE DU)p. 478-487).

individus. DiaL, i, col. 173 c- 176 A. Parmi les attributs qui conviennent à pieu, cm use de l’être de toutes choses, DiaL, iii, col. 181 B, Justin mentionne au premier plan la bonté. I)ieu a créé le monde pour l’homme par bonté etil distribue à tous ses bienfaits, Apol., i, 10, col. 340 C ; don, en échange, le bien-fondé de la prière, de l’action de grâces et de l’eucharistie. L’incarnai ion du Christ et son supplice ; ont été voulus par le Père pour la rédemption du péché. Apol., ii, 6, col. 153 B ; DiaL, lxiii, col. 620 C ; xc.v, col. 701 CD. Le sacrifice eucharistique non seulement rend grâces du bienfait de la création, mais il commémore également la passion du Sauveur et la libération du péché et de ses conséquences. DiaL, xi.i, col. 5(51 C. Si l’on mentionne la place faite, dans le gouvernement divin, aux intermédiaires ange liques et le rôle, partout mis en relief, des démons, on aura groupé les traits essentiels de la pensée de Justin philosophe, apologiste et théologien, sur le gouvernement de Dieu à l’égard de ses créatures.

Comme l’avait fait Justin, Taticn, son disciple, insiste sur les fins morales que poursuit le gouvernement divin ; les hommes sont libres de toute inclination fatale au mal, cette liberté est la seule cause du péché, car aucun mal ne peut venir de Dieu. Discours aux Grecs, xi, P. G., t. vi, col. 829 BC ; le maître de toutes choses laisse pour un temps les démons et ceux qui leur obéissent faire leur œuvre mauvaise ; il se réserve de juger toutes les créatures à la fin du monde. Ibid., xii, col. 832 C.

Athénagorc invoque l’ordre du monde comme un argument en faveur de l’affirmation de la providence divine. Lcgalio pro christianis, xxv, P. G., t. vi, col. 949 CD. Dieu exerce sa prévoyance à l’égard de tout ce qu’il a créé grâce au ministère des anges. Ibid., xxiv, col. 918 A. Les démons, anges déchus, ont amené le trouble dans l’ordre établi par Dieu, ils sont causes que certains esprits aient pu mettre en doute l’existence d’une providence. Ibid., xxv, col. 948 C-949. Ainsi Aristote a-t-il nié que celle-ci puisse s’étendre aux réalités du monde inférieures au ciel. Ibid. Dans le même ouvrage, Athénagore prend parti contre rêx7rôpco(nç des stoïciens et la doctrine de l’éternité de la matière. Ibid., xx, col. 929 B. Mais c’est surtout dans son traité Sur la résurrection des corps que le philosophe chrétien insiste sur l’objet moral du gouvernement divin. Celui qui admet la providence universelle de Dieu, sa sagesse et sa justice, doit également admettre le châtiment final des méchants et la récompense des bons, tant dans leur àmeque dans leur corps. De resurr., xvii, P. G., t. vi, col. 1009 BD.

Dans son I" livre à Autolycos, Théophile d’Anlioche reprend et développe l’argument esquissé par Athénagore : l’ordre du monde nous permet de connaître quelque chose de Dieu ; c’est par sa providence qu’il se manifeste à nous, de même que l’âme d’un homme nous est dévoilée par les mouvements de son corps. Ad Aulol., i, 4-G, P. G., t. vi, col. 1029 B-1033 C. Le IIe livre oppose aux doctrines philosophiques et cosmogoniques des anciens sur l’origine du monde et sur la providence les enseignements tirés de l’Écriture et, plus spécialement, du livre de la Genèse. Ad Autol., ii, 4-11, col. 1052-1069. En effet, Dieu s’occupe du genre humain ; il lui a donné la loi et les prophètes qui lui enseignent et l’unité de Dieu et les vertus au moyen desquelles on peut obtenir la vie éternelle. Ibid., 34, col. 1108 AB.

IL L’opposition au gnosticisme, saint Irénée. — Saint Irénée, pour théologien qu’il soit, sait faire également leur part aux affirmations de la raison naturelle touchant la providence.

Certains païens, dit-il, moins adonnés que d’autres aux voluptés coupables et au culte des idoles, ont pu connaître quelque chose du Père, artisan de toutes

i ho.s, qui gouverne le monde pour nous. dont, hier.,

t. III, t- xxv, 1, P. G., t. vii, col. 968 li. Les épicuriens se voient reprocher d’avoir nié la providence, I. III,

c. xxiv, 2, col. 967 C, tandis que Platon, « plus religieux », est loué d’avoir confessé la bonté, la justice et la puissance divines. L. III, <’xxv, 5, col. Irénée affirme, en termes très forts, comment rien n’échappe au gouvernement divin, t. II, c xxv ;, 2-3, col. 801-802 ; les anges et les démons même v sont soumis, I. II, c. vi, 2. col. 72 1-725 : ce pouvoir universel de Dieu est comparé a celui qu’exerce l’empereur dans L’État. Ibid. Comme l’avaient fait les apologistes, l’évêque de Lyon estime que l’un des actes essentiels du gouvernement divin est la récompense des bons et la punition des méchants. L. IV, c. xxxvi, 6, col. 1096 C ; c. xi., 1-2, col. 1112-1113 ; t. V, c. xviii, 3, col. 1174 C.

Supposant aux hérésies dualistes, Irénée affirme avec une vigueur spéciale, contre les gnostiques, l’unité du Dieu créateur, I. II, c. i-iv, col. 709-721, et contre Marcion l’identité du Dieu créateur et juge et du Dieu Père, révélé dans le Nouveau Testament. L. III, c. xxv, 2-3, col. 968-969. L’argumentation du controversiste est appuyée surtout par des textes scripturaires ; on ne peut relever ici le détail de la discussion ; qu’il suffise de faire mention d’un argument théologique, d’une force réelle et d’une originalité indiscutable, qui fait état du dogme eucharistique pour prouver l’unité du plan divin. Comment le Christ aurait-il pu dire que le pain est son corps et le vin son sang, si son Père n’était pas le Dieu qui a fait le pain et le vin ? Pour pouvoir nous nourrir de son corps après nous avoir rachetés par son sang, Jésus doit être le Fils de celui qui a fabriqué » ce monde visible. L. IV, c. xviii, 4, col. 1027 ; c. xxxiii,

2, col. 1073 B ; t. V, c. ii, 1-2, col. 1123-1125. Irénée use de termes qui font image pour mettre en relief, contre la gnose, l’unité du plan divin : Adam avait été comme une pâte, un plasma sous les doigts du Créateur ; l’application de la rédemption, le don de la grâce est une nouvelle plasmatio. L. IV, c. xxxix, 2-3, col. 1110-1111 ; t. V, c. xvi, 1, col. 1167 AB. De même, l’homme avait été créé à l’image de Dieu, mais, le Verbe étant alors invisible, il a facilement perdu cette divine ressemblance. Le Verbe fait chair, image visible du Dieu invisible, est venu rendre à l’homme et consolider sa similitude avec le Père invisible. L. V, c. xvi, 2, col. 11671168. On touche ici à la doctrine de la récapitulation de toutes choses dans le Verbe, qui constitue la fin particulière en même temps que le moyen privilégié du gouvernement divin. Cette récapitulation, c’est l’o’ixovop. îa, le plan, la disposition de Dieu sur l’humanité, réalisé par l’incarnation et la passion du Christ. Tantôt Irénée parle des dispositions divines, oixovoutai, que le Saint-Esprit a révélées par le ministère des prophètes, t. I, c. x. 1, col. 549 B ; tantôt il emploie comme synonymes disposition et gouvernement, disponens et gubernans, 1. I. c. xxii, 1, col. 669 C : disposition et providence, providens et disponens, t. III, c. xxv, 1, col. 968 B ; tantôt il met en conjonction disposition et récapitulation : Christus Jésus Dominas noster veniens per universam dispositionem et omnia in semetipsum recapitulans. L. III, c. xvi, 6, col. 925 C. Au contraire, ceux qui admettent une pluralité de principes, de dieux et d’éons restent extra dispositionem, en dehors de l’accomplissement gratuit de la récapitulation dans le Christ. L. III, c. xvi, 8, col. 926 C. Il semble qu’il était difficile de marquer, dans une doctrine théologique plus forte et plus nette, l’unité du plan divin sur l’humanité.

Dans la Démonstration de la prédication apostolique, catéchèse plus élémentaire, Irénée se contente d’afiîrmer que « tout est placé sous le domaine de Dieu, tout ce qui est placé sous sa dépendance doit agir pour lui. Démonstr., 3, P. O., t.xii, p. 758.

III. Les premiers Alexandrins et leurs disciples.

Clément d’Alexandrie a sa manière, qui lui est propre, de marquer l’unité el la continuité du plan providentiel. Alors qu’Irénée comparail Dieu i un potier pétrissant la pâte 1111111.11110. le maître de l’école eatéebétique d’Alexandrie emprunte à ses occupations familières l’Idée d’une éducation progressive de l’humanité ; l’action divine est, avanl tout, une divine pédagogie. Le Logos, sagesse et conseiller du Père, est le suprême didascalos. Sir m., VII, u. P. C, t. i. col. il. a La i » i ancienne, la philosophie grecque el l.i lui nouvelle sont comme les étapes ii<’cette Initiation providentielle. (Sur le rôle providentiel de la philosophie grecque, cf. art. Cm mini d’Alexandrie, t. m. col. 168-171.) Bien que Clément étende cette conception à l’histoire entière de l’humanité, elle ne présente pas chez lui le caractère d’une érité abstraite. Dieu n’esl pas seulement le maître des causes universelles, il régit les êtres particuliers et Jusqu’aux plus Infimes. Strom., VI, mi. col. 388C-392 ; VII, ii, col. 416 AB. Chaque âme particulière est l’objet de action, K-s meilleures surtout jouissent de ses faveurs. Loe. cit., col. 390 AB. La sainteté du gnostique consiste dans une libre correspondance aux biende la providence, grâce aux sentiments d’une amitié réciproque. Strom., VII, mi. col. 157 C. La prière du vrai gnostique, toujours conforme à la volonté iKDieu, est toujours exaucée. Strom., VII, vii, passim. H est peu d’idées sur lesquelles Clément insiste autant que sur celle de la bonté infinie et toujours agissante de Dieu. P.(<L. l. vin. p. < ;.. t. mil col. 325-329 ; in., VI, nm. P. (.’.. t. i. col. 369 B ; VI, wn. col. 384-385. Il est de sa nature d’être bon, il ne cause, eu aucun cas, le mal. Strom., VII, ii, col. 416 A. il le permet seulement, et s.i providence est telle qu’il lui est loisible de faire sortir d’un mal particulier quelque de bon et d’utile. Strom., I. wn, t. viii, col. 801 AB. Les souffrances mêmes des martyrs rentrent dans onomie de la divine providence, cj ni tend, avant toute autre chose, à notre sanctification. Strom., IV, xii, t. mu. col. 1296.

Origène.

Une indication de Grégoire le Thaumaturge, dans son discours de remerciement à Origène, manifeste de façon précise, les tendances intellectuelles du grand alexandrin. Il nous apprend comment celui-ci l’avait exhorte.1 la lecture des philosophes, sans rien rejeter de leurs écrits, si ce n’est ce qui se trouvait contraire a l’existence de Dieu et a sa providence. In Origenem oratio panegyriea, xiii. P. (, .. t.. col. 1088 B. Dotation est précieuse, elle souligne à la fois l’importance accordée par Origène à l’idée de providence tentative qu’il inaugure d’un emploi raisonne des philosophiez païennes dans l’élaboration théologique du doume chrétien. Origène fait d’ailleurs lui-même déclarations de son disciple. Dans sou traité prière, il classe nettement les penseurs en deux ux qui admettent Dieu et sa providence, qui les rejettent sinon de bouche, du moins de fait. S, P. G., t. XI, col. 129 B. Dans le Prriarrhon. l’auteur affirme qu’en toute chose il entend défendre la providence de Dieu, qui s’exerce, de façon 1 l’égard de l’âme immortelle. De princ., III, ul7, P.C., L xi, col. 285 B. Ce ne sont point la de vaines .r. dans le Contra Celsum, il touche à plusieur ., la doctrine de la providence : il l’affame aussi bien contre le fatalisme professé par les que contre les négations des épicuriens avec iuve trop souvent d’accord. Cont.

I, 10, P.., .. t. xi. col. 676. Villeurs, dans le reprend avec vivacité les

raill’! se lorsque celui-ci estime que les chrén’ont aucune raison d’affirmer que Dieu a our l’homme. L’apologiste chrétien sait Ici opposer, avec beaucoup île finesse, a smi adversaire la position voisine des stoïciens : eux aussi déclarent que la nature raisonnable remporte sur celle qui est privée de raison et que, pour elle, la providence dirige toutes choses. Cont. Cels., IV, 74, col. 11Il D-1146 B. Cependant, Origène ne se tait pas illusion sur l’orthodoxie relative de ses allies d’occasion. Il sait très bien, cont re Celse encore, <lisi Inguer le kvcûua matériel

dont parle le Portique, du Dieu spirituel des chrétiens, la providence divine qui embrasse toutes choses n’est

pas un corps qui en contiendrait un autre, c’est la puis

sauce d’un esprit, (’.mil. Cris.. I. 71. col. 1405 CD. Dieu n’est pas dans un lieu qu’il quitterait pour venir a nous, mais 1 en lui nous avons la vie, le mouvement et l’être i, comme le dit saint Paul ; tout est gouverné, sans que lui même Change en rien, par sa puissance.

Cont. dis.. IV, ;.. col. 1033 D.

Origène sait encore prouver l’existence de la providence soit en philosophe, par la méthode d’analogie, à partir des prévoyances Intelligentes des hommes, Cont. Cels., I. ii, col. 670 BD. soit en apologiste, par la considération des prophéties, comme l’avait fait saint Justin. De princ. IV. 7. P.C.. t. XI, col. 353 BC. Les prophéties sacrées n’ont d’ailleurs rien de commun, pour Origène, avec les prédictions des astrologues ; connue 1 lotin. le docteur chrétien combat vivement leur fatalisme. M. E. Bréhicr, compare, sur ce point, l-’.nn., m. 1. 5, avec un fragment du commentaire d’Origène sur la Genèse qui nous a été conservé par Eusèbe de Césarée dans sa Préparation évangélique, VI, XI, P. G., t. xxi. COl. 477-505. Le traducteur des Ennéades est Une que, chez les deux alexandrins, « l’idée et la marche de l’argument at ion sont les mêmes jusque dans les détails ». Ennéades, texte et trad., coll. G. Budé. t. m. p. 5 et p. 3, note I. En fait, il serait plus juste de dire que, si certains détails d’argumentation, certains exemples d’école sont communs aux deux auteurs, le contexte général est très différent chez l’un et chez l’autre. Toute la discussion est dominée, chez Origène, par l’exégèse de certains textes scripturaircs, par le souci de montrer l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament, et cela suffit à distinguer très nettement son exposé de celui de Plotin.

C’est peut-être dans son traité De la prière qu’Origène a trouvé les formules les plus nettes pour exprimer comment la prescience universelle de Dieu ne fait pas obstacle à la contingence des causes secondes. Le sujet lui-même exigeait de telles précisions doctrinales, et le grand alexandrin a le mérite d’avoir posé le problème dans toute son ampleur, ainsi que d’y avoir donné une solution remarquable par son équilibre et sa justesse. De oral., 5-8, P. G., t. xi, col. 430-441. Une formule surtout retient l’attention : Dieu connaît nécessairement tel événement futur, mais ne le connaît pas comme nécessaire en lui-même, si de fait il ne l’est pas : Dieu connaît nécessairement que tel homme veut le bien, mais ne le veut pas de façon nécessaire, de même, si tel homme se tourne vers le mal. il reste capable d’une conversion meilleure. Ibid., 6, col. 437 BC. Ainsi la providence de Dieu, qui connaît toutes choses, peut-elle préparer les biens que la prière et la libre conduite auront mérités à chacun.

E. de Faye a exactement noté à quel point Origène, à la suite de Clément, considérait l’action de la providence comme une action pédagogique, comme une éducation progressive de l’aine en vue du salut. Origène, t. m. Paris, ld’- !.s. p. 21 l-’21.">. Le même critique écrit à ce sujet, à propos de la traduction du PeriarcMn par l’.ulin : En maints endroits… perce dans la version de lîuf’m le tenace dessein d’effacer l’idée d’Origène d’une rédemption cffcctiléc par l’éducation de l’ànie. donc d’un Dieu éducateur et d’une providence péda gogique, et de lui substituer l’idée d’un Dieu juge qui récompense et qui châtie selon les mérites de chacun. C’esl l’idée Juridique toute romaine opposée à l’idée de pédagogie toute grecque, Op. cit., p. 190, en note. La remarque est juste, dans son ensemble ; encore i ; t ii i il noter que la punition des fautes et la récom pense « les mérites loni également partie, d’après Origène, de l’action éducative <1<’la providence ; l’opposition mise entre l’idée grecque de pédagogie et les conceptions romaines plus Juridiques, sans ot re aussi absolue qu’on semble le dire, esi cependant un trait qu’il est utile de signaler. E. de Faye cil » également un passage bien significatif de la manière d’Origène ; c’est au traité de la prière, à propos de cette demande de l’oraison dominicale : et ne nos inducas in tentât ionem ; le docteur alexandrin écrit : « Je pense que Dieu dirige (oIxovojj.£Ïv) chacune des âmes raisonnables, ayant toujours en vue leur vie éternelle. Chacune d’elles possède le libre arbitre (tô aÙTsÇoûaiov) ; selon sa propre responsabilité (nap% ty ; v lâîav ocItîxv), elle se trouve parmi les choses meilleures, s’élevant vers la cime des biens ; elle descend au contraire, par négligence, dans tel ou tel débordement du vice. » De oral., 29, P. G., t. xi, col. 540 A, cité par de Faye, op. cit., p. 214, dont je n’accepte pas la version. Pour la traduction de oeÏTÎoe, cf. Prédestination, t.xii, col. 2825. Ce texte d’Origène donne occasion à une note assez vive de Delarue, note 94, P. G., t. xi, col. 539 : Aperlc hic somnia sua occinit Origenes. Et, de fait, on peut entendre ici un écho affaibli des « erreurs » d’Origène. En effet, alors que Clément d’Alexandrie envisageait principalement l’action éducative de la providence dans les diverses modalités de sa réalisation historique, philosophie, loi ancienne, loi nouvelle, foi et gnose, son disciple, plus métaphysicien, transpose cette même idée de pédagogie divine du plan assuré de l’histoire sur celui, plus audacieux, de la cosmologie. Les âmes sont créées de toute éternité dans un état initial identique ; leur union à des corps est une conséquence de péchés antérieurs qu’elles doivent expier avant de faire retour dans le monde des esprits. Cette conception sera le point de départ et l’occasion de nombreuses attaques et de solennelles ccndamnations. Cf. art. Origène, Origénisme, t. xi, col. 1531 et 1565. Encore faut-il remarquer que l’alexandrin expose tout cela par mode d’hypothèse et avec d’importantes réserves ; certains passages de ses œuvres, comme celui que l’on vient de citer, restent susceptibles, si l’on n’en presse pas trop le sens, d’une interprétation orthodoxe, tandis que d’autres sont évidemment à rejeter. Il suffit de noter ici comment le désir de rendre raison, d’une façon générale, de l’action providentielle et le souci d’expliquer les conduites mystérieuses de Dieu ont amené Origène à imaginer cette chute et cette ascension des âmes ; tout ce roman cosmologique, qui manifeste le puissant réalisme de sa pensée théologique, est fondé sur une conception pédagogique de la providence divine. On y sent l’élève de Platon et l’émule aussi de certains gnostiques ; cependant, la netteté aveclaquelle l’auteur du Periarchôn affirme et assure l’existence du libre arbitre de la créature suffit à le distinguer de façon radicale de ces derniers.

3° Il est naturel de joindre au nom d’Origène celui d’Eusèbe de Césarée, son admirateur et le bénéficiaire de la bibliothèque réunie par ses soins. Dans sa Préparation évangélique, Eusèbe consacre de nombreux chapitres à la question de la providence. Il reprend, sur une base documentaire plus large, les thèmes généraux de l’apologétique du iie et du iiie siècle : démonstration de l’existence de la providence contre les épicuriens, divergences entre les conceptions péripatéticiennes et stoïciennes et la conception chrétienne, accord partiel entre la doctrine de Platon et la foi de Moïse. La méthode employée, semblable à celle de l’Histoire ecclésiastique, « est toujours « elle (les extraits massifs (A. Puech, Histoire de la littérature grecque chrétienne, t. iii, Paris, 1930, p. 194), mais elle se révèle ici moins heureuse dans un ouvrage qui pourrait prétendre, de soi, a une certaine vigueur originale de la pensée. La Préparation a conservé un important fragment du IiEpl çuoeuç de Denys d’Alexandrie dirigé contre les épicuriens. Prsep., XIV, xxiii, P. G., t. xxi, col. 1272. Dans son traité polémique contre Hiéroclès, Eusèbe condense en deux affirmations capitales la doctrine de la providence : elle s’étend universellement à toutes choses, elle prend un soin spécial des âmes raisonnables auxquelles est concédé le privilège de l’immortalité i l de la liberté ». Cont. Hieroclem, vi, P. G., t. xxii, col. 805 D-808.

4° Un autre Palestinien, saint Cyrille de Jérusalem, se montre moins soucieux d’érudition, bien qu’il sache lui aussi, à l’occasion, citer les philosophes. Dans ses catéchèses familières, l’ordre du symbole de la foi, qu’il commente aux aspirants au baptême, l’oblige à parler du gouvernement divin avant de traiter de la création elle-même : Credo in Deum — omnipotentem (vme cat.) — jactorem cseli et terrie (ixe cat.). Dom Touttée fait justement remarquer que le 7ravTOXpxTcop de la formule grecque du Credo serait mieux rendu en latin par omnitenens que par omnipolens. Admonitio in eut., viii, 3, P. G., t. xxxiii, col. 623-624, et Appendix in cal., v, note 11, col. 534 D. Il ne s’agit pas en effet, dans l’exposé de Cyrille, de la considération abstraite d’un attribut divin, d’une possibilité infinie d’action ; il s’agit au contraire de l’exercice de fait du pouvoir divin, du domaine universel et absolu de Dieu sur sa créature. Cat., viii, col. 625-636. Aussi, malgré le titre que porte la traduction latine : De providentia, le thème de la providence-prévoyance n’est-il pas explicitement abordé. La puissance divine est envisagée dans sa réalité sans cesse présente, dans son extension universelle et actuelle à tous les êtres. Dans ces limites, la doctrine est exposée avec beaucoup de force et de clarté ; un usage fréquent de brèves sentences script uraires vient ponctuer heureusement les affirmations du catéchiste sans nuire à la rigueur ni à l’unité de son développement.

Tite de Bostra, consacre tout le IIe livre de son traité Contre les manichéens à une vigoureuse apologie de la providence divine. Le c. i, affirme qu’aucun des êtres créés par Dieu n’est substantiellement mauvais ; tous sont bons, mais à divers degrés, et sont susceptibles de servir à des fins différentes. Cont. man., II, i. P. G., t. xviii, col. 1132 D-1133 A. Le dernier chapitre insiste, par manière de conclusion, sur la variété de la création. Ibid., xxxviii, col. 1205-1208. Dans le cours du livre, l’auteur examine les objections tirées tant de l’ordre moral que de l’ordre physique. Les questions de la fortune qui est parfois le fruit de l’injustice, c. viii, et des maladies qui affligent les justes, c. ix. sont sobrement traitées. Certaines considérations sur l’utilité des famines et des tremblements de terre, c. xiv, et sur celle des serpents venimeux, c. xxii, sont moins heureuses et ne sont pas exemptes de quelque puérilité. Comparé aux pieuses catéchèses de saint Cyrille, l’ouvrage de Tite de Bostra a plutôt l’allure d’un traité profane.

6° Contemporain de Cyrille de Jérusalem et de Tite de Bostra, saint Athanase ajoute à la piété du premier une profondeur théologique à laquelle l’auteur des catéchèses ne pouvait prétendre. Au point de vue négatif, le grand évêque d’Alexandrie combat les épicuriens qui nient l’existence de la providence et démontre, contre Platon, que la matière elle-même a été créée par Dieu. Or. de incarnat. Yerbi. 2, P. G., t. xxv, col. 97 D99. Au contraire, le mal n’est d’aucune façon une œuvre divine. Or. contra génies, 2, P. G., t. xxv. col. 5 CD : t. col 9 1° ; 6 7. col, 12 D 16 C. Au point de vue positif. Athanase marque que Dieu est le maître souverain de tontes choses, ibid., 29, col. 57 B, et qu’il prend un soin cl de l’âme raisonnable. Ibid., 35, col. 69 B. In quoique l’homme ne puisse ni voir ni comprendre la nature divine du Créateur, il peut, « le quelque façon, le connaître par ses œm res ; ainsi, sans olr Phidias, on peu ! reconnaître sa main dans la disposition et les proportions que manifestent ses ouvrages. Ibid. Toul cela. en somme, n’est pas particulier à Athanase, mais loi iité de l’adversaire d’Arius se marque mieux dans la mention continuelle qu’il fait du Verbe divin dans l’œuvre do la création et du gouvernement divin. me conclusion d’un long discours sur l’ordre du monde, l’harmonie de ses parties, l’équilibre qui règne entre les éléments contraires dont il est composé, Athanase affirme que, si cet ordre, cette harmonie, cet équilibre, dénotent l’unité du Maître de toutes choses, Ibid., 39, col. 77 B-80 B, ils démontrent aussi que tout a ete fait et « me tout est dirigé par le Verbe, sagesse éternelle du l’ère. Ibid.. 1°. col. 80 li SI H. Le LogOS, raison, mesure, harmonie, conduit la création et lui communique lumière, bonté et beauté.’Toutes les

t bonnes dans la mesure où elles sont à

l’image de Pieu. ibid.. I. col. 11. dont le Verbe est l’image parfaite. Mais, plus que toute créature privée île raison, l’homme est fait à l’image de Dieu, donc par le Verbe. Ibid., 8, col. 16 1) ; 34, col. 68 D-69 A. Telle i raison pour laquelle Dieu prend un soin particulier des hommes et leur a envoyé son Verbe, afin qu’il reparer et parfaire cette similitude divine que le péché avait détruite. <>r. de incarnat., 7, P. G., xs. col. 108 D-109 A. Telles sont les notions fondamentales de la théologie d’Athanase ; telles il les a exposé dans l’ouvrage de jeunesse qui a été cité, telles il les reprendra plus tard, inlassablement, dans cette affirmation de la divinité du Verbe incarné qui sera l’œuvre de sa vie.

IV. Les Cappadociens.

1° L’enseignement de saint Basile sur la providence est nettement adapté aux fins pratiques de son ministère pastoral.

Il ne s’attache pas a combattre les opinions des phi dont les doctrines, opposées les unes aux

autres, se détruisent mutuellement de façon suffisante.

In hexarm.. i. 2, P. (’, ., t. xxix. col. 8 A. Leur négation

de la providence provient de leur ignorance de Dieu

et d> divines. Ibid. Le Créateur gouverne

toutes choses - x >6epv(Sv tï a >/— avrx …olxovou.côv xà

--ov — il rend à chacun selon ses mérites ; en

douter, r’est i marcher selon le conseil des méchants ».

Iv. i. |. Bienheureux au contraire est l’homme qui n’a

aucune inquiétude au sujet de la providence de Dieu ;

il est semblable à ceux qui dorment tandis qu’un vent

favorable pousse leur navire au port. Ilom. in Psalm.,

i. 4.P. G., t. xxix. COl. 220 CD. Lorsque Basile Veut

donner quelque argument en faveur de l’existence delà

providence, il fait appel à des considérations familières

qui sauront toucher les populations agricoles de la

Cappadoce. A propos de ces paroles de la Genèse :

inaoit t’-rni hirbam virentem et facientem semen,

i. 11, il interroge son auditoire en ces termes : Si

la nourriture a été préparée pour le bétail, la notre ne

serai" digne des soins de la providence ? Celui

qui I ; bœufs et aux chevaux leur fourrage

'his forte raison, richesse et bien-être.

il qui nourrit tes troupeaux augmente d’autant les

pro ta vie. Qu’est-ce « loue que la

sinon la préparation de ta

propre sm D’autant qui beaucoup de plantes

nt aussi.-, l.i nourriture des hom In hexæm., v. 1. p. (, . t. xxix. col. 96 C.’"n peu plus loin, l’évéque d i tte en exemple le liL’uicr,

le f.uill.-. mt est néo la protec tion des fruits, tandis que les noix, dans leur rude

écorce, n’ont pas besoin d’une semblable garantie. On

voit bien ainsi que rien n’est fait sans cause, ni pal hasard, mais est le produit d’une sagesse Infinie. Ibid.,

8, col. 112 D 113 a. iiieuis. a propos d’un verset du psaume < xi : Custodiens parvulos Dominus, Basile évoque L’existence de l’embryon dans le sein de sa mère ; dans un espace étroit, ténébreux et humide, il it comme un poisson plutôt que comme un homme et cependant il demeure sain ci sauf sous la garde d< 1 Heu, Hom. in Psalm., exiv, P. c, .. t. wix. col. 189 i > Dans le même esprit, d’une simplicité toute surnaturel relie, le saint éveque s’attaque aux objections qui courent parmi ses ouailles contre la providence de Dieu ; c’est le spectacle du juste tombe dans la misère tandis que le fripon s’enrichit. Hom. in Psalm., xi.mii 17, ibid., COl. 153 D 156 ; c’est la famine et la sécheresse qui désolent le pays, ce qui donne matière à une homélie. Hom. tempore famis </ siccitatis, I’. a., t. xxxi. col. 303-328 ; ce sont des deuils cruels en face desquels le grand evèqiie trouve des paroles de consolation empreintes des plus religieux sentiments de résigna tion et de soumission à la volonté de Dieu. Hpist., v, P. G., t. xxxii, col. 237-241 ; Epist, vi, ibid., col. 2 1 1 245. Basile saisit avec empressement toutes ces occasions pour affirmer que, si nous ne pouvons pas comprendre les desseins secrets du Créateur, nous devons néanmoins croire à sa sagesse et à sa bonté ; il ne veut que notre bien, et les épreuves qu’il nous envoie sont une condition de notre progrès. En somme, l’évéque de Césarée applique aux circonstances quotidiennes de la vie cette conception du rôle pédagogique de la providence que les Pères d’Alexandrie avaient développée sur un plan plus spéculatif. Cependant, Basile sait, lui aussi, s’élever à des considérations théoriques. Dans l’homélie qui a pour titre : « Dieu n’est pas l’auteur du mal », il prend vivement à partie les doctrines manichéennes en affirmant que le mal n’est pas une substance. Hom. « Quod Drus non est auctor malorum », 5, P. G., t. xx.xi, col. 311 C, qu’il n’a pas été créé par Dieu, qu’il est attribuable à la volonté perverse des anges, ibid., 8, col. 345 D-317, et des hommes. Ibid., 3, col. 332 D-333. Dans cette même homélie, Dieu est appelé : ô (ppdviuoc. x/xl aoepèç twv ^uywv obcovo|i.oç, « le prudent et sage économe des âmes ». Ibid., 5, col. 340 C. Tout cela conduit à la même conclusion : quand Basile parle de la providence, il envisage avant tout, comme Cyrille de Jérusalem. l’action toujours actuelle et toujours bienfaisante de Dieu sur le monde. 2° La pensée théologique de saint Grégoire de Xaxianze, plus fine et plus spéculative que celle de son ami Basile, se meut cependant dans un même cercle d’idées. Dans le discours sur le saint baptême, que l’on pense avoir été prononcé à Constant inople le 7 janvier 381, l’orateur fait mention de la providence divine dans la profession de foi qu’il propose à ses auditeurs. Après avoir confessé la Trinité, au nom de laquelle il a été baptisé, le Adèle doit croire que le monde visible et Invisible a été créé par Dieu ex nihilo et qu’il est « gouverné par la providence de celui qui l’a fait et le conduit vers un état meilleur. Le chrétien doit également rejeter les erreurs manichéennes, c’est-à-dire croire que le mal n’est pas une substance, qu’il n’a pas été créé par Dieu, qu’il provient de nos péchés et des œuvres du malin. Insanct. bapt., xi.v. P. a., t. xxxiii, COl. 12 1 A li. Dans le second des grands discours théologlques, prononcés également à Constantinople, l’é vêque, après avoir affirmé que la nature divine dépasse tout entendement créé et toute parole humaine, Orat. tlteol.. ii, 4, ibid., col. 29 C 31 A, enseigne que nous pouvons cependant connaître l’existence de Dieu. Ibid.. 5, col 32 C. En effet, Dieu est cause de la création et de la conservai Ion de toutes choses, rien ne peut se soutenir sans le concours toujours actuel (le Dieu ; ainsi, quand nous voyons une cithare, que nous admirons la beauté « le ses proportions ou que nous entendons la mélodie de ses sons, nous pouvons savoir quel que Chose « le celui qui l’a laite, même si nous ne le connaissons pas de vue. Ibid., 6, col. 32 1) 33 A. Le premier discours d’invective contre Julien l’Apostat fait plusieurs fois mention du gouvernement universel de Dieu sur le monde qu’ira créé. Cont..lui., i, 17, I’. G., t. xxxv, col. 572 H ; 78, col. 604 C. Le discours sur l’amour des pauvres fournit également à son auteur l’occasion de parler du domaine divin sur la créature. Grégoire blâme d’abord ceux qui s’autoriseraient des décrets de la providence pour abandonner les Indigents à leur malheureux sort, sous prétexte que celui-ci est conforme à la volonté de Dieu. On voit, dit l’orateur, que ceux qui raisonnent de la sorte ne reconnaissent pas que leur propre fortune vient de Dieu ; sans cela, ils en useraient davantage selon Dieu. De pauperum amorc, 29, P. G., t. xxxv, col. 896 D-897 B. D’ailleurs, dans cette vie, nous ne pouvons savoir si le malheur est la punition d’une faute ou l’épreuve de la vertu, les desseins de Dieu nous restent cachés. Ibid., 30, col. 897 C-900 A. Quelques lignes plus loin, le saint évêque reprend vivement ceux qui font argument des misères de la pauvreté pour calomnier la providence divine ou pour tout abandonner aux hasards de la fortune ou aux exigences de la fatalité. Ibid., 32-33, col. 900 D904 A. Il termine son discours en exhortant ses auditeurs à la miséricorde, il leur montre l’exemple de Dieu et celui du Christ, il leur rappelle les figures bibliques de Job, de Lazare et du mauvais riche, la parabole du bon Samaritain ; enfin, il insiste sur l’utilité morale et sociale de la pauvreté.

Saint Grégoire a consacré en outre deux poèmes à célébrer la providence divine, Poemata dogmatica, v et vi, P. G., t. xxxvii, col. 424-438, et la mention de la providence revient souvent dans son œuvre poétique. Index Anahjticus, P. G., t. xxxviii, col. 1279. Il s’agit toujours du gouvernement divin qui s’étend à toute créature et contient toute chose dans son action souveraine.

3° Telle est également la doctrine exposée de façon plus didactique, par saint Grégoire de Mysse.

Le mot même de providence est rare dans ses écrits. On peut en signaler l’usage dans le petit traité intitulé Quod non sunt très dii, où l’auteur affirme que la providence et le gouvernement des créatures sont communs aux trois personnes divines. P. G., t. xlv, col. 128 D. De même, dans le dialogue avec sa sœur, sur l’âme et la résurrection, Macrine fait mention des erreurs des épicuriens qui nient la providence et attribuent toutes choses au hasard. De anima et resnrr., P. G., t. xlvi, col. 21 B. En revanche, ni dans le Contra fatum, ni dans les homélies sur l’oraison dominicale, on ne rencontre de développement sur la doctrine de la providence. La manière de Grégoire apparaît nettement dans sa grande catéchèse. Il entreprend de montrer la bonté et la justice du gouvernement divin tel qu’il se réalise de fait. Or. catech., xx, P. G., t. xlv, col. 56-57. Le mot obcovouioe est employé, celui de providence ne l’est pas, ce qui, au point de vue du vocabulaire théologique, est évidemment plus exact.

V. Le grand théologien de la providence, saint Jean Chrysostome.

Alors que les Pères de Cappadoce s’étaient contentés de toucher brièvement à la doctrine de la providence, saint Jean Chrysostome. au contraire, dans ses homélies, dans ses exposés de la sainte Écriture, dans ses traités de morale et d’ascèse, se plaît visiblement à consacrer à la même question d’amples développements.

C’est un sujet, d’ailleurs, dans lequel il excelle ; un discours calme, majestueux, puissant, sait faire reluire, chez lui, quelque chose de l’ordre, de la beauté, de la grandeur <iui brillent dans l’œuvre même de Dieu. Comme pour Bossuet, auquel, depuis Villemain, on a coût unie de le comparer, il existe une affinité préétablie en1 re le génie « le l’homme et les merveilles du gouvernement providentiel qu’il s’attarde à décrire ; aussi sait-il le faire avec une ampleur de vues, une sûreté de trait, un tact « pie bien peu, si même il en est, possèdent à un pareil degré.

L’évêque de Constantinople ne s’attarde pas a discuter avec ceux des philosophes qui nient la providence divine ; la dialectique scolaire n’est pas son fait ; c’est en orateur, en théologien, en moraliste surtout qu’il aborde et traite la question. Dés le début de sa carrière, il proclame que seules la malice des hommes et leur mauvaise conduite ont pu les empêcher d’admettre une vérité plus claire que la lumière du jour. Adv. oppiign. vilæ mon., iii, 10, P. G., t. XL vil, col. 365. A la fin de sa vie, il est plus convaincu que jamais de la même doctrine : l’ordre et l’harmonie du monde, les astres, les règnes de la nature, démontrent suffisamment l’existence d’une providence divine. Ad eos qui scandalizati sunt, v-vi, P. G., t. lii, col. 488 ; vii, col. 491-496 ; développements parallèles : De cornpunctione ad Stelechium, ii, 5, t. xlmi, col. 418-419 ; Ad populum Antiochenum, hom. ix, 4, t. xlix, col. 109 ; hom. x, 2-3, col. 113-115. La splendeur du jour, les mers, les sources, les couleurs variées du plumage des paons, sont tour à tour invoquées ; l’univers possède un tel éclat qu’il semble toujours neuf et fabriqué d’aujourd’hui ; il est si beau qu’on a pu le prendre lui-même pour un dieu. Ibid., col. 114-115. Ailleurs, Chrysostome, comme l’avait fait Basile, donne une attention particulière à la nature végétale ; la fertilité des prairies, cette « graisse du froment » (ex adipe frumenti), dont parle le psaume qu’il commente, Ps., cxlvii, 14, lui sont un moyen de démontrer l’existence de la providence de Dieu. P. G., t. lv, col. 479. Aussi est-il naturel que cette même providence soit comparée ailleurs aux eaux d’un fleuve puissant qui apporte la fécondité à toute la région qu’il arrose. In Ps., xlv, 1, ibid., col. 205.

Le gouvernement de Dieu s’étend à toutes les créatures, aucun des êtres singuliers n’y échappe, chacun d’eux y est spécialement soumis. Ad Stagirium a dsemone vexatum, i, 5, P. G., t. xl vii, col. 437 ; In Ps., cxxxiv, 4, t. lv, col. 392 ; In Matth., hom. xxviii, (al. xxix), 3, t. lvii.coI. 354. D’une façon plus absolue encore, l’orateur sacré affirme que, sans la providence, le monde ne pourrait ni durer ni se soutenir un seul instant. Ad pop. Antioch., hom. ix, 4, t. xiix, col. 109 ; hom. x, 2-3, col. 113-114. L’exemple qu’il prend est celui du corps humain, composé de divers éléments, et qui ne peut rester lui-même que sous l’action et le gouvernement de l’âme qui l’anime. Ainsi, bien que l’idée d’une prévoyance divine ne soit pas exclue, la notion de providence évoque plus spécialement pour Chrysostome, comme pour les Pères grecs, cette continuité de l’action créatrice qui soutient actuellement toute chose dans son être et la dirige dans son mouvement ; mais encore faut-il, pour atteindre le sens exact de l’idée grecque, ajouter que cet être est beauté, et ce mouvement harmonie ; le monde conservé dans l’ordre, la paix et la splendeur, tel est l’effet propre de la providence divine.

Le passage de l’ordre de la nature à celui de la vie morale, on le voit, est aisé. L’homme, créature de Dieu, n’échappe point évidemment à l’action précise et particulière du Créateur qui s’exerce sur chacun de ses actes. De même que nous ne pouvons rien ajouter à notre taille, de même est-ce la providence divine qui, dans nos œuvres, parfait toute exécution. Sans elle, ni soucis, ni peines, ni efforts ne nous seraient de quelque utilité. In Malth., boni, wi (.il xxii), 3, P <’. t. un, col. - it. Prédestination, t. .

col. 2829. Mais, si l’existence d’un gouvernement uni vend de Dieu se révèle de façon suffisamment manl leste dans l’ordre admirable de la nature, il n’en.1 pas toujours de même, aux yeux de certains chrétiens, dans les conduites morales de la providence, si Dieu gouverne souverainement toutes choses, pourquoi les tentations du démon, les scandales, les tribulations des justes, le triomphe des méchants ? Telles sont les objections courantes, familières a ses « mailles, que chrv me connaît bien. Aussi, sans parler des homélies nombreuses où il touche ces questions, il les examine en détail dans deux ouvrages Composés au début et à la fin de sa carrière apostolique et qui constituent l’un et l’autre une très haute apologie des voies providentielles. Le premier est dédie au moine Stagne, que les attaques répétées du démon avaient fait tomber dans la tristesse et le découragement, P. G., t… col. 125 IIS ; le second est adresse.1 eeux qui se scandalisent des persécutions dont souffre l’Eglise de Dieu de la part des impies, t. in. col. 179-528. Le raisonnement y suit. Ici et là. une même marche, dont il suffira de donner un résume rapide. Le point de départ est constitué par une affirmation absolue de la providence divine et du caractère bienfaisant de son action ; c’est alors que l’auteur fait intervenir, en confirmation de la doctrine, ces développements sur l’harmonie de la création auxquels on a fait allusion ; ils ont pour but de venir en aide à notre foi et d’exclure toute hésitation de notre part. En effet, si toute la nature proclame la bonté et l’amour de Dieu a l’égard de l’ouvrage de ses mains, ses desseins particuliers sur les hommes nous demeurent impénétrables en cette vie ; nous ne pouii les connaître ni les juger ; la providence de Dieu nous est incompréhensible. C’est là un des thèmes favoris de Chrysostome, et il aime citer, à cette occasion, l’exclamation de saint Paul, Rom.. XI, 33 : O altiludo diviliarum sapientiie et scientiæ Dei ! quant incomprehensibilia sunt judicia ejus et investigabiles vite cjus. Voir Adv. Judeeos, 1. 1, P. G., t. xi.viii. col. 813 : Ad eos qui seandalizati surit, n. t. lu. col. 182-484 ; développements parallèles : Ad Stagiriunt a diemorte vexutum, 1, 8, t. xlvii. col. 1 13 : In epist. ad Rom., nom. xvi, 7, t. t.x, col In Ephes., hum. ix. l-ô. t. lxii,

col. 132-136. D’ailleurs, non seulement l’apôtre Paul, mais les puissances célestes elles-mêmes ignorent le

des dispositions divines, seuls le Iils et l’Esprit-Saint les « onnaissent. Ad eus…. m. t. lu. col. ISI-486.

iciens patriarches, Abraham. Joseph. David, ont donné à ce sujet un exemple significatif d’humilité, de patience et de soumission a des décrets divins dont ils ignoraient encore le sens et la portée. Ibid., x, col. 500 D nous est donc absolument interdit de mettre en cause les conduites de Dieu à notre égard, nous sommes seulement assurés de deux choses : d’une part, la prole Dieu n’est pas moins admirable dans les afflictions et les tentations que dans la joie et le bonheur rium, 1. 3. P. G., t. xxvii, col. 429430 ; d’autre part, le seul mal véritable est le péché, et, dans cet ordre, personne n’est lésé que par soimêmxvi, t. LU, col. 516 (Chrysostome renv. licitement au traité qu’A vient de composer : Qaod nrmo Iseditur nisi a seipso, P. G., t. lu.

Appuyé >ur ces deux principes, l’évêque de Constan tinople n’a pas de peine a montrer l’utilité morale de même temps que son caractère relatif <*t p idressant.1 M.i L in-, il insiste spéciale ment sur l’utilité fies tentations et des assauts des

>ns pour v voir l’occasion d’un progrès spirituel. Ad Stagirium, 1. I. P. G., t. xxvii, col. 133-434, et

irance d’une plus crande perfection, ibid., 10,

col 117 us : écrivant aux fidèles que troublent les persécutions, il montre comment, selon le mol de saint Paul, Rom., v, ;  ; 1. la trlbulatlon produil la patience,

et la patience la fidélité éprouvée. Ail eos…, xxi,

P. G., t. mi. col. 522 523 ; d’ailleurs les attaques mêmes auxquelles l’Église eal en butte --oui le signe éclatant

de sa force et de sa Vitalité. Ibid., XXIII, COl. 526. Le

saint céi|uc se rend compte que la grande loi provl

deiilielle de la rédemption par la soullra ice heurte

asse/ rudement ses auditeurs et que seuls les enseignements de la loi peuvent la leur taire accepter. Aussi prend il soin d’fllustrei son expose par des exemples lires de la sainte larilure ; Abraham. Joseph, le saint homme Job. le pauvre I. a/arc de l’évangile de saint Luc, saint Paul, sont Fréquemment Invoqués par lui

comme témoins. Mais, plus encore, il présente a ses auditeurs l’exemple du Chris !  : le mystère’le la croix. Scandale pour les Juifs, sottise pour les païens. n’est il pas la source de noire salut et l’origine de toutes les grâces ?.t<7 eos…, x. ibid., col. 515-516 ; les souffrances mêmes endurées par Notre Seigneur dans sa

passion nous sont un gage irrécusable des tendresses divines. Ad Stagirium, i. ô. P. (’, .. t. xlvii, col. 136 ; Ad eus…. xvii, t. iii, col. 516-518. D’ailleurs toutes les époques de la vie de l’Église ont connu le scandale des persécutions ; les temps aposl oliques n’en

furent pas plus exempts que les nôtres, ibid., xiv, col. 512-515 ; w. col. 521-522, et les martyrs sont la pour nous donner la même leçon. Ibid., xix, col. 518 521. De l’histoire universelle se dégage nettement

l’affirmation de la nécessité providentielle de la souffrance. Mais le saint évêque sait aussi quitter ces hauteurs de la théologie et de l’histoire pour tenir à l’inquiet Stagire un langage plus familier et plus proche des réalités quotidiennes. A ce moine qui se plaint des fatigues et des épreuves qu’il rencontre dans la vie spirituelle, il conseille de se faire introduire dans un hôpital, de visiter une prison, afin de pouvoir prendre contact avec des maux vraisemblablement plus réels que les siens. Ad Stagirium, ni, 13, P. G., t. xlvii, col. 190-491.

Enfin, et c’est le dernier trait de la doctrine auquel on s’arrêtera, toutes les douleurs et toutes les souffrances de cette terre témoignent simplement que la providence de Dieu n’embrasse pas seulement le cours de notre vie mortelle ; son action s’étend au delà du temps ; nos âmes sont immortelles, un jugement les attend avec une récompense ou un châtiment définitifs. C’est alors seulement que la justice et l’harmonie des desseins providentiels seront pleinement réalisées et manifestées. In Matth., boni, xiii, t. lvii, col. 215218 ; Expos, in psalmum iv, 10, t. lv, col. 55 ; 11, col. f>i>-.">7. En attendant leur accomplissement, nous sommes soumis, par l’effet même de la bonté de Dieu à une pédagogie (mx18e(a) souvent douloureuse et dont le secret parfois nous échappe, mais qui nous conduit en toute sûreté vers les meilleurs biens. Ad Stagirium, i. <'>. t. xi. mi. col. 440 ; 7, col. 441-442.

Tels sont, brièvement Indiqués, les thèmes essentiels que développe saint Jean Chrysostome et dont il compose cette vaste apologie de la providence divine à laquelle son œuvre est en grande partie consacrée. L’analyse peut sans doute dissocier les divers arguments, IlOtel les principales étapes de la pensée, mais elle ne peut rendre ni cette vivacité de la piété, ni ce mouvement large et naturel du style qui viennent donner aux idées exprimées un Incomparable pouvoir de séduction, si l’on ajoute que cet apologiste magnifique des bienfait s de la providence divine a souffert, pendant les années de son épiscopat, la persécution, la calomnie et l’exil, on sera porté a admirer dans ses écrits, plus encore que le talent « lu théologien et l’éloquence de l’orateur, la sérénité <t l’élévation d’âme d’un saint.

VI. Les seconds alexandrins.

1o A Alexandrie, le patriarche Théophile, l’adversaire déclaré de Chrysostome, se fait aussi connaître par sa fougue antiorigéniste. Parmi les erreurs dont t-ll<- fait griel à l’auteur du Periarchôn, sa lettre testale « le 102, traduite par saini Jérôme, en mentionne deux qui touchent à la doctrine de la providence : 1. Origène aurait refusé d’étendre l’action providentielle à toutes Les créatures, mais aurait circonscrit ses effets au domaine des sphères célestes. S. Hieronymi Epislolse, xcviii, ii, P. L., t. xxii, col. S’i’2 ; 2. Le docteur alexandrin aurait également enseigné que la puissance de Dieu est limitée, qu’elle ne peut s’étendre au delà des êtres qu’elle a, de [ait, créés, les seuls que sa providence se trouvait en mesure de gouverner. Ibid., 17, col. 805-800. On remarquera que les deux chefs d’accusation ne sont pas absolument cohérents : le second semble bien admettre ce qui est supposé nié dans le premier, à savoir que la providence divine dirige toute créature, lui fait, le premier grief est nettement exagéré ; il eut été plus juste de dire qu’Origène, comme l’avaient l’ait les apologistes du iie siècle, accorde un rôle très important aux intermédiaires angéliques dans le gouvernement divin. Le second reproche est mieux fondé ; il est d’ailleurs repris, appuyé par des citations du Periarchôn, dans la lettre de Justinien à Menas de Constantinoplc. P. G., t. lxxxvi a, col. 947 CD, 981 CD, 989 C. Sur ce point, la pensée d’Origène a évidemment besoin d’être interprétée avec une certaine indulgence. Il est facile d’ailleurs d’agir de la sorte, puisque ce docteur explique que la puissance divine est limitée, en ce sens qu’elle ne peut réaliser ni le mal, ni l’impossible, ni rien qui soit indigne d’elle ; ce qui, cette fois, est incontestablement orthodoxe. Coût. Gels., III, 80, P. G., t. xi, col. 1012 D-1013 A ; V, 23, col. 1216 D-1217 A.

2o Le neveu et successeur de Théophile, saint Cyrille d’Alexandrie, semblable en ceci à Grégoire de Nysse, n’emploie presque jamais le mot même de providence. Ainsi, les index (d’ailleurs incomplets sur ce point) de l’édition de J. Aubert ne mentionnent le terme que trois fois (P. G., t. lxxvi, col. 1476 B) et les références données renvoient, non pas au texte même de saint Cyrille mais à des auteurs qu’il cite.

Ce n’est pas que l’évêque d’Alexandrie méconnaisse le domaine souverain de Dieu sur sa créature ; il en parle au contraire avec beaucoup de force ; cf. par exemple In Amos (iv, 13), xi.ii, P. G., t. lxxi, col. 488489, et (v, 8-9), xlvi, col. 493-496 ; Cont. Julian., ii, P. G., t. lxxvi, col. 604-606. Mais les expressions dont il use sont celles de pouvoir, gouvernement, direction, gouvernail (7rr)8dcXt, ov, une image qu’il semble affectionner ) ; la 7rpôvoia n’est pas nommée, alors que, dans les mêmes conditions, elle reviendrait sans cesse sous la plume de Chrysostome.

De même, lorsque Cyrille énumère les attributs divins, il mentionne la lumière, la vie, la puissance, la vérité, la sagesse, la justice… Glaphyra in Genesim, v, adhuc de Jacob, 4, P. G, t. lxix, col. 277 B, mais ici encore la providence est passée sous silence. Cependant, si notre auteur ne fait guère usage du vocable, il se rapproche plus que d’autres de la conception, aujourd’hui classique, de providence. Il envisage en effet en Dieu, et cela de façon explicite, un ensemble préconçu et organisé de fins et de moyens, une série de desseins éternels qui se réaliseront dans le temps. Thésaurus, t. lxxv, col. 292 B-293 A ; Glaphijra in Genesim, i, de Adam, 5, t. lxix, col. 25-30. Il s’agit, dans ces passages, des décrets rédempteurs de Dieu relatifs à la mission du Verbe. Cette doctrine est appuyée de très près sur les expressions mêmes de saint Paul. Dans le dernier texte cité, Dieu est dit providere suis creaturis, upoev 67)ffe tûv ÎSUov XTicru.dcT(ov, ibid., col. 28 D, en ce sens qu’il décrète l’envoi du Christ en vue de la rémission

du péché. Il y a là. de façon occasionnelle, un emploi presque technique de la notion et du terme de providence.

VII. Les Antiochiens.

1µ° A l’encontre de saint Cyrille, Théodoret de Cyr, formé aux mêmes disciplines que Jean Chrysostome, emploie, de façon continuelle, le mut de providence et par deux fois, il consacre à la pronoia d’importants développements.

Dans le traité que les traductions latines intitulent Grsecarum affectionum curatio, le I. VI est consacré tout eni ier à la doctrine de la providence. P. G., t. lxxxiii, col. 956 992. Le prologue de l’ouvrage expose de façon explicite le but que s’est proposé l’auteur : combattre L’impiété de Diagoras, le blasphème d’Épicure et l’opinion tronquée d’Aristote ; louer au contraire Platon et Plot in et tous ceux qui ont. avec eux, un juste sentiment de la providence : enfin, montrer, par des raisons physiques, comment la vérité est manifestée, sur ce point, par la création et toutes les choses que Dieu a faites. Ibid., col. 785 CD. La marche du développement est alourdie par une masse de citations d’auteurs profanes, ce qui d’ailleurs constitue peut-être la meilleure richesse de l’exposé.

Le même sujet est également traité par Théodoret, mais sans étalage d’érudition et d’un point de vue moins philosophique, dans une série de dix longs discours qui sont moins une œuvre oratoire que dix chapitres d’un traité composé et écrit à loisir. Les premiers discours démontrent l’existence de la providence à partir de ses effets naturels : les cieux et les astres, i, P. G., t. lxxxiii, col. 556-573 ; l’air, la terre et les eaux, ii, col. 576-588 ; le corps de l’homme et ses organes, avec un développement particulier sur la langue et les organes de la parole, iii, col. 588-605 ; enfin, la main humaine et les différentes activités techniques dont elle est capable, iv, col. 605-624. Les morceaux suivants envisagent les diverses hiérarchies qui sont le fait des hommes, mais dépendent aussi de la providence divine : le pouvoir exercé par l’homme sur les animaux, v, col. 624-644 ; l’inégalité dans la distribution des biens de la fortune, vi, col. 644-665 ; les relations sociales entre maîtres et serviteurs, vii, col. 665685. Le dessein général est ici une apologie de la providence qui établit ou permet de telles situations en vue du bien et de l’harmonie de la cité. D’ailleurs, sous le rapport des biens naturels que la providence départit directement à chacun : l’air, la lumière…, tous les hommes sont égaux et ils peuvent trouver dans la pauvreté et la servitude, qui leur paraissent un mal, l’occasion d’un progrès spirituel plus assuré. Le viir 5 discours s’engage plus nettement dans des considérations d’ordre moral ; il tient à montrer, grâce surtout à des exemples scripturaires, que les mauvais maîtres ne portent pas nécessairement préjudice à leurs serviteurs, ceux-ci acquièrent plus de mérites à pratiquer la vertu, vin. col. 865-716. F.nfin. quoi qu’il advienne ici-bas, la justice sera toujours récompensée par Dieu après cette vie ; l’âme est immortelle et capable de gloire éternelle, ix, col. 716-740 ; l’incarnation du Sauveur notre Dieu et toute l’économie chrétienne sont les plus magni Tiques témoignages des bienfaits de la providence divine, x, col. 740-773.

Cette simple énumération des sujets traités montre que Théodoret entend faire un exposé systématique des grands thèmes qu’avait développés la prédication de Jean Chrysostome, mais la manière sèche et didactique de I’évêque de Cyr ne possède ni le souffle ni la vie qui animent l’œuvre de son devancier ; elle se recommande plutôt par un souci réel de précision et le fini de certains détails. L’Écriture est utilisée avec une sobriété un peu froide. On sent un exercice d’école, plutôt conventionnel, mais incontestablement brillant. Il est à noter que, pour Théodoret, comme pour Jean sostome, la providence désigne a la foi-- la conservation des êtres et leur gouvernement par l deu. Comme

le, notre auteur applique volontiers au l >i « -u provident l’image du pilote et de son gouvernail, mais il prend soin de développer la comparaison avec une certaine minutie qui n’esi p. in dans les habitudes littéde l’adversaire de Nestorius.

on peut, à bon droit, rapprocher de rhéodorel

aiisqu’il semble lui aussi appartenir

.m milieu antiochien des années 131-451. Cf. Némi su s

t. xi, col. 65.

S i court traité sur la pro Idence se présente comme

un appendice à un ouvrage plus développé sur la

nature île l’homme. La transit ion entre les deux ordres

insldérations est fournie à l’auteur par l’idée de liberté ; apr< s avoir parle du libre arbitre de l’homme, esius trouve naturel de passer a la providence divine. P. (’, .. t. i. eol. 780 C- 781 A. Trois chapitres divisent la matière de façon tout à fait scolaire : l’existence de la providence divine, sa nature, son domaine. Ibid., col. 781 A. I.e e. i. eol. 78(i-", o_>, fait d’abord remarquer que ni les Juifs ni les chrétiens n’ont besoin d’une démonstration de la providence divine : ils en sont, les uns et les autres, suffisamment assures, les premiers par les miracles accomplis par Dieu en leur faveur en Egypte ; les seconds par le fait merveilleux de l’Incarnation. Aussi tout le discours de Némésius : il adresse aux Grecs. Col. 781 l>. I.e raisonnement de l’auteur est ensuite assez eonfus ; il fait appel, en quelques mots, à l’ordre du monde, eol. 784 A, puis à une historiette judiciaire analogue à celle de Suzan îe. col. 784 BC, enfin, à la nécessite des sanctions morales de la providence pour le bon ordre et la rvation de la société. Col. 785-792. Chemin faisant, la notion de providence est distinguée de celle de créalion : créer, c’est bien faire ce qui arrive à l’existence : taXûc. -Q-.r.CT*’. ri yiv6(xevtx ; la providence consiste a prendre soin de ces mêmes choses : xb xaXcTx ; èr :: iryz : twv yivouévtov. Col. 7<SS B. Le C. n. col. 7’. » 2 donne deux brèves définitions de la providence : ! s., in que Dieu prend des êtres. 7tp6voia toîvuv

iffT.v ;  ;  : i ovra yivouivi, i~ t ; x£>.£ix ; c’est aussi,

selon d’autres auteurs, la volonté de Dieu selon laquelle

tous les êtres reçoivent un utile gouvernement, -povo’.à’zo j S’.'ry —-Ti-.-L ~x v/ri -r’r ; j -pocr-popov

c.jyrv Acqx&£vei. Saint Jean Damascène reprendra l’une et l’autre définition. De fide orth., II. x.xix. P. C. t. xciv. col. 964 A. I.e dernier chapitre, le plus développé, traite de l’ampleur du gouvernement divin et des objets qu’il embrasse. Col. 793-817. Nérné mentionne d’abord les opinions des philosophes sur ce sujet : Platon, les stoïciens, les épicuriens. Aristote : il estime que I imperfection de leurs doctrines a

une dans l’ignorance où ils se trouvaient de la nature immortelle de l’ame humaine. Col. 793-801.

te. après avoir exposé la doctrine chrétienne,

laquelle Dieu s’occupe des moindres choses, l’auteur entreprend de démontrer le bien-fondé de cette opinion : si Dieu ne s’occupait pas de chacun des êtres qu’ile ne pourrait être que par ignorance,

refus de le faire ou impuissance ; or. ces trois hvpotrouvent être incompatibles avec la perfection de la nature divine. Col. 804 A.-808 A. Cependant, si nous sommes assurés du fait de l’extension univerprovidence divine, les desseins du gouvernement divin sur les individus noua demeurent mystérieux . Il convient, en tout cas, de distinguer it de ce qu’il permet seulement : il faut tenir compte de ce fait qu’il abandonne parfois les sien » pour un temps, soit pour leur correction, soit pour l’éducation des autres. Jean Damascène reprendra les mêmes considérations. De fide orth., II, xxix, F C t. xerv, col. 9 Enfin, Job, Lazare et le

mauvais riche, saint l’aul. sont comme clicI. Cluvs..

stome. Invoqués en exemples. Col, 812 813. Le traité

s’achève sur une noie i| ni i appelle tout.1 lait l’enseigne meut de l’évêque de (’.oust aul inople : la providence

est absolument bonne puisque le péché, le seul vrai

mal, n’est pas son fail mais le noire. Col. 813 817.

VIII. Le synthèse de la théologie grecque, saint Jean Damascéne.

La doctrine de la providence tient manifestement une place importante dans la pensée de Jean Damascéne : il en parle, suivant les occasions, tantôt en philosophe, tantôt en historien, tantôt en apologiste et tantôt en théologien.

Connue philosophe, il utilise l’affirmation de l’existence de la providence comme une prémisse.qui lui permet de démontrer l’immortalité de l’âme ; l’argument était d’ailleurs traditionnel depuis son emploi par Athénagore dans son livre sur la résurrection des corps. Voici le raisonnement : puisque la providence de Dieu traite chacun selon ses mérites, soit pour la récompense, soit pour le châtiment, il lui faut un sujet sur lequel elle puisse exercer sa justice et qui reçoive sa sentence : ce ne peut être que l’âme immortelle. Dialectica, c 1 xviii. p. G., t. xciv, col. 672 D 673 A.

Historien des hérésies, notre auteur signale que les épicuriens niaient toute providence ; il bloque d’ailleurs, avec le rappel des théories morales de ces derniers, la cosmologie mécaniste « les atomistes De liœresibus, 1, 8, ibid., col. <>81 C. Dans les Sacra parallela, un chapitre est consacre à la providence de Dieu, rcepl 7rpovotaç 0so’j ; il groupe des textes de l’Ancien Testament et des extraits des Pères, notamment d’Iréuée, d’Eusèbe et de Jean Chrvsostome. Sacra parallela, littera ÏJ tit. iv, P. G., t. xevi, col. 233 B-236 C.

Comme apologiste, Jean Damascène, oppose aux manichéens les enseignements de la foi chrétienne : Dieu est bon, il ne veut que le bien, tout ce qu’il veut est bon. Cont. manichœos, 38, t. xciv, col. 1544 D. Il n’a créé que des choses bonnes ; toute créature est bonne selon la nature qui lui a été donnée. Ibid., 47, col. 1548 D-1549. Le mal n’est pas une réalité, une substance : il est une privation : tout être comme tel est bon. Ibid., 50-59, col. 1549 B-1552 D. La matière n’est pas incréée, elle n’est pas le principe du mal. Ibid., 6163, col. 1553 C-1560 B. Il n’j a pas de conflit entre la matière et Dieu. Ibid., 67, col. 1561 C-1564 B. Cependant, si nous affirmons la bonté absolut ; de Dieu, nous ne pouvons pas comprendre les desseins de sa providence. Ibid., 74, col. 1572 D-1573 A ; 77. col. 1576 C. Le mot mal peut signifier deux choses très différentes : ou bien ce qui nous paraît désagréable, mais peut être l’effet d’une juste punition de Dieu, ou bien le seul vrai mal. le mal volontaire du péché dont nous sommes responsables. Ibid.. 81 -82. col. 1580 C-1581 B. Le traite s’achève sur un double conseil, celui de l’ellort personnel et celui de la prière persévérante. Ibid., 81>-87, col. 1584.

Dans son grand ouvrage de théologie, Jean Damascène énumère la providence parmi les attributs de la nature divine. De fide <>rlli., i, xiv, P. G., t. xciv, col. 860 B. Il la place en dernier lieu, voulant sans doute faire entendre qu’elle constitue comme le trail d’union entre le Créateur et sa créature. L’opération divine est une, simple, indivisible : elle se diversifie cependant selon les individus, qu’elle tend d’ailleurs à ramener à sa propre simplicité. Elle est l’être des êtres, la vie des vivants, la raison des êtres raisonnables et l’intelligence des intelligences, bien qu’elle-même demeure au-dessus de toute intelligence, de toute raison, de toute vie et de tout être. Ibid., col. 860 D. Au I. II du même ouvrage, un chapitre entier, c. xxix, est consacré a la providence divine. La place qui lui a été donnée dans l’ensemble de l’œuvre est extrêmement significative, car il sert de transition entre l’étude de la création, celle « le la nature de l’homme en particulier, et l’étude de l’économie chrétienne : incarnation, rédemption et sacrements. Les chapitres immédiatement précédents, jcxv-xxviii, sont en effet consacrés au libre arbitre ; comme l’avait fait Némésius, Jean Damascène passe de la considération de la liberté humaine à celle de la providence divine, mais le lien est moins artificiel chez lui que chez son devancier. Le c. xxx fait naturellement suite au traite de la providence, puisqu’il parle, dans sa première partie, de prescience et de prédestination, la seconde partie, au contraire, aborde un nouveau sujet. L’auteur y affirme de façon solennelle la création de l’homme dans l’état de grâce, De fide orth., II, xxx, ibid., col. 976 B, puis il fait mention du premier péché et de la chute de la nature humaine ; en fait, c’est moins ici la fin du livre que le début du livre suivant, l’histoire de la faute servant de préface à celle de sa réparation par l’incarnation et l’opération théandrique. Ainsi placé dans son contexte, le chapitre sur la providence prend un relief spécial ; il est le pivot autour duquel s’organise la doctrine entière de l’ouvrage : traité des créatures aboutissant à l’action libre de l’homme ; providence et prescience ; gouvernement surnaturel de l’humanité.

Ce c. xxix, est lourd de contenu doctrinal. Jean Damascène y résume, en quelques formules heureuses, les développements des théologiens antérieurs. Les définitions de la providence sont empruntées à Némésius : la providence est le soin que Dieu prend des êtres, c’est la volonté de Dieu selon laquelle toutes les choses reçoivent la direction qui leur convient. II, xxix, col. 964 A. L’existence de cette providence, ainsi définie, est brièvement démontrée d’abord à partir du fait de la création : il convient à celui qui a créé de pourvoir aux besoins de sa créature, ibid., col. 964 B ; ensuite, à partir de la bonté et de la sagesse de Dieu : il ne serait pas bon s’il n’était provident ; les hommes et les animaux eux-mêmes ont soin de leur progéniture. Ibid., col. 964 C. Mais le théologien n’insiste pas sur ces considérations générales qu’il se contente de rappeler brièvement. Étant donnée la place occupée par le chapitre, ce qui est en cause, c’est exactement la question de l’action libre et du mal moral. La doctrine est très nette et s’exprime en formules techniques. Relativement aux choses qui dépendent de nous, c’est-à-dire les actions libres, dans la mesure où elles sont bonnes, Dieu les veut d’une volonté antécédente et de bon plaisir, 7rpoY)YOup.évcoç Qekzi xocl sûSoxeï ; quant au mal véritable, au mal moral, Dieu ne le veut d’aucune manière, ni de façon antécédente ni de façon conséquente ; il le permet au libre arbitre, TTapot/wpsï tû aùxE^ouCTiM. Ibid., col. 969 B. Quant aux choses qui ne dépendent pas de nous, les bonnes sont voulues absolument d’une volonté antécédente ; les mauvaises, au contraire, sont conséquentes à nos fautes, elles ne sont voulues que par suite de celles-ci, pour rétablir l’ordre de la justice. Ibid., col. 969 A. Mais ici une autre distinction s’impose ; ou bien il s’agit, de la part de Dieu, d’une punition temporaire, d’un abandon « économique » en vue de notre plus grand bien, ou bien il s’agit d’une réprobation définitive. Ainsi peut-on dire que Dieu ne veut que le bien et le salut de tous : 1° Il ne veut jamais le mal véritable, le péché. 2° Il ne veut jamais le châtiment que comme conséquence du péché ; pour rétablir l’ordre violé. Telle est la conclusion du chapitre qui se borne à donner, sur les points essentiels des distinctions et des définitions. Un seul thème est un peu développé, en harmonie avec le but moral qui est visé par l’auteur : celui de l’abandon « économique » ou de correction, l’abandon « pédagogique » èyxy.-câ-XehJjiç oîxovojj.ix’0 xoi TOXtSeuTixY). Col. 968 B. Jean Damascène est ici l’écho de toute la théologie grecque ; il mentionne Job, saint Paul, Lazare et le mauvais riche, les martyrs, il donne même un exemple plus pratique : ((lui de l’orgueilleux que Dieu laisse tomber dans les péchés de la chair pour le guérir d’une faute plus grave. Col. 965. Tout cela a directement pour but notre amendement, notre salut, notre gloire et finalement la gloire de Dieu. Col. 968 B. Quant à la réprobation définitive, a l’abandon total, celui-ci s’exerce seulement a l’égard des pécheurs endurcis, des incurables envers lesquels l’action pédagogique de la providence est demeurée sans effet. C’est le cas de Judas ; que Dieu nous fasse miséricorde et nous préserve d’un tel abandon ! Ibid. D’ailleurs, les voies de la providence nous demeurent mystérieuses ; et nous ne pouvons les comprendre. Col. 964 C, 968 C. Deux choses demeurent certaines : Dieu ne veut que le bien ; nous sommes pleinement responsables de nos actes, nous ne pouvons pas en charger la providence. Cette dernière proposition est affirmée en termes quelque peu absolus : les choses qui dépendent de nous ne sont pas de la providence, mais de notre liberté, où t ?, ç -Trpovoîaç sotiv, à’/j.y. toO Jj(Xerépou aÙTE^oyaîo’j. Col. 964 C. Mais cela doit s’entendre selon le contexte : Dieu veut le bien que nous faisons, col. 969 B ; nous ne pouvons ni vouloir ni faire le bien sans son secours, col. 972973 ; que Dieu nous garde de la réprobation finale ! Col. 968 B.

IX. Conclusions. —

Pour variée qu’elle soit, cette enquête sur la théologie de la providence chez les Pères grecs peut cependant conduire à deux conclusions assez fermes :

1° Pour les Pères grecs, la providence est cette action divine ad extra, qui, la création étant supposée, conserve toute créature dans son être, sa vie et son mouvement, et la gouverne selon sa nature. Ces deux idées de conservation et de gouvernement sont intimement unies dans la considération d’une seule action divine toujours présente, toujours actuelle à chacun des moments du temps. Cette action providentielle inclut à la fois dans son objet l’ordre du Cosmos, les mystères de notre rédemption et de notre déification, le jugement final selon lequel les bons seront récompensés et les méchants punis. Les Pères pourront insister, de préférence, sur tel ou tel aspect du gouvernement divin, mais tous passeront avec la plus grande aisance de l’un à l’autre ; tout ce que Dieu peut faire de bon dans sa créature est l’objet de cette divine et unique provoia. Même les distinctions de saint Jean Damascène ne font pas échec à cette manière concrète d’envisager l’action divine, elles établissent seulement un ordre entre les objets du vouloir divin.

2° Il ne s’agit pas, pour les Grecs, d’envisager les décrets éternels de Dieu indépendamment de leur réalisation concrète. La définition technique que donne saint Thomas de la Providence : ratio ordinandorum in finem prout existit in mente divina, I a, q. xxii, a. 1, leur reste donc généralement étrangère, mais il faut remarquer que cette précision ultérieure est, chez eux, à l’état de présupposé formel. Ils envisagent tous, dans les réalisations de l’action providentielle, un ordre déterminé, voulu de Dieu, qui manifeste les intentions divines : la création est faite pour l’homme, l’incarnation a pour objet la rédemption du péché, tous les événements de notre vie sont l’effet d’une action pédagogique de Dieu, qui veut notre salut et notre perfection. Mais, par crainte sans doute de l’anthopomorphisme, pour laisser la nature divine dans son unité absolue et dans une éternité transcendante à tous les temps, ils se contentent de rassembler ce qu’ils voient de force, de lumière et de beauté dans l’homme et dans la nature, pour en faire un continuel et filial hommage à la providence de Dieu, Père, Fils et Esprit.

H.-D. Simonin.