Dictionnaire de théologie catholique/RÉDEMPTION I. Affirmation de la foi catholique

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 249-254).

RÉDEMPTION, terme générique pour désigner le salut du genre humain par la vie et la mort du Christ, c’est-à-dire la solution donnée par le christianisme à l’un des problèmes essentiels que devrait ou voudrait résoudre toute religion. —
I. Affirmation de la foi catholique.
II. Genèse de la foi catholique (col. 1921).
III. Explication de la foi catholique (col. 1957).
IV. Notes sur l’histoire littéraire de la question (col. 19)2).

I. AFFIRMATION DE LA FOI CATHOLIQUE.—

Du latin red.em.plio, qui se rattache à la racine redimere, le mot « rédemption » évoque, à la lettre, un acte de « rachat ». Métaphore de l’ordre commercial, qui s’applique usuellement, par extension, à toute idée de délivrance et spécialement à l’action par laquelle Dieu travaille à libérer l’homme de ses misères. Ce concept, qui, en soi, peut convenir à la préservation ou à la guérison des simples maux physiques, se réalise éminemment dans l’ordre spirituel par rapport à ce mal par excellence qu’est le péché. Mais, à ce point de vue, « rédemption » est un terme des plus compréhensifs, dont il faut d’abord distinguer avec soin les divers aspects pour déterminer le point spécifique sur lequel la foi chrétienne fait porter son enseignement. —
I. Notion de la rédemption. —
II. Doctrine de l'Église (col. 1915).

I. Notion de la rédemption. —

Même sans faire intervenir l’immense variété des religions humaines, le christianisme est de contenu suffisamment riche pour qu’une catégorie aussi souple que celle de rédemption y puisse trouver les applications les plus différentes. De ce chef, il n’est peut-être pas un mot de la langue religieuse qui donne lieu à autant d’indécisions ou d'équivoques, auxquelles peut seule obvier l’analyse méthodique des acceptions qu’il est susceptible de revêtir.

Sens large.


Il suffit d’avoir devant l’esprit la moinde notion de Dieu et de l’Ame pour voir s’en dégager un certain concept de rédemption.

En effet, l’homme apparaît à la raison comme un être spirituel, doué de conscience et de libre arbitre. Ce qui lui donne les moyens d’assurer le règne de l’ordre sur ses appétits inférieurs. Kt si, dans cette lutte, son inévitable contingence le rend capable de défaillir, sa liberté même lui permet de se redresser. Toute vie morale est-elle autre chose, en somme, qu’un per

pétuel effort d’élévation et, quand il y a lieu, de relèvement ?


D’autre part, Dieu n’est-il pas sagesse et bonté ? Ces deux attributs fondent le concept de providence, qui nous interdit de le concevoir autrement qu’attentif à veiller sur l’œuvre de ses mains. Il ne peut donc pas ne pas collaborer avec la volonté humaine dans le travail de perfectionnement qu’elle poursuit. Peu de réflexion suffit même à comprendre que c’est à la cause première que doit, en l’espèce, revenir le rôle principal. On ne dépasse donc pas le plan rationnel en se représentant un Dieu qui, par les lumières qu’il répand sur la conscience, les secours qu’il départit à la liberté, ne cesse de provoquer et d’aider l’homme à se maintenir ou à se remettre dans les voies difficiles du bien. OùSè yàp ocôÇcov mcûerai, au(x60u-Xeûei Se rà àptaxa, Clément d’Alexandrie, Colwrt., 10, P. G., t. viii, col. 208. Cꝟ. 9, col. 200 : OùSèv yàç> àXk’ïj toûto epyov… ècrlv aÙTW awÇecQai. tov av0pa>7cov.

En conséquence, l’idée générale de rédemption ainsi comprise est inséparable, pour ne pas dire pratiquement synonyme, de celle de religion. Sous peine de s’évanouir, celle-ci ne comporte-t-elle pas, à titre essentiel, la prière adressée à Dieu pour obtenir son secours et, le cas échéant, solliciter son pardon ? A fortiori quand la charge de ses responsabilités dans la vie présente se complète chez l’homme par les perspectives de l’éternité.

Ces exigences de la foi religieuse ne peuvent qu’être particulièrement vives dans une religion comme le christianisme, qui affine le sentiment du devoir et développe la conviction de notre insuffisance, tandis qu’il nous invite à voir en Dieu un père toujours prêt à nous secourir. Des paraboles comme celle de l’enfant prodigue ou celle du bon pasteur qui laisse là son troupeau fidèle pour courir à la recherche de la brebis perdue sont tout à la fois révélatrices des possibilités de conversion qui restent au pécheur et de l’aide, non seulement efficace mais préventive, qu’il peut attendre de Dieu à cet effet. Il y a de même, peut-on dire, toute une anthropologie et toute une théodicée rédemptrices dans ces formules du Pater qui font demander — donc espérer — au chrétien la remise de ses dettes et sa délivrance du mal.

En un sens très vrai, la rédemption s’identifie donc à cette œuvre commune de Dieu et de l’homme d’où résulte la présence dans le monde d’un ordre moral, avec ses alternatives de paisible affirmation, de lent progrès ou de laborieux rétablissement. Mais il est non moins évident que ce serait rester à la surface du christianisme que de s’en tenir là.

Sens restreint.

 Cet optimisme spirituel inhérent

à toutes les religions, et qui consiste à mettre au service des fins humaines la force même de Dieu, la foi chrétienne le synthétise dans le mystère de l’incarnation. Le Verbe fait chair y devient le centre des voies divines et, pour l’humanité, le principe immédiat du salut. Suivant la parole de l’Apôtre, Eph., i, 10, il a plu à Dieu de « tout restaurer dans le Christ ». Et cela d’une manière exclusive ; car il n’y a plus désormais « d’autre nom sous le ciel qui soit donné aux hommes pour se sauver ». Act., iv, 12.

Aussi, dès sa naissance, Luc, ii, 11, Jésus est-il salué par les anges comme le « Sauveur » et son nom même ainsi interprété, Matth., i, 21. Mais ce salut, que le messianisme populaire détournait vers l’ordre politique et national, tout son ministère va le ramener à l’ordre exclusivement religieux.

De fait, abstraction faite de toute considération dogmatique, l’Évangile n’est-il pas un principe et une école de rédemption ? Pendant sa vie, Jésus avait prêché l’amour et le service du Père qui est aux cieux, l’avènement de son royaume et l’obligation de la péni tence pour s’y préparer. Toute son action n’avait tendu qu’à relever les pécheurs et à stimuler les âmes généreuses vers les suprêmes sommets de la perfection. Son œuvre posthume est de même nature : au judaïsme desséché, au paganisme corrompu elle a substitué la civilisation chrétienne, avec tout le renouvellement qu’elle comporte dans le double domaine des idées et des mœurs. Pour les croyants de tous les âges, en même temps qu’un docteur, Jésus n’a pas cessé d’être un modèle et un ferment par son admirable sainteté. D’une manière générale, ce sont les thèmes que la littérature de circonstance provoquée par le xixe centenaire de la rédemption (1933) s’est contentée de rafraîchir.

A cet égard, il est reçu de distinguer un triple office, prophétique, royal et sacerdotal, du Christ. Division particulièrement chère aux protestants, voir Calvin, Inst. rel. chr. (édition définitive, 1559), II, xv, 1-6, dans Opéra omnia, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. ii, col. 301-3(37, mais qui n’est pas non plus étrangère à la théologie catholique. Cf. Jésus-Christ, t. viii, col. 1335-1359. Elle peut fournir un cadre commode pour grouper et classer les multiples bienfaits que l’humanité doit au Fils de Dieu comme illuminateur des intelligences par la prédication de la vérité, législateur des volontés par ses préceptes et ses institutions, sanctificateur des âmes par la grâce et les sacrements. Voir J.-H. Osswald, Die Erlôsung in Chrisio Jesu, t. ii, p. 148-219.

Il n’y a pas moins de substance doctrinale, en peu de mots, dans cette préface gallicane de l’Avent, récupérée par un bon nombre de propres diocésains, où le Sauveur attendu est chanté comme celui cujus verilas instrucret inscios, sanctitas jusli/icarel impios, virlus adjuvaret in/irmos. Bien des prédicateurs ont le bon goût de s’en inspirer.

Ce n’est là pourtant, si l’on peut ainsi dire, que l’aspect extérieur et social de la rédemption chrétienne, où il reste encore à dégager un élément plus profond.

Sens précis.

Au nom de la seule psychologie,

toutes les misères ou détresses auxquelles la venue du Christ a pour but de porter remède ne sont, en définitive, que des formes ou des conséquences du péché. Le dogme tic la chute confirme et précise tout à la fois cette conclusion.

En dehors de ses suites funestes, le péché cependant est un mal en soi et, pour une conscience religieuse, le plus grave de tous. Il manquerait l’essentiel à l’œuvre du rédempteur si elle ne l’atteignait. Mais on peut en concevoir diversement le moyen.

1. Idées en présence.

Sur ce point, deux tendances rivales se sont fait jour dans la pensée chrétienne, suivant qu’on retenait surtout du péché la diminulio capitis qui en résulte pour son auteur ou qu’on envisageait de préférence l’atteinte qu’il porte à l’ordre divin du monde moral. A la limite, deux doctrines de la rédemption en sont issues, elles-mêmes susceptibles de revêtir bien des modalités individuelles, mais qui ne peuvent dissimuler an regard attentif les traits permanents par où elles s’opposent, au double point de vue de l’histoire et de la théologie, en deux types caractérisés.

Dans le premier cas, c’est l’homme qui est le centre et l’objet de l’action rédemptrice. Qu’il s’agisse de nous mettre sous les yeux un exemple à imiter ou, d’une manière plus intime, d’allumer en nos cœurs la flamme de l’amour divin par l’amour qu’il nous témoigne, d’ouvrir au sens du péché les consciences endormies et d’y faire naître la confiance dans le pardon de Dieu, l’activité du Christ ne cesse pas de se cantonner dans le domaine de la psychologie. Sous ces différentes variétés, la rédemption est toujours de caractère anthropocentrique et subjectif.

Au contraire, dans le second cas, le péché n’est plus seulement un mal à guérir, mais un désordre à réparer. Qu’on parle d’un hommage rendu à Dieu en compensation de nos taules ou d’un acquittement bénévole de la peine qui nous était due, le Christ est conçu comme réalisant en notre faveur une œuvre qui a un sens et une valeur en soi, indépendamment de ses répercussions possibles ou réelles sur nous. Au lieu de viser seulement l’homme, il vise également Dieu : la rédemption est alors de caractère théocentrique et objectif.

Il faut d’ailleurs ajouter que, dans l'économie de la foi chrétienne, la considération du péché individuel est subordonnée à celle de la faute collective qui pèse sur le genre humain. De ce chef, la rédemption signifie avant tout la réparation de la déchéance originelle et le rétablissement par le Christ à notre profit du plan surnaturel primitif, suivant le schème classique : inslilulio, destittitio, restilulio.

2. Termes usuels.

Pour désigner ce mystère, le langage ecclésiastique dispose de vocables nombreux et divers.

Il s’agit tout d’abord d'énoncer le rôle actif du Sauveur dans la reprise de nos bons rapports avec Dieu. La Bible fournit à cette fin l’image populaire de rachat, les analogies rituelles d’expiation et de sacrifice, les catégories sociales de médiation et de réconciliation ; l'École y ajoute les notions plus savantes de satisfaction et de mérite. Tandis que les professionnels retiennent plutôt celles-ci, la langue courante se sert plus ou moins équivalemment de toutes les autres. L’allemand a le privilège d’avoir deux mots : Erlôsung et Versôhnung, qui correspondent respectivement aux deux aspects, général et précis, du salut ; l’idiotisme anglais alonement exprime ce dernier avec une originalité qui défie la traduction.

Au surplus, quand elle est prise au sens objectif, la rédemption apparaît comme une œuvre accomplie pour une bonne part à notre place. En conséquence, elle implique une certaine idée de substitution. D’où la formule technique salisfaclio vicaria, qui a l’infortune de ne pouvoir guère se traduire qu’en allemand, et qu’on se gardera d’invertir en ce lamentable pléonasme substitutio vicaria qui n’est rien moins qu’inouï. Voir Franzelin, Traclatus de SS. Eucharistiæ sacramento, Rome, 4e édit, 1887, p. 326-328 ; Hugon, Le mi/stère de la Rédemption, Paris, 6e édit., 1927, p. 270.

II. Doctrine de l'Église. — C’est un fait souvent constaté qu’il faut, d’ordinaire, à l'Église la pression de la controverse pour l’amener à formuler officiellement sa propre foi, tandis qu’elle laisse à l'état plus ou moins vague celles de ses croyances même les plus fondamentales, qui ne rencontrent pas de négateurs. Nulle part sans doute ce cas ne se vérifie mieux qu’au sujet de l'œuvre du Christ, qui, pour n’avoir de longtemps pas soulevé de problème, n’a non plus reçu que très tard un commencement de définition.

Période ancienne.

Avant le concile de Trente

on ne trouve aucun acte saillant de l’autorité ecclésiastique sur le chapitre de la rédemption. Les voies communes du magistère ordinaire suffisent aisément à garantir aux fidèles la possession normale de la régula fidei.

1. Époque patrislique.

Indirectement toutes les hérésies relatives à la personne du Christ en arrivaient à compromettre son œuvre de salut. Mais celle-ci n’a jamais proprement suscité de contestation. La prétendue erreur du gnostique « Bassus », en réalité Colorbasus, voir ce mot, t. iii, col. 378-380, qu’on a parfois donné comme un ancêtre du subjert ivisme abélardicn, n’est due qu'à une méprise d’Alphonse de Castro, Ado. omnes hær., c. iv : Clirislus, Anvers, 1565, fol. 122 v°,

recueillie de confiance par Suarez, De incarn., disp. IV, sect. iii, 5, édit. Vives, t. xvii, p. 56.

Ni le docétisme, en effet. iii, plus tard, le nestorianisme ou le pélagianisme, en dépit de la logique, ne déroulèrent leurs virtualités en matière de sotériologie. La Gnose, où le ministère prophétique du Christ constituait le principal de son action salutaire, se disqualifiait assez par l’ensemble de sa christologic pour ne pas apparaître comme un danger spécial en matière de rédemption. Aussi l’ancienne Église n’eut-elle pas à insister sur ce point.

a) Symboles primitifs. — Non seulement la lecture des livres saints maintenait les premières générations chrétiennes en contact réel avec l'œuvre du Christ, mais la catéchèse ecclésiastique leur en proposait le sens.

On a dit que, dans la primitive Église, en dehors de la christologie sur laquelle se concentrait l’attention, « le reste paraissait accessoire ». A. Sabatier, La doctrine de l’expiation et son évolution historique, p. 43. Défaut de perspective dû à une méprise complète sur la portée des premiers symboles de la foi, dont le type est le symbole romain. Textes dans Hahn, Bibliolhek der Symbole, p. 122-127 ; choix des principaux dans Denzinger-Bannwart, n. 2-10.

Ces formules sans prétentions théologiques, où la carrière terrestre du Sauveur est succinctement résumée, n’ont pas pour but d’en indiquer et, moins encore, d’en épuiser la signification. On n’oubliera pas que l'Écriture, la prédication générale et la liturgie de l'Église en formaient le commentaire perpétuel. Même réduite à la forme simple de l'Évangile, la christologie implique une sotériologie : le processus normal de la pédagogie chrétienne suffisait à en dégager cet aspect.

Il s’en faut, du reste, que la lettre du symbole soit aussi indigente qu’on veut bien l’assurer. A lui seul déjà le rappel de la venue au monde et de la mort du Christ laisse entendre qu’il ne s’agit pas là de faits indilTérents. Le texte, au surplus, se continue bientôt par une allusion à la « rémission des péchés ». Grâce qui, de toute évidence, non plus que le don de la « vie éternelle » qui en est la suite, ne saurait rester étrangère à l’avènement du Fils de Dieu et, par là-même, en est posée, au moins d’une manière implicite, comme le fruit.

A ces paroles s’ajoutait d’ailleurs la leçon vivante des rites. Dans l’ablution baptismale se réalisait pour les âmes le bienfait de la rédemption, cependant que la cène eucharistique la reliait expressément à la mort du Rédempteur.

b) Symboles postérieurs. — En même temps qu’ils élargissent, à rencontre de l’arianisme, les énoncés de la première heure sur la personne du Christ, les symboles rédigés à partir du ive siècle accusent aussi en termes plus explicites sa mission de sauveur.

Pour l’ensemble de l'Église, deux documents autorisés attestent ce développement. Qui puopter nos et PROPTER nostram salutem descendit de cœlis, … crucifixus etiam pro nouis, lit-on dans le symbole dit de Nicée-Constantinople, qui a pris place dans les prières de la messe. Denzinger-Bannwart, n. 86. Et plus synthétiquement dans le symbole dit de saint Athanasc, ibid., n. 40 : Qui passus est pro salute nostra.

On relève des énoncés analogues dans les textes symboliques de diverses Églises du monde chrétien. Voir Denzinger-Bannwart, n. 9, 10, 13, 16 et 54 ; Hahn, op. cit., p. 135, MO et 157.

c) Condamnai ion des grandes hérésies. — Quelques obiter dicta sur la rédemption sont également fournis par les définitions dogmatiques opposées par l'Église aux erreurs du temps.

Aucune hérésie n’intéressait plus gravement l’œuvre du Sauveur que le pélagianisme. Le canon 21 du concile d’Orange (529), Denzinger-Bannwart, n. 194, montre combien l’Église en eut conscience. « Si la justification vient par la nature, y est-il déclaré d’après Gal., ii, 21, le Christ est mort pour rien… Bien au contraire, il est mort afin d’accomplir la Loi… et aussi de réparer en lui-même la nature perdue par Adam » : … ut natura per Adam perdila per illum reparetur.

Diviser le Christ en deux « personnes », comme le faisait bon gré mal gré Nestorius, avait pour conséquence inévitable de fausser le but de sa mort. Le lien qui rattache l’union hypostatique au mystère de la rédemption s’affirme dans l’anathématisme 10 de saint Cyrille d’Alexandrie, Denzinger-Bannwart, n. 122 : « …Si quelqu’un dit qu’il s’est offert en sacrifice pour lui-même et non pas plutôt pour nous seuls

— car il n’avait pas besoin de sacrifice, n’ayant pas commis de péché — qu’il soit anathème. » Bien que d’origine privée, ces anathématismes ont fini par prendre une certaine autorité pratique dans l’Église, en suite de leur insertion d’ailleurs tardive dans les actes du concile d’Éphèse et des conciles postérieurs. Celui-ci a l’intérêt de refléter la foi de l’Église au sacrifice rédempteur de la croix.

En dehors de toute controverse, le symbolum fidei du XI" concile de Tolède (675), appuyé sur II Cor., v, 21, présente l’oblation du Christ comme un sacrificium pro peccalis. Denzinger-Bannwart, n. 280.

2. Époque médiévale.

Pas plus que la période patristique, le Moyen Age n’a connu de choc doctrinal sérieux en matière de rédemption. Seules quelques intempérances dialectiques d’Abélard amenèrent le concile de Sens (1140) à censurer une de ses propositions, que nous retrouverons en temps et lieu (col. 1 945). Acte plutôt négatif et qui ne dépassait pas suffisamment les contingences du cas pour être l’occasion d’un progrès.

La foi commune de l’Église à cette époque s’exprime incidemment, soit dans les termes bibliques de rançon et de sacrifice, comme dans le canon 4 des conciles de Quierzy (853) et de Valence (855), provoqués par la controverse prédestinatienne, Denzinger-Bannwart, n. 319 et 323, soit par le retour plus ou moins littéral aux formules du symbole, ainsi que dans les professions de foi souscrites par Bérenger (1079), ibid., n. 355 : Christi corpus… pro salute mundi oblalum, et Michel Paléologue (1274), ibid., n. 462 : … in humanitate pro nobis et salute noslra passum, ou dans celle que promulgue, ibid., n. 429, le quatrième concile du Latran (1215) : … pro salute humani generis in ligno crucis passus et mortuus.

Un peu plus tard, le formulaire ecclésiastique s’enrichit du concept de « mérite », qui survient dans une bulle de Clément VI relative aux indulgences (1343), Denzinger-Bannwart, n. 552, puis dans le décret d’Eugène IV pour les jacobites, ibid., n. 711 : Firmiter crédit, profitetur et docet [romana Ecclesia] neminem umquam… a diaboli dominatione fuisse liberalum nisi per meritum nwdialorïs.

Au vocabulaire traditionnel l’Église commençait de la sorte à joindre l’un des termes que l’École utilisait depuis saint Anselme avec une parfaite unanimité qui avait déjà par elle-même la valeur d’un consensus.

Période moderne.

Comme tant d’autres, la doctrine

de la rédemption allait recevoir, au moment de la Réforme, un surcroit de précision et de clarté.

1. Enseignement du concile de Trente. — Loin de péricliter au sein du protestantisme, l’œuvre rédemptrice du Christ y devenait un élément essentiel du système de la justification par la foi. Voir Justification, t. viii, col. 2137-2146. Ce n’est donc pas le besoin de

réagir contre l’erreur, mais le souci de donner à la synthèse catholique toute sa plénitude qui amena le concile de Trente à y toucher. Voir J. Rivière, La doctrine de la rédemption au concile de Trente, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 1925, p. 260-278.

a) Session V : Mérite du Christ. — En définissant la transmission héréditaire du péché originel, le concile en souligne, au passage, l’extrême gravité, dont il demande la preuve à la façon dont il nous est remis. Ce qui ramène à faire intervenir, comme une donnée connue, l’œuvre du Rédempteur et la notion de mérite qui est une des manières de l’exprimer. Sess. v, can. 3 ; Denzinger-Bannwart, n. 790 ; Cavallera, Thésaurus, n. 871.

Si quis hoc Adapeccatum

… vel per humante nature

vires, vel peraliud remedium

asserit tolli quam per meri tum unius mediatoris Do mini nostri Jesu Christi, qui

nos Deo reconciliavit in san guine sun, factus nobis justi fia, sanctificatio et mUiiiptin (I Cor., i, 30), aut negal ip sum Jesu Christi meritum

per baptismi sacramentum…

applicari, A. S.

Si quelqu’un affirme que

ce péché d’Adam… est enlevé

soit par les forces de la na ture humaine, soit par un

autre remède que le méritede

l’unique médiateur [qu’est]

Notre-Seigneur Jésus-Christ,

qui nous a réconciliés à Dieu

dans sou sang, « en deve nant pour nous jus liée, sanc tification et rédemption »,

ou bien s’il nie que ce mérite

de Jésus-Christ soit appliqué

pai le sacrement du bap tême…, qu’il soit anathème.

Ce rapprochement entre le médiateur et le premier père, en vue d’opposer à l’action néfaste de celui-ci la mission salutaire de celui-là, est une allusion manifeste au parallèle paulinien des deux Adam. Aussi, pour caractériser le rôle du second, le texte conciliaire emprunte-t-il volontiers les formules de saint Paul ; la suite y ajoute d’ailleurs, à titre justificatif, des déclarations d’allure encore plus générale telles que Act., iv, 12 et Joa., i, 29. De ce dossier scripturaire le terme abstrait de mérite accentue et précise la portée ; mais il est ici employé comme usuel plutôt que proprement défini.

6. Session VI : Mérite et satisfaction du Christ. — Une seconde fois la doctrine centrale de la justification, qui fit l’objet de la session vi, allait amener le concile à rencontrer celle de la rédemption qui en est le fondement.

Suivant le cadre dessiné au début de l’Épître aux Romains, le décret commence par traiter brièvement de naturæ et legis ad justifïcandos homines imbecillitate. En regard de cette impuissance consécutive à la chute se dresse un exposé non moins succinct de dispensatione et mysterio advenlus Christi. Sess. vi, c. i-ii ; Denzinger-Bannwart, n. 793-794. La défaillance du genre humain, aggravée plutôt que guérie par les deux régimes provisoires sous lesquels il vécut, appelait à titre de remède la venue du Rédempteur, qui, dès lors, ne s’affirme pas seulement comme le principe eflicace de notre salut, mais arrive à prendre une sorte de nécessité.

Pour achever d’inscrire la justification dans le plan général du surnaturel, le concile en veut, un peu plus loin, expliquer les > causes. qui sont ramenées à cinq : finale, efficiente, méritoire, instrumentale et formelle. Nomenclature scolaire qui permet de l’envisager tour à tour sous ses différents aspects. C’est évidemment Dieu seul qui peut nous justifier. Mais le jeu souverain de cette « cause efficiente » n’en est pas moins préparé par l’intervention d’une » cause méritoire ». Rubrique sous laquelle s’introduit le rôle du Christ dans l’économie du salut. Sess. vi, c. vu ; Denzinger-Bannwart, n. 799 et Cavallera, Thésaurus, n. 879.

… Meritoria autem [causa … Quant à la cause mérijustificationis ], dilectissimus toire de la justification, c’est Unigenitus suus, Dominus son très cher Fils unique,

noster Jésus Christus, qui, cum essemus inimici (Rom., v, lot, propler nimiam charilatem qua dilexil nos (Eph., ii, 4), sua sanctissima passione in ligno crucis nobis justiflcationem meruit et pro nobis Deo F’alri satisfecit.

Notre-Seigneur Jésus-Christ,

lequel, » alors que nous étions ennemis, en raison du grand amour qu’il nous port ait », par sa passion très sainte sur le bois de la croix nous a mérité la justification et a satisfait à Dieu son l'ère pour nous.

Des deux agents principaux qui concourent à notre justification le rapport mutuel est facile à établir. La réalisation appartient au l'ère : effleiens [causa] misericors Deus qui gratuite ablu.il et sanctifteat, mais avec le concours de la passion du Fils à titre de moyen déterminant. Il est d’ailleurs assez curieux de voir appliquer à celui-ci un texte que l’Apôtre, Eph., ii, 4, écrivait de celui-là. Preuve sans nul doute que ce « grand amour » qui met tout en branle est commun aux deux.

C’est d’abord le concept de mérite qui sert à spécilier le rôle du rédempteur. On le trouvait déjà per Iranscnnarn au c. iii, Denzinger-Bannwart, n. 795, sous la forme de meritum passionis ; on le retrouve au canon 10, ibid., n. 820, où il est question de cette Christi juslilia per quam nobis meruit. Cf. sess. xix, c. viii, ibid., n. 905.

Mais celui de satisfaction lui est aussitôt associé. En toute rigueur de termes, on pourrait même dire que ce dernier n’est, en somme, qu’une modalité du précédent, puisque les deux sont compris sous la désignation générale de causa meriloria. Ce qui invite, sans négliger la nuance de chacun, à ne pus perdre de vue la réalité commune à laquelle ils sont l’un et l’autre coordonnés. La « satisfaction » du Christ devait également reparaître plus tard, à propos de celle que le sacrement de pénitence laisse au compte du pécheur. Sess. xix, c. vin et eau. 12, Denzinger-Bamrwart, n. 904, 905 et 922. Ainsi encore dans le texte condamné de la 59e proposition de Baïus. Ibid., n. 1059.

Il ne s’agit d’ailleurs pas là d’une définition doctrinale que rien n’appelait. Par le fait d'être ainsi incorporées dans le décret solennel relatif à la justification, les deux catégories de satisfaction et de mérite, déjà courantes dans l'École pour qualifier l'œuvre du Christ, n’en prenaient pas moins, en quelque sorte, un caractère officiel.

c) Session xxii : Sacrifice du Christ. — Quel que fût son désir de revendiquer, à rencontre des protestants, la valeur sacrificielle de la messe, l'Église, précisément pour la mettre in tulo, ne pouvait pas ne pas rappeler qu’elle est identique au sacrifice de la croix. Aussi bien cette mention revient-elle à maintes reprises au cours du décret promulgué à la session xxii, c. i et ii, can. 3 et 4, Denzinger-Bannwart, n. 938, 940, 950 et 951. Ce qui a l’intérêt de montrer, en ce qui concerne la rédemption, que les vocables nouveaux de satisfaction et de mérite n’enlèvent pas sa raison d'être à l’un des mieux accrédités parmi les anciens.

Aucune explication n’est, d’ailleurs, fournie par l'Église sur le sens des termes par elle adoptés. L’exposé pour ainsi dire officieux du Catéchisme romain, v, 3-5 et xxiv, 1, peut servir à montrer comment elle faisait sien le langage reçu dans l'École, avec une tendance notoire à faire prédominer sur les autres le concept de satisfaction, qui semble dès lors propre à les synthétiser.

2. Condamnation des sociniens. A l’extrême gauche de la Réforme néanmoins, dès la seconde moitié du XVIe siècle, la secte des unitaires, héritière des Socin, ne voulait reconnaître à la mort du Christ que la valeur d’un exemple. C'était la première opposition Systématique à laquelle se soit heurtée la toi traditionnelle en la rédemption.

Sans doute parce qu’elle intéressait plutôt les des tinées internes du protestantisme, l'Église n’a tout d’abord pas accordé d’attention spéciale à cette hérésie. En cas de besoin, elle pouvait, du reste, paraître suffisamment exclue par le chapitre du concile de Trente qu’on vient d’analyser.

Bientôt cependant la propagande faite en Italie par les sociniens allait amener Paul IV à prendre contre eux des mesures directes de répression (7 août 1555). Censures que le pape justifie par l’indication de leurs erreurs, dont l’une consiste à nier eumdem Dominum nostrum Jesum Christum subiisse acerbissimam crucis morlem ut nus a peccatis et ab œlerna morte rcdimerel et Patri ad vitam reconciliaret. Denzinger-Bannwart, n. 993. Formule où s’affirme une fois de plus la croyance de l'Église au caractère objectif de notre rédemption, mais sans ajouter aucun appoint de précision technique aux données acquises du langage courant.

La constitution de Paul IV fut renouvelée sans changement par Clément VIII (3 février 1603).

3° Période contemporaine : Un projet de définition. — Soit pour combattre le rationalisme croissant du protestantisme moderne, dont la théologie de Hermès et de Gùnther accueillait trop aisément les suggestions, soit pour donner à l’architecture du dogme catholique son complet achèvement, le concile du Vatican avait mis à son programme une constitution générale de doclrina catholica. Le dogme de la rédemption y devait figurer en bon rang.

Jn avant-projet fut soumis aux Pères dès le 10 décembre 1869. Le chapitre consacré à la personne du Christ se terminait par quelques lignes sur son œuvre, ramassée autour des notions de mérite et de salis/actio vicaria, dont la négation aurait dû comporter la note d’hérésie. Primum schéma const. de doctrinal catholica, c. xiv, dans Collectio Lacensis, t. vii, col. 515. Deux longues adnotaliones, 33-34, ibid., col. 543-544, expliquaient, à rencontre des objections qu’elle soulève, la manière exacte d’entendre la satisfaclio vicaria.

Le schéma remanié retenait également le mérite ainsi que la satisfaction du Christ, et celle-ci était présentée comme « ce qui fait la vertu de son sacrifice ». Schéma const. de pnecipuis mysteriis fidei, c. iv, 7-8, ibid., col. 501. Aussi la possibilité et la réalité de cette satisfaction étaient-elles consacrées par les deux canons suivants : Si guis a/firmare prsesumpserit salisfaclionem vicariam, unius scilicet mediatoris pro cunctis hominibus, justifias divinæ repugnare, A. S. — Si quis non confiteatur ipsum Deum Verbum, in assumpta carne paliendo et moriendo, pro peccatis nostris poluisse salisfacere, vel vere et proprie satisfecisse, A. S. Can. 5 et 6, ibid., col. 566.

Bien que ces documents n’aient pas d’autorité canonique, ils ne laissent pas d'être précieux pour vérifier l'état normal du magistère ordinaire et voir d’après quelle ligne s’orienterait une définition dogmatique, si elle devait un jour avoir lieu.

Au total, il résulte de ces divers textes que l'Église a bien l’intention d’imposer une foi très ferme, sinon définie, en matière de rédemption. Elle ne rattache pas uniquement le salut de l’humanité à la mission générale du Christ, mais avec une particulière insistance au drame de sa mort. A celle-ci elle ne reconnaît pas seulement la valeur d’une leçon : elle y voit un moyen objectivement et souverainement ellicace de rétablir entre Dieu et l’homme les rapports qu’avait rompus le péché.

Pour caractériser cette action, elle ne se contente pas de retenir les expressions communes de la langue biblique et religieuse ; elle adopte officiellement la terminologie plus précise mise en cours depuis le Moyen Age par ses théologiens. « Mérite » et « satisfaction i du Christ recouvrent donc plus que des

théories d'école ou des thèses reçues : l’idée fondamentale impliquée dans ces termes appartient à la formule de la foi catholique pour exprimer l'œuvre de rédemption surnaturelle éminemment réalisée par le sacrifice de la croix.