Dictionnaire de théologie catholique/RÉDEMPTION III. Explication de la foi catholique 7. Valeur de la rédemption

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 287-289).

VII. Valeur de la rédemption. —

De même qu’elle se préoccupe de suivre pour ainsi dire en largeur l’efficience de la rédemption, la théologie catholique a souci de la scruter en profondeur. Voir Dorholt, op. cil., p. 376-500. Curiosité qu’autorise assurément le réalisme de la foi, mais que la nature du problème expose à rencontrer bientôt des obstacles impossibles à franchir.

Points certains.

A travers les systèmes qui

divisent l'École, on peut démêler au moins quelques données générales qui les dominent et, pour ce motif, s’imposent à tous.

1. Question de principe.

Il ne saurait y avoir le moindre désaccord sur l’idée fondamentale d’une perfection inhérente à l'œuvre du Christ qui, en principe, la proportionne adéquatement à sa fin. C’est ce que la langue technique, aussi facile à comprendre que difficile à remplacer, désigne en parlant de satisfaclio condigna et superabundans.

Lorsqu’on lit, par exemple, dans l'Écriture que nous sommes rachetés, sanctifiés ou justifiés par le sang du Christ, c’est-à-dire à peu près dans tous les textes qui énoncent le mystère de notre rédemption, et que ces assertions ne sont entourées d’aucune réserve, ne faut-il pas entendre qu’il y a dans cette cause une vertu propre qui la rend capable de produire par elle-même cet effet ? C’est pourquoi, dès la théologie patristique, voir col. 1937, s’affirme expressément, à l’occasion, l’idée d’une parfaite équivalence entre la mort du Christ et la dette des pécheurs. La scolastique ne prétend pas dire autre chose, au fond, par le terme abstrait de condignitas. Cf. Synave, Saint Thomas d’Aguin : Vie de Jésus, t. iii, p. 197 et 200, où il est noté que sufficiens est synonyme de « satisfaction adéquate » chez saint Thomas.

Dans son parallèle des deux Adam, Rom., v, 15-17, saint Paul, au surplus, n’cnscignc-t-il pas que l'œuvre salutaire du second dépasse l’action néfaste du premier ? Énoncé concret dont le concept de surabondance ne fait qu’expliciter analytiquement le contenu. L’adaptation qui eu est laite par saint Anselme à la mort du Christ. CUT Deus homo, ii, M, P. ].., t. c.lviii, col. 41 5. reste pour ainsi dire classique après lui. Témoin saint Thomas, Suiii. th., III a, q. xlviii, a. 2 et 4.

Sur le terrain des simples données religieuses, en dehors de toute prétention à des calculs décevants non moins qu’inutiles, on ne voit pas, en effet, ce qui pourrait manquer au sacrifice du Sauveur pour que

son offrande plaise à Dieu autant et plus que peuvent lui déplaire nos péchés. Christus, expose le Docteur angélique, ibid., q. xlviii, a. 2, ex caritate et obœdienlia paliendo, majus aliquid Deo exhibuit quani exigerel recompensatio lotius offensas humani generis : primo propter magniludinem caritalis ex qua patiebatur ; secundo propter dignitatem vilse suae… ; tertio propter generalitalem pussionis et magniludinem doloris ussumpti.

Or, ce qui est vrai de nos offenses à réparer ne l’est manifestement pas moins des biens qu’il s’agissait de nous obtenir. Auprès du Père, le Fils est toujours en mesure de se faire écouter. Cf. Joa., xi, 42 ; Hebr., v, 7.

Parler ici de suffisance et de surabondance, à propos tant de la satisfaction que des mérites du Christ, n’est, en somme, qu’une autre manière de dire que son œuvre tient de sa personne quelque chose d’incomparable et de définitif. Voilà pourquoi cette immolation accomplie une fois pour toutes s’oppose, dans l'économie du monde religieux, à l’indéfinie non moins qu’impuissante répétition des rites anciens, Hebr., vii, 27-28 ; ix, 12, 26-28 ; x, 10-14, tandis que, dans sa vie personnelle, cf. Rom., v, 9-10 ; viii, 32 ; Eph., ii, 18 ; I Thess., i, 10 ; I Tim., i, 15 ; Hebr., vi, 19-20 ; ix, 25 ; x, 19 ; I Joa., i, 7 et ii, 1-2 ; Apoc, v, 10, le croyant y peut trouver, en regard de sa propre misère, un de ces motifs de confiance qui ne trompent pas.

2. Question d’application.

En théorie pure, voir col. 1980, dans toute action ou souffrance du Christ, il y avait de quoi réaliser les conditions de cette valeur. Cf. Sum. th., III », q. xlvi, a. 5, ad 3um.

Mais, avec la quantitas prelii, comme saint Thomas le précise ailleurs, Quodl., II, q. i, a. 2, il faut aussi regarder à sa deputalio. Or, dans l’espèce, non sunt deputatæ ad redemptionem humani generis a Deo Pâtre et Christo alise passiones Christi absque morte. C’est ainsi que la mort du Sauveur devient seule, de fait, la satisfaction adéquate que tout autre de ses actes était, en droit, susceptible de constituer.

2° Discussions d'école. — Au-delà commence la zone de ces quæstiones disputâtes qui ont absorbé le principal effort de la scolastique moderne, voir col. 1951, d’ordinaire sans autre bénéfice que de soulever des problèmes de plus en plus subtils autour desquels les écoles catholiques ont depuis lors couché sur leurs positions.

1. Détermination de la cause formelle.

- Et d’abord d’où l'œuvre du Christ tire-t-elle exactement le principe de son efficacité?

Par rapport à nous, in actu secundo, il est entendu, non seulement qu’elle exige notre concours, mais qu’elle suppose une décision bénévole de Dieu qui nous admette à en recevoir éventuellement l’application. Voir Galticr, De inc. ac red., p. 398-399. Le chrétien lui-même, pour ne rien dire de l’infidèle, n’a pas plus de titre à l’héritage du Christ que le Juif n’en pouvait avoir, du chef de sa descendance charnelle, cf. Matth., m, 9, et Joa., viii, 39, à celui d’Abraham.

Qu’en est-il maintenant si on la considère in actu primo, c’est-à-dire en soi ? L'école thomiste professe qu’elle vaut par elle-même, au lieu que l'école scotiste la subordonne, en dernière analyse, à l’acceptation de Dieu. Ses qualités propres lui suffisent, dans le premier cas, pour assurer la rédemption du genre humain, tandis que, dans le second, la raison dernière de sa valeur de fait, qui n’est pas en cause, lui vient ab exlrinseco.

Cette divergence tient d’abord à la façon de concevoir la source du mérite et, d’une manière plus générale encore, la situation essentielle de l’homme devant son Créateur, En dépit des objections qu’elle soulève à première vue. la concept ion scotiste a pour elle cette transcendance de l’Absolu qui le fait être le principe

de tout bien et nous empêche d’imaginer que rien s’impose à lui sans son agrément. Saint Thomas luimême n’admet-il pas, Sum. th., Ia-IIæ, q. cxiv, a. 1, voir Mérite, t. x, col. 776 et 780, que nos œuvres les meilleures ne nous donnent, par rapport aux récompenses divines, qu’un droit secundum quid ? A plus forte raison le lien devient-il encore de moins en moins rigoureux quand il s’agit de mériter pour d’autres que pour soi.

La solution du présent problème est ensuite, dans chacune des écoles, fonction des prémisses de sa christologie, qui amènent l’une à soumettre et l’autre à soustraire l’humanité du Fils de Dieu au régime de ce droit commun.

2. Mesure du degré.

Quelle qu’en soit la source, jusqu'à quel point de perfection faut-il porter la valeur inhérente à l'œuvre du Christ ?

En vertu de l’adage : Actiones sunt suppositorum, l’union hypostatique, d’après les thomistes, demanderait qu’on la tienne pour infinie, comme la personne même qui en est l’auteur. Au contraire, en raison de la nature humaine d’où elle procède, elle ne saurait être, en soi, pour les scotistes, à quelques exceptions près, voir col. 1951, qu’un bonum finilum. La divinité du Verbe ne compterait que du dehors, mais assez pour permettre de lui attribuer une richesse pratiquement indéfinie : Tamen ex circumstanlia supposili et de congruo… habuil meritum Christi] quamdam ralionem extrinsecam quare Deus poluil acceptare illud in in finilum, scilicet extensive pro in/initis. Scot, Op. Oxon., In lll am Sent., dist. XIX, n. 7, édition de Lyon, t. vii, p. 417.

Plus encore que le précédent, tout ce problème est connexe à la théologie de l’incarnation. Or il y a diverses manières d’entendre, salva fide, l’union hypostatique, ainsi que, par le fait même, l’autonomie de l’homo assumplus et la dignité intrinsèque de ses actes. Il est normal que le cas particulier de ses mérites en subisse le contre-coup.

Quoi qu’on en dise plus d’une fois, la controverse n’est, d’ailleurs, pas davantage absolument tranchée par la présence des expressions infinilus thésaurus et in/inila Christi mérita dans une extravagante de Clément VI (1343), Denzinger-Bannwart, n. 552. En effet, au jugement d’un adversaire, Chr. Pesch. De Verbo inc., 4 c -5e édit., p. 256, suivi par P. Galticr, De inc. ac red., p. 414, outre qu’une bulle sur les indulgences ne saurait contenir une définition doctrinale, on n’y voit pas assez utrum illud « in/inilus » intelligendum sit simpliciter an secundum quid.

Une difficulté particulière, à mesure qu’ils sont plus rigides et plus exclusifs, attend ici les théoriciens de l’expiation pénale, qui se voient contraints de porter jusqu'à l’infini les souffrances du Rédempteur. La question a préoccupé de bonne heure les protestants. Voir J. -C. Veithusen, De in/initate salis/uctionis vicariæ Christi caute recleque œstimanda (1784), dans Com. theol., t. vi, 1799, p. 472-502, qui propose d’abandonner l’infinité matérielle pour s’en tenir à l’infinité d’ordre moral que la passion doit à la personne du Verbe. Solution générale qui laisse toute sa place à la recherche ultérieure au cours de laquelle thomistes et scotistes s'étaient depuis longtemps divisés.

3. Précision de la rigueur juridique.

Moins sûr devient encore le terrain quand on essaie de qualifier juridiquement l'œuvre du Christ. Relève-t-elle de la justice et, dans l’affirmative, cette justice doit-elle se prendre en toute sa rigueur ? Ce sont désormais les tenants des principes thomistes qui se partagent làdessus en groupes opposés.

Étant admis, ce qui semble imposé par le concept de satisfaction, qu’il y a vraiment lieu de faire intervenir ici la justice, il faudrait, pour aller plus loin, bien

établir, au préalable, les qualités requises pour une satisfaction ad striclos juris apices. Or elles sont diversement énumérées et, plus encore, diversement définies. Les principales, sur lesquelles tout le monde est à peu près d’accord, sont que l'œuvre satisfactoire soit ad allerum, ex bonis propriis et alias indebilis, ad sequalitatem : ce qui revient, en somme, à l’indépendance de celui qui l’offre et à son droit de la faire accepter par le destinataire sans aucune libéralité de la part de celui-ci.

Ces conditions, les deux premières surtout, paraissent irréalisables, non seulement à l'école proprement scotiste, mais à bien d’autres en dehors d’elle, tels que Vasquez, J. de Lugo, Lessius, voir B. Dôrholt, op. cit., p. 427, et, plus près de nous, L. Billot, De Verbo inc, 5e éd., p. 501-504. Par contre, tous les thomistes, depuis D. Soto, Capréolus et Gonet, voir par exemple Billuart, De inc, diss. XIX, a. vii, renforcés par des indépendants tels que Véga, Driedo, Suarez, dont une longue liste est dressée dans B. Dôrholt, p. 426, croient pouvoir les vérifier dans notre rédemption. Encore doivent-ils concéder que la justice rigoureuse dont ils se réclament prend ici un caractère spécial, du fait que le Christ, par son humanité, se range dans la catégorie des créatures et que Dieu ne peut être lié à son endroit, plus exactement à l'égard de lui-même, que pour l’avoir préalablement voulu. Ce qui fait dire à Chr. Pesch, De Verbo inc, 4e -5e éd., p. 260, équivalemment reproduit par P. Galticr, De inc. ac red., p. 417 : Disputatio magna ex parle est lis de verbo. Même position chez les franciscains de Quaracchi, dans les scholia de leur édition de saint Bonaventure, t. iii, p. 430.

Dans ces limites, le débat reste soumis à la sagacité de chacun, mais sans le moindre espoir d’aboutir à un résultat définitif. Peut-être, au demeurant, cette question « peu importante et sur laquelle tout a été dit », Éd. Hugon, Le mystère de la rédemption, p. 94, est-elle aussi une question mal posée. Elle porte sur la manière plus ou moins stricte dont peuvent s’appliquer à l'œuvre du Christ les conditions juridiques de la satisfaction. Mais ce concept lui-même n’est pas autre chose qu’une « analogie ». P. Synave, Saint Thomas d’Aquin : Vie de Jésus, t. iii, p. 259-260. A vouloir trop la presser, comment, dès lors, pourrait-elle ne pas défaillir ?

En tout cas, ce qu’il faut maintenir, c’est que le dogme catholique n’a pas de connexion essentielle avec ces sortes de problèmes et, par conséquent, ne saurait être compromis par l’incertitude ou la caducité des solutions qu’ils ont pu recevoir. Ces spéculations telles quelles, en effet, ne se sont jamais développées que sur le plan de la théologie et ne doivent pas en sortir. Bien donc ne serait plus contraire à toute méthode et à toute justice que de vouloir en imputer le déficit éventuel, ainsi que le fait J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i, p. 442-455, à la doctrine même de la satisfaction, qui en restait, pour tous ces théologiens, Vinconcussum quid et n’exige pas du tout ce genre de compléments, qu’elle ignora longtemps sans dommage et dont elle peut encore aujourd’hui fort bien se passer.

Ni la foi ni sans doute la théologie n’ont besoin de résoudre ou seulement de soulever ces questions de pure technique pour qu’il soit vrai de dire avec l’Apôtre, Boni., v, 20 : Ubi abundavit deliclum superabundavil gratia. Peut-être serait-il sage, en pareille matière, de renoncer à en savoir plus long.

Conclusion. — « Il faut, déclarait A. Loisy dans le programme impérieux qu’il croyait devoir intimer à la pensée catholique de notre temps, Autour d’un petit livre, Paris, 1903, p. xxviii-xxix, cf. ibid., p. xxiii, rassurer la foi sur la question de la rédemption et du salut, en cherchant, derrière les formules et même les idées antiques, le principe d’éternelle vérité qu’elles recouvrent. » Et de même plus loin, ibid., p. 154 :

« La connaissance de l’homme moral ne suggère-t-elle

pas une critique de l’idée de rédemption ? » Formules déjà menaçantes et dont les confidences de l’auteur ont éclairé depuis, Mémoires, t. ii, p. 327 et 620 ; t. iii, p. 301, le sens profond qu’elles recelaient à mots couverts.

Cette invitation qu’on ne peut même pas appeler discrète à une modernisation fallacieuse est nettement visée dans l’avant-dernière proposition du décret Lamentabili, Denzinger-Bannwart, n. 2064 : Processus scientiarum postulat ut reformentur conceptus doctrinæ christianæ de Deo, etc…, de redemptione. En la repoussant, l’Église manifestait l’assurance d’avoir, dans sa « doctrine « sur ce point, quelque chose d’absolument acquis.

On ne peut pas douter, en effet, que la religion chrétienne, en projetant une lumière plus aiguë sur le péché, n’en montre aussi le remède en la personne du Christ Sauveur. Et cela non seulement parce que celui-ci aide l’homme à s’en relever, mais parce que sa vie et sa mort ont devant Dieu un rôle décisif pour nous en assurer le pardon. Préparée par l’Ancien Testament, affirmée par Jésus lui-même, développée en traits multiples par saint Paul et les Apôtres, conservée par les Pères et progressivement analysée par les théologiens, cette idée fondamentale appartient à la croyance de l’Église avec une constance et une clarté qui défient toute contestation. Foi qui ne peut pas, dès lors, ne point participer à la valeur même du christianisme, tellement vivace qu’elle a pu longtemps subsister sans le rempart d’aucune définition, tellement essentielle que tout essai de ramener l’œuvre du Christ à l’ordre purement subjectif se caractérise par le fait comme une déviation et un appauvrissement.

Qui voudrait s’étonner que la rédemption ainsi entendue garde pour notre intelligence un aspect mystérieux ? Ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’il n’y ait place pour un exercice fructueux de la raison à son sujet.

Pour en rendre compte, l’Église catholique dispose d’une théologie, élaborée depuis le Moyen Age par ses plus grands docteurs sur la base de la réparation qu’offrent à la sainteté de Dieu méconnue par les pécheurs les hommages de son Fils incarné souffrant et mourant pour nous. En regard, les conceptions plus dramatiques auxquelles s’est alimentée l’orthodoxie protestante n’ont abouti qu’à des excès que tous ses défenseurs actuels s’accordent à rejeter comme intolérables et dont le déchaînement du subjectivisme fut la douloureuse compensation. Mieux équilibrée, la doctrine anselmienne de la satisfaction garde encore de quoi répondre aux exigences légitimes du croyant. Il n’est pour cela que de la bien comprendre et les maîtres de l’École sont toujours là pour en fournir les moyens à quiconque veut prendre la peine de s’en nourrir.

De cette foi comme de la théologie qui se propose de l’expliquer la clef de voûte est dans la personne du Christ. Le dogme de la rédemption, en effet, postule celui de l’incarnation, qu’il ne fait guère, en somme, que prolonger. Aussi bien, à mesure qu’elle hésite ou capitule sur le second, voit-on la Réforme gauchir également sur le premier. C’est, au contraire, parce qu’elle reste inébranlable sur la divinité du Rédempteur que l’Église catholique peut et veut conserver à son œuvre le sens total qui lui est attribué par la révélation.

Si le Christ est vraiment un Dieu fait homme, comment pourrait-il ne pas intéresser les conditions les plus essentielles de notre salut ? Maître et modèle sans nul doute, ne doit-il pas être encore foyer de grâce et principe de vie ? Unique révélateur des volontés et des promesses du Père, n’est-il pas normal qu’il soit le garant aussi bien que le messager de son pardon ? Et s’il est le Sauveur de par sa mission même, serait-il possible qu’il ne fût pas tout à fait ? Moins que tout le reste, le retour de l’amitié divine peut en être excepté.

Avec de telles prémisses, on est évidemment sur le chemin de la conclusion. Il suffit de « réaliser », à la lumière d’une tradition qui par saint Paul remonte à Jésus lui-même, ce que signifie dans le monde spirituel le sacrifice du Fils de Dieu, pour concevoir aussitôt, en attendant de le lire avec plus de précision sous les termes ecclésiastiques de satisfaction et de mérite, qu’il constitue, au profit de la famille humaine dont le Christ est le chef, un capital assez riche, non seulement pour couvrir amplement le montant de nos dettes, mais pour devenir la source inépuisable de tous les dons surnaturels qui nous sont départis et même, par anticipation, de tous ceux que l’humanité reçut de la bonté divine en prévision de son avènement.

Élevée sur ces hauteurs qu’illuminent les clartés de la foi, il est évident que la rédemption se classe au nombre de ces vérités qui s’adressent à « l’âme tout entière ». De grands esprits y appliquèrent leurs facultés intellectuelles sans l’épuiser : à leur suite le champ reste ouvert à la recherche pour ceux qui en ont la force et le goût. Mais il n’est surtout pas de croyant qui ne puisse et ne doive s’en pénétrer le cœur. En soi, tel que l’Église nous le présente, aucun mystère n’est mieux fait pour nous révéler in concreto les attributs de Dieu, dont il est comme la suprême expression, ou pour nous inculquer le double sentiment corrélatif de notre misère, et de notre grandeur. Leçon générale qui devient particulièrement saisissante quand, à l’exemple de l’Apôtre, Gal., ii, 20 et I Tim., i, 15, avec tous les mystiques et tous les saints, chacun s’en fait à lui-même, l’application et se met en état d’entendre la voix de Jésus lui murmurer au plus intime de son être comme à Pascal : « Je pensais à toi dans mon agonie ; j’ai versé telles gouttes de sang pour toi. » Pensées, petite éd. Brunschvicg, n. 553, p. 574.

N’est-ce pas un fait d’expérience que la croix reste le grand livre du chrétien ? Saint Paul concentrait en

« Jésus le Christ et le crucifié » l’unique savoir dont il

se déclarât fier. Alternativement, bien que sans jamais les séparer, l’âme croyante approvisionne sa vie à ces deux sources complémentaires, où elle recueille le bienfait pratique de sa foi au Fils de Dieu fait homme. Religiosiori pretiosior est Deus, notait finement saint Ambroise, Lib. de Joseph patr., 14, P. L., t. xiv (édition de 1866), col. 678, en parlant des deux natures dont se compose le Christ ; peccatori pretiosior est Redemptor.