Dictionnaire de théologie catholique/RÉVÉLATION
RÉVÉLATION. —
I. Concept de la révélation.
II. Possibilité de la révélation (col. 2595).
III. Nécessité
de la révélation (col. 2604).
IV. Transmission de
la révélation (col. 2612).
I. Concept de la révélation. —
1. Notion de la
révélation.
2. Définition analytique de la révélation
d’après la doctrine catholique.
3. Conceptions erronées
sur la révélation.
4. Espèces.
I. NOTION DE LA RÉVÉLATION. —
ÉtymologiqilCment le mot révélation à : rox(iXu<Jji.ç, cpavépwaiç, signifie l’enlèvement d’un voile, matériel ou spirituel, qui gêne la vision ou l’intelligence d’une chose. D’une manière générale, c’est la manifestation d’une vérité auparavant cachée ou inconnue ou au moins obscure. Elle csj/divine, si elle est faite par Dieu ; humaine si elle l’est par l’homme. A son tour, la révélation divine est naturelle ou surnaturelle.
La première (révélation naturelle) est inscrite dans l’ordre même de la création. Elle existe du fait que Dieu a donné à l’homme des facultés de connaissance par lesquelles celui-ci est en mesure de passer, par la démonstration, du domaine des choses visibles à celui des invisibles. Cette possibilité, la Bible l’affirme souvent. Saint Paul, dans l’épître aux Romains, la proclame avec solennité en un passage majestueux. « La colère divine, écrit-il, éclate du haut du ciel contre l’impiété… car, ce qui se peut savoir de Dieu est manifeste parmi eux. Dieu le leur a montré, ô ©eôç yàp aù-roïç è<pavépwae. En effet, ses perfections invisibles, son éternelle puissance, sa divinité sont, depuis la création du monde, rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres. Ils sont donc inexcusables… » Rom., i, 20 ; voir dans le même sens, Act., xiv, 16, 17 ; xvii, 24 sq.
L’auteur de la Sagesse insistait déjà sur ce point quand il reprochait au monde d’avoir donné dans l’erreur du culte des éléments, et affirmait que cette idolâtrie aurait dû être évitée, car des créatures on peut s’élever au Créateur. Sap., xiii, 1 sq.
La révélation naturelle, à laquelle s’en tiennent les rationalistes, n’est pas cependant considérée comme une révélation proprement dite, elle fait partie de l’ordre naturel des choses. Pour fixer les idées il suffit de rappeler la doctrine exprimée au concile du Vatican, dans la constitution Dr fide catholica, c. ii, De rêvelatione. Nous y lisons : Eadem sancta mater Ecclesia tenet et docet, Deum, rerum omnium principium et finem, naturali humanæ rationis luminee rébus creatis certo cognosci posse, …attamen placuisse ejus sapientiæ et bonitati alia eaque supernaturali via seipsum ac œterna voluntatis sua : décréta humano generi revelare dicenle apostolo : Multifariam multisque modis olim Deus loquens patribus in prophetis : novissime diebus istis locutus est nobis in Filio (Heb., i, 1). Denzinger-Bannwart, n. 1785 et 1786.
En cette étude il s’agit de la révélation d’ordre surnaturel : elle se distingue de la première dont nous venons de parler. D’une manière très brève, Chr. Pesch en a marqué ainsi les différences : Quævis autem revelatio definiri potest : verilatis per divinam testi ficationem manifestatio. Revelatio naturalis fit per facla, revelatio supernaturalis per verba. Prselect. dogmat., 1. 1, 6e -7e éd., n. 151. Elle est la manifestation d’une vérité par Dieu et en dehors de l’ordre de la nature. Le mot (à.nox’i.-Xoiiç, à7TOxaXÙ7TTSiv, 9avepoyv, yvcopiÇeiv, SyjXoûv) révélation, qui est d’un usage courant, dans la sainte Écriture, exprime la découverte de choses cachées.
C’est d’elle que parle l’apôtre saint Paul, quand il écrit aux Corinthiens : « Ce sont des choses que l’œil n’a point vues, que l’oreille n’a point entendues, et qui ne sont pas montées au cœur de l’homme… c’est à nous que Dieu les a révélées par son Esprit ; car l’Esprit pénètre tout, même les profondeurs de Dieu. » I Cor., Il, 9-10. On rapproche quelquefois de ce texte paulinien particulièrement clair le texte des synoptiques relatif à « ce qui est caché mais qui finira bien par se découvrir ». Matth., x, 26 ; Marc, iv, 22 ; Luc, viii, 17. Mais le contexte immédiat de ce passage invite à ne pas urger ce texte qui est fort général. Par contre, il convient de mettre en spéciale lumière la réflexion de saint Jean au début du IVe évangile : « Dieu, nul ne l’a jamais vu ; mais le Fils unique, qui est dans le sein du Père, celui-là nous l’a expliqué, èE^yr^ctio. » Joa., i, 18.
Puisque les saintes Écritures nous font connaître les vérités à croire et les devoirs à pratiquer, la révélation surnaturelle, dont il est question en ces textes, concerne l’ordre religieux, et tout spécialement celui qu’a fait connaître Jésus. C’est proprement le « mystère » du Christ, dont parle saint Paul : « C’est par révélation que j’ai eu connaissance du mystère que je viens d’exposer en peu de mots. Vous pouvez, en les lisant, reconnaître l’intelligence que j’ai du mystère du Christ. Il n’a pas été manifesté aux hommes, dans les âges antérieurs, comme il a été révélé de nos jours par l’Esprit aux saints apôtres et aux prophètes de Jésus-Christ. » Eph., iii, 3 sq. Sur ce texte, cf. Hagen, Lexicon biblicum, t. iii, col. 687 sq. ; Cornely-Merk, Compendium introductionis, p. 525 sq. ; Cremer-Kôgel, Diblisch-theolagisches Wôrterbuch des neutestamentlischen Griechisch aux mots à7uoxaÀÛ7TTM, col. 578 sq. ; cpavepoùv, col. 1109 sq. ; yvcopiÇeiv, col. 257 sq.
Par rapport à la fin, la révélation est privée ou publique selon qu’elle est destinée à un individu en particulier ou à une collectivité, tels que le peuple israélite pour l’Ancien Testament et l’humanité entière pour la Nouvelle Alliance, apportée par le Christ. Les révélations privées sont possibles et réelles en certains cas, mais relativement rares. En toute hypothèse, elles demeurent nécessairement subordonnées à la révélation publique, à la lumière de laquelle elles doivent être jugées et appréciées. Elles n’appartiennent pas au dépôt général et universellement obligatoire de la révélation chrétienne, c’est pourquoi celui qui se refuserait à les accepter pourrait parfois commettre une imprudence ou faire acte de témérité, mais il ne saurait être taxé d’hérésie. Dans cet article ne sera étudiée que la révélation surnaturelle publique, close avec les apôtres. Voir Didiot, art. Révélation du Dict. apol., t. iv, col. 1005 et sq. Mais l’on ne s’interdira pas de faire appel à des expériences mystiques d’ordre privé.
II. DÉFINITION ANALYTIQUE DE LA RÉVÉLATION.
Cette notion très générale s’éclaircira par l’étude de l’auteur et du sujet de la révélation ; de la communication qui se fait de l’un à l’autre ; ce qui nous amènera à concevoir la révélation comme un phénomène surnaturel.
1° L’auteur et le sujet de la révélation.
La révélation est la parole de Dieu. Celui-ci est la cause efficiente ou l’auteur de la révélation, car c’est lui qui communique à l’homme quelque chose de son savoir. Pesch, Compendium theologix dogmatiese, t. i, n. 54 sq. Même si les anges interviennent avec la permission ou sur l’ordre divin, et s’ils parlent au nom de Dieu, la révélation est divine, car Dieu reste la cause principale et les esprits . célestes jouent le rôle de cause instrumentale. R. Garrigou-Lagrange, De revelatione per Ecclesiam catholicam proposita, t. i, p. 140 sq.
Le sujet favorisé de la révélation n’est pas dans la même condition. S’il doit en demeurer le seul bénéficiaire, il est uniquement récipient. Si, au contraire, la vérité qui lui est manifestée est destinée à être transmise par son intermédiaire à d’autres hommes, il devient l’instrument de Dieu.
Quant au Christ, il n’est pas un instrument entre les mains de Dieu son Père, car il est le Fils de Dieu et Dieu lui-même et c’est la raison pour laquelle la révélation qu’il fait aux hommes est immédiate. Son cas est exceptionnel. En effet, il s’est fait chair pour nous racheter sans doute, mais aussi pour nous donner un enseignement. En tant qu’homme, il a une science spécifiquement humaine et expérimentale, qui a progressé au coins de sa vie. Mais son humanité jouit en même temps et de la science infuse et de la vision béatifique. La connaissance des secrets divins lui est connaturelle, permanente, complète, illimitée et sans aucun mélange d’ignorance : elle est une science et ne relève pas de la foi. Cela explique l’aisance avec laquelle il expose les mystères les plus profonds du royaume des cieux. Par ailleurs, l’infaillibilité est pour lui un droit, et non pas un privilège particulier. Le texte de Matth., xi, 25-30, cf. Luc, x, 21-22, met dans la plus vive lumière cet aspect de la fonction doctrinale du Sauveur.
2° La communication de Dieu à l’homme : la parole divine. —
Entre Dieu et l’homme la communication s’établit par la « parole ». C’est le terme généralement employé par les théologiens quand ils étudient le concept de révélation et le mode par lequel une vérité est transmise à l’homme. Signalons à titre d’exemple parmi les auteurs les plus récents : Chr. Pesch, Compendium, t. i, n. 5 1 : Revelatio divina stricte dicta est locutio Dei ; J.-V. Bainvel, De vera religione et apologetica, p. 152 : Revelatio est manifestatio rei occulta : per proprie dictam locutionem ; Lercher, Institut, theolog. dogmat., t. i, n. 38 : Revelatio proprie dicta est in eo, ut Deus… manifeslet verilalem « per locutionem Dei proprie dictam » ; Mausbach, Grundzùge der kalholischen Apologetik, p. 9 ; H. Felder, Apologetica sive theologia fundamentalis, 1. 1, p. 28 : Revelatio supernaturalis… est manifestatio verilatis religiosse facta per verba Dei ad hominem, etc.
1. Ce qu’est la parole. —
Avant d’expliquer ce qu’il faut exactement entendre par la « parole », il est bon de rappeler que, dans la Bible, la révélation est présentée sous cette appellation. Celle-ci est employée par l’auteur de l’épître aux Hébreux en son magnifique prologue : « Après avoir, à plusieurs reprises et en diverses manières, parlé (XaXy)<raç) autrefois à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé fèXdcX^oev) par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses, et par lequel il a créé aussi le monde. »
Aussi bien les « prophètes » dont il est ici question avaient-ils donné leurs oracles comme les paroles mêmes que Jahvé leur avait adressées. Inutile de donner ici des citations ; ce seraient à peu près tous les initia des prophètes qu’il faudrait transcrire. Les prophètes sont vraiment les porte-parole de Dieu.
La parole locutio est un acte par lequel celui qui sait manifeste directement son esprit, sa connaissance, son jugement à us autre. Saint Thomas en donne la définition suivante : Nihil aliud est loqui ad allerum quam conceptum mentis alteri manifestare. Sum. theol., I a, q. cvii, a. 1. Communément l’homme exprime ses concepts par des mots, par l’intermédiaire de l’écriture, de gestes ou d’autres signes semblables, mais tous externes et donc d’ordre sensible. Ici le terme locutio a un sens très large, puisqu’il s’entend même du mode de communication qui se fait entre les purs esprits. Saint Thomas le remarque pour les anges, quand il écrit ançielum loqui angelo nihil aliud est, quam conceptum suum ordinare ad hoc ut ei innote.scat per propriam voluntatem. Ibid., a. 2. Du fait que Dieu est pur esprit, il n’a recours à la parole que dans un sens analogique et proportionnel.
2. Détermination analogique du constitutif formel de la révélation. —
L’homme n’exprime ses connaissances sur la vérité absolue que d’une manière analogique. Notons-le toutefois, ce que ces concepts analogiques représentent est vrai, bien que le mode sous lequel ils manifestent la vérité révélée soit différent de celui de la connaissance humaine.
En effet, entre le verbe humain et la révélation, il y a des différences essentielles, mais il se rencontre aussi des analogies, des ressemblances. Ce texte de saint Thomas le fait ressortir : Sicut enim in exteriori loculionc proferimus ad ipsum audienlem non ipsam rem quam notificarc cupimus, sed SIGNUM illius rei, scilicet vocem signi ficativam, ita Deus intérim inspirando non exhibet essentiam suam ad videndum sed aliquod suie essentise sigmum quod est aliqua spiritualis similitudo suée sapientiiC. De veril., q. xviii, a. 3.
En tant que la parole est un acte composé et matériel, qui consiste dans l’émission de sons ou de gestes, elle n’est attribuable à Dieu que par analogie métaphorique ; c’est le cas de toutes les perfections appelées mixtes. C’est d’une façon symbolique, par exemple, que l’auteur des psaumes écrit : « Dieu est mon rocher, mon bouclier. » Ps. xvii, 3. En tant qu’elle est, en dehors de tout anthropomorphisme, la manifestation de la pensée, c’est-à-dire un fait d’ordre spirituel, on peut l’attribuer à la divinité d’une manière analogique et propre, au même titre que les qualités simples, telles que l’intelligence ou la bonté qui ne comportent aucune imperfection dans leur raison formelle. Malgré cela, il faut se rappeler la doctrine de l’Église exposée au IVe concile du Latran : Inter Creatorem et creaturam non potest tanla similitudo notari, quin inter eos major sit dissimilitudo notaada. Denz.-Bannw., n. 432. Dans la révélation, Dieu s’adresse à L’homme, Ici comme en toute parole on trouve deux éléments : l’un formel et incréé, qui est le concept même de la pensée divine, l’autre matériel et créé qui est le moyen par lequel la vérité divine est dévoilée. La parole divine est donc une manifestation de vérités laite directement par Dieu à une créature raisonnable.
Cette affirmation ne peut être pleinement comprise qu’après un bref rappel des deux éléments constitutifs de la connaissance humaine d’ordre naturel, lui celle-ci il y a la représentation des choses et le jugement porté sur celles-ci grâce à la lumière intérieure. La représentation se fait par les espèces intelligibles, qui proviennent par abstraction du monde sensible et se nui servent par la mémoire. L’intelligence eu les unissant constitue avec elles « les espèces complexes. Le jugement est prononcé sous la lumière de la raison. En conformité avec sa nature, celle-ci affirme ou nie, non pas sous l’influence d’une force aveugle, mais d’après une certaine évidence au moins extrinsèque. On appelle lumière intellectuelle ce qui permet de porter le jugement.
Dans tout enseignement humain ces deux éléments existent également. Le maître présente des vérités, les développe et les explique méthodiquement, à l’aide d’autres concepts déjà connus. A cela se borne son rôle : il fournit ce qui est intelligible. Il ne lui est possible d’évoquer des espèces dans l’intelligence de son disciple qu’en lui proposant des signes extérieurs appréhendés par les sens.
Pour que l’instruction soit fructueuse il faut que celui qui la reçoit ait une lumière intérieure proportionnée qui lui permette de porter un jugement sur la vérité présentée ou au moins sur l’autorité, c’est-à-dire la science et la véracité, de celui qui enseigne. Celui-ci est incapable de donner cette lumière. Voir S. Thomas, Sum. theol., I a, q. cxvii, a. 1 ; De veritate, q. xi, a. 1, De magistro. La comparaison fournie par l’enseignement est déficiente, car dans la révélation, Dieu, auteur de l’intelligence, est à même de faire beaucoup plus que le maître humain. Celui-ci n’a aucune entrée dans l’activité intellectuelle de son disciple ; la cause première, au contraire, tient en sa puissance toutes les facultés connaissantes et toute leur activité. C’est de l’intérieur qu’elle besogne, tandis que le maître humain ne travaille jamais que de l’extérieur.
3. La révélation est la manifestation de l’esprit divin. —
La parole divine peut se manifester par la conversation, telle qu’elle existe entre créatures humaines. C’est le cas du message transmis par le Christ. Fils de Dieu fait homme, qui est le principe de toute la doctrine du salut exprimée dans le Nouveau Testament. Tel est bien le sens de l’affirmation de saint Jean déjà citée : « Nul n’a jamais vu Dieu, mais le Fils unique qui est dans le sein du Père nous l’a fait connaître. » Joa., i, 18 ; cf. vi, 16. La même pensée se retrouve dans les synoptiques : « Nul ne connaît le Père sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler. » Matth., xi, 27 ; Luc, x, 22 ; cf. Housselot, art. Intellectualisme, du Dictionn. apoi, t. H, col. 1075.
Malgré cela la parole de Dieu ne s’exprime pas nécessairement en ces signes matériels, utilisés par les hommes pour transmettre leurs pensées. Prise en elle-même, elle est absolument spirituelle. Elle n’est pas non plus un jugement : le jugement est un acte intellectuel composite et comme tel n’existe pas en Dieu formellement, mais d’une manière éminente seulement. Cette « parole » dévoile l’esprit ou la connaissance divine. Cette révélation, qui est de sa nature intellectuelle et a pour objet des vérités, s’adresse à l’intelligence. Celle-ci perçoit directement la vérité qui lui est présentée par Dieu. L’ « agent récipient pour la saisir n’a nul besoin de recourir au « discours. a la démonstration. Sa connaissance nouvelle n’est pas le fruit d’un travail antérieur, comme le serait la conclusion d’une argumentation à laquelle parvient le dialecticien qui remonte des effets à la cause. C’est ce qu’exprime Van Laak, quand il écrit : Ergo omisso omni usu linguse seu signorum, quæ sunt externa, objectiva, ex instiluto signi fi.can.tia, conceptus seu signa interna formalia, luitura sua significantia, homini comrnunicarc potest. Instiluliones theologiæ fundamentalis, tract, n. De relig. revel., p. 11. La manifestation d’ailleurs resterait directe au cas même où celui qui parle et celui qui reçoit utiliseraient les sens et des moyens matériels comme des signes articulés ou écrits.
Enfin - et. cette considération est essent [elle et fondamentale la révélation n’est pas un colloque mutuel, réciproque, mais une communication de Dieu à l’homme ; aussi faut-il que ce dernier qui accepte la vérité perçoive que c’est Dieu qui parle.
La révélation, qui est la transmission d’une connaissance, tend naturellement à être un enseignement et un témoignage. Elle est, en effet, un acte qui aide et enrichit l’intelligence et lui permet de perfectionner ses acquisitions antérieures. C’est ce qui ressort de maints passages scriptur aires, Le prophète l’affirme, qui écrit : Dominus dédit milii linguam eruditam, ut sciam sustentare eum, qui lassus est verbo ; erigit mane, mane eriqit milii aurem, ut uudiam quasi nmgistrum. Is., l, 4.
Le Christ, de son côté, est appelé Maître et accepte que ce titre lui soit donné par ses contemporains : < Jésus ayant achevé ce discours, le peuple était dans l’admiration de sa doctrine. Car il les enseignait comme ayant autorité, et non comme leurs scribes et comme les pharisiens. » Matth., vii, 28 ; Marc, i, 22 ; Luc, iv, 32.
La révélation est aussi un témoignage en ce sens que toute personne qui parle est un témoin de ce qu’elle énonce. Une vérité est acceptée à cause des raisons intrinsèques qui militent pour elle, ou parce que l’on reconnaît l’autorité de celui qui la présente. Celui qui enseigne les sciences mathématiques, par exemple, expose les arguments par lesquels il s’elforce de montrer l’évidence interne des vérités proposées. La démonstration doit valoir par elle-même et déterminer la science chez les disciples. Mais, quand il s’agit d’un fait d’ordre historique ou moral, dont l’auditeur ne fut pas témoin oculaire, il n’en est plus de même. Pour en admettre l’existence avec certitude, l’autorité de celui qui parle entre en jeu. Autrement dit, pour donner son assentiment au récit, l’auditeur tiendra compte de la science et de la véracité du témoin. L’autorité est parfaite, si celui qui parle est à même d’exiger, en vertu de son droit propre, qu’il soit entendu et cru vrai dans ses affirmations. C’est le cas de Dieu dans la révélation, puisqu’il est non seulement Maître et Seigneur de toutes choses, mais aussi la Vérité absolue ; son témoignage dépasse la certitude que fournit la connaissance humaine, et entraîne l’adhésion ferme aux vérités révélées, que celles-ci soient accessibles à la raison ou non. L’assentiment du sujet est motivé non par l’évidence interne de la vérité proposée, qu’il peut ne pas percevoir, mais par l’autorité souveraine de Dieu : c’est un acte de foi dont la certitude est entière, car, ainsi que l’affirme saint Thomas : De his ergo, quæ expresse per spiritum prophétise prophetu cognoscit, maximum cerlitudinem habet, et pro certo habet quod hœc sunt diuinilus sibi revelata… Alioquin si de hoc ipse cerlitudinem non haberet ftdes quæ dictis prophctarum innititur, certa non esset. Sum. theol., l & -™, q. clxxi, a. 5.
Sur ces derniers points l’accord ne s’est pas encore fait entre les théologiens. Les uns, insistent davantage sur le magistère. C’est l’avis entre autres de H. Garrigou-Lagrange, qui écrit : Revelutio divina est jormaliter locutio Dei ad hominem, per modum magisterii. R. Garrigou-Lagrange, De revelatione, t. i, p. 152. Les autres mettent au premier rang l’attestation divine. C’est l’opinion de G. Wilmers qui veut surtout montrer que la locution divine n’est pas un magistère proprement dit, qui vise à la science, mais un témoignage divin en faveur de la vérité proposée. Il définit, en effet, la révélation locutioncm non docentem sed attestantem. G. Wilmers, De religione revelata, p. 48. Tel semble aussi être l’avis de C. Pesch, qui définit la révélation en ces termes dans ses I’nvlectiones : Qusevis autem reuelatio dejiniri potest : veritutis per diuinam teslificationcm manifestatio, t. i, Ge -7e édit., 1924, n. 151, bien que dans son Compendium il insiste surtout sur le côté de l’enseignement : Reuelatio divina stricte dicta est locutio Dei, qua Deus ex iis quæ cognoscit, quædam cum hominibus communicat, ut homines eu propter auctoritatem Dei loquentis credant. Compendium, t. i, 2e édit., 1921, n. 54. Voir aussi L. Lercher, Instit. theol. dogmat., t. i, n. 39.
Le désaccord cependant semble plus apparent que réel, car malgré les diversités d’expression et les préférences personnelles, tous les auteurs considèrent en dernière analyse la révélation comme la parole de Dieu, qui enseigne et qui atteste. Dieu enrichit la conscience de celui à qui il s’adresse de connaissances nouvelles, en même temps il donne à cette acquisition un caractère absolu de certitude.
Cet acte de foi, par lequel le prophète perçoit l’origine divine des vérités qui lui mit été dévoilées et grâce à quoi il donne son adhésion entière, ne peut être émis que sous l’influence d’une lumière intérieure spéciale. Avant de dire ce qu’elle est, il paraît utile de parler des modes de la révélation.
4. Les modes de la révélation. —
Comment Dieu communique-t-il son esprit aux hommes ? De quatre manières différentes, répond saint Thomas : par les sens extérieurs, par l’imagination, par un influx direct sur l’intelligence ou par une lumière spéciale (intelligible). Sum. theol., IIMI 35, q. clxxiii, a. 2. A l’article suivant (a. 3) le Docteur angélique résume ainsi ces données : Prophelica reuelatio fit secundum quatuor : sciliect secundum in/luxum intelligibilis luminis, secundum immissionem intelligibilium specierum, secundum impressiunem vel ordination, *m imagibiliatn formarum, et secundum expressionem formarum sensibilium ; voir aussi Sum. œnt. gent., I. III, c. ci.iv. et les discussions soulevées par ce texte dans Pesch, Compend., t. i, n. ôii sq. ; et Garrigou-Lagrange, De revelatione, t. i, p. 165 sq.
a) Parfois eu effet, des Formes sensibles sont produites extérieurement par Dieu, et se présentent au prophète. L’inscription, que vit Baltasar pendant le festin qu’il donnait, entre dans cette catégorie. Elle était tracée par des doigts de main humaine « qui écrivaient en face du candélabre sur la chaux île la muraille du palais royal ». Dan., v, .">-(>. Le prophète Daniel seul fut a même d’en donner l’interprétation. Ibid., 17-2N.
Pour agir sur les sens. Dieu a recours à des moyens divers. Voir A. Poulain. Des grâces d’oraison, 9o éd., 1914, p. 327 sq. Saint Thomas discute de cette question dans la Somme, III a, q. lxxyi, a. 8. Mais, pour éviter de donner dans l’illusion et l’hallucination, il faut que soient fournies des preuves en faveur de l’action divine qui s’est manifestée sur les sens.
b) La révélation se fait aussi par l’imagination. Dieu utilise parfois les formes Imaginatives, visuelles, auditives ou autres, qui dérivent de ce qui tombe sous les sens, mais en leur donnant une orientation inattendue. D’autres fois il imprime des formes entièrement nouvelles sans que les sens n’interviennent : ce cas existerait si à un aveugle de naissance on imprimait dans l’imagination les ressemblances des couleurs. L’Écriture sainte fournit un certain nombre d’exemples du premier mode. Jéréinie volt « une chaudière, qui bout, et elle vient du côté du septentrion..1er., i. l.’i, c’est-à-dire que l’invasion chaldéenne doit verser ses fléaux du côté de la Judée. Le prophète Anios perçoit trois tableaux par lesquels sont annoncés les châtiments qui vont touiller sur Israël : l’invasion dis sauterelles, la destruction par le feu et la ruine par la guerre. Le Jugement d’Israël est proche ainsi que l’annonce la vision de la corbeille remplie de fruits mûrs. Amos, vu, vin. Ézéçhiel a également des visions : les plus marquantes sont celles du char et des chérubins, Ez., i, et celle des ossements desséchés qui reprennent vie et signifient la résurrection du peuple choisi. Ez., xxxvii, 1-1 1. Voir Condamin, art. Prophétisme, dans Diction. apol., t. iv, col. 4Il sq. Telle fut aussi la vision qui détermina saint Pierre à recevoir les gentils dans l’Eglise. Les Actes en donnent le récit suivant : « Puis ayant faim, il désirait manger. Pendant qu’on lui préparait son repas, il tomba en extase : il vit le ciel ouvert et quelque chose en descendre, comme une grande nappe… à l’intérieur se trouvaient tous les quadrupèdes et les reptiles de la terre et les oiseaux du ciel. Et une voix lui dit : « Lève-toi, Pierre et mange »… etc. Act., x, 9-16.
Les songes, qui relèvent de l’imagination, constituent un mode par lequel Dieu s’est parfois manifesté aux patriarches et aux chefs de son peuple. Cependant, ainsi que le remarque Condamin, le texte des Nombres, xii, 6 : c s’il y a un prophète parmi vous, c’est eu vision que je me révèle à lui, c’est en songe que je lui parle », n’autorise pas à penser que le songe fut un des modes ordinaires de la révélation prophétique. Daniel, voir vu, 1 sq., est peut-être le seul à qui Dieu ait parlé de cette façon. Condamin, art. Prophétisme israc’lile, op. cit., col. 412.
c) En d’autres circonstances Dieu agit directement sur l’intelligence humaine. Il le fait quand il évoque et agence d’une manière nouvelle des représentations déjà acquises. Tout le chapitre lui d’Isaïe sur le serviteur de Jahweh, ses humiliations et sa mort en offre un exemple. C’est le cas aussi lorsque Dieu imprime dans l’esprit des « espèces intelligibles », comme ceci eut lieu pour Salomon, à qui fut donnée la sagesse, et pour les apôtres gratifiés de la science infuse. Mais cette dernière ne peut être dite révélation, que s’il s’y ajoute le jugement que c’est Dieu qui a parlé. La vision intellectuelle sans image mentale et la parole intellectuelle, sans intervention de signe sensible, dont parle Condamin, dans son article Prophétisme israélile, col. 412, entrent dans ce mode de communication et ont l’avantage d’exclure l’erreur et l’illusion. A propos des paroles mentales, dénommées substantielles, Jean de la Croix n’écrit-il pas : « L’illusion n’est pas à craindre, parce que ni l’entendement ni le démon ne peuvent intervenir ici. » La montée du Carmel, t. II, c. xxxi. Dans Le château intérieur, sainte Thérèse marque aussi le caractère de certitude présentée par la vision intellectuelle : « Cela se passe tellement dans l’intime de l’âme, on entend des oreilles de l’âme, d’une manière à la fois si claire et si secrète, le Seigneur lui-même prononcer ces paroles, que le mode même d’entendre, joint aux effets produits par la vision, rassure et donne la certitude que le démon n’en est point l’auteur. » Le château intérieur, vie demeure, c. iii, éd. 1910, p. 193 ; cf. aussi viie demeure, c. i, p. 280.
d) Enfin Dieu infuse parfois à l’esprit humain une lumière qui permet de discerner ce que d’autres perçoivent sans entendre. C’est ainsi que les apôtres ont saisi le sens des Ecritures. Elle donne aussi de juger selon la vérité divine ce que l’homme a l’occasion d’appréhender naturellement, et de voir ce qui est à exécuter. En maintes circonstances, la révélation prophétique se fait par la seule influence de cette lumière. Sum. theol., IIMI », q. CLXXlll, 2.
5. La lumière intellectuelle. —
Cette lumière intelligible est toujours requise pour que celui qui reçoit la révélai Ion puisse déterminer le sens des formes qui sont présentées par l’action divine ; ses sens, à son imagination et à son intelligence. Elle est indispensable, car il doit y avoir proportion entre la cause et l’effet, donc entre la lumière qui permet de juger et la représentai ion, qui est aussi d’ordre surnaturel au moins dans son mode. C’est ce qu’explique saint Thomas, quand il écrit : Sicui memifestatio corporalis vtsi<mi jit per lumen mrporule ; ila etiam manijestatio vision i s intellectualis fit per lumen intellectuelle. Oportet ergo, quod manijestatio proportionetur lumini per quod fit, sicut efjectus proportionatur suæ causse. Cum ergo prophetia pertinel ad cognitionem, quæ supra naturalem rationem existil, ut dictum est, consequens est quod ad prophetiam requiratur quoddam lumen intellectuate excédais lumen naturalis ralionis. Sum. theol., I I a - 1 1°, q. clxxiii, a. 2.
Elle entre surtout en jeu, quand il s’agit de porter un jugement, sans crainte d’erreur, sur des vérités divinement proposées, qui dépassent les capacités de la raison humaine. Saint Thomas a nettement marqué cette fonction spéciale, dans la Somme contre les Gentils : Quæ quidem révélât io fit quodam interiori et intclligibili lamine, mentem élevante ad percipiendum ea, ad quæ per lumen naturale intellectus pertingere non potest ; sicut enim per lumen naturale intellectus redditur cerlus de lus, quæ lumine illo cognoscil, ut de primis principiis, ita de his quæ supernaturali lumine appréhenda, cerlitudinemhabet… L. III, c. cliv. Cettclumière intérieure qui n’est pas un habitus permanent, mais que Dieu accorde par mode d’intention transitoire, joue un rôle important dans la révélation. Elle est une aide apportée à l’esprit humain, car elle éclaire, mais elle ne l’élève pas au point que celui-ci entende les vérités qui dépassent l’ordre naturel. Autrement dit la faculté intellectuelle reste ce que spécifiquement elle est : sa condition ne change pas, c’est l’objet proposé par Dieu, qui est mis sous une lumière particulière. Le prophète ne voit pas la vérité intrinsèque de l’objet révélé : c’est la raison pour laquelle il n’acquiert pas de données scientifiques (la réponse au quomodo fiet istud) quand il apprend de Dieu que la "Vierge enfantera ou que le Christ effacera les péchés. Il croit par la foi, car son esprit éclairé par la lumière intérieure juge avec certitude et infaillibilité que la proposition présentée est d’origine divine : le jugement du prophète est ainsi garanti par l’autorité de Dieu. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, p. 04.
Quand cela n’est pas, il n’y a pas révélation. Saint Thomas écrit : quascumque formas imaginatas naturali virtute homo potest formare, absolute hujusmodi formas considerando ; non lamen, ut sint ordinalæ ad reprœsentouidas intelligibiles verilales, quæ homini intellectum excedunt ; sed ad hoc necessarium est auxilium supernaturalis luminis. Sum. theol., IIMI 83, q. clxxiii, a. 2, ad 8 u m. Malgré l’influence de cette lumière nouvelle, Dieu utilise le prophète comme un instrument. Et cet instrument est divers, selon les connaissances plus ou moins amples, naturellement acquises, qu’il possède, selon les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles il vit. Sans doute il ne peut pas tomber dans l’erreur, mais il n’est pas impossible que, dans ce qu’il dit, il ne voie pas tout ce que les chrétiens entendent maintenant dans ses affirmations. Lalumière intelligible existe parfois seule. Quant aux adjuvants externes ou internes de la connaissance auxquels Dieu a recours ils ne suffisent jamais à eux-mêmes : ils requièrent l’action de la lumière intelligible. Celle-ci seule est indispensable. C’est elle que saint Paul demande au Seigneur pour ses fidèles d’Éphèse lorsqu’il écrit : « Je ne cesse… de faire mémoire de vous dans mes prières, afin que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne un esprit de sagesse, qui vous révèle sa connaissance, et qu’il éclaire les yeux de votre cœur, pour que vous sachiez quelle est l’espérance à laquelle il vous a appelés, quelles sont les richesses de la gloire, etc. » Eph., i, 10 sq. ; cf. Matth., xi, 25 ; xvi, 17.
Ce long développement établit d’une façon péremptoire que, dans la révélai ion. la lumière intérieure qui permet d’interpréter et de juger est un élément plus important que la représentation. La Genèse en offre un exemple frappant. Le songe du Pharaon, constitué de représentations diverses, est vain et dépourvu d’utilité sans l’explication fournie par Joseph, sous l’influence de la lumière intérieure divine. Gen., xli, 1-23. Aussi est-ce à juste titre que le R. P. Lebreton a pu écrire : « L’essence même de la révélation consiste dans l’illumination psychologique et non pas dans la vision ou l’audition corporelle. » « Nos adversaires souvent s’y méprennent et se battent contre des fantômes ; ainsi M. J.-M. Wilson, Révélation and modem knowledge, dans Cambridge theological essays, Londres, 1905, p. 228, oppose ainsi la conception traditionnelle qu’il appelle objective, à la sienne qu’il appelle subjective : « Par révélation objective, j’entends toute communit cation de vérité qui parvient à l’esprit dans et par le « monde des phénomènes. Par révélation subjective, « j’entends une communication de vérité dans et par « le monde des personnes. » Sanday rectifie cette méprise. Journal of theological studies, t. vii, p. 174. » Art. Modernisme, dans Dict. apol., t. iii, col. 075, note 1.
6. La révélation et l’expérience sensible. —
Bien qu’il soit en la puissance de Dieu de produire des phénomènes préternaturels, qui ne sont d’ailleurs pas nécessaires, la révélation ne se réduit pas a une action physique ou mécanique, qui existerait en dehors de l’esprit. Elle est un acte vital, car les connaissances qu’elle apporte ne sont pas plaquées dans un esprit, qui resterait inerte : elles proviennent entièrement de Dieu et de l’homme : le premier étant cause principale et le second cause instrumentale ; cf. Gardeil, Le donné révélé et la théologie, p. 68.
Puisque la révélation est ainsi la manifestation objective de vérités à croire, elle n’est donc pas un sentiment purement subjectif. Sans doute des émotions sensibles peuvent l’accompagner, mais pas toujours. Jérémie en a parfois éprouvé de très fortes, lui qui écrit : « Je ne ferai plus mention de lui, je ne parlerai plus en son nom. Il y avait dans mon cœur comme un feu dévorant, enfermé dans mes os, je m’efforçais de le contenir et je n’ai pas pu. » Jer., xx, 9. Mais ces émotions, qui ne sont jamais absolument requises, ne jouent qu’un rôle secondaire ainsi que nous le montrerons plus loin. La parole de Dieu, en effet, exclut tout mouvement aveugle de l’esprit et tout ce qui ne serait qu’une pure expérience sensible du sens religieux parvenu à un degré de particulière vivacité. C’est en cela que la doctrine catholique est opposée à la théorie erronée du modernisme. Avant d’exposer celle-ci, ainsi que les principales positions hétérodoxes, surtout des protestants et des rationalistes, il faut se demander si la révélation est un phénomène surnaturel.
3° La révélation est-elle un fait d’ordre surnaturel ? —
D’une manière générale on appelle surnaturel ce qui est au-dessus des forces et des exigences de la nature créée, mais qui n’excède pas ses capacités obédientielles ou perfectibles. Il y a la surnaturalité quant à la substance et celle quant au mode. Un don est surnaturel quant à la substance, lorsque sous aucun rapport il n’est du à une créature, c’est le cas de la vision béatiflque, qui est la fin de l’homme, élevé à l’état de fils de Dieu. Il l’est dans son mode, quand il est accordé à un être d’une façon qui n’est pas naturellement due ; tel est un miracle qui redonne la vue à un aveugle. Le surnaturel quoad modum est souvent dénommé préternaturel. Pesch, Prælectiones, t. iii, 5e et 6e édit., n. 163 sq. ; H. Lange, dans J. Braun, Handlexikon der kathol. Dogmatik, 1926, au mot : Uebernatur ; J. Rimaud, Thomisme et méthode, 1925, p. 134 ; G. Rabeau, Introduction à l’étude de la théologie, 1926, p. 120 sq. ; Denefîe, dans Zeitschrift für kathol. Théologie, t. xlvi, 1922, p. 337-360 ; Garrigou-Lagrange, De revelatione, t. I, p. 191 sq.
La révélation est-elle un phénomène surnaturel ou préternaturel ? Malgré les expressions différentes qu’ils emploient dans l’énoncé de leurs thèses, et dans le détail desquelles il est inutile d’entrer, les auteurs, d’une manière générale s’entendent pour affirmer que la révélation est surnaturelle quoad modum (ou préternaturelle, ou formelle, etc., suivant la terminologie utilisée), lorsque la vérité, qui est manifestée l’est d’une façon qui n’est pas naturelle, alors que cette vérité ne dépasse pas de soi les forces de l’intelligence. Entrent dans cette catégorie les connaissances et préceptes religieux d’ordre naturel, comme l’existence d’un Dieu rémunérateur et la nécessité d’un culte à lui rendre.
La révélation est surnaturelle quoad substantiam ou matériellement (Schvvetz, Ottiger), lorsque l’objet révélé excède, en soi, les forces et les exigences de la raison humaine, par exemple la manifestation du mystère de la sainte Trinité.
Aperçu sur les variétés île la terminologie. — Hettinger-Weber distingue la révélation quoad modum, qui embrasse les vérités naturelles, et la révélai ion </'">< » ’substantiam, qui porte sur les mystères (Lehrbuch der Fundamentallheologie, 3e éd., p. 120). La première, tjuoad modum est appelée prelematurelle, par Hettinger-Wéber (Zoc. cit.. p. 102 ; pour ce faire l’auteur s’appuie sur saint Thomas, ia-Iiæ, q. cix, a. 1 et 2, et Suarez, De opère sex dierum, t. III, De homine créait) et siata innocentiez, 12, 23) ; élit est appelée subsidiaire, par Weber, cpii dénomme la seconde : révélation absolue (Christliche Apologetik in Grundzùgen für Sludierende, p. 136) ; relativement surnaturelle ou parfois aussi prélernaturelle par A.-V. Sclmiid (Apologetik als spekulative Crundlerjung der Théologie, p. 126 sq.) ; formelle, par II. Felder, car seul le motif de l’assentiment est surnaturel, la seconde étant nommée matérielle, car son objet matériel (argumentum ) est lui-même surnaturel (Apologetica, sive theologia fundamentalis, r, p. 30) ; II. Garrigou-Lagrange emploie la dénomination secundum modum et secundum substantiam ; selon que l’objet révélé dépasse ou non, secundum se. les forces et les exigences de l’intelligence créée (De revelatione, t. i, p. îlo). Malgré les différences de la terminologie employée, bien des auteurs font la même distinction : J. Brunsniann, Lehrbuch der Apologetik. 1. 1, Religio und UfJ.nbarung, p. 121 sq. ; K. Dorscli, De religione revelata, p. 295 ;.1. Jlausbach, Grundxùge der kathol. Apologetik, p. 0 ; I. Millier, lie itéra religione, p. 78 ; Muncunill, Tractatus île vera religione, p. 41 etc. C. Wilmers distingue la religion positive ou surnaturelle au sens large et au sens strict, De religione revelata, p. 14.
La révélation de mystères proprement dits, qui dépassent l’entendement de toute créature, est-elle strictement d’ordre surnaturel ? Il le parait, vu que ces mystères ont été dévoilés afin d’assurer la vision bcatifique au ciel. Cependant rien ne permet d’affirmer absolument que cette révélation ne puisse exister que dans ce domaine. Si le concept de la révélation est considéré en lui-même et indépendamment de la fin à laquelle s’ordonne la manifestation des vérités, rien n’interdit à Dieu de manifester des mystères à une intelligence créée. Celle-ci, de son côté, y adhère sans saisir leur évidence interne mais en s’appuyant sur l’autorité divine. Nous demeurons ici dans l’abstrait et ne prétendons pas que, de fait, dans l’ordre naturel, Dieu ait révélé des mystères mais qu’il le peut.
La révélation surnaturelle se distingue du miracle, de la prophétie, de l’inspiration et de l’infaillibilité.
Alors que la lumière intérieure suffit pour constituer la révélation, le miracle est un fait préternaturel d’ordre physique, qui frappe par son caractère extraordinaire et qui est perceptible par les sens ; voir art. Miracle. La prophétie présuppose la révélation ; elle y ajoute un élément nouveau, à savoir une mission immédiate et positive à remplir au nom de Dieu et consistant à faire connaître les vérités qui ont été dévoilées. S. Thomas, Sum. theol., II a -IJæ, q. clxxiii, a. 4 ; voir art. Prophète. L’inspiration est avant tout et essentiellement une motion divine qui pousse à concevoir et à écrire des vérités acquises soit naturellement, soit par révélation. Les évangélistes ont écrit, sous l’inspiration, les faits et paroles de la vie du Christ qu’ils connaissaient soit par le témoignage, soit par leur expérience personnelle. L’apôtre saint Jean le rappelle explicitement au début de sa première épître : « Ce qui était dés le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché du Verbe de vie… ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons…. » I Joa., i, 1-1. C’est pourquoi tout livre inspiré exprime « pour nous » la révélation, bien que l’hagiographe ne fasse pas nécessairement connaître des vérités nouvelles. Chr. Pesch., De inspiratione sacræ Sc.ripturæ, n. 410, 417 ; Compendium introductionis, n. 96 1. L’infaillibilité est un privilège par lequel Dieu assure la garde de la vérité, tandis que la révélation est une manifestation surnaturelle de vérités faites à l’homme. Après avoir ainsi pris une connaissance détaillée du concept catholique de la révélation nous pouvons aborder les positions hétérodoxes, celle des protestants, des rationalistes et modernistes.
III. CONCEPTIONS ERRONÉES SUR LA RÉVÉLATION. —
1° Les premiers protestants. —
Ceux-ci paraissent, au premier abord, exalter le caractère surnaturel de la révélation, mais en réalité ils le diminuent. En effet, à la révélation proposée par le magistère infaillible de l’Église, ils substituent l’inspiration privée, faite directement par le Saint-Esprit à chacun des fidèles.
Comme on le voit il s’agit beaucoup plus de l’interprétation des vérités révélées telles que les fournit l’Écriture, que de la révélation en son premier état. Mais, poussées à l’extrême, les affirmations de Luther (nous ne disons pas de Calvin) sur le libre examen, pourraient amener chaque fidèle à se considérer comme le sujet direct de la révélation. Le principe du libre examen, que prônait Luther contenait d’ailleurs en germe ceux du rationalisme et de l’individualisme.
2° Les positions rationalistes.
Le naturalisme, communément appelé rationalisme, est le système philosophique qui ne reconnaît que le monde et les lois naturelles qui le régissent. Il proclame l’indépendance absolue de la raison humaine ; poussé à bout, il pourrait aller jusqu’à nier l’existence d’une Intelligence supérieure cause et mesure de toute vérité, arrivant ainsi à l’athéisme. Le rationalisme est absolu ou mitigé.
Le rationalisme mitigé ou, comme on l’a appelé, le semi-rationalisme est représenté par la doctrine des penseurs catholiques Hermès, Gunther et Frohschammer. Ils sont bien éloignés de nier la révélation ; pour eux le Christ a véritablement transmis aux hommes un message de vérité, qu’il faut recevoir avec attention et piété. Ils admettent donc une révélation. Mais celle-ci est surnaturelle uniquement dans son mode, car tous les objets qu’elle manifeste, une fois connus, peuvent être démontrés pat la raison. Le message du Christ n’est à proprement parler qu’un excitant et un adjuvant de la raison humaine. Sollicitée par lui. celle-ci se reconnaît dans les vérités que le Christ est venu manifester. En d’autres termes, il n’y a point dans la révélation de mystères proprement dits. La trinilé même et l’incarnation, une fois proposées par la révélation, se démontrent par la raison.
L’évolutionnisme panthéistique ri l’agnosticisme sont des Formes du rationalisme absolu. Le fondement de l’ordre surnaturel est nié par les panthéistes évolutionnistes puisqu’ils Ident i lient l’essence de Dieu avec celle de révolution créatrice. Puisque l’univers et Dieu ne tout qu’un, la raison humaine n’est pas substantiellement distincte de la raison divine <t peut de l’ail connaître tout dans son évolution naturelle. Les partisans de l’évolutionnisme absolu, comme les hégéliens, conservent sans doute le mot de révélation, mais ils le vident de son sens théologique, étant donné qu’ils considèrent que la religion catholique qui la propose et la synthétise ne marque qu’un moment de l’évolution de la raison, qui est en progression continuelle. Ce système philosophique, incompatible avec l’élévation de l’homme à un ordre surnaturel, a été condamné par le concile du Vatican : Si quis dixerit, divinam essenliam sui manifeslalione vel evolutione fieri omnia ; aut denique Deum esse ens universale seu indefinilum, quod sese dclerminando constituât rerum universitatem in gênera, species et individua distinctam : A. S. De fide rathol., can. 4, Denz.-Bannw., n. 1804.
L’agnosticisme, qui est aussi radical, sous une autre forme de pensée, que le panthéisme, est la négation de toute philosophie transcendante ; car, pour lui, tout ce qui dépasse l’ordre des phénomènes est inconnaissable au moins pour la raison théorique. L’encyclique Pascendi du 8 septembre 1907 a marqué avec netteté la position intellectuelle des agnostiques dans le passage suivant : Yi hujus humana ratio pheenomenis omnino includitur, rébus videlicet, quæ apparent eaque specie, qua apparent, earundem prætergredi terminos nec jus nec polesiedem habet. Quare nec ad Deum se erigere potis est, nec illius existentiam, ut-ut per ea quie videntur, agnoscere. Hinc infertur, Deum scientise objectum directe nullatenus esse posse ; ad historiam vero quod cdlinet, Deum subjectum historicum minime censendum esse. Ilis autem posilis, quid de naturali theologia, quid de motivis credibilitatis, quid de exlerna revclatione fiai, facile quisque perspiciet. Denz.-Bannw., n. 2072.
Pour le philosophe agnostique la spéculation religieuse est donc vaine et la révélation externe ne peut exister. Lorsqu’il est croyant, il cherche l’explication de sa foi en lui-même et en vient ainsi à l’immanence …et quoniam rcligio vitæ quædam est forma, in vila omnino hominis reperienda est. Ex hoc immanentise religiosse principium asseritur. Encyclique Pascendi, ibidem.
A l’agnosticisme, attitude négative, le modernisme a adjoint en effet une partie positive, l’immanence vitale, selon laquelle la religion naît du sens religieux. Cette forme de pensée demande à être étudiée, afin que soit mieux saisie la valeur réelle de l’expérience dans la révélation.
3° Le modernisme. —
1. Exposé. —
Pour les modernistes, si tant est que l’on puisse user de ce terme, vraiment trop général, la révélation n’est pas la manifestation divine d’une vérité, mais l’excitation du sens religieux ; c’est un phénomène d’ordre naturel, vu qu’il procède de la nature et qu’il a pour rôle de satisfaire une de ses exigences. « C’est, pour ces auteurs, écrit le R. P. Lebreton, une émotion, une poussée du sentiment religieux, qui, à certains moments, afïleure, pour ainsi dire des profondeurs de la subconsciencc et où le croyant reconnaît une touche divine ». Lebreton, art. Modernisme, dans Diction, apol, t. iii, col. 676. Pour A. Loisy, par exemple, la révélation est : « une intuition et une expérience religieuse » qui a… « pour objet propre et direct les vérités simples contenues dans les assertions de foi. » Autour d’un petit livre, p. 200. Ces vérités se ramènent « au rapport essentiel qui doit exister entre l’homme conscient de lui-même et Dieu présent derrière le monde phénoménal ». Ibidem, p. 196 sq.
La révélation n’a donc pu être « que la conscience acquise par l’homme de son rapport avec Dieu ». Ibidem, p. 195 ; voir la proposition 20 du décret Lamentabili, qui reprend celle définition donnée par Loisy et qui est commentée par le 1’.. P. Léonce de Grandmaison, art. Modernisme, ibid., co. 602-606 : « L’individu conscient, écrit encore A. Loisy, peut être représenté prèsqueindifféremment comme la conscience de Dieu dans le monde, par une sorte d’incarnation de Dieu dans l’humanité et comme la conscience du monde subsistant en Dieu par une sorte de concentration de l’univers dans l’homme. » Quelques lettres, p. 150.
Par une réaction instinctive, l’émotion intérieure détermine chez le sujet une représentation imaginative ou intellectuelle conforme à sa mentalité particulière : il ne saurait donc plus ici être question d’une connaissance ab extrinseco ; une telle connaissance ne peut être reçue par l’homme, il faut absolument substituer à la notion traditionnelle de révélation extérieure et physique celle qui vient de l’intérieur. « Par rapport à ces conceptions et à ces visions, écrit Tyrrell, le sujet est à peu près aussi passif, aussi déterminé qu’au regard de l’émotion psychique, qui y est contenue. » Tyrrell, Righis and limits of theology, dans Quarterly Review, octobre 1905, p. 400 ; et aussi Through Scylla and Charybdis. Londres, 1907. p. 208.
Dès lors toutes les vérités religieuses sont implicitement contenues dans la conscience de l’homme : « Parce que l’homme est une partie et une parcelle de l’univers spirituel et de l’ordre surnaturel… la vérité de la religion est en lui implicitement… s’il pouvait lire les besoins de son esprit et de sa conscience, il pourrait se passer de maître. Mais ce n’est qu’en tâtonnant, en essayant telle ou telle suggestion de la raison ou de la tradition qu’il découvre ses besoins réels. » Through Scylla and Charybdis. p. 277. « C’est toujours et nécessairement nous-mêmes qui nous parlons à nous-mêmes, qui (aidés sans doute par le Dieu immanent) élaborons pour nous-mêmes la vérité. » Ibidem, p. 281.
Pour le moderniste, les dogmes proposés par l’Église comme révélés ne sont donc pas des « vérités tombées du ciel » (prop. 22 du décret Lamentabili) mais une certaine interprétation del’expérience religieuse, résultat d’un laborieux effort, nullement garanti par Dieu. Toutefois la révélation reste un bienfait du Seigneur parce que l’homme y est plus patient qu’agent. Ce don est aussi surnaturel, car ce qu’il fait appréhender n’a pas trait au monde naturel et visible, mais à une réalité plus sublime, plus élevée et plus secrète. Pour avoir un aperçu des définitions erronées qui ont été données sur la révélation, en particulier par les auteurs allemands, on peut consulter Pfleiderer, Grundriss der christlichen (ilaubens-und Sittenlehre. 3e édit., Berlin, 1886, p. 18 sq. Il se trouve en effet que le modernisme a fait des emprunts non déguisés à la pensée religieuse telle qu’elle a évolué au sein du protestantisme libéral en Allemagne.
Les modernistes, qui nient le surnaturel, font grand état au contraire de la philosophie de l’immanence. Aussi bien font-ils sortir de la conscience individuelle — ou tout au moins des profondeurs de lasubconscicnce — toute connaissance, jusqu’à la révélation surnaturelle elle-même. Celle-ci leur apparaît comme un simple épanouissement ou une évolution naturelle de notre besoin du divin ou de notre commerce intime avec lui. La révélation est identifiée à l’effort que fait la divinité pour s’exprimer en nous : « Subconsciente la plupart du temps, étouffée et comme opprimée par la masse des concepts ou d’images qu’elle doit soulever pour se faire jour, elle (la divinité) réussit parfois à faire irruption clans la conscience ; l’âme alors se sent envahie par un flot de pensées dont elle ignore la source, elle a l’impression que ce n’est pas elle qui pense, mais qu’on pense en elle et par elle. » Valensin, art. Panthéisme du Diction, apol., col. 1321. Comparer ce que dit Pfleiderer, Zut F rage nach Anfang und Entiuicklung der Religion, Leipzig, 1875, p. 68, où il écrit : « Nous savons maintenant, que nous ne pouvons plus recourir à la révélation divine comme à un principe extrinsèque à l’esprit humain : mais cette révélation ne se manifeste que dans l’esprit de l’homme, nous devons nous en tenir là, et, omettant tous les facteurs surnaturels, rechercher la marche historique de l’évolution purement naturelle par laquelle l’homme parvient au développement de ses facultés religieuses. »
Certains individus seulement prennent conscience de la révélation. Le Christ est celui d’entre eux qui a atteint le plus de richesses dans ses émotions religieuses : il est unique par sa transcendance. Il a eu le don également de pouvoir transmettre ses expériences personnelles aux autres. Ceux-ci à leur tour les ont vécues. Dès lors, les religions, qui ne sont que l’expression des émotions internes, ne diffèrent pas essentiellement les unes des autres, malgré les apparences, parfois importantes, qui permettent d’établir entre elles une hiérarchie. Parmi elles, le christianisme occupe une place de choix, à cause du prestige de son fondateur, de ses puissances d’adaptation universelle ; pourtant, malgré ses qualités remarquables de permanence, sa valeur n’est que relative.
2. Critique. —
Cet exposé montre combien la thèse moderniste et immanentiste est opposée à la doctrine catholique de la révélation. Pour en mieux saisir la faiblesse, il est indispensable de savoir ce que valent les expériences religieuses. Par là on entend < toute impression éprouvée dans les actes ou états que l’on nomme religieux : sensation de dépendance, de délivrance, illumination, sentiment de joie ou de tristesse, considérés dans leur aspect affectif, indépendamment de toute interprétation spéculative ». H. Pinard, art. Expérience religieuse, dans Dicticn. apol., t. i, col. 1816. Cette expérience, même si elle est produite d’une façon surnaturelle par Dieu et si elle accompagne la manifestation de la vérité, n’est pas à identifier avec la révélation. Noir ici, du même auteur, l’art. Expérience religieuse, t. v. col. 1786-1868.
De fait l’émotion religieuse, à supposer qu’elle soit surnaturelle — et nul écrivain mystique ne conteste la réalité de telles expériences — est purement individuelle et subjective. Elle suppose un objet de connaissance ou une vérité, car elle n’est que la réaction de la volonté ou du cœur à l’activité de l’intelligence ou des sens. Cet objet de connaissance peut d’ailleurs n’être entrevu que d’une manière fort imprécise ; il n’en existe pas moins. Par ailleurs, comme le caractère surnaturel d’un effet ne tombe pas sous l’expérience, au moins d’après les lois ordinaires, la conscience est incapable de distinguer avec certitude une émotion naturelle de celle d’un ordre supérieur. La distinction conjecturée ne se présentera avec une sérieuse probabilité que dans les circonstances où le sujet saura qu’il v a eu manifestation de vérités nouvelles, c’est-à-dire qu’il a reçu une révélation. Enfin une expérience subjective et affective est essentiellement relative. Même pour le sujet qui l’éprouve, le sentiment est aveugle : il varie suivant les dispositions du moment, il plaît ou mécontente et ne peut dès lors constituer un motif suffisant pour donner raisonnablement son assentiment.
Ces réserves ne tendent nullement à nier le rôle utile que jouent, dans la vie spirituelle et morale des individus, les émotions religieuses, quand elles dt meurent subordonnées et soumises aux lumières de la foi et de la raison. Voir Pinard, Diction, apol., col. 1851 et surtout col. 1857 sq. En effet, « ce sont les expériences commencées qui préparent à comprendre et à accepter les idées… Celle de chasteté est incompréhensible à un impudique, celle de félicité spirituelle, à qui n’a jamais ressenti l’insuffisance des biens présents. De même, certaines expériences au moins confuses, certain goût sensible du vrai, du beau et du bien sont nécessaires, avant qu’on n’arrive à concevoir Dieu dans la conscience claire, autrement que comme un mot sans goût. » Mais, au demeurant, et quelle que soit la nature des phénomènes affectifs qui l’accompagnent, la révélation demeure avant tout une manifestation de connaissances.
IV. ESPÈCES. —
Par rapport au sujet auquel une vérité est dévoilée, la révélation est immédiate ou médiate.
Elle, est immédiate quand elle est faite directement à quelqu’un. Dieu s’est révélé à Abraham, le Christ a parlé à ses disciples lors de son passage sur la terre. La révélation faite aux hommes par les anges est communément appelée immédiate. Les anges, en effet, agissent non seulement sur l’ordre divin mais aussi d’euxmêmes, lorsque Dieu les autorise. Puisqu’ils savent beaucoup de choses ils peuvent ainsi les révéler. En ce cas, s’ils interviennent seulement par permission de Dieu, la révélation est immédiate ; lorsque c’est sur ordre de Dieu et en qualité de légats leur révélation est médiate. Dorsch, Institutiones theoloqiæ fundamentalis, p. 301, qui renvoie lui-même à Schilfini, De. virtutibus infusis, p. 120, n. 80 ; voir aussi en même sens Ottiger, Theologia fundamentalis, t. i, p. 47, contre Jansen, Prœtectioncs théologies fundamentalis, Utrccht, 18751876, p. 118 et les autres.
La révélation immédiate est interne ou externe selon que Dieu agit sur la faculté intellectuelle elle-même ou produit quelque connaissance chez l’homme en lui proposant extérieurement quelques objets (voir plus haut les modes de la Révélation).
Elle est médiate pour ceux à qui le prophète, après avoir reçu communication d’une vérité, transmet le message divin. Ce fut le cas des prophètes de l’Ancien Testament ou des apôtres, messagers de la bonne nouvelle à travers le monde. La mission du légat n’est remplie avec fruit que s’il a une autorité suffisante auprès des foules et s’il ne peut pas tomber dans l’erreur. Pour que l’envoyé obtienne créance, Dieu confirme sa parole par des signes de crédibilité, tels que les miracles ou les prophéties. Pour qu’il ne se trompe pas, ne déforme pas son message et ne l’exprime pas d’une manière inadéquate, il reçoit le don de l’infaillibilité.
II. Possibilité de la révélation. —
Il faut considérer successivement la révélation immédiate et celle que nous avons appelée médiate.
I. LA RÉVÉLATION IMMÉDIATE EST POSSIBLE. —
Non seulement, en effet, elle ne présente pas de contradictions internes ou externes, elle ne « répugne » pas, comim disent les logiciens, mais, tout au contraire, elle convient.
1° Elle ne répugne pas. —
Ontologiquement, la possibilité, considérée d’une manière générale, est la même chose que l’aptitude à l’existence. Elle est interne quand il n’y a pas de contradiction ou de répugnance dans les éléments constitutifs d’une chose : entre dans cette catégorie tout ce qui peut être pensé. Elle est externe lorsque la cause efficiente a la force suffisante pour faire passer à l’existence ce qui est pensable. Une chose est physiquement possible, si elle l’est intérieurement et extérieurement. Il y a possibilité morale, quand la cause (créée) ellieiente est douée de raison et qu’elle est apte à faire passer à l’existence ce qui est possible intérieurement et extérieurement, malgré les circonstances et les tendances du milieu et en dépit de ses habitudes propres. Ce qui est physiquement possible peut donc parfois, à cause de difficultés et d’obstacles de toute sorte, être m iralement impossible. La révélation immédiate et médiate, telle que nous l’avons analytiquement définie, est-elle physiquement et moralement possible ? Elle l’est, car elle ne répugne ni de la part de Dieu, ni de celle de l’homme, ni de celle de l’objet.
1. La révélation ne répugne pas de la part de Dieu. —
a) Elle, est physiquement possible. —
Dieu, qui a créé l’homme et lui a donné la faculté de la parole, est à même de faire par lui-même et immédiatement ce qu’il a accordé à la créature. Il en a la puissance physique. Une affirmation contraire serait absurde et rappellerait à l’esprit les paroles du psalmiste :
Celui qui a planté l’oreille n’entendrait-il pas ? Celui qui a formé l’œil ne verrait-il pas ? [trait-il pas ? Celui qui donne à l’homme l’intelligence ne reconnai (Ps. xr.iv, 9-11).
Rien ne s’oppose à ce que Dieu, être personnel et vérité absolue, dévoile ses connaissances de la façon et dans la mesure où il le veut à un sujet capable de les recevoir. Possible, en tant qu’elle est la parole divine, la révélation l’est également si l’on considère l’influx divin de la lumière intérieure, qui permet au prophète de porter un jugement infaillible sur l’origine des vérités qui lui sont dévoilées.
Dieu, en effet, qui gouverne le monde des êtres matériels et le monde des esprits selon les lois qu’il a lui-même établies, demeure absolument libre et jouit du plein pouvoir d’y faire ce qu’il veut. Rien ne l’empêche donc d’exercer sur l’intelligence de l’homme, qui lui demeure soumise, un influx immédiat, comme celui qui est requis dans la révélation. Sans doute cette lumière intérieure est d’ordre surnaturel, mais rien n’y répugne, car, si les causes secondes agissent selon des lois qui sont considérées comme stables et constantes, elles peuvent cependant varier dans leurs effets, sous l’action de la cause première. La révélation apparaît ainsi comme un miracle d’ordre intellectuel. Dieu y meut d’une manière surnaturelle l’intelligence du prophète, objectivement en agençant et en ordonnant ses idées, subjectivement en l’éclairant, afin qu’il juge sans erreur du caractère surhumain de la communication qui lui est faite. A cela rien ne s’oppose ; l’intervention divine peut s’exercer en dehors des lois physiques et psychologiques, étant donné que celles-ci ne sont qu’hypothétiquement nécessaires. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. cv, a. 3 ; a. 6 ; Cont. gent., t. III, c. c. Pour le détail se reporter à l’art Miracle.
Malgré les difficultés opposées par le déisme, les variations, introduites par la révélation dans l’orientation des créatures vers Dieu, n’affectent nullement l’immutabilité, la sagesse et la majesté divines. Au contraire, elles permettent d’entrevoir sa puissance et ne pas l’admettre serait la limiter arbitrairement. Toutefois, remarquons-le, Dieu, en lui-même, n’a pas changé ; ses conseils demeurent immuables ; ceci est vrai du miracle physique, tout autant que du miracle intellectuel. A ce sujet le cardinal MaLzella écrit : Quemadmodum igitur, ab œterno cursum natures modumque naturalis cognitionis Deus constitua, ita etiam ab œterno decrevil per revelationem supernaturalem homini veritates communicare, atque duplicem hune tum naturalis tum supernaturalis cognitionis ordinem harmonice disposait. De religione et Ecclesia, p. C3.
L’acte divin, en effet, est unique, simple et éternel. Il atteint, comme il convient, tout ce que Dieu fait en dehors de lui, mais d’une manière diverse selon les circonstances de temps, de lieu et autres. Par la révélation, dans laquelle il est tenu compte de la nature de l’intelligence et de la volonté humaines, s’ajoute une nouvelle relation externe, qui perfectionne l’ordre naturel, mais il ne se produit aucun changement interne en Dieu. Saint Thomas montre avec clarté que la révélation ne contredit nullement à l’immutabilité divine : Aliud est mutare voluntatem et aliud est velle aliquarum rcrum mntationem. Potesl enim aliquis eadem voluntate immobiliter permanente velle, quod nunc fiât hoc. et postea fiai conlrarium. Sed tune volunlas mutarctur, si aliquis inciperel velle. quod prius non volait, vel desineret velle, quod voluit. Sum. theol., I 8, q. xix, a. 7.
b) Elle est moralement possible. — En d’autres termes elle ne va pas contre ce que l’on nomme les attributs moraux de Dieu.
La révélation ne répugne pas à la sagesse divine, car l’homme y reçoit une aide précieuse. Grâce à elle ses connaissances religieuses et morales s’accroissent ainsi que sa certitude. Bien qu’il l’ait pu, en effet. Dieu n’a pas voulu créer des hommes parfaits : notre faiblesse montre que nous sommes perfectibles. Aussi rien ne s’oppose-t-il à ce qu’il obvie aux déficiences des facultés humaines et qu’il augmente leur état de perfection relative, par le moyen de la révélation. Celle-ci n’est pas une correction de son œuvre, mais un enrichissement. N’apporte-t-elle pas sur l’ordre religieux et moral, sur l’existence de Dieu, ainsi que sur ses perfections, sa bonté, sa providence paternelle, etc., des connaissances qui sont utiles et avantageuses pour le bien total de l’humanité et qui favorisent l’uniformité du culte divin quant à ses croyances, à ses préceptes et à ses rites. Cette élévation, encore relative sans doute, et qui n’est accordée sous l’empire d’aucune nécessité, fait éclater la sagesse du Seigneur, car elle manifeste sa bonté et sa bienveillance toute particulière à l’égard des hommes. Chr. Pesch, Presl., t. i, n. 156.
Enfin, la majesté divine, qui n’a pas été diminuée par la création, ne l’est pas non plus lorsque le Créateur communique sa pensée aux hommes par la révélation. Celle-ci est ainsi merveilleusement ordonnée à la gloire de Dieu, c’est-à-dire à la fin primaire nécessaire de toute action ad extra. Sous tous les rapports elle est donc compatible avec les perfections divines. L’est-elle aussi avec la nature de l’homme ?
2. Elle est possible du côté de l’homme. —
L’homme peut être le sujet de la révélation, la recevoir, s’il est à même de recevoir l’influence divine et de poser avec certitude un jugement sur l’origine des vérités qui lui sont présentées. Pour venir à l’existence et pour continuer d’être et d’agir, toute créature, même, et l’on peut dire surtout, la créature raisonnable, a besoin de Dieu. Ce concours nécessaire dans l’ordre nature’, à toute activité spontanée ou libre l’est aussi dans l’ordre surnaturel (pour certains, on le sait, la révélation est préternaturelle). Quand il se produit dans ce dernier domaine, il ne détruit pas le premier. C’est le cas des facultés qui interviennent dans la révélation et qui s’y trouvent perfectionnées en leur être et en leur activité, car l’action divine, qui est de soi infinie, ne l’est pas en son terme, vu qu’elle s’adapte à la nature finie du prophète.
L’intelligence, dont l’objet adéquat est constitué par le vrai et tout ce qui est connaissable, est sans doute imparfaite dans la créature raisonnable qu’est l’homme : elle dégage « l’intelligible » de cela seulement qui tombe sous les sens, unique source de ses représentations, et ne peut atteindre directement ce qui les dépasse. Malgré cela, elle est à même de connaître tout ce qui a raison d’être, rationem entis, encore que, pour beaucoup de choses, ce soit seulement par le moyen de l’analogie.
Généralement les agents inférieurs — et l’intelligence en est un — sont mus et perfectionnés par ceux auxquels ils sont naturellement soumis : in omnibus naturis ordinatis invenitur quod ad perfectionem natures inferioris duo concurrunt ; unum quidem quod est secundum proprium motum ; aliud autem, quod est secundum motum superioris natures. S. Thomas, Iia-IIæ, q. ii, a. 3. C’est pourquoi rien ne s’oppose à ce quel’intelligence du prophète soit mue instrumentalement par Dieu et illuminée subjectivement, afin de recevoir de nouvelles vérités et d’acquérir la certitude sur leur origine divine. La motion qu’elle subit reste conforme à sa nature et à sa tendance originelle, ainsi que le mode par lequel elle reçoit la révélation. Elle n’accepte pas la vérité à cause de son évidence intrinsèque, vu que celle-ci dépasse sa capacité, mais par un acte de foi en l’autorité divine. Aussi l’assentiment n’est-il pas donné d’une manière aveugle ; il repose sur des raisons sérieuses qui le motivent.
Enfin, si l’homme est capable de recevoir des connaissances de ses semblables plus savants, il peut à plus forte raison être instruit par Dieu, maître par excellence, d’autant que celui-ci en qualité de créateur est à même d’agir intérieurement sur son intelligence et d’augmenter ses capacités, ce dont est incapable le professeur qui enseigne. Wilmcrs, De religione revelata, p. 57 sq. ; Garrigou-Lagrange, De revelatione, t. i, p. 323.
L’homme peut d’ailleurs travailler sur les notions mêmes qui lui sont révélées, pousser sur elles plus à fond ses investigations, chercher les arguments pour les défendre et établir les relations qu’elles ont avec les vérités qui sont objet de connaissance directe.
Du côté de la volonté il n’y a pas non plus de difficulté, puisque celle-ci n’entre en jeu que d’une manière indirecte dans la révélation. Sa liberté y reste entière. Son autonomie, qui n’est que relative, vu qu’elle est soumise à Dieu en tant que créature, n’est détruite ni par l’émission de l’acte de foi, ni par les préceptes et les devoirs nouveaux, qui éventuellement lui sont imposés.
Sans doute ces obligations morales ne sont pas toujours agréables aux facultés inférieures. Parfois même, à cause de nia. l’homme visité par Dieu voudrait se dérober à la révélation. Un voit les prophètes de l’Ancien Testament se rebeller presque devant l’ordre divin, objecter au Seigneur leur impuissance à s’élever à la hauteur du message qui leur est confié, ’fous les grands mystiques ont connu cette terreur de l’humaine faiblesse smis la mainmise violente du Créateur. « Je mourrai, parce que j’ai vu Dieu », disaient les vieux Israélites. De cette parole on trouverait les échos dans tous les mystiques. Mais ces inconvénients ne constituent pas une impossibilité. L’être humain demeure dans l’ordonnance de sa fin quand il s’enrichit de connaissances sur la Vérité première et d’expériences morales relatives au souverain Bien. L’acte de révélation ne réduit donc pas les facultés humaines à un rôle passif.il exige leur coopération. L’homme, n’y est pas seulement patient, mais aussi agent : son autonomie n’est pas atteinte.
Contre les rationalistes, qui considèrent qu’il est indigne de l’homme d’être instruit par Dieu, les Pères du concile du Vatican, pour réprouver l’indépendance absolue de la raison humaine, ont lancé l’anathème suivant : Hominem ad cognitionem et perfectionem, quee naturalem superet, divinitus evehi non posse, sed ex se ipso ad omnis tandem veri et l’uni possessionem juyi profectu pertingere posse et debere. De revelatione, eau. 2, Denz.-Bannw., n. 1808. Ils ont proclamé aussi que la raison n’est pas indépendante au point de ne pas pouvoir être soumise à Dieu qui a le droit de lui imposer la foi : Si quis dixerit, rationem humanam ita independentem esse, ut fldes ci a Deo imperàri non possit : A. S.. De fide, can. 3, Denz.-Bannw., n. 1810. L’indépendance de nos facultés ne peut être complète, car notre intelligence et notre volonté demeurent soumises à la vérité incréée et à l’autorité suprême de Dieu. Saint Thomas y voit, à juste titre, pour la créature humaine un titre de gloire : Sala natura rationalis creata habet immediatum ordincm ad Deum, quia cœleree créature ? non attingunt ad aliquid universale, sctl solum ad aliquid particulare… Natura autem rationalis, in quantum cognoscit universalem boni et cutis rationem, habet immediatum ordinem ad universale essendi principium. Il^-IIæ q. ii, a. 3. Cette subordination immédiate à Dieu est le fondement même de notre autonomie relative, car, de la sorte, l’intelligence n’est pas enfermée dans l’ordre des phénomènes et notre volonté demeure indifférente et libre en face des biens particuliers, qui ne sont pas à même de la satisfaire. I », q. lxxxiii, a. 1 ; I a -II « , q. x.
Nous saisissons dès maintenant combien est fausse l’opinion de plusieurs défenseurs de l’immanence selon lesquels aucune vérité ne peut enrichir notre esprit, si elle n’est pas postulée par une autre que nous avons perçue auparavant. Toute adhésion aux mystères proprement dits devrait en conséquence être considérée comme une abdication de la raison. C’est la pensée que E. Le Roy exprime en ces termes : « Ainsi, aucune vérité n’entre jamais en nous que postulée par ce qui la précède à titre de complément plus ou moins nécessaire, comme un aliment qui, pour devenir nourriture effective, suppose chez celui qui le reçoit des dispositions et préparations préalables, à savoir l’appel de la faim et l’aptitude à digérer. » Le Roy, Dogme et critique, Paris, 1907, p. 9-10. Cette attitude intellectuelle est gravement erronée, car le mot « postuler » prête à très grande équivoque. Sans doute il est impossible qu’une vérité nous soit proposée extrinsèquement, si nous n’avons pas déjà dans l’esprit des idées par lesquelles nous soyons à même d’en concevoir le sens, au moins d’une manière analogique. Mais il n’est nullement requis qu’elle soit en stricte et étroite connexion avec nos connaissances antérieures, ou exigée par ces dernières. Il suffit qu’entre celles-ci et celle-là, qui est nouvellement manifestée, il n’y ait pas de contradiction. Cela apparaîtra mieux encore quand nous aurons établi que la révélation ne répugne pas du côté de l’objet.
3. La révélation est possible du côté de l’objet, même s’il s’agit de mystères. —
Tant que l’on envisage seulement les vérités d’ordre naturel, il n’y a aucune difficulté sérieuse à admettre la possibilité de la révélation. En est-il de même quand il s’agit des mystères ? Pour répondre à cette question nous dirons d’abord ce qu’est un mystère proprement dit ; et nous montrerons ensuite que sa manifestation ne répugne pas. Pour plus de détails se reporter à l’article Mystère.
a) Ce qu’est un mystère. —
Au sens où le prend la théologie, un mystère est une vérité cachée et secrète, dont la connaissance dépasse, soit absolument, soit relativement les forces de la raison.
Par accident, certaines choses outrepassent notre puissance intellectuelle, non parce que celle-ci est déficiente mais à cause des difficultés externes : la distance s’oppose, par exemple, à ce que nous saisissions les éléments qui se trouvent dans les étoiles, ainsi que leur nombre. Parmi les vérités d’ordre naturel, aucune n’est absolument et de soi au-dessus de l’intelligence humaine, puisque celle-ci est capable d’en connaître l’existence et les effets, tout au moins leur possibilité, bien qu’elle n’atteigne pas parfaitement leur nature intime ; c’est le cas, entre autres, des attributs divins. C’est pourquoi dans l’ordre naturel, il n’est question de mystères que dans une acception large.
Au sens propre, il n’y a de vérités mystérieuses qui dépassent entièrement la raison que dans le domaine surnaturel. Encore faut-il préciser. Ne sont déclarées telles, en théologie, que celles-là seulement dont l’homme ne peut démontrer l’existence, ni même la possibilité, soit avant, soif après la révélation (voir Franzelin, Trac tutus de sacramentis in génère, 1868, p. 131), dont, il est incapable d’appréhender, par les lumières naturelles et d’une manière positive, la nature intime, dont il ne peut expliquer, comme disent les logiciens, pourquoi et comment tel prédicat convient nécessairement à tel sujet et enfin qu’il n’est à même d’exprimer qu’à l’aide de concepts analogiques, (’.'est ce qu’Ottiger décrit ainsi : Ralioncm ejus indolis internée habendo, ita ut dicatur veritas, cujus subjectum quidem et prædicatum mens humana naturali sua vi partim saltem analogice coqnoscere possit, utriusque tamen nexum intemum, ejus scilicet et necessitatem et modum, non intelligat. Ottiger, Theologia fundamentalis, t. i, p. 54.
Le mystère exprime une chose incompréhensible ; mais il n’est pas obscur au point qu’une fois révélé nous ne saisissions absolument rien de sa raison et de son mode. La proposition qui l’énonce doit être suffisamment claire, pour que l’homme la distingue d’une affirmation contraire ou contradictoire et discerne que la notion du sujet et du prédicat, bien qu’analogique, est vraie cependant.
b) La manifestation de mystères ne répugne pas. —
La révélation de mystères ne devrait être rejetée comme impossible que si elle répugnait à la nature de Dieu, si nos concepts n’étaient pas aptes à les exprimer analogiquement et proprement ou, enfin, s’il était irraisonnable d’admettre une lumière, surnaturelle quant à la substance, qui élèverait la vitalité de notre intelligence pour lui permettre d’y adhérer surnaturellement.
a. La manifestation de mystères ne répugne pas à Dieu. —
Pour Dieu, il n’y a pas de mystères, car il connaît tout. Quand il agit ad extra, c’est librement et selon sa vie intime : il a donc la puissance absolue de nous communiquer une participation de ses connaissances. Rien ne s’oppose à ce qu’il nous déifie, en quelque sorte, communicando consortium divinæ naturæ, per quamdam simililudinis participationem. Sum. theol., I a -II^, q. r.xii, a. 1.
L’homme, en effet, propose à son semblable bien des vérités dont la compréhension est parfois très obscure, et dont l’existence est admise pourtant sur sa seule autorité. Or Dieu, qui a donné à la créature ce pouvoir qui s’exerce sans difficulté excessive, le possède donc aussi lui-même a fortiori.
Par ailleurs, de très sages raisons motivent la révélation des mystères. Tout en montrant par là sa petitesse à l’intelligence humaine, Dieu apporte des solutions à de nombreux problèmes d’ordre philosophique et, loin d’annihiler notre faculté intellectuelle, il la perfectionne par l’amplitude et la certitude des connaissances dévoilées.
b. Les mystères peuvent être exprimés analogiquement. —
Du côté de l’objet aucune difficulté ne s’oppose à la révélation des mystères et ne la rend impossible. Assurément notre raison, avec ses notions naturelles et ses principes, est incapable de démontrer les mystères de la vie intime de Dieu, mais ne l’est pas pour les exprimer analogiquement et proprement (non pas par manière de symbole ou de métaphore) comme croyables, du fait que nous savons ce que sont le prédicat et le sujet et que nous avons quelque raison de joindre les deux termes de l’affirmation. L’adhésion repose non sur l’évidence intrinsèque, mais sur le témoignage divin. Ainsi les notions de procession, de paternité, de filiation, de spiration et de relations, par lesquelles nous exprimons, obscurément sans doute mais raisonnablement, le mystère de la sainte Trinité, n’entraînent aucune imperfection en Dieu même. Ce qui répugnerait serait d’affirmer qu’une idée créée, même infuse, représente l’Être lui-même, comme il e, st en soi, et que nous sommes à même de démontrer les mystères, alors que ceux-ci sont au-dessus de la virtualité de nos principes et de nos notions.
Sans doute une vérité n’est connue parfaitement que lorsque l’intelligence en saisit non seulement l’existence mais aussi l’essence et qu’elle l’exprime non en concepts analogiques, mais en idées claires. Toutefois, de même que le savant ne rejette pas comme irrationnelles les vérités physiques ou chimiques dont il n’appréhende pas la nature intime, mais dont l’existence lui est imposée par les faits, de même nous pouvons affirmer à la suite de saint Thomas, que la connaissance imparfaite des mystères est supérieure à une ignorance totale : De rébus nobilissimis quantumcumque imperfecta cognitio maximam perfectionem animée confert ; et ideo quamvis ea, quæ supra ralionem sunt, ratio humana plene capere non possit, tamen muttum sibi perfectionis acquirit, si saltem ea qualitercumque, teneat fide. Cont. gent., t. I, c. xv.
c. L’homme est capable d’être élevé et illuminé surnaturellement. —
Pour que l’adhésion aux mystères soit surnaturelle et donnée avec certitude, sans crainte d’erreur, il faut que l’intelligence créée soit éclairée par une lumière surnaturelle. Celle-ci ne peut pas actuellement se représenter Dieu comme il est en soi, ce qui répugnerait, mais y tend essentiellement.
La nature humaine est capable d’être élevée à l’ordre surnaturel, c’est ce que les théologiens appellent sa puissance obédientielle. Rien ne permet de rejeter cette puissance. Sur ce sujet saint Thomas s’exprime en ces termes : Sensus quidem, quia omnino materialis est, nullo modo elevari potest ad aliquid immuteriale, sed intellectus noster, vel angelicus, quia secundum naturam a maleria aliqualiter elevatus est, potest ultra suam naturam per gratiam ad aliquid altius elevari. Et hujus signum est, quia visus nullo modo potest in abstractione cognoscere id quod in concrelione cognoscit ; nullo enim modo potest percipere naturam, nisi ut hanc. Sed intellectus noster potest in abstractione considerare id quod in concretione cognoscit…, considérât enim ipsam rerum formam per se, imo… ipsum esse secernit per abstractionem. Et ideo cum intellectus creatus per suam naturam natus sit apprekendere formam concretam et esse concretum in abstractione per modum resolutionis cujusdam, potest per gratiam elevari ut cognoscat esse separatum subsistais. Sum. theol., 1^, q.xii, a. 4, ad 3um.
La puissance obédientielle n’est pas immédiatement et naturellement ordonnée à un acte ou à un objet, mais elle exprime la relation possible d’un être déterminé avec un agent d’une nature supérieure à qui il obéit. Remarquons-le enfin, en l’homme il n’y a pas d’ordination positive aux actes surnaturels ; sinon ladite ordination serait à la fois naturelle, comme propriété de la nature, et essentiellement surnaturelle en tant qu’elle serait spécifiée par l’objet surnaturel et il y aurait confusion des deux ordres.
La révélation des mystères proprement dits, qui s’énoncent en concepts analogiques, est donc possible, car elle ne répugne ni à la nature de Dieu, ni à la raison humaine, élevée et éclairée surnaturellement. Cela apparaît plus nettement encore quand il est tenu compte de sa convenance.
2° La convenance de la révélation est un argument en laveur de sa possibilité. —
Les rationalistes estiment que la révélation, même si elle est possible, ne convient pas pour plusieurs raisons. Si elle existait, elle serait un obstacle au progrès des connaissances scientifiques, étant donné qu’elle impose un ensemble de doctrines qui doit demeurer sans changement. Pour ce qui concerne les vérités d’ordre naturel, elle est superflue, attendu que la raison y parvient par elle-même. Quant à la révélation de vérités d’ordre surnaturel, elle détruirait l’autonomie de la raison, en exigeant la foi à des mystères qui demeurent incompréhensibles.
Pas plus que la création du monde, la révélation n’est un acte nécessaire. Elle procède de la libre volonté de Dieu et lui convient, car elle est non seulement une manifestation des perfections divines, que les vérités dévoilées permettent de mieux entrevoir, mais aussi une nouvelle communication de biens, faite à la créature humaine. La révélation convient aussi à l’homme, car elle lui est utile par l’avantage intellectuel et moral qu’elle lui apporte. L’intelligence, qui est avide de savoir, est perfectionnée par l’acquisition des vérités qui lui sont apprises. Celles-ci concernent la religion, c’est-à-dire l’ensemble des rapports à établir entre la créature raisonnable et Dieu. Cet enrichissement réel et manifeste dans un domaine où l’homme, malgré ses efforts, a des connaissances naturelles si limitées, est d’autant plus apprécié que l’acte de foi, par lequel on y adhère, écarte tout doute, toute erreur. Pie IX a marqué cette utilité universelle de la révélation quand, dans le Syllabus, il a réprouvé la proposition suivante : Christi fuies human.se refragatur rationi, divinaque revelatio non solum nihil prodest, verum etium nocei iwminis perfectioni. Prop. G, Denz.-Rannw., n. 1706.
La révélation éclaire l’homme sur le culte privé, familial et public qu’il doit rendre au Seigneur. Le concile du Vatican l’a rappelé en prononçant l’anathème contre ceux qui le nieraient : Si quis dixerit fierinon posse aut non expedire, ut per revelationem divinam homo de Deo eultuque ei exhibendo cdoceatur, anathema sit. Sess. iii, De révélât., can. 2, Denz.-Rannw., n. 1807.
Enfin sa dernière utilité dans la pratique de l’action religieuse est de favoriser l’intimité de l’homme avec Dieu, car, ainsi que l’a déclaré le Christ, la communication des secrets se fait largement entre lui et les apôtres qu’il déclare élevés par là même au rang de ses amis : « Je ne vous appellerai plus, désormais, des serviteurs ; le serviteur ne sait pas ce que fait son maître. Je vous appelle mes amis parce que tout ce que j’ai appris de mon Père je vous l’ai fait connaître. » Joa., xv, 15.
D’une certaine manière l’homme y trouve aussi son bonheur et une légitime satisfaction : puisque, dit saint Thomas, ce que nous percevons des êtres supérieurs est peu de chose, sans doute, mais est beaucoup plus aimé et désiré que toute connaissance sur les êtres inférieurs. Cont. gent., t. I, c. v : De rébus nobilissimis quantumeumque imperfecta cognitio maximam perfectionem animas conferi.
Ce qui est vrai des vérités surtout religieuses d’ordre naturel, révélées par Dieu, l’est aussi à plus forte raison de celles qui dépassent les capacités de la raison. Leur connaissance, même imparfaite, nous donne d’abord l’occasion d’exercer bien des vertus comme celles d’humilité, de foi et de religion en particulier. "Par le Christ Jésus, dit saint Pierre, les plus grandes, les plus magnifiques promesses nous ont été faites, afin que, par elles, devenus participants à la nature divine, vous échappiez à la corruption de ce monde. » II Pet., i, 4.
Par la révélation divine s’éclairent ainsi mutuellement les diverses vérités religieuses ; bien des problèmes de première importance, à coup sûr, tels que ceux de la prédestination, de la providence, de l’origine du mal. de l’immortalité, de la fin de l’homme, etc., sur lesquels la raison fournit sans doute quelques lumières, ne trouvent une solution complète et indubitable que grâce à la révélation des vérités d’ordre surnaturel. Le domaine des croyances religieuses se trouve ainsi amplifié.
Par suite enfin de la connexion qui existe entre les don nées de certains mystères etles nombreux problèmes de l’ontologie ou de la cosmologie — c’est le cas par exemple des concepts d’essence, de nature, de personne qui commandent le mystère de la trinité, des concepts de substance et d’accident qui se trouvent impliqués dans le mystère eucharistique — la révélation excite l’esprit à travailler pour saisir l’harmonie des nouvelles connaissances fournies avec celles du monde créé et profite ainsi indirectement aux autres disciplines humaines, tout spécialement à celles d’ordre spéculatif. Gutberlet. Lehrbuch der Apologetik, t. ii, p. 31.
La volonté tire également avantage de la révélation. Elle y est tout entière orientée vers le Seigneur. Du fait que celui-ci est la règle absolue de la vie bonne et honnête, la fin poursuivie est véritablement sublime. Pour que l’homme, sur cette terre, prenne Dieu comme guide de sa vie, les motifs d’action les plus efficaces, tels que la miséricorde et la bonté divines, lui sont dévoilées.
Tous ces arguments de convenance de la révélation immédiate témoignent donc en faveur de sa possibilité. En est-il de même de la révélation médiate ?
II. POSSIBILITÉ DE LA RÉVÉLATION MÉDIATE. —
Il s’agit, on se le rappelle, de cette communication des vérités révélées qui se fait, non plus directement — Dieu parlant aux grands inspirés — mais par ceux-ci à la masse de l’humanité. C’est le cas général. De cette manière d’instruire, tout comme de la précédente, l’on peut dire que loin de « répugner » à la nature de l’homme elle lui convient tout au contraire.
1° Elle ne répugne pas.
Pour que la révélation médiate soit possible, il suffit que Dieu veuille utiliser le procédé courant parmi les hommes de l’enseignement mutuel, qu’il donne à ceux qu’il choisit pour ministres les secours nécessaires, tels que l’inspiration pour le prophète et l’infaillibilité pour l’Église, afin que les vérités dévoilées soient annoncées et propagées fidèlement dans leur substance sans oubli, enfin qu’il confirme leur mission auprès de ceux auxquels ils sont envoyés. La révélation médiate n’est pas humaine, mais divine, car le légat n’agit pas de sa propre autorité : des signes indubitables établissent d’ailleurs qu’il parle, non point en son nom, mais au nom de Dieu, dont il n’est que l’instrument : operatio autem inslrumenti attribuitur principali agenti, in cujus virtute instrtimentum agit. Snm. theol., II a -II®, q. clxxii, a. 2, ad 3um. C’est pourquoi le nombre des envoyés authentiques par lesquels nous parvient la révélation divine importe peu, vu que Dieu, cause principale, dispose des moyens nécessaires pour que les vérités révélées nous soient communiquées sans corruption. La révélation médiate ne répugne donc pas. Elle convient même à la sagesse divine et à la nature sociale de l’homme et cela confirme sa possibilité.
2° Elle est au contraire d’une suprême convenance.
Pour être conforme à l’action de la providence, qui gouverne généralement les inférieurs par les supérieurs, remarque saint Thomas, la révélation devait être transmise aux hommes par des ministres : Quantum autem ad secundum (c’est-à-dire l’ordre d’exécution du plan divin) sunt aliqua média divins providentise, quia injeriora gubernat per superiora, non proplcr defectum suse virtutis, sed proplcr abundantiam suse bonitatis, ut dignitatem causalitalis etiam creaturis communicet… haberc minislros exécutons suie providentiæ pertinct ad dignitatem regis. Sum. theol., I a, q. xxii, a. 3 ; cf. Ia-II », q. exi, a. 1 et 4 ; III a, q. lv, a. 1.
Il ne convenait pas non plus que la révélation fût faite immédiatement à tous, à cause des dispositions requises chez celui qui la reçoit : Nom ad prophetiam requiritur maxima mentis elevatio ad spirilnaliiim contemplai ionem ; quæ quidem impeditur per vehementiam passionum, et per inordinatam occupalionem rerum exteriorum. II ft -II », q. clxxii, a. 1. Au fait, les grands inspirés, tout comme les génies, sont rares dans le monde ; c’est par eux que se fait l’ascension de l’humanité ; ils sont, au point <le vue moral et religieux, le levain qui fait fermenter la masse lourde et froide de leurs contemporains.
L’homme est aussi un être social qui doil beaucoup de son éducation et de son instruction à l’activité de ses semblables. Les progrès de l’humanité, les plus matériels comme ceux d’un ordre supérieur, ne s’obtiennent d’ordinaire que par l’union entre les hommes et leur subordination intellectuelle. C’est un trait de nature très général, que les uns communiquent aux autres ce qu’ils savent et qu’il est nécessaire ou utile de connaître : les parents le font vis-à-vis de leurs enfants, comme les maîtres à l’égard de leurs élèves, et ceux qui sont riches en expériences de tout ordre par rapport à ceux qui le sont moins. Puisque l’ordre surnaturel ne détruit pas l’ordre naturel, mais au contraire le perfectionne, il était normal que la révélation nous fût également communiquée par nos semblables. L’homme est ainsi appelé à coopérer à l’œuvre religieuse et à reconnaître qu’il demeure, en ce domaine plus qu’en tout autre, soumis à l’autorité de Dieu.
Sans doute la révélation aurait pu être faite à chaque individu. Dans cette hypothèse, qui n’a même pas le mérite de la vraisemblance, on se serait trouvé en face non d’une société religieuse, mais d’une multitude confuse de croyants. A part le lien de la même foi qui les aurait unis, chacun d’eux aurait été pour tout le reste indépendant. De telles conceptions pouvaient se produire à une époque où la philosophie considérait la société comme une juxtaposition d’hommes abstraits ayant tous, en théorie, mêmes facultés, mêmes besoins. L’école sociologique — rendons-lui cette justice — a définitivement exorcisé ces concepts créés par le rationalisme classique. Que la religion soit essentiellement chose sociale, c’est ce qu’elle met en pleine lumière, et de ce chef la voici qui s’accorde avec les théologiens les plus conservateurs ; cf. Ottiger, Theolog. fundamenl., t. i, p. 80-85 ; G. Wilmers, De religione revelata, p. 5256 ; Muncunill, Tract, de vera relig., p. 48-52 ; Garrigou-Lagrange, De revelatione, t. i, p. 332-336.
La révélation médiate, plus que celle qui est faite directement, laisse à l’homme une plus grande latitude pour donner ou refuser son adhésion ; elle lui fournit ainsi une occasion d’exercer les vertus d’humilité et d’obéissance, à l’égard de ceux qui lui annoncent la vérité. La convenance de la révélation médiate avec la nature sociale de l’homme et les habitudes ordinaires de la vie du progrès intellectuel de l’humanité milite donc fortement en faveur de la possibilité et met celle-ci hors de doute aussi bien que celle qui est faite immédiatement par Dieu.
III. La nécessité de la. révélation. —
Nous dirons : ce qu’il faut entendre par nécessité ; quelles sont au sujet du problème de la nécessité de la révélation les opinions hétérodoxes ; quelle est enfin la position catholique.
I. qu’est-ce que la NÉCESSITÉ ? —
Selon la doctrine aristotélicienne, est nécessaire ce qui ne peut pas ne pas être. Un moyen l’est, par rapport à une fin, quand il est exclusif et unique et que sans lui il est impossible d’atteindre la fin en question.
La nécessité est absolue ou hypothétique ; voir S. Thomas, Sum. theol., I a, q. lxxxii, a. 1. Elle est absolue si elle dérive des causes intrinsèques d’une chose : elle correspond alors à une impossibilité métaphysique ou mathématique. Il est nécessaire qu’un triangle soit composé de trois angles égaux à deux droits. La nécessité est hypothétique quand elle dépend des causes extrinsèques, à savoir de l’agent d’exécution ou de la fin poursuivie. Si elle est en dépendance du premier, il y a nécessité hypothétique de coaction, si elle l’est du second, la nécessité est stricte ou morale.
La nécessité hypothétique stricte qui est souvent appelée par certains auteurs nécessité physique, correspond à une impossibilité physique. La nourriture est une chose absolument nécessaire, car sans elle l’être ne peut vivre. La vue est incapable de percevoir un objel sans l’intermédiaire nécessaire de la lumière. Si un moyen ne présente qu’une très grande utilité pour l’obtention d’une fin et pare à une impuissance morale, qui n’est rien d’autre qu’un grand obstacle, de fait insurmontable dans les conditions ordinaires de la vie, on parle de nécessité morale.
Bien que des auteurs s’en tiennent là, il est bon de distinguer encore. Un moyen est moralement nécessaire au sens strict, quand les difficultés externes ou internes qui s’opposent à ce qu’une fin soit atteinte sont telles qu’aucun homme n’y parvient jamais, bien qu’il en possède les moyens physiques. Si, au contraire, les obstacles ne sont pas trop grands et que quelques-uns au moins, ne serait-ce qu’une minorité, arrivent à les surmonter, il n’y a plus que nécessité morale au sens large. Dieckmann, De revelatione christiana traclatus philosophico-historici, n. 318 ; Ottiger, Theologia fundamentalis, t. i, p. 92.
Après l’exposé de ces notions préliminaires, il est plus facile d’aborder l’étude du nouveau problème : la révélation, qui est possible, est-elle nécessaire ? A cette question les réponses sont diverses. Celle des rationalistes est négative : cette attitude est conforme à leur conception sur la possibilité. D’autres répondent affirmativement, mais parfois en exagérant, c’est le cas des immanentistes qui en font une exigence de la nature et des fidéistes traditionalistes, qui diminuent à l’excès la capacité intellectuelle de l’homme. La doctrine catholique est beaucoup plus nuancée.
II. LES OPINIONS HETERODOXES. —
1° Les partisans de l’immanence. —
L’encyclique Pascendi dominici gregis, du 18 septembre 1907, fait à certains partisans de la méthode d’immanence le reproche de paraître admettre dans la nature humaine non seulement une capacité et une convenance à l’ordre surnaturel, mais une véritable exigence de celui-ci.
Ce faisant, les immanentistes accordent trop, dit l’encyclique, à l’indigence de la nature humaine : Hic autem queri vehementer nos ilernm opurlet, non desiderari e catholicis hominibus, qui quamvis immanentiæ doctrinam ut doctrinam rejiciunt, eu tamen pro apologesi utuntur, idque adeo incauti faciunt, ut in natura Illumina non capacilatem solum et convenientiam videuntur admittere ad ordinem supernaturalem, quod quidem apologetie catholici opportunis adhibilis temperationibas demonstrarunt semper, sed germanam verique nominis exigentiam. Denz-Bannw., n. 2108. Voir aussi les propositions 7 et 8 condamnées le 1er décembre 1924 par le Saint-Office, prop. 7 : Non possumus adipisci ullam veritatem proprii nominis quin admittamus existentiam Dei, immo et revelationem ; prop. 8 : Valor quem habere possunt hujusmodi argumenta (logica, pro existentia Dei, credibilitate religionis christianœ) non provenit ex eorum evidentia seu vi dialectica sed ex exigentiis subjectivis vitæ vel actionis, quie ut recle evolvantur sibique cohæreant, his veritalibus indigent. Semaine religieuse de Quimper, 27 février 1925.
2° Les fidéistes et traditionalistes.—
Leur erreur, chronologiquement antérieure à celle des partisans de l’immanence, ne retiendra pas davantage notre attention, mais nous acheminera à la thèse catholique. Les partisans du fidéisme, tels que Lamennais, Bautain et Bonnetty, prétendent, avec plus ou moins de nuances et réserves, que, sans la foi divine, la raison est incapable d’avoir une certitude sur l’existence de Dieu et les vérités religieuses d’ordre naturel. Cf. A. Vacant, Études sur le concile du Vatican, t. i, p. 139 sq. Les fidéistes ont été appelés traditionalistes, parce que, d’après eux, la révélation primitive a été transmise à divers peuples et conservée par la tradition.
Bautain dut reconnaître les capacités de la raison et souscrire, le 8 septembre 1810, aux propositions qui condamnaient le fidéisme : Ratiocinatio potest cum certitudine probare existentiam Dei et infinitatem perfeclionum ejus. Filles, donum en-leste, posterior est revelatione ; hinc non potest allegari contra atheum ad probandam Dei existentiam. Denz.-Bannw., n. 1022 sq.
Par un décret de la S. C. de l’Index, en date du Il juin 1855, le traditionalisme de Bonnetty fut également réprouvé. De ce document nous ne retiendrons que ce texte positif : Rationis usus fidem preecedit et ad eam ope revelationis et gratise conducit. Denz.-Bannw., n. 1651.
Sous une forme plus mitigée, le fidéisme enseigne que l’homme n’est pas à même de parvenir à une connaissance certaine de Dieu par la raison, sans le secours de l’idée de Dieu, qui existe dans la société humaine et sans la réception de la foi, au moins humaine, (irandcrath, Constitutiones dogmaticæ s. œcum. concilii Vaticani, Fribourg, 1892, p. 37. La révélation parait ici être estimée comme un complément nécessaire de la raison, et c’est ainsi que quelques auteurs qui ont partagé cette opinion en sont venus à confondre les ordres naturel et surnaturel. Granderath, ibid., p. 30. Voir pour plus de détails l’art. Foi, vi, t. vi, col. 171-236.
III. LA POSITION CATHOLIQUE. —
Le traditionalisme a été condamné par le concile du Vatican. Celui-ci enseigne, en effet, que la raison humaine, considérée en général et même dans l’état de déchéance auquel l’a réduite le péché, peut certainement connaître Dieu : Deum… naturali humaine rationis lumine a rébus creatis certo eognosci posse ; « invisibilia enim ipsius, a « creatura mundi, per ea quæ facta sunt, ùitellecta, conspitciuntur » (Rom., i, 20) ; attamen placuisse ejus sapientise et bonitati, alia eaque supernaturali via se ipsum ac eeterna voluntatis suæ décréta humano generi revelare… Sess. m. De fuie. Denz.-Bannw., n. 1785.
En second lieu, il détermine quelle est la nécessité de la révélation dans la connaissance des vérités religieuses d’ordre naturel : Huic divins revelationi tribuendum quidem est, ut ea quæ in rébus divinis luimanarationi per se impervia non sunt, in præsenti quoque generis liumani conditione ab omnibus expedite, firma certitudine et nullo admixto errore eognosci possinl. Non bac tamen de causa revelatio absolute necessaria dicenda est, sed (plia Deus ex in/inita bonitate sua ordùiavit hominem ad jinem supernaturalem, ad participanda scilicet bona divina, quæ humante mentis intelligentiam omnino superant… Denz.-Bannw., n. 1786.
Étant supposé et admis que Dieu veut l’élévation de l’homme à l’état surnaturel, la révélation des mystères et des vérités ou préceptes moraux de cet ordre est hypothétiquement, mais strictement nécessaire. Laissé, en effet, aux propres lumières de sa raison, l’homme est incapable d’atteindre ce qui le dépasse. C’est pourquoi la révélation est indispensable pour lui faire connaître non seulement qu’il existe un ordre surnaturel et qu’il est lui-même destiné à y être élevé, mais aussi que tels moyens déterminés lui permettront d’atteindre librement et avec certitude la nouvelle fin proposée à son activité. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. i, a. 1} II a -Ilæ, q. ii, a. 3.
La révélation des mystères et des vérités d’ordre surnaturel est donc hypothétiquement mais strictement nécessaire. Celle des vérités religieuses d’ordre naturel, du fait que celles-ci sont accessibles à la raison humaine, ne saurait être de nécessité physique. Elle est seulement nécessaire moralement et encore dans un sens assez large. Nous l’établirons par la preuve philosophique et par la démonstration historique.
1° Preuve philosophique.
Bien des obstacles s’opposent, en fait, à ce que le genre humain parvienne à connaître l’ensemble des vérités religieuses et les préceptes moraux d’ordre naturel ; tout au moins ces obstacles en retardent-ils l’acquisition. Celle-ci pour être convenable, exige, à coup sûr, du temps et du loisir, des. études approfondies et un talent suffisant. S. Thomas, Sum. theol., l a, q. i, a. 1 ; IIa-IIæ, q. ii, a. 4, qui apporte un développement au premier texte ; De veritate, q. xiv, a. 10 ; Cont. (jent., I. I, c. iv ; voir aussi Suarez, De gratta, 1. 1, c. i, n. 9. Se reporter aussi à l’article Religion, ci-dessus, col. 2288 sq.
Sans doute l’homme, puisqu’il a la connaissance naturelle des premiers principes (S. Thomas, Cont. (/eut., t. II, c. lxxxiii ; I », q. cxvii, a. 1 ; De veritate, q. xi, a. 1), peut arriver, dans la théorie, à acquérir par le raisonnement un certain nombre de données religieuses sur l’existence d’une cause première et d’un suprême législateur (I a -H æ, q. xciv, a. 2, primum principium rationis practicæ : bonum est faciendum, malum vitandum) ; il peut arriver à des certitudes sur le libre arbitre et même sur l’immortalité de l’âme (intellcetus differt a sensu prout apprehendit esse, non solum sub hic. et non, sed esse absoluic et secundum omne tempus. Unde omne habens intcllectum naturaliter desiderat esse semper, I », q. lxxv, a. fi), sans d’ailleurs connaître les conditions de la vie future. Mais ceci est le fait d’une minorité, car peu d’hommes ont des dispositions pour le savoir ; d’autres sont retenus par les obligations de la vie privée familiale ou sociale et manquent de temps pour réfléchir.
Par ailleurs, la profondeur de ces vérités, qui exige une longue préparation et l’acquisition de nombreuses notions, suppose chez l’homme un effort sérieux et persévérant que la paresse vient souvent entraver. Il faut tenir compte aussi, ajoute saint Thomas, du temps de la jeunesse pendant lequel l’âme est en butte aux luttes violentes des passions et préfère s’abstenir de la discussion des problèmes ardus.
Enfin, l’intelligence humaine, incapable de surmonter tous les préjugés extérieurs et les troubles qu’ils apportent dans l’imagination, risque facilement de mêler l’erreur à ses jugements. Bien des questions restent sans solution nette, ou bien la réponse qui leur est faite n’atteint pas à la certitude requise en ces matières de première importance : Homo discursu suo naturali pauca cognoscit evidenter et quarn plurima probabiliter seu verisimiliter, et rc.gulariter per solatn rationem probabilem et auctoritatem humunam profert definitum judicium ; ergo laie judicium est expositum de se falsitati, ergo naturaliter fteri non potest, quin in ttmttt multitudine judic.iorum non s : rpe errel, nisi superiori auxilio custodiatur, maxime quia swpe /al sa sunt probabiliora veris. Suarez, De gratia, I. I, c. i, n. 9.
Pour toutes ces raisons, la connaissance des vérités religieuses d’ordre naturel est difficile, Certains individus y atteignent, mais pratiquement elle ne peut pas être acquise par l’ensemble dcl’luimanité. Par ailleurs, comme aucune discipline d’ordre naturel ne permet d’y parer, cette imposibilité de fait où se trouve le genre humain de parvenir à une connaissance d’ensemble, postule comme moralement nécessaire l’intervention d’un moyen supérieur. Sans doute en quelques catégories d’individus tels que les enfants, les faibles d’esprit, les fous, il y a une véritable impossibilité physique, transitoire ou définitive, mais ceux-ci ne constituent qu’une minorité, un accident par rapport à l’humanité entière, insullisanle pour dire que la révélation est physiquement nécessaire. Le schème primitif de la constitution Dti Filins du Vatican marquait rie la manière qui suit la nécessité morale de la révélation :
Per se possunt ex naturali quoque Del manifestatione cognosci. At tamen pro génère liumano in prresenti conditione ad lias veritate* debtto tempoi-e. sullicienti c-.laritate et plena certttudine, sine admixtione errorum assequendas, eæ sunt difficultates, ut potentia plivsica generatim non perdurai ur ad ac.tuui sine spécial ! adjutorio. DifQcultates iia comparâtes constituunt Impotentlam moralem cul respondet inoialis nécessitas adjutorll. Hoc autem adjutorium spéciale in commun) providentla proeæntia onlinis natura ; élevais consistil in Ipsa supernaturall revelatlone. Ergo hœc nxciatio tpioad Qlas quoque verltatei per se rationales in præsenti ordine censeri dehet humano geneii moralité ! necessaria… Videlicet per ipsam revelationem tollitur moralis Impotentia atque adeo redditur luimano geneii cognitio moraliter possibilis, Coll. Laçons., t. vii, col. 524.
Dieu, dans sa toute-puissance, était à même d’aider l’homme de bien des manières. Il aurait pu éclairer et fortifier chaque intelligence en particulier, ou susciter quelques hommes de génie qui auraient été les maîtres de leurs semblables. En fait, voulant que le genre humain, dans son ensemble, parvînt à une connaissance certaine, facile et large, des vérités religieuses et morales, il a librement choisi la révélation. C’est pourquoi celle-ci est moralement nécessaire, au sens large ; selon la terminologie thomiste, elle n’est qu’hypothétique, c’est-à-dire qu’elle est conditionnelle, vu qu’elle dépend entièrement de la volonté de Dieu. Sans doute dans l’état de nature pure il est dû à l’homme qu’il ait tous les moyens pour parvenir à sa fin dernière naturelle. Mais dans la situation actuelle du genre humain, à cause de l’influence du péché originel, ceci n’apparaît plus aussi clairement. Chr. Pesch, Prsel., t. i, n. 174177 ; Garrigou-Lagrange, De revelalione, cf. S. Thomas, De veritate, q. xviii, a. 2. Sur ce point le schème du concile du Vatican est également suggestif :
l’A quo tamen non sequitur… in statu naturse purse tulurum fuisse ut liomines revelatione indiguissent, etiamsi eorum vires naturales non superassent nostras. Alia enim [uisset providentia ordinis natura ; pur » - qua non quidem rcvelatio exstitisset, sed alia tamen subsidia oblata essent, quibus cognitio rcrum divinarum etiam moraliter esset possibilis. lbid.
2° Démonstration par l’histoire.
1. Les faits. —
Toutes les difficultés rapportées dans l’énoncé de la preuve philosophique se concrétisent dans les faits. Ceux-ci d’abord montrent d’une manière tangible les obstacles pratiques rencontrés par les hommes dans l’acquisition des vérités religieuses et des préceptes moraux d’ordre naturel, ils montrent dès lors la nécessité morale, au moins au sens large, de la révélation divine. Loin d’attester le progrès régulier et continu des idées religieuses, l’histoire nous fait assister, sur trop de points, à de pénibles régressions qui font évoluer celles-ci du bien au médiocre et au mal. Cette dégénérescence pourrait presque être considérée comme une loi universelle qui se manifeste même chez les peuples dont la culture est la plus évoluée. La Grèce antique en oll’re un exemple marquant. Elle l’emportait certainement sur les autres par la puissance de la science et des arts ; or, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, la culture hellénique fut fort en défaut dans le domaine de la religion.
Nous n’entendons pas discuter ici la question, déjà soulevée à l’art. Religion, de savoir si les peuples dits « primitifs » ont eu, en fait de religion, des concepts supérieurs à ceux qui se rencontrent en des civilisations plus évoluées. L’exemple de ce que l’on a nommé le « miracle grec » montre assez que le genre humain, même lorsqu’il s’applique avec intérêt et grand soin aux ques t ions cultuelles, est incapable de parvenir à une connaissance suffisante. Les écrits, les œuvres d’art, les travaux de la vie quotidienne, privée, familiale et sociale, permettent de se rendre compte des erreurs profondes dans lesquelles sont tombés les peuples qui vivaient de cette civilisation grecque, admirable par tant de traits, il en est de même des autres cultures antiques moins développées. Sans entrer dans le détail, il importe cependant de faire quelques constatations qui marquent l’indigence de la raison humaine.
Les ailleurs sacrés ont eux-mêmes déjà insisté sur Les divagations religieuses de l’esprit humain. Au ii c siècle avant le Christ, l’auteur de la Sagesse insiste en particulier sur certaines erreurs. Sa])., xm-xiv. Les Romains rendent des hommages aux forces de la nature, les Égyptiens, aux animaux, les Perses et plus tard les Romains, aux astres. Les œuvres humaines, les figures des animaux et même les pierres sont divinisées et reçoivent parfois un culte véritable. On passe ainsi du fétichisme à l’idolâtrie proprement dite. L’homme lui-même est élevé aux honneurs divins ou quasi divins. De fait, on vénère les mânes ou les lares et les génies (il est difficile de dire si l’on voyait en eux une entité divine ou simplement surhumaine, distincte de l’homtnj). Ce culte servit de moyen intermédiaire pour introduire celui des héros et des princes, dans le monde gréco-oriental, en Syrie, en Asie Mineure, en Egypte et finalement par une progression logique celui des empereurs. Ce dernier était déjà en plein développement dans l’empire au moment du règne d’Auguste. Les notions intellectuelles sur la divinité sont donc honteusemînt déformées. Par ailleurs, on attribue souvent aux dieux les plus grandes turpitudes et les crimes les plus abjects tout aussi bien que les bonnes actions. Thèim facile, déjà exploité par l’evhémérisme et que tous les apologistes du christianisme ont repris. Qu’il suffise de citer ici Arnobe, Adversus génies, t. IV, < :. xviii sq., P. L., t. v, col. 1037 sq. ; et saint Augustin en qui se résume cette apologétique un peu trop simpliste. Voir en particulier De civ. Dei, t. VI, c. ix, P. L., t. xli, col. 187.
La dépravation religieuse se marque encore plus dans les mystères. C’étaient des rites sacrés qui, pratiqués avec des formules et des symboles sous le sceau du secret et du silence, permettaient l’entrée dans les collèges d’initiés. Ceux-ci recevaient la promesse de biens religieux, comme la libération du péché et l’espérance d’une autre vie. Les mystères étaient répandus en Syrie (Atargatis-Astarté, Adonis-Hadad), en Egypte (Isis-Sérapis), en Phrygie (Cybèle-Attis) et en Thrace (Dionysos, Zagreus, Bacchus). Les plus célèbres, encore qu’ils fussent locaux, étaient ceux que l’on célébrait à Eleusis. Le culte de Mithra, au iiie siècle, envahit l’empire et surtout l’année romaine, mais il est déjà modéré par son syncrétisme. Par l’adaptation et l’assimilation des diverses formes religieuses, d’origine et de caractère variés, le mithriacisms en arrive à un concept vague et confus de Dieu, amalgame de panthéisme, de polythéisme et de monothéisme. Sur ces Teligions de mystères, voir ci-dessus, col. 2301, et pour la bibliographie, col. 2306.
Les cérémonies enfin de beaucoup de ces cultes étaient bien souvent scélérates et indignes de Dieu, puisque les sacrifices humains n’y étaient pas interdits, même chez les Romains. Parfois aussi elles donnaient lieu à de véritables scènes de luxure et de prostitution. L’astrologie et la magie s’y donnaient libre cours.
L’auteur de la Sagesse brosse un tableau saisissant de ces immoralités. « Célébrant des cérémonies homicides de leurs enfants ou des mystères clandestins, et se livrant aux débauches effrénées de rites étranges, ils n’ont plus gardé de pudeur ni dans leur vie, ni dans leurs mariages. C’est partout un mélange de sang et de meurtre… de corruption et d’infidélité, de souillure des amas, de crime contre nature… » Sap., xiv, 23-27.
Les erreurs morales sont en corrélation avec celles qui viennent d’être rappelées. Le travail manuel est méprisé et réservé aux esclaves dont la condition est souvent pitoyable. Le vice s’étale avec facilité et largement. Le suicide est considéré comme un acte de courage, propre à ceux qui font partie de l’élite de la société. Des philosophes permettent le concubinage et l’exposition des enfants, quand ils ne sont pas bien conformés ; s’ils condamnent l’ivrognerie, ils la tolèrent aux solennités de Bacchus. Aristote admet dans les temples des peintures immorales sur les dieux et ne compte pas la fornication parmi les vices. Le péché contre nature est si commun qu’il ne révolte pas. S’il est condamné par la « diatribe » cynique, celle-ci ne laisse pas d’autoriser, même en public, les vices les plus répugnants.
Saint Paul, dans l’épître aux Romains, insiste sur la méconnaissance coupable du vrai Dieu et en signale les funestes conséquences : « Aussi Dieu les a-t-il livrés (les gentils), au milieu des convoitises de leurs cœurs, à l’impureté, en sorte qu’ils déshonorent entre eux leurs propres corps… C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions d’ignominie : leurs femmes ont changé l’usage naturel en celui qui est contre nature, de même aussi les hommes, au lieu d’user de la femme, selon l’ordre de la nature, ont dans leurs désirs brûlé les uns poulies autres, ayant hommes avec hommes un commerce infâme… » Saint Paul continue longuement l’énumération des désastres d’ordre moral qui proviennent de la méconnaissance de Dieu. Rom., i, 21 sq.
Les erreurs sur les vérités religieuses intellectuelles et morales dont on vient de lire une brève esquisse, peuvent-elles être humainement redressées ou par des hommes de génie ou par l’action des collectivités publiques.
2. Les remèdes. —
a) L’action des particuliers. —
Il ne semble pas que cette action ait eu quelque efficacité. S’il se rencontre à divers moments, soit dans l’Inde avec le bouddha, soit dans la civilisation grecque primitive, avec l’orphisme, soit en Perse, avec Zoroastre, soit dans le monde gréco-romain à l’époque des Sévères, de vraies tentatives de réforme religieuse, ces efforts demeurèrent sans grand résultat, à cause des obstacles beaucoup plus forts qui s’opposaient à leur épanouissement. D’autre part les prêtres et les philosophes de l’antiquité les plus illustres par leur génie et leur autorité ne pouvaient pas et ne voulaient pas remédier à la situation de dépravation générale.
Ce leur était impossible parce qu’il leur manquait la science suffisante de toutes les vérités religieuses naturelles et qu’ils tombaient parfois eux-mêmes dans les erreurs pratiques les plus graves. Cf. S. Augustin, De civ. Dei, t. XVIII, c. xli, P. L., t. xli, col. 001. Par ailleurs, si quelques-uns sont parvenus à découvrir le monothéisme, aucune école, dans son ensemble, n’a enseigné un monothéisme pratique, religieux.
Les systèmes philosophiques qui ont propagé les idées les plus élevées et les plus parfaites, comme le stoïcisme et le néoplatonisme, ont eux-mêmes subi, au cours des temps, l’influence des religions à mystères et ont abouti à des synthèses mystico-philosophiques. Impuissants à vaincre les difficultés qui s’opposaient à la conservation des conceptions religieuses qu’ils avaient élaborées, comment auraient-ils pu guider les hommes et permettre à ceux-ci de redresser leurs erreurs ?
Ceci apparaît encore davantage quand on songe aux désaccords qui existaient entre les philosophes sur les points capitaux, et à leur passion de discuter de tout sur la place publique, sans arguments capables d’être saisis rapidement par la foule. Même s’ils se trouvaient du même avis, le désaccord de leur vie avec leur doctrine ruinait leur crédit et leur autorité. Lactance, Instit. divinæ t. III, c. xvi, P. L., t. vi, col. 395 ; S. Augustin, De civ. Dei, t. XVIII, c. xi.i. P. L.. t. xli, col. 601.
Même s’ils l’avaient pu, ils n’auraient pas voulu enseigner aux autres. Les prêtres païens, en bien des pays, avaient des doctrines secrètes qu’ils ne révélaient jamais aux profanes et imparfaitement aux seuls initiés. Souvent même les philosophes haïssaient la foule et se contentaient de quelques disciples, estimant que le peuple devait rester dans l’ignorance. Cicéron n’écrivait-il pas : Est enim philosophia paueis contenta judicibus, multitudinem consulta ipsa fugiens, eique ipsi et suspecta et invisa. TuscuL, 1. II. c. i. A quoi fait écho, avec peut-être un scepticisme plus souriant, le poète Horace qui se montre plus catégorique encore lorsqu’il écrit : Odi profanum vulgus et areco (Odes, III, i). Le prosélytisme n’était donc pas la préoccupation des esprits cultivés. Quand ceux-ci s’occupaient des conceptions religieuses de leurs contemporains, c’était le plus souvent pour eux une occasion de marquer leur respect pour les erreurs ou en tenter une adaptation, conforme à leur philosophie. Sur ces divers points voir G. Boissier, La religion romaine d’Auguste aux Antonins, Paris, 5e édit., 1900 ; du même, La fin du paganisme, 3e édit., Paris, 1898 ; F. Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain, Paris, 1906 ; Martha, Les moralistes sous l’empire romain, Paris, 1900 ; Jacquier, Les mystères païens et saint Paul, dans le Diction, apol., t. iii, 1916, col. 964-1014 ; Pinard, L’étude comparée des religions, Paris, 1922 ; Génie t et Boulanger, Le génie grec dans la religion, Paris, 1932 ; S. "Wilde et Nilsson, Griechische und rômisclw Religion, Berlin, 1932 ; Allevi Lingi, Ellenismoe cristianesimo, Milan, 1934, etc.
b) L’influence des collectivités publiques s’exerçait dans le même sens. Les religions populaires ne pouvaient pas redresser la situation ambiante puisqu’elles aussi étaient corrompues. Il en était de même du pouvoir public.
En effet, le lien qui existait alors entre les idées religieuses et les pouvoirs établis était si intime qu’il était impossible que ceux-ci détruisissent les erreurs intellectuelles et morales dont celles-là étaient infectées. Étant donné que, dans l’empire romain par exemple, la religion était considérée comme une partie des fonctions civiques, quiconque ne reconnaissait pas les dieux de la patrie était compté au nombre des athées. Ce reproche, souvent adressé aux premiers chrétiens, fut le motif de bien des persécutions.
En présence de ces faits qui manifestent la dégénérescence religieuse et l’incapacité humaine d’y remédier on comprend mieux pourquoi Pie IX a réprouvé, dans le Sijllabus les propositions 3 et 4, qui donnaient un rôle trop avantageux à la raison humaine : Humana ratio, nullo prorsus Dei respeetu habito, unicus est veri et falsi, boni et mali arbiter, sibi ipsi est lex et naturalibus suis viribus ad liominum ac populorum bonum curandum sufficit. — Omnes religionis veritates ex nativa humante rationis vi dérivant, lune ratio est princeps norma, qua homo cognitionem omnium cujuscumque generis verilatum assequi possit atque debeat. Denz.-Bannw. , n. 1703-1704.
Les faits rapportés prouvent aussi que l’homme a le désir de connaître les rapports qui le relient à Dieu (Cont. gent., t. I, [c. iv) et qu’il a sans doute la possibilité physique d’en découvrir quelques-uns, mais l’ensemble des hommes est impuissant à parvenir par ses propres forces à une connaissance convenable et totale des vérités d’ordre naturel, requises pour mener une vie religieuse vraiment digne, et même à conserver ce qui a été acquis antérieurement par les lumières rationnelles. Développement dans Chr. Pesch, Preclect., t. ii, n. 21 sq. ; t. i, n. 173.
Granderath a essaye de dresser un tableau de ces vérités. Les unes offrent à la volonté des mol ifs d’action, c’est la connaissance de Dieu et de l’Immortalité de l’âme ; les autres constituent les nonnes générales de la vie morale de l’homme. Au nombre de ces vérités, il faut compter la défense de l’homicide sous tontes ses formes (homicide, suicide, duel, avortement, sacrifices humains), et quelles que soient les raisons qui seraient mises en avanl pour le mol i er ; la prohibition de la luxure (prostitution Sacrée, violation et abus du mariage) de manière à assurer le respect du corps ; l’interdiction du parjure et enfin le respect du droit de propriété et de l’autorité familiale et sociale.
Si, malgré les cvccpl ions, le plus grand nombre des hommes ne COnnatl pas ces vérités (l’une manière suffisant ment claire, il n’y a plus de vie possible. Voir Th. Granderath, Die Nolwendigkcit der Offenbarung, dans Zeitschrift fur katholische Théologie, t. vi, 1882, p. 283-318.
Ce fait universel, résultant des circonstances au milieu desquelles le genre humain évolue, postule un secours divin. La révélation en laquelle il s’est réalisé est donc, au sens large, moralement nécessaire, selon l’acception que nous avons établie dans l’exposé de la preuve philosophique.
Actuellement, les erreurs religieuses et morales persistent. Les schismes, les hérésies, etc., qui ont surgi depuis le début du christianisme sont sans nombre. C’est vrai. Mais d’abord ces dissidences chrétiennes conservent à des degrés divers les vérités révélées, et celles-ci deviennent pour elles un principe de vie religieuse. D’autre part, ce manque relatif d’efficacité n’est pas un argument contre la nécessité morale de la révélation. Dieu, en effet, ne violente pas la créature. Du fait que la libre coopération de l’homme est requise pour prendre connaissance des vérités et pour mettre en pratique les devoirs religieux, les erreurs et les écarts moraux ne peuvent pas être évités. Chr. Pesch, Pru’Iectioncs, t. i, n. 173, 175 ; Dorsch, De religione revelata, p. 351-357.
La révélation publique, qui est la communication immédiate ou médiate de l’esprit divin aux hommes est donc non seulement possible, quelle que soit la nature de l’objet dévoilé, mais encore moralement nécessaire pour les vérités religieuses d’ordre naturel.
IV. Le fait de la révélation. Sa transmission. —
Jusqu’à présent, nous sommes demeurés dans le domaine de l’abstraction. Nous avons, du moins en apparence, déduit des concepts les uns des autres. Ayant posé dans l’abstrait le concept de révélation, nous avons montré que cette intervention divine dans la conduite de l’humanité n’était pas une chimère irréalisable, que tout au contraire la postulait.
Mais au fond cette démonstration qui semblait se dérouler sur le plan de l’abstraction était, dès à l’avance, orientée par la constatation de faits, qui, pour être laissés dans l’ombre, n’en dirigeaient pas moins toute la suite de l’argumentation. Dans la réalité de l’histoire, plusieurs des grandes religions connues et qui, aujourd’hui encore, encadrent une bonne partie de l’humanité se donnent pour des religions révélées. Cf. l’art. Religion, col. 2293 sq. Le fait est particulièrement clair pour trois religions, de type nettement monothéiste et d’ailleurs apparentées : le judaïsme se réclame de la révélation faite à Moïse et continuée par les prophètes ; le christianisme est en dépendance totale du message divin transmis par Jésus-Christ ; l’islamisme se donne, quoi qu’il en soit de ses origines réelles, comme la révélation faite à Mahomet d’une religion nouvelle qui tranche, par tous ses caractères, sur le milieu polythéiste au sein duquel elle se manifeste.
Le rôle de la « démonstration chrétienne » est de mettre en lumière la « transcendance » de la révélation judéo-chrétienne, d’établir que la révélation faite à Moïse et aux prophètes était vraiment divine ; mais qu’elle n’était pourtant qu’une préparation, qu’elle ne prend tout son sens que par l’achèvement que lui donne la révélation faite par Jésus. En ce dernier éclatent tous les traits du messager divin, officiellement chargé par le Père céleste de donner à l’humanité la mesure de lumière dont elle a besoin. Quant à l’Islam — quoi qu’il en soit de la sincérité de son fondateur — il apparaît comme un démarquage, assez enfantin d’ailleurs, du christianisme et du judaïsme, avec une prépondérance marquée des cléments juifs. Son origine divine ne saurait laite question.
Reste donc que, des grandes religions monothéistes qui se donnent pour révélées, le seul christianisme est en mesure, à l’heure présente, de justifier ses tilres à la créance de l’humanité. Le message de Jésus a été, de fait, la révélation totale de la vérité religieuse accordée par Dieu aux hommes. Quelle qu’ait été la part, dans l’établissement du christianisme, des premiers apôtres, compagnons du Christ, ou de Paul, appelé par une vocation extraordinaire à l’apostolat, c’est au Christ néanmoins qu’il faut rapporter tout l’essentiel de la révélation dont vivent encore aujourd’hui tous les chrétiens.
Nous n’avons pas à instituer une démonstration en règle de tout ceci. Cette démonstration, qui est surtout d’ordre historique, est faite à divers articles de ce dictionnaire.
Il nous reste pour achever l’étude théorique de la révélation à étudier le moyen par lequel le message du Christ atteint chacune des âmes qui se réclament de lui. L’enseignement du Christ et des premiers confidents de sa pensée se trouve consigné en des livres qui constituent la Bible, Ancien et Nouveau Testament, la première partie préparant la seconde. Ainsi la religion chrétienne, tout comme le judaïsme, tout comme l’Islam, est une » religion de livre ». Sutlit-il au fidèle qui se réclame du Christ de se mettre directement en contact avec cette Écriture pour y trouver la révélation, le message transmis au monde par le Seigneur ? Cette Écriture contient-elle le message intégral du Christ, en sorte que la transmission de la « révélation chrétienne » se ferait exclusivement par elle’? C’est ce qu’il nous reste à voir. Nous montrerons que l’Écriture est insuffisante à transmettre le dépôt révélé apporté p ir le Christ, qu’il faut à côté d’elle un magistère vivant, capable non seulement de transmettre, mais de taire fructifier le dépôt révélé.
I. INSUFFISANCE DE L’ÉCRITURE SAINTE A TRANSMETTRE TOUTE LA VÉRITÉ RÉVÉLÉE. —
La Bible est une source extrêmement importante de la révélation, et il ne faudrait pas, sous prétexte d’éviter l’excès des « réformateurs », tomber dans l’excès inverse et faire fi de la sainte Écriture..Mais le rôle de la Bible est limité et elle ne saurait se suffire absolument à elle-même. Elle n’enseigne pas d’une manière complète ce qu’est l’inspiration, ni ce à quoi elle s’étend. Elle n’indique pas non plus quels sont les livres sacrés et se trouve dans l’impossibilité de fixer le « canon ». Sans doute parmi les livres de l’Ancien Testament, les protestants pourront considérer comme inspirés ceux qui ont été déclarés tels par le Christ ou ses apôtres et ils sont un certain nombre. Mais pour ceux de la Nouvelle Alliance, il n’y a plus de critère, si ce n’est les indications variables de la conscience individuelle. Et c’est pourquoi les essais réitérés tentés par les auteurs non catholiques pour établir le canon des Écritures n’ont abouti jusqu’à présent qu’à des résultats incohérents. Auraient-ils même établi un canon complet, il faudrait bien reconnaître qu’il n’est pas donné à tout le monde de lire et surtout de comprendre la Bible. vu les nombreuses difficultés d’ordre linguistique et autres qu’elle présente, même pour les savants, à plus forte raison pour les esprits qui ne sont pas cultivés.
Les livres saints, en effet, ont été composés en hébreu ou en grec, langues mortes depuis longtemps. Rares sont ceux qui les entendent toutes les deux. Dès lors, quiconque prend la Bible pour règle de foi doit s’assurer de la qualité de la version qu’il utilise. Les difficultés augmentent et sont pratiquement insurmontables quand il s’agit d’interpréter le texte biblique, qui est parfois bien obscur. La façon tout occasionnelle dont est exprimée la doctrine sur les mystères, les sacrements, la prédestination, la réprobation et tant d’autres points qui concernent la vie spirituelle, rend l’œuvre du commentateur plus ardue encore, car il doit tenir compte et du contexte très général ou s’insèrent les paroles relatives à ces vérités et du texte lui-même où se multiplient idiotismes, figures, métaphores, allégories, hyperboles, etc. C’est là qu’est la cause des contradictions nombreuses qui se relèvent dans les œuvres des protestants, même sur les points capitaux.
Par ailleurs, entre la mort du Christ et la rédaction des livres du Nouveau Testament il s’est passé un temps assez prolongé, durant lequel les fidèles n’auraient pas eu de règle de foi. Le Christ lui-même n’a rien écrit, mais a instruit ses apôtres par la prédication. A ceux-ci il n’a pas ordonné d’écrire, mais d’enseigner d’abord et surtout ; les apôtres y furent fidèles. Ceux d’entre eux qui ont écrit l’ont fait par occasion, à cause de circonstances particulières, pour répondre à des questions posées, réprimer des.scandales ou apaiser des discordes. Aussi leurs livres ne sont-ils pas composés d’une façon didactique et n’exposent-ils pas toute la doctrine. Des (pestions très importantes y sont parfois omises ou laissées dans l’ombre..Mais ils y font des allusions fréquentes à l’enseignement qu’ils ont donné et qui est supposé connu par leurs destinataires, La I lible qui ignore tout de cet enseignement oral n’est donc pas une source complète.
Silencieuse, elle n’est pas apte non plus à dirimer les controverses par elle-même, pas plus qu’un code ne supprime la nécessité de juges chargés d’interpréter et d’appliquer les lois. Kn l’absence d’une autorité Vivante, il faut s’en remettre au libre examen ou à l’illumination intérieure par le Saint-Esprit. Recourir à une inspiration immédiate, qui serait accordée à chaque individu, c’est négliger toutes les règles objectives de l’herméneutique et livrer la révélation contenue dans l’Écriture a toutes les faiblesses de l’humaine raison. Les caprices d’une nature dépravée, 1rs rêveries d’une folle imagination sont si facilement
- on s i : l. ; ; s -.01111111’les manifestations de 1 instinct divin
en lequel ils doivent trouver leur justification. Nous savons que, sur les questions les plus importantes, telles que le baptême, la présence réelle dans l’eucharistie, le péché originel, la rédemption, etc., il règne parmi les protestants les dissensions les plus profondes. La Bible n’est donc pas une règle de foi certaine, accommodée à l’intelligence très diverse des hommes de tous les temps, capable de procurer la tranquillité intellectuelle et d’assurer d’une manière satisfaisante l’unité et la fermeté de la foi. Bien qu’elle soil un dépôt très riche de vérités dogmatiques et morales, elle est incomplète et n’est pas la source unique de la révélation.
C’est la raison pour laquelle saint Paul, écrivant à Timothée, lui recommandait avec tant de chaleur : « Conserve le souvenir fidèle des saines instructions que tu as reçues de moi sur la foi et la charité, qui est en Jésus Christ. Garde le bon dépôt, par le Saint-Esprit, qui habite en nous. > II’fini., 1, Kl, 1 1. Il ne lui dil pas de considérer la lettre qu’il lui envoie comme une partie de la parole divine et d’en donner d( s transcriptions à ceux qu’il aura à instruire. Il insiste au contraire, en ajoutant : « Et les enseignements que tu as reçus de moi. en présence de nombreux témoins, COnfie-les à des hommes sûrs, qui soient capables d’en instruire d’autres. » lbiii., 11, 2. Les saintes Écritures sont donc complétées par la tradition.
II. LA TRADITION POSTULE L’EXISTENCE D’UN MAGISTÈRE VIVANT
La tradition, au sens passif, est constituée par les vérités divines transmises par l’Église, tandis qu’au sens actif, elle est l’organe authentique institué par Dieu et chargé de propager le dépôt de la révélation. Tout en relevant cette distinction, les théologiens ne paraissent pas toujours s’en soucier ; ils emploient souvent le mot tradition dans un sens complexe, car celle qui est passive suppose l’active et vice versa. J.-Y. Bainvel, De magisterio vivo et tiaditione, p. 11.
La tradition passive se manifeste dans les monuments. Parla on entend les œuvres qui nous restent des siècles passés et qui tirent leur origine de la foi de l’Église antique et nous manifestent ses croyances. Ce sont les écrits, les choses, les mœurs, les institutions, les symboles ou professions de foi, les actes des conciles et des souverains pontifes, les livres liturgiques et pénitentiels, les actes des martyrs, les écrits des Pères, des auteurs catholiques et même, en un certain sens, des hérétiques ou des païens, les histoires ecclésiastiques, les monuments figures, etc.
Ces divers monuments, écrits ou figurés, n’ont pas Dieu pour auteur principal, et n’ont pas été ordonnés immédiatement par lui. Ils représentent le travail de l’homme et sont la conséquence naturelle de l’existence de la société visible qu’est l’Église, étant l’expression de sa doctrine et de sa morale, à des moments déterminés. Considérée comme superflue par Wiclef, cette source de la tradition a été rejetée par les protestants dans leurs différentes professions de foi. A rencontre, les conciles de Trente et du Vatican, reprenant à leur compte les anathèmes lancés par le IIe concile de Nicée contre les iconoclastes, qui se refusaient à admettre le culte des images, inconnu dans la sainte Écriture, et rejetaient ainsi la tradition, affirment que le dépôt révélé est contenu dans les livres écrits et dans les traditions non écrites conservées par l’Eglise et que ces deux sources ont droit à notre pieuse affection et sont dignes d’un égal respect. Comme la Bible, les documents de la tradition passive demeurent toujours soumis au jugement du magistère, ou de la tradition active. Sur tout ceci voir l’art. Tradition.
III. LE MAGISTÈRE EST CAPABLE DE TRANSMETTRE LE DÉPÔTS RÉVÉLÉ
Considérée, en effet, dans les vestiges de l’antiquité et des autres périodes de l’Église, la tradition passive est une chose morte ; elle exige un interprète pour expliquer les obscurités et porter un jugement sur les controverses qui s’élèvent bien souvent à leur occasion. Par ailleurs, contrairement à ce qui se passe pour les saintes Écritures, il peut se faire que les monuments du passé soient parfois entachés d’erreur, soit qu’ils proviennent de source hérétique, soit que les auteurs catholiques, malgré l’éminence de leur savoir et de leurs vertus, aient mêlé à la tradition sacrée des opinions purement humaines, fausses.
Pour discerner avec certitude le vrai du faux, et le divin de l’humain, la recherche scientifique, d’ailleurs très utile, voire nécessaire, pour décrire le progrès des dogmes et préparer les définitions solennelles de l’Église, est insuffisante, étant faillible comme tout jugement humain. Il faut un tribunal assisté de l’Esprit-Saint, qui puisse se prononcer définitivement. Ainsi donc, la tradition comme la sainte Écriture ne supprime pas, mais postule l’existence d’un magistère vivant et d’origine divine.
Le magistère ecclésiastique, chargé de conserver et de propager la révélation contenue dans la parole de Dieu écrite et dans la tradition, a été établi par le Christ. Il est hiérarchique, car il a été confié non à tous les fidèles, mais aux membres du collège apostolique et à leurs successeurs, le corps épiscopal. Il est monarchique, parce que les apôtres n’ont pas tous reçu les mômes droits et que saint Pierre a exercé sur eux, de par la volonté du Maître, un pouvoir prééminent, qui passe à ses successeurs, les papes.
Enfin, puisqu’il doit durer jusqu’à la fin des temps, le magistère hiérarchique et monarchique a la garantie de l’infaillibilité dans l’exercice ordinaire et extraordinaire de sa mission. Grâce à ce privilège, il est dans L’impossibilité de se tromper en ce qui concerne la foi et les mœurs, et se trouve ainsi capable non seulement de conserver mais de transmettre intégralement le dépôt de la révélation. Celui-ci à travers les âges, bien qu’il progresse, demeure cependant substantiellement le même. Sur le magistère de l’Église, voir l’art. Église, spécialement t. iv, col. 2175-2200.
IV. DÉVELOPPEMENT DU DÉPÔT RÉVÉLÉ. —
Ici ne sera donné qu’un rappel très sommaire des lignes fondamentales. Pour de plus amples détails, voir art. Dogme :, V, VI et VII en particulier, t. iv, col. 1574-1650.
1° Immutabilité du dépôt révélé. —
La révélation publique se termine avec les apôtres. Depuis lors elle est demeurée substantiellement la même et ne s’est pas transformée, car elle n’est pas passée d’un sens à un autre différent au gré des conceptions philosophiques. De même, il n’y a pas eu addition de croyances nouvelles, et il n’y en aura jamais. Toutes les vérités professées actuellement ont été crues au moins implicitement aux premiers âges de l’Église. Enfin aucune de celles qui ont fait partie de la croyance catholique ne s’est obscurcie, n’a disparu. Le dépôt révélé n’a donc pas diminué. Malgré son immutabilité, il progresse cependant.
2° Progrès du dépôt révélé. —
Il est extrinsèque ou intrinsèque. Le premier se fait par le travail des savants qui, en défendant les principes de la foi, en comparant et en établissant les connexions entre les différents mystères, parviennent à formuler des conclusions théologiques. Du fait qu’il se présente comme l’élaboration d’une science qui s’appuie sur des données révélées, le progrès exclusivement théologique est d’une certaine manière extrinsèque au dogme ; mais il est en relation très étroite avec celui d’ordre proprement dogmatique. L’un ne semble même pas pouvoir aller sans l’autre.
L’Église, qui rejette le transformisme aussi bien que le fixisme doctrinal, admet qu’il y a un développement du dépôt révélé. C’est une notion traditionnelle, reconnue par les Pères aussi bien que par les scolastiques. Le progrès dogmatique est substantiellement homogène et consiste dans l’explication de ce qui n’était jusqu’alors connu que d’une manière implicite ou moins explicite. Ceci a lieu quand un point de doctrine est défini en des formules plus adaptées, quand ce qui était formellement révélé et cru, mais d’une façon confuse, est cru dorénavant d’une manière distincte, quand une vérité révélée virtuellement est crue formellement et enfin quand ce qui n’a été dit que d’une manière indéterminée est précisé.
La définition du magistère ecclésiastique, solennelle ou au moins ordinaire, est une condition, qui n’est pas absolument mais moralement requise, pour qu’une vérité implicitement révélée puisse être explicitement crue de foi divine. Une telle définition est essentiellement exigée pour que cette même vérité soit crue de foi catholique et se présente comme un dogme proprement dit.
On trouvera ici une énumération alphabétique des principaux auteurs qui traitent de la révélation, La liste n’a aucune prétention à être exhaustive ; elle signale surtout les ouvrages cités au cours de l’article.
J.-V. Bainvel, De vera religione et apologetica, Paris, 1014 ; li. Hartmann, Lehrbuch der Dogmatik, Fribourg, 102 : S ; Jos. Haut/, Grundzùge der christlichen Apologetik, Mayence, 1863 ; Ant. Berlage, Apologetik der Kirche, oder B grûndung der Wcdvheii urul Gôltlichkeil des Christentums, .Munster, 1834 ; J.-B. Boone, Manuel de l’apologiste, Bruxelles, 18501851, 2 vol. ; Fr. Brenner, Sgslem der katholischen specula-Ui’. n Théologie, t. i, Fundamentierung der katholischen spéculation Théologie, Ratisbonne, 1837 ; E. de Broglic, Les fondements intellectuel* de lu fui chrétienne, Paris, 1905 ; !.. Brugére, De vera religione, Paris, 1878 ;.1. Brunsmann, Lehrbuch der Apologetik, 1. 1, licligion undOfl bar un g, Saint Gabriel-Vienne, 1024 ; de Bulsano, Insiitutiones theologim dogmaticee. 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N. Iung.
REVIVISCENCE. —
Le mot reviviscence
signifie par lui-même la propriété que possèdent certains
êtres, ayant présenté l’apparence de la mort, de
reprendre l’activité de la vie dans certaines conditions
déterminées. Analogiquement, le terme est employé en
théologie pour désigner la réapparition dans l’âme de
certains phénomènes de la vie spirituelle, alors que ces
phénomènes avaient paru tout d’abord éliminés. On
parle ainsi de reviviscence.
I. Des sacrements.
II. De
la grâce et des vertus (col. 12629).
III. Des mérites
(col. 2C34).
IV. Des péchés (col. 2014).
I. Reviviscence des sacrements. —
I. LE MOT ET LA CHOSE. —
Le mot reviviscence appliqué aux sacrements n’est peut-être pas très bien choisi. Ne peut « revivre » que ce qui a déjà vécu. Or, dans les cas où l’on parle de la reviviscence des sacrements, le sacrement n’a pas vécu, tout au moins sous l’aspect où on le dit revivre. Il serait plus exact de parler d’influence salutaire commençant â se faire sentir en raison de meilleures dispositions du sujet. Il faut, en effet, se rappeler que certains sacrements ne produisent pas nécessairement leur effet ou tout leur effet au moment même où ils sont appliqués. Le sujet qui les reçoit peut, â ce moment-là, présenter des dispositions suffisantes pour permettre l’application valide du sacrement, sans posséder encore les dispositions requises pour une application fructueuse. Voir Fiction dans les sacrements, IL Fiction de la pari du sujet, t. v, col. 2295. Mais si le sacrement, après l’instant où il est appliqué, laisse dans l’âme un effet permanent, qui de soi appelle la grâce, et si, en raison des dispositions imparfaites du sujet, la grâce n’est pas produite immédiatement, elle pourra néanmoins l’être ultérieurement, quand l’obstacle des dispositions imparfaites disparaîtra. L’elïet de la grâce est pour ainsi dire suspendu jusqu’au moment où le sujet présentera les dispositions requises.
Bien plus, les sacrements produisent une grâce qui leur est propre, la grâce sacramentelle. Si, d’après l’opinion qui semble la plus probable, la grâce sacramentelle ne fait qu’ajouter à la grâce sanctifiante une vigueur spéciale et une exigence de secours particuliers proportionnes aux fins de chaque sacrement, il faut admettre que la perte de la grâce entraîne, pour le chrétien, la perte de la grâce sacramentelle, tout au moins dans son essence même ; mais il faut admettre aussi que cette grâce renaît dans l’âme de nouveau justifiée et cela toujours en raison de l’elïet permanent laissé par le sacrement auquel elle correspond.
Dans ce dernier cas, le terme reviviscence serait employé avec plus d’exactitude. Mais les théologiens n’ont jamais envisagé le problème de la reviviscence de la grâce sacramentelle indépendamment du problème de la reviviscence du sacrement. Bien que ce ne soit pas la même chose — on vient de le voir — cependant le principe est le même : la permanence d’un effet sépa