Dictionnaire de théologie catholique/RUSSIE (Pensée religieuse) I. 5. L'invasion des Mongols et le synode de 1274

La bibliothèque libre.
Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané ( Tome 14.1 : ROSNY - SCHNEIDERp. 123-125).

(en russe : Sbornik matcrialov…) ; G. Soranzo, II Papalo, l’Europa cristiana c i Tartari, Milan, 1930, excellent ouvrage avec abondante bibliographie, on y trouvera aussi une littérature considérable sur le moine franciscain Giovanni del Piano Carpine (.Jean de Plan-Carpin) ; voir C. Pullc, Hist. Mongolorum. Viaggio di fra Giovanni <lal Pian (Ici Carpine ai Tartari nel 1245-1247, Florence, 1913 ; Matrod, Noies sur le voltage du frère Jean de Plan-Carpin, dans Éludes franciscaines, t. xxvii, Paris, 1912.

Un des premiers princes russes à faire sa soumission aux envahisseurs fut Jaroslav VsevolodoviS, grandprince de Vladimir-sur-Kliazma ; aussi nous le voyons durant les années mêmes de l’invasion en lutte avec l’Occident. Son fils, Alexandre Nevskij, l’année même de la chute de Kiev, partait en guerre contre les Suédois et les mettait en déroute dans la bataille historique qui lui a valu son surnom de Nevskij.

Jaroslav mourut peu de temps après sa soumission, empoisonné, dit-on, par les Tartares, et — du moins Jean de Plan-Carpin rapporta le fait à Innocent IV — après avoir fait sa soumission au pape. Ses deux fils Alexandre Nevskij et André allèrent chercher à la Horde l’héritage de leur père empoisonné. André, le cadet, reçut Vladimir. Alexandre, l’aîné, dut se contenter de Kiev, et du reste de la Russie. Il en fut mécontent et en voulut au prince de Vladimir. Il commença par armer les Tartares contre son frère.

Quelle étrange figure que celle d’Alexandre Nevskij pour peu qu’on la dégage de l’auréole dont une légende tardive l’a entourée ! L’année même de la chute de Kiev, nous l’avons dit, il se battait contre ses voisins occidentaux. Il fut aussi le premier prince russe à amener une bande de Tartares contre un autre prince russe : son propre frère André. Le motif de la lutte était pure convoitise, car dès que l’aîné eut dépouillé le cadet, il se réconcilia avec lui. On a voulu faire de Nevskij le farouche défenseur de l’orthodoxie dissidente et c’est peut-être son plus grand titre de gloire pour tant de Russes contemporains, mais on connaît deux lettres d’Innocent IV adressées à ce prince : la première est une invitation à l’union, et la seconde le félicite d’avoir fait sa soumission au Saint-Siège et d’avoir promis, en signe de fidélité, de bâtir une cathédrale latine à Pskov. La Vie d’Alexandre, qui, nous dit-on, fut écrite par un « contemporain », nous montre les Tartares épouvantés au seul nom du redoutable prince russe, et les mamans effrayant leurs bébés en disant "Alexandre arrive, Alexandre arrive », alors que les relations d’Alexandre avec les Tartares ne pouvaient pas être plus cordiales. N’est-ce pas Alexandre lui-même qui amène une bande de Tartares à Novgorod pour y lever le tribut ? I"t quand les libres citoyens de la Hère république qui n’avait jamais connu la honte de l’invasion bondissent sous l’outrage, n’est-ce pas encore Alexandre qui les châtie horriblement, coupant le nez aux uns, arrachant les yeux aux autres, et qui protège les percepteurs ? Il y a encore aujourd’hui des historiens qui prétendent que Nevskij eut une vision de génie en forçant Novgorod à accepter le tribut tartare ; on dit que c’est en faisant sa soumission aux envahisseurs que cette ville resta liée avec la Russie de Vladimir et de.Moscou, tant il est vrai que cette Russie du Nord doit son évolution historique à l’influence mongole. C’est là l’immense différence entre la Russie de Moscou et celle de Kiev. La Russie de Moscou ne connaîtra jamais l’union avec l’Église catholique. La barrière que les Tartares auront élevée contre l’Occident fermera la Russie du Nord aux influences de la civilisation occidentale. C’était alors, à l’Ouest, la période glorieuse des universités médiévales : la théologie et la philosophie y arrivaient aux plus hauts sommets qui furent jamais atteints par la pensée humaine. La Russie du

Nord, humiliée, démoralisée par la dure servitude que lui imposèrent ses conquérants barbares fut totalement écartée de ce splendide mouvement d’idées. Seuls les eurasiens farouches peuvent y voir un avantage.

On trouvera les lettres d’Innocent IV dans A. Turgenev, Historien Russise moninienta, 1. 1, Pétersbourg, 1841, p. 68-09, et dans Theiner, Mon liment a liisloricaPolonio’et Mai/ni Ducatus Lilhuania’…, t. f, p. 40. Voir aussi S. -A. Rugoslavskij, Sur le texte original de la vie du grand-prince Alexandre Nevskij (en russe : K voprosu…), dans Izu. Otd., janv. 1914 ; M. Khitrov, Le saint, pieux grand-prince Alexandre Jaroslavic Nevskij (en russe : Svjatyj blagovernyj…), Moscou, 1893 ; voir surtout l’ouvrage classique de V. Mansikh, Vie d’Alexandre Nevskij (en russe : 21tie Al. Nev.), dans Parnjalniki drevnej pis’mennosli, t. c.lxxx, 1913 ; La brochure de N.-A. Klepinin, Le saint et pieux prince Alexandre Nevskij (en russe : Svjatyj i blagovernyj), Paris (s. d.), est écrite du point de vue eurasien et a peu de valeur scientifique.

2° Le synode de Vladimir (1274). —

En 1274, le métropolite Cyrille retiré, comme nous l’avons dit, à Vladimir-sur-Kliazma, réunit en cette ville un synode, l’un des rares de la Russie mongole sur lequel nous ayons quelques détails. Les évêques de Novgorod, Rostov, Perejaslavl, Polotsk, s’étaient réunis pour consacrer Sérapion, évêque de Vladimir. Dans un court préambule, le métropolite fait allusion aux nombreux abus qui ont pénétré en Russie par le fait de l’ignorance des canons, qui, jusqu’alors, étaient o obscurcis par les nuages de la langue grecque ». Cyrille annonce qu’il a une traduction non seulement des canons eux-mêmes, mais aussi de leurs commentaires. Il s’agit de la Kormôaja qui venait d’être apportée de Bulgarie en 1262 et qui semble être à l’origine des commentaires antilatins introduits dans les recueils canoniques d’ancienne Russie.

Après cette introduction, il y a neuf chapitres :
1. Contre la simonie, et à cette occasion on énumère tant les qualités requises pour recevoir le sacerdoce que les pèches qui en écartent ; le confesseur doit se porter garant du candidat, ce qui laisse à entendre que la loi sur le secret de la confession ne recevait pas une application universelle ; on parle aussi des interstices à observer ; enfin, et c’est la partie principale du canon, les tarifs de la métropole devront être appliqués à toute la Russie. Cette question des tarifs pour l’administration des sacrements semble avoir été une des plus importantes.
2. Du baptême, ou plutôt des différentes onctions à faire lors du baptême. Relevons celles de la confirmation qui se font « sur le front, les yeux, les oreilles, les narines, la bouche et nulle part ailleurs ». La formule est < Sceau et don du Saint-Esprit ». La communion subséquente est considérée comme une partie intégrale du rite : « Qu’on ne baptise jamais sans communion » et l’on défend de baptiser à l’avenir par infusion. Cette prohibition ne peut être considérée comme absolue, car les rituels des XIVe et XVe siècles semblent envisager le baptême par infusion comme une pratique courante. Dans un document presque contemporain (1278), le patriarche de Constantinople lui-même autorisa l’évêque Théognoste de Saraj à baptiser parfois par infusion : « Question : Si quelqu’un vient des Tartares et veut être baptisé, et s’il n’y a pas de bassin assez grand, où faut-il le baptiser ? » Réponse : » Verse de l’eau sur lui trois fois en disant : Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » On comprend cette attitude plus large de Constantinople en se souvenant qu’en Occident les deux manières de baptiser étaient alors usuelles. Le baptême par infusion n’était pas encore la manière spécifiquement occidentale, pas plus que le baptême par immersion n’était la propriété exclusive de l’Orient.

Les autres canons de 1274 n’ont pas d’importance dogmatique ;
3. Des superstitions et jeux diaboliques ;
4. De* diacres qui entrent dans le sanctuaire et reçoivent la communion avant les prêtres ;
5. De l’ivrognerie du clergé ;
6. De l’abus qui permet à des laïques de bénir des fruits ou autres comestibles apportés à l’église, le même canon détermine les attributs du diacre, du clerc ftliak) et du bedeau ( ponomar) ;
7. De certaines coutumes bizarres observées à Novgorod à l’occasion des mariages ;
8. De certains actes immoraux ;
9. De la coutume de tracer une croix sur la terre ou sur la glace.

Les actes du concile de Vladimir se trouvent dans A. l’avlov et V. Benesevié, Monuments de l’ancien droit canonique russe, dans Russ. Ist. Bibl., t. VI, Pétersbourg, 10(18, n. 0. Les réponses du patriarche de Constantinople ; i Théognoste se trouvent dans le même recueil, n. 12.

Le métropolite Cyrille, antilatin et malheureusement à l’écart des grands mouvements d’union religieuse qui remuaient l’Occident, était un prélat consciencieux qui visitait son territoire. Chose vraiment extraordinaire, si nous interprétons correctement le silence des chroniques, il ne se mêla pas aux dissensions politiques et aux guerres qui occupèrent alors Alexandre Nevskij et ses fils. Cela seul lui mériierait une gloire immortelle. Il fut aussi le premier prélat russe à partir pour la Horde et obtint des empereurs tartares le premier de ces classiques jarlyki ou privilèges qui devaient consacrer les droits de l’Église orthodoxe. Les Tartares laissèrent à l’Église une indépendance et une liberté qu’elle ne connut jamais et qu’elle ne connaîtra pas sous la tutelle des souverains orthodoxes.

E.-E. Golubinskij, Hist. de l’Église russe, t. n a ; V.-V. Grigoriev, .Sur l’authenticité des jarlijks donnés par les khans de la Horde d’or au clergé russe (en russe : O ilostovèrnosti…), Moscou, 1812 ; M.-D. Priselkov, Les jarlijks des khans concédés aux métropolites russes (en russe : Khanskie jarlyki., .), Pélrograd, 1916 ; voir la recension sévère de Veselovskij, dans Zurn. Min. Nar. Pc, marsavril 1917, p. 118-130. Nous n’avons pas eu accès aux travaux récents de A.-N. Samojlovic, Quelques corrections à l’édition et à la traduction des jarlyki de Tokhlamys, Simféropol, 1927.


VI. LES PREMIERS MÉTROPOLITES DE MOSCOU.

Le successeur de Cyrille (12411-1281) fut un Grec du nom de Maxime (1283-1305) ; il transféra le siège métropolitain de Kiev à Vladimir-sur-Kliazma (1299). Constantinople n’autorisera cette translation que quarante ans plus tard, quand la métropole aura été fixée depuis longtemps à Moscou. Maxime n’a pas laissé d’autre souvenir dans l’histoire de Russie.

Son successeur fut « saint » Pierre (1308-1321)), un Russe de Galicie. Il avait été envoyé de Galicie à Constantinople pour y ètr" consacré métropolite des évêchés relevant du prince de Galic. L’union du roi Daniel avec Rome n’avait pas duri et Constantinople avait déjà autorisé la création d’un métropolite de Galicie (dont le nom ne nous est pas resté) quelques années auparavant, l’.ntrc temps, le prince Michel Jaroslavid de Tver, grand-prince de Russie de 1304 à 1319, avait lui aussi envoyé à Constantinople son candidat à la succession de Maxime, le moine Géronte. Pierre obtint d’êlre nommé métropolite de toute la Russie, mais on n’est pas sûr que ce fût sans simonie. Quand il arriva en Russie, il fut traduit devant un concile réuni a Pcrejaslavl (1309) el accusé précisé ment de ce délit. Toutes les chroniques passent cette histoire sous silence, et l’on n’y trouve que quelques rares allusions dans la Vie de saint Pierre écrite par le métropolite Cypricn dans un but d’édification. Même la chronique de Tver est silencieuse… Cet épisode d’histoire ecclésiastique semble devoir être certainement relié à’a lutte séculaire qui s’engageail entre

Moscou et Tver pour la suprématie. Le droit était manifestement du côté des princes de Tver, qui d’ailleurs montrèrent plus de noblesse de cœur et d’attachement à la religion orthodoxe que leurs adversaires moscovites. Michel Jaroslaviô de Tver fut assassiné sur ordre du prince de Moscou, puis canonisé. Pierre se rangea néanmoins du côté de son rival, le prince Juri de Moscou ; il transféra le siège métropolitain de Vladimir à Moscou. Ce fut là son titre principal à la canonisai ion. Nous dirons plus bas quelques mots de ses épîtres.

Son successeur était grec. Il venait de Constantinople et s’appelait Théognoste (1328-1353). Il jeta lui aussi son influence du côté de Moscou. Il excommunia le prince Alexandre de Tver dont le seul crime avait été d’infliger une sanglante défaite aux Tartares qui avaient voulu forcer les Tvériens à abandonner leur foi. Ce sont là des pages peu glorieuses dans l’histoire de Moscou, des pages bien sombres dans l’histoire ecclésiastique de Russie. Le malheur de l’invasion mongole ne fut pas tant la perte immense de matériel et de vies humaines ; ce fut surtout la démoralisation d’une grande partie du peuple russe et de presque tous ses princes, en dehors de. ceux de Tver qui nous paraissent à travers l’histoire comme auréolés de gloire et de noblesse.

Avant la mort de Théognoste, le prince de Moscou, Siméon Ivanoviè (1340-1353), méditait déjà sur les moyens à prendre pour assurer la primauté religieuse à son apanage agrandi. Le 6 décembre 1351, le métropolite grec consacrait comme é.vêque de Vladimir un fils de noble famille, devenu moine sous le nom d’Alexis, et qui jouissait de la confiance totale du souverain. Le nouveau prélat était considéré comme vicaire de Théognoste avec future succession et on avisa Constantinople de ne pas envoyer d’autre candidat. En fait, Théognoste était à peine mort qu’Alexis partit se faire consacrer à Constantinople. Le prince lithuanien Olger y envoyait lui aussi son candidat, ou plutôt ses candidats successifs, Théodorct et Romain. Il n’avait pas tout à fait tort, car Alexis, devenu régent de Moscovie durant la minorité de Dmitri Donskoj (1362-1389), s’occupait davantage d’étendre l’hégémonie moscovite que de gouverner l’immense territoire qui relevait de lui comme métropolite. Alors commença une période encore plus sombre de l’histoire ecclésiastique de Russie : excommunications, guerres civiles, invasions, trahisons, envoi d’apocrisiaires en Russie de la part de Constantinople, envoi d’argent (et quelles sommes !) tant de Moscou que d’autres parties de Russie. Après la mort d’Alexis (1378), la situai ion s’embrouille tellement que nous ne pouvons songer à la résumer ici ; elle ne se clarifia qu’en 1390 quand, par la mort du prince de Moscou, Dmitri Donskoj (1389), et de divers candidats à la métropole (Pimin en 1389 et Denis en 1385), il ne resta plus qne le Bulgare (ou Moldave ?) Cypricn qui avait déjà été plus ou moins métropolite depuis 1378 ; il obtint alors juridiction sur toute la Russie et l’on commença quelque peu à respirer.

On comprend quc la production théologique et littéraire de cette période extrêmement troublée ait été a peu près nulle, ’fout au début de l’invasion mongole, nous avons un prédicateur, l’évêque Sérapion qui axait clé élu au siège de Vladimir par le synode de 1274 (ci dessus col. 234). Il nous a laisse sepl courtes homélies dans lesquelles il tonne contre les péchés, rappelle les sévérités de la justice divine cl invite ses auditeurs a la pénitence. Les sermons sont bien faits, ne manquent pas d’élégance et ont fait naître chez quelques-uns la supposition que Sérapion avait été formé en Galicie chez des maîtres latins, mais, l’historien Golubinskij le note avec un profond