Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané ( Tome 14.1 : ROSNY - SCHNEIDERp. 250-329).

SACREMENTS. — L’objet de cet article ne saurait être que les sacrements en général. Chaque sacrement, considéré en particulier, a déjà été l’objet d’une étude spéciale. Et encore, plusieurs questions intéressant les sacrements en général ont été précédemment étudiées, notamment celles du Caractère sacramentel, t. ii, col. 1698 ; de la Fiction dans les sacrements, t. v, col. 2291 ; de I’Intention dans l’administration et l’usage des sacrements, t. vii, col. 2271 ; de la Matière et forme dans les sacrements, t. x, col. 535 ; du Ministre des sacrements, ibid., col. 1776 ; de I’Opus operatum, t. xi, col. 1084 ; de la Reviviscence des sacrements, t. xiii, col. 2818. Tenant compte de ce qui est déjà acquis, nous n’y reviendrons que dans la mesure où il serait utile de marquer une précision nouvelle.

Nous étudierons successivement :
I. [(Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS I. Le mot|Le mot.]]
II. [(Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS II. La notion 1. Dans l’Ecriture Sainte|La notion (col. 494).]]
III. [(Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS III. L’institution et le nombre septénaire. 1. L’intention du Christ suggérée par l'étude des sacrements eux-mêmes et de leur rôle respectif dans la vie surnaturelle de l’homme|L’institution et le nombre septénaire (col. 536).]]
IV. [(Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS IV. Les explications théologiques relatives à l’institution des sacrements par le Christ et au nombre septénaire. 1. Explications hétérodoxes|Les explications théologiques (col. 558). ]]
V. [(Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS V. Dogme et théologie de la causalité sacramentelle. 1. Les premiers tâtonnements des théologiens dans l’exposé et l’explication du dogme de la causalité des sacrements|Le dogme et la théologie de la causalité sacramentelle (col. 577).]]
VI. [(Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS VI. Les effets des sacrements|Les effets des sacrements (col. 621).]]
VII. [(Dictionnaire de théologie catholique/SACREMENTS VII. Validité, licéité, fructuosité :problèmes moraux et canoniques 1. Définitions|La validité, la licéité, la fructuosité et les problèmes moraux et canoniques s’y rapportant (col. 635).]]

I. Le mot.

Le terme grec musterion. —

Dans la théologie grecque, c’est le terme jjluctt/)P(.ov qui désigne les sacrements. Aujourd’hui encore, les théologiens orientaux dissidents n’emploient pas d’autre expression. Voir Kimmel, Monumenta fidei Ecclesiæ orienlalis, pars I a, Iéna, 1850 : Confessio orthudoxa (de Moghila), pars l a, q. xcvm sq., p. 170 sq. ; Synodus hierosolymitana, p. 344 ; Décréta synodi Constant inop., p. 404 ; Acta synodi apud Giasium (Jassy), p. 414 ;

Dosithœi confessio, p. 448 ; et pars II a, Iéna, 1850 : Metrophanis Critopuli confessio, c. v, p. 89 sq. ; c. vii, p. 107 ; c. xi, p. 140 ; c. xxii, p. 201.

Le sens primordial de jjwo--7]ptov est « secret » ; c’est le sens qu’on trouve chez les classiques, poètes, littérateurs, historiens, philosophes. Par extension, (xuo-TY)ptov, au pluriel surtout, se disait des initiations religieuses qui imposaient le secret le plus absolu. D’où l’on peut déduire que la définition donnée par Théodoret à propos de Rom., xi, 25, est juste : M’jo-T^p’.ov tazi tô [AT] TtSai yvcôpi.u, ov àXXà u.ôvov toîç Œwpouijisvoti ;, P. G., t. lxxxii, col. 180 B.

La Bible retient ce sens primitif et ne fait que lui ajouter des nuances secondaires. On le trouve 45 fois dans les écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament : Dan., 9 fois ; Judith, 1 fois ; Eccli., 2 fois ; Prov., 1 fois ; Sap., 3 fois ; Tob., 1 fois ; II Mac, 1 fois ; Apoc., 4 fois ; Mat th., Luc, Marc, chacun 1 fois ; et 20 fois dans les épîtres de saint Paul. D’après F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, Paris, 1912, p. 394, on peut ramener à trois acceptions les diverses nuances qui se sont greffées sur la notion générique : 1° Secret de Dieu relatif au salut des hommes par le Christ, secret aujourd’hui dévoilé : Rom., xvi, 25 ; 2° Sens caché, symbolique ou typique, d’une institution : Eph., v, 32 (sens du mariage), d’un récit, Dan., ii, 18, 27, 30 (sens du songe de Nabuchodonosor), d’une chose ou d’un nom ; Apoc, i, 20 (sens des sept étoiles et des sept candélabres) ; ibid., xvii, 5-7 (sens du nom de la grande Babylone) ; 3° Action cachée : II Thess., ii, 7 (le mystère d’iniquité), ou qui n’est pas connue, I Cor., xv, 51 (le mystère de la résurrection future). On pourrait indiquer d’autres exemples.

Rien d’étonnant donc que la langue ecclésiastique se soit emparée de ce mot désignant philosophiquement la nature intime et secrète d’une chose, pour l’appliquer au rite symbolique produisant la grâce qu’il figure, puis aux vérités incompréhensibles qui dépassent les lumières de la raison.

Toutefois, dans la sainte Ecriture, on ne trouve pas le mot (jio<TT7)pt.ov, même quand il est traduit par sacramentum, appliqué au rite sacré qui constitue le sacrement. Même dans Eph., v, 32. le mot sacramentum ne vise pas le « sacrement » du mariage. Voir ici Mariage, t. ix, col. 2070. Les seize fois où ji.’joT/jpi.ov est traduit par sacramentum ne comportent aucune nuance spéciale, modifiant le sens général de mysterium. Dans l’Ancien Testament : Tob., xii, 7 ; Sap., ii, 22 ; vi, 24 ; xii, 5 ; Dan., ii, 18 ; n. 30 ; ii, 47 ; iv, 6 ; dans le Nouveau Testament, Eph., i, 9 ; iii, 3 ; m, 9 ; v, 32 ; Col., i, 27 ; I Tim., iii, 16 ; Apoc, i, 20 ; xvii, 7.

Avant le ive siècle le mot jjwottjplov garde sous la plume des écrivains chrétiens son sens classique de chose sacrée, mystérieuse.

Chez les Pères apostoliques, en effet, nous trouvons peu de lumières : MoaTrjpiov est absent de la Lettre aux Corinthiens de saint Clément, de l’épître du pseudo-Barnabe, du Pasteur d’Hermas. Dans la Didachè, xi, 11, on lit que le vrai prophète agit eîç fi.ijo-Tirpi.ov >cGo-[i, ixov sxxXï)o-iocç, ce qui est vraisemblablement une allusion à Eph., v, 32. Funk, Patres apostolici, t. i, p. 28. Pour Ignace d’Antioche, la mort du Christ est le mystère de notre salut, puisqu’elle est le principe de notre foi. Magn., ix, 1, ibid., p. 258. « La virginité de Marie, son enfantement, avec la mort du Sauveur, sont les trois mystères de clameur, qui ont été perpétrés dans le silence de Dieu. » Eph., xix, 1, ibid., p. 228. Peut-être Trall., ii, 3, 81axôvouç…u.uo-T7)pteov’I. X., offrirait-il un sens plus précis, encore qu’il soit difficile d’y voir une mention de l’administration de certains sacrements (cf. I Cor., iv, 4), Funk, ibid., p. 244. Dans l’Épitre à Diognète, à part peutêtre iv, (i. 0so<Te6£’! aç (i.uaTr, ptov, ibid., p. 396, rien de saillant dans les autres emplois de pL’jrrT7jp !.ov, vii, 2 ; vin, 11) ; x, 7 ; xi, 2, 5, i’ft/7L, p. 402, 404, 408, 110.

Chez les I’ères apologistes, il serait pareillement difficile de trouver le mot |i.ua-rr ; piov employé avec le sens moderne du mol o sacrement ». Le sens ordinaire se rapporte aux « mystères » païens, avec une note d’infamie à l’égard des faits et Restes attribués aux faux dieux. Cf. Athénagore, Lcgatio, n. 4 (mystères d’Eleusis), n. 28, 32, P. G., t. vi, col. 897 B, 956 C, 964 A ; Théophile, Ad Autolycum, I. I, n. 9 (mystères d’Osiris), ibid., col. 1037 C ; Tatien, Adv. Grsecos, n. 8, ibid., col. 825 A. Justin est plus abondant. Dans le Dialogue, « il emploie fréquemment ii, u(rr()piov, « sens caché », comme synonyme de parabole, de symbole, de type. Il dit par exemple que « le mystère de l’agneau était le type du Christ ». Dial., xl, P. G., t. vi, col. 562 B. Il appelle mystère le sens typique ou allégorique de certaines prophéties. Dial., xxiv, xi.iv, i. wiii. i.xxviii, i.xxxv, cxxxviii, col. 528 B, 569 B, 633 D, 660 C, 680 A, 793 A. Il parle assez souvent du mvstère de la croix. Dial., lxxiv, xci, evi, c.xxxi ; Apol., i, xiii, col. 649 B, 692 B, 721 C, 780 C, 318 A, c’est-à-dire de sa signification et de sa valeur sotériologique. Dans V Apologie, il signale l’immoralité des mystères païens, cf. Apol., i, xxv, xxvii ; Apol., II, xii, col. 365 A, 372 A, 464 C ; il mentionne, en l’approuvant, un écrit destiné à montrer que le christianisme ne connaît pas ces sortes de mystères, Apol., i, xxix, col. 373 A ; en même temps, il soutient la thèse que les prophètes mal compris ont suggéré certaines idées aux inventeurs des mystères de Bacchus, Apol., i, liv, col. 409 AB, et que les mystères de Mithra sont une imitation diabolique du rite chrétien de l’eucharistie. Apol., i, lxvi, col. 429 A. Cf. F. Prat, op. cit., p. 392-396.

En ce qui concerne saint Irénée, la traduction latine de son ouvrage offre des exemples de mysterium, traduction vraisemblable de jjma-rrypiov. Voir plus loin, col. 492. À l’exemple d’Irénée, saint Hippolyte n’emploie guère le mot « mystère » qu’en connexion avec l’hérésie des gnostiques qui s’étaient appropriés ce terme. Philosophumena, Proœmium, P. G., t. xvic, col. 3017 B ; cf. S. Irénée, Cont. luvr., t. I, c. i, n. 1 ; c. xx, n. 3, P. G., t. vii, col. 437, 657.

Chez Clément d’Alexandrie et chez Origène, nous trouvons une première adaptation du mot mystère aux croyances et pratiques religieuses du christ ianisme. Sans doute, ces auteurs connaissent les « mystères » de la gnose ; mais ils lui ravissent ce mot pour lui donner un sens chrétien. Clément appelle mystères le culte rendu aux faux dieux. Cohortalio ad gentes (Protreptique), c. iv ; cf. c. ii, P. G., t. viii, col. 152 li, 76 15. C’est que le mystère est une représentation des choses sacrées par des signes sensibles. Ainsi les mystères des Égyptiens. Strom., t. V, c. vii, P. G., t. ix, col. 68 H. Cꝟ. t. II, c. xiv, t. viii, col. 997 C. Le passage se fait donc facilement à la désignation des vérités et des pratiques chrétiennes par le mot mystère. L’initiation chrétienne constitue les « petits mystères » préparant la connaissance des grands. Strom., t. IV, c. I, t. viii, col. 1216 C. Ainsi les « mystères » du Christ sont cachés aux profanes, Strom., 1. Y, c. ix, t. ix.col. 88 C. Qui plus c t, ils ont été cachés aux prophètes eux-mêmes, et le Christ ne les a livrés qu’en paraboles. Strom., VI, c. xv, t. ix, col. 348 C. Commentant Is., n, K), Clément enseigne qu’on ne doit pas révéler les « mystères de la foi ». Strom., t. V, c. x, t. ix, col. 93 sq. Et tous ces mystères doivent être enseignés mystiquement, zy. vjnzrjpiy. |A>.><rnxcô< ; TrocpaStSoToa, Strom., t. I, c. i, t. viii, col. 701 C.

On pourrait relever chez Origène une exégèse analogue du mot « mystère ». Il suffit de rappeler ici la

distinction des simples et des parfaits, voir ici t. xi, col. 1514 sq., pour saisir toute l’adaptation faite au christianisme des mystères de la gnose.

On comprend plus facilement comment désormais le mot mystère, sans perdre aucune de ses autres significations, pourra être appliqué aux rites sanctificateurs. Saint Jean (Jirysostome l’explique parfaitement : « Il y a mystère, quand nous considérons des choses autres que celles que nous voyons… Autre est ici le jugement du fidèle, autre celui de l’infidèle. Moi, j’entends que le Christ a été crucifié et aussitôt j’admire son amour pour les hommes ; l’infidèle l’entend aussi et estime que ce fut folie… L’infidèle connaissant le baptême, pense que ce n’est que de l’eau ; moi, ne considérant pas simplement ce que je vois, je contemple la purification de l’âme effectuée par l’Ksprit-Saint. L’infidèle estime le baptême comme une simple lotion faite sur le corps ; moi, je crois qu’il rend aussi l’âme pure et sainte, et je pense au sépulcre, à la résurrection, à la sanctification, à la justice, à la rédemption, à l’adoption des fils, à l’héritage céleste, au royaume des cieux, au don du Saint-Esprit. » In / am epist. ad Cor., hom. i, n. 7, P. G., t. lxi, col. 55. On trouve semblables doctrines chez saint Épiphane, Hwr., xl, n. 2, P. G., t. xi.i, col. 680 CD.

Évolution sémantique du mot » sacramentum » chez les Pères latins.

— On peut se demander comment le mot jjuj<rrr)pt.ov a été traduit de préférence par sacramentum, alors que d’autres termes, tel arcanum, pouvaient paraître plus indiqués.

La solution de ce problème dépend, avant tout, de l’usage qui fut fait, en langue latine, du mot sacramentum appliqué aux choses religieuses du christianisme. Les auteurs qui se sont appliqués à cette étude sont assez nombreux. Dans l’introduction générale du recueil Pour l’histoire du mot « sacramentum », I. Les anténicéens, Louvain, 1924, le P. de Ghcllinck en fait une énumération exhaustive, depuis les lexiques et dictionnaires philologiques jusqu’aux travaux spéciaux et aux monographies, en passant par les dictionnaires bibliques et théologiques et les histoires des dogmes. Deux études monographiques paraissent surtout devoir retenir l’attention, celle de Valentin t irone, Sacramentum oder Begrif] und Bedeulung von Sac rament bis zur Scholastik, Brilon, 1853, et celle de H. von Soden, Moa-^ptov und Sacramentum in der erslen drci Jahrhunderten der Kirche, dans la Zeitschrijt fur die A’. T. Wissenschajt, t.xii, 1911, p. 188-227. On doit ajouter aujourd’hui les trois monographies du recueil publié sous la direction du P. de Ghellinck, savoir Tcrtullien, par Emile de Backer, Cyprien et ses contemporains, par J.-B. Poukens, S. J., et Les derniers anténicéens, par G. Lebacqz, S. J., et J. de Ghellinck, S. J.

Dans la langue latine, sacramentum désigne juridiquement l’argent qui, déposé à X’œrarium par la partie qui perd le procès, est consacré par le fait même à la divinité. Militairement, c’est le serment prêté par les recrues à leur entrée au service. Mais dépôt ou serment sont des engagements vis-à-vis du dieu ; argent déposé et personne assermentée sont désormais chose ou personne consacrées. L’existence du sacramentum militiæ, parfois attestée par un signe (/iilci signaculum) a exercé par son symbolisme une certaine influence sur la notion de mystère qui s’est attachée au concept du sacrement chrétien.

1. Tertullien.

En cette matière, Tertullien fut un initiateur, dont la prépondérance s’affirme incontestée. Sa pensée sur le sacramentum marque une évolution certaine : elle part du sens classique de sacramentum militise. S’inspirant de la militia Christi, si souvent exploitée par saint Paul, Tcrtullien applique le mot sacramentum au baptême, qu’il considère comme le serment par excellence, contradictoirement opposé aux obligations de l’idolâtrie ; il y voit une consécration, un engagement comparable à la devolio et ouvre ainsi la voie à l’adaptation ultérieure du mot sacramentum au concept d’initiation, chrétienne ou païenne, à l’objet de la promesse baptismale, la foi, et à la synonymie de sacramentum et de signaculum. Ce qui étend le sens de sacramentum aux choses et aux actions que nous appellerions aujourd’hui sacramentaux. Voir ce mot, col. ^65.

C’est à cet instant de l’évolution de la pensée de Tertullien que le mot se charge du concept de « mystère », car les rites d’initiation sont des « mystères » : ils ont un caractère symbolique et une efficacité purificatrice et eschatologique. Sacramentum ne sera donc plus simplement le serment ou l’initiation, mais l’objet de ce serment ou de cette initiation ; il traduira les idées de foi, de doctrine catholique, de discipline. L’idée de mystère contenue en germe dans le concept du serment baptismal se fortifiera au contact des concepts grecs de teXety] et de [i.ij<TT7)p’.ov. Les sens nouveaux attachés au mot sacramentum accusent de plus en plus l’idée de mystère et finiront par la dégager complètement, avec le sens de rcs occulta, de res mysteriosa et sacra.

Pour mieux marquer la progression en ce sens de la pensée de Tertullien, les textes de cet auteur, dans lesquels on peut relever le mot sacramentum, au nombre de 134, ont été divisés par É. de Backer en deux groupes : groupe sacramentum-serment (84 exemples), avec les idées successives de serment militaire ou autre, de rite d’initiation aux mystères, de religion au sens objectif, de vérité et de doctrine religieuse, de consécration (au sens étymologique de sacramentum), de rite et sacrifice sacramentel, de rite non sacramentel et de marque ou garantie de la foi (signaculum) ; — groupe sacramentum-mystère (50 exemples), avec les idées successives de symbole, figure, allégorie, de mystère ou chose secrète et cachée, de disposition, plan, ordre divin, de prophétie.

Deux sacrements — au sens actuel du mot — le baptême et l’eucharistie, trouvent place, dans la pensée de Tertullien, en ces significations diverses du même mot sacramentum. Dans le sens de serment militaire, allusion au baptême, De spect., c. xxiv, P. L. (édit. de 1844), t. i, col. 656 AH ; avec la nuance d’abjuration, De idol., c. vi, col. 608 B ; avec le sens de fanion, étendard, ibid., c. xix, col. (i !)0 B ; dans le sens de chose sanctifiante (application au baptême), dans De bapt., c. iv, col. 1204 A ; ibid., c. v, col. 1205 B ; (application au désir du baptême dans la foi justifiante), ibid., c.xii, xiii, col. 1213 B. 1214 C ; avec le sens de consécration (allusion à l’eucharistie), Adv. Marcionem, t. V, c. viii, t. ii, col. 489 A ; dans le sens des rites purement extérieurs qui servent de cadre à l’administration des sacrements divins, De prxscript., c. xl, t. ii, col. 54 A (ici il semble que Tertullien approche de l’idée théologique du rite sensible, auquel est attachée la production d’effets surnaturels, ce qui est le concept essentiel du sacrement chrétien) ; cf. De bapt., c. i, iii, ix, t. i, col. 1197 A, 1202 C, 1209 B ; avec la pensée des rites qui accompagnent l’administration du sacrement de baptême, De virg. vel., c. ii, t. ii, col. 891 A ; avec allusion aux signes sensibles et aux effets des sacrements de l’initiation solennelle des adultes, Adv. Marcionem, t. I, c. xiv, col. 262 ; avec indication du baptême, de la matière et des effets du baptême, ibid., t. I, c. xxviii, col. 280 AB ; avec désignation du baptême qui marque d’un signe les fidèles et allusion à la prophétie de Malachie relative à l’eucharistie, ibid., t. III, c. viii, col. 353 ; avec indication très nette des deux sacrements, baptême et eucharistie, ibid.A. IV, c. xxxiv, col.442 C ; avec indication, en général, des sacrements chrétiens, notamment le baptême et l’eucharistie, De resur., c. ix, t. i, col. 806 AC ; Exhort. cast., c. vii, t. ii, col. 923 A ; De corona., c. iii, col. 79 A ; De pudic, c. ix, col. 997 C ; c. x, col. 1000 BC ; c. XV, col. 1009 C. On a indiqué à Sacramentaux quelques textes se rapportant à cette signification ; cf. col. 467.

Dans un certain nombre de ces exemples, notamment De pnvscripl., c. xl, et De baptismo, c. i, iii, ix, « sinon formellement, du moins en fait, les grandes lignes du concept sacramentel, reprises plus tard par saint Augustin, sont désormais fixées ». De Backer, op. cit., p. 148.

2. Chez saint Cyprien et les écrivains qui gravitent autour de lui.

Ici, l’on n’a plus à observer d’évolution dans la pensée des écrivains ecclésiastiques sur le mot sacramentum. Les différentes significations sont acquises. H. von Soden a pu dire que, si le mot sacramentum, appliqué à nos rites, est vraiment dérivé du sens militaire de serment, Cyprien marque l’aboutissement de cette évolution, dont Tertullien est le point de départ. Les traductions bibliques anciennes sont une confirmation de ce fait. J.-B. Poukens a recueilli dans les œuvres de Cyprien et de ses contemporains, Novatien, Firmilien, Némésien, le diacre Pontius et quelques anonymes, 116 exemples de l’emploi du mot sacramentum. On y retrouve les deux acceptions fondamentales de sacramentum : sacrementserment et sacrement-mystère. Et même, dans le sens de sacrement-mystère, on découvre nettement deux sens assez divergents : le sacrement-mystère proprement dit et le sacrement-figure, symbole, signe. Non pas certes qu’on trouve déjà au iiie siècle notre concept théologique de sacrement, signe et cause de la grâce : mais la conception de « choses sanctifiantes » se trouve déjà d’une manière vague présente à l’esprit de Cyprien et de ses contemporains.

Le sens de serinent militaire est encore très vivant et, en dépendance de ce sens primitif et classique, les sens de serment, d’initiation ou de profession de foi, d’obligation, d’engagement. De ce chef, on trouve une allusion très nette au baptême (sacramentum interrogare, dans Sententise episcoporum, édit. Hartel, p. 437) ; à la profession de foi baptismale, Epist., i.iv, n. 1, p. 621, bien plus à la profession de foi baptismale en la Trinité, Epist., lxxiii, n. 5, p. 782. La catégorie de sacrement-mystère et mieux sacrement-signe, avec ses différents dérivés, symboles, figures, révélation, précepte, ne contient guère d’application directe du mot sacramentum aux sacrements proprement dits, tels que nous les concevons aujourd’hui. Tout au plus, peut-on signaler le sacramentum calicis, allusion évidente à l’eucharistie. Epist., lxiii, n. 1-2, p. 702 ; cf. ibid., n. 13, p. 712. Cependant, dans cette catégorie, de loin la plus nombreuse, le concept de signe est mis en relief. Or, ce concept deviendra plus tard un des éléments de la définition fies sacrements.

Ce qui est plus intéressant encore chez ces auteurs, c’est qu’on y trouve le mot sacramentum désignant expressément les sacrements proprement dits, non certes dans la plénitude de la signification actuelle, mais déjà avec le sens très déterminé de « moyens producteurs de la grâce ». Cela surtout pour le baptême : Cyprien, Ad Quirinum, Testimoniorum I. III, édit. Hartel, p. 35 (il s’agit ici de sulutaria sacramenta, au pluriel, parce que Cyprien y parle aussi vraisemblablement de l’imposition des mains, qu’on administrait ensemble avec le baptême) ; Ad Demetrianum, n. 26, p. 370 (passage dans lequel le mot sacramentum présente un sens discuté des auteurs, mais que Poukens estime devoir interpréter du baptême lui-même, cf. op. cit., p. 207) ; Epist., lxix, n. 12, p. 761 ; lxxiii, n. 22, p. 795 ; Epist., lxxv (en réalité de Firmilien), n. 9, p. 810 ; ibid., n. 13, p. 819 ; ibid., n. 17, p. 821 ; l’auteur de Y Ad Novatianum, e. iii, édit. Hartel, p. 55 (ici le pluriel sacramenta fait allusion, outre le baptême, à d’autres sacrements) ; l’auteur du De rebaptismate. c. x, p. 81 ; la Passio SS. Mariani et Jæobi, n. 11, édit. von Gebhardt, p. 144, 1. 9 (utriusque sacramenti = baptême de sang, baptême d’eau).

Mais les exemples existent aussi pour le baptême et la confirmation réunis : Cyprien, Epist., lxx, n. 3, édit. Hartel, p. 770 ; lxxii, n. 1, p. 775 ; lxxiii, n. 20, p. 794 ; ibid., n. 21, p. 795 ; Sententim episc, n. 5, p. 139. Le premier et le troisième de ces passages ne se comprennent qu’en fonction de la théorie de Cyprien sur l’admission des hérétiques convertis : il faut les rendre à la vraie foi, non seulement par l’imposition des mains, mais par omnia sacramentel.

Enfin l’eucharistie est clairement indiquée en quelques autres textes : Cyprien, De catholicæ Ecclesise unilate, c. xv, p. 224 ; De lapsis, c. xxv, p. 255 ; De zelo et livorc, c. xvii, p. 131 ; Epist., lxiii, n. 14, p. 713 (précepte d’employer le vin pour le saint sacrifice ) ; ibid., n. 10, p. 714 ; la Passio SS. Mariani et Jæobi, n. 8, édit. von Gebhardt, p. 141, 1. 5. Pour d’autres textes, dans le sens de sacramentaux, voir ce mot, col. 467.

3. Les derniers auteurs anténicéens : Arnobe l’Ancien, Lactance, Commodien de Gaza, la traduction latine de saint Irénée.

Ce sont les auteurs étudiés dans la troisième partie du recueil de J. de Ghellinck.

Chez Arnobe, le mot sacramentum est employé presque uniquement dans son sens classique et païen de sacrement-serment. Adv. nationes, I. II, c. v (salutaris militiee sacramenta), P. L., t. v, col. 810 B ; 817 A ; t. III, c. vi (sacramenta… numinum), col. 944 A, et approximativement, t. IV, c. xx (sacramenta eondicunt), col. 1040 A. On note un sens se rapprochant de doctrine mystérieuse, supérieure, preuve du christianisme (immensi nominis hujus (Christi) sacramenta diffusa), t. II, c. v, col. 816 B, et enfin le sens de sacrement-mystère (verilatis absconditts sacramenta), t. I, c. iii, col. 24 A. Voir G. Lebacqz et J. de Ghellinck, op. cit., p. 226-234.

Lactance nous présente le mot sacramentum sous un jour nouveau. On trouve chez lui vingt-six exemples du mot sacrement : vingt-trois fois dans les Institutiones, deux fois dans le De opifteio Dei et trois fois seulement dans YEpitome. Dans ce dernier ouvrage, qui est un résumé des Institutions, on rencontre des synonymes et des périphrases utiles pour l’intelligence du mot sacramentum. Mais vingt-quatre fois sur vingt-six, le mot gravite autour d’une même signification fondamentale : « D’après Lactance lui-même, on peut donner, du mot sacramentum tel qu’il l’entend, la description suivante : c’est la seule vraie doctrine (sacramentum verilatis), qui ne peut être connue que par révélation (mysterium sacramenti) et qui ouvre des aperçus inconnus de la seule raison humaine, sur la nature de Dieu (sacramentum Dei), sur les rapports du Fils avec le Père (sacramentum natiuitatis sase), sur les destinées de l’homme (sacramentum liominis)vi du monde entier (sacramentum mundi et hominis) : doctrine mystérieuse, parce que révélée, et sacrée, parce que venant de Dieu. (Test tout le thème des Institutions et de YEpitome… Quant aux autres sens du mot, qui apparaissent à l’état isolé, nous n’en rencontrons que deux, le premier se traduisant par « rite symbolique ». (sacramentum ignis et aqiur), Inslil.. t. ii, c. ix (x), P. L., t. vi, col. 310 A, le second par < engagement sacré i (casti et inviolabilis cubilis sacramenta), Epitome, lxi (i.xvi), col. 1080 AH. Lebacqz-de Ghellinck, op. cit.. p. 205. Un seul cas représente donc, chez Lactance. l’évolution du mot siicranwntum dans le sens de rite sacré opérant le salut. Cet auteur est dès lors de minime importance dans le présent sujet.

Commodien de Gaza n’emploie qu’une fois le mot sacramentum, au vers 230 du Carmen apologeticum : sacramenta legis amittunt (Judeei), les Juifs perdent l’intelligence des prophéties relatives au Messie. Dans un autre vers, sacramenta de Sap., ii, 22, est remplacé par sécréta ; cette exégèse indique le sens que lui accorde Commodien. Un troisième passage rend par mijsterium le sens de sacrement, Inslrucliones, t. I, xxxviii, vers 1, P. L., t. v, col. 230. Les deux autres textes dans le Corpus de Vienne, t. xv, p. 129, 148. Lebacqz-de Ghellinck, p. 267-269.

La traduction latine du Contra hæreses d’Irénée (dont la date — fort approximative — peut se placer « entre le début du iiie siècle et le premier quart du v siècle) n’offre, à première vue, rien de bien particulier. La nature même du sujet traité par Irénée aurait dû amener plus souvent sous la plume de son traducteur le mot sacramentum. Or, contre une cinquantaine de cas où se rencontre le mot mijsterium, cinq seulement donnent sacramentum, avec le sens de sacré, mystérieux (plus exactement sacramenta, au pluriel), Cont. hter., t. II, c. xxx, n. 7, P. G., t. vii, col. 820 B ; cf. n. 6, col. 818 C (il s’agit des créatures spirituelles) ; t. IV, c. xxxv. n. 3 (les sacramenta des prophètes s’opposent à ceux de la gnose), col. 1088 B et C. Enfin, au 1. III. c. i, les sacramenta des apôtres, c’est-à-dire les mystères enseignés par eux, sont mis également en opposition avec les mystères de la gnose, col. 9Il Ji. Il semble bien, en l’absence du texte grec, que ce soit toujours le mot y.iùorr]çioi que le traducteur rende par son équivalent latin mysterium et parfois sacramentum. Si le traducteur avait employé la langue de Tertullien, de Cyprien, d’Hilaire ou d’Augustin, nul doute que sacramentum eût paru aussi fréquemment que mysterium. Mais jamais chez le traducteur d’Irénée, sacramentum ne se présente nettement avec le sens de rite sacré, de « sacrement », au sens moderne du mot. Lebacqz-de Ghellinck, p. 272 sq.

Les Actes des martyrs — un exemple dans les Acta sancti Maximiliani et trois dans les Acta sancti Marcelli — se réfèrent au sens de « serment militaire » et n’intéressent pas directement la présente recherche. Ibid., p. 281-288.

Enfin, les premiers documents donatistes fournissent trois exemples de l’emploi du mot sacramentum, sacramenta équivalant dans le premier (Acta martyrum Saturnini, 2, P. L., t. viii, col. 690 À et 705 A) à Scriptura sacra. Plus loin, col. 691 A, dominica sacramenta ne peut signifier que l’office liturgique du dimanche. Mais voici que, dans son réquisitoire contre les catholiques, l’auteur affirme la nullité des sacrements de ses adversaires : ce sens est très net puisqu’on accuse le pécheur de « célébrer des mystères pour la perte des misérables, cum erigit altare sacrilegus, célébrai sacramenta profanus, baptizat reus », etc. Acta martyrum Saturnini, 19, col. 702 C. Qu’il s’agisse ici de l’administration des sacrements en général ou de la célébration de l’eucharistie en particulier, peu importe : nous tenons le sens actuel de sacramentum.

Le Sermo de passione Donati fournit également trois exemples de l’emploi du mot sacramentum. L’auteur y parle tout d’abord des déserteurs des sacrements célestes, sacramentorum cœlestium desertores. Serm., 2. P. L., t. viii, col. 735 C. On peut traduire par sacrements divins, ou par serments divins. Un peu plus loin, il s’agit des mystères liturgiques : profanantur sacramenta. 3. col. 751 H : il s’agit de profanation des mystères liturgiques dans la basilique dont s’emparent de force les légionnaires. Le sermon a été pro nonce, en elTet.au joui’anniversaire. 12 mars 320 ( ?), où la force armée avait enlevé aux donatistes leurs églises. Le dernier texte de la Passio Donati présente, dans une description pathétique, un jeune catéchumène qui demande le baptême, parce qu’il est encore expers sacramentorum, au milieu de la scène de violence et de carnage dont l’église est le théâtre. Ibid., 1 1, col. 757 A.

Un dernier texte, peu sur, parle de ceux qui n’ont pas livré le sacrement, et sacramentum non tradiderunt : il s’agit vraisemblablement de la Bible. Pseudo-Cyprien, Epist., iii, édit. Hartel, p. 274. Voir Lebacqzde Ghellinck, p. 289 sq.

4. Saint Hilaire.

Avec saint Hilaire, au ive siècle, le mot sacramentum s’adapte déjà parfaitement au signe efficace producteur de la grâce. C’est ainsi que l’évêque de Poitiers parle des sacrements de l’Église, Tract, in ps. CXXXI, n. 23, P. L., t. ix, col. 7Il H. Il appelle formellement le baptême un sacrement, In ps. lxvii, n. 33 ; CXVIII, lit. iii, n. 5 ; cxxxri, n. 7, col. 466 G, 519 A, 780 B ; ou encore le sacrement de la nouvelle naissance, In ps. xci, n. 9, col. 499 1) ; de la nouvelle génération, In ps.cxxix, n. 8, col. 723 A ; le sacrement de l’eau et du feu, In Matth., c. iv, n. 10 ou encore, au pluriel, les sacrements du baptême et de l’Esprit (peut-être ici s’agit-il du baptême et de la confirmation), ibid., n. 27, P. L., t. ix, col. 931 B, 942 B. L’eucharistie, elle aussi, est un sacrement, le sacrement de la chair et du sang, De Trinitate, t. VIII, n. 17, qu’il appelle encore le sacrement de la parfaite unité, ibid., t. x, col. 249 B ; cf. n. 16, col. 248 B, ou encore sacrement de la divine communion. In ps. LXVIII, n. 17, t. ix, col. 480 BD. Ce sont là les sacrements du salut humain, De Trinitate, t. V, n. 35, t. x, col. 153 B, sacrements de la grâce nouvelle que le vieil homme, attaché au péché, ne saluait recevoir, In Matth., c. ix, n. 4, t. ix, col. 963 C, mais sacrement du pain céleste qu’on reçoit en foi de la résurrection future, In Matth., c. iv, n. 3, t. ix, col. 963 B.

Ce n’est pas que saint Hilaire ait rompu avec les autres significations du mot sacrement. On retrouve, en effet, très nettement la signification du sacrementserment. In ps. IXII, n. 12, P. L., t. îx. col. 406 CD ; xci, n. 2, col. 495 A ; ibid., n. 8, col. 499 A ; v.xviu. lit. xiv, n. 6, col. 592 A ; cxxxi, n. 4, col. 730 B ; ibid., n. 12, col. 735 C ; In Matth., c. v, n. 23, col. 940 A. Toute proche de cette signification, celle de profession de foi, signe sacré de salut : la foi au Fils est un sacrement, De Trinitate, t. VII, n. 6, t. x, col. 201 H ; la croix est un sacrement de la foi. In Matth., c. xi, n. 25, t. ix, col. 977 B ; ainsi que les cérémonies du culte, In ps. cxxxvi, n. 6, ibid., col. 780 CD ; sacrement de la foi, la confession de la divinité du Fils, De Trinitate, t. VII, n. 6, t. x, col. 204 BC ; aussi la confession de Pierre à Césarée de Philippe est-elle appelée confessio sacramenti (ici, l’idée de mystère entre déjà dans la signification du mot), ibid., t. VI, n. 20, col. 172 BC ; sacrement, la confession de la foi des apôtres en la Trinité, ibid., t. VIII, n. 36. t. x, col. 264 A. Cf. Evangelicæ fidei sacramentum, ibid.. t. XI, n. 1, col. 399 B. En plusieurs textes, nous trouvons le sens de symbole, figure, type : In Matth.. c. xxii, n. 3, t. ix, col. 1042 C ; le ps. i.xviii est un sacrement, c’est-à-dire une figure de la passion à venir du Christ, n. 1, t. ix, col. 476 A ; nous connaissons aussi le sacrement, c’est-à-dire l’expression, le signe de la prudence vraie et céleste de Dieu, In ps. lxvii, n. 21, t. ix, col. 457 C.

Mais c’est au sens de sacrement-mystère qu’Hilaire demeure surtout attaché. Innombrables sont les textes, relatifs à Dieu, à la Trinité ou à l’incarnation ou à quelque vérité dépendant de ces mystères, où le mot sacrement intervient en ce sens : Sacrement de l’unité de Dieu, De Trinitate, t. IX, n. 19, t. x, col. 295 B ; n. 26, col. 302 A ; de la substance divine, ibid., t. VI, n. 19, col. 171 C ; des dispositions (décrets) éternelles de Dieu, // ! ps. lxi, n. 2, t. ix, col. 396 AB ; de la science divine. De Trinitate. I. VII, n. 27. t., col. 223 B. Sacrement de la Trinité : ne pas diviser ce qui est un, ibid., col. 223 A ; ni solitude (seule), ni diversité (seule), ibid., 1. IX. n. 36, col. 508 A. Sacrement de l’unité dans chaque propriété divine, De Trin., t. XI, n. 1, col. 400 A ; sacrement du Père, ibid.. 1. X 1. n. 31, col. 405 A ; sacrement du Fils, ibid., I. VII, n.7 ; cf. I. IX, n. 72, col. 204 C et 338 B ; voir aussi le sacrement de la naissance (du Fils), De Trinitate. t. VII, n. 6, col. 204 A ; cf. n. 11, col. 207 C ; 1. IX. n. 23. 20. col. 299 A, 302 AB ; sacrement ignoré de plusieurs, ibid., t. VII, n. 5, col. 203 A.

De nombreux textes signalent le sacrement de l’incarnation, sacrement approché par la Loi, consommé par l’Évangile, sacrement (mystère) non pour Dieu, mais pour nous. De Trinitate. t. IX, n. 25-26, n. 4, P. L., t. X, col. 301 B, 302 A, 284 A. Sacrement de la divinité du Christ, t. X, n. 48, col. 381 C ; où Dieu se trouve tout en tous, non par nécessité, mais par sacrement (mystère), t. XII, n. 48, col. 431 C ; sacrement, selon le corps pris par la divinité, 1. XI. n. 18, col. 412 A : cꝟ. t. IX, n. 39, n. 00, col. 311 C, 334 B ; dans lequel Dieu, demeurant dans sa nature, est cependant né homme, t. X, n. 22, col. 359 B ; sacrement des actions théandriques, t. VIII, n. 50, col 273 B ; des dénominations à donner au Christ, t. IX, n. 0, col. 283 AB ; sacrement dans lequel le Christ a souffert, t. X, n. 60, col. 391 C.

5. Zenon de Vérone.

Il connaît, lui aussi, plusieurs de ces différentes acceptions ; ses œuvres nous en fournissent quelques exemples. Dans le sens de mystère (pour l’incarnation) : Tract., t. I, ii, n. 9 ; xii, n. 1 ; t. II, xiv, n. 4, P. L., t. xi, col. 278 B, 339 B, 438 B ; (pour la Trinité) : Tract., t. II, i.xxi, col. 524 A ; lxxiii, col. 525 B ; lxxvi (sacrement du nombre trois), col. 526 B. Dans un sens plus large de figure mystique, type, t. I, xii, n. 3, col. 341 B ; t. ii, x. n. 2, col. 119 A ; XIII, n. 2, col. 450 B ; n. 3, col. 451 C ; LXIX, col. 523 A. Mais le baptême reçoit aussi le nom de sacrement : per sacramenta unda jam parturit. t. II, xxxii, col. 478.

6. Saint Optât.

Avec saint Optât, tout entier absorbé par la controverse donatiste, le mot sacrement semble réservé au baptême. De schismate donat., 1. I. c. x, xi, xii, P. L., t. xi, col. 899, 905 A, 907 B. Sans aucun doute, l’évolution sémantique est terminée. Si l’on peut encore relever chez les auteurs des sens différents du mot sacrement — il en sera ainsi jusqu’au xiie siècle — du moins, appliqué aux rites sanctificateurs, ce mot a un sens bien déterminé que l’on ne peut plus contester.

Ainsi saint Ambroise et l’Ambrosiaster, nous offrent plusieurs exemples de ces précisions définitives. On trouve encore sacramentum avec le sens de décrets divins, sacramenta divina, De Spiritu Sancto. t. II, prol., n. 11, P. L.. t. xvi, col. 775, ou avec le sens de serment : sacram-ntum ne verearis, Epist.. XL, n. 31, P. L., t. xvi, col. 1159 ; cf. De officiis, t. I, c. iv, n. 254, ibid., col. 108. Le sens actuel de sacrement est nettement indiqué, n. 247, col. 104, et principalement dans le De mysteriis, où ce mot, emprunté au grec, prend exactement la signification définitive. Voir c. i, n. 2, 3 : c. ii, col. 406, 407. On pourrait relever des indications semblables chez l’auteur du De sacramentis, t. xvi, col. 435 sq.


II. La notion.

De cette étude préliminaire du mot « sacrement » appliqué aux rites mystérieux employés par l’Église dans l’initiation et la vie religieuse de ses membres, se dégage déjà un double concept : l’idée de signe et l’idée de sanctification. Un signe sacré parce qu’il symbolise une réalité sainte, un signe efficace, parce qu’il produit lui-même la sanctification dans l’âme. <> Symbole efficace de sanctification », voilà comment le sacrement chrétien apparaît sous les formules encore hésitantes par lesquelles les premiers auteurs latins ont fait la transposition de [xuaT/ ; pr.ov en sacramentum.

Il est donc nécessaire de quitter l’étude du mot, pour s’attacher au concept exprimé dès le début dans la description des rites et des institutions auxquelles le mot fut appliqué postérieurement. Or, soit dans l’Écriture elle-même, soit dans la tradition préaugustinienne, nous trouvons très nettement marqué, à propos des sacrements, ce double concept de symbole efficace que saint Augustin mettra en pleine lumière au ve siècle.

I. DANS L’ÉCRITURE SAINTE. — L’Écriture, bien entendu, n’a pas de doctrine générale du sacrement chrétien. L’élaboration de ce concept ne s’est faite que peu à peu ; mais, dans l’Écriture, à propos des rites auxquels nous donnons aujourd’hui le nom de sacrements, se trouvent déjà exprimés à la fois leur symbolisme et leur efficacité dans la sanctification des âmes, (’/est à la description de chaque sacrement en particulier qu’il faut demander la démonstration de cette assertion générale. Démonstration plus complète et plus facile en ce qui concerne les deux sacrements de baptême et d’eucharistie que l’Écriture a surtout mis en relief, mais que l’on doit étendre aux autres sacrements sur lesquels l’Écriture ne nous a laissé que des traits rapides.

Le baptême.


Saint Paul, à maintes reprises, a exprimé le symbolisme et l’efficacité du baptême. Mais c’est surtout dans l’épître aux Romains qu’il faut en chercher la formule. « Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ? Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi nous marchions dans une vie nouvelle. Si, en effet, nous avons été greffés sur lui, par la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi par celle de sa résurrection : sachant que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût détruit, pour que nous ne soyons plus les esclaves du péché ; car celui qui est mort est affranchi du péché. Mais, si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons avec lui, sachant que le Christ ressuscité des morts ne meurt plus… Ainsi vous-mêmes, regardez-vous comme morts au péché, et comme vivants pour Dieu en Jésus-Christ. » Rom., vi, 4-11. L’immersion, symbole de la mort et de la sépulture de Jésus-Christ, signifie la mort du « vieil homme », enseveli sous l’eau. Mais, en sortant du bain baptismal, comme le Christ sortant du tombeau, le nouveau chrétien a puisé dans le baptême une vie nouvelle. Ainsi donc, le baptême symbolise la mort et la résurrection du Sauveur ; mais c’est, de plus, un symbole efficace, puisqu’il réalise dans l’âme du néophyte la mort au péché et la résurrection à la vie de la grâce. On remarquera, dans ce passage classique, que le symbolisme du baptême s’étend non seulement à l’effet réalisé dans l’âme, l’ablution signifiant et produisant la purification intérieure, cf. I Cor., vi, 11 : Acf., xxii, 16, mais encore à la réalité sainte qui est le type de cette purification, la mort et la résurrection du Christ, réalité éminente qui, tout en échappant a l’efficacité du sacrement, demeure cependant dans l’orbite de son symbolisme. En réalité, ce n’est pas seulement la mort et la résurrection du Christ qui entre dans le symbolisme sacramentel du baptême, c’est cm me toute la vie chrétienne, avec ses conditions présentes et scs espérances futures. « Dieu, notre Sauveur… nous a sauvés, non à cause des œuvres de justice que nous faisons, mais selon sa miséricorde, par le bain de la régénération et en nous renouvelant par le Saint-Esprit… afin que, justifiés par sa grâce, nous devenions héritiers de la vie éternelle, selon notre espérance. » Tit., iii, 5-7. Par cette régénération spirituelle qu’il réalise en nous, le baptême symbolise également et réalise pareillement notre entrée dans le royaume de Dieu, l’Église. Joa., m, 3, 5. Et c’est encore ce symbolisme qui permet à saint Paul d’étendre la purification du baptême à tout le corps mystique qu’est l’Église, que Jésus a aimée, pour qui il s’est livré, « afin de la sanctifier, après l’avoir purifiée dans l’eau baptismale ». Eph., v, 26-27.

Si nous considérions l’efficacité du baptême, sans nous attacher à son symbolisme, nous trouverions plus d’un texte : rémission des péchés, Marc, xvi, 16 ; Act., ii, 38 ; purification des crimes les plus énormes, I Cor., vi, 9-11 ; vie nouvelle, Rom., vi, 4 ; créature nouvelle, Gal., vi, 15 ; filiation adoptive du Père, Rom., viii, 15-17. Le baptême est « le bain de la régénération ». Tit., iii, 5. Dans Matth., iii, Il et Luc, iii, 16, l’expression « baptiser dans le feu et l’Esprit-Saint », marque symboliquement la purification intérieure que seul peut atteindre et réaliser le Saint-Esprit, par opposition au baptême de Jean qui n’obtient la rémission des péchés que moyennant la confession des péchés, Matth., iii, 6, et la pénitence intérieure, Luc, iii, 3.

L’eucharistie.


L’eucharistie occupe la pensée des écrivains inspirés piesque autant que le baptême. Le symbolisme est ici encore nettement marqué : il fait suite, chez saint Paul, à la doctrine du corps mystique. Participation au corps et au sang du Christ, l’eucharistie est le symbole de notre unité dans le Christ. « Puisqu’il n’y a qu’un seul pain, nous formons un seul corps, tout en étant plusieurs. » I Cor., x, 17-18. On peut rapprocher de cette assertion la prière sacerdotale de Jésus au moment et à propos de la Cène, demandant au l’ère, pour les hommes qui auront foi en lui, « qu’ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et vous en moi, afin qu’ils soient parfaitement un ». Joa., xvii, 22-23. Ainsi donc. « de même que le juif, en mangeant lachairde la victime immolée, participe au sacrifice qu’il offre et que le païen, par l’idolothyte, entre en communion avec l’idole, c’est-à-dire avec les démons, ainsi le pain et la coupe eucharistique rendent le fidèle participant au sacrifice offert par le Christ sur la croix ». P. Pourrat, La théologie sacramentaire, p. 92.

Le symbolisme et l’efficacité de l’eucharistie apparaissent peut-être avec plus de force encore dans l’évangile de saint Jean, en tant que le symbole de la nourriture matérielle nous fait comprendre d’une façon saisissante que la chair et le sang du Sauveur sont vraiment nourriture et breuvage. Par l’eucharistie, c’est-à-dire par la chair et le sang du Christ, nourriture et breuvage de l’âme, sont produits, dans l’ordre de la vie surnaturelle, les mêmes effets que la nourriture ordinaire produit dans l’ordre matériel. Par l’eucharistie, Jésus s’unit intimement au fidèle et L’unit à lui ; il lui communique la vie qu’il reçoit lui-même du l’ère et ainsi l’eucharistie est le moyen efficace qui donne au chrétien la vie éternelle et lui devient un gage de résurrection glorieuse. Joa., vi, 56-58.

On voit jusqu’où s’étend h-symbolisme de l’eucharistie. Sans doute, en tant que sacrifice ou participât ion au sacrifice par la communion, l’eucharist ie est le symbole coinmémoralif de la passion et de la mort du Sauveur. Luc. xxii, 19-20 ; 1 Cor., xi, 24-28, c’est-à-dire du sacrifice du Calvaire qui n’a eu lieu qu’une fois. Hcb., ix, 23-28. Mais l’eucharistie est représentative du sacrifice du Calvaire parce que le symbole du pain et du vin signifient, en même temps qu’ils la réalisent par l’efficacité toujours présente des paroles du Christ à la dernière Cène, la présence réelle du corps et du sang sous leurs symboles expressifs. Matth., xxvi. 26, 28 ; Marc, xiv, 22, 24 ; Luc, xxii, 19-20 ; I Cor., xi, 24-25 ; cf. Joa., vi, 48-58. Et, de plus, dans quelques-uns de ces derniers textes, le symbolisme efficace relatif à la vie de la grâce ici-bas, de la gloire dans l’au-delà, est nettement indiqué : Jésus y parle du « sang de la nouvelle alliance, répandu pour la multitude en rémission des péchés », Matth., xxvi, 28, et du « fruit de la vigne », dont, dit-il, « je ne boirai plus désormais, jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père », ibid., 29 ; cf. Marc, xiv, 24-25 ; ’Luc, xxii, 16, 18, 20. D’un trait, saint Paul souligne le symbolisme eschatologique (les scolastiques disaient : prognostique) par rapport à la vie future, en même temps que « remémorat if » par rapport à la passion du Sauveur : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez ce calice, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » I Cor., xi, 26. Et, dans saint Jean, le symbolisme eschatologique est aussi fortement accentué que possible, puisque la manducation du corps du Sauveur est un gage de vie éternelle et de résurrection glorieuse. Joa., vi, 50, 51, 54, 58.

La confirmation.


Le rite de l’imposition des mains, dans l’Église apostolique, symbolise la descente du Saint-Esprit dans les âmes. Non seulement il la symbolise, mais il la rend effective. Act., viii, 14-18 ; xix, 2-6. Complément de l’ablution baptismale, Act., xix, 5-6, ce rite n’est efficace que s’il est conféré par ceux qui ont reçu la plénitude de l’Esprit, les apôtres. Act., viii, 12-16. Mais, précisément pour manifester avec plus d’éclat dans l’Église naissante l’action de l’Esprit, il était accompagné de charismes merveilleux. Act., xix, 6 ; cf. I Cor., xii, 30-xiv, 40. Toutefois, l’apôtre Paul rappelle que la voie excellente entre toutes n’est pas celle des dons, mais celle de la charité. Ibid., xiii, 1-13.

Ici encore, le symbolisme ne s’étend pas seulement aux effets du sacrement ; il concerne encore l’objet de la confession que les chrétiens, éclairés et soutenus par le Saint-Esprit, doixent avoir la force de faire publiquement pour assurer leur salut. Cf. Marc, viii, 38. Le symbolisme n’est donc pas seulement efficace quant aux effets présents, il est encore remémoratif du Christ crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les gentils, I Cor., i, 23, qu’il faut savoir confesser avec courage si l’on ne veut pas — symbolisme eschatologique — être renié par le souverain juge. Luc, xii, 13.

L’ordre.


A plusieurs reprises, Paul parle des charismes qui se rapportent au gouvernement des Églises. I Cor., xii, 28 ; I Thess., v, 12, 13. Le rite symbolique, par lequel s ? transmet le pouvoir sur l’Église, c’est ici encore une imposition des mains, symbole du Saint-Esprit conférant ce pouvoir et la grâce pour le bien exercer. Act., xiv, 22 ; II Tim., I, 6 ; cf. I Tim.. iv, 14 ; v. 22 ; Act., vi, 6. Voir ici Ordre, t. xi, col. 1237 sq. Que le symbolisme du rite ait ici encore une extension qui dépasse le pouvoir signifié et produit par lui, cela résulte de la nature même de ce pouvoir qui n’est qu’une participation du pouvoir sacerdotal du Christ, cf. I Cor., iv, 1, seul médiateur, seul prêtre véritable. Heb., x, 14 ; vii, 23, 24.

L’extrême-onction et la pénitence.


Le symbolisme de l’extrème-onction est indéniable : « Si quelqu’un de vous est malade, qu’il appelle les prêtres de l’Église, et que ceux-ci prient sur lui, en l’oignant d’huile au nom du Seigneur. Et la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le rétablira et, s’il a commis des péchés, ils lui seront pardonnes. » Jac, v, 1-4. L’onction d’huile, symbole de l’adoucissement des souffrances et de l’apaisement de l’âme est en même temps un symbole efficace de la rémission des péchés. Mais, tout comme la pénitence qui, elle aussi, signifie et produit cette rémission, l’extrême-onction est le prolongement expressif de cette rédemption par laquelle le Sauveur nous a mérité le pardon de nos fautes. Remettre les péchés n’est-il pas le propre de Dieu ? Matth., ix, 2-3 ; Luc, v, 21. Mais précisément Jésus a été envoyé par le Père pour sauver le monde, et il envoie les apôtres et leurs successeurs comme lui-même a été envoyé, et il leur communique le Saint-Esprit, pour bien marquer le prolongement en eux de son pouvoir divin de remettre les péchés. Joa., xx, 21-23.

Le mariage.


C’est encore par le corps mystique que saint Paul explique, en partie du moins, le symbolisme efficace du mariage. L’efficacité du rite, quant à la production de la grâce, n’est touchée qu’indirectement. Mais le symbolisme et l’efficacité du symbole par rapport au lien conjugal est profondément tracé : « Q)ue les femmes soient soumises à leurs maris, comme au Seigneur ; car le mari est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l’Église, son corps, dont il est le Sauveur… Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église… Les maris doivent aimer leurs femmes comme leur propre corps. Celui qui aime sa femme, s’aime lui-même. Car jamais personne n’a haï sa propre chair ; mais il la nourrit et l’entoure de soins, comme fait le Christ pour l’Église, parce que nous sommes membres de son corps. C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et de deux ils deviendront une seule chair. Ce mystère (symbole) est grand, je veux dire, par rapport au Christ et à l’Église. » Eph., v, 22-33. Mais précisément, au coursde ce magnifique développement, l’apôtre explique que « le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier… pour la faiie paraître devant lui, cette Église glorieuse, sans tache, sans rides ni rien de semblable, mais sainte et immaculée. Le symbolisme remémoratif de l’union du Christ et de l’Église appliqué par Paul à l’union des époux dans l’état de mariage implique donc l’efficacité du sacrement par rapport à la production d’une grâce qui sanctifie, rend saint et immaculé.

Conclusion.


Ce n’est donc pas une conception scolastique, mais c’est l’intelligence même des données script maires touchant le symbolisme efficace des sacrements, qui amène saint Thomas à conclure que le sacrement est, non seulement un signe sanctifiant, mais le signe d’une chose sacrée en tant qu’il sanctifie l’homme. Par rapport à la « chose sacrée » dont il est le signe, le sacrement possède un symbolisme multiple, bien qu’il ne signifie et ne réalise effectivement qu’une sanctification, celle du sujet auquel il est conféré. « Il faut dire, écrit le saint Docteur, que les sacrements de la Loi nouvelle signifient trois choses : tout d’abord la cause première qui sanctifie ; ainsi le baptême est le symbole de la mort du Christ : sous cet aspect, les sacrements sont remémoratifs. Ensuite, ils signifient l’effet sanctifiant qu’ils réalisent effectivement, et c’est même là leur principal symbolisme ; et ainsi ils sont démonstratifs. Peu importe d’ailleurs que le sujet ait été effectivement ou non sanctifié, car le défaut de sanctification n’est pas le fait du sacrement qui, autant qu’il est en lui, doit conférer la grâce. Enfin, ils signifient la fin de la grâce sanctifiante, c’est-à-dire l’éternelle gloire et, sous cet aspect, ce sont des signes prognosliques. Les sacrements de l’ancienne Loi sont uniquement prognostiques. » In /Vum Sent., dist. I, q. i, a. 1, qu. 1.


II. CHEZ LES PÈRES AVANT SAINT AUGUSTIN.

Les Pères grecs.


1. Les Pères apostoliques. —

Ce concept de symbole ou signe efficace de sanctification se retrouve dans les affirmations des premiers écrivains chrétiens.

Sans doute, la Didachè ne rapporte explicitement que la façon d’administrer le baptême. Néanmoins le symbolisme efficace du rite transparaît puisque, même en admettant que le repas désigné au c. ix, 5, soit un simple repas liturgique, seul le baptême y donne accès. Mien plus, au c. x, 3, fi, l’aliment et le breuvage spirituels donnés aux seuls baptisés au nom de Jésus, à ceux-là seuls qui sont saints, ont pour effet « la vie éternelle ». Il y a là, succinctement indiqué, le symbolisme efficace du baptême, qui purifie, de l’eucharistie qui nourrit, pour la vie surnaturelle de l’âme. La matière du baptême est l’eau vive, courante, froide, bien que ce ne soit pas absolument nécessaire. N’est-ce pas que cette eau marque mieux le symbolisme de la vie acquise par la régénération du baptême ? C. vii, 1-2. L’invocation trinitaire, vii, .’5, ajoute encore à l’idée de symbole efficace.

Au symbolisme de la nourriture et du breuvage spirituels s’ajoute, pour l’eucharistie, celui déjà marqué par saint Jean et saint Paul, de l’union des membres du corps mystique, ix, 4 ; et encore le symbolisme remémoratif de l’immolation du Calvaire, dans le « pain rompu », ix, 4 ; xiv, 1. Le symbolisme est d’autant plus marqué et plus efficace, qu’il s’agit d’offrir un véritable sacrifice, le sacrifice préfiguré par Malachie, ibid., 3, lequel requiert, en raison de son caractère sacré, l’intervention de ministres sacrés. évêques et diacres, xv, 1. Sur l’interprétation eucharistique des c. ix-x, voir Eucharistie, t. v, col. 1 12fi. En sens opposé, H. Leclercq, Dictionn. d’archéol. el de lit., t. iv, col. 782-791.

Le symbolisme du baptême, décrit par saint Paul, voir col. 495, se retrouve dans l’épître de Barnabe. Tout le c. xi est consacré à expliquer ce symbolisme, dont l’eau, jaillic du rocher dans le désert, est une préfigure, dont la croix garantit, à ceux qui croient et espèrent, l’efficacité : « Bienheureux ceux qui, espérant en la croix, sont descendus dans l’eau… Nous descendons dans l’eau remplis de péchés et de souillures, et nous en sortons portant des fruits, possédant dans le cœur la crainte et, dans l’esprit, l’espérance en Jésus. » xi, 8, 11. Cette vie nouvelle est décrite au c. xvi, 8-10.

Sous une forme allégorique, Hermas expose lui aussi le symbolisme efficace du baptême. L’Église symbolisée par une tour, est bâtie sur l’eau, Vis., III, ii, 1 ; m, 3, parce que l’eau du baptême donne aux hommes la vie et le salut ; et, à ce propos, l’auteur ajoute que « la tour est fondée sur la parole d’un nom tout-puissant et glorieux (le Fils) et qu’elle est soutenue par l’invincible force du Seigneur ». Vis., III, iii, 5. Les pierres de la tour, ce sont les fidèles, Vis., III, v, I, même ceux de l’Ancien Testament qui, pour faire partie de l’Église, ont été baptisés dans le séjour des morts par les apôtres et les docteurs qui y descendirent pour prêcher le nom du Fils de Dieu..S/m/L. IX, xvi, 5. Aussi toutes les pierres sortaient de l’eau. Simil.. IX, xvi, l, c’est-à-dire passaient par le baptême, « car il est nécessaire de monter par l’eau, si l’on veui obtenir la vie ; on ne peut en effet entrer dans le royaume de Dieu qu’en déposant la mort (du péché) de la vie antérieure. Simil.. IX, xvi, 2. « Tant que l’homme ne porte |>as le nom du fils de Dieu, il est mort ; mais dès qu’il en a reçu le sceau (a’fpayîç), il a déposé la mortalité et repris la vie, Ce sceau, c’est l’eau (du baptême) ; dans l’eau descendent des morts, et de l’eau remontent des vivants. Ibid., jcvi, 2-3. Mais Hermas voit que certaines pienes on1 été rejetées de la tour : ce sont les fidèles qui on1 péché après leur baptême. Simil.. IX. XIII, 3-9. Pour ces pierres, il a cependant possibilité de reprendre leur place dans la tour ; c’est par la pénitence que les pécheurs pourront rétablir en eux le sceau brisé par le péché. Simil.. IX, xiv, 1-3 ; VIII, vi, 3. Cette pénitence rend la vie, l’impénitence entraîne la mort. Ibid., vi, fi. Mais cette pénitence n’est accordée qu’une fois. Mand., IV, iii, 1. C’est qu’au début du iie siècle, on ne concevait guère qu’un chrétien pût retomber dans le péché après son baptême. L’efficacité du baptême devait être telle qu’on en devait garder le sceau tï]v acppayîSa immaculé, pour recevoir la vie éternelle. Il" Clem., vin, fi ; ef. vi, 9. Témoignage irrécusable en faveur de l’efficacité du sacrement.

L’étude de l’eucharistie nous amène aux mêmes conclusions. Le pain et le vin sont les symboles de cette nourriture, de ce breuvage spirituels qu’ils contiennent véritablement et dont l’effet est d’entretenir dans le chrétien la vie surnaturelle qui doit assurer plus tarrl sa résurrection glorieuse.

Nous avons déjà, sur ce point, recueilli l’enseignement de la Didachè. Sur la croyance d’Ignace à la présence réelle, voir t. vii, col. 707. Tous les textes relevés en ce sens affirment l’efficacité de l’unique eucharistie, celle qui est consacrée pai Pévêque ou le prêtre auquel l’évêque l’a permis, par rapport à la vraie chair de notre Sauveur Jésus-Christ. Philad., IV ; Smyrn., viii, 1 ; cf. vii, 1. De sorte que ce « pain de Dieu, c’est « la chair de Jésus-Christ ». Rom., vii, 3. Aussi l’efficacité de l’eucharistie pour parfaire l’œuvre du baptême est-elle incomparable : c’est un remède de l’immortalité, un antidote contre la mort. Ephes., xx.’J. On notera qu’Ignace insiste sur l’union à l’évêque et au presbyterium en relation avec cette nourriture unique qui fait vivre avec le Christ en toutes choses. Id., ibid. On notera au. si que le çàpijtaxov àOocvaoîaç concerne non seulement l’immortalité de l’âme dans la vie da la grâce, mais l’immortalité de l’homme tout entier ; cf. Smyrn., vii, 1. C’est donc le symbole efficace de notre résurrection future dans la gloire.

On rapprochera de ces affirmations d’Ignace, cette prière des Arta Thomw : « Seigneur, fais de ce pain le pain de vie, pour que ceux qui en mangeront restenl incorruptibles- : Toi qui as daigné permettre qu’ils reçoivent ce don, daigne permettre qu’ils participent à ton royaume, qu’ils demeuient toujours immaculés en cette vie. afin que, demeurant tels, ils reçoivent ces immortels et grands bienfaits. » C. L, édit. Bonnet, Acta apostolorum apocrypha, t. n b, Leipzig, 1903, p. 73. Mais il est douteux que cet écrit remonte plus haut que le début du m"e siècle. Cf. É. Amann, Apocryphes du Nouveau Testament, dans Supplément du Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 503.

2. Les Pères apologistes. —

Le symbolisme efficace du baptême avait été si nettement marqué par saint Paul qu’il est impossible de ne pas le retrouver pour ainsi dire à chaque page de l’histoire des dogmes. « L’unique moyen d’obtenir la rémission de nos péchés, déclare saint Justin à Tryphon, c’est de reconnaître le Christ et d’être lavés par ce baptême de la i émission des péchés, prêché par Isaïe. » Dial., xi.iv. P. / ;., t. vi, col. 572 A. Mais c’est dans l’Apol. P. suri oui c, i.xr. que Just in expose sa doctrine. Après la préparation des catéchumènes au baptême. « ils sont conduits au lieu où est l’eau, et là, de la même manière que nous avons été régénérés nous-mêmes, ils-oui régénérés à leur tour. Au nom de Dieu, le l’ère el Maître de toutes choses, et de Jésus-Christ, notre Sauveur, et du Saint-Esprit, ils sont alors lavés dans l’eau ». Loc. cit., col. 120 C. Le symbolisme surnature] du baptême est parfaitement expliqué par Justin, Le baptême est une illuminât ion, « parce que ceux qni reçoivent celle doctrine ont l’esprit illuminé ». L’expression çwuÇépievoi qui désigne ici les néophytes paraît être une expression déjà traditionnelle. Ibid., Col. 121 BC. C’est aussi une nouvelle naissance, -Lvayéwïjoiç. Ibid., lxi, col. 420 C ; cf. xlvi, col. 397 BC. Justin rappelle même ici la parole du Christ, Joa., m, 5, en la citant librement. Apol., i, lxi, col. 120 CD. Par là, le baptême efface tous les péchés passés et, de plus, nous consacre à Dieu, col. 421 A. Voir le texte complet, ici t. viii, col. 2271.

En ce qui concerne l’eucharistie, tout en nous relatant en détail la liturgie de l’eucharistie, voir ici, t. viii, col. 2271-2272, Justin nous donne la signification profonde de ce sacrement, en marquant à la fois le symbolisme qu’il manifeste, la réalité qu’il opère et les elîets merveilleux qui en résultent pour l’âme. « Nous ne prenons pas ces choses comme du pain vulgaire ou comme un breuvage vulgaire ; mais de la manière dont, fait chair par le Verbe de Dieu, Jésus-Christ notre Sauveur eut une chair et du sang pour notre salut, ainsi l’aliment eucharistie par un discours de prières qui vient de lui-aliment dont nos chairs et notre sang sont nourris en vue de la transformation — est la chair et le sang de ce Jésus fait chair… » Apol., i, lxvi, col. 428 C. Ainsi donc quand Justin parle de la transformation que l’eucharistie doit opérer en nous, il s’agit, semble-t-il, de l’immortalisation de tout notre être. Cf. art. Justin (Saint), I. viii, col. 2273. Ajoutons que Justin n’ignore pas le symbolisme commémorât if de l’eucharistie, puisque le Christ nous a prescrit de célébrer l’eucharistie « en souvenir de la souffrance qu’il a subie pour tous les hommes ». Dial., xli. col. 564 B. Voir ici, t. rai, col. 2274.

Plus succinctement que chez Justin, on trouve les mêmes idées sur le baptême chez Théophile d’Antioche ; avec la rémission des péchés, le baptême opère une régénération, izoikiyyeiieata : ainsi est-il le « bain de la régénération, auquel doivent accéder tous ceux qui parviennent à la vérité, sont régénérés et reçoivent la bénédiction de Dieu ». Ad Autolijcum, t. II, xvi, P. G., t. vi, col. 1077 C.

Mêmes doctrines chez saint Irénée, mais sur un plan plus vaste. On sait que, pour Iiénée, un sacrement désigne toujours une opération mystérieuse. Cf. Cont. hier., t. II, c. xxx. n. 7 ; t. IV, c. xxxv, n. 3, P. G., t. vii, col. 820 B, 1088 B. Mais ici l’opération mystérieuse a une efficacité spéciale, elle communique la grâce. La théologie d’Irénée est d’autant plus précieuse qu’elle oppose le symbole efficace des rites chrétiens aux symboles vains des gnostiques. Voir Irénée (Saint), t. vii, col. 2495. Mais la thèse traditionnelle se retrouve chez Irénée. Le baptême, dont la matière est l’eau, « régénère, remet les péchés, purifie le corps et l’âme, fait l’homme enfant de Dieu, lui donne le Saint-Espiit ». Ibid., col. 2495-2490, avec les références indiquées.

A propos de la confirmation, on trouve chez Irénée le double symbolisme efficace de l’imposition des mains et de l’onction. Et c’est vraiment le Saint-Esprit qui est donné par cette imposition, qui n’a rien à faire avec la magie. Voir ici t. ii, col. 1028-1029.

L’eucharistie cache, sous les apparences symboliques du pain et du viii, le vrai corps et le vrai sanj> du Sauveur, et Irénée en tire un argument contre les gnostiques pour affirmer la réalité de l’incarnation. Voir ici t. v, col. 1129. Mais Irénée note avec soin le double aspect de l’efficacité de l’eucharistie : le changement du pain au corps, du vin au sang, tout en conservant les apparences extérieures, puis notre propre transformation par l’eucharistie. Et ce double effet est produit par la vertu d’une parole divine : « Quand donc le calice (de vin) mêlé (d’eau) et le pain reçoivent la parole de Dieu et qu’ils deviennent l’eucharistie (c’est-à-dire le corps du Christ)… » Cont. hier., t. V, c. ii, n. 3, P. G., t. vii, col. 1125 B. < De même que le pain qui est de la terre, recevant l’invocation de

Vieil, n’est plus un pain commun, mais l’eucharistie, composée de deux éléments, l’un céleste, l’autre terrestre, de même nos corps recevant l’eucharistie ne sont plus corruptibles, puisqu’ils ont l’espérance de la résurrection pour l’éternité. » L. IV, e. xviii, n. 5, col. 1028-1029. L’indication des deux éléments marque encore un autre aspect du symbolisme eucharistique : « Deux éléments, l’un terrestre, l’autre céleste, non pas dans le sens d’une consubstantiation, puisque les éléments sont devenus le corps et le sang de Jésus-Christ, mais ou bien dans le sens des apparences extérieures et de la réalité interne, ou mieux en ce sens que l’eucharistie contient l’humanité et la divinité du Sauveur. > J. Tixeront, Histoire des dogmes, t. i, Paris, 1915, p. 273. Voir ici Eucharistiques ( Accidents), t. v, col. 1370-1371.

Qu’Iiénée admette une pénitence sacramentelle, la chose paraît indubitable. Et cette pénitence remet efficacement les péchés. Voir t. vii, col. 2497. Voir aussi P. Galtier, L’Église et la remission des péchés aux premiers siècles, Paris, 1932, p. 257-258, et ici Pénitence, t. xii, col. 704-765.

Si l’évêque de Lyon enseigne manifestement la distinction du clergé et des simples fidèles et, dans le clergé même, l’existence d’une hiérarchie sacrée, voir t. vii, col. 2428, c’est qu’il attribue à l’ordre une efficacité réelle quant aux pouvoirs qu’il confère. Il a déjà l’expression : succrdotalem ordinationem, t. III, c. xi, n. 8. P. G., t. vii, col. 88(1 B.

L’efficacité du baptême et surtout de l’eucharistie est également mentionné.’dans les deux inscriptions de Pectorius d’Aiituu et d’Abcrchis de Hiérapolis, le baptême étant décrit comme « les Ilots éternels de la sagesse », dans lesquels l’âme doit « se refaire », l’eucharistie étant figurée par le poisson. Voir J. Jalabert, art. Épigraphie, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. i, col. 1 115-1446.

3. Clément d’Alexandrie.

L’idée de rite efficace de sanctification est à la base de toute la théologie sacramentaire de Clément d’Alexandrie. Le baptême opère en nous une œuvre divine, charisme, bain, illumination, dont l’effet est de nous purifier et de nous communiquer, par l’Esprit-Saint, les grâces de Dieu. Ainsi le baptême nous régénère et l’eau baptismale, à cause de cette régénération spirituelle, peut être comparée à une matrice. Voir les textes ici, t. iii, col. 184. De la confirmation, Clément marque le sigillum préservateur, administré par l’évêque. Qtlis dives, c. xi. ii, dans P. G., t. ix, col. 648. Ici, t. m. col. 184 B C.

Les distinctions apportées par Clément, au sujet des fautes commises après le baptême, entre pénitence et rémission des péchés, et entre rémission des péchés et pardon, uéiàvoux, àçeoiç, cuYyvcôjji.7), montrent bien qu’il met une différence entre l’efficacité du baptême et celle de la pénitence, comme sacrements. Dans la pénitence elle-même, les effets sont différents s’il s’agit de la rémission accordée par Dieu et du pardon accordé par l’Église. Voir t. iii, col. 185 et t.xii, col. 700.

Si les formules allégoriques dont Clément enveloppe sa doctrine eucharistique donnent à celle-ci quelque obscurité dont les protestants ont voulu tirer parti contre la foi en la présence réelle, il n’en reste pas moins vrai que Clément affirme, avec le caractère symbolique de l’eucharistie, la réalité du corps et du sang et leur efficacité comme nouniture spirituelle de l’âme. Les effets de cette nourriture divine sont l’union au Christ, la sanctification du corps et de l’âme. J : i maîtrise des passions, l’immortalité du corps lui-même. Voir les textes et leur explication, t. iii, col. 195-197. Cf. P.Batiffol, Études d’histoire et de théologie positive, IIe série, Paris, 1 905, p. 1 82-1 92 et mieux.

L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, Paris. 1913, p. 248-261.

I. Origène. —

Plus encore que pour Clément d’Alexandrie, c’est la philosophie néoplatonicienne qui suggère à Origène le symbolisme qui alimente sa théologie en général et ses conceptions sacrament aires en particulier. Mais ici déjà commencent à se mêler aux énoncés dogmatiques quelques essais de spéculation théologique sur l’efficacité des sacrements.

La philosophie néoplatonicienne, qui faisait une si grande part au symbolisme, avait habitué ses adeptes à chercher, sous le sens littéral d’un écrit ou sous les apparences sensibles d’un objet, des réalités plus profondes et plus mystérieuses. Le monde phénoménal n’est qu’un signe du monde intelligible caché eu lui. Cf. Zeller, Philosophie <ler Crieehen, t. ni b, p. 251. Aussi attachait-on beaucoup d’importance à l’étude des signes où l’allégorisme script uraire, en particulier, puisait ses principes. « Le signe, dit Origène, est une chose visible qui éveille l’idée d’une autre chose invisible : signum dicitur cum per hoc quotl videtur aliud aliquid indicatur. » Jouas, sortant du ventre du poissou, est un signe de la résurrection du Christ. La circoncision imposée par Dieu à Abraham est un signe de la circoncision spirituelle du cœur dont parle saint Paul, I’hil., III, 3. In epist. ad Rom., I. IV, n. 2, P. G., t. xiv, col. 968 A. Le signe (or, ii, eïo v) se distingue du prodige (te’p a ;) ; le prodige est un fait extraordinaire qui a pour but d’exciter l’admiration des hommes ; le signe est un fait vulgaire qui fait penser à autre chose qu’à lui. In Joa., t. xviii, n. 60, P. (’., t. xiv, col. 521 13. > I’. Pourrat, La théologie sacramentaire, p. 5-6.

Sur cette théorie générale du signe, Origène établit le symbolisme des sacrements de baptême et d’eucharistie.

Pour le baptême, saint Paul avait tracé la voie. L’eau baptismale rappelle la mort au péché ; elle est le sépulcre dans lequel nous mourons et sommes ensevelis dans le Christ. In epist. ad Rom., t. V, n. X, P. G., t. xiv, col. 1038. Mais nous sortons du bain salutaire vivants avec le Christ ; aussi le baptême est-il le symbole d’une purification totale de l’âme, lavée de toutes ses souillures. Symbole, oui. mais aussi symbole efficace, car il est aussi principe et source des dons divins pour le néophyte qui se donne à Dieu : TÔ Sià toû’jo’otTOç Xo’jTpôv, a’! >|x60Xov ruy/âvov xaOapaîou puxîjÇ) Tcâvra p’Wjv àirô xaxîocç à7ro7rXuvo{i£v7]Ç In Joa. À. vi, n. 17, P. G., t. XIV, col. 257 A. Contre le marcionisme, Origène rappelle que le sacrement chrétien n’opère pas en vertu de la sympathie universelle des êtres, pal une sorte d’elle ! magique, « mais en vertu du dessein providentiel, selon lequel tous les croyants sont < en sympathie avec le Christ » et reçoivent le signe efficace de cette communion ». H. Cadiou, La jeunesse d’Origène, Paris, 1936, p. L3 ! », note 2. Cf. In Gen., iii, P. G., t. mi. col. 52, 53. À ces affirmât ions dogmatiques, Origène mêlera donc une considération théologique : c’est grâce à la puissante invocation de l’adorable Trinité que le baptême acquiert sa vertu purificatrice.

Le symbolisme efficace des « eaux visibles n du baptême est étendu par Origène au « chrême visible ». In epist. ad Hom., t. V, n. X, P. G.. I. XIV, col. 1038 CD.

L’application du symbolisme à l’eucharistie est plus délicate. L’eucharistie est un sacrement à part, puisque le symbolisme affirmé par saint Paul n’empêche pas la réalité même du corps et du sang signifiée par les symboles extérieurs. Il y a pour ainsi dire une double efficacité dans le symbolisme eucharistique, l’une relative à la présence du corps et du smi^ sous le symbole du pain et du viii, l’autre relative à la nourriture spirituelle (le l’âme par la grâce produite dans le communiant bien disposé. Là OÙ Origène se laisse entraîner par le symbolisme extérieur (les espèces sacramentelles, il semble oublier la présence réelle. En réalité, il professe sur ce point la foi de l’Église et la croyance commune. Voir ici une mise au point exacte, t. xi, col. 1558-1560. On devra corriger l’appréciation un peu trop absolue de Pourrat, op. cit.. p. 7. Si les allégories qu’Origène superpose au dogme de la présence réelle n’ont plus trait à l’eucharistie, il n’en reste pas moins vrai que le double symbolisme et l’efficacité du symbole eucharistique n’est pas ignoré de cet auteur, témoin ce texte du Contra Celsum, t. VIII, n. 33 : « Rendant grâces au démiurge de l’univers, nous mangeons les pains que nous (lui)’offrons avec action de grâces et prières pour (tous ses) dons ; (nous mangeons ces pains) devenus corps par la prière, quelque chose de saint et qui sanctifie ceux qui en usent avec un sain propos. » P. G., t. XI, col. 1565 C. Cf. P. Batiffol, L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, Paris, 1913, p. 264-265.

L’efficacité du sacrement de pénitence est d’autant plus marquée chez Origène qu’on trouve indiqués par lui d’autres modes de rémission des péchés, le martyre, l’aumône, le pardon des injures, le zèle pour la conversion des pécheurs, l’amour de Dieu, In Levit., hom. ii, n. 4, P. ( ;., t. xii, col. 117-419. Mais la pénitence tient une place à part : c’est qu’elle est un pouvoir de lier et de délier, de remettre et de retenir les péchés, donné par Dieu aux chefs de l’Église. In Jud., hom. n. n. 5, P. G., t.xii, col. 961 A ; In Matth., t. xii, n. Il ; t. XIII, col. 1012-1013. Toutefois l’efficacité du sacrement n’est pas telle que les prêtres puissent, par le seul effet de leurs prières, remettre les péchés les plus graves. Voir sur ce texte du De oratione, l’art. Origène, t. xi, col. 1557.

5. La théologie grecque, au IIIe siècle, après Origène. —

La théologie postérieure à Origène maintient, au sujet des sacrements, la notion du symbole et de l’efficacité sacramentels.

Le rite du baptême, tel que le décrit la Didascalie, est conforme au symbolisme exprimé par saint Paul. Édition de Funk, III, xii (parallèle aux Constitution.", apostoliques, xvi), n. 2, p. 210. L’efficacité du baptême est rappelée en quelques mots expressifs : c’est un sceau, un sceau infrangible, imprimé par Dieu sur le chrétien, II, xxxix, 6, p. 126 ; cf. III, xii (xvi), 2, p. 210 ; l’achèvement de l’homme, ibid., p. 126 ; cf. Théognoste, l’ragm., P. G., t. x, col. 240, 241. Un autre effet du baptême est de remettre les péchés, d’engendrer le néophyte à une vie nouvelle, de lui donner le Saint-Esprit, d’en faire un autre Christ. Didasc, II, xxxix, I. p. 126 ; V. ix, 1, 5, p. 262 ; VI, xii, 2, p. 326 ; xvii (xxii), 1. p. 351 ; xviii (xxm), 4-5, p. 358 ; xxr (xxvii), 5, p. 371-372. Cf. Méthode d’Olympe, Convivium. VIII, vin. ix, P. G., t. xviii, col." 149, 152.

Le symbolisme euchaiistique est également marqué, mais d’une façon conforme aux exigences du dogme de la présence réelle. L’eucharistie est le pain sanctifié par les invocations. Didasc. VI, xxii (xxviii), 2, p. 376 ; elle est une nourriture sainte, ayicc rpocpY) ou simplement les choses saintes, xà ayta. Denys d’Alexandrie, l’ragm.. édit. E. Feltoe, Cambridge, 1904, p. 58. 59. 103 ; ou encore les choses saintes parmi les saintes, -à ay.y. twv àyicov. Id., ibid.. p. 103. Le Dialogue d’Adamantius qui emploie parfois des termes d’un réalisme accentué (par exemple : toucher le corps et le sang du Chris !) revient ensuite au symbolisme : le Chris ! a fait du pain et du breuvage les images, etxoveç, de son corps et de son sang. IV, vr. P. (, ’.. I. xi. col. 18 10 BC. De même la Didascalie. du moins d’après le texte grec concordant des Constitutions apostoliques, t. VI, c. xxx, n. 2, édit. Punk, p. 381, invite les fidèles à offrir « l’eucharistie agréable, image du corps royal du Christ », àv-rmiTrov toG (îaai.-Xeîo’j n(o[i.a-roç XpiaToû. Voir aussi xxii, 2, p. 376. Ces manières de parler… ne supposent nullement que ceux qui les cniploient sont des symbolistes. Elles marquent seulement le caractère de signe et de symbole qui convient dans l’eucharistie aux éléments sensibles. Le pain et le vin sont les figures, les antitypes du corps et du sang en quoi ils sont intérieurement transformés, et qui sont devenus nourriture et breuvage pour nous. » Tixeront, Histoire des dogmes, t. i, Paris, 1915, p. 498499. Et c’est le Saint-Esprit qui est le principe de cette sanctification.

Le pouvoir de lier et de délier implique pour l’évêque le pouvoir de pardonner les fautes et de purifier ! e pécheur. Didascalie, II, xi, 2 ; xii, 1-3, p. 46-48 ; xvi, 8, p. 60 ; xviii, 1-3, p. 64 ; xx, 2, 5, 8, p. 72, 74. Cf. Méthode d’Olympe, De la lèpre, vii, 4-7, éd. Bonwetsch, p. 459-460. L’imposition de la main est le geste symbolique qui marque la réconciliation : « La Didascalie remarque expressément que, par cette imposition de la main, qui est comme un second baptême, le pénitent recevait le Saint-Esprit, témoignage non équivoque de la purification intérieuie qu’opérait l’absolution, et de son caractère sacramentel. » Tixeront, op. cit., p. 504. Cf. Didascalie, II, xli, 2, p. 130 ; et xviii, 7, p. 66.

C’est encore le geste de l’imposition des mains, XStpoOsata, qui confère le presbytérat et le diaconat. Concile de Néocésarée, can. 9 ; cf. Hefele-Leclercq, Hist. des conciles, t. i, p. 331 (l’imposition de la main qui confère l’ordination remet les péchés autres que l’impureté). Sur ce rite et son symbolisme efficace, voir Ordre, t. xi, col. 1245 sq.

Quelques indications relatives au caractère sanctifiant du mariage peuvent être trouvées dans la Didascalie, IV, xi, 6, p. 234 ; VI, xxii (xxix), 6-8, 10, p. 378, 380.

6. La théologie grecque au IVe siècle. —

Au ive siècle, le symbolisme baptismal, tel que l’avait formulé Origène d’après saint Paul, est entré nettement dans l’explication du sacrement. Toutefois, tandis qu’Origène faisait dériver l’efficacité du baptême de l’invocation de la Trinité, les Pères grecs, à la suite des controverses sur la divinité du Saint-Esprit, expliqueront l’efficacité du rite baptismal par la présence et l’action de l’Esprit-Saint dans l’eau. Ils s’appuient sur Joa., III, 5. D’ailleurs ils marquent nettement, et notamment saint Jean Chrysostome, que, dans l’administration des saints mystères, l’acteur principal est Dieu, le prêtre n’est que l’instrument de Dieu : « Le prêtre ne fait qu’ouvrir la bouche ; Dieu fait tout. Le prêtre accomplit seulement un signe symbolique. .. L’oblation est la même, que ce soit celle de Paul ou de Pierre… » In epist. II*™ ad Tint :, hom. ii, n. 4, P. G., t. lxii, col. 612. Et encore : « Quand le prêtre baptise, ce n’est pas lui qui baptise, mais Dieu dont l’invisible présence tient la tête du baptisé. » In Matth., hom. l, n. 3 ; cf. In Act. apost., hom. xiv, n. 3, P. G., t. lvii, col. 507 ; t. lx, col. 116. Bien plus, Jean enseigne l’efficacité des sacrements, même administrés par des indignes : « Dieu n’impose pas les mains à tous, mais il agit par tous (les prêtres), même indignes, pour sauver le peuple », In epist. 7/ am ad Tim., hom. ii, n. 3, P. G., t. lxii, col. 609. Nous sommes bien près du concept de symbole efficace ex opère opcralo, que précisera la théologie médiévale et que consacrera le concile de Trente.

Saint Grégoire de Nazianze, distinguant d’ailleurs six espèces de baptême, déclare que celui de Jésus est non seulement dans l’eau in pœnilentiam, mais de l’Esprit, et c’est ce qui fait son efficacité. Oral., xxxix, n. 17, 19, P. G., t. xxxvi, col. 356 sq. C’est aussi la doctrine de saint Basile : « Si l’eau baptismale a en elle quelque grâce, elle ne la tient pas de sa propre nature, mais de la présence de l’Esprit-Saint, èx -rîjç toù IIv£Ùfi.aTOç 7rapouataç. De spiritu sancto, c. xv, n. 35, P. G., t. xxxii, col. 132 A. Déjà la formule de bénédiction de l’eau baptismale de l’euchologe de Sérapion demande à Dieu de « remplir de l’Esprit-Saint les eaux », de faire venir sur elles le Verbe, « pour leur donner leur vertu ». xix, dans Eunk, Didascalia…, t. ii, p. 181. Cf. G. Worbermin, Altchristliche liturgische Stùcke, Leipzig, 1899, p. 8. Cyrille de Jérusalem déclare que la bénédiction de l’eau baptismale par l’invocation — il emploie le mot èizixkrpic, — de la Trinité donne à cette eau le pouvoir de sanctifier, Suvapuv àyoérriToç. Aussi cette eau n’est plus simplement de l’eau, XitÔv û8a>p, mais de l’eau unie à l’Esprit-Saint qui agit en elle et par elle. Cat., iii, 3, 4, P. G., t. xxxiii, col. 429, 432 ; cf. Cat., xvii, 8 ; xx, 6, col. 977 B, 1081B.

Cette efficacité du baptême a un double objet : nous faire mourir au péché et nous faire vivre pour Dieu. Les Pères ont magnifiquement développé cette doctrine. Cf. S. Basile, hom. xiii, In sanctum baptisma, P. G., t. xxxi. col. 424 sq. ; S. Grégoire de Nazianze, De baptismo, P. G., t. xlvi, col. 416 sq. ; S. Cyrille de Jérusalem, Cal., iii, 10, 11, 14, 15, 16, P. G., t." xxxiii, col. 442-449.

Pour expliquer ces effets, les Pères reprennent, avons-nous dit, le symbolisme déjà exprimé par saint Paul et par Origène : l’ensevelissement dans les eaux signifie, pour le baptisé, sa mort au péché, tandis que l’Esprit lui communique la vie, lui rend la vie première perdue par le péché. Cf. S. Basile, Homil. in sanctum baptisma, n. 2, P. G., t. xxxi, col. 428 ; De Spiritu Sancto, c. xv, n. 35, P. G., t. xxxii, col. 129 A ; S. Cyrille de Jérusalem, Cat., iii, 12, 14 ; xvii, 8 ; xx (mvst. n), 4, 6, 7, P. G., t. xxxiii, col. 441 C. 1Il B, " 977 B, 1080 C, 1081 B. Dans cette dernière catéchèse, saint Cyrille trouve dans la triple immersion le symbole « des trois jours et des trois nuits que le Sauveur a passés dans le sein ténébreux de la terre », et l’émersion rappelle la résurrection à la vraie lumière, 5, 7, col. 1081 À et 1084 B.

Plusieurs considérations accentuent l’idée du signe efficace. D’une part, en effet, nos auteurs admettent que le baptême peut être donné aux enfants d’une façon valide. S. Grégoire de Nazianze, Oral., xl, 28, P. G., t. xxxvi, col. 400 A. Le rite a donc une efficacité objective pour la production de la grâce. D’une part, la doctrine de la afppoq’îç est déjà nettement établie au ive siècle. Cf. S. Crille de Jérusalem, Procat. , 16 ; Cat, i, 2 ; iii, 12° ; iv, 16 : vi, 24, P. G., t. xxxiii, col. 360, 372 B, 441 C, 476 A, 952 B ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., XL, 4, 15, P. G., t. xxxvi, col. 361 D, 377 A : S. Basile, Homil., xiii. In sanctum baptisma, n. 4, P. G., t. xxxi, col. 432 C ; S. Jean Chrysostome, In epist. ad Ephesios, hom. ii, n. 2, P. (’, ., t. LXII, col. 16. Noir P. Pourrat, La théologie sacramentaire, p. 199 sq. ; Tixeront, Histoire des dogmes, t. H, p. 166, et ici Caractère sacramentel, t. ii, col. 1701 sq. Tous reconnaissent le caractère comme indélébile et, par conséquent, s’ils ne conçoivent pas encore nettement qu’il puisse être imprimé dans l’âme sans que soit conférée la grâce, du moins ils commencent déjà à distinguer nettement les deux effets. Cf. S. Cyrille de Jérusalem, Cat., i, 3, P. G., t. xxxiii, col. 375 A. Bien plus, la valeur morale du ministre n’est pas requise pour l’administration valide du sacrement. Voir ci-dessus, col. 505. Enfin, quelles que soient les obscurités de détail et les divergences d’appréciation, il semble bien que nos auteurs aient admis la validité, donc l’efficacité, du rite baptismal conféré par les hérétiques (au moins par certaines catégoiies) au nom de la Trinité. Voir ici, t. ii, col. 189 ; Tixeront, op. cit., t. ii, p. 168-170. Toutes ces considérations montrent que la doctrine de l’efficacité ex opère operato est déjà sous-jacente à toutes ces formules.

On pourrait présenter des considérations analogues en ce qui concerne la confirmation. Le rite de la confirmation étail comme un complément du baptême et, pour ce motif, n’en était pas toujours nettement distingué. Voir ici Confirmation, t. iii, col. 10321033. Néanmoins Didyme l’Aveugle le distingue expressément. De. Trinitate, I. 1 1. c.xii, 1’. G., t. xxxix, col. 009 A. Cf. Bardy, Didyme l’Aveugle, Paris, 1910, 1>. 150. Saint Cyrille de.Jérusalem lui consacre la catéchèse xxi, P. (’, ., t. xxxiii, col. 1089 sq. Ce Père a bien mis en relief le symbolisme efficace de la confirmation : L’huile parfumée (fzûpov, ypï<7|i.a) qui devait servir à l’onction était préalablement bénite par l’évêque. Dès lors, ce n’était plus, d’après la théorie de saint Cyrille, du chrême simple (jjwpov’yiÀôv) ; mais, de même que le pain eucharistique devient, par l’épiclèse, le corps du Christ, ainsi le chrême, par l’invocation, est devenu « le charisme du Christ productif du Saint-Esprit, par la présence de sa divinité », Xpia^où yàpia[ia. xocl nvEÙ|i.ocTO< ; àyîou, Trapoijejîa xvjç aÙTOÛ Osôttjtoç èvspyeTtxôv yiv6{xevov. Cal., xxi, 3, ibid., col. 1092 A. Le Saint-Espiit est dans le chrême, comme il est dans l’eau baptismale, et il agit en lui et par lui. Ainsi l’huile parfumée est l’antitype, àv-rt-ru7tov, du Saint-Esprit, ibid., I.col. 1089 A. Expression qui ne signifie pas - — comme on peut le voir — qu’elle en est un simple symbole ou une simple image, mais qu’elle le contient et constitue l’élément sous lequel il exerce et cache son action. » Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 170-171. L’effet de la confirmation est souvent indiqué par le mot açpaytç. La formule du rite (forme) était, d’après saint Cyrille : Dçpocylç Swpsâç toO ITveu|jwcToç àyîou. Cat., xviii, 33, col. 1056 B. Cf. Cet., iii, 15, xviii, 33, xxi, 1 ; xxii. 7. col. 448 A, 1050 B, 1092 B, 1101 B ; S. Athanase, Epist. ad Serapionem, iii, n. 3, P. G., t. xxvi, col. 028 B ; Didyme, De Trinitate, t. II, c. xiv, P. G., t. xxxix, col. 712 ; le Sairamentaire de Sérapion, xxv, n. 2, dans Funk, Didascalia et Constitution.es apost., t. ii, p. 180 ; Constitutiones apost., III, xvii, 1 ; VII, xxii, 2 ibid., t. i, p. 211, 400. Écho de la doctrine déjà implicitement acquise de l’ex opère operato.

En ce qui concerne l’eucharistie, le symbolisme d’Origènc est tenu en méfiance par les Cappadociens et trouve des adversaires irréductibles chez les Antiochiens, notamment Théodore de Mopsueste et Jean Chrysostome. La réaction de Chrysostome est même excessive. S. Jean Chrysostome, In Joannem, hom. xlvi, n. 3 ; cf. In Matth., hom. i.xxxii, n. 4, P. G., t. lix, col. 260-201, t. i.vm, col. 743. Voir Tixeront, op. cit., p. 178-180. Athanase et Didyme sont dans une note réaliste qui se contente d’affirmer la présence réelle. Id., p. 173-174. Mais, pour autant, le symbolisme ne perd pas ses droits. Dans la formule d’anamnèse qu’il présente, l’euchologe de Sérapion appelle le pain et le vin la ressemblance, ôp.otco|i.a, du corps et du sang du Monogène, xiii, 12, 14, dans Funk, op. cit., t. ii, p. 175. Dans son homélie xxvii, n. 17, Macaire écrit que les prophètes et les rois ont ignoré « que dans l’Église est offert le pain et le viii, figure (<xitÎtutiov) de la chair et du sang du Christ : ceux qui participent à ce pain visible mangent spirituellement (TrveuixaTixwç) la chair du Seigneur ». P. G., t. xxxiv, col. 705 B. Ce mot àvTÎTU7rov se lit également chez Cyrille de Jérusalem, Cat., xxiii, 20 ; cf. xxii, 3, P. G., t. xxxiii, col. 1124 C, 1100 A ; chez Grégoire de Nazianze, Oral., viii, n. 18, P. G., t. xxxv, col. X09 D ; chez Épiphane Adv. tuer., i.v, n. o, p. G., t. xl, col. 981 AH. La doctrine de la conversion du pain aux corps, du vin au sang, qui est à la base de toute la pensée des Pères grecs du [Ve siècle, explique l’emploi des mots bu, olaua et xv-’-'j-’tv et réduit le symbolisme eucharistique à ses justes proposions. Pour le comprendre, on devra observer quc. « pour ces auteurs, le pain et le viii, dans leui être naturel, ou par une institution de Dieu ou de Jésus-Christ, sont déjà une figure, un symbole du corps et du sang du Sauveur ; que ces éléments deviennent, en effet, par la consé dation - - et dans leurs espèces — les signes sensibles du Christ corporellement présent, l’enveloppe réelle qui le contient et sou> laquelle les fidèles le reçoivent. Rappelions-nous la théorie de saint Cyrille sur le chrême de la confirmation, antitype du Saint-Esprit ». Tixeront, op. cit., p. 177, 178.

Mais, par rapport au chrétien, ce corps et ce sang du Christ sont nourriture et breuvage spirituels. Ce second symbolisme efficace, c’est-à-dire producteur de vie surnaturelle, est souligné par nos auteurs. Le corps est un pain spirituel, le sang un vin spirituel. Cyrille, Cat., iv, 8, P. G., t. xxxiii, col. 105 A. Ils sont nourriture supersuhstantielle (ÈTTioûatoç) destinée à sustenter à la fois l’âme et le corps. Caf., xxiii, 15, col. 1120 B. Grégoire de Nysse esquisse même une sorte d’explication scientifique de la transsubstantiation : la ji.exaKrvrfiiç. Sur cette explication voir Tixeront, op. cit., p. 182-183. Mais, par rapport à nous, le résultat de cette « assimilation spontanée « est notre divinisation par l’union au corps de Dieu, notre incorruptibilité par notre communion à l’incorruptible.

Dans les autres sacrements, la notion de symbole efficace apparaît beaucoup moins. L’efficacité de la pénitence est affirmée contre les novatiens. Grégoire de Nazianze, Orat., xxxix, 19, P. G., t. xxxvi, col. 357 B. Quant à l’ordre, le geste symbolique et efficace de l’imposition des mains est indiqué par tous comme le moyen de conférer le sacrement. Const. apost., t. VIII, xvi, 2 ; xix, 2, édit. Funk, p. 523, 525. Seul, l’évêque peut, par l’imposition des mains, conférer l’ordre. Id., ibid., cf. xlvi, 11, p. 501. Mais cette imposition des mains était accompagnée de prières dont l’euchologe de Sérapion, xxvi-xxviii, édit. Funk, p. 189, 191 et les Constitutions apostoliques donnent les formules : VIII, v, p. 475 sq. ; cf. xvi, 2, p. 523 (prêtre) ; xviii, p. 523 (diacre) ; xx, p. 525 (diaconesse) ; xxi, 3, p. 527 (sous-diacre) ; xxii, 3, p. 527 (lecteurs). L’effet du sacrement est également affirmé. Saint Grégoire de Nysse observe que cet effet est de séparer le prêtie du reste des chrétiens : bien qu’extérieurement il paraisse rester le même, une transformation intérieure s’opère en lui par une grâce et une vertu invisibles. Saint Grégoire compare cette transformation à la consécration des autels ou à la conversion eucharistique : ce qui implique un caractère permanent et stable. In baplismum Christi, P. G., t. xlvi, col. 583. Saint Jean Chrysostome, en faisant l’éloge du mariage, î éprend le symbolisme indiqué par saint Paul, Eph., v, 22-23. In Eph., hom. xx, n. 4, P. G., t. lxii, col. 139-140.

Les Pères latins.


Si la notion du symbolisme efficace trouve déjà, chez les Grecs, une réelle consistance dès le ive siècle, elle nous apparaît, bien plus nette encore, principalement en ce qui concerne le baptême et l’eucharistie, dans l’Église latine. C’est d’ailleurs, comme le l’ait observer P. Pourrat, dans l’Église latine que s’est véritablement développée la théologie sacramentaire. Op. cit., p. 12.

1. Autour de Tertullien. —

En même temps qu’il fait l’application du mot sacramentum aux rites sanctificateurs, Tertullien commence à analyser le symbolisme efficace que recouvre la notion de sacrement. Il faut avouer toutefois que sa doctrine de la corporéité relative de l’âme l’a ici desservi. Cf. É. de Hacker. Sacramentum. Le mot et l’idée représentée par lui lions les œuvres de Tertullien, Paris, 1905, p. 113 sq. foui efois. il serait inexact de prétendre que Tertullien a ignoré le symbolisme sacramentel. Le symbolisme qu’il discerne est celui qui résulte de l’appropriation du rite a son effet. In texte est vraiment remarquable à ce sujet : il marque à la foi » l’action extéiieure parfaitement physique et réelle et. à côté fie eette opération corporelle, l’effet spirituel qu’elle figure et qu’elle produit : Curu abluitur ut anima emaculetur ; caro ungitur. ut anima consecretur ; caro signatur, ut cl anima muniatur ; caro manus impositioneadumbratur, ut et anima spiritu illuminetur ; curu corpore et sanguine Christi vescitur, ut et anima de Deo saginetur. De resurrectione carnis, c. viii, P. L., t. ii, col. 806 B. On trouve d’ailleurs l’expression du même symbolisme appliqué au baptême en d’autres écrits. Voir surtout De preescript., c. xl, t. ii, col. 54 ; De baptismo, c. i, iv, ix, t. i, col. 1197, 1203, 1209. L’explication de l’efficacité du symbole sacramentel se ressent quelque peu de la philosophie matérialiste de l’auteur. Si le prêtre invoque le Saint-Esprit pour bénir les fonts, c’est que le Saint-Esprit descend dans l’eau pour lui donner une vertu sanctificatrice. De baptismo, c. iv, 1. 1, col. 1204 A ; cf. c. viii, col. 1207. L’imposition des mains qui suit l’ablution — vraisemblablement la confirmation — fait circuler le Saint-Esprit en nous, comme le jeu des doigts fait circuler l’air dans l’oigue. ld., ibid. Sur cette image, voit De anima, c. iii, iv, t. ii, col. 651, 052. Une telle explication de l’efficacité sacramentelle — si exacte soit-elle sous un certain aspect (les textes du missel, au samedi saint, en font foi) — paraît néanmoins diminuer l’importance des paroles qui constituent ce que nous appelons la forme du sacrement. Et peut-être bien les formules de Tertullien, qu’on retrouve équivalemment chez d’autres Pères, représentent-elles une tradition dont on n’a pas assez tenu compte dans l’idée qu’on doit se faire de la réalité du sacrement. Voir plus loin, col. 533-534 ; 575.

On sait que le symbolisme sacramentel, appliqué par Tertullien à l’eucharistie, l’a fait accuser d’enseigner un symbolisme excluant la présence réelle. Voir l’interprétation de la pensée de Tertullien, t. v, col. 1130 sq. Il semble bien que l’allégorisme scripturaire se complète du symbolisme saciamentel, tout en respectant la réalité de la présence eucharistique qu’exprime nettement Tertullien en maints endroits. Voir les références, t. v, col. 1130 ; A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 355 sq. ; P. Batiffol, L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, Paris, 1913, p. 204-226. Cf. Tixeront, op. cit., p. 135.

Si Tertullien donne le nom de sacrement au baptême, à la confirmation, à l’eucharistie et au mariage, voir ci-dessus, col. 489, il sait que la pénitence est elle aussi un signe sacré qui sanctifie celui qui la reçoit. Le symbolisme du signe est peu marqué, mais son efficacité apparaît surtout dans le parallélisme établi entre le baptême et la pénitence. Analogie des effets : le baptême suppose une pénitence qui a pour but de purifier et d’affermir le catéchumène de façon à rendre durable l’effet du sacrement. De pivnilentia, c. vi, t. i, col. 1237 sq. Mais les défaillances se produisent, auxquelles Dieu remédie en offrant aux pécheurs une « planche de salut » : « Une fois fermée la porte du pardon, une fois tiré le verrou du baptême, Dieu a permis qu’il demeurât encore une ouverture : il a placé dans le vestibule (de l’Église) une seconde pénitence, qu’il ouvre à ceux qui frappent. » C. vii, col. 1241 B. Cette pénitence implique des rites extérieurs : confession, expiation plus ou moins longue, réconciliation par le ministère de l’évêque. C. viii, ix, t. i, col. 1243-1244 ; cf. De pudicitia, c. x, xviii, t. H, col. 1000 B ; 1016-1017.

Sur la forme de cette réconciliation, Tertullien ne nous donne pas de détails, mais l’effet de la venia accordée par l’évêque est de faire disparaître le péché. Cette vérité, à peine esquissée dans le De pœnilentia, est mise en meilleure évidence, quoique avec des restrictions par où s’affirme l’hérésie montaniste, dans le De pudicitia, c. ii, omne deliclam aut venia dispungit aut peena… P. L., t. ii, col. 985 A. Cf. Galtier, L’Église et la rémission des péchés dans les premiers siècles, p. 32 ; A. d’Alès, La théologie de Tertullien. p. 347.

Le rite par lequel étaient conférés les différents ordres est déjà appelé par Tertullien ordinalio. De piœscript.. c. xli, t. ii, col. 56. On sait que cette ordinatio se faisait par l’imposition des mains, voir Ordre, t. xi. col. 1245-1246. Tertullien ne nous dit rien de la prière qui accompagnait cette imposition des mains. .Mais on peut supposer, d’après les documents quasicontemporains, que cette prière appelait le Saint-Esprit dans l’àme des ordinands. Voir la Tradition apostolique d’Hippolyte, dans Duchesne, Les origines du culte chrétien, 5e éd., appendice, et le De alealaribus, 3, dans Texte und Untersuchungen, t. v, fasc. 1, Leipzig, 1888, p. 16.

Quant au mariage, Tertullien lui attribue le nom de sacramentum et lui reconnaît, après saint Paul, le symbolisme de l’union de Jésus-Christ et de l’Église. Ce symbolisme sacramentaire existait déjà dès le début de l’humanité, proclame par Adam lui-même. De anima, c. xi, P. L., t. ii, col. 665 B. Que le mariage entre chrétiens soit chose sainte, Tertullien l’affirme hautement dans le Ad uxorem, t. ii, c. ix ; la grâce du baptême sanctifie le mariage contracté dans la gentilité et Dieu le ratifie. Ibid., c. vii, t. i, col. 1302 B, 1299 A. Bien plus, le rite et l’efficacité du sacrement semblent déjà suffisamment exprimés dans cette phrase du c. ix : Sujjiciamus ad enarrandam felicitatem ejus matrimonii, quod Ecclesia conciliât, et confirmai oblatio, et obsignat benedictio, angeli renuntiant, Pater rato habel. Ibid.. col. 1302 AB.’2. Autour de saint Cyprien. —

Cyprieu appelle du nom de « sacrement » le baptême, la confirmation. l’eucharistie. Sa théorie sur l’efficacité des sacrements est obscurcie du fait de la controverse baptismale. Dans la véritable Église, le baptême garde son efficacité. Il a pour effet la régénération de l’âme et la rémission des péchés. Cf. De habilu virginum, c. xxiii ; De dominica oratione, c. i ; De morlalitale, c. xiv ; .1</ Demetrianum, c. xx, xxvi ; De bono patientite, c. v ; De zelo et livore, c. xiv ; Epist., i.xiii, 8, édit. Hartel. p. 203, 267, 305, 365, 370, 400, 428, 706.

Cyprien précise que cette efficacité se réalise même sur les petits enfants et qu’il ne faut pas se préoccuper à leur sujet des presci iptions relatives à la circoncision. Nul ne doil être exclu du baptême et, si l’on y admet des adultes chargés de nombreux péchés, les enfants doivent, à plus forte raison, être admis, eux dont toute la faute est de naître d’une race coupable. Epist., lxiv, 2-5, ibid., p. 718-720. Trait remarquable pour indiquer la rémission du péché originel comme un effet direct du baptême. La question du baptême des « cliniques », telle que la résout Cyprien, montre aussi la différence déjà assez clairement établie entre les éléments essentiels et les éléments accessoires dans l’administration des sacrements. Epist., lxxiv, 7 ; lxix, 12-16, p. 804, 760-765.

En dehors de l’Église du Christ, une telle efficacité ne saurait être reconnue aux sacrements. Tertullien avait déjà esquissé cette thèse. De baptismo, c. xv, P. L., t. i, col. 1216. Cyprien et Firmilien de Césarée, s’appuyant l’un et l’autre sur des conciles antérieurs et sur l’usage de leurs Églises respectives, affirmaient l’un et l’autre que, l’Église possédant seule la grâce et les moyens de la recevoir et de la communiquer, les hérétiques et les schismatiques qui sont hors de l’Église ne peuvent donner la grâce du baptême et purifier les âmes. Voir les textes et le résumé de la controverse à Baptême des hérétiques, t. ii, col. 223 sq. Nous n’avons par, à rappeler ici ce que fut la controverse, mais simplement à en dégager les conséquences dogmatiques au point de vue de la théologie générale des sacrements. D’une part, Cyprien et les rebaptisants, tout comme leurs adversaires, confessent que l’efficacité des sacrements leur vient du Saint-Esprit. D’autre part, ils attachent l’action du Saint-Esprit au fait d’appartenir à l’Église. Comment le ministre qui, n’étant pas dans l’Église, n’a ni la vraie foi, ni la grâce, ni le Saint-Esprit, pourrait-il en faire part à un autre ? Epist., lxx, n. 1 ; lxix, n. 8 ; lxxi, n. 1, p. 767, 757, 771. Les hérétiques sont donc incapables de conférer validement baptême, confirmation et ordre : heercticum hominem sicut ordinare non liect, nec manum imponerc, ita nec baptizare, nec quicquam tancte et spiritualiter gerere, quando alienus sit a spirilali et deifica sanctitate. Epist., lxxv, n. 7, p. 815. L’attitude du pape Etienne et le triomphe partiel de sa pratique montrèrent qu’une tradition dogmatique (nihil innovetur nisiquod thaditvm est) existait dans l’Église, disjoignant la question de la validité de celle de la licéité ou même de la fructuosité du sacrement, ou encore la question du pouvoir et celle de la valeur morale ou de la foi du ministre. Le parti romain n’avait pas manqué d’ailleurs de mettre en relief, d’une manière explicite, cette dernière distinction : il insistait sur la puissance des noms divins invoqués dans la formule baptismale, puissance qui s’exerce indépendamment de la foi ou de la dignité du ministre. Cf. S. Cyprien, Epist., lxxiii, n. 4 ; lxxv, n. 9, p. 781, 815. C’est surtout dans le Liber de rebaptismate qu’est exposée cette considération dogmatique. Pour recevoir toute l’efficacité du baptême, remarque l’auteur de cet écrit, il faut renaître de l’eau et de l’Esprit. C. ii, éd. Hartel, p. 71. Sans doute, renaître de l’Esprit est la chose principale, puisque la cérémonie de l’immersion est susceptible d’être suppléée, comme on le voit dans le martyre. C. xi, xiv, xv, p. 83, 86-87, 88-89. Toutefois, on peut renaître de l’eau sans renaître de l’Esprit : l’un peut aller sans l’autre. C. iii, iv, p. 73-74. Ainsi en est-il dans le baptême des hérétiques. L’immersion faite par un hérétique « au nom de Jésus » (sur cette formule employée par les Romains, voir A. d’Alès, La théologie de saint Cyprien, p. 228-229) garde la vertu de cette invocation, et cette vertu est telle qu’elle commence l’œuvre de la régénération. Le rite n’a pas besoin d’être renouvelé. C. vi, vii, x, xii, xvi, p. 76-78, 81, 83, 87. Si le baptisé meurt avant de revenir à la vraie foi, son baptême non seulement ne lui sert de rien, C. vi, vii, x, mais il aggrave sa condamnation. Par contre, s’il se convertit, c’est assez de compléter, par la collation du Saint-Esprit (l’imposition des mains), la première cérémonie, pour qu’elle obtienne son plein et entier effet. C. x, cf. c. xii ; xv. On le voit, la querelle des rebaptisants servit, à sa manière, à faire progresser le dogme de l’efficacité du rite baptismal. Par contre, le symbolisme sacramentel n’est envisagé par Cyprien que d’une manière rapide et superficielle. L’eau signifie l’ablution intérieure de l’âme ; elle garde sa signification, quel que soit le mode du baptême, immersion ou simple aspersion (infusion). Epist., i.xix, n. 12, p. 761. De même, l’huile est l’image de l’onction spirituelle de l’âme. Epist., lxx, n. 2, p. 768. Le nom de sacrement est également appliqué par Cyprien à la confirmation (sacramento utroque nascuntur). Epist., i.xxii, n. 1 ; cf. LXXIII, n. 21, p. 775. 795. L’évcquc de Cartilage en indique le fruit propre : signaculum divinum, Epist.’, lxxiii, n. 9, p, 785 ; cf. n. 6, p. 783 ; ou signurn Cliristi..d Drmrlriannm c. xxii, p. 367. Pour la validité de la confirmation, comme pour celle du baptême, Cyprien (comme Firmilien d’ailleurs) part d’un faux supposé, à savoir que pour donner le Saint-Esprit au nom du Christ, le ministre doit déjà le posséder comme mandataire de l’Église. Epist., lxxv, n. 12, p. 813 et n. 18, p. 822. Mais, en affirmant que l’imposition des mains (manuum imponere ad accipiendum Spiritum Sanetum) confère le Saint-Esprit, Cyprien n’ignore pas que le baptême est inséparable du Saint-Esprit. La confirmation ne fait donc qu’apporter une plénitude d’un don déjà possédé. Epist., lxxiv, p. 802 ; cf. (Firmilien) Epist., LXXV, n. 9, p. 816.

En ce qui concerne le sacrement de l’eucharistie, le symbolisme sacramentel est fortement développé et utilisé. Rappelons tout d’abord que la foi de saint Cyprien en la présence réelle est aussi ferme que possible. Voir ici Euciiaiustie, t. v, col. 1132 sq. ; cf. J. fixeront, op. cit., t. i, p. 436 sq. ; P. Batiffol, op. cit., p. 227 sq. Sous ce rapport, l’efficacité du sacrement est donc indiscutable. Son symbolisme est multiple et Cyprien en présente les différents aspects selon les exigences de la controverse. Défenseur de l’unité de l’Église contre les novatiens, il trouve dans l’eucharistie le symbole de cette unité. Le pain est composé d’une multitude de grains de froment moulus ensemble ; il représente les fidèles unis au Christ et ne formant qu’un corps mystique avec lui. Epist., lxix, n. 5, p. 720. Ce symbolisme avait déjà été souligné, par la Didachè, voir col. 499. Quelques évêques d’Afrique avaient une pratique singulière, celle de ne mettre dans le calice que de l’eau, sans vin. À ces « aquariens », Cyprien rappelle dans la lettre lxiii la discipline de l’Église sur ce point et le symbolisme qu’il comporte : il faut les deux, vin et eau ; l’eau mélangée au vin est la figure du peuple chrétien uni au Christ, n. 13, p. 711. Le symbolisme du sacrement se retrouve également dans le sacrifice : l’eucharistie est le symbole du sacrifice du Christ ; mais elle n’est pas un pur symbole, elle est aussi un vrai et complet sacrifice, n. 17, p. 715. Le sacrifice de l’eucharistie est une représentation du sacrifice du Christ, mais une représentation qui en contient vraiment la réalité. Voir le développement de ces idées dans A. d’Alès, op. cit., p. 249-262.

L’efficacité du sacrement existe également par rapport aux effets produits par l’eucharistie dans l’âme du chrétien. Avant tout, l’eucharistie produit notre incorporation au Christ : « Nous demandons chaque jour que notre pain, c’est-à-dire le Christ, nous soit donné ; afin que, demeurant et vivant dans le Christ, nous-ne nous séparions pas de ce corps qui nous apporte la sanctification. » De oiat. dom., c. xviii, édit. Martel, p. 280. L’eucharistie est encore le sacrement de la force et de la vaillance spirituelles, le sacrement qui fait les martyrs. Aussi, à l’approche de la persécution, saint Cyprien décide-t-il de relâcher quelque chose de la rigueur ordinaire et d’admettre à la communion même les apostats, s’ils donnent des gages de repentir. Ne faut-il pas les munir pour la vie et les armei pour de nouveaux combats ? Epist., lvii, n. 2, p. 651-652.

Ce qui est à remarquer chez Cyprien, c’est la manière dont il veut, à l’exemple de Tertullicn dont il s’inspire volontiers, rendre sensible la réalité de l’action divine dans le sacrement, fout le passage du De oratione dominica, dont nous venons de donner la conclusion, marque cette action dans l’eucharistie. Voir A. d’Alès. fa théologie de saint Cyprien, p. 268-269.

La pénitence est présentée par Cyprien comme la rémission des péchés par le ministère des prêtres. De lapsis, n. 29. p. 258. Cette seule indication suffirait à montrer quc la pénitence est un sacrement. Confession (exomologèse), satisfaction, réconciliation, tels sont les trois actes de la pénitence, tels que Cyprien, nprè. Tertullicn, les éiiumère et décrit. Les mots dont Cyprien se sert pour parler de la réconciliation : remissio, pax, communicatio (participation à la communion), indiquent bien l’effet même du sacrement.

Comme Tertullien, Cyprien nous montre le rite de la réconciliation dans l’imposition des mains accomplie par l’évèquc et par le clergé. Epist., xv, n. 1, p. 514 ; xvi, n. 2, p. 51 S ; xvii, n. 2, p. 522 ; xvin, n. 1, p. 524 ; xix, n. 2, p. 525 ; lxxi, n. 2, p. 772 ; lxxiv, n. 1, p. 799 (citation du pape Etienne), n. 12, p. 809. On trouve la même imposition des mains pour la réconciliation des pénitents dans deux suffrages émis au concile de septembre 256, Sententiæ episcoporum, n. 8 et 22, p. 441, 445. Nous avons ainsi, chez Cyprien, tout l’essentiel du rite sacramentel de la pénitence.

Cyprien s’étend longuement sur les qualités que doivent posséder les évêques et les ministres inférieurs à l’épiscopat. Il détaille minutieusement toutes les conditions d’une ordinatio justa et légitima. Mais il est, au contraire, très discret sur le rite sacramentel de l’ordination. Chez Cyprien, les mots ordinare, ordinatio, Epist., lxxii, n. 2, p. 770 ; lxvii, n. 4, p. 738 ; xxxviii, p. 579-581, et d’autres mots dans le cas du prêtre et des sous-diacres et lecteurs, Epist., xl, p. 585-586, désignent immédiatement l’élection même à l’ordre ; mais, dans leur sens plénier, ils expriment aussi le rite sacramentel, qu’à coup sûr Cyprien ne méconnaît pas. Il y fait même une allusion directe, à propos de la consécration épiscopale de Sabinus Epist., lxvii, n. 5, p. 739. Une autre allusion se rencontre sous la plume du pape Corneille, écrivant à Cyprien, Epist., xlix, n. 1, p. 610, à propos de Novatien, qui, on le sait, se procura l’imposition des mains de trois évêques d’Italie. Voir Ordre, t. xi, col. 1246. L’ordination a pour effet de conférer le Saint-Esprit : or, le Saint-Esprit ne se trouve que dans l’Église catholique. Les ordinations faites par des hérétiques ou des schismatiques sont donc nulles : validité et licéité ne font qu’un pour Cyprien. Epist., lxix, n. 11, p. 759 ; cf. n. 8, p. 757. Confusion qui sera une source de conflits pendant mille ans dans l’Église catholique, voir Réordinations, t. xiii, col. 2396 sq., mais qui aura du moiiu-i pour résultat, comme la querelle des rebaptisants, de mettre en évidence la distinction entre validité et licéité.

En somme, du moins pour les cinq sacrements dont on vient de parler, saint Cyprien possède déjà une notion suffisamment nette du signe sacré, producteur de la grâce dans l’âme de qui le reçoit. Peu de choses manquent encore pour arriver à la notion complète et définitive.

3. Les prédécesseurs immédiats de saint Augustin au IVe siècle. —

L’Église latine, au IVe siècle, connaît, sans discussion possible, les rites producteurs de la grâce que nous désignons aujourd’hui sous le nom de sacrements. Toutefois, ce nom est encore plus spécialement réservé aux trois sacrements de l’initiation chrétienne, baptême, confirmation, eucharistie. C’est uniquement de ces sacrements qu’ont parlé saint Ambroise dans son De mysteriis et l’auteur du De satramentis. Toutefois, ces auteurs ont émis des idées générales qui peuvent s’appliquer à tous les sacrements.

Ces deux auteurs distinguent nettement le rite lui-même et la grâce produite en celui à qui l’on applique le rite. Ambroise, De mysteriis. n. 8, 11, 20, P. L., t. xvi (édit. de 1866), col. 408 B, 409 C, 4Il B ; De sacramentis, t. I, n. 10, col. 438 C. Mais le rite lui-même comporte un symbolisme, répondant à la double nature de l’homme, et qui est à la base de son efficacité. L’eau ou l’ablution est la figure de la purification intérieure qui résulte du baptême. Cum ex duabus naturis homo, id est, ex anima subsistât et corpore, visibile per visibilia, invisibile per invisibilia consecratur. Aqua enim corpus abluitur, Spiritu animai delicla mundantur. S. Ambroise, In Luc, t. II, n. 79, t. xv, col. 1663 C. Dans l’eucharistie, ce qu’on voit après la consécration n’est qu’un signe de ce qui est en réalité. De mijst., n. 50, 52, 54, t. xvi, col. 422 C, 424 A, 124 C ; De sacr., t. IV, n. 14-16, col. 446-447.

Ce symbolisme efficace est particulièrement développé par Ambroise, qui en a puisé la doctrine chez les Alexandrins. « Les eaux baptismales sont efficaces parce que l’Esprit-Saint, comme autrefois l’ange de la piscine (cf. Joa., v, 4), descend sur elles, et leur communique par sa présence le pouvoir de guérir les maladies de nos âmes : Si qua ergo in aqua gratia, non ex natura aquæ, sed ex præsentia est Spiritus Sancti. » De Spiritu Sancto, t. I, c. vi, n. 77, t. xvi, col. 752. Cf. Prologue, n. 18, col. 737 ; De myst, n. 1 9, col. 4Il B. C’est la « consécration » des eaux, faite par les prières du prêtre et le « mystère de la croix » qui attire l’Esprit-Saint sur elles et les rend salutaires. De Spir. Sancto, t. I, n. 88, col. 755 A ; De myst., n. 14, col. 410 B. Pourrat, La théologie sacramentaire, p. 17-18. Cette efficacité sacramentelle due à la présence, à la vertu de l’Esprit-Saint est une doctrine qu’Ambroise emprunte à saint Basile, voir ici col. 506, et sur laquelle il insiste avec force. Cf. De Spiritu Sancto, prologue, n. 18 ; t. I, c. vi, n. 77 ; De myst., c. iii, n. 8, t. xvi, col. 737 A, 782 B, 108 B. Dans ce dernier texte, Ambroise affirme la présence de la divinité dans le sacrement : Crede divinilatis illic adesse præsenliam. Operalionem credis, non credis prœsenliam ? Unde sequeretur operatio, nisi præcederel ante præsentia ? Ce n’est pas seulement l’Esprit-Saint qui agit dans le baptême, mais encore la croix de Jésus-Christ : Legisti quod très testes in baptismale unum sunt, aqua, sanguis et Spirilus (cf. I Joa., v, 8) ; quia, si in unum horum detrahas, non stat baptismatis sacramentum. Quid est enim aqua sine cruce Christi ? De mysteriis, c. iv, n. 20, col. 4Il B. Les eaux du baptême ne sont donc pas vides. Elles contiennent une vertu invisible aux yeux du corps, mais que la foi du fidèle doit discerner. Aon ergo solis corporis lui credas oculis : magis videtur quod non videtur ; quia istud temporale, illud œternum adspicitur, quod oculis non comprclicnditur, anima autem ac mente cemitur. De mysteriis, c. iii, n. 15, col. 410 B. La croix de Jésus-Christ sanctifie l’eau baptismale au moment même où cette eau est bénite : la bénédiction de l’eau se faisait, depuis longtemps déjà, par une prière accompagnée de signes de croix. Cf. Duchesne, Origines du culte chrétien, Palis, 1898, p. 299-301.

Ambroise affirme de plus la nécessité d’un troisième élément : la formule trinitaire. Nisi (catechumenus) baptizatus fuerit in nomme Palris et Eilii et Spiritus Sancli, remissionem non potest accipere peccatorum, nec spiritualis gratiie munus iiaurire. De myst., c. iv, n. 20, col. 4Il B. Voir aussi De Spiritu Sancto, t. II, c. ii, n. 42, 43, col. 783 A, avec l’explication donnée de ce texte ici même, t. ii, col. 184. « Le symbolisme de chacune des cérémonies qui accompagnaient le baptême est expliqué par l’évêque de Milan… L’immersion est l’image de la mort du péché, qui est enseveli dans les eaux… Le lavement des pieds, cérémonie propre à l’Église de Milan, est l’indice de la purification de la faute héréditaire. Les vêtements blancs, que revêtaient les néophytes après leur baptême, sont un symbole de l’innocence recouvrée. » De myst., n. 30, 32, 34 ; cf. De Spiritu Sancto, t. I, n. 76, t. xvi, col. 415 B, 416 B, 417 B, 752 A.

Un auteur de second ordre doit être signalé ici, qui a fait progresser la théologie sacramentaire dans la question de la validité du sacrement administré en dehors de la véritable Église. C’est saint Optât de Milève, dans son traité De schismate donatislarum, P. L., t. xi. Voir ici, t. xi, col. 1079. Sans aller jusqu’à une nette et explieite distinction de la validité et de l’efficacité ou fructuosité du sacrement, Optât s’engage cependant résolument sur la voie qui y conduit. Pour lui, trois facteurs (species) sont à distinguer dans le baptême : la formule trinitaire avec laquelle on le confère, le croyant qui le reçoit, celui qui l’administre. Ces troia facteurs n’ont pas la même importance : deux sont nécessaires, le troisième est d’une nécessité moindre. Tout d’abord, l’invocation trinitaire : rien ne peut se faire sans elle. F.nsuite la foi du sujet baptisé. Enfin, vicina, quw simili auctoritatc esse non potest, la personne du ministre. L. V, n. 4, col. 1051 B. Le baptême est comme un corps qui a des membres, des éléments déterminés, invariables, qui ne sauraient changer. Or, la personne du ministre ne fait pas partie de ces éléments immuables. Les sacrements sont donc indépendants de lui. Ils sont saints par eux-mêmes, non par les hommes qui les donnent : sacramentel per se esse sancta, non per Iwmines. Col. 1053 A. Les hommes ne sont que les ouvriers, les ministres de Dieu, les instruments de Jésus-Christ, ministre principal du baptême. Ils ne sont pas les maîtres du sacrement qui est chose divine, ils ne font qu’en appliquer le rite. C’est Dieu qui purifie l’âme et la sanctifie et non pas l’hi/mme. Col. 1053 A. Optât parle d’une manière générale et étend lui-même ses conclusions à la confirmation. L. VII, n. 4, col. 1089 AB.

L’importance accordée par Optât à la formule trinitaire montre que cet auteur rejetait comme invalide le sacrement administré par des hérétiques, faute de vraie foi dans le sujet ou le ministre. On cite surtout t. I, n. 12 ; t. V, n. 1, col. 907-908, 1045 A. Voir aussi saint Pacien, £pisr., iii, n.3, 22, P. L., t. xiii, col. 1065, 1078. Quoi qu’il en soit, Optât n’hésite pas en ce qui concerne le baptême des simples schismatiques et des pécheurs manifestes : leur baptême est valide et ne doit pas être renouvelé. Cꝟ. t. V, n. 3, col. 1018 B.

Les Pères du ive siècle admettent que le baptême est efficace même à l’égard des enfants sans raison. Zenon, Tractatus, t. II, xiii, n. Il ; cꝟ. t. II, xliii, n. 1, P. L., t. xi, col. 353 B, 493 ; Sirice, Epist., i, n. 3, P. L., t. xiii, col. 1135 A. Il leur est nécessaire pour entrer dans le royaume des cieux. Ambroise, De Abraham, t. II, c. xi, n. 81, P. L., t. xiv (édit. de 1866), col. 521 C. Ce baptême est unique et ne saurait être renouvelé, s’il est administré validement. Zenon, Tract., t. II, xxxvi, P. L., t. xi, col. 482 ; Ambroise, In Luc, t. VIII, n. 78, P. L., t. xv, col. 1880 D.

Du côté du sujet, certaines dispositions sont la condition de l’intervention divine. C’était déjà la thèse de saint Optât ; mais on note encore quelques hésitations touchant la portée de cette condition. S’agit-il d’une condition à la validité ou simplement à la fructuosité du sacrement ? La chose n’est pas claire. Voir la lettre de Sirice à Ilimérius de Tarragone, n. 2, P. L., t. xiii, col. 1133 A, et S. Ambroise, lie Spirilu Sancto, t. I, c. iii, n. 42, P. L., t. xvi, col. 713 A.

Nous trouvons également chez nos auteurs les indications relatives aux ministres du baptême. Cf. S. Jérôme, Dialog. contra luciferianos, n. 9, P. L., t. xxill (édit. de 1865), col. 1 72 BC. Mais ils s’étendent surtout sur les effets produits par ce sacrement. Le baptême efface les péchés, nous dépouille du vieil homme, nous icvèt de Jésus Christ et nous régénère ; il nous rend les temples de Dieu, les enfants adoptifs de Dieu, nous communique le Saint-Esprit, donne à nos corps l’immortalité et nous met en possession de l’héritage céleste. Cf. S. Ililnirc. //( ps. i.xiii. n. Il ; I..WII, n. 30 ; LXV, n. M. P. L., t. ix, col. 344 A, 165 A, 128 C ; In Matth., c. n. n. 6 ; c., n. 2 I. ibid., col. 927 B, 976 C ; Victorin de Pettau, In epist. ad Galatas, iii, ꝟ. 27 ; iv, f 10, P. L., t. viii, col. 1173 B, 1184 B ; Zenon, Tract., t. I, xii, n. 4 ; xiii, n. Il ; t. II, xiv, n. 4 ; xxvii, n. 3 ; xl : l ; lxiii, P. L., t. xi, col. 341 B, 353 A. 136 sq., 469 B, 488 sq., 506, 510 A ; S. Pacien, Senti, de baptismo, n. 3, 6, P. L., t. xiii, col. 1091, 1C92 ; S. Ambroise, In ps. cxviii, serm. i, n. 17, P. L., t. xv, col. 1271 D ; De Caïn et Abel, t. II, n. 10, t. XIV, col. 361 AB ; De interpellation Job et David, 1. II. n. 36, ibid., col. 866 CD ; cf. De sacramentis, t. III, c. i, n. 2, P. L., t. xvi, col. 450 C ; S. Jérôme, Dialog. contra luciferianos. n. 6, P. L., t. xxiii. col. 168-169 ; Nicétas, De symbolo, n. Kl, P. L., t. lii, col. 871 C.

Le rite de la confirmation présente, lui aussi, le symbolisme et l’efficacité propre aux rites sacramentels. C’était l’imposition de la main et l’onction d’huile parfumée qui la suivait. L’existence de ce rite est affirmée par tous nos auteurs. En sortant de la piscine baptismale, le baptisé recevait une onction verticale sur la tête, et l’évêque lui imposait ensuite la main en invoquant l’Esprit septiforme. Sur cette onction, faite avec le saint chrême par le prêtre ou par l’évêque, voir ici t. ii, col. 216. Bien n’indique qu’elle appartint à la confirmation. C’est au iv » siècle que l’usage s’introduisit à Borne, et plus tard dans les Églises de rite gallican, d’ajouter à l’imposition de la main un signe de croix fait au front avec le pouce trempé dans le saint chrême. Voir ici, t. iii, col. 1939. Cf. P. Galtier, La consignation à Carthage et à Rome, dans Recherches de science religieuse, juillet 1911 ; La consignation dans les Églises d’Occident, dans Revue d’histoire ecclésiastique, janvier 1912. Le résultat de cette cérémonie est de parfaire le chrétien, quia post jontem superest ut perjectio fiât, de faire descendre en lui l’Esprit-Saint, de lui imprimer une marque, un caractère, spiritale signaculum, signaculum quo fides pleno fulgeat sacramento. De sacramentis, t. III, n. 8, P. L., t. xv, col. 434 ; S. Ambroise, De mysteriis, n. 41-42, t. xvi, col. 401-402. Saint Ambroise expose les multiples symbolismes de la confirmation. L’onction rappelle l’onction faite autrefois sur la tête et sur la barbe d’Aaron ; elle est la figure de l’onction spirituelle, par laquelle nous sommes oints membres du royaume de Dieu et prêtres. Ibid., n. 30, col. 415. Sur la distinction de la confirmation et du baptême, voir plus loin, Institution des sacrements, et ici, t. iii, col. 1011-1042.

Les Pères du IVe siècle n’ont aucune hésitation sur la puissance de^ paroles consécratoires du pain et du vin dans l’eucharistie. La présence réelle est un dogme affirmé par eux avec une netteté absolue. Voir ici Eucharistie, t. v, col. 1151-1158. Si quelques expressions leur échappent encore, empruntées au symbolisme des espèces sacramentelles, elles ne détruisent pas la force de leur témoignage en faveur du réalisme et s’expliquent facilement en raison du symbolisme lui-même dont elles procèdent. Ce symbolisme sacramentel de l’eucharistie est exprimé avec une rare précision par saint Ambroise, grâce à sa doctrine déjà très explicite de la conversion eucharistique. La « consécral ion divine » de l’eucharistie, « opérée par les paroles mêmes du Christ », « change la nature » du pain et du vin et en fait « le sacrement du corps et du sang du Sauveur ». Quand on considère ce mystère, bien mieux encore que lorsqu’il s’agit du baptême, il ne faut pas s’arrêter à ce qui se voit. Ce qui se voit, C’est le sacrement du corps et du sang du Christ, c’est-à-dire le signe, le symbole sous lequel le corps et le sang du Christ sont réellement piésents : Forte dieas : aliud video, quomodo tu mihi asscris quod Christi corpus accipiam ?… Probemus non hoc esse quod nniuro formavit, sed quod benedictio consecravit…

Quod si tantum valuit humana benedictio, ut naturam converteret (cf. III Reg., xviii, 38), quid dicimus de ipsa consccraticne divina, ubi verba ipsa Dtmini salvatoris operantur ? Kam sacramentum islud quod accipis, Christi sermone conflcitur… Ante benedictionem verborum cœlestium alia species ncminatur, post consecratiunem corpus significatur. De mysteriis, n. 50, 52, 54, P. L., t. xvi, col. 422 C, 423 C, 424 C. Cf. De sacramentis, I. IV. n. 14, 23, col. 459 A, 463 B. Ce texte ambrosien est capital ; il marque non seulement le symbolisme des espèces après la consécration, mais encore l’efficacité des paroles empruntées au Christ lui-même. La même valeur d’expression se retrouve dans le texte du De sacramentis, dont l’auteur semble avoir copié saint Ambroise : Tu forte dicis : Meus panis est usitaius. Scd panis iste panis est ante verba sacramentorum : ubi accesseril consecratio, de pane fil euro Christi. E+, pour expliquer l’efficacité des paroles sacramentelles, il prend l’exemple de la création : Si lanta vis est in sermone Domini Jesu ut inciperent esse qua> non erant, quanta magis operatorius est ut sint quie erant et in aliud c< mmutentur. Et la même efficacité se révèle par rapport au vin : Ante verba Christi calix est vini et aquie plenus : ubi verba Christi operata fuerint, ibi sanguis Christi efficitur, qui plebem redemit. L. IV, n. 14-16, 19, 23 ; cꝟ. 25 ; t. VI, n. 2-4, P. L., t. xvi, col. 459 sq., 462 A, 463 B, 464 A, 473 fq.

Outre l’efficacité dans la conversion au corps et au sang du Christ, il y a encore l’efficacité sanctifiante de l’eucharistie. C’est ce que l’évêque de Milan veut exprimer en affirmant que le corps de Jésus-Christ dans l’eucharistie est un corps spirituel, c’est-à-dire une nourriture spirituelle, la nourriture que peat donner le Verbe qui est esprit. De mysteriis, n. 58, P. L., t. xvi, col. 426 B. Aussi l’auteur du De sacramentis, îecommande-t-il la communion fréquente, voire quotidienne : Accipe quotidie quod quotidie tibi prosit. Sic vive, ut quotidie merearis accipere. L. V, n. 25, t. xvi, col. 471 C. Il blâme les Grecs qui ne communient qu’une fois l’an. ld., ibid. Cette communion exige des dispositions de la part du chrétien, tout au moins une conscience pure. La communion sacrilège encourt une condamnation divine. Cf. Zenon, Tract., t. I, xv, n. 6, P. L., t. xi, col. 566 ; S. Ambroise, De pirnitentia, t. II, n. 87, t. xvi, col. 539 AB ; l’Ambrosiaster, In epist. / am ad Cor., xi, 27-29, t. xvii, col. 256 CD. Bien reçue, l’cueharisti ? produit dans l’âme des fruits précieux. Le piemier et le plus grand est de nous faire entrer par la chair du Christ en participation de sa divinité : quia idem Dominus noster Jésus Christus consors est et divinitatis et corporis ; et tu, qui accipis eurnem, divins ?, ejus substantise in illo partici paris alimento. De sacramentis, t. VI, n. 4, P. L., t. xvi, col. 475 A ; cf. S. Hilaire, De Trinitate, t. VIII, n. 13-14, P. L., t. x, col. 246-247. Cette participation à la divinité du Sauveur nous communique la vie, la vie surnaturelle, la vie éternelle, la rémission des péchés, le pouvoir de produire des œuvres de salut et de nous combler de joie céleste. Cf. S. Hilaire, In ps. CXXVII, n. 6, P. L., t. ix, cjl. 706 B ; S. Ambroise, De benedictionibus patriarcharum, n. 39, P. L., t. xiv, col. 720 A ; In Luc, t. X, n. 49, t. xv, col. 1908 C ; et l’auteur du De sacramentis, t. V, n. 14-17, t. xvi, col. 468-469.

Les autres sacrements, pas plus au IVe siècle qu’aux époques précédentes, ne se prêtent, sous la plume des écrivains ecclésiastiques, à des considérations sur leur symbolisme. Du moins leur efficacité est-elle attestée, avec la même force.

Saint Pæien affirme, dans l’Église, le pouvoir de pardonner les péchés. Ce pouvoir appartient aux évêques, qui ont reçu le droit de lier et de délier.

Epist., iii, n. 12 ; cf. Epist., i, 5, 6, non pas qu’ils le fassent par leur propre vertu, mais parce qu’ils agissent au nom de Dieu : Solus hoc, inquies, Deus poteril. Verum est, sed et quod per sacerdotes suos facit, ipsius potestes est. Ibid., i, n. 6 ; iii, n. 7. Ce pouvoir n’est pas attaché à kur sainteté personnelle, mais il découle tout entier ex apostolieo jure, i, n. 7, et il est distinct du pouvoii de remettre les péchés dans le baptême, iii, n. 11, P. L., t. xiii, col. 1071, 1055 sq., 1057 A, 10C8 AB, 1058 A, 1070 sq. Bien plus, Pacicn établit un parallélisme entre l’action des sacrements de baptême et de confirmation et l’action de la discipline pénitenticlle. Si ergo et lavacri et chrismatispotestas, majorum (et) longe charismatum ad episcoposinde descendit (c’est-à-dire des apôtres), et ligandi quoque jus adjuit atque solvendi. Epist., i, n. 6, P. L., t. xiii, col. 1057. Voir ici, t.xii, col. 810.

Saint Ambroise enseigne pareillement l’efficacité de la pénitence, le pouvoir des prêtres de remettre les péchés, pouvoir emprunté à Dieu lui-même et dans l’exercice duejuel les prêtres ne sont cpie l’instrument de la Trinité : Ecce quia per Spiritum Sanctum peccata donantur. Homines autim in remissionem peccatorum minirterium suum exhibent, non jus alicujus potestatis exercent. Keque enim in suo, sed in Palris et Filii et Spiritus Sancti nomine peccata dimittunt. De Spiritu Sancto, I. III, n. 137, P. L., t. xvi, col. 842 D. Cf. De psenittntia, t. I, n. 7, 36, 37. col. 488, 497 CD, 498 A ; lnps. xxxrm, n. 37, 38, t.xiv, col. 11( 7-1108 ; lnps. vxviii, serm. x, n. 17, P. L., t. xv, col. 1405 ; De Cain et Abel, 1. II. n. 15, P. L., t. xiv, col. 368 D. Noir également S. Hilaire, In Matth., c. xviii, n. 8, P. L., t. ix, col. 1021 B ; S. Jérôme, Epist., xiv, n. 8, P. L., t. xxii, col. 352 ; In Ecclesiasten, c.xii, ꝟ. 4, P. L., t. xxiii, col. 1165 ; Tractatus in ps. xcv, dans Anecdota Marcdsolana, ni (2), p. 134.

Nous n’avons pas ici à considérer les actes de la pénitence, ni les progrès qu’y apporte la discipline du ive siècle, en Occident. Voir ici t.xii, col. 794 sq. Le seul point qui importe au concept du sacrement est de savoir si la sentence de réconciliation portée par l’Église est simplement déclaratoire au for de Dieu, ou si elle possède une réelle efficacité par rapport à la rémission même des péchés. Voir ici, t.xii, col. 810812. On ne peut nier que certains textes, notamment ele saint Jérôme, In Matth., xvi, ꝟ. 19, P. L., t. xxvi, col. 118 ; cf. Dialog. adv. lucijerianos, n. 5, t. xxiii, col. 167, laisseraient penser à une formule déclaratoire. Voir aussi S. Ambroise, De Spiritu Sancto, t. III, n. 137, P. L., t. xvi, col. 842 D-843 A. Mais ces textes pe uvent être - — et, à notre avis doivent être — interprétés dans le sens d’un pouvoir ministériel, instrumental, excluant, en ce qui concerne le premier texte de Jérôme, le pouvoir de juger arbitrairement, de lier l’innocent et de délier le coupable. Les textes ele saint Pacien, de saint Ambroise et du De sacramentis sont assez nets pour nous donner l’idée d’un véritable pouvoir de remettre les péchés, mais d’un pouvoir communiqué par Dieu à l’homme, son instrument.

Pour la première fois, apparaît une mention de l’extrême-onction, dans la lettre xxv d’Innocent I er (416) à Décentius, n. 11, P. L., t. xx, col. 559 sq. Pour l’exégèse de cette lettre, en ce qui concerne l’extrêmc-onction, voir ce mot, t. v, col. 1952 sq. Deux points impoitent ici. Innocent reconnaît l’extrème-onction comme l’un des sacrements : elle doit être refusée aux pénitents, quibus reliqua sacramenta negantur. De plus, il lui reconnaît, sans l’expliquer positivement, un certain effet par rapport au malade, sans exclure, s’il y a lieu, la rémission même des péchés. Sans doute, le mot sacramenta n’a pas encore ici le sens qu’il aura plus tard, mais il désigne à coup sûr une opération sanctifiante pour l’âme. « Le pape se sert de ce terme pour nommer les rites refusés par l’Église aux indignes, c’est-à-dire le viatique et la réconciliation qui n’est accordée aux pécheurs que dans des circonstances déterminées et à certaines conditions. L’onction est assimilée à ces deux actes ; elle est, d’une manière analogue, un moyen de grâce. » Extuf.mic-onction, t. v, col. 1953.

La théologie du sacrement de l’ordre n’apporte aucun élément nouveau dans le concept de signe efficace. Le rite de l’ordination est toujours l’imposition des mains avec les prières appropriées à chaque ordre. Voir ici Ortmu ;, t. xi, col. 1247 sq. L’universalité du rite est un fait incontestable et incontesté ; et ce rite constitue essentiellement le rite du sacrement. Voir col. 1254, art. cit.

La théologie du mariage est fort peu développée. Les Pères se contentent d’affirmer, contre les manichéens, la bonté morale du mariage. Quelques Pères affirment cependant plus nettement que la grâce est annexée au mariage. Cf. S. Ambroise, De Abraham, t. I, C. vii, P. L., t. xiv, col. 442 ; S. Innocent I er, Episl., xxxvi, P. L., t. xx, col. 602. On trouve aussi une allusion à la bénédiction du prêtre, consacrant le mariage, dans les Statuta ecclesiastica antiqua, c ci, P. L., t. LVï, col. 889. Le symbolisme, indiqué par saint Paul, Eph., v, 22-23, est rapporté par î’Ambrosiaster dans son commentaire sur ce passage, P. L., t. xvii, col. 420 C.


III. LA NOTION DU SACREMENT CHEZ SAINT AUGUSTIN.

Avant saint Augustin, le concept de signe efficace n’a été exposé par les Pères, d’une manière suffisante, que pour deux sacrements, le baptême et l’eucharistie. Les Pères montrent ces deux sacrements composés de deux parties : l’une externe et visible, appelée par les grecs, fi.uaT7jpi.ov, par les latins, signum, figura ou mieux, sacramentum ; l’autre, invisible, qui est la vertu du Saint-Esprit produisant la grâce de la régénération baptismale, ou le corps et le sang du Christ avec les effets spirituels qui en sont le fruit dans la communion. Dans une certaine mesure, la même conception est appliquée au sacrement de confirmation. Les autres sacrements sont envisagés avec moins de précision. Leur nature se prête d’ailleurs moins à une application identique de la notion de symbole ou signe efficace. Pour ce qui est du mariage, les Pères, dans leurs commentaires sur Eph., v, 22-23, n’ajoutent rien au symbolisme proposé par saint Paul. Toutefois, certains font allusion aux effets sanctifiants du mariage. C’est aussi à ce point de vue des effets sanctifiants qu’ils se placent pour parler de la pénitence. De l’ordre, ils affirment simplement l’efficacité du rite de l’imposition des mains et ils précisent quels pouvoirs sont concédés par l’ordination. Le symbolisme de ce sacrement sera développé plus tard par Augustin et Innocent I er esquisse celui de l’extrême-onction.

Saint Augustin va faire progresser le concept de signe efficace, principalement parce qu’il va l’étudier, non plus en fonction de tel ou tel sacrement désigné, mais pour lui-même. Dégageant une idée encore confusément exprimée par les l’ères antérieurs, saint Augustin distinguera, dans la notion de sacrement, deux éléments superposés l’un à l’autre, une partie visible, le sacramentum. une partie invisible, la virtus sacramenti. Aliud est sacramentum, aliud l’irtus sacramenti. In Joa., tract. XXVI. n. 11. P. L., t. XXXV, col. 1011. Distinction féconde et dont on n’a peut-être pas tiré tout le parti possible. « Dans son accepl ion la plus restreinte, le sacrement aiigiistinien est un signe sacré qui éveille l’idée d’une chose religieuse dont il est l’image : ce signe est un élément matériel ; a ce signe est lié le don spirituel et destiné à sanctifier l’homme : — la cause efficiente du sacrement, c’est-à-dire ce qui fait d’un élément matériel le signe d’une réalité spirituelle et ce qui lie à cet élément le don de cette réalité spirituelle signifiée, c’est la formule de bénédiction du ministre ; — enfin, l’instituteur des sacrements, c’est Jésus-Christ. Telles sont les quatre idées essentielles à la définition de saint Augustin. » P. Pourrat, La théologie sacramentaire, p. 21.

1° Premier élément : le sacrement, signe sensible d’une chose sainte. C’est l’élément qu’on pourrait appeler générique et qui déborde le cadre de nos sept sacrements. Signa, cum ad res divinas pertinent, sacramenta appellantur. Epist., cxxxviii, n. 7, P. L., t. xxxiii, col. 827 ; cf. De civ. Dci, t. X, c. v, t. xli, col. 282. Ainsi, dans son acception la plus générale, le « sacrement » peut n’être qu’un signe, naturel ou conventionnel, d’une chose sainte. En ce sens, Augustin appelle « sacrements » les choses et les rites qu’aujourd’hui nous appelons sacramentaux, voir ce mot, col. 467. par exemple, le sel bénit donné au baptisé, De catech. rudibus, n. 50, t. xx, , col. 344-345, les exorcismes du baptême, Serm., ccxxvii, t. xxxviii, col. 1099-110 I. la tradition du symbole et de l’oraison dominicale aux catéchumènes, Serm., ccxxviii, n. 3, t. xxxviii, col. 1102. C’est en ce sens encore que les rites de l’ancienne Loi, sauf la circoncision, parce qu’ils ne faisaient qu’annoncer le Christ et le salut, sans les apporter, étaient des sacrements. In ps. lxxxiii, enarr. n. t. xxxvi, col. 930. Cf. Contra Faustum, t. XIX, c. xiii, t. xi. ii, col. 355.

Avant d’appliquer cette notion aux rites dont la nature lui impose une acception plus restreinte, Augustin étudie « c concept de signe au point de vue philosophique. C’est d’ailleurs ce qui donne à sa théologie sacramentaire un aspect nouveau et personnel. Augustin avait emprunté aux Alexandrins une théorie complète des signes, qu’il expose dans deux ouvrages : De doetrina christiana et De magistro.

Dans le De doetrina christiana, il emprunte à Origène sa définition du signe : signum est res præter speciem quam ingerit sensibus, aliud aliquid ex se faciens in cogitationem venire. L. I, n. 2, t. xxxiv, col. 19-20. Ainsi les traces d’un animal sont un signe de son passage, la fumée est un signe du feu, le cri d’un être vivant fait connaître ce qu’il désire, le son de la trompette indique le mouvement d’une armée, etc. Les paroles, par lesquelles nous manifestons les sentiments de notie âme, sont les signes les plus expressifs. Les sacrements rentrent dans la catégorie des signes : ils sont des objets matériels et sensibles qui font penser à des objets spirituels et religieux. Augustin prend ici l’exemple du pain et du vin : Ista (panis et calix) ideo dieuntur sacramenta, quia in eis aliud videtur, aliud intelligitur, fructum habet spiritualem. Serm., CCLXXii, t. xxxviii, col. 1216. De même l’eau du baptême : Aqua sacramenti visibilis est… abluit corpus, et significat quod fit in anima. In epist. Joannis ad Parthos, tract. VI, n. 11, t. xxxv, col. 2026. Ainsi, dans le sacrement, entre le signe sensible et la chose.signifiée, il existe un rapport de similitude, même si le signe est d’ordre matériel et la chose signifiée d’ordre spirituel. Si enim sacramenta quamdam similitudinem carum rerum quarum sacramenta smil. non haberent, sacramenta non essent. Epist., xc.vm, n.’.), t. xxxiii, col. 363. Bien qu’ils soient d’institution divine (voir plus loin), les sacrements ne sont pas des signes purement conventionnels (signa data) ; ils sont dans une bonne mesure, des signes naturels (signa naturalia) : la volonté divine qui a définitivement établi le rapport de signe à chose signifiée a trouvé dans la manière d’être ou d’agir du signe un fondement à SOI ! choix. De doetrina christiana, t. II, n. 3, t. xxxiv, col. 57. De ce double symbole, Augustin donne plusieurs exemples : dans l’eucharistie, le pain qui, sanctifié par la parole du prêtre, est devenu le corps de Jésus-Christ est le symbole, le signe de cette unité qui rassemble les fidèles dans le corps mystique de Jésus : Commendatur vobis in isto pane quomodo unitatem amare debeatis. De même, le chrême est le signe visible de l’Esprit-Saint : sacramentum Spiritus Sancti. De même que l’huile entretient le feu, ainsi l’Esprit-Saint, descendu sur les apôtres en forme de langues de feu, cuit les néophytes, après leur baptême, dans les flammes de la charité. Serm., ccxxvii, t. xxxviii, col. 1099, 1100.

2° Deuxième élément : la vertu du sacrement. —

Le véritable sacrement, au sens strict du mot, est celui qui n’est pas seulement le signe d’une réalité spirituelle correspondante, mais dont la collation entraîne de plus la production certaine de cette léalité spirituelle. Il faut donc qu’au sacrement proprement dit soit attachée une vertu (virtussacramenti) productrice de l’effet signifié. Dans les écrits de saint Augustin, la virtus sacramenti représente une réalité d’une compréhension assez souple et qui, transposée dans le langage théologique moderne, pourrait aussi bien s’appliquer à la grâce produite par le sacrement qu’à l’élément agissant du sacrement. Faute d’avoir souligné ces deux acceptions difïéi entes du même mot, on s’est parfois trouvé en face de réelles difficultés dans la manière d’interpréter la pensée de saint Augustin.

Sous le premier aspect, la grâce produite, la virtus sacramenti correspond à ce que les théologiens modernes appellent res sacramenti. Ainsi, le don du baptême, c’est la purification spirituelle et invisible de l’âme, figurée et produite par l’ablution corporelle. Quiest. in Heptateuchum, t. IV, q. xxiii, t. xxxiv, col. 727. Ainsi, le pain et le vin eucharistiques sont une nourriture isible, mais ceux qui s’en nourrissent, adultes ou enfants, reçoivent en eux « un fruit spirituel », qui est la vie. In Joa., tract. XXVI, n. 11-13 ; XXVII, n. 5, t. xxxv, col. ICI 1-1612, 161° ; cf. Serm., clxxiv, n. 7, t. xxxviii, col. 944. Ainsi, la virtus du sacrement du chrême, c’est l’Esprit-Saint donné à l’âme afin d’y produire l’amour. In epist. Joannis ad Parlhos, tract. VI, n. 10, t. xxxv, col. 2025. En somme, ce don lié au sacrement et qui se différencie d’après la nature du rite sacré, c’est la grâce elle-même, produite dans l’âme par le sacrement. C’est en prenant la virtus sacramenti dans cette première acception qu’Augustin a pu écrire que « la grâce est la vertu des sacrements », gratia quæ sacramentorum virtus est. In psalm. lxxvii, n. 2, t. xxxvi, col. 983 ; cf. In Joa., tract. XXVI, n. Il ; XXVII, n. 5, t. xxxv, col. 1611, 11)17.

Mais, pour Augustin, la virtus sacramenti est encore ce qii, dans le signe élevé à la dignité de sacrement, est capable de produire l’effet spirituel. Parlant du baptême, Augustin se demande : Unde isla tanta virtus aquæ, ut corpus tangat et cor abluat… ? In Joa., tract. LXXX, n. 3, t. xxxv, col. 1840. C’est ce qu’il appelle la vertu manens, par opposition à la parole qui la produit, mais qui passe. Cette vertu intérieure au sacrement appelle nécessairement, lorsque le sujet est suffisamment disposé, l’action sanctificatrice du Christ ou du Saint-Esprit. Dans la controverse donatiste, saint Augustin insiste fréquemment sur ce point, et c’est par là qu’il rétablit, malgré les objections des adversaiies, la thèse catholique de la validité des sacrements conférés par des ministres hérétiques ou schismatiques. « Saint Optât déclarait que l’action de l’homme, dans la célébration du sacrement, est purement ministérielle : c’est Dieu qui agit en réalité. Saint Augustin reprend ces explications et les précise par sa théorie de l’Église, qui est parla intimement liée à sa doctrine sacramentaire. D’après le saint docteur, l’Église est l’organe du salut ; c’e.-.t par elle, en se soumettant à son autorité, que l’homme peut arriver à la connaissance de la vérité révélée ; c’est par son intermédiaire aussi que la grâce nous est donnée… L’Église continue donc ici-bas l’œuvre d’enseignement et de sanctification opérée autrefois par le Christ ; ou plutôt, le Christ, par son Église, continue à enseigner et à sanctifier le monde. De sorte que les actes de l’Église sont en réalité les actes du Christ lui-même. Cf. Epist., cxi, n. 18, t. xxxiii, col. 045 ; Serm., cxxix, n. 4, t. xxxviii, col. 722 ; De doctrina christiana, t. III, n. 44, t. xxxiv, col. 82 ; In psalm. xxx, enarr. ii, n. 4, t. xxxvi, coi. 232, etc. Or l’Église agit par ses ministres, par ceux qui ont reçu le « caractère » de l’ordination et qui..ont ainsi officiellement investis du pouvoir d’exercer les fonctions sacrées. La conséquence de cette doctiine, c’est que l’acte du ministre conférant un sacrement est un acte même du Christ agissant par son Église. » P. Pourrat, op. cit., p. 126127. Il suffit donc que la « parole » du ministre soit posée pour que soit produite, dans le sacrement, la virtus qui entraîne l’action sanctificatrice du Christ ou de l’Esprit-Saint. Ecce quia Christus etiam ipso lavacro aqute in verbo ubi ministri corporaliter videntur operari, ipse abluit, ipse mandat. Contra litteras Petiliani, t. III, n. 59, t. xliii, col. 379. De même, peu importe la volonté des parents ou la foi des ministies, seul l’Esprit-Saint, dans le baptême, opère la sanctification : Facit hoc unus Spiritus, ex quo reqencratur oblatus… Aqua igitur^exhibens jorinsecus sacramentum gratin-, et Spiritus operans intrinsecus beneficium gratin’… régénérant hominem in uno Christo ex uno Adam generatum. Epist., xcviii, n. 2, t. xxxiii, col. 360. On pourrait multiplier les textes. Cf. Quiest. in Heptateuchum, t. III, q. i.xxxiv, t. xxxiv, col. 712 ; Epist., lxxxix, n. 5, t. xxxiii, col. 311 ; In Joa., tract. V, n. 18, t. xxxv, col. 1 121 : Contra lilt. Petiliani, t. III, n. 65-67, t. xliii, col. 383-381. L’action de l’homme est donc purement ministérielle ; c’est le Christ ou l’Esprit-Saint qui agit par lui. Nous assistons ici à un développement d’une doctrine traditionnelle, esquissée jadis par Origène, plaçant dans l’invocation de la Trinité la puissance purificatrice du baptême, voir col. 503, accentuée par les Pères grecs et latins du IVe siècle, notamment Basile et Grégoire de Nazianze, voir col. 505, et Ambroise, 514, et qui prélude à la doctrine de la causalité instrumentale des scolastiques qui en sera le couronnement.

3° Troisième élément : la cause efficiente liant au signe sensible le don d’une réalité spirituelle. —

Toutefois, si l’action de l’homme est purement ministérielle, c’esi elle cependant qui prend l’initiative et qui fait le sacrement par lequel Dieu agira dans l’âme du chrétien. L’enseignement d’Augustin sur la cause efficiente du sacrement est le même que celui d’Ambroise et de Cyprien. C’est la parole du ministre, la bénédiction du prêtre qui fait le sacrement, donnant à l’élément matériel sa signification sacramentelle, liant à cet élément matériel un don spirituel objectif. Les textes sont ici classiques : Detrahe verbum, et quid est aqua nisi aqua ? Accedit verbum ad elementum et fit sacramentum, etiam ipsum tanquam visibile verbum. In Joa., tract. LXXX, n. 3, t. xxxv, col. 1810. Et c’est précisément cette parole du ministre qualifié qui donne au sacrement la vertu de produire son effet sanctifiant. On a vu dans cette affirmation d’Augustin un prélude à la doctrine de la forme des sacrements. Voir ici Matière et forme des sacrements, t. x, p. 346. L’exégèse du texte compris en ce sens n’est exacte que d’une manière très approximative. En léalité, la pensée d’Augustin s’étend ici à autre chose qu’à ce qui constitue strictement la forme du sacrement. Pour Augustin comme pour Ambroise, voir ci-dessus, col. 521, ce qui rend l’eau capable de purifier le cœur dans le baptême, c’est d’abord la bénédiction préalable qu’elle reçoit : Quia baptismus, id est salutis aqua, non est salutis, nisi Christi nomine consecrata, qui pro nobis sanguinem judit, cruce ipsius aqua signatur. Serm., ccclii, n. 3, t. xxxix, col. 1551 ; cf. De buptismo, t. V, n. 28 ; t. VI, n. 47, t. xliii, col. 190, 215. Mais, conformément à ce qui a été dit ici. t. x, col. 340, il est probable que le mot verbum désigne aussi l’invocation de la Trinité qui accompagne l’effusion baptismale. Peut-être même désigne-t-il encore la profession de foi faite par le baptisé pendant l’acte lui-même : Unde ista tanla virtus aquæ ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente verbo : non quia dicitur, sed quia crcditur ? Nam et in ipso verbo aliud est sonus transiens, aliud virtus manens… Mundatio igitur nequaquam fluxo et labili tribucretur elemento, nisi adderetur in verbo. In Joa., tract. LXXX, n. 3, t. xxxv, col. 1810. Quelle que soit l’interprétation à donner au mot verbum ici employé par Augustin, une chose est certaine, c’est « qu’il y a dans la parole, une force qui reste après qu’elle a été prononcée > (Pourrat, op. cit., p. 55) et qui donne au sacrement le pouvoir de produire son effet surnaturel.

Saint Augustin reproduit les mêmes vues sur la confirmation et sur l’eucharistie. Ces deux sacrements se composent aussi d’une matière et d’une bénédicl ion. Pour la confirmation, voir Contra littcras Petiliani, t. ii, n. 239, t. xliii, col. 342. Pour l’eucharistie, voir De Trinitate, t. III, n. 10, t. xlii, col. 873. En étudiant ces deux textes, surtout le dernier, on s’aperçoit que la pensée d’Augustin est mobile et parfois déroutante : elle passe, sans transition, des paroles sacramentelles qui sont dans l’Évangile à la prédication des paroles évangéliques en général. Ce serait néanmoins fausser la pensée d’Augustin que de l’interpréter dans le sens calviniste. Calvin, en effet, et, avec lui, les protestants pour la plupart, fondent sur le dernier texte d’Augustin leur théorie de la composition des sacrements : « Le sacrement, écrit Calvin, consiste en la parole et au signe extérieur… Par la parole, il ne faut pas entendie un murmure qui se place sans sens et intelligence, en barbotant à la façon des enchanteurs, comme si par cela se faisait la consécration : mais il nous faut entendre la parole qui nous soit preschée, pour nous enseigner et nous faire savoir que Veut dire le signe visible… Or, nous voyons qu’il (saint Augustin) requiert prédication aux sacrements, de laquelle la foy s’ensuive. » Institution chrétienne, t. IV, c. xiv, n. 4, dans Corpus reformat., t. xxxii, col. 881. « Si l’obscurité du tractatus XXX permet de l’alléguer en faveur d’une pareille doctrine, une critique impartiale est obligée de convenir que telle n’est pas la conception augustinienne du sacrement. Les formules de consécration sont valables par elles-mêmes, elles agissent indépendamment des dispositions du ministre et de celles du sujet. » Pourrat, op. cit., p. 57. Cf. De baptismo contra donalistas, 1. Y, n. 28, P. L., t. xliii, col. 190. Voir ci-dessus, col. 522.

Toutefois, une nuance est à remarquer dans la pensée d’Augustin. Il s’agit de la « fructuosité » du sacrement reçu en dehors de l’Église catholique, ’fout sacrement reçu dans la vraie Église par un sujet bien disposé est fructueux, quel que soit l’étal de péché ou de perversité du ministre. Cont. littcrus Petiliani, t. I, n. 3, t. xliii, col. 247 ; Contra epist. Parmeniani, I. II, n. 22 sq., ibid., col. 65 ; Scnu.. i.xxi. n..’! 7. t. xxxviii. col. 100 ; De baptismo, t. IV, n. 18, t. XLIII, col. 165-166. Augustin maintient celle doctrine dans le cas d’un mourant bien disposé recevant le baptême de la main d’un hérétique ; son baptême lui remet ses péchés. De baptismo, t. VI, n. 7 ; 1. Vil, n. KM), t. XLIII, col. 200, 211-2 12. Mais il n’est plus aussi allirmatif quand, en dehors tu cas de nécessité, un catéchumène

de bonne foi se fait baptiser dans l’église schismatique : il le considère comme « blessé » et gravement atteint par le « sacrilège du schisme ». De baptismo, t. I, n. 6, t. xliii, col. 113. « L’évêque d’Hippone, dit à ce propos J. Tixeront, est ici impressionné par la doctrine de saint Cypricn, doctrine qu’il a faite sienne, .ur l’Église, organe unique de la sanctification et unique lieu de salut et de rémission des péchés. Le baptême des schismatiques est au fond celui de l’Église, et ainsi le baptême vrai ne se trouve pas que dans l’Église, mais en elle seule il se trouve d’une façon efficace pour le salut : nec in qua sola (Ecclesia) unus baptismus habetur, sed in qua sola unus baptismus salubriter habetur. Contra Cresconium, t. I, n. 34, t. xliii, col. 403. » Histoire des dogmes, t. ii, p. 404. Cf. Pourrat. op. cit., p. 132 sq.

L’auteur des sacrements.

Cet auteur, c’est le

Christ. C’est en vertu de sa volonté que la parole du ministre peut faire d’un objet matériel un signe sacramentel efficace. Comme la définition augustinienne du sacrement convient surtout au baptême et à l’eucharistie (bien qu’elle puisse s’étendre aux autres sacrements), c’est pour ces deux sacrements surtout que saint Augustin parle d’institution divine. Quædam pauca (signa)… ipse Dominus et apostolica tradidit disciplina, sicuti est baptismi sacramentum et celébratio corporis et sanguinis Domini. De doctrina christiana, t. III, n. 13, t. xxxiv, col. 71 ; cf. In psalm. lxxxiii enarr., n. 2, P. L., t. xxxvii, col. 1050. On le voit, baptême et eucharistie ne sont donnés ici qu’à titre d’exemples plus obvies. Dans un autre texte, Augustin ajoute même : et si quid aliud in Scripturis commendatur. Epist., liv, n. 1, t. xxxiii, col. 200.

Conclusion. — Le concept augustinien de sacrement et son extension à la pénitence, au mariage et à l’ordre. — Nous pouvons conclure avec P. Pourrat : « Le sacrement, au sens restreint, est donc un signe matériel d’un objet spirituel dont il est l’image, institué par Jésus-Chriot, et auquel est lié, par la formule de bénédiction du ministre, l’objet spirituel signifié et destiné à sanctifier les hommes. Cette définition ne se trouve formulée nulle part dans les écrits de saint Augustin ; les idées qui la composent sont développées çà et là, et l’historien qui les synthétise court le risque de dépasser la pensée de l’évêque d’Hippone. En réalité, saint Augustin n’a foi mule que la première partie, que le terme générique de la défini. ion : le sacrement est un signe sacré d’un objet spirituel. Cf. De civ. Dei, t. V, c. v, t. xi.i, col. 282. Il n’a pas ignoré, surtout quand il parlait du baptême et de l’eucharistie, l’élément spécifique, c’est-à-dire l’efficacité de ce signe. Mais il ne l’a pas mis en formule et on ne l’y mettra guère avant le xiie siècle. C’est pourquoi saint Augustin et tous les auteurs jusqu’à Pierre Lombard, donnent le nom de sacramentum indistinctement à toutes sortes de rites. » Op. cit., p. 29-30.

Par contre, pouvons-nous ajouter, la théoiie du sacrement augustinien ne s’applique pas à la pénitence. Augustin ne l’appelle même pas expressément un sacrement. Voir cependant ici t. i, col. 2430. L’expression sacramentum pœnitentiæ est employée pour la première fois par Victor de Cartenna. De pssnilentia, c. xx, P. L., t. xvii, ccl. 994. Mais il s’agit du « mystère » de la pénitence. Cf. Cavallera, Le décret du concile de Trente sur la pénitence et l’extrême-onction, dans le Bulletin de Toulouse, 192 1, p. 131. D’ailleurs l’ai tribut ion du De pœnitentia à Victor de Cartenna reste douteuse. Voir ici, t. XII, ccl. 820. Pour Augustin comme pour les autres docteurs des premiers siècles, la pénitence était avant tout une discipline et la réconciliation était l’aboutistissemen ! des exercices pénitentiels. L’efficacité du « sacrement » était attribuée à tout l’ensemble de ces exercices. L’application à la pénitence du concept augustinien de sacrement sera l’oeuvre du Moyen Age. Voir Pénitence, t.xii, col 945 sq. ; 953 sq. ; 974 sq. ; 1027 sq., etc.

La distinction sacramentum et virtus sacramenti n’est plus applicable purement et simplement au mariage et à l’ordre. Reprenant la formule de saint Paul, Eph., v, 22-23, saint Augustin voit dans le lien indissoluble du mariage le sacramentum, c’est-à-dire le signe, le symbole de l’union de Jésus-Christ avec son Église. De bono conjugali, c. xxi, n. 32, t. xl, col. 394. Cf. In Joa., tract. IX, n. 2, t. xxxv, col. 459. C’est par là que le mariage chrétien comporte une indissolubilité absolue, bien plus forte que dans le lariage naturel. De bono conjugali, loc. cit. Il est à îoter toutefois qu’Augustin appelle parfois le lien conjugal res sacramenti. De nuptiis et concupisc, t. I, c. x, n. 11, t. xliv, col. 420, comparable au caractère baptismal ou à celui de l’ordre. De bono conjugali, loc. cit. L’expression sanctitas sacramenti dont Augustin se sert pour désigner le mariage chrétien semble bien indiquer que ce mariage doit produire dans l’âme un effet sanctifiant. Il y aurait donc peu à faire pour appliquer strictement le concept augustinien du sacrement au sacrement de mariage. Voir ici t. i, col. 2431.

Quant à l’ordre, Augustin ne se soucie pas de lui appliquer son concept du sacrement. Toutefois la chose serait relativement facile, puisque l’ordre est étudié par Augustin parallèlement au baptême, pour réfuter les erreurs donastistes. On trouvera ici, t. xi, col. 1279, le résumé de la doctrine de saint Augustin touchant ce sacrement.


IV. APRÈS SAINT AUGUSTIN. —

De saint Augustin au xiie siècle, la notion du sacrement fait peu de progrès. Il serait même plus exact de dire qu’elle est en régression.

Il faut en rendre responsable saint Isidore de Séville. Sans doute, cet auteur reprend la définition augustinienne de la lettre lv, n. 2, à Janvier, Sacramentum est in aliqua celebralione, cum res gesta ita fit ut aliquid signifteare intclligatur, quod sanete accipiendum est. P. L., t. xxxiii, col. 205. Cf. Isidore, Etymol., t. VI, c. xix, 39, P. L., t. lxxxii, col. 255 C. Mais il chercha, conformément à la méthode suivie dans les Étymologies, à faire dériver le mot sacramentum de secretum, ce qui l’amena à considérer le sacrement surtout sous l’aspect de mystère. Et ainsi la notion de signe fut laissée dans l’obscurité : Ob id sacramenta dicuntur, quia sub legumento corporalium rerum virtus divina secretius salutem eorumdem sacramentorum operatur, nnde et a seerctis virtutibus et a sacris sacramenta dicuntur… unde et græce mysterium dicitur, quod secretum et reconditam habeat dispositionem. Etymol., t. VI, c. xix, n. 40, 42, col. 255 C D. Ainsi, la caractéristique du sacrement, c’est de cacher, sous les apparences d’un objet matériel, l’action de l’Esprit-Saint, qui accomplit dans le secret le salut de l’âme. On remarque toutefois qu’Isidore distingue nettement le rite extérieur ou sacrement du salut qui y est opéré et qui est la giâce produite par le sacrement. Cet effet du sacrement est réalisé grâce à l’Esprit-Saint dont la puissance agit dans le sacrement : Quse (sacramenta) ideo fructuose pênes Ecclesiam fiunt quia Sanctus in ea manens Spiritus eumden sacramentorum lalenler operatur efjectum. Ibid., n. 41. On le voit c’est une transposition de la thèse augustinienne.

La cause de la vertu du sacrement, c’est toujours, comme chez Augustin, la parole, le verbum qui s’ajoute à l’élément matériel. D’où la persistance de la conception quelque peu matérielle du sacrement, telle que l’avaient formulée Tertullien, Ambroise et Augustin, et qui attribue à l’élément matériel du sacrement une vertu sanctificatrice grâce à la bénédiction préalablement reçue. Cette bénédiction fait descendre dans les eaux baptismales l’Esprit-Saint, qui leur communique une puissance régénératrice ou même qui opère en elles et par elles la régénération. Ainsi saint Léon : Omni homini renascenti aqua baptismatis instar est uteri virginalis. eodem Spiritu Sancto replente fontem qui replevit et virginem, ut peccatum quod ibi vacuavit sacra conceptio, hic mustica tollat ablutio. Serm., xxiv, c. iii, P. L., t. i.iv, col. 206 A. On trouve une théorie semblable chez Maxime de Turin, Serm., xiii, P. L., t. lvii, col. 558. Saint Isidore la formule plus nettement : Invocalo enim Deo, descendit Spiritus Sanctus de cxlis, et medicatis aquis, sanctificat eas de semetipso ; et accipiunt vim purgationis, ut in eis et caro et anima delictis inquinata mundetur. Etymol., t. VI, c. xviii, n. 19, P. L., t. lxxxii, col. 256 B. Et cette invocation de Dieu n’est pas la formule trinitaire, mais la formule de la bénédiction de l’eau, bénédiction toujours considérée comme très importante pour l’efficacité du sacrement. Nisi nomine et cruce ligni Christi fontis aquæ tangantur, nullum salvationis remedium obtineatur. S. Ildefonse, De cognitione baptismi, c. cix, P. L., t. xevi, col. 170. Cf. Sermo ad calechumenos, n. 3, P. L., t. xl, col. 694.

Il ne faut pas s’étonner de cette persistance d’une doctrine dont la signification analogique s’imposa toujours comme elle s’impose aujourd’hui encore dans les textes de la liturgie romaine qui la reproduisent. Qu’on relise la liturgie de la bénédiction des fonts baptismaux au samedi saint, et l’on trouvera exactement les mêmes formules. D’abord l’oraison qui sert de préambule : Omnipotens sempilerne Deux, adesto magnæ pietatis tuæ mysteriis, adesto sacramentis : et ad recreandos novos populos, quos tibi fons baptismatis parturit, Spiritum adoplionis emittv : ut quod nostrw luimilitalis gerendum est ministerio, virtutis tua’impleatur effeetu. Puis, dans la préface : Qui invisibili potentia, sacramentorum tuorum mirabililer operaris efjectum : …Qui hanc aquam vegenerandis huminibus prœparatam, arcana sui numinis admixtione feccundet : ut sanctifteatione concepta, ab immaculato divini fontis utero, in novam renata creaturam, progenies coelestis emergat… Plus loin, c’est la prière au moment de l’insufflation en forme de croix : Tu has simplicex aquas tuo are benedicito : ut prseter naturalem emundctionem, quam lavandis possunt adhibere corporibus, sint etiam purifteandis mentibus efficaces. Enfin, l’adjuration à l’Esprit-Saint : Descendat in hanc plenitudincm fontis virtus Spiritus Sancti, totamque hujus aquiv substantiam regenerandi fecundet effectu. Ces formules étaient déjà fixées au viie siècle, voir Bénédictions de l’eau, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. ii, col. 690. La liturgie de la bénédiction de l’eau baptismale remonte à la fin du ne siècle et peut-être, par une tradition non écrite, plus haut encore. Ce changement de vertu, grâce à l’invocation faite à Dieu pour qu’il daigne envoyer son Esprit, « signifiait pour les Pères que, par la bénédiction, l’eau a reçu une efficacité spéciale qui n’est autre que la puissance divine agissant par cet élément sanctifié. Cette efficacité, empruntée tout entière à la vertu divine, n’a rien des pouvoirs magiques auxquels on a voulu l’assimiler… L’eau bénite au baptême est dépositaire de la puissance divine en vertu du choix que Dieu fit de cet élément pour produire la grâce baptismale… » Art. Bénédictions de l’eau, op. cit., col. 688-689. Cette remarque de dom P. de Puniet est à retenir, cai elle nous permettra d’interpréter le verbum accedens ad elementum dans un sens pleinement conforme, d’une part à la tradition patrist ique, d’autre part à la systématisation seolastique.

Les textes cités de saint Léon et fie saint Isidore sont intéressants à un autre point de vue : celui de l’action sacramentelle. Ces auteurs suivent saint Augustin et affirment que l’action sacramentelle n’a son principe ni dans la foi ou la sainteté du ministre, ni dans les dispositions du sujet, mais dans le rite lui-même qui recouvre la vertu de Jésus-Christ ou du Saint-Esprit. Sub tegumento corporalium rerum, dit saint Isidore, virtus divina secretius salutem rorumdem sacramentorum operatur… Quse (sacramenta) ideo frucluose pênes Ecclesiam ftunt quia Sanclus in ea manens Spiritus eumdem sacramentorum lalenter operatur effectum. Même doctrine, avons-nous dit, chez saint Maxime de Turin. Toutefois, dans cette insistance à marquer que les sacrements sont reçus fructueusement dans l’Église, en raison de la présence en elle du Saint-Esprit, on trouve un écho des hésitations de saint Augustin, qui ne croyait pas que le baptême pût être reçu salubrilcr en dehors de la vraie Église, même dans le cas de bonne foi. Voir ci-dessus, col. 523-524.

C’est probablement parce que cette opinion diminuait quelque peu la valeur du rite que Bède le Vénérable, rompant sur ce point avec la tradition augustinienne, enseigna formellement, au contraire, que. dans le cas de bonne foi, on reçoit hors de l’Église fructueusement le baptême, sous l’obligation cependant de revenir à la vraie Église dès qu’on la connaîtra. Hexæmeron, t. II, P. L., t. xci, col. 101. On doit ainsi marquer à l’actif de ce docteur un léger progrès dans la conception de Y ex opère operato.


V. CHEZ LES THÉOLOGIENS DU MOYEN AGE. —

1° Avant le XIIe siècle. —

La définition isidorienne, parce qu’elle plaçait l’idée de signe au second plan, aboutissait à une notion moins précise du sacrement. Les auteurs du ixe siècle l’ont unanimement adoptée. Ainsi, Raban Maur, De institutione clericorum,

I. I, c. xxiv, P. L., t. cvii, col. 309. Voir le texte ici, t. x, col. 347, et Jonas d’Orléans, De institutione laicali, t. I, c. vii, P. L., t. evi, col. 134. Voir c. x, col. 138. Dans le De corpore et sanguine Domini, Pascase Radbert y puise le principe de son exposé eucharistique. Sacramentum.. est quidquid in aliqua celebratione divina nobis quasi pignus salutis traditur, cum res gesta visibilis longe aliud invisibile intus operatur, quod sancte accipiendum est : unde et sacramenta dicuntur a secreto, eo quod in re visibili divinilas intus aliquid ultra secretius fecit per speciem corporalem. P. L., t. cxx, col. 1275 A. Voir ici. t. xiii, col. 1634, et

II. Peltier. Pascase Radbert, Amiens, 1938, p. 203. Ratramnc s’inspire à la même source. Pour lui, les sacrements sont le secret du mystère divin, caché dans les choses sensibles : tegumento corporalium rentra virtus divina secretius salutem accipiendum (ideliter dispensât. De corpore et sanguine Domini, c. xlv, P. L.. t. CXXI, col. 110 C-117 A. Qui ne voit l’inconvénient d’une pareille notion, qui convient, certes, à tout le défini, mais non pas au seul défini ?’fout ce qui manifeste une action secrète de la divinité peut être appelé sacrement. Les auteurs de l’époque ne se sont pas privés d’étendre le nom de sacrement à toute manifestation de l’action secrète de la divinité. Ainsi, pour Pascase Radbert, non seulement le baptême et la confirmation sont des sacrements, mais l’Écriture sainte, parce que, sous la lettre des Écritures, l’Esprit-Saint agit efficacement ; mais l’incarnation, parce que, dans l’humanité visible de.lésus-Christ, la divinité agissait Intérieurement dans le secret.

Une telle application de la définition isidorienne aura pour effet de ranger parmi les sacrements tous les mystères de la foi chrétienne : « confusion qui entrava longtemps le développement du dogme du nombre des sacrements, écrit à juste titre P. Pourrai, op. rit., p. 33.

2° Au XIIe siècle. —

Le début du XIIe siècle marque un renouveau dans l’étude des sacrements : théologiens et surtout canonistes s’efforcent d’éclaircir les aspects généraux ou particuliers du problème sacramentaire. Les sources sont abondantes et l’inédit malheureusement en constitue la grande part. Le R. P. J. de Ghellinck avait annoncé un travail considérable sur ce sujet. Voir Le mouvement théologique du XIIe siècle. p. 339, note 1. Ce travail n’est jamais paru. Il faut donc se contenter d’indications sommaires.

La définition proprement augustinienne du sacrement, dans laquelle l’accent est mis sur la signification extérieure, est restaurée, on devine dans quel but hétérodoxe, par Bérenger de Tours, De sacra ccena, édit. Vischer, Berlin, 1834, p. 192 et 193. Bérenger, en effet, entendait démontrer que le corps du Christ n’est dans l’eucharistie qu’en signe. Voir ici, t. ii, col. 727. Cette définition, esquissée par les canonistes, est proposée par Abélard : Est aulrm sacramentum invisibilis graliæ visibilis species, vel sacrse rei signum (Bérenger avait dit : sacrée lei forma), id est alicujus seercti. La première partie de la formule est attribuée à saint Augustin par Roland Bandinelli ; cf. Gietl, Die Srntenzen Rolands, p. 155. En réalité, cette formule ne se trouve pas textuellement dans Augustin : elle a été formée par la juxtaposition de deux expressions augustiniennes, Qusest. in Heptateuchum, t. III, q. i.xxxiv. Voir col. 522. L’efficacité du signe sacré est nettement affirmée par Abélard qui distingue, dans le baptême comme dans les autres sacrements, d’une part, sacramentum, d’autre part, res sacramenti. La res sacramenti est l’effet intéiieur produit par le sacrement chez ceux qui le reçoivent dans les dispositions requises. Les autres ne reçoivent que le sacrement. Il semble difficile cependant à Abélard d’admettre que le Saint-Esprit n’opère aucune œuvre de sanctification dans la réception simplement valide du sacrement. Mais cette grâce ne fait que passer, ad horam transit. Epitome, pari. III, c. iii, P. L., t. clxxviii, col. 1738 sq.

Saint Bernard expose brièvement que le sacrement, sacrum signum. ou sacrum secretum ne fait pas que signifier la grâce : il la communique. C’est une sorte d’investiture de la grâce. L’anneau que poite l’héritier n’a par lui-même aucune valeur ; mais il est donné comme signe de l’investiture de l’héritage. Ainsi, appropinquans passioni Dominus, de gratia sua investire curavit suos ut invisibilis gratia signo aliquo visibili pnrstaretur. Scrmo in ccena Domini, P. L., t. clxxxhi, col. 271.

Cette définition est courante chez les auteurs du début du xii c siècle. Alger de Liège la reprend dès le début de son ouvrage De sacramentis corporis et sanguinis Domini, t. I, c. iv, P. L., t. clxxx, col. 751. Ses explications constituent une véritable réaction contre la notion isidorienne, car elles opposent très nettement sacramentum à mysterium : in hoc difjerunt quia sacramentum signum est visibile aliquid signiftcans, mysterium vero aliquid occultum ab eo signi/icatum. Id., ibid. D’autres auteurs sont pleinement d’accord avec Alger : Lanfranc, Liber de corpore et sanguine Domini. P. L., t. cl, col. 415 ; Guitmond, De corporis et sanguinis Domini veritatc, t. II, P. L., c. c.xLix, col. 1147. Lanfranc dit expressément : sacramentum dicitur a sacrando, P. L., t. cl, col. 423 BC, étymologie qu’on retrouve plus tard chez saint Thomas, In IV"" Sent., dist. I, q. i, a. 1, qu. 1, et chez Hugues de Strasbourg, Compendium theologise, t. VI, c. iv, dans les Alberti Magni opéra, édit. Borgnet, t. xxxiv, p. 203. Sur cette notion du signe sacramentel appliqué par Alger à l’eucharistie, voir L. Brigué, Alger de Liège, Paris, 1936, p. 96 sq. On doit également à Alger une rigoureuse mise au point de la doctrine de l’efficacité sacramentelle. Continuant la réaction de Bède et faisant appel aux principes de saint Augustin, il démontre, dans la dernière partie de son ouvrage, que « le sacrement ne dépend pas plus de la foi du ministre que de sa valeur morale. Ce qu’il avait toujours affirmé en ce qui concerne les indignes, il l’enseigna tout à fait en ce qui regarde les hérétiques. Leurs sacrements sont pleinement valides, s’ils sont conférés comme ils doivent l’être ; ils restent sacrements de l’Église, et sont capables de sanctifier, non les hérétiques eux-mêmes, mais ceux qui s’en approchent avec les dispositions convenables. » L. Brigué, op. cit., p. 181.

Voir également les textes de deux auteurs, Yves de Chartres et Hildebert du Mans, ce dernier surtout reprenant et expliquant la définition augustinienne. Les textes au t. x, col. 348.

La définition du sacrement par le signe achève de se compléter et de se propager par les travaux d’Hugues de Saint-Victor, de l’auteur de la Summa sententiarum et de Pierre Lombard.

1. Hugues de Saint-Victor. —

L’ancienne définition, sacrse rei signum, dans laquelle se trouve indiqué le signe visible, extérieur, et la grâce intérieure invisible, appelée aussi res sive virtus sacramenti, paraît insuffisante à Hugues. Car tout signe n’est pas sacrement. Hugues propose donc la définition suivante, qui accuse un progrès considérable sur toutes les notions antérieures : Sacramentum est corporale vel materiale elementum foris sensibiliter propositum ex similitudine représentons, et ex institulione signifteans, et ex sanctifieatione continens aliquam invisibilem et spirituulem gratium. De sacramentis, t. I, part. IX, c. ii, P. L., t. clxxvi, col. 317. Ainsi, la notion de sacrement, d’après Hugues, « comprend trois idées essentielles : l’aptitude de l’élément corporel ou matériel à représenter, en vertu d’une ressemblance naturelle, ce qu’il signifie ; l’institution divine, par laquelle est établi, de fait, le rapport de signification entre l’élément corporel et la grâce ; enfin, la sanctification du prêtre, qui remplit l’élément corporel de grâce et le rend capable de la donner au sujet. » Fourrât, op. cit., p. 35. Ce sont là, essentiellement, les idées de saint Augustin. Mais Hugues en précise quelques aspects. Il fait dépendre en effet de Jésus-Christ, auteur des sacrements, le rapport du signe à la grâce signifiée, idée qui était simplement confuse chez Augustin, lequel semblait faire dériver ce rapport plutôt de la parole de bénédiction. Au fond, nous ne croyons pas qu’il y ait opposition entre les deux doctrines, la bénédiction du prêtre n’ayant d’autre but que de rappeler le choix et l’institution faite par le Cbrist. Voir la remarque de dom de Puniet, col. 520. D’ailleurs, la définition d’Hugues, quel que soit le progrès qu’elle accuse, outre qu’elle est fort longue, demeure encore, sur un point, imprécise et incomplète. Il est difficile, en effet, de s’en tenir à une conception du sacrement qui serait simplement corporale vel materiale elementum foris sensibiliter propositum, quelle que soit par ailleurs son aptitude naturelle à représenter ce qu’il signifie. C’est l’usage de cet élément matériel qui constitue en réalité le sacrement, dont la signification est précisée dans l’ordre de la sanctification de l’âme par l’élément formel. Saint Thomas reprend vivement cette partie de la définition hugonienne : « Hugues, dans la définition commune du sacrement dit que (le sacrement) c’est l’élément matériel et, dans la définition du baptême, il dit que c’est l’eau. Mais cela n’est pas vrai. Dès là, en effet, que les sacrements de la Loi nouvelle opèrent une certaine sanctification, le sacrement se parfait là où se parfait la sanctification. Or, dans l’eau, il n’y a pas de sanctification qui se fasse ; ce qui s’y trouve, c’est une certaine vertu instrumentale de la sanctification, qui n’y demeure pas, mais qui passe dans l’homme, vrai sujet de la sanctification. Il s’ensuit que le sacrement ne se fait pas dans l’eau elle-même, mais dans l’application de l’eau à l’homme, application qui est l’ablution. » Sum. theol., IIP, q. lxvi. a. 1.

2. La Summa sententiarum. —

La comparaison de la notion de sacrement dans le De sacramentis d’Hugues avec la notion de la Summa sententiarum suffirait à démontrer que cet ouvrage n’est pas d’Hugues, bien qu’il s’inspire des doctrines victorines. Sur l’auteur de la Summa sententiarum, voir t. vii, col. 251 sq. Dans la notion du sacrement chrétien, l’auteur de la Summa corrige ce qu’il y avait d’incomplet et de défectueux dans la notion d’Hugues. Sur l’antériorité du De sacramentis, voir col. 256-257. C’est dans la notion de signe et dans l’efficacité du signe sacramentel que notre auteur cherche la note distinctive, spécifique, du sacrement de la nouvelle Loi. « Hugues définissait le baptême : l’eau sanctifiée par la parole de Dieu. Ce langage est tout à fait impropre aux yeux de l’auteur de la Summa. Pour lui, le baptême est un composé de l’immersion et de l’invocation de la Trinité ; l’eau et l’immersion sont le sacramentum du baptême, l’invocation de la Trinité en est la forma. Sum. sent., tract. V, c. i, iii, iv. Dans tous les sacrements, il discerne le sacramentum, qui est le signe extérieur par lequel la res sacramenti est signifiée. Sa pensée est ainsi amenée à faire, comme saint Augustin, de l’idée générale de signe le fondement de la définition du sacrement ; c’est dans l’efficacité qu’il cherche avec raison la note spécifique qui différencie le signe sacramentel de tout autre signe. Pourrat. op. cit.. p. 38. Après avoir rappelé les deux définitions augustiniennes : suerte rei signum, et : invisibilis gratin-visibilis forma, l’auteur s’objecte que cette définition pourrait convenir à bien des signes qui ne sont pas sacrements. Et il continue : Sedutsolis sacramentis competat, sic intelligendum est : sacramentum est visibilis forma invisibilis gratise i eo col LAT^E, QUAM SCILICET CONFiiKT ll’Sl VI SACRAMENTUM.

Non enim est solummodo sacrse rei signum, skd etiam efficacia. Op. cit., c. i. Cette précision heureuse permet a notre auteur d’établir la différence qui sépare le simple signe du sacrement : Ad hoc ut sit signum, non aliudexigit nisi ut illud significet cujus perhibetur signum, non ut conférât. Sacramentum vero non soliim signi/icat, sed etiam confert illud cujus est signum vel significatio. Autre différence : signum potest esse pro soin significatione quamvis careai similitudine (signe purement conventionnel), ut circulus vini ; sed sacramentum non solum ex institulione signi/icat, sed etiam ex similitudine reprsesentat. là.., ibid. Cette notion est presque définitive et permet à l’auteur d’appliquer le nom de sacrement à six des lites sacrés connus sous ce nom. Pierre Lombard aura peu de chose à faire pour amener la notion de sacrement à sa perfection dernière.

3. Pierre Lombard.

C’est dans le 1. IV des Sentences de Pierre Lombard que se trouve le premier traité des sacrements en général, dont les traités IV-VII de la Summa avaient fourni l’ébauche. Pour Pierre Lombard, comme pour l’auteur de la Summa, le caractère spécifique qui différencie le sacrement de tout autre signe, même sacré, c’est l’efficacité. Omne sacramentum est signum, sed none converso. Sacramentum ejus rei similitudinem gerit, cujus signum est… Sacramentum enim proprie dicitur quod ila signum est gratise Dei, et invisibilis grediæ forma, ut ipsius imaginem gerat et causa existât. Sent., 1.IV, dist. I, n. 2. Ainsi, les observances cérémonielles de l’ancienne Loi, parce qu’elles ne causaient pas la grâce, ne peuvent être appelées sacrements.

Le progrès réalise par la théologie de Pierre Lombard, c’est la notion de cause introduite dans le concept de signe efficace. Efficaces parce que causes de la grâce, tels apparaissent désormais les signes sacrés auxquels, depuis le Maître des Sentences, on réservera dans l’Église le nom de sacrements. On doit également ajouter que la doctrine de Pierre Lombard sur la composition du signe sacramentel est plus précise que celle de ses devanciers, à part peut-être l’auteur de la Summa. Le sacrement n’est pas simplement l’élément corporel seul, mais il est constitué par l’élément corporel (matière) et par la formule (forme) qui accompagne l’administration du sacrement.

Ainsi, « le sacrement est à la fois le signe et la cause de la grâce ; le signe est le terme générique do la définition, la causalité en est l’élément spécifique. La formule augustinienne recevait ainsi au xiie siècle son complément nécessaire. » P. Pourrat, op. cit., p. 40-41. Sur tous ces points, voir J. de Ghellinck, Un chapitre dans l’histoire de la définition des sacrements au .XIIe siècle, dans Mélanges Mandonnet, t. ii, Paris, 1930, p. 70 sq.

Désormais le progrès du concept de sacrement portera plutôt sur le mode d’efficacité, c’est-à-dire sur la nature de la causalité sacramentelle. Cet aspect nouveau du problème sera étudié plus loin. Voir col. 614 sq. Accessoirement, les auteurs insisteront sur la différence de nature des sacrements de la Loi ancienne, voir col. 644 sq., et des sacrements chrétiens. Hnfin, il faut bien reconnaître que la manière de présenter la formule lombardienne revêtira plus d’une nuance particulière aux écoles qui s’en empareront. Nous signalerons ces nuances en traitant de la causalité sacramentelle. Jamais le magistère de l’Église n’a voulu trancher les divergences d’école ; aussi s’est-il abstenu prudemment de donner une définition du sacrement. Les formules employées seront à dessein assez souples pour condenser la doctrine commune sans dirimer les questions controversées. Le décret Pro Armenis reprendra une formule thomiste qu’il est possible d’interpréter largement : Illa (les sacrements de la Loi ancienne) non causabant gratiam : hœc vero nostra et continent gratiam et ipsam digne suscipientibus conferunt. Denz.-Bannw., n. 695. Au concile de Trente, le canon 6 de la viie session a repris les formules de Florence et anathématisé « quiconque dit que les sacrements de la Loi nouvelle ne contiennent pas la grâce qu’ils signifient et qu’ils ne confèrent pas cette grâce à ceux qui n’y mettent pas d’obstacles ». Denz.-Bannw. , n. 849. II y a, dans ce canon, une confirmation authentique de la doctrine traditionnelle du signe efficace. Enfin, à la xiiie session, le concile applique à l’eucharistie la définition traditionnelle de tout sacrement : Commune hoc quidem est sanctissimæ euchari.ttiæ cum céleris sacramentis, sijmbolum esse rei sacræ et invisibilis gratiæ formam visibilem. Denz.-Bannw. , n. 876. Cette quasi-consécration officielle montre qu’on ne saurait rejeter sans témérité cette notion générale du sacrement chrétien.


VI. ANALYSE THÉOLOGIQUE DE LA NOTION DE SACREMENT.

Cette notion de sacrement, telle qu’elle résulte du long travail de la tradition chrétienne, a été élaborée, on l’a vii, surtout à propos du baptême et de l’eucharistie. La systématisation théologique qui commence à Pierre Lombard obligera les auteurs à en faire l’application à tous les sacrements sans exception. Nous rappellerons ce travail d’adaptation à propos du nombre des sacrements. Les théologiens se sont pareillement exercés à analyser le contenu de la notion de sacrement : ils ont, à ce sujet, élaboré des considérations fort intéressantes, OÙ se mêlent souvent des disputes d’écoles, et que nous devons ici nous contenter de rappeler sommairement. Trois aspects de la définition ont été principalement étudiés : d’abord, l’élément sensible dont est constitué tout sacrement et, de cette première considération, on a pu élaborer la doctrine catholique de la matière et de la forme des sacrements ; ensuite, l’élément symbolique ou proprement sacramentel qui résulte, dans chaque sacrement, de l’intention même du Christ ; enfin, le rapport du signe à la chose signifiée, principalement à la grâce produite, d’où la doctrine de la causalité des sacrements.

L’être physique et sensible du sacrement.


D’après sa nature et sa définition, le sacrement est un signe accessible à nos sens : il doit donc renfermer toujours un élément sensible. Toute la tradition affirme cette existence de l’élément sensible dans le sacrement : accedit verbum ad elementum et fit sacramentum. Cet élément varie selon chaque sacrement ; mais il existe en tout sacrement. Il est constitué par des choses, des gestes ou des paroles. Les choses sont l’élément purement matériel du sacrement : par exemple, l’eau, l’huile, le saint chrême, le pain et le vin ; les gestes sont les actes extérieurs par lesquels le ministre ou même le sujet concourent à la réalisation du sacrement : l’ablution, l’onction, l’imposition des mains, l’accusation des péchés ; enfin, les paroles qui donnert aux choses et aux gestes accomplis leur signification plus précise. On a étudié à Matière et forme des sacrements le rapport des choses aux paroles et leur union dans la constitution du sacrement. Il est inutile d’y revenir. Les théologiens font remarquer la haute convenance d’un élément sensible dans le sacrement. Trois raisons principales sont données.

Premièrement : le sacrement étant un signe, il doit être constitué de manière à faire connaître à celui qui le reçoit les mystères religieux dont il est le signe : « Il est naturel à l’homme de parvenir par des choses sensibles à la connaissance des choses intelligibles. » S. Thomas, Sum. theol., III a, q. lx, a. 4. On précise même que la vue et l’ouïe étant les deux sens qui servent davantage à la connaissance intellectuelle, il est souverainement convenable que les sacrements soient constitués d’éléments visibles (choses, gestes) et audibles (paroles). Cf. S. Bonaventure, Breviloquium, part. VI, c. iv, dans Opéra (édition de Quaracchi), t. v, p. 268.

Deuxièmement : une raison christologique demande que le sacrement soit constitué d’éléments sensibles. Les sacrements ont, dans l’Homme-Dieu, non seulement leur principe et leur source, mais leur modèle et leur type. Ils sont, entre les mains de Jésus-Christ, des instruments pour la sanctification des hommes, voir plus loin, col. 534, il faut donc qu’ils aient une certaine ressemblance avec Jésus-Christ. C’est ici le cas. La chose, l’élément matériel du sacrement, rappelle l’humanité du Sauveur ; la parole, l’élément formel, plus spirituel de sa nature, signifie la nature divine, la personne divine de Jésus-Christ. « Les sacrements ressemblent au Verbe incarné en ce que la parole s’unit à une chose sensible, comme dans le mystère de l’Incarnai ion, le Verbe de Dieu a été uni à une chair sensible. » S. Thomas, ibid., a. 6.

Troisièmement enfin, le sacrement est ainsi en rapport avec la nature de l’homme, âme et corps. Le sacrement est un remède pour l’homme déchu : il doit être proportionné à son état présent : « Par les choses sensibles, il affecte le corps, par la parole, il touche l’âme par la foi. » S. Thomas, ibid.

Ces considérations montrent le peu de probabilité d’une opinion théologique affirmant que, si, en fait, les sacrements comportent toujours un élément sensible, eu principe, il ne répugnerait pas qu’un élément purement spirituel pût être choisi par Dieu pour constituer un sacrement. On trouvera la dise us sion de cette opinion, dont il faut chercher l’origine chez les nominalistes, dans les Salmanticenses, Cursus theologicus, t. xvii. De sacramentis in cummuni, a. 4, qui rejettent absolument cette opinion étrange, et dans Gonet, Clypeus theologiæ thomisticse, De sacramentis in communi, disp. I, a. 4, n. 08, qui l’accepte sous cette forme : « L’institution des sacrements est laissée au bon vouloir de la liberté divine. Donc, de même que Dieu a élevé la matière sensible jusqu’à lui faire signifier et produire la grâce, il pourrait élever une simple opération intérieure de l’âme, par exemple un simple acte d’adoration, pour lui faire signifier et même produire la grâce. »

L’être symbolique et proprement sacramentel.


Le mot « proprement » n’est pas ici placé par erreur. Il est de première importance et marque, chez les théologiens, le souci de conserver aux sacrements de l’ancienne Loi leur caractère de sacrement. Ces sacrements, en effet, ne sont pas cause de la grâce et ne la contiennent pas ; ils la préfigurent simplement, comme devant être donnée par le Christ. Voir col. 654 sq. Sacrements moins parfaits que ceux du Nouveau Testament, mais sacrements véritables cependant. D’où il faut conclure qu’essentiellement, le sacrement doit être placé dans le genre des signes et non dans celui des causes. Le caractère de cause convient spécifiquement aux sacrements de la Loi nouvelle. Sur cette précision, voir Salmanticenses, op. cit., disp. I, dub. i, n. 20 sq. ; Jean de Saint-Thomas, Cursus theologicus, t. ix, disp. XXII, a. 1, dub. i. Ce dernier auteur fait une remarque importante qui s’impose à l’attention, si l’on veut bien comprendre la nature de l’institution des sacrements de la nouvelle Loi par le Christ : En affirmant que l’être proprement sacramentel doit être placé dans le genre « signe » et non dans le genre « cause », on n’entend pas dire que les sacrements de la Loi nouvelle ne sont cause de la grâce que d’une manière matérielle et pour ainsi dire secondaire et accessoire. Nous disons au contraire qu’ils causent ce qu’ils signifient. Mais ce qui, dans le sacrement, est doté par Dieu du pouvoir de causalité par rapport à la grâce, c’est l’élément matériel et sensible lui-même en tant qu’il a reçu de Dieu sa signification sacramentelle, et non pas la signification elle-même qui communique à l’élément matériel et sensible son caractère de sacrement. Peu importe d’ailleurs la nature physique de cet élément sensible et matériel : ablution, onction, imposition des mains, etc., il n’est cause de la grâce, en effet, que dans la mesure où il est subordonné à la signification sacramentelle qui lui a été imposée par Jésus-Christ. Loc. cit., n. 11-15.

On devra donc distinguer, d’une façon plus expresse encore que nous ne l’avons fait à l’art. Matière et forme, col. 341, la signification imparfaite et naturelle des éléments sensibles (matière et forme) des sacrements, et la signification sacramentelle qui leur est imposée par le libre choix du Christ. Sans doute, la sagesse divine, qui dispose tout avec douceur, n’a point pris au hasard les choses qui devaient servir de signes sacramentels ; elle a choisi celles qui, par leur efficacité et leurs propriétés naturelles, ont une certaine analogie, un rapport véritable quoiqu’éloigné avec les grâces du sacrement et qui, par là même, sont plus aptes que d’autres éléments à représenter des grâces d’une manière saisissable à l’esprit humain. Cf. S. Thomas, III a, q. lxiv, a. 2, ad 2um. Mais cette signification naturelle et lointainement analogique ne saurait être telle que l’élément sensible du sacrement doive nécessairement signifier la grâce divine que le sacrement est destiné à conférer ; cette signification proprement sacramentelle ne peut venir que de Dieu, auteur de la grâce, et, par conséquent, elle dépend formellement d’une institution divine, ("est ce qu’exprimait Hugues de Saint-Victor : Elementum ex naturali quadam qualitale kkp, i.<esentat, ex superaddita instilutione sigxificat. Et saint Ronaventure : Sacramentum habilitate.m ad significandum habet ex natura, sed actualitalem habet ex institutione. In IV am Sent., dist. I, part. I, q. n.

Ce principe fondamental une fois rappelé, Jean de Saint-Thomas montre que l’être symbolique et proprement sacramentel, le signe, est un être de raison, un être intentionnel. En effet, c’est uniquement l’institution du Christ qui communique à tels éléments sensibles, aptes d’ailleurs naturellement à recevoir cette désignation, la signification surnaturelle qui fait d’eux, à proprement parler, des sacrements. Or, une telle désignation, en dehors de l’acte de volonté du Christ, n’est qu’un être de raison, c’est-à-dire un être intentionnel. Car elle repose entièrement sur le choix de l’auteur des sacrements, l’aptitude naturelle des éléments sensibles ne pouvant suffire à l’expliquer et n’ayant, d’elle-même, aucune signification déterminée par rapport à l’ordre surnaturel de la grâce. Ce choix n’établit pas seulement, comme le pense Suarez, une simple dénomination extrinsèque entre l’élément sensible et la chose signifiée sacramentellement, mais crée une véritable relation de raison entre l’élément sensible et matériel du sacrement et la chose signifiée sacrainentellement, c’est-à-dire la grâce qu’il doit produire. De telle sorte que, si nous voulions faire l’analyse de la réalité sacramentelle, nous devrions la considérer sous un double aspect : son aspect physique et réel, et c’est ici seulement qu’intervient la composition de matière et de forme ; l’aspect sacramentel, et ici intervient la composition de l’élément intentionnel (à savoir la signification sacramentelle imposée par le Christ) et de l’élément sensible. Duplicem hic considerari compositionem in quolibet sacramento, altéra est ex significatione et subjecto significationem recipiente ; altéra est ex verbis et rébus, ex quibus fit integrum subjectum recipiens significationem. Jean de Saint-Thomas, disp. XXII, a. 6, dub. ii, n. 36. Il semble que la théologie moderne et contemporaine se soit trop attachée à la première considération et ait négligé la seconde. Et cependant celle-ci est d’une importance extrême, car elle seule, comme on le verra plus loin, peut apporter les véritables solutions aux difficultés soulevées à propos de l’institution immédiate des sacrements par le Christ, ou encore à propos des changements survenus au cours des siècles dans la matière ou la forme de certains sacrements.

Le rapport du signe à la chose signifiée.


Tout d’abord, les théologiens établissent quelle est la chose signifiée. Saint Thomas et tous ses commentateurs rappellent ici que la chose signifiée est triple ou du moins peut être considérée sous un triple aspect : « Le sacrement proprement dit est établi pour signifier notre sanctification, dans laquelle on peut considérer trois choses : la cause de notre sanctification qui est la passion du Christ, la forme de notre sanctification qui consiste dans la grâce et les vertus, et la fin dernière de notre sanctification qui est la vie éternelle. Toutes ces choses sont signifiées par les sacrements. Par conséquent, un sacrement est le signe commémoratif de ce qui a précédé, c’est-à-dire de la passion du Christ, le signe démonstratif de ce qu’opère en nous la passion du Christ, c’est-à-dire de la grâce, et le présage de la gloire future. » Sum. theol., III a, q. lx, a. 3. La signification la plus importante est la seconde, par rapport à la grâce que doit produire le sacrement. Mais les autres ne doivent pas être omises : les assert ions de l’Écriture suffiraient à elles seules à le montrer. Voir col. 495 sq. La raison théologique de cette triple considération est bien proposée par Jean de Saint-Thomas : « Les sacrements ne sont pas des signes de notre sanctification d’une manière abstraite, mais… selon le mode concret réalise par Dieu dans le présent décret de sa providence. Ils doivent donc signifier la grâce, telle que nous l’avons, c’est-à-dire une grâce de rédemption, accordée par la médiation du rédempteur. D’où il suit que les sacrements, en tant qu’ils sont donnés à l’homme déchu, auquel est nécessaire une réparation et un réparateur, signifient plus essentiellement, s’il est permis de parler ainsi, le Rédempteur que le salut même de l’homme… parce qu’ils signifient la grâce, en tant que donnée par le Sauveur et pas autrement. » Loc. cit., n. 30.

Par rapport à la grâce apportée par le Rédempteur, les sacrements, aussi bien ceux de l’ancienne Loi que les sacrements chrétiens, sont des signes pratiques de cette grâce. Pour vérifier celle qualité de signes pratiques, il n’est pas nécessaire que les sacrements soient causes de la grâce. Cette qualité est propre aux sacrements de la Loi nouvelle ; il suffit qu’ils dirigent l’intelligence humaine vers la recherche de la sanctification. Or, les sacrements de la Loi ancienne étaient établis « pour que les hommes témoignassent leur foi dans l’avènement du Rédempteur futur ». S. Thomas, III a, q. lxi, a. 3. Cela suffit pour leur conférer le caractère de signes pratiques.

Mais, dans la Loi nouvelle, les sacrements sont signes pratiques de la grâce, parce que la production de la grâce, qui applique à l’âme le fruit de la passion, du Rédempteur, est liée essentiellement à la réception du sacrement, et que le sacrement est cause de la grâce, non pas en tant que signe sacramentel considéré comme signe sacramentel, mais en tant que sacrement chrétien. Cf. Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 131. C’est pourquoi saint Thomas, définissant le sacrement chrétien, l’appelle (en une phrase dont l’amphibologie est dissipée par une réponse) : signum rei sacræ, inquantum est sanctificans (c’est la res et non le signum qui sanctifie) Iiomines. Sum. theol., IIP, q. lx, a. 1. Les Salmanticenses corrigent quelque peu la définition : signum rei sacrée ut sanctifleanlis nos. Op. cit., disp. I, dub. m.

Toutefois une observation est ici indispensable : « être cause de la grâce » peut s’entendre en un double sens. Tout d’abord - — et c’est le sens où il faut s’arrêter ici — on peut dire que les sacrements de la Loi nouvelle ont reçu, de l’institution du Christ, la destination de produire la grâce, lorsqu’ils sont appliqués à l’homme bénéficiaire de la rédemption. Ensuite, on peut dire que les sacrements produisent effectivement la grâce, au moment même où ils sont appliqués. Ici, l’institution du Christ ne suffit plus ; il faut y ajouter une dépendance actuelle du sacrement à l’égard de la passion du Christ, dont il est fin si ru nient dans l’œuvre de la sanctification des âmes, l’.l, pour reprendre l’expression de Jean de Saint-Thomas, sous le premier aspect la réalité intentionnelle qui constitue la signification sacramentelle suffit à expliquer la destination de produire la grâce ; sous le second aspect, il faut de plus un influx réel, qui explique la production actuelle de la grâce. Cf. Jean de Saint-Thomas, loc. cit.. n. 10 et 45.

Cette précision permettra de donner leur véritable portée aux affirmations de nos grands théologiens : Sacramenta novæ Legis simul sunt causa et signa, et iiule est quod, sicut comrnunitcr dicitur, « efflciunt quod figurant ». Ex quo etium patet, quod ha lient perfecte rationem sacramenti, in quantum ordinantur ad aliquid sacrum, non sol uni prr moilum si qui. sed ctiam per modum causa, s. Thomas, [II », q. lxii, a. I, ad lum. On saisit l’importance du terme ordinantur, S. Bonaventure : Sacramentum nova Legis tlu » habet, seilicet quod est figura et causa. In 7 V™ Sent., dist. X, dub. ni. Sacramentum dicitur invisibilis gratiêe visibile causaleque signum. Denys le Chartreux, Dialog., t. IV, q. i.


III. L’institution et le nombre septénaire.

Si nous réunissons sous le même titre deux questions qui d’habitude sont traitées à part par les théologiens, c’est qu’il existe, entre les deux, un lien intime que le concile de Trente a souligné en définissant simultanément et l’institution des sacrements par le Christ et leur nombre septénaire :

Si quelqu’un dit que les sacrements de la Loi nouvelle n’ont pas été tous institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ, ou qu’il y en a plus ou moins de sept, savoir : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrëme-onction, l’ordre et le mariage ; ou que quelqu’un de ces sept n’est pas proprement et véritablement un sacrement, qu’il soit anathème. Denz.-Bannw., n. 844. Voir le texte latin, col. 603-604.

On voit par ce texte conciliaire que trois vérités sont simultanément définies, tant elles sont solidaires l’une de l’autre. 1° Tous les sacrements de la Loi nouvelle ont été institués par le Christ. 2° Il y a sept sacrements, ni plus ni moins. 3° Ces sacrements sont proprement et véritablement des sacrements. Et, ici, le mot est entendu au sens strict que la théologie catholique lui reconnaît depuis le xiiie siècle, « signe efficace de la grâce qu’il produit ». Il est impossible de traiter la question du septénaire indépendamment de celle de l’institution, car, nous l’avons vii, jusqu’au xiie siècle, le mot sacrement était appliqué indifféremment aux rites sacrés et même aux mystères de la foi. Pour discerner les rites sacrés producteurs de grâce, il est donc indispensable de recourir à l’autorité de celui-là seul qui pouvait leur communiquer une signification sacramentelle.

On voit comment la question se pose théologiquement. Il ne s’agit pas de démontrer, documents en mains, que Jésus-Christ a institué telle forme et telle matière dont tel sacrement est ou apparaît constitué dans son être sensible et matériel ; il s’agit uniquement de savoir sur quels éléments sensibles, déjà déterminés, ou déterminés par le Christ lui-même, ou encore à déterminer dans l’avenir par les apôtres ou par l’Église, est tombée l’intention du Christ, conférant ainsi à ces éléments leur signification sacramentelle et, par cette signification, leur être proprement sacramentel, comme il a clé expliqué ci-dessus. Col. 534.

Cette connaissance de l’intention du Christ peut nous être suggérée par l’étude des sacrements eux-mêmes et de leur rôle respectif dans la vie surnaturelle de l’homme ; plus précisément indiquée dans la sainte Écriture ; formellement donnée par le magistère de l’Église sous les multiples formes qu’il peut revêtir. Cette vérité primordiale une fois établie, toutes les discussions soulevées au sujet de l’institution des sacrements par le Christ apparaîtront comme de simples opinions, intéressantes à coup sûr au point de vue historique, mais sans portée dogmatique.

I. L’INTENTION DU CHRIST SUGGÉRÉE PAR L’ETUDE DES SACREMENTS EUX-MÊMES ET DE LEUR RÔLE RESPECTIF DANS LA VIE SURNATURELLE DE L’HOMME.—

Convenance de l’institution des sacrements.

Saint Thomas a abordé cet aspect du problème dans la Somme théologique, III’. q. lxi, De la nécessité des sacrements. Malgré le mot nécessité employé par saint Thomas, il ne peut être question ici que de l’extrême convenance des sacrements. Mais cette convenance est si mande que les I héologieil-S n’hésitent pas à parler de la nécessite de leur institution, nécessité non pas absolue, niais relative et hypothétique, qui porte sur l’existence des sacrements, non point en elle-même, mais relativement au but, c’est-à-dire en vue d’al teindre ce but plus facilement et plus complètement ». N. Gihr, Les sacrements, trad. franc., t. i, p. 41. Cf. S. Thomas, In IV » ™ Sent., dist. I, q. i, a. 2, sol. 2 ; S. Bonaventure, ibid., dist. I, part. I, q. i.

Le but principal des sacrements est la justification de l’homme. Pour atteindre ce but, Dieu n’est pas obligé de se servir d’éléments sensibles : sacramentis non alligavit potentiam suani Deus. Pierre Lombard, Sententiarum, t. IV, dist. I, part. I, c. v. Mais en fait, il a choisi des éléments sensibles pour leur communiquer une vertu sacramentelle. Voir plus haut, col. 532. Que ces éléments sensibles soient très convenables pour obtenir la sanctification des hommes, Hugues de Saint-Victor en a rappelé, sur le rythme ternaire cher au Moyen Age, une triple raison : propter humiliationem, propter cruditiunem, propter exercitationem. De sacramentis, t. I, part. IX, c. m. Les scolastiques ont adopté ce texte et l’ont développé plus ou moins. Cf. Pierre Lombard, Sent., t. IV, dist. I, part. I, c. v ; S. Bonaventure, Brcvilaquium, part. VI. c. i, édit. citée, p. 265 ; S. Thomas, 111% q. lxi, a. 1.

1. Convenance par rapport aux attributs divins. —

Bien de plus convenable que les sacrements pour manifester la miséricorde et la justice, la sagesse et la puissance de Dieu. S. Bonaventure, In IV m Sent., dist. I, part. I, q. i ; S. Thomas, Quodl., IV, q. x ; Suarez, De sacramentis, disp. III, sect. iii, n. 5. Voir d’autres références dans Gihr, op. cit., p. 43-47. On connaît, sur ce sujet, la belle paraphrase de Bède, sur la parabole du bon Samaritain, dans son commentaire sur l’évangile de saint Luc, paraphrase reproduite et commentée par Billot, dans le Proosmium du De sacramentis.

2. Convenance par rapport aux exigences de l’homme déchu. —

Bien de plus convenable que les sacrements comme réponse de Dieu aux besoins et aux exigences de la nature humaine blessée par le péché. Comme on l’a dit plus haut, les signes sensibles sont en harmonie avec la nature de l’homme, à la fois corporelle et spirituelle. Mais avec combien plus de force s’impose cette convenance quand on considère la cécité de l’homme par rapport aux vérités surnaturelles ! Par le moyen des signes sensibles, les sacrements nous rendent plus facilement saisissables les trésors cachés de la grâce divine. Cf. Denys le Chartreux, Dialogus, t. V, a. 1. Saint Bonaventure rappelle à ce sujet que l’homme est par lui-même peu porté à la contemplation des choses divines et surnaturelles ; les sacrements l’excitent à sortir de son indolence et, par leur multiplicité même, le préservent du dégoût et de l’ennui. In IV am Sent., dist. I, part. I, q. i. Mais la convenance des sacrements par rapport à l’homme déchu s’affirme surtout en ce que, par leur nature et leur but, les sacrements sont le moyen le plus propre d’arriver à une sorte de certitude morale, à la tranquillité de conscience par rapport à notre salut, ce que saint Thomas appelle certa fiducia salutis. Cont. gent., t. IV, c. lxxvii, et saint Bonaventure, securitas salutis. Loc. cit. Saint Augustin raconte que la foi ne le rassurait pas sur ses fautes passées, qui n’avaient pas encore été remises par le baptême, mais qu’après la réception de ce sacrement, il n’éprouva plus aucune inquiétude. Conf., t. IX, n. 6, P. L., t. xxxii, col. 705. On trouve des déclarations semblables chez nombre de théologiens mystiques ou simplement sacramentaires.

3. Convenance des sacrements par rapport au mystère de l’incarnation, soit considéré en lui-même, soit considéré dans l’Église qui en est la suite. —

Le mystère de l’incarnation est la source visible de toutes les grâces ; il était donc convenable qu’il y eût des canaux et des ruisseaux visibles pour apporter ces grâces à chacun en particulier, visibles comme avait été visible la personne de l’Homme-Dieu. Quia passio Christi prœcessit, ut causa quædam universalis rernissionis peccatorum, necesse est quod singulis adhibeatur ad deletionem propriorum peccatorum. Hoc autern fit per baptismum et pœnitentiam et alia sacramenta, quæ habent virtutem ex passione Cliristi. S. Thomas, III a, q. xlix, a. 1, ad 4um. Ces derniers mots pourraient être appliqués à une autre convenance des sacrements par rapport à l’incarnation : les sacrements ne causent effectivement la grâce qu’en tant qu’ils sont les instruments vivifiés par la passion du Christ. Voir ci-dessus, col. 535. Ils sont donc, par rapport aux hommes que Jésus-Christ est venu racheter, une continuation véritable de l’instrument de salut que fut l’humanité sainte du Sauveur. De plus, l’Église continuant sur terre l’incarnation, elle doit pouvoir leur communiquer visiblement les grâces et les dons issus de l’incarnation. Elle doit pouvoir le faire visiblement, en s’agrégeant les membres vivants du corps mystique, en leur assurant la croissance spirituelle, en les guérissant de leurs blessures, en leur donnant des chefs, en leur procurant le moyen de perpétuer la race des rachetés. De même que le salut est dans le Christ et par le Christ, de même les moyens visibles de salut doivent être dans l’Église et par l’Église qui continue le Christ.

4. Convenance des sacrements par rapport à la création matérielle. —

Enfin, grâce aux sacrements, la création matérielle, frappée par la malédiction du péché, est relevée et appelée à prêter son concours à l’économie du salut. Des substances naturelles, eau, huile, baume, pain, viii, etc., deviennent les symboles et le véhicule de la grâce. Ainsi l’ordre naturel tout entier doit coopérer au salut de l’homme. C’est là un commencement de cette transformation que la rédemption des hommes doit opérer sur la nature inanimée elle-même :

Terra, pontus, astra, mundus : quo lavantur flumine !

La conclusion de ces considérations sur l’extrême convenance des sacrements, c’est que Jésus-Christ, Bédempteur du genre humain, ne pouvait guère se dispenser d’instituer des sacrements. Sa sagesse, sa puissance, sa miséricorde, son amour pour nous l’y obligeaient moralement.

Convenance de l’institution de sept sacrements.


Cette convenance ressort avec grande vraisemblance du rapprochement fait entre la vie inférieure du corps et la vie supérieure de l’âme par la grâce : de ce rapprochement, en effet, ressort un certain parallélisme qui va à montrer que les sept sacrements sont appropriés et suffisent à communiquer aux individus comme à l’humanité tout entière la vie surnaturelle dans sa plénitude. Voici, sur ce point, le résumé du parallélisme établi par saint Thomas, III 11, q. lxv, a. 1. « À la génération et à la naissance naturelles qui donnent à l’homme la vie terrestre, répond le baptême par lequel l’homme renaît surnaturellement à une vie plus haute et divine, à la vie de la grâce. De même que l’homme par la croissance naturelle, atteint ensuite tout son développement et sa force physique, ainsi la confirmation fortifie, développe et perfectionne la vie surnaturelle communiquée à l’âme dans le baptême. La vie et les forces physiques doivent continuellement être entretenues par la nourriture et le breuvage ; ainsi les enfants de Dieu ont, dans le sacrement de l’autel, une nourriture céleste qui alimente leur vie spirituelle. En eux-mêmes, ces trois sacrements suffiraient aux individus pour établir, fortifier et conserver la vie de la grâce, si cette vie ne pouvait être perdue ; mais la santé surnaturelle, la vie même de l’âme peut être ruinée par la maladie du péché, comme la santé du corps par la maladie corporelle : dans les deux sphères, certains moyens sont donc accidentellement (per accidens) nécessaires pour écarter la maladie et rendre les forces premières. Or, de même que l’usage des remèdes éloigne les maladies du corps, ainsi le sacrement de la pénitence guérit les blessures mortelles de l’âme et rend la vie de la grâce ; et comme, enfin, des soins particuliers et le repos raniment les forces perdues, de même, l’extrême-onction efface les restes et les suites de la maladie spirituelle en donnant à l’âme de nouvelles grâces de force. « Les cinq sacrements dont nous venons de parler concernent et produisent la complète guérison et la sanctification de l’homme considéré individuellement ; mais l’homme est fait pour vivre en société ; il faut donc l’envisager comme partie du tout, comme membre de la famille humaine. Deux autres sacrements servent à perfectionner l’homme à ce point de vue : le mariage et l’ordre. La société humaine, dans l’ordre naturel, doit être gouvernée et elle doit se propager ; dans l’ordre surnaturel, deux choses sont pareillement indispensables : il faut que, toujours, des supérieurs se succèdent et soient pourvus du pouvoir nécessaire pour la sanctification et la direction de la société chrétienne, qui est l’Église : c’est à quoi l’ordre est destiné ; il faut que, toujours, de nouveaux membres soient donnés et engendrés à l’Église : telle est la fin du mariage. » N. Gihr, op. cit., p. 214-215. Le concile de Florence consacrera cet exposé dans son décret Pro Armenis, voir plus loin, col. 595.


II. L’INTENTION DU CHRIST, PLUS PRÉCISÉMENT INDIQUÉE PAR L’ÉCRITURE SAINTE.

La précédente démonstration, par raisons de convenance, quelle que soit l’apparence de rigueur qu’elle affecte, ne pouvait suffire en présence des arguments d’ordre historique mis en avant par les réformateurs du XVIe siècle. Il fallut en venir à une argumentation positive. Bellarmin et Grégoire de Valencia furent, à cet égard, des initiateurs.

L’autorité de la sainte Écriture est une des principales sources d’argumentation positive. Mais peut-on, avec la seule Écriture, prouver l’institution, par Jésus-Christ, des sept sacrements ? Nous avons rappelé plus haut, col. 495 sq., que, « dans l’Écrit ure, à propos des rites auxquels nous donnons aujourd’hui le nom de sacrements, se trouvent déjà exprimés à la fois leur symbolisme et leur efficacité dans la sanctification des âmes ». Sans prétendre trouver, dans les indications rassemblées, une démonstration proprement dite de l’intention de Jésus-Christ par rapport à la signification sacramentelle de nos sept rites, il semble néanmoins qu’une indication précieuse ressort à cet égard de leur rôle sanctificateur attesté par l’Écriture. Qui peut remettre les péchés, qui peut sanctifier les âmes, sinon Dieu ou celui qui a l’autorité de Dieu ? C’est vraisemblablement par une inconsciente identification entre l’élément sensible et matériel du sacrement et l’élément symbolique et proprement sacramentel, que nombre d’auteurs modernes et contemporains, étudiant l’origine des sacrements autres que le baptême et l’eucharistie, ont cru devoir recourir à l’hypothèse d’un développement faisant suite à une institution purement implicite. Sans doute, une telle hypothèse est bien différente de l’erreur moderniste contenue dans la proposition 40 du décret Lamentabili, voir plus loin, col. 561 ; il n’en est pas moins vrai qu’elle restreint singulièrement la portée de l’institution divine et qu’elle va à rencontre des plus sûrs principes de la théologie sacramentaire.

Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point : présentement, il suffit de souligner que l’Écriture sainte fournit des indications suffisantes d’où il est permis de déduire logiquement que le Christ a eu l’intention de conférer une signification sacramentelle a certains rites implicitement proposés dans les enseignements du Sauveur. Le développement affecterait l’élément matériel, non l’élément formel (au sens où nous entendons ce mot avec Jean de Saint-Thomas) du sacrement.

D’ailleurs, n’est-ce pas le travail de recherche positive qui a été accompli dans ce Dictionnaire, à propos de chaque sacrement étudié séparément ? Pour le baptême, voir t. ii, col. 167-168. Pour la confirmation, t. iii, col. 975-1026, où l’auteur conclut que le Christ a voulu et laissé entrevoir la confirmation au moment de son baptême dans le Jourdain. Peu importe, d’ailleurs, la précision relative au temps et au lieu : ce qui importe, c’est la volonté du Christ (col. 1026). Pour l’eucharistie, voir t. v, col. 989-1121. Pour la pénitence, voir t.xii, col. 749-752. Étudiant la pénitence primitive, l’auteur envisage la collation par Jésus à l’Église d’un pouvoir sur le péché. Ici encore, la volonté de Jésus apparaît clairement, touchant la rémission des péchés commis après le baptême et confiant à l’Église l’exercice de ce pouvoir. Ce sont les modalités de cet exercice qui constituent le développement historique. La volonté du Christ existe formelle et explicite dès la collation du pouvoir. Pour l’extrême-onction, voir t. v, col. 1898-1927. « L’extrême-onction est antérieure à l’épître. Saint Jacques n’invente pas. Il parle d’un rite connu… Sa lettre a été composée vers 61. L’extrême-onction avait donc été connue et employée avant cette date. Il devient bien difficile, sinon impossible, de trouver entre son apparition et la mort de Jésus le temps matériel nécessaire pour qu’elle ait pu se glisser dans les communautés, puis se faire accepter et enfin s’imposer comme un rite qui s’accomplit au nom du Seigneur » (col. 1826). Pour l’ordre, voir son institution par le Christ, t. xi, col. 1193-1209 : « Le Christ pouvait instituer l’ordre simplement en le voulant et en exprimant sa volonté par rapport à ceux qu’il revêtait du caractère sacré (col. 1206). Le rite employé ensuite a pu être choisi par le Christ d’une manière très générale. Ici encore, le rite a pu subir des modifications, la volonté du Christ de lui conférer une signification sacramentelle est demeurée la même. D’ailleurs, le concile de Trente (session xxiii, c. iii) enseigne que l’ordre est un sacrement en s’appuyant sur II Tim., i, 6, 7. Pour le mariage, plusieurs paroles du Christ, notamment Matth., xix, 6, indiquent sa volonté d’élever l’institution naturelle du mariage à l’état de sacrement. Le texte de saint Paul aux Éphésiens (v, 32) indique que « le mariage n’est plus seulement un état qui impose des devoirs difficiles en certains cas et qui exige des grâces spéciales ; ces devoirs reçoivent par le seul fait de leur assimilation aux rapports entre le Christ et l’Église, non pas une difficulté de plus, mais une élévation qui les place en plein surnaturel ; c’est un nouveau titre pour qu’au mariage soit attachée la grâce de Dieu ». Voir t. x, col. 2069.

Dans le cas du mariage, avec plus d’évidence que dans les autres sacrements, se vérifie la souplesse des principes théologiques posés par Jean de Saint-Thomas. L’institution du sacrement de mariage se réduit à une simple élévation, par un acte de la volonté du Christ, d’une institution déjà existante à l’état de sacramentalité.


III. L’INTENTION DU CHRIST, FORMELLEMENT ATTESTÉE PAU LE MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE. '

La Vraie preuve de l’existence de sept sacrements institués par le Christ réside dans l’enseignement traditionnel de l’Église. Le principe général de la démonstration positive est exprimé par la décrétale Ad abolendam de Lucius III, au concile de Vérone de 118-1 : « Il ne faut pas en cette matière (sur l’eucharistie, le baptême, la confession des péchés, le mariage ou les autres sacrements de l’Église) aliter sentire aut docere… quant sacrosancta romana Ecclesia prædicat et observât. Denz.-Bannw., n. 403.

Une démonstration complète devrait reprendre, pour chaque sacrement, l’enseignement de la tradition. Le travail a été fait ici pour chacun des sacrements. On voudra donc bien se reporter à ces monographies particulières.

Nous ne pouvons, en cet article, que nous en tenir aux affirmations générales du magistère. Ces affirmations peuvent se répartir sur deux périodes : la première va des temps apostoliques au xiie siècle ; la seconde, du xiie siècle à la Réforme et au concile de Trente.

1° Première période : état implicite de la doctrine catholique. —

Il est bien évident que l’Église a usé de ses sacrements bien avant d’en faire la théologie ; elle a vécu son dogme sacramentaire avant de le formuler. La pratique sacramentelle a précédé de beaucoup le travail systématique et celui-ci n’a été qu’une expression parfaitement exacte de celle-là : lex orandi, lex credendi. P. Pourrat, op. cit., p. 234.

Dans cette première période de croyance implicite, deux causes ont empêché l’explicitation de la doctrine des sept sacrements institués par le Christ. La première est l’histoire même du mot sacramentum. La seconde est la formation du concept de symbole efficace. Ce sont les deux points que nous avons développés dans les deux premières parties de cette étude, précisément pour mieux montrer les tâtonnements de la pensée chrétienne.

Tout d’abord « l’histoire du mot sacramentum donne la clé de l’histoire même de la théorie sacramentaire et explique aisément ce qui, au premier abord, paraîtrait à quelques-uns déconcertant et presque incroyable : en fait, il faut attendre jusqu’au xiie siècle pour rencontrer les premières spéculations réfléchies où l’on puisse voir une ébauche consciente du Traité des sacrements en général, une coordination méthodique des éléments qui se présentaient épars et insuffisamment travaillés dans l’œuvre théologique des écrivains antérieurs… On discutait jusqu’alors des problèmes concrets posés par tel ou tel des rites fondamentaux et impliquant, sans que cela fût toujours perçu, une solution générale applicable à tous les cas semblables qu’il aurait fallu soigneusement énumérer : telle la controverse sur le baptême des hérétiques ou sur les réordinations. » F. Cavallera, Le décret du concile de Trente sur les sacrements en général, dans Bulletin de Toulouse, 1914, p. 371.

Ensuite, et la seconde partie de notre étude le démontre, l’enseignement patristique sur la notion de sacrement, symbole efficace de la grâce, n’est pas un enseignement d’ensemble. C’est un enseignement qui porte presque exclusivement sur le baptême et l’eucharistie. C’est presque exclusivement en fonction de ces deux sacrements que s’élabore le concept de symbole efficace. Il a fallu pareillement attendre jusqu’au xiie siècle pour formuler des conclusions générales. Durant la longue période qui va des temps apostoliques au xiie siècle, il est donc impossible de présenter une étude d’ensemble. Il faudra se reporter aux différents articles de ce Dictionnaire, relatifs à chaque sacrement pris en particulier. Nous ne pouvons ici que donner quelques indications d’ordre général.

1. D’une manière générale, les Pères rapportent à Jésus-Christ l’origine et l’efficacité, non seulement du sacrement de baptême et de l’eucharistie, dont l’institution divine est nettement affirmée dans les évangiles, mais encore des autres sacrements, au fur et à mesure que l’exercice des pouvoirs sacramentels s’affirme dans l’Église. On trouvera de bonnes indications sur ces différentes affirmations particulières dans Pourrat, op. cit., p. 289-299. D’affirmations générales, nous n’en trouvons pas avant le pseudo-Ambroise : Diviniora sunt sacramenta christianorum quam judseorum. Auctor sacramentorum quis est nisi Dominus Jésus ? De cœlo ista sacramenta venerunt. De sacramentis, t. IV, c. iv, n. 7, P. L., t. xvi, col. 439. Saint-Augustin affirme la même vérité dans sa lettre à Januarius, Epist., liv, n. 1 : Primo itaque tencre te volo quod est hujus dispulutionis caput, Dominum nostrum Jesum Christum, sicut ipse in Evangelio loquitur, leni jugo suo nos subdidisse et sarcinæ levi ; unde sacramentis numéro paucissimis, observatione facillimis, signifleatione priesiantissimis, socielatem novi populi colligavit, sicuti est baptimus…, communicatio corporis et sanguinis ipsius et si quid aliud in scripturis canonicis commendalur… P. L., t. xxxiii, col. 200. Dans la controverse donatiste, Augustin parle du baptême du Christ, pour la validité duquel sont requises les paroles indiquées dans l’Évangile. De baptismo, t. VI, n. 47, P. L., t. xliii, col. 214 ; et, à ce propos, il rappelle, dans une formule plus générale, que « les sacrements du Christ et de l’Église », pour être employés illicitement par les hérétiques et tous les impies et pécheurs, n’en demeurent pas moins les sacrements du Christ. Ibid., t. III, n. 13, col. 144. C’est du côté du Christ, entr’ouvert par la lance, que sont sortis les sacrements qui constituent la vie de l’Église, mortuo Christo, lancea percutitur latus, ut profluant sacramenta, quibus formetur Ecclesia. In Joa., tract. IX, n. 10, t. xxxv, col. 1463.

Sous une autre forme encore, les Pères reconnaissent Jésus pour l’auteur des sacrements, lorsqu’ils aflirment que les paroles sacramentelles sont les paroles de Jésus-Christ lui-même et que les sacrements ne peuvent en aucune manière être regardés comme les sacrements des apôtres, mais uniquement comme les sacrements de Jésus-Christ : « Examinez les paroles des apôtres. Nul n’a jamais dit : « Mon baptême, baptismus meus ». Quoique l’Évangile fût le même pour tous, ils ont pu dire : « Mon Évangile » (cf. II Tim., n, 8), mais nulle part vous ne trouverez : « Mon baptême ». S. Augustin, In Joa., tract. V, n. 9, col. 1419 ; cf. De baptismo, t. V, n. 16, t. xliii, col. 185. Et, sur le texte de saint Jean, iv, 2, quamvis ipse non baptizaret, sed discipuli ejus, saint Augustin fait observer que, quel que soit le ministre, c’est Jésus qui baptise, dès là qu’il s’agit du baptême institué par le Christ : « Ceux que Jean a baptisés, c’est Jean qui les a baptisés ; mais ceux que Judas a baptisés, c’est le Christ qui les a baptisés. » In Joa., tract. V, n. 18, t. xxxv, col. 1424.

2. Il faut admettre, dans cette période de croyance implicite, un très réel progrès dans le développement de la doctrine, et même dans la pratique des sacrements. Mais ce développement est légitime. Si nous l’admettons volontiers dans le dogme proprement dit, à plus forte raison devons-nous admettre un progrès parallèle dans la connaissance des sacrements, dont la pratique ne s’impose pas aux chrétiens, pour tous et pour chacun, avec la même nécessité. Cf. Concile de Trente, sess. vii, can. 4, Denz.-Bannw., n. 847.

Comme pour le dogme en général, les causes et occasions de ce progrès sont multiples. Au fond, l’unique cause dirigeante ne peut être que le magistère de l’Église, lequel, sous l’assistance du Saint-Esprit, développe les trésors du dépôt de la révélation. De là la règle posée par Lucius III. Voir col. 549. Mais différentes causes secondaires ont stimulé l’Église dans ce travail d’élaboration de la doctrine sacramentaire.

Tout d’abord, l’amour de la vérité a stimulé les Pères et les docteurs. Nous-avons constaté quelle influence exerça, en matière sacramentaire, cet amour de la vérité, sur Origène, Cyrille de Jérusalem, Basile le Grand, en Orient et, en Occident, sur Tertullien, Cyprien, Ambroise, Augustin, Isidore de Séville. Mais c’est surtout dans la dernière période d’évolution que le travail des théologiens s’est affirmé plus fécond : Hugues de Saint -Victor et Pierre Lombard, en effet, peuvent être présentés comme les véritables fondateurs de la théologie des sacrements en général.

Ensuite, la piété chrétienne, La piété procède de la foi, mais rejaillit sur elle en la perfectionnant. Le progrès de la dévotion entraîne un réel progrès dans la connaissance de la doctrine. C’est ainsi que la communion des fidèles a été pour les évoques l’occasion d’un enseignement plus approfondi sur le dogme de la présence réelle et la manière dont elle se réalise (S. Cyrille de Jérusalem, S. Augustin). La multiplication des fonctions ecclésiastiques a obligé l’Église à prendre une conscience de plus en plus parfaite de l’origine des différents degrés de la hiérarchie et des pouvoirs attachés au sacrement de l’ordre. Les sacramentaires et les ordines fixèrent dans les textes liturgiques eux-mêmes les croyances qui s’affirmaient jusque là dans la pratique. Les différents rites sacramentels apparurent avec plus de relief. Pour une grande part encore, la piété chrétienne a contribué à faire connaître la valeur sacramentelle du mariage. On pourrait en dire autant au sujet de l’extrêmeonction. Ce sont aussi les exigences de la vie chrétienne qui ont fait comprendre que la confirmation était un sacrement distinct du baptême : « La création des paroisses rurales fut l’occasion de cette distinction absolue. Tant que l’évêque présida l’administration solennelle du baptême, la confirmation fut administrée aux néophytes de suite après le bain baptismal ; elle n’était conférée séparément qu’à ceux qui avaient reçu le baptême clinical en cas de maladie. Lorsque les paroisses rurales furent fondées et confiées à de simples prêtres, l’évêque se réserva la confirmation en Occident. C’est alors qu’un temps plus ou moins long sépara la réception des deux sacrements et accentua leur distinction. En Orient, on accorda aux prêtres chargés des paroisses le droit de confirmer de suite après le baptême : usage qui existe encore aujourd’hui. » P. Pourrat, op. cit., p. 296. Nous citons expressément cet exemple entre cent, pour montrer combien la vie pratique de l’Église et des fidèles a pu influer dans le développement de la croyance sacrainentaire. Un autre exemple, très obvie aussi, est celui de l’administration du sacrement de pénitence. La nécessité de ne pas abandonner les chrétiens tombés dans le péché après leur baptême fit peu à peu prendre conscience aux chefs de l’Église du contenu des pouvoirs accordés à eux par Jésus-Christ : Les péchés seront remis… ; ils seront retenus… Joa., xx, 22. Voir ici Pénitence, t. xii, col. 773 sq.

Enfin, la cause ou mieux l’occasion la plus fréquente de progrès a été l’obligation de faire face aux erreurs ou hérésies naissantes. Aucun sacrement n’a échappé, sur ce point, à la loi du progrès. Contre les pélagiens, il faut affirmer la nécessité du baptême pour la rémission des péchés et, s’il s’agit de petits enfants, du péché originel. Il a fallu défendre l’origine divine de la pénitence et ses droits et prérogatives à l’égard de tous les péchés sans exception contre le rigorisme des montanistes et, plus tard, des novatiens, non moins que contre l’arrogance des confesseurs et martyrs qui prétendaient se passer de l’évêque et des prêtres dans la réconciliation des lapsi. De même, l’origine divine des divers degrés de la hiérarchie ecclésiastique fut mise en relief à l’occasion du mouvement hérétique du gnosticisme. Contre les gnostiques, et plus tard contre les manichéens, il fallut insister sur l’origine divine du mariage chrétien. 151en plus, saint Augustin eut lui-même à défendre la sainteté du mariage contre sa propre doctrine du péché originel, que les pélagiens trouvaient déshonorante pour la vie conjugale, propagatrice de la faute héréditaire. L’efficacité des sacrements a dû être défendue par l’Église au moment de la controverse baptismale, au temps de saint Cyprien, de la controverse donatiste, au ttmps de saint Augustin, et plus tard, au sujet des réordinations. Si les sacrements d’eucharistie, de confirmation et d’extrême-onction paraissent échapper, dans les premiers siècles de l’Église, aux attaques de l’hérésie, il n’en sera pas de même dans la suite et, là encore, un progrès dogmatique s’affirmera, en raison des négations hostiles.

Le progrès s’affirme donc, en matière sacramentaire, d’une façon indubitable. On peut également faire état des modifications importantes introduites au cours des siècles dans l’administration des sacrements. L’onction de la confirmation ne semble pas avoir été une cérémonie primitive, pas plus que la porrection des instruments dans l’administration du sacrement de l’ordre, pas plus que diverses formules que certains, aujourd’hui, disent appartenir à l’essence même du sacrement. Ce nouvel aspect du progrès en matière sacramentaire s’apparente intimement au premier, car, dans l’un comme dans l’autre, se pose la question de l’institution divine à laquelle il semble que l’Église ne puisse substituer ses initiatives humaines. Les théologiens auront à résoudre ce problème assez complexe du progrès en matière sacramentaire. Nous rappellerons et étudierons les solutions après avoir exposé la doctrine du concile de Trente. Voir col. 564.

3. Parallèlement à ce progrès en matière sacramentaire s’affirme un progrès dans la connaissance du dogme du nombre septénaire. À vrai dire, les Pères ne se sont jamais préoccupés du nombre des sacrements : « L’Église s’est empressée de se servir de ces moyens de salut, mis par le Christ à sa disposition pour convertir et sanctifier les hommes. Ce n’est que plus tard — nous ne saurions trop le remarquer - — qu’elle a eu le temps et la pensée d’en dresser l’inventaire, lorsqu’une étude synthétique des sacrements eut étéfaite, qui permit de les considérer tous dans une vue d’ensemble, de déterminer leurs caractères communs et de les compter. » P. Pourrat, op. cit., p. 235 ; cf. Franzelin, De sacramentis in génère, th. xviii.

Les Pères n’ont parlé des sacrements que dans un but essentiellement pratique. On l’a vu dans la seconde partie de cette étude : tout d’abord, c’est le baptême et l’eucharistie qui retiennent presque exclusivement l’attention des Pères apostoliques et apologistes. Puis, les crises montaniste et novatienne mettent en relief la pénitence, sans qu’on attribue encore à la discipline pénitent ielle le nom de sacrement. Au ive siècle, les nécessités de l’initiation chrétienne obligent les Pères à poser les bases d’une première liste : baptême, confirmation et eucharistie sont étudiés simultanément pour l’instruction des néophytes (en Orient, saint Cyrille de Jérusalem, Théodore de Mopsueste : en Occident, saint Ambroise et le pseudo-Ambroise du De sacramentis). Saint Augustin, dont la doctrine sacramentaire est déjà cependant assez développée, ne donne nulle part une énumération complète des sacrements. Il indique, à propos des sacrements, le baptême et l’eucharistie, et si quia aliud in scripturis canonicis commendatur. Epist., i.iv, c. i, voir col. 542.

Dans le sermon ce.xxviii, n. 3, il déclare avoir enseigné « aux enfants (c’est-à-dire aux néophytes, quel que soit leur âge) le sacrement du symbole, qu’ils doivent croire, le sacrement de l’oraison dominicale, qui leur apprend à prier, le sacrement du baptême. (, )uant au sacrement de l’autel, ces enfants n’en ont pas encore entendu parler. » P. L., t. xxxviii, col. 1102. Pour expliquer que les sacrements, même administrés par des hérétiques, sont validemenl administrés, il donne l’exemple des prières validemenl récitées sur l’eau du baptême, sur l’huile (de la confirmation), sur L’eucharistie, ou sur la tête de ceux à qui l’on impose les mains (pénitence). De baplismo, t. V, n. 28, t. xliii, col. 190.

Outre l’imprécision du sens alors accordé au mot sacramentum, certains théologiens ont invoqué, pour expliquer les imperfections de l’enseignement patristique en matière sacramentaire, la discipline de l’arcane. Cette discipline imposait sur bien des points un silence prudent, pour ne point dévoiler aux profanes la doctrine sacramentaire. Voir ici Arcane, t. I, col. 1738. Il ne semble pas toutefois que cette explication puisse être admise pour justifier l’apparition tardive de la liste des sacrements. Voir Pourrat, op. cit., p. 250. Nous devons dire cependant que cette opinion de Batifïol et de Pourrat n’est pas admise par tous. Cf. F.-X. Funk, Theolog. Quartalschrift, Tubingue, 1903, p. 09 sq.

4. Des difficultés sont soulevées du fait que quelques Pères rangent parmi les sacrements proprement dits, des rites que le magistère n’a pas reconnus comme tels. Il s’agit surtout du lavement des pieds, que saint Ambroise indique comme le sacrement institué pour remettre le péché originel, tandis que le baptême remettrait simplement les péchés personnels : Planta ejus (Pétri) abluitur. ut heredilaria peccata tollantur, noslra enim propria per baptismum relaxantnr. De mijsteriis, c. vi, n. 32, P. L., t. xvi, col. 398. Voir aussi De sacramentis, t. III, c. i, n. 7, col. 433, et comparer S. Bernard, Sermo in ccena Domini, n. 4, P. L., t. clxxxiii, col. 373 ; Arnauld de Bonneval, sous le nom de saint Cyprien, Z)e cardinalibus operibus Cliristi, P. L., t. clxxxix, col. 1610-1078. Voir la réponse à cette difficulté, ici même, t. ix, col. 31-30.

5. Le haut Moyen Age accuse un certain progrès dans les listes de sacrements. La numération des sacrements étant subordonnée au développement de la définition et de la doctrine des sacrements, elle ne pouvait atteindre sa perfection dernière tant que la définition et la doctrine n’étaient pas sanctionnées par l’enseignement commun des théologiens.

On a vu plus haut que saint Isidore de Séville, au viie siècle, avait entrevu la méthode à suivre pour produire la liste des sacrements. Il ne nomme que trois sacrements, le baptême, la confirmation, le corps et le sang du Christ, quæ ob id sacramenta dicuntur, quia sub tegumenlo corporalium rerum virtus divina secretius salutem eorumdem sacramentorum operatur, unde et a secretis virtutibus, vcl a sacris sacramenta dicuntur. Etymol., t. VI, c. xix, n. 39-40. Sans ignorer les autres rites sacrés qui plus tard devaient être appelés sacrements, Isidore, partant d’une définition discutable, ne pouvait donner qu’une liste défectueuse. Et comme la définition isidorienne fut acceptée par les auteurs des viiie et ixe siècles, nous ne trouvons aucun progrès à cette époque. Cf. Baban Maur, De institutions clericorum, t. I, c. xxiv, P. L., t. cvii, col. 309 ; Batramne. De corpore et sanguine Domini, n. 46, P. L., t. cxxi, col. 140. Pour Pascase Badbert, nous avons vu que, grâce à la définition isidorienne du sacrement, il insérait dans sa liste non seulement le baptême, la confirmation et l’eucharistie, mais encore l’Écriture sainte et l’incarnation.

L’activité intellectuelle qui reprend au xie siècle porta les auteurs à entreprendre des travaux d’ensemble sur les sacrements : doctrine sacramentaire et règles à suivre dans l’administration des dits sacrements. Mais, comme la signification du mot sacrement n’était pas fixée, dans ces listes entraient bien des rites qui n’avaient qu’une analogie lointaine avec les sacrements proprement dits. La définition sur laquelle ces listes se fondaient n’était autre que la formule augustinienne : Sacramentum est sacrum signiun. Or, ce n’était là que l’élément générique du sacrement véritable, qui devait fatalement faire considérer comme sacrements des rites qui, en réalité, n’en sont pas.

Saint Pierre Damien († 1072) compte douze sacrements : le sacrement de baptême, de confirmation, de l’onction des infirmes, de la consécration des pontifes, de l’onction des rois, de la dédicace de l’église, de la confession, des chanoines, des moines, des ermites, des moniales, du mariage. Serm., lxix, P. L., t. cxi.iv, col. 897 sq. Et dans cette liste ne figurent ni l’eucharistie, ni l’ordre qui sont pourtant, au dire du même auteur, avec le baptême, les « sacrements principaux » de l’Église. Cf. Opusc, vi, Liber qui dicitur Gratissimus, n. 9, t. cxlv, col. 109.

Saint Bernard, dans son sermon déjà cité. De cœna Domini, parle de plusieurs sacrements, sans en donner la liste ; il en énumère dix, parmi lesquels le lavement des pieds, l’investiture des chanoines, des abbés et des évêques.

D’ailleurs, la liturgie de l’époque qui s’est conservée jusqu’à nos jours emploie encore le mot sacramentum dans son sens large. Le voici appliqué au carême dans la secrète de la messe du mercredi des cendres : ipsius venerabilis sacramenti celebramus exordium. Et au graduel de la messe de la Dédicace, le lieu saint, a Deo factus est, inœstimabile sacramentum…

2° Deuxième période : de l’énumération définitive des sept sacrements (XIIe siècle) au concile de Trente.—

Cette période comprend deux étapes. La première s’étend jusque vers le milieu du xiiie siècle ; on y relève les premières affirmations nettes du septénaire, concurremment avec d’autres énumérations trop courtes ou trop longues, héritées des siècles précédents. La seconde étape, du xiiie siècle au concile de Trente, est celle de la paisible possession. Pendant cette période, un certain nombre de documents ecclésiastiques commencent à se faire l’écho de la doctrine définitive sur le septénaire. Des définitions sont portées contre les premiers négateurs de l’institution divine de sept sacrements. Période intéressante entre toutes,

1. Première étape. —

a) La distinction des « sacramenta majora » et des « sacramenta minora ». —

Nous avons vu plus haut que les auteurs de cette époque recherchèrent tout d’abord une meilleure définition du sacrement (col. 529). Le sacrement ne fut plus seulement un signe sacré, mais un signe sacré efficace, producteur de la grâce. Cette définition, formulée en vue du baptême, type du sacrement, devint le critérium permettant de distinguer, parmi tous les rites sacrés, ceux qui sont, non seulement signes de la grâce, mais signes producteurs de la grâce. Cette méthode rigoureuse aboutit à un résultat définitif.

L’école d’Abélard, on l’a vii, fut l’initiatrice. Comme on n’avait qu’un seul mot pour désigner les vrais sacrements et les rites qui n’en sont pas, Abélard distingua ceux qui sont spirituels, c’est-à-dire utiles au salut, et ceux qui ne le sont pas. Ces premiers sont les sacrements majeurs. Horum sacramentorum alia sunt spiritualia, alia non. Spiritualia sunt illa majora, quæ scilicet ad salutem valent. Epitome, n. 28, P. L., t. clxxviii, col. 1738. Cette expression, sacramenta spiritualia, ad salutem valentia, devait avoir une fortune considérable chez les théologiens et les canonistes du xiie siècle. Bestait, pour Abélard, à dresser la liste des sacramenta majora. L’Epitome mit au nombre des sacrements principaux, outre les trois sacrements de la liste isidorienne (baptême, confirmation, eucharistie), l’onction des malades, dont l’efficacité est comparée à celle de l’eucharistie, n. 30, et le mariage, dont le symbolisme est très élevé et qui remédie puissamment à la concupiscence.

Pour Hugues de Saint-Victor, comme pour Abélard, il y a aussi les sacrements principaux, in quibus principaliter sains constat et percipitiw, et les sacrement s de moindre importance, sacramenta minora, destinés à accroître la dévotion des fidèles (eau bénite, imposition des cendres) ou à fournir les objets nécessaires au culte. C’est la première distinction des sacrements et des sacrameutaux. Voir ce mot, col. 469. Comme exemples de sacramenta majora, Hugues cite le baptême et la communion. L’expression qu’il emploie : sicut aqua baptismatis et perceptin corporis ri sanguinis Domini, montre qu’il y a d’autres sacrements majeurs. Cf. De særamentis, I. I. part. IX, c. vu ; I. II, part. I, c. i. P. L., t. clxxvi, col. 327, 471. Mais la place assignée à la confirmation entre le baptême et l’eucharistie. t. II, part. VII, col. 459-462, et sa comparaison avec le baptême, c. iv, col. 461, l’importance attribué à l’ordre, t. II, part. III, col. 421-131, au mariage, t. II, part. XI, col. 479-520, à la pénitence, 1. II. part. XIV, col. 549-578, à l’extrême-onction, t. II, part. XV, col. 577-580, les mettaient à part des sacramentaux. Voir ici Hugues de Saint-Victoh, t. vii, col. 280-281.

L’auteur de la Summa sententiarum franchit une étape nouvelle. Sans dire expressément qu’il y a sept sacrements, la Summa traite des sacrements en général et des sacrements de l’ancienne Loi, tr. IV, c. i-ii, P. L., t. clxxvi, col. 117-120 ; puis successivement des sacrements du baptême, tr. V, col. 127-138 ; de la confirmation, tr. V, c. i, col. 137-139 ; de l’eucharistie, tr. V, c. n-ix, col. 139-146 ; de la pénitence, tr. V, c. x-xiv, col. 146-153 ; de l’extrême-onction, tr. V, c. xv, col. 153-154 ; de l’ordre, mentionné d’un mot, c. xv, col. 154, probablement parce que l’auteur n’a pas eu le temps de terminer l’ouvrage ; le traité du mariage qui termine la Summa sententiarum, tr. VII, col. 153-174, est de Gautier de Mortagne. Voir ici t. vii, col. 281 et 251.

Robert Pull, dans ses livres de Sentences (vers 1111), traite de tous les sacrements, sauf de l’extrême-onction, Sententiarum, 1. V-VIII, P. L., t. clxxxvi, col. 829-1010. Les rites secondaires sont laissés, pour marquer leur distinction d’avec les véritables sacrements. Un autre disciple de l’école abélardienne, Roland Bandinelli (futur Alexandre III), expose aussi exclusivement la doctrine des sept sacrements, dans le même ordre que la Summa sententiarum. Il ne parle du sacrement de l’ordre qu’à propos de la rémission des péchés. Et, de plus, Roland applique encore le terme sacrement à l’incarnation.

L’influence d’Hugues de Saint-Victor se fait sentir à la même époque, sur les canonistes du xii° siècle, dans la specics quadriformis sacramentorum, ou quadruple division des sacrements, qui se rencontre chez un groupe de glossateurs du Décret. Cette répartition distingue les sacramenta salutaria, les ministratoria, les veneraloria, les prxparatoria. Les principaux auteurs qui l’emploient sont Rufin, Etienne de Tournai, Jean de Fænza, Sicard de Crémone, la Summa Lipsiensis et Huguccio, tous canonistes, auxquels il faut joindre un théologien, Simon de Tournai, et un annotateur anonyme de Pierre Lombard. Voir J. de Ghellinck, Le mouvement théologique du XIIe siècle, Paris, 1914, p. 359 sq. ; Gillrnanu, Die Siebenzahl der Sakramente bei den Glossatoren des Gratianischen Dekrets, dans Der Katholik, 1909, Lu, p. 182-214. Tous ces auteurs ne font entrer dans les sacrements salutaires que le baptême, la confirmation et l’eucharisl le. Seul Huguccio de l-’crrare y ajoute la pénitence et l’extrême-onclion. L’ordre est rangé dans les sacramenta prœparatoria, avec Les consécrations d’églises et des vases sacrés. Ces divisions n’ont d’ailleurs aucun but théologique ; elles servent d’introduction à la troisième partie du Décret, De consecralione, pour en exposer la

répartition des matières. Mais les sept sacrements sont implicitement reconnus. Cf. Gillmann, op. cit.

b) Les premières listes du septénaire. —

Après la Summa sententiarum. il ne restait plus qu’à affirmer le nombre septénaire des sacrements. Quel auteur a, le premier, fait cette énumération ? Plusieurs noms ont été mis en avant. Schanz indique Otto de Bamberg († 1121) dans un sermon publié par l’auteur de sa vie ; voir Acta sanctorum, julii t. i, p. 390 sq. ; cf. Kirchenlexicon, t. vu. p. 912 ; P. Schanz, Die Lehre von den heiligen Sacramenten, Fribourg-cn-B., 1893, p. I 98. (Le texte se trouve dans la P. L., t. clxxiii, col. 1357-1300.) D’autres citent l’auteur des Sententi ; e iliuinilatis, P. L., t. clxxvi, col. 127 sq. ; édit. B. Gever, dans les lieilrage, t. vii, 2-3, p. 119, et J. de Ghellinck, À propos de quelques affirmations du nombre septénaire des sacrements au xue siècle, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1910, p. 493-494.

Mais c’est à Pierre Lombard qu’il faut rapporter l’honneur d’avoir introduit le premier l’enseignement théologique du septénaire sacramentaire. Son grand mérite fut d’insister tellement sur la distinction qui existe entre les sacrements proprement dits, signes efficaces de la grâce, et les autres rites, simples signes sacrés, que désormais le mot sacrement devait être exclusivement réservé, dans le langage théologique, à désigner nos sept rites sacramentels. Au lieu de se contenter, comme ses devanciers, de traiter des sept sacrements, le Maître des Sentences commence par en donner la liste : Jam ad sacramenta novse Legis accedamus, quæ sunt : baptisma, confirmatio, panis benedic.tio, id est eucharislia, psenilentia, unctio extrema, ordo, conjugium. Quorum alia remedium contra peccatum preebent, et gratiam adjutricem conferunt, ut baptismus ; alia in remedium tantum sunt, ut conjugium ; alia gratin et virtute nos fulciunt, ut eucharislia et ordo. Sent., t. IV, dist. II, c. i. Par cette énumération, l’on voit que Pierre Lombard, tout en considérant le mariage comme un véritable sacrement, ne lui indique, à l’égard de la grâce, qu’un rôle négatif, réprimer la concupiscence. Les théologiens de l’époque de saint Thomas et saint Thomas lui-même rappelleront que le mariage ne peut remédier à la concupiscence que s’il produit la grâce dans l’âme. S. Thomas, In IV am Sent., dist. II, q. il.

Dans la deuxième moitié du XIIe siècle, le traité De cseremoniis, særamentis, officiis… ecclesiasticis, t. I, c.xii, attribué faussement à Hugues de Saint-Victor, et qu’on doit plus probablement restituer à Robert Paululus, donne aussi une liste exacte des sept sacrements, fondée sur la distinction abélardienne des sacrements principaux et des sacrements moindres. Sur ces sept sacrements principaux, cinq doivent être dits généraux, parce que personne n’en est exclu, ni par l’âge, ni par le sexe, ni par sa condition, mais deux sont particuliers, parce qu’ils ne peuvent être conférés à tous indistinctement, mais seulement à certains hommes déterminés : le mariage et l’ordre. P. L., . ci.xxvii, col. 388.

c) Les premiers documents officiels. —

Les premiers documents officiels de l’Église présentent encore quelques expressions imprécises. Dans son canon 7, le llf’concile du Latran, condamnant la vénalité de certaines Églises, déclare qu’on ne doit rien exiger pro episcopis vcl abbatibus, seu quibuscumque personis ecclesiasticis ponendis in sede, seu introducendis presbt /teris in ecclesiam, neenon pro sepulturis et exequiis mortuorum, et benedietionibus nubentium, seu aliis særamentis. Cf. Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, I. v b. p. 1093. Le mot aliis særamentis affecte-t-il uniquement le sacrement de mariage qui précède dans l’énumération, ou toutes les cérémonies qui ont été énumérées ?

Au concile de Vérone (1184), le pape Lueius III. dans la constitution Ad abolendam, condamne tous ceux qui de sacramento corporis et sanguinis Dominé noslri Jesu Christi, vel de baptismale, seu de peccatorum confessione, matrimonio, vel reliquis ixclesiasticis sacramentis, aliter sentire aut docere non meluunt, quam sacrosancta romana Ecclesia pnrdicat et observât. Denz.-Bannw., n. 402. Voir ici t. ix, col. 1060.

Mais Innocent III, dans la profession de foi adressée aux évêques des provinces où habitent les vaudois et qui devait être imposée aux hérétiques désireux de rentrer dans le sein de l’Église, décrit nettement les sept sacrements et réprouve les erreurs enseignées sur chacun d’eux. Denz.-Bannw., n. 424. Cette profession de foi, contenue dans la bulle Ejus excmplo, du 18 décembre 1208, montre que, si le IVe concile du Latran, en 1215, dans son premier rapitulum, ne contient pas une énumération complète des sept sacrements, ce n’est pas, de la part du magistère, incertitude ou hésitation. On pourrait en dire autant des déclarations du IIIe concile du Latran et du concile de Vérone. Le IVe concile du Latran reprend simplement les erreurs les plus graves des albigeois et des autres hérétiques : erreurs concernant le sacrement de l’autel (à propos duquel il est fait mention du prêtre rite ordinatus), et aussi le baptême et la pénitence. Denz.-Bannw., n. 430.

L’énumération complète des sept sacrements se retrouve dans les conciles provinciaux de l’époque : Durham (1217) et Oxford (1222), Mansi, Concil., t. xxii, col. 110, 1173.

2. Seconde étape : paisible possession de la doctrine.

a) L’œuvre des grands théologiens du XIIIe siècle. —

Les théologiens du XIIIe siècle considèrent comme un article de foi, sans discussion possible, le nombre septénaire des sacrements. Ils n’en cherchent même pas la justification dans une étude de la tradition ; ils se contentent d’exposer les raisons de convenance qui rendent « nécessaires » les sept sacrements. L’idée générale est que les sacrements sont nécessaires pour remédier au péché. Mais dans les applications particulières de cette idée générale à chaque sacrement, souvent interviennent l’arbitraire et la subtilité.

Albert le Grand énumère les sept sacrements et s’efforce de démontrer qu’ils ont été institués pour remédier aux sept péchés capitaux. In lV am Sent., dist. II, a. 1. Saint Bonaventure voit une correspondance dans le nombre des sacrements avec les sept vertus chrétiennes (trois théologales et quatre cardinales) et avec les sept maladies (septifortnis morbus) causées par le péché. Bonaventure développe cette idée dans le Breviloquium, part. VI, c. in.

Dans le Commentaire in /Vum Sent., dist. II, a. 1, q. ii, Bonaventure considère les sacrements comme les armes de l’Église contre ses ennemis. La meilleure démonstration de la convenance des sept sacrements est à coup sûr celle de saint Thomas, que nous avons résumée au début de ce paragraphe. Voir col. 538-539.

Ces travaux des théologiens sur les convenances rationnelles du nombre des sacrements indiquent que le dogme a trouvé, au xiiie siècle, son développement le plus complet. C’est alors que les conciles, dont l’œuvre aura été préparée par les théologiens, définissent authentiquement la doctrine traditionnelle contre les hérésies.

Une double série de définitions conciliaires se produit dans l’Église à partir du xiiie siècle. D’une part, il s’agit d’affirmer à l’égard des Orientaux la doctrine des sept sacrements, en éliminant les incorrections qui s’étaient glissées dans leur théologie sacramentaire. D’autre part, un enseignement plus complet devra être formulé à l’égard des prolestuiUs.

Nous n’en exposerons ici que ce qui concerne l’institution divine et le nombre des sacrements.

b) L’œuvre du magistère à l’égard des Orientaux. —

a. Les grandes lignes de lu doctrine sacramentaire des Orientaux, du Ve au XIIe siècle. — Ce qui avait été fait en Occident, à l’époque carolingienne, pour la formation des clercs, avait déjà été tenté, en Orient, par le pseudo-Denis, dans sa Hiérarchie ecclésiastique. où il explique les cérémonies du baptême, de l’eucharistie, de la confirmation, des ordinations, de la profession monacale et des funérailles à ceux qui sont chargés d’enseigner et d’administrer aux autres les saints mystères. Eceles. hier., i, § i, P. G., t. iii, col. 372. Dans cette liste des six i mystères n’entrent, on le voit, que quatre sacrements proprement dits. Ces quatre sacrements sont désignés par le pseudo-Denvs de divers noms : Ta îîpxpyt.xà u.u<ttt)pia, ibid., i, § i, t. ni. col. 372 : txç aladr^ràç elxôvaç tcôv’JTro’jpavîtov, ibid., 1, § v, col. 370 D ; -à Œîaxal îepà ai>fi.60Aa, ibid., II, i, col. 392 H ; xà aEerOYjrwç lepà tcôv vor ( Tcôv 7.-£ix.ovto(xaTa y al en’aùxà /eipocYcoYÎa xoà ôSôç, sensibilia simulacra sacra intelligibilium, ad quæ munudueunt ac viam sternunt, ibid., II, iii, § ii, col. 397 C ; Tàç is-papyixàç teætoo ;, ibid., III, i, col. 425 A. L’eucharistie est.spécialement appelée rà TsXeoTLxà [i.uGT7 ; p’.a ; Ta Œapy ixà xal TEXcicorixà pvua-TY ; pta ; tsàetcov TeXfTTj, ibid., col. 424-125..Mais on constate qu’en Orient le mot ii, uav/jp’ov, comme sacramentum en Occident, n’a pas encore une signification précise. Denys réserve la même appellation aux sacrements et aux sacramentaux. Parmi les qufffrjpia et les Lepà aûu.60Xa, il recense la consécration du saint chrême et de l’autel, le rite de la sépulture qui comportait jadis une onction sur le corps du défunt, le rite de la consécration monacale. Cf. Jugie, Theologia dogmatica christianorum arientalium, t. iii, Paris, 1930, p. 9.

Jusqu’au XIIIe siècle — on notera la correspondance entre les deux Églises — la signification du mot musterion demeurera imprécise chez les Orientaux. Au début du ix p siècle, nous retrouvons sous la plume de Théodore le Studite la liste des quatre « mystères » dionysiens. Episl., t. II, clxv, P. G., t. xcix, col. 1524. Et pourtant, cet auteur connaissait les trois autres sacrements : avant de mourir, en effet, il reçut l’extrême-onction, tov £Ù/sXai.ov. Theodori Studitse vila (II), n. 07, P. G.. ibid., càl. 325 B ; cf. col. 1815 A. Lui-même, dans ses écrits, témoigne de l’usage fréquent de la confession chez les fidèles, Epis t., t. II, ci. xii, ibid., col. 1504-1510. Et il est pareillement très certain qu’à cette époque les Byzantins entouraient la célébration du mariage des rites et des prières de la liturgie, ce qui indique que le mariage était considéré comme sacrement. Cf. J. Pargoire, L’Église byzantine de 527 à 847, Paris, 1905, p. 338.

Il fallait le contact de l’Église romaine avec l’Église d’Orient pour amener chez celle-ci l’évolution qui s’était produite en Occident, la nette distinction (les sacrements et des sacramentaux.

b. Une instruction du pape Innocent IV à Odon, cardinal de Tuseulum, légat du Saint-Siège près des Grecs dans l’île de Chypre (1254). —

Il s’agit des Grecs qui veulent vivre en communion avec l’Église romaine. Le pape donne ses instructions au sujet du baptême, de la confirmation, de la pénitence, de l’extrêmeonction, du sacrifice de la messe et de l’eucharistie, du sacrement de l’ordre (le pape demande que désormais les sept ordres soient conférés, bien qu’on puisse tolérer, en raison de leur grand nombre, les prêtres qui ont été ordonnés différemment). Enfin, Innocent IV demande aux Grecs d’accepter les secondes et même les troisièmes noces entre personnes qui peuvent licitement les contracter, bien que la bénédiction nuptiale ne puisse être accordée aux secondes noces. Denz.-Bannw. (17e édition), n. 3040-3046.

c. La profession de foi de Miehel Paléologue au IIe concile de Lyon (1274). —

Cette profession de foi, imposée par le pape Clément IV et acceptée des Grecs sans difficulté, a été intégralement reproduite ici, t. ix, col. 1384. Le passage concernant les sacrements en général est ainsi libellé : « La même sainte Église romaine lient aussi et enseigne qu’il y a sept sacrements ecclésiastiques : l’un est le baptême dont il a été parlé pi us haut, un autre est le sacrement de la confirmation, que les évêques confèrent par l’imposition des mains, en oignant de chrême les baptisés, un autre est la pénitence, un autre l’eucharistie, un autre le sacrement de l’ordre, un autre est le mariage, un autre est F extrêmeonction, qui, selon la doctrine de saint Jacques, est appliquée aux malades. » Cf. Denz.-Bannw., n. 165.

La profession de foi du concile de Lyon fut suivie d’une déclaration du patriarche Jean Beccos (avril 1277). Cette déclaration admet pleinement le septénaire sacramentel, dans les termes mêmes où l’enseigne le concile de Lyon. Le patriarche ajoute simplement quelques explications concernant les différents usages reçus dans l’une et l’autre Église au sujet de l’administration des sacrements.

Il est utile de noter que, dans la version grecque de la profession de foi de Michel Paléologue, certaines expressions latines ont été traduites littéralement. Le sacrement de confirmation est appelé ii, ijo"nf)piov Pe60au>aeo>< ; et l’extrême-onction, xo ëo-ya-rov ypîap : a. Cf. A. Theiner et F. Miklosich, Monumenta spectantia ad unionem Ecclesiarum græcse, et lalinæ, Vienne, 1872, p. 17-18. Beccos reprend les mêmes expressions, sauf en ce qui concerne l’ordre, qu’il nomme rà (X’jfTTYjpiov TÎjç îepa-uxîjç ysipo-rovtaç au lieu de tj îspà Tâ^iç. Expliquant le texte de sa confession, le patriarche déclare que la confirmation, to |jwcr-rr)p !.ov ttJç p£6a<, ojo-£a>ç, est conférée indifféremment par les évêques ou par les prêtres, roxp’ïjpùv 8k àSiaçoptoç oî àp/tepsïç xat repeaë’rrepot toûto Troioûmv. De même, il dit que l’extrêmeonction est appelée par les grecs to é7rTa7rat7rx80v, c’est-à-dire le sacrement administré par sept prêtres. Dans l’un et dans l’autre document, le mot latin transsubstantiari est rendu en grec par le mot [zstoocioûffOai, jusque là inouï chez les Orientaux. Id., ibid., p. 27-28.

H est remarquable que, pendant et après le concile de Lyon, aucun des adversaires de l’union ne réclama jamais contre la liste septénaire des « mystères ; mais eux-mêmes, depuis cette époque, ont constamment enseigné le septénaire sacramentel.

d. L’enseignement îles Orientaux, entre le IIe concile de Lyon et le concile de Florence. —

La plupart des théologiens enseignent nettement le septénaire.

Ainsi, le moine Job, qu’il faut très probablement identifier avec Job Jasitès, controversiste de la seconde moit ié du xiiie siècle, semble être l’auteur d’un curieux traité des sacrements, adressé aux habitants de Phocée. Sur ce traité et son texte authentique, voir t. viii, col. I 188-1 189. Or, dans ce traité, Job énumère les sept sacrements. Toutefois, comme il est moine, il ne veut pas exclure l’habit monastique du nombre des sacrements et il énumère en les fusionnant la pénitence et l’extrême-onction, eù)(éXa’ov, è’680{zov^TOt 7) uxT<£voioc. Cod. 64 Supplem. greeci Paris., fol. 239. Et cependant, un peu plus loin, il dist ingue assez nettement l’extrême -onct ion de la pénitence, le premier sacrement ne dispensant pas de recevoir l’autre. Ibid., fol. 243 b. Voir les textes dans.Itigic, Theol. orient., t. iii, p. 17-18. L’œuvre de Job est intéressante à un autre titre. L’auteur, en effet, se demande si d’autres rites doivent être appelés sacrements. Sans trancher directement la question, il rattache la virginité à l’habit monastique, la consécration des églises à la confirmation, la consécration du saint chrême à l’eucharistie, la consécration solennelle de l’eau qui se fait à l’Epiphanie et que les grecs appellent tov fxéyav àylaouôv, au baptême, tandis que la petite consécration qui peut se faire en n’importe quel temps, n’est rattachée à aucun sacrement, mais relève de la miséricordieuse puissance et protection de la Mère de Dieu. Id., ibid., fol. 253 b. Enfin, l’élévation de la « toute-sainte », ûtj’wo-îç -ôjç uavayîaç, est rapportée à l’eucharistie.

La classification du saint habit parmi les sacrements eut peu d’écho dans la théologie orientale. Les auteurs du xive et du xv siècle se contentent communément de l’énumération latine du septénaire. Ainsi Michel Calécas, De principiis fidei eatholicæ, c. vi, P. G., t. ciii, col. 597-610. Calécas appelle le sacrement de l’ordre xô jj.ucrrjpiov twv toc^scùv, col. 008 C. Ainsi également Joseph Bryennios († 1435), Sermo i de mundi consummatione. Opéra, édit. Bulgaris, Leipzig, 1709-1784, t. ii, p. 198 : (jiuoTYJpia -rîjç’ExxXïjaîaç £7T-a’pâ7rao|i.a, ypÏGiç, fzûpou, ayiov ëXouov, èv Kupicp yâiioç, ^eipoTovta, èi ; ou.oX6y7)(nç xal uxTàXy)<J>iç. Enfin, S>méon de Thessalonique († 1429) a écrit un traité des sacrements ainsi que des offices et rites de l’Église, P. G., t. clv, col. 170-090. Cet auteur semble avoir connu l’écrit du moine Job, car il le corrige dans sa nomenclature des sacrements, supprimant le « saint habit » pour y substituer la pénitence, distincte de l’extrême-onction. Dans son ouvrage, et comme d’ailleurs l’indique le titre, il aborde la question des sacramentaux, qu’il se garde bien d’assimiler aux vrais sacrements : consécration du chrême, consécration de l’autel et dédicace de l’église, sacre de l’empereur, oraison dominicale et heures canoniques, rite de la TOcvaytaç, office des funérailles, etc.

Quelques auteurs cependant ont encore une doctrine moins ferme. On peut citer le hiéromoine et protosyncelle Joasaph, qui devint métropolite d’Éphèse (t vers 1 437) et qui compte dix sacrements de l’Église : en plus des sept sacrements authentiques, la consécration des églises, le rite des funérailles, l’habit monacal. Œuvres (publiées en grec et en russe), Odessa, 1903, p. 38. Sur ce Joasaph, voir Bévue de l’Orient chrétien, t. i, p. 691-692 ; Jugie, op. cit., p. 20.

Chez les Arméniens, quelques hésitations sont également à relever. Un théologien monophysite de la deuxième partie du xiiie siècle, Vartan le Grand († 1271), énumère ainsi les sacrements. Le premier est le baptême ; le second, le sacrifice de la messe ; le troisième, la bénédiction de l’huile que les latins appelle le saint chrême ; le quatrième est l’ordre ; le cinquième est le mariage ; le sixième est l’huile dont on oint les malades et les pénitents ; le septième est le rite funéraire sur les défunts, auquel les latins ont substitué la pénitence, tandis que l’huile dont sont oints les malades et les pénitents, voilà la pénitence. Mon i ta ad Armenos, c. vi, dans Galano, Conciliatio Ecclesise armenæ cum romana, t. iii, Home, 1658, p. 439-440. On rapprochera cette doctrine de celle de Job.lasilès, col. 551.

Chez les nestoriens, le nombre septénaire ne s’introduit qu’au xiii° siècle, vraisemblablement sous l’influence latine. Mais, dans ce nombre, il y a des variantes. Le métropolite de Nisibe, Ébedjésiis († 1318), admet bien le septénaire, mais, s’inspirant des saintes Écritures, il énumère ainsi les sepl sacrements : le premier est le sacerdoce, qui fait tous les autres sacrements ; le second est le saint baptême ; le troisième, l’huile de l’onction ; le quatrième, l’offrande du corps et du sang du Christ ; le cinquième, la rémission des péchés ; le sixième, le « ferment sacré. le septième, le signe de la croix vivifiante. l"-t il ajoute : ceux des chrétiens qui n’ont pas le ferment sacré, considèrent le mariage, conclu selon la loi du Christ, comme le septième sacrement. Liber Margarita ?, tract. IV, c. i, dans Mai, Script, vet. nova collectio, t. x b, p. 355. Le « ferment sacré » n’est autre que le levain dont doit être fait le pain qui est changé au corps du Christ. Un contemporain d’Ébedjésus, le patriarche Timothée II († 1332) donne une nomenclature différente : le sacerdoce, la consécration de l’autel, le baptême, l’huile sainte (confirmation), les saints mystères du corps et du sang du Christ, la bénédiction des moines, l’office pour les défunts, le sacrement de mariage. En fin du livre, il ajoute un chapitre sur la pénitence et la rémission des péchés. Dans Assémani, Eibliolh. orientalis, t. iii, 2e part., p. 240. Cf. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. v, Paris, 1935, p. 281.

Les hésitations et divergences des Arméniens furent-elles dénoncées au pape Benoît XII ? Toujours est-il qu’une enquête fut faite et qu’il en sortit une sorte de questionnaire auquel le catholicos des Arméniens devait répondre. L’acte d’accusation transmis aux Arméniens ne porte aucune précision sur le nombre septénaire, mais uniquement sur la vertu sanctificatrice des sacrements et leur validité en fonction de la foi ou de la sainteté du ministre. Prop. 42, 68. Denz.-Bannw., n. 51(1, 545. Toutefois, le document pontifical provoqua une réponse intéressante : l’Église arménienne, celle de Cilicie surtout, a toujours admis sans restriction les sacrements de l’Église romaine. Elle voit dans les sacrements des remèdes spirituels qui servent à notre salut et en reconnaît la vertu sanctificatrice. Tous les sacrements se rattachent à la tradition primitive de l’Église arménienne, seule l’extrême-onction fait quelque difficulté, si l’on considère la pratique, mais les évêques sont prêts à se conformer de plus en plus, sur ce point particulier, à l’usage de l’Église romaine. Voir Hefele-Leclcrcq, Hist. des conciles, t. vi b, p. 853.

e. Les documents du concile de Florence. —

Le principal document est le célèbre décret Pro Armenis, emprunté presque littéralement à l’opuscule de saint Thomas, De fidei arliculis et seplem sacramentis. L’assertion qui concerne le nombre de sacrements se retrouve identique chez saint Thomas et dans le texte conciliaire : Ntvse Legis seplem sunt sacramenta : videlicet baptismus, confirmatio, eueharistia, psenitentia, extrema unclio, ordo et matrimonium… Denz.-Bannw. , n. 695. Sur l’autorité du décret, voir Ordre, t. xi, col. 1310 sq. Dans le décret Pro jacobitis, il est dit que l’Église croit fermement, professe et enseigne que les cérémonies légales de l’Ancien Testament (parmi lesquelles les sacrements de l’Ancienne Loi) ont cessé d’exister à l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ et que les sacrements du Nouveau Testament ont commencé. Denz.-Bannw., n. 712.

Au XVIIIe siècle, dans la profession de foi prescrite par Benoît XIV aux maronites, l’Église romaine n’aura qu’à reprendre les formules de Florence. On y ajoutera cependant quelques précisions s’inspirant du concile de Trente : Item (profiteor) septem esse novee Legis sacramenta a Christo Domino nostro institula ad salutem humani generis, quamvis non omnia singulis necessaria, videlicet baptismus, etc.

La doctrine est, même en Orient, définitivement fixée, et les dissidents qui veulent en nier quelque partie se mettent aujourd’hui en contradiction avec l’enseignement traditionnel de leur Église.

I. Les Orientaux après le concile de Florence.

La doctrine générale des Orientaux sur les sacrements, après le concile de Florence, est pour ainsi dire calquée sur la doctrine catholique. Lt patriarche Jérémie II, dans sa première réponse aux luthériens (15 mai 1576), justifie l’appellation de (xuar^pia, « parce que sous des signes sensibles, ils ont un effet spirituel et occulte. Chaque sacrement a été consacré par les saintes Écritures. Ils ont une matière et une forme déterminées, une cause efficiente ou plutôt instrumentale. » Cf. Gédéon Cyprios, Kpizqç, tîjç ricXTjôeîaç, t. i, Leipzig, 1758, p. 36 ; Gabriel Severos, SuvTayji.aTi.ov Trepl tcôv àyftov xal îepcôv fj.uaT7)pt<ov, Venise, 1600 (édit. de 1715, p. 17) ; Meletios Pigas († 1601), ’OpOô-SoEoç SiSaaxaXla, Jassꝟ. 1769, p. po ?)’. On se reportera surtout aux professions de foi : Moghila, part. I, q. xcix, dans Kimmel, op. cit., p. 170 ; Dosithée, c. xv, id., p. 448-451 ; synode de Constantinople contre les articles de Cyrille Lucar, p. 404 ; synode de Jassy contre les mêmes erreurs, xv-xvii, p. 414. On peut cependant signaler des infiltrations protestantes chez Métrophane Critopoulos, voir Kimmel, op. cit., t. ii, p. 89-90, Théophylacte Gorsky († 1788), Ecclesiæ orientalis orthodoxa dogmata, Moscou, 1831, a. 8, p. 236, et quelques autres. L’enseignement des Églises d’Orient demeure néanmoins dans l’ensemble très ferme, tant sur la nature que sur le nombre, l’institution divine et les effets des sacrements. Voir sur tous ces points M. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. iii, p. 12-32.

c) L’œuvre du magistère à l’égard du protestantisme.

La controverse sacramentaire entre catholiques et protestants dépasse de beaucoup la question de l’institution de sept sacrements par Jésus-Christ. C’est dans le paragraphe suivant, sur l’efficacité et la causalité des sacrements que nous devrons l’aborder dans toute son ampleur. Nous n’envisagerons ici que le sujet abordé par le concile de Trente dans le canon 1 sur les sacrements en général : l’institution des sept sacrements par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

a. Les négations protestantes. —

Si Luther avait été logique avec ses principes sur la justification, il aurait dû supprimer tous les sacrements et ne garder que le sacrement de la parole. Mais il fallait compter avec les habitudes cultuelles enracinées dans le peuple. Et le réformateur émet, tout au début de son Prélude sur la captivité babylonienne de l’Église, une affirmation tranchante que les théologiens et les Pères de Trente retiendront sous cette forme pour la condamner : Sacramenta Ecclesiæ non esse seplem, seà vel plura vel pauciora, gaie vere sacramenta dici possunt. Pour justifier leur imputation à Luther d’une semblable assertion, les Pères du concile renvoient à trois ouvrages du réformateur. D’abord à la Captivité de Babijlone (1520), dont la phrase est presque littéralement extraite : Principiu neganda mihi sunt seplem sacramenta, et tria pro tempore concedenda, seiliect baptismus, eucharistia, pœnitenlia. Opéra, édit. de Weimar, t. vi, p. 501. Plus tard, Luther ne garde que deux sacrements : Duo rémanent vera sacramenta, baptismus et ccena Domini una cum evangelio. Les actes renvoient ici au « Testament ». Il faut lire : Vom Abendmal Christi, Bekenntnis (1528) : Dass die zivey sacrament bleiben, taufje und abendmal des Herrn neben dem Evangelio. Opéra, t. xxvi, p. 508. Enfin, sous le prétexte qu’aucun « sacrement » n’est nommé ainsi dans l’Évangile, Luther veut réserver ce terme à Jésus-Christ lui-même : Nullum sacramentorum septem in sacris libris nomine sacramenti censetur. Vnum solum habent sacrée litterx sacramentum, quod est ipse Christus Dominus. Disp. (1520), prop. De fide infusa et acquisita, 17, 18, Opéra, t. vi, p. 86.

Les actes du concile ne font appel qu’aux textes de Luther. On peut y ajouter ceux de Mélanchthon. La confession d’Augsbourg parle du baptême, de la cène, de la confession, de la pénitence, de l’ordre ecclésiastique, sans employer le mot sacrement, a. 912, a. 14. J.-Th Muller, Symbolische Bûcher, p. 41, 42. Mais dans V Apologie, l’article xiii (vu) pose la question De numéro et usu særamentorum.

Si aacramenta vocamus ritus, qui habent mandatum Dei et quibus addita est promissio gratis, facile est judicare quæ siut proprie sacramenta. Nam ritus ab hominihus iustituli non erunt hoc modo proprie dicta sacramenta… Vere igitur sunt sacramenta baptismus, cnena Domini, absolutio quæ est sacramentum peeraitenffse. Nam lii ritus habent mandatiun Dei et promissionem gratis-quæ est propria N. T… (p. 202). Confirmatio et. exlrema unctio sunt ritus ncccpti a patribus, quos ne Ecclesia quidein lancpiam nccessarios ad salutem requirit, quia non habent mandai uni Dei. Propterea non est inutile hos ritus discemcrc a Superioribus. .. (p. 203). Sacerdotium intelligunt adversarii… de sacrificio… Nos docemus sacrificium Christi morientis in cruce satis fuisse pro peccatis totius mundi… Ideo sacerdotes vocantur non ad ulla sacrificia… facienda, …sed… ad docendum cvnngelium et sacramenta porrigenda populo… Si autem ordo de ministerio verbi intelligatur, non gravatim vocaverimus ordinem sacramentum. Nam ministerium verbi habet mandatum Dei et habet magni ficus promissiones (Rom., i, 16 ; Is., i.v, 11)…. Si ordo hoc modo intelligatur, neque impositionem manuum vocare sacramentum gravemus… (p. 203). Matrimonium non est primum institutum in Novo Testamento et statim initio creato génère humano. Habet autem mandatum Dei, habet et promissions. .. Quare si <[uis volet sacramentum vocare, discernere taxiien a prioribus illis débet, quæ proprie sunt signa N. T. (p. 20 I).

Suit ici le texte relevé par les théologiens du concile, relativement à la possibilité d’appeler sacrements la prière et même les aumônes, les afflictions, etc. Voir plus loin.

Dans les Loci communes, Mélanchthon, traitant des « signes », déclare d’abord que deux signes seulement sont institués par le Christ dans l’Évangile, le baptême et la participation à la table du Seigneur. 7 a œtas, De siqnis, Corp. rejorm., t. xxi, col. 211. Dans la deuxième rédaction, un chapitre est consacré aux sacrements, un au nombre des sacrements. Nous trouvons ici la même doctrine que dans l’Apologie ; si, par sacrement, on entend toutes cérémonies et même toutes choses auxquelles sont attachées des promesses divines, les sacrements sont nombreux ; mais, si l’on entend par sacrement un rite institué dans l’Évangile, appartenant à la promesse propre à l’Évangile, il n’y a que trois sacrements : baptême, cène et absolution. On pourrait, à la rigueur appeler l’ordre un sacrement, en entendant ici le simple ministère de l’Évangile et l’appel à ce ministère. // a œtas, De sacramentis, ibid., col. 407, et surtout De særamentorum numéro, ibid., col. 469-470. Même doctrine, plus développée, dans la dernière rédaction. HI » aefas, De særamentis, ibid., col. 847 ; De numéro sacramentorum, ibid.. col. 848-850.

Zwingle affirme nettement que le Christ ne nous a laissé que deux sacrements ; le baptême et la cène. Les autres sacrements ne sont que de pures cérémonies, nullement instiluées par Dieu pour recevoir une initiation quelconque dans l’Église. De urra et falsa reliqione, De sacramentis. Opéra, t. iii, Zurich, 1832, p. 231.

Quant à Calvin, sa doctrine est développée dans YInstitution chrétienne, I. IV, c. XIV, Corp. rejorm., t. xxxii, col. 877 sq. ; cf. c. xviii, 19-20, col. 1077 sq. « Le sacrement est un signe extérieur par lequel Dieu scelle en no/, consciences les promesses de sa bonne volonté envers nous, pour conl’ermer l’imbécillité de nostre foy : et nous mutuellement rendons tesmoignage tant devant luy et les Anges que devant les hommes, que nous le tenons pour nostre Dieu, n N. 1, col. 878. Ils son ! institués par Dieu pour confirmer et provoquer notre foi : « Ils produisent lors leur efficace, quand le Maistre intérieur des âmes y adiouste sa vertu : par laquelle seule les cœurs sont percez, et les affections touchées pour y donner entrée aux

Sacrcmens. Si cestuy-là défaut, ils ne peuvent non plus apporter aux esprits, que la lumière du soleil aux aveugles ou une voix sonante à sourdes oreilles ». N. ! >. col. 886. « Il faut savoir de ces deux Sacremens, desquels l’usage a esté donné à l’Église ehrestienne dès le commencement du nouveau Testament, pour iusques à la consommation du siècle : c’est assavoir, afin que le Baptême soit quasi comme une entrée en icelle Église et une première profession de foy et la Cène, comme une nourriture assiduelle, par laquelle Iesus-Christ repaist spirituellement ses fidèles… » C. xviii, n. 19, col. 1077. Et l’Eglise se contente de ces deux « et non seulement n’en admette, approuve ou recognoisse pour le présent, mais n’en désire, n’attende iamais iusques à la consommation du siècle nul autre troisième. » Id., ibid., n. 20, col. 1078.

Les « Confessions de foi » protestantes ne reconnaissent, en général, que deux sacrements. Nous donnons les références d’après l’ouvrage de V.-K. MùIIer, Bekenntnisschriften der reformierten Kirche, Leipzig, 1903.

Confession de lîàle (1031), § v, p. 97 : In diser Kylchen brucht man einerley Sacrament, nemlich den Touff…, jm jngang der Kylchen, und des Herren Nachtmal… zu siner zyt. — Confessio helvelica prior (1536), § xx (xxi), p. 106 : Deren zeyehen, die man Sacrament nent, sind zwey, nam-Iich der Touff und das nachtmal des Herren. — Confessio rhœlica (1552), p. 167 : Signa externa a Domino instituta, Baptismum et Eucharistiam (tôt enim numéro tenemus sacramenta) retineri volumus al) Ecclesia. — Confessio helvelien posterior (1562), § xix, p. 205 : Novi populi sacramenta sunt Baptismus et Cœna dominica. Sunt qui sacramenta novi populi septem mimèrent. Ex quibus nos pæniteixtiam, ordinationem ministrorum, non papisticam quidem illam, sed apostolicam, et matrimonium agnoscimus instituta esse Dei utilia, sed non sacramenta. — Confession des Pays-lias (1566), a. 8, p. 937 : Wy bekennen… twee Sacramenten, het heylige Doopsel, ende het H.Nachtmæt.

— Confession de Genève (1536), § xiv, p. 114 : Et seulement en y a deux (sacrements) en l’Église chrétienne, qui soient constituez de l’auctorité de Dieu : le baptesme et la cène de nostre Seigneur ; pourtant ce qui est tenu auroyaulmedu pape de sept sacremens, nous le condemnons comme fable et mensonge. — Catéchisme de Genève (1515), p. 147 : Quot sunt christiana-ecclesia : sacramenta ? Duo sunt omnino… baptismus et sacra cœna. — Confession gallicane (1559), a. 35, p. 23(1 : Nous confessons seulement deux (sacrements) communs à toute l’Église, desquelz le premier, qui est le Baptesme, nous est donne pour tesmd ! gnage de nostre adoption… ; a. 36 : Nous confessons que la Cène (qui est le second Sacrement) nous est tesmoignage de l’unité, etc. — Confession belge (1561), a. 33, p. 246 : Sullicit nobis is Sacramentorum numerus, quem Christus, Magister noster, instituit : quæ duo duntaxat sunt, nimirum Sacramentum Baptismi et S. Cœnre Jesu Christi. — Confession écossaise (1500), a. 22, p. 250 : Nunc (moque, evangelii tempore, nos duo quidem sacramenta, eaque sola agnoscimus, atque a Cluisto instituta latemur. - Confession hongroise (1562), a. 30, p. 116 : Kjusmodi Sacramenta, quorum usus in Ecclesia sit perpetuus et mùversaUs, duo tantum esse censemus… Baptismum videlicet… el Cœna[m] Domini. — Les confessions et documents postérieurs reproduisent la même doctrine : confession irlandaise (1615), q. 86, p. 537 ; confession de Westminster (1647), c. xxvii, n. 4, p. 602 ; grand catéchisme « le Westminster (1617), q. 164, p. 637 ; petit catéchisme de Westminster, q. 93, p. 650.

b. La définition du concile de Trente. —

En retenant, pour la condamner, l’assertion luthérienne que « les sacrements ne sont pas au nombre de sept, mais qu’ils sont plus ou moins, qui peuvent être vraiment dits sacrements », les théologiens du concile de Trente estimèrent que la première partie de l’assertion devait être condamnée sans restriction. Quelques-uns pensaient qu’il valait peut-être mieux passer sous silence la seconde partie fvel plura. vel pauciora), ainsi qu’on l’avait fait à Florence. Dans les discussions qui s’ensuivirent, on trouve comme un écho de tout l’enseignement antérieur : enseignement spéculatif des théologiens du xiiie siècle, sur les convenances des sept sacrements, mais surtout enseignement positif, cherchant un point d’appui dans l’Écriture et dans la tradition. Deux documents surtout sont invoqués en faveur du septénaire : la décrétale de Lueius III Ad abolendam, et l’assertion d’Hugues de Saint-Victor. Les théologiens chargés d’examiner l’article hétérodoxe proposèrent de le compléter par l’addition de cette autre erreur : omnia sacramentel non esse a Christo instituta. Voir Concilium Tridentinum, édit. Ehses, t. v, p. 865, 867, et dans notre ouvrage : Les décrets du concile de Trente, Paris, 1938, p. 181. 185.

Nous avons déjà donné plus haut le texte du canon 1, anathématisant quiconque « dit que les sacrements de la Loi nouvelle n’ont pas été tous institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ, ou qu’il y en a plus ou moins de sept : savoir, le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrêmeonction, l’ordre et le mariage ; ou dit que quelqu’un de ces sept n’est pas proprement et véritablement un sacrement. » Denz.-Bannw., n. 844.

La première vérité affirmée en ce canon, c’est que tous les sacrements ont été institués par Jésus-Christ. Sans doute, ni au cours de la discussion, ni dans la rédaction définitive du décret, les Pères n’ont envisagé de définir l’institution immédiate des sacrements par le Christ. Cette vérité cependant, disent les théologiens, découle directement de l’assertion conciliaire. D’où, s’il est de foi que les sacrements ont été institués par le Christ, il est théologiquement certain que le Christ les a institués d’une façon immédiate. « Sans doute, pour des motifs particuliers, le concile n’a point fait entrer le mot immédiate dans la susdite déclaration ; mais que la déclaration doive être entendue en ce sens, c’est ce qui ressort et de la nature même du sujet et de la façon ordinaire de s’exprimer. En effet, au sens propre et rigoureux du mot — et le canon du concile prend évidemment le mot en ce sens — l’expression instituere ne s’applique qu’à celui qui, immédiatement et par lui-même, crée une institution quelconque, et non à celui qui se borne à donner à un autre la faculté de procéder à cette institution. Lors donc que Jésus-Christ est déclaré, simplement et dans tout le sens du mot, l’instituteur des sacrements, il est suffisamment affirmé qu’il les a établis, non point par d’autres ou médiatement, mais immédiatement par lui-même ou personnellement. Les institutions qui ne dérivent que médiatement de Jésus-Christ ne sont jamais, dans le langage de l’Église, simplement attribuées au Sauveur, mais aux apôtres ou à l’Église. Une comparaison éclairera la question. Les rites si pleins de signification, les cérémonies que l’on emploie dans l’administration des sacrements, ne viennent pas immédiatement ou directement de Jésus-Christ, mais de l’Église ou des apôtres : aussi leur institution n’est-elle pas rapportée au Sauveur, bien qu’elle puisse lui être attribuée au moins médiatement, en tant qu’il a donné aux apôtres et, dans la personne des apôtres, à l’Église le pouvoir surnaturel d’établir ces rites et ces cérémonies. Cette différence, l’Église elle-même l’atteste, lorsqu’elle déclare que son autorité ne s’étend qu’aux pratiques et aux prières accidentelles de l’administration des sacrements, mais nullement à la substance même du sacrement (cf. Conc. Trid., sess. xxi, c. ii, Denz.-Bannw., n. 931 : salva illorum subslanlia). La raison propre de cette distinction dans l’autorité de l’Église ne peut évidemment être que celle-ci : la substance des sacrements, c’est-à-dire tout ce qui constitue l’essence des sacrements, la forme et la matière essentielle, vient, non point de l’Église, mais immédiatement de Jésus-Christ lui-même ; et, par conséquent, tout cela est soustrait à l’autorité de l’Église. Ce que Jésus-Christ a établi doit toujours être observé invariablement, tandis que l’Église peut, dans certaines circonstances et pour de sages motifs, modifier ou même abroger les institutions dont elle est l’auteur. » N. Gihr, op. cit., t. i, p. 161-162. Ajoutons que, si l’intention des Pères de Trente n’avait pas visé une institution immédiate, le concile n’aurait pas enseigné que Jésus-Christ a institué le sacrement de pénitence principalement quand, après sa résurrection, il souflla sur ses apôtres, leur disant : Recevez le Saint-Esprit, etc., et surtout il n’aurait pas précisé que Jésus-Christ a institué l’extrême-onction, dont il attribue à l’apôtre Jacques la promulgation seulement. Sess. xiv, c. i, De pœnitentia et can., De extrema unctione, Denz.-Bannw., n. 894, 926.

La seconde vérité, c’est qu’il y a sept sacrements, ni plus, ni moins. Comme on l’a dit plus haut, l’argument de convenance a été invoqué au cours des débats ; mais l’argument d’autorité a été, lui aussi, mis en relief. La décrétale Ad abolendam énonce le principe général. Mais la détermination des sept sacrements avait déjà été faite avant le concile de Trente. Nous l’avons vu plus haut et, au cours des discussions, les Pères ne manquent pas de se reporter aux documents antérieurs, principalement au concile de Florence.

Enfin, le concile détermine une troisième vérité : ces sacrements sont proprement et véritablement des sacrements : le mot est entendu ici au sens strict que la théologie lui reconnaît depuis le xiii c siècle : signe efficace de la grâce qu’il produit. Les canons suivants développeront à ce sujet la pensée du concile.


IV. LES EXPLICATIONS THÉOLOGIQUES RELATIVES A L’INSTITUTION DES SACREMENTS PAR LE CHRIST ET AU NOMBRE SEPTÉNAIRE.

Nous pouvons considérer :
1° les explications hétérodoxes ;
2° les explications catholiques.

I. explications hétérodoxes.

Elles partent toutes d’un principe identique : les sacrements n’ont pas été, du moins dans leur totalité, institués par le Christ ; ils sont, tout au moins pour un certain nombre d’entre eux, le fruit d’une évolution naturelle du sentiment religieux. Nous trouvons, sur ce thème fondamental, trois variations : l’explication protestante, l’explication moderniste, l’explication rationaliste.

L’explication protestante.


C’est celle qui, dans l’ensemble, s’éloigne le moins de la doctrine catholique, les protestants admettant l’institution de quelques sacrements par le Christ. Le critérium de l’institution, c’est l’Évangile. Or, dans l’Évangile, deux sacrements seuls sont indiqués comme voulus et institués par le Christ, le baptême et la cène. Tous les autres rites sacrés, que l’Église catholique appelle sacrements, ne sont donc, en réalité, que des cérémonies religieuses, plus ou moins respectables sans doute, auxquelles l’Église catholique a attaché une valeur qu’ils ne possédaient pas.

Ainsi, dans la Captivité de Babylone, Luther montre son dédain pour le sacrement de confirmation. Un sacrement devrait rappeler une promesse du Christ ; or, dans la confirmation, il n’y a aucun rappel d’une promesse du Christ. Ce n’est pas un sacrement, mais une simple cérémonie extérieure. Elle n’a aucun droit d’être rangée parmi les sacrements de la foi. « On se demande, écrit-il, ce qui leur a passé par l’esprit de faire de l’imposition des mains un sacrement de confirmation. » Et il insinue que c’était pour fournir aux évêques une occasion de parader ! Opéra, Weimar, t. vi, p. 549. Et Mélanehthon, dans l’Apologie de la confession d’Augsbourg, affirme que tant la confirmation que l’extrême-onction sont des rites humains introduits par les Pères ; qu’en conséquence, il est indispensable de distinguer ces rites des vrais sacrements qui ont reçu de Dieu une destination expresse

avec une promesse certaine de la grâce. Apologia confessionis, a. 13, dans J.-Th. Millier, Symbolisehe Bûcher, p. 203. Bien plus, le même Mélanchthon affirme que le rite de la confirmation, tel que le pratiquent aujourd’hui les évêques, est une cérémonie oiseuse. La confirmation n’était autrefois qu’une catéchèse, par laquelle ceux qui approchaient de l’adolescence exposaient en face de l’Église la raison de leur foi. Cf. Loei communes, III* gelas, dans Corpus reformat., t. xxi, col. 853. Et Calvin ne voit dans la confirmation qu’un rite inventé par les « engraisscurs » catholiques, mais qui, primitivement, n’était qu’une simple bénédiction prononcée sur les enfants lorsque, parvenus à l’âge de discrétion, ils venaient, dans une cérémonie spéciale, confirmer la foi de leur baptême. Institution chrétienne, t. IV, c. xix, n. 4, 6, Corp. reform., t. xxxii, col. 1084-1085.

La pénitence, au dire des réformateurs, aurait subi une évolution analogue. Bien qu’ils parlent parfois du sacrement de pénitence, Luther et Mélanchthon entendent bien que l’Église a totalement perverti la notion de pénitence inculquée par l’Évangile. L’Église n’avait reçu du Christ qu’un ministère à remplir en excitant le pécheur à revenir aux sentiments de son baptême. A ce ministère de la parole, l’Église a substitué un pouvoir qu’elle exerce moyennant les trois éléments dont elle a constitué le sacrement nouveau. Luther, Captivité de. Babylone, Wcimar, t. vi, p. 543-544, 572. La pensée de Mélanchthon, malgré des expressions différentes, se relie à celle de Luther. Apologia confessionis, a. 12 (5), dans Symbolisehe Bûcher, p. 167 sq. Calvin, de son côté, déclare que la pénitence n’est devenue, dans L’Église romaine, un sacrement que parce que cette Église a défiguré « une cérémonie ordonnée pour confirmer notre foy en la rémission des péchez et ayant promesse des clefs ». Instit. clirét., t. IV, c. xix, n. 16, Corp. reform., t. xxxii, col. 1095.

L’extrême-onction ne saurait être un sacrement. Primitivement elle n’aurait été, dans la pensée de l’auteur de l’épître de saint Jacques, qu’un rite comportant une promesse de guérison pour les malades.

Mais, dit Luther, qui ne voit que cette promesse ne se réalise que rarement, et même jamais’? Sur mille, il y en a un à peine qui se rétablit ; et encore personne ne l’attribue au sacrement, mais à la nature ou aux remèdes. » Captivité de Babylone, t. vi, p. 509-570. Pour Calvin, l’extrême-onction n’était qu’un des moyens employés pour guérir les malades, par application de ce don des miracles dont jouissait la primitive Église. Mais, dans l’Église catholique, ce rite est devenu « une bastellerie et singerie par laquelle, sans propos et sans utilité, ils (les catholiques) veulent contrefaire les apôtres. » Inst. chrét, t. IV, c xix, n. 18-20, Corp. reform., t. xxxii, col. 1098 sq. Mélanchthon a des propos semblables, Apologia confessionis, a. 13 (7), Symbolisehe Bûcher, p. 203 ; Loci communes, II* seias, Corp. reform., t. xxi, col. 470 ; cf. III* se tas, col. lion.

Conformément au système protestant de l’universel sacerdoce des fidèles, les novateurs étaient obligés de nier le sacrement de l’ordre. Il n’est pas question de sacrement d’ordre dans l’Évangile ; c’est le « (anal ique » Denys l’Aréopagite qui l’a inventé. Captivité de Babylone, Wcimar, t. vi, p. 572. Tous les baptisés sont prêtres : les prêtres « ordonnés s n’exercent qu’un ministère (un service) que leur a confié l’ensemble des fidèles. L’ordination est une simple cérémonie ecclésiastique, analogue à la bénédiction des vases sacrés. Voir ici, t. xi, col. 1337 1338. Conclusion : si le sacerdoce est considéré par les catholiques comme un sacrement véritable, r’csl qu’il y a eu, de leur part, une déformation de rôle des ministres primitifs.

prêtres et évêques. On trouve des idées analogues chez Mélanchthon, Calvin, Théodore de Bèze, Zwingle.

Quant au mariage, il ne saurait être question, disent les réformateurs, de le considérer comme un sacrement : < Dans tout sacrement, dit Luther, se trouve la parole de la promesse divine, à laquelle doit croire celui qui reçoit le signe : le signe, à lui seul, ne saurait constituer un sacrement. Or, nulle part, il n’est écrit que celui qui prend femme recevra la grâce de Dieu. Mieux : aucun signe n’a été lié par Dieu au mariage… » Captivité de Babylone, t. vi, p. 550 sq. Au fond, le mariage n’est qu’une nécessité physique imposée par la nature. A la noblesse chrétienne (1520), t. vi, p. 422 ; Sermon sur le mariage (1522), t. x b, p. 276. Voir pour Calvin, Inst. chrét., t. IV, c. xix, n. 34, Corpus reform., t. xxxii, col. 1121-1125 ; Commentaire de l’épître aux Éphésiens, Corp. reform., t. lxxix, col. 227. Mélanchthon est plus hésitant dans sa manière de parler, mais au fond, il est, quant à la doctrine, d’accord avec Luther.

L’explication des protestants orthodoxes part d’un principe, non seulement contestable, mais faux : c’est que le Christ aurait dû instituer les sacrements avec les cérémonies telles que nous les avons aujourd’hui. Or, il est évident que le point de départ de nos sacrements n’a pas été aussi explicitement déterminé dans les autres sacrements que dans le baptême et dans l’eucharistie. Les théologiens catholiques les plus sérieux l’admettent. Voir plus loin. Il faut donc admettre que l’Église a reçu un certain pouvoir ministériel, non pas certes pour instituer le sacrement, mais pour en déterminer certaines modalités non envisagées par le Christ. En second lieu, tout en admettant que la sainte Ecriture seule est insullisante pour démontrer l’institution de tous les sacre.ments par Jésus-Christ et qu’il est indispensable d’avoir recours à l’enseignement tradit ionnel de l’Église, il ne convient pas de céder trop facilement aux affirmations protestantes concernant le prétendu silence des Ecritures sur l’institution des sacrements. La position que nous avons adoptée plus haut, voir col. 498, nous semble répondre aux exigences de la vérité historique et fournir cependant une base solide de réfutation.

En réalité, si l’on veut être logique, il faut dire avec Harnack, que la doctrine luthérienne de la foi justifiante et de la certitude du salut implique la négation des sacrements. Dogmengeschichte, 4e édit., t. iii p. 850 sq. Si Luther a cru devoir, en raison de leur fondement scripturaire, conserver le baptême et l’eucharistie, il s’efforce de concilier l’existence de ces deux sacrements avec son système, en expliquant que les sacrements non implentur dum fiunt, sed dum creduntur, Id, ibid., p. 851, et en ne voyant en eux qu’une forme particulière de h— parole salvifique de Dieu. Id., ibid. Le véritable et seul sacrement est ainsi la parole de Dieu ; il a fallu la polémique contre les sacramentaires pour que Luther revînt à une conception plus rapprochée du dogme catholique. C’est ainsi que dans les articles de Smalkalde, Luther affirmera que Dieu ne donne sa grâce que per vocale verbum et sacramenta et que quidquid sine verbo et sacramentis jactatur ut spirilus sit ipse diabolus. Part. III, a. 8, Symbolisehe Bûcher, p. 321..Même conception dans la Confession d’Augsbourg, a. 5 ; id., ibid., p. 39. Cf. Harnack, op. cit., p. 880. C’esl dans cet ordre d’idées que Luther affirme que le baptême des petits enfants est un vrai sacrement. Cf. Harnack, op. cit., p. 881. Le luthéranisme est en opposition avec les idées de Calvin, de Zwingle et des piétistes de tout genre (sectes d’Angleterre et d’Amérique) jusqu’à nos jours et a toujours professé, dit Harnack, une doctrine sacramentairc rapprochée de la conception catholique. Op. cit., p. 895. Aussi Harnack reproche-t-il au luthéranisme orthodoxe de  » G1

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. INSTITUTION, EXPLICATIONS HÉTÉRODOXES

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n’être qu’une « mauvaise réplique du catholicisme ». Id., ibid. Sur la position des luthériens actuels, voir Kaftan, Dogmatik, 3e édit., Leipzig, 1909, § 64.

2° L’explication du modernisme et du protestantisme libéral. — Pour les modernistes aucun sacrement n’a été institué par Jésus-Christ : « On peut dire que Jésus, au cours de son ministère, n’a ni prescrit à ses apôtres, ni pratiqué lui-même aucun règlement du culte extérieur qui aurait caractérisé l’Évangile comme religion. Jésus n’a pas plus réglé d’avance le culte chrétien qu’il n’a réglé formellement la constitution et les dogmes de l’Église… L’Évangile, comme tel, n’était qu’un mouvement religieux, qui se produisait au sein du judaïsme, pour en réaliser parfaitement les principes et les espérances. Il serait donc inconcevable que Jésus, avant sa dernière heure, eût formulé des prescriptions rituelles. Il n’a pu y songer qu’à ce moment suprême, lorsque l’accomplissement immédiat du règne messianique apparut comme impossible en Israël, et qu’un autre accomplissement, mystérieux dans sa perspective, obtenu par la mort du Messie, resta la dernière chance du royaume de Dieu sur la terre… » A. Loisy, L’Évangile et l’Église, c. vi. Et, comme explication : « On perçoit encore sans difficulté, dans le Nouveau Testament, que l’Église n’a été fondée et les sacrements n’ont été institués, à proprement parler, que par le Sauveur glorifié. Il s’ensuit que l’institution de l’Église et des sacrements par le Christ est, comme la glorification de Jésus, un objet de foi, non de démonstration historique. » Loisy, Autour d’un petit livre, p. 227. Comme l’Église, les sacrements, non prévus par le Christ, sont donc le résultat d’une évolution lente et graduelle. Aussi, « les sacrements sont nés de ce que les apôtres et leurs successeurs, sous la poussée des circonstances et des événements, ont interprété une idée et une intention du Christ. » Décret Lamentabili, prop. 40, Denz.-Bannw. , n. 2040. Ainsi, on ne nie pas que Jésus-Christ ait posé le principe sacramentel ; mais il l’a posé tomme il a posé le principe du dogme et de la hiérarchie. C’est la conscience chrétienne qui a, sous la poussée de l’enseignement du Christ, établi l’Église, formulé le dogme, institué la hiérarchie et les sacrements.

Pour éluder les définitions du concile de Trente, le modernisme prétend qu’en ces définitions le point de vue de la foi et celui de l’histoire sont confondus, comme s’il pouvait y avoir une séparation radicale entre l’un et l’autre ! Aussi, d’après les modernistes, « les opinions que se faisaient les Pères de Trente sur l’origine des sacrements, et qui ont sans doute influencé leurs canons dogmatiques, sont fort éloignées de celles qui, à juste titre, régnent aujourd’hui parmi les critiques et les historiens du christianisme ». Prop. 39, Denz.-Bannw., n. 2039. Cf. Loisy, op. cit., p. 255 : « Si donc il est une chose évidente, c’est que l’idée générale de l’institution sacramentelle, comme elle est énoncée dans les décrets du concile de Trente, n’est pas une représentation historique de ce qu’a fait Jésus ni de ce qu’a pensé l’Église apostolique, mais une interprétation authentique, je veux dire, autorisée pour la foi, du fait traditionnel. » Sans doute, les opinions que les Pères du concile de Trente ont pu émettre au cours des discussions conciliaires n’ont pas la même valeur ni la même certitude que leurs décisions dogmatiques. Mais les décisions, par le seul fait que le Saint-Esprit qui assiste l’Église les a permises, ont une valeur absolue, indépendante des « opinions » que pouvaient avoir personnellement les Pères.

Il est curieux de constater que les modernistes ne font, en somme, que reproduire les assertions des protestants libéraux. Pour ceux-ci, comme pour ceux-là, le Christ n’a institué qu’une religion sans

culte extérieur et sans sacrement. D’après Harnack, l’essence du christianisme consiste uniquement dans la révélation de la paternité de Dieu. Le dogme et les sacrements catholiques sont étrangers au christianisme tel que l’a voulu son fondateur ; ils sont des altérations de l’œuvre que Jésus est venu accomplir. L’essence du christianisme, trad. franc., Paris, 1907, p. 86 sq. ; cf. A. Sabatier, Esquisse d’une philosophie de la religion, d’après la psychologie et l’histoire, Paris, 1897, p. 208 sq ; 232 sq. Au fond, cette orientation de la pensée religieuse relève d’un problème plus vaste, celui de la critique de la connaissance. Toute religion impliquant un principe d’autorité extérieure et se manifestant dans des pratiques de culte, telles que les sacrements, doit admettre des éléments objectifs de connaissance à l’origine de la foi. Or, précisément, la plupart des protestants libéraux repoussent l’élément objectif de la religion. Le subjectivisme kantien les a envahis. « On conçoit écrit O. Pfleiderer, (la défiance envers Kant) d’une religion qui repose depuis quinze siècles sur le principe de l’autorité sacerdotale. Mais l’Église protestante, qui a secoué le joug de cette autorité, qui a revendiqué les droits de la conscience individuelle, qui a pris pour unique principe la foi. c’est-à-dire le don du cœur à la volonté divine, cette Eglise ne devait-elle pas reconnaître dans la religion de la conscience, telle que Kant l’a conçue, l’esprit de son esprit ? » Geschichte der Religionsphilosophie, p. vi. Comparer l’encyclique Pascendi, Denz.-Bannw., n. 2072. La religion, pour les protestants libéraux, et pour les modernistes, consistera donc uniquement dans le sentiment religieux. Tout ce qui est extérieur à l’âme, comme le dogme, qui est imposé du dehors par une autorité, et les sacrements, doit être rejeté. La religion véritable doit être » le culte en esprit et en vérité. A. Sabatier, op. cit., ]i. iii, et p. 3-63. Comparer l’encyclique Pascendi, ibid., u. 21)7 1. C’est donc dans la réfutation des principes philosophiques qui dominent cette conception, plus encore que dans l’appel à l’autorité de l’Écriture et de la Tradition, qu’il faut chercher la réfutation des thèses du protestantisme libéral et du modernisme sur l’origine des sacrements.

L’explication purement rationaliste.

Elle complète

la précédente. Puisque les sacrements n’ont pas leur origine historique dans l’institution du Christ, ils ont pour point de départ des emprunts faits au paganisme. Aux iie et [IIe siècles, l’Église se serait approprié, en les modifiant un peu, les usages superstitieux des mystères païens, afin de se concilier plus facilement les esprits du monde gréco-romain. On insiste sur les ressemblances qui existent entre les rites chrétiens et certains rites païens.

Pour le baptême, on fait valoir que la religion de Mithra imposait à ses initiés un rite baptismal, accompagné d’autres cérémonies analogues à la confirmation et à la communion. On trouve d’ailleurs une étude sur le baptême chez les différents peuples de l’antiquité dans VEncyclopsedia of religion and ethics, d’Edimbourg, art. Baptism, t. ii (1909) et Initiation, t. vu (1914) ; cf. P. Gardner, The religious expérience of saint Paul, Londres, 1913 ; Loisy, L’initiation chrétienne, dans Revue d’histoire et de littérature religieuses, IIe sér., t. v, p. 198 sq. : rites de lustration du culte d’Érida en Babylonie, purification chez les Parsis, baptême de la religion mandéenne, bain de purification dans la mer des futurs initiés aux mystères d’Eleusis, ablution des initiés dans les mystères d’Isis. De plusieurs de ces pseudo-baptêmes, Tertullien nous a déjà entretenus. Cf. De baptismo, v, P. L., t. i, col. 1205. D’après A. Sabatier, le baptême chrétien ne serait autre que le baptême de Jean-Baptiste. Cf. Les religions d’autorité et la religion de l’esprit,

Paris. 1904, p. 101-104. S’il ne s’agil pas ici d’emprunt païen, il s’agil tout au moins d’emprunt non chrétien détruisant l’institution par le Christ du baptême

d’eau, pour ne lui laisser que le baptême d’esprit et de feu ».

Il est difficile de soutenir la thèse de l’emprunt quand on examine sans parti pris les rites païens et nos rites chrétiens. Dans les rites païens, les purifications n’enlèvent au candidat à l’initiation que les souillures matérielles de son impunté cérémonielle ; le baptême purifie vraiment l'âme du catéchumène. Le cal échumène baptisé est tenu de mener une nouvelle vie morale, conforme aux exigences de son nouvel état ; le myste n’est pas un converti, il continue sa vie précédente. « L’initiation était dans la vie des initiés (aux mystères d’Eleusis) un événement considérable, propre à exalter leur foi en Déméter et dans ses promesses, mais non le début d’une existence nouvelle… » « Cette pureté (des purifications) est toute matérielle. Que, plus tard, les philosophes aient voulu y voir une image, un symbole de la pureté de l'âme bien supérieure à celle du corps ; que, dans quelques inscriptions de l'époque gallo-romaine, le règlement prescrive aux visiteurs du dieu d’avoir l'âme pure aussi bien que les mains, c’est possible. Mais. parmi les témoignages qui nous sont parvenus sur la préparation aux mystères, il n’y a pas trace d’instruction ou de purification morale, pas de prescription pour réparer ou expier les fautes commises, pas d’exhortation à les éviter dans l’avenir. » P. Foucart, Recherches sur l’origine et la nature des mystères d’Eleusis, Paris, 1895, p. 403, 289. Aucun rapport d’ailleurs entre les rites de l’initiation païenne et le rite du baptême chrétien. Les rites de purification dans l’initiation païenne ne sont que des préparations à l’initiation même ; ils étaient suivis de sacrifices, de processions, et c'était seulement alors que commençait la célébration des grands mystères, initiant le candidat au grade de myste. Le baptême chrétien, au contraire, est luimême une purification du péché et une introduction du néophyte dans le corps de l'Église en même temps qu’une union mystique avec Jésus-Christ. Cf. I Cor., xii, 12 ; Rom., vi, 3 ; Gal., iii, 2e, 27 ; Col., ii, 13. De ces divers textes, il ressort que le baptême chrétien ne produit pas son effet d’une manière mécanique comme l’initiation paît une : il agit d’une façon spirituelle. Le baptême qui unit le catéchumène à la mort et à la résurrection du Christ, n’est et ne peut être qu’une opération spirituelle. « C’est l’union au Christ qui nous fait enfants de Dieu, et celle union < st opérée par la foi et par le baptême ; mais ni l’union effective du baptême ne peut se produite sans l’union affective de la foi, ni l’union affective de la foi sans quelque relation intrinsèque à l’union effective du baptême ; c’est parce que l’union affective de la foi tend essentiellement à l’union effective du baptême qu’elle devient elle-même effective ; et les deux conceptions, loin d'être opposées, se rejoignent. » F. Prat, La théologie de saint Paul, t. n. Paris, 1912, p. 377. Enfin, si les religions de mystères, et en particulier les mystères d’Eleusis, assuraient à huis initiés l’immortalité de l'âme et une vie bienheureuse après la mort, il ne faudrait pas croire que saint Paul leur aurait emprunté ces vérités, qui son ! d’ailleurs le bien commun de l’humanité. Prêchant le baptême, la foi, l’union au Sauveur, il n’a l’ait que développer l’enseignement de Jésus-Christ. Marc, nvi, 6, enseignement mis en pratique dès les temps apostoliques, Act., ii, 38, 41 ; viii, 12.

Il n’est pas plus possible de trouver l’origine de l’eucharistie dans des emprunts aux mystères d'Éleusis. On a fait état d’un passage de Clément d’Alexandrie, Pœd., I. II e. n. n. 21, P. G., t. viii. COl. 129 CD.

rapportant un fragment du rituel des mystères d’Eleusis, montrant que l’initié mangeait et buvait. Voir aussi un autre fragment, xv, qu’on retrouve chez Firmicus Materons. De errore prufanarum religionum, c. mx, P. L., t. xii, col., 022 sq. On a essayé aussi de trouver des rapports entre la cène et les mystères dionysiens et orphiques, dans lesquels l’initié dévorait la chair crue d’un animal.

Quoi qu’il en soit de ces faits et d’autres qu’on pourrait encore ajouter — notamment les repas sacrés des mystères de Mithra — il est impossible de trouver dans la cène chrétienne une transposition de ces repas sacrés.

En somme, si l’on peut découvrir entre les mystères chrétiens et les mystères païens certaines analogies lointaines, si l’on peut même admettre que saint Paul, ayant connu les mystères païens, soit directement, soit par l’intermédiaire des convertis, a pu prendre de ces mystères quelques expressions pour les transposer dans le langage chrétien, si, enfin, quelques idées générales communes, qui se trouvent d’ailleurs à la base de beaucoup de religions différentes, peuvent â la fois se rencontrer dans le christianisme et dans le, mystères païens, il reste qu’une différence profonde, au point de vue moral et religieux, sépare les cultes orientaux et le christianisme, tel qu’il apparaît chez saint Paul. Voir ici Eucharistie, t. v, col. Il 12 sq., et, dans le Dictionn. apologétique de la foi catholique, les deux articles Mithra et Mystères païens (Les) et saint Paul. Cf. Pinard de La Boullaye, L'élude comparée des religions, Paris, 1931, spécialement t. i, p. 310-372 ; 518, note 1 où l’on trouvera une abondante bibliographie.

II. explications catholiques.

1° Quelques principes théologiques. — Avant tout, il importe de résumer les principes posés par saint Thomas, Sum. theol., III a, q. lxiv, a. 1-4. Dieu seul, en tant qu’agent principal, peut produire dans l'âme l’effet intérieur qu’y cause le sacrement (a. 1) : donc Dieu seul peut, en tant qu’agent principal, être l’auteur des sacrements. Seul il a donc, à l'égard des sacrements, la puissance d’autorité (a. 2). Le Christ, Dieu et homme, cpère dans l'âme l’effet intérieur du sacrement, en tant que Dieu, par une puissance d’autorité, en tant qu’homme par une puissance ministérielle principale, que lui communique la divinité, puissance que les théologiens appellent puissance d’excellence (a. 3). Cette puissance d’excellence s’affirme sous quatre aspects différents. Tout d’abord, les mérites et la vertu de la passion du Christ opèrent dans les sacrements ; le sacrement est un instrument uni à l’humanité sainte (instrumentum conjunclum) et recevant d’elle la puissance de produire la grâce dans l'âme. En second lieu, c’est au nom du Christ que les sacrements sont faits et administrés : la vertu de la passion du Christ agit dans les sacrements et nous atteint par la foi, que nous ne pouvons manifester qu’en invoquant, dans l’administration des sacrements, le nom et l’autorité du Christ. Ensuite, le Christ, comme homme, a la puissance d’instituer les sacrements : s’il a la puissance de rendre les sacrements vivifiants par une action dérivée de sa passion, il a la puissance d’instituer les sacrements. Enfin, sa puissance sanctificatrice n’est pas nécessaire nu ut liée â l’action sacramentelle : les sacrements dépendent du Christ, non le Christ des sacrements. En fait nous le voyons, dans l'Évangile, remettre-, sans aucun sacrement, les fautes du paralytique et celles de la pécheresse (a. 1).

Tous les théologiens admettent que le Christ ne pouvait communiquer à personne la puissance d’autorité qu’il possède, comme Dieu, sur les sacrements : cette puissance d’autorité e-st une prérogative divine, Incommunicable aux simples créatures. Quant à la

puissance d’excellence qui lui appartenait comme homme, les théologiens sont d’accord pour proclamer qu’en fait, le Christ ne l’a, de fait, communiquée à personne. Le Christ a agi ainsi « pour empêcher les fidèles de mettre leur espérance dans un homme et dans la crainte que la multiplicité et la diversité des sacrements n’introduisissent la division dans l’Église. » S. Thomas, Sum. theol., IIP, q. lxiv, a. 4, ad lum. Quelques-uns vont même plus loin et affirment qu’une telle communication de pouvoir était impossible. Telle est l’opinion de Scot, In IV m Sent., dist. I, q. m ; de Biel, ibid., q. ii, a. 3 ; de Durand de Saint-Pourçain, ibuL, dist. II, q. i, n. 1. L’opinion contraire, enseignant la possibilité d’une telle communication de pouvoir, est enseignée par le plus grand nombre des théologiens. Cf. Salmanticenses, De sacramentis in communi, disp. VI, dub. ii ; Gonet, op. cit., disp. V, a. 2. 2° Institution immédiate ou médiate des sacrements ?

— 1. Comment se pose cette question. — Les principes qu’on vient de rappeler nous permettent de formuler deux assertions : la première est que le Christ, comme Dieu, a institué les sacrements en usant de sa puissance d’autorité ; la seconde, c’est que le Christ, comme homme, a institué les sacrements en usant de sa puissance d’excellence. Quand on parle d’institution médiate des sacrements, il ne s’agit donc pas d’imaginer une communication générale faite par le Christ aux apôtres de son pouvoir d’excellence à l’égard des sacrements. Aucun théologien même n’a rêvé d’une commission générale donnée aux apôtres par le Christ, en vue d’instituer, comme il leur plairait, les sacrements destinés à appliquer aux hommes ses propres mérites. La question précise que se posent ici les théologiens est celle-ci : certains sacrements ont-ils pu être institués par les apôtres ou par l’Église, à qui le Christ ou l’Esprit-Saint auraient confié la charge de déterminer certains rites, ainsi que l’effet à produire par le moyen de ces rites en vue de communiquer aux hommes une grâce sacramentelle déterminée ? Ou bien faut-il admettre que Jésus-Christ a lui-même immédiatement institué tous les sacrements et chacun d’eux, et quant à la grâce sacramentelle à produire et quant au rite producteur de cette grâce ?

Les raisons pour lesquelles la question de l’institution médiate de certains sacrements ne peut pas ne pas se poser sont principalement d’ordre positif. Tout d’abord — et c’est l’argument des protestants pour réduire le nombre des sacrements a deux — il n’est fait mention dans l’Écriture sainte que de l’institution immédiate de deux sacrements : le baptême et la sainte eucharistie. Il faut donc admettre que les apôtres ou l’Église ont reçu le pouvoir d’instituer les autres. Ensuite, les faits historiques semblent exiger, pour certains sacrements, une institution seulement médiate. « Les sacrements sont des rites concrets, composés de matière et de forme. A Uniinstitution immédiate appartient donc la détermination immédiate de leur matière et de leur forme. Mais le Christ n’a pas déterminé les matières et les formes de tous nos sacrements. Donc, il n’a pu être leur auteur immédiat. » Salmanticenses, op. cit., disp. VI, dub. i, n. 8. Et, comme exemples, on cite le sacrement de l’ordre, pour lequel le Christ certes n’a pas déterminé la manière de le conférer, de sorte que le rite de l’ordination est différent chez les Latins et chez les Orientaux. Pour le sacrement de mariage, aucune matière, aucune forme n’a été déterminée par le Christ. De plus, il faut admettre qu’en modifiant la forme du sacrement, on en change substantiellement le rite et on constitue pour ainsi dire un nouveau sacrement. Or, les apôtres ont modifié la forme d’au moins un sacrement, celui de baptême qui se conférait d’abord au nom de Christ, et qui, ensuite, fut conféré

au nom de la Trinité. Iil.. ibid. Nous donnons ces raisons des Salmanticenses pour ce qu’elles valent, mais pour montrer que des théologiens fermement attachés aux solutions thomistes n’ignoraient pas les difficultés soulevées — à bon droit d’ailleurs — par la critique moderne. Sur le baptême conféré au nom de Jésus, voir t. ii, col. 172. On pourrait ajouter la difficulté provenant de l’addition de l’onction au rite primitif de l’imposition de la main dans le sacrement de confirmation.

2. Une solution de théologiens catholiques avant le concile de Trente : institution médiate de quelques sacrements. — Les termes institution médiate, institution immédiate ne se trouvent pas chez les auteurs anciens, mais leurs expressions ont un sens analogue. Saint Thomas, dans les questions controversées sur ce sujet, emploie, pour désigner l’institution immédiate par le Christ, la formule : instiluit per seipsum, et c’est ainsi qu’il déclare dans le Commentaire sur les Sentences que Jésus-Christ institua tous les sacrements par lui-même, bien qu’il ne les ait pas tous promulgués par lui-même et qu’il ait réservé à ses apôtres le soin d’en faire la promulgation. Cf. In 7Vum Sent., dist. I, q. i, a. 4.

La controverse a porté spécialement sur la confirmation et l’extrême-onction. On trouvera ici l’exposé des opinions pour la confirmation, t. iii, col. 10701072 ; pour l’extrême-onction, t. v, col. 1988-1989. On rencontre aussi des hésitations au sujet de la pénitence : voir Guillaume d’Auxerre, Summa aurea, t. IV, tit. ii, c. ni ; Alexandre de Halès, Summu, part. IV, q. lix, memb. 3 ; et S. Bonaventure, //( 7Vum Sent., dist. XVII, a. 1, q. ni. Deux auteurs du xiv siècle. Pierre de La Palu et Capréolus, ont parfois été présentés comme partisans, pour la confirmation et l’extrême-onction, d’une simple institution apostolique. Mais c’est à tort, car l’un et l’autre affirment vouloir tenir l’opinion de saint Thomas contre l’opinion d’Alexandre et de Bonaventure. Leur hésitation porte sur un point unique : le saint chrême et l’huile des infirmes doivent-ils, d’institution divine, être bénits par l’évêque ; ou bien le pape peut-il autoriser les prêtres à se servir d’huile non bénite ordinaire, sans que pour autant le sacrement devienne invalide. Cf. Pierre de La Palu, In 7Vum Sent., dist. VII, q. iv, a. 1 ; Capréolus, ibid., q. ii, a. 3.

L’opinion d’une institution des sacrements par l’Église (institution purement ecclésiastique) était, même avant le concile de Trente, totalement inadmissible. Et quand on attribue à Alexandre de Halès l’opinion que la confirmation aurait été instituée à un concile provincial de Meaux de 845, cf. Summa theol.. t. IV, q. ix, memb. 1, on dépasse peut-être la pensée d’Alexandre. Voici une interprétation probable : Institution fuit hoc sacramentum Spiritus Sancti instinctu in concilio Meldensi quantum ad formant verborunt et materiam clementarem, cui (ritui) etiant (sicut et ritui antea usitato) Spiritus Sanctus contulit virtutem sancti ftcandi. Cf. de Bæts, dans Revue thomiste. t. xiv, 1906, p. 31.

L’opinion d’une institution des sacrements par les apôtres (institution apostolique) semble condamnée par les définitions de Trente, relatives à l’institution des sacrements. Voir ci-dessus, les raisons pour lesquelles l’interprétation d’une institution immédiate s’impose, col. 557. Est-ce à dire, pour autant, que l’opinion de saint Bonaventure et d’Hugues de Saint-Victor soit éliminée par ces définitions conciliaires ? Certains auteurs en doutent. Même en interprétant d’une institution immédiate le texte de Trente, il faudrait prouver que l’opinion de saint Bonaventure équivaut à enseigner l’institution médiate. Or, une telle équivalence n’est pas chose certaine. Car une instilu :, ., :

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. INSTITUTION, EXPLICATIONS CATHOLIQUES

568

tion faite par le Saint-Esprit dans les apôtres, en tant qu’organes de la révélation, diffère considérablement

de l’institution médiate telle qu’on la décrit habituellement. Ce serait, en réalité, une institution divine immédiate. En parlant strictement, les apôtres seraient, non les auteurs, mais les simples promulgateurs des sacrements et les sacrements institués de cette façon par l’Esprit du Christ agissant dans les apôtres seraient en réalité les sacrements du Christ, tout comme est dite doctrine chrétienne la doctrine tout entière du Nouveau Testament, même celle qui leur fut communiquée par le Saint-Esprit après l’ascension. Cf. Van Noort, De sacramentis, t. i, n. 96. Il n’est pas question de rendre droit de cité à une opinion abandonnée aujourd’hui par tous ; on explique simplement que l’hypothèse honaventurienne n’est atteinte ni directement ni indirectement. Le concile de Trente a voulu simplement définir que l’institution des sacrements est de droit divin.

3. Les solutions des théologiens catholiques après le concile de Trente. - — Après le concile de Trente, tous les théologiens acceptent de parler d’institution immédiate de tous les sacrements par le Christ. Toutefois, il reste encore à résoudre les difficultés historiques — et dogmatiques, par contre-coup — inhérentes aux modifications subies au cours des siècles dans les éléments visibles des sacrements, matière et forme. Voir ces mots, t. x, col. 342. Toutefois, un point de départ plus précis a été fourni à la discussion par le concile de Trente lui-môme.

Parlant du pouvoir de l'Église sur les sacrements, le concile a précisé la doctrine officielle en ces termes : " Le concile déclare que l'Église a toujours possédé le pouvoir de statuer ou de modifier, dans la dispensation des sacrements, en respectant leur substance (salva illorum substantiel), ce qu’elle juge le plus utile au bien des fidèles ou au respect des sacrements eux-mêmes, selon la diversité des temps, des lieux et des conjonctures. » Scss. xxi, c. ir, Denz.-Bannw., n. 931. Avec logique, les théologiens posttridentins estiment qu’il faut rapporter à l’institution immédiate du Christ « la substance des sacrements ». Mais les difficultés et les divergences commencent quand il s’agit de déterminer quelle est la substance des sacrements. El l’on aperçoit bien vite que, si le texte conciliaire a déplacé quelque peu la question, il ne l’a point résolue, et n’a pas voulu la résoudre. En vue d’esquisser une solution, la théologie catholique distingue l’institution in individuo, in specie, in génère. L’institution in individuo serait celle dans laquelle le Christ aurait déterminé la c substance » des sacrements jusque dans ses derniers éléments. L’institution in specie est celle dans laquelle le Christ aurait déterminé l'élément sensible, matière et forme, des sacrements, non pas peut-être jusque dans ses derniers éléments individuels, mais du moins en spécifiant à quels éléments physiques il entendait attacher la signification sacramentelle. Enfin, l’institution in (/encre n’aurait eu en vue que l'élément métaphysique du sacrement, c’est à-dire le signe efficace de la grâce, quels que soient les éléments physiques auxquels devrait être attaché ce signe, étant supposé par ailleurs que ces éléments, laissés au choix des apôtres OU de l'Église, soient aptes à exprimer cet te signification.

Quelques auteurs al laquent celle terminologie : de la déclaration tridentine, disent-ils, il résulte que l'Église ne peut rien retrancher ni ajouter à la substance du sacrement. Le sacrement, institué par JésusChrist, est ce qu’il est. À quoi bon parler d'éléments individuels, spécifiques, génériques ? Cf. A. Straub, De Ecclesia Christi, l. ii, Inspruck, 1912, n. 710. Pratiquement cependant, c’est, l’aule de mieux, à celle terminologie qu’il convient de recourir pour saisir sur le vif les nuances q.ii séparent les théologiens. Cf.

Chr. Pesch, Prxlectiones dogmatieee, t. vi, n. 219, note 1.

a) Institution « in individuo ». — D’une manière générale, personne ne soutient que le Christ ait institué les sacrements jusque dans leurs derniers éléments individuels. À moins d’attacher de l’importance aux rêveries d’une Catherine Kmmerich, on est bien forcé de constater que l'Église grecque observe d’autres rites que l'Église latine dans l’administration de certains sacrements (l’ordre en particulier), et personne cependant ne peut dire que dans l’une ou dans l’autre Église, Us sacrements ne sont pas validement administrés. De plus, même dans l'Église latine, les rites de l’administration des sacrements ne sont pas demeurés les mêmes. Autrefois, l’ordination se faisait sans porrection des instruments ; aujourd’hui, certains estiment cette porrection comme une partie essentielle du rite.

b) Institution « in specie ». — Les théologiens distinguent entre le baptême et l’eucharistie d’une part, et les autres sacrements d’autre part. En ce qui concerne le baptême et l’eucharistie, tous les théologiens sont d’accord pour affirmer que le Christ les a institués, en déterminant la nature même de leurs éléments sensibles, matière et forme, même usque in speciem inftmam. C’est-à-dire que, pour la matière du baptême, il a choisi non seulement l’eau (species), mais l’eau naturelle (species infima), et pour la matière de l’eucharistie, non seulement le pain (species), mais le pain de froment (species infimu). Quant à la détermination de la forme, il s’agit, non des sons et de l’idiome, mais du sens et de la signification : Jésus parlait en araméen ; il n’a jamais entendu attacher à cet idiome la forme des sacrements de baptême et d’eucharistie.

Quant aux sacrements autres que le baptême et l’eucharistie, un certain nombre de théologiens estiment qu’ici encore, l’institution du Christ fut in specie, et quant à la matière et quant à la forme. Ainsi Suarez, De sacramentis, disp. II, sect. m et S. Alphonse de Liguori, Theologia moralis, t. VI, n. 12 (et saint Alphonse se place sous le patronage de saint Thomas, Sum. theol., III », q. lx, a. 5 et ad lum). Saint Alphonse cite d’anciens théologiens, dont le plus connu est le continuateur de Tournély, partisans de cette opinion. Cette opinion est présentée non comme une doctrine certaine (comme c’est le cas pour le baptême et l’eucharistie), mais simplement comme une opinion plus probable. Parmi les théologiens plus récents, il faut citer Chr. Pesch, Prælcctiones dogmalicse, t. vi, n. 222, qui, comme saint Alphonse, s’abrite sous l’autorité de saint Thomas, loc. cit. ; d’Adrien VI, De baptismo, édition romaine de 1522, fol. x, p. 2, col. 1 et 2 ; de Tolet, In /// am part. Summæ S. Thomæ, q. lxiv, a. 2 ; de Bellarmin, Controv., De sacramentis. t. I, c. xxi ; De ordine, c. ix, fine ; de Vasquez, disp. CXXIX, c. v ; de Franzelin, De sacramentis, th. v, p. 17 (qui admettrait cependant une exception pour l’ordre cf. note 1) ; de De Augustinis, De re sacramentaria, th. xiii, etc.

Enfin, parmi les contemporains, tiennent cette doctrine : Van Rossum, De. essenlia sacramenti ordinis, 2 édit.. Home, s. d. (1931), n. 174 sq. ; Lépicier, De sacramentis in communi, q. v, appendix ii, p. 195-202 ; Lercher, Institutiones theologiæ dogmaticæ, t. iv, n. '_> : i, S sq. ; F. Diekamp-I lolTmann, Theologiæ dogmatiese monnaie, t. iv, p. 21-23 ; J.-B. Umberg, S. J., Systema sacramentarium, Inspruck, 1930, n. 46-47. Ces auteurs précisent, en général, deux points. Le premier est que l’institution du Christ, pour les cinq sacrements autres que le baptême et l’eucharistie, n’a pas déterminé la forme et la mal ière in specie. in/ima, Iv izô{io>. L’institution du Christ doit comporter une

certaine latitude. Van Rossum, op. cit., n. 476. Le second rejoint l’observation de Van Noort à propos de la thèse de saint Bonaventure ; voir ci-dessus, col. 549. Le Christ devrait être dit l’auteur immédiat des sacrements, même s’il avait laissé aux apôtres le soin de déterminer la matière et la forme sous l’inspiration du Saint-Esprit. Chr. Pesch, op. cit., n. 222 ; Van Rossum, n. 479.

Les arguments invoqués pour prouver cette opinion sont principalement, sinon exclusivement, d’ordre théologique. Umberg considère que cette opinion doit jouir du préjugé favorable « puisque, a priori, on peut dire que le Christ a institué les matières et formes des sacrements dans leurs éléments spécifiques, lui qui a institué les sacrements comme des actionsvicaires devant être faites en son nom et en son autorité personnelle pour signifier et produire des effets voulus par lui-même. » Op. cit., n. 47. De plus, la doctrine même de l'Église nous invite à nous y rallier. L'Église, en effet, n’a aucun pouvoir sur la substance même des sacrements : c’est la déclaration même du concile de Trente, sess. xxi, c. ii, voir ci-dessus, col. 557. Cf. Umberg, Die Bedeutung des Tridentinischen « salua illorum substantia », dans Zeitschr. fur kathol. Théologie, t. xlviii, 1924, p. 161-195. On s’appuie également sur la déclaration de Clément VI (1351) aux catholiques arméniens, Denz.-Bannw., n. 3019 ; sur les lettres apostoliques de Pie X aux archevêques, délégués apostoliques près des Orientaux (26 décembre 1910), Denz.-Bannw., n. 3035. Le décret Pro Armenis d’Eugène IV dit que la confirmation (avec le saint chrême) a été substituée à l’imposition des mains qui appelait l’Esprit-Saint dans les Actes, vin, 17 : mais Eugène IV, d’accord en cela avec saint Thomas et saint Bonaventure, pense que la venue du Saint-Esprit racontée aux Actes, viii, 17, n’est pas l’effet d’un sacrement, mais d’un privilège extra-sacramentel. Le décret n’insinue donc aucune substitution réelle d’un rite nouveau au rite primitif. Umberg, op. cit., n. 47. Lépicier invoque l’autorité de Benoît XIV, De synodo diœcesana, t. VIII, c. x, n. 10, et il en conclut même que dans tous les sacrements de la Loi nouvelle, res et verba divinitus determinata sunt , non solum in génère, sed etiam in specie infima. Op. cit., p. 196.

Toutefois, cette hypothèse se heurte à de très graves difficultés historiques : Umberg les énumère loyalement. En ce qui concerne le baptême, plusieurs Pères, et d’une autorité incontestable, semblent admettre que la bénédiction de l’eau baptismale est d’une telle importance que sans elle on ne saurait reconnaître à l’eau de vertu sanctificatrice, tout au moins dans le baptême solennel. Cf. dom Touttée dans la note 5 à la iiie catéchèse de saint Cyrille de Jérusalem, n. 3, P. G., t. xxxiii, col. 430. Pour la validité de la confirmation, outre l’imposition de la main, est requise aujourd’hui l’onction dont il n’est pas question dans l'Écriture (cf. Act., viii, 17 ; xix, 6 ; Heb., vi, 2). Bien plus, la matière de cette onction doit être l’huile d’olives, probablement mélangée de baume, bénite auparavant par l'évêque et faite sur le front du confirmé en forme de croix. Tous ces éléments étaient absents du rite primitif de la confirmation. Voir à ce sujet la controverse de Puniet-Galtier, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, t.xii, 1911, p. 351 sq. ; t. xiii, 1912, p. 257 sq. ; 450 sq. ; 467 sq. Pour l’extrêmeonction, il semble qu’aujourd’hui la bénédiction de l’huile est requise à la validité du sacrement, et l'épître de saint Jacques, v, 14, n’en parle pas. Enfin les rites essentiels du sacrement de l’ordre comportent aujourd’hui la porrection des instruments, qui n’existait pas jadis. Cf. Décret Pro Armenis, Denz.-Bannw., n. 701. Ne pourrait-on pas même ajouter que les

conditions posées par le décret Tametsi à la validité du mariage ont modifié le rite essentiel de ce sacrement ? Umberg, Zur Gcwalt der Kirche ùber die Sakramente, dans Der Katholik, 1915, t. ii, p. 25-45.

La solution de ces difficultés d’ordre historique n’est pas facile pour qui enseigne l’institution immédiate des sacrements par le Christ quant à leurs éléments sensibles spécifiques.

Plusieurs solutions ont été proposées.

La plus simple — et la plus radicale — c’est de dire que les modifications apportées au cours des siècles dans les rites sacramentaux n’en atteignent pas la « substance ». Toutes ces modifications sont donc purement accidentelles. Telle est la thèse du cardinal Van Rossum à propos du sacrement de l’ordre, voir Ordre, t. xi, col. 131 7 sq., et des sacrements en général. De essentia sacramenti ordinis, n. 479. Thèse admise ayee des nuances diverses par les théologiens cités ci-dessus. Ces nuances portent sur la manière d’expliquer les faits historiques concernant les changements apparemment survenus dans l’essence même du rite sacramentel. D’une manière générale on nie donc que ces changements aient atteint l’essence du rite ; mais, pour en expliquer la valeur exacte, des divergences se rencontrent entre les auteurs. Dans sa thèse sur le sacrement de l’ordre, Van Rossum ne craint pas d’accuser d’erreur le décret Pro Armenis. Voir t. xi, col. 1320. Solution extrême devant laquelle reculent les autres auteurs. Lépicier penche visiblement pour une solution plus douce : dans la confirmation, il n’y aurait eu aucune modification substantielle ; dans l’ordre, l’imposition des mains serait seule matière essentielle, latradition des instruments n'étant nécessaire que de précepte chez les latins. Plus probablement encore, il faut dire que les grecs ont l'équivalent de la tradition des instruments, etsi hœc non tam païens et explicita existât ('.). Op. cit., p. 201. Chr. Pesch insinue que, dans la confirmation, « très vraisemblablement » les apôtres ont déjà pratiqué l’onction du saint chrême. Op. cit., t. VI, n. 519. Quant à l’ordre, la seule imposition des mains constitue le rite essentiel ; la déclaration d’Eugène IV dans le décret Pro Armenis n’a pas d’autre but que d’uniformiser les rites orientaux et les rites latins. Diekamp semble tenir davantage compte des faits historiques. Op. cit., p. 22-23. Tout d’abord, il n’a pas de peine à montrer que h' Christ n’ayant pas déterminé la forme de l’absolution, cette forme peut être déprécative (forme orientale) ou indicative (forme latine) sans préjudice de la validité du sacrement. Quant à la matière de l’extrème-onclion, c’est l’huile : que cette huile soit bénite par un évoque ou par un simple prêtre ou qu’elle ne le soit pas, c’est, en soi, indilïérent pour la validité de la matière. Dans le sacrement de l’ordre, la tradition des instruments n’appartient pas probablement à la matière essentielle. Enfin, une probabilité bien établie montre l’onction déjà en usage, dès le début, dans l’administration du sacrement de confirmation.

La meilleure réponse, dans l’hypothèse de l’institution immédiate des éléments spécifiques, nous paraît être celle du P. Umberg, Zur Geualt…, dans Der Katholik, 1915, t. ii, p. 25 sq., complétée par Die Bedeutung…, dans Zeitschr. fur kath. Theol., t. xlviii, 1924, p. 161-195. Le Christ aurait institué tous les sacrements dans leurs éléments spécifiques. Les matières et formes des sacrements indiquées par la sainte Écriture ont toujours été conservées spécifiquement les mêmes dans l’usage de l'Église ; bien plus, ces matières et formes indiquées par la sainte Écriture ont été déterminées spécifiquement par le Christ lui-même. Mais à certains sacrements, dont la forme et la matière, ont été déterminées par le Christ, l'Église semble avoir 57 1

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. INSTITUTION, EXPLICATIONS CATHOLIQUES

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ajouté quelques éléments nécessaires à leur validité. Le principe de solution des difficultés est que substance i et aleur » des sacrements répondent à des concepts équivalents. Les additions ecclésiastiques sont de simples conditions de valeur mais n’affectent pas la substance des sacrements. Systema sacramentorum, n. 44-49. Toutefois, une difficulté subsiste : comment de simples conditions apposées par l'Église peuvent-elles engager la validité du sacrement ? Cf. Diekamp-Hoffmann, t. iv, p. 23.

c) Institution « in génère ». — (l’est précisément pour faire face aux difficultés historiques que bon nombre de théologiens ont émis l’hypothèse d’une institution immédiate de tous les sacrements par le Christ, institution qui ne déterminerait cependant pas. pour chacun d’eux, les éléments spécifiques de la forme et de la matière, mais en laisserait la détermination à l'Église. Un fait est un fait, et les plus belles argumentations spéculatives n’y changeront rien. Si la matière et la forme de tous les sacrements avaient été déterminées spécifiquement par le Christ, elles seraient demeurées toujours et partout les mêmes. Si donc des changements, mutations ou additions, ont été faits touchant des éléments considérés comme essentiels, c’est que le Christ ne les avait pas spécifiquement déterminés et que la détermination spécifique a dû venir de l’initiative ecclésiastique. Ainsi, tout en sauvegardant la vérité substantielle des sacrements, laquelle dépend de leur institution immédiate par le Christ, on peut admettre que le divin auteur des sacrements a pu laisser à son Église la mission de déterminer quelles paroles, quels éléments matériels pourraient constituer la forme et la matière des sacrements. C’est la thèse exposée assez récemment par le P. Lennerz, S. J., expliquant le Salva illorum substaniia du concile de Trente. Gregorianum, 1922, p. 385-419 ; p. 524-557 (article écrit en langue allemande).

La thèse a de solides appuis dans la tradition théologique posltridentine. Les premiers théologiens qui l’aient envisagée en fonction de l’expression salva illorum substantia ont résolu la difficulté des changements « substantiels » en distinguant l’institution formelle et l’institution matérielle : Huic difficultaii… responderi potest, matériaux et formant hujus særamenti [il s’agit de l’ordre] eo modo quo a Christo fuit institula, non posse mutari ; Christian tamen non déterminasse in individuo materiam et formam materialiter sumptas ; sed solum voluisse, quod conferretur ordo per aliquod signum sensibile significativum potestatis quæ traditur et per verba hoc ipsum exprimentia. De Lugo, De sacramentis in génère, disp. II, a. 5. Et le théologien jésuite invoque ici l’autorité d’Innocent IV que nous avons citée à l’article Ordre, col. 1333. Même distinction entre institution formelle par le Christ et choix matériel des cléments répondant à celle institution chez les Salmanticenses, De sacramentis in communi, disp. VI, dub. i, n. 8 ; cf. disp. II, dub. iv, n. 64 sq. ; disp. III, dub. iii, n. 31 ; chez Gonet, à propos du sacrement de l’ordre, disp. II, a. 3, n. 57 (la tradition des instruments ne diffère que malerialiler de l’imposition des mains) ; chez Billuart, à propos du mariage et de l’ordre, De sacramentis in communi, dissert. I. a. 5, obj. 3. Mais ces auteurs présentent leur solution avec si peu d< souplesse qu’on serait tenté de les ranger encore parmi les partisans de l’opinion précédente.

Les théologiens plus récents, devant les affirmations incontestables de l’histoire, ont apporté plus de nuances dans leurs réponses.

Une première solution est proposée par de Sinc.l, De sacramentis in génère. Bruges, 1926, n. 71 sq. (ancienne édition, n. 91 sq.). Cet auteur accepte de retenir l’idée d’une institution immédiate par le Christ des éléments spécifiques des sacrements, à

condition d’ajouter que cette détermination, tout au moins pour quelques sacrements, ne soit pas sans admettre des variations et additions possibles. Il admet également qu’on puisse se contenter, pour certains sacrements, d’une détermination purement générique des éléments sensibles. On peut vraisemblablement rapprocher de cette solution celle du P. d’Alès, dont on a rapporté l’essentiel à l’article Ordri :, col. 1331. Voir aussi, du même auteur, Salt’a illorum substaniia. dans F.phemerides theologicæ lovanienses. 1921, p. 497-504.

Une autre solution, à peine différente de la précédente, consiste à dire purement et simplement que certains sacrements ont été institués immédiatement par Jésus-Christ, non dans leurs éléments spécifiques, mais uniquement dans leur signification générique : « Le décret [du concile de Trente, salva illorum substaniia] invite à distinguer de l’institution du Christ, qui, par nature, est immuable, la détermination précise de la matière et de la forme qui, sans détriment de la substance du rite, peut s’adapter aux temps et aux lieux. L’institution du Christ est un acte personnel et immédiat du Seigneur, à qui seul appartient de lier la grâce divine à un rite sensible permanent. La détermination de la matière et de la forme in ultima specie a pu être abandonnée à l'Église, agissant à la fois comme interprète infaillible du Christ, pour marquer les bornes de son institution, et comme mandataire fidèle de sa volonté pour régler les modalités du rite, dans les limites de cette institution. » P. Pourrat, art. Sacrement, dans le Dictionn. apologétique de la foi calh., t. iv. col. 1070-1071. On trouvera des idées analogues chez S. Harent, La part de l'Église dans la détermination du rite sacramentel, dans les Éludes, t. lxxiii, p. 315-330. P. Galtier, dont les travaux ont incontestablement établi le fait historique des mutations ou additions dans les éléments « essentiels » des sacrements (La consignation dans les Églises d’Occident, dans Revue d’histoire ecclésiastique, de Louvain, t. xiii, 1912, et La consignation à Carthagc et à Rome, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1911, p. 350 sq.), admet pleinement le pouvoir de l'Église dans la détermination des éléments spécifiques que le Christ a laissés dans l’indétermination. Voir ici Imposition dis mains, col. 1384 sq. ; et Ordre, col. 1323 sq.

On doit citer, dans le même sens, Van Noort, De sacramentis, t. i, n. 101 ; F. Schmid, Die Getvalt der Kirche bezùglich der Sakramente, dans Zeilschr. fur kath. Théologie, t. xxxii, 1908, p. 43-54, 254-288 ; J. de Guibert, Chronique de théologie, dans Revue pratique d’apologétique, t. xix, 1914, p. 211-227 ; A. d’Alès, L’essence du sacrement de l’ordre, dans Recherches de science religieuse, t. x, 1919, p. 116-136 ; J. de Guibert., Le décret du concile de Florence pour les Arméniens, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique de Toulouse, 1919, p. 81-95, 150-162, 193-215 ; J. Coppens, L’imposition des mains et les rites connexes, Paris, 1925, p. 403-404 ; Th. Spàôil, Doctrina theologiæ Orientis separati de sacra infirmorum unctione, dans Orienlalia christiana, t. xxiv, 2e part., 1931, p. 146155, etc.

A cette thèse, si favorablement accueillie par les théologiens contemporains auxquels les exigences de l’histoire n'échappent pas, L. Billot a donné un relief spécial, en raison de l’explication théologique qu’il y apporte, (le théologien précise qu' « il suffit que l’institution divine atteigne l'élément constitutif du sacrement sous la raison générale de signe symbolique par ailleurs apte à exprimer une signification sacramentelle certaine (par exemple la transmission d’un pouvoir sacré), (ont en abandonnant à une autorité compétente le choix de. la matière et de la forme 573

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. INSTITUTION, EXPLICATIONS CATHOLIQUES

considérées dans leurs éléments individuels. Et ainsi, à l’uniformité qui est de rigueur pour ce qui relève de l’institution divine, savoir pour ce qui est du signe sacramentel considéré comme tel formellement, pourra se trouver jointe une réelle diversité, toute matérielle, dans les éléments qui constituent ce signe. » De sacramentis, t. i, th. ii, ad lum. L'édition de 1924, p. 37, note 1, ajoute ces considérations qui ne sont pas inutiles pour faire comprendre l’explication et la dégager des critiques qui n’ont point manqué de l’assaillir : « Supposons un exemple : le Christ aurait simplement institué que dans l'Église existerait un rite sacramentel signifiant la communication du pouvoir sacerdotal avec la grâce correspondante, mais sans déterminer ce que serait ce rite dans son élément individuel et laissant aux apôtres le soin de choisir tel ou tel signe cérémoniel, apte d’ailleurs à cette signification. Or Pierre, supposons-le encore, aurait choisi en Occident la tradition des instruments du sacrifice et Jean, en Orient, l’imposition des mains, l’un et l’autre rite étant parfaitement apte à figurer la transmission du pouvoir du ministre au sujet. En de telles conjonctures, le choix fait par Pierre ou celui fait par Jean aurait été une simple condition qui, une fois posée, permettrait à l’institution divine d’obtenir son plein effet et de conférer (au rite choisi) tout ce qui constitue le signe sacramentel comme tel. » L’explication est excellente et n’a pas encore été, croyons-nous, suffisamment soulignée.

Cette explication satisfaisante montre qu’il n’est point nécessaire de recourir à l’hypothèse d’un développement de l’implicite à l’explicite, comme la formule P. Pourrat dans La théologie sacramentaire : « Le Sauveur n’aurait-il pas institué quelques sacrements à l'état implicite ? Ne se serait-il pas contenté d’en poser les principes essentiels, desquels, après un développement plus ou moins long, seraient sortis les sacrements pleinement constitués ? N’aurait-on pas, dans cette conception des origines des sacrements, l’explication de cette conscience explicite, relativement tardive, que l'Église a eue de certains de ses sacrements ? Si donc il est permis, à la suite de Newman, de proposer une troisième hypothèse, ou plutôt de modifier un peu l’hypothèse de l’institution immédiate in génère, on peut dire que le Christ a institué immédiatement tous les sacrements ; mais tous les sacrements n’ont pas été donnés à l'Église par le Sauveur pleinement constitués. Sur plusieurs, particulièrement essentiels au christianisme, le baptême et l’eucharistie par exemple, le Christ s’est expliqué complètement, si bien que l'Église, dès l’origine, a eu pleine et entière conscience de ces rites sacramentels. Quant aux autres, le Sauveur en a posé les principes essentiels ; le développement devait montrer aux apôtres et à l'Église ce que le Maître a voulu faire. Jésus, en effet, ne pouvait pas tout dire à ses apôtres : Non potestis portare modo. De même qu’il a laissé à l’Esprit-Saint le soin de faire connaître explicitement à l'Église le dogme catholique révélé, ainsi il a pu confier à ce même Esprit la mission de dévoiler toutes les richesses de l’institution sacramentelle, lorsque les besoins de la société chrétienne grandissante l’exigeraient. On comprend alors pourquoi l'Église, d’après le témoignage de l’histoire, n’a pas eu, tout à fait dès l’origine, une conscience pleine et entière de quelques sacrements. La formule dont nous nous servirons pour énoncer cette doctrine assurément complexe, est celle-ci : Jésus a institué immédiatement et explicitement le baptême et l’eucharistie ; il a institué immédiatement, mais implicitement les cinq autres sacrements. » Op. cit., p. 273-274.

P. Pourrat explique lui-même que sa formule est trop absolue, car le degré d’implicitation n’est pas le

même pour les cinq sacrements. Malgré cette restriction opportune, son explication a élé critiquée. On lui a reproché d’invoquer à tort le patronage de Newman, de ressusciter dans l’intention implicite l’institution médiate, indirectement condamnée par le concile de Trente. Cf. Chr. Pesch, op. cit., n. 223, p. 98 (édit. de 1914) ; J. Bessmer, Philosophie nnd Théologie des Modernismus, Fribourg-en-B., 1912, p. 365 sq. Ces appréciations visiblement exagérées reçoivent une utile mise au point par de Smet, op. cit., n. 98 (ancienne édition).

4. Conclusion : trois principes de solution qu’il ne faut pas perdre de vue. — Les hésitations et les divergences des théologiens proviennent vraisemblablement de ce qu’un certain nombre d’auteurs ne considèrent pas assez complètement trois principes théologiques qui s’imposent en la matière.

a) Premier principe. — C’est qu’il ne faut pas raisonner sur les sacrements en général d’après les principes qui peuvent, en toute rigueur, s’appliquer au baptême ou à l’eucharistie. D’excellents auteurs, comme Franzelin, De sacramentis, p. 187, n. 3, et Pohle, Lehrbuch der Dogmalik, t. vi, Paderborn, 1900, p. 55 sq., ont voulu arguer de la détermination par le Christ des éléments spécifiques de l’eucharistie pour « démontrer » que les autres sacrements avaient été institués de même. Les analogies théologiques ne sauraient être invoquées devant des faits historiques précis. Et même, en soi, avant de les accepter, il faudrait démontrer qu’elles existent au point de justifier les déductions qu’on en veut tirer. Or, nous l’avons constaté, toute la théologie sacramentaire a été hésitante, incomplète, jusqu’au xiie siècle, précisément parce que les Pères de l'Église et les auteurs ecclésiastiques ont senti que leurs conceptions ne pouvaient guère s’appliquer qu’au baptême et à l’eucharistie. Ou, pour mieux dire, il n’y eut de théologie sacramentaire qu'à propos du baptême et de l’eucharistie. À partir du xiiie siècle, la systématisation scolastique a voulu uniformiser la notion du sacrement quel qu’en fût l'élément sensible. La doctrine hylémorphique (matière et forme des sacrements) n’a pas peu contribué à inciter les théologiens à une systématisation qui, forcément, comportait de regrettables assimilations. Tout en reconnaissant le bien fo idé de cette doctrine, il faut en affirmer le caractère 1res largement analogique quand on l’applique aux différents sacrements. Voir Matière et forme, t. x, col. 351. Il n’est pas même certain théologiquement que « les sacrements de la Loi nouvelle se composent de choses (matière) et de paroles (forme) comme d'éléments intrinsèques et constitutifs de leur essence. » Col. 339. L’opinion scotiste n’a jamais été condamnée et admet que pour certains sacrements, seule la forme ou seule la matière, appartient à l’essence. Ibid. Il faut donc se montrer extrêmement large et se tenir en garde contre l'à-priorisme de certaines généralisations thomistes.

b) Deuxième principe. — C’est qu’il est contraire. non seulement à l’esprit, mais encore à la lettre du concile de Trente de vouloir y trouver un argument en faveur de l’institution immédiate des éléments spécifiques de tous les sacrements sans exception : « On écrit souvent sur la discussion au concile de Trente comme si l’on y avait examiné directement la valeur de chacune des théories (des anciens scolastiques sur l’institution des sacrements) et pris une décision en conséquence. La vérité est que les procès-verbaux ne portent pas trace d’une pareille attitude… Le premier projet écartait résolument, ainsi que le portait le programme général du concile, les questions controversées entre catholiques. D’autre part, puisque c’est à l’initiative d’un franciscain, Richard du Mans,

qu’est due la mise à l’ordre du jour de la doctrine de l’institution (cf. Conc. Trid., édit. Elises, t. v. p. 845). il y a peu de vraisemblance qu’il ait cherché à provoquer la condamnation des deux illustres docteurs de son ordre, Alexandre et saint Bonaventure. Ce qu’on a voulu nettement frapper, c’est l’erreur niant l’origine divine des sacrements et leur refusant tout rapport avec l’œuvre de Jésus-Christ, pour en faire un figmentum humanum. » F. Cavallera, Le décret du concile de Trente sur les sacrements en (/encrai, dans Bulletin de Toulouse, 1914. p. 416.

L’expression salva illorum substantia de la session xxi, c. ii, n’apporte aucune lumière qui permette de diriiner la controverse entre partisans, pour certains sacrements, de l’institution in génère et partisans de l’institution in specie. Il s’agit ici uniquement d’affirmer le pouvoir de l’Église dans la dispensation des sacrements. Déjà la question avait été amorcée de très loin au canon 13, de la vii c session, des sacrements en général. Anathème est porté contre quiconque « dit que les rites reçus et approuvés dans l’Église catholique et qui sont en usage dans l’administration solennelle des sacrements, peuvent être sans péché ou méprisés ou omis, selon qu’il plaît aux ministres, ou être changés en d’autres nouveaux, par tout pasteur des églises, quel qu’il soit. » Voir plus loin, col. 612. Toutefois le concile se garde bien de légiférer sur la validité ou l’invalidité des sacrements ainsi administrés. Au c. m de l’extrême-onction, le concile déclare que « l’Église romaine… n’observe, dans l’administration de cette onction, en ce gui louche à la substance même du sacrement, que ce qui a été prescrit par le bienheureux Jacques. » Denz.-Bannw., n. 910. Mais le c. n de la session xxi formule une doctrine positive ; il distingue la substance des éléments constitutifs du sacrement et tout ce qui est accidentel. L’Église déclare qu’elle ne peut exercer son autorité que sur l’élément accidentel. Mais elle ne dit pas en quoi consiste « la substance » des sacrements. Elle ne dit pas surtout qu’il y a, dans tous les sacrements et pour chacun d’eux, équivalence parfaite entre « forme et matière » et < substance ». La conception hylémorphique ne doit pas être appliquée aux sacrements avec cette rigueur métaphysique. Et partant, on doit se défier de toute systématisation qui possède cette équivalence à sa base. Or, c’est là précisément le point de départ de l’opinion qui, dans l’institution immédiate des sacrements par le Christ, ne peut concevoir qu’une institution des éléments sensibles spécifiques.

Dans son premier article Salva illorum substantia (Grcgorianum, 1922, p. 385-419), le P. Lennerz montre que les théologiens du temps du concile étaient partagés entre les deux opinions et n’enseignaient pas, pour tous les sacrements, l’institution divine in forma spécifiai. Il cite : de Lugo (p. 387), au sujet des changements introduits dans la matière et la forme du sacrement de l’ordre ; Jean Eck (p. 390), au sujel du baptême in nominc Jesu ; Albert Pighi (p. 391), au sujet du sacrement de l’ordre ; Jean Gropper (p. 392), au sujet des modifications apportées dans l’administration du baptême (baptême des petits enfants, baptême des cliniques) ; le cardinal Gaspard Contarini (p. 396), au sujet des changements et additions dans la matière de la confirmation. Si Melchior Cano (p. 397) semble adopter des formules plus rigides, il n’en est pas de même de Pierre Soto (p. 400 sq.) qui écrit expressément : Ubi de modo tradendi hanc potestatem (ordinem) non est cerlum aliquid institutum a Christo, potest Ecclesia constituere quibus vel verbis vel actibus vel signis aliis in ejusmodi traditione utendum sit. De institutione sacerdotum, lect. iv, édit. de-Dillingen, 1558, fol. 344 b. Huard Tapper (p. 403) approuve, lui aussi, l’enseignement probable des docteurs catho liques qui affirment ab aposlolis quiedam sacramentel ex Clirisli commissione ri suggestione Spirilus ejus esse instituta et alterata in forma et maleria. Explicatio arliculorum venerandæ facullatis sacrée theologise générales sludii Lovaniensis, Couvain, 1555, a. 3, t. i, p. 3. Et très expressément il déclare que la confirmation fut instituée saltem in génère, a. 12, p. 230. Par contre, Dominique Soto (p. 4Il sq.) est partisan de l’institution in forma specifica, au point que, pour lui, l’imposition des mains dans l’ordination primitive ne fut qu’un sacramental, tandis que, seule, la tradition du calice et de l’hostie fait partie de l’essence du sacrement. Et il faut en dire autant de l’imposition de la main et de l’onction dans la confirmation. In IVum Sent., dist. XXIV, q. i, a. 4. Jean Slotan, O. P. (p. 415), est, au contraire, partisan des variations et changements introduits par l’Église dans la forme et la matière de certains sacrements, Dispulalionum adversus hærelicos, Cologne, 1558, p. 322.

Dans son second article (Gregorianum, 1922, p. 524-557), le P. Lennerz, s’inspirant des actes du concile, montre que l’intention du concile n’a jamais été de dirimer par la formule salva illorum substantia la controverse entre partisans de l’institution in génère et l’institution in specie et qu’on ne saurait déduire de la formule conciliaire l’institution in specie. L’article montre enfin comment l’une ou l’autre explication se concilie avec la doctrine du concile.

c) Troisième principe. — Il donne la clé de cette double conciliation. Ou plutôt, il s’agit ici moins d’un principe que d’une considération théologique propre à résoudre les difficultés. On a vu plus haut, voir col. 533, que Jean de Saint-Thomas enseigne que l’être propre des sacrements réside essentiellement dans la signification que leur attache la volonté du Christ, en les destinant à produire la grâce qu’ils signifient. Cette destination surnaturelle à produire la grâce attachée à la signification que leur confère la volonté du Christ, voilà, à proprement parler, ce sur quoi porte l’institution du Christ : Esse causalivum (gralise) potest dupliciler accipi, uno modo quantum ad destinationem ipsius sacramenti ut sit causa, quia videlicel cum ex se non habcal causare graliam, ex institutione Christi Domini habent sacramenta esse destinata ad causandam illam. Mais, pour produire en lait la grâce, comme instruments de la passion du Sauveur, l’être intentionnel qui constitue proprement l’être sacramentel ne suffit plus : le sacrement doit, sous ce rapport, renfermer un élément sensible capable de recevoir l’influence instrumentale nécessaire à la production de la grâce. Alio modo quantum ad susceptionem influxus physici instrumentons, quem recipiunt sacramenta a Christo Domino et virtute passionis ejus. Quantum ad hoc secundum, esse causativum graliie, aliquid reale est, et competit sacramentis ratione sui malerialis… Sous le premier aspect, nous avons l’essentiel du sacrement, conforme à l’institution qu’en a faite le Christ, parce que cette institution ne vise pas seulement à déterminer les signes de la grâce, mgis à déterminer les signes productifs de la grâce et, en raison de leur élément matériel, doués de la causalité instrumentale nécessaire à cette production. Quoad primum vero essenliale est sacramento secundum talem institulionem ejus, quia institutio Christi Domini non solum fuit destinare signa gratiæ, sed destinare signa causativa gratiie et parlicipativa causalitatis inslrumentalis ratione sui materialis. Et ainsi, nous pouvons conclure ; cpie l’élément sensible des sacrements qui reçoit l’influx instrumental pour produire la grâce, n’csl pas. en dernière analyse, la raison quidditative et essentielle du sacrement ; ce qui est essentiel dans le sacrement, en raison même de l’institution du Christ. c’est que le signe sacramentel, institué par Jésus, .77

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. CAUSALITÉ, PREMIÈRES EXPLICATIONS

578

s’attache à un clément capable de recevoir cet influx et de produire la grâce : esse destinata ut causant, essentiale ipsis (sacramentis) est ex vi institulionis Christi Domini. Jean de Saint-Thomas, dis]). XXII, a. 1, n. 16.

On constate, par cette analyse d’un concept sacramentel assez peu étudié jusqu’aujourd’hui, en quel sens nouveau pourrait être orientée l’explication du salua illorum substantiel et, partant, de l’institution immédiate des sacrements par le Christ. Cette institution immédiate porterait directement sur l'être intentionnel qui, au sens de Jean de Saint-Thomas, constitue l'élément formel du sacrement et, par voie de i onséquence, sur l’aptitude de l'élément matériel (forme et matière) à signifier særamentellement la grâce et à recevoir l’influence instrumentale de la passion du Sauveur pour produire cette grâce. Dans cette conception, la détermination matérielle, physique, pourrait-on dire, de l'élément sensible et réel du sacrement devient une question secondaire, n’entrant pas nécessairement, quand le Christ ne l’a pas faite lui-même, dans la « substance » du sacrement.

Mais pour admettre cette solution, il faut délibérément abandonner la notion du sacrement uniquement composé d’un élément formel et d’un élément matériel. Cette notion est exacte, mais incomplète ; et il faut reprendre l’assertion du dominicain espagnol, d’une double composition dans tout sacrement : de l'être intentionnel émané de la volonté du Christ et de l'élément sensible et, dans l'élément sensible, des paroles (forme) et des choses (matière). Voir Jean de Saint-Thomas, ci-dessus, col. 533 et a. 1, dub. ii, n. 36.

V. Dogme et théologie de la causalité sacramentelle.

L'étude de l’Hcriture, voir col. 495-498, et de la Tradition, col. 498-527, montre que l’efficacité des sacrements dans la production de la grâce est une vérité qui va puiser aux meilleures sources dogmatiques. Aussi les grands auteurs du xiie siècle qui ont fourni les premières formules générales d’une théologie sacramentaire n’hésitent pas à déclarer, en termes équivalents ou exprès, que les sacrements « contiennent la grâce invisible et spirituelle n (Hugues de Saint-Victor, voir col. 529), qu’ils sont « la forme visible de la grâce invisible contenue en eux et conférée par eux. n'étant pas seulement doués de signification, mais encore d’efficacité à son endroit " (Summa sententiarum, voir ci-dessus, col. 547). Pierre Lombard emploie même le mot de cause : sacramentum enim proprie dicitur quod ita signum est gratise Dei, et invisibilis gratise forma, ut ipsius imaginent gerat et causa tistat. IV Sent., dist. I, n. 2 (voir col. 530). Le terme « cause de la grâce » est donc entré dans la terminologie catholique. Mais il reste à faire la proposition authentique de la causalité des sacrements ; et les théologiens auront encore à analyser les aspects théologiques de cette causalité. Nous verrons successivement : 1° les premiers tâtonnements des théologiens dans l’exposé et l’explication du dogme de la causalité sacramentelle ; 2° les négations hérétiques ^t les définitions du concile de Trente ; 3° les systèmes explicatifs des théologiens posttridentins.

I. LES PREMIERS TATONNEMENTS DES THÉOLOGIENS BANS L’EXPOSÉ ET L’EXPLICATION DV DOGME DE LA

causalité des SACREMENTS. — On se ferait illusion en s’imaginant les scolastiques du Moyen Age — saint Thomas y compris — attachés à des systèmes aux contours bien déterminés. Nous n’en sommes encore, au xiiie siècle, qu'à une période de tâtonnements où, jusqu’au sein de la même école théologique ou famille religieuse, les affirmations disparates se rencontrent. Plusieurs florilèges de textes relatifs à la causalité des sacrements chez les anciens théologiens ont été

DICT. DE THÉOL. CA1HOL.

récemment édités, qui sont une démonstration de cette vérité : Willibrord Lampen, O. F. M., De causalitate sacramentorum juxta scholam jranciscanam. Bonn, 1931 ; M. Gierens, S. 3., De causalitate sacramentorum…, texlus scholasticorum prineipaliorum, Rome, 1935 ; H.-D. Simonin, O. P., et G. Meersseman, O. P., De sacramentorum efficientia apud theologos ord. prædicatorum (1229-1276), Rome, 1936.

Avant saint Thomas.

1. Guillaume d’Auvergne

(† 1249). — Tout comme Hugues de Saint-Victor, l’auteur de la Summa sententiarum et Pierre Lombard, Guillaume se contente d’affirmer en général l’efficacité sacramentelle par rapport à la grâce, tout en rappelant que l’auteur de la grâce est Dieu seul, lequel, en l’occurrence, est présent par sa vertu, et opère dans le sacrement. Si i/uis autem queesierit utrum sanctificatio ex uqua sit, seiendum est quod non, sed ex solo Deo dalore, qui invocatus ad hoc adest et assishl et operatur intus ad similitudinem et proportionem ejus quod aqua liabct operari exterius. De sacramentis in speciali, t. i, Paris, 1674, col. 418 6. Cf. Gierens. op. cit., p. 24.

2. Prévostin.

Il distingue entre opéra opérant ia et opéra operata, cette dernière expression étant réservée aux sacrements et sacrifices. Les sacrements justifient en ce sens qu’ils contiennent la grâce qui justifie : attribuitur continenti, quod est conlenli, num sacramenta [sunt vasa gratiarum. Summa, Cad. Krlangen 253, fol. 48 b, c. i, cité dans I-'r. Gillmann, Zur Sakramententclue des W’ilhclni von Auxerrc, p. 10 sq. ; Gierens, p. 27. Cette dernière formule est empruntée à Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, t. I, part. IX. c. iv : '<Ls< ; sunt spiritualis gratise sacramenta ; …non en/o ad hoc instiliita sunt sacramenta ut ex fis effet quod in eis esset. I'. L., t. ci.xxvi, col. 322.

3. Guillaume d’Auxerre (* vers 1230). — Chez lui, même conception du sacrement, < vase de la grâce. sacramenta justi/icunt lanquam medicinalia vasa. quia in ipsis sacramentis datur gratin. Toutefois, nous trouvons chez ce théologien une affirmation non déguisée de l’efficacité instrumentale du sacrement : sacramenta iusli/icanl, non ergo soins Deus. Si les sacrements n’avaient pas une action réelle dans la sanctification des âmes, l’effet sanctificateur ne serait pas attaché à telle matière déterminée : sirut baplismus si fieret in alio liquore quam in aqua, non prodesset. Quelle explication donner de l’efficacité propre au sacrement comme tel ? Guillaume propose un système déjà nettement accusé : Gratin contenta in sacramentis justifient ; unde sacramenta non justificant lunquum causa effleiens, sed lanquam causa malerialis. C’est la théorie de la « causalité dispositive » qui commence à s’affirmer. Dans le baptême, la disposition à la grâce est le caractère : character baptismalis est causa intégrée gratiæ malerialis… ; est summa et consumptissima pra’paralio malerialis ad infusioncm gruliie. C’est en transposant au caractère ce que le pseudo-Denys dit du baptême lui-même (De divinis nominibus, c. iv, § 10, P. G., t. iii, col. 716), que Guillaume construit son système. Cf. F. Brommer, Die Lehre vom sakramentalen Charackter in der Scholastik, Paderborn, 1908, p. 50, note 1. Voir les textes de Guillaume, dans Gierens, op. cit., p. 27-29.

4. Alexandre de Halès.

La théorie de la causalité dispositive va prendre avec lui un singulier relief, grâce à la théorie de ïornatus animée, qui est l’effet direct et immédiat du sacrement. [Nous faisons ici abstraction de la question critique de l’attribution à Alexandre de ectts partie de la Summa theologica qui pourrait avoir pour auteur Guillaume de Méliton ou un autre franciscain.] Voici l’essentiel de la théorie : Hespondeo sine prwjudicio melioris sententiiv, opinando dico, nihil asscrendo, quod sacramenta sunt

T. - XIV. — 19. 579 SACREMENTS. CAUSALITÉ, PREMIÈRES EXPLICATIONS

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causæ alicufus effectua in anima, non dico solum « disponendo » serf « efflciendo » ; cfficiunt enim simpliciler, characterizando et ornando. Unde dico, quod singula sacramenta cdiquo modo ornant animant vel imprimendo characlerem, vel alio modo signando, et hujusmodi ornalus sive signationis sunt sacramenta causa c/ficiens. Mais, par de la cet effet direct et immédiat, les sacrements produisent la grâce. À quel titre ? Repoussant l’explication d’une condition sine qua non, tout au plus bonne à expliquer l’efficacité des sacrements de l’ancienne Loi, Alexandre recourt à l’explication d’une disposition appelant ou produisant la grâce : Sine præjudicio melioris sententiæ dicendum est, quod sacramenta sunt causse per modum malerialis disponenlis vel efficientis, large sumendo. Disponunt enim hominem et aptiorem reddunt ad gratiæ susceptionem, et etiam graliam infusant ad operandum expeditiorem. Unde sunt causa gratiæ, non quantum ad esse, sed quantum ad inesse modo convenienliori sive conformiori, et quantum ad modum operandi expeditiorem. Il faut donc dire qu’en même temps que le sacrement agit sensiblement sur le corps, une vertu spirituelle produit la sanctification de l'âme, appelée par la bénédiction sacramentelle, forme spirituelle atteignant l'âme et la disposant à la grâce : actio sacramenti ut est sacramentum non est per sensibilem qualilalem in se, sed per virtutem formæ intelligibilis, quæ est benedictio, qua agit disponendo, ut tali facta intinctione vel inunctione circa corpus, fiât a virtute spirituali talis sanctifleatio in anima. Cette vertu spirituelle n’appartient pas par nature à l'élément corporel du sacrement ; mais c’est une vertu surnaturelle qui lui est communiquée par la passion du Christ. En un bref et saisissant raccourci, Alexandre fait la synthèse de sa doctrine sur la causalité sacramentaire : Deus justifteat sicut causa efficiens separata ; gralia justifteat sicut causa conjuncla et in hoc ordine ftdes et charitas dicuntur justifteare. Sacerdos vero dicitur jusliftcare sive sanctifteare ministerio ; sacramenta vero dicuntur justifteare sive sanctifteare disponendo ; mandata vero dicuntur justifteare dirigendo et in hoc ordine est lex justifteans ; opéra vero dicuntur jusliftcare exercilio. Summa theologica, part. IV, q. v, a. 5. Les textes dans W. Lampen, op. cit., p. 6, 17 ; Gierens, op. cit., p. 30-33.

5. Saint Bonaventure.

Il reprend encore la comparaison du vase contenant la grâcg. C’est par leur intermédiaire que la sanctification passe dans l'âme ; c’est en ce sens que « les sacrements de la Loi nouvelle sont causes de la grâce et font ce qu’ils figurent. » In IV am Sent., dist. I, part. I, a. 1, q. m. Dans la question suivante (iv), Bonaventure établit le mode de causalité. Il rappelle une première opinion — celle d’Alexandre de Halès — selon laquelle les sacrements renferment une vertu créée, par laquelle ils in Huent sur l'âme et possèdent une causalité s’exerçant différemment selon leur objet. l’ar rapport à la grâce sanctifiante, ils sont cause sina qua non ; par rapport à l’impression d’un caractère ou d’un ornement dans l’a me, ils sont cause efficiente ; par rapport à la vertu qu’ils possèdent pour diminuer la concupiscence ou revigorer les puissances de l'âme, ils sont cause dispositive. Cette disposition est, non du côté de Dieu, mais du côté de l'âme : non disponit a parte agenlis, qui est Deus, sed a parle suscipientis, quod est anima. La raison dernière d’un tel système, c’est que la grâce est créée ex nihilo ; donc le sacrement ne dispose pas à la grâce ratione ejus ex quo, sed ratione cjus in quod recipitur. Nous retrouverons cette conception à la base de toute opinion préconisant la causalité dispositive.

Mais Bonaventure, sans réprouver cette explication, en propose une autre qu’il estime meilleure et prend à Guillaume d’Auvergne. Dans le sacrement il n’y a aucune vertu ni efficiente, ni disposilive par rapport à

la grâce ; mais il y a une assistance divine. Dieu pgit donc en même temps que le sacrement, tout comme à Xaanian le Lépreux, Elisée ordonna de se laver dans l’eau du Jourdain at simultanément Dieu opéra la guérison du malade. La vertu du sacrement n’est donc pas une qualité qui s’y adjoint, mais un simple rapport à la production de la grâce par Dieu et ce, en raison de l’institution divine, ex tali pactione Dominus astrinxit se quodam modo ad dandam graliam suscipienti sacramentum ; aslringit enim quodam modo Deum ad conjerendum, et ideo dicitur habere virtutem ad effteiendum et etiam disponendum. W. Lampen, op. cit., p. 22, 25-20 ; cf. Gierens, op. cit., p. 34-35.

Le Rreviloquium, part. VI, c. i, résume bien la pensée du Docteur séraphique : Poslremo, quoniam per hujusmodi signa sensibilia, divinitus institula, gratta Spiritus Sancti suscipitur et in eis ab accedentibus invenitur, hinc est, quod hujusmodi sacramenta dicuntur gratiæ vasa et causa, non quia gralia in eis subslanlialiler conlineatur nec causaliter effteiatur, cum in sola anima habeat collocari et a solo Deo habeat injundi, sed quia in Mis et per Ma graliam curationis a summo medico Christo ex divino decrelo oporleal hauriri, licel Deus non alligaverit suam potentiam sacramentis. W. Lampen, op. cit., p. 4.

On le voit, ici encore la doctrine est commandée par la thèse d’une création proprement dite de la grâce.

6. L'école dominicaine. — L'école dominicaine nous offre déjà, à cette époque, d’intéressants représentants. Voir H. -D. Simonin et G. Meersseman, De sacramentorum effteacia apud theologos ordinis prædicalorum, p. 3-57.

a) Roland de Crémone (| 1259). — Il dépend à coup sûr de Guillaume d’Auxerre. Pour lui, les sacrements ne causent la grâce qu’en tant qu’ils disposent l'âme à la réception de la grâce : Deus justifteat creando graliam in anima ; sacramenta justifteant aptando animam ad receptionem sacramentalis rei, id est gratiæ. Unde sacramenta sunt causa materialis adaptans justifteationis. In lV am Sent., dist. I, op. cit., p. 2-3.

b) Hugues de Saint-Cher († 1263). — Il emploie des formules assez générales que les écoles les plus divergentes pourraient s’approprier : sacramenta novæ. Legis efftciunt quod figurant, et justifteant… id est : Deus per illam viiii, quam dat sacramenta, effteit quod sacramentum figurât. Et comme conclusion : Quod solus Deus justifteat, verum est : auctoritate ; sacerdos autem : ministerio ; sacramentum vero ; causaliter, sacramentum dico novæ Legis, quia sacramenta veteris Legis tantum occasionaliter… In IV am Sent., dist. I, op. cit., p. 8-9.

c) Richard de Fishacre († 1248). — Il propose une solution apparentée à celle de Guillaume d’Auvergne et de saint Bonaventure (deuxième opinion) :.luslificationis factæ in anima tota causa immediata efficiens est Deus Trinitas. Le sacrement est dit cependant faire ce qu’il figure parce que, sans eux, Dieu n’agirait pas. L’exemple de la guérison de Naaman est repris pour l’expliquer. La relation qui existe entre l’eau du baptême et la justification dépend de la volonté divine : fœdus ergo quod pactum est inler Deum et homines in sacramentis est. In IV" m Sent., dist. I, op. cit., p. 16-18.

d) Robert de Kilwardbi] († 1278). — Il rappelle tout d’abord — comme saint Bonaventure — les deux opinions courantes, indiquant, comme le Docteur séraphique, la seconde comme plus probable. Puis il propose une troisième explication qui lui paraît plus simple et suppose deux sortes de justifications : l’une extérieure, effet du sacrement, l’autre intérieure, effet de la foi dont le sacrement est l’occasion, ce ; deux justifications ayant d’ailleurs Dieu comme cause efficiente. Sacramenta, quia assimilant hominem diinnæ vollintati, justifteant, sed non ut causa efficiens, sed ut

formalis. Deus enim est principalis causa, et ipse est efficiens respeetu utriusque, quia fidem agit intra per seipsum, sacramentum extra per ministrum. C’est donc à la présence de la foi, excitée dans l'âme par la réception des sacrements, que Dieu intervient et justifie intérieurement l’homme. Quant aux petits enfants qui ne peuvent encore éprouver les mouvements de la foi, la foi de l'Église catholique et des autres suffit à justifier l’intervention divine en leur faveur. Ipse Deus] ad præsentiam fidei in aliis et actualis susceptionis sacramentorum operatur per semetipsum spiritualiter habitualem justitiam interius in ipsis parvulis. In IV am Sent., dist. I, op. cit., p. 28, 30. e) Albert le Grand. — Il semble incliner vers une causalité efficiente par mode de disposition : sacramentum est causa ut disponens in subjecto et est dispositio quæ est nécessitas, quantum in se est. Seule, la fiction du sujet peut empêcher la disposition d’aboutir à l’effet (res) du sacrement. In /V ura Sent., dist. I, B, a. 6, q. ii, ad lum. H.-D. Simonin, op. cit., p. 53 ; Gierens, op. cit., p. 38.

() Hugues de Strasbourg. — Il se rapproche beaucoup de Guillaume d’Auvergne, de Bonaventure (deuxième opinion) et de Richard de Fishacre. Les sacrements sont dits vases et cause de grâce, non quod in eis gratia substantialiter contineatur vel causaliter efficiatur, cum in sola anima habeal collocari et a solo Deo infundi, sed quia in illis et per illa graliam curationis a summo medico Christo oporiet hauriri, licel non alligaverit potentiam suam sacramentis… Compendium theologiee, t. VI, c. iv, dans Alberti M. opéra omnia, édit. Borgnet, t. xxxiv, p. 203 ; H.-D. Simonin, op. cit., p. 56.

7. Appréciation générale.

Si nous mettons à part l’opinion personnelle de Richard de Kilwardby, qui semble au premier abord un prélude lointain à la doctrine sacramentaire de Luther, on constate, dans l’ensemble des théologiens qui ont précédé saint Thomas, les deux grands courants signalés déjà par plusieurs d’entre eux, notamment par saint Bonaventure : d’une part, ceux qui accordent aux sacrements la vertu de produire dans l'âme une disposition à la grâce ; d’autre part, ceux qui, recourant à l’explication de l’assistance divine présente dans le sacrement, enseignent qu’en vertu du pacte divin, chaque fois que le sacrement est administré Dieu confère directement la grâce. Les premiers paraissent les précurseurs de la causalité dispositive ; les seconds s’apparentent aux futurs tenants de la causalité morale. Observons toutefois que saint Bonaventure comme Alexandre de Halès et, plus tard, Bichard de Médiavilla et Duns Scot sont représentés comme ayant enseigné une causalité improprement dite de condition sine qua non. On l’a vii, pour les deux premiers auteurs cités, on le verra plus loin pour les deux autres, l’assertion est contestable. Cf. Henriquet, De causalitate sacramentorum juxta codicem autographum S. Bonaventuræ, dans Antonianum, 1933, p. 377 sq. ; P. Bemy, La causalité des sacrements d’après saint Bonaventure, dans les Études franciscaines, 1930, p. 324 sq.

Saint Thomas d’Aquin.

Il convient d’exposer

les textes avant les discussions exégétiques auxquelles ils donnent lieu.

1. Exposé des textes.

a) Dans le Commentaire des Sentences, t. IV, dist. I, q. i, a. 4, saint Thomas répond à diverses questions touchant la causalité des sacrements.

Tout d’abord, tous sont obligés de confesser que les sacrements de la Loi nouvelle sont, au moins d’une certaine manière, cause de la grâce. Rejetant l’opinion qui considère le sacrement simplement comme une condition sine qua non, saint Thomas s’arrête à l’explication des auteurs qui envisagent, dans l'âme,

un double effet sacramentel : l’un, sacramentum et res, c’est-à-dire le caractère ou, dans les sacrements n’imprimant pas de caractère, un ornement de l'âme ; l’autre, res sacramenti, c’est-à-dire la grâce. Par rapport au premier effet, le sacrement extérieur est cause efficiente, mais par rapport au second, il ne produit dans l'âme qu’une disposition appelant nécessairement la grâce, à moins que le sujet n’y mette obstacle.

La première opinion est rejetée par saint Thomas parce qu’elle ne lui semble pas suffisamment tenir compte de la notion de causalité : le rapport existant entre le signe extérieur et l’effet de la divine miséricorde dans l'âme ne dépendant que de la volonté divine, ne confère au sacrement aucune causalité véritable. Le sacrement demeure un signe et rien qu’un signe, tout comme le denier en plomb donné en échange d’une somme d’argent. L’autre solution est magis theologis et dictis sanctorum conveniens. Elle répond mieux à la notion de la causalité instrumentale, qui est celle des sacrements. L’instrument, en effet, mû par la cause principale, atteint toujours un effet supérieur à l’effet qu’il produirait naturellement, soit la perfection dernière produite par la cause principale, soit une disposition à cette perfection. Or, dans la justification, Dieu est la cause principale et ne se sert des sacrements que comme d’instruments dont la nature même de l’homme montre la convenance. L’action propre de ces instruments, envisagés comme causes naturelles, est une action purement extérieure sur le corps : ablution, onction, etc. Mais, en tant qu’instruments de la divine miséricorde, les sacrements atteignent un premier effet dans l'âme elle-même, le caractère ou quelque chose d’analogue. Quant au dernier effet, qui est la grâce, non pertingunt etiam instrumentaliter, nisi disposilive, in quantum hoc ad quod instrumentaliter effective pertingunt est dispositio, quæ est nécessitas, quantum in se est, ad gratiæ susceplionem. Id., sol. 1.

La suite des questions abordées renforce l’impression que saint Thomas enseigne ici la « causalité dispositive ». Dans la première opinion rejetée, la vertu sacramentelle n’est qu’une simple relation à l’effet surnaturel attaché par Dieu à la réception du sacrement ; dans la seconde, c’est un être réel, mais incomplet, motion reçue de la cause principale et qui ne fait qu’y passer pour atteindre son effet. Id., sol. 2. L’efficacité de cette vertu a trois sources : l’institution du Christ, comme cause principale agissante ; la passion du Christ, comme cause méritoire ; la foi de l'Église reliant l’instrument à l’agent principal. Sol. 3. C’est en raison de cette motion qui passe dans le sacrement qu’on peut dire des sacrements qu’ils contiennent la grâce. Ainsi la grâce est dans le sacrement comme dans sa cause instrumentale dispositive : sacramentum etiam instrumentaliter non atlingit directe ad ipsam gratiam, sed dispositive (sol. 4), tandis que l' « intention » ou « vertu » qui dirige l’action sacramentelle est dans le sacrement comme dans son sujet. Ibid., ad lum. C’est en ce sens qu’il faut interpréter la comparaison des sacrements « vases » de la grâce. Ibid., ad 2um. Enfin, la grâce produite par les sacrements est dite grâce sacramentelle ; elle se diversifie selon la diversité des défauts que doivent corriger les sacrements. Elle n’est pas séparable de la grâce qui accompagne les vertus et les dons, laquelle est une sorte de continuation de la grâce sacramentelle. Sol. 5.

Dans la dist. V, q. i, a. 2, saint Thomas expose comment les ministres du sacrement coopèrent à l'œuvre de sanctification dont Dieu est la cause efficiente. Il ne s’agit pas d’une coopération dont l’efficacité emprunterait sa valeur à l'œuvre accomplie par le ministre lui-même, ex opère opérante, mais d’une coopération dont la valeur est tout entière ex opère

operato. C’est la coopération du ministère, dont saint l’aul a dit : Sic nos existimet homo ut ministros Christi (I Cor., iv, 1).

b) Dans les Questions disputées, même doctrine, avec cependant quelques nuances de précisions sur les rapports de la « disposition » causée par le sacrement à l’effet dernier produit par Dieu dans l'âme. Dans le De veritate, q. xxvii, a. 1, après avoir exclu l’opinion de la condition sine qtia non, saint Thomas s’attache à démontrer que les sacrements de la Loi nouvelle aliquid ad gratiam habendam operantw. Or, ni le sacrement, ni aucune créature ne peut donner la grâce par une action propre ; c’est donc par une action instrumentale que les sacrements opèrent dans la production de la grâce… Comme tout instrument, le sacrement possède une double action ; l’une répondant à sa forme propre, comme laver et oindre, l’autre exercée en vertu de la forme de l’agent principal, Dieu, et c’est justifier… Cette vertu reçue de l’agent principal n’a qu’un être incomplet, motion spirituelle dans un être matériel ; mais elle élève le sacrement jusqu'à l’effet produit par Dieu, jusqu'à la grâce. Toutefois les sacrements ne produisent la grâce que per modum instrumentorum disponentium. Ad 3um. Et c’est dans le même sens que l' « illumination » de l'âme par la grâce est une œuvre proprement divine, à laquelle cependant peuvent coopérer les créai mes, inslrumentaliter et dispositive. Ad 9um.

Le De potentia apporte une précision intéressante au sujet de la coopération instrumentale qu’une simple créature peut apporter à Dieu dans une œuvre de création. Quelque chose peut être dit créé de deux laçons. Certains êtres sont créés sans aucune matière présupposée, ni dans laquelle (in qua), ni de laquelle (ex qua) soit produit l'être créé : à une telle création, la nature ne peut coopérer dispositivement. Certains êtres sont créés, mais dans une matière présupposée : l'âme humaine, par exemple. Or, du côté de cette matière dans laquelle se réalise l'œuvre créatrice, la nature peut agir dispositivement, sans cependant atteindre la substance même de l'être créé ; ainsi les sacrements agissent instrumentalement et dispositivement. Ad 7°" 1 et ad X" m.

c) La question quodlibélale xir, q. x, ne parle plus de causalité dispositive, mais simplement de causalité instrumentale ; mais saint Thomas ajoute ici une comparaison tirée de la causalité instrumentale de l’humanité du Christ dans l’accomplissement des miracles, pour faire comprendre la notion d’instrumentum conjunclum dans le sacrement : Duplex est virtus : siilicel propria et instrumentons, …et sic sacramenta habent virtutem spirilualem instrumentale !)) ail spirilualem efjectum, quia, cniii sacramru/um adhibetur cum invocatione divina, effleit hune efjectum. Et hoc est conveniens, quia Verbum, per quod omnia sacramenta habent virtutem, habuil curnem et fuit Verbum bci ; et sicut caro Clirisli habuil virtutem instrumentale))) ad faciendum miracula propter conjunctionem ail Verbum, ila sacramenta per conlinualionem ad C.hristum crueifixum et passum effleaciam habent. Cf. Summa cont. gent., t. IV, c. xli.

d) La Somme théologique, du moins dans la III" pars, q. lxii, où se trouve exposée la doctrine de la causalité sacramentelle, est muet le sur la causalité dispositive. La matière est traitée en six articles.

a. Les sacrements de la Loi nouvelle sont-Us en uses de la grâce ? (a. l). Après avoir, comme dans le Commentaire et le De veritate, exclu la première opinion qui l’ait des sacrements de la Loi nouvelle de simples signes le la grâce, saint Thomas accueille la seconde opinion qu’il illustre de ses considérations habituelles sur la causalité principale et la causalité instrumentale. Les sacrements de la Loi nouvelle sont cause de la grâce,

en tant qu’instruments mus par la vertu divine ; et c’est en tant qu’instruments de la puissance divine qu’ils atteignent l'âme. Voir surtout l’ad 2um.

b. La grâce sacramentelle ajoulc-t-elle quelque chose à la grâce des vertus et des dons ? (a. 2). — Nous verrons plus loin, col.."> « "), l'évolution de la pensée de saint Thomas à ce sujet. Notons toutefois ici qu’au lieu de faire des grâces sacramentelles dos dispositions à la grâce habituelle, comme il semble le faire ailleurs : In IV" m Sent., dist. I. q. i, a. 1, sol. 1, et De veritate, q. xxvi, a. 7, saint Thomas ne fgit ici de la grâce sacramentelle qu’un complément de la grâce habituelle. Serait-ce un indice d'évolution de la causalité dispositive à la causalité dite perfective ?

c. Les sacrements contiennent-ils la grâce ? (a. 3). — La grâce n’est pas contenue dans le sacrement simplement comme dans un signe, mais aussi comme dans une cause. Haut causes instrumentales de la grâce, les sacrements de la Loi nouvelle contiennent la grâce d’une manière plus spéciale que les sacrements de. la Loi ancienne, qui étaient de simples signes. Toutefois, ils la contiennent non sous une forme parfaite et permanente qui ne saurait exister que dans la cause principale, mais sous la forme passagère et imparfaite propre à la vertu instrumentale. « Au fond, cela revient à dire que dans le sacrement se trouve une vertu qui va à causer la grâce. » Th. Pègues, Commentaire littéral, t. xvii, p. 99. On sait que l’expression continent gratiam a été canonisée au concile de Trente, sess. vii, can. 6. Voir col. 606.

d. Les sacrements renjerment-ils une vertu, cause de la grâce ? (a. 1). -Ceux qui admettent que les sacrements causent la grâce par une sorte de concomitance, ne peuvent concevoir d’autre vertu sacramentelle que la vertu de la puissance divine « coassistante », laquelle opère directement l’effet sacramentel. Mais, si le sacrement est vraiment cause instrumentale de la grâce, il faut lui accorder une vertu instrumentale proportionnée à la nature de l’instrument, vertu ne possédant qu’un être incomplet, sorte de mouvement spirituel transitoire, vertu que Dieu ordonne à la production d’un effet spirituel (ad lum) et dont le sujet est l'élément sensible composé de paroles et de choses unies dans l’unité du sacrement. Ad 4um.

e. Enfin, les sacrements agissent en tant qu’instruments unis (instrumentum conjonctum) à l’humanité du Christ et, par l’humanité, à la divinité, « de sorte que la vertu salutaire dérive de. la divinité du Christ par son humanité jusque dans les sacrements euxmêmes » (a. 5).

2. Discussions sur la pensée de saint 'l’humus. Saint Thomas étant le > maître commun », il est I ont naturel que les partisans des systèmes plus récents invoquent son patronage. On verra plus loin, col. M I et sq., quels sont ces systèmes. Nous ne pouvons ici qu’indiquer les grandes lignes des arguments à l’aide desquels chacun prétend s’abriter sous l'égide de saiid Thomas.

Les partisans de la causalité physique font observer que saint Thomas n’admettant pas l’explication de l’efficacité des sacrements comme conditions sine quibus non de la grâce et rejetant la comparaison du denier de plomb, signe convenu pour recevoir une somme d’argent, exclut par là la théorie moderne de la causalité morale ; qu’en comparant la causalité sacramentelle a la causalité de l’humanité du Christ, saint Thomas ne peut concevoir qu’une causalité physique ; que les exemples de causalité instrumentale cités par saint Thomas (causalité instrumentale de la hache, du bâton), et que les expressions même dont il se sert pour désigner la vertu sacramentelle a la manière d’un mouvement physique ne. peuvent se comprendre que dans le sens de la causalité physique. 58.">

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. CAUSALITÉ, APRÈS SAINT THOMAS

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Cf. Hugon, La causalité instrumentale en théologie, Paris. 1907, p. 118 sq., mais surtout p. 132-142 ; Tractatus dogmatici, t. iii, 9° édit., p. 74-75 ; J. Bucceroni, Commentarius de sacramentorum causalitate, Paris. 1884 ; B. Lavaud, Saint Thomas et la causalité physique instrumentale de la sainte humanité et des sacrements, dans la Revue thomiste, 1927, p. 292 sq. ; La thèse thomiste de la causalité physique de ht sainte humanité et des sacrements se heurte-t-elle à d’insurmontables difficultés ? ibid., p. 405 sq. ; cf. A. Teixidor, De causalilate sacramentorum, dans Gregorianum, 1927, p. 76 sq.

Les partisans de la causalité monde ou de la causalité intentionnelle se réfèrent aux textes qui présentent la vertu sacramentelle comme se rattachant à la passion du Christ, dont le mérite opère dans les sacrements, ou encore à l’ordination divine, à la foi de l’Église et qui en propres termes la dénomment vertu spirituelle ou intentionnelle. Voir H. Bouessé, La causalité efficiente instrumentale de l’humanité du Christ et îles sacrements chrétiens, dans la Revue thomiste, 1934, p. 370-393 ; M. Gicrens. Zur Lehre det hl. Thomas i’iber die Kausalitdt der Sakramente, dans Scholastik, 1934, p. 321-345 ; Franzelin, De sacramentis, th. xi, scholion i : Chr. Pesch, Prselection.es théologies, t. vi, n. 106.

Mais on a cru découvrir une évolution dans la pensée de saint Thomas qui, dans les ouvrages de jeunesse, surtout dans le Commentaire sur les Sentences, aurait enseigné une causalité simplement dispositive, le sacrement ne produisant immédiatement qu’une disposition à la grâce, pour se rétracter, au

P moins implicitement, dans la Somme théologique, en y enseignant une causalité perfective, atteignant la grâce elle-même. C’est là l’enseignement île Cajétan : Quidquid enim, secundum aliorum opinionem ut probabiliorem dixeril auctor in 7Vum Sent., hoc in loco, secundum propriam sententiam, longe allias sensit, expresse ponens gratiam gratum facientem… a Deo principaliter et a sacramento instrumentaliter effici. Comment, in Sum. theol. S. Thomæ, III 11, q. i.xii. a. 1. Interprétation contestée par Silvestre de Ferrare, Comment, in S. Thomse Aquinalis Summum contra gentiles, t. IV, e. lvii. Voir les textes dans Gierens, op. cit., p. 102, 103, n. 73, 74. À rencontre de cette interprétation, on lait valoir également que la causalité dispositive sacramentelle n’est pas absente de la Somme théologique. Ainsi, IIP, q. lxiii, a. 1, saint Thomas affirme que « le caractère est dit une disposition à la grâce » ou encore, ce qui revient au même, tes et sacramentum, ibid., a. 3, ad 2um. D’ailleurs, la doctrine générale n’est-elle pas affirmée dans la I a, q. xlv, a. 5 : Causa secunda instrumentons non participai aclionem causée superioris, nisi in quantum per aliquid sibi proprium DISPOSitive operatur ad effectuai principalis agentis. A cette instance, les meilleurs interprètes de saint Thomas, notamment Baiïez, In D m Sum. S. Thomse, q. xlv, a. 5, concl. 4, et Jean de Saint-Thomar, De sacramentis, disp. XXIV, n. 323 sq., répondent que l’expression dispositive operari ou causarc ne doit pas faire illusion : elle signifie simplement instrumentaliter agere, et n’est pas du tout synonyme de dispositionem operari. Dispositionem operari est une locution qui appartient évidemment à la causalité dispositive et, dans la Somme, saint Thomas, tout en affirmant que le caractère est une disposition à la grâce, n’a pas écrit que le sacrement ne causait pas la grâce immédiatement et que son efficacité s’arrêtait au caractère : « Tous les philosophes enseignent, en effet, que, dans la causalité instrumentale, l’action de la cause principale ne passe pas seulement par l’instrument : elle sort, à la lettre, de l’instrument : non transit per instrumentum, sed exit ab instrumenta. Or, pour que l’action

de la cause principale sorte de l’instrument, il faut qu’elle y pénètre, il faut qu’elle y trouve comme une sorte de point d’insertion, où elle rejoigne l’instrument lui-même, ou plutôt où elle se conjoigne à lui, afin de tirer de lui l’action qu’elle veut produire. Dispositive operari ne marque rien de plus que l’opération de l’instrument, cette action dispositive que la cause principale requiert jusque dans son propre exercice. » Ami du clergé, 1926, p. 62. Ainsi donc l’expression dispositive operari des Questions disputées et de la Somme théologique ne saurait infirmer en rien l’existence d’une évolution profonde dans la pensée de saint Thomas.

L’existence d’une telle évolution est confirmée par ce fait — qui est à la base de toutes les conceptions anciennes île la causalité sacramentelle — que les théologiens antérieurs à saint Thomas professaient une création proprement dite de la grâce dans l’âme. Or, à une création proprement dite aucun instrument créé ne peut concourir, sinon d’une manière dispositive dans la matière où se produit la création. C’est la thèse du Commentaire sur les Sentences. Dans la Somme, saint Thomas rejette, pour expliquer la production de la grâce dans l’âme, l’idée d’une création proprement dite. Cf. PI H, q. ex, a. 2, ad 3° m ; q. cxii, a. 1, ad lum et ad 2um. L’expression : dispositionem operari convient à la conception d’une production de la grâce par manière de création proprement dite ; dispositive operari convient à la conception d’une production de la grâce qui implique la création de l’homme tout entier dans la vie surnaturelle. Cf. [ » -II B, q. ex. loc. cil. Sur cette évolution de la pensée de saint Thomas, voir Pègues, Revue thomiste, 1904, p. 352 sq. ; Commentaire littéral, t. xvii, p. G8 sq. ; Nepveu, De causalitate sacramentorum, dans Divus Thomas. 1904. p. 23 sq. ; Unterleidner, Controverse thomiste : l’effet immédiat des sacrements, dans la Revue auqustinienne, 1908, p. 193 sq.

Dans cette explication de la pensée de saint Thomas arrivée à son dernier stade l’expression dispositive operari ne saurait être opposée à l’opinion qu’on a appelée, d’un terme d’ailleurs très contestable, la causalité perfective, c’est-à-dire atteignant la grâce elle-même. C’est ce que font opportunément observer les PP. Simonin et Meersseman dans leur récent recueil De sacramentorum effteacia apud theologos ord. prsed., p. vin. Ces auteurs n’admettent que difficilement une évolution de la pensée même de saint Thomas ; ils envisageraient plus volontiers une simple évolution dans la terminologie. Dans le Commentaire sur les Sentences, saint Thomas relie modestement son opinion à celle qui était alors en vigueur touchant la causalité des sacrements. Ensuite, approfondissant davantage sa propre pensée, le Docteur angélique a su se dégager d’une terminologie défectueuse et abandonner la distinction primitivement adoptée entre disposition à la grâce et grâce elle-même. Id., loc. cit.

A l’opposé, nous trouvons l’opinion de Billot qui, pour revendiquer le patronage de saint Thomas à sa théorie de la causalité dispositive intentionnelle, s’efforce de démontrer que saint Thomas a toujours tenu l’opinion d’une causalité sacramentelle se terminant immédiatement à une dispositio prsevia, le res et sacramentum. De sacramentis, t. i, th. vu. Bon nombre des disciples de ce théologien se sont ralliés à cette manière de voir. Citons au hasard : Van Noort, de Smet, Horace Mazzella, Hervé. Van Hove (La doctrine du miracle chez saint Thomas, p. 148-159), Van der Meersch.

Après saint Thomas d’Aquin.

1. Dans l’école

dominicaine. — Quelles que soient les divergences d’interprétation touchant la pensée de saint Thomas, il reste acquis qu’un grand progrès a été réalisé par

lui dans l’explication théologique de la causalité des sacrements : V application à cette causalité de la notion philosophique de cause instrumentale. Sans doute, on rencontre l’expression causa instrumentons appliquée à l’eau du baptême dans une glose de la fin du xiie siècle sur les Sentences de Pierre Lombard. Cf. H. Weisweiler, Eine neue frùhe Glosse zum vierten Buch der Scntenzen des Petrus Lombardus, dans Ans der Geisteswelt des Miltelalters (en l’honneur de Mgr Grabmann), t. i, Munster, 1935, p. 381-382. Mais saint Thomas a approfondi le concept de cause instrumentale et en a fait une application heureuse aux sacrements. Désormais ce concept sera pour ainsi dire le point d’appui de toute la théologie sacramentaire.

a) Annibal. — Nous le retrouvons chez Annibal († 1272), l’auteur du Commentaire sur les Sentences attribué autrefois à saint Thomas avec la mention ad Hannibaldum. L’auteur soutient encore l’ancienne opinion de la causalité simplement dispositive, mais y adapte la notion d’instrument : Duplex est causa graliæ : una principalis, quæ causât et efjicit graliam, alia ministerialis, quæ disponit ad graliam, et sic sacramentum, ut est imtrumentum divinie misericordiæ, est causa gratis, quia instrumentaliler causât disposilionem necessariam… In IVum Sent., dist. I.

b) Pierre de Taranlaise (InnocentV, t 1276). — Il s’en tient à la même conception : les sacrements sont les instruments de la divine miséricorde ; en tant qu’instruments, ils produisent un effet que par eux-mêmes ils ne pourraient naturellement atteindre ; par la vertu divine qui leur est communiquée, ils impriment dans l'àme « une disposition à la grâce ». In IVum Sent., dist. I, a. 6. Dicendum quod causant influendo non ipsam graliam sed disposilionem graliæ, non lamen ut agens principale, sed instrumentale. Obj. 6 a.

c) Rainier de Pise (f vers 1340). — Il enseigne encore la causalité dispositive : Solus Deus est principalis causa gratise efjectiva, sacramenta autem nec créant graliam nec de potentia materiæ eam educunt, sed causa graliæ sunt instrumentons disposiliva ; disponunl enim animam instrumentaliter ad hoc, ut ei gralia injundatur. Pantheologia, De sacramentis, t. ii, Venise, 1585, p. 895. Et la raison de cette disposition à la grâce est toujours cherchée dans l’impossibilité de concevoir une action instrumentale créée dans la production de la grâce qui procède de Dieu seul. Id., ibid., De gratia, c. i, p. 994 sq.

d) Noël Hervé († 1323). — Il distingue trois opinions : la première enseigne que les sacrements sont causes sine qua non : en raison d’un décret divin, à la réception du sacrement correspond la collation de la grâce. La seconde affirme que les sacrements, par euxmêmes, ne produisent pas la grâce, qui est l’effet de la vertu divine présente dans l’application du sacrement. Le troisième opinion, à laquelle l’auteur se rallie, est que les sacrements agissent pour produire la grâce instrumentaliter et dispositive.

Pour exposer son sentiment, Hervé distingue l’agent principal et l’instrument. L’effet répondant à l’activité de ces deux causes n’est pas le même : qu.odd.am est agens disponens attingens disposilionem, qua subjectum disponitur ad principalem efjectum sicut molli/icans ceram agit dispositive ad sigitlalioncm, et aliud est agens attingens ad principalem efjectum, sicut imprimens sigillum facit sigillationem. L’exemple de la cire et du sceau fait mieux comprendre la pensée de l’auteur. Et voici L’application de la doctrine à la causalité sacramentelle : Sic… sacramenta sunt causa gratia dispositive, quia se. effective attinguni ad disposilionem ad graliam, quæ est caracter vel ornalus, non autem quod attingant immédiate effective ipsam essentiam gratise. Ce que le sacrement produit immédiatement dans

l'âme, c’est donc uniquement le caractère ou l’ornement qui appellent la grâce. C’est toujours la théorie du res et sacramentum, disposition à la res sacramenti. In IV" m Sent., dist. I, q. i, § 1. Cf. Gierens, op. cit., p. 85, 87.

e) Capréolus († 1444). — Faisant écho à Pierre de La Palu († 1342) (ce dernier dans In I Vum Sent., dist. I, q. i), il explique le sens des dernières assertions de saint Thomas (De verilate, q. xxvii, a. 4, etSum.theol., III a, q. lxii, a. 1) où il n’est plus question de disposition. On pourrait croire que saint Thomas enseigne que les sacrements atteignent effectivement quoique instrumentalement, la grâce elle-même. Sed intelligendum est quod pcrlingunt ad gratiam sacramentalem effective, ad gratiam vero gralum facientem solum disposa ive, ut exposuit Petrus de Palude. Defensiones theologiæ Divi Thomse Aquinatis, t. IV, dist. I-III, q. i, a. 1, édition Paban-Pègues, p. 4 a. Cette assertion de Capréolus fait écho à la position prise par saint Thomas dans le Commentaire, relativement à la grâce sacramentelle. Elle est insoutenable par rapport aux assertions de la Somme théologique. Voir col. 503 sq.

/) Cajétan. — Il rejette expressément cette assertion. Son commentaire de la pensée de saint Thomas mérite d'être cité intégralement : « Le sacrement atteint instrumentalement la grâce sacramentelle, et il n’est pas nécessaire de recourir à une disposition préalable. Quoi qu’en ait dit, en effet, notre auteur dans le quatrième livre des Sentences, d’après l’opinion « plus probable » d’autres théologiens, ici, dans la Somme, exprimant sa propre pensée, bien plus profonde, il déclare expressément que la grâce sanctifiante, par laquelle l’homme devient membre du Christ et qui nous rend participants à la nature divine, est produite par Dieu principalement, par p sacrement instrumentalement. Telle est bien l’intention de saint Thomas ; elle apparaît.jusque dans le titre de la question, cette question se distinguant de la question suivante en ce qu’ici on traite de l’effet principal du sacrement qui est la grâce et que là on traite de l’effet secondaire qui est le caractère… Et nous avons une confirmation dans l’article suivant de cette même question : la grâce sacramentelle n’y est pas présentée comme une disposition (à la grâce sanctifiante), mais, comme il apparaîtra, elle n’ajoute aucun don habituel à la grâce sanctifiante elle-même. »

Et Cajétan de réfuter le fondement de la causalité dite dispositive : « On objecte que nulle créature ne peut même instrumentalement créer. Je concède la vérité de cette assertion ; mais précisément je nie que la grâce soit à proprement parler créée. »

Et, avec tout le respect que l’on doit à une opinion commune (pro reverentia lamen communis dicti), le théologien dominicain met au point la part de vérité que renferme cette opinion : « Quand on parle de l’action qui cause la grâce, on peut en envisager un double aspect. Ou bien il s’agit du changement qui survient en l'âme, de non agréable devenant agréable à Dieu, et c’est ici que le sacrement exerce instrumentalement son action. Ou bien il s’agit de la production immédiate de la grâce, où il se mêle quelque chose de la créai ion (erealio ibi aliquo modo immiscetur), et c’est là le terme immédiat de l’action divine. » in Sam. theol. S. Thomse, III a, q. i.xii, a. 1.

La grâce est « concréée », ou mieux le sujet justifié reçoit de Dieu une sorte de nouvelle création élevant sa nature à un état supérieur. Tout ce qui, en cette œuvre de transformation, appartient à cette transformation du sujet dans lequel l’action divine s’exerce, relève instrumentalement de l’action sacramentelle. Cf. M. -H. Laurent, La causalité sacramentaire d’après le commentaire de Cajétan sur les Sentences, dans Repue des sciences phil. et théol., 1931, p. 77 sq.

g) Silvestre de Ferrare († 1528). — Il attaque vivement cette interprétation du cardinal dominicain.

Pour lui, la grâce est créée, en toute propriété du terme, et il en revient à l’ancienne explication de la causalité dispositive. Le sacrement produit le caractère instrumentalement : le caractère n’est pas produit ex nihilo, mais par une transformation de l’âme, dans laquelle le libre arbitre entre pour une grande part, en tant qu’il est disposition à la grâce. Mais, d’autre part, il faut rejeter l’interprétation de Capréolus relative à la grâce sacramentelle qui ne saurait être une disposition à la grâce sanctifiante. Coimnentarius in S. Thomæ Aquinatis Summam contra gentiles, t. IV, c. LVII.

Malgré la vive attaque du Ferrarais, l’école dominicaine suivra désormais, presque exclusivement, le chemin tracé par Cajétan. Jusqu’à Cajétan, l’interprétation commune de saint Thomas était dans le sens d’une causalité dispositive, sans qu’il soit question de causalité physique ou morale. À partir de Cajétan, la causalité physique, mal dénommée perfective, sera l’opinion courante de la famille dominicaine. Nous devons cependant, au moment du concile de Trente, signaler deux exceptions, celles de Martin de Ledesma et celle de Melchior Cano qui, à grand renfort d’arguments, non négligeables d’ailleurs, proposent l’explication de la causalité morale.

h) Martin de Ledesma. — Il distingue les causes naturelles (physiques) et les causes morales : morales autem appello causas libéras, quæ scilicet libère movent. Sans controverse possible, il faut attribuer à l’efficacité de la puissance divine la production de la grâce et des vertus dans l’âme. Comme cause principale, Dieu agit ici à la manière des causes naturelles (physiques). Mais la passion du Christ, dont les sacrements dérivent et tirent toute leur efficacité, n’agit que d’une manière morale dans la production de la grâce : le sang du Christ ne saurait atteindre la grâce par une action naturelle. Certes, les sacrements sont les instruments du Christ pour achever notre rédemption et nous conduire à la grâce et à la gloire. Mais c’est à la manière des causes dont l’influence est d’ordre moral : Sacramenta novæ Legis sunt causse morales gratiæ et non naturales et sic intelligitur a concilio Florenlino et Tridentino quod continent graliam et eam digne suscipientibus conferunt. Continere dicuntur sacramenta gratiam, non ut causa naturalis continet suum effectum, sed ut causa moralis, ut crumena dicitur continere caplivi redemptionem, quia continet pecuniam… El sicut crumena administrais pecuniam redemptionem confert, ita sacramentum confert graliam et pretium redemplionis applicans. L’auteur reconnaît d’ailleurs que, dans cette explication, les sacrements ne sauraient être conçus comme atteignant la grâce elle-même. Fratris Martini Ledesmii theologi instituti prsedicatorum. .. primus Thomus qui etiam Prima IV nuncupatur, q. iii, a. 1, édition de Coïmbre, 1555, p. 37 b-38 b. Cf. Gierens, op. cit., p. 106-108.

i) Melchior Cano. — De grandes affinités relient sa doctrine à celle de Ledesma : même explication, mêmes arguments. Il serait hérétique de dire que le sang du Christ, sa passion, son humanité n’ont pas été de véritables causes de notre justification et de la grâce en notre âme. Ainsi serait-ce manifestement une erreur de nier l’efficacité instrumentale des sacrements relativement à notre salut. Mais il ne s’agit que de causes morales. Quemadmodum si ego essem apud Turcas caplivus, et eum qui daret pecunias redemplionis, videlicet pretium, et manum quu pecunias porrigerel et pecunias etiam ipsas, quæ sunt instrumenta ad redimendum, redemplionis causas esse, non naturales quidem, sed morales, nemo sanæ mentis ibit inflcias. Et, tout comme Ledesma, Melchior Cano se réfère à saint Thomas, Sum. theol., III a, q. xlviii, a. 6 ; q. xlix, a. 2 ; q. lvi, a. 1 ; q. lxii, a. 4. Relectio de sacramentis in génère,

dans Opéra, Padoue, 1762, p. 441 sq. Cf. Gierens, op. cit., p. 108-111.

2. Dans l’école franciscaine.

a) Richard de Média villa. — Il est à peine postérieur à saint Thomas puisqu’il écrit son Commentaire sur les Sentences entre 1284 et 1298. Cf. Hocédez, Richard de Middlelon, Louvain, 1925, p. 55. Sur la causalité des sacrements, il suit fidèlement saint Bonaventure. Après avoir rapporté l’opinion de la causalité instrumentale dispositive, dans laquelle le sacrement est conçu sicut attingens quamdam disposilionem ad gratiæ susceplionem, il s’arrête à la seconde opinion, quæ videtur intelligibilior, d’après laquelle les sacrements de la Loi nouvelle produisent la grâce, quia ex institutione divina semper divina virlus in digne suscipicntibus ea efficil eam : pro tanto ergo dicuntur conjerre graliam, quia semper habent concomilantem virtutem divinam graliam confcrentem. C’est donc par cette institution, cette ordination divine que s’explique la vertu sacramentelle, et non par une vertu transitoire passant par le sacrement pour atteindre l’âme du sujet. Un argument invoqué par Richard, contre la causalité dispositive est la transsubstantiation. Quelle disposition préalable peut-on imaginer dans la transsubstantiation ? In IYum Sent., dist. I, a. 1, q. n. Cf. V. Lampen, op. cit., p. 33-36.

b) Guillaume de Ware. — De Guillaume de YYare, le maître de Duns Scot, le Commentaire sur les Sentences n’est pas édité. Nous le citons d’après le texte de W. Lampen, p. 37-45. Pour Guillaume, pas de causalité dispositive : si le sacrement pouvait créer dans l’âme une disposition nécessaire à la grâce, gratia non effet gratia, …sed naturalis forma. Il faut donc tenir fermement l’opinion contraire : la vertu sacramentelle n’a d’efficacité que conséqueinment à la volonté divine et aux dispositions prises par Dieu et à l’action extérieure du ministre : Deus, qui est principale agent, sic voluil et disposait, quod solum hubervt effectum in illo, super quod dirigitur intentio sucerdotis conferentis vel in materia illa, ad quam dirigitur intentio, ideo quantumeumque illa virlus altingit istum hominem vel illum baplizandum vel hanc hostiam consecrandam vel illam, nunquam baptizatur nisi ille super quem dirigit sacerdos seu baplizans suam intentionem nec aliqua hostia consecratur nisi illa super quam fertur intentio sacerdotis. In IV m Sent., dist. I.

c) Jean Duns Scot. — Son opinion sur la causalité sacramentelle a été exposée ici, t. iv, col. 1909-1910. Le florilegium de V. Lampen complète ce qui a été dit alors. Scot traite la question dans le commentaire In /yum Sent., dist. I (Opus oxoniense), Opéra, Paris, 1894, p. 139 sq. Dans une première partie (Lampen, p. 46-55), Scot montre que les sacrements ne sauraient posséder, même selon un être imparfait et transitoire, une vertu divine les rendant aptes à produire instrumentalement soit la grâce, soit la disposition de la grâce : ce serait, en effet, affirmer la possibilité d’une coopération instrumentale de la créature au terme même de la création, la disposition prochaine appelant la grâce étant elle-même une forme simplement surnaturelle, qui ne peut être tirée de la puissance naturelle du sujet. Reprenant les arguments de Richard, Scot insiste à son tour sur l’impossibilité de concevoir pareille disposition dans le sacrement d’eucharistie, soit qu’on envisage le sacrement déjà pleinement réalisé par la consécration, soit qu’il s’agisse de l’acte même de la consécration. Comment dire que les paroles atteignent la transsubstantiation ? Et, d’une manière plus générale, où placer la vertu instrumentale dans les paroles qui se succèdent sans que les précédentes laissent une « disposition » dans les suivantes ? Comment concevoir que l’action d’un instrument composé de multiples paroles et de bien d’autres

éléments matériels puisse produire in inslanli la disposition préalable à la grâce ? Sur ces thèmes généraux, Scot module des variations multiples avec une ironie subtile et souvent déconcertante.

Voici maintenant la reconstruction positive de Scot. La présence de Dieu dans le sacrement n’ajoute rien à la présence affirmée par tous les philosophes per prsesentiam, per potentiam, per esseniiam. Il faut donc qu’elle vienne d’un autre principe. Ce n’est pas du sacrement, qui ne saurait être cause déterminant Dieu à agir. Donc, c’est en suite d’une détermination de la volonté divine qui en a disposé ainsi et s’est engagée devant l’Kglise à produire tel effet attaché au sacrement. Comment dire cependant que les sacrements soient causes de la grâce ? Non pas parce qu’ils ont une action par rapport à la grâce ou à la disposition immédiate à la grâce, puisque grâce et disposition à la grâce ne peuvent être produites que par création. Mais la réception du sacrement constitue la disposition immédiatement requise pour l’infusion par Dieu de la grâce, et ce, non par la production d’une autre disposition intermédiaire entre le sacrement et la grâce, non en vertu d’un rapport naturel ou intrinsèque du sacrement à la grâce, mais simplement en raison de l’ordre imposé par la volonté de Dieu, agent principal. Ipsum sacramentum sive susceptio sacramenfi est talis disposait) immediata, non causons aliam médium inter se et gratiam ; ergo ipsa potest diei aliquomodo causa activa vel instrumentons respecta gratin-… Hsec propositio… : « omnis dispositio nécessitons ad formant… potest dici ipiodammodo causa activa sive émisa instrumentons » respeetu forma' conceditur, quando ex natura sua vel dliquo intrinseco vel ordinatione naturali alicujus agentis superiorts nécessitai ad formant : non sic est hic, sed tantum nécessitai ex ordinatione voluntatis agentis Dei. Lampen, op. cit., p. 55-56.

On le voit, Scot, sans en avoir déjà trouvé le mot, est un véritable précurseur de la causalité morale. Il semble donc que c’est bien à tort qu’on l’ait fréquemment rangé parmi les partisans des sacrements, conditions sine quibus non de la grâce. C’est à cette conclusion, d’ailleurs, que sont parvenus A. O’Neill, La causalité sacramentelle d’après le Docteur subtil, dans Études franciscaines, 1913, p. 1Il sq., et R.-M. Huber, The doctrine of Ven. John Dans Scotus, dans Franciscan studies, n. 4, New-York, 1926.

3. Eclectiques et nominalisles. a) Henri de Gand (t après 1292), auquel Duns Scot se réfère à plusieurs reprises, propose une explication, à première vue originale, mais qui en réalité se rapproche ou de la causalité simplement morale ou même de la simple condition sine qua non. L’explication consiste à comparer l’union de Dieu au sacrement à l’union hypostatique de la divinité et de l’humanité dans l’incarnation. Dans l’incarnation, » la divinité existant dans la chair du Christ par la grâce d’union guérissait les lépreux au contact de la main de Jésus ». Ainsi, les sacrements de la Loi nouvelle sunt émisa gratin' instrumentaliter, non quia aliquid agunt in producendo gratiam plus quam sacramenta V. L., sed quia Deus ut existais est in ipsis ad lactum connu circa illos, quibus administrais, confert gratiam creanilo eam in ipsis. Et per hune minium diriinliir esse instrumenta créai i va gratis…

Quodlibetum IV, q. xxxvii, Paris, l. r >ix, toi. 149 v° sq. Dans Gierens, op. cit., p. 92-93.

b) Durand de Saint-Pourçain (i 1332). Il

accentue encore l’explication dans le sens de la condition sine qua non : in sacramentis non est alii/ua virlus causativa gratis…, sed sunt émisa sine qua non confertur gratin, quia ex divina ordinatione sic /il gund recipiens sacramentum recipit gratiam, nisi pnnel obirem, et rccipil gratiam non a sacramento, sed a Deo. In /Vum Sent., dist. I. q. iv.

c) L'école norninalisle. Dans son ensemble, elle s’attache à l’explication de la condition sine qua non. Voir ici, pour Gabriel Biel, t. ii, col. 822.

Quant à Pierre d’Ailly, il admet nettement que les sacrements ne sont causes qu’improprement dites : Dupliciter potest aliquid diei causa. Uno modo proprie, quando ad prsesentiam esse unius, virtute ejus et ex natura rci scquitur esse alterius, et sic ignis est causa coloris. Alio modo improprie, quando ad præsenliam esse unius sequitur esse alterius, non tamen virtute ejus, nec ex natura rei, sed ex sola voluntate alterius ; et sic cai’sa sine QUA non dicitur causa… Sacramenta N. L. primo modo non sunt causse effectivse gratiæ, sed bene secundo modo, improprie. In IV m Seul., q. i, c. 1, concl. 3° ; cf. Occam, In IVum Sent., dist. i, q. i. 2°.

Conclusion générale.

 Jusqu’au début du

xvie siècle, les systèmes modernes sur la causalité des sacrements n’existent pas encore, du moins sous la forme précise et avec les expressions aujourd’hui reçues. Cependant la période de tâtonnements et de préparation que nous avons étudiée permet de dégager, sous le sens dogmatique (qui s’affirme de plus en plus, surtout à partir de saint Thomas qui lui a donné une impulsion exceptionnelle avec la doctrine de la causalité instrumentale et de l’ex opère operato), diverses tendances théologiques, qui toutes prétendent conserver le dogme acquis de la causalité sacramentelle en l’expliquant de. différentes manières.

Trois tendances s’affirment principalement : la première dans l’ordre chronologique, épouse d’une façon simple, trop simple sereit-on tenté de dire, les contours de la doctrine universellement reçue au Moyen Age du triple aspect du sacrement : sacramentum tantum, res et sacramentum, rcs særamenti (voir plus loin, col. 021). Dans tout sacrement, il faut considérer un effet intermédiaire entre le sacrement extérieur et la chose intérieure du sacrement, la grâce : c’est la réalité sacramentelle du caractère ou de Yornatus animée, disposition préalable à la grâce.

Puis, devant les difficultés que présente cette théorie de la causalité dispositive pour expliquer l’efficacité réelle des sacrements, et surtout après l'évolution qui s’est produite, sinon dans la pensée, du moins dans les formules do saint Thomas, nous voyons s’affirmer, après des hésitations et des tâtonnements dans l'école dominicaine, la célèbre théorie de la causalité immédiate de la grâce, par les sacrements. Cajétan en est l’initiateur. On la retrouvera plus tard sous le nom de causalité physique perfective, deux expressions assez peu propres à en faire comprendre le sens profond.

Enfin, en réaction contre les difficultés, apparentes ou réelles, de l’explication thomiste, surgit avec Scot et reprise plus tard p ; r I.cdesma et Cano, l’explication, toul d’abord dénommée de la pactio divina, disposition, ordination divine, ensuite plus simplement appelée causalité morale. I, 'école franciscaine a préparé cette évolution et les travaux récents de Henriquet et de Rémy pour saint Bonaventure, de O’Neil et de Huber pour Duns Scot. ont heureusement mis en relief les liens étroits de parenté qui unissent l’ancienne opinion franciscaine et la théorie moderne de If causalité morale. I.a raison métaphysique qui a séparé les deux grands courants est, du côté des partisans de la pactio divina et de la causalité morale, l’impossibilité de concevoir une causalité instrumentale dont l’effet se terminerait à la « création » de la grâce : du côté des partisans (le la causalité immédirte de la grâce, la possibilité d’expliquer la production de la grâce dans l'âme autrement que par voie de création pure et simple. En tout cas le progrès incontestable qui s’est fait dans les esprits, quant à ce problème de la « créa.93

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. CAUSALITÉ, NÉGATIONS HÉRÉTIQUES

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tion » de la grâce, a été le coup de mort pour la théorie de la causalité dite dispositive :

" II conviendrait… de ne pas oublier que la théorie de la causalité dispositive a une histoire dont nous ne pouvons pas la détacher : elle est entrée dans l’existence, et elle s’y est soutenue par le moyen d’une théorie particulière sur l’infusion de la grâce dans l'âme. Pour les anciens théologiens, la grâce est créée dans l'âme. On ne dira donc pas que les sacrements la produisent directement et immédiatement : dire que les sacrements produisent la grâce directement et immédiatement revient à dire qu’ils la créent, et nous savons, d’autre part, que nulle cause créée ne peut servir d’instrument dans une œuvre de création. Que devaient faire les théologiens devant la rigueur de cette déduction ? Beaucoup d’entre eux avaient pris un parti qui n'était pas hon : puisque les sacrements ne peuvent servir, comme instruments, à la production de la grâce, ils en conclurent que les sacrements n'étaient pas causes, mais conditions de la grâce. Ainsi prit jour la théorie de la causalité occasionnelle. Celle-ci apparut, en effet, trop faible, trop minimiste, expression imparfaite et inadéquate des textes traditionnels : tout en maintenant l’idée de la création de la grâce, il fallait, quand même, renforcer l’idée de la causalité sacramentelle. Dans le grand embarras où se perdit un moment la théologie pour mettre d’accord deux choses qui lui paraissaient, â la réflexion, de plus en plus éloignées, un exemple favorable fut trouvé : c’est celui de la génération humaine. L'âme humaine n'était-elle pas créée, elle aussi ? ]".t cependant refusait-on au père une certaine influence dans sa production ? De son acte résulte, au contraire, dans l’organisme, la disposition dernière qui nécessite la création de l'âme : son intervention ne va pas plus loin, mais elle va jusque là. Pourquoi n’admettrait-on pas qu’il en est de même de la causalité sacramentelle ? II semble qu’il y ait correspondance parfaite dans les deux cas. De même que l'âme humaine échappe â la causalité du père, ainsi la grâce échappe, elle aussi, â la causalité du sacrement : leur création les place, l’une et l’autre, au-dessus du monde créé ; mais, en retour, de même que le père dépose dans l’organisme une disposition qui nécessite l'âme, ainsi le sacrement dépose dans l'âme une disposition qui nécessite la grâce : dispositio, quie est nécessitas, quantum in se est, ad yratiæ susceptionem. Tous les scrupules des théologiens étaient apaisés. La causalité dispositive représentait une formule suffisante, une formule honorable, la seule en tout cas qui fût possible, si l’on admettait la création de la grâce. — Que suit-il de là? — Il suit de là que la causalité dispositive vaut ce que vaut la création de la gract. Si la „i -ice n est pas cr ; ie, la eau.dit : diapositive devient une chimère : elle n’a eu de raison d'être que dans l’hypothèse de la création de la grâce ; celle-ci étant trouvée fausse, celle-là demeure sans soutien. Ainsi touchons-nous du doigt l’explication du progrès qui s’est accompli dans l’esprit de saint Thomas quant à la causalité dispositive : aussi longtemps qu’il a cru à la création de la grâce, saint Thomas a cru à la causalité dispositive ; il a abandonné la causalité dispositive, dès qu’il eut abandonné la création de la grâce. » Ami du clergé, 1926, p. (53.

L'école franciscaine, surtout après Scot, Martin de Ledesma et Melehior Cano se retournant, pour éviter la difficulté, vers l’hypothèse de la pactio divina ou de la causalité morale a-t-elle été plus heureuse ? N’est-elle pas retombée, sans le vouloir, dans tous les inconvénients de la causalité occasionnelle ? (l’est ce que la théologie postérieure au concile de Trente examinera.

II. LES NÉGATIONS HÉRÉTIQUES ET LES DEFINITIONS DV CONCILE DE TUENT E.

1° Avant le protestantisme : les premières décisions de V Eglise relatives au dogme de l’efficacité sacramentelle. — Sous des formes bien diverses, le dogme de l’efficacité sacramentelle a été attaqué depuis les premiers siècles. La querelle des rebaptisants en pourrait peut-être fournir un premier exemple ; celle des réordinations un autre, encore qu’il ne faille pas trop insister sur cet aspect. Les négations des vaudois et des cathares quant à l’efficacité des sacrements administrés par des prêtres pécheurs ; plus tard encore, les assertions de WiclefT et de Hus sur des points analogues obligeront l'Église à formuler sa pensée plus nettement, soit par la condamnation expresse

des erreurs avancées, soit dans une proposition positive de la doctrine. Sans refaire ici l’histoire de ces erreurs qu’on trouve ailleurs dans les différents articles de ce dictionnaire, il sera utile de récapituler brièvement les premières décisions de l'Église relatives au dogme de l’efficacité sacramentelle.

1. Les formules générales.

a) À propos du baptême, le concile de Carthage de 418 anathématise ceux qui voudraient prétendre qu’en baptisant les petits enfants en rémission des péchés, on emploie une formule fausse, les enfants n’héritant pas d’Adam le péché originel. Il faut croire, au contraire, avec l'Église que les petits enfants sont vraiment baptisés en rémission des péchés, cette régénération les purifiant des souillures contractées par eux dans la génération. Can. 2. Denz.-Bannw., n. 102. Le baptême a donc une réelle efficacité à l'égard du péché originel.

b) Le 11° concile d’Orange (529) déclare dans la profession de foi finale qu’après la grâce reçue par le. baptême, tous les baptisés peuvent et doivent, avec le secours et la coopération du Christ, remplir, s’ils veulent fidèlement y travailler, les devoirs qui importent au salut de leur âme. Denz.-Bannw.] n. 200.

c) La lettre d’Innocent III à Ymbert d’Arles (1201), insérée aux Décrétâtes, t. III, tit. iii, 42, Majores, jette le blâme sur ceux qui prétendent que le baptême est conféré inutilement aux enfants, disant que la foi ou la charité et tes autres vertus ne peuvent leur être infusées, même en tant qu’habitas, parce qu’ils sont incapables de consentir. Denz.Bannw., n. 410. La même décrétait' indique que le baptisé, même ne recevant pas la grâce (rem sacramenti) en raison d’une fiction qui s’y oppose, reçoit néanmoins en certains cas le caractère. Id., n. Il 1. De ces documents on doit conclure que le sacrement par luimême opère un effet dans l'âme.

d) Dans la profession de foi imposée aux vaudois, le même Innocent III les oblige à reconnaître une véritable efficacité aux sacrements administrés par un prêtre pécheur. Ht il ajoute que le baptême ouvre le ciel aux enfants qui l’ont reçu, s’ils viennent à mourir avant d’avoir commis d’autres péchés ; que tous les péchés, tant le péché originel que ceux volontairement commis sont remis par le baptême. Denz.-Bannw., n. 424. Contre les mêmes hérétiques, le I v concile du Latran, sous le même pape, enseigne l’efficacité de l’eucharistie quant à la transsubstantiation du pain au corps, du vin au sang (du Christ) ; l’utilité pour le salut du baptême convenablement conféré par qui (lue ce soit ; la possibilité de réparer par la pénitence les chutes commises après la réception du baptême. Denz.-Bannw., n. 130. Toutes expressions qui marquent bien que les sacrements opèrent salutairement en l'âme du chrétien.

e) Grégoire IX renouvelle contre les cathares et autres hérétiques les mêmes condamnations ; donc promulgue de nouveau la doctrine de la valeur des sacrements dûment administrés. Denz.-Bannw., n. 444.

2. Les formules plus directes.

a) Le concile de Vienne publie une déclaration sur l’efficacité du baptême dans l'âme des petits enfants, approuvant l' « opinion » qui enseigne qu’aux enfants comme aux adultes est conférée dans le baptême la grâce informante arec les vertus. Denz.-Bannw., n. 483.

b) Le concile de Florence prélude d’une façon plus complète aux canons de Trente. Tandis que les documents précédents ne s’occupent guère que de l’efficacité du baptême, le décret Pro Armenis envisage, avant toute déclaration particulière à chaque sacrement, une déclaration sur les sacrements en général. L’instruction pratique aux Arméniens est empruntée presque textuellement à l’opuscule De articulis fidei et Ecclesiæ sacramentis de saint Thomas d’Aquin. À l’article SACREMENTS. CAUSALITÉ, NÉGATIONS HÉRÉTIQUES

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Ordre, voir t. xi, col. 1316, nous avons dit quelle autorité il semblait convenable d’attacher à ce document auquel le concile de Trente s’est référé si souvent et sans restriction.

Nova ; Legis septem sunt sacramenta videlicet baptis mus, confirmatio, eucharistia, pænitentia, extremaunctio, ordo et matrimonium, qua-multum a sacramentis differunt antiquæ Legis. Illa enim non causabant gratiam, sed eam solum per passionem Christi dandam esse figurabant : hæc vero nostra et continent gratiam, et ipsam digne suscipientibus conférant.

I lorum quinque prima ad spiritualem uniuscujusque hominis in seipso perfectionem, duo ultima ad totius Ecclesia : regimen multiplicationemque ordinata sunt. Per baptismum enim spiritualiter renascimur : per confirmationem augemur In gratia et roboramur in fide ; renati autem et roborati nutrimur divina eucharistiæ alimonia. Quod si per peccatum segritudinem incurrimus animse, per poenitentiam spiritualité ! ’sanamur ; spiiitualiter etiam et corporaliter, prout animse expedit, per extremam unctionem ; per ordinem vero Ecclesia gubernatur et multiplicatur spiritualités per matrimonium corporaliter augetur.

Il y a sept sacrements de la Loi nouvelle : savoir, le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’extrême-onction, l’ordre et le mariage, qui diflêrent beaucoup des sacrements de l’ancienne Loi. Ceux-là, en effet, ne causaient pas la grâce, mais ils la préfiguraient simplement comme devant être donnée par le Christ. Nos sacrements, au contraire, et contiennent la grâce et la confèrent à ceux qui les reçoivent dignement.

De ces sacrements, les cinq premiers sont ordonnés à la perfection spirituelle de chaque homme considéré individuellement ; les deux derniers, au gouvernement et à l’accroissement de l’Église entière. Par le baptême, en effet, nous renaissons spirituellement ; par la confirmation, nous recevons un accroissement de grâce et sommes fortifiés dans la foi ; ainsi appelés à une vie nouvelle et fortifiés, nous sommes nourris par l’aliment divin de l’eucharistie. Que si, par le péché, nous tombons dans une maladie de l’âme, c’est la pénitence qui nous guérit spirituellement ; l’extrême-onction pareillement nous guérit spiiituellement et même corporellement, si c’est utile à l’âme. L’ordre permet à l’Église d’être gouvernée et spirituellement multipliée, tandis que le mai iage pourvoit à l’accroissement du nombre de ses membres.

Tous ces sacrements ont leur achèvement en trois éléments, à savoir : les choses comme matière, les paroles comme forme, et la personne du ministre qui les confère, avec l’intention de faire ce que fait l’Église. Si l’un de ces éléments fait défaut, le sacrement n’est pas conféré.

Parmi ces sacrements il y en a trois, le baptême, la confirmation et l’ordre, qui impriment dans l’âme, d’une manière indélébile, un caractère, c’est-à-dire un signe spirituel, distinct if des au très hommes. En conséquence ils ne peuvent être réitérés dans la même personne. Les quatre autres sacrements n’impriment pas de caractère et admettent la réitération.

Cet exposé conciliaire est un excellent résumé de toute la théologie sacramentaire, telle que le. magistère ordinaire de l’Église l’a empruntée à saint Thomas. L’énumération des sept sacrements, voir ci-dessus, col. 530 ; l’affirmation de la causalité des sacrements de la Loi nouvelle, c’est-à-dire des sacrements institués par.Jésus-Christ, par rapport à la production de

Hæc omnia sacramenta tribus perficiuntur, videlicet rébus tanquam materia, verbis tanquam forma, et persona ministri conferentis sacramentum cum int entione faciendi, quod facit Ecclesia : quorum si aliquod desit, non perficitur sacramentum.

Inter hæc sacramenta tria sunt : baptismus, confirmatio et ordo, quæ charact erem, id est, spirituale quoddam sigmim a ceteris distinctivum, imprimunt in anima indélébile. Unde in eadem persona non reiterantur. Reliqua vero quatuor characterem non imprimunt et reiterationem admittunt.

Denz.-Bannw., n. (><>.">.

la grâce, continent et conférant, en opposition avec le rôle des sacrements de l’ancienne Loi qui ne faisaient que préfigurer la grâce à venir. Suit l’exposé de la convenance du septénaire en conformité avec les exigences de la vie spirituelle de l’homme considéré soit comme individu, soit comme membre de l’Église, voir ci-dessus, col. 538. Le concile reprend ensuite. brevissima formula selon son expression, la doctrine de la matière et de la forme, du rôle du ministre et de la nécessité pour lui de l’intention de faire ce que fait l’Église.

Enfin se trouve affirmée la doctrine catholique du caractère imprimé par trois sacrements qui, par là même, ne peuvent être réitérés.

En parlant non seulement du caractère, mais encore de la grâce conférée par les sacrements à ceux qui les reçoivent dignement, le concile touche à la question des effets des sacrements et des conditions requises dans le sujet pour recevoir ces effets salutaires. Voir plus loin.

La question des sacrements est également touchée au concile de Florence dans le décret Pro jacobilis. On y affirme tout d’abord la cessation, depuis la venue du Christ, des sacrements de l’ancienne Loi et l’institution des sacrements du Nouveau Testament. Cette affirmation générale tend à réprouver, en particulier, l’usage de la circoncision et à proclamer la nécessité de recourir au baptême pour la régénération de l’âme même des petits enfants, lesquels doivent être régénérés le plus tôt possible après leur naissance, en raison des dangers que court souvent leur existence. Denz.-Bannw., n. 712.

c) Bien que chronologiquement les sessions reconnues du concile de Constance soient antérieures au concile de Florence, nous rappelons seulement ici les condamnations portées contre Wicleff et Hus, en raison de l’affinité de la doctrine de ces deux hérétiques avec les erreurs de Luther. Sans doute cette affinité est encore assez lointaine ; car Wicleff et Hus ne nient pas l’efficacité des sacrements en général ; leur erreur ne vise qu’un cas particulier, celui du ministre administrant un sacrement en état de péché mortel : Si episcopus vel sacerdos exsislal in peccato mortali, non ordinal, non consecrat, non conficit, non bapiizat. Prop. 4, Denz.-Bannw., n. 584. À cette proposition font écho un certain nombre d’erreurs de Jean Hus, où la doctrine de l’Église sur les sacrements est ou explicitement ou implicitement attaquée. Cf. prop. 8, 22, 24, 25, 30 ; Denz.-Bannw., n. 634, 648, 650, 651, 656. Mais c’est surtout dans l’interrogation 22 proposée aux wicleffistes et aux hussiles (bulle Inter cunctas, 22 février 1418) qu’on retrouve la pensée du concile de Constance : Utrum credat, quod sacerdos cum débita materia et forma et cum intentione faciendi quod facit Ecclesia, vere conficiat, vere absolval, vere baplizet, vere conférât alia sacramenta ? Denz.-Bannw., n. 672.

2° Les doctrines protestantes visées par le concile de Trente. — Le titre de ce paragraphe montre quel en est l’objet. Nous n’envisageons pas ici l’exposé synthétique de la doctrine protestante sur l’efficacité des sacrements. Cet exposé a été fait à Réforme, t. xiii, col. 2062-2068. En bref, la justification n’étant que l’imputation faite au pécheur par Dieu des mérites du Christ, en raison de la foi-confiance que l’homme pécheur manifeste à l’égard du Sauveur, le rôle des sacrements est très minimisé. Pour les protestants, les sacrements sont des rites extérieurs, signes des promesses divines, et dont l’unique effet est d’exciter dans les âmes la foi justifiante. Par eux-mêmes, ils n’opèrent pas plus que les sacrements pré-chrétiens.

Le 17 janvier 1546, le cardinal Cervino, deuxième président du concile, proposa à l’examen de rassemblée les erreurs recueillies flans les livres des héré

tiques, touchant les sacrements en général. Conc. Trid., édit. Ehses, t. v, p. 835-836. Sur le nombre (1), voir col. 536.

2. — Sacramenta non Les sacrements ne sont esse necessaria, et sine eis ac pas nécessaires ; sans eux, eorum voto per solam fidem même sans les désirer, les homines a Deo gratiam hommes, par la foi seule, adipisci. peuvent obtenir la grâce de

Dieu.

L’erreur ici signalée touche directement à la nécessité des sacrements. Sans doute l'Église catholique ne professe pas que tous les sacrements sont également nécessaires ; mais ici l’erreur protestante affirme qu’aucun sacrement n’est nécessaire. Et par là, indirectement, se trouve attaqué le dogme de l’efficacité sacramentelle. La proposition signalée donne la raison même pour laqu’elle les réformateurs nient la nécessité des sacrements, c’est qu’ils ne sont efficaces que par la foi et donc que, sans eux, les hommes, par la foi seule, peuvent obtenir la grâce de Dieu.

Les Actes du concile ne donnent ici aucune référence : cette erreur se confond d’ailleurs avec l’erreur fondamentale du protestantisme en matière de justification. Mais certaines rédactions des Actes substituent à cet article 2 la rédaction suivante, où se reflète une pensée de Mélanchthon :

Orationes et applicationes Les prières, les afflictions et eleemosynæ verissimepos-les aumônes peuvent, en se dici sacramenta. toute vérité, être appelées

sacrements.

Mélanchthon en effet avait écrit : Cur non addimus orationem, quæ verissime potest dici sacramentum ; habet enim mandatum Dei et promissiones plurimas et collocala inter sacramenta quasi in illustriori loco invitai homines ad orandum… Possent hic numerari etiam eleemosynæ, item afflictiones, quæ et ipsæ sunt signa, quibus addit Deus promissiones… Apologia confessionis, a. 14, dans J.-Th. Millier, Symbolische Bûcher, p. 204. Mélanchthon donne lui-même la raison de son assertion : signes des promesses divines, prières, afflictions, aumônes ont, par la foi, la même efficacité que les sacrements.

3. — Nullum sacramentum Aucun sacrement ne l’emesse alio dignius. porte sur un autre en dignité.

Luther : Deinde et sacramentum vel primum esse sunxerunt (se. catholici baptismum), cum tamen sacramenta nulli ministrare nisi sacerdotibus permittant, nec ullum sacramentum altero dignius esse possit, cum omnia constant verbo Dei. De instituendis ministris Ecclesiæ, ad senatum Pragensem, Œuvres, édit. de Weimar, t.xii, p. 181.

La doctrine catholique, on le verra plus loin, admet un ordre de dignité ou d’importance entre les sacrements. Pour les protestants, il n’en saurait être ainsi : l’efficacité sacramentelle dépendant uniquement de la foi du sujet, tous les sacrements sont également opérants ou inopérants, également utiles ou inutiles.

4. — Sacramenta novæ Les sacrements de la Loi Legis non conferre gratiam, nouvelle ne confèrent pas la etiam non ponenti obicem. grâce, même à qui n’y met

pas obstacle.

Ici le dogme traditionnel de l’efficacité sacramentelle est directement et explicitement nié.

Luther : Usitala, sed hæretica sententia est, sacramenta novæ Legis dare gratiam iis, qui non ponunt obicem. Prop. 1 de la bulle Exsurge Domine, Denz.Bannw., n. 741 ; sources : Assertio omnium articulorum M. Lulheri per bullam Leonis novissime damnatorum, a. 1, Weimar, t. vii, p. 101-103, avec références à : 1) Resolutiones disputationum de indulgentiarum virilité (1518), concl. 7, Weimar, t. i, p. 544 ; 2) Adversus

execrabilem Antichristi bullam (1520), a. 1, ibid., t. 1, p. 608.

La proposition de la bulle Exsurge Domine est ainsi libellée : « C’est une opinion hérétique, bien que commune, que les sacrements de la nouvelle alliance confèrent la grâce sanctifiante à ceux qui n’y mettent point d’obstacle. » Le texte censuré par la Sorbonne complète la pensée luthérienne : « Puisqu’il est impossible que le sacrement soit conféré à d’autres que ceux qui ont la foi ou qui sont dignes. » Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. viii, p. 738, note 1.

Il ne sera pas inutile de relater ici l’assertion de la Confession d’Augsbourg, a. 13 : Damnant illos qui docenl, quod sacramenta ex opère operato justificant. Symbolische Bûcher, p. 42. Cf. Apologie de la confession, a. 13 (7), n. 18 : Damnamus totum populum scholasticorum doclorum, qui docent, quod sacramenta non ponenti obicem conférant gratiam ex opère operato sine bono motu utentis. Hœc simpliciter judaica opinio est sentire, quod per cœremoniam juslificaremur sine bono motu cordis, hos est sine fide. Ibid., p. 204.

5. - - Sacramenta mm-Les sacrements n’ont jaquam gratiam atit remissio-mais donné la grâce ou la nem peccatorum dédisse sed rémission des péchés, mais la solam fidem sacramenti. seule foi du sacrement.

Cet article est omis dans les éditions ordinaires des Actes du concile. L’idée qu’il exprime est conforme au système protestant de la justification par la foi seule : on trouve ce texte dans Luther, Quæslio circularis de origine gratiæ (1520), n. 7, Weimar, t. vi, p. 471. Cette idée détruit également l’efficacité sacramentelle.

6. — Statim post lapsum Aussitôt après la chute Ada ? fuisse sacramenta a d’Adam, Dieu a institué des Deo instituta, in quibus sacrements, dans lesquels gratia daretur. était donnée la grâce.

(Autre texte) :

Ktiam ante Christum Même avant le Christ la

fuisse collatam in sacramen-gr ::^ fut confirit dans les

tis gratiam. sacrements.

C’est dire que les sacrements de la Loi nouvelle n’ont pas plus d’efficacité que les sacrements préchrétiens. Luther : Sacramenta gratiæ Christi passione et morte virtutem esse sortita concedimus, sed non esse talia nisi (in) Novo Testamento, nec statim post lapsum Adæ fuisse negamus. Disp. de origine gratiæ n. 1, 2, Weimar, t. vi, p. 471. — Mélanchthon : Vere fuit baplismus vehi in arca per diluvium ; vere fuit baptismus transitus per mare, lamelsi Paulus dicat illos in Moysc baplizatos esse (I Cor., x, 2). Disp. de baptismo, Corp. reformat., t.xii, col. 500.

7. — Sacramentis dari Les sacrements donnent la tantummodo gratiam cre-grâce seulement à ceux qui dentibussibiremittipeccata. croient leurs péchés remis.

La Confession d’Augsbourg, a. 13, condamne illos qui docent, quod sacramenta ex opère operato justificent, nec docent fidem requiri in usa sacramentorum, quæ credat remilti peccala. Symb. Bûcher, p. 42. — Luther : Sacramenta Novi Testamenti promitlunt omnibus, danl vero solum credentibus gratiam. Disp. de fide infusa et acquisita, n. 19, Weimar, t. vi, p. 86.

8. — Non dari gratiam in Les sacrements ne donsacramentis semper et omni-tient pas la grâce toujours et bus, quantum est ex parte à tous, en ce qui concerne Dei, sed quando et ubi visum l’action divine ; ils la donnent est Deo. quand et où il plait à Dieu.

Confession d’Augsbourg, a. 5 : Per verbum et sacramentum iamquam per instrumenta donatur Spiritus sanctus, qui fidem efficit, ubi et quando visum est Deo, in iis qui audiunt evangelium. Symb. Bûcher, p. 39.

9. — In nullo sacramento Aucun sacrement n’imimprimi characterem, sed prime de caractère : le rem fictitiam esse. caractère est une fiction.

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    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. CAUSALITÉ, LE CONCILE DE TRENTE

600

Lut lu-r : Concedo ut characterem hune papa imprimai, ignorante Christo. Capt. babyl., Weimar, t. vi, p. 5(>7.

lu. Malum minlstrum Le mauvais ministre ne non conferre sacramentum. confère pas le sacrement.

Aucune référence. : hune errorem, dit simplement le texte, lenent anabaptistes. Il serait plus exact de renvoyer à l’erreur visée par la bulle Inter cunctas, n. 22, Denz.-Bannw., n. (>72.

11. Omnes christianos Tous les chrétiens de l’un cnjusve sexus habere parem et l’autre sexe ont un poupotestatem in verbo et sa-voir égal pour le ministère de cramento ministrando. la parole et des sacrements.

Luther : Omnes ehristiani habent eamdem potestatem in verbo et særamento quoeumque, et étapes Ecclesise omnibus sunt communes. - Ou trouve dans la Capt. babyl., plusieurs passages où se trouve équivalemment cette assertion. De særamento baptismi. mais surtout De online, Weimar, t. vi, p. 536-537, 564, 566.

11 semble que le concile de Trente ait emprunté la proposition au texte de la Delerminatio super doctrina Lulheri huetenus revisa, 15 avril 1521, de la faculté de théologie de Paris. Cf. Hefele-Leclercq, Hist. des conciles, t. viii, p. 760.

12. — Quemvis pastorem Tou1 pasteur a le pouvoir habere potestatem forma ; d’allonger, de raccourcir, do sacramentorum prolongandi modifiera son gré les formes e1 abbreviandi pro arbitrio des sacrements.

suo et mutandi.

Cette proposition est donnée, par Y Antididagma de Gropper, comme formulée par Bucer, dans son De reformatione instituenda, aux habitants de Cologne. Le titre exact de l’ouvrage de Bucer est : Noslra Hermanni ex gratia Dei areh. Coloniensis et principis elecloris… simplex ac pia deliberatio qua rationc christiana et in Verbo Dei fundata reformatio doelrinæ, administrationis divinorum sacramentorum, etc. L’ouvrage est extrêmement rare : nous n’avons pu le consulter.

13. — Intention em minis-I.’intention des ministres troruin non requin nihilque n’est pas requise et n’a agere in sacramentis. aucune action dans les sacrements.

Luther : Quidquid eredimus nos aeeepturos esse, rêvera accipimus, quidquid agat, non agat, simulet aut joeetur minister. Capt. babyl., De exlrema unctione, Weimar, t. vi, p. 571.

14. — Sacramenta ob SO-Les sacrements n’ont été

lam lidem nutriendam esse institués que pour alimenter instituta. la foi.

Aucune référence indiquée ; c’est d’ailleurs la conséquence de la doctrine luthérienne sur la justification.

3° Les diseussions des articles protestants, au concile de Trente. — 1. Discussion des théologiens. -— Les discussions des théologiens portent en général sur deux points : qualification à donner aux erreurs ; raisons théologiques de cette qualification. Trente-trois théologiens, réguliers et séculiers, y prirent part. La collaboration aboutissait à fournir, dès le 2 !) janvier 1547, une sélection rationnelle de trois catégories d’articles jugés répréhensibles : ceux qui antérieurement ont déjà été expressément ou équivalemment condamnés et que le concile doit à nouveau purement et simplement condamner ; ceux qui méritent d’être condamnés, mais en ajoutant une explication : enfin, ceux qu’il serait préférable de passer sous silence. Un certain nombre de théologiens estimèrent utile d’ajouter d’autres articles concernant les sacrements, articles qui, d’après eux, méritaient condamnai ion. Ils les énumèrent en quatrième lieu. Voir Conc. Trid., éd. Ehses, p. 863-869.

A la suite de chaque article jugé condamnable, les théologiens indiquèrent les autorités doctrinales qui leur paraissaient justifier la condamnation. De toute évidence, ces indications, très imparfaites, ne sauraient avoir la prétention de tracer, même de loin, les grandes lignes de l’histoire des doctrines. Klles constituent cependant un document d’une réelle valeur et qui témoigne d’un effort très sérieux des membres du concile pour rester fidèles à la ligne de conduite qu’ils s’étaient tracée dans la session iv : ne chercher la vérité qu’à la lumière de l’Écriture et de la Tradition, et en dominant toutes les querelles d’écoles. Aussi les reproduisons-nous en y ajoutant les références exactes trop souvent négligées par le concile et, en ce qui concerne les écrits des Pères, le renvoi à la Patrologie de M igné.

a) Les articles considérés comme condamnables sans discussion, parce que déjà condamnés. — Ce sont ceux qu’on a lus dans la liste précédente, aux n. 4, 5, 7, 8, 10, 11, 12 et 14.

a. L’art. 1 intéresse directement l’objet de ce paragraphe, puisqu’il refuse aux sacrements toute efficacité par rapport à la grâce : sacramenta novæ Leç/is non conferre gratiam, etiam non ponentibus obicem. Contre une telle assertion, les théologiens rappellent les décisions antérieures de l’Église :

(lai., iii, 27 ; conc.de Milève (Carth. XVI), can. 2 (Denz.-Bannw. , n. 102) ; IIe conc. d’Orange, can. 25 (Denz.-Bannw. , n. 200) ; Innocent III, Décret., t. III, tit. xiii, c. 3, Majores (Denz.-Bannw., n. 411) ; IVe conc. du Lalran, c. 1, De fuie catholica (Denz.-Bannw., n. 430) ; Grégoire IX. contre les cathares, Décret., I. V, tit. vil, c. 15, Excommunicamus ( Denz.-Bannw., n.4-14) ; conc. de Vienne, De sununa Trinitate et fide catholica (Denz.-Bannw., n. IS2, 183) ; conc. de Florence, décret Pro Armenis (Denz.-Bannw., n. 69Ô) ; conc. de Trente, sess. vi, c. vi et vu (Denz.-Bannw., n. 798, 799) ; Kusèbe, C.ommentaritt in Lucam, P. G., t. XXIV, col. 5 I I, 553, surtout l’explication de la parabole (xiv, 16 s<j.), col. ">72 si|. ; Basile, De baptismo, t. I, c. ii, 5-8, P. G., t. xxxr, col. 1533-1540 ; Jean Chrysostome, In epist. ad IIiIk, nom. IX, P. G., t. lxiii, col. 75, spécialement col. 64, 77-Sl ; In tien., nom. XXVI ( ?), P. G., t. un, col. 229 sq. : Augustin, Epist., xcvill, Ad Bonifacium, n. 1, P. L., t. xx xiii, col..’i.V.I ; Hugues de Saint-Victor, Sunima sent., tr. IV, c. i ; De sueratn., i, part. I, P. L., t. r.i.xxvi, col. 117, 318.

b. De cet art. 4 doit être rapproché l’article 5 qui déclare que « les sacrements n’ont jamais donné la grâce ni la rémission des péchés, mais seulement la foi du sacrement ».

Contre cet article, les théologiens invoquent les autorités suivantes :

Conc. de Milève, can. 2 ; conc. d’Orange, can. 2.">, déjà cités ; Jean Chrysostome, In epist. ad Ileb., hom. ix, déjà citée ; Augustin, caus. I, q. I, c. (54), Delrahe (texte tiré de In Joannis evang., hom. i.xxx, 3, P. L., I. xxx, col. 1840).

c. Même remarque pour l’art. 7, où l’on affirme que

« la grâce n’est donnée par les sacrements qu’en raison

de la foi du sujet en la rémission des péchés ».

Léon X, bulle Exsurge, prop. lu (Denz.-Bannw., n. 7.">o) ; conc. de Trente, sess. vi, c. ix (Denz.-Bannw., n. 802) ; Décret ! III » pars, dist. IV, De consecratione, c. 34, Baptismi.

d. L’art. 8 attaquait, lui aussi, la causalité sacramentelle et, par le commentaire qu’on peut en tirer du texte de Mélanchthon, accordait à la foi seule une véritable efficacité. On peut dire que cette erreur, fondamentale en matière de causalité sacramentelle, était résumée dans la proposition 1 1 : « Les sacrements n’ont été institués que pour alimenter la foi. »

Les autorités invoquées contre l’art. 8 sont Innocent III au [V* concile du Latran et le concile de Florence, déjà cités.

Contre l’article II : Symbole : Credo… nnum baptisma

in remissionem peccatorum ; conc. de Trente, sess. vi, c. vu (Denz.-Bannw., n. 799) ; S. Grégoire, c. Multi, De consecratione, dist. III (lire : causa I, q. i, c. Mulli sa’cularium) ; S. Basile, De baptismo, déjà cité ; S. Augustin, Enarr. in ps..V.VA 17/ (?), I>. l JÈ, t. XXXVI, col. 390 sq.

e. Les autres propositions, 10, Il et 12 concernent les conditions de l’efïïcacité du sacrement, soit de la part du ministre qui le confère, soit de la part du rite avec lequel le sacrement est conféré. Voir ici Ministre des sacrements, t. x, col. 177(5 sq. ; Matière

ET FORME DES SACREMENTS, t. X, Col. 335 et, plus

loin, col. 635 sq. Pour les autorités invoquées par le concile, voir notre ouvrage : Les décrets du concile de Trente, p. 176.

b) Articles considérés comme condamnables, mais avec une explication justifiant la condamnation. — C'étaient les articles 1, 2, 3, 9, 12. « . Sur l’art. 1, Sacramentel Ecclesise non esse seplem, sed vel plura, vel pauciora quæ vere sacramentel dici possunt, les actes portent la remarque suivante.

Cet article doit être à coup sûr condamné dans sa première partie. Mais d’aucuns estiment qu’il vaudrait mieux passer sous silence la seconde partie (vel plura, vel pauciora I comme on l’a fait à Florence. D’autres, par contre, pensent qu’il doit être condamné intégralement, invoquant : le IV' conc. de Cartilage (Staluta Ecclesise antiqua ?) ; le conc. de Constance, sess. xv ; (le pseudo-) Denys, Hier. cœl., c. iv (déjà cité) ; 4</ ab’olendam, de hæreticis, Décret., I. V, tit. vii, c. 9 ; Augustin. In Joannis evang., tract, cxx, c. ii, P. L., t. xxxv, col. 1953 (Augustin ne parle ici que des sacrements en général. Sur le nombre sept, voir De Gen. ad lit., V, c. v, n. 15, /'. L., t. xxxiv, col. 326) ; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, part. IX, c. v, vi, P. L., t. CLXXVI, col. 326-327 ; cl. ii, part. VI, VII, VIII, XI, XV, XVI.

Quelques théologiens développent les analogies du nombre sept ; d’autres recherchent dans l'Écriture les textes relatifs aux sept sacrements.

b. L’art. 2 niait la nécessité des sacrements, « les hommes pouvant sans les sacrements, même simplement reçus en désir, obtenir la grâce de Dieu ».

D’après certains théologiens, cet article n’appelle pas une condamnation absolue. Tout d’abord, chaque sacrement n’est pas nécessaire à chaque personne. Ensuite il faudrait ajouter : esse necessaria in Ecclesia. D’autres opinent qu’une condamnation absolue est souhaitable. Ils invoquent : conc. de Trente, sess. vi (lire : sess. v), can. 4 ; sess. vi, c. vi, vii, ix ; can. 9, 13, 14 (Denz.-Bannw., n. 791, 798, 799, 802, mais il n’est question que du baptême et de la pénitence) ; conc. de Laodicée, can. 48 (mais il n’est question que du baptême et de l’onction du chrême céleste), éd. Lauchert, p. 77 ; (le pseudo-) Clément, Epist., Ad Julianum (déjà citée) ; Augustin, Contrit Faustum ('.') ; (De baptismo) contra donatistas, IV, c. xxiv, n. 31, P. L., I. xliii, col. 174 (formule générale pour déclarer que ce qui a toujours été observé dans l'Église vient d’une tradition apostolique) ; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis (déjà cité).

c. « Aucun sacrement n’est plus digne qu’un autre ». disait l’art. 3.

Sous des aspects différents, les sacrements peuvent être plus dignes les uns que les autres : certains théologiens se refusent donc à condamner absolument cet article. Mais d’autres le jugent faux et erroné, déjà condamné dans le Décret, HI a pars. De consecratione, dist. IV, c. 99, Sine peenitentia ; Innocent III, Décret., t. III, tit. xli, c. 6, Epist., C.urn Martha ; Melchiade, Epist. ait episc. Hispanim (déjà citée) ; le (pseudo-) Denys, Eccl. hier., ii, Ç 1 et 3, P. G., t. III, col. 415 sq.

d. L’art. et l’art. 12 concernent, le premier le caractère, le second l’intention du ministre. Pour les autorités invoquées par le concile, voir Les décrets du concile de Trente, p. 182.

c) Un seul article (n. 6) » arut à certains théologiens devoir être passé sous silence. — Qu’il y ait eu, aussitôt après le péché d’Adam, des sacrements — ceux qu’on appelle les sacrements préchrétiens — personne n’en

doutait. Mais que ces sacrements aient conféré la grâce et, par conséquent, aient eu la même efficacité que les sacrements de la Loi nouvelle, voilà ce qui pouvait être mis en discussion. On faisait remarquer que certains théologiens scolastiques avaient admis que le mariage était, dès la chute d’Adam, véritable sacrement conférant la grâce, que la maladie du péché ayant toujours existé, il convenait que des remèdes aient été toujours préparés ; qu’enfin, plusieurs rites ou signes de réconciliation avaient été donnés par Dieu aux patriarches, à Noé l’arc-en-ciel, à Abraham la circoncision, à Moïse, la verge. D’autres théologiens opinèrent en sens contraire que la doctrine du Maître des Sentences et des grands théologiens du Moyen Age exigeait la condamnation absolue de cet article, puisque, d’une part, la grâce ne peut être conférée avant la venue de celui qui la donne, Jésus-Christ, que, d’autre part, les sacrements ont tous été institués par Jésus-Christ et qu’enfin le concile de Florence avait, en somme, déjà réprouvé cet article en affirmant que « les sept sacrements de la Loi nouvelle différaient beaucoup des sacrements de la Loi ancienne. Ceux-ci, en effet, ne nuisaient pas la grâce, mais la figuraient simplement comme devant être donnée jxir la passion du Christ ; ceux-là. c’est-à-dire nos sacrements et contiennent la grâce et la confèrent à ceux qui les reçoivent dignement. » Décret Pro Armenis, Denz.Bannw., n. 695. Voir ci-dessus, col. 595, et plus loin col. 606.

lui fait, cet article fut retenu et lit l’objet direct du can. 2.

d) En ce qui concerne d’autres articles à ajouter à ceux qui avaient été proposés, les théologiens s’arrêtèrent à trois : n Tous les sacrements n’ont pas "été institués par le Christ. » « Les sacrements sont seulement les signes et les marques de. notre profession de foi ou encore les symboles de nos bonnes œuvres. » « Il n’existe pas de sacrements dont ne fasse mention l'Écriture. » La première et la troisième de ces erreurs ont déjà été étudiées ici, col. 554-556,

2. Discussion des Pères, - La discussion des articles par les Pères du concile commença le 8 février, mais n’apporta guère de lumières nouvelles. Pour l’intelligence du texte qui devait finalement être adopté dans les canons, il est cependant utile de signaler les modifications demandées par les évêques. Conc. l’nd., éd. Khses, t. v, p. 971-972.

a) Sur les articles catalogués dans la première classe. — Les évêques demandèrent modification de l’art. 5 : per sacramenta nunquam gratiam nul remissionem peccutorum datam fuisse, sed per solain jidem sacramenti.

Dans l’art. 11, suppression de parem, pour ne pas laisser croire que tous les chrétiens ont un pouvoir réel, quoique inégal à celui des piètres pour administrer les sacrements.

En ce qui concerne l’ail. !.. ne pas le condamner absolument : celui qui reçoit un sacrement doit croire qu’il obtiendra par lui la rémission de ses péchés ; ce qui est vrai notamment du baptême et de la pénitence.

Dans l’art. 8, supprimer la finale : sed quando et ubi visum est Deo.

Enfin, quelques Pères demandent une correction à l’art. 10 : minislrum qui est in peccato mortali, non conferre sacramenta. De plus, d’autres remarquent qu’on ni peut condamner cet article sans apporter quelque précision : si le ministre mauvais administre le sacrement d’une façon correcte, il ne nuit pas à sa validité ; il en serait autrement s’il l’administrait mal. On tint compte de ces observations dans la rédaction du canon 12.

b) Sur les articles placés dans la deuxième classe. — A propos de l’art. 1, plusieurs Pères estiment que le

concile de Florence, en déterminant <[u’il y a sept sacrements, a déjà enseigné qu’ils ne sont ni plus ni moins.

A propos de l’art. 2, sacramentel non esse necessaria, on pourrait peut-être ajouter ad salulem hominum.

Dans l’art. 9, il conviendrait d’ajouter que le caractère est imprimé dans 1 1 ois sacrements : baptême, confirmation, ordre.

Enfin, en ce qui concerne l’a. 13, relatif à l’intention du ministre, certains acceptent que l’article, tel qu’il est, soit condamné ; mais d’autres préfèrent une autre rédaction : nullam intentionem ministrorum esse necessariam, à condition de supprimer les derniers mots : nihilque agere in sacramentis. En réalité, en effet, l’intention n’agit pas dans le sacrement.

c) Quant aux articles, places en troisième lieu par les théologiens, comme devant être passés sous silence, les Pères demandent unanimement que l’art. 6 soit rétabli et condamné, puisqu’il a été condamné à Florence.

A la fin des condamnations, certains évêques voudraient ajouter ces mots ou d’autres semblables : Damnât pnelerea sacrosancta si/nodus omnes alios articules, si qui alii ab hæreticis circu prædicta sacramenta asseruntur…

d) En ce qui concerne les trois articles ajoutés par les théologiens, les Pères sont d’avis de les omettre. Le second a déjà été réprouvé dans la condamnation de l’ait. 4, sacramenta non conferre gratiam ou encore, selon d’autres, dans la condamnation de l’article prescrivant la réitération du baptême. Quant au troisième, il vaut mieux l’omettre, car sa condamnation insinuerait que nous avons quelque sacrement dont l'Écriture ne parle pas, alors qu’en réalité il n’existe aucun sacrement dont l'Écriture ne fasse mention, au moins d’une manière implicite.

Les canons du concile de Trente.

À la viie session, qui s’occupa des sacrements, il n’y eut point,

comme dans les sessions v et vi et comme dans les sessions qui devaient suivre, de chapitres doctrinaux, exposant l’enseignement officiel de l'Église, mais toute l'œuvre conciliaire se borna à infliger des anathèmes aux doctrines jugées hérétiques.

Les canons sont au nombre de treize. Leur rédaction fut distribuée aux Pères le 27 février et, dans lacongrégation générale du 28, le cardinal Cervino expliqua pour quelles raisons on avait adopté cette présentation et aussi pourquoi certaines propositions dont on avait demandé la condamnation avaient été écartées. On avait retenu simplement les principales erreurs, les autres devant être réprouvées en bloc dans la condamnation des livres hérétiques.

Les modifications apportées au projet furent minimes. Pour faciliter le travail de comparaison, nous reproduisons d’abord le texte du projet quand il présente quelque différence ; ensuite le texte définitivement adopté avec sa traduction. Les italiques attireront l’attention du lecteur sur les modifications intervenues. Nous pensons faire œuvre utile en transcrivant tous les canons à la suite, même ceux qui ne se rapportent que peu ou point au dogme de l’efficacité des sacrements ; on aura ainsi la pensée intégrale du concile avec la facilité de se reporter aux autres articles du dictionnaire ou aux autres paragraphes de cet article.

Can. 1. — Si quis dixerit, sacramenta nova-Legis non fuisse omnia a Jesu Christo instituta, aul esse plura vel pauciora quant septem, videlicet baptlsmas, conflrmatio, eucharistla, pmnitentia, extrema unctio, ortfo et matrlmonium, aul etiam ediquid horum septem non esse voie et proprie sacrament iiiii, A. S.

Si qui* (fixent, sacramenta Si quelqu’un dit que les

novir Legis non fuisse om-sacrements de la Loi nou nia a.Jesn Christo Domino voile n’onl pas été tons

noalro instituta, videlicet baptismum, confirmât ioncm, Eucharisiiam, pasniteniiam, extremam unctionem, ordi neni et matrimonium ; aut etiam aMquod horum septem non esse vere et proprie sacrament uni, A. S.

institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ] ou qu’il y en a plus ou moi ns de sept, sa voir : le baptême, ta confirmation, l’eucharistie, la pénitence, Fextrème-onction, l’ordre cl le mariage ; ou que quelqu’un de ces sept n’est pas proprement et véritablement un sacrement, qu’il soit anal hi’ine.

Voir le commentaire de ce canon, col. 551.

Can. 2. — Si quis dixerit Si quelqu’un dit que les ea ipsa novæ Legis sacra-sacremertsdelaLoi nouvelle menta a sacramentis anti-ne sont différents des sacrequæ Legis non differre, nisi ments de la Loi ancienne quia cieremoniæ sunt alia' et qu’en ce sens que les ccréalii ritus externi, A. S. munies et le„ rites extérieurs

sont différents ; qu’il soit

anathème.

Ce canon condamne la doctrine des articles luthériens affirmant qu’après la chute d’Adam, la grâce était conférée aux hommes par des sacrements institués par Dieu et qu’en somme le baptême de Jean valait celui de Jésus-Christ. Les théologiens avaient demandé qu’on passât sous silence ces articles. Plus avisés, les Pères se prononcèrent pour l’acceptation d’une formule qui, tout en respectant les opinions scolastiques, frapperait l’hérésie luthérienne. La bonne formule fut trouvée grâce aux évêques de Porto et de lMtonto, formule purement négative et qui se contente d’interdire l’assimilation des sacrements de l’ancienne Loi et des sacrements de la nouvelle.

D’une part, en effet, on ne peut pas nier, sous l’ancienne Loi, l’existence de « sacrements », rites, signes, ayant une efficacité dans l’ordre spirituel. Le mot existe déjà dans les Tracialus Origenis. La chose est expliquée par saint Augustin. Ce saint docteur « s’appesantit sur le rôle des sacrements dans l’ancienne Loi et enseigne avec force que la circoncision constitue le remède institué par Dieu pour guérir le péché originel. S’il ne méconnaît pas et met au contraire en relief les multiples différences entre les sacrements de chaque alliance, il les rapproche plus qu’il ne les oppose et fournit des données essentielles d’où la scolastique tirera de multiples développements sur la nécessité, la valeur, le nombre des sacrements de l’ancienne Loi. » Cavallera, Bulletin de Toulouse, 1914, p. 418.

Mais, par conséquent, d’autre part, dissemblance des deux sortes de sacrements.

Les théologiens scolastiques cherchent à préciser l’efficacité respective de chaque sorte de sacrements par rapport à la grâce. C’est là surtout qu’il affirment à la fois les ressemblances et les dissemblances des sacrements de l’ancienne et de la nouvelle Loi. Trois documents antérieurs à Trente reflètent cette théologie. Innocent III, dans sa décrélale contre les cathares (Décret., pars III », tit. xlii, c. 3) assimile les effets de la circoncision à ceux du baptême. Voir le texte art. Circoncision, t. ii, col. 2524. Le décret Pro jacobitis déclare que les rites sacrés de l’Ancien Testament, sacrifices, sacrements, cérémonies, … medialorem Dei et hominum, Jesum Christum D. N… præsignarunt. Denz.-Bannw., n. 711. Le décret Pro Armenis affirme absolument et sans distinction que les sacrements de la nouvelle Loi diffèrent beaucoup de ceux de l’ancienne, qui non causabant gratiam sed eam solum per passionem Christi dandam esse figurabant. En dehors de cette affirmation assez vague, toute liberté existait chez les théologiens catholiques concernant le nombre de sacrements de l’ancienne Loi et la manière dont, par eux. l’homme recevait la grâce.

Les novateurs n’ayant conservé la doctrine de 605

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. CAUSALITÉ, LE CONCILE DE TRENTE

G06

l’existence de sacrements dans l’ancienne Loi que pour leur assimiler complètement ceux àz la nouvelle et enlever à ceux-ci leur caractère de signe efficace de la grâce, il fallait que le concile, après avoir affirmé l’existence des sept sacrements, entendus au sens propre et véritable, interdît de leur assimiler les sacrements de l’ancienne Loi et de dire que toute leur dissemblance résidait dans la dissemblance des cérémonies extérieures.

Le canon rédigé en ce sens ne fut pas remanié et le texte du projet est identique au texte définitif.

Can. 3. — S. q. d. hæc septem sacramenta ita esse omnibus modis inter se paria, ut nulla ratione aliud sit alio dignius, A. S.

Si quis dixerit h : rc septem Si quelqu’un dit que ces sacrameuta ita esse inter se sept sacrements sont telleparia, ut nulla ratione aliud ment égaux entre eux, qu’il sit alio dignius, A. S. n’en est aucun de plus digne

que l’autre, en quelque manière que ce soit, qu’il soit anathème.

L’article visé par ce canon avait été placé par les théologiens parmi ceux qu’il ne fallait condamner qu’avec explication. Plusieurs Pères avaient insisté également pour qu’on déclarât quomodo sacramenta sint alla aliis digniora. Conc. Trid., t. v, p. 971. Seripandi fit observer que c’était l’affaire des théologiens, non du concile, de donner ces explications. Même l’expression omnibus modis du projet, laquelle était une ébauche d’explication, dut disparaître. Au fond, le canon replacé en face des erreurs qu’il condamne, est parfaitement clair : il s’agit de réprouver l’erreur protestante qui n’attribue de valeur aux sacrements que par la foi qu’ils provoquent dans l’âme. Chaque sacrement a sa signification et son efficacité particulière : les sacrements ne sont donc pas égaux entre eux ; il existe toujours un aspect sous lequel ils peuvent être comparés. Cet aspect peut être celui de la dignité interne (pour l’eucharistie, par exemple), de la nécessité, de la réitération possible, de la relation spéciale qu’ils ont avec les vertus. Cf. Chr. Pesch, Præl. dogm., t. vi, p. 85. Il n’était donc pas opportun de nommer un sacrement plutôt qu’un autre, puisque ces considérations diverses pouvaient s’appliquer à tous.

Can. 4. — S. q. d. hujusmodi sacramenta non esse in Ecclesia ad salutem necessaria, sed superllua, et sine eis aut eorum voto per solam fidem homines a Deo gratiam justificationis adipisci, A. S.

Si quis dixerit sacramenta Si quelqu’un dit que les

nouée Legis non esse ad salu-sacrements de la nouvelle

tem necessaria, sed super-Loi ne sont pas nécessaires

flua, et sine eis aut eorum au salut, mais sont superflus ;

voto pei solam fidem a Deo et que, sans eux ou sans le

gratiam justificationis adi-désir de les recevoir, les

pisci, licet omnia singulis hommes, par la seule foi,

necessaria non sint, A. S. obtiennent de Dieu la grâce

de la justification, bien que

tous ne soient pas nécessaires

àcliacun.qu’il soit anathème.

On voit les modifications subies par le texte. Ce canon est dirigé contre ceux qui affirment que « les sacrements ne sont pas nécessaires et que sans même leur désir, l’homme par la seule foi peut obtenir de Dieu la grâce ». Voir n. 2, col. 601.

La première forme du canon condamnait cet article en y ajoutant quelques précisions. Il fallait, pensaient certains théologiens, auxquels se ralliaient plus d’un Père, spécifier qu’il s’agissait de l’économie actuelle de l’Église et juger de la nécessité absolue ou relative des sacrements en fonction de cette économie. D’où les additions in Ecclesia et ad salutem necessaria. Toutefois l’incise aut eorum voto marquant suffisamment la nécessité relative des sacrements dans l’Église, on

finit par supprimer ces deux mots. L’addition de justificationis à gratiam semblait inopportune à quelques-uns, étant donné que la grâce conférée par le sacrement n’était souvent qu’une augmentation de grâce. Néanmoins, justificationis fut maintenu, les enseignements sur la justification ayant suffisamment éclairé ce point. Enfin, pour bien marquer la différence de nécessité pour chaque sacrement pris en particulier, certains sacrements étant indispensables pour esse, d’autres seulement pour bene esse, les uns ratione sui, les autres ratione præcepti, tels pour les individus, tels autres pour la société, la finale licçt omnia singulis necessaria non sint fut opportunément ajoutée.

On retrouve ici un écho de l’enseignement de saint Thomas, IIP, q. lxv, a. 4.

Can. 5. — S. q. d. hæc Si quelqu’un dit que ces

sacramenta propter solam sacrements ont été institues

fidem nutriendam instituta uniquement pour nourrir la

fuisse, A. S. foi, qu’il soit anathème.

Ce canon condamne l’erreur placée sous le n. 14, col. 599. Il n’y eut pas discussion : l’erreur, en effet, est si manifeste qu’elle entraînait sa condamnation. Le texte du projet ne fut pas même remanié. Le mot important est ici solam.

Can. 6. — S. q. d. sacramenta non continent gratiam, quam significant aut gratiam ipsam rite et digne suscipientibus non conferre, quasi signa tantum externa sint accepta" per fidem gratire vel justitiæ et nota » qu.xdam christiaiw professionis, quibus apud homines discernuntur fidèles al) infulelibus, A. S.

S. q. d. sacramenta novæ Si quelqu’un dit que les

Legis non continere giatiam, sacrements de la Loi nou quam significant, aut gra-velle ne contiennent pas la

tiam ipsam non ponentibus grâce qu’ils signifient ou

obicem non conferre, quasi qu’ils ne confèrent pas cette

signa tantum externa sint grâce à ceux qui n’y mettent

accepta-per fidem gratiaj vel pas d’obstacle, comme s’ils

justitiæ et nota » quædam étaient seulement des signes

Christian » * professionis, qui-extérieurs de la justice ou

bus apud homines discer-de la grâce reçues par la

nuntiir fidèles ab infideli-foi, ou de simples marques

bus, A. S. distinctives de la religion

chrétienne, par lesquelles

les hommes distinguent les

fidèles des infidèles, qu’il soit

anathème.

Cet anathème frappe l’erreur classée la première parmi celles qu’il faut condamner absolument, n. 1, col. 600, cf. col. 597. Mais cette erreur n’a pas fourni seule le thème du canon. Il faut aussi se reporter à l’art. 2 de la série ajoutée par les théologiens, voir col. 602. Cet article avait été signalé, du moins dans sa première partie, par Miranda, O. P. Voir Conc. Trid., t. v, p. 848. La commission chargée de rédiger le canon tint compte des deux erreurs et les réunit dans le texte que nous avons rapporté.

Deux modifications importantes furent faites au premier texte. Tout d’abord le mot sacramenta employé seul présentait l’inconvénient de paraître trancher la question de l’efficacité des sacrements de l’ancienne Loi que le can. 2 avait voulu passer sous silence. Par l’adjonction novæ Legis, on coupait court à toute difficulté. Ensuite l’expression non ponentibus obicem plus technique prit la place de l’expression rite et digne suscipientibus, qui avait pris la place de non ponenli obicem (au singulier), mais qui semblait exiger des dispositions personnelles pour tous les sacrements : ce qui est inexact pour le baptême reçu par les nouveau-nés.

Il est donc indubitable que ce canon atteint directement l’erreur protestante de la justification par la foi seule, laquelle, par le fait même, rend inopérante l’action des sacrements. Les sacrements ne sont pas de simples signes de la grâce ou de la justice reçue par (1(17

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. CAUSALITÉ, LE CONCILE DE TRENTE

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la foi. ou encore de simples marques distinctives des fidèles par rapport aux autres hommes. Mais ils contiennent vraiment, comme la cause contient l’effet, et confèrent la grâce qu’ils signifient, à tous ceux qui ne mettent pas d’obstacle à leur action. On retrouve ici une confirmation authentique <le la doctrine traditionnelle du signe efficace. Voir col. 198-536. Mais il s’agit, précisons-le, d’obstacle à l’infusion de la grâce, non d’obstacle à la réception valide du sacrement luimême. Cf. Vail Noort, Dr sacramentis, t. i, n. 12. Indirectement, ce canon permet de rectifier l’opinion de certains théologiens scolastiques, notamment de Durand de Saint-Pourçain, In I '" m Sent., dist. I. q. [V, qui considéraient les sacrements comme de simples conditions de la grâce.

Ce canon prépare les canons suivants sur la » causalité sacramentelle. Il s’inspire du décret Pro Armenis : nostra (sacramenta) et continent gratiam et ipsam digne suscipientibus conferunt. Denz.-Bannw., n. 695.

Can. 7. — Si quis dixerit, non daii gratiam in hujusmodi saciamen/i'.s-semper et omnibus, qui ea suscipiunt, quantum est ex parte Dei, sed aliquando lantum et aliqulbus, A. S.

S. q. d. non dari gratiam Si quelqu’un dil que la per hujusmodi sacramenta grâce, quant à ce qui est de semper et omnibus quantum la part de Dieu, n’est pas est ex parte Dei, etiam si rite donnée toujours et à tous ea SUSCipiant, sed aliquando par ces sacrements, enc< re et aliquibus, A. S. qu’ils soient reçus avec les

conditions requises ; mais que cette grâce n’est donnée que quelquefois et à quelques-uns, qui] soil anathème.

Ce canon vise les erreurs de la prop. 8, col. 598. Les corrections faites au premier texte apparaissent si bien fondées qu’il est inutile d’insister.

Can. 8. — S. q. d. per ipsa sacramentorum opéra mdlo modo conferri gratiam, sed solam fidem divins promissionis ad gratiam consequendam siillicere, A. S.

S. q. d. per ipsa noyas Si quelqu’un dit que, par l.eijis sacramenta ex opère les mêmes sacrements de la opérai » non conferri gratiam, nouvelle Loi, la grâce n’est sed solam fidem divin : » - pas conférée par l'œuvre promissionis ad gratiam con-même accomplie ; mais que sequendam sufficere, A. S. seule la loi aux promesses de l > i < 1 1 suffit pour obtenir la grâce, qu’il soit anatliéme.

1. La rédaction du canon. Il semble bien que ce canon vise les erreurs, n. 4 et 7, col. 597-598. I.a première proposition avait été d’emblée et sans hésitation classée parmi les propositions hérétiques à condamner absolument. La seconde, bien que considérée comme hérétique, suscita néanmoins quelques observations, car la foi est une. condition requise, pour que le sacre inent, surtout quand il s’agit du baptême et de la pénitence, puisse être fructueux. C’est à la suite de ces observations qu’on formula le canon 8 tel que nous l’avons lu dans le projet.

Toutefois, l’expression per ipsa sacramentorum opéra, reproduite de Luther (et c’est la raison pour laquelle quelques-uns la voulaient maintenir) ne parut pas très heureuse. L'évêque de Bitonto proposa per sacramentel ou per sacramenta ex opère operato (Conc. Trid., t. v, p. 989) ; celui de Badajoz : per usiim sacramentorum ou per opus opération sacramentorum ( l 'acensis, p. 989) ; le général des dominicains : per ipsa sacramenta ou vi aut virtute ipsorum sacramentorum (p. 990) ; celui des servîtes : ex ni sacramentorum (id.) ; l'évêque de Feltre soit per sacramenta, comme l’avait demandé le cardinal de.læn (p. 980), soit l’addition laïK/uam instrumenta (p. 987). Finalement la commission préparatoire s’arrêta au texte pourvu des expressions, moins élégantes sans doute, mais plus techniques, non ponentibus obicem et ex opère operato.

Ce fut, dit à juste titre le P. Cavallera, « tout profit pour L’exactitude et la netteté doctrinale ». Bulletin de Toulouse, 1915, p. 20.

2. L’expression - ex opère operato ». — Ce canon est d’une importance exceptionnelle ; en ce qu’il consacre définitivement et officiellement la fameuse formule : ex opère operato, qui marque le caractère de l’action sacramentelle. Les controverses relatives aux ordinations simoniaques et, plus généralement, aux sacrements administrés par des ministres indignes, ont amené, dans la théologie catholique, l’emploi des formules ex opère operato et ex opère operantis. Si l’action du ministre comme telle peut être répréhensible et coupable, le résultat de cette action, l'œuvre elle-même accomplie dans l'âme du sujet qui a reçu le sacrement est bonne : c’est Vopus operalum. Voir, sur cette formule, Opus opkratum, t. xi, col. 1084.

Le canon précité ne fait que consacrer une tradition théologique de trois siècles. Dans le premier texte proposé à l’approbation conciliaire, l’expression ex opère operato manquait. Nous venons de voir comment la discussion y amena les Pères, au grand profit de l’exactitude et de la netteté doctrinale. Le sens conciliaire de cette expression ressort des canons qui précèdent et préparent le can. 8. Tout d’abord, le concile avait établi, can. 2, que les sacrements de la Loi nouvelle diffèrent des sacrements de l’ancienne Loi. Il déclare qu’ils sont nécessaires et que la foi seule ne suffit pas à obtenir de Dieu la grâce de la justification, can. 4. Il définit que leur utilité ne consiste pas à exciter la foi en nous, can. 5. Enfin le can. 6 prépare, heureusement le sens du can. 8 : les sacrements de la Loi nouvelle contiennent la grâce qu’ils signifient et ils la confèrent ex opère operato. En parlant explicitement de ceux qui n’apportent pas d’obstacle à la grâce, le concile exprime sa pensée sur l’efficacité ex opère operato : il ne s’agit pas d’une sorte d’efficacité magique, indépendante de nos dispositions subjectives, comme les hérétiques l’ont reproché si souvent — et si injustement — à l'Église. À propos du sacrement de pénitence, le concile de Trente repousse cette interprétation aussi fausse qu’injurieuse : « On calomnie indignement les écrivains catholiques en affirmant qu’ils enseignent que le sacrement de pénitence confère la grâce sans aucun bon mouvement de la part de ceux qui le reçoivent ; jamais l'Église de JésusChrist n’a enseigné ni professé cette erreur. » Sess. xiv, c. iv, Denz.-Bannw., n. 898. Là où sont requises certaines dispositions subjectives, le sacrement ne saurait agir si ces dispositions sont absentes ; mais cette condition remplie, il agit par lui-même et non par la foi du sujet qui le reçoit.

L’interprétation théologique de la formule va plus loin et comporte trois précisions que nous avons déjà indiquées à l’art. Opus operatum, col. 1086.

Une dernière remarque est nécessaire, relativement aux opinions théologiques concernant la nature de la grâce sacramentelle et la causalité des sacrements dans la production de la grâce. On trouvera dans Cavallera, Bulletin de Toulouse, 1915-1910, p. 28 sq., 00 sq., l’exposé des opinions théologiques sur ce double sujet, expose rédigé précisément dans le but de montrer que « le concile de Trente n’a aucunenu ni songé a intervenir au sujet des opinions soutenues par les diverses écoles catholiques ». Tout spécialement en ce qui concerne la causalité des sacrements, après avoir rapporté l'évolution de la pensée théologique sur ce point, le P. Cavallera conclut :

< Celte étude détaillée justifie aisément l’altitude réservée qu’il (le concile) adopte. Les termes employés ne sont pas la propriété d’une école : toutes, depuis le xiii siècle où l’on commence à spéculer sur les définitions d’Hugues et de Pierre Lombard admettent que 609

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. CAUSALITÉ, LE CONCILE DE TRENTE

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les sacrements contiennent et confèrent la grâce ex opère operalo, que c’est par eux qu’elle est conférée ; elles vont même plus loin et adoptent toutes les termes de cause dont le concile s’est abstenu. À s’en tenir aux canons de la vii c session, il est donc inexact de soutenir que les expressions employées orientent dans une direction particulière et plus précisément dans le sens de la causalité physique. Ces expressions étaient le patrimoine commun des docteurs catholiques et elles le sont restées. Le concile s’est tenu en dehors de leurs polémiques et ne saurait être à bon droit invoqué en faveur d’aucun système. Il s’est contenté, et cela était et reste l’essentiel, de mettre à l’abri des attaques protestantes le dogme de l’efficacité objective des sacrements de la nouvelle Loi par rapport à la grâce.

Can. 9. — S. q. d. in tribus sacramentls, baptismo se, confirmatione et ordine, non imprimi characterem in anima, hoc est signum quoddam spirituale et indélébile, ratione cujus ea iterari non possiuit, A. S.

S. q. d. in tribus sacra-Si quelqu’un dit que par mentis baptismo scilicet, les trois sacrements du bapconfirmatione et ordine, non tême, de la confirmation et imprimi characterem in ani-de l’ordre, il ne s’imprime ma, hoc est signum quod-point dans l'âme un caracdam spirituale et indélébile, tère, c’est-à-dire une certaine unde ea iterari non possunt, marque spirituelle et ineffaA. S. cable, d’où vient que ces

sacrements ne peuvent être réitérés, qu’il soit anathème.

Pour comprendre la portée exacte de ce canon, il serait utile de faire une revue de l’histoire de la doctrine du caractère sacramentel. On voudra bien se reporter, pour le détail, soit à l’article du P. Cavallera, Bull, de Toulouse, 1915-1916, p. 75 sq., soit ici à l’art. Caractère, t. ii, col. 1698 sq., soit à l’Ami (/(/ clergé, 1935, p. 737 sq. Il suffit de retenir « qu'à la veille du concile de Trente les seules questions sur lesquelles on fût d’accord étaient l’existence du caractère et son application aux trois sacrements de baptême, de confirmation et d’eucharistie, sa nature de signe spirituel imprimé dans l'âme, sa propriété d'être indélébile et sa connexion avec le fait que ces trois sacrements ne pouvaient être renouvelés. Pour le reste, aussi bien sur la nature intime du caractère que sur son rôle et ses rapports avec l'âme, faute d’indications suffisamment claires dans la tradition, on en était réduit à développer des analogies qui, par leur origine même, prêtaient à des controverses multiples et ne s’imposaient pas à la foi ». Cavallera, art. cit., p. 83.

Les théologiens consulteurs avaient toutefois hésité à condamner comme hérétique la doctrine niant l’existence du caractère sacramentel. Pourtant l’affirmation du caractère sacramentel se trouve déjà dans le concile de Florence : la parenté du texte tridentin et du texte florentin saute aux yeux :

(Florence) (Trente)

Inter hæc, tria sunt : S. q. d. in tribus sacra baptismus, confirmatio et mentis baptismo se, confir ordo, quai characterem, id matione et ordine non im est spirituale quoddam si-primi characterem in anima,

gnum a ceteris distinctivum, hoc est signum quoddam

imprimunt in anima inde-spirituale et indélébile, unde

lebile. Unde in eadem per-ea iterari non possunt, A. S. soïia non reiterantur.

L’omission du petit membre de phrase : a ceteris distinctivum montre la volonté du concile de Trente de ne retenir que ce qui est hors de toute controverse. Cependant, le décret Pro Armenis du concile de Florence n'étant pas une définition proprement dite, on conçoit que certains théologiens aient encore pu, à Trente, éprouver un mouvement d’hésitation. Voir Caractère sacramentel, t. ii, col. 1698.

Can. 10. — S. ([. d. christianos omnes in verbo et in dict. de théol. cathol.

omnibus sacramentis conficiendis et administrandis parem habere potestatem, A. S.

S. q. d. christianos omnes Si quelqu’un dit que tous in verbo et omnibus sacra-les chrétiens ont le pouvoir mentis administrandis ha-d’annoncer la parole (de bere potestatem, A. S. Dieu) et d’administrer tous

les sacrements, qu’il soit ana thème.

Ce canon vise directement l’erreur de Luther, affirmant, dans sa Captivité de Babijlone, que tous les chrétiens ont des pouvoirs égaux, tant pour prêcher la parole de Dieu que pour administrer les sacrements. Voir ci-dessus, col. 599. Déjà, une proposition appliquant ce principe à l’absolution des péchés avait été réprouvée par Léon X, bulle Exsurge Domine, prop. 13, Denz.-Bannw., n. 753. En réalité, c’est l’erreur de tous les anarchistes de l'Église, de tous ceux qui, depuis Montait jusqu’aux vaudois, ont nié les droits et les privilèges de la hiérarchie et du sacerdoce. C’est qu’en effet, dans l’administration des sacrements, l’homme n’agit pas en son nom, mais au nom du Christ qui les a institués et continue à agir par eux, au nom de l'Église à qui le Christ a confié les sacrements comme un bien propre. Il faut donc qu’il soit mandaté, autorisé par le Christ et par l'Église, et c’est l’ordination qui lui donne ce mandat officiel. Voir plus loin, col. 636.

Toutefois, il existe une certaine diversité entre les sacrements. Certains d’entre eux exigent absolument en celui qui les confère une consécration. Quelquefois des circonstances exceptionnelles autorisent un ministre extraordinaire non revêtu de la même dignité et même, comme pour le baptême conféré en cas de nécessité, un simple laïque. De là les distinctions établies par la théologie entre le ministre consacré et le ministre non consacré, le ministre ordinaire et le ministre extraordinaire. Le terme de ministre ordinaire est authentiqué par le concile de Trente à propos de la confirmation, can. 3 (Denz.-Bannw., n. 875).

Dans le premier projet on avait inséré le mot parem pour mieux répondre au texte de Luther. L'évêque de Hitonto demanda sa suppression, pour ne pas paraître admettre un pouvoir quelconque bien que différent chez tous les chrétiens. Conc. Trid., t. v, p. 925. Catharin obtint le maintien de ce mot (p. 933), mais parem disparut finalement sur les instances réitérées de l'évêque de Bitonto et de celui de Porto (p. 986). Administrandis avait été demandé par Pelargus (Storck), O. P., pour bien montrer qu’il s’agit à la fois de la prédication et des sacrements. Le mot fut maintenu, mais en revanche on supprima conficiendis comme inutile (évêques de Badajoz et de Bitonto, p. 989). La suppression de conficiendis fut obtenue sans difficulté ; celle de parem à la majorité des voix (p. 993). La suppression de parem, fait observer Cavallera, aurait dû amener une modification syntaxique : on n’y prit point garde, mais pour bien comprendre le texte actuel, il faudrait le lire ainsi : in verbum et omnia sacramenta administranda potestatem habere.

Can. 11. — S. q. d. in ministris, duna sacramenta conficiunt et conferunt, non requin intentionem faciendi quod facit Iîcclesia, A. S.

S. q. d. in ministris, dura Si quelqu’un dit que l’insacramenta conliciunt et tention, au moins celle de conferunt, non requiri inten-faire ce que fait l'Église, tionem sallem faciendi quod n’est pas requise dans les facit Ecclesia, A. S. ministres des sacrements,

lorsqu’ils les font et les confèrent, qu’il soit anathème.

Ce canon vise la proposition 12 condamnée par la bulle Exsurge Domine, Denz.-Bannw., n. 752, et répond aux préoccupations de l’article 13, col. 599. Cet article avait été classé par les théologiens parmi ceux qu’il fallait condamner cum declaratione. C’est que, una T. — XIV. — 20.

nimes à demander que le ministre ait au moins l’intention de faire ce que fait l'Église, les théologiens allichaient des dissentiments prononcés sur la nature de l’intention requise. Les dissentiments des théologiens mineurs se retrouvèrent chez les évêques. Aussi l’on résolut de s’en tenir à la formule universellement admise et déjà canonisée par le concile de Florence. Ce concile avait déclaré que tous les sacrements « ont leur achèvement en trois éléments, savoir les choses comme matière, les paroles comme forme, et la personne du ministre qui les confère, avec l’intention de faire ce que fait V Eglise. » Denz.-Bannw., n. 695. La discussion du 1 er mars 1547 amena à insérer le mot sallem. En proposant ce mot, on entendait ne pas exclure les autres intentions. L’insertion du mot saltem fut approuvée dans la séance plénière du 2 mars. Ce fut le seul changement apporté à la formule primitive du canon. Avant le concile de Florence, le concile de Constance avait déjà prescrit sur ce point une interrogation aux wicleffistes. Denz.-Bannw., n. 672. Et auparavant, Innocent III avait noté la nécessité de « l’intention fidèle » pour la validité de la consécration de l’eucharistie à la messe. Denz.-Bannw., n. 424.

Par cette condamnation, l’erreur luthérienne sur l’inutilité de l’intention dans le ministre des sacrements est directement atteinte. Mais, en réalité, c’est toute sa conception sacramentelle qui se trouve réprouvée. Pour Luther, le rite sacramentel n’a pas de valeur propre ou d’efficacité objective. Sorte de prédication évangélique en action, il ne sert qu'à éveiller la confiance dans les promesses de JésusChrist. Ce n’est donc pas un acte sacré du Christ qui exige, en celui qui le représente et agit en son nom, un caractère officiel (voir canon précédent), ni même la volonté de se conformer à ses intentions. Le sacrement, ne dépendant que de la foi du sujet qui le reçoit, n’a pas besoin d'être donné au nom du Seigneur. Que le ministre soit prêtre ou laïc, quoi qu’il fasse ou ne fasse pas, qu’il agisse par feinte ou par dérision, si le rite est accompli, une fois la promesse divine suffisamment rappelée à la mémoire de celui qui le reçoit et la foi éveillée dans son âme, l’effet du sacrement est tout entier produit. L'Église, en rappelant (can. 10) la nécessité dans le ministre d’un pouvoir sacré et en opposant ici (can. 11) aux théories protestantes la doctrine de l’intention, fait revivre la vraie notion du sacrement, le rôle nécessaire du ministre, sa mission à elle, mandataire fidèle des volontés du Christ. Sur le développement de ces idées, voir P. Pourrat, La théologie sacramentaire, p. 329-358, et ici l’art. Intention, t. vii, col. 2271 sq.

Le concile de Trente n’a rien défini touchant l’intention requise dans le sujet. Il n’y a aucun doute cependant que le concile suppose la nécessité d’une telle intention. Dans la session vi sur la justification, il enseigne que, pour les adultes, cette justification a lieu « par une réception volontaire de la grâce et des dons ». C. vu. La justification exige aussi, de leur part, une préparation et, parmi les dispositions préparatoires, le concile énumère : le propos de recevoir le baptême, c. vi. L’intention est donc nécessaire. Mais, dans la session vu sur les sacrements en général, nous trouvons plusieurs allusions qui supposent dans l’adulte des dispositions volontaires, donc une intention. Voir can. 6 : non poneniibus obicem et can. 7 : etiam si rite suscipiant, col. 606 ei 607.

On doit donc déduire du concile de Trente la nécessite d’une Intention dans le sujet. Les théologiens préciseront quelle est la nature de celle intention.

Can. 12. - s. (|. (1. miuistrum etiam in peccato et extra graiiam exsUtentem, si alioqufn omnta essentialia qute ad sacramentum conferendum pertinent aervaverit, non conferre sacramentum, A. S.

S. q. d. ministrum in peccato mortuli exsistentem, modo omnia essentl : li î quæ ad sacramentum confideniliui) mit conferendum pertinent servaverit, non conflcere aul conferre sacramentum. A. S.

Si quelqu’un dit que le ministre du sacrement qui, tout en étant en état de péché mortel, observe néanmoins toutes choses essentielles requises pour la confection ou la collation du sacrement, ne fait pas ou ne confère pas le sacrement, qu’il soit anathème.

Le canon visait la proposition 10 soumise à l’examen des théologiens mineurs : Malum ministrum non conferre sacramentum. Voir col. 599. Depuis longtemps le sens de malus minister était fixé. Il s’agit du ministre agissant en état de péché mortel. On le précisa donc. Toutefois, pour mieux distinguer l’indignité morale du ministre, qui n’influence pas la valeur du sacrement, de son insuffisance ministérielle, qui entache l’intégrité de l’action sacramentelle, on ajouta l’incise : si alioquin omnia essenlialia quæ ad sacramentum conficiendum pertinent. La rédaction définitive apporta une précision de plus, marquant qu’il s’agissait de la confection aussi bien que de l’administration du sacrement.

La doctrine traditionnelle de l'Église trouvait ainsi sa consécration solennelle. Jamais, en effet, cette vérité ne fut mise en doute, à moins qu’on ne prenne pour des doutes théoriques les faits de réordination, ce qui est très contestable, car c’est bien plutôt à l’absence de juridiction qu'était rapportée l’invalidité de certaines ordinations. Les scolastiques, s’appuyant sur la doctrine constante des Pères, ont mis en pleine lumière le principe duquel découle la vraie solution, savoir la place exacte du ministre dans le sacrement, son rôle ministériel, purement ministériel, dans la collation de la grâce : Minister Ecclesiæ non agit in sacramentis quasi ex propria virtute, sed ex virtute alterius, scilicet Christi, et ideo in eo non requiritur gratia personalis, sed solum auctoritas ordinis per quam quasi Christi vicarius constituitur. Saint Thomas, De veritate, q. xxix, a. 5, ad 3um. Voir plus loin, col. 635-636.

Depuis longtemps cette doctrine était officiellement consacrée. Aux vaudois, Innocent III impose une profession de foi qui les oblige à reconnaître que les sacrements sont valables, « même s’ils sont administrés par un prêtre pécheur ». Denz.-Bannw., n. 424. Jean XXII condamna l’erreur opposée chez les fraticelles. Denz.-Bannw., n. 488. Le concile de Constance réprouva l’erreur similaire de Wicleff, prop. 4. Denz.Bannw., n. 584, cꝟ. 672. La définition du concile de Trente n’apportait donc aucun élément nouveau au dogme catholique.

Can. 13. — - S. q. d. communes sanctæ romanæ Ecclesiæ ritus in solemni sacramentorum administralione adhiberi consuetos aut contemni aut sine peccato a sacerdotibm omitti aut in novos alios per giioscumque ecclesiarum pastores mutari posse, A. S.

S. q. d. receptos et approbatos F.cclesiæ catholicæ ritus in solemni sacramentorum administratione adhiberi consuotos aut contemni aut sine peccato a minislris pro libilo omitti aut in novos

Si quelqu’un dit que les rites reçus et approuvés dans l'Église catholique et qui sont en usage dans l’administration solennelle des sacrements, peuvent être sans péché ou méprisés ou omis,

alios per guemeumque cccle-selon qu’il plaît aux minis siarnm pastore/n mutari pos-très, ou être changes en

se, A. S. d’autres nouveaux, par tout

pasteur des églises, quel qu’il

soit, qu’il soit anathème.

Ce canon vise deux propositions erronées, soumises à l’examen des théologiens, la proposition 12 des sacrements en général, la proposition Il sur le baptême, ainsi conçue : Hilus alios in baplismo adhiberi solilos liberos esse, id est sine peccato omitti posse et solam inuncrsionem esse necessariam. Conc. Trid., t. v, p. 837. C’est sur la remarque du dominicain Pelargus 613 SACREMENTS, CAUSALITÉ, EXPLICATIONS THÉOLOGIQUES (314

(Storck), procureur de Trêves, que l’article concernant le baptême fut amalgamé avec celui relatif aux sacrements en général. Cette fusion permettait d’embrasser la question des rites dans son ensemble. Parmi les remarques faites à la rédaction primitive du canon, il faut noter l’addition de pro libito, demandée par l'évêque de Castellamare. C’est pour exclure le cas de nécessité, puisqu’alors, tout mépris faisant défaut, il n’y a pas de péché.

On voudra bien aussi observer avec quelle prudence est rédigé ce canon. La question de l’invalidité du sacrement ainsi administré sans les rites habituels ou avec des modifications introduites par la volonté du ministre n’est pas touchée directement. Le concile n’y viendra qu'à la xxie session, c. 2, lorsqu’il déclarera quel est le pouvoir de l'Église concernant les changements dans les éléments des sacrements. Il distinguera éléments essentiels et éléments non essentiels. Ici, ce point de vue, que cependant plus d’un Père avait abordé au cours de la discussion, est complètement laissé de côté. Le concile condamne simplement et d’une manière très générale la prétention des novateurs relativement à l’omission, au changement, à la substitution des rites sacramentels : il déclare que de tels empiétements ne peuvent se produire sans péché. Mais il s’abstient de préciser le degré de culpabilité, certains rites n’obligeant pas sub gravi ; il s’abstient surtout de légiférer sur la validité ou l’invalidité des sacrements administrés dans ces conditions défectueuses, nombre de cérémonies n’ayant aucune influence sur cette validité. En se tenant ainsi dans une prudente réserve, ce canon reflète les préoccupations qui dominèrent les discussions des théologiens et des Pères sur ce sujet.

Il est hors de doute que l’incise sine peccalo affecte les trois propositions disjonctives du canon, bien qu’elle s’insère uniquement dans la seconde. Nous avons tenu compte de ce fait dans la traduction.

Conclusion dogmatique.

Nous avons voulu

rapporter l’ensemble des canons, afin de donner une vue d’ensemble des définitions tridentines. Plusieurs de ces canons ont déjà reçu leur commentaire dans des articles antérieurs ; d’autres recevront plus loin m. surcroît d’explication.

Pour nous en tenir au problème qui fait l’objet de ce paragraphe, l’efficacité des sacrements par rapport à la grâce, voici les affirmations dogmatiques qu’on peut recueillir du concile de Trente :

1. La production de la grâce dans l'âme dépend tellement en certains cas des sacrements que, faute de la réception de ceux-ci, en réalité ou au moins en désir, il est impossible à l’homme d’obtenir la grâce. Can. 4. Voir plus loin, Nécessité des sacrements.

2. Les sacrements de la Loi nouvelle confèrent la race ex opère operato à ceux qui n’apportent prs

d’obstacle à leur action. Can. 7, 8. Voir Opus ope RATTJM.

3. En conséquence, ils ne sont pas uniquement institués pour provoquer la foi dans l'âme du sujet où [a foi agir ; it seule pour opérer la justification. Can. 5, 6.

/oir Justification.

De ces trois notions dogmatiques fondamentales, on doit déduire que les sacrements sont véritablement causes, quoique d’une manière simplement instrumentale, de la grâce. « Contiennent » et « confèrent » la grâce, déclare le concile de Florence, définit le concile de Trente. Le mot « cause » n’existe pas dans les canons concernant les sacrements en général ; mais il existe à propos du baptême, cause de la justification, et même avec l'épithète instrumentale dans la session vi, c. vu : Justificationis causæ sunt… instrumentalis item : sacramentum baptismi. Denz.-Bannw., n. 799. Il est donc conforme, non seulement à l’esprit, mais à

la lettre du concile de Trente d’affirmer que les sacrements sont de véritables causes instrumentales de la grâce.

/II. LES SYSTÈMES EXPLICATIFS DES THÉOLOGIENS

POSTTitiBEiXTixs. — Il reste à expliquer le mode selon lequel le sacrement, comme cause instrumentale, agit dans la production de la grâce.

La causalité morale.

1. Exposé. — Excluant,

après le concile de Trente, l’interprétation de l’opinion des anciens théologiens franciscains ou nominalistes qui auraient présenté la causalité sacramentelle comme une simple causalité occasionnelle (on sait d’ailleurs que pour saint Bonaventure et Duns Scot cette interprétation est contestable et contestée), tous les théologiens catholiques posttridentins, à quelques exceptions près, affirment que les sacrements sont des causes au moins morales de la grâce. En soi, la causalité morale n’est donc pas exclusive de la causalité dite physique : et il importe de mettre en relief ce point de départ.

La causalité morale réside essentiellement en ce que « les sacrements sollicitent Dieu à verser luimême sa vie dans nos âmes, soit en vertu d’un pacte divin, à la manière dont le billet rappelle au débiteur son obligation, soit, comme on l’explique aujourd’hui plus communément avec Franzelin, à cause de leur valeur et de leur dignité intrinsèques, parce que ces rites sacrés sont comme des actions de Notre-Seigneur et acquièrent par là une excellence que Dieu doit exaucer ». E. Hugon, La causalité instrumentale en théologie, p. 119. On ne peut nier que les sacrements aient une valeur objective, une dignité surnaturelle qui détermine infailliblement à accorder à l’homme, par eux, sa grâce. Les sacrements, en effet, contiennent le prix de la grâce, qui est la vertu de la passion du Sauveur. Comme Rédempteur, le Christ a été une cause morale principale de la grâce ; il est donc juste d’affirmer que les sacrements sont causes morales instrumentales (par rapport à Jésus-Christ, cause principale) de la grâce. Cette assertion est commune parmi les théologiens des écoles les plus opposées : Omnes debent fateri, sacramenta de facto habere causalitalem moralem, sive solam, sive simul cum causalitate, physica, de Lugo, De sacramentis, disp. IV, sect. iv, n. 33 ; Sententia affirmons Ma non solum esse instrumenta physica, sed eliam moralia Christi et Dei, videtur probabilior et cummunior est in schola Divi Thomæ, Gonet, Clypeus, De sacramentis, disp. III, a. 4, § 1, n. 137. Cf. Chr. Pesch, Prwlect. theologicw, t. vi, n. 142. Dans ce qu’elle a d’affirmatif, la causalité morale est donc une doctrine non seulement probable, mais certaine.

Mais, comme doctrine d'école, elle présente un sens exclusif et négatif : les sacrements ne sont que causes morales. Toute leur causalité à l'égard de la grâce est épuisée par le fait que la valeur morale des sacrements explique à elle seule la production de la grâce par Dieu. « Ces sacrements sont, en effet, des instruments qui sollicitent efficacement et infailliblement Dieu à donner sa grâce à ceux qui les reçoivent avec les dispositions requises. Vasquez assimile cette puissance de sollicitation du sacrement à celle d’une prière, objectivement efficace ; le sacrement serait comme une prière infailliblement efficace par elle-même et indépendamment des mérites du ministre et du sujet. De même que l’humanité du Sauveur, grâce à ses propres mérites, et que les apôtres, à cause de leur crédit près de Dieu, obtenaient, par leurs prières, les miracles qu’ils accomplissaient, ainsi les sacrements, en vertu de la promesse divine, invitent efficacement Dieu à produire les effets sacramentels. Cf. Vasquez, disp. CXXXII, c. v, n. 80-83. Melchior Cono disait mieux peut-être : les sacrements sollicitent Dieu à accorder 615 SACREMENTS. CAUSALITÉ, EXPLICATIONS THÉOLOGIQUES 616

sa grâce, parce que le « prix du sang du Christ leur est communiqué ». Et cette communication s’entend fort bien si, comme l’insinue Cano, les sacrements doivent être considérés comme étant moralement les actes du Rédempteur, par lesquels il nous sanctifie. Ces actes participent donc aux mérites que le Sauveur a acquis, par l’effusion de son sang. Cf. Relecliones de sacramentis, part. VI, p. 441. Les sacrements ainsi compris, ajoute Cano, contiennent moralement la grâce, puisqu’ils en contiennent le prix : une bourse remplie d’or ne contient-elle pas moralement la délivrance d’un captif, puisqu’il y a en elle le prix de sa rançon ? » P. Pourrat, La théologie sacramentaire, p. 174-175. Outre Melchior Cano, Martin de Ledesma et Vasquez, on peut encore citer comme patronant cette opinion : de Lugo, De sacramentis in génère, disp. IV, sect. iv et v ; Tournely, ibid., q. iii, a. 2 ; les théologiens de Wurtzbourg, De sacramentis in génère, diss. I, c. ii, a. 2, et un grand nombre de théologiens de la Compagnie de Jésus : Lessius, Arriaga, Connick, Hurtado, Becanus, Platel, Antoine, etc.

Au xixe siècle, Franzelin a senti le besoin d'étoffer davantage la doctrine de la causalité morale des sacrements. On reproche à celle-ci de ne supposer dans les sacrements qu’une valeur leur provenant ab extrinseco : Qui acliones sacramentales Christi operationcs moraliler esse dicunt, hoc adverbio significant actiones sacramentales non eliciliva, sed ab extrinseco ex delegatione a Christo facta Christi operationes esse. Stentrup, Soteriologia, th. cxxv. Aussi Franzelin insiste-t-il sur la valeur intrinsèque communiquée aux sacrements par la passion du Christ : les sacrements sont des actions-vicaires du Christ et par conséquent portent en eux une dignité qui appelle infailliblement l’action de Dieu : Christus redemplor sacramenta instituit per legatos suos suo nomine et sua auctoritate administranda ad applicationem meritorum suorum pro singulis iniliatis ; unde consequens est, sacramentis, utpote quie moraliter sunt actiones Christi ipsius, inesse dignitatem suPEKNATUiiALEM ex persona et merilis redemploris, vi eu jus dignilatis exiganl cotlationem qralise pro initiatis. De sacramentis, th. xi. Parmi les modernes et contemporains qui s’inspirent de Franzelin, voir Chr. Pesch. op. cit.. n. 141 sq. ; De Augustinis, De re sacramentaria, th. xvii ; G. Lahousse, Traclatus de sacramentis in genere, de baptismo, de confirmalione, Bruges, 1899, n. 130 ; Bath, Institutiones theologicæ de sacramentis in génère…, Haaren, 1910, n. 90-103 ; Pohle, Lehrbuch der Dogmatik, t. VI, Sakramententehre, Paderborn, 190(>, p. 79 sq. ; Susse, Inslit. theol. de sacramentis Ecclesiæ, t. i, Fribourg-enB., 1897, p. 54-83 ; Einig, Tract, de sacramentis, pars I », Trêves, 1900, p. 17 sq., etc.

2. Discussion.

Le grand argument, on pourrait dire l’unique argument sur lequel s’appuie l’opinion de la causalité morale, ce sont les difficultés inhérentes au système de la causalité physique. On trouvera ces difficultés énoncées par P. Pourrat, op. cit., p. 168172. Cf. Rlondiau, De causalitate physica, morali, intentionali sacramentorum, dans Collationes Namurcenscs, t. xiii (1913-191 1), spécialement p. 202-218 ; Richard, La causalité instrumentale, physique, morale, intentionnelle, dans la Revue néo-scolastique, 1900, p. 5-31 ; 26(5-209. « La raison a toutes sortes de difficultés à concevoir cette activité que posséderait le sacrement, et qui le rendrait capable de produire physiquement un effet transcendant, la grâce. » C’est l’argument invoqué jadis par les partisans de l’ancienne causalité disposil [ve. Voir col. 578 sq. Aussi proclame-t-on le système de. la causalité physique « déroutant pour l’esprit ». Mais, ajoute-t-on, « ce qui est plus grave, c’est qu’il paraît être en opposition avec la doctrine théologique de la reviviscence des sacrements…

La théorie de la causalité physique est radicalement impuissante à expliquer ce fait, car la causalité physique exige rigoureusement la coexistence de la cause et de l’effet, et, dans la reviviscence, le sacrement opère la grâce, lorsqu’il n’existe plus depuis longtemps ». P. Pourrat, op. cit., p. 170, 172. Cf. Vasquez, disp. CXXXII, c. iv, n. 41-44 ; Franzelin, op. cit., th. xi. Enfin, comment le rite sacramentel, qui se compose d’actes et de paroles se succédant peut-il être une cause physique et à quel moment ? En somme, on le voit, ce sont les anciens arguments de Scot, à peine rajeunis. Chr. Pesch construit sa thèse en faveur de la causalité morale : 1° ex dejectu argumentorum quibus probatur physica causalitas ; 2° ex eo quod causalitas physica sacramentorum plane intelligi nequil ; 3° ex reviviscentia sacramentorum. Op. cit., n. 152-165.

Les adversaires de la causalité morale font observer que les difficultés, vraies ou prétendues, attribuées à la causalité physique ne sont pas une raison d’affirmer la vérité de la causalité morale. Sans doute cette dernière explication est facile à saisir ; elle ne heurte pas l’imagination et ne demande aucun effort de raison. Mais une doctrine plus facile à comprendre n’est pas toujours une doctrine vraie, surtout quand il s’agit d’un miracle de la toute-puissance divine dans l’ordre surnaturel : hœc positio, disait déjà saint Bonaventure, mihi videtur ad suslinendum facilior ; nescio tamen quæ sit verior, quia quum loquimur de his quæ sunt miracula, non mullum adhærendum est ralioni. In IVum Sent., dist. I, part. II, q. iv.

Les objections soulevées contre la causalité morale peuvent se ramener à deux points : la causalité morale ne sauvegarde pas la causalité instrumentale des sacrements ; elle leur enlève même toute causalité réelle par rapport à la grâce.

Elle ne sauvegarde pas la causalité instrumentale des sacrements : l’instrument est un intermédiaire entre la cause principale et l’effet, et il ne peut agir que parce que et en tant qu’il est mû par la cause principale. Or, dans l’opinion de la causalité morale, le sacrement n’est pas intermédiaire entre Dieu et la grâce ; c’est plutôt Dieu cet intermédiaire puisqu’en raison de la valeur du sacrement, Dieu est infailliblement amené à donner la grâce. D’où il suit que c’est bien plutôt Dieu qui est mû par le sacrement et non pas le sacrement qui est utilisé par Dieu dans la collation de la grâce. Le sacrement serait donc tout au plus une cause méritoire ou impétratoire.

A cette difficulté, Franzelin, op. cit., th. x, répond en affirmant que « le ministre du sacrement est le représentant de Jésus ; il agit en son nom, puisqu’il célèbre un rite institué par lui et en se conformant à ses ordres. L’action du ministre est donc moralement une action du Christ même. » P. Pourrat, op. cit., p. 176. Sans doute la causalité du Christ est d’ordre moral ; mais la causalité du sacrement, action secondaire et médiate du Christ, sera bien l’intermédiaire entre le Christ et la grâce à obtenir de Dieu. À cette instance, Billot répond fort pertinemment que le mode d’action du sacrement, dans cette conception de la causalité morale participée du Christ, demeure toujours dans l’ordre du motif qui pousse Dieu à intervenir, non dans l’ordre de l’efficience qui agit sous l’influence de la (anse principale. Cf. Billot, De sacramentis, t. i, Rome, 102 1, th. vii, § 1.

Les adversaires de la causalité morale insistent : dans cette opinion, non seulement la causalité instrumentale est supprimée, mais la causalité tout court. Car cette. » dignité intrinsèque » que Franzelin prétend communiquée au sacrement par Jésus-Christ, n’est en réalité qu’une « dignité extrinsèque », puisque tout entière elle vient du Christ, les sacrements ne faisant (pue représenter à Dieu les mérites du Sauveur. De 617 SACREMENTS. CAUSALITÉ, EXPLICATIONS THÉOLOGIQUES 618

sorte qu’en bonne logique on devrait conclure que, dans le système de la causalité morale, les sacrements sont de pures occasions de la grâce et non des causes véritables : « Pour ceux qui n’accordent à nos sacrements qu’une efficacité exclusivement morale, Dieu n’est pas seulement la cause efficiente principale ; il est l’unique cause efficiente de la grâce sacramentelle. Les sacrements concourent médiatement à la sanctification de l’homme, en tant qu’ils sont pour Dieu l’occasion de répandre sa grâce dans les âmes. » N. Gihr, Les sacrements de l'Église catholique, trad. franc., t. i, p. 96.

On pourrait ajouter un argument subsidiaire tiré de la nature même du sacrement de l’eucharistie. Comment peut-on appliquer au corps réel de JésusChrist la théorie d’une simple dignité morale incitant Dieu à donner la grâce au communiant ? Il semble que ce soit singulièrement énerver l’enseignement traditionnel concernant l’efficacité de la chair vivifiante du Christ. On trouvera dans Franzelin, op. cit., th. x, coroll. 1, un essai de réponse à cette objection : caro enim Christi vivifica est et sanctificans non quidem per se et quatenus natura est carnis, sed quia ejus est caro, qui omnia vivificat. P. 123.

La causalité physique.

1. Exposé. — Le mot « physique » ne doit pas ici faire illusion ; il est employé

dans un sens analogique pour indiquer simplement que les sacrements reçoivent de Dieu, cause principale de la grâce, une vertu réelle, quoique spirituelle, lui permettant d’atteindre comme causes efficientes immédiates, quoique simplement instrumentales, la grâce elle-même. Cette opinion « attribue à l’acte sacramentel dûment accompli une véritable efficacité (vera efficientia) ou causalité dans le don de la grâce… On reconnaît dans les sacrements de véritables instruments divins qui, par une certaine vertu et activité surnaturelles, opèrent quelque chose dans la communication de la grâce et, par conséquent, exercent une influence immédiate sur la sanctification de l’homme. Sacramenta N. L. aliquid ad gratiam haben lam operantur. S. Thomas, De veritate, q. xxvii, a. 4. Par opposition à l’efficacité morale, cette vertu des sacrements est nommée efficacité physique ; ce mot, toutefois, ne doit pas être pris comme un synonyme de mécanique. » N. Gihr, op. cit., p. 96-97.

Les partisans de la causalité efficiente instrumentale, dite causalité physique perfective, sont en général tous les thomistes. On l’appelle « perfective » pour la distinguer de l’ancienne théorie « dispositive », qui plaçait l’effet immédiat du sacrement extérieur dans le res et sacramentum, caractère ou ornalus animée, disposition à la grâce. Mais nous avons déjà dit combien ce mot était équivoque, puisqu’il est entendu qu' instrumentaliter operari ou dispositive operari sont synonymes, cette dernière expression n’ayant aucunement le sens de disposilionem operari. Voir col. 585.

Parmi les plus célèbres représentants de l'école thomiste jusqu’au xixe siècle, citons, depuis Cajétan (voir ci-dessus, col. 588) : Jean de Saint-Thomas, op. cit., In III* m part. Sum. S. Thomæ, q. lxii, a. 1, n. 264 (édit. Vives, t. ix, p. 200) ; Salmanticenses, De sacram. in communi, disp. IV, dub. iv, § 1 (édit. Palmé, Paris, t. xvii, p. 319), qui citent en faveur de l’opinion de la causalité physique tous les anciens tenants de la causalité efficiente dispositive : Capréolus, Hervé. Déza, Pierre de La Palu, Gilles de Rome, Soto, etc. ; Silvius, In 7// am part. Sum. S. Thomæ, q. lxii, a. 1 ; Gonet, Clypeus théologies thomisticæ, De sacram. in communi, disp. III, a. 2, § 1, n. 33 ; § 3-5, n. 40-66 ; Billuart, De sacram. in communi, dissert. III, a. 2. Il leur faut adjoindre d’illustres représentants de la Compagnie de Jésus : Suarez, De sacram. in génère, disp. IX, sect. n ; Grégoire de Valencia, ibid., disp. III, q. iii, punct. i ;

Bellarmin, De sacram. in génère, l. II, c. xi et le sorbonniste Ysambert. Gonet nous affirme que le P. Hyacinthe Choquet, O. P. († 1646), comptait déjà à son époque cinquante-trois théologiens remarquables en faveur de cette opinion. De origine gratiee, t. i, Douai, 1628, t. II, disp. VI, c. i. Il n’est donc pas tout à fait exact d’affirmer, avec P. Pourrat, op. cit., p. 173, qu' « un grand nombre d’esprits, et des meilleurs, s'éloignant de l'école thomiste, adoptèrent l’opinion de Melchior Cano, dont le succès grandissait de jour en jour ». D’ailleurs la longue liste de partisans de cette opinion, relevée par les Salmanticenses, op. cit., p. 319, devrait s’allonger, de nos jours, d’une quantité d’autres noms faisant autorité dans le monde théologique : les dominicains Hugon, Tract, dogmatici, t. iii, De sacram. in communi, q. iii, a. 2, et La causalité instrumentale, p. 118 sq. ; Pègues, Si les sacrements sont causes perfectives de la grâce, dans la Revue thomiste, t.xii, p. 339-356, Commentaire littéral de la Somme théologique, t. xvii, p. 62-79 et Dictionnaire de la Somme théologique, t. ii, p. 1173-1188 ; B. Lavaud, Revue thomiste, 1927, p. 292 sq. ; 450 ; P. Synave, Vie de Jésus, édit. de la Revue des jeunes, t. ii, p. 415 cq. ; Marin-Sola, Divus Thomas, janvier 1925 ; Sertillanges, Les sept sacrements de l'Église, Paris, 1911, p. 8 ; Haynal, Angelicum, 1927, etc. lui dehors de l'école dominicaine, les partisans de la causalité physique sont légion : Bucceroni, S. J., De causalitate sacramentorum commentarius ; card. Lépicier, De sacramentis in communi (III* part. Sum. S. Thomæ, q. lxii, a. 4), p. 102, n. 3-17, avec une note sévère (n. 17) pour la causalité morale qui « déroge à la perfection de l’univers » ; Oswald, Die dogmatische Lehre von den heiligen Sacramenten der katholischen Kirche. Munster, 1877 (4e édit.), p. 55 sq. ; N. Gihr, op. cit., trad. franc., p. 96-99 ; Casajoana, Disquisitiones scholastico-dogmaticæ, t. iii, Barcelone, 1890, n. 65-74 ; Hermann, C. SS. R., Institutiones theol. dogm. (7e édit., 1937), n. 1483 (excellent exposé des raisons qui rendent plus probable la causalité physique) ; Heinrich-Gutberlet, Dogmatische Théologie, t. ix, Mayence, 1901, p. 136150 ; Del Val, Sacra Iheologia dogmatica, t. iii, Madrid, 1908, n. 53-58 ; Diekamp-Hoflmann, Manuale theol. dogm., t. iv, p. 42 sq. ; Mattiussi, S. J., De sacramentis animadversiones, Rome, 1913, p. 26 sq. (excellente mise au point de la doctrine de saint Thomas) ; J. O’Connell, De sacramentis Ecclesiæ, t. i, Bruges, 1933, p. 75-78. Nous passons sous silence les articles de revues.

2. Discussion.

a) Les arguments favorables. — a. Cette doctrine est plus conforme à la sainte Écriture. — Elle enseigne que nous renaissons de l’eau (ex aqua), par le bain de la régénération, que la grâce et l’EspritSaint sont donnés par l’imposition des mains, que nous sommes purifiés par le bain du baptême (mundari lavacro). Or les particules ex, per, l’ablatif lavacro, par leur sens propre et obvie, dénotent la causalité physique.

b. Cette doctrine est plus conforme aux assertions îles saints Pères. — Cf. S. Thomas, q. lxii, a. 4. On a vu plus haut, col. 498-527, comment les Pères enseignent l’efficacité du rite sacramentel. Leurs expressions supportent difficilement l’interprétation de la causalité morale. Voir Hugon, La causalité instrumentale, p. 122-125 : « Oratoires, si l’on veut, ces expressions, mais à la condition qu’on ne leur prête pas un sens entièrement étranger à celui qu’elles signifient si naturellement. Tout en recourant aux artifices littéraires et aux métaphores hardies, les Pères entendent bien choisir les images exactes l ; s plus propres à expliquer, à éclaircir le dogme. F’ourquoi donc n’emploient-ils que les exemples de la causalité physique ? Qu’ils n’aient pas songé à toutes les subtilités de la 619 SACREMENTS. CAUSALITÉ, EXPLICATIONS THÉOLOGIQUES 620

vertu Instrumentale, nous l’accordons… bien volontiers ; mais il est certain aussi qu’ils ont voulu attribuer aux sacrements une réelle et puissante efficacité. et leurs expressions ne désignent que la causalité physique. » E. Hugon, La causante instrumentale, p. 125.

c. Plus conforme à la liturgie. — La liturgie de la bénédiction des fonts, au samedi saint, ne s’explique bien qu’en admettant une causalité physique du baptême : la consécration de l’huile au jeudi saint amène la même réflexion. Cf. Hermann, op. cit., n. 1183.

ci. Plus conforme aux déclarations des conciles. — Nos sacrements, disent les conciles de Florence et de Trente, contiennent la grâce qu’ils signifient ; ils la confèrent à ceux qui n’apportent pas d’obstacle ; ils Ja donnent par eux-mêmes. Or, la cause morale ne contient pas l’effet à produire ; elle sollicite, l’agent d’intervenir, mais l’effet réalisé, elle ne l’a pas, elle ne le porte pas, elle ne le donne pas. Les termes de force, vertu (vis, virlus ; cf. conc. de Trente, sess. vii, De baptismo, can. 1) choisis par les Pères de Trente s’entendent tout naturellement d’une réalité physique ; la causalité morale serait mieux désignée par les mots : valeur, dignité, excellence, que le concile a cependant écartés. Le c. vu de la vie session sur la justification est suggestif à cet égard, le concile y distinguant la cause méritoire de la justification de sa cause instrumentale. Le vi verborum employé par le concile pour marquer comment s’opère la transsubstantiation est aussi significatif. Voir Hugon, op. cit., p. 127-137. Sans doute, le concile de Trente n’a pas voulu trancher les controverses d’école ; mais, voulant affirmer en termes précis la causalité réelle, l’ex opère operalo du sacrement, il n’a pu se servir que de termes dont le sens obvie ne peut bien s’entendre que dans le système de la causalité physique.

Les théologiens qui veulent tenir la balance égale entre les deux systèmes citent un passage du catéchisme du concile de Trente qui semble indiquer que le mode de causalité des sacrements nous échappe : Quo autem paclo tanta res et tam mirabilis per sacramentum efjiciatur, ut, quemadmodum sancti Auguslini sententia celebratum est, « aqua corpus abluat, et cor tangat », id quidem humana ratione alque intelligentia comprehendi non potest. Mais on oublie trop ce qui suit : At fidei lumine cognoscimus, omnipotentis Dei virtutem in sacramentis inesse, qua id efficiant, quod sua vi res ipsæ naturales præstare non possunt. C. i, n. 27. On ne prétend pas que le système de la causalité physique puisse se démontrer autrement qu’à la lumière des enseignements de la foi.

e. Plus appuyée sur la raison theologique. — La causalité physique de certains sacrements, de l’eucharistie notamment, mais aussi de l’ordre et du baptême, apparaît si nettement qu’il est de bon raisonnement théologique de l’étendre aux autres. De plus, on ne voit pas très bien comment le système de la causalité morale peut différencier l’action des sacrements de la Loi nouvelle d’avec l’action des sacrements préchrétiens : « La doctrine thomiste fait nettement ressortir l’économie des deux alliances. Dans l’ancienne, le Christ n’agit que moralement, c’est-à-dire que la grâce est conférée en vue fies mérites futurs ; donc les sacrements ne doivent être que des causes morales ; dans la Loi nouvelle, il existe et agit physiquement ; donc, les sacrements doivent être des causes physiques. » Hugon, op. cit., p. 1 15.

b) Les arguments défavorables. — On les trouvera bien résumés et à la fois résolus dans I lervé, Manuale, t. iii, n. 427.

a. Dans le système de la causalité physique, où le sacrement atteint immédiatement la grâce, on peut

se demander où se trouve l’action préalable dispositive qui cependant est requise en tout instrument. — Difficulté à laquelle on a d’avance répondu en distinguant dispositive operari et disposilioncm operari. C’est non dans le terme opéré que se trouve la disposition préalable, mais dans la manière d’opérer que se rencontre l’action dispositive. Cf. Hugon, Tractatus dogmatici, t. iii, p. 82, n. xiii.

b. Comment une vertu spirituelle fia vertu communiquée au sacrement par l’agent principal, Dieu) pourrait-elle être reçue en un sujet corporel ? — Réponse : il ne s’agit pas d’une puissance, être complet et permanent, mais d’une motion, être essentiellement incomplet et transitoire, qui n’est pas faite pour le sujet matériel dans lequel elle passe, mais pour le terme spirituel auquel elle aboutit. Cf. S. Thomas, De vcritale, q. xxvii, a. 4, ad 5um.

c. Les sacrements sont des entités morales ; comment pourraient-ils opérer physiquement. — La meilleure réponse à faire à cette objection est de reprendre le système de Jean de Saint-Thomas sur la constitution du sacrement : l’être moral qui résulte de l’intention du Christ apporte l’unité sacramentelle aux éléments physiques, matière et forme. Par conséquent l’être moral ou de raison se continue dans la réalité par des éléments physiques ; aussi l’institution et l’intention du Christ se prolongeant sur les éléments sensibles du sacrement donnent à la vertu instrumentale d’être réelle et physique et d’agir réellement et physiquement sur la production de la grâce. Cf. Billuart, diss. III, a. 2, obj. 1.

d. Le sacrement ne peut plus opérer physiquement, puisqu’il n’existe plus au moment où la grâce est produite. — « Le rite efficace existe dans son terme et dans son complément définitif, lorsque la dernière syllabe est prononcée ; la signification de la forme étant simple, bien que tous les mots ne soient pas proférés à la fois, la vertu sacramentelle aussi est simple et produit son effet physique au dernier instant. » Cf. S. Thomas, Sum. theol., III a, q. lxxviii, a. 4, ad 3um.

e. La reviviscence de certains sacrements pose une sérieuse objection à l’encontre de leur causalité physique. Comment opéreraient-ils physiquement, puisqu’ils n’existent plus ? — Voir ici Reviviscence, t. xiii, col. 2625-2626.

I. L’objection fondamentale n’est guère touchée par nos auteurs. Il s’agit de la création même de la grâce. Comment une cause créée peut-elle concourir instrumentalement à une création de la grâce dans l’âme ? — On a déjà déclaré à plusieurs reprises que ce n’est pas la grâce qui est directement et immédiatement créée par Dieu dans la justification opérée sacramentellement, mais c’est le sujet lui-même de la grâce qui est élevé par Dieu à un état supérieur. C’est dans cette élévation que peut s’exercer l’action instrumentale. Voir col. 586, 588.

Sans doute, toute obscurité n’est pas enlevée du système de la causalité physique. On ne peut nier cependant qu’il no représente une synthèse remarquable de l’œuvre surnaturelle de la justification et de la sanctification sacramentelles, où il montre « trois facteurs agissant mystérieurement : Dieu, comme cause principale ; la sainte humanité de Jésus et le sacrement comme instruments de cette cause principale. Cf. S. Thomas, P--II æ, q. cxii, a. 9, ad 2um. Ces facteurs agissent d’une manière semblahle, c’est-à-dire effectivement, mais il y a entre eux subordination en même temps que compénétration intime. Il faut, en effet, distinguer entre l’instrument uni à celui qui agit par ce moyen et l’instrument séparé et distinct de l’agent : ce. dernier instrument est mis en mouvement par le premier, comme le bâton, par exemple, 6

reçoit le mouvement de la main de l’homme qui le tient. Or, Dieu est l’auteur et le principe de toute grâce : la sainte humanité du Christ est l’instrument séparé et suhordonné ; il faut donc que la vertu salutaire découle de la divinité de Jésus-Christ par le moyen de son humanité et pénètre les sacrements. Cf. IIP », q. lxii, a. 5. Ainsi Jésus-Christ exerce, comme Dieu et comme homme, une action différente au point de vue de la production de la grâce sacramentelle : en tant que Dieu, il agit principalement ou par autorité ; par son humanité, il n’y agit pas seulement comme première cause méritoire, mais encore comme cause efficiente quoique instrumentale. De la sorte, par les sacrements comme par autant de canaux, la vertu de la passion du Sauveur ou, ce qui revient au même, les mérites de la rédemption, arrivent jusqu'à nous ; car les sacrements de l'Église empruntent leur efficacité tout spécialement à la passion du Christ dont la vertu nous est unie en une certaine manière par la réception des sacrements. C’est pour signifier ce mystère que Jésus-Christ, attaché à la croix, laissa échapper de son côté entr’ouvert de l’eau et du sang : l’eau figure le baptême, le sang figure l’eucharistie — et, entre les sacrements, le baptême et l’eucharistie sont les deux plus excellents. Cf. S. Thomas, III », q. lxi, a. 3 ; lxii, a. 5. » N. Gihr, op. cit., p. 97-98.

La causalité dispositive.

Nous avons déjà pu

distinguer deux phases dans l’histoire de la causalité dispositive. La première phase serait celle de la préhistoire de la théologie sacramentaire : avant saint Thomas, et même chez quelques auteurs contemporains de saint Thomas et chez saint Thomas lui-même dans le Commentaire sur les Sentences, on admet généralement que les sacrements n’atteignent pas la grâce elle-même, mais produisent simplement dans l'âme une disposition nécessitant la production de la grâce. Cette théorie a pour base l’impossibilité de concevoir une coopération instrumentale à la création de la grâce. De plus, elle s’appuie sur la conception tripaitite déjà vulgarisée du sacramentum, du res et sacramentum et de la res sacramenti ; res et sacramentum étant le seul effet immédiat du sacrement extérieur.

La deuxième phase est celle qu’inaugurent Pierre de La Palu et Capréolus. Voulant affirmer une fidélité rigoureuse aux doctrines exprimées par saint Thomas dans les Questions disputées et dans la Somme, ces auteurs entendent la dispositio prsevia, non du caractère ou de Yornalus anima' qui s’identifie avec le res et sacramentum, mais de la grâce sacramentelle ellemême en tant que distincte de la grâce gratum /ariens. Mais cette position est elle-même peu conforme aux déclarations de saint Thomas dans la Somme, relativement à la nature de la grâce sacramentelle.

La théorie de la causalité dispositive, à laquelle le concile de Trente semblait avoir donné le coup de mort, est ressuscitée au xixe siècle pour entrer dans une troisième et nouvelle phase, la causalité dispositive intentionnelle, qui probablement n’aurait jamais acquis droit de cité dans nos exposés théologiques, si le cardinal Billot ne lui avait accordé son patronage.

Est-ce à dire que la conception de Capréolus soit entièrement disparue ? On la retrouve, de nos jours encore, chez quelques auteurs. Del Val opine que les sacrements produisent physiquement et immédiatement reliqiosam animæ consecrationem, quæ indirecte seu dispositive nécessitât infusionem gratiæ. Sacra theologia dogmatica, t. iii, n. 53 sq. De même, de Bellevue estime que les sacrements produisent physiquement le caractère ou un état d'âme disposant à la grâce. La grâce sacramentelle ou effet propre des divers sacrements, Paris, 1900, p. 103 sq. Gonthier en revient même purement et simplement à l’ancienne causalité

621 SACREMENTS. CAUSALITÉ, EXPLICATIONS THÉOLOGIQUES 622

dispositive de saint Thomas dans le Commentaire des Sentences. De la causalité des sacrements, dans Études, t. lviii, p. 213-238 ; 471-498.

Mais les partisans actuels de la causalité disposilive physique se comptent sur les doigts de la main ; la faveur est, chez certains disciples de Billot, à la causalité dispositive intentionnelle.

1. Exposé de l’opinion d’une causalité dispositive intentionnelle (Billot). — Le cardinal Billot, tout en déclarant la causalité morale insuffisante, rejette l’efficacité physique. Deux assertions principales résument l’explication de ce théologien. 1. la vertu instrumentale par laquelle opèrent les sacrements n’est pas physique, mais intentionnelle ; 2. l’action des sacrements n’atteint pas la grâce elle-même, mais plutôt la disposition qui exige la grâce.

a) La causalité intentionnelle. — Cette causalité imprime ou excite une image, éveille une intelligence, porte une pensée ou un ordre. On signale un exemple de cette causalité dans les paroles par lesquelles le souverain pontife, au consistoire, publie les nouveaux évêques. Non seulement ces paroles signifient la collation de la juridiction épiscopale, mais elles la produisent quant au pouvoir de juridiction. C’est une sorte de causalité per modum imperii analogue à la causalité qui accompagnait les paroles du Christ lorsqu’il commandait aux vents et à la tempête ou qu’il présentait aux éléments créés sa volonté pour accomplir en eux des miracles. On aurait tort d’expliquer l’efficacité des sacrements par une vertu physique, sorte de motion les animant au moment où ils produisent leur effet ; il suffît d’une motion intentionnelle s’originant à l’institution du Christ. De plus, et précisément parce que la motion instrumentale du sacrement est d’ordre intentionnel, son terme immédiat ne saurait être la grâce elle-même, mais un titre exigitif de la grâce, titre dont la réalité est elle-même, non pas d’ordre physique, mais d’ordre intentionnel et moral, quoique néanmoins constituant un être très réel. Ce titre exigitif de la grâce joue donc le rôle de disposition. Et c’est en ce sens que saint Thomas aurait enseigné que le sacrement agit instrumentaliter disposilive.

L’auteur montre la cohérence de son système avec la nature même du sacrement. Les sacrements sont des signes, dont l’action propre — manifester les concepts de l’intelligence — est d’ordre intentionnel. L’action instrumentale des sacrements doit donc se trouver dans la même ligne et dans le même ordre : significando causant. S. Thomas, De veritate, q. xxvii, a. 4, ad 13. Ainsi les sacrements, en tant que signes institués par le Christ, manifestent par leur opération propre, c’est-à-dire notifient le décret divin concernant la sanctification du sujet et simultanément, par leur opération instrumentale qu’anime une vertu divine, ils appliquent efficacement ce décret au sujet du sacrement et causent en lui une forme intentionnelle qui est comme une nécessité de recevoir la grâce. Ainsi trois mots résument cette doctrine : cause instrumentale efficiente, intentionnelle, disposilive.

L’autorité du maître a rallié à cette conception un certain nombre de disciples : Van Noort, De sacramentis, t. i, n. 57 sq. ; Bellevue, La grâce sacramentelle, Paris, 1900, p. 66 sq. ; Manzoni, Compendium theologise dogmatiew, t. iv, Turin, 1912, n. 42 ; De Smet, De sacram. in génère, n. 38-40 ; Richard, La causalité instrumentale : physique, morale, intentionnelle, dans la Revue néo-scolastique, 1909, p. 20-31 ; Blondiau, De causalitate physica, morali, intenlionali sacramentorum. dans Collaliones Namurcenses, t. xiii, 1913-1914, p. 249 ; Merchelbach, De sacramentis sub conditione « Si non es dispositus » non ministrandis, dans Revue ecclésiastique de Liège, 1909, p. 335 ; Van Hove, La

doctrine du miracle chez saint Thomas, p. 148-159. Hurter, Compendium theol. dogm., t. iii, n. 244, 265, admet une causalité qu’il appelle physique et qui, à tout bien considérer, se rapproche singulièrement de la causalité intentionnelle de Billot. Quant à De Bacts, De sacramentis in génère, G3nd, 1907, s’il est d’accord avec Billot sur la nature intentionnelle de la causalité sacramentelle, il s’en sépare sur le terme même de l’action instrumentale ; cette action serait, non dispositive, mais perfective.

b) Raisons invoquées en sa faveur. — La démonstration de Billot, dans De sacramentis, t. i, comporte deux objets : le terme de l’action sacramentelle, à savoir une disposition à la grâce ; la nature intentionnelle de la vertu instrumentale.

a. Le terme de l’action sacramentelle est une disposition à la grâce. — Trois arguments sont ici invoqués. D’abord la signification du sacrement. Tout sacrement validement administré est un signe pratique complètement vrai. Or le sacrement valide peut exister sans la grâce (le cas de fiction). Donc la signification pratique du sacrement n’est pas la grâce en soi, mais quelque chose qui dispose à la grâce.

Ensuite la reviviscence des sacrements : cette reviviscence ne peut s’expliquer sinon parce que le sacrement cause d’abord un effet préalable exigitif de la grâce : le res et sacramentum, appelant la res sacramenti.

Enfin, la nécessité d'établir un mode uniforme dans l’explication de la causalité sacramentelle doit nous faire conclure, pour tous les sacrements, au même mode de causalité que dans les sacrements qui « revivent ». Th. vii, § 2.

b. La nature intentionnelle de la vertu instrumentale. — L’auteur reprend d’abord tous les arguments invoqués par les partisans de la causalité morale contre la causalité physique. Puis, positivement, il apporte trois arguments en faveur d’une vertu sacramentelle simplement intentionnelle :

D’abord, l’autorité du concile de Florence : l’intention que doit avoir le ministre de faire ce que fait l'Église ne saurait s’accommoder d’une vertu physique. — Ensuite la nature du sacrement, qui est essentiellement un signe, exige une vertu sacramentelle de même ordre, c’est-à-dire intentionnelle. — Enfin, la vertu intentionnelle sauvegarde mieux la dignité du sacrement qui, dans le système de la vertu physique, échappe moins facilement au reproche d' « efficacité magique » que lui attribuent les incrédules et les protestants. Ibid., § 3.

2. Discussion de celle opinion.

Les objections ont été multipliées contre la théorie de Billot. Lui-même rapporte et résout sept objections contre la causalité dispositive et sept également contre la vertu intentionnelle. Cf. op. cit., édit. de 1924, p. 128-133, 137-143.

Quoi qu’il en soit des objections de détail et de la difficulté d’accorder une causalité « intentionnelle » avec les assertions de la tradition catholique, il semble bien qu’essentiellement l’objection sérieuse tombe sur l’impossibilité, d’une part, de concevoir une vertu seulement intentionnelle et, d’autre part, de s’arrêter à une causalité simplement dispositive.

a) « L’explication du P. Billot détruit la vraie notion d’instrument et enlève toute causalité positive aux rites surnaturels. L’instrument doit recevoir, au moment où il est appliqué, une influence qui le fortifie, des énergies nouvelles qui le rendent plus efficace, plus actif, sans quoi il restera condamné ù une perpétuelle inertie. L'être intentionnel dont on parle est purement extrinsèque, il ne confère aucune force intérieure à l’instrument : le signe sensible sera donc vide et efficace. L’intention, la députation, ou l’institution du législateur, ne suffisent pas pour appliquer, elles ne donnent que V aptitude ; il faut, en outre, une

activité intrinsèque, qui tire l’instrument de son état statique et le mette en exercice. Avec la théorie de la vertu intentionnelle, la causalité des sacrements est tout entière dans leur institution ; ils n’ont donc pas une causalité nouvelle au moment où ils sont conférés. L’institution et la députation étant déjà faites par Notre-Seigneur, toute l’activité sacramentelle a été posée à l’origine. Leur rôle unique aujourd’hui est de parler à notre esprit : c’est dire qu’ils n’ont plus d’efficacité intrinsèque actuelle ; c’est nier la causalité ex opère operato, que le docte professeur du Collège romain défend cependant avec tant d'énergie. » E. Hugon, La causalité sacramentelle, p. 161. Les exemples donnés par Billot vont à rencontre de sa thèse : les paroles pontificales au consistoire ne sont pas la cause du pouvoir des évêques ; elles manifestent simplement la volonté du pape qui seule confère effectivement la juridiction.

b) S’arrêter à une disposition à la grâce, c’est encore aller directement contre la causalité du sacrement. Personne ne nie, dans la plupart des sacrements, l’existence d’un res et sacramentum, signifié extérieurement par le sacramentum tantum et qui est à son tour signe de la grâce intérieure, res sacramenti. Mais il s’agit de savoir si l’efficacité instrumentale du sacrement a pour terme le res et sacramentum, disposition à la grâce. D’après les principes les mieux établis de saint Thomas, « l’activité instrumentale est celle qui coopère à tout l’effet de l’agent supérieur ; l’action de l’instrument et celle de la cause principale ne se séparent pas, il n’y a qu’une seule passion et qu’un seul terme. Il ne faut donc pas mettre, d’un côté, l’effet instrumental des sacrements et, de l’autre, l’effet propre de Dieu : c’est une seule et même réalité. Si l’on concède que nos rites sont les instruments de Dieu au sens rigoureux du mot, il faut confesser qu’ils atteignent l’effet total de la cause principale et le caractère et la grâce. Ainsi l’exige la notion vraie de l’instrument. » Hugon, op. cit., p. 164. Tout ce qu’un vrai thomiste peut concéder à la causalité « dispositive », c’est que les sacrements opèrent dispositivement par rapport à l’action de l’agent principal, ce qui, répétonsle, ne signifie pas une disposition à cette action.

Ces deux arguments paraissent péremptoires. D’ailleurs, depuis le concile de Trente qui affirme que « les sacrements de la Loi nouvelle confèrent ex opère operato la grâce », comment oser soutenir qu’ils confèrent ex opère operato « une disposition à la grâce ? »

Tout cependant n’est pas à rejeter dans la théorie de Billot : la doctrine de l’intention est à retenir. Ne l’avons-nous pas trouvée chez Jean de Saint-Thomas comme expliquant l'être symbolique et sacramentel du rite ? Être de raison, être intentionnel, l’institution du Christ, dépendant de sa volonté jadis exprimée, suit le sacrement, le complète, lui donne sa signification et son efficacité jusque dans ses éléments sensibles, nature et forme, auxquels d’ailleurs elle confère l’unité sacramentelle jusque dans son application au sujet par l’intention du ministre, jusque dans la production de la grâce. Et cette part de vérité, les adversaires de Billot ne l’ont pas assez reconnue. Mais cette « vertu intentionnelle » dérivée de la volonté du Christ ne saurait pas plus agir sans vertu physique instrumentale qu’elle ne saurait constituer un sacrement sans les éléments sensibles. Et voilà ce que Billot n’a pas su discerner.

VI. Les effets des sacrements.

Les théologiens énumèrent trois effets des sacrements : la grâce, la grâce sacramentelle, le caractère. Cette étude des effets des sacrements peut se conclure par quelques considérations sur la nécessité des sacrements et l’ordre à mettre entre eux. 6

I. LA grâce.

Il n’est pas question de revenir ici sur le dogme de la production de la grâce par les sacrements. Cette thèse fondamentale a fait l’objet au point de vue traditionnel de la seconde partie de cette étude et l’on a dit comment le concile de Trente l’avait promulguée. Col. 470. Voir aussi l’art. Opus operatum, t. xr, col. 1084-1087.

Les questions ici abordées sont proprement théologiques et se rapportent aux modalités de la collation de la grâce dans la réception des sacrements. Ces modalités concernent : 1° la collation de la grâce première ; 2° celle de la grâce seconde ; 3° la mesure en laquelle est conférée la grâce par les sacrements ; 4° la reviviscence de la grâce. Cette dernière question a déjà été étudiée, voir t. xiii, col. 2629 sq.

Collation de la grâce première.

On appelle

a grâce première » celle qui est donnée ou rendue au pécheur que justifie le sacrement. Cette collation sacramentelle peut être envisagée au double point de vue des sacrements des morts et des sacrements des vivants :

1. Les sacrements des morts. — Le Christ a institué spécialement deux sacrements pour donner la vie de la grâce à l'âme morte par le péché : d’où leur nom de sacrements des morts. Ce sont : le baptême, institué pour conférer la première justification, en remettant le péché originel et les autres qui s’y sont ajoutés ; la pénitence, dont l’objet est la rémission des péchés mortels commis après le baptême. Ces sacrements confèrent la grâce première normalement, en vertu même du but que leur assigne l’institution du Christ : per se, disent les théologiens.

2. Les sacrements des vivants.

Les autres sacrements sont institués en soi et de par la volonté du Christ pour accroître la grâce dans l'âme qui la possède déjà : de là leur nom de sacrements des vivants. Relativement à l’infusion de la grâce première, les théologiens considèrent qu’en certains cas, en raison d’une situation ou d’une disposition particulière, en soi anormale, du sujet, ces sacrements peuvent accidentellement, per accidens, donner la grâce première au pécheur.

La chose est certaine en ce qui concerne l’extrêmeonction qui, de sa nature, complète la pénitence et, d’après les paroles mêmes de saint Jacques, est destinée à remettre les péchés. Au cas où le sujet gravement malade ne pourrait normalement recourir au sacrement de pénitence, l’extrême-onction lui remettrait ses péchés. Cet effet semble indiqué par la formule conditionnelle de saint Jacques : si in peccatis sil, remittentur ei, et se déduit de l’enseignement du concile de Trente : delicta, si quæ sint adhuc expianda, ac peccali reliquias abstergit. Sess. xiv, c. ii, Denz.Bannw., n. 909. Toutefois, on ne saurait dire qu’ici l’effet est accidentel ; il résulte de la nature même du sacrement qui, achevant la purification de toute une vie chrétienne, doit par lui-même enlever de l'âme tout obstacle à la grâce. Le sacrement d’extrêmeonction participe ainsi de la nature des sacrements des morts et des sacrements des vivants. Voir Extrêmeonction, t. v, col. 1 994 et 2020.

La chose est très probable en ce qui concerne les autres sacrements des vivants, lorsque le pécheur y accède de bonne foi et avec la contrition imparfaite. C’est là l’enseignement explicite de saint Thomas, Sum. theol., III », q. lxxii, a. 7, ad 2 ura ; q. lxxix, a. 3 ; Suppl., q. xxx, a. 1. Et l’on peut déduire la vérité de cette opinion : 1. de la doctrine du concile de Trente. D’après l’enseignement du concile, sess. vii, De sacramentis in génère, can. 6, Denz.-Bannw., n. 849, les sacrements de la Loi nouvelle confèrent infailliblement la grâce à tous ceux qui n’y apportent pas d’obstacle. Or le pécheur qui accède de bonne foi aux sacrements

des vivants, avec l’attrition, n’apporte pas d’obstacle à la grâce. — 2. De la miséricorde et de la bonté du Christ qui, dans de telles conjonctures, ne voudrait certainement pas priver des effets du sacrement le pécheur qui, surtout à l’article de la mort, accéderait ainsi à la sainte communion. Notons ici, en passant, cette indication du cardinal Jorio, dans son récent ouvrage La communion des malades, Louvain, 1933, n. 99, concernant le viatique administré à un mourant par un laïque, en l’absence de tout prêtre : « Quant au cas de nécessité particulière ou individuelle, certains théologiens admettent — surtout s’il s’agit d’un mourant qui, n’ayant que l’attrition, a besoin de l’eucharistie pour devenir contrit — qu’un pieux laïque puisse porter (privément, cela va sans dire, afin de prévenir tout scandale) le saint viatique à un malade, étant donné par ailleurs que ce malade se trouve dans les conditions voulues pour le recevoir. »

Certains théologiens, tout en admettant l’opinion de la justification accidentelle du pécheur par les sacrements des vivants, l’expliquent en ce sens qu'à l’occasion de ces sacrements, reçus de bonne foi et dans des conditions anormales, Dieu donne au pécheur une grâce de contrition parfaite qui le justifie. Ce serait une justification ex opère operanlis. Il semble plus simple d’accueillir l’opinion commune de la justification par le sacrement, ex opère operato. Voir Hervé, Manuale, t. iii, n. 440.

Collation de la grâce seconde.

On appelle « grâce seconde » celle qui est un accroissement de la

grâce déjà possédée : la grâce seconde ne justifie pas ; elle augmente la justification.

1. Les sacrements des vivants.

Par leur institution même, ils sont destinés à accroître dans l'âme la grâce sanctifiante. Leur réception licite et fructueuse, en effet, suppose déjà l'état de grâce : ils sont donc ordonnés à un accroissement de la vie spirituelle conformément à la fin particulière de chacun d’eux. Notons en passant l’opinion de Nuno et de Jean de SaintThomas, qui estiment que tous les sacrements sans exception sont, en tant que sacrements, ordonnés à la production île la grâce première et que les sacrements des vivants ne sont ordonnés à la production de la grâce seconde qu’en tant que tels sacrements (non ex ratione generica, sed ex ratione propria et specifica). Voir Jean de Saint-Thomas, Cursus theologicus, t. ix, Paris, Vives, p. 154, n. 40 sq. La remarque est assez juste, car la dénomination de grâce première et de grâce seconde est tout extrinsèque à l’essence même de la grâce. Voir Billot, op. cit., p. 103, note 1.

2. Les sacrements des morts.

Dans le sujet déjà en état de grâce, les sacrements des morts, en raison des dispositions meilleures du sujet — l'état de grâce supprime radicalement l’obstacle du péché — produisent certainement dans l'âme un accroissement de justification. C’est là une doctrine certaine, admise par tous. Cf. S. Thomas, Sum. theol., III », q. lix, a. 4, ad 2um.

Pour la pénitence, la chose est facilement concevable : tant de bons chrétiens reçoivent ce sacrement en n’y apportant qu’une matière légère et libre. Pour le baptême, on peut supposer un catéchumène adulte déjà purifié par le baptême de désir.

La mesure de la grâce conférée.

La doctrine

communément reçue tient en deux assertions :

1. Le même sacrement produit, « ex opère operato », une grâce égale en ceux qui sont également disposés : la grâce est proportionnée aux dispositions du sujet. — Cette assertion s’appuie sur l’enseignement du concile de Trente, sess. vi, c. vu : parlant de la justification, le concile déclare que la grâce est accordée secundum propriam cujusque dispositionem et cooperalionem. Denz.-Bannw., n. 799. Saint Thomas avait argumenté (127

    1. SACREMENTS##


SACREMENTS. EFFETS, LA GRACE SACRAMENTELLE

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par analogie avec les causes naturelles : les mêmes causes produisent, dans les mêmes circonstances, les mêmes effets. Sum. Iheol., III », q. lix, a. 8.

On observera qu’il s’agit de l’efïet produit ex opère operato. L’assertion n’empêche donc pas qu’une spéciale bienveillance de Dieu puisse accorder une sanctification plus grande a l’un qu'à l’autre, en raison d’une vocation plus sublime par exemple, et cela principalement dans le baptême. Cf. Chr. Pesch, op. cit., n. 133-134 ; Van Noort, De sacramentis, t. i, n. 72. La doctrine des Pères à ce sujet est concordante. Suarez, op. cit., disp. VII, sect. vir, n. 4 ; de Lugo, disp. IX, sect. ii, n. 18 sq.

2. Des sacrements spécifiquement différents très probablement confèrent à un sujet également disposé une grâce plus ou moins grande, mais proportionnée à leur perfection. — Une cause plus parfaite produit, toutes choses égales d’ailleurs, un effet plus parfait. Or, certains sacrements sont, en soi, plus parfaits que d’autres. Cf. Conc. Trid., sess. vii, can. 3 ; voir cidessus, col. ( 05. Donc, dans le même sujet, également disposé, tel sacrement produira selon toute vraisemblance une grâce plus parfaite. On ne concevrait pas que le baptême ou l’ordre qu’on ne reçoit qu’une fois et qui, par conséquent, commandent toute une vie, ne produisent pas dans l'âme une grâce plus abondante que le sacrement de pénitence qu’on peut aujourd’hui si souvent renouveler. L’eucharistie, sacrement si parfait, et qui contient l’auteur même de la grâce, doit normalement conférer une grâce plus parfaite. Cf. Hervé, op. cit., n. 445, 446. Mais c’est surtout dans la production des grâces sacramentelles que s’affirment ces inégalités.

II. GRACE SACRAMENTELLE.

Notion générale.


Il est certain que l’infusion dans l'âme de la grâce sanctifiante n’est pas, même dans l’ordre actuel de la Providence, liée à la réception effective d’un sacrement, bien qu’en réalité cette infusion extra-sacramentelle suppose toujours, chez les adultes, le désir au moins implicite du sacrement. Par conséquent, on peut concevoir que la grâce habituelle ou sanctifiante soit communiquée extra-sacramentellement : c’est le cas de la justification ex opère operantis. En ce cas, c’est-àdire « en tant qu’elle n’est pas acquise par la voie sacramentelle ex opère operato, mais qu’elle est méritée en un sens plus ou moins strict (de congruo vel de condigno) ex opère operantis », elle s’appelle « la grâce commune ou ordinaire (gratia communiter dicta, vel communis) ». N. Gihr, Les sacrements de l'Église catholique, t. i, p. 115. Mais ordinairement la grâce habituelle ou sanctifiante est produite ou accrue par la réception d’un sacrement, ex opère operato, et, en ce cas. elle est accompagnée d’autres secours habituels ou actuels répondant à la fin du sacrement reçu. Les théologiens, appellent grâce sacramentelle « toutes et chacune des grâces qui sont produites et reçues par cette voie. »

Si générale que soit cette première notion de la grâce sacramentelle, elle nous permet néanmoins de constater que la grâce, appelée sacramentelle parce que causée par le sacrement, comporte la grâce habituelle commune, qui est essentiellement la même que dans la justification extra-sacramentelle, et, de plus. « quelque chose » de surajouté. Les théologiens, écrit à ce sujet Gihr (p. 110), admettent généralement que cette distinction (de la grâce commune et de la grâce sacramentelle) n’atteint pas l’essence de la grâce, qu’elle est simplement accidentelle. Gratia sacramentatis est radem per essentiam cum gratia virtutum, licet gratia sacramentalis plures eonnotel efjectus. S. Bonaventure, In IVum Sent., dist. I, part. I. q. vi. » Et dans un sens plus strict et plus pressé, c’est ce quelque chose d’accidentel et tic surajouté que le langage

théologique appelle grâce proprement sacramentelle, par opposition à la grâce commune des vertus et des dons.

Précisions.

« Il est certain que, en plus de la

grâce sanctifiante commune à tous, chaque sacrement confère encore une grâce spéciale qui lui est propre et qu’on appelle grâce sacramentelle. En effet, que l’on considère les fins diverses, les significations spéciales et l’institution multiple des sacrements, la raison de cette grâce sacramentelle apparaîtra manifestement. Les sacrements ont été institués pour des fins diverses, qui sont les diverses nécessités spirituelles des chrétiens ; ils doivent donc avoir des effets divers, au moins partiellement. De plus, les sacrements confèrent " la grâce qu’ils signifient » ; or, il est évident que chacun signifie un don spécial ; donc aussi il le confère. De. même, si l’effet de tous les sacrements était totalement identique, pourquoi le Christ aurait-il institué sept sacrements différents ? Donc, il faut conclure que tout sacrement, en plus de la grâce sanctifiante, confère un certain secours divin propre à nous faire atteindre la fin qui lui est spéciale. S. Thomas, Sum. theol., III », q. lxii, a. 2. » A. -A. Goupil, Les sacrements, t. i, p. 37. Cf. Jean de Saint-Thomas, op. cit., n. 285.

Ce secours sacramentel ne consiste pas dans la simple différence de la grâce « seconde » par rapport à la grâce « première », voir plus haut, col. 625, ou encore dans une intensité plus ou moins grande de la grâce sanctifiante. Car « pour expliquer une différence de ce genre, de multiples sacrements, distincts les uns des autres, n’eussent pas été nécessaires ; il eût suffi d’un sacrement plusieurs fois réitéré ou tout au plus de deux sacrements, l’un devant procurer et accroître la grâce, l’autre destiné à faire récupérer la grâce à qui l’aurait perdue. » Une telle diversité dans les effets eût été purement quantitative, nullement qualitative. Or, la diversité des sacrements et leurs significations différentes exigent des effets qualitativement différents. « Aussi faut-il conclure que les grâces sacramentelles, c’est-à-dire les effets propres à chaque sacrement, se distinguent d’une certaine manière et entre eux et de la grâce habituelle ; et cette diversité n’est pas suffisamment expliquée par le plus ou le moins, ou par un effet que la réitération seule du sacrement causerait. » Cf. Jean de Saint-Thomas, loc. cit.

La notion de grâce sacramentelle se précise par comparaison avec celle de la grâce commune : d’une part, la grâce commune avec son cortège de vertus et de dons est ordonnée à la perfection même de l'âme dans l’ordre de la vie surnaturelle, c’est-à-dire dans la participation même de la nature divine ; d’autre part, la grâce sacramentelle est ordonnée à la réparation des blessures causées par le péché, en tant qu’elle est une participation de la grâce du Christ. D’où il suit que la grâce sacramentelle consiste en une certaine dérivation et imitation de la grâce de Jésus-Christ ; de telle façon que cette dérivation et imitation lui confère le pouvoir de corriger plus parfaitement les défauts du péché et de disposer ainsi l'âme chrétienne à percevoir tous les effets auxquels est ordonné chacun des sacrements. Cf. S. Thomas, De veritute, q. xxvii, a. 5, ad 12° m et ad 15um.

3° Relation de la grâce sacramentelle à la passion du Christ. — En soi, il est bien évident que toute grâce, dans l’ordre de la nature déchue et réparée parle Christ, est une dérivation de la passion du Sauveur. Mais, parce que la passion du Sauveur a été ordonnée en vue de la réparation de la nature déchue, plus la grâce sera conçue comme un remède contre le péché, plus elle apparaîtra comme une dérivation et une participation delà passion de Jésus-Christ. Or, d’après saint Thomas luimême, tandis que la grâce commune, abstraction faite de toute origine sacramentelle, est plutôt conçue comme ordonnée par Dieu à la perfection de l’âme dans l’ordre de la vie surnaturelle, la grâce sacramentelle est conçue comme ordonnée à la réparation des blessures causées par le péché. Et c’est pour ce motif qu’elle est « une certaine dérivation et imitation de la grâce de Jésus-Christ ». « Il est peut-être possible d’éclaircir ce point, écrit Gihr, en comparant la grâce sacramentelle à la grâce originelle (la grâce de l’état d’innocence, laquelle n’est pas, très probablement, une dérivation de la grâce du Christ). Cette grâce avait une efficacité parfaite en tant qu’elle était le principe non seulement de la sanctification, mais encore et en même temps de l’intégrité (exstinctio fomitis). De même, la grâce de chaque sacrement peut avoir pour objet et, en raison de cet objet, elle peut posséder la vertu non seulement de purifier des péchés, mais encore de guérir, de cicatriser, d’adoucir, par une influence permanente, les suites du péché, les blessures de la nature déchue par la faute originelle. Mais, à la différence de la grâce originelle qui était la grâce de la santé parfaite, la grâce sacramentelle est et reste une grâce de guérison partielle et progressive pour la nature et pour les facultés naturelles qui, même après la régénération, demeurent affaiblies. Par son rôle et par ses effets, la grâce sacramentelle est surtout médicinale, et elle l’est de telle sorte que, par son action salutaire, non seulement elle aide l’homme malade dans tel ou tel acte en particulier et transitoirement, mais prépare intérieurement et d’une façon permanente son entière guérison et lui rend dans une certaine mesure, la santé originelle qu’il a perdue. Per virtutes et dona exeluduntur sufficienter viliu et peccatu quantum ad prtesens et futwum, in quantum scilicet impeditur homo per virtutes et dona a peceando ; sed quantum ad preeterita peccata, qua-transeunt acta et rémanent reatu, adhibetur homini remedium spéciale per sacramentel. S. Thomas, III*, q. lxii, a. 2. Si nos sacrements ne peuvent pas rendre la santé avec la plénitude et la perfection qui étaient le privilège de l’homme dans le paradis terrestre, il n’en est pas moins vrai que la grâce sacramentelle, en tant que remède fortifiant, possède sous plus d’un rapport, lorsqu’on la compare à la grâce originelle, une vertu et une énergie plus merveilleuse pour conduire l’homme au salut et à la béatitude céleste. Virtus (y SOvajxiç) in inftrmitale perficitur (II Cor., xti, 9). Malgré la faiblesse morale et l’impuissance naturelle qui subsistent même après la régénération ! la grâce sacramentelle met l’homme en état de triompher de tous les obstacles et de toutes les difficultés, ’! < soutenir victorieusement tous les combats et toutes les tentations, de parvenir heureusement au terme de la carrière et d’atteindre l’éternelle récompense. Op. cit., p. 116-117.

La grâce sacramentelle est donc, en toute propriété du terme, une dérivation et une imitation de la grâce du Christ, c’est-à-dire de la grâce salutaire et régénératrice dont la source se trouve dans les mérites infinis de la passion du Sauveur.

Nature.

La grâce sacramentelle est-elle suffisamment expliquée par « le mode intrinsèque et permanent », dont parlent les thomistes ? Multiples sont les opinions théologiques touchant la nature même de la grâce sacramentelle.

1. Saint Bonaventure, Richard de Médiavilla, Alexandre de Halès et plusieurs autres (voir les références dans les Salmanticenses, De sacramentis in communi, disp. III, n. 137) estiment que la grâce sacramentelle n’est autre que la grâce habituelle, en tant qu’elle est produite par le sacrement et, par lui, ordonnée au remède du péché en conformité avec la fin de chaque sacrement. Opinion peu probable, puisqu’en réalité elle revient à nier que la grâce sacramentelle ajoute quoi que ce soit de réel à la grâce commune, et contre elle valent les arguments que nous avons exposés. Voir la réfutation de cette opinion dans Gonet, Clypeus, De sacramentis in communi, disp. III, a. 6, § 1, n.’198-199.

2. À l’opposé, nous rencontrons l’opinion de Pierre de La Palu, de Capréolus (références dans les Salmanticenses, loc. cit.) qui font de la grâce sacramentelle un habitus spécifiquement distinct de la grâce sanctifiante. Cette opinion est pareillement irrecevable : « Les actes qui procèdent de la grâce sacramentelle ne sont pas, dans leur être et dans leur substance, différents des actes des vertus et des dons ; ainsi, l’acte de foi se retrouve dans la grâce sacramentelle de la confirmation ; l’acte de charité dans la douceur et la ferveur de l’eucharistie ; l’acte d’espérance dans l’allégement spirituel produit par l’extrême-onction. Ils ne requièrent donc pas, comme principes, des habitus substantiellement différents. » Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 197. Cf. Gonet, loc. cit., n. 201-202.

3. De l’improbabilité de ces deux opinions, beaucoup d’auteurs modernes ont conclu que la grâce spéciale, propre à chaque sacrement et qu’on appelle grâce sacramentelle, est l’ensemble des grâces actuelles et des secours particuliers conférés par le sacrement simultanément avec la grâce habituelle, et ordonnés particulièrement à la fin du sacrement. Et ainsi s’explique que la grâce sacramentelle ne soit ni la grâce habituelle elle-même, ni un habitus spécifiquement distinct de la grâce sanctifiante et qu’aucune différence essentielle n’existe entre la grâce habituelle conférée sacramentellement et celle infusée extra-sacramentellement. Toutefois les anciens théologiens avaient déjà fait observer que les secours actuels ne sauraient vérifier en eux-mêmes la notion de grâce sacramentelle : « Il faut plus qu’un concours divin actuel, écrivait Jean de Saint-Thomas, car les défauts qu’il s’agit de réparer dans la nature humaine lui sont inhérents d’une manière intrinsèque et permanente ; et pour les corriger il faut donc un secours inhérent et permanent. » Loc. cit., n. 287.

De plus, « si la grâce actuelle n’était qu’un secours actuel de Dieu, elle ne pourrait effectivement provenir des sacrements ; le concours actuel divin est en effet l’action même de Dieu que n’atteint pas l’instrument sacramentel. » Ibid.. n. 288.

4. Aussi, pour prévenir ces difficultés, les théologiens partisans de l’opinion moderne instituent-ils, entre la grâce sanctifiante conférée par les sacrements et les grâces actuelles et secours passagers qui constitueraient la grâce proprement sacramentelle, une connexion, soit intrinsèque, soit extrinsèque : intrinsèque en tant que la grâce habituelle conférée par les sacrements contiendrait en elle-même une exigence de ces secours actuels et transitoires ; extrinsèque en tant que ces secours dépendraient, comme la grâce habituelle elle-même, de la même vertu sacramentelle. Voir le développement de cette opinion dans de Smet, Traclatus dogmatico-moralis, De sacramentis in génère, n. 74-76. Cf. Van Noort, De sacramentis, t. i, n. 69. Cajétan, dans son commentaire In III* iii, q. lxii, a. 2, semble patronner cette opinion. Cette explication comporte elle-même quelques nuances diverses, selon que les auteurs qui la proposent tiennent pour la causalité ou physique, ou intentionnelle, ou morale.

5. Chez les théologiens plus récents, cette dernière opinion présente la grâce sacramentelle comme « l’ensemble des dons et des grâces actuelles qui nous aident à atteindre la fin de chaque sacrement. » « C’est, dit le P. Goupil, un ensemble et non pas un don ni une grâce unique, donné, soit dans le sacrement même, comme la remise de toute peine temporelle dans le baptême, soit ensuite selon les occasions et la nécessité ; ce sont les dons et les grâces mêmes, et non pas seulement le droit ou le titre à les recevoir, car la grâce sacramentelle est comprise dans le dernier effet du sacrement : res tantum, la réalité seule… Le titre à recevoir la grâce sanctifiante comme la grâce sacramentelle est le premier effet du sacrement et participe à sa nature de signe : res et sacramentum, réalité et signe. » Op. cit., p. 38.

G. Chez les théologiens plus anciens, Gonet par exemple, il ne s’agit pas de l’ensemble des dons et des grâces actuelles, mais bien du droit ou titre à les recevoir. On pense ainsi prévenir plus complètement les difficultés signalées par Jean de Saint-Thomas : « Je dis que la grâce sacramentelle ajoute à la grâce commune le droit au secours, non pas le secours lui-même. Puisque la grâce sacramentelle est conférée dans la réception même du sacrement, et que le secours, qui de sa nature est transitoire, n’est accordé qu’au moment même où une action dépendant du sacrement sera exercée, il faut en conclure que la grâce sacramentelle n’ajoute …que le droit moral à recevoir le secours lorsque sa collation actuelle sera nécessaire, et que ce droit est actuellement conféré au moment même où est reçu le sacrement. » Op. cit., n. 204.

Conclusion.

La théorie thomiste nous paraît

harmoniser les aspects vraisemblables de ces diverses opinions en un système plus cohérent et plus conforme à la doctrine générale de saint Thomas sur la causalité sacramentelle. La grâce sacramentelle ne serait que la grâce sanctifiante à laquelle intrinsèquement s’ajoute une modification lui conférant une vigueur spéciale relative aux effets propres de chaque sacrement, et de plus constituant en elle une exigence, un droit aux secours particuliers nous aidant à atteindre la fin de chaque sacrement : « De même que la lumière du soleil, la lumière de la lune ou du feu ou d’un autre astre sont de même espèce, et que cependant la lumière du soleil resplendit dans l’air d’une façon bien supérieure à celle de la lune ou du feu ; ainsi la grâce qui dérive du Christ participe plus parfaitement de sa puissance pour enlever les défectuosités du péché, que la grâce commune qui ne vient pas du Christ par l’influence qu’il exerce au moyen des sacrements. » Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 289-290. Et c’est précisément parce qu’elle est de sa nature ordonnée à guérir les défauts des péchés que la modification sacramentelle apportée à la grâce habituelle est dite une dérivation plus particulière de la passion du Sauveur. C’est cette modification de la grâce sanctifiante que Billot entend expliquer en parlant des « dispositions habituelles » que nous confèrent les sacrements, chacun dans l’ordre à sa fin propre, en vue de nous guérir plus ou moins complètement de toutes les blessures de la concupiscence. De sacramentis, t. i, th. v, § 2.

/II. L/ : caractère. — Nous n’avons pas ici à étudier le caractère sacramentel, auquel un article spécial a déjà été consacré. Voir t. ir, col. 1698 sq. Nous indiquerons simplement : 1° à quelle conception métaphysique du sacrement les théologiens rattachent la réalité du caractère sacramentel ; 2° quelles analogies présentent, sous ce rapport, certains sacrements comparés aux sacrements qui impriment un caractère.

La métaphysique du caractère sacramentel.

Les

anciens théologiens avaient, du sacrement, une conception tripartite, à laquelle nous avons fait plusieurs fois allusion et que saint Thomas a consacrée dans Sam. theol., III 1, q. lviii, a. 6, ad 3um ; q. lxvi, a. 1 : sacra mentum lantum. res et sacrctmentum. res lantum sacramenti. Cf. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, t. II, part. VIII, c. vii, P. /, ., t. clxxvi, col. 466 CD ; le Tractatus de sacramento altaris, attribué à Etienne d’Autun, c. xvii, P. L., t. clxxii, col. 1295 et surtout Innocent III, à propos de l’eucharistie, Denz.-Bannw., n. 115 ; cf. à propos du baptême, l’expression rem sacra menti, n. Il l.

Le sacrement qui n’est que sacrement, sacramentum tantltm, est l’élément extérieur, le. rite constitué de matière et de forme, si^ne sensible de l’elïel intérieur que doit produire le sacrement : il signifie et n’est pas

lui-même signifié. — La chose du sacrement, qui n’est que chose, res lantum sacramenti, est la justification intérieure, la grâce, signifiée et causée par le rite extérieur ; elle est signifiée, mais n’est elle-même signe d’aucun effet ultérieur. — Enfin, la chose qui est aussi sacrement, res et sacramentum, est l’effet déjà signifié par le rite extérieur, mais qui est encore lui-même signe d’un effet ultérieur. C’est au res et sacramentum que les théologiens, quelles que soient leurs opinions sur sa nature métaphysique, rattachent le caractère sacramentel : Res autem et sacramentum (in baptismo) est characler baplismalis, qui est res signifleata per exteriorem ablutionem et est signum sacramentale interioris justificationis, quæ est res tantum hujus sacramenti, scilicet significala et non significans. Sum. theol., III a, q. lxvi, a. 1.

Les partisans d’une causalité sacramentelle dispositive, soit d’ordre physique, soit d’ordre intentionnel, ont formulé au sujet du res et sacramentum une théorie uniforme pour tous les sacrements. Cet effet intermédiaire entre le rite extérieur et la grâce intérieure serait un titre exigeant de soi l’infusion de la grâce. Et c’est sur cette conception uniforme du res et sacramentum dans chaque sacrement qu’est fondée leur explication de la causalité sacramentelle : « Dans le baptême, la confirmation et l’ordre [le res et sacramentum] est le caractère ou plus exactement la députation aux fonctions sacrées attachées à ce signe indélébile ; dans la sainte eucharistie, c’est le corps du Seigneur réellement présent sous l’espèce du pain et qui, par la communion, appelle la grâce ; dans la pénitence, c’est le droit (conféré par l’absolution) à être délivré de la dette du péché ; dans l’extrême-onction, c’est le droit à recevoir un soulagement ou la recommandation à la miséricorde divine ; dans le mariage, c’est le lien conjugal représentant l’union du Christ et de l’Église. » Van Noort, op. cit., n. 63.

Le défaut de la théorie est de se faire des sacrements une conception uniforme qui en emprisonne des réalités très analogiques dans une catégorie unique. La raison générique du res et sacramentum est bien celle d’un signe déjà signifié, mais pas nécessairement celle de disposition appelant la grâce. Le sacrement extérieur peut très bien atteindre à la fois et le res et sacramentum, signe de la grâce, et la grâce elle-même. L’idée d’un res et sacramentum s’accorde donc avec toutes les théories de causalité sacramentelle et en identifiant, dans la métaphysique du sacrement, le caractère et le res et sacramentum du baptême, de la confirmation et de l’ordre, on ne préjuge pas à rencontre de la causalité physique ou de la causalité morale.

Les analogies.

De ce que le caractère doit être,

dans les trois sacrements qui l’impriment dans l’âme du chrétien, identifié avec le res et sacramentum, il ne s’ensuit pas que tout res et sacramentum puisse être qualifié de caractère.

La question ne se pose pas pour l’eucharistie : le res d sacramentum dans l’eucharistie, c’est la présence réelle sous les espèces sacramentelles. Rien qui rappelle, même de loin, la marque indélébile imprimé dans L’âme. Pour la pénitence, on conçoit très bien un res et sacramentum, pénitence intérieure, signifiée extérieurement par les actes du pénitent et l’absolution du prêtre et signifiant intérieurement la justification du pécheur. Mais en cela rien qui rappelle le caractère sacramentel. Restent les deux sacrements d’extrême-onction et de mariage. Certains théologiens allemands. I.aake, Oswald, Farine, ont relevé ce fait Incontestable que, dans l’extrême-onction et surtout dans le mariage, un élément stable et permanent demeure, qui empêche la réitération de ces sacrements. Sans doute cet élément stable n’est pas un caractère, niais c’est une réalité qui présente avec le caractère

sacramentel de telles analogies, qu’on doit l’appeler « quasi-caractère ».

Il ne semble pas que cette notion et cette terminologie puissent être retenues. Sans doute, dans l’extrême-onction et surtout dans le mariage, est produit, outre la grâce, un élément stable, la recommandation du malade à Dieu, recommandation qui persévère tant que dure la maladie, le lien conjugal, qui demeure Inviolable tant que les deux conjoints vivent. Cet élément stable et permanent peut expliquer la reviviscence de la grâce dans ces deux sacrements. Voir Reviviscence, col. 2620. Mais il n’est pas la raison de la non itérabilité du sacrement. Cette non itérabilité, c’est la fin propre de chaque sacrement qui l’impose. En raison de l’institution du Christ, le mariage est indissoluble parce qu’une fois consommé, il indique parfaitement l’union du Christ avec l'Église ; et en raison de la persistance de la maladie, le malade demeure recommandé à Dieu au point qu’une nouvelle recommandation serait inutile.

L’analogie du res et sacramentum entre les sacrements imprimant un caractère et les deux sacrements dont il est question est donc très lointaine. Du côté de la raison métaphysique de la reviviscence de la grâce, elle est assez prochaine ; du côté du caractère sacramentel comme tel, elle est si lointaine qu’elle ne mérite pas le nom d’analogie. Cf. Hugon, Tractatus dogmaiici, t. iii, p. 123.

iv. conclusions diverses. — Première conclusion : de la nécessité des sacrements. — Puisque les sacrements, de par l’institution positive du Christ, sont des moyens d’obtenir la grâce, il s’ensuit qu’ils sont nécessaires de nécessité de moyen relative, dans la mesure où la grâce qu’ils produisent est nécessaire de nécessité de moyen absolue. Là où la nécessité absolue de la grâce n’existe pas, les sacrements ne sont plus nécessaires d’une nécessité aussi rigoureuse. Aussi le concile de Trente a-t-il condamné les protestants, affirmant que « les sacrements de la nouvelle Loi ne sont pas nécessaires au salut, mais sont superflus ; et que, sans eux ou sans le désir de les recevoir, les hommes, par la seule foi, obtiennent de Dieu la grâce de la justification. » Et le concile ajoute cette restriction ; « Bien que tous les sacrements ne soient pas nécessaires à chacun. » Sess. vii, can. 4. Voir ci-dessus, col. 605.

1. La doctrine catholique exposée par saint Thomas, III 1, q. lxv, a. 3. — Nous avons dit, en commentant le canon tridentin, qu’on y trouvait un écho de l’enseignement de saint Thomas. Voici cet enseignement : « Par rapport à la iiu qu’il s’agit d’obtenir — c’est l’aspect du problème présent — quelque chose est dit nécessaire d’une double façon. Est nécessaire tout d’abord ce sans quoi la fin ne peut être atteinte ; ainsi la nourriture est nécessaire à la vie humaine : c’est là le cas de nécessité stricte (simpliciler necessarium). Mais, d’une autre manière, quelque chose est dit nécessaire si, sans cette chose, la fin ne peut être convenablement atteinte : ainsi un cheval est nécessaire pour un long voyage, quoiqu’il ne s’agisse pas ici de nécessité stricte. Trois sacrements sont nécessaires de la première nécessité, c’est-à-dire strictement, dont deux, par rapport aux individus particuliers, le baptême et la pénitence ; le baptême simplement et absolument, la pénitence dans la seule hypothèse de péchés mortels commis après le baptême. Le sacrement de l’ordre est nécessaire à l'Église : là où il n’y a pas de gouvernement, le peuple croulera (Prov., xr, 14). Mais les autres sacrements ne sont nécessaires que d’une nécessité moins stricte : cai la confirmation n’est en quelque sorte que le perfectionnement du baptême, l’extrême-onction, le perfectionnement de la pénitence ; quant au mariage, il assure la perpétuité de l’Eglise par la propagation [de la race chrétienne]. »

De ce texte général il ressort : 1. que tous les sacrements ne sont pas également nécessaires ; 2. que cer tains sont nécessaires aux personnes individuellement considérées, d’autres à la société de l'Église ; 3. que les uns sont nécessaires strictement, ad esse simpliciter ; les autres, moins strictement, ad bene esse lantum.

2. Explication touchant la doctrine de la nécessité de moyen et de précepte appliquée aux sacrements. — La nécessité de précepte est celle qui provient uniquement d’une obligation morale imposée par le législateur. Assister à la messe le dimanche est nécessaire au salut de nécessité de précepte en raison de l’obéissance due à l’autorité de l'Église. La nécessité de précepte ne peut donc s’appliquer qu'à ceux qui sont capables d’obligation morale, c’est-à-dire aux adultes de raison. De plus, toute excuse sérieuse, impossibilité d’obéir ou simple ignorance non coupable, supprime l’obligation et par conséquent la nécessité de précepte.

La nécessité de moyen est celle qui provient de la connexion intime entre le moyen à employer et la fin à obtenir. Ainsi, un bateau ou un avion est nécessaire pour passer d’Europe en Amérique. En matière de salut, une telle nécessité s’impose à tous, adultes ou enfants, et l’ignorance, même non coupable, n’en excuse pas. Cette nécessité de moyen peut être absolue ou relative. Elle est absolue quand elle résulte de la nature même des choses ; elle est relative quand elle dépend de la volonté de Dieu qui l’a instituée et pour ainsi dire insérée dans la nature même des choses. Mais puisque la nécessité de moyen relative dépend d’une institution positive, elle peut ne pas s’imposer aussi rigoureusement que la nécessité de moyen absolue. En cas d’ignorance du moyen établi par Dieu ou s’il est impossible d’y recourir, il suffira à l’homme pour assurer son salut éternel de joindre au moyen absolument nécessaire le désir, implicite ou explicite, du moyen relativement nécessaire.

Faisant abstraction de l’institution des sacrements, on doit dire qu’une seule chose est, pour le salut, nécessaire de nécessité de moyen absolue : c’est le mouvement de charité parfaite qui nous place dans l’amitié de Dieu, en bref, l'état de grâce avec les dispositions de foi et d’espérance qui le préparent. Tel est le moyen inhérent à la nature même des choses. En dehors de ce moyen ex opère operantis, Dieu, indulgent à notre faiblesse, nous a préparé d’autres moyens de justification ex opère operato, moyens plus universels, puisqu’ils s'étendent non seulement aux adultes mais aux enfants incapables encore d’actes surnaturels, moyens plus faciles, puisqu’ils ne requièrent pas des dispositions aussi parfaites que l’acte de charité. Ce sont les sacrements. Mais Jésus-Christ n’a pas entendu laisser aux hommes la liberté du choix de ces moyens ; il les a imposés : « En vérité, je vous le dis, à moins de renaître de l’eau et de l’Esprit, personne ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » Joa., iii, 5. Mais par ailleurs, la suffisance des moyens efficaces ex opère operantis n’a pas été supprimée ; Jésus-Christ, en instituant les sacrements, a simplement voulu inclure dans l’acte de charité parfaite le désir de recourir aux sacrements nécessaires. Et c’est pourquoi, conformément à la définition du concile de Trente, certains sacrements sont dits nécessaires in re vel in voto. Ce désir ne dispense pas de recourir au sacrement lorsque la chose est possible ; bien au contraire, il comporte la volonté d’y recourir. Ainsi le baptême de désir non seulement ne dispense pas du baptême d’eau, mais comporte la volonté de le recevoir ; ainsi l’acte de contrition parfaite ne supprime pas l’obligation de recourir au sacrement de pénitence, mais nous incite à y venir confesser nos fautes graves, déjà remises cependant par la charité.

La nécessité relative de certains sacrements est étudiée dans les articles spéciaux concernant chacun d’eux.

Deuxième conclusion : de l’ordre des sacrements entre eux. — C’est encore le concile fie Trente cpii a défini contre les protestants qu’un ordre d’excellence existait entre les sacrements. Cf. sess. vii, can. 3. Voir col. 605. Sous ce rapport, l’eucharistie domine les autres sacrements. Mieux et plus cpie les autres, le sacrement de l’eucharistie signifie notre sanctification et notre gloire future, puisqu’il signifie immédiatement lecorps du Christ réalisant en nous son corps mystique. Cf. Cajétan, //) III « - m part., q. lxxiii, a. 1. Mieux et plus que les autres sacrements, l’eucharistie cause notre sanctification, puisqu’elle nous donne non pas seulement la grâce, mais l’auteur de la grâce. Enfin, mieux et plus cpie les autres sacrements, l’eucharistie réalise le culte dû à Dieu, par le sacrifice de l’autel. Sous ce dernier rapport, les trois sacrements qui impriment un caractère ; apportent au culte divin une contribution qu’ignorent les autres et qui les place après l’eucharistie.

Dans l’ordre naturel des sacrements, celui qu’exprime la nomenclature traditionnelle, c’est le besoin qu’en a l’homme pour faire son salut qui inspire cet ordre et cette nomenclature. Les cinq sacrements qui produisent la justification et la sanctification de l’homme considéré individuellement sont naturellement placés avant les deux autres qui concernent la vie spirituelle de la société. Entre les cinq premiers, les trois qui sont destinés à faire naître la vie spirituelle (baptême), à l’accroître et à la fortifier (confirmation), à l’entretenir et à la perfectionner (eucharistie), et qui sont les rites essentiels de l’initiation chrétienne, viennent avant les deux autres qui ne sont nécessaires que dans l’hypothèse du péché (pénitence et extrêmeonction).

Saint Thomas envisage encore un autre ordre, celui de dignité ; et il place les sacrements dans l’ordre suivant : ordre, confirmation, baptême, extrêmeonction, pénitence, mariage ; la première place étant toujours réservée à l’eucharistie. Cf. Sum. theol., III 8, q. lxv, a. 2, 3 ; In IV un Sent., dist. I, q. i, sol. 3 ; et les commentateurs.

"VII. Validité, licéité, frlctuosité : problèmes

    1. MORAUX ET CANONIQUES##


MORAUX ET CANONIQUES. I. DÉFINITIONS. —

1° Sacrement valide, licite, fructueux. — Le sacrement est dit valide, ou validement administré ou reçu, lorsque du côté soit du ministre, soit du sujet, soit du sacrement lui-même, toutes les conditions sont observées pour que le sacrement existe réellement et produise au moins quelque effet, à savoir l’effet premier qu’on a désigné sous le nom traditionnel de res et sacrameidum.

Le sacrement est licite, ou licitement administré ou reçu, lorsque du côté, soit du ministre, soit du sujet, soit du sacrement lui-même, toutes les conditions sont observées pour que le sacrement soit administré conformément aux exigences de la morale et du droit canonique.

Le sacrement est fructueux, ou fructueusement reçu, lorsque le sujet qui le reçoit est dans les dispositions requises pour en recevoir les effets sanctificateurs.

On le voit par ces brèves définitions : tandis que la licéité et la validité posent des conditions à la fois dans le ministre, le sujet et le sacrement, la fructuosité du sacrement, tout en supposant la validité et même la licéité, ne concerne cpie le sujet. Aussi est il nécessaire de l’envisager séparément.

2° Ministre et sujet du sacrement. 1. Ministre. —

On peut définir le ministre du sacrement : le représentant de Jésus-Christ sur cette terre, qui a reçu le pouvoir d’administrer les sacrements. Il est d’abord « représentant de Jésus-Christ ", qui demeure le ministre principal et invisible. Le représentant de Jésus Christ est donc un ministre secondaire, et visible.

tenant de Jésus-Christ son pouvoir. Le ministre des sacrements doit appartenir aux hommes « vivants sur cette terre ». S’il a plu à Dieu de déléguer miraculeusement quelque ange pour l’administration de quelque sacrement, ainsi qu’on le lit dans la vie de plusieurs saints, c’est à titre tout à fait exceptionnel et en dehors de la loi générale. Enfin, le ministre « a reçu le pouvoir d’administrer les sacrements ». Ordinairement ce pouvoir a été reçu par l’ordination sacerdotale ou la consécration épiscopale. Pour la pénitence, il faut en outre, une délégation expresse de l’autorité hiérarchique quridiction). Quant au baptême, sacrement nécessaire entre tous, Jésus-Christ a voulu que tout homme puisse, en cas de nécessité, être ministre apte à le conférer. Sur tous ces points, voir Ministre des sacrements, t. x, col. 1776 sq. Le mariage, en raison de son caractère spécial, a pour ministres les époux eux-mêmes.

2. Sujet.

Le sujet est celui qui reçoit le sacrement. — De par la volonté du Christ, déclarée par la tradition perpétuelle de l'Église, non moins qu’en raison de la fin même des sacrements, il apparaît que seul peut être sujet des sacrements un homme vivant sur cette terre : Subjectum capax baptismi est omnis et solus homo viator nondum baptizatus. Can. 745, § 1. Pour les sacrements autres que le baptême, le sujet apte à les recevoir ne peut être qu’un homme déjà baptisé. Le baptême est, en effet, le premier de tous les sacrements, parce qu’il est la porte de la vie spirituelle. Décret Pro Armenis, Denz.-Bannw., n. 696. Enfin tout baptisé n’est pas capable de recevoir tous les autres sacrements. Ainsi, la femme n’est pas capable de recevoir l’ordre ; les enfants et les perpetuo cimentes ne peuvent être sujets de la pénitence, de l’extrême-onction et du mariage ; les personnes en bonne santé ne peuvent recevoir l’extrême-onction ; le mariage ne peut être conféré qu'à des personnes non liées par des empêchements dirimants.

Ajoutons que le sujet du sacrement doit être une personne distincte du ministre. Le pape Innocent III déclara nul le baptême d’un juif qui, en danger de mort, s'était baptisé lui-même. Denz.-Bannw., n. 413. Le mariage ne fait lui-même pas exception puisque les contractants sont mutuellement ministres du sacrement, l’un à l'égard de l’autre. On remarquera, sur ce sujet, que l’eucharistie est dans une condition spéciale : une fois la consécration faite par le prêtre, le simple laïque en danger de mort peut se communier luimême. Cardinal I). Jorio, La communion des malades, n. 94-09. Quant au prêtre, il n’est plus ministre réalisant le sacrement par la consécration, lorsqu’il se l’administre à lui-même.

II. CONDITIONS DE VALIDITÉ ET DE LICÉITÉ DE LA PART DU MINISTRE. — Voir MINISTRE DES SACREMENTS. Cf. Umberg, Sijslema sacramentarium, c. iv, n. 119 sq.

/II. CONDITIONS DE LA /MAT DU SUJET. — 1° Validité. — Il faut distinguer le cas des enfants privés de l’usage de la raison (et de ceux qui doivent leur être assimilés), et celui des adultes d'âge et de raison.

1. En ce qui concerne les enfants encore privés de l’usage de la raison, aucune condition n’est requise pour la réception valide de trois sacrements : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, puisque c'était autrefois la pratique de l'Église d’administrer ces sacrements de l’initiation chrétienne, même aux petits enfants. Le sacrement, en effet, agit ex opère opendo <bez ceux qui n’y mettent pas obstacle. Or les petits enfants sont incapables de mettre un obstacle à l’efficacité des sacrements.

Les trois autres sacrements, pénitence, extrêmeonction et mariage seraient invalidement administrés à un enfant : pénitence et extrême-onction, parce que

l’enfant est incapable de pécher ; mariage, parce que l’enfant est incapable de. contracter. Pour ce qui est de l’ordre, théologiens et canonistes enseignent la validité de l’ordre conféré à un enfant encore privé de l’usage de la raison. Mais une telle ordination serait gravement illicite, et ne saurait entraîner pour qui l’aurait reçue l’obligation des devoirs spéciaux à l'état ecclésiastique.

2. En ce qui concerne les adultes, il faut, comme pour le ministre, considérer ce qui n’est pas exigé et ce qui est au moins exigé.

a) Ce qui n’est pas exigé, c’est l'état de grâce et même la foi, exception faite cependant du sacrement de pénitence en ce qui concerne la foi. — On peut concevoir, en ce qui concerne l'état de grâce, la réception valide, quoique sacrilège, d’un sacrement des vivants. La foi elle-même n’est pas requise, car un sujet, par ailleurs capable de recevoir un sacrement, peut avoir l’intention de le recevoir — ce qui suflit à la réception valide — sans avoir la foi.

Cette assertion repose sur une triple considération : Tout d’abord, sa vérité ressort de la pratique traditionnelle de l'Église romaine, qui a, sinon toujours, du moins finalement, considéré comme valables les sacrements de baptême, de confirmation et d’ordre reçus dans l’hérésie, à la seule condition de l’intention du ministre et du sujet et de l’observation exacte des rites substantiels.

Ensuite, c’est la conclusion légitime de la notion d’efficacité sacramentelle. Cette efficacité, dépendant de l’institution du Christ et de la vertu divine communiquée au sacrement, ne requiert, dans le sujet, d’autre disposition que l’intention. Recta fides baptizali non requiritur ad baptismum, sicut nec recta fides baptizanlis, dummodo adsint cœtera quæ sunt de necessitate sacramenti : non enim sacramentum perficitur per justitiam dantis vel suscipientis baptismum, sed per virtutem Dei. Sum. theol., III a, q. lxviii, a. 8.

Enfin, la raison théologique de cette validité des sacrements, nonobstant le manque de grâce et de foi du sujet, repose sur la distinction faite entre res et sacramentum et res sacramenti. Le premier effet peut être produit sans la condition subjective de l'état de grâce (confirmation, ordre, mariage, extrêmeonction) et même de la foi (tous sacrements, sauf la pénitence). L’exception de la pénitence repose sur ce fait que la contrition fait partie essentielle de la matière sacramentelle et que la foi est requise pour la contrition même imparfaite ; en sorte qu’ici il ne saurait y avoir matière du sacrement sans la foi. Quant à l’eucharistie, le res et sacramentum est extérieur au communiant : c’est la présence réelle sous les espèces sacramentelles : la validité du sacrement est donc toujours assurée dès lors que le sujet baptisé le reçoit.

b) Ce qui est exigé, c’est l’intention de recevoir le sacrement. — Chez les adultes qui ont eu l’usage de la raison, est requise, pour la réception valide du sacrement, l’intention de le recevoir, c’est-à-dire l’intention de recevoir un rite sacré, institué par le Christ, pratiqué par l'Église ou en usage parmi les fidèles. Une connaissance assez superficielle suffit donc. Il ne suffit pas, de la part du sujet, d’une attitude passive ou neutre. Une acceptation purement extérieure, mais simulée, du sacrement est insuffisante. De même que, dans le ministre, est requise l’intention intérieure de faire ce que fait l'Église au nom de Jésus-Christ, de même, dans le sujet, est requise l’intention intérieure de recevoir la chose sacrée et religieuse qu’administre l'Église dans les sacrements. Toutefois une intention véritable qui serait dictée par un but superstitieux ou mauvais, n’invaliderait pas le sacrement. Cf. S. Office, 19 septembre 1671, Collectanea S. C. de Prop. flde,

t. i, p. 69, n. 201. [La date de 1871 portée par les Collectanea est inexacte.]

La nécessité de cette intention repose sur la nature même des choses, sur maintes décisions de l'Église et sur l’enseignement des Pères et des théologiens. La nature des choses suggère l’inconvenance d’un sacrement validement reçu contre ou en dehors de la volonté du sujet. Les décisions de l'Église sont multiples : le IIIe concile de Carthage (397), can. 34 ; cf. Lauchert, Die Kanones der wichtigsten altkirchlichen Concilien, p. 168, et le I er d’Orange (441), can. 12 et 13, voir Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. n b, p. 442, interdisent d’administrer aux malades, actuellement dépourvus de raison ou de sentiment, un sacrement qu’ils n’auraient pas demandé auparavant. Innocent III décide dans le même sens, Epist., Majores, Denz.-Bannw., n. 411 ; le concile de Trente déclare que la justification des adultes se fait « par la réception volontaire de la grâce et des dons » (sess. vi, c. vu), et qu’en conséquence les adultes « se disposent à la justice en ce sens que, excités et aidés par la divine grâce, ils conçoivent la foi par l’ouïe et se tournent librement vers Dieu, qu’ils se proposent de recevoir le baptême, etc. » (ibid., c. vi), Denz.-Bannw., n. 799, 798 ; le Rituel romain, tit. ii, c. iii, n. 1 et 9, prescrit que l’adulte ne soit baptisé que sciens et volens ; que les fous et les énergumènes ne soient baptisés qu’aux intervalles de lucidité, pendant lesquels, en possession de leur bon sens, ils demandent le baptême ou qu'à l’article de la mort, si, avant leur folie, ils avaient exprimé le désir du baptême. Voir aussi pour l’extrême-onction, le titre v, c. i, n. Il et le Code, can. 752, 754 ; can. 940, 943.

L’enseignement des Pères et des théologiens sur la matière se trouve condensé dans l’affirmation de saint Augustin : « Si pour les enfants d’autres répondent…, le baptême est valable… ; mais si un autre répond pour celui qui peut répondre, il est invalide. » De baptismo, t. IV, n. 31, P. L., t. xliii, col. 175 ; cf. Contra epist. Parmeniani, t. II, n. 35, ibid., col. 77 ; Contra litteras Petiliani donatistx, t. II, n. 82, col. 288. Et saint Thomas résume l’enseignement théologique, Sum. theol., III », q. xlv, a. 6 ; q. lxviii, a. 7, et ad 2um.

Sur l’objection historique d’un certain nombre d’ordinations imposées par force, voir l’art. Intention, t. vii, col. 2278.

c) Nature de l’intention. — Sur les différentes espèces d’intention, virtuelle, habituelle, explicite ou habituelle implicite, voir Intention, col. 2279. La nature de l’intention varie avec le sacrement qu’il s’agit de recevoir. — Pour le baptême, à coup sûr, suffit l’intention habituelle implicite, contenue dans la volonté d’embrasser la religion chrétienne. Certains théologiens se demandent si l’intention contenue dans la volonté de faire ce qui est nécessaire pour le salut est suffisante : mais de graves auteurs l’affirment. Voir Cappello, De sacramentis, t. i, n. 85, et la note IL — Pour la confirmation, le viatique et l’extrême-onction, l’intention habituelle implicite suffit : quiconque a vécu chrétiennement est censé avoir l’intention de recevoir les derniers sacrements. Certains auteurs appellent aussi cette intention, « interprétative ». Cf. Van Noort, De sacramentis, t. i, n. 135. — Quant à l’eucharistie, en dehors du viatique, l’opinion la plus probable demande, dans le communiant, une intention habituelle explicite. C’est l’opinion de saint Bonaventure, In JVum Sent., dist. IX, a. 1, q. ni ; de saint Thomas, III a, q. lxxx, a. 8, ad 3um ; de Suarez, De sacramentis, disp. XIV, sect. ii, n. 6 ; de J. de Lugo, De eucharislia, disp. XVI, n. 22 ; en sens contraire, Billuart, De sacramentis, diss. VI, a. 1 ; d’Annibale, Summula theol. mor., t. iii, § 257, 2. Voir l’exposé

dans Gihr, op. cit., p. 109. — Pour la pénitence, la plupart des auteurs demandent, de. la part du sujet, une intention actuelle, ou tout au moins virtuelle : ici, le pénitent doit poser un certain nombre d’actes qui impliquent un acte de volonté. Voir les références dans S. Alphonse, Theol. moralis, t. VI, n. 82. Mais des auteurs modernes distinguent entre la confection du sacrement et sa réception. La réception n’a lieu qu’au moment où l’absolution est conférée ; le sacrement a pu être préparé auparavant quant aux actes du sujet qui en forment la matière. Sous le bénéfice de cette remarque, ces auteurs disent que la réception valide de la pénitence peut, en ce cas, s’accommoder d’une simple intention habituelle implicite. Cf. Cappello, op. cit., n. 85, 4°, cf. n. 83. — L’ordre, étant donné la gravité des obligations qui sont contractées, semble requérir, chez les adultes, l’intention habituelle explicite. — Enfin, pour le mariage, il ne saurait être question d’une autre intention que de l’intention au moins virtuelle.

Licéité.

Nous ne signalons pas ici les conditions

qui se rapportent à la licéité parce qu’elles commandent la fructuosité, c’est-à-dire les dispositions d'à me requises pour éviter la réception sacrilège ou nulle du sacrement. Nous ne considérerons que les conditions externes posées par le droit ecclésiastique, cette « norme de la discipline ecclésiastique », à laquelle doivent se conformer les laïques « usant du droit de demander au clergé les biens spirituels et surtout les secours nécessaires au salut ». Can. 682.

Ce qui peut empêcher un baptisé de recevoir licitement les sacrements, c’est ou un obstacle qui le prive du lien de la communion ecclésiastique ou une censure portée par l’autorité ecclésiastique. Can. 87. Sous le premier aspect, sont exclus pleinement de toute participation légitime aux sacrements « les hérétiques, les schismatiques même s’ils sont dans l’erreur de bonne foi…, à moins qu’ils n’aient auparavant rétracté leur erreur et n’aient été réconciliés avec l'Église ». Can. 731, § 2. Sous le second aspect, ceux qui sont excommuniés ou personnellement interdits ne peuvent recevoir les sacrements. Can. 2260, § 1, can. 2275, 2°. Les pécheurs publics ne sauraient être admis au sacrement de l’eucharistie tant que leur conversion n’est pas acquise et le scandale réparé. Can. 855, § 1. Voir ici Ministre des sacrements, t. x, col. 1792-1793.

Un catholique ne saurait demander licitement les sacrements à un ministre catholique qu’il sait pertinemment indigne, soit que ce ministre, à sa connaissance, soit en état de péché mortel, soit qu’il le connaisse comme frappé d’une censure lui interdisant l’administration des sacrements. La charité nous commande, en effet, de ne pas offrir à un autre l’occasion de pécher et nous interdit de coopérer à une faute ; de plus, il poumit y avoir raison de scandale ou péril de perversion. Il y a cependant des exceptions ainsi formulées dans le can. 2261 : …§ 2. Fidèles, saluo præscripto § 3, possunt ex quolibet justa causa ab excommunicato sacramenta et sacramentalia petere, maxime si alii minislri desint, et tune excommunicatus requisitus potest eadem ministrare neque ulla tenetur obliyatione causam a requirenle percontandi. — § 3. Sed ab excommunicalis vilandis neenon ab aliis excommunicatis, poslquam intercessit sententia condemnatoria aul declaraloria, fidèles in solo morlis periculo possunt petere lum absolulionem sarramentaleni…, tum etiam, si alii drsinl minislri, cetera sacramenta ri sacramentalia.

Sur l’illicéité ou la licéité, en certains cas exceptionnels, des sacrements demandés à un ministre hérétique ou schismatique, voir Hérésie, Hérétique, t. vi, col. 2232-2233.

Fructuosité.

Pour que le sacrement soit fruc

tueux, le sujet doit présenter certaines dispositions d'âme qui varient selon les sacrements à recevoir.

1. Pour la réception fructueuse des sacrements des morts, est requise, chez l’adulte, l’attrition surnaturelle, laquelle suppose des actes de foi, d’espérance et de pénitence. Cf. Conc. Trid., sess. vi, c. vi, vin ; sess. xiv, c. i, iv, Denz.-Bannw., n. 798, 801, 894, 898.

2. Pour la réception fructueuse des sacrements des vivants, est requis l'état de grâce, au moins prudemment estimé tel. C’est la nature même des choses qui exige qu’il en soit ainsi. Voir col. 625. Si le sujet a conscience d'être en état de péché mortel, il doit donc, avant de recevoir les sacrements des vivants, prendre les moyens de recouvrer la grâce sanctifiante. Pour l’eucharistie, la confession est de précepte. Cf. Conc. Trid., sess. xiii, c. vu et can. 11, Denz.-Bannw., n. 880, 893 ; Code, can. 807, 856. Voir ici Pénitence, t. xii, col. 1048, 1111-1113. Pour les autres sacrements, la confession est vivement conseillée, mais elle n’est pas strictement imposée, l’acte de contrition parfaite, prudemment estimée telle, pouvant à la rigueur suffire.

On remarquera que « l’interdiction de communier en se contentant d’un simple acte de contrition pour effacer le péché mortel concerne simples fidèles et prêtres. Il semblerait, d’après le texte du c. vii, que la nécessité pressante envisagée pour permettre au pécheur la communion après un simple acte de contrition ne concerne que le prêtre. Mais le canon ne reproduit pas cette clause spéciale. Il semble donc que, même d’après les déclarations du concile de Trente, on puisse envisager le cas où de simples fidèles, en raison d’une nécessité et vu le manque de confesseur, sont autorisés à communier après avoir émis un simple acte de contrition. C'était l’interprétation des théologiens postérieurs au concile ; interprétation aujourd’hui officiellement sanctionnée par le Code, can. 807, 856. Mais la finale relative aux prêtres, qu’on lit dans le chapitre et qui n’est pas reproduite dans le canon, s’explique facilement par le fait du précepte qu’elle renferme et qui s’adresse aux prêtres seuls, de se confesser quam primum lorsque, pour un motif de nécessité pressante, ils ont dû célébrer la messe après avoir péché mortellement, avec un simple acte de contrition, vu le manque de confesseur. Les simples fidèles, ayant communié pour un motif analogue et dans les mêmes conditions, peuvent, en s’en tenant aux prescriptions conciliaires, attendre le temps normal de la confession. » A. Michel, Les décrets du concile de Trente, p. 283.

Voir sur tous ces points Umberg, op. cit., c. iii, n. 75 sq.

IV. CONDITIONS DE LA PART DU SACREMENT LUIMÊME.

Validité.

Dans les sacrements, il faut

distinguer les rites essentiels des rites accidentels. Pour que le sacrement soit valide, il faut que les rites essentiels soient sauvegardés. Si le ministre y apportait des modifications substantielles, le sacrement serait invalide. Cf. conc. de Trente, sess. xxi, c. H, Denz.Bannw., n. 931. Ainsi nous savons, pour le baptême et pour l’eucharistie, quelles sont la matière et la forme déterminées par Jésus-Christ lui-même. Y apporter un changement serait rendre nul le sacrement. Pour les autres sacrements, il est plus difficile de déterminer exactement en quoi consistent leurs éléments essentiels ; aussi doit-on s’en tenir à ce qui est prescrit par l'Église.

2° Licéité. - — L’administration licite des sacrements exige non seulement qu’on respecte les éléments essentiels, mais qu’on observe les rites et les cérémonies, même accessoires, institués par l'Église. Aussi le concile de Trente anathématisc-t-il ceux oui affirment « que les rites reçus et approuvés dans l'Église catholique et qui sont en usage dans l’administration

solennelle des sacrements peuvent être sans péché ou méprisés ou omis, selon qu’il plaît aux ministres, ou être changés en d’autres nouveaux, par tout pasteur des églises, quel qu’il soit ». Denz.-Bannw., n. 856. En commentant ce canon, voir col. (il2, nous avons fait remarquer la prudence du concile qui n’a pas voulu toucher directement la question de la validité des sacrements administrés sans les rites habituels ou avec des modifications introduites par la volonté du ministre. Le Code, can. 733, § 1, imite la prudence du concile : In sacramentis conficiendis, administrandis ac suscipiendis accurate serventur ritus et aeremoniæ, qiiee in libris rihialibus ab Eeclesia probalis præcipiuntur. Cf. can. 731, § 1.

Le péché peut être plus ou moins grave de la part du ministre qui modifie ou supprime des rites sacramentels. En soi, la faute est grave et ne peut être faute légère qu’en raison du peu d’importance, évidente ou reconnue, du rite et de l’absence de mépris et de scandale.

II ne saurait être question, dans cette bibliographie, de citer tous les ouvrages, même importants, relatifs à la théologie sacramentaire. Nous indiquerons seulement, sur chacune des grandes questions abordées, les travaux les plus immédiatement pratiques. Les noms des auteurs noncatholiques sont suivis d’un astérisque.

I. Le nom de sacrement.

Auguste Hahn*, Die Lelire von den Sakramenten in ihren geschichtlicher Enlwickelung innerhalb dcr ubendlandlischen Kirchc, Breslau, 1861 ; G. —Louis Hahn*, Vorlesungen iiber die christliche Dogmengeschichle, t. i, Ve part., Leipzig, 1865, p. 661 sq., travaux auxquels ont recouru Harnack*, Lehrbuch der Dogmengeschichle, 4e édit., t. iii, Tubingue, 1910, p. 543 sq. ; Loofs*, Leitfaden zum Studium der Dogmengeschichle, Halle, 1906, p. 369, 567 ; Seeberg*, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 2’édit., t. iii, Leipzig, 1913, p. 268, et, parmi les catholiques, I’. Schanz, Der Begriff des Sakramentes bei den Vdtern, dans Theologische Quartalschrift de Tubingue, t. lxxiii, 1891, p. 531-576. — Plus substantiels les ouvrages suivants : V. Grone*, Særamentuni oder Begriff und Iiedeutung von Sakrament bis znr Scholastik, Brilon, 1853 ; Hans von Soden*, Mvxrr/ipiov und Sacramentum in den ersten drei Jalirhunderten der Kirche, dans Zeitschrift fur die.Y. T. Wissensebaft, t. xii, 1911, p. 188-227, la thèse de von Soden, dualité fondamentale de sens de [AvaTirçptov et de sacramentum, s’opposant à celle de Kattenbusch*, article Sakrament dans la Real-Encgklopddie, t. xvii, 1906, p. 350-381. Tous ces travaux ont été dépassés par l’ouvrage désormais classique que nous avons résumé dans la première partie : J. de Ghellinck, S. J., E. de Hacker, J. Poukens, G. Lebacqz, Pour l’histoire du moi sacramentum ». I. Les anténicéens, Louvain, 1924. E. de Backer y reprend les idées émises auparavant dans Sacramentum, le mot et Vidée représentée par lui, dans les œuvres de Tertullien, Louvain, 1911 ; et.J. Poukens s’y inspire de son étude : Sacramentum dans les œuvres de saint Cyprien, dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétienne, t. III, 1911, p. 275 sq. On trouvera dans les notes de l’ouvrage Pour l’histoire du mot sacramentum une bibliographie de détail extrêmement abondante. Aucun des autres ouvrages complémentaires annoncés sur le mot sacramentum dans la collection du Spicilegium sacrum lovaniense n’est encore paru à ce jour (mai 1938).

IL La notion de sacrement. — 1° Ouvrages généraux dogmatiques. — Outre les sententiaires du Moyen Age, In II""" Sent., dist. I, et saint Thomas, Sum. theol., IIP, q. i.x-i.x v, et Sum.cont. génies, t. IV, c. lvi sq., on consultera les grands commentateurs de saint Thomas, Suarez, de Lugo, Gonet, Billuart, les Wirceburgenses dans leurs traités De sacramentis in eommuni, mais surtout.Jean de Saint-Thomas, Cursus théologiens, édit. Vives, t. IX, Paris, 1886, disp. XXII et les Salmanticenses, Cursus théologiens, édit. Palmé, t. xvii, Paris, 1881, disp. I.

Les manuels sont en nombre imposant. Citons : Franzelin. De sacramentis in génère, Home, 1878 ; De Augustinis, De re sacramentaria prxlectiones, 2e édit., Home, 1889 ; L. Billot, De Eeclesia’sacramentis, 6e édit., 1. 1, Home, 1924 ; Lépicier, De sacramentis in eommuni, Paris, s. d. (1921) ; Chr. Pesch, Prseleeliones dogmaticæ 4e édit., t. vi, Fribourgeu-B. , 1914 ; G. Mattiussi, De sacramentis in génère…animer. DE THÉOL. CATHOL.

madversiones, Rome, 1921 ; Y. de Smet, De sacramentis in génère, île baptismoei eonfirmatione, 2e édit., Bruges, 1925 (on trouvera dans l’index bibliographique, p. xm-xix de cet ouvrage, de nombreuses références) ; Van Noort-Verhær, De sacramentis, Ie édit., t. i, Hilversum, 1927 ; Tanquerey, Synopsis theologise dogmaticæ t. iii, Paris, 1929, p. 206 sq. ; Hugon, Tractatus dogmatici, t. iii, Paris, 1931 ; Hervé, Manuale theol. dogm., t. iv, Paris, 1925, p. 398 sq. ; Lahitton, Theologiee dogmaticae thèses, t. iv, Paris, 1932 ; Diekamp-Hollmann, Théologies dogmaticae manuale, t. iv, Paris, 1934, etc. En langue allemande : J.-H. Oswald, Die

dogmatische Lehre von den heiligen Sakramenten der katholischen Kirche, 4e édit.. Munster, 1877 ; Schanz, Die Lehre von den heiligen Sacramenten der katholischen Kirche, Fribourg-en-B. , 1893 ; X. Gihr, Die heil. Sakramente der katholischen Kirche, 3e édit., lïibourg-en-B., 1918-1921 ; trad. P. Mazoyer, Paris, 1900 ; lleinrich-Gutberlet, Dogmatische Théologie, t. ix, Von den heiligen Sakramenten, Mayence, 1901 ; Pohle, Lehrbuch iler Dogmatik, t. vi, Sakramententehre, Paderborn, 1906. — En langue française, outre la traduction de l’ouvrage de Gihr et celle de la Théologie de Hartmann, t. ii, Paris-Mulhouse, 1936, l’ouvrage classique, malheureusement épuisé, de P. Pourrat, La théologie sacramentaire, Paris, 1908.

Ouvrages d’ordre historique.

Boni Chardon, Histoire

des sacrements ou de la manière dont ils ont été célébrés et administrés dans l’Église et île l’usage qu’on en a /ait depuis le lemi>s des apôtres jusqu’à présent, Paris, 1745 ; Juenin, De sacramentis, commentarius historiens et dogmaticus, Paris, 1695 ; Merlin, Traité historique et dogmatique sur les paroles ou les formes des sept sacrements de l’Église, dans Migne, Theologiee cursus completus, t. xxi ; A. Villien, Les sacrements, histoire et liturgie, Paris, 1931 ; et les Histoires des dogmes de Schwane, de Tixeront.

Monographies.

B. Stakemeier, La dottrina di Terlulliano

su i særamenti in génère, dans la Bivista storicacritica délie scienze leologiche, 1908, t. i, p. 446 sq. ; F. Probst, Sakramente und Sakramentalien in den drei ersten christliclicn .lahrhunderten, Tubingue, 1872 ; J.-C. Xavickas, 271e doctrine of St. Cyprian on the sacrements, Wurtzbourg, 1924 ; .1. St iglmayr. Die Lehre von den Sakramenten und der Kirche nach Pseudo-Dionysius, dans Zeitschr. fur kath. Theol., 1908, p. 216-303 ; E. Hocédez, La conception augustinienne du sacrement dans le Tractatus LXXX in Joannem, dans Reeherches de science relig., 1919, p. 1 sq. ; C. Spallanzoni, La nozione di sacramento in S. Agostino, dans Scuolu cattolica, 1927, p. 175 sq. ; p. 258 sep ;.). Strake, Die Sakramententehre des Wilhelm von Auxerre, Paderborn, 1917 ; Fr. Gillmann, ’Aur Sakramententehre des Wilhelm von A uxerre, Wurt Lbourg, 1928 ; K. Ziesché, Die Sakramententehre des Wilhelm voit Auvergne, dans Weidenauer Slmlien, t. iv (1911), Vienne, p. 1 17-226 ; J. Leehner, Die Sakramententehre des Itichard von Mediavilla, Munich, 1925 ; De Ghellinck, Un chapitre ilans l’histoire de la définition des sacrements au XIIe siècle, dans les Mélanges Mandonnet, t. II, Paris, 1930 ; E. Fruslsært, La dé finition du sacrement dans saint Thomas, dans lu Nouvelle revue théologique, 1928, p. 401 sq.

III. Institution.

Les ouvrages généraux cités ci (h’SMIS.

Articles de portée générale.

Ë. llugueny. L’institution

des sacrements, dans la Bévue des sciences philosophiques et théologiques, 1914, p. 236 sq. ; F. Schmid, Die Gewalt iler Kirche liezuglieh der Sakramente, dans Zeitschr. fur kathol. theol., 1908, p. 13 sq., 251 sq. ; J.-B. Umberg, Zur Gavait der Kirche iiber die Sakramente, dans Der Katholik, 1915, t. ii, p. 25 sq. ; S. Harenl, La part de l’Église dans la détermination du rite sacramentel, dans Études, t. LXXIII, p. 315-326 ; P. Galtier (à propos de la confirmation), La consignation éi Cartilage et il Rome, dans Beeherches de science religieuse, t. II, 1911, p. 350-383 ; La consignation ilans les Églises d’Occident, dans la Bévue d’histoire ecclésiastique, Louvain, t. xiii, 1912, p. 257-301 ; C. Gutberlel (à propos de l’ordre), Der sakramentale Ritus der Priestenveihe, dans Zeitschr. fiir kath. Theol., t. xxv, 1901, p. 626-634 ; H. Lennerz, » Salua eorum substantia », dans Gregorianum, t. iii, 1922, p. 385-119, 521-517 ; J.-B. Umberg, Die Bedeutung des Iridentinisclien salva eorum substantia », dans Zeitschr. fur kath. Theol., t. xlviii, 1924, p. 161-195 ; A. d’Aies, « Salva eorum substantia », dans Ephemerides theologim Lovunienses, t. i, 1924, p. 496-504, et ici Ordre, t. xi, col. 1330-1333 ; De Bæts, Quelle question le concile de Trente a-t-il entendu trancher touchant l’institution des sacrements par le Christ ? dans la Bévue thomiste, 1906, p. 30 sq.

T. — XIV.

21.

Articles spéciaux.

E. Guillaume, De institutions

sacramentorum juxta Alexandrum Ilalensem, dans Antonianum, 1927, p. 1157 sq. ; J. Bittrcmieux, L’institution des sacrements d’après Alexandre d’liâtes, dans Ephem. theol, louan., 1932, p. 231 sq. ; L’institution îles sacrements d’après saint Bonaoenture, Paris, 1923 ; E. Frustsært, Saint Thomas et l’institution de la confirmation, dans la Nouvelle renne théologique, 1929, p. 23 sq.

Théories rationalistes.

Voir les articles apologétiques

du Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Sacrement, § 6, t. iv, col. 1071-1077 ; Magie, Symbole magique et sacrement religieux, t. iii, col. 66-67 ; Milhra (La religion île), ibid., col. 578 sq., et surtout Mystères païens (Les) et saint Paul, ibid., col. 961 sq. ; U. Manticei, Su le recenli teorie

circa l’eooluzione storica dei sacramenti, dans la Hiuista storico-critica délie scienze leologlche, 1906-1908 ; L. Allevi, / misteri antichie i sacramenti, dans la Scuola cattoltca, 1920, i, p. 161 sq. ; J.-B. Allô, L’Évangile en face du syncrétisme païen, Paris, 1910 ; St. von Dunin-Borkowski, Die allen Christen und ilire religiôse Mitutelt, dans Zeitschrifi fiir kath. Theol., 1911, p. 213 sq. ; D. Joret, Les sacrements de Jésus, dans la Vie spirituelle, 1926-1927. p. 5 sq. ; Al.-.l. Lagrange, Les mystères d’Eleusis et le. christianisme, dans la Bévue biblique, 1919, p. l.">7 sq., 419 sq. ; du même, La régénération et la filiation divine dans les nu/stères <V Eleusis, ibid., 1929, p. 63 sq., 201 sq. ; G. Wunderle, Religion und Magie, Mergentheim, 1926 ; E. Hocédez, Sacrements el magie, dans la Nouvelle revue théol., 1931, p. 481 sq.

Septénaire.

Arcudius, Libri VII de concordia

Ecclesiæ occidenlalis et orientalis in septem sacramentorum administratione, l’aris, 1679 ; M. Jugie, Theologia dogmatica christianorum orientalium, t. iii, Paris, 1930, p. 15-25 ; Gillmann, Die Siebenzahl der Sakramente bei den Glossatoren dis gralianischen Dekrels, Mayence, 1909 (collect. Der Kalholik, 1910, t. i, p. 300-313 et t. ii, p. 215-218) ; Mceisdom, Le développement du dogme et le dogme du nombre, septénaire des sacrements, dans la Nouvelle revue théol., 1910, p. 607 sq. ; Misson, Notes d’histoire des sacrements d’après les capitulaires de Charlemagnc, dans Recherches de science religieuse, 1912, p. 245-253 ; De (Wiellinck, À propos de quelques affirmations du nombre septénaire des sacrements au XIIe siècle, dans Recherches de science religieuse, 1910, p. 494 sq. ; du môme, Le mouvement théologique du XIIe siècle. Paris, 1914, c. iii, p. 242 sq. ; M. (Irabmann, Die Geschiclile der scholastischen Méthode, Fribourg-en-B., 1909-1911, t. ii, p. 437 sq. ; De Bil, L’attestation du nombre septénaire des sacrements chez Grégoire de Dergumc, dans la Revue des sciences phil. et théol., 1912, p. 332 ; G. -Louis Halin*, Doctrines romanæ de numéro sacramentorum septenario rationes historicæ, Brestau, 1859.

Théologie sacramentaire orientale.

Job le pécheur

(fin du xuie siècle), T « Bv É7trà y.vaTiolu>v Tvjî’ExxXTjfftaç é £ e, y v-| [ j. 3c — t x. r, (h> » pt’a x » ! giaTàyrjTi ;, cod. 64 Supplementi grœci Parisiensis ; Syméon de Thessaloniquc, De septem sacramentis, P. G., t. clv, col. 175-696 ; Nicolas Cabasilas, De vita in Christo, P. G., t. CL, col. 493-726 ; Gabriel Severos, SuvraYl^àftov -kioI tôv àftiov -Lal iepâv ii, uarinpi ov, Venise, 1600 et 1691 ; Nicolas Bulgaiis, ’Iepà v.x-.^yr^.. : ?, TO( £ ; qyr|7t ; Tiffi Oït’a : Lai i.iç, y. : XetTOUpYcocç, Venise, 1681 (le premier chapitre : ll-pi tôv uvitrrriptiiiv) ; Ghermogen, évêque, De sanctis sacramentis Ecclesiæ orlhodoxa’, 2e édit., St-Pétersbourg, 1901 (en russe) ; Ignace, archevêque. De sacramentis umus sanctx catholici ;, apostolict ! lesia Saint-Pétersbourg, 1863 (en russe) ; Eusèbe, évêque de Vinitza, Sermones <le septem Ecclesiæ catholicee orthodoxie sacramentis, St-Pétersbourg, 1860 ; K..1. Dyovunlotis, l’a uAUTTrjpia rr, : àvaro). rLr, ; op8086 ! jou’V.Ly.’i.r k TÎa : Athènes, 1’.Il 3 ; Nectaire

Képhalas, Mènerai icepî rûv 6sfti>v [l’jdTrjpitov, Athènes, 1915 ; Al. von Maltzev, Die Sakramente der orthodox-katho lischen Kirche des Morgent andes, Berlin, 1X9X ; M..lastrebov. De septem sacramentis (en russe), articles publics dans les

Trudy de l’académie de Kiev, 1907-1908 (voir surtout 1907, t. ii, p. 181-504). -Bibliographie fournie par le P. Jugie,

Theologia dogmatica cliristianorum orientalium, t. [II, p. 6.

iv. Efficacité. S.-C. Schâtzler, Die Lehre von der Wirksamkeit der Sakramente ex opère operalo, Munich, 1860 ; .(. Bucceroni, Commentartus de sacramentorum causalitate, Paris, 1889 ; (’Reinhold, Die Streitfrage ùber die physische oder moralische Wirksamkeit der Sakramente, Stuttgart, 1899 ; B. Schultes, Die Wirksamkeit der Sakramente, dans .lahrbuch fiir Phil, uml spéculative Theol., 1906, p. 109 sq. ; J.-B, Umbcrg, Sacrinnenlu e/Jiriiinl. guod significant, dans

Zeilschr. fur kath. Theol., 1930, p. 92 sq.

1° S. Thomas et l’école thomiste. — H. Bouessé, La causalité efficiente instrumentale de l’humanité du Christ et des sacrements chrétiens, dans Revue thomiste, 1934, p. 370-383 ; M. Gierens, Zur Lehre des hl. Thomas ùber die Kausalitàl der Sakramente, dans Seholasttk, 1931, p. 321-315 ;.1. Gôttler, Der hl. Thomas von Aquin und die vortridentinischen Thomislen iiber die Wirkungen des Busssakramenies, Fribourg-en-B. , 190 1 ; E. Hugon, La causalité sacramentale en théologie, Paris, 1907 ; D. Joret, L’efficacité sacramentelle, dans la Vie spirituelle, 1926-1927, p. 122 sq. ; M. -H. Laurent, La causalité sacramentaire d’après le commentaire de Cajétan sur les Sentences, dans Revue des sciences phil. et théol., 1931, p. 77 sq. ; B. Lavaud, .S’ain( Thomas et la causalité physique instrumentale de la sainte humanité el des sacrements, dans Revue thomiste, 1927, p. 292 sq. ; La thèse thomiste de la causalité physique de la sainte humanité el des sacrements se heurte-t-elle à d’insurmontables difficultés ? Ibid., p. 405 sq. ; M. Tuyærts, Utrum S. Thomas causalitalem sacramentorum mère disposltlvam unquam docuerit, dans Angelicum, 1931, )). 140 ; A. Unterleidner, La causalité des sacrements. I. Saint’Thomas et les interprétations thomistes. II. Production directe et immédiate de la grâce, dans Revue auguslinienne, t. ii, 1905, p. 353 sep, 165 sq. — En marge de l’école thomiste :.1. Stufler, Bemerkungen zur Lehre des hl. Thomas iiber die virtus instrumentons, dans Zeilschr. fur kath. Theol., 1918, p. 719 sq. ; A. Teixidor, De causalitate sacramentorum. Nota circa difficullalem assequendi hac in re mentent Doctoris angelici, dans Gregorianum, 1927, p. 76 sq.

L’école franciscaine.

Br. M. I Ienquinet, De causalitate

sacramentorum juxta codicem aulographum S. Bonaventuræ, dans Antonianum, 1933, p. 377 sq. ; E. Hocédez, Richard de Middlelon, Louvain, 1925 ; B.-M. Huber, The doctrine of Ven. John Duns Scotus, dans Franciscan sludies, n. 4, New-York, 1926 ; W. Lampen, De causalitate sacramentorum juxta S. Bonaventuram, dans Antonianum, 1932, p. 77 sq. ; .los. Lechner, Die Sakramententehre des Richard von Mediavilla, dans Miinchener Studien zur historischen Théologie, Munich, 1925 ; A. O’Neill, La causalité sacramentelle d’après le Docteur subtil, dans Etudes franciscaines, 1913, p. 141 sq. ; P. Remy, La causalité des sacrements d’après saint Bonaventure, ibid., 1930, p. 324 sq.

Varia.

Al. van Hove, Doctrina Guilelmi Allissiodorensis

de causalitate sacramentorum, dans Divus Thomas (de Plaisance), 1930, p. 305 sq. ; M. Jugie, Séverin de Gabala et la causalité sacramentelle, dans la Revue des sciences phil. el théol., 1913, p. 467 sq. ; II. Weisweiler, Die Wirksamkeit der Sakramente nach Hugo von Sankl l’iklor, Fribourg-cn-B., 1930 ; K. Ziesché, Die Sakramententehre des Wilhelm von Auvergne, Brestau, 1911.

Autour de la causalité intentionnelle.

E.-X. Maquart,

De la causalité du signe. Réflexions sur la valeur philosophique d’une explication théologique, dans la Revue thomiste, 1927, p. 40 sq. ; E. Nepveu, De causalitate sacramentorum juxta D. Thomam et quemdam recenlem theologum, dans le Divus Thomas (de Plaisance), 1904, p. 9 sq. ; L. Billot, In articulum E. Nepveu circa causalitalem sacramentorum animadversiones, ibid., p. 179sq. ; E. Nepveu, De causalitate sacramentorum. Responsum animadversionibus R. P. Billot, S..L, ibid., p. 297 sq. ; Th. Pègues, De la causalité des sacrements d’après le R. P. Billot, dans la Revue thomiste, 190 1, p. 339 sq. ;.Si les sacrements sont causes perfectives de la grtiee, ibid., p. 689 sq. ; R.-M. Bicciardelli, De causalitate sacramentorum juxta S. Thomam et R. P. Billot, dans lo Divus Thomas (de Plaisance), 1904, p. 525 sq. ; FI. Slruyf, La nouvelle théorie du R. P. Billot sur les sacrements, dans la Revue augustinienne, 1905, t. ii, p. 35 sq.

V et VI. Effets et conditions de validité et de i.icéité. — La bibliographie générale du § II suflit.

A. Michel.