Dictionnaire de théologie catholique/TROIS-CHAPITRES (AFFAIRE DES) II. Les auteurs des Trois-Chapitres, au brigandage d'Éphèse de 449 et au concile de Chalcédoine de 451

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 175-177).

Une accusation en règle fut également portée, à la même séance, contre Théodoret. À l’appui furent déposées sur le bureau diverses pièces que nous avons déjà rencontrées et que nous retrouverons encore : la réfutation par Théodoret des anathématismes cyrilliens ; la lettre aux moines de Syrie (Théodoret, Epist., cli) ; une apologie de l’évêque de Cyr en faveur de Diodore et de Théodore (qu’il faut identifier à un ouvrage cité au Ve concile, sess. v, sous ce lemme : Ex his quæ Theodoretus defendens Theodorum contra Cyrillum scripsit) ; un autre tome dirigé contre Cyrille après que Théodoret était rentré dans la communion de celui-ci (peut-être est-ce le même que le précédent). Sur quoi Dioscore prononça la sentence déposant et excommuniant l’évêque de Cyr. Les évêques présents se rallièrent à cette condamnation, qui fut portée ensuite à Domnus d’Antioche absent. Celui-ci eut l’insigne lâcheté d’y souscrire ; cela ne le sauva pas. Peu après il était mis lui-même en accusation, comme ami et approbateur de Théodoret. Finalement sa déposition fut prononcée par le concile.

Prévenu de la sentence portée contre lui, Théodoret en fit appel au pape Léon, dans une lettre qui s’est conservée, Epist., cxiii, cf. cxvi-cxviii, P. G., t. lxxxiii, col. 1319 sq. Après un éloquent rappel de la dignité du Siège apostolique, l’évêque de Cyr déclarait adhérer pleinement à la doctrine exprimée par le pape dans le Tome à Flavien ; il suppliait le Siège apostolique de venir au secours de l’Église d’Orient ballottée par la tempête. Il attendait avec confiance la sentence de Léon, tout prêt à venir à Rome, sur un ordre du pape, pour y exposer sa doctrine.

Dès qu’il fut au courant des événements d’Éphèse, le pape protesta bien contre ce qui s’y était passé (14 décembre 449) ; mais, pour l’instant, il ne pouvait rien ; un édit de Théodosc II venait de donner force légale aux décisions du Brigandage. Texte dans Mansi, Concil., t. vii, col. 495-498. De plus la défense de posséder, de lire ou de transcrire les ouvrages de Nestorius était étendue aux écrits de Théodoret. Les détenteurs de ces productions s’exposaient aux peines les plus graves. C’est au monastère d’Apamée, où il était confiné, que l’évêque de Cyr apprit ce déchaînement de passions. Il essayait de consoler Ibas, Epist., cxxxii, P. G, t. lxxxiii, col. 1349. A Jean de Germanicie il tentait de faire comprendre la portée doctrinale des événements dont il était victime : c’était bien pour des questions dogmatiques qu’il avait été persécuté et tout autant Domnus, qui ne voulait pas recevoir les anathématismes cyrilliens. C’est en tant que « chef de l’hérésie » qu’il avait été lui-même déposé. Epist., cxlvii, ibid., col. 1409.

La réhabilitation à Chalcédoine. —

Mais l’injustice, la fourberie, la violence n’auraient pas le dernier mot. La mort de Théodose (28 juillet 450), l’avènement de Pulchérie et de Marcien amenaient la convocation d’un nouveau concile, qui réparerait les torts faits par le Brigandage et tirerait enfin au clair la théologie de l’incarnation.

Pour les monophysites de tous temps et de toutes nuances, le concile de Chalcédoine est resté l’assc mhlée exécrée qui a proclamé le nestorianisme, condamné « saint Dioscore de manière explicite et rejeté, sans Mer le dire, la doctrine de saint Cyrille. De très bonne heure, dans les milieux monophysites, ont couru sur le « concile maudit » les bruits les plus absurdes. Le plu-, curieux est celui dont s’est fait l’écho Jean d’Asie dani son Histoire ecclésiastique composée au milieu du vr siècle. Ce texte jette quelque lumière sur le « climat dans lequel s’est débattue la querelle des Trois-Chapii

Théodoret, après avoir été reçu par le » évoques du concile de Chalcédoine qui s’étaient rangés à sa malice, se montra insolent et les vilipenda. Ah ! disait-il, se sont-ils < régalés du ferment de la doctrine de Nestorius que je leur « ai fait goûter ! » Ainsi s’est-il exprimé en plein concile. Il avait, en effet, toutes les audaces, parce que les sectateurs de Nestorius avaient vivement exhorté le basileus à donner à Théodoret la présidence du concile et le droit de décider de tout. C’est donc du basileus qu’il entendait tenir son pouvoir. On dit aussi que c’est lui qui a fabriqué la dernière définition émise par le concile. » Éd. de Van Douwen et Land, Amsterdam, 1889, à la suite du De beatis orientalibus du même Jean d’Asie, p. 215.

Tout cela est absurde ; en fait Théodoret et Ibas furent admis au concile, mais à des conditions qui durent coûter à leur sens de l’équité et se heurter à leurs idées théologiques habituelles.

1. Théodoret.

Il y eut d’abord pour lui une acceptation provisoire au début de la première séance, puis à une session ultérieure son affaire fut discutée en détail.

L’évêque de Cyr n’était pas présent quand l’assemblée s’ouvrit et la séance commença par l’acte d’accusation dressé contre Dioscore par Eusèbe de Dorylée. Il fallait donc lire les procès-verbaux du Brigandage ; bien vite on arriva à la lettre impériale convoquant l’assemblée de 449, réglant sa composition et prononçant l’exclusive contre Théodoret. C’est alors que les magistrats civils composant le bureau du concile intervinrent pour demander l’admission de l’évêque de Cyr, « l’archevêque Léon (le pape) lui ayant rendu son siège et le basileus ayant décrété qu’il assisterait au concile ». L’introduction de Théodoret dans l’assemblée fut le signal d’un mouvement de séance extrêmement violent. La droite, formée par les Égyptiens, les Illyriens et les Palestiniens, l’invectivait bruyamment : « À la porte, criait-on, à la porte le disciple de Nestorius. » Et la gauche, composée par les Orientaux et les évêques du Pont, de l’Asie et de la Thrace, de manifester avec non moins de violence contre les partisans de Dioscore « l’assassin ». Le bureau eut de la peine à rétablir l’ordre ; Théodoret finalement put prendre séance, d’abord comme accusateur de Dioscore, puis à son rang d’évêque et même intervenir dans la discussion, ce qu’il fit aussi, mais d’une manière discrète, dans les séances suivantes. A la sixième, où fut discutée et approuvée la profession de foi du concile, il souscrivit cette définition.

Ce fut seulement à la ixe session (26 octobre), que sa cause personnelle fut discutée, en présence des légats du Siège apostolique. On lui demanda d’anathématiser nommément Nestorius. De toute évidence la chose lui coûtait et il essaya de se répandre en explications sur sa propre doctrine : « je ne prononcerai cet anathème que je n’aie d’abord exposé ce que je crois. Or, je crois… » Mais on lui coupa la parole : « Il est hérétique, clamaient les plus excités, il est nestorien ; dehors l’hérétique I » — « Eh bien, reprit Théodoret, anathème à Nestorius, à qui ne dit pas que la vierge Marie est la théotocos, à qui divise en deux fils l’unique Monogène. J’ai souscrit d’ailleurs à la définition de foi et au tome de Léon. Après cela, êtes-vous satisfaits ? » [Kal (jtexà Taùra Tcàvxa aâ>Çea6e ; cette phrase du procès-verbal donnera lieu ultérieurement à de vives discussions ; certains y ont vu une ironie : « je vous salue I » « laissez-moi la paix », « je prends congé », etc. Rusticus a traduit : Saluete ; il est bien difficile d’en préciser le sens exact). Sans s’arrêter à ces derniers mots, le bureau constata : « Devant vous Théodoret a anathématisé Nestorius ; il a été reçu par Léon, il B souscrit sans ambages votre définition de foi, et le Tome de Léon. Il ne vous reste plus qu’à porter la sentence qui lui rend son Église. » C’est là-dessus que l’on alla aux voix, en commençant p : ir les légats romains ; les votes des principaux membre* du concile sont ainsi conservés, ils répètent, à peu près tous, ce qu’avait exprimé le bureau de l’assemblée. Théodoret recouvrait donc l’Église de la cité de Cyr.

2. Ibas. — L’évêque d’Édesse, au début du concile, passa davantage inaperçu, on ne saurait dire quand il prit séance pour la première fois, mais son nom se retrouve parmi les signataires de la définition conciliaire à la vie session. Son cas donna lieu un peu plus tard à de longues tractations qui remplirent les xe et xie sessions.

A la x c, Ibas fit son entrée et rappela qu’il avait été condamné à Éphèse bien qu’absent. Il demandait donc que fussent lus les deux jugements rendus en sa faveur à Tyr et à Beyrout, qui l’avaient déclaré innocent des blasphèmes à lui imputés. Dans leur lettre aux juges, les clercs d’Édesse avaient attesté la pureté de sa doctrine. De cette lettre les légats romains demandèrent la lecture, aussi bien que celle des procès-verbaux de Tyr, c’est-à-dire de l’acte de conciliation qui avait terminé en Syrie l’action judiciaire de 448. Les signataires de cette pièce, présents au concile, en reconnurent l’authenticité. Sur quoi les légats crurent pouvoir terminer aussitôt l’affaire et proposèrent la mise aux voix. Mais, devant le silence général de l’assemblée, le bureau remit au lendemain la discussion. C’est donc à la xie session seulement que l’affaire d’Ibas fut liquidée. Dès l’abord quelques évêques proposèrent de la terminer immédiatement sur le vu du procès-verbal de Tyr. Une certaine opposition se manifesta pourtant : il y avait des accusateurs et qui demandaient à être entendus. Introduits, ils exigèrent la lecture des procès-verbaux de Beyrout, ces pièces devant montrer l’équité de la sentence d’Éphèse. On s’expliqua d’abord, non sans confusion, surla conciliation réalisée à Tyr, puis sur les actes de Beyrout, y compris la fameuse lettre à Maris que l’accusation apportait en témoignage de l’hétérodoxie de l’évêque d’Édesse. Cette lecture terminée, Ibas demanda que, fût également lue la lettre que les clercs de son Église avaient écrite en sa faveur. Satisfaction lui fut donnée par le bureau, qui rejeta sans plus la réclamation des accusateurs d’Ibas prétendant que la lettre des clercs d’Édesse avait été maquillée. Mais, pour l’édification de l’assemblée, il proposa que fussent lues les pièces du procès fait à Ibas au Brigandage d’Éphèse. Les légats romains s’y opposèrent avec la dernière énergie : les actes de l’assemblée d’Éphèse avaient été déclarés par le pape nuls et non avenus, il était inadmissible qu’il en fût rien lii, même à titre documentaire ; s’il le fallait, ils recourraient directement à l’empereur pour empêcher cette lecture. Anatole de Constantinople et plusieurs autres dignitaires se rallièrent à ce point de vue, que l’assemblée accepta finalement. Le bureau demanda dès lors que l’on passât au vote sur le sort à faire à Ibas. Les légats exprimèrent les premiers leur sentiment : « Lecture faite des pièces du procès, nous reconnaissons que, par la sentence des évêques (de Tyr, de Beyrout, d’Antioche), Ibas a été reconnu non coupable (àveùôuvov). Et nous-mêmes, après lecture de sa lettre, nous le reconnaissons orthodoxe, àM<xyviùaQziari< ; yàp -ôjç èîtioToX^ç aùxoû è7TSYvw[jL£v aùxôv ÛTtapxeïv ôp66-SoÇov. C’est pourquoi nous décidons de lui rendre l’honneur de l’épiscopat et l’Église dont il a été injustement chassé. » Nous verrons ultérieurement à quelles discussions a été soumise cette phrase des légats. Remise dans son contexte elle est absolument claire. L’orthodoxie d’Ibas a été attaquée ; en gage de son hétérodoxie ses accusateurs ont fait valoir tout particulièrement la lettre écrite par lui à Maris. Or, lecture faite des pièces du procès, et tout spécialement de la fameuse lettre, les légats ont reconnu l’orthodoxie d’Ibas. Sans doute leur sentence n’est pas équivalente à celle-ci : « La lettre d’Ibas est parfaitement orthodoxe » ; du moins exprime-t-elle cette idée que la lecture de cette pièce ne permet de rien dire contre l’orthodoxie de son auteur. Il est bien clair, par ailleurs qu’il ne peut s’agir, dans tout le contexte que de la lettre à Maris. C’est elle, elle seule qui est en cause. Sans doute une autre lettre a été lue aussi à Beyrout, celle du clergé édessénien en faveur de son évêque calomnié. Elle figurait dans les procès-verbaux de Beyrout et mention spéciale est faite de sa lecture à Chalcédoine. Mais il serait absolument invraisemblable qu’elle ait pu être désignée par les légats comme « la lettre d’Ibas », ttjç èmcTolr^ç ocûtoû.

Les votes émis par les autres membres du concile ne présentent rien de spécial ; tout au plus faut-il signaler celui de Juvénal de Jérusalem, suivant qui « il fallait pardonner au pécheur repentant ». Lui non plus ne doutait pas que le débat portât sur le caractère plus ou moins regrettable de la lettre à Maris. Il était loin de s’exprimer comme les légats ; du moins déclarait-il que le pardon pouvait être accordé à l’auteur de la fameuse lettre. En fin de compte on demanda seulement à l’évêque d’Édesse d’anathématiser Nestorius. Bien différent en cela de Théodoret, Ibas n’avait pas de raison particulière de se refuser à ce geste. Il jugeait sévèrement les incartades de l’archevêque déposé. Sans l’ombre d’une hésitation, il prononça l’anathème qu’on lui demandait. L’aventure de Théodoret et d’Ibas semblait définitivement liquidée.

3. Théodore.

Il n’y avait pas de raison pour qu’il fût question de lui à Chalcédoine. Son nom ne fut jamais prononcé dans les débats conciliaires. Toutefois il était parlé de lui avec beaucoup d’éloge dans la lettre d’Ibas à Maris. Ce passage quand il fut lu ne suscita, s’il faut s’en fier aux procès-verbaux, aucune manifestation ni hostile, ni favorable. L’attention de l’assemblée était ailleurs. C’est donc par une flagrante exagération que les monophysites accuseront plus tard le concile de Chalcédoine d’avoir rendu hommage à la mémoire de l’évêque de Mopsueste. Que sa doctrine des deux natures soit passée dans le décret dogmatique du concile, c’est incontestable, mais ce décret professait en même temps sur l’union une doctrine qui était fort éloignée de celle de Théodore. En dépit des affirmations indéfiniment reprises par les adversaires, Chalcédoine avait trouvé la via média entre le dyophysisme outré d’Antioche et le monophysisme, verbal ou réel, apparent ou larvé, d’Alexandrie.


III. L’agitation monophysite contre les Trois-Chapitres.

Ce que fut cette résistance des monophysites aux décisions de l’assemblée qu’ils appelèrent immédiatement le « concile maudit », nous n’avons pas à le raconter ici. Rappelons seulement que cette agitation d’apparence doctrinale s’ac< ompagna bien vite d’une effervescence politique. Ce n’est pas exclusivement pour des raisons religieuses que la Syrie et l’Egypte prirent feu contre Chalcédoine ; les revendications autonomistes des particularismes nationaux étaient, beaucoup plus qu’on ne l’imagine, au point de départ de ces mouvements d’apparence religieuse. Et cela permet de comprendre la politique en apparence un peu décousue des basileis. C’est pour empêcher des divisions menaçantes qu’à bien des reprises, en dépit des objurgations romaines, ceux-ci paraissent disposés, à abandonner Chalcédoine.

Au temps de l’Hénotique. —

L’Hénotique de Zenon, en 480, est la plus éclatante manifestation de cet état d’esprit. Le basileus, en somme, reconnaissait les deux hiérarchies schismatiques qui venaient de se constituer à Antioche et à Alexandrie. Pour faciliter les rapports entre celles-ci et l’Église officielle de Constantinople, il prescrivait à cette dernière le silence absolu sur la doctrine chalcédonienne. Ce ne sont pas tes