Dictionnaire de théologie catholique/TURIN (CONCILE DE)

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 199-201).

TURIN (CONCILE DE), début du ve siècle. —

Diverses collections canoniques, à commencer par VHispana, donnent sous la rubrique Concilium Taurinense ou C. Tauritanum la lettre synodale et les canons d’une assemblée tenue à Turin le 22 septembre d’une année qui n’est pas désignée. Sur la date et la signification de cette assemblée, un différend assez animé s’est ému naguère entre érudits. Il paraît à présent définitivement réglé ; toutefois il y a lieu de le rappeler à cause de quelques conclusions que certains avaient voulu tirer des dispositions prises par le concile.

I. Les documents conciliaires
(Mansi, Concil., t. iii, col. 859). — La synodale de l’assemblée est adressée aux évêques des Gaules et des cinq provinces (c’est-à-dire des provinces en lesquelles avait été divisée l’ancienne Provincia Romana). C’est à la demande des évêques gaulois que le concile s’est réuni pour juger les différends, tous d’ordre personnel ou tout au plus disciplinaire, qui lui avaient été soumis, par les évêques en question. Le concile souhaite que les décisions prises ramènent la paix et mettent un terme à certaines agitations qui ne sont pas toutes inspirées par le zèle chrétien. Suivent les huit canons qui expriment les sentences de l’assemblée.

1. Proculus, évêque de Marseille, réclamait les droits de métropolitain sur les Églises de la IIe Narbonaise, en excipant du fait que ces Églises avaient été de son ressort et que lui-même y avait ordonné des évêques. Mais d’autres évêques protestaient là-contre et prétendaient qu’ils ne devaient pas être soumis à un prélat résidant dans une autre province (Marseille faisait partie en effet de la province de Viennoise). Le concile s’arrête à une transaction : Proculus conservera, sa vie durant, la dignité et les droits de métropolitain sur les Églises de IIe Narbonaise qui ont toujours été considérées comme ses suffragantes (suas parochias) et sur celles où il a ordonné des évêques. Le concile suppose donc qu’à la mort de Proculus une autre organisation ecclésiastique se substituera à cet arrangement provisoire. —
2. Les évêques des deux villes d’Arles et de Vienne se disputent la prééminence dans la province de Viennoise. Celui des deux qui prouvera que sa ville est la métropole (civile) aura les droits métropolitains dans toute la province. Mais le concile suggère en même temps une solution pacifiante : que les Églises voisines de ces deux villes se groupent autour de celle qui est la plus proche et lui constituent un ressort métropolitain. —
3. Règlement de questions personnelles soulevées par certaines ordinations (épiscopales), conférées plus ou moins régulièrement par les évêques Octavius, Ursion, Rémi et Trifère. On tient compte de leur bonne foi pour les ordinations antérieures ; mais si, à l’avenir, ils passaient outre aux statuts des anciens, le consacré serait privé de l’honneur du sacerdoce, le consécrateur perdrait tout droit et de conférer l’ordination et d’assister aux conciles. —
4. La sentence portée contre un laïque Palladius, qui avait soulevé contre un prêtre une fausse accusation, est confirmée. —
5. Même disposition prise contre un prêtre, Exupérantius, qui a été excommunié par son évêque. —
6. Les évêques gaulois qui sont en communion avec Félix de Trêves (considéré comme partiellement responsable de l’exécution de Priscillien et de ses compagnons, voir ici t. xiii, col. 393, et dont s’était séparée la majeure partie de l’épiscopat gaulois) ont envoyé une délégation à Turin (pour demander leur réintégration dans la grande Église) ; on admettra ceux qui se sépareront de Félix, selon les dispositions des lettres d’Ambroise, de vénérée mémoire, et de l’évêque de Rome (Sirice), qui ont été lues en séance et devant les envoyés en question. —
7. Défense est faite, aux évêques de recevoir le clerc d’un évêque voisin ou de promouvoir à un ordre un laïque venant d’ailleurs, ou de recevoir à la communion un clerc déposé. —
8. Quiconque a été ordonné d’une manière illégale, ou qui a eu des enfants étant dans le ministère ne pourra être promu à un degré supérieur.

L’intérêt de ces canons — abstraction faite du 6e relatif au schisme de Trêves — consiste surtout en ceci que, pour prévenir de trop fréquents conflits de juridiction, le concile s’efforce de renforcer d’une part, de délimiter d’autre part l’autorité de l’évêque dans son diocèse et en même temps d’organiser dans la Gaule l’institution métropolitaine qui, depuis un siècle, fonctionnait en Orient. En cette région, l’organisation ecclésiastique s’était vite calquée sur l’organisation civile. Les Églises d’une même province civile s’étaient groupées autour de l’évêque de la capitale provinciale, en attendant qu’un peu plus tard les chefs des différentes métropoles ecclésiastiques reconnussent comme chef l’évêque de la capitale du « diocèse » civil. Cette organisation avait été reconnue, de manière plus ou moins explicite, par le concile de Nicée, can. 6 ; cf. ici, t. xi, col. 411. Elle mit plus de temps à pénétrer dans les Gaules, où il semble que les droits métropolitains, alors fort considérables, étaient surtout exercés par les évêques dont le siège se recommandait par son antiquité, son importance, les souvenirs qui se rattachaient à sa fondation. C’est de ce chef que Proculus de Marseille, bien que sa ville épiscopale ressortît à la province de Viennoise, prétendait exercer une vraie juridiction sur des Églises rattachées à la IIe Narbonaise. De même encore les deux sièges de Vienne et d’Arles se disputaient la primatie dans la province de Viennoise, Vienne excipant du fait qu’elle était la capitale provinciale, Arles se réclamant de la présence, toute récente d’ailleurs, de la préfecture du prétoire des Gaules qui venait d’y être transportée. Le. concile semble faire droit aux réclamations qui se fondent sur l’usage oriental. L’idéal est de reconnaître les droits métropolitains à l’évêque de la capitale civile de la province. Mais, dans l’intérêt de la paix, il fait quelques concessions. Proculus de Marseille continuera, de son vivant, à exercer la primauté sur les Églises où il a déjà fait acte de juridiction. Ce privilège néanmoins est viager ; lui mort, Marseille redeviendra un simple siège de la Viennoise. Pour cette dernière province, elle reconnaîtra comme chef ecclésiastique celui des deux évêques, d’Arles ou de Vienne, qui fera la preuve que sa ville est vraiment la capitale provinciale. Le concile suggère d’ailleurs, un règlement plus amiable. La Viennoise ecclésiastique se scinderait en deux provinces qui grouperaient respectivement autour d’Arles et de Vienne les Églises les plus voisines de ehacune de ces villes. Les ressorts métropolitains étant une fois constitués, il faudra s’en tenir de manière absolue aux règles suivant lesquelles le métropolitain est seul qualifié pour procéder aux ordinations épiscopales. Le canon 3 est particulièrement explicite en ce sens ; tout en passant l’éponge sur le passé, il considère comme gravement coupables les promotions qui seraient faites ultérieurement à l’encontre de la règle. Ces sages mesures ne devaient pas ramener aussitôt la paix. On dira à l’art. Zosime comment l’administration brouillonne de ce pape devait susciter de nouveaux troubles dans la Gaule du sud-est. Les mesures prises par lui allaient directement, en effet, contre les dispositions prises au concile de Turin ; elles devaient amener une vive réaction des intéressés.

II. Date et signification du concile.
En écrivant ceci, nous supposons que le concile de Turin s’est tenu bien antérieurement au pontificat de Zosime, à une date très voisine de l’an 401, ce que reconnaissent la presque totalité des critiques. Il en serait autrement et le concile prendrait, pour l’histoire de la papauté, un intérêt beaucoup plus considérable, si l’on pouvait établir qu’il est une réponse directe de l’épiscopat de la Gaule cis-et transalpine aux « prétentions » du pape Zosime. Ce sont les vues qui ont été émises par E.-Ch. Babut, Le concile de Turin. Essai sur l’histoire des Églises provençales au Ve siècle et sur les origines de la monarchie ecclésiastique romaine (417450), Paris, 1904, et qui, aussitôt que produites, ont suscité les plus vives contradictions.

La question semble dominée par celle de la date du concile. Rassemblant les divers indices relatifs à un synode de Turin, Ch. Babut en relève dans plusieurs lettres du pape Zosime : dans la lettre Postquam a nobis, Jaffé, n. 330, P. L., t. xx, col. 656, où le pape fait le procès de Lazare d’Aix ; dans la lettre Cum adversus, Jaffé, n. 331 ; col. 662, qui renouvelle les mêmes griefs ; dans la lettre Mulla contra veterem, Jaffé, n. 334 ; col. 665, où il est parlé des agissements de Proculus de Marseille au concile de Turin, agissements qui ont vivement ému le pape. Ajouter aussi la lettre Quid de Proculi, Jaffé, n. 333 ; col. 668, où il est question du même synode, bien que le nom de Turin ne soit pas prononcé. Mais, à en croire Ch. Babut, il ne s’agirait pas. dans ces deux dernières lettres, de la même assemblée qui est visée dans les deux premières. Celle-ci, où Lazare — ce que lui reproche amèrement Zosime — mit en cause le saint évêque Brice, successeur de saint Martin à Tours, s’est tenue, pense Babut, en 405. L’autre est postérieure d’une douzaine d’années et c’est à elle que remontent la synodale et les huit canons cités plus haut.

Voici comment s’explique la genèse de cette assemblée de 417. Presque au lendemain de son élection, le 22 mars 417, le pape Zosime, circonvenu par l’évêque d’Arles, Patrocle, adresse aux évêques des Gaules la décrétale Placuit, Jaffé, n. 328 ; col. 642, qui constitue Patrocle métropolitain des provinces de Viennoise et des deux Narbonaiscs. Lésé dans ses prétendus droits ; l’évêque de Marseille, Proculus, trouve le moyen de dresser contre la décision pontificale l’épiscopat de la Gaule méridionale ; la cause de Proculus est portée devant un concile réuni à Turin, qui, sans la nommer, répond à la décrétale Placuit, en maintenant Proculus, sa vie durant, dans la jouissance des droits acquis (can. 1), et en favorisant Vienne dans sa lutte contre Ar’.cs (can. 2). C’est contre cette attitude, gravement attentatoire à la dignité du Saint-S’ège, que Zosime s’élève dans les lettres Quid de Proculi damnalione, Jaffé, n. 333 ; col. 668, où sont confirmés à rencontre des prétentions de Proculus, les droits de Patrocle ; Mulla contra veterem, Jaffé, n. 334 ; col. 665, où le pape dénonce aux évêques de la Viennoise et de la II » Narbonaise. les méfaits de Proculus ; Mirati admodum sumus, Jaffé, n. 332 ; col. 666, où il interdit à l’évêque Hilalrc de. Narbonne d’empiéter, dans la province de I r » Narbonaise, sur les droits qui ont été donnés à Patrocle d’Arles. Au même, sujet se rapporteraient les lettres Licet proximæ, Jaffé, n. 337 (pas dans P. L.), Cum et in prsesenti, Jaffé, n. 340 ; col. 673, Non miror Proculum, Jaffé, n. 341 ; col. 674, qui. toutes, insistent sur le respect dû aux décisions pontificales, censées mises en échec par la manifestation du concile de Turin. Si cette présentation des événements est exacte, on comprend que Ch. Babut ait pu voir dans le synode de Turin la première manifestation du gallicanisme ecclésiastique. « Si nos cano ! 8 du xvii » et du xvin » siècle, écrit-il, avaient reconnu la date et la signification de la Lettre synodale, ils auraient rendu le concile de Turin célèbre. Tous les défenseurs des libertés gallicanes auraient autorisé leur résistance aux prétentions ultramontnitu s de M précédent antique et décisif. L’assemblée de 1682 se fût placée sous le patronage de l’assemblée de 417. » Op. cit., p. 211.

Le malheur est que les fondements de cette thèse sont ruineux. Présentée comme on vient de le faire, la succession chronologique des documents relatifs aux affaires ecclésiastiques de la Gaule du sud-est ne tient pas, quand l’on y regarde d’un peu près. Ch. Babut est d’abord obligé de donner à la Lettre synodale du concile de Turin une date précise : aux mots X kalendas octobris du texte, il ajoute la date consulaire, Honorio XI et Constaniio II coss. (= a. 417) que ne fournit aucun manuscrit. Cette addition fût-elle admise, on se heurte à une nouvelle difficulté chronologique : le concile se serait donc ouvert le 22 septembre 417, et, dès les derniers jours de septembre, le pape aurait réagi : la lettre Quid de Proculi est expressément datée du 29 (/// kal. oct.), peut-être même du 26 septembre ; les autres lettres relatives à l’affaire se situent également dans les derniers jours du mois, à des dates où il était matériellement impossible d’avoir à Rome connaissance des décisions de Turin. Pour rendre vraisemblables ses arrangements, Ch. Babut est donc obligé de remanier complètement la chronologie des lettres de Zosime, sans aucun égard pour la tradition manuscrite. Admît-on tout ce maquillage, qu’il reste pour l’interprétation de cette littérature des difficultés considérables. La plus grave est celle du dédoublement du concile de Turin ; rien, absolument rien ne laisse entrevoir que l’assemblée visée par Zosime dans les lettres 330 et 331 soit différente de celle qui est expressément désignée dans la lettre 334, et dont les décisions — correspondant d’une manière très exacte aux deux premiers canons de Turin — sont rappelées dans la lettre 333 : Per indebita a synodo Proculus irrepserat. Quant à l’idée que les décisions prises à Turin seraient une réponse — et combien insolente — à la décrétale Placuit, elle est de la dernière invraisemblance. A coup sûr les mesures prises par Zosime en faveur de Patrocle d’Arles et contre Proculus ont causé quelque émoi dans le sud-est de la Gaule et l’on dira, à l’art. Zosime, quelles furent les réactions de l’évêque de Marseille. Mais de cette opposition qui se contentait d’ignorer les décisions prises par le pape, à la manifestation vraiment schismatique qu’est, dans le système de Ch. Babut, l’assemblée de Turin il y a loin. « Que le décret (du pape Zosime), dit excellemment L. Duchesne, ait soulevé des critiques en Provence, qu’il ait donné lieu à des protestations de la part des évêques lésés, c’est ce qui est vraisemblable et attesté. Que les évêques de la Haute-Italie se soient beaucoup émus de cette affaire, c’est ce qui n’est ni vraisemblable ni attesté. Que le métropolitain de Milan et ses collègues se soient ingérés à juger ce conflit après le pape ; qu’ils se soient réunis en concile pour casser un décret du Siège apostolique, c’est ce qui est monstrueux et sans exemple. Une pareille attitude eût été simplement schismatique. Et ce qui ajoute encore à l’invraisemblable, c’est que ce concile italien qui s’ingérait à réviser les décisions du Siège apostolique, aurait poussé l’insolente jusqu’à affecter de les ignorer. La prétérition serait vraiment trop forte. Ce concile de révoltés eût été une assemblée de gens mal élevés. » Le concile de Turin, dans Revue historique, t. lxxxvii, 1905, p. 291-292.

En résumé, la correspondance du pape Zosime relative aux affaires du sud-est de la Gaule suppose bien l’existence d’un concile tenu à Turin mais ce concile appartient déjà au passé. Le pape a cherché à se renseigner sur lui et il fournit, à son sujet, des précisions que ne Contiennent ni la Lettre synodale, ni les canons Onærvét, C’est en tenant pour non avenues les décisions de cette assemblée en matière d’organisation ecclésiastique, qu’il donne à Patrocle d’Arles une sltuation exceptionnellement importante. Décrétale Placuit du 22 mars 417, Jafîé, n. 328 ; P. L., col. 642. Contre les résistances suscitées par ce coup de force, il maintient envers et contre tout les décisions prises par lui. Cela l’amène à exprimer, sur l’assemblée de Turin et la manière dont les affaires s’y sont déroulées, des jugements sans bienveillance. Mais toute cette histoire du pontificat de Zosime, loin de constituer, comme le voudrait Ch. Babut, le premier chaînon d’une série de manifestations de l’épiscopat contre les prétentions du Siège apostolique, montrerait bien plutôt la conscience qu’avait de ses pouvoirs et de ses droits le titulaire de l’Église romaine.

On trouvera ime bibliographie sommaire dans une longue note de Leclercq, de VHistoire des conciles, t. n a, p. 129134. Notons seulement l’essentiel du débat : celui-ci a pour point de départ un mémoire de L. Duchesne, finalement imprimé dans les Fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, 1. 1, Paris, 1894, c. ii, sur la primatie d’Arles. Ce sont les conclusions de Duchesne qui sont attaquées par E.-Ch. Babut, Le concile de Turin. Essai sur l’histoire des Églises provençales au V’siècle et sur les origines de la monarchie ecclésiastique romaine (417-450), Paris, 1904. Ce travail de Babut provoque, de divers côtés, d’assez vives contestations. Babut répond spécialement aux critiques de L. Duchesne et de Chr. Pfister : La date du concile de Turin et le développement de l’autorité pontificale au Ve siècle, dans la Revue historique, t. lxxxvii, 1905, p. 57-82 ; à quoi L. Duchesne répond, même revue, même année, p. 278-302. Le plus récent historien de la papauté, E. Caspar, juge cette réplique de Duchesne absolument décisive : il n’y a qu’un seul concile de Turin, qui doit se situer entre 397 et 401, Geschichte des Papsttums, t. i, p. 287 et 601. Voir aussi P. Batiffol, Le Siège apostolique, Paris, 1924, p. 210.

É. Amànn.