Dictionnaire de théologie catholique/URBAIN III
URBAIN III, pape du 25 novembre 1185 au 2(1 octobre 1187. — Le pape Lucius III était mort a Vérone, où il séjournait depuis juillet 1184, le 25 novembre ILS"). Le même jour, dans cette même cité, les cardinaux élisaient, pour le remplacer, Hubert Crivelli, archevêque de.Milan depuis janvier de cette même année. Il fui Intronisé le dimanche 1 er décembre, dans une église qui portait le titre de Saint-Pierre, et prit le nom d’Urbain III. De tout son pontifical qui dura à peine deux ans. Urbain ne devait quitter Vérone que pour Ferrare (octobre 1187) ; les mêmes raisons qui aaient écarté Lucius III de sa capitale, empêcheraient Urbain I II d’y rentrer.
Semblablement héritait-il, pour ce qui était de ses rapports avec l’empereur Frédéric Barberousse, de la situation qu’avaient créée les hésitations et les incertitudes de I.ucius. La réunion de Vérone OÙ s’étaient rencontrés en octobre 1184 le pape et l’empereur Frédéric n’avait pas réglé définitivement les sujets de litige qui. après la paix de Venise, existaient les deux puissances ; la question de l’héritage de lai mut esse Mathilde, le sacre anticipé de Henri VI et, parmi les affaires ecclésiastiques, la compétition pour le siège archiépiscopal de Trêves entre Folmar, candidat du pape, et Rodolphe, déjà investi par l’empereur. Tous ces problèmes, Urbain III ne semblait pas préparé à en chercher une solution pacifique. La ville de Milan, aux destinées religieuses de laquelle il avait présidé, avait bien, depuis 1183, fait sa paix définitive avec l’empereur ; elle avait même, en février 1185, contracté une alliance en règle avec lui. Aux termes de ce traité, Milan aiderait Frédéric à défendre tous ses droits en Lombardie, dans les Marches, la Romagne et spécialement sur « les terres de la comtesse Mathilde » ; elle assisterait l’empereur dans sa lutte avec Crémone. Mais l’archevêque de Milan n’avait pas suivi l’évolution de sa ville natale ; sa famille avait eu beaucoup à souffrir des événements de 1162, et l’archevêque en gardait le souvenir. Urbain III conserverait à l’endroit de l’empereur un peu de cette rancune. C’est du moins l’explication que donnent les Gesta Tret’irorum, dans Watterich, Pontificum Rom. i>il ; r, t. ii, p. Gf>5. Pourtant la première lettre par laquelle il signifia son élection à Frédéric était tout à fait irénique. Le pape se félicitait de la présence de l’empereur dans la Haute-Italie et si près de lui : ce serait un appui pour les heures difficiles. De son côté il ferait tout le possible pour assurer de bonnes relations entre l’Église et l’Empire. Jaffé, Reyesta, n. 15 475. En fait Urbain ne perdait le souvenir d’aucun des griefs que la Curie resassait contre l’empereur. Ils s’étalent dans une lettre pontificale à l’archevêque de Magdebourg, en date du 24 février 1186. À plusieurs reprises, dit le pape, nous avons prévenu l’empereur qu’il ait à rendre à l’Église romaine les possessions qu’il occupe indûment. A ces demandes les réponses ont manqué de sérénité ; l’empereur ne semble avoir aucun dessein d’accomplir les gestes qui affermiraient la paix entre les deux pouvoirs. Jaffé, n. 15 534. Mais le pape, de son côté, faisait-il le nécessaire pour assurer cette concorde ? On pourrait en douter devant le geste symbolique qu’il fait à la Pentecôte de 1186. En la vigile de la fête, il élève Folmar au cardinalat et, le jour même de la solennité, le sacre archevêque de Trêves. Dans les mois qui précèdent il n’avait pas ménagé son appui moral à la ville de Crémone en lutte contre Frédéric, Quand cette place eut été emportée, le 8 juin 1186, il essaie bien, dans une lettre à l’empereur, de se justifier, mais ce lui est une nouvelle occasion de reprendre, une fois de plus, les griefs qu’il a contre le souverain : Frédéric avait promis de prendre sous sa protection le patrimoine de l’Église et de préposer tout spécialement à cette fonction son fils Henri. Or, celui-ci faisait servir à l’oppression des territoires pontificaux le pouvoir qui lui avait été délégué ; à Narni, à Yiterbe, à Permise, qui étaient de l’État pontifical, ailleurs encore, il exigeait des redevances auxquelles il n’avait pas droit. L’empereur reproche au pape d’avoir soutenu Crémone ; cela porte à faux. Le pape n’a jamais interdit aux évêques et aux communes de Lombardie d’aider l’empereur à réduire la ville ; tout ce qu’il a fait c’est d’enjoindre aux belligérants d’épargner, autant que possible, les possessions de cette cité. Par contre l’empereur a commis à son endroit maint abus de pouvoir : ses officiers à Turin, à [vrée, ailleurs on1 accablé d’exac lions les gens d’Église, pendant que son fils Henri mettait à rançon les églises de Toscane. Il est grand temps que le souverain retienne son lils. sinon le pape sera obligé de faire ce que requiert l’honneur de Dieu. Jaffé, n. 15 634 (18 Juin 1 186). À ces menaces Frédéric répondit en bloquant élroitenient le pape dans Vérone, » en sorte, disent les Annules rumiiinrs, que ni le pape, ni les cardinaux qui étaient avec lui ne pou valent sort Ir « le la cité elle même ; ci si quelqu’un de la curie pontificale était pris par les Allemands, il ris
quait d’être torturé jusqu’à en mourir ». Vainement le pape chercha-t-il à intéresser à sa querelle l’ëpiscopat germanique. Réuni à Gelnhausen (novembre 1186), celui-ci adressa au pape des remontrances sévères, le rendant responsable de la rupture par son attitude dans l’affaire de Crémone et par le sacre de Folmar. Voir le récit de cette réunion dans les Annales, rapportées par Watterich, op. cit., t. n. Le texte de la lettre des évêques dans Mon. Germ. hist., Constitutiones et Acta, t. i, p. 444-446. Seul l’archevêque de Cologne, Philippe de Heinsberg, entra un peu avant dans la querelle du pape ; duc de Westphalie depuis 1 1 80, il essaya de se mettre en révolte contre l’empereur. Mais ceci ne tarda pas à faire long feu. Avec le temps la querelle entre le pape et l’empereur se serait peut-être envenimée. En fait il n’y eut pas d’éclat. La bulle publiée dans Harzheim, Concilia Germanise, t. iii, p. 436, où il est question d’une croisade à prêcher contre Frédéric, doit être attribuée non à Urbain III, comme l’avait pensé le premier éditeur, mais à Innocent IV ; elle vise Frédéric II et non point Barberousse. Comparer Jafïé, Regesta, n. 15 720 et Potthast, Regesta, n. 12 456 ; Watterich, op. cit., p. 682, n. 2. Selon Arnold de Lubeck, dans Watterich, op. cit., p. 681, le pape était bien décidé à excommunier l’empereur. Redoutant la colère de celui-ci les Véronais supplièrent le pape de ne pas fulminer la sentence de leur ville. C’est la raison qui amena Urbain à quitter Vérone pour gagner le territoire vénitien qui échappait à la juridiction impériale.
Les rapports d’Urbain III avec les autres souverains furent généralement pacifiques. Ils étaient cordiaux avec le roi de France, Philippe-Auguste ; voir Jafïé, n. 15 864, 15 901. Dans une lettre — dont l’authenticité n’est pas au-dessus de tout soupçon — et qui serait de 1187, Urbain fait confidence au roi des persécutions que subit l’Église romaine, regrette les hostilités perpétuelles qui arment les uns contre les autres les souverains chrétiens, France et Angleterre, royaumes d’Espagne, alors que tous devraient s’unir contre les infidèles et courir au secours de la Terre sainte, de plus en plus menacée. Jaffé, n. 15 924. Entre les Génois et le roi de Jérusalem en contestation pour diverses possessions territoriales dans la ville sainte ou dans les places de la côte, Urbain essaya de s’interposer. Jaffé, n. 15 549, 15 553, etc.
Plus que de son activité diplomatique, son registre, qui est relativement considérable (plus de 500 pièces) témoigne de son activité dans le domaine ecclésiastique. La centralisation qui va sans cesse croissant fait dès lors refluer à la Curie une quantité de questions contentieuses et administratives auxquelles celleci donne elle-même une réponse ; de plus en plus encore chapitres, monastères, églises éprouvent le besoin de se mettre sous la protection immédiate de l’Église romaine, laquelle assume à leur égard le rôle de tutrice. Et pourtant le Saint-Siège possède à l’extérieur des légats permanents qui ne sont autres que les titulaires des grands sièges. Signalons au moins le rôle attribué à Pierre, archevêque de Spalato dans le royaume de Hongrie, Jaffé, n. 15 480, à l’évêque de Cracovie pour la Pologne, n. 15 528, à l’évêque de Glasgow, pour l’Ecosse, n. 15 643, 15 645, 15 654, etc., à l’archevêque de Lund pour la Suède. N. 15 717, etc. En France, l’archevêque de Bourges est constitué, dans sa province, légat du Saint-Siège. N. 15 834, etc. Dans un ordre d’idées analogue, les Églises d’Espagne sont groupées autour de l’archevêque de Tolède, véritable primat. N. 15 839 ; cꝟ. 15 967. C’est peut-être l’archevêque de Cantorbéry qui reçoit les pouvoirs les plus étendus. N. 15 673 ; cꝟ. 15 656. À vrai dire, le Saint-Siège n’eut pas toujours à se féliciter de ses rapports avec ce dernier. D’âpres conflits mirent le prélat aux prises
avec les moines qui, suivant la coutume anglaise, desservaient sa cathédrale. La Curie qui avait pris parti pour ceux-ci dut intervenir à plus d’une reprise et même menacer l’archevêque. Voir n. 15 969-15 975 ; 16 005-16 008. Les ordres religieux, et tout spécialement les cisterciens furent spécialement encouragés ; les hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et à un moindre degré les templiers curent une part considérable dans la sollicitude pontificale ; cꝟ. 15 514 sq., 15 551, etc. Bon nombre des décisions rendues par Urbain III dans des affaires contentieuses sont [lassées dans les collections canoniques postérieures et spécialement dans le recueil dis Décrétâtes. Signalons n. 15 726 sur le commerce et l’usure ; n. 15 735 sur une irrégularité empêchant la réception des ordres ; n. 15 742 sur un serment bizarre dont l’archevêque de Pise devra délier les ayants-cause ; n. 15 820, sur les droits de sépulture. Comme de juste un certain nombre de ces réponses visent le mariage ou sa dissolution. La bulle n. 15 752 prend la défense des intérêts du roi de France, dont certains clercs avaient falsifié le sceau. Le pape demande que l’on épargne aux coupables toute mutilation et tout châtiment corporel, qui puisse les mettre en péril de mort, mais ils seront dégradés, on leur imprimera une marque qui les fasse reconnaître et ils devront quitter leur province. Texte passé aux Décrétâtes, t. V, tit. xx, c. 8.’fout le long de son pontificat, Urbain III avait été préoccupé du péril qui menaçait les États latins d’Orient, depuis que Saladin avait entrepris de mettre sous son pouvoir tous les pays avoisinant l’Egypte. Vainqueur de Damas et de Mossoul il encerclait les États latins, qu’il envahissait par le Nord. Le 4 juillet 1187, à la bataille de Tibériade, le roi Lusignan était fait prisonnier et l’armée chrétienne presque anéantie. Le 2 octobre suivant la ville sainte était prise et bientôt il ne resterait plus aux chrétiens qu’une étroite bande côtière avec les places d’Antioche, Tripoli et Tyr. Très rapidement portée en Occident, la nouvelle de cet immense désastre aurait hâté la mort d’Urbain IV, mais ce point est loin d’être assuré. Il succomba à Ferrare, où, se dirigeant vers le territoire vénitien, il venait à peine d’arriver, le 20 octobre 1187. C’est à Ferrare qu’il fut inhumé ; son tombeau se voit encore dans la cathédrale de cette ville.
Jafïé, Regesta pontif. rom., 2e éd., t. ii, p. 492-528 ; Watterich, Pontif. roman, vitæ t. ii, p. 663-683, où l’on trouvera les principales chroniques ; L. Duchesne, Le Liber pontiflealis, t. ii, p. 349 (notice des Annales romaines), p. 451 (notice de Martinus Polonus) ; le texte des lettres et diplômes dans P. L., t. ccn (groupement très incomplet ) et Baronius, Annales, an. 1185 -an. 1187 ; pour les travaux se reporter à ceux qui sont donnés à la notice du pape Lucius III, t. IX, col. 1062 ; ajouter E. Jordan, L’Allemagne et l’Italie aux XI’/ et XIIIe siècles, dans G. Glotz, Histoire du Moyen Age, t. iv, l re partie, Paris, 1939, p. 136-149.